Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 45 - Témoignages du 24 octobre 2018
OTTAWA, le mercredi 24 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, pour étudier la nouvelle relation entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Le sénateur Scott Tannas (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bonsoir. J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la réunion du Comité sénatorial permanent sur les peuples autochtones, que ce soit ici, dans la salle, ou sur le Web. J’aimerais souligner, au bénéfice de la réconciliation, que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin. Je m’appelle Scott Tannas, de l’Alberta, et je suis vice-président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude portant sur la nouvelle relation entre le gouvernement et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous attendons toujours avec impatience de connaître les principes d’une nouvelle relation. Nous sommes très désireux d’entendre ce que les témoins ont à dire quant à l’avenir de leur population, de leur collectivité et de la relation avec le Canada.
J’inviterais maintenant mes collègues à se présenter.
Le sénateur Patterson : Je suis Dennis Patterson, sénateur du Nunavut. Bienvenue.
La sénatrice Coyle : Je m’appelle Mary Coyle, sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Bienvenue.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.
Le vice-président : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.
Retournons maintenant à l’étude. Nous recevons ce soir M. Bill Lux, négociateur en chef, et Mme Michelle Miller, coordonnatrice de traité, du Conseil des Dénés Kaska. Bienvenue au comité. La parole est à vous.
Bill Lux, négociateur en chef, Conseil des Dénés Kaska : Merci beaucoup.
Mesdames et messieurs les sénateurs, avant de commencer, j’aimerais aussi reconnaître les territoires traditionnels, non cédés et ancestraux de la nation algonquine.
Je m’appelle Bill Lux et je suis accompagné de ma collègue, Michelle Miller. Nous sommes ici pour témoigner devant vous au nom du Conseil des Dénés Kaska.
Pour commencer, j’aimerais remercier le comité sénatorial de nous donner l’occasion de nous adresser à vous aujourd’hui et je tiens aussi à remercier les membres du comité de proposer de se rendre à Lower Post pour un exposé présenté en septembre. Comme vous le savez, compte tenu de l’avis d’évacuation concernant les feux de forêt qui ont fait rage dans notre collectivité, cet exposé n’a pas pu être présenté.
Le Conseil des Dénés Kaska est une société établie pour nouer le dialogue dans le cadre du processus des traités de la Colombie-Britannique, représentant les droits des Autochtones des membres dénés Kaska de la nation Kwadacha, des Premières Nations de Dease River et des Premières Nations des Dénés Daylu et comprenant des membres des collectivités Fireside et Muncho. Cela représente trois des cinq Premières Nations Kaska dans le territoire traditionnel Kaska, qui s’étend jusqu’au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons examiné le thème de votre audience aujourd’hui, et nous aurions pu aborder de nombreux enjeux, mais nous avons choisi d’adopter une approche un peu différente. Nous avons souligné cinq exemples sur le terrain qui illustrent pratiquement, à notre avis, ce à quoi notre relation future et renouvelée pourrait et devrait ressembler.
Premièrement, les Kaska croient que l’inclusion des aires protégées autochtones est un outil central pour respecter l’engagement international du Canada de protéger 17 p. 100 des zones terrestres et maritimes du pays d’ici 2020. Il y a près d’un an, nous avons manifesté notre intérêt, au moyen d’une lettre envoyée à la ministre McKenna, à l’égard des aires protégées autochtones. Depuis ce moment, nous avons travaillé très fort pour élaborer une proposition globale en vertu du Fonds de la nature Canada, et nous sommes enchantés de vous faire part des dernières nouvelles selon lesquelles notre proposition couvrant 3,4 millions d’hectares au centre du sillon des Rocheuses a été approuvée dans le cadre de la phase initiale Démarrage rapide.
Deuxièmement, les gardiens autochtones font partie intégrante de la gestion des aires protégées autochtones proposées. Nous avons élaboré nos programmes des gardiens du territoire Kaska, appelés Dane Nan Ye Da, au cours des dernières années. Le Conseil des Dénés Kaska appuie aussi fortement les initiatives sur le leadership autochtone dans leurs efforts pour créer un réseau national de gardiens autochtones en partenariat avec le gouvernement fédéral. Pour bon nombre de nos jeunes, la carrière future de gardien du territoire est très prometteuse.
Troisièmement, le GNL. Au début d’octobre, le premier ministre Trudeau a annoncé le plus grand projet de développement des ressources de l’histoire du Canada — une installation d’exportation de gaz naturel liquéfié à Kitimat d’une valeur de 40 milliards de dollars. Mesdames et messieurs, ce gaz doit provenir de quelque part. Savez-vous où cela se trouve? Directement sur notre territoire traditionnel. Au total, 848 billions de pieds cubes de gaz naturel reposeraient dans une partie du bassin de la Liard, qui est le territoire traditionnel des Kaska. Vous pouvez voir que cela aura une énorme incidence sur notre avenir, et nous devons bien faire les choses.
En ce moment, les chefs Kaska commencent à élaborer des stratégies de mobilisation et des politiques pour que le Conseil des Dénés Kaska puisse augmenter sa capacité et faciliter ses négociations avec la province de la Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral et l’industrie en ce qui concerne le développement des ressources de gaz naturel et la mobilisation dans tous les aspects du développement, y compris l’extraction, l’application, le marché, ainsi que les avantages sociaux et environnementaux. Il y a ici un modèle où les gouvernements publics et ceux des Premières Nations collaborent afin de gérer la responsabilité du développement tout en protégeant l’environnement. Nous devons travailler ensemble et bien faire ce travail.
Quatrièmement, les feux de forêt. Ce qui explique principalement pourquoi nous sommes ici aujourd’hui, c’est que vous n’avez pas pu venir à Lower Post en raison des feux de forêt qui ont pratiquement détruit une de nos collectivités. Nous voyons les effets des changements climatiques littéralement à nos portes. Ce n’est pas juste un enjeu qui touche les Kaska; ce n’est pas juste un enjeu dans le Nord, un enjeu provincial ou fédéral. Les feux de forêt feront partie de notre avenir, donc nous devons travailler ensemble à tous les échelons, en utilisant notre expérience et notre expertise collectives, en prenant des mesures proactives dans la lutte contre les futurs feux de forêt. Nous ne pouvons attendre à l’été prochain pour commencer à établir des plans et à prendre des mesures.
Cinquièmement, les pensionnats. Nous vous avons parlé de certaines des réussites et des difficultés qui s’appliqueront dans l’avenir, mais je dois vraiment souligner que, au milieu de notre collectivité de Lower Post, il existe un des rappels les plus atroces des erreurs de notre passé, les pensionnats. En fait, mesdames et messieurs, de nombreux membres du personnel forcés de travailler dans cet ancien pensionnat auraient aimé qu’il soit complètement détruit durant l’incendie. Les négociations pour le démolir et construire un nouvel immeuble administratif demeurent incroyablement frustrantes et peu productives. Nous avons besoin de votre appui, et il n’y aurait pas de meilleure façon de montrer une véritable réconciliation et un meilleur avenir pour les Kaska et d’autres qui ont fréquenté ce pensionnat que d’agir relativement à cette question.
Pour terminer, merci et Mussi cho. J’ai vraiment hâte de vous parler davantage tout au long de la soirée. J’aimerais maintenant céder la parole à ma collègue, Michelle Miller.
Michelle Miller, coordonnatrice de traité, Conseil des Dénés Kaska : Bonsoir, mesdames et messieurs. Je m’appelle Michelle Miller et je fais partie du clan Crow. Je viens de la collectivité de Lower Post, qui a été touchée cet été par les feux de forêt.
J’aimerais vous remercier de m’avoir fourni, ainsi qu’à mon collègue, l’occasion de vous présenter ce soir quelques initiatives et projets qui emballent les Kaska. Je crois que ce que Bill vient de dire aide à vous faire comprendre comment nous voyons notre avenir dans notre territoire traditionnel et dans nos collectivités.
Je vais maintenant vous donner un autre exemple d’initiative à laquelle les Kaska ont eu l’honneur de participer. Cette initiative est un exemple puissant de collaboration de nation à nation et de partenariats avec les gouvernements publics. Elle regroupe trois nations du Nord de la Colombie-Britannique — les Kaska, les Tahltan et les Tlingit — et elle représente six collectivités du Nord.
Comme vous le savez, toutes les Premières Nations du pays ont en commun l’objectif de s’occuper de nos enfants et de leur assurer un meilleur avenir. Dans notre région, les conversations communautaires sur la façon de protéger nos enfants dans nos trois nations ont donné lieu à ce qu’on connaît maintenant sous le nom de Stikine Wholistic Working Group. Le SWWG, comme nous l’appelons, a commencé comme un partenariat avec la province de la Colombie-Britannique en 2009.
Ces six collectivités ont adopté une approche qui place l’« enfant au centre » et ont pris la décision consciente de l’épeler « wholistic » avec un « w » au début, parce qu’elles savaient que nos collectivités devaient adopter une approche globale à l’égard de la protection de nos enfants. La réussite de cette initiative novatrice est attribuable à cette approche axée sur la collectivité. Elle a été créée par les collectivités, puisqu’elles étaient le mieux placées pour créer des programmes et des services adaptés à la culture afin de protéger nos enfants et nos familles.
Depuis, ce partenariat a fait boule de neige et a donné lieu à ce que nous appelons maintenant la société des trois nations, Three Nations Society, avec sa propre structure de gouvernance, et nous travaillons maintenant activement sur d’autres domaines, comme l’éducation, la faune et la guérison, pour ne nommer que ceux-là. Nous adoptons une approche avec toutes ces trois nations, travaillant ensemble sur ces questions.
Personnellement, cela s’est révélé un des efforts les plus gratifiants auxquels j’ai eu l’honneur de participer. Le fait d’assister au travail collaboratif de sept chefs des nations Kaska, Tahltan et Tlingit en partenariat avec les gouvernements provinciaux et fédéral est un signal de véritables innovations et de leadership pour ce qui est de changer le dialogue des Premières Nations en Colombie-Britannique et d’accomplir notre vision. Les trois nations ont créé une vision pour le travail qu’elles font, et c’est celle-ci : « Nos terres ancestrales du Nord sont dynamiques sur le plan culturel, stables sur le plan économique et reliées sur le plan social. » Mesdames et messieurs les sénateurs, voilà comment nous voyons notre avenir et nos relations.
Nous avons achevé dans le cadre de ce travail un certain nombre de rapports d’évaluation — et je serai heureuse de vous les communiquer — qui montrent notre réussite. Les résultats de notre travail ont suscité l’attention de la ministre Philpott, et nous avons par la suite reçu une invitation à le présenter ici, à Ottawa, en janvier de cette année. Récemment, nous avons été mis en nomination pour le prix de la première ministre de la Colombie-Britannique qui fait la promotion de l’innovation et de l’excellence. Mesdames et messieurs les sénateurs, c’est le secret le moins bien gardé, parce que nous savons maintenant que nous allons le remporter.
Je suis prête à répondre à vos questions et à discuter avec vous. Mussi cho.
Le vice-président : Merci beaucoup. Passons maintenant aux questions des sénateurs. Il s’agit d’une conversation. Nous sommes ici pour apprendre de vous.
La sénatrice Coyle : J’aimerais poser une question à chacun des deux invités. Merci beaucoup, monsieur Lux et madame Miller, et bienvenue à nouveau à Ottawa et au Sénat du Canada.
D’abord, monsieur Lux, votre exposé portait sur des aspects variés. Félicitations pour tout le bon travail auquel vous participez. Je sais que d’autres personnes vous interrogeront au sujet du projet de GNL, donc je vais les laisser le faire. Je suis curieuse au sujet de deux choses dans votre exposé.
J’aimerais en savoir un peu plus sur les conséquences de ce programme des gardiens autochtones auquel vous êtes heureux d’avoir participé et sur le fait que cela soit associé aux aires protégées autochtones. Pouvez-vous nous dire exactement ce que la participation de vos collectivités à ce projet veut dire?
Ensuite, pour vous, le problème des feux de forêt, comme vous l’avez dit, vous a frappés durement cette année, et nous allons nous attendre à des feux de forêt dans l’avenir en raison des changements climatiques. Que pouvons-nous faire ou que faites-vous pour atténuer les répercussions des feux de forêt? Je vous pose mes questions en premier, puis j’aurai une question pour Mme Miller.
M. Lux : Merci, madame la sénatrice.
Par rapport à votre première question, ce que nous voyons dans l’avenir pour nos jeunes, et nous le créons déjà relativement à ces aires protégées autochtones en vertu de ce programme des gardiens, c’est une occasion.
Beaucoup de nos jeunes — y compris Michelle et moi — ont énormément appris de nos aînés et de nos ancêtres. Une des choses qui sont ancrées en nous, c’est l’importance de la terre. Nous croyons sincèrement qu’il est vraiment important de s’assurer que ce lien est transmis aux jeunes, à la prochaine génération, et que chacune de nos collectivités a un programme des gardiens. Cela fait maintenant un certain nombre d’années que nous y participons.
Dane Nan Ye Da est un programme Kaska qui présente une façon de participer à la gestion de la faune. C’était la première étape, parce que la faune est vraiment importante. Puis, nous entreprenons maintenant une formation sur les activités forestières. Comme vous le savez, dans le territoire traditionnel Kaska, cela fait 10 ans que nous menons des négociations sur la foresterie. Nous voulons participer davantage à la gestion des terres et à la base. Les gardiens reçoivent une formation et aideront à les surveiller.
En ce moment, ce titre n’est pas légal, mais dans l’avenir, dans le cadre des aires protégées autochtones, nous voulons trouver un programme qui va légitimer ces personnes et les certifier en tant que gestionnaires officiels des terres, à la manière d’un PDG ou d’autres personnes, pour qu’elles puissent recevoir la formation appropriée et retourner sur les terres. Beaucoup de ces personnes ont des liens avec la terre. L’aire qui a été proposée se trouve au beau milieu de notre territoire traditionnel, et ces régions sont fortement associées à des familles et à des aînés. Cela leur donnera beaucoup d’espoir pour l’avenir et pour bâtir des carrières. Ce n’est plus quelque chose de ponctuel. Nous essayons d’établir ces programmes de gardiens de façon annuelle, pas saisonnière. Voilà la difficulté. Lorsque nous examinons ces initiatives de protection autochtones, nous croyons qu’il est important pour nous de réussir. Nous avons déjà fait ce grand pas. Nous avons un certain nombre de représentants en présence des jeunes qui font déjà le travail. J’espère que je ne radote pas ici.
La sénatrice Coyle : Merci.
M. Lux : Puis-je parler des feux de forêt?
La sénatrice Coyle : Je vous en prie.
M. Lux : Une des choses que nous faisons en ce moment par l’entremise des Daylu, c’est nettoyer dans la foulée des incendies. La collectivité essaie de trouver la capacité et l’équipement nécessaires pour nettoyer après l’incendie dans la collectivité, et nous nous réunissons avec les représentants de la province. Nous rencontrerons les ministres à la fin novembre et nous présenterons quelques initiatives pour nous asseoir avec la province et commencer à nous préparer en vue de l’année prochaine, examiner notre plan immédiat, effectuer un nettoyage et une évaluation, commencer l’examen de programmes à élaborer avec nous qui seraient des équipes d’attaque initiales, soit les premières à intervenir sur le terrain.
Les Daylu ont vu le feu se propager. Ils n’avaient aucune façon de combattre l’incendie. Toute la province était essentiellement en flammes. Il n’y a pas eu d’attaque initiale de cet incendie, parce que ça se passait de l’autre côté de la rivière Dease et de la puissante rivière Liard. Les incendies n’ont que peu à faire de ce qui se trouve devant eux. Ils ne se disent pas : « Oh, il y a une rivière, donc nous allons changer de cap. » L’incendie a littéralement traversé les deux rivières durant la nuit et traversé la route de l’Alaska. Cela vous montre que vous ne pouvez deviner ce qui va se passer; vous devez agir. Nous sommes très chanceux d’avoir pu évacuer tout le monde de la collectivité, mais nous nous assoyons maintenant et essayons de commencer et de reprendre des processus où nous pouvons nous engager davantage à l’échelon communautaire.
Une de nos collectivités, la Première Nation Kwadacha, a déjà formé des gens sur le terrain pour faire des choses comme espacer des arbres dans le cadre de la gestion forestière. Les membres sont allés sur le terrain. Ils ont décidé par eux-mêmes de le faire. Ils ont envoyé quelques membres formés et ont commencé à combattre le petit incendie jusqu’à ce que l’autre équipe initiale arrive avec des parachutes. Nous examinons ces programmes et essayons de nous en inspirer, mais nous avons besoin d’établir une relation fonctionnelle avec la province.
L’autre élément important pour nous, c’est de nous asseoir avec le gouvernement fédéral, parce que nous estimons que le Canada a une responsabilité lorsqu’il s’agit de nos collectivités. Celles-ci se trouvent sur des réserves, des terres fédérales. Nous devons nous asseoir avec le Canada et préciser le plan pour protéger cette collectivité. Je ne crois pas que la province de la Colombie-Britannique assumera cette responsabilité. Avec chacun des trois gouvernements, nous sommes impatients de nous asseoir et d’essayer d’établir un plan initial pour intervenir dans l’avenir.
La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Lux.
Madame Miller, j’ai aussi beaucoup aimé votre exposé. Le travail de la société des trois nations semble absolument fantastique. Je vous souhaite bonne chance avec le prix que vous allez remporter, comme vous le dites. Je serais curieuse d’en savoir un peu plus. Lorsque vous dites que vous êtes déterminés à réaliser la vision suivante : « Nos terres ancestrales du Nord sont dynamiques sur le plan culturel, stables sur le plan économique et liées sur le plan social », je me dis que vous travaillez sur un réseau parfait. Que faites-vous précisément dans ces domaines que vous décririez comme novateur et efficace, et qui pourrait servir d’exemple à d’autres?
Mme Miller : Pour ce qui est de collectivités dynamiques sur le plan culturel, et plus précisément du Stikine Wholistic Working Group, nous renouvelons les pratiques culturelles que nous avons déjà eues dans l’ensemble des collectivités. Je peux vous donner un exemple dans la collectivité Tahltlan. On a commencé là-bas ce qu’on appelle le groupe Tootoo, qui est composé de grand-mères, dans les collectivités. Ces grand-mères sont une ressource pour les enfants et les familles. La collectivité sait que ce groupe existe. Il est là pour soutenir les enfants. Je pense que c’est un formidable exemple d’une façon de ramener et de renouveler la culture et les traditions dans toutes nos collectivités. Dans l’ensemble des trois nations, on a des camps culturels. Il s’agit de retourner à la terre et d’enseigner aux jeunes et aux enfants dans nos collectivités les pratiques traditionnelles. Nous le faisons sur le territoire.
Dans ma collectivité de Lower Post, nous avons commencé quelque chose avec le district scolaire. Au début de l’année, nous avons amené les élèves de l’autre côté de la rivière. C’est le début de ce que nous appelons le Davie Trail, qui est un sentier historique entre Lower Post et une de nos collectivités de Fort Ware. La collectivité et le chef accompagnent les enseignants au début, avant l’école. Ils vont sur le bateau et cuisinent des mets traditionnels, puis ils discutent. C’est une manière d’intégrer lentement cette culture et ces traditions dans notre collectivité, en commençant par nos jeunes enfants, de sorte que, quand ils seront plus grands, quand ils auront mon âge, ils sauront qui ils sont.
Pour ce qui est de la stabilité sur le plan économique, comme Bill l’a dit avec le GNL, si vous connaissez la nation Tahltan, vous savez qu’il y a beaucoup de mise en valeur des ressources dans ces collectivités. Grâce au travail qu’elles font, elles ont réussi à atténuer certains des enjeux sociaux qui accompagnent la mise en valeur des ressources. Elles ont réussi à intégrer ce qu’elles appellent le groupe de travail socioculturel, qui, encore une fois, adopte une approche holistique. Pour toute mise en valeur des ressources qui se fait dans la nation Tahltan, on a ce groupe qui les aide, pour que les problèmes sociaux qui accompagnent habituellement ces grands aménagements soient atténués et réduits.
Au chapitre des liens sociaux, je crois que les trois nations en sont un exemple parfait. Nous nous réunissons. Sept chefs s’assoient à notre table et parlent d’améliorer l’avenir de nos six collectivités. Nous sommes liés sur le plan social de cette façon. Je pense que c’est un exemple formidable. Nous avons eu un rassemblement de jeunes, et des jeunes de chacune de nos nations ont participé. Vous voyez les jeunes des nations Tahltan, Tlingit et Kaska tous réunis, qui se rassemblent et se rencontrent, pour établir cette relation et tisser ces liens.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup et félicitations.
Mme Miller : Merci.
La sénatrice Pate : Merci à vous deux de votre présence. C’est formidable de vous écouter. Je vais reprendre là où la sénatrice Coyle s’est arrêtée et vous donner l’occasion de poursuivre cette conversation en donnant plus d’exemples de ce que vous faites.
L’aspect qui m’intéresse particulièrement, c’est la façon de prévenir une partie de ce que vous venez de dire, madame Miller, les problèmes sociaux. Dans beaucoup de collectivités — et vous y avez fait allusion — où on voit de nouvelles industries ou la mise en valeur des ressources, parfois, l’afflux de travailleurs de l’extérieur a entraîné des enjeux qui ont contribué à des choses que nous regroupons souvent dans de grandes catégories, comme les femmes autochtones disparues ou assassinées, les filles exploitées sexuellement et le potentiel accru d’autres problèmes sociaux, y compris la criminalisation.
Certaines des statistiques les plus récentes révèlent que le nombre de jeunes qui aboutissent non seulement dans des foyers d’accueil, mais aussi dans le système judiciaire pour les jeunes augmente, particulièrement chez les jeunes Autochtones. On dit maintenant que environ 50 p. 100 des jeunes sous garde dans le pays sont Autochtones. C’est environ 60 p. 100 si nous parlons de filles uniquement.
Il existe quelques initiatives qui visent à permettre à des collectivités de ramener ces enfants et ces adultes dans la collectivité. Ces types d’options ont-ils été explorés, particulièrement puisque trois nations participent, avec l’une ou l’autre de vos collectivités? Le cas échéant, à quoi cela ressemble-t-il? Si vous n’abordez pas ces enjeux, j’ai une petite idée des raisons pour lesquelles vous ne le faites pas, mais j’aimerais vous donner l’occasion d’exposer un peu plus ces raisons si vous n’abordez pas ces enjeux dans la même mesure que de nombreuses autres collectivités.
Mme Miller : Avant le travail du Stikine Wholistic Working Group, nous avions un pourcentage élevé d’enfants sous garde. Depuis 2009 et depuis le commencement de ce travail, il n’y a maintenant aucun enfant sous garde dans cinq de ces six collectivités. Je crois que c’est attribuable précisément au fait que les programmes et les services qui sont mis en œuvre dans chacune de ces collectivités sont uniques à ces collectivités ainsi qu’à la culture et à la tradition de chacune de ces nations.
C’est parce que le travail émane de la base. Ce sont les collectivités qui disent : « C’est ainsi que nous protégeons nos enfants. C’est ainsi que nous voulons les protéger maintenant et c’est ainsi que nous les avons protégés par le passé. » Je pense que c’est le principal facteur clé de la réussite de ce programme. Ce sont des membres de la collectivité, des travailleurs de première ligne et des chefs dans ces collectivités qui participent ensemble et adoptent une approche globale quant à la façon dont nous protégeons nos enfants.
L’intérêt mis sur l’« enfant dans le centre » est aussi essentiel. C’est tout ce qui va toucher cet enfant, que ce soit l’éducation — juste n’importe quoi qui entre en contact avec lui va le toucher — que nous examinons. Le fait de mettre l’enfant dans le centre a été essentiel à la réduction du nombre d’enfants sous garde.
Ce sont des politiques et des programmes qui sont conçus par nous, pour nous. Ce n’est pas une politique qui découle du gouvernement; c’est une politique qui vient de nous, en tant que membres de la collectivité qui vivons là-bas. Qui connaît mieux que nous ce dont nos collectivités et nos enfants ont besoin? Cela a été essentiel à la réduction du nombre d’enfants sous garde.
Lorsque vous parlez de ramener les enfants à la maison, le programme offre la souplesse nécessaire pour que les collectivités puissent déterminer comment elles veulent dépenser cet argent, en ce qui concerne leur culture et leurs traditions. Une de nos collectivités avait ce qu’elle a appelé la réunification familiale, où elle ramenait des enfants qui avaient été sous garde dans les collectivités. Elle tenait un rassemblement culturel et elle les ramenait dans la collectivité. C’était nouveau pour elle, donc vous devez suivre un peu une courbe d’apprentissage lorsque vous le faites. Vous ramenez un enfant qui a été retiré de sa collectivité, et il rencontre des gens qu’il n’a jamais rencontrés, y compris des membres de la famille. Bien sûr, c’est associé à une courbe d’apprentissage, mais ce programme offre la souplesse nécessaire pour que nous ayons en place un financement durable afin de ramener ces enfants et de les réunir avec leur collectivité et leur famille.
La sénatrice Pate : En ce qui concerne les ressources que vous utilisez, s’agit-il de ressources qui seraient autrement attribuées à la protection de l’enfance qui sont affectées à vos collectivités? Y en a-t-il parmi vos jeunes qui finissent dans le système de justice? Comment avez-vous réussi à éviter l’exploitation des jeunes dans le cadre du développement des ressources?
Mme Miller : Il ne s’agit pas d’argent qui serait normalement versé au ministère du Développement de l’enfance et de la Famille. Ce financement tient à une entente et un contrat avec la province de la Colombie-Britannique, par l’intermédiaire du ministère des Relations avec les Autochtones et de la Réconciliation. Ce n’est pas de l’argent que nous recevrions normalement pour le MEDF. C’est un financement, une entente et un partenariat entre les trois nations et la province.
Je ne peux pas répondre à la question pour ce qui est de la justice. Je sais que certaines collectivités ont leurs propres programmes de justice. Ce financement n’est pas propre à ces programmes. Les collectivités ont des programmes. Cependant, le Stikine Holistic Working Group procure à ce groupe la souplesse nécessaire pour travailler avec d’autres membres de la collectivité au sujet des programmes de justice.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue à vous, et merci à vous deux. C’est très inspirant de vous écouter décrire le type de leadership qui transforme les collectivités, particulièrement au chapitre de la sécurité de vos enfants.
Je voulais vous demander de nous expliquer un peu plus en détail l’énoncé figurant au deuxième paragraphe sur votre deuxième page. Madame Miller, vous dites ceci : « Ce partenariat a depuis fait boule de neige et s’est transformé en société de trois nations avec sa propre structure de gouvernance. » Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de cette structure de gouvernance, s’il vous plaît?
Mme Miller : Bien sûr. Comme je l’ai dit, en 2009, c’était un programme axé particulièrement sur les enfants et les familles. Le SWWG a été créé dans le cadre de ce programme. Ce que la province a remarqué, c’est la réussite du travail qu’il faisait. Elle a communiqué avec nous en 2013, je crois, pour nous demander si nous pouvions travailler ensemble sur d’autres secteurs prioritaires, comme trois nations. Nous sommes retournés voir nos collectivités et nous avons posé la question. C’est là que nous avons entendu nommer différents domaines, comme l’éducation — la faune, la guérison et le bien-être. Ce sont toutes d’autres priorités où nous nous sommes dit : « Oui, nous pouvons travailler sur ces priorités et être plus efficaces, en tant que trois nations, que nous le serions en tant que nations individuelles. »
En août 2017, nous avons créé une société qui est gouvernée par nos sept chefs. Ils forment notre conseil d’administration. Ils s’assoient à la table avec nous. Nous tenons des réunions trimestrielles avec notre conseil. Nos chefs obtiennent une orientation de leur collectivité. Je suis la représentante technique des Kaska. Nous avons des représentants techniques pour chacune des nations qui font tout le travail et qui se concentrent sur ces sujets prioritaires, puis nous rendons des comptes à nos chefs. Les fonds que nous recevons sont envoyés par l’intermédiaire de notre société. Nous avons une organisation complète pour notre société : des politiques financières, une structure de gouvernance, et cetera. C’est organisé par l’intermédiaire des sociétés de la Colombie-Britannique. C’est notre structure. Nous avons nos règlements municipaux et une constitution qui nous régissent, et c’est comme ça que nous sommes allés de l’avant.
La sénatrice McPhedran : Pour que je comprenne bien, en ce qui concerne le financement nécessaire à cette structure de gouvernance, s’agit-il d’une société distincte, indépendante et à but non lucratif?
Mme Miller : Oui.
La sénatrice McPhedran : Et vous gouvernez tout, y compris tout le financement. Quelle est la source des fonds pour le programme?
Mme Miller : Au début, tout était financé par la province. Cette année, c’est financé à partir de l’enveloppe de financement autochtone; c’est de là que nous recevons l’argent. Nous avons cette année obtenu un financement pour les trois prochaines années. Nous en sommes au premier exercice de cette approbation pour les trois prochaines années.
Nous avons divisé les fonds en trois sections. La majeure partie des fonds sert à financer le Stikine Wholistic Working Group. La deuxième partie, c’est pour financer le programme de la faune, dont la plus grande partie concerne certains des programmes des gardiens dont mon collègue a parlé. Puis, la troisième partie de ce financement, c’est ce que nous appelons la gouvernance des trois nations. Cet argent sert à financer le travail que nous faisons, à gérer, à rendre des comptes et à poursuivre le travail sur les autres secteurs prioritaires.
La sénatrice McPhedran : Dans notre conseil, toutes les ressources proviennent d’une source, et ces ressources ont un point d’arrivée. En même temps, nous aurons tous une élection fédérale d’ici un an — presque un an exactement. Pouvez-vous nous faire part d’une partie de votre planification possible par rapport à ce que sur quoi, malheureusement, nous l’avons vu trop souvent — les gouvernements changeront d’avis? Ces programmes, qui ont l’air incroyablement importants, ont besoin d’une longue vie.
Mme Miller : Au départ, le financement était fourni par la province, mais je crois que, en raison de la réussite que nous avons connue et du fait que nous commençons à être un exemple pour les autres Premières Nations, nous recevons maintenant aussi du financement fédéral, donc le Canada a maintenant vu le travail que nous faisons et il commence à financer une partie de ce travail également.
Je ne peux pas dire que nous avons planifié précisément les trois années à venir et réglé tout le financement. Je crois que nos chefs ont toujours eu l’influence politique nécessaire pour pressentir le gouvernement et le ministre et insister sur l’importance de ce travail.
Le financement a déjà été menacé. On a menacé de cesser notre financement du SWWG. Lorsque sept chefs de trois nations différentes sont assis à la table et montrent la réussite et l’innovation de ce type de travail ainsi que son importance pour les Premières Nations, tout particulièrement pour le Nord, c’est éloquent.
La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés.
J’aimerais revenir sur les feux de forêt. Les bombardiers à eau ont-ils été privatisés en Colombie-Britannique?
M. Lux : Je n’ai pas ce renseignement. Je ne suis pas sûr moi-même, mais je vais rechercher l’information et je serai plus qu’heureux de vous le confirmer.
La sénatrice McCallum : J’aimerais poser quelques questions, donc vous pourriez peut-être nous envoyer l’information.
Au Manitoba, le gouvernement provincial a tenté de privatiser les bombardiers à eau, les avions d’évacuation sanitaire et, maintenant, les aéroports. Dans le cas des bombardiers à eau, lorsque nous avons rencontré les membres du groupe, ils ont dit qu’ils étaient déjà privatisés en Colombie-Britannique, ce qui veut dire que c’est maintenant retiré de la compétence provinciale. Ce n’était pas une organisation à but non lucratif relevant de la province, et on a dit que c’était maintenant un développement économique si ça appartenait à des intérêts privés.
Comment fonctionnez-vous avec les bombardiers à eau si vous voulez les faire venir sur les lieux? Cela fonctionne-t-il et y a-t-il eu des coûts imprévus? Vous avez dit que vous vous êtes tournés vers la province pour envisager le nettoyage, donc il semble qu’il y a eu une division du travail, et j’imagine que c’est ainsi que vous présenteriez les choses. Comment cela est-il payé, et est-ce que cela fonctionne mieux qu’avant ou avez-vous remarqué une différence?
M. Lux : Merci de poser la question. En ce moment, tout est géré par la province. Merci de votre question sur la privatisation et de cette interprétation, parce que c’est nouveau pour moi. Nous ne nous sommes jamais posé nous-mêmes cette question.
Tout est géré par la province, et nous n’avons aucun rôle ni aucune capacité pour ce qui est de demander conjointement l’intervention de certains des bombardiers ou autre chose. Tout ce que nous sommes obligés de faire, c’est communiquer avec un représentant du ministère des Forêts, dialoguer et commencer à soulever une préoccupation selon laquelle un incendie fait rage ici, près de nos collectivités, et qu’il est nécessaire qu’on intervienne immédiatement. C’est la lacune, donc, ce que nous voulons faire dans nos réunions avec les ministres à la fin novembre, c’est combler cette lacune et commencer à nous asseoir et à négocier un partenariat fonctionnel par rapport aux mesures qui doivent être prises pour régler avec succès cette question de la lacune et du moment de faire les choses.
Un bon exemple concerne les Daylu. Certains de nos membres qui sont formés et font partie de la division de lutte contre les incendies du Yukon ont dit qu’ils allaient traverser cette petite frontière qui sépare deux de nos collectivités à Daylu et combattre. Tout ce dont ils ont besoin, ce sont des boyaux et des pompes, et la réponse de la Colombie-Britannique n’a pas été positive. Elle a dit : « Non, non, nous n’avons pas besoin de vous en ce moment. Nous nous en occupons. »
Il y a donc une énorme lacune, et nous devons imaginer une façon de la combler et d’établir des partenariats afin d’être prêts pour l’année prochaine. Je vous remercie de poser cette question, mais en ce moment, dans toutes nos collectivités, il n’y a pas d’entente ni de relation fonctionnelle. C’est le problème. C’est une préoccupation à laquelle nous devons réagir.
L’autre élément qu’il convient d’ajouter, c’est que, avec le gouvernement fédéral, par l’intermédiaire d’AANC, nous devons encore nous asseoir et établir cette relation également, parce que ces terres fédérales sont la responsabilité du Canada et que nous devons trouver un moyen d’en tenir compte et de rajuster le tir. Elles font partie du tout.. Si vous parlez de notre collectivité, vous ne pouvez pas juste dire : « Les feux de forêt commencent ici, donc ce n’est pas de nos affaires. » On dira : « Eh bien, si c’est sur des terres fédérales, ce n’est pas de nos affaires. » Donc nous devons découvrir une façon d’établir cette relation, et nous espérons réussir à le faire. Nous avons déjà en place quelques processus gouvernementaux à proposer à la table. Dans le cadre de ces discussions, à la lumière de cette expérience, nous espérons pouvoir commencer à travailler là-dessus.
La sénatrice McCallum : Donc, lorsque nous avons parlé avec le pilote, il a dit que la Colombie-Britannique avait ce qu’il y a de mieux en ce moment. C’est un travail vraiment unique. Aucune compagnie aérienne ne peut juste venir et s’emparer des bombardiers à eau, parce que c’est vraiment une position unique, risquée et potentiellement mortelle. Vous avez besoin de pilotes d’expérience. Je pense qu’il avait 30 ans d’expérience. C’était leur préoccupation, mais il a dit que, compte tenu de la façon dont c’était privatisé en Colombie-Britannique, ce groupe était formé de personnes qui avaient fait ce travail pendant des années et savaient comment combattre les incendies. Ils examinaient le modèle en Colombie-Britannique, mais j’aimerais voir s’il a fonctionné. Je peux vous transmettre les questions que j’ai posées.
L’autre aspect concernait le pensionnat. Qu’est-ce qui remplacerait l’école et quelle est votre recommandation au Sénat par rapport à la façon de procéder; ou voulez-vous que nous vous aidions à cet égard?
M. Lux : Merci beaucoup de poser cette question très importante. Je suis très reconnaissant que vous la souleviez.
En ce moment, nous croyons simplement qu’il est nécessaire de se débarrasser de l’immeuble et de le remplacer. Le Conseil des Dénés Daylu travaille avec AANC depuis 25 ans, et ils sont arrivés à un point où ils élaborent une structure par rapport à ce à quoi l’immeuble ressemblerait, et c’est maintenant une question de coût. C’est le seul élément qui entrave la décision future. AANC continue de dire que c’est difficile. Nous comprenons que ça l’est. Le ministère peut obtenir une partie des fonds, et si vous n’êtes pas d’accord avec ce montant, d’ici la fin de l’année, ils ne seront plus là, et vous devrez recommencer, parce que d’autres priorités seront apparues, que ce soient des enjeux de santé et d’eau dans d’autres collectivités, et nous comprenons cela. Nous devons déterminer quels fonds aideront à remplacer de façon réussie ce vieil immeuble administratif, pour que la collectivité puisse aller de l’avant, oublier le passé et commencer à croître.
L’une des choses qui sont ressorties de cet incendie survenu dans notre collectivité est que le chef de la protection des incendies est arrivé et a déclaré que personne ne pouvait revenir dans la collectivité tant qu’ils n’avaient pas inspecté tous les bâtiments et le matériel électrique et pour s’assurer que c’est sécuritaire. Quand ils sont venus faire rapport sur le bâtiment lui-même, ils ont été étonnés qu’il soit toujours debout. Ils ont dit que le bâtiment aurait dû être condamné il y a longtemps; c’est ressorti de leur rapport. D’autres rapports produits par notre collectivité mentionnent la même chose, mais étonnamment, on a tiré la même conclusion à la suite de l’incendie tout en se demandant pourquoi des gens y étaient encore. Il aurait dû disparaître il y a longtemps, en plus de cette page d’histoire.
Voilà où réside le problème. Nous avons besoin de fonds pour que la Première Nation Daylu puisse aller de l’avant. Nous sommes très proches. Nous comptons sur le Sénat, sur votre soutien et votre compréhension pour lancer la démarche et faire bouger les choses. Le processus stagne, ne va nulle part, et nous sommes de plus en plus frustrés. Certains des aînés qui ont fréquenté cette école ne veulent même pas entrer dans le bâtiment. Des grands chefs de notre nation, qui viennent à Daylu, refusent d’entrer là, et vous pouvez voir pourquoi.
Michelle, je ne sais pas si vous en faisiez partie, mais il y a eu notamment le cercle de guérison dans le cadre des initiatives sur les pensionnats présentées par le Canada. Daylu représentait beaucoup des membres des Premières Nations qui ont fréquenté cette école. Ils ont obtenu des fonds et ont ensuite organisé une cérémonie de guérison dans la collectivité. Ils ont construit ce cercle de guérison où ils ont emmené tous les membres survivants de ce pensionnat et ont entrepris un processus de guérison. Des représentants du Canada et d’autres personnes sont venus se joindre à nous pour entendre les récits. Ils ont fait les cérémonies de purification par la fumée et voulaient guérir.
Malheureusement, le bâtiment est toujours là. Donc, même si nous avons suivi ce processus, même si beaucoup d’entre nous ont accepté les excuses sincères du Canada, cette école est toujours là. C’est un rappel épouvantable de l’histoire impitoyable, inoubliable, qui s’y est déroulée. Peu importe la fréquence à laquelle nous acceptons des excuses ou quoi que ce soit, il y a toujours ce rappel. Comme je l’ai dit, selon le rapport d’incendie, ce bâtiment aurait dû être condamné il y a longtemps.
Sénateurs, nous avons donc besoin de trouver un moyen de sortir de ce petit trou de boue dans lequel nous nous enlisons et de faire avancer les choses. Nous avons tous les éléments. Tout est là. Nous devons simplement comprendre comment aller de l’avant. Comment pouvons-nous pousser dans ce sens et commencer? Nous y sommes presque. Je suis heureux de vous entendre poser cette question et j’espère, sénateurs, que vous travaillerez à l’une des initiatives pour aller de l’avant. Je suis désolé. Une fois que j’ai commencé, je ne peux plus m’arrêter.
La sénatrice McCallum : Je voulais vous demander si vous pouvez envoyer au Sénat tous les renseignements sur ce que vous avez fait, l’historique de cette affaire.
Mme Miller : Je veux seulement ajouter quelque chose. Le rassemblement dont parle Bill a eu lieu en 2012 et s’appelait Gathering Around the Fire. Le but était de faire revenir les anciens étudiants du pensionnat dans la collectivité. Ce pensionnat était situé en plein centre de notre collectivité. La partie toujours debout est le bureau du conseil de bande. C’est tout ce qui reste du bâtiment. Nous avions un gymnase à cet endroit. Il a été réduit en cendres, je crois. Il a brûlé entièrement. Ainsi, lors du rassemblement Gathering Around the Fire, le ministre s’est engagé en disant que c’était horrible et qu’il fallait faire quelque chose à ce sujet. C’est ce que nous continuons d’entendre. Un engagement financier a été pris, mais nos dirigeants sont frustrés parce qu’ils ne cessent d’entendre dire : « Oui, nous nous sommes engagés. » Toutefois, rien n’a été signé. C’est toujours : « D’accord, vous devez y aller. » Ils ont les plans en place. Les architectes sont venus, et il y a des plans. Tout est là pour un nouveau bâtiment administratif, mais nous avons besoin d’un véritablement engagement de fonds afin de nous débarrasser de ce bâtiment dans notre collectivité.
Le vice-président : Merci de vos commentaires. Nous attendons avec impatience une lettre décrivant l’échéancier et ce que vous venez d’expliquer. Nous pourrons ensuite discuter et voir comment nous pouvons ajouter nos voix à la vôtre.
Mme Miller : Nous pourrions aussi envoyer une vidéo.
Le vice-président : Parfait.
Mme Miller : Une vidéo du rassemblement Gathering Around the Fire a été réalisée.
Le vice-président : Ce serait formidable.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Soyez la bienvenue. Ma question concerne vos relations avec le gouvernement fédéral et la province. Vous avez dit que vous avez un accord de trois ans pour travailler ensemble. Pourquoi seulement trois ans?
Mme Miller : Avant de répondre, je tiens à saluer un de mes collègues qui a participé à tout ce travail. Je viens de me rendre compte que vous êtes là. Je voulais vous saluer.
En fait, je pense que le fait de signer pour trois ans est un pas en avant vers leur engagement. Avant cela, nous y allions une année à la fois. Chaque année, nous ne savions pas si nous allions obtenir à nouveau un financement. Comme je l’ai dit, cela a commencé en 2009. Je pense que c’est un pas en avant : passer d’un engagement de un an à leur engagement envers un financement de trois ans maintenant. Bien sûr, nous souhaitons que cela puisse être pour plus longtemps. La durabilité est importante. C’est l’un des problèmes que vivent la plupart des collectivités des Premières Nations. Le financement que nous recevons est annuel, découle d’une proposition ou n’est pas durable. Alors, comment pouvons-nous bâtir des collectivités saines et heureuses lorsque nous disposons d’un financement annuel? Oui, dans un monde parfait, ce serait formidable d’avoir plus qu’un accord de trois ans pour ce travail remarquable que nous accomplissons, mais malheureusement, c’est trois ans pour l’instant.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Que se passerait-il s’il y avait un changement de gouvernement?
Mme Miller : Nous en avons discuté à notre table des dirigeants. C’est évidemment ce que nous craignons. Encore une fois, si nous voulons vraiment changer cette relation, cela ne devrait avoir aucune importance, pas vrai? Ce financement devrait être là, peu importe le gouvernement élu. Ces programmes ne changent pas. Nos collectivités ne changent pas. Nos enfants sont toujours là. Tout ce que nous faisons dans notre collectivité est important pour notre collectivité. Ce serait un excellent moyen de montrer qu’il existe des relations de nation à nation, un financement durable pour nos collectivités.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Entre le gouvernement fédéral et la province, avec lequel les relations sont-elles les meilleures? Aucun?
Mme Miller : Je pense qu’en raison de l’importance du travail que nous effectuons, les relations sont beaucoup plus faciles. Les relations avec le gouvernement fédéral sont plus récentes dans le cadre de cette initiative, et je ne peux donc pas vraiment en dire plus sur ce qu’elles ont été jusqu’à présent. Même s’il s’agit d’une nouveauté, nous pouvons constater un changement dans la façon de penser du gouvernement et la façon dont il progresse avec les peuples des Premières Nations. Nos relations avec la province sont excellentes : notre homologue est formidable et travaille avec nous. Nous établissons vraiment des relations dans le cadre de nos travaux, avec les deux gouvernements.
Le sénateur Patterson : J’ai plus d’une question, mais elles seront brèves. Merci à vous deux.
Madame Miller, le travail que vous accomplissez afin de proposer aux enfants des programmes et des services adaptés à la culture est une priorité du gouvernement actuel, et il se pourrait que nous soyons saisis de mesures législatives à ce sujet dans la présente législature. Vous avez mentionné que votre travail avait attiré l’attention de la ministre Philpott. Avez-vous participé à l’initiative des services d’aide à l’enfance sur laquelle elle travaille?
Mme Miller : Je ne peux pas être tout à fait sûre à ce sujet, mais je sais que lorsque l’invitation a été adressée au Stikine Wholistic Working Group en janvier, c’était pour présenter un exposé sur le travail que nous faisons. Encore une fois, je ne veux pas répondre et ne pas être sûre à 100 p. 100, mais c’est certainement une réponse que je peux vous fournir plus tard.
Le sénateur Patterson : Espérons qu’ils tireront parti de votre bon travail.
Monsieur Lux, j’ai été impressionné par vos deux exposés, mais également par votre vision des aires protégées autochtones et le programme Gardiens Autochtones. Nous travaillons au Nunavut avec la ministre de l’Environnement en vue de la création d’une aire marine protégée dans l’Extrême-Arctique; je connais donc bien le sujet. Pourriez-vous nous parler un peu de votre vision des aires protégées autochtones? J’ai remarqué que vous avez dit espérer que l’on vous inviterait respectueusement à participer à l’exploitation du GNL. Vous avez fait un premier pas en ce qui concerne une grande superficie de terre, 3,4 millions d’hectares. Cette aire protégée autochtone serait-elle disponible à des fins d’exploitation dans votre territoire traditionnel ainsi qu’à des fins de protection? Lorsque vous parlez d’« aire protégée autochtone », je me demande s’il s’agit d’un parc ou si cette aire sera destinée à des usages multiples. Y aura-t-il des options pour d’autres usages, bien sûr, avec le consentement de votre peuple? À quoi ressemblera cette terre?
M. Lux : Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur. C’est une très bonne question. Comme nous le savons tous — et n’hésitez pas à me corriger à tout moment —, il n’y a pas de législation relative aux aires protégées autochtones. Je suis sûr que c’est la raison pour laquelle vous posez cette question.
Nous reconnaissons que le Canada a ses politiques sur les aires protégées fédérales. La Colombie-Britannique a également ses processus qui relèvent des parcs de la province, les parcs canadiens, puis il y a la conservation. Nous avons examiné tous ces aspects, et nous nous sommes rendu compte que c’était une occasion, non seulement de protéger la région, notre tradition et notre culture, mais également d’explorer les possibilités qui pourraient se présenter pour une forme quelconque d’exploitation. Nous sommes actuellement en train de rassembler nos efforts et de tenter d’élaborer cette proposition future, au moyen de ces désignations différentes. Nous espérons que, lors de futures discussions avec le Canada et la Colombie-Britannique, nous pourrons proposer un projet qui permettra de réaliser différentes choses lorsqu’il est question de protéger une aire tout en en permettant la mise en valeur. Nous ne sommes pas encore rendus là, mais nous reconnaissons le potentiel et nous étudions la question.
L’autre élément important — et je suis heureux que vous ayez également mentionné le GNL — est que cette aire n’englobe pas la formation qui renferme du GNL sur notre territoire traditionnel. C’est plus loin dans la partie centrale. Le GNL se concentre dans la partie nord-est de notre territoire traditionnel. Nous avons donc de la chance. C’est la seule raison pour laquelle nous avons proposé cette aire.
C’est l’une des régions les plus reculées de la Colombie-Britannique, où il n’y a pas de routes. Il n’y a pas de grand projet de mise en valeur des ressources. Un important bassin hydrographique avec tous ses affluents se trouve au cœur de notre territoire traditionnel, de la fosse allant de la partie nord de l’une de nos collectivités jusqu’à la partie d’une autre. On y retrouve l’un des écosystèmes de prédateurs et de proies les plus intacts. Certains l’appellent le « Serengeti du Nord » en Amérique du Nord. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi cette aire en particulier, car il n’y a pas beaucoup de ressources qui y sont exploitées. Il n’y a pas d’exploitation forestière là-bas. Il n’y a presque pas d’arbres. Vous êtes dans cette grande et belle vallée. Il y a des activités d’exploration minérale dans la région, mais cela n’a pas encore été démontré. Nous sommes d’avis que tant que cela n’aura pas été prouvé, il n’y aura pas d’exploitation future tant que nous ne serons pas convaincus qu’il y a quelque chose à faire, puis nous y travaillerons. C’est là que cet élément entre en jeu. Si l’industrie dit : « C’est important, et nous voulons y accéder », alors nous pourrons parler de ce que cette aire protégée a à offrir.
Il ne s’agit pas d’un parc. Cette zone n’est pas reconnue comme étant un parc fédéral ou provincial ni comme étant une aire de conservation. Espérons qu’un jour, nous arriverons à nous entendre sur sa désignation. Selon nous, cette zone devrait être considérée comme une aire protégée autochtone, mais qu’est-ce que cela signifie? Avant que nous y arrivions, je serais plus qu’heureux de communiquer au Sénat notre vision de ce que pourrait devenir cette zone après que nous l’aurons aménagée. J’espère que j’ai répondu à votre question.
Le sénateur Patterson : Oui, mais juste une dernière petite chose. Vous avez mentionné avoir approché la ministre McKenna et avoir entrepris une première démarche auprès du Fonds de la nature du Canada. Pourriez-vous nous faire part de la réponse de la ministre McKenna?
M. Lux : Absolument. Je serais heureux de vous fournir ce renseignement.
Le sénateur Patterson : Ou peut-être que vous pourriez nous en parler. La réponse était-elle positive?
M. Lux : Nous avons obtenu une réponse très favorable. Nous étions ici, à Ottawa. Ma collègue Michelle me fera certainement signe si je me trompe. Nous avons participé à un certain nombre de réunions avec tout le personnel du cabinet de la ministre McKenna — sous-ministres, ministres, cadres — pendant deux jours entiers pour parler de notre zone. Nous avons par la suite assisté à un gala en soirée pour la ministre McKenna et nous l’avons rencontrée, puisqu’elle n’était pas disponible durant les deux jours de réunion, pour discuter avec elle. Par après, elle s’est rendue en Colombie-Britannique. Nous n’avons pas eu l’occasion de nous entretenir avec elle dans cette province, mais son cabinet a appuyé le projet et nous a dit, si je me souviens bien, qu’il a choisi la zone pour faire partie des zones candidates. C’est pour cette raison que nous obtenons du financement de cette façon.
Le sénateur Patterson : Très bien.
M. Lux : J’espère que cela vous a aidés. Si je reçois d’autres renseignements, je serais heureux de vous les faire parvenir dans une lettre. Si j’ai oublié quelque chose, je vous en ferai également part.
Le vice-président : Merci, monsieur Lux. Au nom du comité, je tiens à vous remercier tous les deux d’avoir donné de votre temps aujourd’hui et d’avoir présenté vos judicieux exposés. Nous l’apprécions énormément et nous vous souhaitons le meilleur. Lorsque nous aurons plus de détails concernant le dossier des pensionnats, nous mobiliserons notre modeste influence ici dans l’espoir de joindre nos voix à la conversation avec le ministère. Merci encore.
Pour poursuivre notre étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis, nous avons maintenant avec nous Donald Morris, chef; Noah Chapman, directeur général, et Bob John Fox, responsable de la liaison et des Services à l’enfance et à la famille, tous de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, précédemment appelée la Big Trout Lake First Nation. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes impatients d’entendre ce que vous avez à dire et de pouvoir en discuter par après, à l’aide des questions de la part des sénateurs. S’il vous plaît, vous avez la parole.
Donald Morris, chef, Kitchenuhmaykoosib Inninuwug (précédemment Big Trout Lake First Nation) : Merci beaucoup.
Tout d’abord, je m’appelle Donny Morris et je suis le chef de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug. Je suis fier d’être ici pour représenter ma collectivité et pour présenter ce que nous envisageons comme relation de nation à nation pour l’avenir.
Au nom de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de présenter la perspective de notre nation au sujet d’une nouvelle relation de nation à nation avec la Couronne. Nous avons parcouru une grande distance depuis nos terres traditionnelles pour vous parler aujourd’hui de notre identité en tant que nation autochtone, du lien étroit et durable que nous entretenons avec nos terres traditionnelles et de notre désir d’une relation respectueuse et réciproque avec la Couronne, comme prévu dans les traités régissant les rapports entre nous.
Nous souhaitons également remercier Keeshaymanitou d’avoir donné ces terres à notre nation et de nous avoir donné tout ce dont nous avons besoin pour exister et nous épanouir, comme les étendues d’eau, les forêts, les animaux, les poissons, les oiseaux, les rochers, les minéraux et tous les végétaux.
Afin que vous puissiez nous comprendre pleinement, nous souhaitons vous raconter l’histoire de notre nation autochtone. Nous espérons que le fait de vous transmettre l’histoire de notre coexistence respectueuse avec nos terres traditionnelles et nos croyances qui découlent de cette coexistence, qui est à la base même de notre identité autochtone, de notre culture et de nos coutumes, permettra aux membres du comité de comprendre pleinement notre vision du renouvellement de la relation de nation à nation avec la Couronne.
Notre peuple autochtone fait partie des plus anciens de l’hémisphère occidental, et, en particulier, des innombrables terres et territoires de l’île de la Grande Tortue, l’Amérique du Nord. Notre nation habite nos terres traditionnelles depuis le début de la mémoire humaine, laquelle compte des siècles d’évolution et de croissance. Keeshaymanitou a donné à notre nation ses terres traditionnelles, et nous y vivions avant l’arrivée de tout autre peuple, gouvernement ou nation. C’est sur cela que nous nous fondons lorsque nous déclarons que ces terres et ces ressources ont toujours appartenu à notre nation. De récentes enquêtes effectuées par des scientifiques occidentaux ont permis de reconnaître que nos ancêtres ont vécu sur les berges de ce qui est maintenant connu comme le lac Big Trout à la suite de la découverte d’un lieu de sépulture vieux de 5 000 ans où se trouvaient les ossements de nos ancêtres.
C’est en raison de la longue présence sur notre terre natale que notre nation autochtone de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug affirme et exerce sa souveraineté de façon continue. Même si notre nation respecte certaines lois canadiennes et la réglementation unilatérale canadienne en ce qui a trait à nos peuples et à nos terres traditionnelles, nous conservons notre souveraineté, laquelle n’a pas été abandonnée par l’entremise de traités ou par tout autre moyen légitime sur le plan juridique. Nous sommes la nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, comme nos ancêtres l’ont proclamé.
Notre nation reconnaît et comprend que Keeshaymanitou, en nous donnant nos terres traditionnelles, nous a également donné les quatre éléments sacrés, soit le feu, la terre, l’air et l’eau, en plus de toutes les autres ressources qui se trouvent sur nos terres natales, y compris, mais sans s’y limiter, les cours d’eau, les forêts, les animaux, les poissons, les oiseaux, les roches, les minéraux et tous les végétaux. Par conséquent, notre nation accepte la responsabilité sacrée de prendre soin de ses terres traditionnelles et de ses ressources, afin de maintenir l’équilibre de la vie qui est au cœur de notre identité comme peuple autochtone et nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, pour aujourd’hui et pour demain.
Notre nation a ses propres lois, qui découlent des lois de Keeshaymanitou, qui sont plus anciennes que celles du Canada. Ces lois exigent de notre nation qu’elle protège ses terres traditionnelles et toutes ses ressources pour les générations à venir. Certains membres du comité se souviendront peut-être qu’en 2008, cinq membres de notre gouvernement et moi-même, le chef de la nation, avons été emprisonnés pour avoir défendu notre engagement envers notre nation et notre peuple à assumer notre responsabilité sacrée à l’égard de nos terres traditionnelles et de nos lois en refusant de laisser Platinex faire de l’exploitation minière sur nos terres traditionnelles sans notre consentement. L’engagement de notre nation et sa détermination à faire en sorte que nos terres traditionnelles et leurs ressources soient protégées est si fort que nous sommes prêts à sacrifier notre liberté afin de défendre nos principes, nos lois et nos peuples.
Depuis notre incarcération, notre nation a formulé certaines de nos lois, ainsi que les protocoles et règlements qui en découlent, afin de préparer deux déclarations, deux projets structurants et trois documents essentiels qui guident notre nation dans le maintien de sa relation spéciale avec ses terres traditionnelles et de sa responsabilité sacrée envers elles. Ces documents contiennent les principes sur lesquels nous nous fondons afin d’établir une relation renouvelée, respectueuse et réciproque avec la Couronne.
En quelques mots, voici ces deux déclarations et ces deux projets structurants. Tout d’abord, la déclaration de souveraineté et de gouvernance et l’affirmation des droits inhérents et conférés par traité de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug et la déclaration de responsabilité sacrée en ce qui a trait aux terres traditionnelles Kitchenuhmaykoosib Inninuwug Aaki de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug établissent la vision et l’affirmation de notre nation en ce qui a trait à notre souveraineté et à nos droits inhérents et conférés par traité ainsi qu’à notre responsabilité envers nos terres traditionnelles. Ensuite, le projet de recherche parallèle autochtone de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug a permis de dresser un portrait détaillé de la présence historique continue de notre nation sur ses terres traditionnelles; et le projet de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug relatif à l’obtention d’affidavits d’aînés concernant les traités a permis d’interviewer 13 aînés qui avaient des connaissances directes transmises par des membres de leur famille ou d’autres aînés présents lors de la signature des traités avec la Couronne, d’enregistrer leur témoignage et de rédiger des affidavits.
Les trois documents essentiels sont le protocole de consultation de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, qui établit le processus à être observé dans le cadre de la consultation de notre nation; la déclaration sur les bassins versants de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, qui établit la vision de notre nation face à notre responsabilité sacrée en ce qui a trait à la gestion des plans d’eau situés sur nos terres traditionnelles; et le projet de cadre de gouvernance collaborative de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, qui établit les croisements entre les pratiques de gouvernance de notre nation et nos droits inhérents d’informer les parties non autochtones des activités qu’elles peuvent entreprendre sur nos terres traditionnelles, les processus par lesquels ces activités peuvent être permises et les pouvoirs et compétences dont dispose notre nation.
Notre nation serait plus qu’heureuse de fournir, sur demande, n’importe lequel de ces documents au comité et de participer à une autre réunion si nécessaire afin de discuter du contenu de ces documents et de leur applicabilité pour la création d’une relation de nation à nation renouvelée, respectueuse et réciproque.
Voici des principes et des recommandations pour une relation renouvelée, respectueuse et réciproque : en plus des deux déclarations, des deux projets structurants et des trois documents essentiels mentionnés plus tôt, l’interprétation de notre nation du traité conclu le 5 juillet 1929 avec la Couronne donne également lieu à des principes sur lesquels nous souhaitons nous fonder afin de bâtir une relation renouvelée, respectueuse et réciproque avec la Couronne.
Notre interprétation du traité se fonde sur la transmission, par les aînés de la nation, de connaissances et de détails, ce qui avait été promis et conclu au premier jour de l’entrée en vigueur de ce traité. Récemment, notre nation a enregistré les connaissances de 13 aînés, dont certains étaient enfants lorsque ce traité a été signé, par rapport aux souvenirs de leurs parents ou d’autres aînés de ce qui s’est passé au premier jour de l’entrée en vigueur ainsi qu’aux conditions établies verbalement. Les aînés ont déclaré sous serment que les renseignements et les connaissances qu’ils ont transmis étaient vrais. Ces témoignages sous serment fournissent à notre nation des principes pour l’établissement d’une relation renouvelée respectueuse et réciproque avec la Couronne.
Cela dit, nous souhaitons recommander des principes qui correspondent à notre vision d’une relation renouvelée, respectueuse et réciproque de nation à nation avec la Couronne.
Pour établir toute relation renouvelée, respectueuse et réciproque de nation à nation, les deux parties doivent reconnaître que l’autre partie existe en fonction de ses propres croyances et lois et de sa propre culture, lesquelles guident sa façon d’interagir avec les autres. Les deux parties doivent également reconnaître que les efforts de réconciliation de ces croyances, cultures et lois doivent être égaux entre les deux parties. Ce n’est pas seulement à la nation autochtone d’ajuster ses croyances, sa culture et ses lois afin de les adapter à celles du Canada.
La relation durable qu’entretient la nation avec ses terres traditionnelles, lesquelles lui ont été données par Keeshaymanitou, et la responsabilité sacrée de la nation envers les terres traditionnelles et les ressources doivent être respectées par le Canada, l’Ontario et les exploitants de ressources de tierce partie. La nation ne s’oppose pas nécessairement à tous les exploitants, mais ces derniers doivent toujours prévoir la participation raisonnable et significative de la nation, ce qui inclut des bénéfices économiques, dès le premier stade des opérations, ainsi que le respect du protocole de consultation de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug.
Le rapport établi à la signature du traité doit être respecté et être vu non pas comme un élément historique figé dans le temps, mais plutôt comme une relation continue, naturelle et en constante évolution au sein de laquelle notre nation accepte de partager certaines ressources avec la Couronne en échange de son aide quant au maintien d’un bon niveau de vie pour la nation et ses membres. Un tel partage ne peut être établi de façon unilatérale par le Canada ou l’Ontario ou par un exploitant de tierce partie; il faut absolument respecter le protocole de consultation de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug.
Le rapport établi à la signature du traité doit être renouvelé continuellement pour qu’on puisse veiller à ce que l’esprit et l’intention du traité, soit la cohabitation respectueuse de notre nation avec le Canada et l’Ontario sur nos terres traditionnelles, puissent continuer d’être mis en œuvre et de se concrétiser afin de répondre aux besoins de toutes les parties.
Une relation de nation à nation renouvelée, axée sur le respect et la réciprocité, comporte un facteur économique qui permet le maintien de la capacité des territoires de la nation de subvenir aux besoins de la population, que ce soit par des paiements de transfert qui découlent de l’exploitation des ressources ou par les propres initiatives économiques de la nation. Par conséquent, les lois applicables du Canada et de l’Ontario doivent permettre à la nation d’avoir elle aussi voix au chapitre de la gestion de ses terres et de ses ressources et de tirer profit des avantages économiques de l’exploitation par un tiers et de ses propres initiatives économiques.
Notre nation doit toujours intervenir de manière raisonnable et sérieuse dans tous les dossiers qui peuvent toucher à nos droits, y compris à toutes les questions qui touchent à nos terres. Un tel engagement n’est pas seulement un processus pour faire connaître les préoccupations de notre nation, car nous avons pour objectif d’intégrer raisonnablement aux dossiers à l’étude nos préoccupations, nos aspirations et le respect de nos lois, de notre culture et de nos pratiques.
Pour conclure, nous aimerions réitérer nos remerciements pour nous avoir donné la possibilité d’exposer la vision de notre nation sur une nouvelle relation de nation à nation avec la Couronne. Nous tenons à vous transmettre que notre nation est ouverte à un dialogue continu visant à provoquer des changements réels dans notre relation avec le Canada, et nous espérons que nos préoccupations susmentionnées auront des répercussions.
J’ai parlé au nom de la nation Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, et je suis le chef Donny Morris.
Le vice-président : Merci beaucoup, chef. Pendant que vous parliez, je me suis souvenu, et je l’ai confirmé auprès du sénateur Patterson, que nous étions allés dans votre collectivité il y a trois ou quatre ans dans le cadre d’une étude sur le logement. Le sénateur Patterson et moi-même, nous nous rappelons du repas de poisson frit qu’on nous avait servi, et du fait que vous étiez très accueillants. Vous avez une école formidable, et je me souviens que c’est là où je me suis pris de passion pour le pain bannique aussi, donc merci pour cela.
Nous avons un certain nombre de questions des sénateurs, alors écoutons-les.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, chef Morris. Je suis nouvelle à ce comité, je n’ai donc pas eu le plaisir de visiter votre collectivité. J’ai toutefois visité une collectivité voisine il y a bien des années, Sachigo Lake, qui fait également partie de la nation Nishnawbe Aski, je connais donc un peu la région.
Votre exposé était très convaincant. Vous êtes clairement un leader remarquable car vous êtes allé en prison pour défendre les droits de votre peuple. Je suis désolée que vous ayez eu à le faire, mais je vous félicite pour le leadership dont vous avez fait preuve, et également pour ce qui s’est concrétisé depuis, si j’ai bien compris ce que vous avez dit.
Vous avez très clairement parlé de l’importance de cette relation renouvelée, et constamment en renouvellement, si j’ai bien compris, axée à la base sur le respect et la réciprocité entre la nation et la Couronne. Vous avez mentionné que les leçons tirées des expériences passées de votre peuple et de tout ce que vous avez dû affronter vous ont montré que vous avez besoin de mettre certaines choses en ordre, et vous avez entre autres parlé du protocole de consultation. Ma première question vise à comprendre davantage le fonctionnement du protocole de consultation, et à savoir si vous avez déjà eu l’occasion de l’utiliser.
Enfin, à partir de cette question précise... L’une des choses que nous avons entendu dire, c’est que si vous vous sentez respectés et si vous êtes respectés, dans une relation, cela débouche généralement sur une relation de confiance. Je me demande ce que vous pensez maintenant de la confiance qui existe entre votre nation et la Couronne.
M. Morris : Je vais être très franc; je sais bien que j’ai tendance à exprimer mon opinion.
Avec le protocole de consultation, c’est déjà fait. Toutefois, comme vous le savez tous, le gouvernement de l’Ontario a retiré des terres, et selon la documentation sur l’utilisation de nos terres, et cela concerne plus de 23 000 milles carrés. Il n’y aura pas d’activité sur notre territoire pendant les 15 prochaines années, je pense. L’Ontario a amorcé une période de 26 ans où il n’y aura pas d’activité minière. Cela a donné à la collectivité le leadership et la capacité d’avancer. Réaliser ces choses, tel que l’affidavit relatif au traité, la déclaration sur les bassins versants, toutes ces choses nous aident à nous préparer.
Je suis ici pour dire que, le plus important, et je ne sais pas si j’ai bien compris, c’est qu’un jour la Loi sur les Indiens sera abolie. Nous nous y préparons. Nous élaborons des lois et nous mettons en place des politiques afin d’être prêts quand ce moment arrivera, car lorsque la Loi sur les Indiens sera mise de côté, nous ne reconnaîtrons pas l’Ontario comme faisant partie de notre territoire. Il y aura le Canada et la nation Kitchenuhmaykoosib Inninuwug. Sur tout ce territoire nordique, nous produirons nos ressources et nous financerons notre collectivité, le public, les voies d’eau, tout ce qu’il y a dans le Nord. Nous ferons un premier pas, nous ferons fonctionner un gouvernement en supposant que l’Ontario n’a plus de rôle à jouer. Notre traité a été conclu avec le Canada, mais d’une façon ou d’une autre, l’Ontario s’est immiscé — nous ne savons pas comment — sous les couleurs du drapeau canadien de l’époque, en 1929, il n’y a pas si longtemps que ça, et tout est encore frais dans notre mémoire. Nous envisageons une relation avec le Canada, nous essayons d’imaginer à quoi ressemblera cette relation à l’avenir, et nous voulons savoir si et quand la Loi sur les Indiens sera abolie.
La sénatrice Coyle : Aujourd’hui, comment se porte la relation que vous avez avec le Canada? Comment la décririez-vous?
M. Morris : Je suis satisfait du gouvernement d’aujourd’hui, le gouvernement libéral. Je suis satisfait. Je dirais qu’il convient à nos besoins. Nos actifs, les infrastructures et le reste, sont déterminés. Mon collègue a mentionné un bâtiment administratif. Nous avons besoin de cela également. Nous avons besoin d’un nouvel immeuble administratif. Nous sommes las du bureau du gouvernement, qui est un vieil immeuble, deux bâtiments regroupés en un. Si le Sénat pouvait nous aider à construire un bureau gouvernemental dans le Nord, dans notre collectivité, nous apprécierions cela également.
La sénatrice Coyle : Merci, chef Morris.
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup pour votre exposé. J’ai de vifs souvenirs de notre visite dans votre collectivité. Nous y avons appris de quelle manière votre nation avait été systématiquement privée de certaines assez bonnes terres de la région, et pourquoi, par conséquent, elle fait face à des défis en matière d’emploi et de revenus autonomes. C’était une bonne chose pour nous de visiter une collectivité, comme la vôtre, accessible seulement par avion et de comprendre tous ces enjeux.
J’aimerais vous poser une question sur l’initiative de Bob Rae. Ai-je bien compris, il a été chargé de résoudre certains des enjeux de votre région? Son travail a-t-il donné quelques résultats? Si je suis hors sujet, vous pouvez me le dire.
M. Morris : Bob Rae a été embauché par la Première Nation Matawa. Nous sommes une nation indépendante. Nous ne sommes pas rattachés à la nation Matawa ni à aucune autre de ses collectivités. Nous sommes une collectivité indépendante au milieu de toutes ces autres collectivités.
Le sénateur Patterson : Je suis désolé, la question était inappropriée.
M. Morris : Sur les questions économiques, je pense que je vais céder la parole à Noah; il va également parler de nos objectifs.
Noah A. Chapman, directeur général, Kitchenuhmaykoosib Inninuwug (précédemment Big Trout Lake First Nation) : Je vais poursuivre sur le même sujet que le chef Morris. Le ministère du Développement du Nord et des Mines a annoncé un moratoire sur 23 181 kilomètres carrés de ce que nous appelons la terre des Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, et il a parlé d’un échéancier pour ce moratoire. Nous sommes une Première Nation indépendante, donc, en ce qui concerne le développement économique, nous sommes disposés à examiner toutes les options disponibles maintenant et à l’avenir.
La sénatrice Pate : Merci à vous tous d’être venus. J’aimerais reprendre ce qui a déjà été dit sur le fait que vous défendez clairement vos principes, quitte à être emprisonnés. Vous avez probablement entendu quelques-unes des questions que j’ai posées aux témoins précédents, je serais ravie de les répéter, mais si vous voulez commencer, je pourrai les compléter.
M. Morris : Pourriez-vous répéter ce que vous disiez? C’était il y a un moment.
La sénatrice Pate : Je m’excuse. Vous avez parlé entre autres choses des jeunes, des terres et des ressources. Beaucoup de ressources sont consacrées à la prise en charge des jeunes Autochtones, et beaucoup de ressources sont consacrées à l’emprisonnement des jeunes et des adultes. Il y a certainement dans le système pour adultes des dispositions permettant que ces ressources soient investies dans la collectivité, si les collectivités veulent accueillir les personnes qui sortent de prison. De plus, vous savez que le bureau du coroner en chef, lorsque le comité d’experts a analysé le nombre de décès, en particulier les suicides, chez les jeunes de l’Ontario, ont formulé un certain nombre de recommandations sur les types de services et de soutien nécessaires dans les collectivités autochtones. Je serais curieuse de connaître la situation dans son ensemble. À quelles ressources avez-vous accès pour développer les services dont ont besoin les membres de votre collectivité, et que voudriez-vous en tirer? Vous a-t-on fourni des informations sur la manière de prendre la responsabilité de ces dossiers, et d’obtenir des ressources pour cela?
M. Morris : Je crois que nous ne recevrons aucun financement pour régler ces problèmes, étant donné que les membres de notre nation sont incarcérés et généralement laissés pour compte. Nous serions probablement prêts à travailler avec les Services correctionnels. Nous avons un vaste territoire, des maisons où nous pouvons envoyer les gens, les bannir de leur collectivité, en quelque sorte, pendant quelques mois plutôt que de les envoyer en prison. J’en ai fait l’expérience quand j’ai été incarcéré. Les drogues entraient encore dans le système. Quand vous avez une unité résidentielle de 146 places et qu’il y a seulement trois non-Autochtones, un homme de couleur et un Inuit, et que tous les autres sont des Autochtones, à Thunder Bay, cela me fait dire que quelque chose ne va pas. L’installation qui se trouve à Thunder Bay n’est pas encore considérée comme une prison, car les résidants n’ont accès à aucun service de santé mentale. Le système éducatif est non existant. Il n’y a pas d’ordinateurs. La bibliothèque est une simple petite salle. Ce centre a besoin d’une nouvelle installation, d’améliorations. On dit que les Autochtones occupent la plupart des prisons. C’est vrai. J’en suis témoin. J’y étais avec eux. Si nous voulons que ces personnes puissent réintégrer la société, nous avons besoin d’un meilleur système à Thunder Bay.
La sénatrice Pate : Sauf le respect que je vous dois, et je ne veux pas que vous considériez cela comme un manque de respect, s’il vous plaît, chef, mais vous êtes allé en prison pour avoir voulu protéger vos terres. Je dirais que votre incarcération n’était peut-être pas une bonne utilisation de nos ressources. Il y a beaucoup d’autres personnes en prison qui sont pauvres, pour toutes sortes de raisons, qui essaient de surmonter cette pauvreté et les abus passés dont elles ont été victimes. Préféreriez-vous voir cet argent investi dans les prisons ou dans votre collectivité?
M. Morris : Dans ma collectivité. Je laisserai mon collègue, Bob Fox, vous parler davantage sur ce qu’il essaie de faire. Je crois qu’il a préparé un aperçu de ce qu’il envisage de mettre en place pour aider nos jeunes dans le Nord, pas seulement nos collectivités. Il peut vous envoyer par courriel le concept complet sous forme de diagramme ainsi que son explication, si cela est nécessaire.
Bob John Fox, liaison, Services à l’enfance et à la famille, Kitchenuhmaykoosib Inninuwug (précédemment Big Trout Lake First Nation) : [Note de la rédaction : Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.]
Je dois toujours m’identifier comme étant une personne autochtone, et dire à quel clan j’appartiens.
J’aimerais remercier le peuple algonquin. Nous sommes sur le territoire non cédé des Algonquins. J’ai apporté du tabac. Si quelqu’un ici vient de ce territoire et qui peut recevoir le tabac, j’aimerais qu’il le reçoive.
Il est dit ici que je suis un travailleur des Services à l’enfance et à la famille. En fait, je m’occupe de la liaison entre les aînés et les jeunes. Bien que mon financement vient des Services à l’enfance et à la famille, je ne fais pas le même travail qu’eux. Je voulais le préciser. Mon travail est guidé et dicté par mes dirigeants. Les domaines que je peux examiner sont les pièges, les problèmes de ma collectivité et certainement tout ce qui concerne les aînés et les jeunes.
Vous avez parlé d’incarcération; des gens vont en prison puis retournent dans leur collectivité. Ils payent leur dette à la société, qui est régie par nos lois, mais ils ne payent aucune dette pour le mal qu’ils ont fait à la collectivité ou aux familles à qui ils ont causé du tort. Encore une fois, nous n’avons pas assez de financement ou de ressources pour examiner attentivement tout cela. Dans le système scolaire, ils appellent cela la justice réparatrice.
J’essaie d’explorer ce qui est arrivé entre la génération de mes arrière-grands-parents et la mienne afin de comprendre comment nous avons pu perdre notre chemin. À un moment donné, il s’est passé quelque chose : les pensionnats ont enseigné à nos parents et à nos arrière-grands-parents, et à cause de ce qu’ils ont appris, ils se sont égarés, et c’est effectivement le cœur du problème, pas seulement dans notre collectivité, mais dans pratiquement toutes les collectivités autochtones.
Vous, vous connaissez votre identité. Vous savez qui vous êtes, d’où vous venez et où vous allez. C’est ce que nos jeunes veulent savoir. Le gouffre qui s’élargit entre notre passé et nous, entre nos jeunes et leur identité, est la source de tous nos problèmes : l’alcoolisme, la toxicomanie, la violence conjugale et le suicide.
Sans financement et sans ressources, il est difficile de retrouver notre chemin. Dans le système scolaire que nous avons, en particulier, les élèves peuvent se considérer comme chanceux s’ils passent 45 minutes ou une heure, dans une journée de six heures, à apprendre dans leur langue ou à propos de leur culture. C’est un combat que nous devons mener.
Pour être honnête, je n’ai pas réussi à faire beaucoup de ce que j’essaie de faire. J’ai évalué et analysé ce qui se passe, travaillé avec des jeunes avec qui j’avais parlé. Moi aussi, je suis parti. J’ai passé beaucoup de temps en prison. Je suis allé à l’université, et pendant ce temps, j’ai renoué avec mon côté spirituel traditionnel. Alors, lorsque je suis rentré chez moi, j’ai réalisé énormément de choses par rapport à notre situation et la nature de nos problèmes. Cela ne touche pas seulement les jeunes. Leurs parents sont aussi prisonniers de cette situation.
Pour ma part, mon programme a pour but de corriger ce que les pensionnats ont appris aux Autochtones, c’est-à-dire qui est leur famille, parce que la première chose que les pensionnats ont faite, ça a été de la leur enlever. Lorsqu’il y a un problème à l’école, les jeunes ne savent même pas qu’ils se battent contre un membre de leur parenté, qu’ils ont des problèmes ou qu’ils sont en conflit avec un membre de leur parenté. Ils ne savent pas qui sont leurs arrière-grands-parents.
Ensuite, il faut que le projet leur permette de retourner chez eux. Avec un GPS, ils pourraient voir précisément où sont les gens, les jeunes et leurs parents... Les parents peuvent difficilement survivre ou même vivre ailleurs.
La dernière partie, c’est leur histoire, leur identité autochtone, l’histoire de leurs ancêtres et l’histoire de qui ils sont ou étaient en tant que peuple. Nous avons notre propre système de croyances, nos propres mythes de la création.
J’ai des problèmes similaires à ce que vous devez vivre avec vos ministères. J’ai le soutien de mon chef et de mon épouse, qui est conseillère pour la bande, mais ce n’est pas comme s’ils pouvaient simplement m’envoyer dans une école en me disant : « Voilà, tu sais ce que tu dois leur enseigner. » Il y a des règles et des lignes directrices à suivre. C’est complètement différent. Même dans les petites collectivités, c’est difficile d’accomplir quoi que ce soit.
Voilà ma situation. J’étais censé mettre des programmes en place et les exécuter, mais je suis vite devenu intervenant de première ligne. Il fallait que j’intervienne et que j’essaie de sauver des vies au lieu de mettre en place des programmes pour prévenir les problèmes. C’est une toute petite partie de ce que j’essaie de faire. C’est un résumé du problème. J’espère que cela répond à vos questions.
La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés et de l’information que vous nous avez communiquée.
J’aimerais discuter du contexte de votre incarcération. Était-ce le gouvernement provincial?
M. Morris : Oui, cela relevait du gouvernement provincial.
La sénatrice McCallum : Le gouvernement fédéral a-t-il fait quelque chose pour vous aider? Votre traité, le traité no 9, protège votre droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Vous avez le droit de dire non. Avez-vous demandé l’aide du gouvernement fédéral? J’ai l’impression que vous avez été incarcéré injustement. Qu’avez-vous fait pour faire valoir que votre traité l’emporte sur la compétence provinciale?
M. Morris : Nous avons besoin du soutien du Canada pour nos projets.
Afin que tout le monde soit au courant, la raison pour laquelle nous avons été incarcérés, c’est parce que nous avons érigé un barrage routier. Si vous consultez une carte de Big Trout, vous voyez que c’est dans le Nord, au milieu de nulle part. Nous nous sommes retrouvés devant les tribunaux, parce que nous avons bloqué une route. C’était une route d’hiver, et non pas une autoroute. Je ne sais pas si les gens du gouvernement ontarien connaissent la différence entre une autoroute et une route d’hiver, mais on nous a accusés d’avoir bloqué une autoroute, alors qu’en réalité, il s’agissait d’une route d’hiver. Elle est ouverte deux mois par année, environ, ce qui nous permet d’acheminer nos affaires.
Je ne crois pas que le Canada soit intervenu. Je ne sais pas s’il a joué un rôle, peut-être par le truchement de la Cour d’appel, mais nous n’avons rien entendu à cet égard. Nous avons tout de même reçu un appui énorme du public, de partout au Canada et même d’autres pays. C’est peut-être pourquoi nous avons été mis en liberté plus tôt. Le Canada est peut-être intervenu à un moment ou à un autre, mais manifestement pas au début. Nous étions pour ainsi dire laissés à nous-mêmes. Au moins, on ne nous a pas enlevé nos titres de chefs et de membres du conseil. Le conseil a pu se réunir entre les murs de la prison. Nous avions notre propre salle de conférence. Nous pouvions traiter des affaires de la bande. Chose amusante, le directeur de l’établissement agissait comme notre gestionnaire de bande; il s’occupait de nos commissions, de notre courrier et de tout le reste. Donc, nous avions de l’aide.
M. Chapman : J’aimerais vous fournir un peu plus de détails entourant l’incarcération.
Le 20 février 2006, la bande a bloqué la route d’hiver que la société minière Platinex utilisait pour accéder à nos terres ancestrales. Platinex n’a pas pu y accéder pour mener ses travaux d’exploration. Le 19 avril 2006, à Thunder Bay, Platinex a déposé une requête auprès de la Cour suprême de l’Ontario pour obtenir une injonction contre le barrage. Elle a aussi intenté une poursuite en dommages-intérêts de 10 milliards de dollars. En mars 2008, le chef Morris et cinq membres de notre collectivité ont purgé une peine de plus de deux mois d’incarcération, parce qu’ils avaient bloqué pacifiquement l’accès à la société minière Platinex.
En décembre 2009, l’Ontario a versé 5 millions de dollars à la société minière Platinex pour qu’elle abandonne sa poursuite contre le gouvernement de la bande. Le différend, qui durait depuis de nombreuses années, était réglé. L’accord avait été conclu en échange d’argent et d’un intérêt sur les redevances provenant de tous les projets d’exploitation pour les 25 prochaines années.
Le 11 novembre 2011, la bande s’est préparée à défendre son territoire contre une autre société minière, God’s Lake Resources, et c’est ce qu’elle a fait. En mars 2012, l’Ontario a accepté de verser 3,5 millions de dollars à God’s Lake Resources, une petite société d’exploration minière de Toronto, en échange de quoi, elle abandonnait son bail d’exploitation et ses concessions minières près du territoire de la bande.
En mars 2012, comme je l’ai mentionné plus tôt, le ministère du Développement du Nord et des Mines a annoncé qu’un moratoire serait imposé sur 23 181 kilomètres carrés de terres appartenant à la bande. La bande, elle, n’a rien reçu.
M. Morris : Nos factures n’ont jamais été remboursées.
La sénatrice McCallum : Voulez-vous demander au comité de vous aider de quelque façon que ce soit? Est-ce que c’est toujours un problème? Le Sénat peut-il vous aider d’une façon ou d’une autre?
M. Chapman : Si vous me le permettez, je vais fournir un peu plus de détails sur ce que John a dit. Je tiens à souligner que nous examinons présentement les processus judiciaires de la bande. Nous instaurons des protocoles et des lois qui nous seront utiles dans l’avenir. Il y est question de divers enjeux, par exemple ce qui se passe quand quelqu’un va en prison. Au lieu d’incarcérer quelqu’un, on le ramènerait à la terre et on aiderait des gens, surtout les jeunes.
Je veux aussi mentionner qu’il n’y a aucune installation récréative dans notre collectivité. Nous n’avons pas non plus de fonds à cette fin — rien du tout —, alors nous n’avons pas de programme pour les jeunes, pas d’infrastructure et pas d’installations pour les jeunes. Je voulais préciser le niveau d’aide que nous recevons du gouvernement.
M. Morris : À ce sujet, nous avons deux ou trois propositions à faire, par exemple un centre de traitement, un nouveau bureau et d’autres choses : la recherche autochtone, notre déclaration sur les bassins versants, le protocole, le cadre de gouvernance... Nous n’avons pas les fonds pour réaliser cela. Nous n’avons qu’une approche fragmentaire, nous prenons une petite partie des fonds du programme d’éducation ou de développement économique ou du fonds d’exploitation et de l’enveloppe réservée au fonctionnement et à l’entretien. Nous combinons les fonds pour faire avancer le projet. Vous dites que vous êtes prêts à aider de n’importe quelle façon à financer ce genre de choses, par exemple grâce à des accords de financement. Je ne sais pas si vous accepteriez qu’on vous envoie des propositions relativement à ce dont nous aurions besoin pour réaliser nos projets et mettre en place la structure.
Le vice-président : Si vous avez de l’information à nous faire parvenir, chef Morris, nous sommes incontestablement prêts à la faire valoir auprès du gouvernement. Je me rappelle que, quand nous étions là-bas, votre bassin d’épandage pour le traitement des eaux usées était sur le point de déborder. Je ne sais pas si c’est encore le cas où si vous l’avez réparé.
M. Morris : Nous le vidons plus tôt, mais la situation n’est toujours pas réglée. Cela fait partie du projet en cinq étapes, et nous voulons examiner la question à nouveau. C’est une partie de ce que nous voulons faire. Nous voulons aussi installer des canalisations d’égouts et des conduites d’eau vers les terres et les alentours du ruisseau.
Le vice-président : Quand nous sommes allés là-bas pour étudier la situation du logement, un certain nombre de choses nous ont sauté aux yeux, des choses pour lesquelles vous aviez besoin d’aide. Donc, cela nous serait utile, et de notre côté, nous ferons de notre mieux pour intervenir auprès du gouvernement et obtenir son aide.
Le sénateur Patterson : Je veux vous remercier chaleureusement de vos commentaires sur la relation de nation à nation et du travail que vous avez fait de ce côté. Il y a deux choses que j’ai effectivement constatées après mon expérience au Nunavut. Premièrement, vers la fin de votre exposé, vous avez dit que vous vouliez un partage économique, peut-être par paiements de transfert, afin de permettre à votre nation de continuer de subvenir à ses besoins et à ceux de son peuple. Ensuite, vous avez dit que vous vouliez avoir un poids égal en ce qui concerne la gestion des ressources sur votre territoire. Dois-je comprendre que vous êtes ouvert à des approches de cogestion et de partage des revenus provenant des ressources? Ai-je bien compris le principe sous-jacent? Est-ce le bon terme?
M. Morris : Oui, c’est le bon terme. Oui, nous envisageons un accord de partage en pourcentage. Pour ce faire, nous allons avoir besoin d’une entreprise et d’une approche en cogestion. J’ai toujours dit que j’accepterais seulement de travailler avec le ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario, puisque c’est le ministère qui va le plus souvent dans le Nord, avec sa technologie. J’ai été surpris par ce que mon collègue ici présent a dit à propos de la lutte contre les incendies. Chez nous, il suffit que ça sente la fumée, et quatre ou cinq minutes plus tard, il y a trois, quatre ou cinq avions anti-incendie qui survolent la région. Pour quoi n’est-ce pas pareil en Colombie-Britannique? La technologie est là, le personnel est là, les gens sont prêts à travailler avec nous, mais c’est le système bureaucratique qui les en empêche.
Des entreprises qui ont quitté la région il y a longtemps ont laissé derrière elles des zones contaminées, et le ministère des Richesses naturelles et des Forêts n’y peut rien, parce que ces entreprises ont un bail de 99 ans qu’elles ont signé il y a longtemps. Il y a énormément de zones contaminées dans notre collectivité, et nous devons décontaminer ces zones afin de pouvoir construire de nouvelles maisons dans les réserves.
Notre réserve a une superficie de 36 milles sur 18, vous le savez. La majeure partie de la superficie est occupée par le lac. Nous avons besoin de plus de terres. C’est pourquoi nous voulons élargir notre territoire et nos activités de développement économique, et c’est ce que nous allons faire, que l’Ontario nous aide ou pas. Nous adoptons des lois et des politiques. Un beau jour, si tout se passe comme prévu, nous serons les maîtres de notre destin, ici, au Canada.
La sénatrice Coyle : Rapidement, j’ai une question sur le développement économique. Vous avez parlé de ce qui allait se passer après la Loi sur les Indiens. Vous avez parlé de votre territoire, de la création d’emplois et des possibilités de revenus pour votre peuple, du fait que la collectivité tire parti de votre territoire. Comment les gens font-ils présentement pour gagner leur vie? Quel est le principal moteur économique de votre collectivité?
M. Morris : Je vais laisser Noah répondre. Il a déjà été responsable de nos affaires économiques.
M. Chapman : Cela viendra des paiements de transfert du gouvernement. C’est tout ce que nous avons pour subvenir à nos besoins présentement. Nous dépendons du gouvernement. Ce n’est pas ce que nous voulons, mais nous n’avons aucun autre choix.
La sénatrice McCoy : Merci.
Le vice-président : Messieurs, c’est tout le temps que nous avons. Je veux vous remercier sincèrement d’avoir été des nôtres ce soir. Nous avons appris énormément de choses. Merci de votre contribution.
(La séance est levée.)