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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 50 - Témoignages du 19 mars 2019


OTTAWA, le mardi 19 mars 2019

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, se réunit aujourd’hui, à 8 heures pour en étudier la teneur.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux citoyens qui regardent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ici ou sur le site web.

J’aimerais reconnaître, dans l’intérêt de la réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées des peuples algonquins. Je m’appelle Lillian Dyck. Je suis de la Saskatchewan, et j’ai l’honneur et le privilège de présider ce comité.

Ce matin, nous commençons notre étude préalable du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones. Avant de commencer, j’aimerais inviter mes collègues sénateurs à se présenter.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, du territoire issu du traité no 6, en Alberta.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la nation de Membertou, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Sinclair : Murray Sinclair de la nation de Peguis, au Manitoba.

Le sénateur Francis : Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du territoire issu du traité no 10, dans la région du Manitoba.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, de l’Inuit Nunangat, au Nunavut.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La présidente : Merci, sénateurs.

J’aimerais maintenant accueillir au comité l’honorable Pablo Rodriguez, membre du Conseil privé, député et ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme. Bonjour. Le ministre est accompagné par de hauts fonctionnaires de Patrimoine Canada, de Services aux autochtones Canada et de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Je vous remercie tous de prendre le temps de venir nous rencontrer tôt ce matin.

J’ai été informée que le ministre présentera une déclaration d’ouverture et que les fonctionnaires l’aideront à répondre aux questions. Monsieur le ministre Rodriguez, vous avez la parole.

L’honorable Pablo Rodriguez, C.P., député, ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme : Merci beaucoup, madame la présidente, membres du comité. Merci de m’avoir invité à témoigner dans le cadre de votre étude du projet de loi C-91.

[Français]

Je suis accompagné de Mme Hélène Laurendeau, sous-ministre à Patrimoine canadien, de M. Stephen Gagnon, représentant fédéral, Législation sur les langues autochtones à Patrimoine canadien, de M. Adrian Walraven, directeur général par intérim à Services aux Autochtones Canada, et de M. John Topping, directeur à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. M. Walraven et M. Topping sont venus à la suite de l’invitation de votre comité. Ils pourront répondre aux questions qui touchent spécifiquement leur porteuille.

[Traduction]

Je souhaite d’abord préciser que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel des Algonquins Anishinabeg.

Mesdames et messieurs les sénateurs, quand j’ai déposé le projet de loi concernant les langues autochtones le mois dernier, j’ai mentionné que nous devions agir le plus tôt possible parce que, selon l’UNESCO, la plupart des 90 langues autochtones parlées au Canada sont désormais en danger. Une aînée de la nation des Oneidas de la Thames a expliqué sa situation de la façon suivante : si les membres de sa communauté perdent leur langue, ce sera la fin. Elle disparaîtra à jamais parce qu’il n’existe aucun autre pays où ils peuvent aller pour apprendre leur langue. Il n’existe aucune autre terre d’accueil qu’ils pourraient visiter pour renouer avec leurs racines. C’est tout. C’est le résultat effroyable de la discrimination que le gouvernement a fait subir aux peuples autochtones pendant plusieurs décennies. Nous ne pouvons pas changer le passé, mais nous pouvons, et nous devons, changer l’avenir. Nous avons la chance de le faire dès maintenant en adoptant ce projet de loi, mais c’est une course contre la montre.

Je suis ravi que votre comité étudie le projet de loi avant qu’il soit renvoyé au Sénat et je vous en remercie. Je sais qu’il est encore tôt ce matin. Je vous en suis d’autant plus reconnaissant.

[Français]

Cette loi n’est pas pour nous. Elle est pour tous les Autochtones au pays et, surtout, pour leurs enfants et leurs petits-enfants. Je profite de ma présence pour préciser certains éléments qui ont été soulevés durant l’étude du projet de loi. Je vais me concentrer sur trois aspects : l’approche de la législation, le financement et le commissariat aux langues autochtones.

[Traduction]

D’abord et avant tout, cette loi vise toutes les langues autochtones et tous les peuples autochtones. Au cours des 18 derniers mois, nous avons déployé des efforts importants en collaboration avec l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis pour élaborer la mesure législative. C’est vraiment la première fois que le gouvernement du Canada participe à un processus aussi exhaustif pour élaborer une loi de concert avec les peuples autochtones et nous en sommes très fiers.

Cette loi vise à reconnaître les droits linguistiques des Autochtones en tant que droits fondamentaux : des droits garantis par la Constitution canadienne. Cette loi contribue à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, déclaration que notre premier ministre appuie entièrement et sans réserve. Par ailleurs, cette loi sera appliquée largement, et ce, afin que tous les peuples autochtones puissent reconquérir, revitaliser, entretenir et renforcer leurs langues.

À mesure que nous allons de l’avant, nous continuons notre dialogue avec l’Inuit Tapiriit Kanatami et les quatre organisations régionales inuites détentrices de droits. Les Inuits peuvent être rassurés : cette loi s’applique à eux et à leurs langues également parce que pour nous, être inclusifs, c’est important. En fait, madame la présidente, c’est plus qu’important, c’est fondamental.

[Français]

Ensuite vient la question du financement. Notre but est clair. Nous allons soutenir les langues autochtones grâce à un financement adéquat, stable et à long terme. Les article 7 à 10 du projet de loi offrent des mécanismes souples et flexibles, qui nous permettent d’acheminer des fonds vers les communautés autochtones, les organisations autochtones régionales et nationales et les gouvernements autochtones autonomes. Tous ces groupes travaillent sur le terrain et connaissent mieux que nous l’ensemble des besoins locaux. Ils sont donc beaucoup mieux placés que nous pour identifier les solutions les plus efficaces pour eux. À travers tout cela, nous voulons utiliser les meilleurs moyens pour que le financement soit remis à ceux qui en ont le plus besoin, ceux qui jouent un rôle déterminant dans la revitalisation, la réappropriation et la promotion des langues autochtones. Ce financement de base permettra de donner à ces communautés et organisations toute la latitude nécessaire pour répartir les fonds comme il se doit. Ces ententes se feront notamment avec les communautés autochtones, les gouvernements autochtones autonomes, les partenaires visés par les traités modernes et les organisations autochtones.

[Traduction]

L’article 9 du projet de loi prévoit également d’autres arrangements et ententes multipartites. En vertu de cet article, il serait possible de conclure des ententes avec des organismes qui ne sont pas nécessairement gérés par des Autochtones, mais qui ont pour mandat de soutenir les langues et les cultures autochtones. Par exemple, il pourrait s’agir de commissions scolaires, d’universités, d’établissements d’enseignement postsecondaire et de gouvernements provinciaux ou territoriaux. Madame la présidente, voilà de quoi il est question quand nous parlons de latitude et de l’importance de permettre aux peuples autochtones de décider de la meilleure marche à suivre.

Afin d’appuyer les communautés autochtones, nous créons un poste de commissaire aux langues autochtones. Permettez-moi de vous en parler maintenant.

[Français]

L’appel à l’action no 15 de la Commission de vérité et réconciliation demande que le gouvernement fédéral nomme, en consultation avec les groupes autochtones, un commissaire aux langues autochtones. Lors de nos consultations sur la législation, de nombreux intervenants nous ont confirmé qu’il était nécessaire de créer un commissariat aux langues autochtones. Pour créer ce poste, nous avons étudié les rôles confiés à des commissaires aux langues en fonction au Canada, par exemple, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Nous avons également étudié des exemples ailleurs dans le monde, comme en Nouvelle-Zélande. Nous avons également pris bonne note des commentaires formulés lors des séances de mobilisation.

[Traduction]

Le commissaire indépendant sera notamment chargé de fournir du soutien, par exemple pour la collecte de données et la tenue de dossiers, d’accroître la sensibilisation et les connaissances des Canadiens au sujet des langues autochtones, d’examiner les plaintes dans l’éventualité où la loi ne serait pas respectée, de tenir le gouvernement du Canada responsable en faisant état de la pertinence du financement fédéral versé dans le cadre d’initiatives axées sur les langues autochtones.

Il ne suffit pas de cocher un élément sur une liste de choses à faire. L’objectif n’est pas d’alourdir le fardeau bureaucratique. L’objectif est plutôt de prévoir des mécanismes de protection des langues autochtones qui n’ont jamais existé auparavant.

Madame la présidente, ce projet de loi concerne l’avenir des communautés autochtones. Outre l’amélioration de l’accès à l’eau potable et la réduction du nombre d’enfants autochtones pris en charge, ce projet de loi fait partie de notre engagement plus vaste visant à faire progresser la réconciliation.

Le mois dernier, après le dépôt du projet de loi, nous avons tenu une conférence de presse au Centre national des Arts pour souligner cette occasion historique. Lorsque le chef national Perry Bellegarde s’est levé pour prendre la parole devant une salle comble, il a affirmé : « Les langues, c’est la vie. » Effectivement. Sans les langues, il n’y a pas d’histoires et nous perdons une partie de nous-mêmes. C’est pourquoi ce projet de loi est si important.

[Français]

Je reconnais que le chemin vers la réconciliation est long, mais, avec ce projet de loi, nous sommes sur la bonne voie. Ensemble, nous ferons en sorte que les langues autochtones sont bien vivantes, et ce, pour les générations à venir. Ensemble, nous allons bâtir un avenir où les enfants autochtones pourront grandir en étant fiers d’être Inuits, Métis et membres des Premières Nations. Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : J’ai un bon nombre de questions à ce sujet, parce que j’ai beaucoup de préoccupations concernant ce projet de loi. Je vais lire quelques questions, mais je vous demande d’envoyer les réponses. Cela vous convient-il?

Une langue qui n’est pas enseignée finit par mourir. J’ai fait un bref examen des programmes existants, et il y a tellement de lacunes. Lorsque le Canada a endossé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, il n’a pas réussi à mettre en œuvre les engagements pris, en particulier l’article 14 de la déclaration. En vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle, les peuples autochtones ont le droit de se gouverner eux-mêmes en ce qui a trait à diverses questions, mais je m’intéresse ici aux langues.

Pour revitaliser la langue — et c’est de là que je suis partie, et non de la promotion ou de la protection —, une communauté doit rétablir la capacité de ceux qui la parlent à transmettre la langue d’une génération à l’autre, et cela ne s’est pas produit jusqu’ici. Je suis allée à Isaac Brock, à Winnipeg, où ils ont un programme d’immersion, et ils ont des difficultés à maints égards.

Nous devons également être au courant de la situation au Nunavut, où trois mesures législatives sont censées contribuer à la revitalisation et à la protection de la langue inuite : la Loi sur la protection de la langue inuit, la Loi sur les langues officielles et la Loi sur l’éducation. Malheureusement, la loi a créé une bureaucratie complexe qui ne permet qu’aux enseignants certifiés d’enseigner aux Inuits, et il leur faudra cinq ans pour obtenir une nouvelle accréditation. La langue n’est pas enseignée. Je cite Aluki Kotierk dans son discours prononcé au Sommet sur l’éducation du Conseil circumpolaire inuit au Groenland, en février 2018 :

Il y a 90 étudiants francophones au Nunavut. Ils ont leur propre école à Iqaluit, construite avec des fonds du gouvernement canadien parce que le français est une langue officielle du Canada. Le Canada verse 8 189 $ par francophone pour les programmes linguistiques au Nunavut et 186 $ par locuteur de l’inuktitut. Le Nunavut compte environ 90 élèves francophones et 430 élèves anglophones de langue maternelle, pour la plupart non inuits, et 9 300 élèves inuits. C’est le seul territoire au Canada où l’on parle une langue majoritaire homogène autre que le français et l’anglais.

Une loi mal rédigée peut faire plus de mal que de bien.

J’ai six questions à poser, mais ma principale question est la suivante : pourquoi ce projet de loi n’opère-t-il pas la revitalisation linguistique en suivant la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones et l’article 35 ? Si ce n’est pas le cas, ce ne sera qu’une autre boîte vide parce que les droits liés à la langue sont trop vagues et pas assez précis pour être exécutoires et laissent le contrôle au gouvernement. Le libellé est tellement différent de celui de l’article 23 de la Charte des droits et libertés, qui garantit le financement public de l’éducation en français et en anglais. C’est l’une des questions et l’une des préoccupations que j’ai. Je vais donc soumettre ceci et demander vos réponses par écrit au comité.

M. Rodriguez : Oui. Je vous remercie beaucoup de votre question, et je remercie tous les membres du comité de leur travail dans ce dossier.

Le projet de loi reconnaît les langues autochtones comme un droit aux termes de l’article 35. Je pense qu’il s’agit là d’un très important pas en avant, et que c’est quelque chose d’indispensable pour nous. Nous considérons ces langues comme un droit fondamental. Pourquoi? C’est parce que les langues nous permettent de raconter notre histoire et d’être fiers de nous-mêmes. Ce que les gouvernements successifs ont fait aux Autochtones partout au pays est inacceptable. Nous ne pouvons pas changer le passé, mais, ensemble, nous changerons l’avenir.

C’est pourquoi le projet de loi est conforme aux objectifs de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le document le mentionne clairement, en plus d’indiquer que les langues autochtones constituent un droit fondamental aux termes de l’article 35.

Le projet de loi prévoit des mécanismes et des fonds afin de commencer maintenant à travailler pour financer l’éducation en vue de faire en sorte que les enfants puissent apprendre leur langue, la maintenir et la transmettre à d’autres générations. Voilà l’objectif fondamental du projet de loi.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Bonjour. Je veux poser une question sur la façon dont les fonds sont acheminés. Je donnerai deux exemples.

Premièrement, je vais parler de l’apprentissage des langues dans les écoles publiques. Les commissions scolaires seraient probablement en mesure d’accéder à des propositions ou d’en rédiger afin d’obtenir de l’argent du gouvernement fédéral pour enseigner les langues autochtones. Cependant, ces commissions sont dirigées entièrement par des non-Autochtones. Il n’y a pas d’Autochtones dans les commissions scolaires ou la haute direction, et il n’y en a probablement pas non plus parmi les cadres subalternes ou les directeurs adjoints. Ce sont donc des non-Autochtones qui détermineront les personnes qui pourront enseigner les langues. Ils exigeront, par exemple, que seul un enseignant certifié puisse enseigner la langue crie. Cela signifie que les mushums et les kohkoms ne peuvent pas enseigner la langue. Ils ne peuvent pas intégrer la culture à l’enseignement de la langue.

Deuxièmement, le Canada compte un réseau d’universités autochtones. Ces universités sont gravement sous-financées. Elles ont du mal à rédiger des propositions. Les gens travaillent 50 à 60 heures par semaine pour obtenir des fonds pour leur université. Ces universités doivent faire concurrence à des grandes universités, comme l’Université de l’Alberta et l’Université de Toronto, qui ont à leur service des gens qui ne font rien d’autre que rédiger des propositions.

Comment cette mesure législative garantira-t-elle que l’argent est versé à des organisations qui s’assureront que les universités des Premières Nations reçoivent cet argent et sont privilégiées par rapport aux grandes universités, tout en veillant à ce qu’il reste des fonds pour les autres universités? Si l’argent est versé à des commissions scolaires, ces dernières devront s’assurer que cet argent ne sert pas juste à enseigner les langues, mais aussi à enseigner la culture associée à ces langues. C’est important.

M. Rodriguez : Merci de votre question. Tout d’abord, je veux dire que ce n’est pas le gouvernement du Canada qui déterminera les priorités ou les projets qui seront financés, mais les organismes et les collectivités. Cela se fera au moyen d’accords conclus entre le gouvernement du Canada et des gouvernements, des corps dirigeants et des collectivités autochtones.

Nous fournirons les fonds, mais nous ne déciderons pas quoi faire avec ceux-ci parce que, contrairement aux gens sur le terrain, nous ne savons pas comment nous en servir. Or, il y a des experts en la matière. Par exemple, la présidente Kotierk, qui est assise juste derrière moi, sait infiniment mieux que moi quoi faire avec cet argent. Elle sait ce qui est bon pour sa collectivité et son peuple, et nous allons utiliser les accords conclus entre eux et nous pour faire ce qu’ils veulent.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Comment croyez-vous que cela se passera? Pouvez-vous donner un exemple? S’agit-il d’un comité? Comment se déroule le processus décisionnel?

Hélène Laurendeau, sous-ministre, Patrimoine canadien : Je vous remercie de votre question. Elle est importante. L’objet du mécanisme de financement mis en place est de collaborer directement avec des organismes autochtones et, s’ils le jugent opportun, de les faire travailler en partenariat avec un établissement provincial, une université non autochtone ou tout autre groupe. Les fonds seront octroyés par leur entremise et en collaboration avec eux de manière à ce que les priorités soient définies par les peuples autochtones, tout comme les partenariats.

Par exemple, nous avons entamé des discussions avec NTI et le gouvernement du Nunavut. Ils ont uni leurs efforts pour voir comment ils peuvent exploiter ce mécanisme. Nous voulons nous assurer de ne pas donner suite à une myriade de propositions, mais de mettre l’accent plutôt sur les besoins exprimés par les groupes autochtones qui feront appel à nous au niveau communautaire, au niveau régional et au niveau national, si une initiative peut être prise au niveau national.

La sénatrice LaBoucane-Benson : De quel article parlez-vous dans la proposition? Où pourrions-nous le trouver?

Mme Laurendeau : C’est une combinaison des articles 8 et 9. J’ajouterais l’article 10 s’il est question d’un gouvernement autonome. Il s’agit d’une permutation entre les trois.

M. Rodriguez : Cela permet de conclure divers accords.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Ai-je raison de présumer que des services d’interprétation seront offerts dans le système judiciaire? Vous avez mentionné les écoles et tous les autres endroits.

Mme Laurendeau : Le projet de loi permet le financement de services d’interprétation. Toutefois, encore une fois, la façon dont cela se fera sera déterminée au niveau communautaire ou régional parce qu’il y aura diverses priorités. Si les services d’interprétation sont considérés comme une priorité dans une certaine région, il sera possible de les financer.

M. Rodriguez : J’ai hésité parce que cela dépend de ce qui est demandé. Le projet de loi ne précise pas que des services d’interprétation seront offerts. Il dit seulement que si des particuliers ou des organismes jugent ces services prioritaires et les réclament, ils auront des fonds à leur disposition qu’ils pourront utiliser à leur guise. Le projet de loi ne précise pas si ces services seront offerts ou non. Il dit seulement qu’ils peuvent être offerts sur demande.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je pose cette question parce que j’ai appris qu’une famille autochtone se présente devant le tribunal dans une région francophone et qu’on leur refuse des services d’interprétation en anglais. Je me demande si le projet de loi aura une incidence là-dessus.

M. Rodriguez : Est-ce que la famille réclame des services d’interprétation dans une langue autochtone?

La sénatrice Lovelace Nicholas : Non, les membres de la famille ne parlent pas leur langue parce qu’ils l’ont perdue. Ils veulent des services d’interprétation en anglais parce qu’ils ont été forcés d’apprendre l’anglais. Ils veulent des services d’interprétation en anglais parce que le tribunal devant lequel ils se présentent est francophone.

M. Rodriguez : Cette question se rapporte davantage à la Loi sur les langues officielles, qui permet généralement l’accès à la justice dans l’une ou l’autre des langues officielles. La famille devrait avoir cet accès aux termes non pas du projet de loi, mais de cette loi. Toute personne se présentant devant les tribunaux devrait être en mesure de comprendre ce qui s’y passe. Cela n’a aucun sens.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je ne comprends pas pourquoi on ne permet pas à la famille de recevoir des services d’interprétation. Merci.

Le sénateur Patterson : Merci de votre présence parmi nous, monsieur le ministre. J’ai été étonné de vous entendre dire que vous êtes fier du processus d’élaboration concertée prévu dans le projet de loi. À titre de porte-parole pour le projet de loi et de représentant des Inuits au Nunavut, je souhaite mettre l’accent sur l’inuktitut et les Inuits.

En ce qui concerne les Inuits, tout ce que j’ai appris m’amène à croire que les consultations qui ont été menées étaient, dirais-je, lamentables et irrespectueuses. Dès novembre 2017, les Inuits ont participé de bonne foi au processus, reconnaissant le statut unique de l’inuktitut comme étant probablement la langue autochtone la plus vigoureuse, la plus forte, même si elle est en déclin, car ils savaient qu’elle a besoin d’appui autant que les autres langues autochtones. Les Inuits ont donc élaboré trois documents réfléchis : un exposé national inuit de position sur la loi concernant les langues autochtones, le 20 novembre 2017; un avant-projet de loi distinct en inuktitut, en août 2018; et, enfin, un document sur les principales dispositions en inuktitut, qui a été réclamé par vos fonctionnaires vers la fin du processus.

Cela a mené à une série de séances de discussion dans le cadre desquelles les Inuits ont communiqué des idées auxquelles le gouvernement fédéral n’était pas disposé ou capable de répondre. Maintenant, à la veille de l’examen de ce projet de loi crucial — je comprends qu’il revêt de l’importance pour les Premières Nations et les Métis, et je ne désire pas parler en leur nom —, on parle d’un processus législatif parallèle à notre examen du projet de loi C-91. Je remercie vos fonctionnaires de la séance d’information qu’ils m’ont offerte, mais ils ont même parlé de la possibilité d’un accord parallèle à l’article 9. Vous avez nommé un représentant ministériel spécial, Tom Isaac, un homme respecté, pour s’attaquer à ce grave problème pour les Inuits.

Il y a eu 25 amendements présentés au comité de l’autre endroit hier, et ils ont tous été rejetés par le comité. Je pense que ce projet de loi devrait s’appeler le « projet de loi concernant les langues autochtones des Métis et des Premières Nations ». Je ne comprends pas ce qu’il prévoit pour les Inuits. Il y a déjà un commissaire aux langues au Nunavut. On craint que l’argent que votre ministère destine aux langues autochtones soit détourné vers ce commissaire aux langues et son administration.

Pourriez-vous me dire ce qui se passe avec les Inuits?

M. Rodriguez : Merci de votre question, sénateur.

Ce projet de loi a été élaboré de façon concertée. Je tiens à le souligner. Il a été conçu en concertation avec les Inuits, les Premières Nations et les Métis. Il y a eu de nombreuses rencontres dans l’ensemble du pays. Nous nous sommes mis d’accord sur différentes questions. Il y avait consensus à ce sujet, ce qui comprend l’ITK. Il y avait consensus parmi tous les groupes nationaux au gouvernement sur de nombreuses questions : premièrement, sur les 12 principes qui sous-tendent le projet de loi; deuxièmement, sur les questions relatives à la reconnaissance des langues autochtones comme un droit fondamental; troisièmement, sur l’application de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; quatrièmement, sur la nécessité d’offrir un financement stable à long terme, de créer un poste de commissaire et de commencer à agir dès maintenant.

Nous étions tous d’accord sur ces points; il n’y avait aucune voix discordante. Aujourd’hui, les Inuits veulent qu’on aille plus loin. Je comprends et je suis entièrement d’accord. Je me suis rendu à Iqaluit il y a deux semaines. Nous avons eu l’occasion de discuter avec la présidente Kotierk, ainsi qu’avec plusieurs des personnes qui travaillent avec elle, de nombreux spécialistes des langues autochtones. Nous discutons encore de ces questions en toute bonne foi, comme tous les autres intervenants.

Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de rencontres, d’ententes et de consensus au sujet des autres questions, car il y avait aussi consensus au sujet des autres questions. C’est seulement qu’ils souhaitent qu’on aille plus loin. Je le répète, je suis entièrement d’accord. Il reste à voir comment cela pourrait se faire, car, dans certains cas, cela ne dépend pas uniquement de moi. S’il est question de justice, d’éducation ou d’autres ministères, mes collègues doivent être impliqués et j’y travaille. Nous tenons des réunions et nous discutons de ces questions, mais je mentirais si je disais oui à tout ce qui est proposé, car je n’ai pas l’autorité pour le faire. Je suis certain que vous comprenez que je dois en discuter avec mes collègues. Si j’étais en mesure de leur accorder immédiatement tout ce qu’ils demandent, je le ferais, car je sais à quel point c’est important. Cependant, il y a d’autres intervenants à la table et leur rôle est fondamental. Je ne promettrai pas quelque chose que je ne peux pas livrer.

Le sénateur Patterson : Donc, vous dites comprendre que les Inuits en veulent plus que ce qu’ils obtiennent présentement. J’aimerais savoir ce qu’ils obtiennent dans ce projet de loi qu’ils n’obtiennent pas déjà au moyen des services offerts par le gouvernement du Nunavut.

Que peuvent maintenant faire les Inuits? Ils perdront tout levier qu’ils pourraient avoir si le projet de loi est adopté et je sais qu’ils ne veulent pas empêcher la mise en œuvre des maigres mesures prévues pour les Premières Nations et les Métis.

Si vous discutez toujours, par exemple, de la prestation de services gouvernementaux en inuktitut là où le nombre de personnes le justifie — c’est tout ce qu’ils ont demandé —, pouvez-vous vous engager à ce qu’il y ait un échéancier pour répondre aux préoccupations des Inuits à cet égard? Si une entente de financement doit être conclue, pouvez-vous vous engager à ce qu’elle soit achevée rapidement en parallèle avec l’étude du projet de loi au cours des prochains mois?

À mon avis, après avoir participé de bonne foi, les Inuits ont été laissés de côté. Honnêtement, si on veut parler d’élaboration concertée, je ne crois pas qu’on puisse simplement ignorer des propositions sérieuses et réfléchies. On m’a même rapporté que, à un certain moment, on a demandé aux Inuits de signer une entente de confidentialité leur interdisant de parler de ce qui se trouvait dans le projet de loi et, qu’à un autre moment, on a suggéré de leur remettre trois pages à la fois. Cela me semblait être une façon de faire très irrespectueuse.

Qu’est-ce que les Inuits obtiendront de ce processus? Comme vous le dites, les discussions sont toujours en cours. Vous avez un représentant spécial. Devons-nous attendre les résultats de ces importantes discussions avant d’achever le projet de loi? Quel est l’échéancier?

M. Rodriguez : Je vous remercie de vos questions. Il y a plusieurs volets, sénateur.

D’abord et avant tout, tous ceux qui ont reçu le projet de loi ou des parties du projet de loi avant qu’il soit présenté à la Chambre, une mesure exceptionnelle, ont dû signer de telles ententes, ce qui est normal. C’est pour cette raison que je parle d’élaboration concertée, parce que certains éléments ont été communiqués à différents groupes avant que quiconque ait l’occasion de voir le projet de loi. De mon point de vue, il s’agit d’élaboration concertée.

Vous dites que les seules questions abordées lors des discussions étaient la langue et les services, mais il y avait beaucoup d’autres sujets.

Le sénateur Patterson : J’en suis conscient. Je donnais un exemple.

M. Rodriguez : Vous avez raison. C’est peut-être là où nous pouvons en arriver à une entente. Nous travaillons très fort là-dessus, sénateur.

L’échéancier sera le plus court possible. Nous avons saisi toutes les occasions de nous réunir. Nous avons même tenu une réunion à New York, parce que nous étions tous aux Nations Unies. Je suis allé à Iqaluit il y a deux semaines et nous discutons toujours avec la personne concernée et nous cherchons des moyens de faire avancer les choses.

C’est tout aussi important pour moi, parce que je veux que cela arrive, sénateur, mais il faut que ce soit possible. Je ne dirai jamais oui si je ne peux pas livrer ce que je promets. Merci. Je ne sais pas quoi ajouter.

Le sénateur Patterson : Je voudrais que des progrès soient réalisés avant que nous ayons terminé l’étude du projet de loi au Sénat. En passant, comme vous le savez, le Sénat n’a pas la possibilité de faire des amendements qui entraîneraient des dépenses et certains des enjeux importants dont il est question nécessiteraient de tels amendements.

En conclusion, monsieur, en tout respect, vous dites être fier du processus d’élaboration concertée. Or, la réalité, c’est que les Inuits ont quitté la table à mi-chemin dans le processus et qu’ils ont affirmé que le gouvernement avait négocié de mauvaise foi.

Il faut qu’une solution soit trouvée très rapidement, sans quoi, en tant que porte-parole pour le projet de loi, j’aurai bien du mal à l’appuyer. Merci.

M. Rodriguez : Puis-je ajouter quelque chose? Le processus d’élaboration concertée nous a amenés jusqu’au point où nous étions l’été dernier et a servi de fondement au projet de loi. Les discussions durent depuis deux ans. Les bases du projet de loi étaient en place, puis nous avons tenu des discussions supplémentaires avec les Inuits sur des questions qui dépassent un peu le cadre du projet de loi, ce qui est correct, mais il faut finir par achever les discussions.

Vous demandez ce qu’il y a pour eux. En premier lieu, le projet de loi concerne tout le monde. Qu’on soit d’accord sur le reste ou pas, ils sont concernés. Le financement nous permettra de commencer à travailler immédiatement sur la protection et la revitalisation des langues, y compris de l’inuktitut.

Le sénateur Patterson : Quel est le mécanisme pour les questions supplémentaires dont vous parlez? Qu’est-ce qui pourrait rassurer les Inuits, advenant l’adoption du projet de loi?

Je ne crois pas qu’ils veulent faire obstacle aux Premières Nations et aux Métis qui appuient le projet de loi. Quel est le mécanisme pour répondre aux questions qui, de votre aveu, doivent être réglées? Y aura-t-il un autre projet de loi? Le présent projet de loi devra-t-il être amendé? S’agira-t-il d’une entente aux termes de l’article 9? Arrivera-t-on à accomplir tout cela avant la fin de la présente législature?

M. Rodriguez : Oui. Il y a différentes solutions, mais l’important, c’est de commencer maintenant afin de jeter les bases, d’être prêts dès maintenant et de sécuriser le financement. Nous poursuivons les discussions et les rencontres afin d’y arriver.

Mme Laurendeau : La seule chose que j’ajouterais, c’est que nos discussions avec les Inuits ont été très productives. Il serait possible de répondre à plusieurs de leurs demandes au moyen d’ententes conclues aux termes des articles 9 et 10. Certaines choses pourraient être améliorées et changées dans le projet de loi, mais, en grande partie, on pourrait commencer par se servir d’ententes conclues aux termes des articles 9 ou 10, comme je l’ai mentionné.

Vous demandez ce qui pourrait être fait maintenant; se rencontrer pour commencer à discuter de telles ententes serait un très bon point de départ.

Le sénateur Patterson : Vos fonctionnaires ou vous seriez-vous prêts à revenir avant que nous ayons terminé l’étude du projet de loi afin de faire rapport de la progression de ces discussions avec les Inuits?

M. Rodriguez : Je suis ouvert à tout ce qui pourra rendre le projet de loi encore meilleur. Je crois qu’il s’agit d’un excellent point de départ. Je crois que cela rejoindrait bien des peuples autochtones au pays. J’aimerais que nous puissions en faire plus avec les Inuits aussitôt que possible. C’est une priorité absolue, pas seulement pour moi, mais aussi pour le premier ministre, pour le gouvernement et pour les peuples autochtones de partout au pays.

Le sénateur Patterson : Reviendrez-vous faire rapport au sujet des discussions?

M. Rodriguez : Je suis ouvert à cette idée. Je ne dis pas non à quoi que ce soit. Je veux que nous réalisions des progrès. C’est une question trop importante.

La présidente : Merci.

La sénatrice Coyle : Je sais que la discussion que nous venons d’avoir est très importante. Elle n’est pas seulement importante pour le sénateur Patterson, mais pour nous tous.

Je veux vous remercier d’être avec nous aujourd’hui. Je crois qu’il s’agit d’un projet de loi important et historique. Nous sommes tous très impliqués, parce que nous sommes conscients de cette importance. Comme l’a dit ma collègue, la sénatrice LaBoucane-Benson, nous considérons que la langue et la culture sont étroitement liées. La langue porte la culture et nous avons tous le devoir, vous compris, de bien faire les choses.

Maintenant que les enjeux concernant l’inuktitut et les Inuits ont été abordés en profondeur, ma question concerne d’autres groupes. En ce qui a trait aux consultations menées auprès des jeunes, des femmes et des Autochtones dans les centres urbains, pourriez-vous dire ce que vous avez accompli, quelles ont été les conclusions de ces consultations et ce que le projet de loi apportera à ces groupes?

M. Rodriguez : Je vous remercie, madame la sénatrice. C’est aussi une question très importante. Nous discutons avec de nombreux groupes. J’ai déjà évoqué les organismes nationaux, mais il y en a également de moindre envergure. Il y a les groupes de défense des femmes.

Il a souvent été question de la nécessité de pouvoir intervenir dans un contexte urbain. C’est extrêmement important, et nous comprenons pourquoi. On pourrait oublier — quoique de façon involontaire — les citadins et présenter des projets de loi qui accompliraient de grandes choses partout, sauf dans les grandes villes. Nous tenions à offrir des programmes et des interventions semblables dans les centres urbains. C’est pourquoi, grâce aux accords, le projet de loi nous permettra de conclure des ententes avec des groupes communautaires urbains, qui seront en mesure de fournir l’enseignement, la formation et tout ce qui est nécessaire.

Mme Laurendeau : J’ai quelques points à ajouter, si vous me le permettez. La mobilisation s’est faite de façon à la fois directe et indirecte. Pour ce qui est de la mobilisation indirecte, dont il est trop peu question, il y a eu en particulier un cybersondage; près de 150 personnes y ont répondu. La répartition hommes-femmes était largement adéquate; les femmes représentaient 66 p. 100 des personnes qui se sont ainsi exprimées. Un certain nombre de jeunes se sont aussi manifestés parmi les répondants.

Parmi les éléments qui sont ressortis de ces consultations, tant directes qu’indirectes, il y a la nécessité de faire reconnaître les langues en tant que droit, ce que fait le projet de loi. Il a aussi été dit, comme vous l’avez mentionné, que chaque langue autochtone, chaque culture autochtone et chaque histoire autochtone est distincte et unique et que tout mécanisme mis en place, quel qu’il soit, doit respecter cette réalité et être adapté en conséquence. Voilà ce que le mécanisme de financement vise à accomplir, et c’est ce qu’il accomplira lorsque l’on conclura des accords précis. Ce sont là des exemples de ce que l’on nous a dit, mais je pourrais en fournir quelques autres au comité.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le sénateur Sinclair : Je vous remercie, votre équipe et vous, de votre présence, monsieur le ministre. Comme vous le savez, le projet de loi suscite des réserves chez moi. Je vous en ai d’ailleurs fait part d’un certain nombre. Je constate que le projet de loi n’est assorti d’aucune recommandation royale et aussi qu’il ne fait aucunement état d’une obligation pour l’État de financer la revitalisation des langues.

Or, cela va à l’encontre d’une disposition de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. On promet que des accords seront négociés. Je le comprends. Mme Laurendeau s’est appuyée sur les articles 8, 9 et 10 à ce sujet. Je conviens que des accords de financement seront sans doute conclus.

Néanmoins, on ne semble pas reconnaître le fait que, historiquement, c’est le gouvernement du Canada qui, concrètement, a saccagé les langues autochtones par ses décisions. Actuellement, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, l’État est légalement tenu de prévoir une enveloppe pour la revitalisation linguistique. Pourquoi n’y a-t-il pas de recommandation royale? J’en déduis que vous tenterez de dégager des fonds à même les budgets existants. Pourquoi n’y a-t-il aucun engagement, aucune déclaration à savoir que l’État reconnaît avoir l’obligation de financer les programmes linguistiques en langues autochtones?

M. Rodriguez : Merci beaucoup de la question, monsieur le sénateur, mais aussi de votre excellent travail et de votre capacité à discuter du sujet. C’est très important pour moi.

Comme vous le savez, le préambule indique que nous fournirons un financement adéquat, stable et à long terme pour soutenir la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones. C’est écrit noir sur blanc. Pour un projet de loi, c’est très rare, mais, en l’occurrence, cela s'y trouve.

Le financement ne proviendra pas d’enveloppes existantes. Ce sera de l’argent frais. Pourquoi? Parce qu’il s’agit d’une priorité absolue pour le gouvernement. Il y a déjà un programme, mais il ne puisera pas son budget à même celui d’autres programmes. Il s’agira d’argent frais parce que c’est ce qu’il faut, parce que c’est une nécessité.

La situation actuelle, comme vous le dites, découle des actions de gouvernements successifs, qui ont agi de façon horrible envers les peuples autochtones. D’une certaine façon, le projet de loi vise à renverser la vapeur. Nous ne pouvons rien changer au passé. Nous devons changer l’avenir.

On peut lire qu’il y aura un financement stable et à long terme. Nous pourrons conclure des accords pluriannuels, ce qui, là aussi, est absolument crucial. C’est ce qu’ont réclamé les divers organismes. Bien sûr, comme vous le savez, ce n’est pas dans le budget. On n’inscrit pas de chiffres dans les projets de loi, mais plutôt dans des documents tels que le budget. C’est là que l’on trouve l’argent frais.

Le sénateur Sinclair : Je comprends. Cependant, à titre d’information, je précise que le fait d’indiquer quelque chose dans le préambule d’un projet de loi n’en fait aucunement une obligation légale. Il faudra donc analyser les dispositions qui ont été mentionnées pour déterminer si tout correspond bel et bien aux besoins.

L’autre problème que j’ai avec le projet de loi revient à divers endroits dans celui-ci : les multiples mentions de la reconnaissance et du respect des droits des provinces, de leurs compétences. Ce que je redoute, ce n’est pas que les provinces tentent de dicter aux communautés des Premières Nations dans les réserves comment gérer leur enveloppe destinée à l’éducation; non, ce que je redoute, c’est qu’une famille de Winnipeg qui tient à ce que ses enfants soient instruits dans leur langue n’ait aucun recours si la province dit non. Les conseils scolaires relèvent de la compétence des provinces, et les provinces peuvent dire qu’elles ne sont aucunement obligées d’agir en ce sens, puisque l’éducation relève de leur compétence.

Mon problème, c’est donc que le projet de loi ne prime pas les droits linguistiques individuels des Autochtones par rapport aux droits des provinces dans le domaine de l’éducation. C’est le contraire de la Loi sur les langues officielles. L’article 23 de la Charte oblige les provinces, lorsque la demande le justifie, à tenir compte des droits linguistiques en fournissant aux enfants de parents qui parlent l’autre langue officielle un enseignement dans la langue officielle en cause. Pourquoi n’y a-t-il rien de tout cela?

[Français]

M. Rodriguez : L’intention du projet de loi n’est pas d’être assujetti au bon vouloir des provinces. Au contraire, le projet de loi vise à permettre aux différents groupes, organisations et gouvernements autochtones de définir ce qui est fondamental pour eux et d’offrir ces services à leur population afin de promouvoir, protéger, revitaliser et transmettre les langues autochtones. Nous nous pencherons sur cet aspect et nous vous reviendrons là-dessus, sénateur. L’intention du projet de loi n’est pas d’être assujetti au bon vouloir des provinces.

[Traduction]

Le sénateur Sinclair : Il est tout à fait nécessaire que les droits collectifs figurent dans l’article 35. Cependant, qu’en est-il du droit individuel à sa langue? Le projet de loi ne le reconnaît pas expressément. J’ai donc des réserves à ce sujet. Il faudra régler cette question.

M. Rodriguez : Le commissaire est chargé de produire des rapports non seulement sur le financement, pour en revenir à votre question précédente, mais aussi sur le respect de nos engagements. Là aussi, c’est fondamental.

Le sénateur Christmas : Je vous remercie, votre équipe et vous, monsieur le ministre, d’être parmi nous aujourd’hui. Vous en êtes bien conscient : les langues autochtones s’érodent rapidement. Je crois d’ailleurs que, de nos jours, l’un des plus grands périls réside dans le recours généralisé à la technologie moderne, surtout les appareils mobiles. Ma fille a 8 ans, et je confirme que l’essentiel de ses communications quotidiennes se fait au moyen d’appareils mobiles. À ce stade-ci de sa vie, elle se passionne pour toutes sortes de jeux en ligne. Or, comme vous le savez, ces jeux ne sont quasi jamais offerts en langues autochtones.

À la lumière de la menace d’érosion des langues autochtones qu’accentuent les jeux en ligne, la technologie moderne et les appareils mobiles, j’ai donc cherché dans le projet de loi les moyens qu’il mettrait en œuvre pour contrer le genre de menace que l’évolution technologique représente pour les jeunes.

M. Rodriguez : Voilà une question aussi judicieuse que pertinente. J’ai moi-même une fille de 18 ans, monsieur le sénateur, et elle est accrochée à son téléphone. Pour lui dire d’aller dans sa chambre, je dois lui envoyer un texto. Elle a 18 ans, et c’est la même chose.

Cette question est souvent revenue durant les consultations. Le projet de loi doit nous aider à soutenir les concepteurs pour que les utilisateurs aient accès aux applications dans leur propre langue. J’ai vu des choses se faire dans des langues autochtones.

Encore là, ce n’est pas au gouvernement du Canada de dire que l’on va faire ceci ou cela. Je ne dirai jamais rien de tel, car ce n’est pas à moi de le faire. En revanche, si des organismes autochtones font savoir — et je sais qu’ils le feront, car c’est un discours que nous avons déjà entendu — qu’une partie du financement doit être affectée à la conception d’applications, alors c’est ce qui se fera. Je vous comprends parfaitement.

Le sénateur Christmas : Je veux m’assurer d’avoir bien compris : le projet de loi permettra de fournir des ressources aux organismes autochtones en vue de la mise au point de technologies, de jeux et d’applications qui existent déjà, ce genre de choses? On pourra concevoir tout cela dans des langues autochtones?

M. Rodriguez : Oui. Je laisserai ensuite la parole à Hélène. Quoi qu’il en soit, si des peuples autochtones entendent s’engager sur cette voie, alors oui, ce sera permis.

Mme Laurendeau : C’est une question éminemment pertinente, monsieur le sénateur. Lorsque nous avons défini l’objet du projet de loi, on nous a, entre autres, fait valoir la nécessité de fournir des exemples très précis de choses qui se font déjà et que le projet de loi devrait soutenir, de façon à inspirer les groupes autochtones à aller encore plus loin.

J’attire votre attention sur l’objet du projet de loi, où, au sous-alinéa 5b)(iii), il est question de créer des outils technologiques. Faut-il pousser cela jusqu’à la création de jeux vidéos? Il suffira qu’un peuple autochtone décide de l’inscrire dans ses priorités. Néanmoins, le projet de loi vise à assurer un soutien approprié dans ce genre d’éventualité et à inspirer d’autres initiatives. Le libellé ne fait que donner des exemples de choses qui pourraient figurer dans les accords, si les peuples autochtones le désirent.

Le sénateur Christmas : Merci.

La présidente : J’ai une question supplémentaire qui fait fond sur la question de la sénatrice LaBoucane-Benson sur le financement. Dans un communiqué en date du 14 mars 2019, j’ai lu que le gouvernement du Nunavut a carrément suspendu l’instruction en inuktitut, notamment, selon mon impression, parce qu’il n’y a pas assez d’enseignants agréés pour fournir un enseignement en langue inuite aux élèves de la 4e à la 12e année. Je trouve paradoxal que la région du pays qui compte le plus grand nombre de personnes de langue maternelle autochtone soit incapable de trouver assez d’enseignants agréés.

Le projet de loi prévoit-il une enveloppe pour la formation des enseignants de langue? Faudrait-il instaurer un mécanisme quelconque pour faire agréer ou reconnaître des anciens qui parlent couramment une langue autochtone, ou des kohkoms et des mushums, afin de pallier autrement la pénurie d’enseignants dits agréés?

M. Rodriguez : J’espère que ce sera le cas, sénatrice. Cela dépendra de ce qu’ils décideront, mais ce sera certainement possible. En fait, c’est essentiel. Comment transmettons-nous notre langue? Nous le faisons par l’enseignement. C’est ainsi que nous la transmettons à la prochaine génération, qui la transmet à la suivante. Nous avons besoin de plus d’enseignants. Cela fera probablement partie des demandes des collectivités et des administrations locales, et ce sera possible.

Mme Laurendeau : Je dois dire que la NTI et le gouvernement du Nunavut nous ont tous deux demandé de nous pencher sur la possibilité d’augmenter le soutien aux enseignants certifié, et aussi — chose intéressante — de permettre aux enseignants qui ne sont pas certifiés, mais qui parlent la langue, d’intégrer le système scolaire pour promouvoir l’usage de l’inuktitut. Nous sommes en pourparlers. J’aimerais dire que nous sommes déjà parvenus à une entente, mais nous poursuivons ces discussions avec beaucoup d’enthousiasme. C’est exactement ce que ce projet de loi est censé permettre. Bien sûr, il n’a pas encore été adopté, mais cela ne nous empêche pas d’amorcer les conversations afin d’être prêts lorsqu’il le sera et que les autorisations nécessaires auront été accordées.

La présidente : Je crois que c’est le sénateur Sinclair qui avait soulevé la question de la compétence provinciale, et cela se rapporte à la loi provinciale sur l’éducation. Comment cela interagirait-il avec la loi sur l’éducation du Nunavut, qui semble en train d’être modifiée? Il y aura une certaine interaction entre les lois provinciales et fédérales.

Mme Laurendeau : Bien sûr, nous ne pouvons pas commenter ce que le gouvernement du Nunavut fait d’un point de vue législatif, mais celui-ci et la NTI nous ont approchés afin de voir ce qui peut être fait à ce sujet. L’avantage de cette initiative en particulier est qu’elle se fait en partenariat, ce qui atténue certains des problèmes liés à la compétence provinciale qui pourraient survenir ailleurs. Dans ce cas-ci, le territoire a collaboré avec nous, et avec la NTI, et nous en sommes extrêmement heureux.

La présidente : Merci.

Le sénateur Sinclair : Merci beaucoup. Le point sur lequel je reviens est celui que vous avez soulevé suite à ma dernière question, madame la ministre, relativement au rôle du commissariat.

Je m’inquiète un peu que l’on impose à ce commissariat une obligation qui n’est imposée à aucun autre commissariat ayant des responsabilités semblables. Le Commissariat aux langues officielles, par exemple, n’a à se préoccuper que des deux langues officielles du Canada, et nous accordons à celui-ci un financement très considérable.

Nous demandons non seulement au commissariat de surveiller et de soutenir le rétablissement de plus de 200 langues autochtones partout au pays, mais aussi de le faire en partant de zéro. Voilà ce qui me préoccupe. La personne qui occupera ce poste devra partir de zéro pour mettre en place un appareil bureaucratique qui sera énorme, étant donné tout ce dont il sera responsable.

Pourquoi n’avez-vous pas songé à la possibilité de fusionner certaines de ces responsabilités ou d’apprendre du Commissariat aux langues officielles ou de collaborer avec lui pour que son expertise soit également à la disposition de ce commissariat?

M. Rodriguez : Merci de votre question, sénateur. Vous avez raison : la personne qui occupera ce poste sera occupée. Cela dit, elle sera également appuyée par trois directeurs : un pour les Premières Nations, un pour les Métis et un pour les Inuits. Il y aura donc un commissaire national et trois directeurs.

Comme vous l’avez souligné, le travail qu’ils feront est extrêmement important. Ce travail commence en nous aidant à cerner où nous en sommes en ce qui concerne les langues. Le commissariat nous aidera par l’intermédiaire de données, de recherches et de conseils. Il nous aidera aussi à faire la promotion des langues autochtones et de leur importance. De plus, il nous dira ce que l’on fait correctement, et surtout, ce qui devrait être fait autrement, de même que si le financement est suffisant, et s’il ne l’est pas, il pourra nous indiquer le niveau de financement nécessaire et les autres mesures que nous devrions prendre.

Mme Laurendeau : Le commissariat aura le pouvoir d’établir tout partenariat qu’il juge nécessaire.

Si nous avons structuré le commissariat comme nous l’avons fait, c’est, entre autres, en réponse directe aux consultations que nous avons menées. Sa structure a été influencée par notre objectif, qui était d’établir une organisation rationalisée, mais efficace, dotée des pouvoirs nécessaires pour surveiller le gouvernement et veiller à ce qu’il respecte ses obligations en vertu de la loi. C’est une question d’équilibre. Oui, nous aurions pu cloner le Commissariat aux langues officielles, mais il a été établi que nous ne souhaitions pas créer une bureaucratie trop vaste, mais plutôt une qui serait véritablement représentative.

Le sénateur Sinclair : Nous reviendrons sur cette question, j’en suis certain.

La présidente : Notre temps est maintenant écoulé, et je sais que la sénatrice McCallum tient à poser des questions. Sénateur Sinclair, aimeriez-vous poser des questions auxquelles nous demanderons des réponses?

Le sénateur Sinclair : Tout à fait.

La présidente : Je vous remercie.

Le comité est heureux d’accueillir Clément Chartier, président du Ralliement national des Métis, ainsi que Jocelyn Formsma, directrice exécutive de l’Association nationale des Centres d’amitié.

Je vous remercie tous deux d’avoir pris le temps de comparaître devant nous ce matin.

Clément Chartier, président, Ralliement national des Métis : Je vous remercie. Bonjour, honorables sénateurs.

Le sujet dont il est question aujourd’hui est très important pour tous les Autochtones, et notamment, dans mon cas, pour la nation métisse. D’abord, je voudrais souligner que la nation métisse appuie sans réserve le projet de loi C-91 et encourage le Parlement à l’adopter. Bien sûr, il sera toujours possible de proposer des amendements pour l’améliorer. Comme nous le savons, toute nouvelle mesure législative représenterait une amélioration par rapport à la situation actuelle.

Ce projet de loi a été élaboré de façon concertée par les représentants nationaux des peuples autochtones et, en ce qui nous concerne, par le gouvernement national de la nation métisse. Je ne peux pas m’opposer à ce projet de loi, puisque je suis l’un de ses auteurs. Même si nous n’avons pas toujours eu le dernier mot, nous avons participé activement à l’élaboration de ce projet de loi. Nous avons entretenu de bonnes relations de travail avec l’ancienne ministre, Mme Joly, de même qu’avec le ministre Rodriguez, qui vient tout juste d’offrir son témoignage.

Pour ceux qui l’ignorent peut-être, la nation métisse est un peuple établi dans l’Ouest canadien. Nous sommes dotés d’une langue qui nous est propre, d’une culture et d’une histoire, et nous avons mené des luttes — à la fois politiques et armées contre le Canada. Notre histoire n’est pas aussi connue que celles d’autres peuples autochtones. Si tel était le cas, j’ose espérer que cela créerait un scandale dans tout le pays. Je pense entre autres au règne de terreur que nous avons vécu lorsque nous sommes entrés dans la Confédération comme cinquième province en 1870. D’ailleurs, nous allons célébrer notre 150e anniversaire en 2020, bien que le Canada ait déjà célébré le 150e anniversaire de la formation de « notre » pays.

La nation métisse s’apprête donc à organiser ses propres célébrations. J’insiste sur le terme « célébrer », alors qu’il y a quelques années à peine, j’aurais plutôt employé l’expression « souligner l’année ». Depuis l’élection du gouvernement Trudeau en 2015, la nation métisse a amélioré en profondeur ses relations avec le Canada en ce qui concerne la prestation de services. C’est du jamais vu.

À titre d’exemple, la nation métisse figure dans le budget de l’an dernier pour la première fois de son histoire. En effet, le gouvernement nous a octroyé 1,5 milliard de dollars. Bien que cette somme ne semble pas très élevée par rapport à celles qu’ont reçues les autres peuples autochtones, il s’agit pour nous d’un progrès important. Au cours de notre histoire, on nous a refusé le financement des services de garde et de plusieurs programmes, alors que d’autres peuples autochtones y ont eu droit. En revanche, nous venons de recevoir 450 millions de dollars sur une période de 10 ans, ce qui représente une avancée majeure pour nos familles, qui en ont absolument besoin. Nous espérons aujourd’hui recevoir à nouveau des allocations substantielles, notamment en matière de santé, de bourses d’études — auxquelles nos étudiants n’ont pas droit — et de développement économique.

Je tiens à le répéter : nous allons bientôt célébrer notre 150e anniversaire.

Cette mesure législative s’appuie sur plusieurs distinctions, comme je le demande depuis les 15 dernières années lors de réunions intergouvernementales. Je suis président de la nation métisse depuis octobre 2003. Certains avancent que cela fait beaucoup trop longtemps que j’occupe ces fonctions, mais bon, je fais mon travail et j’ai participé à de nombreuses réunions intergouvernementales. J’ai toujours réclamé une approche fondée sur les distinctions, car lorsque le gouvernement fait des annonces concernant les « Indigènes », les « Autochtones » ou encore les « Aborigènes », il s’agit dans les faits des Premières Nations, ou, dans certains cas, des Inuits, mais jamais de la nation métisse.

Nous voulions nous assurer que le public canadien prenne conscience de cette situation. J’aurais préféré que le budget indique clairement que 8 milliards de dollars étaient destinés aux Premières Nations, comme c’était le cas dans l’Accord de Kelowna, X millions pour les Inuits et rien pour la nation métisse. Ainsi, au moins les gens auraient compris que nous n’avons pas reçu un seul sou, au lieu d’être induits en erreur et de penser que nous sommes inclus dans les 8 milliards. Il ne s’agit que d’un exemple.

Ce projet de loi reconnaît l’existence de la nation métisse et tient compte de la nécessité de protéger les langues autochtones, le michif en ce qui nous concerne. Le michif est la langue officielle de la nation métisse, mais ne compte plus que quelques centaines de locuteurs — peut-être même moins de 700 — qui sont tous âgés de plus de 65 ans. Le michif nous tient à cœur; nous souhaitons le revaloriser et en faire notre langue commune.

Bien entendu, certains membres de notre communauté parlent le déné, notamment deux villages métis: La Loche et l’Île-à-la-Crosse, où j’ai été envoyé dans un pensionnat pendant 10 ans. Le Canada n’a d’ailleurs toujours pas offert de dédommagement à la nation métisse dans le dossier des pensionnats ni reconnu l’engagement des anciens combattants métis qui ont participé à la Seconde Guerre mondiale.

Nous tenons à préserver cette langue, de même que le saulteaux, parlé par de nombreux Métis qui habitent au Manitoba. Nous chérissons toutes ces langues, mais notre langue officielle est le michif. L’Île-à-la-Crosse s’apprête à célébrer en mai le 20e anniversaire du michif en tant que langue parlée à l’école, un jalon important pour les villageois.

Ce projet de loi présente une approche générale et n’a pas de caractère normatif. Dans ce dossier, il est difficile de s’en tenir à des solutions précises, étant donné la grande diversité des peuples, des nations et des langues autochtones. Les langues de certaines nations autochtones frôlent l’extinction. Par conséquent, nous devons canaliser nos efforts pour éviter qu’une telle situation se produise.

Comme on l’a souligné plus tôt aujourd’hui, le contexte est différent dans d’autres régions. Je pense par exemple aux Inuits, qui sont encore nombreux à habiter sur leur propre territoire, et dont la langue est encore bel et bien vivante. À ce propos, je sais que l’Inuit Tapiriit Kanatami réclame toujours certains amendements et je rappelle que la nation métisse appuie sans réserve les aspirations du peuple inuit. En effet, nous croyons que leurs droits linguistiques doivent être respectés sur leur territoire, le Nunavut, et qu’ils ont le droit de demander des services dans leur langue. Nous sommes tout à fait favorables à ces revendications.

En fin de compte, nous devons disposer d’assises solides. Idéalement, de nouveaux amendements visant à satisfaire les demandes des peuples autochtones devraient être proposés, mais il faut un début à tout. Nous avons besoin d’une base à partir de laquelle d’autres éléments pourront éventuellement s’ajouter. À tout le moins, nous devrions pouvoir envisager un projet de loi qui nous permet d’édifier une telle base. Le simple fait que le Parlement s’efforce d’adopter des mesures législatives en matière de services à l’enfance et à la famille indique que le Canada souhaite sincèrement mener à bien la réconciliation avec les peuples autochtones.

Je crois que Brian Mulroney avait dit que le mieux est l’ennemi du bien. Je terminerai en disant que le gouvernement fédéral et les autres ordres de gouvernement jouent un rôle de premier plan dans le dossier des langues autochtones. Nous allons trouver des moyens pour que nos communautés puissent bénéficier de ce projet de loi, et ce, peut importe la forme qu’il prendra.

Jocelyn Formsma, directrice exécutive, Association nationale des centres d’amitié : Avant de commencer, je souhaite prendre acte du territoire non cédé à la nation algonquine.

[Mme Formsma s’exprime dans une langue autochtone.]

J’ai présenté un exemplaire en version numérique en français et en anglais du document de travail de l’Association nationale des centres d’amitié, intitulé Nos langues, nos récits : Pour une revitalisation et un maintien des langues autochtones en milieu urbain.

Pour vous donner une idée, nous sommes un réseau constitué de 112 centres d’amitié et d’associations provinciales-territoriales d’un bout à l’autre du pays. Au Canada, les centres d’amitié représentent les sociétés civiles et les infrastructures de prestation de services aux Autochtones les plus importantes à l’extérieur des réserves. Ce sont également les premiers fournisseurs de programmes et de services culturellement adaptés aux Autochtones vivant en milieu urbain.

Pendant plus de 70 ans, les centres d’amitié ont facilité le passage des Autochtones depuis la vie rurale, éloignée et dans une réserve jusqu’au milieu urbain. Par ailleurs, ils appuient les Autochtones qui sont nés et ont grandi dans un milieu urbain. Pour de nombreux Autochtones, les centres d’amitié sont les premiers points de contact pour s’intégrer à une communauté, obtenir de l’aide et être orientés vers des services et des programmes socioéconomiques — y compris des programmes de langues autochtones — fondés sur leur culture.

Comme l’a indiqué notre président, Christopher Sheppard, dans le témoignage qu’il a présenté le 9 mai devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, en 2015 seulement, l’Association nationale des centres d’amitié a établi plus de 2,3 millions de contacts avec des clients et a été en mesure d’offrir plus de 1 800 programmes et services dans plusieurs domaines, y compris les langues.

Par exemple, le centre d’amitié First Light St. John’s offre des programmes en langue micmaque à tous les membres de la communauté. Le contenu des classes et des conversations est enregistré et on peut le visionner sur WebEx. Ainsi, n’importe qui peut s’y joindre, en personne ou en ligne. Ce centre d’amitié avait initialement présenté une demande pour offrir des programmes dans trois langues — le micmac, l’inuktitut et l’innu-aimun — mais elle a été refusée. Le centre d’amitié Under One Sky, à Fredericton, offre un programme intitulé Take It Outside Head Start, qui permet aux enfants de faire des sorties en toute saison dans le but d’apprendre la langue malécite. Quant au centre situé à Montréal, il offre depuis trois ans des cours de langues gratuits sur une base hebdomadaire. On y enseigne aux enfants et aux adultes l’innu, le cri, l’anishinaabemowin, l’atikamekw, le wendat-huron et l’inuktitut.

Le centre d’amitié de Calgary propose des cours en cri, en michif et en piikani, tandis que le Canadian Native Friendship Centre d’Edmonton offre des cours en cri. En Colombie-Britannique, nous avons été en mesure d’obtenir 6 millions de dollars du gouvernement provincial pour les programmes de langues.

Nous sommes ici pour discuter du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, car ce projet nous touche directement. Nous offrons des programmes de langues autochtones et nous allons continuer de le faire, car nous sommes redevables aux communautés autochtones qui doivent exploiter nos centres avec peu de moyens à leur disposition. Nous comptons leur proposer des solutions.

Les Autochtones vivant en milieu urbain ont conservé des liens étroits avec leur identité, tout en cherchant des moyens de conserver des liens culturels en dehors de leurs communautés. L’utilisation des langues et leur revitalisation doivent se faire là où les gens vivent, y compris au sein des milieux urbains.

Laissez-moi glisser quelques mots sur le document de travail que nous avons présenté, « Nos langues ». Nous avons organisé un forum de deux jours en veillant à ce que toutes les régions du Canada soient représentées. Nous avons discuté de l’élaboration de mesures législatives en matière de langues autochtones, en nous penchant notamment sur la situation des langues autochtones en milieu urbain. Plusieurs recommandations ont été fournies par rapport au projet de loi C-91. Certains intervenants ont fait part du défi que représente l’apprentissage de leur langue autochtone en tant que langue seconde, et de l’importance d’apprendre une langue en milieu immersif. Ils ont affirmé que l’apprentissage d’une langue autochtone devrait être intégré dans toutes les sphères de la vie d’une personne, de façon holistique. Ainsi, un Autochtone devrait avoir l’occasion de parler sa langue à tout âge, tout au long de sa vie. Beaucoup de participants se sont fortement ralliés à l’idée d’utiliser les centres d’amitié comme plaques tournantes pour la revitalisation linguistique et comme espaces sécuritaires favorisant l’apprentissage des langues autochtones.

Ce rassemblement nous a permis de confirmer à quel point les Autochtones sont fiers de leurs langues et de leur identité. Par ailleurs, les jeunes ont souligné le caractère essentiel des langues, qui les aident à mieux comprendre leurs origines.

Nous avons indiqué certaines recommandations dans les notes d’allocution, que vous avez en main. Comme j’ai peu de temps, je vais parler de points précis concernant le projet de loi C-91.

Le projet de loi C-91 reflète l’engagement de fournir un financement adéquat, stable et à long terme en ce qui touche la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones. Il montre aussi que le gouvernement du Canada est conscient que les peuples autochtones sont les mieux placés pour jouer un rôle de premier plan en ce qui touche la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones.

Les centres d’amitié sont des organismes de la société civile en milieu urbain qui appartiennent à des Autochtones et qui sont gérés par eux. L’Association nationale des centres d’amitié au Canada, l’ANCA, nous offre l’occasion de tirer parti de son vaste réseau et de son expertise dans la prestation de programmes partout au Canada. On trouve des centres d’amitié dans toutes les provinces et tous les territoires, exception faite de l’Île-du-Prince-Édouard, et chacun d’eux fournit des services directs aux Autochtones vivant en milieu urbain.

Dans la partie sur les définitions, celle d’« organisme autochtone » ne permet pas de savoir clairement si les centres d’amitié, qui offrent des services directs aux Autochtones, ou les médias autochtones, qui offrent du contenu linguistique à la radio et à la télévision, sont pris en considération. Dans la définition, on peut lire : « [e]ntité [...] qui représente les intérêts d’un groupe autochtone », mais les centres d’amitié n’ont pas la prétention de représenter les intérêts d’un groupe autochtone ou de ses membres. En fait, nous représentons une perspective urbaine et nous sommes au service de tous les Autochtones, qu’ils soient reconnus par leur communauté ou non.

Dans la définition de « peuples autochtones », il y a un renvoi au paragraphe 35(2), où l’on parle des Indiens, des Inuits et des Métis. L’ANCA suggère d’élargir la définition pour qu’elle englobe tous les Autochtones, y compris les Indiens non inscrits, les Inuits non bénéficiaires, notamment les Inuits qui vivent au sud du pays et les Métis qui ne vivent pas dans leur territoire d’origine. Comme pour tous les services, les Autochtones ne devraient pas avoir à définir qui ils sont pour revitaliser leurs langues.

Comme on l’a indiqué précédemment, il est question d’outils technologiques sous « objet », au sous-alinéa 5b)(iii). L’ANCA veut encourager le développement et le soutien des outils technologiques, des documents éducatifs et des documents permanents déjà existants. Il y a des organismes autochtones qui ont déjà des bases de données, des enregistrements, des ouvrages, des applications originales, et ainsi de suite. Ce matériel existe déjà. Il y a des médias autochtones qui sont à l’œuvre depuis des dizaines d’années et qui ont des bobines de matériel linguistique. S’ils avaient accès à du financement et à du soutien, ils seraient en mesure, par exemple, de mobiliser et de numériser ces documents pour en faciliter l’utilisation par le public, les communautés autochtones et les organismes comme les centres d’amitié.

Le projet de loi C-91 prévoit la création d’un poste de commissaire chargé de la mise en œuvre et de la surveillance. Or, rien n’indique comment on procédera au Canada ni ne garantit une obligation de rendre des comptes aux peuples autochtones. Cette lacune peut avoir des répercussions pour les principaux intervenants dans les communautés autochtones, y compris pour le mouvement des centres d’amitié.

L’ANCA voudra que des mesures directes soient clairement définies pour que la population autochtone en milieu urbain bénéficie du projet de loi C-91, y compris d’un accès équitable aux ressources. Nous recommandons aussi de donner au commissaire et aux trois directeurs le mandat spécial de se pencher sur la revitalisation des langues dans les communautés autochtones urbaines ou encore de nommer un quatrième directeur dont le seul mandat sera de surveiller la revitalisation des langues en milieu urbain.

Je vais m’arrêter là. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant donner la parole aux sénateurs pour qu’ils posent leurs questions.

Le sénateur Patterson : Je remercie M. Chartier d’avoir parlé des préoccupations des Inuits et de l’appui qu’il a manifesté à cet égard. En tant que porte-parole du projet de loi, je fais grand cas de l’appui du Ralliement national des Métis envers le projet de loi.

J’aimerais lui poser une question concernant un point soulevé par Mme Formsma. Je suis à peu près certain de parler au nom du comité en disant que la présentation de l’Association nationale des centres d’amitié que nous avons entendue plus tôt cette année nous a fort impressionnés. Nous pensons qu’il s’agit d’un organisme très important. Nous croyons comprendre que la majorité des membres des Premières Nations n’habitent plus dans les réserves. Vos services sont cruciaux et impressionnants; ils méritent un meilleur soutien.

Je me réjouis de votre volonté de vous occuper des langues autochtones pour la clientèle de vos excellents centres. Vous avez demandé comment on procédera pour le poste de commissaire au Canada. Je veux simplement indiquer au comité que j’ai posé la question lors de la séance d’information que j’ai reçue à titre de porte-parole. On m’a dit de ne pas m’inquiéter, car la méthode de dotation pour les postes de commissaire et de directeur ne serait pas la même qu’à l’habitude. Ce n’est pas la Commission de la fonction publique qui s’en occupera. Nous allons consulter abondamment et largement les organismes autochtones du pays pour choisir le commissaire et les trois directeurs. Nous prendrons notre temps pour le faire. Les responsables m’ont avoué que le processus pourrait prendre jusqu’à deux ans.

Ma question s’adresse à M. Chartier en particulier. Puisque vous avez pris part à l’élaboration concertée, votre organisme a-t-il été informé de la longueur du processus — qui est peut-être bon, mais qui risque, à mon avis d’être très long — de nomination du commissaire et des directeurs? Vous a-t-on informé du calendrier il y a deux ans?

M. Chartier : Voilà une question directe.

Le sénateur Patterson : J’aimerais vous la poser.

M. Chartier : Je n’ai pas participé personnellement à toutes les négociations. Comme vous le savez très bien, nous avons des représentants dont c’est le rôle. Ce que je sais, c’est que deux ans, ce n’est pas long. Il a fallu attendre pendant des générations pour en venir à cette étape. Le seul fait d’en être là est une victoire.

Je ne savais pas avec précision combien de temps il faudrait. Je sais qu’il faudra probablement au moins un an, à mon avis, deux peut-être. Je recommanderais peut-être une petite année, mais je ne sais pas si on nous a précisé qu’il faudrait deux ans. Il faut du temps pour s’organiser. Je ne crois pas que deux ans feront une grande différence, mais le plus tôt le mieux.

Le sénateur Patterson : J’aimerais vous remercier de votre appui envers les Inuits. Ils se sont retirés du processus d’élaboration concertée en août 2018 et se sont vu promettre des discussions bilatérales qui n’ont rien donné. Je dois corriger mes propos : le comité a rejeté 20 amendements hier à l’autre endroit, pas 25. Je me suis trompé. Selon eux, il n’y a rien dans le projet de loi qui répond aux préoccupations qui leur sont propres.

Monsieur Chartier, on m’a dit que des négociations sont en cours avec les Inuits à l’heure actuelle, qu’un représentant spécial a été nommé, qu’il y a des discussions concernant un accord éventuel, comme le permettent les articles 9 et 10 du projet de loi. Je sais que la présidente Kotierk souhaite vivement que ces négociations aboutissent avant l’adoption du projet de loi. Convenez-vous qu’avant de mettre la dernière main à celui-ci, il faut obtenir des réponses claires sur ce qui sera fait dans le cas bien particulier de l’inuktitut?

M. Chartier : Voilà une question à laquelle il m’est difficile de répondre, car nous avons aussi nos propres intérêts. L’inuktitut n’est pas une langue menacée comme l’est le michif. Certes, nous pouvons attendre deux autres années, mais cela signifie qu’une autre centaine de nos locuteurs s’éteindront d’ici là et que leur nombre s’amenuisera encore plus. Le temps presse pour nous.

Il pourrait aussi y avoir des interventions propres à la nation métisse et au michif. Je ne parle pas pour les autres, mais nous pensons que la mesure actuelle est assez bonne. L’ancien programme ne fonctionnait pas vraiment pour les Métis, comme bien des programmes fédéraux d’ailleurs, du moins jusqu’ici. Les choses changent.

Nous serions d’accord — s’il le faut, mais j’espère que non — pour que l’on fasse trois projets de loi, un pour la nation métisse, un pour les Premières Nations et un pour les Inuits. Ainsi, s’il l’un de ces trois groupes ne veut pas aller de l’avant à ce moment-ci, il n’empêchera pas les autres d’aller de l’avant. La nation métisse souhaite que le projet de loi soit adopté au cours de cette session-ci. Nous ne voulons pas prendre de risque, car nous ne savons pas quel parti formera le prochain gouvernement. Suivant le résultat de l’élection, il est possible qu’une telle mesure ne se représente pas avant très longtemps.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Chartier et madame Formsma. Ma question est pour vous, madame Formsma. Elle porte sur les centres d’amitié et deux points que vous avez soulevés au sujet du projet de loi C-91. Au point 18, vous vous dites préoccupée par la définition d’organisme autochtone et l’admissibilité des centres d’amitié au titre du projet de loi. N’en avez-vous pas parlé avec Patrimoine canadien? Pouvez-vous simplement nous dire où en sont les choses en ce qui concerne ce point en particulier?

Mme Formsma : Nous avons fait une présentation devant le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes, où nous avons soulevé la même préoccupation. Le comité nous a demandé de rédiger un libellé qui conviendrait selon nous pour l’amendement, mais c’est plutôt difficile à formuler. En cherchant à composer quelque chose qui exprime le fond de notre pensée, je vois que ce qui m’inquiète, ce sont les mots « qui représente les intérêts ». Nous ne voulons pas prétendre représenter un groupe autochtone. Il y a des organismes qui représentent des gens sur le plan politique. Comme je l’ai indiqué, nos organismes, les centres d’amitié, appartiennent à des Autochtones et sont gérés par eux. Voilà pourquoi nous disons qu’ils font partie de la société civile. Nous sommes des personnes qui en aident d’autres.

Je ne suis pas sûre que l’expression « entité autochtone appartenant à des personnes autochtones et gérée par elles » rend bien cette idée. C’est l’une des formulations que je proposerais.

La sénatrice Coyle : Vous a-t-on répondu?

Mme Formsma : On m’a simplement demandé de l’envoyer. Il n’y a pas eu de réponse. Si j’ai bien compris, le comité en est actuellement à l’étude article par article.

La sénatrice Coyle : Les centres d’amitié ont-ils été consultés? Ont-ils participé à l’élaboration concertée dont M. Chartier nous a parlé?

Mme Formsma : Je crois comprendre que le Ralliement national des Métis, l’Assemblée des Premières Nations et l’Inuit Tapiriit Kanatami ont tous participé à l’élaboration concertée, et les détails de leur participation ont été discutés. Pour notre part, nous avons soumis le mémoire dont j’ai parlé, et à ma connaissance, nous n’avons rien contribué de plus à l’élaboration du projet de loi.

Je suis en poste depuis novembre, je n’aurais donc pas connaissance de ce qui s’est fait avant cela. Lorsque mon président et moi sommes comparus devant le Comité du patrimoine, il était en poste depuis assez longtemps et avait une très bonne connaissance de ce qui avait été fait. J’ai l’impression qu’il me l’aurait dit si nous avions été invités à participer, c’est pourquoi j’estime que nous ne l’avons pas été.

La sénatrice Coyle : C’est intéressant. J’ai soulevé la question du contexte urbain avec la ministre et ses représentants. Tout le monde ici présent comprend et reconnaît l’importance des services, notamment les services de langue, dans le projet de loi aux yeux de la population autochtone vivant dans les villes et les villages canadiens.

La deuxième chose que je voulais vous demander porte sur le point 19, qui porte sur l’élargissement de la définition des éventuels bénéficiaires de la mesure. Si j’ai bien compris, vous ne faites pas de discrimination. Il suffit de s’identifier en tant qu’Autochtone, qu’il s’agisse d’une personne non inscrite ou d’un Inuit non bénéficiaire, pour pouvoir accéder à vos services. Je suppose que les centres d’amitié préfèrent ne pas avoir à être en position de devoir décider à qui rendre des services, parce que ce serait contraire à votre façon de faire et contraire à vos chartes.

Avez-vous discuté de cette question-là avec les décideurs, et quel genre de réponse vous a-t-on donné? Ce sont, selon moi, deux points vraiment fondamentaux.

Mme Formsma : Comme je l’ai dit précédemment, nous avons soumis au Comité du patrimoine les mêmes observations et réserves que je vous exprime aujourd’hui. Un mémoire a été soumis au comité; c’est tout. Nous n’avons eu aucun autre échange à part cela.

J’aimerais élaborer sur le dernier point que vous avez fait sur l’appui total que nous accordons aux besoins linguistiques des collectivités métisses, inuites et des Premières Nations. Je voudrais éviter que l’on interprète nos observations comme étant en contradiction avec cela.

Notre objectif est de tenter de répondre à la demande au sein des collectivités que nous desservons. Quand des collectivités urbaines ont de grands besoins en matière de cours de langue, nous nous efforçons d’y répondre le mieux possible. Nous cherchons simplement à refléter ce que nous disent les collectivités que nous desservons et à répondre à leurs besoins.

La sénatrice Coyle : Merci.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. J’aimerais revenir à ce que vous avez dit au point 7 à propos du financement qui ne vous a pas été accordé et des propositions qui ont été rejetées. J’ai un bon nombre de questions à ce sujet.

Comment obtenez-vous du financement pour les classes actuellement offertes? Je remarque que, en Colombie-Britannique, le financement provient du gouvernement provincial, mais qu’en est-il des autres provinces?

Mme Formsma : Nous sommes seulement au courant de ce que font une poignée de centres d’amitié. Nous savons que le financement vient en partie de la province; que certaines organisations ont accès à certains revenus autonomes; et que d’autres sont capables de répondre à la demande en entrant en partenariat avec les municipalités.

Le centre d’amitié Under One Sky à Fredericton offre un programme Head Start qui s’appelle Take It Outside, alors j’ignore si le volet linguistique est complètement couvert, mais je sais qu’ils obtiennent un certain financement de Head Start.

Si mon président était ici, il serait en mesure de parler du centre d’amitié autochtone de St. John’s. Le centre obtient des fonds pour le volet technologique, mais je pense que la demande pour le volet linguistique a été présentée à la province. On en a demandé trois, et d’après ce que j’ai pu comprendre, on leur a répondu que la demande pour l’inuktitut et l’innu-aimun était trop faible pour justifier un programme, et ce, malgré le fait que les membres de la communauté manifestaient un intérêt pour apprendre l’inuktitut. Pour l’instant, le centre offre seulement des cours de mi’kmaq.

La sénatrice McCallum : Malgré le fait qu’on sait que chaque langue est unique et se rattache à un contexte communautaire précis, notamment en milieu urbain, il y a toujours une approche pancanadienne au financement qui ne fait aucune distinction entre les Premières Nations, les Inuits et les Métis, et qui répond assez mal aux besoins particuliers de chacun. Cette approche encourage la compétition, car le financement était insuffisant par le passé.

Que pensez-vous de la stratégie fondée sur les propositions? Avez-vous des recommandations à nous faire afin que vous puissiez plus facilement obtenir des fonds aux termes du projet de loi à l’étude?

Mme Formsma : Nous n’aimons pas quand on cherche à monter un peuple contre un autre, parce que souvent, c’est le même peuple. Nous savons qu’il arrive souvent aux gens de migrer vers les milieux urbains avant de revenir dans leur collectivité. C’est toujours difficile lorsqu’on sème la division et qu’on monte les intérêts des uns contre ceux des autres.

Cela dit, nous disposons déjà d’un réseau. Dans l’éventualité où il y aurait un programme national dans le cadre duquel une certaine somme serait attribuée aux centres d’amitié, nous aurions l’infrastructure nécessaire pour pouvoir facilement répartir les fonds parmi tous les centres d’amitié au Canada qui, eux, se chargeraient d’offrir les cours de langue correspondant aux besoins de la communauté en question.

Je ne prétends pas qu’on pourrait offrir des cours dans toutes les langues, mais peut-être qu’à Edmonton, où les gens sont principalement cris et pieds-noirs, on pourrait également offrir des cours de michif. Dans des endroits comme Vancouver et Toronto, il est un peu plus difficile de cerner une seule langue et offrir des services en conséquence. Nous nous en remettrions au savoir et au dévouement des centres d’amitié locaux, qui connaissent mieux que quiconque les communautés qu’ils desservent.

Pour nous, ce serait facile si on pouvait avoir quelque chose. On pourrait verser des sommes à tous les centres d’amitié, et il y aurait au moins 130 endroits où suivre des cours de langue.

La sénatrice McCallum : Où donc trouvez-vous des locuteurs sur place? Les écoles que j’ai visitées au Manitoba ont du mal parce que les enseignants relèvent de la province. Celles et ceux qui parlent couramment la langue n’ont pas le droit de travailler dans les écoles avec les enseignants qui donnent les programmes d’immersion.

Mme Formsma : Je ne peux pas me prononcer sur chacun des programmes offerts dans tous les centres d’amitié. Je pense que nous avons un peu plus de flexibilité puisqu’il s’agit d’une organisation communautaire. Ce seraient des cours de langues communautaires, où l’attestation n’est pas aussi essentielle que dans le système scolaire. Les centres trouvent des gens qui parlent la langue et qui sont prêts à contribuer et à faire de leur mieux.

On a aussi parlé de technologie. Ce n’est pas dans le contexte des centres d’amitié, mais à Toronto, par exemple, j’ai entendu dire que des gens se réunissaient avec les ressources qu’ils avaient à leur disposition et faisaient de leur mieux pour essayer de pratiquer la langue.

Si First Light, le centre d’amitié à St. John’s, a voulu enregistrer les cours et les rendre disponibles sur WebEx, c’était en partie pour que les gens n’aient pas à se rendre sur place, au centre, pour pouvoir accéder au cours de langue. Des cours étaient offerts une fois par semaine pour que les gens puissent y assister, mais ils pouvaient également les suivre en ligne, en direct, à partir de chez eux, ou encore visionner la diffusion web par la suite afin de pouvoir parler aux gens.

Je pense qu’il faut d’abord et avant tout que les gens puissent se réunir et parler la langue en conversation plutôt que de se contenter d’apprendre les mots pour dire « eau » et « papier ». Il faut vraiment mettre l’accent sur la conversation.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux d’être venus.

Madame Formsma, je tiens à faire écho aux déclarations qu’ont faites les autres membres du comité à propos du travail incroyable que font les centres d’amitié, qui ont également su reconnaître le nombre croissant d’Autochtones vivant en milieu urbain au Canada. C’est quelque chose que nous constatons dans le cadre du travail du comité et que nous constations également dans nos fonctions antérieures.

J’ai déjà eu des réponses à certains éléments de la question que je voulais poser, j’aimerais donc vous donner l’occasion de développer un peu votre pensée quant aux choses que le comité pourrait faire pour vous être utile; peut-être auriez-vous des recommandations qui permettraient aux centres d’amitié de développer leurs cours de langues. Pour faire suite à la question de la sénatrice McCallum, quel genre de ressources avez-vous pu utiliser, et qu’est-ce qui pourrait vous être utile en termes de suggestions, de pression et de lignes directrices pour les provinces et les territoires à l’égard du soutien pour contribuer au développement des programmes de langue dans vos centres?

Mme Formsma : Il faudrait s’assurer que l’on apparaisse dans le projet de loi. Je ne dis pas qu’il faut nécessairement qu’on y répète mille fois les mots « centres d’amitié », mais il serait très utile pour nous que la loi reconnaisse que l’on vit de plus en plus souvent en ville et qu’il y soit précisé que nous avons également le mandat de veiller à la revitalisation des langues dans un contexte urbain; ainsi, nous aurions quelque chose à quoi nous en tenir.

La question du financement a été soulevée par le comité et aussi dans les médias, et je pense que c’est essentiel. Les gens ont besoin d’aide et de ressources pour pouvoir mener à bien ces initiatives liées aux langues autochtones.

Par exemple, avec un budget de 100 000 $, le centre d’amitié à Montréal offre des cours hebdomadaires gratuits en cinq langues différentes. Si vous connaissez d’autres programmes qui sont capables d’offrir cinq cours de langues différents avec 100 000 $, pensez à ce qu’ils pourraient offrir avec plus de soutien. Je pense que le financement est un élément essentiel, mais encore faut-il qu’il soit permanent. Le financement ponctuel ne permettra pas à nos langues de revivre. Ça ne suffira pas pour encourager les gens à parler couramment leur langue, ce qui est notre objectif. Nous voulons que les gens puissent avoir des conversations et pas seulement apprendre des mots et compter jusqu’à 10.

La sénatrice Pate : Merci.

Le sénateur Christmas : Merci à vous deux d’être venus. J’ai une question pour chacun d’entre vous.

Monsieur Chartier, vous avez mentionné qu’il y a moins de 700 locuteurs de michif dans la communauté métisse. Je pense vous avoir entendu dire au sénateur Patterson que vous ne pensiez pas que le michif est menacé, mais j’ai néanmoins l’impression que si vous deviez perdre 100 locuteurs par année, ce serait plutôt grave. Dans ce contexte, quels éléments du projet de loi vous donnent espoir ou vous enthousiasment à l’égard de l’éventuelle revitalisation du michif?

M. Chartier : Merci. Ce que j’ai voulu dire, c’est que, selon moi, l’inuktitut n’est pas menacé, mais le michif l’est. Mon propos part de ce constat.

Je suis content que vous me posiez cette question. En 1983, je suis venu dans l’édifice où nous nous trouvons pour la conférence des premiers ministres sur les droits des Autochtones. Nous y étions pour revendiquer le respect des droits de nos peuples et de nos nations. Depuis lors, nous nous battons énergiquement pour que soit reconnu notre droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Sans vouloir offusquer qui que ce soit, je tiens à vous dire que vous n’avez pas choisi la bonne approche en travaillant sur des détails plutôt que de vous attaquer au problème plus globalement.

L’article 35, que tout le monde accepte, définit le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Le projet de loi actuel a été élaboré en concertation par les représentants nationaux des peuples et des nations autochtones. Dans notre cas, c’est le gouvernement de la nation métisse. Nous ne sommes pas une organisation autochtone nationale, mais bien le gouvernement de la nation métisse. J’ai accepté de venir témoigner devant votre comité, puis je me suis aperçu, il y a un jour et demi, qu’on ne m’avait pas convié à la même séance que l’Assemblée des Premières Nations, contrairement à la formule que j’avais acceptée. Je ne voudrais pas froisser l’Association nationale de centres d’amitié, mais c’est un organisme de services.

Je me sens mal à l’aise d’être ici, en tant que chef du gouvernement de la nation métisse, à discuter de détails comme la façon d’appliquer des mesures, plutôt que de parler de la question fondamentale du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et des relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Il faut que je le dise.

Nous, la nation métisse, avons notre gouvernement. Je pourrais vous parler de ce que nous faisons concernant le michif par l’entremise de l’Institut Gabriel-Dumont, de l’Institut Louis-Riel, de l’Institut Rupertsland et de nos communautés. Je pourrais vous parler de toutes nos activités. Malheureusement, la plupart des Métis vivent dans les agglomérations urbaines, alors nous n’avons pas besoin que des gens viennent nous dire qu’ils vont fournir ces services. Nous nous occupons nous-mêmes de fournir nos services et nous allons continuer de le faire. Comme je l’ai dit, notre gouvernement a reçu 105 milliards de dollars l’année dernière, pour la première fois, et nous espérons recevoir plus d’argent encore cette année. Nous continuerons de bâtir notre gouvernement. C’est la façon de faire que nous devrions privilégier. Selon moi, c’est ce que le projet de loi devrait permettre en ce qui a trait aux langues autochtones.

Permettez-moi d’ajouter un point sur le même sujet. Je veux insister sur la question des représentants nationaux des trois groupes de peuples et nations autochtones. Je n’ai pas d’objection à ce que des groupes de pression et des organismes de services participent aux discussions, mais nous devons en augmenter la portée. Souvent, le Parlement essaie de limiter notre action à des compartiments incompatibles avec les droits inhérents, ce qui nous empêche d’exercer notre droit à l’autonomie gouvernementale. Nous devons nous éloigner de cette façon de faire et adopter une optique plus large.

Par exemple, au cours des deux dernières années, l’Association des femmes autochtones du Canada et le Congrès des peuples autochtones étaient les seuls à participer aux réunions du Conseil de la fédération. Nous croyons que les représentants des nations, des peuples et des gouvernements autochtones forment l’un des trois ordres de gouvernement et qu’il leur revient à eux d’être présents dans les forums d’affaires intergouvernementales, plutôt qu’aux organismes de services ou aux groupes de pression.

À mes yeux, le projet de loi découle de ce principe, et j’ose espérer que les gens continueront de travailler dans ce sens au lieu de tergiverser pour savoir qui fournira les services. Ceux qui le souhaitent auront amplement l’occasion de se proposer. Le gouvernement de la nation métisse pourrait conclure des ententes avec les centres d’amitié. Dans mon village, on retrouve les mêmes gens au centre d’amitié. Ils font partie de la communauté métisse et de notre administration municipale. Nous travaillons tous dans un climat de bonne entente. J’espère que votre comité adoptera une optique plus large au lieu de s’empêtrer dans ces détails.

Le sénateur Christmas : Madame Formsma, j’ai bien aimé vous entendre dire qu’il faut définir plus clairement ce que l’on entend par « organisation autochtone » et « peuples autochtones ». Je pense que votre proposition de créer un quatrième poste de directeur pour les milieux urbains est intéressante, car vous faites face à un problème particulier. En milieu urbain, ce n’est pas seulement une langue autochtone qui est concernée, mais bien plusieurs. J’aimerais que nous parlions de ce que vous disiez à propos de la création d’outils technologiques.

Je vous soumets une idée pour savoir ce que vous en pensez. Verriez-vous d’un bon œil que des entreprises autochtones, c’est-à-dire des entreprises autochtones à but lucratif, se spécialisent dans la création d’applications et de jeux en langue autochtone?

Mme Formsma : Je pense que les outils technologiques doivent être considérés simplement comme des outils. Notre boîte à outils de revitalisation linguistique devrait en contenir beaucoup d’autres. Je pense au programme Take It Outside, du centre d’amitié Under One Sky. Lorsqu’on essayait d’enseigner une langue autochtone en classe à des enfants, il était très difficile de capter leur attention. Dès qu’on les emmenait dehors, dans la nature, leur concentration s’améliorait beaucoup. Les mots qu’ils apprenaient avaient beaucoup plus de sens que lorsqu’on tentait de les leur enseigner assis dans une salle de classe. Je ne voudrais pas abandonner des outils pour les remplacer par d’autres. Si des outils technologiques d’apprentissage des langues étaient vendus par des entreprises cherchant à en tirer un profit, j’aimerais que ce soit des entreprises exploitées par des Autochtones. Je ne souhaiterais pas que des entreprises non autochtones profitent de nos lacunes sur le plan linguistique. Je serais favorable à l’utilisation d’outils technologiques, mais il ne faudrait pas qu’ils soient la seule solution.

Le sénateur Christmas : Merci.

Le sénateur Tannas : Merci d’être présents. Madame Formsma, je voudrais que nous revenions à l’opinion très favorable que plusieurs d’entre nous ont exprimée au sujet des centres d’amitié. Nous les avons souvent vus à l’œuvre. Je pense que notre comité est votre meilleur interlocuteur que vous puissiez avoir pour tenter d’obtenir un amendement ayant pour effet de nommer les centres d’amitié dans la loi.

Je voudrais vous poser une question au sujet de l’article 9, qui dit ceci :

Le ministre et tout ministre compétent peuvent conclure avec des gouvernements provinciaux, des gouvernements autochtones et autres corps dirigeants autochtones et des organismes autochtones des accords visant la réalisation des objectifs de la présente loi [...]

Si on remplaçait l’expression « des organismes autochtones » par « des organismes autochtones, notamment des centres d’amitié », je me demande si on n’élargirait pas l’éventail des organismes avec lesquels des accords pourraient être conclus, de manière à inclure ceux qui ne sont pas de nature gouvernementale, mais qui se consacrent plutôt à la prestation de services et avec lesquels le ministre devrait songer à conclure des accords pour que les services soient fournis comme le prévoit la loi. Nous pourrions nommer les centres d’amitié dans la loi, eux qui constituent ensemble le plus grand organisme de prestation de services du pays pour les Autochtones en milieu urbain. Selon moi, on devrait les mentionner dans le texte de la loi, ce qui n’enlèverait rien aux autres, mais nous permettrait d’avoir la certitude que l’on tiendra compte du travail que vous faites dans ces centres. Est-ce que ce serait pour vous un moyen d’obtenir ce que vous voulez?

Mme Formsma : Je ne serais pas du tout contre l’idée de nommer les centres d’amitié dans le projet de loi. Nous cherchons principalement à élargir la définition des « organismes autochtones ». Donc, je vous répondrais oui, et encore...

Il n’est pas question des médias autochtones dans le projet de loi. Bien sûr, ils ne sont pas là pour représenter un groupe autochtone. Je comprends ce que dit Clément Chartier et je ne suis pas en désaccord avec lui, mais je pense que, lorsqu’il est question de langues, nous devons permettre à la société civile autochtone de jouer un rôle. Puis, les médias autochtones, qui ne sont pas associés aux gouvernements des Premières Nations, des Métis ou des Inuits, ont aussi un rôle à jouer, notamment en ce qui concerne les langues autochtones.

Les médias autochtones travaillent à la revitalisation des langues autochtones et favorisent leur usage depuis des dizaines d’années. Prenez, par exemple, la radio Wawatay, dans le Nord de l’Ontario, dont les émissions sont constamment en cri, oji-cri et ojibway. Voyez aussi le cas de l’Inuit Broadcasting Corporation, qui produit des émissions de télévision pour enfants en inuktitut, dans tous les dialectes.

De la même façon, les associations au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et dans le Nord de la Saskatchewan utilisent leur langue constamment et amènent les membres des communautés autochtones à parler leur langue pour que les enfants l’entendent et pour qu’elle puisse être présente à la télévision, ce qui permet aux enfants de l’apprendre. Le réseau APTN l’a bien saisi de même que sa filiale qui fait de la radio.

Il faut favoriser l’usage des langues autochtones dans les médias et lui donner de l’ampleur. Je pense que, s’il faut élargir le sens de l’expression « organismes autochtones », nous devrions nous assurer d’inclure les médias et les centres d’amitié. Pour reprendre ce que disait le sénateur, je pense aussi que des organisations du secteur des technologies pourraient développer des applications et des outils technologiques pouvant être utilisés pour revitaliser les langues.

Le sénateur Tannas : Je suis d’accord, et je pense que vous faites preuve de modestie en ce qui concerne la contribution globale de votre organisme, à l’échelle nationale. Je respecte ce qu’a dit M. Chartier, mais il reste qu’à de nombreuses reprises au cours de votre histoire, on vous a délibérément négligés, et c’est probablement l’occasion idéale de nous assurer que, pour une fois, vous ne le soyez pas.

Mme Formsma : Merci, et je serai peut-être moins modeste à l’avenir.

La présidente : Merci.

Le comité est heureux d’accueillir maintenant Robert Bertrand, chef national du Congrès des peuples autochtones, de même que Francyne Joe, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, qui est accompagnée par Casey Hunley, conseillère politique.

Je vous remercie tous d’être présents ce matin. Le chef Bertrand prononcera son allocution en premier, puis ce sera le tour de Mme Joe.

Robert Bertrand, chef national, Congrès des peuples autochtones : Merci beaucoup. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs, les représentants et les invités. Je me nomme Robert Bertrand et je suis chef national du Congrès des peuples autochtones. Je suis heureux d’être avec vous aujourd’hui et j’aimerais souligner que nous sommes actuellement sur le territoire traditionnel et non cédé des Algonquins et de leurs descendants.

Depuis plus de 48 ans, le Congrès des peuples autochtones se consacre à faire valoir les droits et les besoins des Indiens et des Métis vivant hors des réserves, un peu partout au Canada, ainsi que ceux des Inuits du Sud, dont la majorité habite dans les régions urbaines, rurales et éloignées. Nous sommes en outre le porte-parole national de nos 10 organismes provinciaux et territoriaux affiliés, qui nous permettent d’être directement informés des priorités et des besoins de leurs membres.

Je vous remercie de m’avoir invité à prendre part à cette discussion importante. Le projet de loi C-91 souligne l’importance des droits linguistiques des Autochtones et établit un lien entre, d’une part, l’engagement du gouvernement fédéral à défendre les langues autochtones et, d’autre part, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation.

Grâce aux jalons historiques qu’ont été le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, en 1996, et le rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation, en 2015, nous acceptons aujourd’hui que la revitalisation des langues autochtones est essentielle à la réconciliation. Pendant des décennies, les effets cumulatifs du colonialisme ont provoqué la destruction et la perte de nos langues et de notre culture.

L’un des principaux objectifs du système des pensionnats indiens était d’éliminer les langues et la culture autochtones. Aujourd’hui, la conséquence de ces politiques discriminatoires et assimilationnistes est la disparition de nos langues. Le projet de loi C-91 constitue la première tentative nationale d’inscrire la protection des langues autochtones dans la législation fédérale.

Je suis heureux d’avoir l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui, car la consultation sur les questions qui touchent tous les peuples autochtones est un objectif que le Congrès des peuples autochtones s’efforce d’atteindre dans son travail en tant qu’organisation autochtone nationale.

Le Congrès des peuples autochtones n’a pas été inclus dans l’élaboration concertée du projet de loi du gouvernement concernant les langues autochtones, à laquelle trois organisations autochtones nationales ont participé. Une approche fondée sur les distinctions a été utilisée pour exclure les Autochtones vivant hors réserve et ceux vivant en milieu urbain. Je tiens à souligner que la lettre de mandat ministérielle indiquait que le projet de loi devrait être élaboré avec les peuples autochtones.

Le Congrès des peuples autochtones préconise que la diversité des populations d’identité autochtone dans les régions urbaines, rurales et éloignées soit prise en compte lors de l’élaboration de politiques publiques sur les langues autochtones. De plus, nous exhortons le gouvernement fédéral à inclure dorénavant le Congrès des peuples autochtones et ses commettants afin de fournir un financement adéquat, stable et à long terme pour la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones, comme promis dans le projet de loi.

Il est urgent d’élaborer et de financer des initiatives en matière de langues autochtones qui reflètent la diversité des populations autochtones du Canada. Le nombre d’Autochtones vivant hors réserve, y compris les jeunes Autochtones — le segment de la population canadienne dont la croissance est la plus rapide — ne fera qu’augmenter au cours des années à venir.

De nos jours, plus de 70 p. 100 des Autochtones du Canada vivent hors réserve. Les données du recensement de 2016 indiquent une perte marquée de la langue chez les populations hors réserve et non inscrites. Seulement 1,9 p. 100 des personnes s’identifiant comme des membres des Premières Nations non inscrits ont déclaré pouvoir converser dans une langue autochtone, comparativement à 27,3 p. 100 des membres des Premières Nations inscrits. Seulement 1,4 p. 100 des membres des Premières Nations vivant hors réserve parlent une langue autochtone, comparativement à 44,9 p. 100 de ceux qui vivent dans les réserves.

L’Enquête sur les enfants autochtones de 2006 a également révélé une tendance qui menace gravement la préservation des langues autochtones chez les générations futures. Parmi les enfants des Premières Nations vivant hors réserve et ayant le statut d’Indien inscrit, 11 p. 100 pouvaient parler une langue autochtone, et seulement 3 p. 100 des enfants des Premières Nations vivant hors réserve et non inscrits pouvaient exprimer leurs besoins dans une langue autochtone.

Les données sur la perte de la langue contrastent avec la motivation des personnes vivant hors réserve à maintenir la langue. Selon l’Enquête auprès des peuples autochtones de 2001, 60 p. 100 des parents d’enfants autochtones vivant hors réserve estiment qu’il est très important ou assez important que leurs enfants puissent parler et comprendre une langue autochtone.

Ces statistiques indiquent qu’il est nécessaire d’avoir des programmes culturels, des politiques et une stratégie ciblée pour la revitalisation des langues autochtones chez les membres des Premières Nations non inscrits ainsi que chez les membres des Premières Nations inscrits vivant hors réserve.

Il est important que le projet de loi soit inclusif et qu’il le reflète. C’est pour l’ensemble des peuples autochtones du Canada. Nous ne serons pas exclus en fonction d’où nous vivons, du fait que nous soyons inscrits ou non, ou de politiques. Le projet de loi est ouvert à diverses organisations autochtones, y compris des groupes qui représentent des personnes vivant hors réserve et des personnes non inscrites.

Le Congrès des peuples autochtones appuie l’adoption d’un projet de loi concernant les langues autochtones, mais la voie à suivre doit être plus inclusive. Dans le fond, les commettants doivent pouvoir avoir accès à l’argent des programmes. Cet engagement fédéral à revitaliser les langues autochtones doit s’étendre aux commettants du Congrès des peuples autochtones : les peuples autochtones vivant hors réserve dans les régions urbaines, rurales et éloignées.

Merci beaucoup d’avoir pris le temps de m’écouter. Meegwetch.

Francyne Joe, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Bonjour, sénateurs. Je m’appelle Francyne Joe et je suis présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada. Je tiens à souligner que nous sommes rassemblés sur le territoire traditionnel non cédé des Algonquins et des Anishinabek.

Je suis ici aujourd’hui parce que je suis profondément inquiète et déçue. Je suis déçue parce que le gouvernement du Canada a encore une fois ignoré les voix des femmes autochtones et notre importance dans l’élaboration concertée du projet de loi.

Je crains que les langues autochtones ne soient pas préservées ou revitalisées à moins que les femmes autochtones ne soient au cœur de l’élaboration et de la mise en œuvre de toutes les mesures de revitalisation linguistique.

Selon le recensement de 2016, 205 000 Autochtones ont déclaré vivre avec une mère monoparentale, alors que seulement 53 000 Autochtones ont déclaré vivre avec un père monoparental. Cela signifie que près de quatre fois plus d’Autochtones ont déclaré vivre avec une mère monoparentale qu’avec un père monoparental.

Comment pouvons-nous ignorer ces statistiques? Il est manifeste que les femmes autochtones sont responsables des soins, qu’elles sont les gardiennes du savoir et les enseignantes fondamentales lorsque nous transmettons nos langues aux générations futures : à nos enfants, à nos nièces et à nos neveux. Si nous continuons à museler les femmes autochtones et à ignorer leur rôle unique et exceptionnel en tant qu’enseignantes de la langue maternelle de la prochaine génération, nous ne parviendrons pas à revitaliser les langues autochtones.

Vous savez, l’Association des femmes autochtones n’a pas participé à part entière ou sur un pied d’égalité à l’élaboration concertée de ce projet de loi. De plus, nous n’avons pas été consultés de façon significative. Il est manifeste que l’égalité des sexes n’était pas une considération ni une priorité. C’est ce qui ressort de la liste des témoins d’aujourd’hui. Combien d’organisations se consacrent uniquement à la représentation des femmes autochtones?

Vous avez le pouvoir d’être différents. Il n’est pas nécessaire de poursuivre dans la même mauvaise voie. Le gouvernement du Canada a récemment signé un document historique, l’Accord Canada-Association des femmes autochtones du Canada, qui s’engage à appuyer les femmes et les filles autochtones en tant que leaders dans la conception et l’élaboration concertée de lois, de programmes, de services, de pratiques opérationnelles et de politiques.

Pour l’avenir, nous recommandons que le gouvernement du Canada fasse de l’Association des femmes autochtones un participant à part entière et égal à l’élaboration, à la mise en œuvre et à la prestation de tous les programmes et services liés au projet de loi C-91. Par ailleurs, la préservation et la revitalisation des langues autochtones doivent englober les modes traditionnels de transmission des langues d’une génération à l’autre. Cela signifie que les femmes autochtones doivent diriger l’élaboration de programmes communautaires d’apprentissage des langues. En fait, pour assurer l’élaboration efficace de programmes linguistiques communautaires, il faut embaucher des femmes autochtones pour d’abord créer des programmes adaptés à chaque communauté et à chaque langue. De plus, elles doivent diriger l’exécution de ces programmes dans leurs communautés. Cela contribuera également à l’autonomisation sociale et économique des femmes.

Enfin, nous devons nous assurer que ces programmes bénéficient d’un financement stable et à long terme. Ce financement doit être conforme au principe de Jordan afin d’assurer qu’il n’y a pas de conflits de compétence. Comme le principe de Jordan garantit que les enfants autochtones reçoivent les services publics essentiels, peu importe où ils vivent, les langues autochtones doivent être considérées comme un service essentiel. Cela signifie également qu’il ne peut y avoir de retard dans ces services en raison de différends entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Non seulement cette loi doit être conforme à l’article 35 de la Loi constitutionnelle, mais le gouvernement doit aller plus loin et faire de toutes les langues autochtones des langues officielles protégées par la Charte des droits et libertés. La liberté des peuples autochtones de s’exprimer dans leur langue ne veut rien dire si le gouvernement ne prend pas des mesures de préservation, de protection et de revitalisation. Je vous remercie.

La présidente : Sénateurs, vous pouvez maintenant poser des questions.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux d’être venus.

Madame Joe, pourriez-vous nous décrire plus en détail les négociations qui ont eu lieu entre le gouvernement et vous-mêmes sur la question de la langue, le cas échéant?

Mme Joe : En ce qui concerne les langues, nous avons eu l’occasion de nous engager — si l’on peut dire — auprès des communautés, pendant une certaine période à la fin de 2017. Je pense que c’était en novembre ou en décembre et cela a duré jusqu’à la fin de l’exercice financier, ce qui correspond à quatre ou cinq mois. Nous nous sommes limités à quelques séances d’engagement communautaire et à un sondage en ligne. Nous aurions préféré avoir une approche plus concrète, mais nous n’en avons pas eu l’occasion.

Lorsque la loi a été déposée, nous ne faisions pas partie du libellé. On nous a donné la loi par la suite et nous avons eu 36 heures, je crois, pour l’examiner et faire nos recommandations à la ministre.

Le sénateur Patterson : C’est honteux.

La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Bertrand, et merci beaucoup, madame Joe. J’ai une question pour chacun d’entre vous.

Monsieur Bertrand, nous venons d’entendre une représentante des centres d’amitié. Pourriez-vous nous parler du lien qui existe entre le Congrès des peuples autochtones et le travail des centres d’amitié. Pourriez-vous également nous parler du Congrès des peuples autochtones et de tout travail que vous pouvez avoir entrepris directement pour l’élaboration et la prestation de services, qui se rapporte spécifiquement à ce projet de loi concernant les langues autochtones?

M. Bertrand : Je ne crois pas que nous ayons une entente de travail en ce moment avec les centres d’amitié. Ce matin, j’écoutais la jeune femme et je me disais que je suis convaincu qu’il y a tellement de choses sur lesquelles le Congrès des peuples autochtones et les centres d’amitié pourraient collaborer.

Votre deuxième question était de savoir si nous avions fait du travail sur les langues. Le sujet est abordé lors de certaines des réunions du conseil d’administration. Nos organisations, les organisations autochtones provinciales et territoriales, sont partout au Canada, à Terre-Neuve jusqu’en Colombie-Britannique. Elles sont chacune confrontées à leurs propres défis en matière de langues.

Nous espérions que le gouvernement fédéral allait nous inclure. Comme je l’ai mentionné dans mes notes, environ 70 p. 100 des Autochtones vivent maintenant hors réserve. Ce sont nos commettants. Nous n’avons pas eu l’occasion de les consulter. J’ai lu le projet de loi et, bien sûr, nous y sommes favorables. Toutefois, un de nos commettants du Nord du Québec ou du Sud de la Saskatchewan aurait pu proposer quelque chose et contribuer au projet de loi. C’est ce que je regrette le plus.

D’après ce qu’a dit Mme Joe, je crois comprendre que l’Association des femmes autochtones n’a pas été incluse non plus. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Bertrand.

Madame Joe, merci d’avoir été franche avec nous au sujet de vos préoccupations quant au niveau et à la nature de l’engagement ainsi qu’au sujet du projet de loi lui-même, qui ne vont pas assez en profondeur, si je comprends bien ce que vous dites.

Il n’y a pas grand-chose que le comité sénatorial puisse faire au sujet de ce qui s’est produit par le passé. Tout ce que nous pouvons faire maintenant, c’est nous occuper du présent et de l’avenir. Que voudriez-vous que le comité fasse au sujet du projet de loi? Y a-t-il des amendements précis sur lesquels vous aimeriez que nous nous penchions?

Mme Joe : Je vous remercie. Je pense que l’un des facteurs les plus importants à considérer est le financement. Jusqu’au 1er février, un grand nombre de nos associations provinciales et territoriales dans la province étaient toutes des bénévoles en cuisine. Il y a un certain nombre de femmes d’un océan à l’autre qui comprennent les besoins des communautés, mais elles n’ont pas les fonds nécessaires.

Plus tôt, lorsque j’écoutais certaines des questions sur l’accès au financement, j’ai eu la réflexion que l’Association des femmes autochtones n’a embauché un rédacteur de soumission professionnel qu’au cours des deux dernières années, et ce n’est qu’à partir de ce moment-là que nous avons été en mesure d’obtenir plus de fonds. Cependant, ce n’est pas tout le monde qui a un spécialiste du financement ou un rédacteur de soumission. Nous devons nous assurer que tout le monde dans les réserves et hors réserve ainsi que dans les collectivités du Nord et les centres urbains ont le même accès aux fonds.

J’ai grandi en ayant la chance de bénéficier des services offerts par le centre d’amitié de ma communauté, Merritt, et de côtoyer des membres de ma famille qui parlent la langue. Cela fait toute une différence d’avoir eu l’occasion de m’exprimer dans ma langue en dehors du foyer. Malheureusement, j’ai perdu cette occasion lorsque j’ai commencé l’école. J’aimerais à présent avoir l’occasion de financer des programmes disponibles sur des applications — le sénateur Christmas a souligné l’importance des technologies — et de les rendre disponibles aux communautés par l’entremise des centres d’amitié, que j’admire énormément. Je crois que nous devrions travailler de concert et mettre sur pied des sortes de camps où il serait possible de rencontrer des aînés et d’autres personnes impliquées dans les communautés, qui pourraient nous enseigner des chansons, des histoires et des prières. Ce n’est pas seulement une question de mots, mais de la manière dont nous utilisons ces mots.

La sénatrice Coyle : Je comprends très bien vos propos, et j’apprécie particulièrement ce que vous avez dit par rapport au rôle des femmes et de leur leadership, surtout dans le domaine dont il est question ici. Ce leadership féminin est à la fois traditionnel, actuel et porteur d’avenir. Il n’appartient pas seulement au passé, mais doit faire partie du processus de revitalisation des langues autochtones, comme vous l’avez mentionné, je crois. Les femmes doivent exercer un rôle de premier plan par rapport à cet enjeu. J’aimerais en savoir plus sur la possibilité de nouer des alliances. De quelle manière croyez-vous que l’Association des femmes autochtones du Canada et ses divers partenaires puissent établir des liens avec d’autres organismes afin de participer activement et de façon concrète à la mise en place de ce projet de loi?

Mme Joe : Je me réjouis à la perspective d’établir de tels liens, car comme je l’ai mentionné, nos membres font tous partie de la communauté et connaissent bien ses besoins.

Lors d’un témoignage que j’avais livré devant le Sénat l’automne dernier, la sénatrice Dyck a dit que l’Association des femmes autochtones et l’Association nationale des centres d’amitié pourraient être appelées à collaborer étroitement. Je me suis entretenue récemment avec la directrice exécutive de l’Association nationale des centres d’amitié. Nous envisageons de renouveler notre protocole d’entente avant ma prochaine réunion avec la Direction des affaires autochtones et circumpolaires plus tard cette année.

Par ailleurs, nous sommes au fait que d’autres organismes autochtones possèdent un savoir-faire dans des domaines variés, et qu’ils apportent un soutien à la communauté inuite, à la communauté métisse et à d’autres communautés des Premières Nations. Je suis originaire de la Colombie-Britannique, où un grand nombre de dialectes sont parlés à travers plus de 200 communautés autochtones. Lors d’un récent passage au Nouveau-Brunswick, j’ai également pris connaissance de plusieurs autres dialectes. Le français est donc loin d’être le seul enjeu linguistique sur la côte Est.

Nous devons viser l’inclusion, car aucun organisme ne peut protéger et revitaliser nos langues à lui seul. Nous devons travailler ensemble pour protéger nos langues et permettre à nos enfants de les apprendre, comme nos aînés l’ont fait. C’est ce que je souhaite.

Je me rappelle l’une des premières chansons que j’ai apprises. C’était une chanson en ntlaka’pamux que ma grand-mère et ma tante, atteinte du syndrome de Down, m’avaient chantée. Nous devons préserver ces chansons afin que nos mères puissent les transmettre à nos enfants dès la garderie et la maternelle. Je pense que des efforts en ce sens vont nous permettre de préserver fièrement nos cultures.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

La sénatrice McPhedran : Ma question s’adresse à vous, madame Joe. Elle porte sur le thème des promesses et du temps; des promesses ont été faites, mais nous disposons de très peu de temps pour les réaliser.

Je suis certaine que vous vous souvenez des déclarations percutantes de la sénatrice Dyck au sujet du projet de loi S-3, ainsi que de sa motion adoptée à l’unanimité par le Sénat. Il s’agissait d’un signal d’alarme, d’un rappel des promesses faites et du peu de temps disponible pour les respecter. Je suis heureuse que vous soyez venue témoigner aujourd’hui au sujet du projet de loi C-91, qui traite des langues autochtones. Je me demande si vous pourriez aider le comité à mieux cerner l’importance des langues dans le contexte de la discrimination fondée sur le sexe à l’endroit des femmes autochtones, aujourd’hui et pour l’avenir? S’agit-il d’un projet de loi déterminant? En quoi peut-il influencer le cours des choses? N’hésitez surtout pas à exprimer vos préoccupations par rapport aux engagements qui ont été faits et au peu de temps disponible.

Mme Joe : Depuis mon accession à la présidence de l’Association des femmes autochtones du Canada, je ne cesse de réaliser à quel point cet enjeu a des conséquences importantes sur les femmes autochtones partout au pays. Ma cousine, Sharon McIvor, se bat pour cette cause depuis le début des années 1970, cause qui constitue le fondement de notre organisme.

Je souhaite avoir un jour des petits-enfants, et j’aimerais être en mesure de leur transmettre ce sentiment de fierté culturelle, historique et linguistique. Nous devons mettre fin à toutes formes de discrimination et demander au gouvernement de souligner le rôle des femmes autochtones dans nos communautés.

Se contenter d’attendre rend un bien mauvais service aux femmes autochtones de partout au pays et à celles de demain. Je pense sincèrement qu’agir ne devrait pas être si difficile, et j’espère que le projet de loi sur les langues va nous permettre de faire ce qui s’impose. Il n’est jamais trop tard pour poser les gestes qui s’imposent, et j’espère être témoin de ce moment pendant que je suis ici à Ottawa. Je souhaite plus que tout que mes nièces et mes cousins soient traités sur le même pied d’égalité que tous les Canadiens et qu’ils puissent jouir des mêmes droits de la personne. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie pour votre exposé. Vous avez répondu à deux de mes questions. J’aimerais à présent vous entendre à propos de l’exclusion des Autochtones vivant en milieu urbain et à l’extérieur des réserves, et connaître le point de vue des femmes sur ce projet de loi.

Le projet de loi, dans sa forme actuelle, ne prévoit que des fonds destinés aux Autochtones qui vivent dans une réserve. Selon vous, quelles mesures devrait-on prendre pour accommoder les Autochtones qui vivent à l’extérieur des réserves, et dont le point de vue semble avoir été ignoré? Avez-vous des observations à formuler à ce sujet?

[Français]

M. Bertrand : Merci beaucoup, madame la sénatrice. On pourrait recommander au gouvernement central d’inclure les deux autres organisations autochtones du Canada dans leurs consultations. J’écoutais les questions qui ont été posées plus tôt. Les gens qui étaient ici avant nous avaient reçu les ressources nécessaires pour aller rencontrer leurs membres de la base. Ils étaient bien préparés.

Je ne peux pas parler pour Mme Joe, mais, malheureusement, nous n’avons rien reçu. Il faut travailler avec les modestes revenus que nous recevons du gouvernement fédéral. Madame la sénatrice, nous ne représentons pas tous les Autochtones hors réserve, mais je tiens à répéter que si 70 p. 100 d’entre eux vivent actuellement à l’extérieur des réserves, selon Statistique Canada, je peux présumer que nos organisations en représentent une très bonne partie.

En conclusion, ce que nous demandons, c’est d’être inclus dans les discussions, de pouvoir y participer. C’est la seule chose que nous demandons. Je peux vous garantir que nos membres de la base se sentiront alors inclus et sentiront qu’ils font partie de la solution au problème.

J’espère que j’ai répondu à votre question.

[Traduction]

Mme Joe : Je n’ai jamais habité dans ma réserve. J’ai habité dans la réserve de ma mère, mais la réserve de mon père est trop petite. Ma bande obtient quand même de l’argent pour moi et mes enfants. Heureusement, mon oncle est très ouvert pour nous aider, même si nous habitons dans un centre urbain.

Il faut vraiment veiller à ne pas laisser pour compte nos frères et sœurs dans les centres urbains. Je ne sais pas si l’on prévoit un type de financement par habitant, mais il faut garantir l’équité aux enfants autochtones qui habitent les centres urbains. Si nous pouvions partager les informations, surtout au sujet de la disponibilité des programmes d’immersion — c’est-à-dire, pour que les employés des garderies comprennent un peu la langue et connaissent des chansons, des histoires et des prières —, ce serait déjà un excellent début. Je crois que cela permettrait de garantir que le financement soit accordé aux enfants et aux aînés qui habitent les centres urbains. Je crois aussi que nous devrions payer les aînés qui partagent leurs connaissances. Il ne faut pas continuer à leur offrir un peu de tabac en honoraires, simplement parce qu’ils possèdent de vastes connaissances. Celles-ci n’ont pas de prix.

Je m’inquiète qu’on cherche toujours des enseignants et d’autres professionnels certifiés, au lieu de prendre en compte l’expérience de la vie que certaines personnes pourraient partager avec nos communautés. Je crois toujours, comme je l’ai mentionné dans mon mémoire, que le fait de faire participer les femmes à l’élaboration des programmes et de partager ces informations sera avantageux pour les femmes autochtones, à la fois sur les plans social et économique. Merci.

La sénatrice McCallum : J’ai visité l’école Isaac Brock la semaine dernière, précisément pour rencontrer les gens qui participent au programme d’immersion, qui est disponible de la maternelle à la deuxième année. L’école offre le cri et l’ojibwé. J’ai visité la classe d’immersion crie. Les petits enfants nous ont fait vivre la cérémonie de purification. Tout a été fait en cri.

J’ignore si vous avez, dans votre culture, un jeu où l’on prend une corde pour balancer le bébé, mais c’est ce que les enfants ont joué. Ensuite, ils ont commencé à chanter. J’avais chanté la même chanson quand j’étais jeune et je gardais des enfants. Je me suis demandé d’où je connaissais cette chanson, lorsque les filles ont commencé à la chanter. C’est l’alphabet cri. Je vais en chanter une partie :

[La sénatrice McCallum chante en cri.]

J’ai été étonnée que la chanson me soit revenue. Je me suis dit que c’est la raison pour laquelle je m’y étais rendue. J’ai rencontré des parents; nous avons dîné ensemble. Il y avait uniquement des femmes. Les enseignantes étaient des femmes; les parents qui étaient là étaient des femmes. Elles ont pleuré parce qu’elles s’inquiétaient qu’elles ne pourraient plus poursuivre le programme, car celui-ci relève du conseil scolaire. Je vous comprends donc lorsque vous dites que les femmes sont au cœur de la famille.

Avant d’entrer au pensionnat, je parlais couramment le cri. J’en suis sortie parlant uniquement l’anglais. Je vis actuellement ce décalage linguistique en essayant de retrouver mon cri. C’est très difficile, car non seulement je dois réapprendre la langue, mais il me manque l’élément d’entretien. J'éprouve aussi la honte de ne pas connaître la langue, en plus de devoir surmonter les traumatismes du passé. Les programmes linguistiques ne les atténuent pas; ils ne reconnaissent pas que les traumatismes sont présents. Voilà pourquoi autant de personnes parmi nous ne peuvent pas parler la langue. Je le comprends, mais je suis incapable de m’exprimer. Quand j’essaie, je n’arrive pas à former les mots. Je crois que cet élément n’a pas été reconnu.

Comment pourrions-nous nous concentrer sur la langue et aller de l’avant au lieu de rester pris dans les traumatismes?

Je tiens à vous féliciter tous les deux pour le travail que vous accomplissez et que vous défendez. Merci.

M. Bertrand : Merci.

La présidente : Les témoins veulent-ils faire d’autres observations? Il nous reste quelques minutes.

M. Bertrand : Je remercie encore une fois le comité d’avoir invité le Congrès des peuples autochtones à témoigner. Je crois que c’est la deuxième fois que je comparais. Le comité a toujours prêté une oreille attentive aux préoccupations du CPA; je vous en remercie.

J’aimerais soulever quelques points avant de laisser la parole à Francyne. Le mois prochain, ce sera le troisième anniversaire de l’arrêt Daniels. Je crois qu’il a été rendu le 14 avril 2016. Pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent peut-être pas, il s’agit d’un arrêt unanime de la Cour suprême selon lequel les Métis et les Indiens non inscrits sont désormais reconnus comme des Indiens en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Elle a aussi ouvert la voie pour une relation entre le gouvernement fédéral, les Métis et les Indiens non inscrits.

Je regrette d’avoir à le dire, mais nous n’avons pas encore établi de dialogue avec le gouvernement fédéral sur la signification de l’arrêt Daniels. Il y a beaucoup de questions qui circulent au sujet de ce projet de loi. Si nous sommes considérés comme des Indiens aux termes de l’arrêt Daniels unanime, pourquoi n’avons-nous pas été inclus dans les discussions? Pourquoi sommes-nous exclus de toutes les autres conférences, comme les discussions sur l’environnement? Il y a un grand nombre de discussions dont le CPA est exclu. Serait-il possible de faire mention dans votre rapport de ce que je viens de dire? Je crois que cela nous aiderait beaucoup.

Deuxièmement, en décembre dernier, nous avons aussi conclu un accord politique avec le gouvernement fédéral. Nous avons le document écrit, mais, malheureusement, contrairement aux accords conclus avec les autres organisations autochtones nationales, notre accord ne prévoit pas de ressources. On nous a demandé d’examiner toutes sortes de priorités, mais l’accord ne comporte pas de financement.

Le CAP tout entier se croise les doigts que, dans le budget de cet après-midi, nous verrons le gouvernement fédéral prendre sa relation avec nous au sérieux. Nous avons une expression très drôle en français, qui dit ceci :

[Français]

On va voir si les bottines suivront les babines.

[Traduction]

Je ne peux pas la traduire, mais enfin, nous attendons de voir si le gouvernement fédéral est déterminé à collaborer avec le Congrès des peuples autochtones.

[Français]

Encore une fois, madame la présidente, merci de nous avoir inclus.

[Traduction]

Mme Joe : Je crois sincèrement que nous devons être créatifs dans l’examen de ce projet de loi. C’est important pour nous de veiller à ce que les conseils scolaires et certaines institutions participent, mais les institutions n’ont pas été très utiles pour nos collectivités autochtones. Elles n’ont pas été très efficaces pour les femmes autochtones. Nous devons veiller à ce que le projet de loi reconnaisse que les femmes autochtones sont extrêmement importantes pour la revitalisation, la préservation et la transmission des langues autochtones, car dès le premier moment que nous tenons nos bébés dans les bras, nous leur parlons, nous leur apprenons des petits mots. Les langues du berceau sont tellement importantes, et ce sont les personnes soignantes, les grands-mères et les tantes qui les transmettent.

Quand je pense à mon passé, il y a là la présence d’hommes forts. Ils appuient fermement les femmes autochtones. C’est un travail de collaboration, mais ce sont les femmes qui cultivent les langues et qui nous incitent à être fiers de notre identité et de notre histoire. Je veux garantir que la participation des femmes à l’évolution, à la mise en œuvre et à la surveillance futures de ce projet de loi soit reconnue. J’espère qu’il sera adopté assez rapidement, car nous avons besoin d’aller de l’avant. J’ai perdu mon oncle, Jimmy Toodlican, tout récemment. Il parlait très bien la langue. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre nos aînés. Merci.

La présidente : Merci. Je vais vous poser une question très courte, madame Joe. Lorsque vous parliez, cela m’a fait penser à une occasion où le comité voyageait, il y a quelques années, dans le cadre de son étude sur l’éducation. Nous avons notamment visité Onion Lake. Il y avait là un programme d’immersion crie. Une des choses que nous avons apprises était que le programme était excellent, mais qu’il fallait aussi faire participer les familles.

En prenant ce genre de modèle en considération, comment envisagez-vous un modèle où il y a les institutions, les écoles, mais où la famille, la mère et la kohkom participent également? Dans les programmes d’enseignement à la petite enfance, comment la famille peut-elle participer?

Si l’on veut faire revivre une langue et qu’on travaille auprès de l’enfant, il faut aussi faire participer la famille. Connaissez-vous des modèles pour ce genre de situation? Par exemple, est-ce que ce genre de programme existe en Nouvelle-Zélande?

Mme Joe : En fait, je ne connais pas les programmes de la Nouvelle-Zélande; je crois que c’est une lacune que je vais devoir corriger. Par contre, mes enfants ont participé à des programmes d’immersion française, de la maternelle à la 12e année. Les enseignantes de maternelle nous ont prêté des jeux que nous pouvions jouer à la maison. Nous avons appris les chiffres en français en jouant à des jeux de cartes. Il y avait des chansons qui faisaient partie des jeux, et les mères s’entraidaient. Je ne parle toujours pas très bien le français; en fait, je ne parle pas français.

Les mères qui se sont rassemblées pour s’aider font partie d’un groupe qui ne m’a jamais laissé tomber. C’est une communauté distincte de familles francophones au sein de la communauté autochtone. C’est une bonne chose. Ce n’est pas nécessaire de nous rencontrer en personne, cela se fait aussi en ligne. Ma communauté Facebook est très active. Il faut être créatif pour intégrer cela au projet de loi. J’adore rentrer chez nous et faire corriger ma prononciation par mes tantes et mes oncles. Vous avez raison, nous devons sortir des sentiers battus. Apprendre la langue à l’école, c’est une chose, mais l’utiliser au quotidien, c’est ce qui va faire la différence.

La présidente : Merci beaucoup d’être venue nous voir aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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