Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 41 - Témoignages du 19 juin 2018
OTTAWA, le mardi 19 juin 2018
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 8 h 59, pour poursuivre son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour.
Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu’à tous les membres du public qui regardent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit dans la salle ou sur Internet.
Dans un esprit de réconciliation, je tiens à reconnaître que cette réunion se tient sur le territoire traditionnel non cédé des peuples algonquins.
Je m’appelle Lillian Dyck, je viens de la Saskatchewan et j’ai l’honneur et le privilège de présider ce comité.
J’invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.
La présidente : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la forme que pourraient prendre les nouvelles relations entre le gouvernement du Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous accueillons l’ancienne chef Kim Baird, de Kim Baird Strategic Consulting. Bienvenue, madame Baird. De l’Ontario Native Women’s Association, nous souhaitons également la bienvenue à Cora McGuire-Cyrette, directrice générale, et à Courtney Skye, conseillère.
Vous avez la parole, mesdames. Après vos exposés, les sénateurs poseront des questions.
Kim Baird, propriétaire, Kim Baird Strategic Consulting : Bonjour. Je remercie le comité de me donner l’occasion de faire part de mes réflexions sur cette question importante. Je passe beaucoup de temps à y réfléchir, et je suis donc heureuse de vous exposer mes idées.
Mon nom anglais est Kim Baird, alors que mon nom ancestral, qui vient de mon arrière-arrière-grand-père à Tsawwassen, est Kwuntiltunaat.
Mes connaissances viennent de mon expérience en tant que chef de Tsawwassen. À ce titre, j’ai été responsable de la négociation et de la mise en œuvre de notre accord moderne sur les revendications territoriales ainsi que de l’autonomie gouvernementale sur la côte Ouest du Canada, près de Vancouver. Il est triste de constater que la Colombie-Britannique n’est pas représentée au Sénat aujourd’hui — c’était plus fort que moi.
Le nouveau cadre qui remplace dans notre communauté la Loi sur les Indiens a déjà rendu possible un développement économique de plusieurs milliards de dollars sur les terres de Tsawwassen. Selon un article de CBC paru en janvier, Tsawwassen a d’ailleurs affiché la plus forte hausse de la valeur estimée par l’autorité évaluatrice de la Colombie-Britannique dans l’ensemble de la province l’année dernière.
Donc, quand on se demande à quoi ressemblerait une nouvelle relation de nation à nation ou de nouvelles relations, mon expérience prend grandement appui sur votre approche, que certains ont jugée controversée.
Dans la vaste majorité de la Colombie-Britannique, nous n’avons pas de traités historiques, ce qui signifie que le contexte politique, juridique et relationnel est totalement différent pour les Premières Nations de la côte Ouest.
Toutefois, d’après mon expérience en tant que chef et à titre de conseillère des Premières Nations dans certains de ces dossiers par l’intermédiaire de mon cabinet de consultation, je pense qu’une relation de nation à nation devrait s’appuyer sur plusieurs principes que je vais rapidement passer en revue.
Il y a entre autres la réparation de toutes les iniquités. Pour les Premières Nations, je crois que la réconciliation doit se faire sur les plans juridique, politique, socioculturel et économique. À mon avis, des communautés non viables ne peuvent pas se gouverner elles-mêmes ou assumer leur souveraineté si elles ne participent pas sur un pied d’égalité.
J’estime qu’il faut respecter les droits et les titres autochtones. Je suis d’avis que le respect ne se limite pas à y faire allusion dans des discours politiques. Il doit transparaître dans les lois, les politiques et les activités du gouvernement ainsi que devant les tribunaux. Le déni des droits ne doit plus être une stratégie fédérale devant les tribunaux.
La compétence des Premières nations est également un aspect essentiel de la réconciliation. J’estime que si les Premières Nations ne sont pas en mesure de gouverner leur territoire, leurs ressources et leurs membres, on ne peut pas se contenter d’autres accommodements, du moins à long terme.
Je pense donc que, dans les grands projets d’exploitation des ressources, les ententes sur les répercussions et les avantages ne vont pas assez loin pour régler les questions de compétence. C’est la même chose pour les institutions des Premières Nations. Ce sont d’excellentes initiatives de développement des capacités, mais selon moi, elles ne sont pas suffisamment axées sur la compétence sous-jacente des Premières Nations.
Un autre principe est celui du respect de la bonne évaluation et de la capacité. De nombreux représentants du gouvernement se rendent à Tsawwassen pour apprendre de notre expérience. Je pense que les deux parties doivent renforcer la capacité à se réconcilier et à établir une relation de nation à nation. De toute évidence, les Premières Nations doivent participer à ces discussions, mais elles ne peuvent pas former la fonction publique sur ces questions. Beaucoup de personnes se rendent à Tsawwassen. C’est un bon problème à avoir, mais cela exerce une pression sur la capacité de la collectivité.
Il est important d’avoir une approche axée sur la collaboration. Les Premières Nations et le gouvernement du Canada devront créer ensemble un cadre qui indique comment procéder, et ils devront le faire à un rythme qui convient à chaque communauté.
Nous devons également penser à un délai pour établir cette nouvelle relation. Le renouvellement ou la création d’une relation de nation à nation demandera du temps, et il doit y avoir un processus acceptable pour toutes les parties concernées. Les gouvernements et les Premières Nations devraient avoir une vision semblable de ces questions et de la façon dont les choses fonctionneront à court terme pendant que cette nouvelle relation évolue. À mon avis, une vision commune de ce qui constitue une feuille de route pour établir cette relation serait utile pour gérer les attentes de tout le monde.
Le respect de la culture et de la vision du monde des Premières Nations représente un grand principe. Les positions juridiques que les Premières Nations sont forcées d’accepter constituent le principal problème des traités modernes. Par exemple, à Tsawwassen, nous n’arrivions pas à nous entendre sur le statut constitutionnel de nos terres, et nous nous sommes entendus pour être en désaccord. Nous avons convenu que ce n’est plus l’article 91 de la Constitution canadienne qui s’applique, mais nous ne nous sommes pas entendus sur le bon article.
Une grande partie du défi consiste à essayer de réconcilier les communautés des Premières Nations, qui ont chacune une langue et une culture différentes, avec le gouvernement du Canada au moyen de titres coloniaux sur lesquels les Autochtones n’ont pas eu leur mot à dire.
Prenons, par exemple, les titres fonciers. À la base, nous devons non seulement nous entendre sur ce qui constitue un titre autochtone, mais aussi déterminer comment mettre fin au différend à ce sujet.
Nous devons trouver des moyens de respecter nos différences et de ne pas tenter de forcer les Premières Nations à se servir d’un titre qui ne convient pas à une collectivité donnée. Il faut plutôt en créer de nouveaux qui sont fiables pour toutes les parties concernées. On peut grandement améliorer ce genre de titres juridiques, même pour ceux parmi nous qui ont conclu une entente moderne sur les revendications territoriales et qui sont donc disposés à se conformer au cadre du Canada.
Prenons comme exemple les titres fonciers de Tsawwassen, qui figurent dans le registre provincial étant donné que la Colombie-Britannique a modifié sa loi sur les titres fonciers de manière à reconnaître les titres de propriété que nous avons créés et qui sont de notre ressort. Ce n’est qu’un exemple. Il y a probablement d’autres mesures novatrices qui pourraient être prises en ce qui a trait à ces titres, par exemple, et la seule chose qui nous empêche de progresser, ce sont les limites de notre créativité.
La mise à jour des mandats fédéraux de négociation constitue un aspect important de la question. Les mandats visant les traités ou d’autres ententes de réconciliation doivent être mis à jour pour rendre possibles la viabilité des collectivités des Premières Nations et le respect de leur culture. Ces arrangements ne doivent pas seulement servir à réduire le risque juridique du Canada. Selon moi, ils doivent être axés davantage sur l’effet à long terme des ententes, quelles qu’elles soient, et sur la façon dont elles peuvent évoluer au fil du temps.
J’estime également que le respect des choix des Premières Nations en matière d’autodétermination est un autre principe important. Beaucoup de négativité entoure le modèle moderne de revendications territoriales et d’autonomie gouvernementale, mais nombreux sont ceux qui continuent d’utiliser cette approche, qui semble être, à mon avis, le seul modèle fonctionnel d’une relation de nation à nation. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’améliorations possibles, mais je crois qu’il serait illogique d’abandonner les accords globaux.
Je ne sais pas si l’ensemble de la discussion sur la reconstitution des nations fonctionne pour tout le monde. Ce n’était pas une pratique historique de la nation Coast Salish. Nos décisions se prenaient vraiment à l’échelle locale. Tsawwassen fait partie du groupe culturel plus vaste de la nation Coast Salish. Il y a 54 Premières Nations. Pouvons-nous faire certaines choses ensemble? Tout à fait. De toute évidence, nous avons vu d’autres modèles comme la Régie de la santé des Premières Nations et certains organismes délégués. Je ne demande pas mieux que de voir la nation Coast Salish gérer notre partie de la mer des Salish. Toutefois, je pense que d’autres choses, comme la prestation de programmes et de services, seraient intenables.
C’est pour cette raison que je crois qu’une des questions fondamentales est de veiller à répondre aux besoins d’autodétermination en commençant par les collectivités locales, à partir de la base, pour définir nos besoins et la voie que nous pourrions suivre.
Il est extrêmement important de soutenir les travaux de développement des Premières Nations et d’investir dans ces travaux. Nous avons besoin de réconciliation interne dans nos communautés. Nous devons rétablir une gouvernance fonctionnelle et avoir des gouvernements que nos gens jugent légitimes, ce qui nécessite beaucoup de travail à l’échelle locale.
C’est un travail de développement difficile. À Tsawwassen, 94 p. 100 de nos membres ont pris part au vote concernant le traité, et une proportion de 70 p. 100 l’ont approuvé ainsi que notre constitution, qui établit nos nouvelles formes de gouvernance. Notre communauté travaille très fort pour comprendre dans quoi nous nous engageons au moyen de l’autonomie gouvernementale.
Au bout du compte, pour tracer la voie à suivre, nous devrons trouver plus de conventions sur la façon de s’entendre sur un désaccord afin de ne pas achopper sur la divergence des valeurs fondamentales entre les modes de gouvernance autochtones et les institutions du Canada et d’autres provinces.
Pour l’instant, la plupart d’entre nous sont encore pris avec des systèmes coloniaux indésirables. Nous devons progresser au moyen de ces systèmes jusqu’à ce qu’il y ait une solution de rechange, qui doit être tenable pour tout le monde. D’ici là, on peut faire de nombreux investissements de développement, que ce soit dans l’économie, l’infrastructure, la gouvernance, l’éducation, la santé ou d’autres dossiers communautaires.
La tâche peut sembler décourageante, mais c’est possible. Nous avons maintenant des modèles pour apprendre les avantages et les inconvénients de ce qui s’est fait dans des endroits comme Tsawwassen.
Je vous ai laissé des réflexions préliminaires sur la question. Je m’excuse d’avoir pris autant de temps, mais j’ai des opinions arrêtées à ce sujet. Je serai heureuse de discuter des aspects de la question qui vous intéressent, et je vous remercie encore de cette occasion de témoigner. Merci.
Cora McGuire-Cyrette, directrice générale, Ontario Native Women’s Association : Bonjour.
[Note de la rédaction : la témoin s’exprime dans sa langue autochtone.]
Je m’appelle Cora McGuire-Cyrette et je suis directrice générale de l’Ontario Native Women’s Association. Merci de m’avoir invitée à comparaître.
Je veux saluer le Sénat et le courage dont vous avez fait preuve en condamnant, au moyen du projet de loi S-3, les inégalités dont souffrent les femmes autochtones. Je tiens à saluer vos efforts.
Je veux parler un peu de l’ONWA, de qui nous sommes. Notre association, qui existe depuis 1971, est une des plus vieilles organisations autochtones en Ontario, peut-être même au Canada.
Notre personnel compte environ 80 personnes qui exécutent plus de 21 projets, et nous siégeons à 120 comités d’un bout à l’autre de la province. Nous avons également 41 conseils communautaires d’où sont issus nos membres, ainsi que 13 organisations de femmes autochtones qui sont incorporées, pour vous donner une idée de la portée du travail que nous faisons en Ontario.
Je tiens également à dire que nous ne parlons pas au nom des femmes autochtones. Nous croyons que c’est une pratique coloniale et que les femmes peuvent parler en leur propre nom. Nous sommes ici aujourd’hui pour discuter des problèmes auxquels elles font face. L’ONWA parle des problèmes qui les touchent, et nous voulons le souligner dans le cadre de ce processus.
J’aimerais également retourner dans les collectivités pour parler aux femmes et faire rapport au Sénat à l’automne, après avoir discuté avec elles de la façon dont elles veulent participer au dialogue de nation à nation. Nous sommes prêts à faire le travail au cours de l’été. Je tiens à le mentionner d’emblée.
Nous voulons porter à votre attention trois questions concernant la relation entre le Canada et les peuples autochtones. Dans le cadre de l’approche actuelle de nation à nation, une véritable analyse comparative entre les sexes et une inclusion concrète font défaut. En effet, lorsque l’approche repose sur les distinctions, on ignore les réalités des femmes autochtones. La structure de mobilisation actuelle d’organisations autochtones nationales ne répond également pas aux besoins des femmes ou des membres des collectivités, qui sont ainsi divisées. Nous avons besoin d’unité pour faire face à la division.
Nous nous réjouissons à l’idée d’une nouvelle relation entre le Canada et les peuples autochtones. Notre histoire coloniale, comme les lois et les pratiques, est bien documentée, mais généralement mal comprise. Le colonialisme importe la propriété patriarcale et favorise l’emprise exercée sur les femmes autochtones et leurs enfants. Nous devons décoloniser ces mesures, et nous devons le faire individuellement. Il faut que cela parte de l’intérieur avant de se poursuivre à l’extérieur.
Pour vraiment lutter contre les vastes préjudices du colonialisme, il faut commencer à prendre des mesures délibérées pour accorder la priorité à l’analyse comparative entre les sexes. Les femmes autochtones ont besoin de sécurité pour y parvenir. Dans le cadre d’une analyse comparative entre les sexes, les enseignements de Maslow, qui ont été volés à Blackfoot, portent vraiment, une fois les besoins de base satisfaits, sur la nécessité d’assurer la sécurité. C’est vraiment là que nous en sommes rendu actuellement pour ce qui est des femmes autochtones.
Les femmes autochtones sont la cible de nombreuses formes de violence systémique dans toutes les collectivités. Leur surreprésentation pour ce qui est des piètres bilans de santé, de l’itinérance, de la pauvreté, de la violence, des homicides et de la criminalisation témoigne de leur marginalisation. Cette violence les empêche d’apporter une contribution significative au discours sur la gouvernance et d’assumer pleinement leurs rôles et leurs responsabilités dans leur vie et leur famille.
La CRPA, la Commission royale sur les peuples autochtones, a reconnu que ces problèmes de société et de santé ne peuvent pas attendre. Des collectivités sont aux prises avec des logements insalubres, de l’eau impropre à la consommation et d’autres risques pour la santé. La Constitution du Canada permet aux Autochtones, s’ils le souhaitent, de prendre sans tarder ces questions en main, sans attendre que d’autres gouvernements transfèrent les pouvoirs nécessaires.
Les besoins immédiats et la sécurité dans les collectivités ne peuvent pas dépendre de la longue négociation de traités, tout comme les mesures pour répondre aux besoins humains pressants dans les collectivités ne peuvent pas être perçues comme une perte de l’autonomie gouvernementale à l’avenir. L’abandon de la souveraineté autochtone n’est pas une condition préalable aux droits fondamentaux de la personne et à la sécurité.
L’élimination du cycle de la violence subie par les femmes et les enfants autochtones est essentielle pour transformer les collectivités. On peut mesurer la santé et le bien-être d’une collectivité en mesurant la santé et le bien-être des femmes qui y vivent.
Les femmes sont au cœur de notre communauté. Elles donnent naissance à nos enfants. Pour apporter des changements au cours d’une génération, il faut les aimer, les soutenir, être gentils avec elles et leur donner des organismes qui répondent à leurs besoins, toujours dans le but de favoriser leur propre autodétermination.
La CRPA a défini les premières mesures à prendre pour changer les choses. Les dirigeants autochtones doivent se prononcer publiquement et avec fermeté contre la violence dans le cadre de leur travail et dans les collectivités dans le but d’élaborer des normes et des politiques de tolérance zéro.
En Ontario, il y a le Groupe de travail mixte sur la prévention de la violence contre les femmes autochtones. Il aura fallu 10 ans pour le mettre sur pied.
En 2007, j’ai coordonné une conférence de femmes qui voulaient être les tenantes du changement dans notre collectivité. Nous les avons questionnées sur la violence, entre autres choses. Nous ne voulions pas revivre ce qu’elles savaient déjà. Nous voulions connaître les solutions, ce qui devait être fait et ce que nous pouvions faire ensemble en tant que communauté pour être en mesure de lutter contre cette violence.
Dix ans plus tard, nous avions la stratégie et l’annonce d’un investissement de 100 millions de dollars pour lutter contre la violence faite aux femmes en Ontario. C’était le fruit de 10 ans d’efforts et le résultat de beaucoup de travail acharné de la part des partenaires autochtones qui s’étaient tous entendus pour mettre de côté leurs différends afin de mettre l’accent sur les mesures à prendre ensemble pour honorer la voix des femmes et des enfants et lutter contre cette violence. C’est ainsi que nous sommes parvenus au Programme de bien-être familial.
Nous devons rétablir l’équilibre au sein des familles, et le faire essentiellement au sein de nos collectivités et parmi nos dirigeants. Les femmes autochtones doivent être en sécurité pour pouvoir exercer de façon significative leur droit de participer à la prise de décisions.
Plus tôt cette année, j’ai rencontré la ministre Bennett, et nous lui avons demandé de nous garantir qu’on allait tenir compte des points de vue uniques des femmes autochtones dans la nouvelle relation. Elle n’a pas pris d’engagement ferme. La ministre Bennett a affirmé à répétition qu’il reviendra aux collectivités de déterminer ce qui viendra ensuite, mais dans les faits, il n’y a pas de transparence.
Il n’y a pas de transparence dans la façon dont les collectivités consacreront du temps et des ressources pour se remettre du passé, auront une vision d’elles-mêmes et s’en sortiront, des conseils de bande élus aux organes coloniaux de décision, et au-delà des modèles de gouvernance axés sur les réserves. Les collectivités autochtones doivent être en mesure d’aller au-delà de la colonisation.
Nous devons nous concentrer sur la guérison. Nous nous concentrons trop sur la division. Nous avons plus de points en commun que de différences.
Nous devons êtres investis de pouvoirs pour reconnaître de plus en plus l’urbanisation et la façon dont nous sommes profondément attachés à nos terres, même si nous sommes dans des collectivités urbaines et rurales.
L’approche fondée sur les distinctions actuelle fait fi des réalités des peuples autochtones qui sont des détenteurs de droits d’identité mixte. Par exemple, l’enfant d’une mère métisse et d’un père issu d’une Première Nation doit en ce moment choisir le cadre des droits qui s’applique à lui.
Il faut changer la façon dont les décisions sont prises dans les collectivités. Ce peut être en apportant des changements à la structure de l’OAN pour la prise de décisions. On n’enlève rien à la conversation. On contribue à la conversation. C’est un point sur lequel on nous questionne constamment lorsque nous discutons de l’inclusion des femmes autochtones dans les pouvoirs décisionnels. On n’enlève rien aux conversations axées sur les droits concernant le leadership différent exercé dans les collectivités. Nous devons contribuer à cette conversation. Nous devons l’enrichir.
En mai dernier, l’Ontario Native Women's Association a retiré son adhésion à l’Association des femmes autochtones du Canada. En tant que membre fondateur de l’AFAC, nous honorons le travail important que nos organisations ont fait au cours des quatre dernières décennies pour assurer le bien-être des femmes autochtones. En tant qu’organisation, l’AFAC a fini par comprendre comment le colonialisme et le bâillonnement des femmes autochtones constituent une forme de violence. On fait souvent fi de leurs opinions et de leurs priorités, et on prend souvent la parole au nom des femmes des collectivités locales.
Nous sommes sur le point de pouvoir saisir une occasion de transformer la façon dont nos collectivités et nos organisations s’identifient à nos peuples. Pour l’AFAC, cela signifiait de ne plus participer au bâillonnement des femmes des collectivités locales en perpétuant l’idée que n’importe laquelle de ces organisations peut parler au nom de toutes les femmes autochtones au sujet de leurs aspirations.
Les droits des femmes autochtones ont été affirmés parce qu’elles sont autochtones et qu’elles sont des femmes dont tant les droits individuels que les droits collectifs doivent être respectés. Le paragraphe 35(4) de la Constitution affirme les droits autochtones des hommes et des femmes. Il en va de même pour l’article 44 de la DNUDPA.
Nous aimerions saisir cette occasion de faire participer pleinement nos membres pour offrir une tribune sécuritaire afin de tenir une discussion sexospécifique sur la décolonisation au Canada. Nous voulons rassembler des grands-mères, des mères, des enfants, des transgenres et des personnes bispirituelles dans un cadre qui favorise la guérison et la transformation.
Il est temps de cesser de percevoir la violence fondée sur le sexe dont sont victimes les femmes autochtones comme étant un problème distinct lié à la gouvernance et à la prise de décisions.
Les provinces doivent également prendre part à cette conversation et à ce dialogue. Nous devons le faire ensemble. C’est le pouvoir de travailler ensemble pour régler ce problème. Meegwetch.
La présidente : Merci. Nous avons hâte d’entendre les questions des sénateurs.
Le sénateur Tannas : Merci à toutes les deux de vos exposés.
J’aimerais commencer par poser une question à Mme Baird. Vous avez une histoire de réussite à raconter et, comme vous le dites, vous recevez beaucoup d’attention — ou Tsawwassen reçoit beaucoup d’attention — d’autres intervenants qui veulent tirer des leçons du succès que vous avez connu et éviter une partie des souffrances dans ces situations.
Un autre témoin a soulevé récemment l’idée d’un accord entre le Canada et les peuples autochtones que tout le monde appuierait sans doute, un ensemble de principes qui mettraient seulement l’accent sur les droits et les privilèges, la reconnaissance, la réconciliation et les avantages dont les gens pourraient profiter pour commencer, et quand on aura adhéré à ces principes, on pourra les appliquer plus localement. Vous parlez de la nécessité d’avoir un gouvernement local.
Pourrions-nous nous entendre au pays sur quelque chose qui trouverait écho auprès des peuples autochtones? Y a-t-il des principes que les Canadiens pourraient approuver afin que les peuples autochtones disent : « Oui, nous pouvons tous nous entendre sur ces principes »?
Mme Baird : C’est une question complexe. Je pense qu’au final c’est ce que la Constitution cherchait à faire pour reconnaître les droits autochtones, mais ils n’étaient pas définis. Je pense que le principal problème est d’arriver à une définition acceptée par tous des droits et des titres autochtones.
Donc, sans cette clarté ou cette certitude, c’est en grande partie la source du conflit, à mon avis, dans les litiges devant les tribunaux. Toutes les affaires en Colombie-Britannique visent à remplir la boîte vide, que ce soit pour les droits de pêche, les droits de chasse et les droits à la consultation.
Je pense qu’il vaut la peine d’essayer. Je ne sais pas s’il y a un consensus parmi les peuples autochtones concernant ces droits, surtout si l’on consulte une nation visée par un traité historique et une Première Nation qui n’a pas de traité. En ce qui concerne leurs droits revendiqués par opposition à leurs droits non définis dans un traité historique, toutes les personnes concernées ont une opinion différente concernant leurs droits, car ils ne sont pas définis.
À mon avis, ce serait le plus grand défi à surmonter pour essayer de mettre en œuvre un cadre national pour parvenir à une entente. Cependant, je pense qu’il est fondamental que nous nous mettions d’accord sur la reconnaissance et le respect des droits et des titres autochtones.
Le sénateur Tannas : Merci. Dans votre cas particulier, 70 p. 100 de vos membres étaient en faveur, et 94 p. 100 ont voté. Est-ce que j’ai bien entendu?
Mme Baird : C’est exact.
Le sénateur Tannas : Cela inclut des gens qui ne vivent pas dans la collectivité.
Mme Baird : Oui.
Le sénateur Tannas : Ce sont des chiffres très élevés. Parmi les 30 p. 100, des données ont-elles été faussées parce que des gens qui ne vivent pas dans la collectivité étaient surreprésentés parmi ces 30 p. 100?
Mme Baird : Il faudrait que j’examine le démographie de la ventilation du vote. Les gens dans la réserve étaient préoccupés que les gens en dehors de la réserve prennent des décisions qui auraient des répercussions sur eux. Toutefois, je suis d’avis que les droits autochtones appartiennent à l’ensemble des Autochtones, peu importe où ils vivent.
Dans l’ensemble, je pense que ce résultat montre clairement le niveau d’engagement élevé. Toutefois, nous avons travaillé très fort pour obtenir ce résultat. Nous discutions fréquemment avec les gens où ils vivaient. Nous avons travaillé constamment au développement communautaire dans les réserves et à l’extérieur de celles-ci pendant 10 années avant le vote. Nous avons donc travaillé très fort pour obtenir ce type de participation.
Le sénateur Tannas : Quel pourcentage des membres de la nation Tsawwassen vit sur la réserve par rapport à ceux qui vivent à l’extérieur de la réserve?
Mme Baird : C’est de 50 à 60 p. 100 environ, selon que nous sommes durant la saison de la pêche ou non.
Le sénateur Tannas : Merci beaucoup.
La sénatrice McPhedran : Merci à vous tous d’être des nôtres aujourd’hui.
Je veux poser une question générale et vous inviter à y répondre individuellement, mais avant, j’aimerais commencer par poser à Mme Baird une question sur la nature du modèle d’entente de la nation Tsawwassen.
Cela fait maintenant huit ans, ou six ans...
Mme Baird : Neuf.
La sénatrice McPhedran : ... que vous devez vous remémorer une période extrêmement intense en tant que jeune chef de file qui a marqué l’histoire. Lorsque vous pensez à l’entente maintenant, la considérez-vous comme un modèle, une pierre d’assise? Comment pensez-vous qu’elle évoluera pour vos collectivités, mais aussi à la lumière de tout l’intérêt que l’on porte à ce que vous avez fait et à comment vous y êtes parvenu? Je pense que la façon de procéder est souvent aussi important que le résultat.
À titre de précision, l’un des thèmes que des témoins experts précédents ont abordés est la transférabilité des droits, toute la question des droits dans les réserves et à l’extérieur de celles-ci, et je cherche des modèles. Lorsque vous innovez en signant cette entente finale, y a-t-il des perspectives auxquels vous songez? Y a-t-il une prochaine étape? Y a-t-il quoi que ce soit que vous feriez différemment? Y a-t-il un secteur qu’il serait particulièrement important d’améliorer?
Mme Baird : Premièrement, j’aimerais prendre un instant et reconnaître le territoire algonquin sur lequel on se trouve. Mes aînés me réprimanderaient, et avec raison, si j’oubliais de le faire, alors j’aimerais le souligner.
Je pense que l’élément marquant de l’expérience de Tsawwassen, c’est que nous avons passé 12 ans à négocier l’entente et que nous y faisons rarement référence. Nous avons passé 18 mois à créer 23 lois pour remplacer la Loi sur les Indiens, et ce recueil de lois est en lambeaux. Donc, le volet de l’autonomie gouvernementale est vraiment la partie la plus importante de la transformation. Ce n’est pas le territoire ou l’argent; c’est la gouvernance.
Compte tenu des enjeux relatifs aux territoires partagés, nous avions 40 chevauchements car nous sommes situés dans une région de la vallée du bas Fraser, à l’embouchure du fleuve Fraser, qui était un camp de pêche pour la majorité des Premières Nations Salish l’été. Nous étions devant les tribunaux avec nos voisins, et on nous a critiqués de nous satisfaire de trop peu, mais en même temps, nous avions 40 personnes qui soutenaient que nous revendiquions trop de terres. C’est donc un enjeu très difficile qui traite de la transférabilité des droits si l’on empiète sur le territoire principal d’une autre personne.
Je pense qu’il faut réfléchir attentivement à la façon dont les droits issus de traités historiques, les droits issus de traités sur les revendications territoriales modernes et les droits et titres autochtones exercés avant la signature des traités sont tous interreliés et prioritaires dans la Constitution canadienne. Des gens visés par des droits issus des traités Douglas m’ont dit que leurs droits s’appliquent partout où ils vont au pays. S’ils se rendent sur la côte Est, les gens là-bas peuvent ne pas être d’accord qu’une personne de l’île de Vancouver ait des droits chez eux.
C’est donc compliqué et il faut tenir des discussions plus poussées, je pense. Par contre, je répète que ce que j’ai surtout retenu, c’est que la transformation de nos collectivités repose sur les travaux de développement à l’interne pour l’élaboration de lois relatives à l’autonomie gouvernementale. Nous concevons des mesures législatives pour favoriser le développement économique, et le modèle économique s’est avéré meilleur que prévu. Il faut plus de temps pour réaliser des projets, mais la valeur augmente considérablement.
Le volet lié au développement prendra plus de temps. Nous sommes une démocratie en évolution, ce qui prendra plus de temps à mesure que notre collectivité établit ses priorités pour l’avenir, mais c’est à nous de prendre ces décisions maintenant. Votre question était très vaste, alors veuillez m’excuser si je digresse un peu.
La sénatrice McPhedran : Non. Merci. C’est très utile. Ma question complémentaire porte sur la démocratie en évolution que vous venez de décrire et sur quelques-unes des questions territoriales contestées que vous avez également décrites : des formes de gouvernement non autochtones pourraient-elles avoir un rôle à jouer dans ce processus, où est-ce un processus interne?
Mme Baird : Si nous ne créons pas cette mesure, alors les lois d’application générale s’appliquent. Les institutions canadiennes seraient vraisemblablement saisies des litiges. C’est une question quelque peu abstraite. Il faudrait que j’y réfléchisse un peu plus.
La sénatrice McPhedran : Merci. J’ai une question plus générale, si vous me le permettez, que je veux poser à tous nos témoins experts.
Vous êtes des chefs de file. Nous sommes ici avec trois femmes fortes qui dirigent des collectivités autochtones au Canada. Que nous diriez-vous à propos de la valorisation de la prochaine génération de chefs de file? Quels sont les mécanismes en place pour offrir du soutien aux jeunes et les encourager à s’engager, et quel est le rôle des femmes dirigeantes pour amener les jeunes femmes à occuper des rôles de leadership? Il faut aller de l’avant. Quel type de planification est en place? Quels types de programmes, de mécanismes et de ressources additionnels sont essentiels, d’après vous, pour la prochaine génération de chefs de file et la génération suivante?
Mme McGuire-Cyrette : Nous avons besoin de sécurité. Lorsque nous examinons où nous en sommes au Canada à l’heure actuelle, nous avons une enquête nationale et une surreprésentation de femmes et de filles autochtones dans la traite de personnes et le commerce du sexe au Canada. Nous sommes une plaque tournante pour ce travail, la violence continue de s’intensifier et il y a un recours abusif à l’incarcération des Autochtones dans le système carcéral et dans tous les aspects de la justice. Nous ne pouvons pas apporter des changements à moins de régler les problèmes de traumatismes dans nos collectivités. Nous ne pouvons pas continuer de suivre la même voie sur laquelle nous sommes engagés actuellement afin de donner espoir à nos enfants et à nos jeunes.
Nous devons commencer à lutter contre la violence sexuelle — j’ai discuté avec de nombreux jeunes à propos de la promotion de la vie et du suicide et je me suis penché sur la relation entre la violence sexuelle et les jeunes Autochtones, sur la surreprésentation des Autochtones dans la traite de personnes et sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous devons commencer à guérir. Nous devons reconnaître la violence qui survient. Les enfants ont besoin de leurs parents. Ils ont besoin de leur mère, et ils doivent se sentir en sécurité à la maison. Nous devons rétablir cette relation parentale qui a été perturbée par le régime des pensionnats indiens. Nous n’avons jamais reconnu ou rétabli la relation qui a été perturbée, ces rôles et ces responsabilités qui ont été perturbés en raison des pensionnats indiens. Les enfants dans ce rôle et la relation entre les mères et leurs enfants ont été interrompus et jamais rétablis.
Tant et aussi longtemps que nous ne ferons pas ce travail de réconciliation du point de vue de la guérison — c’est ce que nous abordons dans cette analyse sexospécifique —, mes petits-enfants viendront ici dans cette salle pour vous dire la même chose. Les statistiques continueront d’empirer. Mon but dans la vie est de rendre ce monde un peu meilleur que quand je suis arrivée au monde. Si nous collaborons tous ensemble pour reconnaître que des collectivités se sont créées en dehors des Premières Nations et que nous sommes unis — on n’a pas à choisir entre les deux. Il n’y a pas de clivage. Nous devons examiner comment nous pouvons travailler ensemble pour corriger ces torts, et nous devons le faire par la guérison.
Mme Baird : Je pense que c’est une question très complexe. L’inégalité entre les sexes est enracinée au pays et est ancrée dans les lois qui ont été imposées aux Premières Nations. Pendant que le pays essaie de régler les problèmes en matière d’inégalité entre les sexes, La loi sur les Indiens, qui remonte à des centaines d’années, demeure en place.
Je pense qu’un point important pour les Autochtones et tous les Canadiens est l’éducation sur la base de ces problèmes, comme le fait le rapport de la Commission de vérité et réconciliation sur le traitement des Autochtones dans les pensionnats indiens. Il y a tout un régime qui a été imposé aux Autochtones et qui a engendré des inégalités économiques et des inégalités entre les sexes, ce qui a donné lieu à ce que l’on traite les femmes autochtones comme étant aliénables dans la société en raison de toutes ces institutions qui les négligent. C’est mon opinion.
Je pense donc que l’éducation est très importante pour que tout le monde comprenne qu’il existe toujours des inégalités. Je pense qu’un grand nombre de personnes ne comprennent pas que ces inégalités existent et pourquoi elles existent. J’essaie de faire ma part en éduquant les trois filles dont j’ai le bonheur d’être la mère, mais j’essaie également d’encadrer les jeunes femmes qui veulent prendre des risques et assumer un rôle de chef de file. Ce n’est pas facile d’être un dirigeant dans les collectivités autochtones. C’est particulièrement difficile pour une femme, car on fait de soi-même une cible importante parce qu’on s’exprime et on dénonce des situations. Il y a toutes sortes de changements qui doivent avoir lieu, qui vont de ce que nous faisons en tant que dirigeants jusqu’à la façon dont nous venons en aide aux autres.
Courtney Skye, conseillère, Ontario Native Women's Association : J’ajouterais seulement que l’une des recommandations qu’Ottawa a présentées à la suite du rapport interne sur l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été le rétablissement de la Fondation autochtone de guérison dans une optique de tenir compte des traumatismes subis et des différences entre les sexes, ce qui est très important, à mon avis. Je me considère comme étant une défenseure des droits de la personne, et l’un des éléments les plus importants qui ont eu un effet sur moi à propos de la DNUDPA, c’est que nos enfants ont le droit non seulement d’avoir accès aux biens de première nécessité, mais également d’avoir des aspirations.
Je rencontre de nombreux jeunes Autochtones. Je parais beaucoup plus jeune que mon âge, mais je rencontre de nombreux pairs et jeunes Autochtones, et ils sont extrêmement motivés. Je les vois poursuivre leurs études et entreprendre des carrières, et ils optent pour des carrières qui visent la guérison de leur collectivité. Bon nombre de nos éléments les plus brillants se consacrent à la guérison des collectivités. Imaginez si ce potentiel était dirigé ailleurs que la guérison à la suite de traumatismes. Ils ont tellement plus à nous offrir. Ils ont le droit d’avoir des aspirations autres que guérir leur collectivité. Ils ont plus à offrir, et ils ont le droit de le faire.
La présidente : Merci.
Le sénateur Christmas : Merci d’être ici. Toutes mes félicitations, madame Baird, pour votre contribution à la reconstruction des nations; mes félicitations aussi, madame McGuire-Cyrette, pour avoir parlé des problèmes des femmes autochtones et de tous les services et programmes que vous avez mis à leur disposition.
Madame Baird, je suis curieux de savoir pourquoi, sur la question des accords sur les revendications territoriales, vous ne croyez pas vos terres visées par l’article 91. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous arrivez à cette conclusion?
Mme Baird : En Colombie-Britannique, on a beaucoup discuté du maintien des compétences fédérales sur nos terres; nous croyons que nos terres devraient relever de nos propres compétences. La province pense que, dès qu’elles échapperont au régime de l’article 91, elles tomberont sous celui de l’article 92, sur les compétences des provinces. Nous ne sommes pas d’accord. La Constitution est quelque peu muette sur ce point, mais, pour nous, c’est évident et logique, nos terres relèveraient de notre article de la Constitution.
Le sénateur Christmas : Pardonnez-moi de faire paraître vos propos trop simplistes, mais, si j’ai bien compris, vous dites que ni l’article 91 ni l’article 92 ne pourraient convenablement intégrer l’essence des titres ancestraux.
Mme Baird : Je ne crois pas que la compétence des terres autochtones doive appartenir à la province ou au gouvernement fédéral. Je ne saurais le dire plus simplement.
Le sénateur Christmas : Je comprends. Visiblement, vous avez entendu le premier ministre annoncer, en février, qu’il s’attellera à un cadre de reconnaissance et de mise en œuvre des droits, que d’autres ont appelé « Cadre de reconnaissance des droits ».
Que pensez-vous de son annonce et de sa nouvelle façon d’aborder les droits?
Mme Baird : Il semble très ambitieux, mais c’est indispensable, d’analyser le point de contact entre le droit et la politique canadienne et les droits autochtones, et d’essayer de ne plus nier les droits et les titres des Premières Nations ou des peuples autochtones. Je suppose qu’une certaine complexité découlera de différents cadres des droits, en raison de la jurisprudence et tout ce qui s’ensuit, mais je pense que c’est important. Je pense que la définition des droits réels posera des difficultés.
Dans ma déclaration, j’ai évoqué l’écart important qui existe entre les déclarations politiques, d’une part, et, d’autre part, les actions de la fonction publique ou, devant les tribunaux, le soutien que les gouvernements continuent d’accorder aux principes axés sur la négation de nos droits.
Je pense que c’est important. Ce sera un travail ambitieux, mais qu’il faudra faire.
Le sénateur Christmas : Madame McGuire-Cyrette, j’ai été très excité à la lecture du document intitulé Plan d’action pour les Autochtones en milieu urbain. Je remarque que vous en êtes l’une des partenaires. Pourriez-vous nous en résumer la teneur et expliquer la décision de votre organisation d’y participer?
Mme McGuire-Cyrette : Oui, absolument. Ce plan nous permet de faire partie d’un partenariat et de mettre en œuvre une méthode de développement communautaire. On s’informe auprès des communautés de leurs aspirations. Nous constatons que ce modèle donne constamment de bons résultats quand on collabore avec les communautés à la recherche de solutions qui sont efficaces pour elles et qui soutiennent leurs aspirations. Les solutions efficaces dans un territoire éloigné du Nord comme celui de la nation des Nishnawbe-askis, ne seront absolument pas celles qui le seront à Toronto, à Thunder Bay ou dans le reste du Canada.
Le plan d’action consiste à considérer le gouvernement — de la province, particulièrement — comme un partenaire et à chercher comment collaborer pour appuyer l’unité et soutenir les communautés grâce à des cadres stratégiques et à des examens législatifs et de le faire par une démarche communautaire, plutôt que selon le modèle hiérarchique descendant du gouvernement.
Le développement communautaire est axé sur les besoins, les aspirations et l’autonomisation de la communauté, en partant de la base et en remontant. Voilà comment le cadre stratégique a donné des résultats. Les femmes nous ont parlé de la violence qu’elles subissaient. Il a fallu 10 ans pour que cela se concrétise par un programme, Mieux-être de la famille, qui cherchait à appuyer les femmes dans une démarche de guérison.
Dans le plan d’action, c’est la même démarche, c’est-à-dire le faire avaliser par les institutions politiques et amener l’État à collaborer avec nous et les communautés à la mise en œuvre des transformations dans la province, donc des révisions de la politique — de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, par exemple — pour que les communautés y participent et qu’elles orientent et dirigent le processus avec nos partenaires de l’État. C’est plus avantageux et les résultats sont meilleurs pour les communautés, qui sont parties prenantes.
Le sénateur Christmas : Comme vous avez participé à l’élaboration du plan d’action, quels sont certains des besoins fondamentaux des Autochtones en milieu urbain, en Ontario, que perçoit votre organisation?
Mme McGuire-Cyrette : Nous voulons faire entendre notre voix. Nous constatons que, systématiquement, sans cesse, on essaie de réduire au silence les femmes autochtones. C’est une leçon du colonialisme : réduire au silence les femmes dans les institutions actuelles, comme le système carcéral. Toutefois, malgré l’apathie ou l’absence de dialogue ou d’autonomisation, nous constatons des résultats positifs pour la santé dans ce système de justice. Il est déprimant de constater que, à l’intérieur d’un système coûteux, colonial et violent, vous êtes en mesure de régler les problèmes de santé grâce à la stabilité du logement.
En même temps, nous devons revenir au début du processus de guérison. Tout débute par la guérison. Quand nous pouvons honorer la voix d’une femme et lui accorder du pouvoir — non pour la juger, mais pour l’appuyer —, un changement s’opère. Nous devons recouvrer nos voix.
Le sénateur Christmas : Merci.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie pour vos exposés.
Il est toujours encourageant d’entendre celles qui travaillent sur le terrain et de savoir ce qui s’y accomplit. Les Autochtones sont fantastiques.
Comment entamez-vous la réconciliation interne? J’ai travaillé au Manitoba comme professionnel de la santé pendant de nombreuses années et j’ai collaboré avec des organisations communautaires de ma réserve. Il était difficile de provoquer le changement dans la communauté, parce que les gens s’accrochent à leurs habitudes. C’est presque une position de repli; parfois, on craint de devoir prendre la responsabilité de ses propres décisions.
Vous avez fait un travail vraiment excellent. Comment avez-vous entamé ce dialogue?
Mme Baird : Eh bien, je ne savais pas vraiment ce que je faisais quand j’ai commencé. J’avais 22 ans quand j’ai été élue pour la première fois membre du conseil. J’ai remarqué les dysfonctions extrêmes des structures de gouvernance.
Quand j’ai eu 28 ans, on m’a élue chef, et j’ai consacré tout mon temps à ce poste à essayer d’améliorer nos règles pour répondre du mieux que je pouvais aux besoins de ma communauté. J’ai commencé par la Loi sur les Indiens, puis je suis passée aux institutions autochtones, à la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations et ainsi de suite. Je suis ensuite passée aux règlements municipaux et je me suis essayée aux pouvoirs dont nous disposions sous le régime de la Loi sur les Indiens.
Peu importe nos efforts, ils semblaient stériles, parce que la structure en place ne nous accordait aucune légitimité. Tous les soupçons contre le système érigé sous le régime de la Loi sur les Indiens étaient, en quelque sorte, intégrés par le chef et le conseil. Dès que j’ai été élue membre du conseil, on m’a traitée de façon très différente — en fait, avec bien peu de considération —, parce que le rôle du chef et du conseil est complexe. Peu importe le titulaire et ses efforts, malgré le pouvoir que confère le poste, il existe une sorte de relation complexe et abusive avec cette institution aussi.
Quand j’étais jeune, mon projet était que la communauté me confie ses aspirations et la manière de les réaliser. Le processus du traité était une option viable, pour essayer de revendiquer des terres. Ce n’est que par ce processus, et sans vraiment de plan à suivre, que nous avons fini par trouver que les compétences et la nouvelle structure de gouvernance étaient vraiment le prix de l’accord, l’autodétermination, à savoir pouvoir prendre le risque de mieux faire que l’administration fédérale à notre égard et avoir foi en nous-mêmes pour parvenir à ce but.
Il a fallu beaucoup de travail pour se faire une idée plus précise de ce à quoi nos lois et notre structure de gouvernance ressembleraient et déterminer comment nous pourrions englober plus de gens dans le processus de décision sans qu’il en coûte trop. Il y avait beaucoup de détails pratiques à examiner avant que notre communauté ne se sente assez à l’aise avec le point de départ dont elle disposait.
Ce serait ma réponse, mais je ne pourrais pas vraiment mieux la tourner.
La sénatrice McCallum : Nous, les Autochtones, nous avons dû prodiguer des soins. Vous en avez parlé un peu dans votre réponse au sénateur Christmas. Nous avons dû jouer ce rôle à une époque, même aujourd’hui, de traumatismes et de conflit. C’est un rôle dans lequel on peut se laisser enfermer. Pour se soigner soi-même et accéder à l’autodétermination, il faut changer son rôle. Vous avez dit que, en partie, nous avions besoin de sécurité et d’une voix.
Percevez-vous autre chose comme cadre de sécurité qui permettrait à notre peuple aujourd’hui soignant à accéder à l’autodétermination? Comprenez-vous ma question?
Mme McGuire-Cyrette : Oui, tout à fait. Il y a ce mot ojibwé ancestral, gichi-ogimaawi, qui signifie « chefs de la communauté ». Ces deux ou trois dernières années, nous avons organisé deux forums de leadership pour les femmes autochtones. De toute ma carrière, ç’a probablement été le travail qui m’est le plus venu du fond du cœur pour les femmes de ma communauté. En rétrospective, c’est parce que les femmes se sont unies et se sont rassemblées, et nous leur avons demandé ce que signifiait le leadership. À quoi ressemble le leadership des femmes autochtones? Qu’est-ce que cela signifie? Personne, dans l’assistance, n’a dit que c’était de la politique. C’était gichi-ogimaawi, les chefs, un esprit de direction tourné vers la communauté et la famille, parce qu’extérieur à soi. C’est-à-dire que, individuellement, nous sommes en sécurité et en bonne santé et nous travaillons à notre processus de guérison.
Ma famille m’a appris que mon identité n’égale pas l’histoire de mes traumatismes. Je l’ai appris en étant élevée par des survivants des pensionnats. Mes grands-parents, qui m’ont élevée, n’ont jamais laissé leurs traumatismes s’emparer d’eux et devenir leur histoire ou leur identité. Ils les ont reconnus et acceptés, ce qui est une partie difficile du processus de guérison, reconnaître et accepter pour passer à autre chose et prendre le risque ou saisir l’occasion d’essayer du nouveau. Cela a été notre travail et notre vision. D’après les femmes, c’est surmonter la peur et les traumatismes. C’est ensuite qu’on commence à recouvrer ses pouvoirs. Il importe de faire tout son possible pour appuyer les femmes dans ce processus, parce que c’est là que le changement se produit.
Il y a aussi le lien avec les enfants. Nous avons réalisé un projet sur la résilience et les femmes autochtones. Beaucoup en parlent, mais nous voulions découvrir ce à quoi cela ressemble aujourd’hui. Nous avons découvert que les femmes ne travailleront pas sur elles-mêmes ou qu’elles ne s’occuperont pas de la violence qu’elles subissent ni de leur santé ni de leur mieux-être tant que leur rôle et responsabilité de mères à l’égard de l’enfant ne seront pas protégés. La surreprésentation des enfants dans le système actuel de pensionnats, qu’on appelle la Loi sur les services à l’enfance et à la famille et la protection de l’enfance, provoque une lacune. On met seulement l’accent sur les enfants et on exprime plus d’attentes à l’égard des mères pour qu’elles s’occupent de choses extérieures à leurs compétences. Comment pourront-elles s’attaquer à la pauvreté systémique et à l’injustice sociale pour protéger leurs responsabilités de mères et jouer leur rôle dans la famille? Elles peuvent faire des changements pour se prendre en charge. Nous devons le faire de ce point de vue.
Nous devons appuyer les femmes qui se chargent de leur rôle familial et de la direction de leur communauté. Un moyen est de financer les organisations féminines autochtones, l’Ontario Native Women's Association, les organisations féminines autonomes de partout au Canada. Les conseils de femmes des Premières Nations n’obtiennent pas de financement. Pour faire du travail de femmes autochtones au Canada, il faut être un organisme de charité ou conclure un ensemble hétéroclite d’accords de financement et obtenir un financement par projet de diverses sources. Nous gérons une quarantaine d’accords pour rester en activité. On acquiert vraiment des talents de rédaction de propositions pour faire ce travail ou, sinon, on devient un refuge.
Aucun travail pour les femmes ne vise la prévention. Il ne s’agit jamais de guérison. Tout le travail concerne l’intervention de crise, postérieurement à la violence. Quand nous envisageons la remise en place de l’ancienne Fondation autochtone de guérison, à partir d’une analyse culturelle adaptée aux traumatismes subis, ce n’est pas ce à quoi nous faisons allusion, mais à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, grâce au rétablissement de la Fondation, ce qui donne des droits aux organisations féminines autochtones et répond à la violence survenue dans leurs vies. C’est ce à quoi nous aspirons : plus de financement de base pour le travail des femmes, pour opérer un changement dans nos communautés et donner aux femmes la place voulue pour qu’elles exercent leur leadership dans leurs communautés.
La sénatrice McCallum : Quand vous faites tout ce travail avec les femmes, il resterait encore la violence dans les familles et ce qui y survient. Comment avez-vous pourvu aux deux pour assurer la sécurité aux femmes?
Mme McGuire-Cyrette : En dialoguant avec les femmes, nous avons commencé à percevoir la notion de « lieu sûr ». On nous a dit que la sécurité provenait d’un point de vue individuel et que, en fait, nous ne pouvions pas créer ce lieu sûr. Nous pouvons en créer et créer des lieux de respect qui leur procurent l’autonomie dont elles ont besoin pour se manifester, se dévoiler et parler de la violence. Nous avons organisé des nuits de poésie, par exemple, et des ateliers de création orale. Pendant ces thérapies faisant appel à l’art, les femmes sont en mesure de parler de la violence qu’elles ont subie dans leur vécu. Elles peuvent l’exprimer et être soutenues. Nous avons fait appel à la guérison par la terre. Le lien retrouvé avec la terre fait partie de notre identité. Nous devons envisager de multiples formes de guérison, non seulement l’aspect psychologique du travail social. Voilà un élément. Nous devons distinguer guérison culturelle et guérison religieuse, reconnaître que les individus possèdent leur propre spiritualité et leur propre détermination, pouvoir les appuyer dans cette dimension et reconnaître l’équilibre entre les deux.
La sénatrice Pate : Je vous remercie toutes de votre leadership pour les femmes autochtones et de le démontrer pour et avec d’autres femmes autochtones dans vos communautés.
Je persiste à vouloir vous appeler « chef Baird », mais vous n’êtes plus chef et peut-être le serez-vous encore. Parmi vos réalisations, je suis curieuse de connaître deux ou trois choses. Vous étiez incroyablement jeune. Vous restez un modèle incroyable de dirigeante dans votre communauté.
Quelles initiatives étaient déjà lancées? Quelle énergie avez-vous su mettre en œuvre? Par exemple, certaines des initiatives économiques, éducatives, de protection de l’enfance, certains des programmes. Qu’est-ce qui reste encore à développer? Si vous étiez à notre place, quelles recommandations pourriez-vous faire pour désormais vous aider et aider votre communauté?
Quelle est l’interaction avec le gouvernement fédéral? Par exemple, certains d’entre nous sont très désireux de rétablir des normes nationales rigoureuses pour les services sociaux, l’éducation et un revenu garanti de subsistance. Quelle est l’interaction possible sur ces questions? Je me débat avec ce problème et je m’en décharge maintenant sur vous pour que vous m’aidiez à trouver une solution.
Mme Baird : C’est une question très complexe. Le plus gros obstacle, c’était que le gouvernement fédéral avait tendance à s’ingérer dans nos projets. Il ne nous laissait pas le champ libre et souvent, ce n’était pas très utile. Dans ma carrière, l’une des choses les plus offensantes que je puisse imaginer s’est produite à la table de négociation avec le gouvernement.
Or, je ne m’offusque pas facilement. Si je m’offusquais, j’étais capable de continuer à travailler, de façon assez autonome et sans trop subir d’ingérence fédérale.
C’était un soulagement lorsque les différents projets de loi ont été examinés, sur le plan de la responsabilité financière entre autres; nous n’avons plus à nous en préoccuper, car nous avons établi nos propres liens avec le gouvernement fédéral et nous nous sommes entendus sur les normes.
Le gouvernement fédéral doit s’assurer que peu importe dans quelle province ils vivent, les peuples autochtones ont un filet de sécurité minimal. Je crois que tant que le problème de la constante érosion des collectivités causée par le fait qu’on retire des enfants de leur milieu ne sera pas réglé, nous continuerons de mettre en pièces les bases mêmes de nos sociétés. Cela requiert des services complets pour les familles autochtones, peu importe où elles vivent, dans leur collectivité ou en milieu urbain. En outre, bon nombre de spécialistes savent quelles sont les mesures à prendre. Il faut qu’il soit facile d’accéder aux ressources. Voilà le défi, même si la situation s’améliore.
Ainsi, le changement qui est en train de se produire — et il faut que cela se poursuive — c’est qu’on se concentre sur les résultats plutôt que sur les risques juridiques pour que l’on puisse connaître les lacunes et trouver des stratégies pour y remédier.
De mon point de vue, il s’agit d’investir dans quelque chose qui sera rendu au centuple au Canada.
Notre premier projet, c’était celui de Tsawwassen Mills. L’année de la construction, c’était le projet du genre le plus important de toute la province. Quand on pense aux millions de dollars d’opérations fiscales dont le gouvernement profite maintenant, qu’il s’agisse des taxes de vente, de tous les employés là-bas, et à la façon dont ils essaient de nous soutirer de l’argent dans nos négociations fiscales parce qu’ils craignent que nous allions de l’avant avec le montant transféré; c’est ridicule.
À mon avis, en ce qui a trait au manque de ressources pour nous aider à réussir au moment de devenir autonomes, c’était imprudent. Les gouvernements peuvent axer leurs efforts sur cet aspect pour s’assurer que les collectivités qui sont prêtes à prendre ces risques pour se gérer elles-mêmes, pour apporter des changements à leurs collectivités, sont pleinement appuyées jusqu’à ce que cela fonctionne.
Ces choses seraient utiles. Nous avons profité de toutes les possibilités offertes, mais nous avons été chanceux que je sois réélue pendant une période assez longue pour qu’on arrive à quelque chose. Si nous n’avions pas de financement viable pour le développement communautaire, il me fallait en faire une priorité pour notre collectivité, de sorte que nous puissions collaborer avec tout le monde et réussir.
Nous sommes chanceux de l’avoir fait, en ce sens que le cadre de la Loi sur les Indiens, avec un mandat de deux ans, c’est insoutenable. Il y a des obstacles systémiques. S’il y a une façon dont le gouvernement fédéral peut financer des initiatives de développement communautaire à plus long terme, c’est ce qui permettra de changer des choses.
Bien entendu, les services de bien-être de santé et les services complets pour aider ces familles à surmonter les traumatismes, qu’il s’agisse des pensionnats, ou certaines familles que j’ai rencontrées en sont à la troisième génération d’enfants qui ont été retirés du foyer, et ils sont ciblés. Les gens s’attendent à ce que cela se produise maintenant. C’est complexe, et je crois que le retrait des enfants de leur milieu est l’un des plus grands problèmes à régler.
La sénatrice Pate : Connaissez-vous des collectivités qui sont parvenues à décoloniser complètement les interventions du système de justice pénale? Comme vous le savez, et comme on l’a mentionné, les femmes, particulièrement les femmes autochtones, constituent la population qui croît le plus rapidement dans le système carcéral. Connaissez-vous des collectivités qui ont réussi à arrêter cette augmentation? Ma question est inspirée de votre dernière observation, et elle est étroitement liée au retrait des enfants tant sur le plan de l’intervention des femmes que des répercussions multigénérationnelles sur de jeunes femmes.
Mme McGuire-Cyrette : Je n’en connais aucune. J’approuve assurément cette approche. Lorsqu’on parle de réconciliation avec les femmes autochtones, c’est ce à quoi la réconciliation ressemblera. La violence que les femmes ont subie dans leur vie, dans tous les éléments de notre collectivité, au Canada, a mené à la situation actuelle.
Nous devons déterminer comment le faire et, dans le cadre d’une approche de développement communautaire consistant à travailler avec les femmes, trouver ces solutions.
Mme Baird : Dans le cas de la nation Tsawwassen, nous avons accepté de procéder dans la structure canadienne — le Code criminel et la Charte canadienne des droits et libertés s’appliquent —, et certains diront que, pour cette raison, nous ne serons jamais décolonisés.
Cela dit, nous réfléchissons sérieusement à la façon dont nous pouvons changer la situation concernant ces questions par des processus mieux adaptés à la communauté et à la culture. On a fait l’essai de cercles de détermination de la peine et d’autres mécanismes de résolution des différends. Notre structure d’autonomie comprend un conseil judiciaire auquel, en théorie, on peut avoir recours dans certains cas.
La justice pénale ne fait pas partie des 10 priorités auxquelles nous travaillons. C’est quelque chose qui évoluera au fil du temps. Nous n’avons aucune influence sur le Code criminel, qui fait payer les membres des Premières Nations trop cher. Nous pouvons essayer d’améliorer nos relations avec la force policière qui dessert notre collectivité, mais le problème est trop grand pour être résolu par notre seule collectivité. Or, nous faisons de notre mieux dans la zone d’influence que nous avons.
La sénatrice Boniface : Le terme « services complets » a attiré mon attention. La notion est utilisée en Nouvelle-Zélande également. Je me demande s’il y a, à votre avis, d’autres pays dont cette collectivité devrait s’inspirer quant aux progrès réalisés ou aux choses qui n’avancent pas.
Mme Baird : Concernant les questions qui touchent les enfants et les familles?
La sénatrice Boniface : Je suis frappée par le fait que vous dites que tant qu’on ne règle pas les choses concernant le système de protection de la jeunesse, une vraie réconciliation est impossible; les problèmes liés aux pensionnats perdurent.
Est-ce que d’autres pays ont pris certaines initiatives que devrait examiner notre comité qui, au bout du compte, contribueraient au renforcement de la relation de nation à nation?
Mme McGuire-Cyrette : En fait, à cet égard, cela fait partie de ce que nous considérons comme une lacune.
Par exemple, en Ontario, il y a le programme Bébés en santé, enfants en santé à l’intention des Autochtones, qui sert à combler cette lacune pour offrir le processus intégrateur de prestation de services.
Il faut un programme d’apprentissage préscolaire axé surtout sur ce qui touche la protection de l’enfance. Nous agissons concernant le lien parental. C’est un programme pour lequel il y a une liste d’attente d’un an.
Par conséquent, ce qui nous empêche de commencer à accomplir le travail sur le plan de la prévention et de l’éducation des jeunes enfants, c’est la réponse aux crises. Il faut être en mesure de stabiliser les familles et s’assurer qu’un lien affectif est établi entre le bébé et la mère et protéger cela avant de pouvoir même commencer à effectuer le travail de prévention et de s’occuper du programme destiné aux parents, de l’éducation des jeunes enfants, et cetera.
Nous le faisons ici, en Ontario, dans le cadre de la Stratégie de ressourcement pour le mieux-être des Autochtones, mais c’est une stratégie qui ne s’applique qu’en Ontario. Ce n’est pas une stratégie nationale. Il y a donc un programme global et un processus intégrateur de prestation de services.
Mme Baird : L’un de mes clients est la Première Nation qui s’attaque de front à cela. J’ai participé à la rédaction d’un rapport portant sur ce qu’on peut faire à l’échelle locale pour réduire le nombre d’enfants pris en charge. Cela concernait des services complets et des mesures de prévention et il s’agissait vraiment d’essayer d’empêcher le retrait des enfants. Pour ce faire, dès qu’on commence à essayer de comprendre pourquoi il y a des problèmes dans les familles, c’est en grande partie lié aux effets et aux traumatismes multigénérationnels des pensionnats et d’autres répercussions de la colonisation.
D’autres pays ont fait un peu mieux, et ce sont de petites choses, et cela a fonctionné. C’est sur le plan des conférences de cas, et ce genre de choses. Les gens essaient de faire en sorte que tous les membres de la famille restent ensemble plutôt que de retirer les enfants, par exemple.
Cela m’amène à croire qu’il faut de meilleurs facteurs d’équilibre concernant les travailleurs sociaux, qui ont cet immense pouvoir, un pouvoir plus grand que celui de la police ou du ministre, qui a des effets sur les familles autochtones.
Nous devrions nous tourner vers d’autres pays pour trouver des pratiques exemplaires, mais je crois qu’il nous faut trouver une solution canadienne également.
La présidente : Avant que nous passions au second tour, j’aimerais revenir sur la question que le sénateur Tannas a posée.
Dans votre exposé, madame Baird, vous avez dit « [n]ous avons besoin de réconciliation interne dans nos communautés ». Je pensais aux chefs et aux conseils. Il y a probablement des chefs et des conseils qui sont en quelque sorte enracinés dans le vieux modèle colonial dans lequel on leur dit, essentiellement, ce qu’il ne faut pas faire. La Loi sur les Indiens vous dit toujours ce que vous ne pouvez pas faire et dresse toujours des obstacles, et vous avez tout de même réussi à mobiliser votre collectivité; vous avez eu un appui massif pour aller de l’avant.
Était-ce en partie parce qu’à l’époque vous étiez jeune, que vous êtes une femme et que vous avez utilisé une démarche qui ne correspondait pas à l’ancienne façon de penser?
Si c’est le cas, comment encourageriez-vous d’autres collectivités à aller de l’avant, étant donné que selon la composition démographique actuelle, nous avons une population très jeune ainsi qu’un grand nombre de jeunes femmes en particulier qui, de plus en plus, poursuivent leurs études et obtiennent des diplômes d’études postsecondaires? Deux fois plus de jeunes femmes autochtones que de jeunes hommes autochtones obtiennent un diplôme.
À votre avis, quelles seront les répercussions sur l’établissement d’une nouvelle relation?
Mme Baird : Je crois que l’élément essentiel, ce sont les tribunes sécuritaires. Ma collègue parle de tribunes sécuritaires pour les femmes qui sont victimes de violence. Il faut des espaces sûrs pour communiquer son point de vue sur les questions politiques des Premières Nations sans avoir l’impression qu’on se fera réprimander ou que des gens réagiront de façon très hostile au fait de donner son opinion sur des questions suscitant beaucoup d’émotions.
Je crois que c’était là l’essentiel. Nous avons créé de nombreuses tribunes sécuritaires pour que les gens puissent participer, et nous avions de grands espoirs que les membres de notre collectivité, peu importe le niveau d’instruction, puissent se prononcer sur certaines questions, comme le statut constitutionnel de nos terres.
Cela devient une question d’accessibilité et ce type de choses, donc de l’ouverture et de la transparence, par exemple. Je ne sais pas si cela a à voir avec mon âge ou avec le fait que je suis une femme. Il faudrait poser la question à ma collectivité. En définitive, la mise en place d’une vision à long terme et de meilleurs moyens de résoudre des problèmes en tant que collectivité ont été des facteurs principaux de notre réussite.
La présidente : Qu’en est-il du rôle que jouent les aînés dans l’établissement de cette vision? Pensez-vous que les aînés de votre collectivité ont joué un rôle important dans le processus?
Mme Baird : Oui. Nous avons créé des organismes consultatifs pour notre équipe de négociation. C’était un échantillon représentatif de la collectivité : jeunes, aînés, chasseurs, pêcheurs, des gens qui n’habitent pas sur la réserve, des praticiens culturels. Certains d’entre eux s’opposaient à ce que nous faisions, mais ils ont tout de même participé et nous ont donné des conseils, ce qui a permis d’améliorer l’accord que nous avons négocié ainsi que les structures internes que nous avons créées.
Nos aînés jouent un rôle essentiel, surtout pour certains des enseignements traditionnels quant à la façon de veiller à ce que la culture des Salish de la côte soit prise en compte, de même que nos valeurs et nos structures de gouvernance, mais dans un contexte moderne.
Il y a donc eu de nombreuses discussions, et j’ai eu beaucoup de chance, car j’ai pu demander des conseils à nos aînés presque n’importe quand. Ils ont joué un rôle inestimable, bien que le rôle officiel est plus difficile à accomplir que le rôle non officiel.
La sénatrice McPhedran : Madame McGuire-Cyrette, vous avez parlé de la traite des personnes et de la traite des personnes à des fins sexuelles à plusieurs reprises.
Mme McGuire-Cyrette : Oui.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais revenir sur la question un moment, en partie parce que je viens du Manitoba et qu’il est incontestable que, dans la ville de Winnipeg, la traite des personnes à des fins sexuelles y est pratiquée et que la vaste majorité des victimes sont des jeunes Autochtones, hommes ou femmes.
En outre, à ce moment-ci, nous avons du moins des discussions avec le gouvernement actuel sur la légalisation de la prostitution. J’aimerais savoir si vous faites un lien entre la traite des jeunes Autochtones à des fins sexuelles et le cadre juridique de notre pays en ce qui concerne la prostitution.
Voyez-vous des choses se produire, un modèle visant à améliorer la protection et à mieux prévenir l’exploitation des jeunes Autochtones?
Mme McGuire-Cyrette : Très bonne question. Les travaux que j’effectue depuis environ 10 ans maintenant portent sur la traite des personnes à des fins sexuelles, la traite des personnes et la prostitution, soit la violence sexuelle sous toutes ses formes.
Récemment, nous avons communiqué avec plus de 1 000 personnes qui ont survécu à la traite des personnes en Ontario au cours de la dernière année. Auparavant, nous avons préparé un document de travail sur la traite des femmes et des filles autochtones à des fins sexuelles. Nous avons également aidé l’Ontario dans sa stratégie. Dans ce cadre, l’Ontario Native Women's Association a été choisie pour mettre en œuvre le programme d’agents de liaison pour la lutte contre la traite des personnes autochtones. Les agents vont dans les collectivités, et constatent les différences à partir d’un modèle de développement communautaire, pour travailler avec la collectivité afin de comprendre ce qui s’y passe.
Bon nombre de collectivités commencent à peine à comprendre ce que sont la traite des personnes et la traite des personnes à des fins sexuelles. En ce qui concerne la prostitution et la traite des personnes, nous parlons à un grand nombre de personnes qui ont survécu, et nous savons qu’il n’y a pas de distinction clairement établie entre chaque réalité. C’est tout un éventail.
Peu importe la situation de la femme, nous la soutenons tout au long de ce parcours, qu’il s’agisse de s’identifier comme une personne qui travaille dans l’industrie du sexe ou qui a été victime de traite. En général, les femmes ne s’expriment vraiment pas en ces termes.
Au cours des deux ou trois derniers mois, j’ai aidé quatre femmes à sortir de la traite des personnes, ici en Ontario, et cela se résume essentiellement à la sécurité dès le début du travail que nous accomplissons. Les survivantes sont essentielles à ce travail, car elles comprennent la situation et se soutiennent entre elles. L’expérience et le traumatisme qu’ont vécus les femmes victimes de la traite sont tellement importants. Certaines m’ont raconté ce qu’elles ont vécu, et une de mes responsabilités est d’en tenir compte et de faire ce qu’elles m’ont demandé.
Par conséquent, nous savons qu’il est nécessaire d’offrir des services qui ne comportent aucun jugement, peu importe où les actes de violence se produisent. Nous devons les soutenir dans le cadre des services de première ligne, qu’il s’agisse des policiers, des hôpitaux ou des services paramédicaux. Ces fournisseurs de services de première ligne doivent fournir des services, peu importe qui sont les personnes et leur mode de vie.
C’est ce que nous observons à l’heure actuelle. En raison de leur situation, ces personnes ne reçoivent pas la même qualité de soins. Dans l’ensemble de l’Ontario, nous constatons que le régime de soins de santé est discriminatoire envers ces femmes et ces filles autochtones.
De plus, il y a les lois sur la violence à l’égard des enfants de moins de 18 ans. Il y a la violence à l’égard des enfants et la sexualisation des filles autochtones dès la naissance. On m’a raconté des histoires de femmes qui ont été maltraitées par l’ensemble de la société depuis leur naissance.
Donc, lorsqu’on voit les costumes d’Halloween, la sexualisation des femmes autochtones par des tenues culturelles, et le contrôle qu’exerce la Loi sur les Indiens sur les femmes, il existe vraiment tout un système qui contribue à la situation actuelle. Il nous faut prendre toute une série de mesures.
En Ontario, nous avons enfin une stratégie pour faire en sorte que des services agissent à cet égard. L’Ontario Native Women's Association est en train de mettre à l’essai un programme d’intervention en situation de crise à Thunder Bay. Nous constatons déjà que nous servons, en fait, toute la province à partir d’un petit projet. Des collectivités commencent enfin à comprendre ce qu’est la traite des personnes et la traite des personnes à des fins sexuelles et les signes qui indiquent que cela existe dans leur collectivité. Elles se demandent ce qui se passera maintenant qu’elles savent ce que cela signifie. Il y a maintenant des personnes qui dénoncent, nous avons besoin de programmes et de services qui ne comportent aucun jugement. Nous devons soutenir les femmes, peu importe leur situation. Elles ont ce droit.
Mme Skye : La semaine dernière, l’Ontario Native Women's Association a présenté un mémoire à la Chambre des communes. Il porte sur la traite des personnes. L’étude vient de se terminer. Il s’agit d’une nouvelle publication que nous pouvons également vous fournir si cela vous intéresse.
Je veux également parler de la distinction importante qu’a faite l’Ontario Native Women's Association. L’affirmation des droits des femmes et la valorisation des femmes sont, en fait, au cœur de ce que nous essayons de faire lorsqu’il s’agit de la traite des personnes et de l’exploitation sexuelle. Si les femmes sont vulnérables ou continuent de subir l’exploitation, c’est parce qu’elles n’ont pas d’autre choix réel ou acceptable.
Nous devons offrir de vraies solutions de rechange permettant aux femmes de reconnaître leur propre valeur. C’est ce qui est essentiel. Ce que nous essayons de faire au moyen de notre programme, c’est de fournir ces autres choix et ces autres endroits pour répondre aux besoins des femmes autochtones d’abord et avant tout, peu importe où elles en sont, et pour toutes les femmes, non seulement pour les personnes qui subissent la traite ou qui sont des travailleuses du sexe. Nous accordons de l’importance à toutes ces personnes, et nous voyons leur contribution à nos collectivités et leur valeur en tant que femmes autochtones.
La présidente : Au nom de tous les sénateurs, j’aimerais remercier nos témoins d’aujourd’hui : l’ancienne chef de Tsawwassen, Mme Kim Baird, de Kim Baird Strategic Consulting, et les deux représentantes de l’Ontario Native Women's Association : la directrice générale, Mme Cora McGuire-Cyrette, et Mme Courtney Skye. Je vous remercie beaucoup de votre témoignage, et je remercie les sénateurs d’avoir posé des questions intéressantes.
Mesdames et messieurs les sénateurs, c’était notre dernière séance avant le congé d’été. Je remercie tous les membres du comité de leur excellent travail, tant pour l’étude actuelle que pour les projets de loi que nous avons examinés, comme les projets de loi S-3 et C-45. Je pense que notre comité a extrêmement bien réussi à trouver de meilleures choses pour les peuples autochtones du Canada. Je suis certaine que les collectivités nous remercient.
Je vous souhaite un très bel été.
Cela dit, nous nous reverrons cet automne.
(La séance est levée.)