Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 1 - Témoignages du 3 février 2016
OTTAWA, le mercredi 3 février 2016
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international (sujet: les causes et les effets de la baisse récente du taux de change du dollar canadien).
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues et aux témoins. Je m'appelle David Tkachuk et je suis le président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
Nous tenons aujourd'hui la première de plusieurs réunions qui seront consacrées à notre étude spéciale sur le dollar canadien. Comme tout le monde le sait, la valeur de notre dollar a considérablement baissé depuis un certain temps. Elle s'établit aujourd'hui à environ 71 cents américains, ce qui est en fait une légère hausse. Il n'y a pas si longtemps, on avait presque atteint la parité avec le dollar américain, alors c'est pourquoi le comité a jugé bon de se pencher sur certaines des répercussions de cette chute du dollar, notamment ses causes et ses effets ainsi que son incidence sur les Canadiens ordinaires.
Aujourd'hui, nous accueillons plusieurs témoins. De Finances Canada, nous recevons Phil King, directeur de l'analyse et des prévisions économiques à la Direction des politiques économiques et budgétaires. Cette direction conseille le ministre des Finances sur tous les aspects macroéconomiques et sur les perspectives économiques du Canada. M. King a occupé des postes de plus en plus élevés au sein de Finances Canada depuis qu'il a obtenu sa maîtrise en économie de l'Université Western Ontario.
De la Banque du Canada, nous recevons Stephen Murchison, conseiller du gouverneur. M. Murchison a été nommé à ce poste le 4 mai 2015. Dans le cadre de ses fonctions, qui sont axées sur les activités internationales de la Banque du Canada, M. Murchison contribue à élaborer la stratégie relative à ces activités, seconde le gouverneur lors des réunions de la Banque des règlements internationaux et coordonne les travaux de la banque menés en collaboration avec d'autres instances et partenaires internationaux. M. Murchison est titulaire d'une maîtrise en économie de l'Université Wilfrid Laurier.
D'Exportation et développement Canada, nous accueillons Peter Hall, vice-président et économiste en chef. M. Hall est entré en fonction à Exportation et développement Canada en novembre 2004. Il possède plus de 25 ans d'expérience en analyse et prévisions économiques. Il est chargé de superviser les activités d'analyse économique et d'évaluation des risques et les travaux des groupes de recherche internes. M. Hall est diplômé en économie de l'Université Carleton et de l'Université de Toronto.
Nous avons demandé aux témoins de prononcer une allocution d'une durée d'environ cinq à sept minutes. Nous allons essayer d'avoir autant d'échanges que possible, alors j'ai expliqué aux témoins que, si un sénateur pose une question, et qu'un des témoins y répond, si d'autres témoins veulent ajouter quelque chose, je les enjoins à le faire. Nous sommes ici pour écouter les témoins. Sans plus tarder, nous allons commencer à partir de ma droite.
Phil King, directeur, Analyse et prévisions économiques, Direction des politiques économique et budgétaire, Finances Canada: Merci, monsieur le président et honorables membres du comité. Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion aujourd'hui de vous parler du dollar canadien. Dans mes remarques préliminaires cet après-midi, je parlerai brièvement des changements récents en ce qui concerne la valeur du dollar, des facteurs qui peuvent influer sur sa valeur et de quelles façons les fluctuations du dollar affectent les différents secteurs de l'économie canadienne.
Lorsque je parle de la valeur du dollar, je fais référence principalement au taux de change nominal et bilatéral entre le dollar canadien et le dollar américain. Autrement dit, la quantité de devises américaines que l'on pourrait acheter avec un dollar canadien.
La valeur du dollar canadien a chuté considérablement depuis juillet 2014, lorsqu'elle a atteint une moyenne de 93 cents américains. Le dollar a encore chuté rapidement au début de novembre 2015, d'un maximum de plus de 76 cents ce mois-là, à environ 71 cents à l'heure actuelle.
La dernière fois que le cours du dollar canadien est passé sous la barre des 70 cents américains remonte en 2003. Le fait que les prix mondiaux du pétrole brut soient généralement au même niveau qu'en 2003 n'est pas une coïncidence.
Le Canada est un producteur et un exportateur net d'un grand nombre de produits de base à l'échelle mondiale. Par conséquent, les fluctuations des prix de base sur les marchés mondiaux ont une incidence sur la valeur de notre dollar. La dépréciation du dollar canadien au cours de la dernière année et demie est attribuable en grande partie à la chute des prix des produits de base sur les marchés mondiaux, particulièrement les prix du pétrole brut. Le prix du produit de référence West Texas Intermediate a baissé d'environ 70 p.100 depuis le milieu de 2014 jusqu'à aujourd'hui.
En plus des prix des produits de base, d'autres facteurs nationaux et externes peuvent avoir des effets sur les fluctuations du taux de change canadien. Par exemple, la valeur du dollar canadien est liée à la vigueur globale de l'économie canadienne. Une économie canadienne plus forte fait du Canada un pays plus attrayant pour les investisseurs étrangers, avec la possibilité de rendements financiers plus importants. Cela accroît la demande pour le dollar canadien, ce qui entraîne une appréciation de la devise. La situation inverse, bien sûr, est également vraie.
Les différentiels de taux d'intérêt à l'échelle internationale, ou les anticipations des différentiels futurs, peuvent également avoir une incidence sur la valeur du dollar canadien. Les taux d'intérêt relativement élevés au Canada peuvent augmenter la demande étrangère pour le dollar canadien, car les investisseurs étrangers recherchent des obligations canadiennes à rendement élevé.
À ces facteurs s'ajoute toute une série d'éléments qui influent constamment sur la valeur du dollar. Parmi ceux-ci il y a les différentiels de taux d'inflation, le solde du compte courant, l'évolution de la productivité, l'imposition sur la dette souveraine et le sentiment général des investisseurs.
Lorsque la valeur du dollar canadien est à la hausse ou à la baisse, cela a des répercussions sur différents secteurs de l'économie de diverses façons. Actuellement, la faible valeur du dollar canadien présente à la fois des défis et des opportunités pour l'économie.
Un dollar canadien plus faible entraîne une hausse du prix des marchandises et des services importés. Cela se répercute sur les entreprises et les consommateurs en diminuant leur pouvoir d'achat.
Une conséquence négative de cette situation serait l'effet négatif éventuel sur l'investissement, particulièrement en machines et matériel. Une bonne partie des machines et du matériel qui sont achetés au Canada provient de l'étranger. À mesure que la valeur du dollar baisse, de tels investissements coûtent plus cher. De plus, lorsque l'investissement recule, la production future et la croissance de la productivité peuvent aussi être touchées.
Toutefois, la faiblesse du dollar canadien peut également mener à une substitution des importations, une situation où les consommateurs canadiens délaissent les produits et les services de l'étranger devenus plus chers pour des biens et services canadiens. Cela profite aux producteurs canadiens.
De façon similaire, la faiblesse du dollar rend les exportations canadiennes moins chères et, par conséquent, plus concurrentielles aux États-Unis et ailleurs. Dans le contexte actuel d'une forte baisse des prix des produits de base, cela constituera un facteur important supportant l'économie canadienne en général au cours des prochains trimestres.
Un dollar canadien plus faible peut également atténuer l'effet de la baisse des prix du pétrole brut pour les producteurs de pétrole canadiens, car le prix du pétrole est fixé et vendu en dollars américains. Pour les producteurs canadiens, un dollar plus faible entraîne un gain sur le taux de change puisque les recettes provenant des ventes en dollars américains sont rapatriées en devises canadiennes.
Il existe d'autres avantages et coûts associés à un dollar plus faible ou plus élevé, mais au lieu d'en faire une énumération, la dernière chose que je voudrais dire aux membres du comité est que, de façon générale, le Canada a très bien profité de sa politique de longue date de taux de change flottant.
Fondamentalement, une monnaie flottante agit comme un amortisseur. Elle peut atténuer les répercussions au Canada de certains événements économiques négatifs.
Le cas actuel en est un très bon exemple. Bien que la récente baisse des prix du pétrole brut ait entraîné des conséquences négatives sur le secteur de l'énergie, la faiblesse du dollar canadien stimule de façon importante les exportations non liées à l'énergie, favorisant ainsi d'autres secteurs de l'économie canadienne. Dans l'ensemble, ces éléments positifs ont des effets beaucoup moins perturbateurs sur l'économie, en raison du taux de change plus faible, que des prix et des salaires plus faibles sur le marché intérieur.
Stephen Murchison, conseiller du gouverneur, Banque du Canada: Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs et sénatrices. Merci de m'avoir invité à témoigner à propos du dollar canadien devant le comité.
Depuis 1991, le gouvernement canadien et la Banque du Canada ont une entente formelle selon laquelle la politique monétaire doit viser à maîtriser l'inflation. Au fil du temps, la banque a constaté que le maintien de l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible est le meilleur moyen de s'acquitter de son mandat, qui consiste à promouvoir le bien- être économique et financier des Canadiens et des Canadiennes.
Le principal instrument de conduite de la politique monétaire dont la banque dispose, à savoir le contrôle qu'elle exerce sur le taux du financement à un jour, lui sert à maintenir l'inflation au taux convenu de 2 p.100, soit le point médian de la fourchette de maîtrise de l'inflation, qui va de 1 à 3 p.100. Cela signifie que le Canada doit avoir un taux de change flottant. Dans la mesure où elle poursuit une cible d'inflation dans le but de préserver la valeur intérieure du dollar canadien, la banque ne peut parallèlement définir un objectif en ce qui concerne sa valeur extérieure.
À la banque, nous décrivons le régime de change flottant comme un «amortisseur de chocs économiques». Par là, nous voulons dire que les mouvements du cours de la monnaie aident l'économie à s'adapter aux chocs, tels que les fluctuations de la demande et des prix des biens et des services que le Canada produit. Ces fluctuations entraînent des variations des termes de l'échange du pays — le ratio des prix que le Canada obtient de ses exportations à ceux qu'il paie pour ses importations — et ces variations nécessitent des ajustements économiques. Les ajustements peuvent être très difficiles pour les particuliers et les entreprises directement touchés. Toutefois, par expérience, nous savons que ces ajustements sont moins pénibles lorsqu'ils se font par l'intermédiaire du taux de change plutôt que seulement par celui des variations des salaires et des prix intérieurs.
Depuis le milieu de 2014 environ, nous avons observé un recul considérable des prix d'un bon nombre des matières premières que le Canada produit et exporte. Le pétrole est l'exemple le plus évident, mais ce n'est pas le seul. Les prix des autres produits, comme le cuivre et l'aluminium, ont aussi baissé de façon marquée. Les ressources ont toujours occupé une place prépondérante au sein de notre économie, et l'indice des prix des produits de base établi par la Banque du Canada, qui suit l'évolution des cours mondiaux des ressources les plus importantes, a chuté de plus de 50 p.100 du milieu de 2014 à la fin de 2015. Durant la même période, le dollar canadien s'est déprécié, passant d'environ 94 cents américains à quelque 72 cents américains, pas très loin de son niveau actuel.
[Français]
Avant de parler du processus d'ajustement, j'aimerais souligner deux points. Premièrement, ce n'est pas la première fois que l'économie canadienne doit composer avec de fortes variations du prix des ressources. En avril 2000, le gouverneur de la banque de l'époque, Gordon Thiessen, est venu témoigner devant le comité, et il a dit ce qui suit:
La dépréciation qu'a subie le dollar canadien était due, dans une grande mesure, à la chute des cours mondiaux des produits de base que le Canada exporte. Notre économie devait s'adapter à cette réalité; la baisse du taux de change a facilité un déplacement de l'activité du secteur primaire vers le secteur manufacturier et vers d'autres secteurs d'exportation.
On pourrait faire le même constat aujourd'hui. Par ailleurs, n'oublions pas que le dollar s'est apprécié lorsque les cours des produits de base ont augmenté et que nos termes de l'échange se sont améliorés, de 2003 jusqu'au milieu de 2014. Cela a contribué à faciliter les ajustements nécessaires pendant cette période.
[Traduction]
Deuxièmement, le Canada n'est pas le seul pays qui est en train de s'ajuster au recul des prix des ressources. Permettez-moi d'attirer votre attention sur le graphique 5 du Rapport sur la politique monétaire que la banque a publié en janvier. Ce graphique illustre l'évolution des termes de l'échange et du taux de change effectif réel de divers pays depuis le milieu de 2014. Il montre que les économies ouvertes riches en matières premières, comme le Canada, le Chili, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Brésil, ont toutes vu leurs termes de l'échange se détériorer et leurs monnaies s'affaiblir. En revanche, les pays importateurs nets de produits de base, tels que les États-Unis et le Royaume-Uni, ont connu un raffermissement de leurs monnaies.
Dans le même rapport, nous expliquons la manière dont nous prévoyons que l'économie canadienne s'ajustera à cette détérioration de nos termes de l'échange. La première réaction est une restructuration de notre secteur des ressources, et nous avons déjà observé un recul des investissements et de l'emploi chez les producteurs de matières premières. Ce recul s'est produit assez rapidement. Nous nous attendons aussi à ce que la perte de revenus ait une incidence plus vaste, qui se fera sentir sur les dépenses des ménages et les investissements des entreprises à l'extérieur du secteur des ressources. Cette incidence connaît une évolution plus prolongée et elle ne devrait pas atteindre son point culminant avant l'an prochain.
Parallèlement, la chute des prix des produits de base est un signal indiquant qu'il convient de retourner les ressources productives vers le secteur hors ressources. Ce processus sera long et complexe, mais les mouvements du taux de change sont utiles à cet égard. Le gouverneur Poloz a traité de cet ajustement en détail dans un discours qu'il a prononcé à Ottawa le mois dernier. Permettez-moi d'en récapituler certains points importants.
Premièrement, la dépréciation du dollar canadien compense partiellement la baisse des prix des produits de base, qui sont habituellement libellés en dollars américains. Autrement dit, les revenus en dollars canadiens des exportateurs de ressources diminuent moins que leurs revenus en dollars américains.
Deuxièmement, la dépréciation du dollar aide les exportateurs canadiens du secteur hors ressources. Ceux dont les prix sont établis en dollars canadiens affichent une compétitivité accrue, alors que ceux dont les prix sont en dollars américains voient leurs revenus augmenter.
Nous constatons déjà des signes de cet effet. Parmi les industries qui sont sensibles aux mouvements du taux de change, nous en avons recensé 21 — représentant près de 30 p.100 des exportations de biens non énergétiques — dont les expéditions affichent une tendance à la hausse. Ce groupe exporte notamment des produits pharmaceutiques, des moteurs et des pièces de véhicules automobiles ainsi que des machines industrielles. Ces industries connaissent aussi une progression de l'emploi depuis le milieu de 2014. L'Enquête sur la population active de Statistique Canada fait également état d'une augmentation plus générale de l'emploi dans le secteur manufacturier depuis le début de 2015.
[Français]
Le dernier effet de la dépréciation du dollar canadien que je mentionnerai est le fait qu'elle fait monter le prix des importations. D'une part, cela signifie que l'ensemble des Canadiens perd une partie de son pouvoir d'achat pour des biens importés, comme les produits frais, qui n'ont pas de substituts simples. Cet effet signifie aussi des pressions sur les prix pour les entreprises qui dépendent des intrants importés.
D'autre part, la dépréciation rend les biens et services canadiens plus attrayants que ceux qui sont importés. Prenons, par exemple, le tourisme. Un plus grand nombre de visiteurs étrangers choisissent le Canada comme destination. Les dépenses touristiques ont crû pendant 10 trimestres de suite en termes réels. Dans l'ensemble, la dépréciation se traduit par un accroissement de la demande et des ventes. Cela implique une hausse de la croissance, des investissements et de l'emploi dans le secteur hors ressources.
Enfin, permettez-moi de dire quelques mots sur la façon dont le cours de la monnaie influe sur les perspectives d'inflation. Les conséquences du choc des prix des ressources sur l'inflation sont complexes. La perte de revenus tirés des ressources se traduit par une baisse de la demande dans l'économie et, ainsi, par un ralentissement de l'inflation. Le recul des coûts de l'énergie a aussi une incidence directe. Parallèlement, la dépréciation de la monnaie fait augmenter les prix des importations et, partant, exerce des pressions à la hausse sur l'inflation. Dans le rapport de janvier, nous avons estimé que l'affaiblissement du dollar a ajouté de 0,9 et 1,1 point de pourcentage à l'inflation mesurée par l'IPC global au quatrième trimestre de 2015. Par ailleurs, comme le dollar s'est encore déprécié ces derniers mois, nous avons indiqué qu'il y avait un risque que la transmission de la baisse du taux de change reste élevée.
[Traduction]
En revanche, il est important de noter que, selon nos attentes, ces forces qui influent actuellement sur le taux d'inflation seront transitoires. Autrement dit, nous prévoyons qu'elles ne se feront plus sentir sur le taux d'inflation annuel et, donc, qu'elles ne se répercuteront pas sur les attentes des gens concernant l'inflation future. Toutefois, le gouverneur Poloz et les autres membres du conseil de direction ont bien précisé qu'ils suivront la situation de près afin d'éviter que les attentes d'inflation à long terme ne soient plus ancrées à notre cible. En somme, nous prévoyons que l'inflation globale retournera à près de 2 p.100 à la fin de 2017.
Bref, la dépréciation du dollar canadien reflète la chute marquée des prix mondiaux des ressources et la détérioration prononcée de nos termes de l'échange. Comme le gouverneur Poloz l'a souligné, l'incidence de ce choc est complexe et les ajustements structurels qui s'imposent seront longs et difficiles pour de nombreux Canadiens. Toutefois, notre régime de ciblage de l'inflation assorti d'un taux de change flottant est ce qu'il y a de mieux pour faciliter ces ajustements le plus vite possible.
Peter Hall, vice-président et économiste en chef, Exportation et développement Canada: Pour gagner du temps, je ne vais pas répéter les points sur lesquels je suis d'accord. Je vais me contenter d'affirmer que je suis d'accord sur la plupart des propos qui ont été formulés.
En décembre 2014, lorsqu'il était clair que le dollar canadien était touché d'une façon considérable, Exportation et développement Canada a voulu évaluer quelle en serait l'incidence sur nos exportateurs. L'effet de la fluctuation de la valeur du dollar était une chose; le mouvement des prix des produits de base qui, en grande partie, provoquait la variation de la valeur du dollar avait lui aussi un effet sur une partie des exportateurs canadiens. Je ne sais pas si le comité souhaite en discuter, mais il y a toute une série d'effets négatifs sur une partie très précise des exportateurs canadiens, principalement ceux des secteurs de l'énergie et de l'exploitation minière. Notre objectif était d'évaluer l'incidence que la valeur du dollar allait avoir sur l'ensemble des exportateurs. Nous avons jugé à l'époque que les répercussions négatives découlant de la fluctuation de la valeur de notre monnaie seraient presque entièrement compensées par les effets positifs au sein de l'économie.
Pour ce qui est de la communauté d'exportation, la plupart de ces prédictions se sont concrétisées. M. Murchison en a parlé dans son exposé. Nous avons observé d'importantes baisses, dans les deux chiffres, pour les industries qui sont particulièrement vulnérables aux fluctuations monétaires. Outre les industries mentionnées, dont les secteurs de l'automobile, des produits pharmaceutiques et d'autres biens de consommation voués à l'exportation, ainsi que la machinerie et l'équipement, j'ajouterais qu'il y a eu d'importantes retombées positives initialement sur le secteur aérospatial. Nous avons pu l'observer tout au long de l'année, et notre objectif était d'essayer de compenser le plus possible pour ces fluctuations dans le cadre de notre plan stratégique annuel, de rajuster le tir en temps réel afin de répondre aux besoins de l'industrie canadienne.
Donc, en gros, nos prévisions se sont concrétisées. Si on compare les fluctuations de notre monnaie par rapport à d'autres devises, impossible selon moi de nier ce qui est arrivé. Les devises qui dépendent des matières premières ont effectivement connu des fluctuations, très semblables à celles subies par le dollar canadien. Nous avons tendance à nous comparer à nos voisins du sud, mais les États-Unis, le Royaume-Uni et, dans une certaine mesure, la Chine, font exception à la règle en ce moment par rapport à ce qui se passe ailleurs dans le monde. De nombreux pays ont connu une importante dépréciation monétaire dans les deux chiffres. Ce n'est donc pas seulement l'apanage du Canada; c'est un phénomène mondial déclenché par un des facteurs déterminants du cours de la monnaie. C'est peut-être le plus évident de tous, même s'il n'en a pas été question ici encore, et c'est que notre devise doit constamment se mesurer à celle des États-Unis. Certains paramètres propulsent la devise américaine à contre-sens de toutes les monnaies du monde, et nous devons toujours garder à l'esprit que cela va arriver à l'occasion. Nous l'avons donc prévu dans notre modèle en cinq volets qui nous permet de prévoir, dans la mesure du possible, les variations de la monnaie.
Donc, très rapidement, notre modèle en cinq volets se résume comme suit: premièrement, il y a les prix de l'énergie, et deuxièmement, le prix de tous les autres produits de base. Nous remercions la Banque du Canada de nous fournir l'indice des prix des produits de base non énergétiques. Nous l'intégrons à notre modèle. Troisièmement, il y a le différentiel de taux d'intérêt à court terme États-Unis-Canada, et nous employons les bons du Trésor de 90 jours comme base de référence. Le quatrième volet porte sur le dollar américain et les situations uniques qui font que le dollar américain devance toutes les autres devises. Et cinquièmement, nous avons ajouté un élément subjectif, car au cours de la période qui a suivi la crise, le Canada a clairement ressenti un effet de portefeuille, un effet de halo, qui a entraîné le mouvement des fonds des portefeuilles vers les instruments canadiens. On disait assister à une ruée vers les titres de qualité, mais ce mouvement était engendré par les intérêts et les forces particulières que présentait l'économie canadienne à ce moment-là.
Alors, dans une certaine mesure, tous ces éléments influent sur la chute du dollar canadien, mais si on compare notre économie à des économies semblables à la nôtre, il y a très peu d'écarts entre les fluctuations que notre monnaie connaît et les fluctuations des autres devises.
Je crois que je vais conclure ici. Merci.
Le président: Merci, monsieur Hall.
Nous allons tenter de nous limiter à une question. Nous verrons par la suite si tout le monde a eu son tour et s'il nous reste du temps pour d'autres questions. J'ai demandé aux témoins d'intervenir s'ils avaient quelque chose à ajouter à la réponse d'un de leurs collègues, de façon à favoriser la discussion entre eux. Nous sommes ici pour écouter ce qu'ils ont à dire. Sénateur Black, nous commençons avec vous.
Le sénateur Black: J'aurais trois questions à poser, mais j'ai bien compris votre directive. Je vais en poser une et attendre le prochain tour.
Le président: Nous pouvons faire des compromis. Posez votre première question, et si la deuxième est assez courte...
Le sénateur Black: D'accord, si cela vous convient. Messieurs, merci beaucoup d'être ici, et merci beaucoup de répondre à nos questions avec autant d'éloquence. Je vous assure que les choses qui nous préoccupent préoccupent aussi les Canadiens. Comme vous le savez, ces audiences sont télévisées, et les gens nous écoutent très attentivement, car les Canadiens sont profondément inquiets de ce qui se passe avec notre monnaie.
J'aimerais aujourd'hui qu'on réponde à des questions que je me pose, peut-être à tort ou à raison. Premièrement, je veux parler de l'argument présenté surtout par M. Hall, d'Exportation et développement Canada, à savoir que la hausse des autres secteurs d'exportation est en quelque sorte venue contrebalancer la chute du dollar et les bouleversements que cela a engendrés pour les industries directement concernées. Vous avez parlé du secteur pharmaceutique et d'autres.
D'après les recherches que j'ai faites et les analyses qu'on a faites pour moi, la baisse du prix du pétrole qui a entraîné la chute du dollar n'a pas donné lieu à une hausse générale des exportations canadiennes, comme l'avait prédit le gouverneur de la Banque du Canada quand il a témoigné devant le comité. Cela a effectivement été bénéfique pour le secteur pharmaceutique et d'autres industries qui n'ont tout simplement pas la même valeur économique que l'industrie de l'énergie. Dans l'ensemble, les résultats escomptés n'y sont pas. Êtes-vous d'accord avec moi?
M. Hall: Je crois que le contexte est crucial pour répondre à une telle question.
Le sénateur Black: Bien sûr.
M. Hall: Dans le cadre de mon travail, j'ai l'occasion de côtoyer plus de 5000 à 6000 exportateurs chaque année. Je m'intéresse autant à ce qu'ils ont à dire à propos du marché qu'ils peuvent s'intéresser, je l'espère, à ce que j'ai à dire à propos de l'économie mondiale. D'après ce qu'ils me disent, et je le vois aussi dans les données, c'est la sécheresse en matière d'investissements et d'activités commerciales internationales, un ralentissement qui a été fortement exacerbé par la période qui a suivi la crise. La récession en a laissé plusieurs, sinon tous, avec une capacité excédentaire, qu'ils ont passé de nombreuses années à tenter d'absorber.
Si j'avais à me prononcer sur la cause première du retard de la reprise des activités, d'après ce qu'ils m'ont dit et ce que j'ai constaté dans les données, je dirais qu'il faut pointer du doigt l'absence prolongée des investissements éthiques. Donc, si on parle de mesures économétriques, il faut généralement attendre un an ou deux entre le moment où un événement économique positif se produit et le moment où l'entreprise va réellement faire une mise de fonds et investir dans l'équipement, le capital physique, les immeubles, et ainsi de suite. Cette fois-ci, c'est vraisemblablement plus long en raison des conditions dans lesquelles ils doivent évoluer depuis environ sept ans.
La cible initiale dont je parle renvoie surtout à la marge de profit des entreprises. Ils ont maintenu leur approvisionnement. L'activité chiffrable a augmenté, pas autant que prévu, mais les gains monétaires réels qu'ils ont faits grâce aux fluctuations de la devise sont en grande partie à l'origine de ces variations dans les deux chiffres.
Comme on s'attend à ce que la faible valeur du dollar persiste, les entreprises doivent en tenir compte dans leurs plans stratégiques, et je m'attends aussi à ce que les plans d'investissement suivent la vague.
En outre, bien des industries aux États-Unis fonctionnent à plein régime en ce moment et n'ont pas la capacité de prendre de l'expansion, ce qu'elles feraient peut-être autrement. Certains investissements clés annoncés dans des secteurs comme celui de l'automobile indiquent que l'inattendu est en train de se produire en raison des contraintes de capacité aux États-Unis. Ce sont les facteurs qui expliquent pourquoi nous n'avons pas...
Le sénateur Black: Mais vous êtes d'accord avec moi pour dire que la reprise attendue ne s'est pas produite?
M. Hall: C'est exact.
Le sénateur Black: Merci beaucoup. Je tenais simplement à préciser ce point. Nous l'espérons toujours, mais cela ne s'est pas encore produit.
M. Hall: C'est vrai.
Le président: Vous pouvez en poser une autre. Nous ne sommes que six aujourd'hui, alors nous avons un peu de marge de manœuvre.
Le sénateur Black: J'aimerais savoir quelle est la valeur optimale du dollar canadien par rapport au dollar américain, selon vous?
M. Murchison: Personne ne se précipite sur le micro. Je peux commencer. Je crois que ma réponse sera assez simple: nous ne pouvons pas dire ce que serait la juste valeur du dollar. Dans le contexte actuel, la chose à se rappeler avant tout est que selon les estimations de la Banque du Canada, la chute du dollar, à laquelle nous avons tous fait référence dans nos introductions, concorde tout à fait avec la baisse des prix des produits de base.
On insiste beaucoup sur le déclin du prix de l'énergie, et c'est le principal facteur de la baisse du dollar, mais il n'y a pas que cela. Le commerce en général est en baisse. Ces deux éléments sont largement complémentaires si on en croit la dynamique observée tout au long de 2015.
Le sénateur Black: Nous comprenons la dynamique. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce que serait la valeur optimale du dollar. Si vous étiez le roi du monde, qu'est-ce qui serait le mieux pour l'économie canadienne? Sommes- nous satisfaits à 72 cents? Le serions-nous plus à 69 cents? Faudrait-il descendre à 59 cents? Est-ce que ce serait préférable de voir le dollar à 84 cents? Qu'en pensez-vous?
M. Murchison: Il est important de se rappeler qu'une multitude de facteurs — nous en avons parlé dans nos commentaires préliminaires — déterminent la valeur du dollar. Et ces facteurs changent constamment. Il n'y a rien de statique dans ce domaine. Même les modèles utilisés par la banque, qui s'appuient sur la présomption que rien d'autre ne va changer pour déterminer la valeur à long terme du dollar, varient constamment. Ces prévisions sont extrêmement volatiles. Au final, nous ne pouvons pas vous donner de chiffre.
[Français]
La sénatrice Bellemare: Nous vivons actuellement un choc de l'offre, avec la situation liée au prix du baril de pétrole, étant donné les décisions prises par les pays producteurs de pétrole d'augmenter l'offre de production. C'est un peu différent du choc de l'offre qu'on a vécu en 1976, où le prix du pétrole avait beaucoup augmenté, ce qui avait occasionné une poussée de l'inflation. Je me souviens très bien de cette période où, suite au choc de l'offre, nous avions eu simultanément de l'inflation et du chômage. Les taux de chômage avaient alors augmenté de façon très importante. Comme il s'agissait d'un choc inflationniste, la banque avait augmenté les taux d'intérêt. Certaines personnes qui nous écoutent se souviendront des taux hypothécaires de 18 à 20 p.100 au Québec, une situation assez extraordinaire.
Il s'agit ici d'un choc de l'offre très différent. La baisse du prix du pétrole s'accompagne d'une baisse importante du dollar canadien. Vous m'avez rassurée, monsieur Murchison, en me disant que l'effet sur l'inflation, à l'heure actuelle, se situe de 0,9 à 1,1 point de pourcentage. Toutefois, supposons que ce soit plus élevé, dans le contexte de l'économie mondiale actuelle. La Chine, on le sait, a ralenti sa croissance. Nous avons aussi un contexte mondial qui ne stimule pas beaucoup la demande. Il y a un choc de l'offre et un choc de la demande. Risquons-nous de vivre un choc avec une hausse de l'inflation supérieure à vos cibles? L'emploi risque-t-il de diminuer et, dans les circonstances où vous ciblez l'inflation, y a-t-il un risque que vous augmentiez le taux d'intérêt? L'économie canadienne aurait peut-être alors de la difficulté à faire les ajustements nécessaires en ce qui concerne la diversification de sa structure économique. Pouvez- vous nous offrir vos commentaires?
M. Murchison: Votre question est très pertinente. La différence entre 2016 et les autres époques où nous avons vécu des chocs de l'offre est que l'anticipation de l'inflation au Canada est maintenant bien ancrée. Dans le passé, il y avait initialement une réaction d'inflation. Toutefois, avec le temps, l'impact sur l'inflation a augmenté. Ce n'est pas du tout ce qu'on voit maintenant ni ce qu'on a vu depuis l'établissement de notre cible pour l'inflation.
Lorsqu'on examine la différence entre l'IPC global, qui comprend le prix de l'essence, et notre mesure de la tendance, on remarque que, quand il y a un choc ou un mouvement du prix du pétrole, il y a un impact sur l'IPC global qui est strictement temporaire. Si on regarde les données, d'une année à l'autre, on voit que la durée est d'environ un an, puis les chiffres baissent à nouveau. Cela veut dire que ce n'est pas reflété dans les anticipations du marché. Lorsqu'on dit que la politique monétaire au Canada est crédible, c'est ce que cela signifie.
J'ajouterais que le gouverneur, étant donné que la banque reste très vigilante, a souligné, lors de la conférence de presse donnée à la suite de notre RPM de janvier, qu'il y a toujours un risque. Lorsqu'il y a un mouvement du taux de change qui est très élevé ou un mouvement très rapide, il apparaîtra toujours dans l'inflation et dans l'IPC global un risque que cela commence à être incorporé dans les anticipations. C'est un phénomène que nous surveillons de très près. Toutefois, nous avons plusieurs mesures d'anticipation des entreprises du marché et nous ne voyons absolument rien dans les données jusqu'à maintenant.
La sénatrice Bellemare: J'aurais une question complémentaire. En résumé, on peut penser que la Banque du Canada sera accommodante, par rapport aux dépenses fiscales qui s'en viennent, pour relancer un peu l'économie et favoriser la diversification de l'économie dans le contexte des grands projets d'infrastructure.
M. Murchison: Nous avons baissé à deux reprises le taux directeur de 25 points de base. Le gouverneur a mentionné qu'il est difficile, à ce point-ci, de prévoir ce qui figurera dans le budget. Effectivement, il s'agit d'un risque à la hausse, parce que nous n'avons pas tenu compte de cela dans nos prévisions. Lorsque nous mettrons à jour nos prévisions, au mois d'avril prochain, nous aurons plus d'information. Il semble imprudent de deviner ce que ce sera. Il est préférable d'attendre.
Le sénateur Maltais: J'ai deux courtes questions. On attribue beaucoup de choses à la baisse du prix du pétrole. Toutefois, ce n'est pas la seule raison pour laquelle l'économie canadienne régresse, vous en conviendrez.
Lorsqu'on parle des métaux, les exportations de fer et de zinc ont diminué de façon vertigineuse. Le prix de l'aluminium est à son plus bas, étant donné le coût de l'énergie. Je parle de l'aluminium, parce que 95 p.100 des alumineries sont situées dans la vallée du Saint-Laurent, au Québec. Le prix de la bauxite est à la hausse. Les coups en énergie sont élevés. Or, en Chine, le coût de la bauxite est bas, l'énergie est produite par le charbon, qui est beaucoup moins onéreux et plus polluant, et la Chine fait du dumping sur le marché international. Au Canada, nous ne pouvons en faire autant.
Oui, le prix du pétrole est à la baisse. Toutefois, qu'en est-il de nos exportations de céréales? Ce marché est rentable pour le Canada à l'heure actuelle. Nous ne sommes pas payés en pesos, mais en dollars américains, et un équilibre est réalisé. Le pétrole, à mon avis, a une incidence directe, car il génère des revenus exceptionnels. Cependant, je ne crois pas que l'on doive sacrifier l'économie canadienne pour un seul facteur. Qu'en pensez-vous?
M. Murchison: Comme je l'ai mentionné en réponse à une autre question, la raison pour laquelle il y a une baisse du dollar, ce n'est pas seulement à cause de la baisse du prix du pétrole; c'est davantage à cause du prix des matières de base de façon générale. D'autres facteurs ont un effet sur le dollar, comme la baisse du prix des métaux. Ce n'est pas seulement une question du prix du pétrole; il s'agit aussi de nos exportations de matières de base.
Les données sont les données, et je suis d'accord, comme vous l'avez noté, qu'il y a certainement une offre excédentaire pour certaines matières de base, comme les métaux. Prenons ce facteur, conjugué au fait qu'il y a eu un léger ralentissement de l'économie en Chine. Si l'on combine ces deux facteurs, cela explique l'origine de la baisse en grande partie.
Le sénateur Maltais: Je suis bien d'accord avec vous. L'économie de la Chine a ralenti, soit. Toutefois, de 15 p.100, elle est tombée à 6,5 p.100. Plusieurs pays de l'OCDE se contenteraient volontiers de cette croissance du produit intérieur brut. La Chine accuse un ralentissement, mais la situation n'est pas catastrophique. Je reviens tout juste d'un voyage en Chine, et les choses sont loin d'y être catastrophiques. Il est évident que, avec 1,6 milliard d'habitants, lorsqu'il y a une baisse de 6, 7 ou 8 p.100 du produit intérieur brut, cela calme les ardeurs et dérange les marchés internationaux.
Ma dernière question concerne les consommateurs, un facteur très important. Présentement, le prix des fruits et légumes qui proviennent de l'étranger pèse lourdement sur le panier de provisions pour une famille de cinq personnes. Les familles seront-elles en mesure de supporter cette situation encore bien longtemps, ou bien faut-il attendre que nos salades fleurissent? Comment les choses se dérouleront-elles d'ici le mois de mai?
M. Murchison: Comme je l'ai mentionné au début, il est vrai que les ménages traversent des temps difficiles, surtout ceux qui achètent davantage de fruits et de légumes, d'autant plus que cette situation arrive en hiver, alors que nos exportations sont plus élevées en hiver qu'en été.
Ce que vous dites est tout à fait juste. La seule chose que je peux ajouter est qu'il faut examiner la situation des deux côtés. D'une part, étant donné la dépréciation du dollar, le prix de nos fruits et légumes est beaucoup plus élevé, et cette situation est bien reflétée dans l'IPC global. D'autre part, le prix de l'essence a diminué de façon importante. Lorsqu'on essaie de calculer le pouvoir d'achat pour la moyenne des ménages, les deux ne sont pas loin d'être égaux.
Le sénateur Maltais: Cela signifie que, à partir de juin, par exemple, les importations de fruits et de légumes frais vont diminuer.
[Traduction]
Le sénateur Tannas: J'ai des questions à vous poser concernant les répercussions des marchés financiers en général. Encore une fois, parce que les Canadiens sont à l'écoute et que bien des théories sont véhiculées, j'aimerais avoir vos commentaires sur les répercussions possibles et savoir ce que vous pensez des spéculations et des ventes à découvert. Premièrement, est-ce que ce genre d'activités, les spéculations et les ventes à découvert du dollar canadien, ont des répercussions soutenues sur notre taux de change?
Deuxièmement, assurez-vous un suivi, à l'instar des marchés boursiers, où un mécanisme permet de suivre les ventes à découvert et les hausses et les baisses connexes? Y a-t-il des mécanismes en place pour surveiller tout cela?
Aussi, parce que tout est relié, qu'en est-il des activités de couverture des exportateurs canadiens qui cherchent à protéger l'écart que nous avons en ce moment? Est-ce que cela a des répercussions sur la devise? Et si oui, est-ce qu'il s'agit de répercussions soutenues?
Et finalement, en ce qui concerne les ventes d'obligations par les gouvernements et les sociétés, avec la volatilité du taux de change pour le Canada, avez-vous une idée de ce que coûteront les intérêts sur les obligations émises en dollars canadiens?
M. Hall: Je vais permettre à M. Murchison de faire une pause d'au moins quelques minutes, et je vous répondrai de la même façon que j'ai répondu à la première question: tout est dans le contexte.
Depuis un certain temps, Exportation et développement Canada assure le suivi de ce qu'on croit être une grande distorsion des marchés financiers, qui persiste depuis le début de la crise et l'adoption des extraordinaires mesures de relance. On a beaucoup parlé de l'adoption parallèle et massive d'incitatifs financiers et de mesures d'assouplissement quantitatif, mais ces choses ont très peu servi; c'est en partie les conséquences inattendues d'une politique généralement efficace qui sont à pointer du doigt pour ce que l'on connaît aujourd'hui.
Au quatrième trimestre de 2011, et je crois que c'est documenté, nous avons déterminé qu'il y avait énormément de distorsion des marchés financiers. Malheureusement, je crois que notre constatation n'a pas eu les échos qu'elle méritait à l'époque.
Par contre, dans les marchés des produits de base, il était on ne peut plus évident que quelque chose d'inhabituel était en train de se passer. Les taux d'utilisation étaient à la baisse, les inventaires étaient élevés et ne cessaient de croître — dans certains cas, les inventaires étaient extraordinairement hauts —, et pourtant, les prix demeuraient élevés. Ce n'est pas ainsi que cela devrait se passer. C'était donc un signe que quelque chose n'allait pas avec les prix des instruments des marchés financiers. Plusieurs éléments, comme les marchés boursiers, les taux de change, les achats sur fonds empruntés et les marchés d'obligations, supposaient des anomalies. À un moment donné, les taux d'intérêt des obligations de la Zambie étaient plus bas que ceux de l'Espagne, et selon les profils de risque respectifs de ces deux pays, ce n'était pas justifié. En combinant cela à ce qui se passait avec les produits de base et avec les transactions plus risquées des marchés d'obligations du côté des sociétés, nous avons conclu que le montant excessif de liquidités se frayait un chemin de formidable façon dans le marché. Des vagues successives de liquidités ont fait en sorte que le mirage a persisté au sein des marchés. Nous avions aussi avancé que dès que cette quantité excessive ne serait plus nécessaire, il y aurait toute une débâcle.
Presque à point nommé — quand il est devenu évident que la fixation des prix à terme se faisait en prévision de l'intervention du gouvernement fédéral —, les quatre grandes catégories sont entrées dans une période de volatilité ou ont carrément amorcé leur descente. C'est ce contexte qui influe sur ce qui arrive aujourd'hui. On compte encore les jours qui ont suivi l'intervention du gouvernement fédéral — probablement l'événement économique le plus attendu des cinq ou six dernières années.
Alors oui, il y a absolument un grand vide dans les marchés, parce que cela fait six ou sept ans que l'équilibre n'y est pas; on ne sait plus ou on a oublié ce qu'était le pilier de l'équilibre des prix. Les marchés tentent de retrouver cet équilibre en ce moment. On avance bien des statistiques pour tenter de justifier les niveaux actuels ou de déterminer s'il y aura un redressement ou autre chose encore. Selon notre raisonnement, les marchés vont repousser les limites inférieures à différents égards. L'histoire nous a montré qu'une telle période est effectivement suivie d'un léger redressement. Je m'aventure dans le domaine des prévisions, mais c'est là notre meilleure estimation de ce qui se passe actuellement.
Pour répondre à votre question sur les opérations de couverture, je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons toujours pas observé les effets positifs de la faiblesse du dollar sur le marché, parce que les contrats, les fonds de couverture et les divers instruments que les chaînes d'approvisionnement mondiales juste à temps doivent utiliser pour maintenir la stabilité confèrent une rigidité supplémentaire au marché, qui ne permet pas de tirer pleinement avantage de la faiblesse de la devise, si bien qu'on s'attend à ce que la situation perdure un certain temps, c'est-à-dire qu'il faudra du temps avant que tous les avantages de la situation favorisent les exportations.
Il y a donc effectivement des opérations de couverture — d'après ce que nous pouvons observer et mesurer dans les marchés d'exportation — et elles servent à nous prémunir contre la volatilité.
Le sénateur Tannas: Merci.
Le président: Monsieur Murchison ou monsieur King, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
M. King: Je pense que le graphique qu'on trouve à la figure 3 de mon mémoire illustre bien la croissance des exportations par rapport au niveau du dollar. Il y a un décalage de six trimestres qui nous permet de faire un lien assez fort. C'est l'illustration concrète de certains des phénomènes que je viens de mentionner (les contrats et les opérations de couverture), parce qu'il faut du temps avant que l'effet se fasse ressentir.
Ce n'est pas parce que le dollar s'affaiblit que les ventes vont instantanément commencer à augmenter. Il y a un travail qui doit être fait; il faut intervenir dans la chaîne d'approvisionnement mondiale.
Le sénateur Tannas: Vous avez dit que même s'il y a un décalage, toute la spéculation, l'émotivité et le reste ont un effet assez minime sur une période prolongée, compte tenu de l'énorme volume d'échange de biens et de devises réels à une valeur réelle et que cette conjoncture peut artificiellement être portée à durer un peu plus ou moins longtemps. Est- ce bien ce que vous dites?
M. King: Je pense que oui. Un moment donné, si l'on parie constamment sur une chose, mais qu'on se trompe toujours, on finit par parier sur son contraire. Les principes fondamentaux finissent par prévaloir.
Cela nous amène à la question des obligations. Les obligations canadiennes sont très en demande. Les rendements sont très bas, parce que tout le monde veut quand même en acheter. Cela démontre bien la dynamique fondamentale: nous sommes dans une bonne position financière, nous avons une population très éduquée, un fort ratio emploi- population et une économie diversifiée. Malgré le choc pétrolier, qui est grand et qui est indéniablement difficile à absorber pour les gens de diverses régions, ces éléments fondamentaux demeurent, puisque le reste du monde continue de vouloir...
Le sénateur Tannas: Il n'y a pas de différence dans les répartitions entre le Canada et les États-Unis en raison de la volatilité de notre dollar?
M. King: Non. Le Canada est toujours largement perçu comme un refuge sûr et un bon endroit où investir.
Le sénateur Tannas: Très bien. Merci.
[Français]
Le sénateur Massicotte: Je remercie les témoins d'être présents avec nous cet après-midi.
[Traduction]
Évidemment, nous entendons ce que vous dites. Nous avons lu sur le sujet. Vos propos ne nous étonnent pas. Le monde nous voit comme un pays producteur de produits de base, et nos taux d'intérêt relatifs perturbent notre dollar.
Je suis certain que vous pouvez comprendre que pour le consommateur, pour l'entrepreneur qui essaie de gérer son entreprise, pour l'employé qui peine en Alberta, c'est un immense recul dans la vie en général et sur le plan professionnel. Ils ont besoin d'être rassurés, et c'est en partie pourquoi nous tenons ces séances. C'est rassurant de dire: «Ça va. La situation fait peur et représente un immense changement, mais il y a quelqu'un qui maîtrise la situation.»
Le gouverneur de la Banque du Canada a été franc. Il a dit que les modèles que nous utilisions jusqu'ici ne semblent pas très exacts. Il fait preuve d'une grande franchise en le disant. Bon nombre des prévisions faites au cours des six ou sept dernières années ne se sont pas réalisées. Pourquoi? Tout change, et nous avons l'air d'un bateau à la dérive en pleine tempête. Qu'est-ce qui peut nous redonner confiance après tout cela? C'est comme dans le sport. Tout le monde a une bonne réponse, mais personne ne peut prédire l'avenir; personne ne peut en être certain. Est-ce que tout va bien? Avons-nous les bonnes personnes à la barre? Qu'est-ce qui se passe?
M. Hall: Si je peux répondre à cette question, quand la crise a éclaté — et c'est incroyable de penser à la vitesse à laquelle nous avons tant perdu — le Canada était perçu comme le modèle économique de l'OCDE. Après cet effondrement, la valeur nominale de nos exportations a chuté. Nous avons perdu le quart de nos exportations presque du jour au lendemain. Normalement, ce serait suffisant pour compromettre toute notre économie. Cependant, diverses mesures ont été prises pour stimuler l'économie canadienne, parallèlement à la mise en œuvre d'une politique financière très bien gérée, et soudainement notre système bancaire est apparu sur les écrans radar partout dans le monde, et les gens se sont immédiatement tournés vers les ténors de notre système bancaire, pour guider le monde entier sur la façon de rétablir un système international par la réglementation. Il y a donc des Canadiens qui ont joué un rôle de conseillers de premier plan au sein de comités internationaux.
Il y a deux éléments clés qui ont joué: nous avions des ressources que le reste du monde voulait — et ils en voulaient encore à l'époque en quantité bien plus grande — et nous avions une économie nationale fondamentalement forte. C'était le Canada à ce moment-là. Il y a des bouleversements qui secouent notre économie en ce moment, mais ces forces fondamentales sont toujours là.
Si ma réponse à la question précédente peut nous rassurer, c'est parce que les turbulences qui s'observent en ce moment ne découlent pas d'un nouveau ralentissement mondial. Elles viennent plutôt du fait que la croissance reprend dans le monde. La Réserve fédérale américaine augmente ses taux en raison des forces fondamentales propres à l'économie américaine et du fait qu'elle se heurte à de grandes contraintes sur le plan de la capacité. L'émulation de cette croissance dans le reste du monde prend peut-être un peu plus de temps que nous le voudrions, mais tout montre que la croissance reprend aussi dans les autres grands blocs économiques riches du monde: les économies de l'Europe de l'Ouest connaissent une croissance supérieure à leur potentiel de croissance, trimestre après trimestre, depuis déjà cinq trimestres. On voit aussi qu'outre la Chine, les petits marchés en émergence participent aussi à cette vague de croissance.
Le sénateur Massicotte: J'espère que vous avez raison. Je ne suis pas aussi expert que vous en la matière, mais ce n'est pas mon impression. J'observe la Réserve fédérale, et depuis quelque temps, elle augmente ses taux rapidement. Je pense que le vice-président de la Réserve a dit, la semaine dernière, qu'il n'était pas encore sûr de ce qui se passerait pour le prochain taux, parce qu'ils prévoient d'autres augmentations. L'Angleterre se portait bien, mais ce n'est plus aussi vrai maintenant. Le Brésil et la Russie connaissent un ralentissement important. En Chine, la croissance affiche deux points de pourcentage de moins que ce que ses dirigeants espéraient.
J'espère que vous avez raison, mais je dois vous dire que d'après mes lectures, il y a énormément d'incertitude et beaucoup de spécialistes écrivent que l'ancien modèle économique ne fonctionne peut-être plus. Nous nous concentrons sur la maîtrise de l'inflation. Nous ne nous sommes pas souciés du dollar, mais il se pourrait bien que dans 10 ans, nous écrivions que nous avons besoin d'une nouvelle théorie. En voici une nouvelle, l'ancienne a été mise au rancart, notamment pour ce qui est du contrôle de la masse monétaire.
Ce n'est pas rassurant. Je lis beaucoup, mais ce n'est pas rassurant. Comme vous le savez, beaucoup d'experts prédisent des catastrophes. J'espère que vous avez raison, mais les pays en émergence ne se portent pas très bien.
M. Hall: En effet, l'économie mondiale est fondamentalement plus faible qu'elle ne l'était, structurellement, en raison de tout ce que nous avons vécu, de la grande récession jusqu'aux années de faible croissance mondiale. Avons- nous retrouvé la solidité structurelle du début des années 2000 qui serait la superstructure d'une période prolongée de très forte croissance? Non. Nous sommes encore en train de nous rétablir. Ajoutez à cela passablement de turbulences dans les marchés mondiaux, que nous ne comprenons pas bien, et il est vrai que soudainement, la confiance peut jouer un rôle vraiment déterminant pour la suite des choses.
Nous ne nous trouvons donc pas dans un environnement sans risque, mais à la base, le resserrement de la politique monétaire de la première économie mondiale ne vise pas à étouffer l'économie mondiale. Elle vise plutôt à permettre une croissance intérieure, aux États-Unis, et à prévenir une situation de surcroissance qui les obligerait à réagir beaucoup plus vite à une montée imminente de l'inflation.
Le sénateur Massicotte: Autrement dit, vous nous dites que nous sommes structurellement solides, mais le monde nous dit que la valeur de notre pays, la valeur de notre devise et le niveau de richesse de nos consommateurs — parce qu'évidemment, nous consommons beaucoup d'importations — sont beaucoup plus bas, parce que la valeur de notre devise a littéralement chuté et que la valeur de notre pays s'en trouve également affaiblie. Nous restons structurellement solides, mais nous sommes malades. Cela va passer.
M. Hall: Je veux rectifier une chose. Je n'ai pas dit que notre économie est solide sur le plan structurel. Nous avons de solides piliers en place, et ils sont toujours là à l'aube de la prochaine période de croissance. Mais je veux dire que les principaux moteurs de la croissance qu'on observe chez notre principal client sont très forts et qu'ils pointent vers le haut.
La sénatrice Ringuette: J'ai deux questions à poser, l'une à M. Murchison et l'autre à M. Hall.
Voici la première: en raison des crises financières que nous avons connues en 2008 et en 2011 et de la valeur actuelle du dollar canadien, ne devrions-nous pas revoir les fondements de la politique monétaire de la Banque du Canada qui s'appuient sur le taux d'inflation?
M. Murchison: Au contraire, je pense qu'en ces temps très difficiles, le régime fondé sur des cibles d'inflation sert très bien le Canada. C'est précisément le régime dont nous avions besoin pour réagir à la crise financière. En définitive, la Banque du Canada n'a pas eu besoin de recourir à des stratégies monétaires inhabituelles, comme l'acquisition de grands volumes d'actifs, qu'on appelle aussi l'assouplissement quantitatif. Grâce au ciblage de l'inflation, nous avons pu utiliser l'annonce de la trajectoire prévue de nos engagements conditionnels pour maintenir des taux directeurs qui nous semblaient à l'époque les plus bas possible. Ils ont d'ailleurs eu l'effet escompté sur les taux d'intérêt à long terme, et nous avons observé une reprise assez rapide après la phase la plus aiguë de la crise.
Comme je l'ai expliqué dans mon exposé, je pense que notre régime de ciblage de l'inflation, assorti d'un taux de changes flottants (et les deux vont vraiment de pair), est ce qu'il y a de mieux pour faire face aux conséquences de la situation actuelle, soit à la chute des prix des produits de base. Je ne veux absolument pas dire que la politique monétaire, assortie d'un régime de changes flottants, peut totalement amortir le choc. Dans mon exposé, j'ai qualifié le régime de changes flottants d'amortisseur de chocs. Si l'on prend l'exemple de l'amortisseur de chocs sur une voiture, lorsqu'il y a une bosse sur la route, on le sent quand même, mais pas aussi fort que si l'amortisseur n'était pas là. Je pense que c'est l'image à garder en tête dans le contexte actuel. Nous vivons clairement des temps très difficiles, non seulement si l'on est directement lié au secteur de l'énergie, mais aussi dès qu'on fait partie de la chaîne d'approvisionnement indirecte (c'est-à-dire celle qui fournit de l'équipement à ces secteurs), et parce qu'on fait face à des prix à la consommation qui ont beaucoup augmenté, notamment dans les marchés d'alimentation.
Comme je l'ai dit dans mon exposé, bien que ce régime, comme n'importe quel autre, ne puisse pas totalement éliminer les effets de cette dépréciation — parce qu'il va y avoir des effets distributionnels, quelle que soit la politique adoptée —, je pense que c'est la meilleure politique que la banque centrale puisse adopter dans le contexte.
La sénatrice Ringuette: Au sujet de ce que vous venez de dire, rapidement, faites-vous des études comparatives sur les différentes politiques monétaires pour déterminer si la politique en place au Canada produit exactement les effets escomptés et comment elle se compare aux politiques budgétaires adoptées dans les économies semblables à la nôtre?
M. Murchison: Oui. Tous les cinq ans, nous renouvelons notre entente de ciblage de l'inflation avec le ministère des Finances, et nous commençons habituellement par nous poser quelques questions sur la façon dont nous pouvons améliorer notre régime. Nous avons analysé divers exemples. Nous nous sommes demandé s'il était toujours pertinent de cibler un taux d'inflation de 2 p.100. Nous nous sommes demandé si nous devrions adopter des cibles fondées sur les prix plutôt que sur l'inflation. Nous avons également fait des recherches pour déterminer si le Canada ferait mieux d'adopter un taux de change fixe.
Je pense que le principal facteur à prendre en considération dans l'étude des avantages et inconvénients d'un taux de change fixe, c'est que dès qu'on envisage un taux de change fixe, on se trouve à le fixer avec un autre pays. En l'espèce, le choix le plus évident pour nous serait les États-Unis. La principale difficulté d'une union monétaire ou d'un taux de change fixe, c'est que les deux économies ne sont pas toujours au diapason. Pour deux économies qui évoluent toujours parfaitement en synchronicité, cette option est plus facile à défendre, mais ce n'est pas la même chose si les deux économies ne subissent pas les mêmes chocs ou que les mêmes chocs ont sur elles des effets très différents. La dépréciation actuelle des prix des produits de base en est un bon exemple, parce que le Canada est un exportateur net, alors que les États-Unis sont un importateur net. La chute des prix a donc des effets négatifs sur nous, mais positifs sur eux. C'est totalement différent. Nous avons donc besoin du régime de changes flottants entre les deux.
Pour revenir à votre question, oui, nous étudions constamment les diverses options qui s'offrent à nous pour déterminer si nous pourrions faire mieux.
La sénatrice Ringuette: Je vous remercie beaucoup de cette explication. J'ai une question à poser à M. Hall.
Le président: Très bien. Allez-y.
La sénatrice Ringuette: Vers 2010, comme les membres du comité l'ont entendu — et je m'excuse, mais je ne me rappelle plus quel témoin l'a dit —, les entreprises canadiennes avaient plus de 30 milliards de dollars en réserve mais n'ont pas pour autant favorisé l'achat d'équipement ou d'autres produits, alors que le dollar canadien était presque à parité avec le dollar américain. Elles n'avaient aucun incitatif à faire les investissements en capital et les optimisations requises. Aujourd'hui, elles ont probablement toujours entre 20 et 25 milliards de dollars en réserve, mais elles ne veulent toujours pas améliorer leurs immobilisations à cause de la valeur du dollar canadien. Depuis 2008, cette réserve n'a pas profité à l'économie canadienne, puisque les entreprises n'ont pas cherché à acquérir du matériel plus performant pour accroître leurs exportations. En 2008, elles n'osaient pas dépenser en raison de la situation financière. En 2016, elles n'osent toujours pas dépenser parce que le dollar canadien est trop faible pour acheter l'équipement dont elles auraient besoin pour moderniser leurs installations et optimiser leurs opérations. Quelle est donc la solution?
M. Hall: On peut probablement séparer les investisseurs en deux catégories. Pendant la période qui a suivi la crise que vous avez mentionnée, les sociétés minières et énergétiques se sont mises à investir frénétiquement pour accroître le plus possible leur capacité. On s'est alors mis à dire, à droite et à gauche, que le monde allait manquer de ressources. Il y a eu le Plan Nord et le Cercle de feu, puis tous les projets d'exploitation minière. Il y a eu des investissements dans le secteur des sables bitumineux, des sources classiques et non classiques de pétrole.
Quand on dit qu'il y a de l'argent qui dort dans les comptes des entreprises, c'est l'autre côté de l'investissement. Les entreprises ne sont pas là pour stimuler l'économie par simple altruisme. Elles investissent quand elles ont besoin d'investir. Bon nombre de ces entreprises avaient surinvesti dans les années de grande frénésie qui ont précédé la grande récession et avaient déjà plus de moyens que nécessaire. Elles n'avaient pas besoin de moderniser leurs installations ni d'agrandir leurs usines.
La situation actuelle est tout aussi problématique, parce que la chute des prix des produits de base est telle que les dirigeants des sociétés minières et énergétiques commencent soudainement à se demander où elles peuvent couper. C'est la période de crise de deux ans pendant laquelle, pour réduire la valeur de contrats signés relativement aux projets qui devaient aller de l'avant, il faut créer un sentiment de crise. Ce n'est pas une mascarade, il y a des problèmes bien réels. Ces entreprises ne peuvent tout simplement pas se permettre d'aller de l'avant selon les prix qui ont été convenus. Les parties retirent de l'argent de la table pendant cette période d'ajustement, et tant qu'elles n'arriveront pas à s'entendre pour rendre le projet viable, rien ne pourra avancer.
Comme je l'ai déjà dit, ces entreprises dont on pourrait dire qu'elles devraient maintenant investir sont en panne d'investissement depuis sept ans. Il va falloir beaucoup d'encouragements pour les convaincre qu'on commence à manquer de ressources au nord de la frontière. Les parties devront s'entendre et les dirigeants croire que les commandes seront assez nombreuses pour que leurs entreprises restent fortes. Elles ont les ressources nécessaires pour investir. D'ailleurs, dans le secteur de l'automobile, c'est ce qui se passe. De nouveaux investissements très importants sont annoncés, mais tout est dans le contexte. Il faut comprendre toute l'interaction entre le secteur énergétique et minier et les autres, ce qui peut pousser ce secteur à investir et pourquoi il va dans une direction, alors que d'autres vont en sens contraire.
Il y a déjà des signes qui montrent que ceux qui ont l'argent nécessaire et un incitatif commercial pour le faire adoptent des plans d'investissement.
La sénatrice Ringuette: Merci.
Le sénateur L. Smith: J'ai deux questions très différentes à poser. En voici une toute simple pour commencer: si vous observez ce qui se passe dans le secteur énergétique du pétrole, la réalité est-elle qu'il semble y avoir une abondance de produits accessibles pour la consommation mondiale? Les prix n'ont jamais été aussi bas. Vous attendez- vous à ce que des pays de premier plan dans ce secteur réduisent leur production pour créer un nouvel équilibre de prix? On pourrait appeler cela de la collusion, mais le fait est que si un pays a accès à de la main-d'œuvre bon marché et qu'il peut vendre son pétrole 125$ le baril, il fera encore du profit en vendant son produit 30$ le baril, mais moins. Aurait-il des raisons de continuer d'extraire ce produit? Prévoyez-vous une quelconque forme de rééquilibrage dans ce secteur?
J'ai une deuxième question, et je vais vous demander de sortir votre baguette magique. Je vous pose la question pour tous les gens qui nous regardent et qui ne comprennent peut-être pas tout ce dont nous sommes en train de discuter aujourd'hui.
M. Hall: Il ne fait aucun doute que le marché du pétrole est soumis à d'importantes perturbations. Rappelons-nous ce fameux livre canadien paru au début de 2008 qui affirmait sans ambages que le prix du pétrole allait atteindre 200$ et ne s'arrêterait pas là, alors que l'on nous dit aujourd'hui qu'il se maintiendra à 30$, voire 20$, au cours des 5 à 10 prochaines années. Dans une situation semblable, je préfère prendre un peu de recul et mettre les choses en perspective en me demandant comment le marché a pu en arriver là.
Lorsque les prix demeurent artificiellement élevés pendant une longue période, les investisseurs ne manquent pas de s'intéresser au secteur. Il y a donc eu des investissements au Canada et ailleurs dans le monde. Comme la technologie ne cesse d'évoluer, cette période a vu naître de toutes nouvelles sources d'approvisionnement qui n'auraient pas été imaginables auparavant.
Les prix ont été élevés pendant six ou sept ans; les investissements ont suivi et nous nous sommes donné une capacité de production telle que nous nous retrouvons maintenant, pour ainsi dire, inondés de pétrole. Les stocks atteignent des niveaux dépassant largement la limite supérieure de la moyenne de cinq ans, au pays comme dans d'autres régions du monde.
La conjoncture était bien différente au milieu des années 1970. Les pays du Moyen-Orient ont alors pris conscience du pouvoir qu'ils exerçaient sur les marchés et de l'inélasticité de la demande de pétrole brut, ce qui leur permettait de réduire considérablement leur production tout en accroissant leurs revenus grâce à la hausse des prix. La situation actuelle est totalement différente. Les prix élevés permettaient de bien s'en tirer. Dans la foulée du printemps arabe, les pays producteurs de pétrole et les autres nations touchées ont dû consentir des engagements financiers très considérables, de telle sorte que le prix du pétrole devait atteindre de 95 à 125$ simplement pour qu'ils puissent joindre les deux bouts.
Certains pays sont maintenant aux prises avec des contraintes financières qui changent considérablement la donne. À mon humble avis, je ne crois pas qu'il soit encore possible de diminuer la production dans une large mesure en espérant que la courbe de la demande soit toujours inélastique et que l'on puisse ainsi optimiser ses recettes de manière à pouvoir équilibrer son budget. Ce n'est tout simplement plus chose possible. D'après ce que nous avons pu observer, un producteur à faible coût dont la marge bénéficiaire était de 9$ ou 10$ le baril pouvait encore réaliser des profits et forcer ses concurrents à cesser leurs activités. Ce sont les tractations qui ont cours et qui se traduisent sans doute par une offre accrue de pétrole sur le marché mondial. Je n'ai toutefois pas l'impression que cette capacité de production d'appoint est encore présente. Aucun pays ne se porte volontaire pour remplir ce rôle, et la coordination semble quasi inexistante en raison des problèmes financiers que connaissent actuellement ces états.
J'espère avoir pu répondre à votre question en mettant ainsi les choses en perspective.
M. King: J'aimerais ajouter quelque chose. Il y a une considération importante qu'il faut garder à l'esprit: il n'y a pas actuellement d'énormes excédents de pétrole sur les marchés mondiaux. Selon les dernières estimations, ces excédents se situeraient entre 1 million et 1,5 million de barils par jour pour une demande quotidienne de 93 millions ou 94 millions de barils. La conjoncture était bien différente au milieu des années 1980 lorsque l'OPEP a ouvert les valves et que l'Arabie saoudite a indiqué qu'elle ne voulait plus jouer le rôle de producteur d'appoint. Les excédents atteignaient alors quelque 10 millions de barils par jour dans un contexte où la demande planétaire était beaucoup moins forte. Il serait donc assez facile d'absorber plutôt rapidement les excédents actuels.
C'est la faiblesse de l'économie mondiale qui nous a empêchés d'absorber cet excédent aussi rapidement que bien des gens l'auraient cru. Il suffirait toutefois pour ce faire d'un incident géopolitique, par exemple, au Moyen-Orient, ce qui est monnaie courante.
Les investissements ont vraiment ralenti au cours de la dernière année. Il devrait en être de même cette année de telle sorte que l'offre sera beaucoup plus restreinte. Il n'y a pas consensus, mais peu de gens croient que le pétrole se maintiendra à 30$ pendant les prochaines années ou qu'il atteindra 110$ dans un avenir prévisible. La conjoncture va cependant s'améliorer, sans doute vers la fin de cette année ou au début de 2017.
Les circonstances étaient totalement différentes il y a 10 ans à peine. Les excédents de pétrole ne sont pas énormes. À certains égards, le Canada est à l'abri de cette crise du fait que 80p.100 de notre approvisionnement actuel provient des sables bitumineux. Il s'agit de projets de très grande envergure dont les horizons de rendement sont à long terme et se calculent en décennies, quelque chose comme 30 ou 40 ans. Il n'est donc pas question de suspendre cette exploitation.
Les États-Unis sont en train de fermer progressivement les valves. Le nombre d'installations de forage est en chute libre, et les volumes d'extraction vont suivre. Nous allons toutefois demeurer en quelque sorte à l'abri, pour un temps tout au moins. Nos volumes de production ont augmenté malgré la baisse des prix. Nous sommes moins touchés que d'autres, et nous serons assez bien placés lorsque les prix augmenteront de nouveau.
Le président: Sommes-nous en train de revenir à un marché pétrolier plus libre? Nous avons dû composer avec un cartel pétrolier, un monopole avec des prix monopolistiques, ce qui ne manque pas de créer toutes sortes de problèmes dans une économie de libre marché. Ils ont bien sûr prêté foi à tous ces livres. Ils ont cru que l'on ne découvrirait jamais d'autre pétrole et qu'ils pourraient continuer à fonctionner de la même manière.
J'ai cependant l'impression que le marché pétrolier est plus libre qu'auparavant, ce que j'estime préférable au cartel arabe qui régit ce marché mondial depuis toutes ces années.
M. King: Il est bien vrai que le gros de la croissance de l'offre est venu de pays non membres de l'OPEP, comme les États-Unis, le Canada et les pays d'Amérique du Sud, ce qui réduira d'autant l'influence de l'OPEP dans l'établissement des prix au cours des années à venir.
Le sénateur L. Smith: Pour ma seconde question, je vais sortir la baguette magique du positivisme. Je sais que vous n'aimez pas vraiment faire des projections, mais pour les gens qui nous regardent aujourd'hui et qui ne comprennent pas nécessairement tous les tenants et aboutissants de l'analyse économique approfondie que vous êtes en mesure de nous présenter, je me demandais si vous ne pourriez pas, à vous trois, cibler trois, quatre ou cinq éléments essentiels à la création d'un nouvel équilibre économique pouvant nous propulser vers une position plus favorable.
Pour dire les choses simplement, pourriez-vous nous parler de trois ou quatre mesures qui devraient être prises? Nous avons déjà examiné et clairement défini les cinq facteurs qui influent sur la valeur du dollar canadien, mais pourriez-vous nous dire, d'un point de vue économique, s'il y a trois ou quatre mesures qui pourraient être prises pour replacer le Canada dans une conjoncture économique beaucoup plus favorable?
Le président: Le sénateur L. Smith préfère voir le verre à moitié plein, plutôt qu'à moitié vide. Nous allons commencer avec M. King.
M. King: À bien des égards, je peux relever différents éléments positifs au sein de l'économie mondiale ainsi qu'à l'intérieur même des États-Unis. Bon nombre des manchettes au sujet de la volatilité et de la chute des prix du pétrole font paraître la situation pire qu'elle ne l'est en réalité.
La Chine connaît certes un ralentissement. Sa production industrielle ralentit beaucoup plus que sa production de services, ce qui est voulu de la part du gouvernement chinois. Celui-ci vise en effet un taux de croissance beaucoup plus durable. Il sera inférieur au cours des 10 prochaines années, mais beaucoup plus stable à long terme. La Chine pourrait connaître des décennies de croissance à faire rêver. On n'atteindra peut-être plus les 10 à 12 p. 100, mais ce sera certes une forte croissance.
En Europe, la reprise est lente. Aux États-Unis, comme on l'a déjà mentionné, la Réserve fédérale augmente les taux d'intérêt pour aller dans le sens d'une économie plus vigoureuse.
Au Canada, notre dollar s'est déprécié. Cette baisse contribue à faciliter la transition alors que l'on veut s'éloigner d'une économie plus axée sur l'énergie et aider davantage le Canada central. Notre position financière est excellente. Nous avons une population instruite. Il y a de très nombreux points positifs à signaler au Canada. Je pense qu'il faut garder ces éléments à l'esprit et ne pas se concentrer uniquement sur les mauvaises nouvelles.
À bien des égards, une grande partie des éléments requis sont déjà en place. Il faut simplement faire montre d'un peu de patience d'ici à ce que les effets positifs se fassent sentir.
Le sénateur L. Smith: Nous devrions donc présenter une image plus équilibrée de la situation?
M. King: C'est ce que je crois. Il y a un autre aspect délicat dont je suis pleinement conscient. Nous pouvons bien discuter dans les hautes sphères des ajustements complexes qui touchent notre économie et affirmer que les fluctuations du taux de change nous sont bénéfiques, mais je sais que c'est une bien piètre consolation pour les victimes du ralentissement dans une région ou dans une industrie.
Nous ne leur sommes pas d'un grand réconfort en discutant de ces questions, mais, tout particulièrement dans le contexte de nos discussions d'aujourd'hui au sujet du dollar canadien, il faut reconnaître que notre taux de change flottant nous place et nous maintiendra dans une position beaucoup plus favorable que tout autre régime. Pour les autres, les coûts de rajustement seront nettement plus élevés. Comme je le disais, il s'agit peut-être d'une mince consolation pour les personnes touchées, mais notre économie dans son ensemble en ressentira les bienfaits.
M. Murchison: J'aurais un ou deux éléments à ajouter. Un peu comme le disait Phil, nous estimons que les ingrédients essentiels à une reprise soutenue sont déjà en place. En un sens, il suffit en quelque sorte de faire montre d'un peu de patience. Quant à l'impact du taux de change, notre dollar a commencé à se déprécier il y a environ un an. Comme nous l'avons indiqué tout à l'heure, les délais de réaction sont assez longs et très difficiles à cerner, mais nous croyons qu'il faudra quelques années pour que les effets se fassent pleinement sentir.
Dans un large éventail de secteurs sensibles au taux de change, il est déjà bien clair que l'on réagit adéquatement, comme en témoigne la croissance rapide. En regroupant ces secteurs que nous jugeons les plus sensibles au taux de change, nous obtenons un taux de croissance annuel d'un peu moins de 9 p.100 en chiffres réels au troisième trimestre de 2015, ce qui correspond aux plus récentes données disponibles.
Certains éléments permettent donc de croire que la dépréciation du dollar a l'effet escompté. Je crois toutefois qu'il y a encore des avantages qui ne se sont pas manifestés.
Selon moi, l'autre partie de la solution nous viendra du renforcement incessant de l'économie américaine, et tout particulièrement de la hausse de la demande intérieure privée, un débouché de tout premier plan pour bien des exportateurs canadiens.
C'est donc l'effet combiné de ces deux éléments, sans compter la position financière du Canada auquel Phil a fait référence. Les conditions monétaires demeurent une excellente source de stimulation économique dans notre pays. À l'échelon régional, nous nous attendons à une migration du secteur de l'exploitation des ressources vers d'autres secteurs de l'économie et d'autres provinces canadiennes. C'est ce qui semblerait ressortir des données pour le second trimestre de 2015. C'est une constatation que nous pouvons d'ores et déjà faire.
Je crois donc que les choses qui doivent se produire commencent déjà à se manifester et continueront de le faire mais qu'il s'agit, comme le gouverneur Poloz l'a maintes fois répété, d'un processus complexe qui exigera du temps.
M. Hall: Puis-je encore ajouter quelques éléments de réponse?
Le président: Bien sûr.
M. Hall: Je serai bref. Selon moi, si notre auditoire peut percevoir une lueur d'espoir au sein de l'économie mondiale actuellement, ce sera du côté de l'exportation. Il convient alors de nous demander si c'est quelque chose de vraiment concret.
Tout d'abord, comme M. Murchison l'a déjà mentionné, il ne faut pas oublier que la baisse du prix des produits de base a un effet de stimulation important au sein des économies qui sont des utilisatrices nettes de ces produits, un élément absolument fondamental. Aux États-Unis, les consommateurs ont eu droit à une prime de 110 milliards de dollars l'an dernier en raison de la réduction des prix de l'essence. En Europe, ce boni était de l'ordre de 125 milliards de dollars. Toutes ces sommes ont été consacrées à d'autres achats qui n'auraient pas été faits sans cela.
Deuxièmement, je dirais que les bases de l'économie des États-Unis demeurent très solides du point de vue de la consommation. Pour vous en convaincre, vous n'avez qu'à constater la croissance de l'emploi, la faiblesse du taux de chômage, les salaires réels qui sont repartis à la hausse et le niveau général de confiance des consommateurs. Malgré toute la volatilité qui caractérise les marchés, cette prime de 110 milliards de dollars leur procure toute la vigueur souhaitée. Leur marché immobilier repose sur des bases solides et les perspectives d'investissement par des entreprises américaines dans ce secteur sont très bonnes. Voilà donc pour mon deuxième élément.
En troisième lieu, il y a la Chine. Il suffirait actuellement d'une croissance de 6 p.100 de l'économie intérieure chinoise pour faire grimper le PIB dans la même mesure qu'une croissance nominale d'environ 18 p.100 a permis de le faire entre 2004 et 2008. La taille de l'économie chinoise suffit à assurer le maintien de la capacité d'absorption requise. Si vous craignez que le prix des produits de base continue de chuter, vous devriez considérer sérieusement la taille de la Chine et sa capacité d'absorption actuelle. Le prix des produits de base va recommencer à augmenter, et je conviens avec M. King qu'il ne faudra pas nécessairement attendre très longtemps. Je ne voulais pas laisser entendre tout à l'heure qu'il allait en être autrement.
Nous nous attendons toujours à une reprise des investissements. Si je n'avais pas d'indication en ce sens à l'extérieur du secteur énergétique au Canada, je serais beaucoup moins porté à croire en cette relance des investissements.
Le sénateur Campbell: Merci. En toute franchise, je crois que la Banque du Canada accomplit un travail vraiment extraordinaire. Tout comme le sénateur Bellemare, je me souviens très bien des années 1970. J'avais bloqué mon taux d'intérêt à 21,75 p.100; il est monté jusqu'à 22 p.100. Vous connaissez maintenant la raison pour laquelle je fais partie du Comité des banques; j'essaie encore de comprendre comment cela peut être possible.
J'ai quelques questions pour nos témoins. Tout d'abord, nous utilisons au Canada un modèle qui repose sur le contrôle de l'inflation. Il semblerait que l'on vise un taux maximal de 2 p.100. Quels autres modèles sont possibles? Quels sont les modèles utilisés ailleurs dans le monde et comment fonctionnent-ils? Ou alors est-ce que tous les pays fondent leur politique bancaire sur cette stratégie de contrôle de l'inflation avec tous les avantages qui s'ensuivent? Quels sont les autres modèles existants?
M. Hall: Je crois que c'est une question pour mon collègue de la Banque du Canada.
M. Murchison: Sans l'ombre d'un doute, les régimes fondés sur des cibles d'inflation à titre de cadre monétaire principal ont beaucoup gagné en popularité au fil de leur quart de siècle d'existence. Ce phénomène s'explique en partie du fait que les pays qui misent sur des régimes semblables depuis longtemps, comme le Canada et la Nouvelle-Zélande, laquelle a fait œuvre de pionnier en la matière, ont connu un succès retentissant. À mon sens, c'est la raison pour laquelle autant de pays choisissent d'emprunter cette avenue.
Certains pays se fixent en quelque sorte des objectifs à long terme en matière d'inflation, plutôt que des cibles précises. Dans certains cas, la formule retenue est asymétrique, c'est-à-dire qu'on ne veut pas que l'inflation dépasse un certain niveau, mais qu'il n'y a pas de limite minimale correspondante. À la Banque du Canada, nous utilisons pour notre part un spectre allant de 1 p. 100 à 3 p. 100, avec une cible médiane de 2 p.100.
C'est pour ainsi dire le cadre utilitaire dans la majorité des économies industrielles très développées. Il y a bien sûr d'autres pays qui, pour des motifs qui leur sont propres, choisissent de renoncer à leur autonomie monétaire en adoptant un taux de change fixe. Vous ne pouvez pas en effet avoir une politique monétaire nationale indépendante si vous optez pour un taux de change fixe. Dans les faits, vous vous en remettez à la politique monétaire du pays avec lequel vous transigez.
Le sénateur Campbell: D'accord. Vous avez parlé d'une prime pour les consommateurs européens et américains. Qu'en est-il de ceux du Canada dans la foulée de la chute des prix de pétrole?
M. Hall: Nous avons aussi droit à une prime, mais tout cela est calculé en fonction des résultats nets. Nous nous fondons sur les statistiques de l'Agence internationale de l'énergie ainsi que sur la revue statistique compilée par British Petroleum. Suivant la même analyse statique, l'effet net pour nous est de 25 milliards de dollars.
Le sénateur Campbell: Vous parlez d'une perte?
M. Hall: Une perte nette. Tous ces calculs sont établis sur une base nette. En chiffres bruts, chaque consommateur bénéficie effectivement de la baisse des prix à la pompe, mais nous tenons compte ici de la consommation nette. C'est la base de nos calculs. Ces chiffres ont été obtenus à la fin de 2014, et ils sont précis presque au dollar près.
Le sénateur Campbell: Je ne sais pas si vous allez pouvoir me répondre, et je ne suis pas un adepte de la théorie du complot, mais qu'adviendra-t-il si l'Arabie saoudite et les autres pays de l'OPEP continuent de produire au même rythme? Ils réalisent des profits même à 30$ le baril. Certains laissent entendre qu'ils le font pour obliger ceux qui font de la fragmentation, qui exploitent les sables bitumineux ou qui trouvent d'autres moyens d'extraire du pétrole, à cesser leurs activités dans ce secteur. Pouvez-vous d'abord me dire si vous pensez qu'une telle théorie puisse être fondée?
Ma dernière question concerne la Libye qui occupe le troisième rang mondial pour l'importance de ses ressources. Quels seront les effets ressentis par notre économie et notre industrie pétrolière lorsque le gouvernement libyen sera remis sur ses rails et que le pétrole de ce pays recommencera à couler?
M. Hall: Je peux bien commencer à répondre. Pour ce qui est des manœuvres qui ont cours, si je puis dire, au niveau de la production, je ne crois pas qu'il puisse exister, pour un pays comme l'Arabie saoudite, d'autres motivations à la surproduction dans le contexte actuel que la seule volonté d'en tirer un avantage concurrentiel. On peut toujours espérer obtenir une hausse du prix de cette manière, mais il est intéressant de noter que l'industrie américaine du gaz de schiste peut arrêter et reprendre assez facilement sa production à des niveaux de prix bien précis. Un pays qui se livre à une telle manœuvre doit alors se demander jusqu'à quel point il peut faire monter les prix avant que cette source d'approvisionnement reprenne du service pour créer une situation de volatilité où le prix sera en fait inférieur au niveau nécessaire pour faire ses frais.
Ce ne sont là que de simples hypothèses. Nous ne sommes pas les seuls à essayer d'y voir clair, mais c'est une explication qui m'apparaît tout à fait plausible.
Je dirais toutefois que c'est un jeu qu'on ne peut pas pratiquer indéfiniment comme en témoigne cette situation assez particulière qui a vu certains pays du Golfe contracter des emprunts sur les marchés financiers internationaux. Ce sont les mêmes pays qui pouvaient compter sur de solides fonds souverains de plusieurs centaines de milliards de dollars et qui n'avaient pas besoin d'emprunter sur les marchés internationaux. Il est d'ailleurs possible qu'ils le fassent uniquement pour préparer les prochaines étapes. Je ne crois pas qu'ils aient besoin de cet argent actuellement, mais l'envers de la médaille de la prime dont nous parlions pour l'Europe ou les États-Unis, c'est le coût annuel que doit assumer un pays comme l'Arabie saoudite lorsque le pétrole est à 50$ ou 60$ le baril. D'après nos estimations, il en coûte 100 milliards de dollars à ce pays à lui seul lorsque le prix se situe entre 40 et 45$.
Que ce soit ce pays ou d'autres pays du Golfe, ils ne peuvent jouer à ce jeu indéfiniment sans qu'il y ait de conséquence importante.
Le président: Si les témoins n'y voient pas d'objections, nous allons poursuivre la réunion jusqu'à 18 h 15. Nous allons accélérer le rythme en quelque sorte, car je veux que nous poursuivions la discussion sur une étude portant sur le commerce interprovincial. Pour le deuxième tour, ma liste comprend les sénateurs Black, Maltais et Massicotte.
Le sénateur Black: À ce sujet, je n'ai pas vraiment de question, mais j'ai des observations sur ce que j'ai entendu. J'aimerais que vous me disiez si vous trouvez approprié que je les présente.
Le président: Laissons d'abord les sénateurs qui souhaitent poser des questions le faire. S'il reste du temps, je serai très ravi d'écouter vos observations.
Le sénateur Black: Merci.
[Français]
Le sénateur Maltais: J'ai une très courte question. La dépréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain ne donnerait-elle pas la tentation aux investisseurs américains d'acquérir des entreprises canadiennes?
M. Hall: C'est bien possible. Ils ont besoin de capacité en ce moment. Il est donc tout à fait possible qu'en regardant leur capacité et le prix de notre devise, ils y voient une opportunité. Chaque entreprise est en mesure de voir de telles opportunités.
J'ai une crainte pour ce qui est de l'économie américaine, et c'est qu'elle ne soit pas en mesure de créer les capacités dont elle a besoin en ce qui concerne ses commandes actuellement. Je ne suis pas certain que nous soyons vulnérables en ce moment, à cause de cela, mais les opportunités sont là.
Dans le secteur automobile et des pièces automobiles, on a annoncé des investissements spectaculaires au cours des 18derniers mois. C'était le cas chez Ford, Fiat, Chrysler, Honda et Toyota. Je crois qu'il s'agissait d'une vague primaire d'investissements américains ou internationaux dans les entreprises canadiennes.
La sénatrice Bellemare: J'aurais une petite question. Elle est liée aux préoccupations des sénateurs Ringuette et Campbell. Pourquoi la Banque du Canada et le ministère des Finances ne s'entendent-ils pas pour avoir, dans le cadre de la politique monétaire, les mêmes objectifs que la réserve fédérale américaine, où la politique monétaire vise non seulement à contenir l'inflation, mais aussi à maintenir un bon niveau d'emploi? Il serait rassurant pour les gens de savoir que la politique monétaire tient compte de cette dimension de façon officielle.
M. Murchison: Dans la grande majorité des cas, ces deux objectifs sont bien servis au moyen d'une cible pour l'inflation. Lorsqu'il y a un choc négatif à la demande, on constate que l'emploi et l'inflation diminuent. En diminuant les taux d'intérêt, on arrive à stimuler l'économie, et c'est ainsi que l'on fait augmenter l'inflation.
À la Banque du Canada, on constate qu'il n'y a pas vraiment de compromis, dans la grande majorité des cas, entre ces deux objectifs.
La sénatrice Bellemare: Ce serait une bonne raison pour l'inclure. Nous aurions ainsi l'assurance qu'il s'agit d'une réelle préoccupation.
M. Murchison: J'ajouterais que, lorsque le gouverneur parle de nos prévisions pour l'économie et des raisons pour lesquelles nous baissons ou augmentons les taux d'intérêt, ainsi que les prévisions pour l'inflation, il parle de nos perspectives sur l'économie réelle, de l'écart de production et du taux de croissance du PIB. Comme je l'ai dit, je crois que les deux vont ensemble.
Le sénateur Massicotte: J'aimerais poursuivre un peu dans la même veine. Nous savons que le dollar souffre énormément en raison du fait que l'on perçoit le Canada comme une économie fondée sur les ressources naturelles. Est- ce que je me trompe en disant que 25 p. 100 du PIB provient des ressources naturelles et que 15 p. 100 provient du pétrole et des hydrocarbures?
M. Murchison: Les matières de base, ce qui comprend le secteur de l'énergie, représentent environ de 16 à 17 p. 100 du PIB.
Le sénateur Massicotte: Qu'en est-il des hydrocarbures, exception faite de l'ensemble des ressources naturelles?
M. Murchison: Si on exclut les autres secteurs, le pétrole et le gaz naturel représentent 5 p. 100 du PIB.
Le sénateur Massicotte: Lorsqu'on examine les transactions du point de vue de notre dollar sur le marché, quel pourcentage ou quel chiffre représente les échanges de produits importés et exportés? Quel pourcentage représente les investissements? Est-ce que ce sont de vraies transactions d'échanges de produits et de services?
M. Murchison: Le fait qu'une réaction se produise si rapidement est l'anticipation qu'il y aura une baisse de la demande pour le dollar canadien, étant donné que le prix de nos exportations a diminué. D'après moi, il ne s'agit pas de spéculation. Comme je l'ai dit au début, la baisse du dollar qu'on a observée jusqu'à présent est tout à fait cohérente avec la baisse du prix du pétrole et du prix des matières de base. Lorsqu'on l'envisage dans cette perspective, il n'y a pas vraiment de place pour la spéculation.
[Traduction]
Le président: Puis-je poser une dernière question avant de vous céder la parole, sénateur Black?
Le sénateur Black: C'est vous le président.
Le président: Nous avons déjà parlé de ce sujet et avons eu la même discussion sur le pétrole et le dollar canadien. Si l'économie se rétablit, y a-t-il autre chose qui fera grimper la valeur de notre dollar par rapport au dollar américain même si les prix du pétrole se situent toujours entre 40 et 60$ le baril? Y a-t-il des mesures que nous pouvons prendre pour faire augmenter la valeur du dollar? Devons-nous plutôt attendre que la valeur de l'or augmente?
M. Murchison: On en revient au fait qu'il s'agit d'offre et de demande. La demande de dollars canadiens peut augmenter parce que le prix par unité de ce que l'on vend est élevé, ou le dollar canadien peut être fort parce qu'on exporte en grande quantité. Un pays dont le compte courant est fort parce qu'il reçoit de forts prix pour ses produits, ou parce qu'il est très concurrentiel et exporte en grande quantité — les deux ont un effet important sur la valeur du dollar.
Le président: Nous nous penchons sur toute mesure que nous pouvons prendre pour que le Canada devienne un pays attrayant pour les entreprises. Nous cherchons des gens qui veulent venir investir dans notre pays, ce qui aurait une influence sur le dollar canadien.
Le sénateur Massicotte: Un dollar faible est utile.
Le président: Pas nécessairement. Je ne fais que poser la question.
M. Murchison: Il y a toutes sortes de facteurs. N'importe quel facteur qui fait augmenter la demande de dollars canadiens aura cet effet.
Dans le passé, certains pays ont pris des mesures pour devenir plus concurrentiels et ont vu une revalorisation de leur monnaie.
Le président: Merci. Sénateur Black, vous disposez de deux ou trois minutes.
Le sénateur Black: Sachez que nous nous sentons bien servis par vous qui réfléchissez à ces problèmes. Je suis sûr que les Canadiens qui nous regardent trouvent encourageant de voir votre engagement et votre intelligence.
Cela dit, je sais que mes parents...
M. Hall: Aurons-nous la possibilité de nous défendre?
Le sénateur Campbell: Non, car il ne reste plus de temps.
Le sénateur Black: Il s'agit d'une simple observation qui a été faite par un avocat des Prairies; je suis un sénateur de l'Alberta.
Concernant ce que les Albertains comprendraient de ce qu'ils entendent aujourd'hui au sujet de la hausse du dollar canadien, les gens avec lesquels je discute verraient cela d'un bon œil. Qu'il s'agisse de gens d'affaires ou de consommateurs, les gens pensent que le dollar est trop faible présentement.
Les gens nous ont entendus dire aujourd'hui que nous souhaitons la stabilisation de la Chine. Nous l'espérons tous. Nous espérons que la croissance aux États-Unis et au Royaume-Uni se poursuivra, car nous en bénéficierons tous. Nous espérons également voir une reprise des importations et des exportations d'énergie. Ce sont tous des facteurs que, pour l'essentiel, le Canada ne contrôle pas, selon ce qu'entendent les gens. Or, les gens savent que le pétrole a toujours été notre principal secteur d'exportation. Ils savent qu'il fait face à des contraintes à l'heure actuelle. Pour revenir à la question qu'a posée le sénateur Massicotte, ils savent que, concernant la valeur directe et la valeur indirecte de l'énergie, le secteur de l'énergie — le secteur des mines — représente environ 20 p. 100 du PIB ou un peu plus. On ne peut pas remplacer ces ressources par le tourisme, des produits pharmaceutiques ou des pièces d'automobiles. C'est impossible, et les Canadiens le savent. Ils savent que tant que le prix du pétrole n'augmentera pas, la valeur du dollar demeurera faible.
C'est pourquoi je propose simplement et respectueusement qu'une bonne partie de votre réflexion, dans vos différents secteurs, porte sur des moyens de favoriser l'accès au marché pour notre énergie. C'est l'obstacle auquel fait face notre système présentement. Nous ne pouvons pas vendre notre produit. Les États-Unis sont notre principal concurrent. Comme vous le savez maintenant, bien entendu, ce pays peut exporter du pétrole. La situation ne fait qu'empirer et nous sommes désavantagés. À l'heure actuelle, le prix du pétrole canadien est le plus bas au monde. Voilà pourquoi le dollar est faible. Tant que nous ne réglons pas le problème, à mon humble avis, le dollar demeurera faible.
Vous comprenez tous la situation, et je vous encourage donc vivement à faire ce que vous pouvez, dans vos secteurs respectifs, pour que la nation commence à s'attaquer au problème. Si nous réglons ce problème, nous en réglerons beaucoup d'autres. C'est ce qui met fin à mon sermon.
Le président: Vous ne pouvez pas le laisser s'en tirer comme cela, monsieur Hall.
M. Hall: Et je ne me sens pas obligé de me défendre.
En réponse à cela, je dirai que depuis 10 ans du moins, Exportation et développement Canada est un grand défenseur de la diversification de nos marchés, de l'idée qu'il nous faut nous imposer sur d'autres marchés que nos marchés traditionnels. Il ne s'agit pas d'oublier nos marchés traditionnels — nos moyens d'existence —, mais bien de diversifier les marchés, et ce, dans tous les secteurs. L'industrie la moins diversifiée que nous avons, sur le plan des exportations, c'est celle du pétrole et du gaz. C'est tout ce que je dirai.
Le président: D'accord. Je remercie les témoins. Nous avons eu une excellente réunion aujourd'hui. Une autre réunion est prévue demain, à 10 h 30. Nous accueillerons d'éminents économistes de quatre grandes banques et nous avons donc une belle liste. La réunion commencera à 10 h 30. D'ici là, je voudrais que les gens quittent la salle pour que nous poursuivions nos travaux à huis clos afin de discuter d'une résolution concernant une étude à venir. Seuls le personnel et les sénateurs peuvent demeurer dans la salle.
(La séance se poursuit à huis clos.)