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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 44 - Témoignages du 23 octobre 2018


OTTAWA, le mardi 23 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Avant de commencer la réunion, nous avons des documents en anglais seulement et j’aimerais avoir la permission des membres du comité pour les distribuer. Êtes-vous d’accord?

Des voix : D’accord.

La présidente : On peut donc les distribuer.

Bonjour. Tansi. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, soit ici dans la salle, soit sur le Web. Je tiens à reconnaître, au nom de la réconciliation, que nous nous réunissons sur des terres ancestrales non cédées des Algonquins.

Mon nom est Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan et j’ai le privilège et l’honneur d’être présidente du comité.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur ce à quoi pourrait ressembler une nouvelle relation entre le gouvernement et les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada. Nous continuons d’examiner les principes d’une nouvelle relation.

J’inviterais maintenant mes collègues sénateurs à se présenter en commençant par ma droite.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La présidente : Merci, mesdames et messieurs.

Revenons maintenant à notre étude. Nous accueillons ce matin — et nous sommes très heureux de les entendre — M. Harold Calla, président exécutif, Dana Soonias, membre du conseil d’administration, et Mark Podlasly, directeur de la Gouvernance du Conseil de gestion financière des Premières Nations. La parole est à vous. Je crois savoir que c’est M. Calla qui présentera la déclaration.

Harold Calla, président exécutif, Conseil de gestion financière des Premières Nations : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis toujours heureux d’être ici. Merci de me donner l’occasion et le privilège de comparaître. Je tiens moi aussi à souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel algonquin et à remercier les Algonquins de nous permettre de mener nos activités sur leur territoire.

Comme vous l’avez mentionné, je suis accompagné aujourd’hui de M. Dana Soonias, membre du conseil d’administration du Conseil de gestion financière des Premières Nations, et de M. Mark Podlasly, directeur de la Gouvernance du conseil. Ils ont tous deux participé à la production du rapport sur la gouvernance que nous avons présenté et dont vous avez tous reçu un exemplaire. Ils m’aideront à présenter le rapport et à répondre à vos questions.

Nous sommes ici aujourd’hui pour vous faire part de certaines choses dont vous devriez peut-être tenir compte lorsque vous rédigerez votre rapport sur ce que pourrait comprendre une nouvelle relation entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Au fil du temps, de nombreuses études ont été réalisées, et on a souvent tenté d’examiner cette relation. La Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ont fourni, selon moi, le cadre d’une telle conversation et cerné les principes et sujets dont il faut tenir compte.

La vraie question est la suivante : est-ce que les parties — la Couronne, qui est représentée par les gouvernements fédéral et provinciaux, et les Autochtones et leurs gouvernements — sont prêtes à franchir le seuil du changement transformateur décrit dans les principes et recommandations de la CRPA, de la CVR et de la DNUDPA? Je pense que la question mérite d’être répétée : sommes-nous prêts à franchir ce seuil? Si tel est le cas, alors nous devons conclure un accord de partage des compétences qui reconnaît, plutôt que d’éliminer, les droits ancestraux et issus de traités.

En ce moment, le gouvernement a clairement exprimé sa volonté d’amorcer le processus. Je dirais au comité — et en fait, je me répète, parce que je l’ai déjà dit souvent — que ces sujets sont trop importants pour faire l’objet de politiques partisanes. Ce que j’espère, tandis qu’approchent les élections fédérales, c’est que tous les partis pourront soutenir l’occasion et s’assurer qu’on ne fait pas du surplace pendant deux ans en attendant les élections pour ensuite reprendre le travail une fois un nouveau gouvernement élu par les Canadiens.

La mise en œuvre des principes de reconnaissance et de réconciliation renforcera la fédération tandis qu’on passe de façon progressive du statu quo à une nouvelle relation. Cette initiative aura une incidence sur tous les Canadiens. Elle insufflera la confiance nécessaire pour favoriser les investissements dans notre économie et améliorera la perception qu’a le monde du Canada à de nombreux égards.

Nous devons aussi reconnaître que nos collectivités autochtones ne sont pas toutes pareilles. Nos différences ne doivent pas être perçues comme une raison de ne pas envisager une nouvelle relation.

Une nouvelle relation ne se produira pas du jour au lendemain. Cependant, si on veut assurer un changement transformateur, le Canada et les provinces devront accepter les notions associées au partage des compétences et faire de la place aux gouvernements autochtones à la table des finances. Il faut déterminer là où des compétences exclusives s’imposent et là où les processus décisionnels seront partagés. En outre, il faut réfléchir aux situations dans lesquelles des différences sont reconnues et réglées et la façon d’y arriver. Des investissements seront requis pour permettre aux gouvernements autochtones d’avoir la capacité nécessaire d’être sur un pied d’égalité avec les gouvernements fédéral et provinciaux.

Ce que nous avons appris depuis l’adoption de la Loi sur la gestion financière des premières nations en 2005, c’est que les initiatives dirigées et mises en œuvre par les Autochtones non seulement sont possibles, mais en plus, connaissent beaucoup de succès. Bon nombre d’entre vous savez que le gouvernement a annoncé en décembre dernier la possibilité d’accorder des subventions sur 10 ans plutôt que de miser sur des ententes de financement annuelles. Je peux vous dire que 252 Premières Nations de partout au pays ont soumis des déclarations d’intérêt et que, du nombre, 176 ont fourni au Conseil de gestion financière des états financiers pour cinq ans. Nous avons examiné le dossier de 167 d’entre elles, et 152 respectent les seuils de rendement financier. C’est une énorme réussite, et, par conséquent, la capacité que nous fournissons en raison de notre engagement auprès des institutions des Premières Nations est, selon moi, une des raisons fondamentales pour lesquelles nous profitons d’une telle réussite.

Des investissements seront nécessaires pour permettre aux gouvernements autochtones d’acquérir la capacité nécessaire pour être sur un pied d’égalité avec les gouvernements fédéral et provinciaux. C’est quelque chose qu’il faut rappeler.

La Loi sur la gestion financière des premières nations, la Loi sur la gestion des terres des premières nations et la Loi sur le développement commercial et industriel des Premières Nations étaient des approches facultatives pour les collectivités autochtones qui ont décidé d’utiliser les outils pour se soustraire à la Loi sur les Indiens de façon sectorielle. Ce caractère facultatif et la capacité des Premières Nations d’aller de l’avant lorsqu’elles sont prêtes doivent être maintenus en tant que principes tandis que nous passons à une nouvelle relation. Ces outils ont été conçus pour soutenir l’exercice des compétences, renforcer la capacité de gouvernance autochtone et améliorer le développement économique permettant aux collectivités autochtones de devenir plus autonomes. Les nouvelles relations avec le Canada devraient, au minimum, permettre aux Premières Nations de devenir plus autonomes et indépendantes.

Depuis 2005, nous avons aussi pu constater les bénéfices liés à la dévolution de la prestation des programmes aux organisations autochtones comme l’Autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Cette organisation connaît beaucoup de succès et offre de meilleurs services à moindre coût. Dans le cadre d’une nouvelle relation, il faut investir dans le renforcement des institutions autochtones qui soutiennent les gouvernements autochtones. Nous devons soutenir les collectivités autochtones afin qu’elles se réunissent pour créer, ensemble, des économies d’échelle. De tels efforts devraient être encadrés par le soutien auquel les autres ordres de gouvernement ont accès au sein de la fédération.

Nous avons actuellement entrepris un processus de renforcement des institutions autochtones. Les gouvernements devront continuer d’assurer un leadership et de fournir un soutien tout en maintenant leur engagement tandis que nous envisageons et mettons en œuvre le type de changements systémiques nécessaires pour établir une nouvelle relation qui s’inspire de la CRPA, de la CVR et de la DNUDPA.

Alors que nous nous engageons dans cette voie, il faut nous encadrer. À d’autres occasions, j’ai demandé au comité de décrire à quoi ressemblerait selon lui le dossier autochtone dans 20 ans. Nous n’avons jamais vraiment répondu à cette question ni même tenté de le faire.

Ce que je vous dis aujourd’hui, c’est que c’est la voie à suivre. Vous pouvez regarder le diagramme à la page 34 du rapport. Nous avons l’occasion de mettre en correspondance tout ce que nous faisons dans le cadre de cette approche.

Le rapport propose un point de vue holistique quant à la portée des travaux qui nous attendent. Il cerne les types de sujets et d’enjeux qu’il faut aborder. Notre groupe consultatif nous a dit que tout le monde peut s’identifier au rapport, qu’on soit visé par un traité intervenu avant la Confédération, un traité numéroté, un cadre d’autogouvernance ou un traité moderne d’autonomie gouvernementale. Tout le monde peut se retrouver dans ce rapport.

Nous avons l’intention de demander au gouvernement les ressources pour passer à la phase 2 du présent rapport. Durant cette phase, nous tenterons de renforcer nos activités d’extension et les travaux de notre groupe consultatif afin d’examiner les collectivités et les nations qui bénéficient actuellement de l’autonomie gouvernementale ou qui sont visées par une entente sur l’autonomie gouvernementale.

Selon moi, nous avons une occasion historique. Je fais ce travail depuis 30 ans maintenant et je n’ai jamais eu l’occasion d’avoir ces genres de discussions à un niveau aussi fondamental. À la base, il s’agit de partager les pouvoirs et les compétences et d’arrêter les modalités permettant d’y arriver. Vous allez accueillir le commissaire en chef, Manny Jules, bientôt, et je m’attends à ce qu’il vous en dise plus sur la dimension financière de tout ça. Cependant, il faut qu’on nous traite comme des gouvernements. Nous avons besoin de titres de propriété de nos terres. Nous devons avoir la capacité financière de nous gérer en tant que gouvernement et nous avons besoin du soutien de la Couronne tandis que nous passons d’une économie fondée sur la dépendance à une économie moderne dans le cadre de laquelle nous contribuons au produit national brut du pays.

Je vais maintenant céder la parole à Mark, qui présentera un bref exposé, après quoi nous pourrons tous les trois répondre à vos questions. Merci.

Mark Podlasly, directeur de la Gouvernance, Conseil de gestion financière des Premières Nations : Merci. Mon nom ancestral est Thacha, et je suis membre de la Première Nation Nlaka’pamux dans le Centre-Sud de la Colombie-Britannique. Je m’appelle Mark Podlasly. Je suis directeur de la Gouvernance du Conseil de gestion financière.

Vous avez le rapport que Harold vous a remis tantôt, et, à la page 34, il y a le diagramme d’une roue que nous avons créé après de nombreuses consultations auprès des membres de notre Conseil de gestion et des membres de collectivités autochtones de partout au pays, pour essayer de concevoir un plan visant à aider les Premières Nations qui décident d’elles-mêmes de se retirer de la Loi sur les Indiens.

Créer la roue elle-même a pris beaucoup de temps. Je veux vous expliquer comment nous en sommes venus là et vous dire ce en quoi consiste chaque cercle. Je vous montrerai ensuite comment tout ça se rapporte à la DNUDPA, dans le cadre de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Un diaporama a été distribué. Il est sur le document plastifié. Malheureusement, la numérotation ne s’est pas imprimée de façon appropriée. Je commence à la page 6, celle où il y a le diagramme. C’est le petit cercle. Cela vous expliquera de quelle façon le cercle fonctionne et de quelle façon on en est venu là. Nous avons commencé par une pyramide lorsque nous avons commencé à établir une hiérarchie décisionnelle et de gouvernance avec nos membres, et ils n’aimaient pas ça. Les pyramides ne bâtissent pas des collectivités, mais les cercles, oui. C’est à la page 6. Le cercle en tant que tel a un certain nombre d’anneaux. Au centre, il y a la collectivité. Les dirigeants responsables de la gouvernance autochtone nous ont dit que les collectivités autodéterminées doivent être au centre, pas le ministère, pas la Couronne, mais les collectivités.

Si vous passez à la page suivante, la 7, nous définissons l’autodétermination telle que la notion est établie dans la DNUDPA. Nous avons défini la détermination comme relevant de trois domaines : l’autonomie, le besoin de contrôler le cours de notre vie en tant qu’Autochtones, les relations, le besoin d’avoir des relations positives avec les autres, et la capacité, soit le fait de pouvoir composer efficacement avec nos environnements.

Si vous passez à la page suivante, nous avons ajouté à ces principes liés à l’autodétermination les fonctions principales de gouvernance à commencer par les finances, dans le coin supérieur gauche, puis à l’identité de la nation, les décisions de gouvernance, la capacité d’avoir des collectivités durables et, bien sûr, la relation avec la Couronne. Vous remarquerez que, dans l’élaboration du document, la Couronne est considérée comme un partenaire égal des Premières Nations, et n’est pas au centre.

Passons à la page suivante, s’il vous plaît. Nous définissons les éléments de la compétence financière, du bien-être communautaire, assortis des éléments et des programmes connexes. C’est ici que Harold a souligné que toutes les collectivités du pays peuvent se voir dans la structure, parce que toutes les collectivités autochtones du pays affichent certains aspects de ces composantes. C’est lorsqu’on commence à ajouter ces composantes et à les réunir qu’on obtient un point de vue holistique de l’autodétermination.

La page suivante est un exemple d’une des collectivités des Prairies qui se sont inscrites dans ces domaines précis, mais vous remarquerez que ce ne sont pas tous les éléments qui s’appliquent. Ce que Harold a souligné lorsqu’il a parlé du besoin de franchir le seuil pour créer de nouvelles relations, c’est qu’il s’agit de savoir si le Canada et les Premières Nations sont prêts à passer au niveau suivant et à l’autodétermination complète.

Je passe à la page suivante. Tout ça est maintenu ensemble grâce à des mécanismes et des principes, la planification communautaire et le soutien institutionnel qui appuient la capacité des collectivités autochtones d’exercer leur autodétermination. Avec le reste du pays, dans le cadre des discussions qui ont eu lieu, bon nombre de ces éléments sont en place, les principes d’engagement des Autochtones, les mécanismes pour fournir un soutien financier et des structures financières nécessaires à la gestion des systèmes. Ensemble, ils forment un modèle qui, pour la première fois — c’est ce que nous avons constaté dans nos discussions partout au pays — représente visuellement la place que pourraient occuper les Premières Nations dans le cadre d’une nouvelle relation fondée sur les principes de l’égalité et de l’autodétermination.

Si vous passez à la page suivante, vous constaterez qu’il y a un logo des Nations Unies, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA. Lorsque nous avons mis au point le modèle, les membres de notre groupe consultatif ont dit très clairement qu’ils voulaient que nous nous assurions que les principes élaborés respectaient les 46 articles de la Déclaration. Si vous regardez sur le côté de la page suivante, ces 46 principes sont regroupés ensemble à environ 12 catégories. Si on prend ces 12 catégories, on peut voir les aspects qui ont imprégné toutes les voies vers la gouvernance dans une collectivité autochtone, pas seulement au Canada, mais à l’échelle internationale. L’article 19 sur le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause est souvent mentionné dans nos collectivités comme étant un aspect très important de la DNUDPA, mais ce n’est que 1 sur 46. Encore là, on adopte un point de vue holistique de ce à quoi la gouvernance peut ressembler selon une norme mondiale.

Si on prend ces 46 principes et qu’on les applique au cadre que nous avons décrit dans le document, on peut commencer à comprendre que ce qu’on a fait tient compte du contenu de la DNUDPA, des collectivités autochtones et de ce que le gouvernement du Canada a affirmé être son objectif en matière d’autodétermination des Autochtones. Si on prend ces 46 principes et qu’on les applique au cercle dans la roue, vous constaterez qu’il s’imbrique parfaitement dans le cadre : tout, du consentement préalable donné librement et en connaissance de cause aux enjeux liés à la santé, à l’éducation et à la participation aux aspects environnementaux... Tout a sa place.

C’est le mandat qu’on a reçu des groupes consultatifs : s’assurer que le cercle correspond aux collectivités partout au pays et respecte d’un point de vue international les principes de la DNUPDA. Nous vous présentons donc le cadre, qui est expliqué en détail au chapitre 3 du rapport complet que Harold vous a distribué précédemment. Merci.

La présidente : Merci, messieurs. Vous nous avez donné des renseignements très impressionnants.

Avant de passer aux questions des sénateurs, je veux vous poser une question rapidement. Vous avez mentionné votre groupe consultatif. Y a-t-il une liste dans tous ces documents des membres du groupe consultatif? Je crois que c’est important pour nous de savoir d’où venaient les conseils.

M. Calla : Madame la sénatrice, en effet. L’information se trouve dans le rapport complet. Vous verrez à la page 84 du rapport le nom de tous les membres du groupe consultatif. Le groupe était représentatif des gens à l’échelle du pays et de tous les milieux dans nos collectivités autochtones.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup de comparaître et de nous fournir tous ces renseignements extrêmement utiles.

Dans le rapport, à la page 72, vous mentionnez qu’une appréciation de l’importance cruciale du bien-être communautaire au chapitre de l’autodétermination et de l’édification des nations a émergé au cours des dernières décennies. Lorsque le comité s’est rendu dans le Nord et aussi dans certaines collectivités du Sud, bon nombre de collectivités s’intéressaient à des concepts comme le revenu de subsistance garanti. Il s’agissait pour eux d’un moyen d’accroître le bien-être, particulièrement, par exemple, lorsque des aînés veulent pouvoir partir avec des jeunes sur le territoire sans pouvoir le faire, parce que ces jeunes devaient rester en ville pour chercher des emplois qui n’existent pas afin de bénéficier de l’aide sociale. Selon vous, de quelle façon ces notions pourraient-elles s’intégrer les unes aux autres et quelles mesures de financement et de gouvernance faudrait-il inclure dans le cadre de la nouvelle relation financière entre la Couronne et les Premières Nations pour permettre des choses comme un revenu de subsistance garanti?

M. Calla : Merci de vos excellentes questions. Certaines des choses que vous avez mentionnées relèvent de la portée de la deuxième phase du processus.

Bien sûr, la nouvelle relation financière sera fondamentale dans le cadre du processus. Un protocole d’entente a été signé entre l’APN et le gouvernement du Canada, et les travaux avancent. La durabilité et le caractère suffisant du financement seront des caractéristiques cruciales qu’il faudra définir. Si je ne m’abuse, vous allez rencontrer Manny dans le prochain groupe de témoins, alors je ne veux pas lui voler la vedette, puisqu’il viendra justement vous parler de tout ça.

Évidemment, des pouvoirs financiers seront nécessaires pour renforcer la capacité des Premières Nations de soutenir leur développement économique et de bénéficier du développement économique en cours. Trop souvent dans nos territoires ancestraux, on voit des occasions de développement économique nous filer sous le nez et nous n’en bénéficions pas. Selon moi, ce à quoi on réfléchira, ce sont les outils pouvant soutenir le développement économique. La gestion des terres, l’accès à des capitaux et l’exercice d’une compétence fiscale sont des choses qu’il faudra définir complètement afin de créer une nouvelle relation financière.

Si les paiements de transfert doivent être une solution en soi, ça se serait déjà produit. Le déficit est maintenant si important que les paiements de transfert ne pourront jamais rattraper le retard. Je ne crois pas que la volonté soit là, mais il faut trouver une façon de donner à toutes les collectivités des Premières Nations et à l’ensemble des Autochtones la possibilité de bénéficier de la croissance de l’économie canadienne, et ce, de façon importante. C’est ainsi que je vois les choses.

Certains des enjeux politiques dont vous parlez doivent être élaborés. Ce n’est pas à moi de dire quelle doit être la solution à ce moment-ci, à part de définir le cadre de conversation relativement à des mandats qui sont très différents de ceux des organismes centraux actuels.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup de votre exposé très clair. J’ai hâte de lire tout ça. J’ai bien hâte d’examiner tout ça en détail.

J’ai beaucoup apprécié la façon dont vous avez présenté votre exposé, en nous montrant que c’est la collectivité qui doit être au centre. Et j’adore la façon dont vous n’avez pas jugé bon d’opposer, d’un côté, la Couronne, et vous, de l’autre. La Couronne est l’une de vos relations. Bien sûr, c’est l’une des relations qui nous concernent le plus, ici, aujourd’hui. Vous avez répondu, dans une certaine mesure, à la question qui était fondamentale selon moi. Vous parlez de franchir ce seuil très important et précisez que vous n’avez jamais été aussi près du seuil que maintenant, si je vous ai bien compris et nous sommes à vos côtés, tandis que vous vous libérez de la dépendance, un système qui n’a pas fonctionné et qui, en fait, vous a entraîné dans la direction opposée là où tout le monde veut aller, dans la direction de l’indépendance et de l’autonomie.

La Couronne, évidemment, a une immense responsabilité ici. Une partie de cette responsabilité concerne la structure financière. Elle doit aussi définir de quelle façon elle interagira avec vous. Il y a tellement de façons différentes, comme vous l’avez dit, dont les collectivités des Premières Nations dans les régions du pays veulent participer au développement économique, pas seulement de vos propres collectivités, mais du Canada.

C’est une immense question, et vous y avez déjà répondu en partie, mais ce qui nous intéresse, c’est cet élément, la Couronne, notre responsabilité dans tout ça. Pouvez-vous nous dire si vous prévoyez des obstacles précis? Y a-t-il des difficultés potentielles que vous envisagez peut-être entre là où nous sommes aujourd’hui et là où vous voulez vous rendre grâce au plan? Si vous pouvez nous souligner certains des problèmes possibles, nous pourrons mieux comprendre ce que nous pouvons faire.

M. Calla : Je vais tenter de le faire et j’inviterai les autres à répondre aussi.

Je crois qu’il faut créer le lien de confiance et renforcer la confiance progressivement, parce qu’il n’y en a pas en ce moment, et c’est quelque chose qui sera crucial. Il faut assurer la durabilité des initiatives que nous avons commencé à réaliser. L’élaboration des institutions des Premières Nations doit se poursuivre. Le gouvernement actuel a décidé de séparer le ministère en deux, prévoyant que Services aux Autochtones Canada finirait par être temporarisé, je crois que c’est le mot qui avait été utilisé. Temporarisé comment? Il doit être remplacé par les institutions des Premières Nations.

Nous devons avoir la patience nécessaire pour renforcer les capacités de nos gouvernements, et nous devons permettre la création d’un regroupement de Premières Nations afin de pouvoir soutenir les capacités nécessaires. Le meilleur exemple que je vous donnerai concerne un sujet dont j’ai déjà discuté ici, et c’est la Coalition de grands projets des Premières Nations qui a commencé en Colombie-Britannique et qui compte maintenant 47 membres dans cinq provinces. Il sera absolument crucial d’acquérir certaines de ces capacités de participer à un niveau technique et administratif dans le cadre de certains dossiers très complexes. Les services communs fournis aux collectivités des Premières Nations de façon globale devront faire l’objet d’investissements de la part du gouvernement.

Selon moi, le problème fondamental concernera la notion du partage de la prise de décisions et des compétences. Lorsque je regarde les seuils à franchir, le plus fondamental est souvent le suivant : est-ce que le Canada et les provinces se joindront aux Premières Nations à la table des négociations et en viendront à un consensus sur la façon dont on abordera toutes ces questions?

J’ai vu — encore une fois dans le cadre des travaux de la Coalition de grands projets — que la prise de décisions commune fonctionne. Je ne sais plus quand ils sont venus pour la dernière fois, mais ils ont élaboré, par exemple, un cadre de gérance de l’environnement élaboré et appliqué par les Premières Nations. C’est un sujet au goût du jour. Ce sont les genres de compétences partagées et de soutien dont on a besoin pour que les Premières Nations et les collectivités autochtones croient qu’on ne tente pas tout simplement de maquiller le statu quo. Il faut des processus décisionnels partagés.

J’aimerais croire que les gouvernements peuvent prendre l’initiative et ne pas continuer à dépendre de la Cour suprême du Canada pour nous donner une idée de ce dont il est question, ici. Un leadership audacieux sera nécessaire. Nous devons être en mesure de dire aux Canadiens pourquoi ces choses sont importantes et pourquoi elles seront avantageuses, et pas seulement pour les collectivités autochtones. Le coût social de la pauvreté n’est pas un coût que le pays peut continuer de se permettre, et il faut régler ces problèmes dans nos collectivités.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le sénateur Tannas : Merci d’être là. Comme toujours, votre exposé et vos documents sont précieux et clairs.

J’ai remarqué que, lorsqu’on regarde la DNUDPA dans le contexte canadien — au regard des Premières Nations — avec le grand crochet et la roue qui montrent là où sont les divers articles, le soutien institutionnel n’est absolument pas pertinent aux articles de la déclaration. Monsieur Calla, vous avez mentionné que nous sommes en voie de soutenir et de bâtir des institutions. Est-ce quelque chose que les personnes qui s’affairaient à New York à rédiger les articles de la DNUDPA n’ont pas vu dans d’autres sociétés autochtones du monde? Est-ce un domaine où nous sommes uniques? Et, par conséquent, est-ce une bonne ou une mauvaise chose?

M. Calla : À ce sujet, nous avons une longueur d’avance au Canada. En fait, nous revenons tout juste de l’Université Stanford. La Hoover Institution a organisé une conférence où nous avons parlé de beaucoup de ces choses. C’était intéressant de voir la réaction au rythme auquel les enjeux autochtones avancent au Canada. Je terminais mon exposé, et l’un de mes collègues de Californie a dit : « Je suis déprimé. » Je me suis dit : « Oh, non, qu’est-ce que j’ai fait? Qui ai-je offensé? » Et il a répondu : « Non, je croyais que nous avions une bonne longueur d’avance, et je viens de me rendre compte que nous avons beaucoup de retard. »

Le Canada est le chef de file mondial dans ce domaine, et nous devrions en tirer de la confiance. Il y a beaucoup de personnes qui nous regardent, des gens d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Amérique centrale et du Sud.

Lorsque le Canada a retiré son objection à la DNUDPA, les gens aux Nations Unies qui étaient les plus enthousiasmés étaient les collectivités autochtones d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, parce qu’ils avaient l’impression que les sociétés minières qui œuvraient là-bas se comportaient d’une façon qui n’était pas inclusive à l’égard des collectivités autochtones et que l’heure était venue d’y voir.

Le Canada a une longueur d’avance dans bien des dossiers, mais pas dans d’autres. Nous commençons à cerner certains domaines où nous pouvons nous améliorer. Beaucoup d’efforts et de travail seront requis des collectivités autochtones, et il s’agit pour ça de renforcer la compréhension et les connaissances. Il s’agit de bâtir des systèmes de gouvernance et d’acquérir la capacité de prendre notre place avec confiance dans le monde. Il faudra des investissements pour y arriver. C’est là où la Couronne peut jouer un rôle important. Il s’agit de soutenir le gouvernement en lui fournissant les ressources dont il a besoin pour permettre à nos collectivités des Premières Nations d’acquérir cette capacité.

Jusqu’à présent, nous en avons bénéficié. Au cours des 10 dernières années, franchement, nous avons bénéficié d’un tel soutien. Le gouvernement actuel a vraiment fait progresser tout ça. Il faut le féliciter, et tout ça doit se poursuivre parce que nous obtenons les résultats dont je crois que nous avons besoin.

M. Podlasly : J’ai une autre chose à ajouter. Lorsque vous avez mentionné sur le diagramme que le soutien institutionnel n’était pas précisé dans le cercle, si vous regardez plus loin, il y a des éléments dans ce quadrant. La DNUDPA est un document mondial qui établit les principes d’engagement auprès des Autochtones. La déclaration ne définit pas des programmes ou des institutions précis. C’est quelque chose qui revient à l’État nation et aux Autochtones. Comme Harold l’a souligné, le Canada a de l’avance en ce moment dans ce dossier. La façon dont on fera les choses sera une solution canadienne conçue en collaboration avec les Autochtones pour respecter les principes de la déclaration.

Le sénateur Tannas : Je voulais poser deux ou trois questions au sujet de la roue, parce que je crois qu’elle est formidable. Premièrement, pouvez-vous imaginer qu’un gouvernement autochtone du Canada rejette la roue et affirme qu’elle n’est pas le reflet de la situation qu’il envisage? En d’autres mots, avons-nous trouvé là quelque chose qui pourrait gagner le consensus de tout le monde au pays, des gens des quatre coins du pays, un point de départ? Dans la négative, quel pourcentage des gens — je veux votre estimation ou ce que vous savez — ne seront pas d’accord avec la proposition et voudront faire quelque chose de différent?

Ce qui m’amène à ma deuxième question. Pour en venir à la situation que vous avez décrite, il est selon moi clair que c’est quelque chose qui relève non pas du gouvernement, mais plutôt de la Constitution. Il faudra un référendum. Il faudra obtenir le soutien, dans un vote, de 95 p. 100 des résidants du pays qui ne sont pas autochtones. Par conséquent, nous allons avoir besoin de tous les efforts, de toute la clarté possible pour soutenir le mouvement et aller de l’avant. Voyez-vous les choses ainsi? Soit qu’un gouvernement peut le faire, et le prochain, l’abroger, deux pas en avant, puis deux pas en arrière? Ou est-ce plutôt quelque chose, selon vous, qui doit réunir les Canadiens et les Autochtones, ensemble, pour que tous, nous disions oui à quelque chose et qu’on aille de l’avant sans jamais qu’on puisse revenir sur la décision?

M. Calla : Wow. Je croyais que nous en avions terminé des discussions constitutionnelles.

Pour répondre à votre première question, les groupes consultatifs que nous avons consultés se sont reconnus là-dedans. Ce que nous voulons faire en partie durant la deuxième phase, c’est élargir la portée de nos activités d’extension et joindre beaucoup d’autres personnes. Je ne sais pas combien de personnes soutiendront nos efforts et combien s’y opposeront. La seule chose dont je suis sûr, c’est qu’il y aura les deux. Selon moi, c’est une réalité.

Pour ce qui est de votre deuxième question, je me souviens, en Colombie-Britannique, lorsque Gordon Campbell a été élu premier ministre, qu’il y a eu un référendum. Je ne suis pas partisan des référendums sur les droits des minorités. Je ne crois pas que c’est une mesure appropriée. Je crois que les Canadiens élisent un gouvernement et qu’il lui revient de se comporter d’une façon qui correspond à la Constitution du pays, Constitution selon laquelle il y a des droits ancestraux, des droits issus de traités et un droit à l’autonomie gouvernementale. C’est aux partis et aux personnes qui les soutiennent de déterminer ce que cela signifie de temps en temps.

J’aurais aimé que la Constitution soit plus précise. Ce n’était pas possible alors, et je ne suis pas sûr à quel point ce serait pratique et possible d’envisager un amendement constitutionnel maintenant. On jongle avec ces notions depuis deux ou trois ans, et la réception n’a pas été bonne. Selon moi, nous pouvons envisager certaines formes de mesures législatives qui pourraient soutenir l’initiative, mais, à un moment donné, c’est la volonté et l’intention des gens et des gouvernements qui déterminent si on va de l’avant ou non. Par conséquent, oui, un amendement constitutionnel aurait été utile à une lointaine époque. Selon moi, ce qu’on a obtenu alors, c’est tout ce à quoi on pouvait s’attendre à ce moment-là.

Selon moi, nous pouvons travailler dans le cadre des structures actuelles pour atteindre nos objectifs. J’ai l’impression que c’est ce qu’il faut faire. Je crois qu’il faut faire preuve de tolérance et reconnaître que cela n’a jamais été fait avant. Ce n’est pas tout ce que nous allons faire qui fonctionnera parfaitement, et il faut pouvoir faire preuve de souplesse et d’agilité tandis que nous allons vers l’avant, mais il faut continuer à aller de l’avant de façon à éradiquer la pauvreté et les défis sociaux auxquels nos collectivités sont confrontées — et d’autres collectivités au pays sont confrontées —, pour promouvoir le renforcement d’une économie et une saine gouvernance et devenir un modèle, franchement, que le reste du monde autochtone pourra suivre.

Je crois encore qu’on peut le faire dans les structures actuelles. Assurément, la Loi sur la gestion financière, la Loi sur la gestion des terres et la Loi sur le développement commercial et industriel sont toutes des lois qui pourraient, je suppose, être rejetées par un autre ordre de gouvernement qui arrive au pouvoir. La probabilité que cela se produise est minime, parce qu’on a montré pourquoi ces mesures sont efficaces. Ce que nous voulons, c’est une réussite, et nous pouvons y arriver grâce au dialogue et grâce à des mesures législatives définissant les responsabilités. L’objectif des lois, c’est que chacun d’entre nous puisse comprendre où nos responsabilités commencent et où elles prennent fin, et je crois que nous pouvons y arriver.

Le sénateur Christmas : Je vous remercie encore une fois d’être là, monsieur Calla, et merci du travail incroyable que vous avez accompli sur ce sujet. C’est très rafraîchissant. Vous avez été très clair. C’est aussi très instructif. Si jamais vous décidez de produire des affiches de certaines de ces roues de médecine, dites-le-moi. J’aimerais en afficher de toutes les sortes.

Monsieur Calla, vous avez posé une question très pointue au début de votre exposé. Si j’ai bien compris, vous avez dit : les parties sont-elles prêtes à franchir le seuil du changement transformateur? En répondant à un de mes collègues, vous avez mentionné que la confiance sera cruciale, et là où, selon moi, cette confiance devra exister, c’est lorsque nous parlerons du partage des compétences et de la prise de décisions.

Ma première question, monsieur Calla, est donc la suivante : de quelle façon pouvons-nous créer cette confiance? De quelle façon les deux parties — ou les trois parties si on ajoute les provinces — peuvent-elles commencer à établir cette relation de confiance afin que nous puissions permettre ce changement transformateur au Canada?

M. Calla : Je crois qu’on y arrivera grâce à des réussites progressives. Les gens doivent voir les percées sur le terrain, et tout ça doit avoir une incidence positive à l’échelle communautaire. Si nous parlons d’une nouvelle relation financière, les travaux qu’on réalise actuellement doivent se poursuivre, et ils doivent se solder par la capacité des collectivités des Premières Nations, au niveau communautaire, de constater les résultats. Les gens disent que toutes les politiques sont locales. Au bout du compte, nos chefs et nos conseils sont des politiciens locaux, et ils doivent pouvoir démontrer que c’est une réussite.

Je pense que tout ça découle aussi d’une volonté de participer à la croissance de l’économie canadienne et des recettes gouvernementales. C’était décourageant : j’étais au Sénat lorsqu’il y a eu un débat concernant le projet de loi sur le cannabis et le sujet, cet après-midi-là, c’était pourquoi il n’y avait pas de partage. Il y avait là une occasion en or de démontrer que les collectivités des Premières Nations peuvent, dans le cadre de nouvelles relations financières, partager la richesse créée par les gouvernements du pays. C’est une occasion ratée. Au bout du compte, on en revient à la question suivante : d’où les ressources viendront-elles?

Des réussites progressives renforceront la confiance, et je crois que nous voulons des approches progressives. Je ne sais plus combien de fois nous avons essayé de frapper un circuit, mais en vain. Nous devons pouvoir apporter des rajustements et relever les défis auxquels nous serons confrontés. C’est la raison pour laquelle les mesures de soutien institutionnelles sont si cruciales. Je considère les travaux de la Commission consultative de la fiscalité indienne et de la Commission de la fiscalité des Premières Nations comme des exemples classiques des genres de mesures de soutien qui sont nécessaires pour que l’on puisse s’assurer que les compétences sont gérées de façon à susciter la confiance à l’égard de nos gouvernements autochtones. Nous avons besoin de ces genres de mesure de soutien pour y arriver.

Si nous faisons ces genres de choses, alors les gens dans nos collectivités vont commencer à voir que nous n’abandonnons pas leurs droits ancestraux et leurs droits issus de traités et qu’ils ne seront pas moins des Indiens parce qu’ils participent à des activités en tant que gouvernement moderne. Je crois que c’est quelque chose qui aidera, et ce, de façon exponentielle. Lorsque la Loi sur la gestion financière a été adoptée, on ne prévoyait pas que 250 collectivités participeraient, et c’est le cas aujourd’hui. Lorsque les occasions sont offertes aux collectivités et qu’il est clair que les outils que nous élaborons peuvent leur être bénéfiques, elles iront de l’avant.

Le sénateur Christmas : Une fois que nous poursuivrons cette démarche de partage des compétences avec le gouvernement du Canada et avec les provinces et les territoires, l’une des impressions que j’ai eues, c’est que ces gouvernements ont l’impression qu’ils perdront quelque chose, qu’ils sont menacés par nos lois. Il semble que les autres parties deviennent mal à l’aise lorsqu’on parle du partage des compétences.

Vous avez mentionné que tous les Canadiens peuvent bénéficier du modèle que vous avez décrit, et je crois que c’est important pour les Canadiens de comprendre qu’ils sont aussi des gagnants. Ce ne sont pas seulement les Autochtones et les collectivités autochtones, mais tous les Canadiens qui seront des gagnants grâce au modèle. Pouvez-vous expliquer en quoi le Canada et les provinces sortiront gagnants de la mise en œuvre du modèle?

M. Calla : Ils peuvent gagner de deux façons. La première, c’est simplement d’avoir fait la bonne chose. Si nous nous retrouvons dans cette situation, ce n’est pas parce que nous l’avons cherché. On nous a mis dans cette situation, et cela doit changer. Je pense que c’est un des plus grands avantages.

Fait plus important encore, si nous voulons prospérer dans ce pays et maintenir notre niveau de vie, nous devons être un lieu attirant pour les investissements et les ressources humaines, et je crois que ce n’est pas le cas en ce moment. Le gouvernement du Canada s’est retrouvé dans la position d’avoir à acheter un pipeline pour confirmer et créer la certitude que ce projet pourrait aller de l’avant. Le secteur privé n’allait pas investir dans ce projet.

Récemment, nous avons vu un projet de GNL aller de l’avant en Colombie-Britannique. Cela aurait pu être fait il y a six ans.

L’incertitude naît s’il n’y a pas de volonté d’aller à la table pour reconnaître une compétence partagée, et les solutions qu’on a trouvées dans la Coalition de grands projets pourraient améliorer les possibilités de développement économique des provinces et des économies régionales locales. Les Canadiens pourraient en profiter. Nous pouvons commencer à apporter des contributions au produit national brut plutôt que d’augmenter le coût du filet de sécurité sociale. Nous pouvons réduire les tragédies dans nos collectivités — la consommation de substances, les suicides — qui touchent non seulement nos collectivités, mais aussi les collectivités non autochtones qui nous entourent dans ces régions rurales. Je crois que c’est ainsi que les Canadiens peuvent profiter, et je crois qu’ils constateront que leur économie régionale prospérera.

Je suis d’accord avec vous, parce que je m’entretenais avec l’Union des municipalités de la Colombie-Britannique en septembre et je parlais des ajouts aux réserves, et un gars est venu me dire : « C’est une perte fiscale. Nous perdons de l’argent des contribuables. » J’ai répondu : « S’il vous plaît, ce n’était pas votre territoire au départ. C’est un territoire traditionnel non cédé. » J’ai ajouté : « À votre avis, de qui allons-nous obtenir les services? Pensez-vous que nous allons construire un service de police, un service d’incendie et des usines de traitement des eaux usées dans certaines de nos collectivités? Nous allons acheter les services de vous. Nous pouvons créer des regroupements. Nous pourrions peut-être en fait nous entraider pour réduire le coût de la fourniture de services en nous unissant. »

C’est ce genre d’imaginaire que nous devons créer. Nous parlerons alors d’un organisme d’infrastructure. Nous devons examiner les différents modèles d’approvisionnement et la façon moderne d’exercer des activités, et nous devons soutenir le fondement juridique pour que cela se produise.

Le sénateur Christmas : Merci.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés très détaillés et de tout le travail que vous avez fait. C’est très encourageant à voir.

Ma question est la même que celle du sénateur Christmas quant au fait de savoir si les parties sont préparées à franchir le seuil, mais ma question concerne le gouvernement.

Lorsque je regarde les collectivités et la vitesse avec laquelle elles progressent, je vois qu’elles retrouvent une bonne partie des enseignements qu’elles ont reçus et qu’elles retrouvent leur spiritualité. Nous finirons par y arriver. Une de mes aînées, Betty Deer, a dit quelque chose lorsque nous examinions les questions du consentement, et cela remonte au formulaire de consentement, il y a environ 15 ans. Je lui ai dit : « Oh, parfois j’ai très peur. » Elle a répondu : « Ma chère, n’ayez pas peur. Quand il sera temps pour nos gens d’avancer, ils le feront très rapidement. » Je n’oublie pas cela.

Ce qui me préoccupe, c’est que nous pouvons être bien préparés pour aller de l’avant, mais comme nous ne vivons plus seuls dans ce pays, compte tenu de toutes les réalités interreliées qui sont les nôtres, comment allons-nous chercher l’appui du gouvernement quand il n’a pas été prêt à nous rencontrer? Il utilise les bons mots et il a les principes, mais une bonne partie des choses continuent d’être faites de façon unilatérale. Ce qui me préoccupe, c’est que nous pouvons aller de l’avant, mais cela va se poursuivre. Cela tient au déséquilibre du pouvoir, mais aussi à la politique, à la politique partisane. Quelles recommandations présenteriez-vous au comité sur la façon d’aider à faire progresser le processus?

M. Calla : C’est une boule de cristal. Je me rappelle la première chose que feu le chef Joe Mathias, de la nation Squamish, m’a dite : « Vous devez aller à la table. » En tant qu’Autochtones, la première chose à faire, c’est accepter l’offre de participer à la discussion et nous préparer à aller à la table. Si vous n’y allez pas, il n’y a pas d’impératif de la part du gouvernement de faire quoi que ce soit d’autre que maintenir le statu quo, donc nous devons y aller et présenter notre position, pas celle de la bureaucratie ou du gouvernement, mais notre propre position. Il nous faut cette capacité si nous voulons pouvoir le faire.

Quand je dis que les gouvernements des Premières Nations ont à leur disposition les mêmes capacités que d’autres gouvernements au sein de la Confédération, c’est ce qui manque en ce moment. Bon nombre de nos collectivités sont tellement préoccupées par la gestion de la fourniture des programmes et des services qu’elles n’ont pas l’occasion d’examiner le tableau d’ensemble de cette gouvernance et ce à quoi il pourrait ressembler. Nous devons le faire. Nous espérons que ce rapport et les autres qui suivront déboucheront sur la détermination de ces outils nécessaires pour fournir et renforcer cette capacité afin de nous permettre de fonctionner comme gouvernement. Je pense que c’est d’abord et avant tout ce que nous devons faire.

Je crois que l’éducation sera essentielle. Je crois que du bon travail est fait par des organisations, comme l’Association des agents financiers autochtones du Canada, qui doivent être appuyées et doivent continuer de favoriser la littératie, et pas seulement dans nos collectivités. Je sais qu’il existe une initiative de la littératie financière pour tous les Canadiens. Je crois que celle-ci doit aussi comporter un volet autochtone.

Trop souvent, lorsque nous sortons de nos collectivités, nous ne voulons pas parler des collectivités autochtones ni des enjeux touchant les Autochtones, et je crois que les Canadiens doivent en savoir davantage au sujet des circonstances et, en particulier, de ce que nous gagnerions en tant que pays si nous avions une économie autochtone revitalisée, parce que nous en avons eu une. Nous en avons eu une, et celle-ci nous a été retirée. C’est ce que la Couronne a fait, et celle-ci doit faire partie de la solution pour la ramener. Pour ce faire, je continue de dire qu’on doit franchir le seuil philosophique selon lequel il s’agit d’une décision partagée, d’une compétence partagée et de ressources fiscales partagées. Il ne s’agit pas d’un système de transfert qui dépend de la générosité des crédits parlementaires; nous devons aller au-delà de ça. Il y aura toujours des transferts, et ils sont importants et ils doivent être légitimes, mais nous devons pouvoir faire croître l’économie canadienne dans nos territoires traditionnels et partager les ressources qui sont retirées de nos territoires traditionnels, et cela se fait au moyen du partage des pouvoirs financiers et de la compétence par rapport à la façon dont ces ressources sont exploitées et aux répercussions environnementales cumulatives connexes.

La présidente : Il ne nous reste que trois minutes environ. Nous avons deux intervenants de plus, le sénateur Patterson et la sénatrice McPhedran.

Le sénateur Patterson : C’est très intéressant, et je pense que c’est très opportun pour notre étude. C’est toujours formidable de vous recevoir au comité.

Je vais vous poser une question très brève. J’aime ce que j’entends ici et je crois que nous devrions soutenir vigoureusement la deuxième phase. Je pense que vous avez abordé la question de façon très efficace. Si vous me permettez de le mentionner, on nous a aussi promis un cadre des droits, un engagement majeur du premier ministre, et j’ai cru comprendre que cela visait à créer une nouvelle façon pour le Canada de dialoguer avec les Premières Nations au sujet de leurs droits. Cela s’inscrit-il dans ce que vous faites ou allez-vous entreprendre cette initiative?

Ensuite, je m’interroge au sujet de l’initiative du ministère des Relations Couronne-Autochtones. Nous disposons de quelques notes d’information sur les efforts réalisés dans ce domaine et sur certaines réussites, mais vous avez affaire aux Services aux Autochtones. C’est le ministère qui vous a appuyé durant votre première phase. Je me demande seulement si vous auriez des choses à dire à ce sujet. Êtes-vous lié à RCAAN et au cadre des droits ou devrions-nous nous concentrer sur la deuxième phase?

M. Calla : Vous soulevez une question intéressante, parce qu’on nous a posé la question, en tant qu’institutions, à savoir duquel des deux ministères nous devrions relever. Ce que nous avons répondu, c’est que nous relevons des deux. Nous assurons le renforcement des capacités pour examiner le renforcement institutionnel afin de soutenir la prestation de services, mais comme nous l’avons dit, nous voulons faire partie de l’avenir, pas du passé. Ce qui compose en partie l’avenir, ce sont les Relations Couronne-Autochtones. Ce travail ne devrait pas dépasser le cadre des droits et de la reconnaissance. Il devrait le soutenir.

En l’absence de cette législation, cela nous fournit les assises pour continuer le travail. Je ne veux pas être retenu dans ce processus pendant que nous attendons un texte de loi. Nous avons des gens dans les collectivités qui ont besoin de soutien dès maintenant. Nous devons faire avancer ce programme. Je crois qu’il devrait y avoir un texte législatif, mais je ne veux pas que ce travail soit arrêté parce que nous n’arrivons pas à un consensus au sujet de ce à quoi la législation devrait ressembler.

Nous pouvons faire ce travail pour aider à soutenir la mise en œuvre de cet ensemble de travaux quand on y sera arrivé, et nous ne le perdrons pas de vue. Toutefois, à mon avis, nos institutions soutiennent les collectivités autochtones. Il ne revient pas à nous de dire au gouvernement comment il veut s’organiser. Il doit prendre certaines décisions. Notre responsabilité à l’égard de notre collectivité consiste à appuyer ces collectivités lorsqu’elles interagissent avec n’importe quel ministère fédéral. Nous venons en fait d’informer les deux ministères, en tant qu’institution, que nous devons jouer un rôle avec eux et que nous voulons continuer de les soutenir tous deux comme ministères dans le cadre de l’atteinte de leurs objectifs.

Le sénateur Patterson : Comment pouvons-nous aider? Vous aviez un objectif final ambitieux pour la deuxième phase de mars 2019, où le travail serait fait avant la prochaine élection. Comment pouvons-nous vous aider à faire avancer cela?

M. Calla : Eh bien, vous nous aidez en nous recevant ici aujourd’hui et en nous permettant de prendre la parole à ce sujet, de créer une certaine sensibilisation à l’égard de cet ensemble de travaux et en nous donnant cette occasion qui nous est présentée. Je pense que c’est capital. Les parlementaires discutent entre eux ici, et je crois que cela ne ferait pas de mal au Sénat de pouvoir dire au gouvernement : « Nous avons aimé ce que nous avons vu. C’est une bonne chose. Nous espérons que vous poursuivrez vos travaux. » Je crois que c’est une attente que nous accueillerions favorablement, le fait que vous soyez en mesure de dire ces choses.

C’est au gouvernement de décider qui nous fournira les ressources. Que ce soit SAC ou RCAAN, cela nous importe peu. Nous devons juste être préparés à ce que ce travail, qui a de la valeur à nos yeux, puisse continuer et soutenir les autres processus qui interviennent — le protocole d’entente de l’Assemblée des Premières Nations et du gouvernement du Canada portant sur une nouvelle relation financière. Cet ensemble de travaux peut appuyer ces initiatives. La durabilité et la suffisance du financement sont essentielles, assurément, à la réussite de ces choses. Nous nous assoyons à ces tables. J’ai maintenant été invité à faire partie du secrétariat consultatif sur les relations financières avec le Canada et l’APN. Nous dialoguons, tout comme les institutions, avec ces groupes afin de créer cet effort coordonné.

La présidente : Notre temps est écoulé, et nous avons un autre témoin. Je suis désolé, mais nous devons terminer la période de questions ici. Au nom du comité, j’aimerais remercier nos témoins ce matin d’avoir comparu devant nous et de nous avoir fourni la documentation au sujet du travail qu’ils ont fait jusqu’à présent.

Nous accueillons maintenant notre deuxième témoin ce matin, le commissaire en chef Manny Jules, de la Commission de la fiscalité des Premières Nations. Monsieur Jules, la parole est à vous. À la suite de votre exposé, nous entendrons les questions des sénateurs.

C.T. (Manny) Jules, commissaire en chef, Commission de la fiscalité des Premières Nations : Merci. Cela fait plus de 40 ans que je viens dans cette petite ville, et j’ai l’impression qu’on y arrive presque.

Il y a 100 ans, les vétérans ont combattu durant la Première Guerre mondiale, et avant cela, dans la guerre des Boers, puis dans la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi je porte cette épinglette aujourd’hui, pour les honorer. J’aimerais que vous tous, les sénateurs, invitiez leur esprit à nous accompagner aujourd’hui et que vous vous rappeliez que tous les vétérans qui ont combattu — et ils sont nombreux à avoir péri dans ces conflits loin de la maison — l’ont fait sans citoyenneté canadienne. Ce n’est qu’en 1958 que nous avons été reconnus comme Canadiens. Tandis que nous délibérons et parlons de l’avenir, le passé nous guide et nous permet d’aller de l’avant, sachant que nous accompagnent leurs forts esprits.

Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je m’appelle Manny Jules, et je suis commissaire en chef de la Commission de la fiscalité des Premières Nations, même si on parlera peut-être un jour de la « commission taksis ». Comme je l’ai dit au comité lors de ma dernière comparution, le mot qu’on utilise pour parler de « taxes » dans notre langue commerciale chinook traditionnelle, c’est « taksis ».

J’aimerais faire une petite digression. J’ai devant moi une traduction du Kamloops Wawa, qui parle du voyage en Europe du chef Louis et du chef Chelahitsa. Après le repas, le chef Louis voulait voir tous ses gens dans la maison du catéchisme. La maison du catéchisme a été construite à l’aide de taksis, et c’était aussi le centre de notre activité politique dans nos collectivités. Il leur a dit qu’il voulait aller voir le pape à l’étranger avec le prêtre. Tous les hommes se disaient que c’était une bonne chose et ont décidé de l’aider, fournissant chacun une tonne de foin, donc 30 tonnes au total.

C’est important, car cela démontre que nos gens partageaient. Le voyage n’avait pas pour seul but de rendre visite au pape; c’était aussi de s’arrêter ici, à Ottawa, pour parler de la question territoriale, ainsi qu’à Londres, pour rencontrer le roi.

En chemin, le chef Louis s’est dit qu’il y aurait une foule de cerfs qui voyageraient de Kamloops à Revelstoke, et il demandait toujours au train de s’arrêter. Il était 8 heures à Kamloops, mais 9 heures là-bas. Le soleil, la lune et les étoiles se lèvent ici une heure plus tôt qu’à Kamloops. Puis, nous avions faim, et nous sommes allés à un wagon, où on nous a donné de la nourriture. Il y avait beaucoup d’assiettes. Deux cuillères, deux couteaux et trois fourchettes par personne. Le chef Louis a dit : « Eh bien, quand je retournerai à la maison, je dirai à ma femme qu’elle devrait mettre deux cuillères, trois couteaux et trois fourchettes pour que je puisse manger, et je serai alors grand chef. »

À Londres, ils ont essayé de rendre visite au roi George, mais bien sûr, il était toujours parti à la chasse. Le chef Louis a fini par lui écrire une lettre dans laquelle il disait très bien comprendre la situation, que le chef était en train de chasser, car il faisait la même chose. Ils ont aussi visité le musée à Londres et ils ont vu tous les types d’oiseaux et d’animaux possibles. Le chef Louis a vu le coyote là-bas, et le coyote est notre maître. Il a été ramené et envoyé par l’ancien, le Créateur, afin de bien faire les choses pour nous, d’apprendre à vivre sur le territoire. Il riait devant le coyote en plein milieu de Londres. Il n’arrivait pas à y croire.

Il a aussi visité Fort William, puis, de Montréal — j’ai oublié de mentionner cette partie —, il s’est arrêté pour visiter le lieu de naissance des Beatles à Liverpool. Il est allé à la tour Eiffel. Un des chefs ne voulait pas monter parce qu’il avait trop peur. Il est allé rendre visite au pape pour lui demander de nous soutenir dans notre lutte pour l’obtention de titres de propriété et de droits territoriaux. C’est aussi très vrai pour les Micmacs de l’Est, avec les traités papaux.

Nous voulons vous remercier de nous avoir donné l’occasion de comparaître comme témoins devant le comité dans le cadre de votre examen et du rapport sur une nouvelle relation entre le Canada, les Premières Nations, les Inuits et les Métis. J’aimerais d’abord prendre un moment pour vous renseigner au sujet du travail de la Commission sur le dossier du cannabis.

Le 28 février, j’ai comparu devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones dans le cadre de votre étude concernant la Loi sur le cannabis. À l’époque, j’ai exprimé mes préoccupations selon lesquelles notre compétence fiscale n’était pas reconnue dans le cadre de la légalisation du cannabis. J’ai aussi souligné que nous avions demandé qu’elle soit reconnue avant l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, en avril 2017.

Comme vous le savez, le 6 juin 2018, les ministres Philpott et Petitpas Taylor ont écrit une lettre au comité pour donner suite aux préoccupations soulevées par le projet de loi C-45. Le gouvernement s’est notamment engagé à discuter avec la Commission de la fiscalité d’arrangements concernant le partage et l’imposition des revenus provenant du cannabis.

Je peux déclarer que la Commission de la fiscalité s’est depuis engagée dans des discussions avec des représentants du ministère des Finances pour réagir aux enjeux que j’ai soulevés en février. Notre première rencontre s’est tenue au début septembre, et nous continuons de nous réunir.

La Commission de la fiscalité s’efforce de créer un modèle en fonction duquel une Première Nation peut recevoir une part des revenus générés par l’imposition du cannabis. Nous avons fait valoir que nous avons besoin de ces revenus autant, voire plus, que les gouvernements provinciaux. Nous devons également fournir bon nombre des mêmes services. Si nous ne touchons pas une part, cela va exacerber les disparités qui existent déjà.

J’espère aussi que nous avons tiré des enseignements de notre expérience avec les taxes sur le tabac. La décision du gouvernement fédéral de priver les Premières Nations de la possibilité de se partager la compétence relative aux taxes sur le tabac a conduit à la vente de cigarettes non marquées, ce qui a entraîné des pertes de revenus importantes pour tous les gouvernements. Cela a compromis notre capacité de mettre en place un système réglementaire qui protège les enfants. Cela a compromis les normes des produits et de santé, et ces résultats ne sont dans l’intérêt de personne.

S’il y a une compétence fiscale juste et un mécanisme de partage des revenus en place, il y aura alors moins d’incitatifs pour que de soi-disant marchés gris s’implantent sur nos réserves.

Le partage de la compétence fiscale et des revenus provenant des droits d’accise des Premières Nations a été un sujet d’intérêt dans le cadre de nos discussions avec des représentants du ministère des Finances. Le fait d’accorder des pouvoirs fiscaux et réglementaires habilitants aux Premières Nations qui le souhaitent a été un autre sujet d’intérêt dans le cadre de ces discussions. Nous examinons les options et proposons des suggestions.

J’ai aussi dialogué avec des représentants de Santé Canada et je vais rencontrer ces représentants plus tard aujourd’hui pour discuter du point de vue de la Commission à l’égard d’un cadre approprié concernant la sécurité et la santé publiques sur les réserves.

La Commission estime qu’il sera important que les représentants de Santé Canada et du ministère des Finances reçoivent un mandat assez vaste pour nous aider à créer un système fiscal et réglementaire complet sur les revenus provenant du cannabis des Premières Nations. J’espère que le Sénat soutiendra notre approche.

Ce modèle de partage des revenus et d’imposition est important, mais on doit l’examiner dans le contexte d’un plus grand enjeu, c’est-à-dire la nouvelle relation financière avec les Premières Nations.

Soyons clairs : lorsque je parle de relation financière, je ne parle pas juste d’un système de subventions gouvernementales. Je parle d’une relation financière comme celle qui lie les gouvernement fédéral et provinciaux. Ce sont les arrangements en vertu desquels des gouvernements s’attribuent l’un l’autre un espace fiscal et décident qui paie pour ce service.

Nous devons tenir compte de tous ces éléments, parce que nous avons besoin d’une nouvelle relation financière qui rejette une fois pour toutes l’idée selon laquelle les Premières Nations doivent, aujourd’hui, et à jamais, s’asseoir avec des représentants non élus du gouvernement pour négocier l’ensemble de leurs priorités gouvernementales et de leurs montants de financement.

Nous devons aussi rejeter l’idée que nos revenus doivent, au final, être laissés à la discrétion d’autres gouvernements. Une nouvelle relation financière doit nous donner des revenus qui sont sûrs et elle doit réduire la portée des ententes de financement, de sorte que nous puissions aller de l’avant en prenant plus de décisions qui nous touchent de près.

C’est pourquoi je veux réclamer ces nouveaux revenus pour créer ce que j’appelle un compte de compétence des Premières Nations. Ce compte aurait trois attributs importants : premièrement, il financerait les services et remplacerait les transferts; deuxièmement, ses revenus ne seraient pas assujettis à des mesures de récupération unilatérales; troisièmement, les services qu’il financerait ne seraient pas du ressort d’autres gouvernements. Cela serait conforme à la signification voulue d’autodétermination ou de relations de nation à nation.

Certes, ce serait un réel changement, mais ce n’est pas un modèle sans précédent et qui n’a pas fait ses preuves. Nous l’avons démontré dans la suite des choses lorsque nous avons élaboré la Loi sur la gestion financière des premières nations. Cette loi a établi pour nous un mode de perception de revenus, mais aussi d’utilisation de ces revenus à l’extérieur de la Loi sur les Indiens. En vertu de la Loi sur la gestion financière des premières nations, il n’y avait pas d’agents de financement ministériels qui demandaient des rapports, qui déterminaient nos priorités ou encore décidaient de ce qui valait ou non la peine d’être financé. Ils n’exerçaient aucun pouvoir discrétionnaire quant à la quantité de revenus que nous recevions.

Cela s’est révélé un modèle réussi à bien des égards. Aujourd’hui, près de 270 Premières Nations participent à la Loi sur la gestion financière des premières nations. Elles ont créé ces revenus bien au-delà de ce qui était prévu au départ. La plupart d’entre elles sont devenues de grandes contributrices à leur économie régionale, grâce à des infrastructures et à des services grandement améliorés.

La Loi sur la gestion financière des premières nations a établi d’autres précédents utiles qui s’appliqueraient au compte de compétence. Nous avons établi un système de vérification et d’application par les tiers. Nous l’avons créé depuis les nations jusqu’en haut. Toutefois, et je crois que mon collègue, M. Calla, en a peut-être déjà parlé, cela a été créé parce que nos membres et les contribuables voulaient ce niveau de reddition de comptes, et nous savons que les évaluations de tiers sont un élément essentiel d’un bon gouvernement.

J’espère que nous pourrons nous en inspirer pour appuyer l’élaboration d’une bonne politique d’accès à l’information pour les institutions créées par la Loi sur la gestion financière des premières nations. La Commission de la fiscalité a proposé des amendements de la Loi sur l’accès à l’information, qui sont actuellement à l’étude devant un autre comité sénatorial, et j’espère que nos amendements seront acceptés.

La relation financière dont je parle permet aux Premières Nations d’avoir un meilleur contrôle sur leurs revenus. Cela leur permet de participer de façon plus équitable à la réussite de leurs régions. Cela leur permet d’assumer la responsabilité. En fait, c’est conforme aux pratiques exemplaires du gouvernement qui ont été établies partout dans le monde. J’ajouterais une autre chose : cela établit un vrai cadre de nation à nation.

Ce modèle nous permettra de démanteler graduellement et raisonnablement la Loi sur les Indiens. Nous créerons de l’espace pour des recettes. Nous créerons une législation habilitante qui permet aux Premières Nations d’accepter la pleine responsabilité lorsqu’il est logique de le faire. Nous utiliserons des institutions de soutien pour les appuyer. Ensemble, ces mesures remplaceront graduellement le ministère fédéral des Affaires autochtones.

C’est devenu possible grâce à votre appui solide. J’ai hâte de continuer notre excellente relation de travail pour que nous puissions élaborer un cadre financier et réglementaire sur les revenus provenant du cannabis des Premières Nations d’ici avril 2019.

Ne nous arrêtons pas là. Engageons-nous à créer une option de relation financière qui repose sur la compétence des Premières Nations. Engageons-nous à élargir nos pouvoirs relativement aux taxes afin d’inclure les taxes sur le tabac, la TPS et les taxes sur les ressources. Créons un organisme d’infrastructure et d’autres institutions pour remplacer les Affaires autochtones.

Continuons de détruire de manière créative le colonialisme au moyen d’innovations au chapitre de la législation et des institutions des Premières Nations. Créons une meilleure fédération, et plus inclusive, qui tient enfin compte de nos gouvernements.

Faisons tout cela dans l’esprit de mes prédécesseurs, qui ont dit dans la cérémonie à la mémoire du premier ministre Laurier, il y a plus de 100 ans : « Nous devons nous entraider pour être bons et justes. »

Merci.

La présidente : Merci. Cédons maintenant la parole aux sénateurs pour la période de questions.

La sénatrice Coyle : Merci d’être avec nous, monsieur Jules. Encore une fois, c’était un exposé inspirant, très instructif et fort ambitieux, ce qui est toujours agréable à entendre.

J’aimerais connaître plus de détails au sujet du compte de compétence des Premières Nations. C’est un nouveau véhicule intéressant qui est proposé ici. Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails à ce sujet? Aussi, en même temps, vous pourriez peut-être évoquer la Loi sur la gestion financière des premières nations et toutes leçons que vous auriez pu en tirer? Je sais que cela ne s’est pas produit du jour au lendemain et que des choses continuent de se produire en ce qui concerne le niveau de participation, entre autres; qu’est-ce qui pourrait s’appliquer à ce que vous proposez ici?

M. Jules : Je vais commencer par la Loi sur la gestion financière des premières nations. Sa genèse remonte à la Colombie-Britannique, dans les années 1960, lorsque les collectivités luttaient pour obtenir une compétence fiscale sur nos territoires. Cela regroupait les collectivités de Kamloops, de Squamish, de West Bank, de Sechelt et de Musqueam. Au final, cela a débouché sur tous les textes législatifs optionnels dont dispose le Parlement aujourd’hui, ceux qui ont trait non seulement à la compétence fiscale, mais aussi au Conseil de gestion financière des Premières Nations, à l’Administration financière des Premières nations et à la Commission des terres des Premières Nations. Toutes ces initiatives sont nées, car nous voulions avoir une compétence et prendre notre vie en main.

L’autre chose qui est vraiment importante à examiner, c’est la récente affaire judiciaire Mikisew Cree, où le Parlement a compétence sur ces affaires et où nous devons pouvoir participer au processus législatif parlementaire, un des processus les plus importants. Si nous n’avions pas attrapé le projet de loi sur le cannabis avant qu’il aille au Sénat, nous aurions raté cette occasion. Ce sont donc toutes des leçons qui doivent nous faire avancer, et nous ne pouvons jamais oublier le passé.

Ce qui est important, c’est de reconnaître le rôle très important du Parlement, le rôle important du Sénat et aussi celui, à mon avis, qui est capital... L’optionalité que les Premières Nations veulent pouvoir mettre de l’avant. Nous voulons faire partie du cadre fédéral, pas en être isolés.

Lorsque je parle de la question du fonds de compétence, je crois que c’est la meilleure façon de régler la question de la compétence fiscale. En ce moment, comme je l’ai dit dans le document, à mesure que nous commençons à aller de l’avant, nous devons le faire en partant du principe que nous aurons une compétence fiscale de plus en plus grande. Cet argent devrait être placé dans un fonds dont nous pouvons commencer à nous occuper nous-mêmes. Un des concepts, c’est de pouvoir partager les revenus, élaborer notre propre formule de péréquation à même cette somme d’argent, pour que nous puissions aider les collectivités qui sont moins avantagées et celles qui sont encore plus avantagées.

Un des exemples tient à Squamish. Lorsque vous regardez ses besoins en infrastructure, nous parlons de 245 millions de dollars. Cette somme ne peut être fournie par un chèque du gouvernement fédéral, ou en fait, du gouvernement provincial. La seule façon d’y arriver, c’est au moyen d’une compétence fiscale de plus en plus grande et de l’acceptation des responsabilités. Lorsque vous pensez à ce chiffre, pensez aux revenus que cette collectivité génère pour la vallée du bas Fraser. Puis, vous appliquez cela à chaque collectivité avec laquelle nous travaillons partout au pays. En effet, nos collectivités génèrent plus d’argent en revenus fiscaux pour les gouvernement fédéral et provinciaux que ce qui nous est redonné par des programmes et la fourniture de programmes.

Lorsque je m’arrête pour penser à ces questions, on me demande toujours : « Comment allez-vous aider cette collectivité qui n’est accessible qu’en avion? Comment allez-vous aider cette collectivité qui n’est pas comme Squamish, West Bank ou Kamloops? » La seule façon de commencer à le faire, c’est de nous voir comme j’ai commencé à le faire après l’échec de l’accord de Charlottetown. Nous étions dans une impasse. J’ai commencé à me dire : « Eh bien, peut-être que nous devrions nous considérer comme la 11e province, si nous voulons commencer à aller de l’avant. » Cela ne veut pas dire que les Premières Nations individuelles peuvent fonctionner en s’appuyant sur leurs seules administrations souveraines. Cela veut dire que nous mettons en commun cette souveraineté pour tirer le maximum de notre argent, puis nous pouvons commencer à nous aider les uns les autres.

Une des plus grandes leçons que j’ai tirées ces derniers temps me vient de mes visites aux États-Unis et de toute cette notion de souveraineté nationale. Ce que vous avez aux États-Unis, ce sont diverses catégories de tribus. Vous avez Foxwoods, qui génère 1 milliard et demi de dollars par année, dont la moitié ou une somme équivalente va au Connecticut. Dans le Dakota du Nord, vous avez la tribu des Mandans. Au total, 50 p. 100 de ses revenus tirés du pétrole sont donnés à l’État. Dans une des réunions auxquelles j’ai assisté, j’étais assis à côté d’un représentant des gouverneurs des États. J’ai demandé à cette personne : « Le gouvernement fédéral des États-Unis adopterait-il une législation qui permettrait une compétence fiscale exclusive sur les territoires des tribus? » Elle m’a répondu simplement : « Non. »

Lorsque des personnes font la promotion de la souveraineté nationale, ce n’est pas la réponse. La réponse vient de l’habilitation que procurent les lois fédérales en fonction de nos espoirs et de nos aspirations, de sorte que nous puissions préparer la voie et aider les Premières Nations dans tous les ordres de gouvernement.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup. Je suis toujours heureux de vous voir, monsieur Jules.

J’ai quelques questions très brèves. Vous avez parlé des négociations avec le ministère des Finances et m’avez donné un peu d’espoir quand vous avez dit que vous faisiez des progrès. Je sais que vous êtes sur le point de vous rencontrer à nouveau. Je me demande si vous pourriez nous donner une petite idée de la teneur de ces discussions. Avez-vous espoir que celles-ci feront avancer les choses?

Ensuite, si je peux poser quelques courtes questions de plus à ce sujet, il y a un nouveau groupe chargé des relations financières avec l’APN qui interagit avec le Canada. En faites-vous partie? Tout cela est-il pris en considération dans le travail effectué sur la nouvelle relation financière au-delà des taxes d’accise?

Enfin, si vous pouvez faire une percée avec les revenus provenant des taxes d’accise, comme nous l’avions espéré lorsque nous avons étudié le projet de loi C-45, croyez-vous que ces revenus tirés des taxes d’accise pourraient être versés afin de répondre à certains des besoins en infrastructure sur des réserves? Je dirais que j’ai vraiment l’impression que nous sommes à la traîne. J’ai lu un article ce matin au sujet des revenus importants qui sont versés aux gouvernements depuis le 17 octobre, et vous essayez de rattraper le retard, et nous sommes à la traîne. Comment cela se passe-t-il?

M. Jules : Une collectivité de l’Est du Nouveau-Brunswick nous a demandé, le 17 octobre, de publier sa loi dans la Gazette des premières nations. Elle nous l’a demandé, parce qu’il n’y a aucun autre lieu pour les collectivités, mis à part leurs propres institutions, où promulguer leurs lois.

Malheureusement, comme je l’ai dit dans mon mémoire, le gouvernement a eu des occasions importantes de tenir compte de la compétence des Premières Nations, et cela n’est pas arrivé. Cela dit, avec l’appui du Sénat, la Chambre de second examen objectif, nous voyons maintenant de l’espoir là où il n’y en avait pas auparavant. Je crois que c’est un élément essentiel des discussions que nous tenons avec le ministère des Finances.

Nous avons lancé un appel en juin. Nous avons tenu une réunion informelle à l’heure du dîner avec un des représentants du ministère des Finances. Nous avons organisé une série de réunions à compter du mois dernier, en septembre. La première réunion a vraiment établi la promesse de ce à quoi une nouvelle relation financière pourrait ressembler.

Les préoccupations du ministère des Finances étaient, d’abord, l’intégrité du système fiscal. J’ai exprimé de façon très explicite que nous rencontrions le ministère des Finances pour nous assurer que l’intégrité du système fiscal était maintenue. Notre message, c’était que nous voulions faire partie de ce système fiscal.

Ce que nous disions, c’est que, à ce moment-là, nous avons reconnu que nous n’allions pas modifier la Loi sur la taxe d’accise pour qu’une compétence fiscale explicite soit donnée aux Premières Nations, mais nous avons exprimé clairement que nous voulions profiter de la même entente de partage des revenus que celle dont disposent les provinces. Cela touche les deux aspects. C’est l’aspect de la consommation, par rapport au partage de la taxe d’accise, puis celui de la fabrication. Ces deux aspects doivent être mis ensemble, car sans les deux, vous ne pouvez pas adopter le compte de compétence dont je parlais plus tôt. L’un d’eux concerne les questions locales, pour que les collectivités soient en mesure de régler les problèmes de façon concrète, localement. L’autre, c’est là où j’espère que nous pourrions utiliser les revenus pour élaborer notre propre formule de péréquation, tirer parti de l’Administration financière des Premières nations afin de faire construire de meilleures infrastructures, ainsi qu’encourager les partenariats privé-public réels sur les territoires des réserves, parce qu’il est impossible en ce moment qu’un gouvernement puisse faire un chèque de 45 milliards de dollars. Cela ne pourra se faire qu’au moyen d’une approche ordonnée et progressive.

Le sénateur Patterson : Mon autre question, si je peux me permettre, c’est que nous avons entendu parler d’une initiative sur la nouvelle relation financière. Pouvez-vous...

M. Jules : Je vais revenir en arrière. Je n’avais pas terminé la deuxième partie, soit les discussions avec le ministère des Finances.

Je crois que ces discussions ont été très productives. Nous parlerons non seulement du potentiel du cannabis au chapitre de la taxe d’accise, mais aussi du potentiel du tabac relativement à cette taxe, ce qui est sans précédent, ainsi que de l’essence. Dans le cas de l’essence, ce qui se produit en ce moment avec la taxe d’accise, c’est que le ministère des Affaires indiennes détermine à quels projets d’infrastructure l’argent sera attribué. Les discussions que nous tenons avec le ministère des Finances atteignent un niveau inégalé. Elles ont été très cordiales, et je crois que nous ferons des progrès importants assez rapidement.

Pendant un certain temps, on ne croyait pas que je défendais l’idée de le faire dans un délai très court. Lorsque vous parlez avec le gouvernement d’avril 2019, eh bien, vous devez pouvoir non seulement avancer à la vitesse du Parlement, mais aussi à la vitesse des affaires.

Pour ce qui est des autres discussions... C’est une discussion à grande portée, qui concerne entre autres les taxes sur le revenu et les taxes sur les ressources autochtones, ce qui est capital, je crois. Si nous avions en ce moment une taxe sur les ressources autochtones en place, il serait plus facile de réaliser des projets d’envergure. Tous les projets. Les choses continuent sans cesse, et cela dépasse l’imagination que nous soyons confrontés avec cette notion selon laquelle nous allons perdre quelque chose quand, en fait, si nous avions une vraie relation financière, toute la dynamique du pays changerait. Ce sera comme si on ajoutait un autre moteur à réaction. Je mentionne toujours cela.

La semaine dernière, j’ai assisté à une conférence de Walrus ici, à Ottawa. Un monsieur s’est levé et a dit : « Quand j’ai commencé à faire cela, imaginez-vous que nous parlions du iPod. » J’ai répondu : « Eh bien, imaginez : dans notre cas, nous parlons de ces enjeux depuis le télégraphe. »

C’est grâce à l’appui du comité de l’APN que nous avons pu obtenir un siège pour exposer notre proposition au ministère des Finances, donc je tiens à souligner l’appui de l’APN à cet égard.

L’autre aspect, bien sûr, c’est que les Finances s’occupent d’un aspect, qui est la compétence fiscale. Le deuxième élément, qui est extrêmement important, relève de Santé Canada : il faut s’assurer que nous avons le régime réglementaire à l’échelon local. Les éléments essentiels, ce sont des lois de nature réglementaire sur le cannabis des Premières Nations pour assurer la qualité des produits; des systèmes de distribution et des timbres des Premières Nations pour certifier la qualité des produits; et la compétence fiscale à l’égard du cannabis des Premières Nations en ce qui touche les ventes, l’octroi de licences et le partage des revenus provenant des droits d’accise pour fournir des ressources consacrées aux règlements, à la santé et à la sécurité et aux infrastructures. Les propositions de partage des taxes sur le cannabis des Premières Nations vont réduire les ventes sur le marché gris et la consommation des jeunes. Le soutien institutionnel des Premières Nations pour les nations qui le souhaitent va faire en sorte que leur compétence à l’égard du cannabis et leur système de cannabis soient mis en œuvre de façon efficiente et efficace.

Une des choses pour lesquelles nous devons encore une fois nous tourner vers les États-Unis, c’est l’interdiction. Encore aujourd’hui, nous avons affaire à des lois qui demeurent influencées par la levée de l’interdiction sur la vente d’alcool. Nous jouerons à ce jeu pendant encore longtemps. Il y aura des changements législatifs. Si nous arrivons à obtenir les changements législatifs qui seront exigés d’ici avril prochain, nous serons effectivement en mesure de nous rattraper.

Le sénateur Patterson : Merci.

Le sénateur Christmas : Nous sommes ravis de vous revoir, monsieur Jules.

J’ai vraiment aimé le bilan que vous avez présenté au comité relativement à vos négociations avec le ministère des Finances. Je crois que certaines des réponses que vous avez déjà fournies à mon collègue ont répondu à des questions que je me posais. Une des choses que j’aimerais savoir précisément est la suivante : dans le cadre de vos négociations avec le ministère des Finances, la question générale des pouvoirs réglementaires pour les Premières Nations et de l’imposition est-elle également abordée?

M. Jules : Tous ces aspects doivent être abordés si nous voulons parvenir à une vraie relation financière. Vous devez diviser cela en quelques éléments différents. Un de ces éléments qui est lié au cannabis doit évidemment faire intervenir le ministère de la Santé. C’est pourquoi nous allons nous entretenir avec ses représentants cet après-midi. Pour ce qui est de nos discussions avec le ministère des Finances, toute l’approche repose sur la notion — dont nous discutons depuis de nombreuses années dans nos collectivités — de ce qu’est une relation financière. Celle-ci doit inclure toutes les administrations qui sont en place en ce moment.

Une des questions posées plus tôt à M. Calla concernait la constitutionnalité. Nous n’allons probablement, pas, de notre vivant, paver la voie de l’amendement constitutionnel, donc ce que nous devrons établir, c’est une certitude de plus en plus grande au moyen de la législation. Lorsque nous parlons de la Constitution, c’est un sujet complexe, mais simple, à mon avis. Voulons-nous que les Premières Nations, les Inuits et les Métis fassent partie de la fédération ou de la famille canadienne? La réponse évidente est oui, et comment pouvez-vous y parvenir?

Une des choses qui est ressortie durant mes discussions, c’est un intérêt particulier de la part des gouvernements provinciaux. Les provinces veulent savoir ce qui se passe. Elles veulent pouvoir composer avec leur propre incertitude législative. La semaine prochaine, je vais rencontrer des gens du gouvernement de l’Ontario, un représentant du procureur général et le sous-ministre des Finances, pour parler de cannabis et de tabac. La question qu’on se pose, c’est comment doit-on s’occuper du Cercle de feu? Ce n’est pas au moyen d’un simple partage des revenus sur les ressources. Cela doit se faire au moyen d’un mécanisme en fonction duquel les Premières Nations seraient en mesure de participer, par l’intermédiaire de leur gouvernement, à la richesse et à l’abondance qui sont enfermées là.

Brian Pallister — que vous êtes nombreux à avoir eu comme collègue lorsqu’il était député — m’a demandé de rencontrer son haut fonctionnaire au Manitoba. Pourquoi? Parce que, au Manitoba, on place des machines de dialyse sur des réserves indiennes, à cause de toute cette notion selon laquelle les gouvernements fédéral et provinciaux se déchargent de leurs responsabilités.

Ce que je juge vraiment intéressant, c’est un des plus récents rapports du directeur parlementaire du budget, où il mentionne précisément que le Manitoba et le Nouveau-Brunswick pourraient faire faillite au cours de la prochaine génération. Encore une fois, les raisons fondamentales tiennent aux problèmes sous-jacents liés aux Premières Nations. Lorsque vous parlez du Manitoba, c’est une préoccupation de l’Ouest, mais, par voie de conséquence, c’est une préoccupation nationale qui doit être abordée. La seule façon de le faire, au final, c’est de reconnaître que les Premières Nations doivent être une puissance fondamentale au sein du cadre, de sorte que nous puissions approfondir des questions comme une nouvelle relation financière et que nous puissions avoir compétence lorsqu’il est question de santé et de bien-être, des enjeux qui nous concernent. Si nous ne le faisons pas, la fédération elle-même est compromise.

Le sénateur Christmas : Ce que j’aime de votre approche — et c’est semblable à ce que M. Calla a mentionné plus tôt ce matin — c’est qu’elle fait avancer l’idée d’une compétence partagée, d’une prise de décisions partagée et, dans ce cas-ci, de revenus partagés.

J’adore le concept du compte de compétence des Premières Nations. Les mots m’ont peut-être troublé, parce que je ne les connais pas, mais votre troisième point a exprimé très clairement que ces fonds ne seraient pas du ressort d’autres gouvernements. Pourriez-vous expliquer davantage comment le compte de compétence ne serait pas du ressort des gouvernements fédéral et provinciaux?

M. Jules : Ce qui se passe en ce moment, c’est que même lorsqu’il est question des territoires des réserves, le gouvernement fédéral dit que vous avez besoin d’un compte de redevances pour le pétrole et le gaz, pour le bois d’œuvre et pour le gravier. Même s’il y a eu des affaires judiciaires à ce sujet, cela va vraiment au cœur de ce qu’est la responsabilité fiduciaire. Cette notion, selon laquelle nous serons toujours traités comme des enfants, doit être écartée. La seule façon de commencer à le faire, c’est d’assumer une réelle compétence. C’est l’assise fondamentale du compte de compétence. Cela suppose que nous avons une compétence et que nous avons les moyens et le soutien institutionnel voulus pour nous occuper de nous-mêmes, de façon interdépendante. Cela ne veut pas dire que nous allons nous enfuir et gérer des comptes dans les Caraïbes. Cela veut dire que nous allons investir ces ressources dans nos collectivités.

Ce que j’ai toujours jugé intéressant, c’est que nous investissons toujours dans des régimes de retraite et d’assurance-vie. Aucune de ces grandes industries n’investit dans nos territoires. Elles regardaient toutes en dehors des réserves. Pourquoi? Parce qu’elles obtiennent une plus grande certitude si elles investissent à l’extérieur plutôt qu’à l’intérieur des réserves. Ce que nous voulons pouvoir faire, c’est défendre nos collectivités et nos gens pour qu’ils puissent commencer à avoir la compétence et être en mesure de régler ces questions.

L’autre prémisse fondamentale du compte de compétence, c’est que nous devons pouvoir avoir une compétence exclusive à son sujet, pour que nous puissions commencer à nous occuper de nous-mêmes, et que ce ne soit pas un bureaucrate à Victoria, à Edmonton ou ailleurs qui le fasse.

Le sénateur Christmas : Merci. Je suis heureux que vous ayez fait la distinction avec les comptes en fiducie que les Services aux Autochtones gèrent au nom des Premières Nations. Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Merci d’être ici, monsieur Jules.

J’aimerais revenir rapidement au projet de loi C-45 et aux discussions sur la taxe d’accise. Vous avez dit à un certain moment qu’il s’agissait de discussions, et plus tard, de négociations. Pour moi, les « discussions » signifient que vous n’êtes pas arrivés à la volonté de faire quelque chose; tandis que les « négociations », c’est lorsqu’il y a une volonté et que vous ne vous entendez pas sur les modalités. Êtes-vous à l’étape des négociations ou des discussions? Je pense que c’est une excellente idée d’avoir une date limite, car autrement, ce ne seront que des discussions. Je sais que vous êtes optimiste et j’adore cela. Êtes-vous en train de négocier et y a-t-il une volonté de l’autre côté de faire quelque chose ou avez-vous l’impression d’être encore en train de discuter?

M. Jules : J’aimerais rappeler une des choses que j’ai dites : la Commission croit qu’il est important que les représentants de Santé Canada et du ministère des Finances soient investis d’un mandat assez large pour nous aider à créer un système fiscal et réglementaire complet concernant les revenus tirés du cannabis par les Premières Nations, et j’espère que le Sénat appuiera notre approche.

La raison pour laquelle je le dis, c’est que, selon la teneur des discussions que nous avons avec les Finances, il n’y a pas de mandat réel en ce moment. Pour qu’il y ait un mandat, celui-ci doit provenir du ministre.

Le sénateur Tannas : Je vous dirais, monsieur, qu’un certain nombre de sénateurs... Je ne veux pas dire « ont abandonné », mais ils ont fait un acte de foi en disant que le gouvernement va accéder à votre demande. Je crois que le Sénat doit vous appuyer entièrement en disant qu’il s’agit d’une négociation, pas d’une discussion; et que si cela se transforme en discussion, nous vous entendrons en mai 2019, après quoi nous envisagerons les mesures que nous pouvons prendre au Sénat.

M. Jules : Je suis un optimiste. Selon les signaux que nous avons reçus du ministère des Finances, il veut régler ces questions. Croyez-moi, si cela ne se fait pas, vous en entendrez parler bien avant mai ou avril. Merci, monsieur le sénateur.

La présidente : Merci. J’aimerais juste poursuivre sur cette question à des fins de précision. C’était le comité qui a soulevé la question selon laquelle le partage des revenus provenant des droits d’accise n’était pas compris dans le projet de loi C-45. Nous avons obtenu du gouvernement l’engagement selon lequel il va travailler à réparer cela, à le régler, car c’était une occasion perdue. Selon ce que vous nous dites, vous participez à ce qui semble, nous l’espérons, être des négociations. Dans votre exposé, vous avez dit que vous espérez obtenir un cadre fiscal et réglementaire concernant le revenu tiré du cannabis par les Premières Nations d’ici avril 2019. Je crois que le comité l’appuierait.

Nous avons aussi entendu le ministre Blair et la ministre Philpott, il y a deux semaines, je crois, qui ont de nouveau soulevé cette question, puis nous avons décidé d’inviter le ministre des Finances au comité, de manière à pouvoir faire le suivi directement.

Je crois que nous travaillons tous à l’atteinte d’un but, c’est-à-dire voir quelque chose d’ici avril 2019, même si c’est juste l’élément du cannabis en soi. Vous parliez de cannabis, de tabac et d’essence. Aviez-vous prévu qu’un certain type de mesures seraient prises d’ici avril 2019 ou prévoyez-vous que cela se concentrera sur le cannabis?

M. Jules : Comme vous le voyez dans mon exposé, j’ai une imagination fertile, et elle n’est pas seulement limitée par quelques éléments. Elle est limitée par le monde. Je suis d’avis que, lorsque vous avez l’occasion d’engager ce niveau de discussion, ce qui n’arrive pas très souvent, vous devez y semer la graine de l’optimisme.

Une partie essentielle de tout cela tient aussi à Santé Canada. J’ai rencontré brièvement la semaine dernière le monsieur, ici, à Ottawa, et je vais le rencontrer cet après-midi pendant environ une heure. Il s’est dit très ravi, d’après notre brève discussion, du niveau de réflexion que nous avons consacré aux règles et au régime réglementaire, sur lesquels, au final, la législation devra s’appuyer.

Au bout du compte, le partenariat touchera le ministère des Finances pour ce qui est de l’aspect fiscal. C’est relativement simple. Il y aura des amendements législatifs pour que nous puissions faire partie de la formule de partage des revenus provenant de la taxe d’accise. Les Premières Nations en ont été écartées, comme nous l’avons dit. Puis, avec Santé Canada, il s’agira de savoir comment vous élaborez l’ensemble des règles et des règlements qui s’appliqueraient sur les terres des réserves, voire à l’extérieur de ces terres.

Je crois que le message que nous avons reçu, c’est qu’on a compris le message au Sénat, et nous nous en servons évidemment dans nos discussions. J’espère toutefois que, dans le cadre de nos délibérations avec le ministère des Finances, comme objectif stratégique, ce ministère, pour la première fois, inclura le tabac et l’essence.

La présidente : Au nom de tous les membres du comité, j’aimerais vous remercier, monsieur Jules, d’avoir comparu devant le comité et de nous avoir mis au fait des progrès réalisés, en plus de nous renseigner sur ce à quoi nous pouvons nous attendre dans l’avenir. Cela semble très emballant.

M. Jules : Une autre chose : juste avant Noël, chacun des sénateurs recevra une copie de cette histoire incroyable.

La présidente : Merci.

(La séance est levée.)

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