Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 42 - Témoignages du 10 septembre 2018
YELLOWKNIFE, le lundi 10 septembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 8 h 59, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à tous. Je tiens à dire que c’est un honneur et un privilège pour nous d’être ici dans les Territoires du Nord-Ouest sur les terres ancestrales des peuples autochtones. J’ai lu le cahier d’information et je constate qu’il s’agit d’une région très complexe.
Je ne sais pas sur les terres de qui nous nous trouvons. Dans cette région, il semble y avoir beaucoup de territoires qui se chevauchent. C’est la patrie de Premières Nations, de plusieurs groupes de Métis, de plusieurs groupes des Premières Nations ainsi que de certains Dénés. J’espère n’avoir oublié personne.
Je reconnais cependant que nous sommes assurément sur des terres ancestrales. C’est très bien d’être ici plutôt que de tenir les réunions à Ottawa, qui se trouve aussi sur un territoire algonquin non cédé, mais nous sommes dans un endroit très spécial où on peut sentir le lien avec la réalité de notre mère la Terre.
Avant de commencer, nous devons adopter une motion. Mesdames et messieurs les sénateurs, acceptez-vous de permettre aux gens de prendre des photos et de filmer durant la réunion?
Des voix : D’accord.
La présidente : Nous pouvons donc procéder.
Nous accueillons un certain nombre de groupes de témoins ce matin. Notre premier témoin est Duane Smith, président et chef de la direction de la Société régionale inuvialuit. Il est accompagné de Bob Simpson, directeur, Affaires du gouvernement.
M. Smith présentera une déclaration, puis les sénateurs poseront des questions. Monsieur Smith, la parole est à vous.
Duane Smith, président et chef de la direction, Société régionale inuvialuit : Ublaami. Bonjour. Je vous remercie de l’occasion que vous m’offrez et je m’excuse d’avance auprès des interprètes si je parle un peu trop vite. Je sais que mon exposé est long, mais j’estime que nous avons beaucoup de choses importantes à dire.
Je vais essayer de sauter certaines portions de l’exposé en supposant que vous pourrez regarder la présentation ou que l’information est compréhensible telle qu’elle est présentée.
J’espère que votre voyage à Yellowknife a été sans histoire et que vous avez eu l’occasion de regarder un peu le paysage. Lorsque je parle à des amis et des collègues d’autres pays, ils sont toujours surpris d’apprendre qu’on peut passer la journée en avion et être encore dans le même pays.
Comme j’en parlerai dans quelques instants, un des aspects de la nouvelle relation entre le Canada, les Inuits et les autres groupes autochtones présents sur notre territoire tiendra nécessairement à la reconnaissance du fait que les Inuits et les autres habitants du Nord sont très loin de la Colline du Parlement. Tout comme, à l’époque, l’Ouest avait besoin d’un chemin de fer le reliant au cœur du gouvernement canadien, le Nord a aussi besoin d’être intégré à la nation de façon moderne. À notre époque, nous avons besoin de technologies et d’infrastructures de transport fiables pour participer à parts égales. Les normes sont plus élevées maintenant que dans le passé. Je suis sûr que vous aimeriez monter à bord des avions les plus sécuritaires qui soient, compter sur des systèmes de chauffage et un approvisionnement électrique fiables et bénéficier de la connexion Internet la plus rapide possible lorsque vous venez ici. Les entreprises, les chercheurs, les investisseurs et les Inuvialuit ont besoin de toutes ces choses eux aussi, mais permettez-moi de continuer ma déclaration préliminaire.
Pour ceux d’entre vous que je n’ai pas rencontrés — et j’ai déjà rencontré certains d’entre vous dans le passé — mon nom anglais est Duane Smith. Je suis président et chef de la direction de la Société régionale inuvialuit. Je suis accompagné par Bob Simpson, directeur, Affaires du gouvernement. Du point de vue géographique, nous avons fait un vol de 1 100 kilomètres vers le sud pour être avec vous aujourd’hui. Je le dis tout simplement pour vous montrer à quel point nous sommes loin, tout en étant dans le même pays. C’est quelque chose que je répète constamment.
Je vais fournir rapidement des renseignements contextuels sur notre organisation afin que vous puissiez comprendre notre situation, puis j’aborderai le sujet de la présente étude.
La région désignée des Inuvialuit, ou RDI, comme on l’appelle, est située dans la partie arctique ouest de l’Inuit Nunangat, ce qui signifie patrie inuite, et comprend la terre, la glace et les eaux du delta du Mackenzie, de la mer de Beaufort et de l’océan Arctique.
Il y a six collectivités dans la région désignée. Aklavik et Inuvik sont situées sur les bancs du fleuve Mackenzie. Paulatuk, Sachs Harbour, Tuktoyaktuk et Ulukhaktok sont quant à elles situées le long de la côte de la mer de Beaufort. Il y a actuellement près de 6 000 bénéficiaires inuvialuit qui résident dans la RDI, au Canada et à l’étranger.
Pendant les années 1960 et les années 1970, les entreprises de l’industrie des ressources venaient dans notre région désignée à la recherche de pétrole et de gaz. Tout cela s’est fait sans aucune réglementation. Nous n’avons pas participé et nous n’avons pas été inclus ni consultés pendant que tout cela se passait et que les décisions étaient prises.
Par la suite — passons à 1984 —, la Convention définitive des Inuvialuit a été signée et est entrée en vigueur conformément à la Loi sur le règlement des revendications des Inuvialuit de la région ouest de l’Arctique le 25 juin 1984. À l’époque, la CDI, comme on l’appelle, a été le premier règlement global des revendications territoriales au nord du 60e parallèle et seulement la deuxième entente du genre au Canada.
Il y a 34 ans, les politiques et les attitudes du gouvernement canadien étaient différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Cela inclut les éléments qui pouvaient figurer dans la CDI et ce qu’on ne pouvait même pas mentionner. Bon nombre de nos droits dans les zones où l’on savait qu’il y avait des ressources et dans la zone maritime de notre région, par exemple, entraient dans cette deuxième catégorie.
En ce qui concerne la modernisation de notre relation, même si nous avons dû réaliser beaucoup d’études historiques pour déterminer de quelle façon nous avons tous notre place, ensemble, au sein du pays, personne et aucun peuple ne peut vivre dans le passé. La relation entre les Autochtones et le Canada doit toujours évoluer.
Pour ce qui est du maintien d’approches fondées sur les distinctions, il y a certaines approches récentes qu’il faut maintenir. Les Inuits, les Premières Nations de l’Inuvialuit et la nation métisse sont des peuples distincts. Nous sommes tous confrontés à des défis différents et avons tous nos propres histoires et nos propres structures de gouvernance. Ces caractéristiques distinctes ont une incidence sur la forme qu’ont prise nos ententes, la façon dont on les a mises en œuvre et la façon dont il faut continuer à le faire.
Le dixième des Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones est ainsi libellé :
Une approche fondée sur les distinctions est requise pour s’assurer que les droits, les intérêts et la situation propres des Premières Nations, de la Nation Métisse et des Inuits sont reconnus, confirmés et mis en œuvre.
Les Inuits des quatre régions inuites du Canada ont signé la Déclaration de l’Inuit Nunangat et le partenariat entre les Inuits et la Couronne. En vertu de cette structure, nos organismes de revendication territoriale ont participé activement à l’élaboration du Cadre stratégique pour l’Arctique du Canada. Nous avons aussi participé aux travaux du projet d’examen des lois et des politiques. Il s’agit là de façons importantes de veiller à ce que le gouvernement fédéral, notre partenaire en vertu de la convention, soit bien guidé pour ses travaux en vue de l’atteinte des objectifs prévus dans l’entente.
La première recommandation est ainsi libellée :
La SRI demande respectueusement que le comité inclue dans son rapport la recommandation de continuer à investir du temps et des ressources dans le partenariat entre les Inuits et la Couronne, le Cadre stratégique pour l’Arctique et l’examen des lois et des politiques, et que le Canada continue d’aborder ces travaux selon une approche tenant compte des distinctions.
En adoptant un point de vue déterminé sur nos règlements de revendications territoriales, ce à quoi s’ajoute cette relation en constante évolution, notre approche à l’égard de nos ententes doit continuer d’évoluer. Il y a des documents qui doivent durer toujours, des documents vivants ou évolutifs, peu importe le nom que vous voulez leur donner.
Comme je l’ai mentionné, lorsque le Canada s’est assis à la table de négociations avec les Inuvialuit, il appliquait une politique qui avait pour effet d’exclure de la discussion un certain nombre de droits ancestraux dans les zones au large des côtes et relativement aux ressources connues. Les accords sur les revendications territoriales négociés après 1986 n’étaient pas assujettis aux mêmes limites stratégiques.
La mer de Beaufort n’est pas un endroit inhabité. C’est une composante majeure de notre région désignée, tout comme les gisements de pétrole et de gaz qui y sont enclavés, ce qui mine le développement et rend la région dépendante du gouvernement. L’industrie a le droit de procéder ainsi en vertu des lois canadiennes.
Le 20 décembre 2016, la déclaration commune des dirigeants sur l’Arctique a permis d’instituer, avec seulement 20 minutes de préavis, le moratoire sur le développement au large des côtes. Les navires continuent de passer dans nos eaux, libérant des eaux grises et d’autres eaux résiduaires en passant. De grandes sections de notre région sont vulnérables à l’application unilatérale des zones de conservation qui ne s’appuient sur absolument aucun plan de mise en œuvre et ne prévoient aucune indemnisation ou affectation de ressources. Ce n’est pas là un exemple de relation mutuellement respectueuse entre les parties à l’accord.
Si on n’aborde pas la CDI d’un point de vue moderne en réfléchissant à la façon dont les droits des Inuvialuit doivent être respectés conformément aux lois et principes moraux d’aujourd’hui, elle s’écroulera.
Comme je l’ai aussi laissé entendre au premier ministre, il faut en outre adopter un meilleur processus de responsabilisation des ministères fédéraux qui assument des responsabilités dans le dossier afin qu’ils travaillent de façon proactive avec nous sur l’application de notre Convention définitive des Inuvialuit. Lorsque je dis « notre », c’est la convention du gouvernement fédéral et celle des Inuvialuit. Les ministères ignorent cette exigence et adoptent des politiques qui ne reflètent pas leurs obligations et qui, dans de nombreux cas, sont contradictoires. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé un cours d’introduction à la CDI si je peux utiliser cette revendication territoriale comme exemple. Il faut procéder à beaucoup de sensibilisation à l’échelle du pays quant à la façon dont le Canada a évolué et au sujet de sa relation avec les Autochtones.
La recommandation 2 est ainsi libellée :
La SRI demande respectueusement que le comité inclue dans son rapport la recommandation de venir à la table et de travailler avec les Inuvialuit et les autres détenteurs d’accord sur les revendications territoriales plus anciens pour déterminer de quelle façon moderniser de façon appropriée ces accords.
Lorsque la CDI a été négociée, on ne portait pas attention à ce que coûte le fonctionnement des structures de gouvernance prévues au titre de la convention et le fait de continuer de fournir des programmes gouvernementaux dans notre région. La SRI, par exemple, reçoit 40 000 $ par année, ce qui couvre la participation aux réunions du comité de coordination de la mise en œuvre de la convention. Comparativement à ce que reçoivent d’autres bénéficiaires d’ententes sur les revendications territoriales signées ultérieurement, il s’agit là d’une fraction de ce qui semble nécessaire pour assumer les fonctions d’une organisation chargée des revendications territoriales. Cela dit, nous avons à mettre en œuvre notre traité, et, encore une fois, il faut le faire isolément de notre partenaire, le Canada.
Lorsque les titulaires des ententes sur les revendications territoriales doivent prendre en charge certaines fonctions du gouvernement pour s’assurer que nos bénéficiaires ont droit aux services de base dont j’ai parlé plus tôt, un niveau de financement de base raisonnable est nécessaire.
La recommandation 3 est ainsi libellée :
La SRI demande respectueusement que le comité inclue dans son rapport la recommandation de mettre à jour le financement de mise en œuvre inadéquat prévu dans les vieux accords sur les revendications territoriales.
Outre le niveau de financement, la forme que prend le financement peut constituer une contrainte ou un catalyseur pour la mise en œuvre de l’initiative du gouvernement en matière de logement. Au titre de cette initiative, par exemple, nous ne pouvons pas préparer un plan à long terme et bénéficier d’économies d’échelle, parce que le financement est fourni annuellement.
Permettez-moi de dévier du sujet un instant. Les communautés côtières dont j’ai parlé ont seulement droit à un navire de réapprovisionnement par année. Si on manque le départ de ce navire, les matériaux n’arriveront pas dans la collectivité à temps pour les travaux de construction. Cette situation n’est pas adaptée aux exigences et aux réalités logistiques dans le Nord. Il en va de même pour les programmes d’éducation de la petite enfance et les initiatives de recherche environnementale et de développement économique. Pour pouvoir assurer un fonctionnement efficace, la SRI a besoin d’une entente de financement à plus long terme qui lui permettra de procéder à une meilleure planification, d’offrir des services et des programmes uniformes et d’obtenir de meilleurs résultats.
La recommandation 4 est ainsi libellée :
La SRI demande respectueusement au comité d’inclure dans son rapport la recommandation de prévoir des arrangements de financement souples à plus long terme aux organisations chargées des ententes sur les revendications territoriales qui ont déjà fait la preuve de leur responsabilité financière.
En ce qui concerne l’intégration de l’Arctique dans le Canada, comme on l’a déjà souligné, les entreprises et le gouvernement fonctionnent à une tout autre vitesse et selon un degré de professionnalisme différent d’il y a seulement cinq ou dix ans. On n’envoie plus un accord par la poste en espérant qu’il se rende à bon port. On le numérise et on l’envoie par courriel, et l’original suit par la poste.
Cependant, l’Arctique a pris du retard en ce qui a trait à certains éléments d’infrastructure clés. Le CRTC a déclaré qu’Internet était un service de base. Selon le président Blais du CRTC, l’avenir de notre économie, de notre prospérité et de notre société exige que même les collectivités éloignées de l’Arctique soient connectées pour entrer dans le XXe siècle.
Nos collectivités ont besoin d’un accès à Internet haute vitesse assorti d’une redondance intégrée. Nos communautés côtières auront alors accès à l’éducation en ligne et aux cyberservices de santé. On constate déjà une réussite à cet égard à Ulukhaktok, où trois étudiants ont obtenu leur diplôme d’études secondaires grâce aux services en ligne ou à l’éducation à distance. La plupart des étudiants ont besoin d’une mise à niveau parce que leurs écoles ne fournissent pas ces cours.
Nous avons aussi besoin de sources d’énergie écologiques plus sûres et plus abordables que les carburants importés que nous continuons d’utiliser encore aujourd’hui dans nos collectivités. Étant donné nos objectifs communs d’atténuer les répercussions immédiates des changements climatiques et de libérer les familles des coûts excessifs de l’énergie importée, le Canada doit discuter avec nous afin que nous puissions trouver une façon de sortir de ce cycle de pollution et de pauvreté. Des petites enveloppes éparses de fonds ne suffiront pas. Il faut un partenariat et une vision qui tiennent compte non seulement des avantages et des bénéfices pour notre région, mais aussi de la façon dont ces mesures viennent appuyer la croissance et l’identité du Canada.
Encore une fois, je digresse un instant. La source énergétique dans la collectivité où nous vivons tous les deux... Il faut transporter l’énergie sur près de 2 000 kilomètres. Avant, c’était sur 3 200 kilomètres; les camions venaient de Delta, en Colombie-Britannique, mais on a construit une centrale dans le Nord de la Colombie-Britannique, et notre énergie vient maintenant de là, soit à seulement 2 000 kilomètres. Ce n’est pas logique, alors que, dans ma région seulement, nous sommes assis sur 9 billions de pieds cubes de gaz et sur des millions et des millions de barils de pétrole. Nous vous suggérons de travailler en collaboration avec nous pour exploiter ce gaz afin d’avoir accès à une source d’énergie plus propre et exploitée chez nous.
La troisième façon dont les collectivités autochtones de l’Arctique doivent passer de simples postes éloignés au Nord canadien, c’est grâce à l’infrastructure maritime. Nous savons que la côte de l’Arctique n’est pas prête et qu’elle est vulnérable du point de vue de la sécurité nationale. Les Inuvialuit sont les seules personnes constamment sur place capables d’intervenir rapidement sur le terrain. Nous savons aussi qu’un port en eau profonde fonctionnel est essentiel pour soutenir une diversité d’industries, y compris l’exploitation des ressources naturelles et le tourisme.
Enfin, les régions inuites doivent avoir l’occasion de réaliser des gains d’efficience et elles ont droit à un transport aérien modernisé pour faire l’aller-retour dans le Nord.
La recommandation 5 est ainsi libellée :
La SRI demande respectueusement au comité d’inclure dans son rapport la recommandation d’interagir directement avec les parties autochtones habilitées pour élaborer des plans à long terme de mise en place des principaux éléments d’infrastructure, notamment la connectivité, l’énergie, le transport aérien, l’infrastructure maritime et des installations de gestion de la sécurité nationale.
Voilà qui termine mes commentaires d’aujourd’hui. Quyanaq, ce qui signifie merci dans l’un de nos dialectes. Je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Smith. Vous nous avez donné un aperçu très complet. Nous allons maintenant passer aux questions.
La sénatrice McPhedran : Nous sommes vraiment reconnaissants du temps et des efforts que vous avez consacrés au fait de venir discuter avec nous aujourd’hui. Ce dialogue est très important.
Je veux vous parler de ce qui, à la lumière de ce que j’ai pu entendre, est un thème qui unifie à peu près tout ce que vous nous dites ce matin, et je veux ici parler d’un contrôle, d’une participation et d’un approvisionnement beaucoup plus directs quant à ce dont vous et vos collectivités avez besoin comparativement à la situation actuelle.
La référence au pétrole et au gaz est la plus évidente, mais c’est aussi ce que j’ai entendu lorsque vous avez parlé de l’éducation et de l’acquisition de compétences. De telles mesures font probablement partie d’une stratégie visant à garder vos jeunes dans vos collectivités.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus au sujet d’une telle stratégie de rétention et de la planification à plus long terme visant à accroître votre autonomie?
M. Smith : Vous avez mentionné plusieurs choses. Je vais essayer de vous répondre du mieux que je peux. Si je n’y arrive pas, vous pouvez tout simplement me fournir des précisions.
Nous recommandons l’amélioration des relations directes entre nous et la Couronne. Notre région et notre organisation ont prouvé qu’elles étaient capables d’obtenir des résultats lorsque nous travaillons en plus étroite collaboration les uns avec les autres plutôt que de passer par des intermédiaires.
Nous avons investi beaucoup de nos propres ressources pour améliorer l’éducation dans notre région. Notre seul problème, c’est que nous ne contrôlons pas la prestation des services d’éducation, alors nous travaillons en périphérie en essayant de fournir du soutien.
Nous avons mis en place ce que nous avons appelé des travailleurs de soutien à la famille dans chacune des collectivités pour fournir un soutien aux étudiants ainsi qu’aux enseignants et aux parents en matière de counseling, d’orientation et de soutien, mais nous savons que, pour ce qui est de l’éducation, l’assiduité est le facteur le plus important. Arrivés en dixième année, beaucoup d’enfants dans le Nord ont probablement sauté au moins une ou deux années d’école pour diverses raisons.
Nous mettons beaucoup l’accent sur notre fondation de l’éducation, laquelle fournit un soutien aux étudiants qui poursuivent des études postsecondaires. Nous avons réalisé des projets pilotes d’apprentissage électronique — dont j’ai parlé tantôt — avec les responsables du système d’éducation de la région. Grâce à un de ces projets pilotes, on peut enseigner les sciences en ligne à partir de collectivités à l’extérieur de notre région. Encore une fois, notre bande passante est si limitée et restreinte qu’on ne peut pas élargir ces services et les offrir à l’ensemble de la collectivité.
C’est la raison pour laquelle j’ai souligné le fait que le CRTC a reconnu qu’il faut moderniser les services Internet et les rendre équitables à l’échelle du pays, afin que tout le monde puisse tirer parti des avantages d’un tel accès, tout comme il faut travailler en collaboration avec nous pour produire de l’énergie ici. Nous voulons être des contribuables. Nous voulons travailler et faire partie de la société. Nous ne voulons pas être des boulets ou dépendre des services de soutien. Nous aimerions bien plus participer, et l’une des façons de le faire, c’est en exploitant le gaz qui se trouve dans le sous-sol de notre région.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci de nous accueillir dans vos territoires. Est-ce que votre relation avec les administrations municipales et le gouvernement territorial a changé au fil du temps, ou de quelle façon aimeriez-vous que ces relations changent?
M. Smith : Pour ce qui est des services municipaux, nous leur fournissons un soutien. Nous faisons valoir leurs besoins aussi de façon à leur donner les outils et la capacité nécessaires pour assurer la prestation des services dont ils ont besoin. À l’occasion, nous allons travailler en collaboration avec eux pour leur fournir du gravier, parce que les sources de gravier des collectivités sont sur nos terres privées. Nous devons travailler les uns avec les autres pour répondre à ces besoins.
Nous continuons de souligner non seulement aux administrations municipales, mais aussi au gouvernement territorial qu’ils doivent nous informer, conformément à notre Convention définitive, de la nature de leurs besoins à long terme en gravier. Ils sont censés nous fournir un plan sur 20 ans. Ils ne l’ont jamais fait. C’est difficile pour nous de réserver certains stocks de gravier pour ces municipalités alors que nous ne savons pas quels sont leurs besoins.
Pour ce qui est de nous et de notre relation avec le gouvernement territorial, je dirais que c’est parfois difficile. L’accord a maintenant été conclu il y a près de 35 ans. Le gouvernement est signataire de la Convention définitive Inuvialuit à titre de témoin. Les représentants du gouvernement ont eux aussi des obligations liées à sa mise en œuvre. Encore une fois, c’est comme avec n’importe quel ministère fédéral : il est parfois difficile de leur faire reconnaître leur responsabilité lorsqu’ils ont leur propre programme et leur propre mandat, qui vont peut-être même parfois à l’encontre de la teneur de notre Convention définitive.
J’espère que vous poserez la même question aux autres témoins durant la journée afin d’obtenir aussi leurs points de vue. C’est parfois très difficile d’interagir avec le gouvernement lorsqu’il veut maintenir un contrôle et lorsque, en vertu de notre Convention définitive, nous avons la capacité d’assumer plus de responsabilités. Voilà où en est la situation.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je tiens à souligner que je suis membre d’une Première Nation de l’Est et que nous avons les mêmes problèmes. Notre relation ne s’est pas améliorée. J’essaie tout simplement de savoir ce qu’il en est au sein des Premières Nations que nous visitons cette semaine. Je sais que la situation n’a pas changé, mais je voulais connaître votre point de vue sur la façon dont elle pourrait changer.
M. Smith : Dans le cadre du partenariat entre les Inuits et la Couronne qui est en place depuis plus de deux ans maintenant, nous avons fait de grands pas en avant parce que nous interagissons directement — si je peux le dire ainsi — de nation à nation, avec le Bureau du premier ministre et divers ministres fédéraux. Une telle relation nous a permis d’obtenir directement un financement pour des logements dans les quatre régions inuites, et c’est quelque chose que nous mettons actuellement en œuvre.
Nous construisons des logements depuis deux ou trois ans maintenant. Nous avons construit des logements de plus haute qualité, à plus faible coût et plus rapidement que prévu. En moyenne, les logements que nous construisons coûtent 50 $ de moins le pied carré. Si vous ne connaissez pas les coûts opérationnels dans le Nord, eh bien, sachez que ce n’est pas rien.
C’est un exemple que j’aimerais soulever, un exemple d’une situation où nous pourrions mieux travailler les uns avec les autres pour atteindre les objectifs escomptés. Il nous a fallu pas mal de temps pour nous rendre là. Nous devons mettre en commun nos données, et mon collègue, Bob Simpson, est très bon pour obtenir ces données pour nous.
Nous avons montré au gouvernement fédéral quels étaient nos besoins en matière de logement. C’est la raison pour laquelle nous avons pu obtenir un financement. Comme je l’ai dit, nous avons soumis une présentation au Conseil du Trésor — pas seulement nous, nous l’avons fait de pair avec les trois autres régions inuites — afin d’obtenir un plan de financement à plus long terme et de pouvoir procéder à une planification appropriée de la construction des logements dans notre région, plutôt que d’avoir à y aller une année à la fois. C’est difficile quand on ne sait pas si on obtiendra ou non le financement. Puis, lorsqu’on obtient une réponse, si on a raté la saison d’expédition, il faut attendre l’année suivante.
En outre, il faut préparer la plateforme en gravier sur laquelle les bâtiments seront construits une année d’avance afin qu’elle soit bien en place. En effet, nous bâtissons sur le pergélisol, ce qui signifie que la plateforme s’enfoncera, se soulèvera et bougera. J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Oui.
Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Smith, d’être là aujourd’hui. Je suis reconnaissant de la distance que vous avez parcourue pour nous rencontrer.
Vous avez mentionné dans votre exposé que votre accord sur les revendications territoriales en est à sa trente-cinquième année et qu’il s’agit du deuxième accord important signé au Canada. Votre deuxième recommandation concernait le fait d’assurer l’évolution appropriée de tels accords. J’ai remarqué un des commentaires que vous avez formulés, soit qu’il y a un certain nombre de droits en zone extracôtière et relativement à d’autres ressources qui n’avaient pas été pris en considération au moment de la rédaction de l’accord en 1984.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces nouvelles réalités et sur la façon dont l’accord devrait évoluer et la façon dont il faudrait maintenant intégrer ou analyser les sujets qui avaient été exclus et régler les problèmes connexes?
M. Smith : Là où nous résidons, il y a de très grandes réserves de pétrole et de gaz. Lorsque le Programme énergétique national a été mis en œuvre, il y a eu — si je peux m’exprimer ainsi — une mêlée générale, et les entreprises ont réalisé sans encadrement leurs activités d’exploration sur terre et en mer.
À ce moment-là, durant les années 1970, tous les Inuits de l’Est et nous étions en train de négocier nos droits ensemble. Puisque nous étions touchés très rapidement, notre groupe a décidé d’accélérer les négociations. Nous avons fait bande à part et avons décidé de poursuivre les négociations indépendamment, parce que nous ressentions déjà les répercussions.
Le gouvernement fédéral a mis certaines conditions en place. Si une compagnie possédait déjà une LDI, comme on l’appelait, une licence de découverte importante de pétrole ou de gaz — sur terre ou en mer —, la zone en question était exclue des discussions. Il en allait de même pour les zones extracôtières : toutes les ressources, qu’elles soient renouvelables ou non, étaient exclues des discussions à ce moment-là.
Comme je l’ai souligné, deux ans plus tard, il y a eu un changement stratégique, et les droits extracôtiers ont pu faire l’objet de discussions entre les parties qui voulaient exercer leurs droits dans ces zones. Notre région n’a jamais pu revenir sur cet enjeu pour faire valoir ce que nous estimions être nos droits sur la zone extracôtière.
Nous avons récemment discuté avec certains ministres, mais nous ne sommes pas à la table de négociations ou, en tout cas, nous n’y sommes pas encore. C’est la situation dans notre zone ou dans notre région. En passant, la région que je représente s’étend sur près d’un million de kilomètres carrés; je le précise afin que les gens puissent se faire une idée de la taille du territoire dont on parle ici. À elles seules, les quatre régions inuites comptent pour environ 38 p. 100 du territoire canadien, et, pour notre part, nous représentons, je dirais, 9 ou 10 p. 100 du territoire.
Le sénateur Christmas : Si je vous ai bien compris, votre deuxième recommandation serait d’assurer l’évolution de l’accord sur les revendications territoriales. Ce que vous laissez entendre, c’est que l’exploitation des ressources extracôtières dans votre région devrait être visée par votre accord sur les revendications territoriales ou y être intégrée.
M. Smith : À mon avis, nous devrions pouvoir nous asseoir avec les représentants du Canada pour négocier ce en quoi consistent, selon nous, nos droits relativement aux ressources extracôtières, qu’elles soient renouvelables ou non.
Nous ne suggérons pas l’exploitation de ces ressources pour l’instant, mais ce serait une idée à retenir, parce que nous exploitions en fait nous-mêmes un puits de gaz terrestre, et il fournissait à notre collectivité le gaz dont elle avait besoin, mais, comme il fallait s’y attendre, il s’est tari.
C’est la raison pour laquelle nous affirmons qu’il faut exploiter un autre site. Nous sommes assis sur 9 billions de pieds cubes de gaz; l’existence de ces réserves de gaz a été confirmée. Nous savons qu’il y en a plus sur le territoire, mais nous avons besoin d’investissements. Le rendement sera là, comme je le dis, et pour tout le monde : pour les travailleurs et les contribuables.
Le sénateur Christmas : L’obstacle, c’est que le Canada ne reconnaît pas vos droits relativement à ces ressources, qu’elles soient extracôtières ou terrestres? Est-ce bien cela?
M. Smith : La façon dont le système fonctionne dans l’industrie pétrolière et gazière et en vertu de la réglementation canadienne, c’est que, si une entreprise s’adonne à des activités d’exploration et qu’elle trouve du pétrole ou du gaz en quantités significatives, elle présentera une demande de permis ou de licence au gouvernement fédéral. C’est ce dont je parlais, ce qu’on appelle une LDI, une licence de découverte importante. Certaines entreprises ont une mainmise sur ces ressources depuis 50 ans.
En quelque sorte, c’est comme si la richesse du Canada était tenue en otage. La réglementation fédérale permet au Canada d’exiger d’une entreprise qu’elle exploite les ressources, mais aucun ministre n’a jamais exercé cette disposition réglementaire.
Le sénateur Christmas : Certaines de ces licences datent d’avant l’accord sur les revendications territoriales.
M. Smith : Oh, oui. Les activités d’exploration ont commencé à la fin des années 1960. C’est à cette époque qu’on a initialement trouvé les vastes réserves extracôtières.
Le sénateur Christmas : Je pourrais continuer, mais il serait préférable de donner l’occasion d’intervenir à d’autres personnes.
La sénatrice McCallum : Je suis une Crie du Nord du Manitoba. J’ai vécu dans une collectivité isolée, mais pas aussi isolée qu’ici. Vous avez fait un travail merveilleux malgré tous les obstacles qui ont été placés sur votre route. Je vous en félicite.
J’ai aussi regardé votre deuxième recommandation afin de déterminer de quelle façon assurer l’évolution appropriée de ces accords. D’après ce que j’ai lu, l’assimilation se poursuit. L’attitude du gouvernement fluctue entre l’autodétermination et l’assimilation. Il ne semble pas réussir à sortir de ces ornières.
Lorsqu’on réfléchit aux différences entre les politiques eurocentriques et autochtones, par exemple le fait que l’argent est au centre de la vision eurocentrique, tandis que c’est la nature qui prime dans la vision autochtone... Le pouvoir revient à un petit nombre de personnes dans le système eurocentrique, tandis qu’il est moins centralisé dans le système autochtone. Puis il y a aussi la question de la propriété individuelle et de la propriété collective et des terres productrices, qui appartiennent à des individus ou à la collectivité.
Il y a là deux cultures politiques divergentes, et les différences n’ont jamais été réglées. Je vois là un déséquilibre du pouvoir. De quelle façon pourriez-vous faire des progrès dans ces domaines? Croyez-vous que des progrès peuvent être réalisés et, dans l’affirmative, de quelle façon pourrait-on aller de l’avant?
J’ai l’impression qu’on enseigne deux langages. Pour le gouvernement, l’autonomie gouvernementale renvoie à ses mandats, tandis que pour les Autochtones, c’est une question d’autodétermination. Il y a une différence linguistique. On bute sur cette réalité, et on dirait qu’il n’y a pas de respect de la part des anglophones à l’égard de nos langues traditionnelles. Je me demande de quelle façon on peut sortir de cette impasse.
M. Smith : Je vais essayer d’y aller à reculons si j’ai bien compris tout ce que vous m’avez demandé.
Je suis tout à fait favorable à ce que fait le gouvernement fédéral actuellement sur le plan des lois sur les langues autochtones. Je crois que c’est un important premier pas. C’est quelque chose qu’on attend depuis plus de 150 ans, mais c’est une bonne démonstration à l’échelle internationale de la façon dont la relation du Canada avec ses Autochtones continue d’évoluer.
Je vais vous donner un exemple des structures dans notre région. Nous possédons ce qu’on appelle des organismes de cogestion qui gèrent la faune ou les ressources marines. Nous comptons aussi sur un Comité mixte de gestion de la pêche et sur un Conseil consultatif de la gestion de la faune. Ce sont des organismes de cogestion composés d’Inuvialuit, de représentants du gouvernement territorial et de représentants du gouvernement fédéral.
Ils connaissent déjà le mandat parce qu’il est négocié en vertu de notre accord sur les revendications territoriales. Lorsque les gens s’assoient, ils ne disent pas être là pour représenter telle ou telle entité : ils s’assoient ensemble pour établir un plan de match, un plan de travail qui sera mis en œuvre durant l’année en fonction du budget alloué.
Il en va de même pour notre Comité d’étude des répercussions environnementales et notre Bureau d’examen des répercussions environnementales. On a aussi créé ces entités en vertu de notre Convention définitive, et la structure est la même. Il y a des représentants des Inuvialuit, du GTNO et du gouvernement fédéral. Les membres examinent les propositions et les activités qui sont réalisées sur le territoire pour évaluer le niveau d’incidence qu’ils peuvent ou non avoir. Si on entreprend un processus du Bureau d’examen, ce dernier doit aussi négocier avec nous, la Société régionale inuvialuit, afin de réduire au minimum les répercussions négatives et d’autres choses, aussi, en ce qui concerne les avantages en matière de formation et d’emploi dont nous bénéficierions s’il y avait une activité d’exploitation de cette envergure.
Il y a des processus en vertu desquels nous travaillons les uns avec les autres, mais il y a toujours place à l’amélioration dans d’autres domaines où les ministères ne reconnaissent pas pleinement leur rôle et leur responsabilité relativement à la mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales. C’est quelque chose que j’ai suggéré à la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, et elle a créé un comité composé de six ministres qui examinent les politiques des ministères pour voir de quelle façon ces dernières se complètent les unes les autres, la façon dont elles reflètent leurs responsabilités ou vont à l’encontre de leurs rôles et responsabilités relativement à la mise en œuvre des différents traités sur les revendications territoriales à l’échelle du pays.
J’espère qu’on en verra bientôt le résultat afin que tout le monde puisse constater l’état des choses et évaluer de quelle façon ils prévoient améliorer la relation que chaque ministère est censé avoir avec les différents organismes de revendications territoriales lorsqu’il est question d’application de ces droits.
Le sénateur Tannas : Monsieur, je suis vraiment reconnaissant que vous soyez là. J’ai un certain nombre de questions brèves qui me permettront de préciser certaines choses, certaines, afin que je puisse mieux comprendre, et d’autres, afin que d’autres puissent mieux comprendre. La première est vraiment facile.
La recommandation 1 précise en partie que « [...] que le Canada continue d’aborder ces travaux selon une approche tenant compte des distinctions ». Je ne suis pas sûr de savoir ce que cela signifie.
M. Smith : Une approche propre aux Inuits, un partenariat entre les Inuits et la Couronne, pour travailler en collaboration avec nous, parce que nos droits peuvent être différents d’un point de vue géographique, tout comme nos enjeux peuvent aussi l’être.
Le sénateur Tannas : J’aimerais vous poser une question au sujet du puits de gaz que vous aviez. À quelle fin l’utilisiez-vous? Pour le chauffage? Vous l’utilisiez pour générer de l’électricité ou les deux?
M. Smith : Un peu de tout. Il s’agissait d’une source d’énergie pour nos collectivités. Nous avons aussi mis en place un système de distribution afin que les gens puissent faire fonctionner leurs appareils ménagers au gaz et aussi chauffer leur maison.
Le sénateur Tannas : La plomberie est là, toutes les canalisations sont installées, tout est prêt. Tout ce dont vous avez besoin, c’est un puits de gaz?
M. Smith : On l’utilise encore, mais il est presque épuisé. La réserve de gaz est tellement limitée qu’il faut faire venir du propane par camion pour répondre aux besoins énergétiques. En outre, lorsque les routes sont fermées durant l’automne et au printemps parce que nous devons utiliser des ponts de glace pour traverser la rivière, l’accès est limité. Durant ces périodes de l’année, on passe au gaz, mais, maintenant, le puits est seulement utilisé comme réserve.
Le sénateur Tannas : Ce n’est pas l’une des choses qui se sont retrouvées visées, accidentellement ou peu importe, dans le moratoire signé par le premier ministre Trudeau et le président Obama? Celui dont vous avez obtenu un préavis de 20 minutes?
Le puits de remplacement que vous voulez forer sera terrestre, non? Aviez-vous besoin d’un permis spécial? Est-ce là un aspect du problème ou est-ce un problème d’argent?
M. Smith : Non. C’est un problème financier. Nous avons besoin d’investissement pour l’étape initiale.
Nous avons travaillé en collaboration avec les gouvernements territorial et fédéral pour réaliser l’étude et évaluer les différents types de travaux requis pour n’importe lequel de ces puits. Nous avons regardé environ six ou sept sites différents. Deux affichent un potentiel économique s’ils étaient exploités, et c’est ce qui nous intéresse à l’heure actuelle. L’étude vient d’être terminée, alors nous évaluons de quelle façon passer aux prochaines étapes, parce que les droits d’exploitation du pétrole appartiennent à une entreprise actuellement. Il faudra déjà voir si elle est prête à vendre ce droit.
Nous en sommes à cette étape, et c’est la raison pour laquelle je dis que, en vertu de certains règlements, le gouvernement fédéral a le pouvoir de dire à une entreprise qu’elle doit exploiter une ressource, mais n’a jamais exercé cette disposition.
Le sénateur Tannas : Vous avez mentionné la bande passante et Internet. C’est un problème technologique? Ce n’est pas un domaine que je connais très bien. J’imagine que vous utilisez un service Internet par satellite. Ce n’est pas un service terrestre. Vous n’utilisez pas un réseau filaire. C’est un réseau filaire ou est-ce un service par satellite?
M. Smith : Non. Tout dans le Nord mise sur les satellites. Récemment, le gouvernement territorial a bénéficié de fonds fédéraux pour mettre en place un réseau de fibre optique dans la vallée, comme on l’appelle, maintenant, jusqu’à ma collectivité, mais personne n’est encore branché au réseau.
Le sénateur Tannas : Le problème tient-il au dernier mille de fibre?
M. Smith : C’est seulement dans ma collectivité. Les cinq autres collectivités n’ont pas cette capacité. La bande passante dans leur région est encore limitée, et c’est un service par satellite. Encore une fois, pour nous, ce sont les coûts du raccord au réseau de fibre optique qui sont problématiques.
Nous avons réalisé une analyse des coûts : il nous en coûterait 12 000 $ par mois pour brancher notre bâtiment au réseau. C’est le problème rencontré lorsqu’une entreprise a un monopole sur le service.
Le sénateur Tannas : Il y a une entreprise qui gère la fibre dans votre ville.
M. Smith : En partenariat avec le gouvernement territorial.
Le sénateur Tannas : Cela ressemble beaucoup à l’Alberta.
M. Smith : C’est difficile, oui.
Le sénateur Tannas : J’ai une autre question rapide.
Lorsque les enfants dans votre collectivité grandissent, et la sénatrice McPhedran a également posé cette question, restent-ils? Croyez-vous que les gens qui veulent rester dans la collectivité, prospérer et mener une bonne vie sont en mesure de le faire? Sinon, que vous faudrait-il dans l’avenir pour faire en sorte que cela se produise, s’il y a effectivement un problème?
M. Smith : Malheureusement, ils ne restent pas. Nous gardons la trace de chacun de nos bénéficiaires. Le nombre de ceux qui quittent la région augmente assez rapidement, parce qu’il n’y a pas de possibilités. Il n’y a pas d’emploi. L’économie stagne.
De plus, le moratoire nous a essentiellement scié les jambes et a donné l’impression qu’il n’y avait pas d’avenir pour quelque activité que ce soit. Les gens ne vont pas rester. Si vous n’êtes pas en mesure d’exploiter la plus grande ressource que vous détenez dans la région, vous savez qu’il n’y aura pas d’emplois dans l’avenir. Nous faisons tout notre possible pour permettre à tous ces enfants d’accéder au meilleur enseignement qui soit, parce que cela fait partie de notre rôle et de notre fonction, mais nous ne pouvons pas les forcer à rester.
Le sénateur Tannas : C’est intéressant. C’est un changement de paradigme de dire que cette consultation doit porter sur des choses qui sont proposées, mais parfois, elle doit concerner des choses qu’on va cesser de faire, n’est-ce pas?
M. Smith : Oui.
La sénatrice Pate : Mes questions sont en quelque sorte reliées. Je suis curieuse, car je viens juste de voyager avec le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Nous avons entendu des chiffres horribles au sujet du nombre de jeunes qui sont placés en famille d’accueil, puis retirés des collectivités, ainsi que du nombre de jeunes qui ne se rendent pas jusqu’à la 12e année, encore moins jusqu’à une éducation professionnelle ou à d’autres études postsecondaires. Souvent, quand une partie de ceux qui terminent leur 12e année s’inscrivent à des études postsecondaires dans le Sud, ils doivent parfois refaire une ou deux années en raison de la qualité inadéquate de l’éducation qu’ils reçoivent ici.
Je suis curieuse de savoir à quoi ressemble le tableau pour vous, dans votre région, et dans votre collectivité en particulier, et de connaître les types de mesures que le comité pourrait recommander pour contribuer à ce processus.
M. Smith : En fait, je croyais que vous faisiez allusion aux données provenant de ma région, parce que c’est exactement pareil. C’est pourquoi je disais que, lorsque les enfants obtiennent supposément un diplôme de 12e année, ils doivent retourner faire une mise à niveau. Beaucoup des collectivités n’offrent pas de cours de science. Elles n’offrent pas de cours de biologie. Elles n’ont pas les enseignants qualifiés qui peuvent offrir ces cours dans beaucoup de ces collectivités éloignées. C’est pourquoi j’insiste, à tout le moins, pour dire qu’on doit améliorer la bande passante vers les collectivités et la sécurité de ce service, de sorte que le système d’éducation puisse mieux l’utiliser.
J’utilise l’exemple d’une personne qui est assise en Afrique du Sud ou ailleurs et qui peut fournir à votre classe des cours de science grâce à ce service. Elle n’a pas besoin d’être sur place, mais si elle a la volonté et la capacité d’enseigner la science aux enfants dans le cadre de ce processus, nous avons la capacité de le faire.
En ce qui concerne les enfants placés en famille d’accueil, oui, cela se voit encore très souvent. Nous essayons de travailler avec la ministre Philpott plus spécifiquement à cet égard afin de pallier à cette situation, du moins au sein de notre région. Nous voulons assumer cette responsabilité, mais nous avons besoin de l’investissement dans une installation pour pouvoir fournir le service.
Je crois fermement que nos enfants doivent grandir dans leur propre culture et y être exposés. Nous avons vu certains de ces enfants plus âgés perdre leur identité et faire face à des difficultés. C’est là que le suicide entre en jeu. Nous voulons être plus proactifs, trouver des mécanismes et travailler avec le gouvernement fédéral afin de corriger cette situation et d’adopter des approches proactives qui pourraient, à notre avis, fonctionner. Nous avons besoin des ressources initiales pour entreprendre ce projet pilote.
Vous n’avez qu’à retourner voir le rapport produit par la vérificatrice générale, il y a quelques années, sur ce territoire en ce qui concerne les enfants placés en famille d’accueil. Le fait qu’on n’a même pas pu localiser certains de ces enfants est en soi révélateur. C’est pourquoi nous voulons assumer ce rôle et cette fonction, du moins avec nos enfants, de sorte qu’on puisse leur offrir au moins un endroit sécuritaire où rester dans la région, pour qu’ils puissent se rapprocher de qui ils sont.
La sénatrice Pate : Pour revenir à la bande passante, lorsque nous étions à Iqaluit, quelqu’un a dit que le gouvernement fédéral avait offert 50 millions de dollars par année pour augmenter l’accès Internet, mais on avait estimé qu’il fallait 150 millions de dollars pour refaire essentiellement le processus entier dans cette région.
Vous avez parlé de la fibre optique et du monopole des entreprises sur celle-ci. Si on recommençait le processus, cela générerait un rendement, si vous le voulez, en aval, mais vous avez besoin de l’afflux de ressources en amont.
Du point de vue de votre organisation, avez-vous eu ces types de discussions avec le gouvernement fédéral?
M. Smith : Nous avons formulé notre propre proposition, mais on ne dirait pas qu’elle obtient l’appui que nous avions espéré. Nous avons formulé notre propre proposition afin qu’on puisse essentiellement améliorer les télécommunications dans notre région, du moins pour la plus grande partie des collectivités. Je ne suis au courant d’aucun investissement semblable dans la région, mais c’est assurément quelque chose qui est nécessaire.
Un autre exemple est la qualité des pistes d’atterrissage dans les collectivités. Nous avons reçu tellement de précipitations cet été que les pistes d’atterrissage dans une collectivité sont très molles, et les types d’aéronef qui peuvent atterrir là-bas sont maintenant limités. Si une évacuation sanitaire est nécessaire, ce type d’avion ne peut pas s’y rendre. Vous pouvez seulement faire venir un type d’avion plus encombrant, un Twin Otter, ce qui prend du temps. Je ne suis pas certain que vous le connaissiez, mais c’est le seul aéronef qui peut se rendre dans cette collectivité, en ce moment, en fonction des conditions de ce type d’infrastructure.
Je crois qu’il doit y avoir une meilleure vision du gouvernement fédéral dans sa relation avec l’Arctique et la façon dont il devrait investir, non seulement dans la bande passante, mais dans d’autres besoins en infrastructure, en plus d’affirmer sa souveraineté. De plus en plus de bateaux étrangers viennent dans notre région de façon régulière, et on ne voit le Canada nulle part. Dans la plupart des cas, les flottes sont âgées; elles ont plus de 40 ans. Nous savons que les autres navires arrivent, mais le temps presse. Nous avons besoin de ces patrouilleurs. Nous voulons les y voir aussi, mais c’est une question de souveraineté, et nous sommes à l’avant-plan.
La présidente : Nous avons le temps d’entendre une ou deux questions pour le deuxième tour, mais j’aimerais d’abord en poser une qui concerne, je crois, certains des éléments qui ont été soulevés par le sénateur Christmas et la sénatrice McCallum au sujet de la deuxième recommandation.
Vous avez parlé très brièvement de la façon dont, dans certains cas, la SRI, le Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest collaborent sur des programmes axés sur le territoire, soit votre faune. Vous avez aussi conclu une entente de principe sur l’autonomie gouvernementale. Dans une telle entente, y a-t-il une manière précise permettant aux trois parties de collaborer en harmonie, pour que vous soyez ensuite en mesure d’exprimer pleinement votre propre souveraineté en tant qu’Inuits?
M. Smith : Très simplement, il doit y avoir une volonté.
La présidente : Une volonté de la part de qui?
M. Smith : Des gouvernements. Certains d’entre vous l’ont mentionné. Lorsque les gouvernements changent, l’approche change.
Comme je l’ai fait remarquer, avec le gouvernement territorial, cela fait 35 ans, et nous n’avons toujours pas d’entente sur certaines interprétations de ce que dit l’entente finale ou nous ne souhaitons pas abandonner la responsabilité de la mise en œuvre de ces types de services. C’est pourquoi je dis qu’il doit y avoir une volonté. S’il n’y en a pas, nous devrons attendre encore 35 ans. J’espère que non, mais malheureusement, c’est la réalité.
Le sénateur Christmas : Encore une fois, pour revenir à la deuxième recommandation, j’essaie de comprendre maintenant quelles sont les prochaines étapes à suivre. Quelle est la prochaine étape logique ou la meilleure mesure à prendre pour la SRI en ce qui concerne la mise à jour ou l’évolution de votre entente?
Dans votre exposé, vous avez parlé du partenariat entre les Inuits et la Couronne et du Cadre stratégique pour l’Arctique. Je présume que l’entente sur les revendications territoriales prévoit un certain type de comité responsable de la coordination. Parmi ces processus, y en a-t-il qui correspondent à la façon dont vous pouvez prendre les prochaines mesures pour faire évoluer votre entente, ou y a-t-il autre chose qui est nécessaire?
M. Smith : Le gouvernement fédéral et les différents ministères qui ont une responsabilité doivent être tenus davantage responsables. C’est, encore une fois, ce que j’ai dit au premier ministre. C’est aussi pourquoi j’ai présenté la recommandation à la ministre de la Justice, Mme Wilson-Raybould, d’examiner les politiques. Nous attendons de connaître les conclusions, le résultat et les recommandations mêmes.
Si vous ne vous tenez pas responsables au sein de vos différents ministères fédéraux de ce qu’on pourrait faire sur le plan de la mise en œuvre, vous échouez à assumer vos responsabilités. Nous devons nous asseoir ensemble plus souvent pour élaborer un processus de mise en œuvre. Il y a un comité responsable de la mise en œuvre, mais la représentation du gouvernement fédéral est reléguée si bas dans l’ordre hiérarchique, que c’est comme jouer au téléphone arabe : à la fin, quand le message arrive au supérieur de qui on relève, il est probablement tout à fait différent. M. Simpson et moi assistons à ce genre de choses depuis plus d’une décennie, et beaucoup des éléments au programme y sont encore.
Je pense que l’approche adoptée par le gouvernement est la bonne en ce qui concerne l’établissement d’une relation directe avec nous, pour que nous puissions trouver des mécanismes qui nous permettront d’améliorer les enjeux. Il doit y avoir en place un plan, de manière à ce qu’il y ait un calendrier, au lieu de procéder de façon ponctuelle comme nous le faisons.
La présidente : Je pourrais peut-être poser une question complémentaire. Si nous devions nommer une personne responsable de ce type de surveillance, pourriez-vous le faire ou cela devrait-il relever d’une personne indépendante du ministère ou, comme certains diraient, une personne autre que le vérificateur général pour s’assurer que c’est fait?
M. Smith : Vous devez avoir lu certaines de nos autres recommandations, parce que c’est exactement ce que nous avons recommandé.
La présidente : Je suis peut-être une voyante.
M. Smith : Une personne ou une entité au sein du Bureau du vérificateur général devrait assumer ce rôle et cette fonction. Nous l’avons fait nous-mêmes. Notre travail quotidien consiste à mettre en œuvre votre revendication territoriale. Nous l’avons fait seuls pendant la plus grande partie de ces 34 années ou plus.
Je fonde vraiment beaucoup d’espoir là-dessus, et je connais une personne célèbre qui s’appelle Mandela, qui a dit que l’espoir n’était pas une stratégie. J’insiste beaucoup sur le rapport à paraître de la ministre de la Justice qui portera sur la façon de restructurer et de réviser ces politiques pour qu’on fasse en sorte que les ministères fédéraux soient tenus plus responsables.
Vous avez raison. Une personne doit surveiller cela au quotidien. Nous avons proposé que ce soit quelqu’un du Bureau du vérificateur général, voire quelqu’un qui occupe un poste supérieur au bureau du premier ministre.
La présidente : Pour continuer sur ce sujet, diriez-vous alors que votre groupe doit faire partie du processus décisionnel pour savoir qui cette personne ou ce bureau devrait être?
M. Smith : Je le crois, parce que nous aurions probablement affaire à cette entité de façon régulière, pour nous assurer d’être tenus responsables, ainsi qu’en ce qui concerne la mise en œuvre. C’est bon pour tous. Nous devons établir cette relation de travail ensemble, pour que les choses soient claires au sujet de la mise en œuvre.
La sénatrice Pate : J’ai une question complémentaire. Vous avez dit que, dans ses recommandations, la vérificatrice générale parle de responsabilisation depuis 10 ans. Recommanderiez-vous que cela relève du Bureau du premier ministre, plutôt que du Bureau du vérificateur général, compte tenu de l’importance de la relation de nation à nation en ce moment?
M. Smith : Ma préoccupation, si cela relève du Bureau du premier ministre, c’est que cela comporte des avantages, mais aussi des inconvénients. Si c’est un premier ministre proactif qui veut voir des résultats de façon régulière et produire des rapports, alors oui, mais les politiciens changent, et ce sera au premier ministre en fonction de décider si cette personne, dans ce bureau, produit ou non des rapports sur ce sujet.
Si cela relève du Bureau du vérificateur général, alors c’est beaucoup plus indépendant. J’ose espérer que cela serait plus sûr en raison de la stabilité, que ce ne serait pas influencé d’une façon ou d’une autre, qu’on aurait un mandat clair concernant la mise en œuvre et qu’on serait cohérent.
La sénatrice McPhedran : C’est presque un oui ou un non. Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique est également en ville aujourd’hui. Allez-vous également vous présenter devant lui?
M. Smith : Oui.
La sénatrice McPhedran : Bien. Le modèle de leadership partagé dans l’Arctique de Mary Simon reprend un certain nombre de points qui ont été soulevés. Est-ce que ce n’est pas mis en œuvre ou, à votre avis, est-ce que ce n’est pas suffisant?
M. Smith : Je dirais les deux.
La présidente : Je suis désolée, mesdames et messieurs, que le temps soit écoulé. Je regrette que tout le monde n’ait pas eu l’occasion de s’exprimer pendant le deuxième tour.
Merci, messieurs Smith et Simpson, d’avoir comparu ce matin et d’avoir présenté les témoignages.
Pour notre deuxième groupe de témoins ce matin, j’aimerais souhaiter la bienvenue à Gladys Norwegian, grande chef des Premières Nations du Dehcho. Elle présentera quelques observations et commentaires, après quoi nous entendrons les questions des sénateurs.
Grande chef Norwegian, la parole est à vous.
Gladys Norwegian, grande chef, Premières Nations du Dehcho : Je vais essayer de m’exprimer le plus clairement et fort possible. Je dis cela parce que, lorsque j’étais assise à l’arrière, j’arrivais à peine à entendre les questions que vous posiez et la personne qui a comparu avant moi.
Bonjour.
[Note de la rédaction : le témoin s’exprime dans sa langue autochtone.]
J’aimerais d’abord dire que je suis très novice par rapport à cette plateforme, à ce rassemblement, novice dans tous les sens. Je suis novice en tant que grande chef des Premières Nations du Dehcho. Je n’occupe ce poste que depuis un mois. Je ferai de mon mieux pour représenter ma région. Toutefois, je suis ici en qualité de messagère. Si je fais des erreurs, elles sont imputables à moi, et pas aux gens de ma région.
Pendant que j’écoutais l’intervenant précédent, je me disais que je n’avais pas de notes. Je n’ai pas de présentation PowerPoint à faire circuler. Cependant, ce n’est vraiment pas un problème, puisque nous sommes des gens de tradition orale, et c’est aux gens ici présents de repartir avec ce qui trouve un écho auprès d’eux et de laisser tomber les éléments qui ne leur conviennent pas.
Je crois que nous sommes ici pour répondre à cinq questions. Si je comprends bien, j’ai un document qui vous montre ce que vous avez entendu jusqu’à maintenant. Vous avez entendu l’organisation autochtone des peuples des Premières Nations. Le temps est maintenant venu de répondre à cinq questions, mais nous voulons nous demander ceci : à quoi les choses ressembleront-elles pour nous dans l’avenir? Nous en avons fini avec le passé. Nous en avons fini avec le présent. À quoi les choses ressembleront-elles pour nous dans l’avenir? Si nous voulons travailler à partir de ces cinq questions, vous devez vous assurer que nos gens sont présents, qu’ils écoutent et qu’ils tiennent compte de l’endroit où nous sommes et de l’endroit où nous allons. À bien des égards, nous passons beaucoup de temps dans le passé. Nous ne mentionnons pas où nous sommes. Nous devons aller de l’avant en nous demandant ce à quoi les choses ressemblent pour nous.
Quand je suis venue ici ce matin, je regardais autour de moi et je me disais que ce n’était pas un contexte dans lequel je me sentirais très à l’aise. On m’a dit de voir cela seulement comme une conversation, et cela m’a aidée, de bien des façons.
Permettez-moi d’abord de vous mettre un peu en contexte. Bon nombre d’entre vous ne proviennent pas des Territoires du Nord-Ouest. J’ai entendu quelqu’un parler de la complexité du fait d’être ici, dans les Territoires du Nord-Ouest. Oui, on nous a dit que nous étions issus du même groupe de langues athapascanes. Toutefois, chacun d’entre nous, dans chaque région, fait les choses différemment. Ce n’est pas en raison du terrain. C’est juste que c’est la culture que nous avons appris à connaître.
J’aimerais vous mettre un peu en contexte en vous disant que la vision du monde des Dénés est différente. Elle diffère de celle de la société occidentale. Elle diffère de celle des autres Premières Nations. C’est la nôtre, et voici ce à quoi elle ressemble. Notre vision du monde est davantage axée sur notre mère la Terre, l’environnement, les plantes et tout ce que cela suppose. Elle ne dépend pas de nous en tant qu’êtres humains. Une des raisons pour lesquelles je dis cela, c’est que si nous étions effacés et disparaissions pour quelque raison que ce soit, tout le reste continuerait sans nous.
Par conséquent, en tant qu’êtres humains, nous devons apprendre à respecter cela et tout ce que cela suppose. Une chose qui souligne vraiment le principe du respect de cette relation, c’est le fait de suivre les lois naturelles de notre mère la Terre. C’est le point de vue que nous apportons. C’était celui de nos aïeux; celui de nos ancêtres. Comme vous le savez tous, nous nous sommes éloignés de ce point de vue pour une raison ou une autre. Nous avons une histoire de pensionnats et d’autres raisons qui expliquent pourquoi nous sommes ici aujourd’hui.
Je vous ai donné ce contexte parce que, lorsque j’ai réfléchi aux cinq questions auxquelles nous devons répondre, celles-ci ne sont que la pointe de l’iceberg, disons. Nous devons vraiment prêter attention aux détails qui se cachent sous la surface de l’eau et voir à quoi ils ressemblent.
Par exemple, avant de devenir grande chef, j’ai travaillé dans l’éducation pendant de nombreuses années. Nous avons déployé tous les efforts possibles pour enseigner la culture et la langue autochtones à l’école. Très souvent, on offrait de faire de la broderie perlée dans nos cours de langue, et nous disions donc aux élèves : « C’est juste la pointe de l’iceberg. » Oui, l’art qui consiste à construire un projet est important, mais la valeur plus profonde, c’est que cela enseigne la patience. Cela vous apprend que, une fois que vous commencez un projet, vous vous y appliquez jusqu’à la fin. C’est tout cela, et très souvent, cela fait défaut.
Lorsque je dis que les cinq questions ne sont que la pointe de l’iceberg, je pense que c’est ce à quoi je fais allusion. Nous devons vraiment comprendre ce que nous voulons accomplir en tant que Première Nation, ce que nous voulons voir aller de l’avant et ce que nous souhaitons comme avenir, l’avenir de notre génération.
Très souvent, nous passons beaucoup trop de temps à réfléchir à l’histoire. Lorsque j’ai vu ces cinq questions, j’étais heureuse de savoir que nous étions maintenant ici. Toutefois, ce n’est pas facile. Ce sont des questions très complexes. Ce sont des questions que nous devons examiner pendant au moins un an et sur lesquelles nous devons vraiment réfléchir, ensemble, en tant que collectivités. Maintenant que nous avons la chance d’aborder ce que nous voulons vraiment aborder, nous avons besoin de temps pour le faire.
Je ne sais pas vraiment si vous connaissez ma région du Dehcho. Peut-être que certains d’entre vous la connaissent, et d’autres, peut-être pas. Nous sommes une des dernières régions, avec l’Akaitcho, à avoir réglé des revendications territoriales. Je crois comprendre qu’il a fallu 19 ans pour arriver là où nous en sommes, et nous n’avons toujours pas de portrait très clair de la finalité de tout cela.
Je me demande où en est le processus en ce moment. Que faisons-nous à partir d’ici? Qu’est-ce qui serait le plus adapté pour nous, en tant que Dénés de la région du Dehcho, dans laquelle la plupart des collectivités sont très petites et isolées? Comment nous réunissons-nous pour nous assurer que tout le monde est heureux et content de la façon dont les choses avancent?
Je ne sais pas si vous connaissez toutes les réponses concernant la marche à suivre. Tout ce que je sais, c’est que nous devons vraiment y réfléchir. Vous avez besoin d’une certaine forme d’idée de notre part, en tant que Premières Nations du Dehcho, pour vous assurer d’avoir notre point de vue, et que c’est ce que nous voulons voir aller de l’avant.
Lorsque je regardais les questions, j’ai été renvoyée à ce que nous devions faire, à ce que nous devions emporter avec nous. Comment pouvons-nous collaborer? Quels sont certains des principes qui sous-tendent la marche à suivre? Ce sont des questions qui, à mon avis, font en sorte qu’il ne sera pas facile de dire à une société dominante que c’est ce que nous aimons.
À quoi ressemble une relation de nation à nation? Lorsque nous parlons de relation de nation à nation, nous parlons d’égalité et nous y réfléchissons. À quoi ressemble l’égalité, quand nous avons l’impression d’avoir été traités comme des citoyens de deuxième classe? Est-il possible d’avoir une relation de nation à nation?
Comme je l’ai dit, vos questions suscitent plus de questions que quoi que ce soit d’autre. Ce que je sais, pour en revenir à notre vision du monde, c’est que, avant la prise de contact, nous avions une vision du monde très rigoureuse. Nous avions de l’éducation. Nos enseignements commençaient dès la conception jusqu’au passage à l’âge adulte de l’homme ou de la femme. Nous nous assurions d’avoir les bons outils. Nous avons suivi, surveillé et encadré nos enfants jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de nous prouver qu’ils pouvaient sortir par eux-mêmes dans le monde à l’aide de ces outils.
Nous nous sommes éloignés de cela, et nous voyons maintenant que beaucoup de nos jeunes n’ont pas très confiance en notre perspective. Ils n’ont pas plus confiance en la société occidentale. Beaucoup de nos gens semblent perdus, et ce sont les types de gens avec qui nous travaillons aussi.
À quoi les choses ressemblent-elles pour nous dans l’avenir? Je ne veux pas paraître pessimiste, mais quand j’y songe, c’est très sombre. Comme en a parlé l’intervenant précédent, beaucoup de nos jeunes ne sont pas prêts pour faire partie de la société occidentale. À mon époque, nous disions que c’était en raison de notre langue maternelle. Ce n’est plus le cas. Beaucoup de nos jeunes ne parlent pas la langue. Quand j’ai travaillé en éducation, beaucoup de nos jeunes se faisaient traiter d’Anglos non conventionnels. Beaucoup de nos enfants semblent parler cet anglais non conventionnel, et ils ne réussissent donc pas aussi bien qu’ils le devraient dans le système occidental.
Beaucoup d’aspects doivent être améliorés avant que nous puissions vraiment dire à quoi ressembleront les choses pour nous dans l’avenir. Nous avons besoin de beaucoup de formation. Nous devons le faire nous-mêmes. Nous devons restructurer les choses, et je crois que c’est ce que nous faisons dans la région du Dehcho.
Au moment de réexaminer la toute dernière offre, et je suis nouvelle à ce poste que nous voulons restructurer, il s’agit de réexaminer tout ce qui est devant nous et de consentir des efforts pour nous assurer de faire la bonne chose pour nos jeunes.
J’ai ici un journal que je lisais, dans lequel un article semble résumer pour moi la situation dans la région du Dehcho. On dit ceci :
Dans plusieurs dossiers importants, les libéraux ont essayé de concilier leur croyance dans leur propre vertu supérieure et leur désir de réussite mondiale en insistant sur le fait qu’ils n’avaient pas à choisir leur camp, parce que, en fait, il n’y avait aucun choix à faire. Ils pouvaient à la fois sauver la planète et construire des pipelines, prôner la réconciliation avec les Autochtones et le développement des ressources, appuyer des valeurs sociales progressistes pour le libre-échange.
D’une certaine façon, nous voulons nous accrocher à notre culture et à notre langue. C’est ce que nous sommes. Nous sommes une Première Nation. Nous avons une vision du monde. Nous voulons nous assurer d’offrir toujours cela à nos jeunes. En même temps, les gens ont besoin de l’économie basée sur les salaires. Certains croient que le développement est la réponse. Nous sommes des environnementalistes. Nous voulons protéger notre Mère la Terre, mais en même temps, des gens diront qu’il y a un juste milieu. Pour moi, c’est difficile de même penser à ce qui représente un juste milieu.
Nous éprouvons des difficultés partout. Nous en éprouvons là-bas. Nous éprouvons des difficultés avec le système d’éducation. Nous éprouvons des difficultés avec la façon dont les choses sont faites pour nous. Nous essayons de reprendre ce que nous possédions par le passé.
Sur ce, masi chok.
La présidente : Merci beaucoup, grande chef Norwegian.
Le sénateur Tannas : Merci beaucoup de vos commentaires. Je suis heureux de voir que vous vous sentez à l’aise de vous exprimer sans présentation PowerPoint, parce que nous sommes venus pour écouter. C’est ce que nous sommes venus faire.
Vous m’avez ouvert les yeux, et je veux vous en remercier. C’est parce que vous avez parlé de notre Mère la Terre et du fait qu’elle donne et continue de le faire, même si vous ne le faites pas. Je pense que cela différentie de façon fondamentale la culture coloniale de votre culture. Je pense que c’est pourquoi j’ai été émerveillé. Je dois admettre que nous avons échoué lamentablement pour ce qui est d’obtenir la chance de parler de l’avenir.
J’en suis venu à la conclusion que ce doit être une chose culturelle. Je pense que ce l’est. Je pense que vous pourriez asseoir n’importe quel enfant dans une ville de ma culture et dire : « Que veux-tu pour l’avenir? » Il vous faudrait le faire taire. Il pourrait en parler sans arrêt. Nous avons de réels problèmes pour en arriver là. Plutôt que de penser qu’il y a quelque chose de mal à cela... ce n’est pas qu’il y ait quelque chose de mal à cela; c’est différent, et merci de le souligner. Cela m’a aidé à me réveiller ce matin.
J’aimerais toutefois vous poser une question, parce que je viens d’une petite ville du Sud. Ma ville est assez proche d’une grande ville pour que nous puissions faire venir des gens qui remplacent ceux qui partent. Si vous vous éloignez un peu plus de la ville, toutes les petites localités rétrécissent. Nous avons une excellente technologie, la fibre optique et d’excellents hôpitaux. Nous avons tout ce que vous pourriez imaginer. Nous offrons ces choses à nos enfants dans ces collectivités, et ils partent tout de même pour la ville. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un phénomène où, si nous avions tout l’argent du monde, cela aiderait à empêcher l’exode des jeunes enfants vers les villes. En fait, plus ils ont accès à la technologie, plus leur vitesse de connexion Internet est rapide et plus ils voient de choses, plus ils vont bouger.
Ma question est la suivante : comment imaginez-vous la mobilité dans l’avenir et comment pensez-vous préserver la culture? J’ai parlé de petites localités en Alberta. S’ils vont vers la ville, ce n’est pas un changement énorme pour eux. Ils ne restent pas derrière. Ils laissent peut-être leurs parents, leurs tantes et leurs oncles derrière, mais ils ne s’en vont pas dans un monde bien différent et ne laissent pas derrière la culture et tout le reste. Ils peuvent comprendre toutes les références culturelles lorsqu’ils arrivent dans la ville.
Je n’ai pas l’impression que ce type d’infrastructure existe en ce moment, de telle sorte que lorsque vos enfants vont quelque part, où que ce soit, à Vancouver, à Calgary ou ailleurs... Pensez-vous que, dans l’avenir idéal, la culture pourra survivre d’une quelconque façon à l’intérieur de la personne et de la collectivité, peu importe où elle se trouve, au lieu d’appartenir exclusivement à la collectivité? Pourriez-vous vous prononcer là-dessus? Est-ce que je fais fausse route?
Mme Norwegian : Durant mon parcours en tant qu’éducatrice, j’ai entendu une aînée dire que nous ne pourrions jamais recommencer à vivre sur la terre. Nous étions un peu contrariés et nous nous disions que si c’est bien ce qu’elle disait, nous n’avions pas beaucoup de chances.
Nous avons réfléchi ensemble à cela. Encore une fois, ce n’est pas le fait de vivre dans les bois sans électricité. Si c’est ancré en vous... lorsque nous faisons un feu de camp ou un feu, il y a plus. Vous devez savoir quel type de bois utiliser. Si vous voulez le faire brûler toute la nuit, vous devez vous assurer d’utiliser du bois vert. Si vous ne voulez pas avoir des cendres dans les yeux, vous devez utiliser un certain type de bois. Si vous voulez cuisiner, vous utilisez un type de bois différent. Vous vous assurez de ne pas faire votre feu devant un arbre, sinon vous causerez un incendie de forêt.
Comme je l’ai dit, si nous voulons inculquer une vision du monde, tout est question de réflexion créative, de réflexion analytique. Si c’est ancré en eux, ils ne vont pas le reconnaître immédiatement, mais peu importe où ils sont, ils pourront l’appliquer et l’utiliser partout ou en plein cœur de Toronto. Ils doivent s’assurer de savoir qui ils sont et qu’ils peuvent réussir avec leurs bases, leur fondation.
Selon ce que j’ai vu, beaucoup des femmes particulièrement jeunes reviennent dans les collectivités. Nous avons lancé un programme de mentorat en langues autochtones. Beaucoup d’entre elles reviennent, car elles souhaitent apprendre la langue et découvrir la culture. Plus particulièrement, une personne a dit : « Je me sentais très perdue jusqu’à maintenant, et je me suis maintenant rafraîchi la mémoire. »
C’est déjà en eux. S’il y a des programmes pour les aider à faire en sorte qu’ils ne se perdront pas dans le système et que leur bagage est important, alors des programmes, et des programmes axés sur le territoire tout particulièrement, les aideront certainement à garder les pieds sur terre et à maintenir leur identité.
La sénatrice McPhedran : Félicitations pour votre élection, grande chef.
J’espère que vous serez d’accord si je vous pose une question assez personnelle. Elle porte sur le leadership des femmes, soit vraiment là où votre réponse nous a amenés.
Votre réponse portait précisément sur le leadership chez les jeunes femmes, mais j’aimerais vous demander ceci : pourquoi avez-vous décidé de changer votre situation, de passer d’éducatrice au rôle que vous assumez maintenant? Pourquoi avez-vous fait ce choix?
Mme Norwegian : J’ai pris ma retraite de l’éducation. Comme beaucoup de nos gens, j’étais partie de la très petite collectivité d’où je viens. En ce moment, celle-ci ne contient que 80 âmes. Même si nous en recensions 145 sur notre liste de bande, elles ne sont que 80 à y vivre.
J’ai déménagé quand j’avais 13 ans et quand j’ai commencé à fréquenter l’école. Cela m’a éloignée de ma maison. Je retourne chez moi chaque été pour deux semaines ou dix jours, mais je n’ai jamais revécu là-bas.
Lorsque j’ai pris ma retraite de l’éducation, je me suis dit : « Je vais retourner vivre dans la collectivité. » Beaucoup de mes amis ont dit : « Wow, ce sera une vie très simple et quelque chose à quoi tu devras t’habituer de nouveau. » Toutefois, pendant que j’étais là-bas, certains de mes membres ont dit qu’ils cherchaient un changement et m’ont demandé si j’envisagerais de me présenter pour devenir chef. Alors, j’y ai réfléchi.
Je ne sais pas si c’est vrai dans votre situation, mais très souvent, les gens vous laissent entrer, ils vous jettent en quelque sorte dans la fosse aux lions et ils s’attendent à ce que vous vous débrouilliez tout seul. Je me suis assurée que tous les gens qui m’avaient soutenue continuaient de me soutenir et je me suis demandé quelles compétences apporter au poste de chef.
Je me suis dit que ce n’était pas un emploi. C’est une vision que vous voulez présenter pour vos membres. Plus j’y réfléchissais, plus je me disais que, même si j’étais éducatrice, j’étais un chef à bien des égards et je pouvais apporter toutes les compétences et l’expérience au poste de chef. Par conséquent, je me suis présentée et j’ai fait un mandat en tant que chef.
Une situation semblable s’est produite lorsque des gens m’ont demandé si j’envisagerais d’être grande chef. Une chose qui a été portée à mon attention, c’est que notre région semble en quelque sorte sur le point de s’effondrer, parce que nous n’avons pas réglé nos revendications territoriales. Des gens m’ont dit : « Si tu t’y mets, ce sera beaucoup de travail. » Je ne vois pas cela comme du travail. Je cherche la meilleure décision pour nos futurs enfants.
La sénatrice McPhedran : J’ai une question très rapide à poser à ce sujet. Quel est le changement que l’on vous a demandé d’apporter en tant que chef? Vous avez dit qu’ils souhaitaient un changement et qu’ils vous ont pressentie. À quoi ce changement ressemble-t-il?
Mme Norwegian : À quoi ce changement ressemble-t-il? Je ne veux pas utiliser le mot, mais le mot le plus proche auquel je peux penser dans votre langue, c’est que les gens sont préoccupés. Le mot-clé, c’est notre territoire. Nous avons passé à travers un processus où, dans le temps où mon père était chef, on a examiné le territoire. Nous considérions alors toujours le territoire comme notre mode de vie. Les choses commencent à changer. Maintenant, nous le voyons comme une marchandise. Nous le voyons de façon différente.
C’est une préoccupation, en ce sens que j’aimerais que nous réfléchissions vraiment sérieusement à ce que nous voulons réellement. Je veux explorer ce à quoi le changement ressemble. Je ne saisis pas très bien tous les tenants et aboutissants, mais cela n’est pas uniquement de mon ressort. Il revient aux gens de décider de ce à quoi le changement ressemble pour eux.
En tant que chef, on m’a demandé de me présenter au poste que j’occupe parce qu’on voulait du changement. Je me suis rendu compte que je devais travailler très fort, parce qu’ils n’étaient pas prêts pour ce changement. Je ne peux pas amener les choses plus loin par moi-même. Tout le monde doit embarquer.
Le type de changement que j’imaginais n’était pas exactement le changement, ou bien il arrivait trop vite. Nous devons ralentir et vraiment réévaluer ce que nous nous efforçons d’atteindre. C’est la même chose. Les gens sont prêts à aller de l’avant dans la région du Dehcho, sans bien connaître la marche à suivre, les réponses à ces cinq questions, ni exactement savoir ce sur quoi ils veulent se concentrer.
La terre revient toujours en tête. L’avenir de nos enfants demeure une priorité. Il s’agit de s’accrocher à ces deux domaines et de nous assurer de faire le mieux possible dans ces deux domaines.
La sénatrice Lovelace Nicholas : J’aimerais vous féliciter moi aussi.
Vous avez parlé de l’avenir, et ma question est la suivante : qu’imaginez-vous dans l’avenir pour vos gens avec les gouvernements fédéral et provincial? Avez-vous en tête un avenir que vous aimeriez voir?
Mme Norwegian : Tout d’abord, je voudrais un avenir où les Premières Nations seraient très indépendantes, quel que soit l’aspect que pourrait prendre une telle situation à notre époque. Ma préoccupation tient au fait que nous devons nous gouverner, être indépendants et être heureux.
L’une de nos lois dénées prévoit qu’il faut être heureux. Quand j’étais jeune, je pensais que c’était simple. Évidemment, je ne comprenais pas tout à fait de quoi il s’agissait. Quand on y pense, il est sous-entendu que nous devons tous — en tant qu’êtres humains — être heureux. Si vous adoptez une position, soyez passionné, soyez heureux, et tout le reste suivra. Les gens y avaient réfléchi quand ils ont dit qu’il faut être heureux. Assurez-vous simplement que c’est ce qui vous motive de jour en jour.
Je ne réponds pas tout à fait à votre question, mais il faut que ce soit différent de la situation actuelle. Comme je l’ai mentionné ce matin, je me suis sentie mal à l’aise d’utiliser cet exemple, compte tenu du caractère officiel de cet exposé. Si nous pouvons nous rencontrer à mi-chemin pour tenir une séance comme celle-ci, si nous pouvons porter nos vêtements tout-aller et nous réunir dans une tente, quelque part, afin de nous parler franchement, voilà ce que j’envisage.
Il ne devrait pas y avoir que des interprètes du français quand nous reconnaissons d’autres langues dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous ne voyons pas neuf autres cabines installées là-haut. Nous avons besoin de quelque chose de différent, mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je suis tout à fait d’accord avec vous, et je vous remercie de votre réponse.
La sénatrice McCallum : Merci de vos enseignements et félicitations.
Je veux appuyer les renseignements que vous avez fournis au sujet de notre enseignement en mettant en valeur les ressources naturelles. J’ai vécu sur un sentier de trappeurs et dans un camp de pêche avant d’aller au pensionnat. L’enseignement que j’y ai reçu était déjà en moi quand j’avais cinq ans. À ma sortie du pensionnat, je pensais que je l’avais reçu de cet endroit, mais je me suis ensuite rendu compte que, non, il provenait des aînés. Cet enseignement a vraiment façonné mon cheminement probablement au cours des 10 ou 15 dernières années. J’ai réellement tenté de retourner voir. Je voulais appuyer votre déclaration. Elle est tout à fait véridique. Je parlais seulement le cri quand je suis retournée. Je commence tout juste à retrouver ma langue.
Je vous ai écoutée parler de l’éducation mettant en valeur les ressources naturelles. La terre ne nous appartient pas. Affirmeriez-vous que cela fait partie de la spiritualité? Le plus grand tort qu’ont causé les pensionnats et l’oppression du gouvernement a été le retrait de notre spiritualité, qui comprenait notre langue.
Je me dirige vers le développement économique qui est nécessaire à l’indépendance, mais nous devons protéger notre Mère la Terre en tant qu’intendants du territoire. Je pense qu’à mes yeux, la plus importante contradiction, actuellement, tient à la façon dont nous pourrons y arriver, alors que nous avons besoin d’argent pour nous en sortir dans ce monde. Comment pouvons-nous régler ce problème? Je ne m’attends pas à obtenir une réponse. Je ne fais que poser des questions. Peut-être allez-vous nous inviter, dans un an, pour vous pencher sur cette situation et examiner certaines des questions qui ont été posées.
Quelques autres personnes étudient la question. Elles affirment que la santé économique du Canada n’appartient pas qu’à quelques milliardaires. Elle appartient à l’ensemble du pays. Comment pouvons-nous répartir ces ressources pour tout le monde au pays afin que nous puissions avoir une bonne qualité de vie? Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?
Mme Norwegian : Je suppose qu’il est difficile de mettre l’accent sur le succès. À quoi ressemble-t-il, pour nous, en tant que Première Nation, et pour tout le monde? La terre et notre relation avec elle sont importantes. En fait, si nous voulons parler de succès, nous devons nous assurer que nous disposons encore de cette base. C’est très difficile.
Nous devons continuer à nous accrocher à la relation avec la terre, la spiritualité de la terre. J’ai de la difficulté même à réfléchir exactement à ce que je tente de dire. Parfois, c’est vraiment difficile, et ceux d’entre vous qui ont une langue maternelle différente le savent. Certaines des notions que l’on veut exprimer en anglais sont souvent si éloignées qu’on peut seulement trouver le terme qui s’en approche le plus en anglais pour les décrire.
Parfois, je voudrais que tout le monde puisse comprendre le déné zhatie. Je ne pense pas avoir fait un très bon travail pour ce qui est de répondre à la question ou de formuler un commentaire à ce sujet.
Le sénateur Christmas : Je vous remercie, grande chef, de vous être jointe à nous et de nous faire part de la vision du monde de votre peuple et de vos préoccupations.
J’ai été frappé par votre commentaire selon lequel les jeunes d’aujourd’hui semblaient perdus et ne pas être prêts pour la société occidentale. Certains ont dit à notre comité que, pour que les Premières Nations redeviennent de véritables nations, le processus doit être fondé sur l’identité, la culture et la langue.
Selon vous, en tant qu’éducatrice, quels changements doivent avoir lieu afin de préparer nos jeunes à leur avenir? Vous avez mentionné l’éducation mettant en valeur les ressources naturelles, mais pensez-vous que la revitalisation de la langue a également un rôle à jouer?
Mme Norwegian : Vous voyez, c’est l’une des choses qui sont très différentes lorsque l’on parle en anglais. Je suppose, dans mon esprit, que, quand je parle d’éducation mettant en valeur les ressources naturelles, le terme englobe la culture, la langue et tout le reste. Je suppose que j’aurais dû préciser que la langue est vraiment importante.
Oui, c’est l’aspect que nous devons nous assurer de ne pas perdre de vue. Nous avons besoin de notre culture et de notre langue. Même quand je dis « culture et langue », il n’y a pas de « et » dans notre langue. Le déné zhatie est un ensemble. Il n’y a pas de culture et de langue.
Il est certain que je pense parfois à ceux d’entre nous qui sont allés dans un pensionnat. Je pense encore que j’ai ma langue. Je la parle encore couramment. Toutefois, quand je parle aux aînés, ce n’est pas tout à fait la langue traditionnelle que je pensais encore comprendre.
Pourvu que je puisse la parler, cela m’aide à comprendre les notions, les principes et les valeurs de notre culture. Oui, c’est le cas. La situation sera différente pour nos jeunes qui n’ont jamais parlé la langue. Oui, il est certain que nous avons besoin de notre langue.
Le sénateur Christmas : J’ai une question supplémentaire à poser. Pouvez-vous nous aider? À nos yeux, vous avez l’air d’une fenêtre qui donne sur votre peuple, sur le peuple déné. Envisagez-vous un avenir où les jeunes sont capables de parler leur langue? De votre point de vue d’éducatrice, quelles mesures doivent être prises pour redonner toute sa vigueur à la langue?
Par exemple, le gouvernement du Canada songe maintenant à présenter au Parlement une loi sur les langues autochtones. Que peuvent faire le gouvernement ou le Parlement pour renforcer la langue de votre nation?
Mme Norwegian : Vous savez qu’on nous a dit, ici, dans les Territoires du Nord-Ouest, qu’une loi linguistique a été adoptée je ne sais plus vraiment il y a combien d’années. Je ne suis pas vraiment certaine que la loi soit ce qui a produit un gain, soit qu’une plus grande part de notre peuple parle la langue.
Je pense que nous sommes sur la bonne voie. Il y a deux ans, nous avons exécuté un programme de revitalisation de la langue en partenariat avec l’Université de Victoria. Nous avons lancé ce programme très coûteux, très complexe et très difficile. Cependant, les personnes qui étaient les instructeurs, celles qui travaillaient auprès des étudiants, ont déployé tous les efforts pour parler le déné zhatie dès leur entrée dans la salle de classe.
Remarquez, il y a des cours où il est impossible de le faire, comme le cours de méthodologie, qui comprend beaucoup de méthodes d’enseignement différentes, si les étudiants doivent devenir des enseignants. Tous les efforts ont été déployés en ce qui a trait à leur encadrement. Ils avaient un mentor. Un aîné les encadrait. Les instructeurs sont arrivés et parlaient la langue.
J’ai été honorée de pouvoir compter parmi les instructeurs, même si j’étais encore chef de ma collectivité. Je vais vous dire : je l’ai vécu. Il n’est pas facile de pouvoir parler la langue sans employer de mots anglais. C’est très fatigant, au bout du compte, quand on est très habitués à parler l’anglais.
C’est une bonne approche. Il est question d’en adopter une autre. Certains membres des premières cohortes qui fréquentent maintenant l’Université de Victoria se sont inscrits en éducation afin de devenir enseignants. Certains d’entre eux ont poursuivi le travail de revitalisation de la langue. Qu’ils se soient inscrits en linguistique ou quel que soit le domaine qu’ils ont choisi pour aider les prochaines cohortes, s’il doit y avoir un autre programme, c’est très coûteux.
La sénatrice Pate : Je me joins aux autres pour vous féliciter et vous remercier de votre leadership, non seulement dans votre collectivité, mais aussi en vous présentant ici pour nous rencontrer. Je vous en suis reconnaissante.
Étant donné que vous n’avez peut-être pas pu l’entendre, j’ai posé au groupe de témoins précédent des questions au sujet du problème lié au nombre de jeunes qui reçoivent des soins et qui proviennent de votre collectivité. Quand je dis « votre collectivité », je parle de la vaste région dont vous être maintenant la grande chef.
Si des plans ont été établis, quels sont certains des moyens auxquels vous aurez recours pour tenter d’empêcher plus de jeunes de se retrouver dans des établissements de soins? Quelles recommandations pourrions-nous formuler afin de faciliter ce processus, de votre point de vue, dans le cadre de l’accent que vous mettez sur la jeunesse et sur l’avenir des jeunes?
Mme Norwegian : Je dois admettre que je ne connais pas les statistiques, les données à ce sujet. Toutefois, ce dont je peux parler, c’est de mon expérience auprès de personnes qui sont bénéficiaires de soutien du revenu.
Je pense que, collectivement, nous pouvons trouver la meilleure solution possible pour empêcher nos gens d’être bénéficiaires de soutien du revenu. La raison pour laquelle je dis cela, c’est à cause des efforts que nous avons déployés dans ma petite communauté de 80 personnes. Je pense qu’on peut y arriver. C’est seulement que les responsables du système doivent s’assurer qu’ils appuient les efforts déployés à l’échelon communautaire.
Pour revenir à votre question, je suppose que j’affirme que nous pouvons réfléchir ensemble. Comme je ne connais pas les statistiques, je suis certaine que les chiffres sont élevés. Il me semble qu’il y a un pourcentage élevé de tout ce qui est négatif dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous devons mener des recherches à cet égard afin de nous assurer que cette situation ne perdurera pas ou que nous disposons d’un programme préventif là où nous le pouvons.
Là où je veux en venir, c’est qu’en tant que membres d’une nation autochtone, nous devons passer à l’action afin de nous assurer que nous contribuons à empêcher que perdurent les situations qui ne font pas notre affaire.
La sénatrice Pate : J’ai une question complémentaire rapide à poser. Quand vous parlez de soutien du revenu, voulez-vous dire les gens sur l’aide sociale?
Mme Norwegian : Oui.
La sénatrice Pate : Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de regarder certaines des recommandations concernant le revenu de base, comme la pension de vieillesse, les prestations pour enfants et un genre de revenu de subsistance garanti, au lieu d’une situation où les travailleurs sociaux se font la police du revenu. En fait, leur travail consiste à fournir des services. Certains de ces renseignements ont-ils été présentés?
Mme Norwegian : Pas à ma connaissance, non.
La présidente : Nous sommes arrivés à la fin de la période allouée, mais, avant de conclure, je veux remercier infiniment la grande chef Norwegian de son exposé. Je l’ai trouvé très utile.
Sénateur Tannas, je pense que le commentaire que vous avez formulé était également très concis. Nous tentons d’obtenir le point de vue des gens sur l’avenir et, comme vous l’avez affirmé, nous ne réussissons pas tout à fait.
Je pense que l’exposé que vous avez présenté ce matin, grande chef, était très instructif, c’est-à-dire que nous nous rendons compte qu’il incombe à chaque personne de prendre des mesures et que ces personnes, dans leur propre croissance personnelle, ne sont pas toutes prêtes à aller de l’avant parce que nous ne nous connaissons pas encore nous-mêmes. Vous avez expliqué que, dans bien des collectivités autochtones, nous tentons d’établir un équilibre entre les deux visions du monde. Comment pouvons-nous maintenir les valeurs du style de vie traditionnel à mesure que nous progressons? C’est très nécessaire à mesure que nous allons de l’avant pour nous assurer que nous tenons des conversations comme celles-ci et que nous faisons participer les gens de la collectivité.
Normalement, je ne dis rien de personnel, mais j’ai trouvé la discussion très instructive, ce matin. J’ai de la difficulté à formuler ma pensée parce que nous n’utilisons habituellement pas ce genre de termes. Je ne connais pas ma propre langue. Ma mère était une survivante de pensionnat, alors on lui avait enseigné qu’il ne fallait pas qu’elle parle sa langue. Par conséquent, je ne connais pas ma langue, et je ne connais pas ma propre culture.
Ce qui m’a permis de rester saine d’esprit a été mon retour à ce mode de vie et, à mon arrivée au Sénat, cela a été ma profession de scientifique, car elle consiste à apporter ses propres valeurs où que l’on soit.
Quand vous parliez de la culture, vous avez évoqué le fait que le mode de vie déné est créatif et analytique. La plupart des gens ne considèrent pas la spiritualité comme étant analytique. En ma qualité de scientifique, la partie de moi qui est analytique est extrêmement développée. J’ai toujours été une scientifique, depuis ma naissance. C’est ce qui m’a permis de composer avec les situations de la vie.
Où que je sois, j’en reviens toujours à me dire : « D’accord, je suis une scientifique. Que devrais-je faire? Comment vais-je agir dans telle situation? Que devrais-je penser? Comment devrais-je procéder? » Dorénavant, je vais me dire : « Si j’étais une Autochtone traditionnelle dans un monde moderne, j’aurais encore ces valeurs, et je vais les utiliser dans ce monde. Il a grandement besoin de ces valeurs. » On nous dit que ce sont les valeurs autochtones qui sauveront notre mère la Terre parce que l’économie ne sera pas profitable. Les valeurs en dollars ne sauveront pas le monde. Nous le constatons désormais dans le cas des changements climatiques, et ainsi de suite. Ce n’est pas qu’une question de relations gouvernementales de nation à nation. Il est question de sauver l’humanité.
Je n’arrive pas à croire que je viens juste de dire tout cela.
Je veux terminer sur ceci, et il est difficile pour moi de le dire, parce que c’est en cri et que c’est plurisyllabique; ma collègue et amie ici présente pourrait le dire bien mieux que moi.
[Note de la rédaction : La sénatrice Dyck s’exprime en cri.]
Je vous remercie. Je vous respecte. Je vous considère tous comme mes égaux.
Mme Norwegian : J’ai seulement un dernier commentaire à formuler. Quand j’ai regardé la première question, c’était : « À quoi ressemble un avenir idéal pour vous et vos descendants? » J’ai décrit rapidement la structure de notre déné zhatie, qu’on appelle slavey du Sud. Très peu de mots avaient été empruntés à l’anglais. Voilà l’avenir idéal que j’espère voir.
La présidente : Il se fait un peu tard. Notre troisième groupe de témoins de la matinée se compose de représentantes de la Norman Wells Land Corporation : Sherry Hodgson, présidente, et Ethel Blondin-Andrew, nouvelle directrice, qui est très connue dans le milieu politique.
Bienvenue, mesdames. Vous avez la parole. Après votre exposé, les sénateurs vous poseront des questions.
Sherry Hodgson, présidente, Norman Wells Land Corporation : Bonjour. Merci beaucoup d’avoir invité la Norman Wells Land Corporation. Je m’appelle Sherry Hodgson. Je suis présidente. Comme vous l’avez mentionné, Ethel Blondin-Andrew est très connue et est la nouvelle directrice de la Norman Wells Land Corporation depuis le 4 septembre de cette année.
Je vais simplement procéder à une petite présentation de notre situation. La Norman Wells Land Corporation compte parmi les sept organisations désignées enregistrées dans la région du Sahtu, qui représente les Dénés du Sahtu et les Métis de Norman Wells. L’énoncé de mission de notre société concerne l’atteinte de l’autonomie socioéconomique pour les participants à l’accord sur les revendications territoriales des Dénés du Sahtu et des Métis grâce à une forte autonomie gouvernementale, à un accès lié à des avantages justes, à une bonne gestion financière à long terme et au rétablissement de l’identité culturelle de ses membres en fonction de celle de leurs ancêtres.
La Normal Wells Land Corporation fait partie des sociétés qui ont signé l’accord sur les revendications territoriales, il y a 25 ans. Il s’agit de mon deuxième mandat à titre de présidente, depuis le 4 septembre. On vient tout juste de me confier de nouveau le poste cette année.
La Norman Wells Land Corporation a signé et mis en œuvre cette année un accord sur l’autonomie gouvernementale avec le Canada et le GTNO. Nous en sommes très fiers. Les enjeux que je dois aborder concernent l’accord de principe relatif à l’autonomie gouvernementale et les choses qui sont visées par cet accord. Ensemble, nous espérons travailler en vue de l’achèvement d’un accord final sur l’autonomie gouvernementale qui fonctionnera pour tous les gouvernements. Merci.
Ethel Blondin-Andrew, nouvelle directrice, Norman Wells Land Corporation : Je m’appelle Ethel Blondin-Andrew. J’ai rencontré certains d’entre vous auparavant. Pour ceux que je n’ai pas encore rencontrés, je viendrai faire le tour pour vous serrer la main une fois que nous aurons terminé, pour des raisons de temps. Aux yeux de notre peuple, le fait de toujours accueillir les visiteurs est une marque de respect. Je suis heureuse que vous soyez là.
Sherry est ma présidente. Comme elle l’a mentionné à la présidente du comité, elle vient de la Saskatchewan. Son époux est mon neveu. C’est un homme d’affaires très prospère à Norman Wells, qui emploie beaucoup de nos gens. Il incarne l’aspect que je veux que prenne notre pays : débrouillard, intelligent, talentueux, travaillant et instruit.
Je prends David Hodgson pour exemple parce qu’on obtient ce qu’on mérite de la vie si on se lève à 4 heures du matin, qu’on trime dur, qu’on travaille toute la journée et qu’on se bâtit une bonne vie. Voilà ce que je veux pour mes enfants.
Ils sont âgés de 49, 47, 44 et 46 ans. C’est leur monde, maintenant. C’est celui dans lequel Sherry et Dave mènent leurs activités dans notre collectivité; ils participent à la politique et à toutes sortes d’activités différentes qu’ils mènent dans le but d’aider notre collectivité. C’est formidable.
Sherry et moi avons interrompu notre récolte automnale d’orignal, de caribou et de mouton et notre fabrication de viande séchée pour venir ici. D’autres personnes sont en train de le faire à notre place. Nous possédons une pourvoirie appelée Canol Outfitters. Dans ce camp, tous les chasseurs nous donnent de la viande, et nous la remboursons à notre peuple. Nous participons toutes les deux à cette activité. C’est notre façon de redonner et de nous assurer que les gens sont liés à leur source alimentaire, la source d’alimentation traditionnelle.
Cela dit, et quoi qu’il en soit, je veux seulement demander à quoi ressemble un avenir idéal pour nos descendants. Je veux qu’ils aient le même accès à la terre que nous, actuellement. Je veux que nos descendants sachent qu’ils vivent dans un monde complexe et qu’ils soient instruits. Ils ont deux moyens de savoir : les moyens d’un monde moderne, où on dispose de la science, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques, d’une part. Ils sont forts dans ce domaine parce que c’est là qu’on fait de l’argent. La capacité de gain des gens augmente dans ces régions. D’autre part, ils sont fortement liés à leur terre et à leur culture. Ils sont totalement engagés sur ce plan. Ils sont centrés.
Une fillette ou un garçon déné âgé de deux ans peut entrer dans la salle. Si cet enfant connaît l’amour, qu’il connaît sa culture et qu’il est centré, la salle peut lui appartenir. On peut ressentir le pouvoir de cet enfant. Je veux que ce pouvoir appartienne à tous les membres de notre peuple. Il ne devrait pas avoir à passer par des processus de rafle. Il ne devrait pas avoir à vivre dans des pensionnats. Les enfants peuvent être les plus forts sur notre territoire et sur notre terre. Cet enjeu me tient vraiment beaucoup à cœur.
De quoi avons-nous besoin? Il nous faut l’égalité d’accès. Nous avons besoin que les gens de notre région soient forts, eux-mêmes, du point de vue des institutions qu’ils établissent et de l’avenir qu’ils conçoivent et façonnent pour eux-mêmes. L’égalité d’accès est vraiment importante, tout comme l’accès à l’égalité des droits. Notre peuple ne devrait pas avoir à prouver qu’il a le droit d’être là dans son propre pays, sur ses propres terres. Il ne devrait pas avoir à porter le fardeau de prouver qu’il a le droit de se bâtir un avenir, et, si quelque chose arrive sur ses terres, qu’il est mobilisé et qu’il intervient d’une manière respectueuse, ou bien qu’il participe pleinement.
Nos gens ne devraient pas être des mendiants dans leur pays. Là d’où Sherry et moi venons, il y a un champ de pétrole qui a été construit en 1921. Laissez-moi vous raconter une histoire au sujet de consultations dignes de ce nom et de la façon de mobiliser les gens. Un chef nommé Albert Wright a signé le traité no 11. En 1921, on a découvert un suintement, et Imperial Oil a voulu établir un champ de pétrole. Des représentants de cette société se sont rendus à Tulita — où je suis née — et ont dit : « Nous voulons conclure un traité ». Le gouvernement est intervenu. Le chef Albert Wright, qui est un Déné des montagnes, a déclaré : « Non, vous ne pouvez pas conclure un traité sans les Dénés des montagnes. Ils sont partis dans la montagne, actuellement. Je vais prendre mes affaires et partir avec un sac à dos et un chien pour les informer. »
Il a pris son chien et s’est rendu à pied dans les montagnes. Il les a cherchés, mais ils étaient partis dans le Yukon pour une chasse printanière. Il a fait une encoche dans un tas de poteaux. À des intervalles de quelques kilomètres, il gravait un poteau, sur lequel il inscrivait : « Le gouvernement veut conclure un traité avec nous ». En slavey, nous appelons cela sómba náahze. Imperial Oil et le gouvernement voulaient nous échanger certaines choses contre de l’argent.
Quand les gens sont revenus de la montagne, conformément au savoir traditionnel et à la connaissance de la terre, ils sont tombés sur le premier poteau. Ils ont trouvé le deuxième. Ils les ont tous vus. À ce jour, il en reste encore un au bord de la rivière Keele. Je l’ai vu de mes propres yeux. Il me dit qu’un homme avec son sac à dos y est allé et est entré. Ces gens l’ont trouvé, sont revenus en ville et ont ratifié le traité no 11 en 1921. C’était le début du champ de pétrole. Ce projet a commencé.
Quand il est question d’un processus de décence, d’échange et de mobilisation, c’est de ce genre de choses qu’il s’agit. Nous disposons de la technologie. Nous avons toutes sortes de façons et de moyens de pouvoir consulter les gens d’une manière respectueuse. Il n’y a aucune excuse si on pense à toute la réalité de cet homme et de ce à quoi il a eu affaire. Voilà ce qu’il a fait. Si vous avez un jour la chance de vous rendre en amont de la rivière Keele, arrêtez-vous là. Vous y verrez ce poteau. Un monument s’y trouve maintenant. Il me dit que des consultations dignes de ce nom signifient beaucoup de choses. Il ne s’agit pas seulement de diffuser le message. Elles supposent aussi une adaptation.
L’adaptation est vraiment importante. Nous avons tenu beaucoup de consultations. Nous étions ici tout récemment. Nous avons parlé de l’accès aux ressources et d’un examen des lois avec le gouvernement territorial. Ce qui est arrivé, c’est que nous nous sommes retrouvés à parler de ce qu’on fait quand on a une licence de découverte importante et que les entreprises ne veulent pas travailler dessus. Ne devrions-nous pas simplement modifier ce système, le transformer afin que nous n’ayons pas à bloquer nos terres pour quelqu’un qui pourrait avoir un engagement à une date ultérieure? Ce sont des choses comme cela qui arrivent.
À quoi ressemble l’avenir idéal pour vous et vos descendants? De mon point de vue, le fardeau de la preuve ne devrait pas nous incomber. Nous ne devrions pas avoir à prouver que nous sommes chez nous. Nous ne devrions pas avoir à prouver que nous avons le droit d’exister. Nous devrions bénéficier de l’égalité de participation et d’accès. Tout comme dans le cas de vos cotes de crédit, nous devrions avoir une cote de crédit trois A au chapitre de notre éducation. Nos enfants devraient être forts en ce qui a trait à la terre et à leur mode de vie culturel, les deux moyens de savoir, mais ils devraient également être compétitifs. J’insiste beaucoup là-dessus parce que nous ne vivons actuellement pas dans un monde unidimensionnel. Nous disposons de divers moyens de survivre.
Je veux voir mon peuple pleinement employé, pas seulement dans des postes au niveau d’entrée. Je veux le voir occuper les bons emplois. Tant que tous les postes dans le Nord n’auront pas été attribués à des Autochtones qui ont fait les études nécessaires, qui méritent de les occuper, je ne dormirai pas en paix. J’exercerai toujours des pressions dans le but de m’assurer que cela se produit, auprès non seulement des gouvernements, mais aussi de l’industrie.
Je sais qu’en tant qu’organisation, nous exerçons constamment des pressions. Autrefois, les emplois étaient bons, et il n’y avait rien de mal à cela. Oui, il était bon de participer à l’obtention d’un contrat. Maintenant, nous participons au capital social. Nous voulons que les choses nous appartiennent. Nous voulons les bâtir, et nous voulons le faire par nous-mêmes. Voilà notre situation actuelle. Voilà ce qui rendra le monde meilleur.
Je veux que mes enfants n’aient jamais à composer avec l’énorme difficulté d’avoir à prouver qu’on a le droit d’être là et qu’on devrait avoir accès à tous les moyens d’atteindre l’objectif qu’on s’est fixé. Malgré toutes les difficultés, ils se débrouillent très bien. Parfois, nous en voulons plus pour nos enfants qu’ils n’en veulent pour eux-mêmes parce que nous savons ce que l’on ressent quand on veut quelque chose, quand on ne l’a pas. Nous savons cela. Eux ne le savent pas. Pas vraiment. Je pense qu’il y a cela.
Voici une autre question : que signifie une nouvelle relation pour moi ou pour nous, en tant que peuple? Les règles doivent changer. Il peut y avoir une mobilisation, et elle doit être considérablement différente de son état actuel. Les Autochtones veulent être des joueurs. Ils ne veulent pas être invités à la partie. Ils ne veulent pas qu’on leur donne un billet, qu’on leur dise de s’asseoir là et de bien s’amuser et, une fois que la partie est terminée, s’en aller. On souhaite davantage obtenir la permanence, un effet durable.
Sherry, voulez-vous dire quelque chose à ce sujet?
Mme Hodgson : Qu’est-ce que je peux dire pour ajouter à tous les commentaires que vous venez tout juste de formuler?
Que signifie une nouvelle relation à nos yeux? Ethel a raison. Beaucoup de changements doivent se produire en ce qui a trait aux lois en tant que telles et pour ce qui est de se présenter et de siéger aux réunions et de prendre part à la rédaction du rapport Ce que nous avons entendu, qui est publié dans les Territoires du Nord-Ouest et au Canada. Peut-être qu’une plus grande participation de la part des Autochtones contribuerait à l’établissement d’une nouvelle relation en apportant des changements à tous les aspects, de la santé à l’éducation, en passant par l’industrie, les lois régissant l’activité minière et tout le reste. Ces éléments seraient une partie de la modification de la relation.
Mme Blondin-Andrew : Il est écrit : « À vos yeux, à quoi ressemble une nation autochtone forte et dynamique? » Nous avons eu une revendication territoriale dans notre région. Quand j’ai quitté le Parlement après y avoir siégé pendant 18 ans et avoir appris l’autre façon de savoir, je suis revenue, et je suis allée travailler pour mon peuple. J’ai été la présidente de notre groupe chargé des revendications territoriales pendant neuf ans, jusqu’au 31 mai de cette année.
Une chose que j’ai vécue, c’est que nous étions toujours en train de quêter de l’argent. Si nous devons établir quoi que ce soit en tant que gouvernements à tous les échelons, nous devons nous assurer que c’est abordable et que des ressources sont accessibles pour maintenir le projet, l’infrastructure ou le service en question. Nous ne sommes également pas doués pour cela à l’échelle nationale, tous les gouvernements. Nous nous disputons tout le temps au sujet des frais de F et E — de fonctionnement et d’entretien. C’est comme si le système allait s’exploiter lui-même. Non, il ne le fera pas. Si nous devons obtenir l’autonomie gouvernementale, il nous faut les ressources pour le faire.
Dès qu’elles ont terminé les négociations, les entités qui s’autogouvernent luttent pour obtenir l’argent nécessaire pour se nourrir, pour continuer. Ce n’est vraiment pas bien. Je crois vraiment que c’est mal avisé et que nous avons besoin des ressources. Il nous faut les dispositions législatives nécessaires pour nous assurer que tout ce qui doit être construit ou entretenu ne sera approuvé que si le projet s’assortit de frais de F et E, sauf s’il y a une affectation nous assurant que ces personnes ne lutteront pas et ne se disputeront pas dans le but d’obtenir l’argent nécessaire pour exécuter ces projets et/ou exploiter ces entités, qu’il s’agisse de gouvernements ou d’organismes institutionnels du gouvernement.
Cela coûte cher de diriger un gouvernement. Ce n’est pas gratuit. C’est de la folie que de le croire. Nous utilisons notre revendication territoriale comme guide. C’est le meilleur guide que nous ayons. Actuellement, on est en train de négocier l’autonomie gouvernementale de cinq collectivités. Une négociation est terminée. Norman Wells vient tout juste de signer un accord de principe. La lutte est constante. Pourquoi faut-il que ce soit un combat? Travaillons ensemble. Nous ne travaillons pas ensemble. C’est comme si on se disait battons-nous ensemble pour voir si nous pouvons trouver une solution. C’est un processus sanglant. Il y a des gagnants et des perdants.
Nous ne reculerons devant rien. Je suis d’avis qu’aucune décision, ce n’est pas une décision. Nous avons tendance à prendre un peu de risques et à aller de l’avant parce que nous sommes dans une région où les ressources sont mises en valeur. Nous avons du pétrole et du gaz depuis 1921. Nous avons conclu un accord relativement à un champ de pétrole. Nous avons envisagé d’acheter Norman Wells, le tiers de ce qui appartient à Imperial Oil, mais nous n’avons pas pu obtenir suffisamment d’information pour confirmer la valeur et la durée de vie du projet. Nous n’avons pas pu obtenir assez d’information pour déterminer s’il s’agissait ou non d’un bon achat. On ne va pas acheter quelque chose sans connaître sa valeur.
Autre chose à ce sujet : le gouvernement du Canada a tiré des millions du Sahtu grâce à l’uranium qui se trouve dans le Grand lac de l’Ours. Les responsables du projet Manhattan avaient besoin d’uranium. Où sont-ils allés? Au Grand lac de l’Ours, où ils en ont produit. Ils l’ont transporté de l’autre côté du lac, ont descendu la rivière Bear, ont remonté le Mackenzie et se sont rendus jusqu’à Port Credit, en Ontario, et tous les autres endroits où l’uranium est allé.
Ensuite, quand ils ont voulu du pétrole et du gaz, en 1921, ils ont conclu le traité et ont extrait ces matières de notre région. Depuis, ces combustibles vont au gouvernement. Le gouvernement du Canada possède le tiers de Norman Wells. Il s’agit de son bien de l’État. Je m’intéresse à ce qu’il envisage d’en faire. Je veux savoir s’il y a la moindre possibilité qu’il le mette de l’avant afin que les Autochtones puissent être sur un pied d’égalité, d’un point de vue économique ou sur le plan des ressources. Est-il le moindrement efficace de faire cela pour le gouvernement fédéral?
Je l’ai souvent pensé, et je me demande si c’est une possibilité. Ce serait une initiative audacieuse et importante parce qu’essentiellement, la richesse réelle du champ de pétrole de Norman Wells a quitté le pays. Elle n’est pas restée dans cette région. Elle n’a pas enrichi notre peuple. Cela a été le cas à Hobbema, où les gens ont obtenu l’argent. Ce qui lui arrive est une autre histoire, mais, dans notre cas, à Norman Wells, la richesse a quitté le pays. Nous n’affirmons pas que nous nous opposons à la mise en valeur. Nous disons qu’il s’agit d’un monde complexe et qu’il s’est passé des choses qui n’ont pas fonctionné en notre faveur.
Ensuite, il y a eu Canol. Durant la guerre, on a eu besoin d’un oléoduc. On a obtenu l’accès à nos terres et on est passé directement à travers. Mon père, mon oncle, mon cousin et l’oncle de mon époux sont tous allés avec les gens qui ont arpenté les terres dans le but d’y faire passer l’oléoduc. Ensuite, la guerre a pris fin, de même que la construction de l’oléoduc. Dans les années 1970, on a étendu le champ de pétrole. Le Sahtu a donné. Nous avons donné au Canada. Le temps est venu pour le pays de regarder cette situation honnêtement et d’y réfléchir de cette manière.
Il y a un moyen. Nous voulons la route de la vallée du Mackenzie. Nous voulons qu’elle traverse notre région. Nous nous sommes serré la ceinture à mort. Dans ce cas-ci, nous obtenons 20 millions de dollars. Maintenant, nous sommes censés obtenir le pont de la rivière Bear, mais construisons la route. Donnons à ces jeunes l’accès à ce dont dispose tout autre enfant qui peut se rendre à un aréna de hockey moyennant un trajet de cinq minutes en automobile. Nos jeunes doivent attendre l’hiver pour se rendre à d’autres endroits en voiture par la route d’hiver. C’est formidable, ce que fait cette infrastructure. Elle vide la ville. Les familles qui ont cinq ou six enfants ne peuvent pas les envoyer par avion durant l’hiver. Cela coûte trop cher. Ces enfants n’ont jamais de vacances. Ils ne vont jamais au West Edmonton Mall, à Yellowknife ni ailleurs. Voilà ce que nous faisons, et ce sont certaines des choses que nous voulons. Nous voulons une bonne éducation, de bonnes infrastructures et la capacité de nous gouverner nous-mêmes.
J’aime enseigner aux gens à ressentir leur pouvoir, à le posséder et à l’exprimer. Nous avons du pouvoir grâce à nos revendications territoriales. Nous en avons grâce à nos traités. Nous avons du pouvoir parce que, pendant tout ce temps, nous avons occupé ces terres pour le Canada. Contre vents et marées, nous étions là.
Je songe aux Inuvialuit, mes cousins tout en haut de la côte. Il y a aussi une histoire à raconter à leur sujet. Je suis certaine que Duane Smith vous a déjà parlé. C’est fascinant. J’enseignais là-bas quand j’étais jeune. Nous sommes des gardiens de la terre. C’est à cela que cela se résume. Nous avons fait notre devoir pour le Canada. Nous sommes comme une armée non accréditée. Nous avons maintenu votre souveraineté, et nous pensons que le vent doit tourner. Quoi qu’il en soit, je m’emporte. Très bientôt, je vais nous emmener sur la lune. De fait, on est en train de le faire. Les gens de la NASA qui étudiaient l’environnement ont survolé la région en compagnie de deux ou trois de nos jeunes.
Un autre problème se pose. La contamination provenant des divers sites de Norman Wells est énorme. Il y a six îles artificielles qui n’étaient pas là quand j’étais petite, et ces îles doivent être remises en état. Le budget présenté ne prévoit pas suffisamment d’argent pour que l’on puisse effectuer la remise en état et le nettoyage. Il n’y a pas assez d’argent. Nous devons étudier cette situation. Nous avons grandement besoin que le Canada règle ce problème. Cela doit nous appartenir. Notre peuple a besoin de le faire.
L’hiver dernier, nous avons perdu un contrat en faveur d’un groupe du Québec. Je n’ai rien contre le Québec, mais donnez-nous une chance. Nous avons besoin de passer nos propres contrats. Nous avons nos propres travailleurs et l’équipement nécessaire. Si nous avons besoin d’expertise, nous sommes exactement comme tous les autres. Nous pouvons retenir les services d’experts. Nous pouvons le faire.
Quoi qu’il en soit, Sherry, je vous redonne la parole.
Mme Hodgson : Encore une fois, que puis-je ajouter à tous les commentaires qu’a formulés Ethel?
En ce qui concerne l’infrastructure, nous avons besoin de la route de la vallée du Mackenzie. Elle a évoqué les collectivités qui se vident quand les routes d’hiver s’ouvrent. Cette route est alors un avantage pour les jeunes, mais elle est également une perte pour eux parce qu’ensuite, ils ne peuvent pas fréquenter une école et doivent abandonner leurs études. Il s’agit probablement de l’une des raisons pour lesquelles, une fois qu’ils atteignent la 12e année, ils doivent se mettre à niveau pendant un an ou deux afin de pouvoir entrer à l’université. Il semble tout simplement y avoir des murs qui se dressent devant eux sur les plans de l’éducation, de la santé et de ce genre de choses. L’infrastructure ne fera pas que créer des emplois. Elle atténuera également les problèmes supplémentaires qui se posent pour toutes les collectivités éloignées. Nous sommes extrêmement favorables à la mise en œuvre de ce projet.
Je n’ai pas autant d’expérience qu’Ethel en ce qui a trait à la région du Sahtu. Je suis très reconnaissante d’avoir appris autant d’elle au fil des ans et je suis très heureuse de le dire. En ce qui concerne la signification pour vous d’une nouvelle relation ou de la détermination des principes qui pourraient guider l’établissement d’une nouvelle relation, comme il a été mentionné, nous venons tout juste de signer notre accord de principe sur l’autonomie gouvernementale. Notre communauté de Norman Wells est un peu différente. Ethel a mentionné les cinq communautés qui jouissent d’une autonomie gouvernementale. La situation de Norman Wells est un peu différente du point de vue démographique. Nous sommes obligés d’avoir une autonomie gouvernementale exclusive, ce qui veut dire que nous travaillerons aux côtés de la ville de Norman Wells. Cette dernière aura ses règlements administratifs, et nous allons régir nos propres citoyens. Nous déterminerons plus tard de quelle manière nous procéderons, mais il s’agit de l’une des seules communautés de la région du Sahtu qui aura ce type d’autonomie gouvernementale.
Nous travaillerons sur l’avenir de ce gouvernement. Comme je l’ai dit, nous adoptons ce modèle exclusif de gouvernement autochtone, mais nous ne sommes pas majoritaires dans la communauté de Norman Wells. Nous ne serons autorisés qu’à élaborer le cadre législatif de notre future autonomie gouvernementale et à l’appliquer à l’égard de nos propres citoyens, tandis que la ville de Norman Wells aura encore ses règlements administratifs. Bien sûr, nous aimerions contribuer à la réussite de ce projet.
Par le passé, nous avons eu des difficultés à faire bouger les choses à Norman Wells. Nous espérons pouvoir adopter une direction qui nous sera favorable à tous à l’avenir. Je me demande si le modèle d’autonomie gouvernementale dans la perspective du Canada est utilisé à Norman Wells comme c’est le cas dans toutes les autres communautés. Pouvons-nous trouver une manière différente de le faire de sorte que nous puissions avoir une autonomie gouvernementale qui sera adéquate pour les gens de Norman Wells et différente de celle des autres communautés?
Mme Blondin-Andrew : Il est question de ce qu’évoquent pour vous des nations autochtones solides et dynamiques. À mes yeux, elles représentent d’abord des personnes bien éduquées, et des enfants, des jeunes hommes et des jeunes femmes, des familles et des communautés en santé. Par bien éduquées, je ne veux pas dire de pousser les gens dans la direction la plus facile qui offre le moins de possibilités. C’est mettre les gens au défi.
Je suis vraiment chanceuse d’avoir fréquenté une école de leadership. En fait, Sherry et moi sommes allées à Trappers Lake avec l’évêque Croteau. Il était superviseur de l’école de leadership où j’allais. Cette école comptait principalement de jeunes Autochtones, et la plupart d’entre eux sont des dirigeants. Ils ont été premiers ministres, députés fédéraux et provinciaux et négociateurs. Le but est de ne pas se fonder sur des hypothèses de bonnes intentions. Si vous voulez un résultat, vous devez le prévoir, le concevoir et le mettre en œuvre. Vous ne pouvez pas laisser l’avenir des jeunes et de nos communautés reposer sur l’hypothèse que, si tout se passe bien, les résultats seront bons. Il faut être plus réfléchi que cela. Il faut volontairement établir un plan et s’assurer que nos jeunes reçoivent de l’éducation et qu’ils ont ce qu’il faut pour survivre dans un monde très difficile.
Nous avons aussi besoin de gens qui se portent bien. Il y a beaucoup de problèmes liés à la drogue et à l’alcool. La situation devient plus complexe. Il y a maintenant la cocaïne. Cette drogue est endémique dans certaines régions. C’est le cas dans notre communauté de Yellowknife et dans d’autres régions également. Elle a fait son apparition. Je ne bois pas. Je ne prends pas de drogues. C’est un choix. Ce n’est pas parce que je suis une sainte, mais plutôt parce je sais que nous devons montrer l’exemple. Nous devons prêcher par l’exemple. Il faut montrer aux gens qu’ils doivent prendre soin d’eux.
Dans notre région, nous n’avons pas de programme lié à la consommation d’alcool et de drogue. C’est le néant. Nous voulions lancer un programme sur le terrain. Nous ne l’avons pas encore fait, car nous sommes trop occupés à faire du surplace et à travailler sur les dossiers des revendications territoriales, de l’autonomie gouvernementale, de la gestion de nos programmes, de l’éducation et de la santé. Tout cela est important, mais nous avons réellement besoin d’une population en santé pour bâtir une communauté saine. On m’a déjà demandé comment renforcer la capacité en vue de l’autonomie gouvernementale. Il faut sensibiliser les gens. Les membres de la communauté doivent se sentir bien. Ils ne peuvent pas être mal en point, car s’ils le sont, ils ne peuvent pas fonctionner adéquatement. Ils ne peuvent pas se consacrer corps et âme.
C’est incroyable. J’ai vu des gens toxicomanes qui étaient fonctionnels, mais pensez à ceci : que seraient-ils s’ils n’avaient pas ces problèmes de dépendance? Ils seraient des génies. Ils domineraient le monde. S’ils peuvent fonctionner même en étant mal en point, que peuvent-ils faire s’ils ne le sont pas? C’est mon opinion. Nous devons renforcer les capacités humaines, culturelles et financières. Nous devons créer un système gouvernemental.
De quelle manière ces nations interagissent-elles avec le gouvernement du Canada? Le gouvernement fédéral est un ordre, mais il y en a d’autres avec lesquels nous devons faire affaire, et je pense que nous devons surtout le faire avec respect. Je crois que notre relation ne peut plus être coloniale et paternaliste. Je suis certaine que vous avez vu cela partout au Canada où vous avez parlé à des Autochtones. Nous devons établir une relation d’égalité, de partage, de respect, en donnant notre meilleur et en n’amenuisant pas chaque occasion jusqu’à ce qu’elle perde tout son sens. Cela arrive, je l’ai vu au cours de ma vie. Nous devons dorénavant interagir d’une manière bien différente. J’ai lu l’exposé de Jody Wilson-Raybould en Colombie-Britannique au sujet du cadre de reconnaissance. C’était très intéressant; il était question d’être proactifs, de faire progresser les choses et de ne pas simplement s’en tenir au statu quo. Oui, c’est intense et difficile, c’est bien certain. C’est ainsi lorsqu’on concilie les choses. Ce n’est pas facile. Nous ne faisons pas cela parce que c’est facile. Si ce l’était, nous l’aurions déjà fait.
Quant aux mesures que devraient prendre les Autochtones pour établir une nouvelle relation, ils ont déjà pris de nombreuses mesures. Je ne suis pas certaine qu’ils ont toujours pris les bonnes, mais ils en ont pris beaucoup. Si vous voulez danser un bon tango, il vous faut un bon partenaire. Il faut être deux pour exécuter cette danse. Si votre partenaire est, pardonnez-moi l’expression, un danseur exécrable, je ne pense pas que le résultat sera très attrayant. Il faut être en symbiose. Nous devons travailler ensemble. Nous devons déterminer ce qui fonctionnera pour nous.
Que peuvent faire les Canadiens pour contribuer à une nouvelle relation avec les Autochtones? C’est réellement une question tendancieuse, car de nombreux Canadiens agissent de la sorte. Je le vois tous les jours. Nous interagissons avec eux. Nous voyons des gens de l’industrie qui sont remarquables. Nous savons qu’il y a également des incompétents. Nous connaissons des fonctionnaires qui sont tout simplement extraordinaires, et nous savons que d’autres ne veulent pas coopérer et sont intransigeants. Ce n’est pas évident. C’est une sorte de discrimination systémique très subtile. Nous savons cela.
Que devons-nous faire différemment? Comment les Canadiens peuvent-ils aider? Ils doivent apprendre et comprendre. Nombre d’entre eux le font. Combien de Canadiens prennent leur voiture et font tout le chemin jusqu’à Tuk, car il y a une route là-bas? Aller vers les gens et passer du temps avec eux est très intéressant. Peut-être qu’on se rassemble parce que notre pays subit certains changements. Nos voisins deviennent un peu intéressants, disons-le comme cela. Cela motive les Canadiens à s’unir pour essayer de comprendre qui nous sommes tous. Je crois que c’est une bonne chose, mais nous devons nous permettre de reconnaître que nous ne sommes pas parfaits. Nous sommes humains. Notre peuple, nos aînés disent toujours cela. Nous sommes tous les enfants du Créateur. Nous ne savons pas quel est notre destin, jour après jour, nous essayons donc de travailler ensemble en tant qu’humains. C’est une prière que nous récitons. Soyons simplement humains, tendons la main et partageons. Les Canadiens sont doués pour le faire, mais nous sommes simplement comme tous les autres. Nous avons également nos faiblesses. C’est une question très difficile pour moi.
Partagez les possibilités. J’ai vu cela se produire. Beaucoup de Canadiens, même des gens d’affaires, tendent la main. Certains de nos membres ayant vécu de mauvaises expériences seront en désaccord. C’est leur droit. D’autres qui ont vécu de bonnes expériences se réjouiront des résultats.
C’est un peu de tout. Je ne sais pas si vous souhaitez ajouter quelque chose.
Mme Hodgson : J’ai quelques commentaires à formuler. La nature de la relation avec les gouvernements suscite beaucoup de questions au sein de nos communautés.
Ethel a dit plus tôt que nous traitons nos enfants différemment ou d’une manière qui ne les aide peut-être pas à comprendre les désirs que nous avions lorsque nous étions jeunes. C’est pourquoi nous les traitons ainsi, mais ce que nous oublions, c’est que ces enfants ont des désirs différents de nos jours avec les médias sociaux, Internet et ce qu’ils y voient. Nous pourrions peut-être penser à utiliser ce mécanisme et cet outil pour les sensibiliser ou leur transmettre des messages également. Ils représentent notre avenir. Ce sont ceux qui iront de l’avant, qui s’installeront autour de la table et prendront des décisions pour leurs enfants. J’espère seulement que toutes les décisions que nous prenons aujourd’hui les aideront dans leur avenir et celui de leurs enfants. C’est tout ce que je voulais dire à ce sujet.
Que peuvent faire les Canadiens pour aider? Il s’agit également d’une énorme question, comme l’a dit Ethel. Honnêtement, je n’ai pas la réponse. Je n’ai même pas réfléchi à la question en soi de manière à pouvoir fournir une réponse ou des commentaires à cet égard. Quant aux mesures que nous devrions prendre en tant qu’Autochtones pour établir une nouvelle relation, je crois que nous sommes sur la bonne voie. De mon point de vue, nous nous rassemblons, nous tenons des réunions, nous nous comprenons et nous comprenons les désirs des gens que je représente ou que nous représentons, de même que la population canadienne dans son ensemble.
C’est ce que j’avais à dire.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie toutes les deux d’être ici. Je vous remercie d’être de solides dirigeantes, compte tenu de ce que cela représente pour le pays et pour beaucoup de jeunes également. Si vous êtes à l’aise de nous parler de ce que vous avez appris en tant que femmes dirigeantes, je serais très heureuse de vous écouter, c’est certain.
Ma question est assez précise. Étant donné la nature plus générale de vos commentaires, puis-je vous demander ce que vous pensez du récent rapport de 2017 réalisé par Mary Simon à la demande de la ministre Carolyn Bennett? Dans le cadre de ce rapport, elle a dirigé la mobilisation concernant un modèle de leadership partagé dans l’Arctique. Avez-vous trouvé cela utile?
Mme Blondin-Andrew : Je connais assez bien Mary Simon. Je n’ai pas étudié le rapport en détail. Je n’y ai pas eu accès. Ce n’est pas que je ne peux pas y accéder, mais je n’ai pris part à aucun groupe ayant fait quoi que ce soit. Je connais ses points de vue quant à ce que nous devrions faire dans le Nord. Je sais que nous avons besoin d’un plan en matière de leadership. Il nous faut prendre des mesures, car un grand nombre de dirigeants n’ont pas bénéficié de la structure, de la formation, de l’aide ou des ressources nécessaires pour faire progresser les choses. Je sais que c’est assurément ce qu’elle voudrait faire.
Je ne sais pas si vous voulez les détails. Je ne serais pas en mesure de vous les donner, mais je sais avec certitude que Mary Simon est une ardente partisane du leadership féminin et s’intéresse aux enjeux dans le Nord. Je dirais que, en effet, elle serait une très bonne personne pour aider les dirigeants dans le Nord.
La sénatrice McPhedran : Le rapport est disponible en ligne. Pourrais-je vous demander, et c’est réellement une faveur, de prendre le temps d’y jeter un coup d’œil et de nous faire savoir, au moment qui vous conviendra, après que nous aurons quitté la ville, si cela vous sera utile. Ce que je veux dire, c’est que vous êtes des dirigeantes solides. Vous tracez la voie. La structure organisationnelle de la Norman Wells Land Corporation est fascinante, au même titre que sa nature à but non lucratif et le type de leadership communautaire qu’elle envisage.
J’ai une dernière question. Je suis confuse, car je vous ai toutes les deux entendues parler de ce qui me semble un nouvel accord d’autonomie gouvernementale. En quoi cela est-il lié à l’entente de 1994 avec la région du Sahtu? Manifestement, vous avez besoin de quelque chose de nouveau, pouvez-vous m’aider à comprendre en quoi le nouvel accord améliorera l’entente de 1994?
Mme Hodgson : Je me trompe peut-être, mais je crois que c’est le chapitre 16 de l’entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu qui autorise la communauté à négocier l’autonomie gouvernementale au sein de chaque communauté et la façon de l’améliorer.
Avant tout, l’entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu a préséance en ce qui a trait à l’autonomie gouvernementale négociée au sein de chaque communauté. Nous espérons que cela aidera à améliorer chaque communauté selon l’orientation de son gouvernement.
Mme Blondin-Andrew : Il y a une différence. Les accords d’autonomie gouvernementale sont axés sur la communauté. La région de Sahtu n’est pas homogène. Il s’agit d’une communauté mixte. La population de Norman Wells compte beaucoup de non-Autochtones. Tulita diffère de Deline, et Colville Lake est très isolée. Ford Good Hope est une communauté assez grande. On y trouve des Métis, des Dénés et des personnes non autochtones. C’est différent à cet égard, et elle ne traite qu’avec une seule communauté à la fois. Elles ont toutes une entente différente.
L’entente de 1994 est un traité moderne qui couvre toutes les communautés de la région du Sahtu. Des organes institutionnels sont en place pour chacune d’elles, comme les conseils des ressources renouvelables, l’Office des ressources renouvelables du Sahtu, l’Office des terres et des eaux du Sahtu et le Conseil d’aménagement du territoire du Sahtu. J’essaie de me souvenir de certains autres. Cela viendra, mais l’idée est que les organes institutionnels exercent une fonction différente et servent à toutes les communautés.
L’accord d’autonomie gouvernementale ne traite pas des terres de la même façon que l’entente de 1994. Cette dernière a désigné toutes les terres : les terres détenues en fiefs simples, les terres du Sahtu et toutes les différentes désignations de terres. Le propriétaire foncier, pour ainsi dire, est la société foncière du district de Sahtu. Elle gère les terres.
Le SSI est une organisation générale. Elle s’occupe de sept sociétés foncières et institutions financières. Elle joue un rôle très différent. L’autonomie gouvernementale va contribuer à l’actualisation. Je la sépare toujours en trois volets : les terres, qui, dans le cas présent, sont très limitées, les ressources et la compétence. Du point de vue de la compétence, l’administration régira des choses comme le mariage ou le divorce. Certains domaines de compétence relèveront de l’autonomie gouvernementale. Avec le temps, les choses évolueront. On procédera à un regroupement. À Deline, il y avait la charte de communauté, la bande et la société foncière SSI. Tout a été regroupé : c’est ce qu’on appelle maintenant le gouvernement Got’ine de Deline.
Les entités font toujours partie du SSI, parce que les dispositions de l’entente de 1994 ont préséance. Elles ont préséance sur les dispositions en matière d’autonomie gouvernementale. Ces dernières sont plus détaillées en ce qui concerne les domaines de compétence de la communauté qui concernent les gens, de ce qui relève du gouvernement territorial ou du gouvernement fédéral et la façon de procéder. La revendication territoriale de 1994, elle, comporte un volet de mise en œuvre. L’organisation générale, la grosse organisation ou l’organisation d’encadrement, est un organe de mise en œuvre. Il applique les dispositions de la revendication. C’est son rôle.
Il y a deux fonctions très différentes, mais, en définitive, que se passe-t-il avec l’argent détenu en fiducie quand toutes les entités sont actualisées? C’est la question à 114 millions de dollars, n’est-ce pas? C’est la fiducie que nous avons, et c’est la principale chose à laquelle on ne peut toucher. Il faut un double vote pour prendre l’argent et financer les revendications. Il faut ce que vous appelez la double majorité des voix. Même ces dispositions changent les choses.
La sénatrice Pate : Je vous remercie toutes les deux de vos travaux. Je vais revenir sur quelque chose dont a parlé Mme Blondin-Andrew en ce qui a trait au renforcement de la capacité des jeunes. Il y a plusieurs décennies, lorsque nous travaillions avec une jeune femme qui nous a rassemblés, nous avons rencontré une jeune Autochtone qui, encore aujourd’hui, est aux prises avec des problèmes de dépendance et se demande l’héritage qu’elle laissera. Cela me rappelle la question que j’ai posée à d’autres également, mais, vous particulièrement, comment voyez-vous votre participation, le travail dont vous parlez ou quelles sont les recommandations que nous devrions formuler pour renverser la vapeur?
Je ne sais pas combien de jeunes de votre communauté sont pris en charge, comment vous prévoyez retrouver ces jeunes ou quelles recommandations nous pourrions formuler pour contribuer au processus. Nous connaissons tous trop bien la dévastation, même quand des jeunes semblent commencer à réussir à s’en sortir, nous savons à quel point le risque de rechute est grand lorsqu’ils ont très peu de ressources à leur disposition.
Mme Blondin-Andrew : Je comprends d’où vous venez, Kim, et j’en suis réellement consciente. La dernière fois que nous nous sommes rencontrées, c’était au Pénitencier de Kingston. Nous n’étions pas des détenues. Vous travailliez là-bas, et moi j’étais là pour voir de quelle façon on gérait les programmes. C’était formidable. J’étais vraiment heureuse lorsque vous avez été nommée sénatrice.
Je porte encore le poids de la relation que j’ai eue avec cette personne en particulier, mais il y a un bon côté à cela. Dans un sens, nous avons toutes les deux l’impression d’avoir échoué, n’est-ce pas? Il y a certaines choses que nous-mêmes ne pouvons pas arranger, mais il y a un bon côté à cela. Nous avons eu affaire à un certain nombre de jeunes pris en charge. L’un d’eux est devenu député provincial et a été élu ministre au gouvernement de la Colombie-Britannique. Nous gagnons quelques batailles; nous en perdons d’autres, mais nous n’abandonnons jamais. De notre point de vue, c’est une préoccupation majeure. Quand tous nos enfants sont rapatriés, nous faisons de notre mieux pour les enfants dans notre propre région. Ce n’est pas toujours facile. Si votre famille est brisée, c’est plus difficile. Si votre communauté est disloquée, ce l’est également. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer.
Il y a de bonnes personnes. Comme je l’ai dit, la personne la plus puissante au monde est un enfant âgé de deux ans qui est aimé, qui a des racines culturelles et qui possède sa chambre. Je sais reconnaître un enfant de cet âge qui est plus fort que moi sur le plan émotionnel et intelligent en amour. Je peux les reconnaître. C’est ce que nous voulons voir. Nous voulons trouver notre place.
Qu’est-ce que je vous recommande à cet égard? Pour l’instant, je crois que c’est sur quoi nous travaillons en ce qui concerne l’autonomie gouvernementale. Nous examinons chacun de ces aspects, et nous serons plus en mesure de vous répondre lorsque nous en serons rendus là. Je vois toujours les choses comme cela. Quels sont les besoins à court, à moyen et à long terme? Quel est le besoin à long terme? Ce sont des ressources dont nous avons besoin à long terme. Il nous faut un meilleur système de suivi, vous ne pensez pas?
Comment des êtres humains peuvent-ils disparaître de notre communauté sans que nous puissions savoir où ils se trouvent? Comment des gens âgés de 50 ou de 40 ans peuvent-ils revenir et prétendre être notre sœur ou notre frère sans que personne ne soit au courant? Des gens sont venus me voir au cours des dernières années pour me dire qu’ils venaient de ma communauté. Je suis certaine que vous ne le savez pas, mais j’ai été adoptée, on m’a donnée, on m’a prise en charge ou peu importe. Nous essayons de garder un suivi. Comme c’est plus petit ici, nous connaissons ces gens. Je suis certaine que, dans des endroits comme le Manitoba, l’Ontario et la Colombie-Britannique, c’est un cauchemar.
Nous ne pouvons pas arrêter. Je ne peux pas m’arrêter de me soucier des gens du côté est de Vancouver simplement parce que je suis du Nord. Mon cœur est là. J’ai toujours pensé cela, et cela ne changera pas.
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, notre temps est écoulé.
Merci, mesdames, vous avez très bien répondu à nos questions. Vous y avez répondu de manière très méthodique.
Mme Blondin-Andrew : Excusez-moi, mais je n’ai pas répondu à la question de Marilou. Je l’ai éludée de manière politique, mais j’y reviendrai.
La présidente : Merci. Vous nous avez présenté un excellent témoignage qui orientera notre rapport.
Nous avons maintenant le plaisir de recevoir comme témoins l’honorable Bob McLeod, premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, accompagné de Mike Aumond, secrétaire et sous-ministre, Exécutif et Affaires autochtones.
Bienvenue à vous. Vous avez la parole. Après votre exposé, les sénateurs poseront des questions.
Allez-y, monsieur le premier ministre McLeod.
L’honorable Bob McLeod, premier ministre des Territoires du Nord-Ouest : Merci beaucoup, madame la présidente. Bonjour, mesdames et messieurs. Bienvenue dans les Territoires du Nord-Ouest et bienvenue à Yellowknife. Nous nous plaisons toujours à dire que nous sommes la capitale nord-américaine des diamants. Merci de me donner l’occasion de me prononcer aujourd’hui sur des éléments que vous pourriez examiner dans le cadre de votre rapport sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest peut être efficace uniquement s’il répond aux besoins de sa population, qui compte environ 50 p. 100 d’Autochtones. Au même titre que le gouvernement du Canada actuel, nous reconnaissons l’importance de poursuivre le travail afin d’améliorer ces relations et de faire progresser la manière dont les peuples autochtones et les gouvernements publics collaborent dans l’intérêt de nos résidants.
La majorité des 33 collectivités réparties dans tout le territoire ont une population essentiellement autochtone; il peut s’agir d’Inuvialuit, de Dénés ou de Premières Nations, de Métis ou, dans de nombreux cas, une combinaison de ces peuples.
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a évolué en tant que gouvernement public au fil de la reconnaissance et en de la mise en œuvre des droits des Autochtones dans les Territoires du Nord-Ouest. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest offre des programmes et des services autant aux peuples qu’aux communautés autochtones et non autochtones tout en reconnaissant leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et en soutenant la négociation des accords visant à mettre en œuvre les droits territoriaux et les droits à l’autonomie gouvernementale des Inuits, des Premières Nations et des Métis.
La conclusion d’accords sur les ressources terrestres et l’autonomie gouvernementale des Autochtones est prioritaire, et l’est depuis un certain temps. À l’heure actuelle, les accords conclus dans le territoire comprennent la Convention définitive des Inuvialuit, l’entente sur la revendication territoriale globale des Gwich’in, l’Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu, l’Accord de règlement avec la Première Nation de Salt River, l’Accord Tlicho et l’Accord définitif sur l’autonomie gouvernementale de Déline. En plus, il y a actuellement plus de 14 négociations actives dans tout le territoire.
Les pouvoirs législatifs sous le régime de l’autonomie gouvernementale sont concomitants à ceux du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et peuvent s’étendre à de nombreux domaines de programmes sociaux, comme le soutien du revenu, les logements sociaux, l’éducation, les services aux enfants et aux familles et l’éducation de la petite enfance.
À ce stade-ci, les gouvernements autonomes des Territoires du Nord-Ouest, comme bon nombre de ceux qui se trouvent au Canada, n’ont pas encore exercé leur compétence à l’égard de l’enveloppe sociale. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest appuie la mise en place de l’autonomie gouvernementale et s’engage à travailler avec les gouvernements autochtones et le Canada pour soutenir le renforcement de la capacité et la transition vers la compétence, le pouvoir et la responsabilité du gouvernement autonome.
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest s’est aussi engagé à travailler avec ses partenaires de traités pour trouver des approches novatrices qui permettent de répondre aux intérêts de ces gouvernements autonomes, qui cherchent à établir une relation fondée sur la collaboration avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest au chapitre de la prestation de programmes et de services, ce qui n’inclut pas nécessairement l’exercice de la compétence. Nous croyons comprendre l’importance de bien réaliser ce travail, et nous pensons que c’est un aspect que le gouvernement du Canada examinera attentivement dans le cadre de l’élaboration d’un cadre de reconnaissance des droits.
En 2012, notre gouvernement a reconnu qu’il était temps d’officialiser notre engagement à tendre la main aux gouvernements autochtones dans les Territoires du Nord-Ouest, et nous avons travaillé avec eux à l’élaboration du document intitulé Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et les relations avec les gouvernements autochtones : Pour des relations empreintes de respect, de reconnaissance et de responsabilité. Le document renforce la reconnaissance des droits protégés par la Constitution, le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, de même que des accords touchant les droits des Autochtones, ce qui est fondamental selon nous. Il encourage également les relations mutuellement respectueuses et l’établissement de relations bilatérales de gouvernement à gouvernement, qui existent maintenant au sein de neuf gouvernements autochtones des Territoires du Nord-Ouest.
Les gouvernements autochtones sont définis dans la politique du territoire sur les relations intergouvernementales comme des gouvernements qui ont négocié ou qui sont en train de négocier des accords d’autonomie gouvernementale avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement du Canada.
L’Entente sur le transfert des responsabilités de 2014 est un exemple de notre relation entre gouvernements. Les gouvernements autochtones ont pris part aux négociations et à l’entente sur le transfert des responsabilités, et ont signé un accord sans précédent qui inclut un partage accru des revenus provenant des ressources, le partenariat et la participation au conseil intergouvernemental, où les gouvernements populaires et autochtones coopèrent et collaborent sur les enjeux liés à la gestion des terres et des ressources.
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest reflète aussi la population autochtone, au-delà de nos relations avec les gouvernements autochtones. Plus de la moitié des membres de notre assemblée législative sont Dénés, Métis ou Inuits. Notre Cabinet est également représentatif. Nous travaillons pour faire en sorte que les Autochtones soient embauchés par notre gouvernement grâce à nos pratiques d’embauche prioritaire.
À l’aide de notre système intégré gouvernemental, la langue, la culture et l’autodétermination sont reconnues dans les programmes et les services qui sont offerts le plus efficacement possible dans la plupart des petites collectivités éloignées.
Il est important de noter que notre système intégré met l’accent sur l’importance de la culture et des traditions autochtones, mais nous nous efforçons sans cesse d’améliorer ce domaine. À titre d’exemple, notre système de santé et de services sociaux est maintenant axé sur les programmes de financement fondés sur le territoire.
Nos systèmes scolaires ont intégré des programmes culturels fondés sur les traditions des Dénés ou des Inuvialuit et auxquels participent tous les élèves, peu importe leurs origines.
Nous avons une politique concernant le savoir traditionnel, qui comporte d’importantes obligations, particulièrement en ce qui a trait aux mesures et aux décisions de gestion environnementale. Nous reconnaissons et finançons le soutien de neuf langues autochtones.
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest s’est engagé à mettre en œuvre de façon continue les appels à l’action pertinents de la Commission de vérité et de réconciliation, et il appuie tous les autres efforts visant à combler les lacunes sociales et économiques entre les citoyens autochtones et non autochtones du Nord.
Il a fallu du temps pour que ce système intégré offre des programmes et des services s’adressant à toutes les communautés qui en ont besoin, respectant les normes nationales, tenant compte de la réconciliation, favorisant une économie dynamique et permettant aux diverses populations de prospérer malgré les défis que posent l’éloignement et les traumatismes intergénérationnels découlant des pensionnats et d’autres formes de colonisation.
Grâce à ce système, il n’y a que deux seules réserves dans les Territoires du Nord-Ouest, lesquelles bénéficient également de logement, d’éducation, de services de santé, de services sociaux et de services communautaires, au même titre que les autres communautés.
Le défi auquel nous nous butons lorsque le gouvernement du Canada concentre son attention sur les peuples autochtones, c’est que le financement est souvent axé sur les réserves : les communautés autochtones du Nord ne sont donc pas admissibles. Nous concentrons le financement territorial sur les peuples autochtones, mais il y a encore du travail à faire, et il faut que les possibilités économiques soient alimentées par des projets qui tiennent compte de notre déficit d’infrastructures et qui favorisent la diversification et le renforcement de notre économie.
Notre gouvernement reconnaît la valeur des principes annoncés à l’échelle fédérale concernant la relation du gouvernement du Canada avec les peuples autochtones, puisqu’ils reflètent l’esprit de notre propre engagement à travailler avec les peuples autochtones et les gouvernements dans un souci de respect, de reconnaissance et de responsabilité. Toutefois, nous sommes préoccupés par la signification que revêtent les principes et le cadre prévu de reconnaissance des droits pour notre gouvernement populaire.
Dans cet effort de collaboration, notre principal objectif en ce qui a trait à la reconnaissance et à la mise en œuvre des droits autochtones est de travailler avec les gouvernements autochtones pour faire en sorte que tous les résidants, peu importe où ils vivent sur le territoire, continuent de jouir d’un accès égal à des programmes et à des services de qualité.
Il est important que l’orientation stratégique à l’égard de la gouvernance autochtone et de la réconciliation tienne compte de la compétence du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et du récent transfert des responsabilités relativement aux terres et aux ressources. Comme je l’ai dit précédemment, la conclusion d’accords négociés au sujet de la revendication territoriale ou de l’autonomie gouvernementale est très prioritaire pour notre gouvernement. Cela permettra aux communautés et aux résidants d’aller de l’avant avec l’autodétermination et de créer un climat de certitude favorisant le développement économique.
L’un des défis que pose l’engagement fédéral actuel à l’égard des peuples autochtones est l’incertitude qu’il crée et le ralentissement du processus de négociation. Que cela ait été prévu ou non, les gouvernements autochtones ont entendu beaucoup de promesses au sujet de nouvelles possibilités de négociations plus vastes sans mandats clairs. Un autre problème, c’est que les modèles de gouvernance autochtones des Territoires du Nord-Ouest existent souvent dans des régions ou des communautés où la population est mixte, où certains sont membres des Premières Nations et certains sont Métis, par exemple.
Nous appuyons l’autonomie gouvernementale et la clarté qu’elle procure au chapitre du financement, de la responsabilisation et de la gouvernance. À mesure que le Canada fait progresser l’important travail de réconciliation, il est crucial que le gouvernement fédéral soit conscient que les solutions ciblées doivent procurer une clarté similaire et faire en sorte que des services de qualité soient offerts à tous.
Je ne soulève pas ces problèmes pour laisser entendre que nous ne voyons pas l’intérêt de trouver des occasions pour les gouvernements autochtones d’intervenir davantage dans la prestation du programme gouvernemental, mais plutôt pour dire que le gouvernement fédéral peut apprendre de nous et devrait discuter avec nous des défis potentiels qui peuvent se poser.
Il faut s’assurer qu’une responsabilisation claire est confirmée avec tout changement lié au financement et à la planification de la capacité et du financement, et il faut tenir compte des répercussions sur tous les résidants avant d’apporter tout changement à la prestation de services. Je crois que les Territoires du Nord-Ouest sont un exemple de la façon dont un réel partenariat avec les gouvernements autochtones régionaux et communautaires, qui est fondé sur le respect mutuel et la reconnaissance, peut mener à une autodétermination politique et à une participation économique accrues des peuples autochtones du Nord.
La réconciliation est un processus continu, mais je pense que les Territoires du Nord-Ouest sont sur la bonne voie et que nous pouvons partager certaines leçons. Je vous remercie d’avoir pris le temps d’écouter mon exposé. Je suis ravi de vous donner la parole pour les questions et les discussions.
Le sénateur Tannas : Je vous suis reconnaissant d’avoir pris le temps de nous parler aujourd’hui.
J’aimerais m’assurer de bien comprendre les aspects sous-entendus. Est-ce que votre gouvernement et vous-même êtes préoccupés par le fait que le gouvernement canadien adopte la DNUDPA et par ce que cela pourrait signifier? Est-ce ce dont vous parliez dans certaines des allusions que vous avez faites?
Avec une population forte constituée de nombreuses personnes différentes, croyez-vous que cet aspect est particulièrement problématique pour vous ou est-ce qu’il vous facilite la tâche?
M. McLeod : Avant tout, je veux dire que nous n’avons pas nécessairement de préoccupations à l’égard de la DNUDPA, pourvu qu’elle soit mise en œuvre de manière uniforme à l’échelle du Canada. En tant que gouvernement, on nous demande constamment pourquoi nous n’assumons pas un plus grand rôle de leadership au chapitre de la mise en œuvre et de l’utilisation de nos propres instruments. Nous avons toujours dit qu’il fallait être cohérent. Nous ne voulons pas devancer le Canada ni les autres provinces.
Nous avons déclaré publiquement que nous n’avions pas réellement de problèmes avec cela. Ce qui nous préoccupe, c’est le fait que, en tant que territoire, nous n’étions pas informés des discussions tenues entre le gouvernement du Canada et les gouvernements autochtones. Manifestement, nous appréhendions le pire. Comme nous offrons des services égaux à tout le monde, nous craignions qu’on nous enlève notre financement permettant d’assurer la prestation des programmes et des services. Nous n’avons pas d’économies d’échelle ici. Nous sommes une très petite population étendue sur un immense territoire. Notre population d’environ 44 000 personnes s’étend sur plus de 1,5 million de kilomètres carrés. Si on commence à distribuer les parts du gâteau, il devient très difficile de diriger un hôpital ou une école.
C’est ce qui nous préoccupait. Nous avons beaucoup discuté avec le gouvernement du Canada. Plus récemment, il nous a rassurés en nous disant qu’il ne cherchait pas à faire cela. Il souhaite accroître le financement pour la prestation de programmes et de services aux Autochtones. Cela nous rassure beaucoup. Il dit vouloir que nous prenions part aux discussions à plus grande échelle, c’est utile également.
La sénatrice McCallum : J’examinais votre déclaration selon laquelle c’est un problème, car le gouvernement du Canada concentre son attention sur les peuples autochtones dans les réserves. Dans une deuxième déclaration, vous disiez que, grâce à une collaboration, les résidants, peu importe où ils vivent, continuent de jouir d’un accès égal à des programmes et à des services de qualité.
Avez-vous des statistiques sur l’état de santé des peuples autochtones, qu’ils vivent sur la réserve ou non? Y a-t-il un groupe, entre les Autochtones et non-Autochtones, qui est en meilleure santé que l’autre?
M. McLeod : Oui, nous conservons des statistiques. De façon générale, les statistiques concernant les personnes vivant dans des petites communautés sont considérablement plus faibles que celles des gens vivant dans de grands centres. Par exemple, il y a moins d’emplois, le taux de toxicomanie est plus élevé, c’est la même chose pour le taux de maladie et ainsi de suite. Si on compare les gens vivant sur les réserves à ceux vivant dans de grands centres, je ne suis pas certain, mais je supposerais que les tendances sont les mêmes.
Ainsi, il est plus difficile d’offrir des services dans de petits centres. Nous avons 33 communautés et 5 grands centres régionaux. Offrir le même niveau de services aux autres petites communautés est un défi considérable pour nous et, j’en suis sûr, pour d’autres dirigeants autochtones.
De nombreux programmes annoncés à l’échelle nationale ne sont accessibles qu’à des bandes vivant sur des réserves. Un bon exemple était, je crois, le fonds sur l’infrastructure autochtone de 4 milliards de dollars qui a été annoncé. Les bandes autochtones des Territoires du Nord-Ouest n’avaient pas le droit de présenter de demande pour ce fonds. Ce genre de choses nous arrive beaucoup, particulièrement en ce qui concerne le logement.
La sénatrice McCallum : Si je soulève ces aspects, c’est parce que, là où l’accès est égal pour un grand groupe de gens, il y a des iniquités. L’accès égal ne signifie pas que vous avez une population plus en santé. Cela veut dire que certaines personnes qui ont besoin d’aide supplémentaire n’obtiennent pas des services de niveau supérieur.
Existe-t-il une manière dans le système de vous aider à remédier à ces iniquités?
M. McLeod : La meilleure façon de décrire la situation, c’est de la comparer à ce qui se passe hors réserves dans le Sud du Canada. Si vous vous trouvez à l’extérieur des réserves, que le taux de pauvreté est faible et que vous avez besoin de services d’aide, entre autres, cela n’a pas d’importance que vous soyez Autochtone ou non. Vous y avez accès sans problème. Vous pouvez obtenir ces services, et le même niveau d’aide vous sera offert.
À mon avis, la meilleure façon de faire, c’est d’offrir une meilleure éducation, plus de développement économique et de possibilités d’emploi, ce genre de choses. C’est la meilleure façon de s’en sortir.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Nous sommes heureux de vous accueillir ici cet après-midi.
Dans votre exposé, vous avez dit qu’il y a un respect des terres et des ressources. Pourriez-vous me dire quel pourcentage des ressources vont aux Premières Nations?
M. McLeod : À l’heure actuelle, en ce qui concerne le partage des recettes tirées de l’exploitation des ressources, 25 p. 100 de ce que nous percevons est partagé avec les gouvernements autochtones qui ont signé l’entente sur le transfert des responsabilités.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Cela ne serait pas le cas des petites communautés qui ne comptent que 80 habitants.
M. McLeod : Celles qui ont signé sont pour la plupart des gouvernements régionaux. Il commence à y avoir de plus en plus de gouvernements autonomes communautaires, mais les communautés qui négocient l’autonomie gouvernementale prennent également part aux revendications territoriales régionales plus importantes. L’argent va à l’ensemble de la collectivité, qui décide ensuite ce qu’elle en fait.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je n’ai qu’une autre petite question. Vous avez également mentionné que vous négociez avec les peuples autochtones, mais ceux-ci prennent-ils part aux négociations sur un pied d’égalité, comme nous le faisons maintenant? Pensez-vous que le gouvernement dicte la façon dont les Premières Nations devraient s’autogouverner?
M. McLeod : Ce n’est pas ce que nous avons constaté. Les gouvernements autochtones qui ont négocié des ententes sur l’autonomie gouvernementale sont très bien informés. Ils ont fait des recherches sur les meilleures pratiques au Canada et dans d’autres pays. Comme certains d’entre eux l’ont expliqué, ils négocient pour ce qu’ils estiment être les meilleures dispositions d’autres ententes et essaient de négocier pour conclure une entente sur cette base.
Si vous regardez celles qui ont été négociées, je pense que la plupart des Autochtones qui font partie de ces ententes sur l’autonomie gouvernementale sont assez satisfaits de ce qu’ils ont négocié.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue, et je vous remercie tous deux d’avoir pris le temps d’être des nôtres.
J’aimerais beaucoup que vous nous fassiez part de vos commentaires ou de vos observations au sujet de la proposition de Mary Simon concernant le leadership partagé dans l’Arctique, le rapport commandé par la ministre Carolyn Bennett qui a été publié en ligne. Qu’en pensez-vous? Est-ce utile? Est-ce que bon nombre des points qu’elle soulève cadrent avec ce que vous avez déjà fait ou prévoyez faire en ce qui concerne le leadership dans l’Arctique?
J’ai deux autres questions plus précises à poser à ce sujet. Premièrement, avez-vous participé à l’une ou l’autre des tables rondes régionales qui ont eu lieu en 2017 et plus tôt cette année, qui ont fait suite au rapport de Mary Simon, et avez-vous des observations à formuler à ce sujet?
Ma deuxième question concerne le financement de l’endroit où nous sommes, l’assemblée législative. D’où provient le financement pour les activités du gouvernement?
M. McLeod : En fait, nous connaissons Mary Simon depuis longtemps. Cette dernière est très bien connue dans le Nord. Elle était également l’ambassadrice de l’Arctique, entre autres.
Nous étions très préoccupés par le mandat qui lui a été confié et par le rapport qu’elle a rédigé, principalement parce que nous avons le sentiment de vivre dans une région où l’économie n’a jamais été pleinement développée. La plupart de nos collectivités ont un taux de chômage très élevé. Notre économie est constamment perturbée par des gens du Sud qui pensent en savoir plus que nous.
Tout a commencé avec le piégeage, grâce auquel notre peuple vivait très bien. Il était indépendant. C’était durable et ainsi de suite. Aujourd’hui, il est très difficile de continuer à préserver ce mode de vie.
Au fil des ans, le gouvernement fédéral a réalisé qu’il était très facile d’apaiser les groupes de défense des droits environnementaux. Lorsque la pression devenait trop forte, il créait un parc national ou d’autres aires protégées, généralement dans les territoires du Nord. Vous pouvez vérifier les registres, mais nous pensons que nous possédons probablement plus d’aires protégées que partout ailleurs au Canada.
Nous avons de la difficulté à réserver 45 p. 100 ou 47 p. 100 des terres disponibles pour le développement. Je n’inclus pas les terres que possèdent les gouvernements autochtones. Ces derniers sont probablement les plus importants propriétaires fonciers des Territoires du Nord-Ouest.
Nous étions préoccupés par un rapport qui recommandait la création d’un plus grand nombre d’aires protégées, qui réduirait le nombre de possibilités de développement durable. Nous l’avons dit à Mary Simon. Nous avons écrit à cette dernière et nous avons parlé de la situation à la ministre Bennett. De plus, avec le moratoire sur les activités pétrolières et gazières dans la mer de Beaufort, j’ai pensé que, si je pouvais ajouter cela aux aires protégées, on obtiendrait des pourcentages considérablement plus élevés. Nous avons maintenant eu l’occasion d’améliorer les communications. Nous avons un nouveau ministre responsable des affaires du Nord. Il nous a rendu visite et il connaît très bien le Nord; nous avons donc eu des discussions positives.
Notre plus grande préoccupation est que notre PIB, notre produit intérieur brut, a considérablement diminué. Le Nunavut et le Yukon se sont remis du ralentissement économique de 2007. Pas nous. Notre PIB est passé de 4,7 milliards de dollars à environ 3,8 milliards de dollars. Les pertes d’emploi les plus importantes ont été enregistrées dans le secteur de l’exploitation des ressources, où nous avons perdu plus de 1,2 milliard de dollars de notre PIB et environ 800 emplois.
C’est très difficile sur le plan économique parce que quatre projets miniers ont été approuvés. Il n’y en a qu’un seul qui a vu le jour. Il y a eu un projet de gazoduc de 16 milliards de dollars qui a fait l’objet d’une évaluation environnementale qui a pris six ans. Dès qu’il a été approuvé, le prix du gaz naturel est passé de 11 $ à moins de 2 $ le millier de pieds cubes. Le projet est en suspens. Il y a quelques mois, les promoteurs du gazoduc ont dissous leur coalition. Nous avons maintenant un certificat de transport et de nécessité publique, mais, pour le moment, personne pour construire le gazoduc.
Du côté du financement, 70 p. 100 du budget du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest provient du gouvernement fédéral. Le reste provient des recettes tirées de l’exploitation des ressources, des droits et ainsi de suite. Voilà où nous en sommes.
Le sénateur Christmas : C’est un plaisir de me trouver sur votre territoire, monsieur le premier ministre.
J’aimerais en savoir plus à propos de l’Entente sur le transfert des responsabilités de 2014. Je présume que l’entente concernait le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et les gouvernements autochtones du territoire. Concerne-t-elle également le gouvernement fédéral?
M. McLeod : Effectivement.
Le sénateur Christmas : Cette entente sur le transfert des responsabilités a-t-elle fait une différence? A-t-elle amélioré les choses ici sur le territoire?
M. McLeod : Tout d’abord, le transfert des responsabilités se fait depuis 1967, année où le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a déménagé d’Ottawa à Yellowknife. Nous disons que les programmes faciles à appliquer ont été cédés au fil des ans. Les plus difficiles étaient ceux comportant des aspects liés aux terres et aux ressources, et ils ont accaparé la majeure partie de l’entente de 2014.
Le gouvernement du Canada a négocié avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Nous avons fait de nombreuses tentatives au fil des années suivant lesquelles nous croyions que le transfert des responsabilités avait été effectué, mais cela en revenait toujours à une masse critique concernant l’appui des Autochtones.
À une époque où le premier ministre Mulroney est venu pour signer l’Accord du Nord, le gouvernement fédéral avait besoin de l’appui de la totalité des Autochtones. Tout le monde savait que c’était impossible à réaliser.
Nous avons sept gouvernements autochtones qui négocient des revendications territoriales, et cela se résume à ce que cette totalité signifierait. Si un gouvernement se retirait, est-ce que cela voulait dire qu’on ne pourrait pas obtenir le transfert des responsabilités?
En fin de compte, lorsque nous avons effectué le transfert des responsabilités, cinq des sept gouvernements nous appuyaient. C’était suffisant pour que le gouvernement fédéral accepte de transférer les ressources et les terres. Grâce au conseil intergouvernemental, au règlement de toutes les revendications territoriales et au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, nous avons tous convenu de travailler ensemble pour gérer les terres. Je ne dirais pas de manière collective, mais nous essayons d’être cohérents quant à la gestion des terres.
Il reste encore quelques engagements en suspens qui doivent être réglés dans le cadre du transfert des responsabilités. Cela nous a permis de mieux collaborer avec les gouvernements autochtones participants. C’est peut-être la loi de Murphy, mais, aussitôt que le transfert a été effectué, tout est allé de travers dans l’économie. Elle ne s’en est toujours pas remise complètement.
Nous devons diversifier notre économie. Il y a des régions qui font face à des difficultés économiques en ce moment.
Le sénateur Christmas : J’ai une deuxième question, monsieur le premier ministre. Comme vous le savez, le premier ministre et la ministre Carolyn Bennett ont fait part de leur intention d’instaurer le cadre de reconnaissance des droits. J’ai remarqué que, dans vos commentaires, vous aviez certaines préoccupations au sujet de ce cadre. Je crois comprendre que le premier ministre présentera un projet de loi à l’automne prochain dans le but de le faire adopter avant le déclenchement des élections.
En tant que sénateurs, nous allons évidemment nous pencher sur ce projet de loi. Quelles sont les préoccupations du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest à l’égard du cadre de reconnaissance des droits proposé?
M. McLeod : Bon nombre d’entre elles concernent les processus, et nous ne savons pas vraiment ce que l’on entend par un certain nombre des processus qui sont décrits.
Par exemple, certaines revendications territoriales font l’objet de négociations depuis 20 à 25 ans. Dans le cadre de cette dix-huitième assemblée, nous travaillons très fort avec le gouvernement fédéral pour faire de nouvelles offres. Nous pensons que nous sommes très près d’arriver à un accord, et, soudainement, toutes les discussions s’élargissent encore plus.
Si c’était moi qui négociais, j’attendrais de voir où nous obtiendrions le meilleur accord. Est-il préférable d’attendre jusqu’à ce que nous sachions de quoi il en retourne? En ce qui nous concerne, je serais très surpris si nous n’attendions pas de savoir exactement de quoi il s’agit avant de régler certaines revendications de longue date.
Nous ne savons pas ce que supposent vraiment l’affaire Daniels et d’autres affaires judiciaires. Nous savons que, dans certains cas, le gouvernement fédéral a pris de l’argent destiné à des programmes de santé pour la donner à un gouvernement autochtone qui a réglé des revendications territoriales. Le gouvernement ne se rend pas compte, ou peut-être ne s’en rendait-il pas compte à l’époque, qu’il y a des gens habitant partout dans le monde qui bénéficient de certaines de ces revendications territoriales. Lorsque nous offrons un financement, nous devons tenir compte du fait que les programmes ont une incidence à l’extérieur des Territoires du Nord-Ouest.
Comme je l’ai dit plus tôt, nous ne savons pas. Le gouvernement du Canada nous rassure en nous disant qu’il cherche à accroître le financement des programmes et des services. Cela nous réconforte. Pour ce qui est des droits, nous entendons dire que nous n’aurons plus besoin de négocier de revendications territoriales ou l’autonomie gouvernementale parce qu’il se servira simplement du traité. Nous avons le traité no 8 et le traité no 11, et ce sera ce sur quoi s’appuiera la reconnaissance de tous nos droits. Il n’y a plus besoin de négocier.
Nous n’en sommes encore qu’au tout début; nous ne savons donc pas non plus ce que cela entraînera.
La sénatrice Pate : J’étais intéressée par ce que vous disiez au sujet du pourcentage. Pour donner suite à certaines des dernières questions, et compte tenu du pourcentage qui vient du gouvernement fédéral, avez-vous examiné certaines des options, comme le revenu de subsistance garanti ou les modèles de revenu de base? D’après ce que vous dites, c’est l’un des derniers à se remettre du ralentissement économique.
Avez-vous eu l’occasion d’examiner certains des résultats obtenus en Ontario, au Manitoba et dans d’autres pays du monde où ce genre d’initiatives ont été prises? Si c’est le cas, quels sont vos plans à cet égard?
M. McLeod : Certains députés de notre assemblée législative ont proposé ce genre de choses. C’est un sujet qui revient constamment pendant les tables rondes anti-pauvreté que nous avons tenues. Essentiellement, il s’agit de savoir si nous pouvons nous le permettre et si la majorité des gens appuieraient une politique de revenu garanti pour tous.
Je ne crois pas que nous nous sommes arrêtés pour prendre le pouls du public par rapport à cette approche. Nous estimons que le Programme d’aide au revenu est adéquat. Nous savons comment adapter notre panier. Le coût de la vie dans les Territoires du Nord-Ouest est extrêmement élevé. Selon moi, nous n’avons pas étudié la question suffisamment en détail pour prendre une décision, mais nous en sommes conscients et nous en avons discuté.
La sénatrice McCallum : Vous avez dit que de 70 à 80 p. 100 de votre budget provient du gouvernement fédéral, et que vous consacrez une certaine partie des fonds aux gens qui vivent dans les réserves.
M. McLeod : C’est exact, oui. C’est 70 p. 100 du budget du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.
La sénatrice McCallum : Prenons les systèmes provinciaux. Il existe certains problèmes à cause des sphères de compétence provinciales et fédérales. Les provinces ne veulent pas dépenser d’argent pour les gens visés par un traité, et ce, malgré le fait qu’elles reçoivent des fonds à cette fin, pour les services assurés.
Santé Canada fournit des services pour les programmes non assurés. Il me semble que vous allez au-delà de ce que font les provinces, n’est-ce pas?
M. McLeod : Oui, mais uniquement en ce qui concerne les deux réserves : celle de Hay River et celle de Salt River, à l’extérieur de Fort Smith.
La sénatrice McCallum : Ce que je veux, c’est essayer de régler le problème du chevauchement. Les provinces n’ont pas interagi concrètement avec les Premières Nations pour rectifier la situation.
Les choses semblent fonctionner, ici, mais il semble que ce ne soit pas sans causer de préoccupations, en particulier en ce qui touche les services non assurés comme les services dentaires ou de santé mentale. Je crois savoir qu’il n’existe aucun centre de réadaptation mentale dans le Nord, ce qui veut dire que les gens doivent se rabattre sur les services assurés. Cela crée une catégorie de personnes qui ne relève pas de la province. Est-ce que vous comprenez?
M. McLeod : Oui.
La sénatrice McCallum : Les provinces, et votre gouvernement aussi, j’imagine, ont donc un problème. Que faites-vous par rapport à cela? Avez-vous pris des mesures en conséquence? On dirait que vous avez une relation particulière, alors est-ce que cela soulève des questions distinctes?
M. McLeod : Cela fait longtemps que nous éprouvons de la difficulté à ce chapitre. Récemment, nous avons travaillé avec deux bandes. Ce serait bien de poser la question au chef Fabian, qui est censé témoigner tout de suite après moi, parce que c’est un sujet qu’il connaît personnellement.
Notre gouvernement a déjà essayé de prendre des mesures, à l’époque où il y avait un commissaire à la barre, pour travailler directement avec les deux réserves. Récemment, nous avons mis sur pied un comité tripartite constitué de représentants du gouvernement du Canada, du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et des bandes — soit de la Première Nation de Salt River, soit de la Première Nation Kátl’odeeche — afin de trouver une solution aux problèmes des compétences.
Par exemple, à Hay River, on a bâti 10 maisons qui sont restées vides pendant 10 ans parce qu’elles se trouvaient sur les terres de la Division des affaires indiennes. Nous ne pouvions rien faire avec ces maisons parce que personne ne pouvait nous en donner la permission. Ce n’est que récemment que nous sommes parvenus à une entente avec le gouvernement du Canada et la bande locale.
C’est un problème. Personne n’est injustement avantagé dans cette situation parce que nous avons été en mesure d’injecter de petits montants. Je crois que le chef Fabian pourrait vous répondre beaucoup mieux.
La présidente : J’aimerais revenir sur les questions du sénateur Christmas et de la sénatrice McCallum.
À mon avis, les Territoires du Nord-Ouest ont un système de gouvernance très compliqué. Il y a le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, puis le gouvernement fédéral qui agit comme partenaire. Il y a aussi diverses sociétés régionales, comme la Société régionale Inuvialuit. Vous avez conclu deux ententes sur l’autonomie gouvernementale et — combien avez-vous dit? — neuf ententes bilatérales, en plus des traités concernant les réserves et les Premières Nations.
Vous êtes arrivés, d’une façon ou d’une autre, à mettre au point un modèle cohérent. Je me demandais si M. Aumond pourrait nous préparer un diagramme illustrant comment tout s’agence. Peut-être que cela nous permettrait de trouver une solution aux problèmes des compétences.
Je crois que vous avez conclu une entente sur le transfert des responsabilités avec cinq des sept groupes qui ont présenté des revendications territoriales. Nous savons qu’il y en a deux de plus à venir. Une fois que leurs revendications territoriales seront réglées, allez-vous leur demander de signer l’entente sur le transfert des responsabilités? Le cas échéant, croyez-vous que ce sera à leur avantage?
C’est difficile de démêler tout cela. J’espère que ce que je dis a au moins un peu de sens.
M. McLeod : Je crois que la meilleure explication serait que nous voulons que tout le monde signe l’entente de transfert des responsabilités. Ceux qui sont réticents croient que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest n’est qu’un organe administratif du gouvernement fédéral et que le traité se conclut avec la Reine. Pour une raison ou une autre, ils ont refusé de signer. Le gouvernement de la nation Akaitcho n’a pas signé, alors que la bande Deninu K’ue, si. Ils ont tous diverses raisons qui expliquent leur choix de signer ou non, mais nous aimerions bien évidemment que tout le monde accepte.
C’est encore possible. Le gouvernement fédéral compte offrir les avantages proposés — par exemple, les fonds débloqués au moment de la signature — pendant les deux années suivant l’adhésion à l’entente sur le transfert des responsabilités. Ensuite, ils seraient retirés.
La présidente : J’ai une dernière question. Selon vous, quel est le principal avantage de signer l’entente sur le transfert des responsabilités? Est-ce le partage des recettes de l’exploitation des ressources?
M. McLeod : Il y avait les avantages financiers, le partage des recettes et les fonds accordés annuellement pour la dépollution environnementale. La participation aux activités de dépollution environnementale est obligatoire lorsque des fonds sont versés à cette fin.
Le gouvernement fédéral a conservé la responsabilité de nombreux sites — 700, je crois — qui n’ont pas été transférés en raison de leur passif environnemental.
La présidente : Au nom du comité, j’aimerais vous remercier d’avoir pris le temps de venir témoigner et de nous avoir fait part de vos sages conseils.
M. McLeod : Merci beaucoup de vous être déplacés jusqu’ici. Pour nous, c’est très avantageux lorsqu’un comité se déplace dans le Nord. Cela lui permet de mieux comprendre notre situation. Nous vous en sommes très reconnaissants. Merci.
La présidente : Accueillons notre cinquième groupe de témoins. Le chef Roy Fabian de la Première Nation Kátl’odeeche; et Garry Bailey, président de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest.
Chef Fabian, peut-être désirez-vous commencer? Ce sera ensuite au tour de M. Bailey, puis de la période de questions.
Roy Fabian, chef, Première Nation Kátl’odeeche : Je suis un peu dur d’oreille, mais peu importe. Mon nom est Roy Fabian et je suis chef de la Première Nation Kátl’odeeche. J’ai préparé un texte, mais je vais ensuite laisser parler mon cœur.
La Première Nation Kátl’odeeche est une nation dénée. En tant que Dénés, nous fondons notre intégrité, notre langue, notre culture et nos capacités sur une relation profonde et respectueuse avec la Terre, notre mère. Pour nous, la terre est une manifestation du Créateur, de Dieu, ce qui en fait une relation divine.
Depuis des temps immémoriaux, nous, les Dénés, grâce à cette relation profonde et respectueuse, nous avons édifié nos sociétés sur des piliers comme l’autonomie gouvernementale, les pratiques de gestion durable des terres, les protocoles d’exploitation des terres et de la faune ainsi que les protocoles des relations avec les Premières Nations voisines. Toutes nos institutions sont fondées sur ces croyances, ces valeurs, ces connaissances, ces aptitudes et ces capacités ancestrales.
Les deux traités que la nation dénée des Territoires du Nord-Ouest a conclus avec le Canada, le traité no 8 et le traité no 11, reposent aussi sur ces principes. Nous avons une relation fondée sur les traités avec la Couronne britannique, et donc avec le Canada. Pour la Première Nation Kátl’odeeche, les relations fondées sur les traités ne se distinguent pas des autres relations; elles sont axées sur le respect mutuel, sur la reconnaissance de notre autonomie gouvernementale et sur notre lien solide et inaliénable avec la terre.
En 1969, le Canada a présenté un livre blanc dans le but d’affaiblir les relations fondées sur les traités avec chacune des Premières Nations du Canada. Naturellement, les Premières Nations d’un bout à l’autre du Canada s’y sont fortement opposées. Les chefs dénés se sont rendu compte que la version écrite du traité ne reflétait pas l’entente conclue par les Dénés du Denendeh. Tout cela a abouti à l’affaire Paulette en septembre 1973, que le juge Morrow a dû trancher.
L’affaire Paulette concerne une opposition sur une zone de 450 000 milles carrés, située dans les Territoires du Nord-Ouest et visée par les traités nos 8 et 11. Le juge Morrow a autorisé le dépôt de l’opposition sur cette zone de 450 000 milles carrés de terres, parce qu’il a conclu que les traités nos 8 et 11 n’entraînaient pas l’extinction du droit ancestral des Dénés sur ces terres. Il a aussi mentionné, dans sa décision, que les traités nos 8 et 11 que les Dénés avaient conclus de vive voix devaient être honorés.
En appel, un détail technique a fait que la Cour suprême du Canada a rejeté l’opposition concernant ces 450 000 milles carrés de terres, mais le tribunal n’a pas fait mention de la décision du juge Morrow touchant l’extinction du droit ou le respect des traités nos 8 et 11 qui avaient été conclus de vive voix par les Dénés. Maintenant, ce jugement est protégé par la Loi constitutionnelle de 1982.
Il convient de revoir la relation fondée sur un traité entre le Canada et la nation dénée à la lumière de la décision du juge Morrow en 1973. Même si le Canada a adopté la Loi sur les Indiens pour gérer les relations fondées sur les traités dans un contexte colonial et d’extinction des droits, ni les droits ni les titres ancestraux des Dénés des Territoires du Nord-Ouest ne se sont éteints.
La présente séance a pour but l’établissement d’une nouvelle relation entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Dans le cas des Premières Nations et de la nation dénée, la relation est fondée sur les traités. En ce qui concerne la Première Nation Kátl’odeeche, notre but est de conclure les négociations sur le traité no 8.
Le traité no 8 concernait le partage des terres avec les nouveaux arrivants, mais il n’y a pas eu de négociations subséquentes sur la façon dont le partage allait se faire ou dont les pouvoirs seraient exercés. Le Canada a imposé sa vision de ce qu’une relation mutuelle devrait être dans sa politique sur les revendications globales, même si cette politique ne fait aucune place à la vision de la Première Nation Kátl’odeeche en ce qui concerne ses droits et titres sur ses terres ancestrales. Je le dis clairement : la Première Nation Kátl’odeeche n’a pas renoncé et ne va pas renoncer à ses droits ni à ses titres.
La question est la suivante : que devons-nous négocier, maintenant? La Première Nation Kátl’odeeche a proposé certains enjeux clés qui devront faire l’objet de négociations pour que la réconciliation avec le Canada soit possible, par exemple, les droits de la Première Nation Kátl’odeeche concernant la pêche, la chasse, la récolte des plantes et l’exploitation forestière et des ressources naturelles sur son territoire ancestral; l’utilisation et l’occupation des terres; la gestion des terres et des ressources, la gouvernance et l’autonomie gouvernementale autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la réserve dénée de Hay River; les titres ancestraux; et d’autres enjeux que les parties pourraient choisir conjointement d’aborder.
La Première Nation Kátl’odeeche se préoccupe particulièrement du fait que le Canada ne respecte pas la compétence de la nation sur son territoire ancestral, qu’il occupe et utilise depuis des lunes. Le Canada ne respecte pas non plus les protocoles traditionnels des relations entre la Première Nation Kátl’odeeche et ses voisins. Ces questions doivent être réglées.
En résumé, la Première Nation Kátl’odeeche souhaite se pencher à nouveau sur l’esprit et l’objectif du traité no 8 et préciser la nature de la relation issue de ce traité en fonction non pas du texte, mais de l’entente de vive voix, comme l’ont expliqué les aînés de la nation dénée pendant l’affaire tranchée par le juge Morrow.
La Première Nation Kátl’odeeche entend rétablir sur de nouvelles bases sa relation avec le Canada, en tant que Première Nation autonome ayant un territoire ancestral bien à elle. Nous sommes prêts à négocier de bonne foi pour atteindre ce but.
J’ai dit que j’allais laisser parler mon cœur brièvement après avoir lu mon texte. Toute ma vie, j’ai participé à des négociations de traités. Mon arrière-grand-père a signé le traité no 8 en 1900, et toute mon enfance j’ai appris des choses à propos des traités. J’ai commencé à intervenir dans les négociations en 1978, lorsque je suis devenu gérant de bande pour la Première Nation Kátl’odeeche. En fait, j’étais probablement l’un des premiers gérants de bande de la nation dénée des Territoires du Nord-Ouest à l’époque.
Depuis, je fais de la politique pour les Dénés. Au fil des ans, la situation a évolué dans tous les sens. J’ai déjà mentionné le livre blanc, et je tiens à vous faire savoir qu’il n’a pas été complètement mis de côté par le Canada. Le livre blanc a été mis en œuvre lorsque le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a été mis sur pied. Prenez la relation que le Canada entretient aujourd’hui avec les Premières Nations : tout repose sur le livre blanc, dont l’objectif était de transformer les réserves de Premières Nations en municipalités.
Le processus de règlement des revendications a lui-même été conçu de façon que chaque revendication transforme les Premières Nations en municipalités. C’est pourquoi la Première Nation Kátl’odeeche s’est retirée du processus Dehcho, auquel nous participions, parce que les négociations concernaient des revendications globales. Nous ne voulons pas négocier une revendication globale parce qu’elle suppose l’extinction de nos droits. Nous ne voulons pas renoncer à nos droits.
Nous avons également une relation financière. C’est effectivement un aspect qui nous occupe. Même si nous vivons dans une réserve, nous ne faisons pas affaire avec le ministère des Affaires indiennes en ce qui concerne la santé, l’éducation et le logement. Tout est administré par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, et cela, à cause du livre blanc de 1969. On ne nous a jamais consultés. Nous n’avons jamais consenti à cette relation. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, nous avons une relation financière avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, mais pas avec le Canada, et il faut régler ce problème.
Nous sommes en train de rédiger une lettre à l’intention du vérificateur général pour exposer tout cela, pour faire savoir que le Canada octroie des fonds au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest en fonction des traités et des droits ancestraux des Premières Nations, alors qu’en réalité, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ne gère pas cet argent conformément aux traités et aux droits ancestraux des Autochtones. Il ne respecte pas l’intégrité du traité. Nous devons y voir.
Je ne crois pas que nous ayons de problème avec la Loi sur les Indiens. Le but de cette loi était de gérer les fonds ou les obligations du Canada à l’égard des Premières Nations. C’est l’essence de la Loi sur les Indiens, même si, malheureusement, elle a été rédigée unilatéralement. Nous sommes les Premières Nations, et nous devrions pouvoir discuter avec le Canada et négocier la Loi sur les Indiens. Le Canada ne devrait pas pouvoir agir unilatéralement. Les relations fondées sur les traités doivent être négociées entre nations égalitaires. Dans cette optique, nous devrions pouvoir entamer des négociations sur la Loi sur les Indiens, ce qui déboucherait sur une loi qui refléterait convenablement notre vision du monde et qui répondrait mieux aux besoins des membres des Premières Nations.
J’aimerais aussi ajouter rapidement, au nom de la Première Nation Kátl’odeeche, que nous voulons une relation financière directe avec le Canada, sans l’intermédiaire du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.
Garry Bailey, président, Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest : J’aimerais vous souhaiter à tous la bienvenue sur notre territoire.
En tant que président de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, je vais vous donner un peu d’information contextuelle à propos des Métis des Territoires du Nord-Ouest, notre origine, notre histoire et notre situation actuelle par rapport au processus qui nous occupe.
Les Métis indigènes de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest ont une histoire, une culture et un mode de vie distincts et différents de ceux de la nation dénée, même si nous avons établi des liens avec elle. Les Métis indigènes ont aidé à l’établissement de Fort Resolution en 1786, la plus ancienne collectivité des Territoires du Nord-Ouest.
La nation métisse a été l’épine dorsale des postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson partout dans les Territoires du Nord-Ouest et ailleurs, y compris l’ancien Fort Rae, Fort Resolution, Fort Smith, Hay River et ses environs, Rocher River, Fort Reliance, Fort Fitzgerald, Salt River, et cetera. Les Métis indigènes parlent le chippewyan, le cri, le français, le slave et le michif.
La Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest jouit de droits ancestraux protégés par la Constitution. Nos droits ancestraux reposent sur les droits inhérents des Autochtones, qui étaient organisés en nations souveraines avant la prise de contrôle par le gouvernement.
Tout au long de leur histoire, les Métis indigènes ont chassé les animaux et les oiseaux migrateurs, ont pêché et ont récolté les plantes et les arbres en harmonie avec les autres peuples autochtones et il en est de même encore aujourd’hui. Il convient de souligner que les droits des peuples autochtones issus de traités, dans certains domaines, ne l’emportent pas sur les droits ancestraux de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest. Aucun groupe autochtone n’a un droit de récolte prioritaire au détriment d’un autre.
La Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest est composée des Métis indigènes des collectivités de Fort Smith, de Hay River et de Fort Resolution. Les trois conseils communautaires forment ce que nous appelons la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, qui compte environ 3 000 membres, selon nos estimations.
La Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest a le mandat de négocier les traités et les accords de revendications territoriales et les ententes sur l’autonomie gouvernementale avec le gouvernement du Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et de faire reconnaître les droits des Autochtones.
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement du Canada reconnaissent le statut de gouvernement autochtone de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest. Malgré tout, le gouvernement ne nous fournit pas un financement de base comme il le fait pour les Premières Nations. Jusqu’ici, le Canada n’a octroyé aucuns fonds à la Nation métisse pour la prestation des programmes et des services comme l’exige l’arrêt Daniels.
La Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, comme le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, le Canada ainsi que sept autres groupes autochtones, est partie à l’entente sur le transfert des responsabilités liées aux terres et aux ressources des Territoires du Nord-Ouest de 2014. La Nation métisse siège au conseil intergouvernemental aux côtés du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, conformément à l’entente bilatérale conclue avec ce gouvernement. Les dirigeants de la Nation métisse et le conseil des ministres du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest se réunissent au moins une fois par année, en conformité avec le protocole d’entente.
En ce qui concerne les accords de revendications territoriales et les négociations de traité, le gouvernement du Canada n’a pas négocié avec les Métis dans le cadre de ces négociations de traité historiques. L’exclusion du peuple métis de ces négociations de traité historiques a créé un fossé entre les membres des nations métisses et ceux des Premières Nations.
De 1972 à 1990, la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest a participé aux négociations territoriales conjointes des Dénés et des Métis. Ailleurs dans les Territoires du Nord-Ouest, les Dénés et les Métis ont négocié une entente unique, celle du Sahtu et des Gwich’in.
Après l’échec des négociations concernant l’ensemble du territoire des Dénés et des Métis, les Premières Nations Akaitcho avaient décidé de négocier des droits fonciers issus de traités, qui excluaient les Métis de la région de South Slave. Les droits fonciers issus des traités ne peuvent être négociés que par les Premières Nations signataires de traités historiques. Certaines Premières Nations des Territoires du Nord-Ouest croient, à tort, que les droits issus de traités qui ont été signés par les Premières Nations l’emportent sur les droits ancestraux des Métis.
Le traité ou l’accord de revendications territoriales des Métis remonte à la signature de l’entente-cadre entre la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, le Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, en 1996. La table était mise pour la négociation de traités ou de revendications territoriales. L’échec de l’entente de 1990 concernant les Dénés a servi de base à l’entente de principe de la Nation métisse sur les terres et les ressources des Territoires du Nord-Ouest.
Le 31 juillet 2015, la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, le Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ont signé l’entente de principe de la Nation métisse sur les terres et les ressources des Territoires du Nord-Ouest. L’entente de principe énonce les bases fondamentales de la négociation des traités ou des revendications territoriales de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, par exemple le maintien des pratiques ancestrales des Métis touchant la pêche, la chasse et la récolte des plantes et des arbres dans l’ensemble de la région visée par l’entente, y compris les dons et le troc; la propriété des terres des Métis, y compris les terres communautaires et les terres rurales; le transfert de capitaux et le partage des recettes de l’exploitation des ressources; la consultation sur l’exploration pétrolière et gazière et l’exploration et l’exploitation minières; les exigences relatives à la négociation d’ententes sur les répercussions et les avantages; le début des négociations sur l’autonomie gouvernementale et la cogestion; et la participation à la gestion des ressources ancestrales ainsi que des régions et des parcs protégés.
Plusieurs problèmes touchant la négociation des revendications territoriales des Métis restent à régler. Nous avons cherché à négocier activement une revendication territoriale ou un traité avec le gouvernement du Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, mais il demeure certaines questions fondamentales qui nous empêchent de conclure l’entente en temps opportun : la comparabilité, d’un point de vue quantitatif, entre les revendications territoriales des Territoires du Nord-Ouest présentées par les gens du Sahtu, les Gwich’in et le peuple Tlicho et les autres offres faites aux peuples Akaitcho et du Dehcho; le montant des transferts en capital; la quantité des terres, de la surface et de la subsurface et l’intérêt généralisé lié aux redevances des terres visées par l’entente; le taux de partage des redevances provenant de la vallée du Mackenzie; les dimensions de la région visée par l’entente; la reconnaissance des droits de récolte; l’élargissement de la zone de récolte, qui doit correspondre aux droits de récolte des Métis indigènes; la sélection préliminaire des terres dans le parc national du Canada Wood Buffalo.
En outre, la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest demande la mise en place d’un processus grâce auquel résoudre les problèmes de longue date concernant le parc national Wood Buffalo. Nous aimerions favoriser la réparation des torts passés relatifs au parc national Wood Buffalo et faire reconnaître les droits ancestraux liés au parc national Wood Buffalo.
La ministre des Affaires autochtones et du Nord Canada ainsi que le premier ministre des Territoires du Nord-Ouest ont nommé un représentant spécial du ministre, M. Thomas Isaac, et l’ont chargé des négociations avec les Dénés d’Akaitcho et la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest.
En 2017, M. Isaac a publié un rapport où il est indiqué que le gouvernement devrait axer ses négociations sur des principes de base, y compris la réconciliation avec les droits des peuples autochtones : que l’intérêt généralisé lié aux redevances devrait avoir le pas sur la quantité des terres; que le gouvernement devrait négocier les intérêts en matière de récolte au nord du Grand lac des Esclaves de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest; qu’il faut élaborer un plan de travail visant à accélérer le processus de négociation; qu’il faut que Parcs Canada et le parc national Wood Buffalo continuent à discuter avec les groupes autochtones afin de promouvoir la réconciliation.
Le 24 mai 2017, le Canada et les Territoires du Nord-Ouest ont présenté une offre révisée assortie des quatre options suivantes : le transfert de capitaux, la quantité de terres, y compris la surface ou l’intérêt généralisé lié aux redevances, le taux de partage des redevances entre les Dénés et les Métis et l’élargissement de la zone de récolte.
Le 17 juin, la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest a présenté sa contre-offre. Nous attendons encore que le gouvernement nous réponde.
Le 29 juin, les parties ont convenu d’un plan de travail révisé assorti de l’ébauche proposée pour la négociation d’une entente finale en 18 à 24 mois et intégrant les problèmes fondamentaux devant être réglés.
Le Canada doit prendre des mesures afin de combler l’écart énorme entre l’offre faite à la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest et celle faite à la nation Akaitcho.
Une réconciliation et une réparation s’imposent en ce qui concerne le parc national Wood Buffalo. Pendant toute son histoire, la Nation métisse a puisé dans les terres du parc national Wood Buffalo pour répondre aux besoins des familles et de la collectivité et à des fins commerciales, jusqu’à la création du parc national Wood Buffalo en 1923. Nous avons demandé à Parcs Canada de prendre des mesures en vue de faire progresser la réconciliation, et, en parfaite conformité avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, nous avons proposé la création d’un fonds en fiducie convenable pour réparer les pertes subies par les Métis à la suite de leur expulsion du parc national Wood Buffalo et de l’interdiction du trappage et des autres activités de récolte. Nous demandons que le Canada fasse ce qu’il a fait dans d’autres situations pour rectifier les torts du passé.
Les Métis indigènes qui ont été expulsés du parc national de Wood Buffalo ont dû renoncer à leur mode de vie, et ont perdu leurs sources de nourriture et de revenu, en étant privés de leurs activités de trappage, de leurs logements, de leur gagne-pain et de leur mode de vie ancestral. Les pertes dues à l’interdiction du trappage se ressentent encore aujourd’hui. Le Canada ne reconnaît toujours pas les conséquences de l’expulsion des Métis; il ne les comprend pas tout à fait. Parcs Canada a pris des dispositions pour le maintien des activités de trappage et de récolte des Premières Nations, mais a exclu les Métis indigènes. Il faut que cela change. Le Canada doit réparer les torts causés par l’expulsion des Métis indigènes et dédommager la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, comme le veut la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
La Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest que le Canada lui offre réparation pour la façon dont les Métis du parc national Wood Buffalo ont été traités dans le passé. Nous voulons faire progresser la réconciliation ainsi que la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies. Il s’agit d’objectifs clés pour le gouvernement.
Au cours des dernières années, la situation par rapport aux activités d’exploitation a évolué, et Parcs Canada a adopté une approche de non intervention en ce qui concerne les activités de récolte des Métis indigènes dans le parc national Wood Buffalo. Pour nos membres, cette approche crée un climat d’incertitude. Nous soulignons aussi que, selon un rapport de mission de l’UNESCO, la récolte des ressources par les Autochtones ne représente pas une menace pour le parc national Wood Buffalo.
Des mesures doivent être prises concernant les activités de récolte. Le Canada doit concrètement reconnaître les droits de récolte des Métis indigènes dans le parc national Wood Buffalo, ce qui suppose qu’il accepte la carte d’identification des membres de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest. Ces droits doivent être reconnus maintenant, puisque l’entente définitive ne sera pas conclue avant cinq ans au moins. La reconnaissance des droits des Autochtones est un objectif clé de votre gouvernement.
Je peux maintenant répondre aux questions que vous avez à poser, si vous le souhaitez.
La présidente : J’allais justement dire que vous avez assez bien répondu à toutes nos questions. Il nous reste environ 20 minutes, alors le mieux serait probablement de laisser les sénateurs poser leurs questions. Ils s’interrogent probablement sur des questions auxquelles vous avez déjà répondu. Merci beaucoup de votre témoignage très complet.
Le sénateur Tannas : J’ai seulement deux ou trois questions pour vous, monsieur Bailey. J’ai cru voir qu’il y avait 3 000 membres de la Nation métisse au Canada. Combien vivent dans les Territoires du Nord-Ouest?
M. Bailey : Ce serait difficile de vous donner une réponse exacte; nous n’avons pas reçu de fonds qui nous auraient permis de procéder à un recensement complet. Nous en avons reçu un peu et nous allons mettre certaines choses en route. À la lumière des données recueillies, nous en sommes arrivés à une estimation de 3 000, mais nous ne savons pas pour l’instant s’il s’agit de membres en règle.
Nous avons encore besoin de financement pour mener des études généalogiques. Un généalogiste s’assure que tous nos membres sont Autochtones; ils doivent l’être depuis au moins 1921, date à laquelle le dernier traité, le traité no 11, a été signé. Le gouvernement a refusé de remonter à 1900, disons, puisqu’il voulait s’assurer que tous les Métis des Territoires du Nord-Ouest seraient déclarés.
Le sénateur Tannas : La raison pour laquelle on a choisi 1921, c’est que les Métis avaient à faire leur choix à ce moment-là. Ils devaient choisir d’accepter ce statut ou non. Est-ce bien cela?
M. Bailey : Non. Aucun statut n’a été offert aux Métis. J’ai mentionné le livre blanc. Tout est là. J’ai expliqué comment ils sont arrivés, en 1899-1900, et ont signé des traités avec nos ancêtres, nos familles, mais les Métis ont été exclus. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.
Nous sommes reconnus comme étant métis, et nous sommes fiers de l’être. Nous nous sommes battus longtemps et durement pour arriver où nous en sommes aujourd’hui, comme vous pouvez le constater. Depuis l’arrêt Daniels, nous sommes admissibles aux programmes et aux services. Malgré tout, rien n’a encore été fait, on dirait. L’arrêt Daniels n’a pas été mis en œuvre, même si votre comité a recommandé au gouvernement du Canada de prévoir des programmes de financement pour les Métis.
Un point important que je veux soulever est que le Ralliement national des Métis a un droit de représentation. Le gouvernement du Canada le reconnaît comme étant le représentant d’une nation à part entière, ce qu’il nous refuse. Nous n’avons pas et n’avons jamais eu de lien avec le Ralliement national des Métis. Peut-être qu’il y en avait autrefois, bien avant mon temps, mais aujourd’hui il faut un droit de vote universel. On ne nous permet pas de faire partie de la vie politique.
Étant donné qu’il reçoit les fonds, c’est à son avantage de ne pas reconnaître la Nation métisse. Il prend toutes les parts du gâteau, et le Canada refuse toujours d’avoir une relation de nation à nation avec nous. C’est incontestablement un problème. Nous espérons que la situation sera rectifiée et que nous puissions commencer à faire notre propre travail dans les Territoires du Nord-Ouest.
Nous sommes uniques. Nous sommes à part de ceux de l’extérieur des Territoires du Nord-Ouest. Nous avons des collectivités plus petites et des besoins différents. Dans une grande mesure, nos besoins ne sont pas les mêmes que ceux des Métis de l’Alberta, où ils sont nombreux. Nous n’avons pas autant de membres, et c’est un problème. Nous devons traiter directement ensemble.
Le sénateur Tannas : À propos du nombre de membres, vous dites que vous n’êtes pas certain de savoir combien il y en a ici, dans les Territoires du Nord-Ouest.
M. Bailey : Je dirais qu’il y en a probablement 2 500, ici.
Le sénateur Tannas : Sur 3 000 membres, la plus grande partie est ici.
M. Bailey : J’ai dit 3 000, mais il y en a peut-être plus. Qui sait?
Le sénateur Tannas : Chef Fabian, j’ai trouvé intéressante l’idée que vous avez eue d’utiliser la Loi sur les Indiens dans son but initial, c’est-à-dire de la renégocier et de l’utiliser comme plan de travail ou entente de collaboration pour l’application des traités.
Selon vous, les 11 traités — ou peu importe combien il y en a en tout — devraient-ils faire l’objet de négociations distinctes, ou devraient-ils être négociés ensemble? Même si on exclut les traités récents, comment voyez-vous la chose? Je trouve que c’est un concept intéressant, et je n’en avais jamais entendu parler.
M. Fabian : Je participe à plus d’un processus, y compris avec l’Assemblée des Premières Nations. Personne n’a jamais avancé cette idée. Pour moi, la Loi sur les Indiens a toujours été simplement un outil pour administrer les obligations issues de traités. Pourtant, elle avait été établie unilatéralement par le Canada. Au lieu de discuter avec nous de la relation qui allait être établie par les traités, le Canada a imposé une loi axée sur l’extinction et la colonisation.
Les traités sont très importants. Dans le traité no 8 et le traité no 11, on distingue les territoires. Le traité no 11 concerne Hay River et ce qu’il y a au nord, ainsi que les environs du Grand lac des Esclaves et ce qu’il y a au nord. Le traité no 8 porte seulement sur une petite partie des Territoires du Nord-Ouest, au sud du Grand lac des Esclaves.
Notre territoire ancestral nous appartient depuis 1900. Nous avons signé le traité en 1900; c’est une nuance importante. Bien sûr, les dates varient. Vous ne pouvez pas reprendre la tradition d’un territoire visé par un traité et l’appliquer aux autres traités. Il faut qu’il y ait une distinction.
Le sénateur Tannas : Merci, chef Fabian et M. Bailey, de tout ce que vous nous apprenez. Je vous en suis reconnaissant.
La présidente : Avant de donner la parole au sénateur Christmas, monsieur Bailey, j’aimerais savoir quelle est votre définition d’une personne métisse dans les Territoires du Nord-Ouest.
Vous avez parlé de généalogie. Pouvez-vous nous fournir quelques précisions? Le Ralliement national des Métis a aussi parlé de généalogie, mais il remontait à la colonie de la Rivière-Rouge. Y a-t-il une composante historique dans votre définition? Il m’a semblé que votre définition était plutôt axée sur l’ADN ou la proportion de sang indien.
M. Bailey : Ce n’est pas une question de proportion de sang indien. Je ne suis pas du tout d’accord avec cela.
Nous nous considérons comme étant un des peuples autochtones du Canada. Les Métis sont un des peuples autochtones du Canada. Nous avons des ancêtres chippewyans, cris et slaves. Notre lignée remonte aux Autochtones des trois collectivités de Fort Resolution, Fort Smith et Hay River.
La présidente : Ces collectivités, oui.
M. Bailey : Nous ne sommes pas des Métis de la Rivière-Rouge. Nous parlons le slavey du Sud, parce que c’est la langue d’où nous venons. Comme je l’ai dit, nous avons aidé à l’établissement de Fort Resolution en 1786. Cette collectivité, l’une des plus anciennes des Territoires du Nord-Ouest, a été établie par les Métis. Voilà qui nous sommes.
Nous sommes présents à Fort Smith, Hay River et Yellowknife. À dire vrai, nous comptons beaucoup de membres ici. Nous avons retenu les services d’un généalogiste pour examiner toute notre histoire là-bas.
Le sénateur Christmas : J’ai une question pour le chef Fabian. Je crains de ne pas bien comprendre, alors pardonnez-moi.
De toute évidence, votre Première Nation était partie au traité no 8, et vous aviez une relation avec la Couronne. À un moment ou à un autre de votre histoire, on vous a accordé des terres de réserve fédérales. Est-ce exact?
M. Fabian : Oui.
Le sénateur Christmas : Vous n’avez jamais eu de relations financières avec le gouvernement du Canada, ce qui veut dire que toutes vos ressources financières proviennent du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Vous n’êtes pas assujettis à la Loi sur les Indiens, et ce, même si vous avez eu une relation fondée sur un traité et obtenu des terres de réserve.
M. Fabian : Oui, l’histoire des Territoires du Nord-Ouest est intéressante. La réserve de Hay River a été établie en 1974. Nous avons obtenu une terre de réserve en vertu du traité no 8, et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a été formé environ à la même époque.
La présidente : Je me posais justement la question.
M. Fabian : Oui, et quand le Canada a voulu appliquer le livre blanc dans les Territoires du Nord-Ouest, on nous a tous mis dans le même panier, et nous n’avons jamais eu de relations financières avec le Canada.
J’ai personnellement écrit à la Société canadienne d’hypothèques et de logement à propos du logement dans une réserve. Dans la lettre que j’ai reçue, on m’a répondu que tous les fonds destinés à nos logements étaient versés au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Pour que vous le sachiez, toutes ces annonces de fonds versés aux Premières Nations du Sud ne nous concernent pas. Je me rappelle qu’on avait annoncé, il y a plusieurs années, que 840 millions de dollars seraient consacrés au logement des Premières Nations du Canada. Je n’en ai jamais reçu un cent, à cause de l’entente entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Il faut examiner la question de la relation financière dans son ensemble. Nous n’avons jamais donné notre accord. Nous n’avons jamais consenti à cette structure. Elle nous a été imposée.
En 1974, les aînés étaient des spécialistes des traités, mais ils ne comprenaient pas vraiment comment le gouvernement fonctionnait. Quand ils traitaient avec un gouvernement, ils croyaient traiter avec le Canada. Ils ne savaient pas qu’il y avait un gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, ils ne savaient pas qu’ils traitaient avec un sous-gouvernement.
Voilà quels ont été nos problèmes au fil du temps. Même moi, il m’a fallu du temps pour comprendre la relation. Aujourd’hui, notre relation est manifestement avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Tout vient de lui, mais cela n’est pas prévu dans nos droits fondés sur les traités ni dans le traité no 8. Il faut que ce soit corrigé. Aux fins de l’établissement d’une nouvelle relation, nous voulons, en tant que Première Nation des Territoires du Nord-Ouest, avoir une relation financière directe avec le Canada. Nous acceptons même que les négociations se fassent en vertu de la Loi sur les Indiens, mais il faut que cela soit fait.
Le sénateur Christmas : Chef Fabian, je suis estomaqué.
M. Fabian : L’enseignement n’a pas donné grand-chose chez nous. Il y a d’énormes lacunes dans le domaine de la santé, et le logement est un problème majeur. Six logements ont été construits dans la réserve de Hay River. Cela fait 16 ans pour l’un, et 12 ans, je crois, pour un autre. Ils n’ont toujours pas été affectés.
Ces logements restent vides parce que la politique de la Société d’habitation des Territoires du Nord-Ouest est que les gens doivent acheter les maisons. Tous ceux qui pourraient acheter une maison dans la réserve de Hay River l’ont déjà fait, parce qu’ils ont des emplois et tout ce qu’il faut pour le faire. Les autres sont laissés aux oubliettes, et les six maisons vides restent vides.
Le sénateur Christmas : Chef Fabian, savez-vous s’il y a d’autres Premières Nations dans la même situation?
M. Fabian : Il n’y a que deux réserves dans les Territoires du Nord-Ouest. Il y a la Première Nation de Salt River et la réserve de Hay River. Il n’y en a que deux. Les autres collectivités ne sont pas des réserves, et c’est pourquoi elles sont visées par le livre blanc. C’est une relation très nébuleuse.
Le sénateur Christmas : Nébuleuse, c’est une façon polie de le dire.
M. Fabian : Il n’y a pas de relation claire. Qu’est-ce qu’une relation? Qu’est-ce qu’une relation fondée sur un traité pour les Premières Nations vivant hors réserve? Qu’est-ce que c’est supposé être?
Il y a des réserves partout ailleurs, mais il n’y en a pas dans les Territoires du Nord-Ouest. Par exemple, il y a des gens qui paient des impôts fonciers pour occuper leur propre terre. Dans la communauté voisine, j’ai un ami qui doit des dizaines de milliers de dollars au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, car il doit payer un impôt sur sa terre, sur le territoire des Dénés. Aux termes du traité, le gouvernement canadien était obligé de nous donner des terres pour que nous puissions vivre, mais il n’a pas respecté les termes du traité.
Lorsque le gouvernement a mis en œuvre le livre blanc, il ne voulait pas donner de terres aux Premières Nations. Maintenant, si vous examinez certains des accords, vous verrez que certains membres des Premières Nations acceptent de payer des impôts. Je suis un Déné colonisé. J’ai une vision différente de ces choses. Je crois vraiment que la relation fondée sur le traité et même les nouveaux traités doivent être renouvelés de concert avec toutes les Premières Nations des Territoires du Nord-Ouest.
Les droits inhérents sont censés être inaliénables. Les titres et les droits ancestraux sont inaliénables. Pourtant, le Canada a négocié ces nouveaux accords qui ont aliéné les titres et les droits des Autochtones. Cette question doit être réglée. C’est pourquoi il existe encore deux groupes. Ils vivent des moments difficiles, car ils ne veulent pas renoncer à leurs droits. Le gouvernement canadien insiste pour que nous renoncions à nos droits. Nous avons quitté la Première Nation du Dehcho car nous n’allons pas renoncer aux droits que nous confère le traité no 8.
Si je devais renégocier un traité en tant que Déné colonisé, vais-je mieux réussir que mon arrière-grand-père, qui a négocié le traité no 8? Me voici ici aujourd’hui. Mon arrière grand-père était un Déné complètement indépendant et dynamique. Aujourd’hui, moi, je suis un être dépendant et pas très dynamique. Je ne pourrai pas mieux renégocier ce traité, je veux donc m’y tenir. Nous devons le définir. Nous devons y réfléchir et définir le statut de la relation.
Il s’agit de relations et de rien d’autre. Pour nous, toute l’idée d’une relation est celle que nous avons avec la terre. Pour moi, la relation avec la terre est synonyme de la relation avec Dieu. Bien des choses ne sont pas incluses dans ce processus. L’interprétation est celle d’une seule partie. Nos points de vue et notre vision du monde n’ont même pas été considérés dans le processus.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Ma première question pour M. Bailey est courte. Les Métis ont-ils une assise territoriale?
M. Bailey : Oui, nous en avons une. Nous considérons l’ensemble des Territoires du Nord-Ouest comme étant notre territoire traditionnel.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Avez-vous vraiment un endroit où les Métis vivent, construisent leur maison, et tout le reste?
M. Bailey : Oui, nous vivons à Fort Resolution, à Fort Smith et à Hay River. Nous avions négocié une entente de gestion provisoire, nous participons donc à la gestion et avons notre mot à dire sur des portions de terre de la région du South Slave.
Nous essayons de finaliser notre revendication, nous voulons qu’on reconnaisse notre assise territoriale. Actuellement, le gouvernement nous a juste dépouillés. Il affirme que nous sommes en train de négocier un accord d’autonomie gouvernementale et que, en attendant, nous n’avons pas le droit à l’autonomie gouvernementale, aux terres et aux ressources. Le gouvernement ne peut pas continuer à agir ainsi, alors qu’il y a des choses qu’il peut faire aujourd’hui.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci pour votre réponse. Ma prochaine petite question s’adresse à M. Fabian.
Vous avez mentionné ici que le gouvernement ne respecte pas votre autorité en matière de territoires traditionnels. L’assise territoriale a une longue histoire. Pourriez-vous nous en dire plus?
M. Fabian : Oui. La Première Nation Kátl’odeeche a signé le traité no 8 en 1900. Quand nous avons signé le traité no 8, aucun Métis n’a reçu de certificat de concession à Hay River car il n’y avait pas de Métis. La Première Nation Kátl’odeeche, installée là-bas, était exclusive. Nous avions des protocoles pour nos relations avec les Premières Nations voisines. Les Premières Nations entretenaient des relations les unes avec les autres. Dans notre cas, c’était avec les Deninu K’ue. Même aujourd’hui nous avons un accord avec la Première Nation Deninu K’ue, qui consiste en une ligne de démarcation économique tracée.
On parle ici de l’est. À l’ouest, nous avons un autre accord, avec la Première Nation Ka’a’gee Tu cette fois-ci, qui définit clairement la ligne de démarcation économique tracée entre nous. Tout ce qui se trouve entre ces deux lignes est le territoire traditionnel exclusif de la Nation Kátl’odeeche.
Je n’arrive pas à me souvenir du nom de l’affaire judiciaire où il était question des terres ancestrales et de leur occupation. Nous devons être capables de prouver que nous utilisions et occupions depuis toujours les terres historiques et qu’elles ont été occupées. Nous l’avons fait. Nous avons même soumis la question au gouvernement, qui continue de refuser de reconnaître que le territoire traditionnel de la Première Nation Kátl’odeeche est exclusif.
La présidente : Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai le regret de vous dire que notre temps est écoulé.
Monsieur Bailey, souhaitiez-vous ajouter quelque chose?
M. Bailey : Je ne vais pas commenter la dernière intervention, mais nous avons nos propres points de vue nous aussi.
Votre question est la suivante : « À quoi ressemble l’avenir idéal pour vous et vos descendants? »
Réponse numéro 1 : nous voulons avoir la capacité de continuer à vivre selon notre mode de vie traditionnel. Numéro 2 : la reconnaissance des droits des peuples autochtones et le droit à l’autonomie gouvernementale. Numéro 3 : un traitement équitable de nos collectivités, à titre de collectivités des Premières Nations. Numéro 4 : le financement par le fédéral des programmes d’autonomie gouvernementale et des services uniques qui répondent à nos besoins uniques. Numéro 5 : de meilleures possibilités d’éducation pour nos jeunes et nos adultes qui veulent s’instruire. Numéro 6 : le plein emploi pour nos membres. Numéro 7 : des mesures de réparation touchant l’expulsion des Métis du parc national Wood Buffalo. Numéro 8 : tirer profit de tous les fruits de l’exploitation des ressources qui se trouvent dans les limites de notre territoire traditionnel. Numéro 9 : la conclusion d’un accord avec le gouvernement portant sur les revendications territoriales pour la reconnaissance de nos droits ancestraux, avec des transferts de capitaux équitables, des quantités de terres et le partage des redevances sur les exploitations minières.
Il faut que cela se fasse. Évidemment, vous pouvez voir une fracture entre les Premières Nations et les Métis. Cela nous est arrivé. Pendant 119 ans, nous avons été mis de côté, oubliés. Ils disent que nous n’étions pas là, mais nous étions présents. Nous sommes restés là. Comme vous pouvez le voir, en 1786, nous avons formé une communauté. Nous avons une assise territoriale. Nous pouvons le prouver. Nous pouvons prouver les titres ancestraux. Nous pouvons prouver tout cela.
Le gouvernement doit avoir des mandats souples pour ne pas être bloqué. Il doit faire les choses de manière juste et équitable, quelles que soient les circonstances. Regardez ce qu’on nous propose pour clore notre revendication finale. L’offre faite aux membres de la Première Nation de l’Akaitcho, nos voisins et nos cousins — ma mère fait partie de l’Akaitcho —, est deux fois supérieure à celle qu’on nous a faite. Nous devons vivre dans ces collectivités. Je dois signer un accord dont mon peuple métis sera fier dont il me félicitera : « Bon travail, Garry. Vous avez fait du bon travail. » Non, mon peuple ne serait pas content si je signais un tel accord, car on nous l’impose. Comme l’a dit le chef Fabian, c’est un système public. C’est ce que représentent beaucoup de ces revendications globales.
Les choses bougent un peu, mais nous avons besoin de votre aide pour avoir un accord équitable. Il faut que des programmes et des services soient mis en place aujourd’hui. Nous devons faire reconnaître nos terres, dans le parc national Wood Buffalo, et obtenir réparation aujourd’hui. Nous ne devrions pas avoir à attendre une revendication territoriale.
C’est ce que je voulais souligner. C’est ce que le gouvernement doit faire s’il veut une réelle réconciliation. La réconciliation avec les Métis me va. C’est nous qui avons subi un réel préjudice. Nous avons été délaissés durant 119 ans et il est temps de nous reconnaître. Nous sommes des descendants. Nous sommes le même peuple. Nous avons le droit de nous identifier en tant que Métis. Je n’ai pas à dire que je suis un Amérindien, car je ne suis pas un véritable Amérindien. Je suis de sang mêlé, mais j’étais ici. Mon peuple était ici.
La présidente : Merci. Vous avez été très clair. Les réponses que vous avez fournies à nos questions font partie de nos témoignages officiels. Tout ce que vous avez dit ici sera examiné et pris en considération. Cela ne va pas disparaître.
Sur ce, je suis désolée que nous n’ayons pas plus de temps. Je voudrais remercier le chef Fabian et M. Bailey de leur témoignage de cet après-midi.
(La séance est levée.)