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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 1 - Témoignages du 4 février 2016


OTTAWA, le jeudi 4 février 2016

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 32, pour étudier sur la situation actuelle du régime financier canadien et international (sujet: les causes et les effets de la baisse récente du taux de change du dollar canadien).

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bienvenue à la deuxième réunion du comité sur la question du dollar. Je m'appelle David Tkachuk, et je suis le président du comité.

Comme nous l'avons dit hier, et comme je l'ai mentionné, le dollar est considérablement bas depuis un certain temps, mais il a un peu remonté dernièrement. Aujourd'hui, il a commencé à 72,56 cents et il a maintenant atteint un peu plus de 73 cents. Nous devrions peut-être juste continuer d'en parler.

Aujourd'hui, nous accueillons un groupe de témoins formidables qui représentent des institutions financières et qui nous communiqueront leurs points de vue. J'aimerais consacrer le plus de temps possible à la discussion. Nous leur demandons donc de limiter leur exposé à cinq minutes, afin que nous ayons amplement le temps de discuter. Mesdames et messieurs les témoins, je vous prie de me faire signe si une personne souhaite formuler un commentaire pendant qu'une autre répond à une question.

Nous accueillons tout d'abord Doug Porter, économiste en chef à BMO Groupe financier. Nous accueillons également Royce Mendes, directeur et économiste principal, Banque Canadienne Impériale de Commerce. Du Mouvement Desjardins, nous avons Jimmy Jean, économiste principal. Nous recevons également Dawn Desjardins, vice-présidente et économiste en chef déléguée, Banque Royale du Canada. De la Banque Scotia, nous accueillons Jean-François Perrault, premier vice-président et économiste en chef. Enfin, nous accueillons Derek Burleton, vice- président et économiste en chef adjoint pour le Groupe financier Banque TD.

Nous entendrons d'abord les exposés des témoins et les sénateurs pourront ensuite poser des questions.

Je dois quitter la réunion vers 12 h 15. Je sais que la réunion doit se terminer à 12 heures, mais si nous devons poursuivre les discussions jusqu'à 12 h 30, il n'y a pas de problème. Je demanderais donc à un membre du comité de direction de prendre la relève si la vice-présidente n'est pas ici. De toute façon, vous déciderez.

Je vais maintenant donner la parole au premier témoin, c'est-à-dire Doug Porter, économiste en chef chez BMO Groupe financier.

Doug Porter, économiste en chef, BMO Groupe financier: Je suis très heureux d'être ici avec vous, membres du comité et collègues économistes, pour participer à cette discussion sur les causes et les effets de la dépréciation récente du dollar canadien.

Pour vous donner un peu de contexte, l'année 2015 arrive au deuxième rang parmi les pires années de l'histoire du dollar canadien, avec une chute de 16 p.100. Plus tôt cette année, il a atteint son point le plus bas en 13 ans, en raison de la volatilité des marchés financiers mondiaux, de données économiques décevantes, d'une autre chute vertigineuse des cours du pétrole et de surprises géopolitiques, avant de remonter au cours des derniers jours.

Nous croyons que la forte baisse du dollar au cours des dernières années est attribuable à trois facteurs principaux. À notre avis, le facteur le plus important demeure la baisse impitoyable des prix du pétrole; ils ont atteint leur niveau le plus bas depuis des années. Nous estimons que pour chaque fluctuation de 10$ des prix du pétrole, le dollar canadien fluctue de 3 à 5 cents dans la même direction. Il s'ensuit qu'à elle seule, la dégringolade des prix du pétrole représente incontestablement la part du lion dans la chute de la devise ces dernières années.

Le deuxième facteur est lié à la divergence entre les politiques monétaires américaine et canadienne, la Réserve fédérale ayant haussé ses taux à la fin de l'année dernière, alors que la Banque du Canada réduisait les siens à deux reprises. Il est extrêmement rare que les deux banques centrales prennent des décisions opposées. Le plus proche parallèle que l'on puisse établir au cours des dernières décennies remonte à 2002 et 2003, où l'on s'était trouvé en situation opposée. Cet épisode avait aussi été marqué par un rajustement abrupt du taux de change; en fait, l'année 2003 a été la meilleure de l'histoire du dollar canadien, car il a augmenté de plus de 22 p.100 cette année-là.

Le troisième facteur est lié à la vigueur sous-jacente du dollar américain. En effet, la devise américaine a augmenté comparativement à toutes les plus grandes devises du monde au cours des deux dernières années, et on a toutes les raisons de croire qu'il en sera de même en 2016, où elle sera la plus forte devise dans le monde pour une troisième année consécutive. Cela signifie que le dollar canadien n'est pas seul dans sa situation, puisque la plupart des grandes devises s'affaissent devant le billet vert depuis les deux dernières années.

Ce sont là les trois principaux facteurs qui influent sur la devise. Toutefois, un autre facteur pourrait aussi miner la devise, soit les préoccupations liées aux perspectives financières canadiennes. On admet généralement que le prochain budget révélera un objectif en matière de déficit considérablement plus élevé que l'engagement précédemment annoncé d'une limite de 10 milliards de dollars. Après tout, si l'objectif à moyen terme du gouvernement consiste à viser la stabilité ou la diminution du ratio dette publique et PIB, le gouvernement aura la marge de manœuvre requise pour assumer des déficits annuels d'environ 20 milliards de dollars, en supposant une croissance du PIB nominal d'environ 3,5 p. 100.

Outre ce revirement dans les finances fédérales, plusieurs provinces subissent toujours des pressions financières, l'Alberta ayant même perdu sa cote de crédit AAA à la fin de l'année dernière.

La plupart de ces facteurs devraient continuer d'influer sur la devise pendant le reste de l'année, et nous croyons donc que la stabilisation ou la stabilisation potentielle des prix du pétrole et des autres ressources reste la dernière ligne de défense possible du huard. Toutefois, comme nous ne prévoyons pas de stabilisation des cours du pétrole avant la fin de l'année, nous pensons que le dollar canadien restera probablement sous pression et qu'il terminera l'année à un taux sensiblement semblable à celui d'aujourd'hui. En nous fondant sur nos projections pour les cours du pétrole, nous pensons que le dollar remontera aux environs de 75 cents vers la fin de 2017.

La baisse du dollar entraîne son lot de répercussions. À notre avis, il s'agit d'un couteau à double tranchant pour les entreprises canadiennes. En effet, on a l'habitude de dire qu'un dollar plus faible est un atout pour l'économie, puisqu'il donne un coup de pouce aux exportateurs et aux entreprises qui mènent des affaires sur la scène internationale, et il profite grandement au tourisme et aux loisirs.

L'activité manufacturière profite généralement d'un recul de la devise, car ses produits deviennent plus concurrentiels, ses marges de profit augmentent ou les deux, mais on peut se demander si le Canada a encore la capacité de fabrication et d'exportation nécessaire pour profiter pleinement d'une devise plus concurrentielle.

Un huard plus faible aide certainement les entreprises existantes, mais la devise n'est probablement pas encore assez faible depuis assez longtemps pour attirer de nouveaux investissements substantiels. De plus, un dollar faible cause des inconvénients aux entreprises, notamment des coûts d'importation plus élevés. Même les manufacturiers qui profitent apparemment d'un huard plus faible peuvent déplorer des effets secondaires, puisque nombre de produits canadiens ont un contenu élevé en biens importés.

Pour le consommateur, d'autre part, la faiblesse du dollar n'a rien de réjouissant. La faible valeur du huard réduit son pouvoir d'achat, car les prix des produits importés montent en flèche, tout particulièrement celui des fruits et des légumes. En fait, au cours de l'année dernière, les prix canadiens des légumes frais ont connu une hausse de plus de 13 p. 100 en date de la mi-novembre. Pour mettre les choses en perspective, aux États-Unis, les prix des légumes frais, au cours de la même période, ont seulement augmenté de 0,4 p. 100; il s'ensuit que la totalité de l'augmentation de 13 p. 100 peut être attribuée à la faiblesse de la devise. Dans l'ensemble, la réduction du pouvoir d'achat du consommateur annonce une période de ralentissement de la croissance des dépenses de consommation réelles par rapport aux États-Unis et au reste de l'économie. En fait, une devise plus faible constitue probablement un risque plus grand pour le consommateur canadien que l'endettement record des ménages.

Pour les investisseurs qui choisissent de continuer d'investir — ou de revenir — au Canada, il est utile de noter que le secteur de l'énergie est l'un des secteurs qui profitent le plus d'une devise plus faible sur le plan des gains, même si le faible prix des produits domine cet effet.

Les industries d'exportation intensive dont les coûts sont principalement engendrés au Canada, ainsi que les banques menant des activités aux États-Unis, devraient connaître une légère augmentation de leurs recettes, tandis que les secteurs dont les coûts sont largement associés aux biens importés pourraient avoir de la difficulté avant de comptabiliser des activités de couverture.

Monsieur le président, je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui. J'ai hâte de répondre aux questions des membres du comité.

Le président: Merci, monsieur Porter.

Royce Mendes, directeur et économiste principal, Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC): Bonjour, monsieur le président, et bonjour, honorables sénateurs. J'aimerais vous remercier de m'avoir invité à vous communiquer mon analyse des causes et des effets de la baisse récente du taux de change du dollar canadien.

Permettez-moi de commencer mon exposé en formulant deux brefs commentaires qui résument mon point de vue. Tout d'abord, la cause de la baisse du taux de change est en grande partie attribuable à la chute des prix mondiaux du pétrole. Même si on a également montré du doigt la divergence en matière de politique monétaire entre le Canada et les États-Unis pour expliquer la dépréciation, cet écart a seulement été provoqué en raison de la chute des prix du pétrole.

Deuxièmement, le seul bref commentaire que je peux formuler au sujet des effets du déclin du dollar canadien, c'est que je ne peux tout simplement pas me contenter de formuler un bref commentaire. Les effets seront complexes et étendus. Par conséquent, je passerai la plus grande partie de mon exposé à parler de ces dynamiques.

Soyons clairs: même si la chute des prix du pétrole engendre des répercussions négatives sur l'économie canadienne, la baisse du taux de change atténuera ces répercussions. En effet, elle servira à amortir le choc et elle encouragera les rajustements nécessaires au sein de l'économie. Le faible dollar canadien provoquera le déplacement de la main- d'œuvre et des capitaux vers les industries qui profiteront de la baisse du taux de change. Cela dit, ce processus ne s'effectuera pas en douceur, et les gains ne seront pas distribués uniformément.

De plus, les répercussions négatives de cette dépréciation se retrouvent à l'avant-plan. La faiblesse du dollar canadien a déjà fait augmenter l'inflation d'un demi-point de pourcentage, notamment en ce qui concerne le prix des biens importés. En effet, les prix de certains aliments importés ont fait les manchettes récemment, étant donné qu'ils représentent un fardeau disproportionné pour les ménages à faible revenu.

Toutefois, il est important de se rappeler que cela fait partie du processus de rajustement. Au fil du temps, le résultat net de cette dépréciation se traduira par des effets positifs pour les Canadiens, car elle appuiera le marché du travail et augmentera la demande mondiale pour nos exportations. En effet, la dépréciation de notre devise a déjà rendu nos exportations plus concurrentielles sur la scène mondiale. Même s'il faudra plus de temps pour bâtir la capacité nécessaire pour profiter pleinement de ce nouvel environnement, les bases de cette croissance ont été jetées.

Cela dit, il faut souligner que des vents contraires extérieurs rendront ce processus de rajustement plus long que dans les cycles précédents. La faible croissance mondiale, à laquelle s'ajoute la dépréciation d'autres devises, empêche le Canada de profiter pleinement de la baisse du taux de change. De plus, même si les États-Unis ont toujours été l'un des pays qui réussissent le mieux dans l'économie mondiale, son secteur de la fabrication a souffert des répercussions engendrées par la force du dollar. Étant donné qu'une grande partie des biens fabriqués au Canada alimente les chaînes d'approvisionnement américaines, cette faiblesse s'est également fait sentir au nord de la frontière. Au fil du temps, ces vents contraires devraient diminuer, mais il est important de se rappeler que sans un dollar canadien plus faible, la situation des exportateurs de notre pays serait encore pire.

Même si on parle surtout des biens d'exportation, l'analyse menée à la CIBC laisse croire qu'on devrait se concentrer plutôt sur les services exportables du Canada. En effet, les manuels d'introduction à l'économie semblent indiquer que les services sont difficiles à exporter; comme on dit, on ne peut pas exporter une coupe de cheveux. Toutefois, les percées technologiques, combinées à la main-d'œuvre hautement qualifiée du Canada, donnent au pays l'avantage assez unique d'être en mesure d'augmenter l'exportation de ses services. Après avoir tenu compte du taux d'échange avec les États-Unis, les services offerts par les concepteurs web, les ingénieurs en aérospatiale et les architectes coûtent environ la moitié de ce qu'ils coûtent aux États-Unis. Même s'il s'agit de cas extrêmes, ils illustrent bien à quel point les services canadiens sont devenus concurrentiels sur la scène mondiale. Par conséquent, on ne devrait pas se fier uniquement à la capacité de rebâtir le secteur des biens échangeables pour mesurer les effets du faible dollar canadien.

En résumé, les effets négatifs des prix du pétrole et la baisse du dollar canadien qu'ils ont provoquée ont lancé un processus de rajustement qui prendra du temps à s'intégrer à l'économie. Au Canada, les secteurs de croissance se déplacent entre les industries et les différentes régions. Même s'il s'agit d'une remontée difficile, c'est un processus nécessaire, étant donné le choc subi par l'économie.

C'est ce qui conclut mon exposé. J'ai hâte de participer à la discussion.

Le président: Merci, monsieur Mendes.

Jimmy Jean, économiste principal, Mouvement Desjardins: Je livrerai mon exposé en français, mais je serai en mesure de répondre aux questions dans les deux langues.

[Français]

C'est un plaisir et un honneur de prendre part à la conversation d'aujourd'hui au sujet de la dépréciation du dollar canadien. Évidemment, c'est un sujet qui est au cœur du débat économique, étant donné les implications d'un dollar faible sur une variété de paramètres macroéconomiques, que ce soit l'inflation, que ce soit les dynamiques régionales de croissance au pays, les dynamiques sectorielles ou le pouvoir d'achat global du consommateur canadien. Bon nombre de ces dynamiques ont été exposées par mes collègues. Nous aurons probablement l'occasion d'apporter des précisions, mais, pour l'instant, je ferai les remarques préliminaires suivantes.

D'emblée, il est très difficile de discuter du dollar canadien sans parler du pétrole. On parle en ce moment d'un choc de l'offre du pétrole, mais comment en est-on arrivé là? Il y a une variété de facteurs qu'on pourrait énumérer. J'aimerais attirer votre attention, entre autres, sur l'impact des politiques monétaires accommodantes et prolongées à l'échelle mondiale, qui ont contribué (et contribuent toujours, d'ailleurs) à réduire le coût du crédit et à stimuler la demande de capital. Lorsqu'on jumelle ce contexte aux gains importants de productivité du secteur énergétique, particulièrement aux États-Unis, et aussi à ce que plusieurs ont nommé — à tort ou à raison — le «supercycle» des prix des matières premières, on en vient petit à petit à placer les morceaux de ce qui commence à ressembler, du moins dans le rétroviseur, à une bulle spéculative, caractérisée par les symptômes classiques de surestimation des perspectives de profitabilité, de sous-estimation des risques et, par conséquent, par un certain niveau de surinvestissement. Pour faire le lien avec les politiques monétaires, l'ironie du sort, c'est que les politiques qui ont été appliquées en réponse même aux épisodes précédents de bulle pourraient bien avoir semé les germes du contexte actuel.

À partir de là, pour en arriver à notre question du dollar canadien, c'est tout simplement une histoire de corrélation. Historiquement, le pétrole et les différentiels de taux nord-américains expliquent l'essentiel des tendances du taux de change. La dépréciation du dollar canadien ne reflète donc ni plus ni moins que le respect d'une loi presque immuable. Le pétrole dicte nos termes de l'échange et, par conséquent, les fluctuations de notre devise.

En ce qui a trait aux impacts, on les connaît assez bien. Si on se fie à l'historique, on peut affirmer qu'il y aura un certain impact à la hausse sur l'inflation, étant donné que les prix des biens importés coûtent plus cher. C'est intuitivement logique et, d'ailleurs, on l'observe déjà, comme on l'a mentionné. La particularité de notre situation économique, c'est que la grande majorité de nos agents économiques sont aussi des consommateurs nets de produits énergétiques, les mêmes produits qui sont à la source de la dépréciation du dollar. Ainsi, il faut aussi prendre acte du fait que ce qu'on perd actuellement en pouvoir d'achat, par exemple, pour le prix des aliments, on le récupère sous forme de coûts énergétiques qui sont plus faibles. Durant les trois premiers trimestres de 2015, les ménages ont dépensé 6,7 milliards de moins en combustible comparativement à la même période en 2014. Cela représente une économie de 470$ par ménage, ce qui est loin d'être négligeable.

C'est là qu'on en vient à la question des divergences régionales. Dans les provinces productrices de pétrole, les revenus dépendent beaucoup du secteur pétrolier et, à l'heure actuelle, le taux de chômage est en hausse. Les effets positifs de la baisse des prix des combustibles, de la dépréciation du dollar, sont bien maigres lorsqu'on les juxtapose aux vents contraires suscités par les ajustements dans l'industrie du pétrole. En revanche, dans d'autres provinces, comme le Québec, il y a clairement des effets positifs. Selon les résultats de nos travaux de recherche, le Québec est parmi les provinces le mieux situées pour tirer parti de la dépréciation du dollar, étant donné la structure de ses exportations. En ce moment, ce qu'on observe, c'est qu'il y a une réponse positive des exportations du Québec, mais il existe actuellement des contraintes de capacité qui font en sorte que les exportations dans la période très récente ont connu un certain plafonnement. Cependant, il s'est tout de même créé une dizaine de milliers d'emplois dans le secteur manufacturier au Québec de décembre 2014 à décembre 2015. En outre, si l'optimisme qu'on sent revenir petit à petit parvenait à se maintenir, on pourrait, à terme, envisager une renaissance des investissements.

D'ailleurs, ce n'est pas seulement le Québec qui est en cause. En fait, 2015 a été la meilleure année pour la création d'emplois dans le secteur manufacturier canadien depuis 2012, car 37 400 emplois ont été créés. Il s'agit d'un phénomène plutôt rare. Depuis 2000, on compte seulement cinq années où la variation nette de l'emploi dans le secteur de la fabrication a été positive. C'est un point qu'il faut prendre en considération. Divers sondages et enquêtes réalisés auprès des fabricants confirment que cette tendance n'est pas le fruit du hasard. À titre d'exemple, dans une enquête publiée le mois dernier par la Banque du Canada sur les perspectives des entreprises, on affirme ce qui suit:

Les exportateurs n'ayant pas de liens avec la production de matières premières anticipent une progression des ventes beaucoup plus forte que les autres entreprises.

On discerne bien l'ambivalence en termes d'impacts. Qu'il s'agisse d'inflation, de régions ou d'industries, il y a du pour et du contre, des gagnants et des perdants. La grande incertitude — que l'on est forcé d'admettre — porte sur le degré des différents impacts et sur l'horizon de temps sur lesquels ces effets se manifesteront. C'est un exercice prévisionnel qui est d'autant plus difficile qu'il demande de poser un grand nombre d'hypothèses sur des paramètres clés et que de légers changements d'hypothèses peuvent fondamentalement altérer les conclusions. Même ici, chez Desjardins, on maintient un optimisme relativement prudent sur les impacts ultimes de la dépréciation du dollar canadien. On reconnaît que les fourchettes de fluctuations, de risques avec lesquels on doit actuellement composer sont plus larges qu'à l'habitude.

En fin de compte, et je conclurai là-dessus, il est naturel de s'interroger sur la façon dont on en est arrivé là avec le dollar canadien. Le Canada avait un actif d'une grande valeur qu'il a exploité de façon tout à fait rationnelle selon les renseignements dont il disposait durant la période du boum des matières premières. Cependant, à mon avis, la situation mondiale, les caractéristiques cycliques et géopolitiques inhérentes au prix du pétrole, ainsi que l'effet des politiques administrées pour pallier la crise de 2008-2009 sont parmi les facteurs qui expliquent l'instabilité actuelle du prix du pétrole et, par conséquent, celle du dollar canadien. Cela étant dit, la baisse du dollar canadien pourrait bien marquer un tournant pour notre économie. Elle survient au moment même où notre économie a un criant besoin de rééquilibre dans ses sources de croissance. La devise plus faible devrait, de plusieurs façons, faciliter cette réorientation, mais les résultats seront vraisemblablement mesurés en termes d'années, et non pas de trimestres. Je vous remercie.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Jean.

Dawn Desjardins, vice-présidente et économiste en chef déléguée, Banque Royale du Canada: Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui.

Depuis le début de notre siècle, certaines tendances précises se manifestent certainement en ce qui concerne la direction prise par le dollar canadien. Il a atteint un creux historique en 2002 et ensuite, il a connu une remontée durable qui a été interrompue par la grande récession. Plus tard, la devise est revenue vers la parité jusqu'à la fin de 2013, année où des signes de détérioration sont apparus. Mais les choses ont vraiment empiré à partir de juin 2014, car depuis, le dollar canadien a perdu environ 25 p. 100 de sa valeur comparativement au dollar américain. Ce n'est pas une coïncidence si c'est exactement à ce moment-là que les prix du pétrole ont commencé à chuter. Comme nous le savons, les prix du pétrole ont récemment atteint un sommet de 108$ en juin 2014 et aujourd'hui, ces prix sont d'environ 32$ le baril. Pendant la même période, la devise est passée de 92 cents au taux d'aujourd'hui qui est, comme vous l'avez dit, d'environ 72,5 cents américains.

Dans l'ensemble, nous examinons donc la relation entre le dollar canadien et les prix du pétrole, et je pense qu'à l'aide d'un simple tableau, on peut démontrer qu'en fait, cette relation est très étroite. Il s'ensuit que lorsqu'il s'agit de l'avenir du dollar canadien, nous devons manifestement tenir compte des facteurs qui influent sur les prix du pétrole et de ce qu'ils pourraient signifier pour notre devise.

À la Banque Royale du Canada, on a tendance à croire que les prix du pétrole commenceront à augmenter dans la deuxième moitié de l'année 2016. La croissance de la demande mondiale se poursuivra au rythme d'environ 1 p. 100 par année, mais nous croyons que cet approvisionnement excédentaire continu sur le marché diminuera au fil du temps. En fait, l'offre et la demande s'aligneront davantage. Cela contribuera à faire augmenter les prix du pétrole, et nous prévoyons qu'ils atteindront environ 50$ le baril à la fin de cette année, ce qui représente une remontée assez importante. À notre avis, ce facteur favorisera l'appréciation de notre devise pendant l'année en cours.

Il faut donc se demander pourquoi les prix du pétrole engendrent des effets aussi disproportionnés sur la devise canadienne. Manifestement, en tant que grand exportateur de produits énergétiques, qui représentent environ 22 p. 100 du volume des exportations canadiennes et plus récemment, environ 12 p. 100 de leur valeur en raison de la chute abrupte des prix, les revenus touchés par notre pays pour cette production ont diminué de façon importante. Les profits ont grandement diminué et manifestement, cela met de la pression sur les recettes du gouvernement.

De plus, l'économie subit de fortes pressions à la baisse, car les producteurs investissent moins et ils suppriment des emplois. Donc, dans l'ensemble, nous comprenons pourquoi c'est un enjeu très important et pourquoi les investisseurs tiendront compte de la situation de l'un de nos secteurs d'exportation les plus importants pour évaluer le dollar canadien.

Je crois que la Banque du Canada parle à ce sujet d'effets défavorables sur les termes de l'échange. Le prix de nos exportations a chuté par rapport au prix de nos importations, ce qui se traduit par une baisse générale des revenus au sein de l'économie et, bien évidemment, par un ralentissement de notre croissance économique.

Pour ce qui est de la valeur de notre devise et des principaux facteurs qui la déterminent, nous utilisons, comme bien d'autres collègues qui vous en ont déjà parlé, un modèle intégrant les prix de l'énergie. Nous considérons également l'écart entre les taux d'intérêt à court terme en essayant de déterminer où devrait se situer la valeur, compte tenu des prix actuels.

Notre modèle indique donc que les trois quarts de la dépréciation du dollar canadien sont attribuables aux prix de l'énergie. Environ 14 p. 100 de la baisse est due aux prix des produits de base non énergétiques alors que les écarts entre les taux d'intérêt ne sont responsables qu'à hauteur d'environ 2 p. 100. Nous avons pu constater une variation des taux d'intérêt au Canada par rapport à ceux en vigueur aux États-Unis. En juin 2014, nous émettions des obligations de deux ans offrant un rendement supérieur de 60 points de base à celui des obligations américaines. Nous en sommes actuellement à un rendement inférieur de 30 points. Cet écart de quelque 100 points de base entre les rendements n'est donc malgré tout responsable, d'après nos calculs, que de 2 p. 100 de la dépréciation du dollar.

Il y a toutefois d'autres éléments à considérer. Nous savons en effet que la propension au risque et les perceptions envers la devise canadienne ont également un rôle à jouer, sans compter la vigueur du dollar américain qui s'est apprécié par rapport à la plupart des autres devises.

Quant à savoir ce que l'avenir nous réserve, nous croyons, comme je l'indiquais, que le cours du pétrole va repartir à la hausse et que le dollar canadien va reprendre de la valeur en conséquence. D'après notre modèle, la juste valeur du dollar canadien, avec un pétrole à quelque 31$, serait d'environ 76 cents américains. On peut donc dire qu'il y a eu récemment une réaction quelque peu excessive avec un dollar canadien chutant à 68 cents, et on peut faire le même constat à sa valeur actuelle. Nous estimons que cette valeur continuera d'augmenter pour atteindre ce juste niveau de 76 cents d'ici la fin de l'année.

Comme mes collègues vous l'ont indiqué, les effets sur l'économie canadienne se font sentir de différentes manières. À certains égards, une devise plus faible est bénéfique pour les producteurs d'énergie et d'autres biens de base au moment de la conversion en devises canadiennes de leurs revenus en dollars américains.

En outre, les exportateurs de biens autres que les produits de base profitent en quelque sorte d'un effet tampon qui protège leurs revenus. À notre avis, il faut vraiment s'attendre à une reprise des exportations du fait que les entreprises canadiennes qui vendent leurs produits aux États-Unis bénéficient bien évidemment d'une marge de manœuvre supplémentaire pour l'établissement de leurs prix qu'ils peuvent réduire en sachant qu'ils vont être gagnants de toute manière avec la conversion en dollars canadiens.

Nous estimons que cet avantage concurrentiel entraînera une augmentation de la demande pour les exportations canadiennes. Avec le temps, cela se traduira par une reprise des investissements et de l'emploi. C'est donc le bon côté de la faiblesse du dollar canadien.

L'envers de la médaille c'est, bien sûr, la hausse des prix de la machinerie et des équipements importés. Les entreprises canadiennes se procurent cette machinerie et ces équipements à l'étranger en dollars américains. Leurs coûts à cet égard ont donc grimpé. Ainsi, les prix de la machinerie et des équipements importés ont augmenté de 20 p. 100 par rapport à l'an dernier. C'est un élément dissuasif très puissant dans les décisions d'investissement de certaines entreprises.

J'ai récemment rendu visite à un client qui m'a glissé un mot au sujet de la machinerie achetée par l'entreprise. Il s'agissait de machinerie lourde, et on m'a parlé d'une seule pièce d'équipement que l'on avait payé 1 million de dollars trois ans auparavant. Il leur en coûte aujourd'hui 1,4 million de dollars pour la même pièce d'équipement, sans pour autant que leur productivité s'en trouve augmentée. Il est difficile pour ces entreprises de faire payer ces hausses de coûts à leurs clients. C'est donc une situation qui ne va pas manquer de devenir problématique au sein de cette chaîne d'investissement.

Dans son plus récent rapport d'enquête, la Banque du Canada indiquait que la hausse des prix de la machinerie et des autres intrants importés allait inciter certaines entreprises canadiennes à faire affaire avec des fournisseurs canadiens, plutôt qu'étrangers. Quelques entreprises ont également fait part de leur intention de rapatrier leur production au Canada. C'est donc une autre manifestation favorable de la conjoncture actuelle.

Enfin, l'impact sur les prix à la consommation est un aspect qui a déjà été abordé. Nous avons notamment constaté une augmentation du prix des fruits et légumes, des meubles, des électroménagers et des livres. C'est le pouvoir d'achat du consommateur canadien qui en souffre. En revanche, la baisse des prix de l'énergie fait en sorte que nos visites à la station-service sont moins coûteuses.

Dans une perspective nette, la Banque du Canada serait d'avis que le degré de transmission des fluctuations du taux de change aux prix à la consommation a fait grimper notre taux d'inflation d'un point de pourcentage. Si nous nous dirigeons vers une nouvelle appréciation du dollar canadien, nous croyons que ces pressions vont s'atténuer au fil du temps, ce qui devrait être bénéfique pour le consommateur dans le courant de 2016.

Le président: Merci, madame Desjardins

Jean-François Perrault, premier vice-président et économiste en chef, Banque Scotia: Je suis très heureux de pouvoir être ici afin d'aider le comité à y voir plus clair quant aux impacts du dollar canadien sur l'économie. Comme vous le savez sans doute déjà — et certains de vos témoins d'hier vous l'ont probablement rappelé —, la valeur du dollar canadien est la donnée la plus importante au sein de notre économie. C'est un amortisseur dont la valeur influe grandement sur toutes les facettes de nos existences. C'est cette valeur qui détermine en partie si nos exportations peuvent soutenir la concurrence, et qui a par ailleurs une forte incidence sur le prix de nos importations. Ce faisant, le dollar a un impact sur la valeur de nos entreprises, sur la santé financière de nos ménages et, en fin de compte, sur notre niveau de vie.

Il est tentant d'essayer d'évaluer l'impact de notre dollar indépendamment des autres éléments de notre conjoncture économique et financière. Ce serait une erreur. Le dollar évolue en fait parallèlement aux grands courants économiques et financiers; sa valeur fluctue pour aider l'économie à s'adapter à ces courants. C'est la raison pour laquelle nous parlons d'un rôle d'amortisseur. Ces forces sous-jacentes ont des répercussions sur l'économie canadienne et sur notre devise, ce qui fait qu'il est parfois difficile d'établir la distinction entre l'impact des facteurs économiques qui influent sur notre dollar et l'impact de notre devise elle-même.

[Français]

Lorsqu'on se pose des questions sur l'impact du dollar sur l'économie canadienne, on se demande quels sont les facteurs qui agissent sur notre devise et quels impacts ils peuvent avoir sur nous. De façon générale, le dollar n'a qu'un impact indépendant sur l'économie lorsqu'il dévie de façon marquée de sa valeur fondamentale.

[Traduction]

On vous l'a déjà répété à maintes reprises, mais il y a trois facteurs principaux qui font fluctuer la valeur de notre dollar: les prix des produits de base, dans le secteur énergétique comme ailleurs; les écarts entre les taux d'intérêt; et, à plus long terme, les écarts de productivité. L'importance relative de ces facteurs évolue au fil des ans. Si l'on ajoute à l'équation l'humeur des marchés et la propension au risque, on peut comprendre à quel point les fluctuations du dollar peuvent parfois être difficiles à expliquer. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous nous avez tous convoqués ici.

Quoi qu'il en soit, la valeur du dollar est généralement déterminée par les facteurs fondamentaux que je viens d'énoncer. Nous avons pu noter une corrélation étroite entre les fluctuations du dollar et le cours du pétrole, mais aussi le prix d'autres produits de base d'une manière plus générale. En outre, l'écart entre les perspectives de croissance et la politique monétaire des États-Unis et celles de la plupart des autres pays du monde a incité les investisseurs à choisir les actifs en dollars américains, ce qui a causé une dépréciation du dollar canadien et des autres devises. Il arrive que cet effet soit amplifié par une humeur des marchés qui varie en fonction du niveau de risque, comme on a pu le constater récemment avec ce qui s'est produit en Chine.

Le dollar canadien est perçu comme étant une devise tributaire des produits de base, mais semble avoir été plus affecté que les autres devises du même genre. En toute franchise, on se demande un peu pourquoi. À titre d'exemple, notre devise s'est dépréciée par rapport au dollar australien, qui est tout aussi dépendant des produits de base et, dans les faits, davantage exposé à la Chine que le nôtre. Les positions à découvert par rapport à notre devise étaient environ quatre fois plus importantes que celles touchant le dollar australien, après ajustement pour conversion sur le marché des changes.

[Français]

Les raisons qui motivent ces sentiments négatifs ne sont pas claires. Il est évident, par contre, que ces négativités se renversent rapidement. De son creux de 0,68$ il y a deux semaines, notre devise s'est appréciée d'environ 7 p. 100 à environ 0,73$ ce matin. Bien qu'il demeure volatil, le prix du baril de pétrole est environ le même qu'il y a deux semaines. Un élément qui a joué en faveur du dollar canadien est lié, de toute évidence, aux attentes révisées quant à l'évolution des politiques monétaires canadiennes et américaines. Il est trop tôt pour le confirmer, mais ces mouvements rapides semblent suggérer que notre dollar était en dessous de ce que l'on pourrait considérer comme valeur fondamentale.

[Traduction]

Quel avenir envisageons-nous pour le dollar? Bien évidemment, tout dépend de l'évolution de l'économie mondiale et du prix des produits de base ainsi que, dans une certaine mesure, de l'ampleur des crises qui vont nous toucher, un élément forcément impondérable. D'après nous, le dollar devrait demeurer à peu près à son niveau actuel pendant le reste de l'année et s'apprécier jusqu'à 79 cents d'ici la fin de l'an prochain. Il est en effet prévu que le cours des produits de base demeurera plutôt stable cette année avant d'augmenter légèrement l'an prochain. Selon nous, un important train de mesures de stimulation financière fera en sorte que l'assouplissement monétaire ne sera plus nécessaire au Canada. La prochaine action de la Banque du Canada devrait être une hausse des taux d'intérêt, mais ce ne sera pas avant le milieu de 2017. Parallèlement à une reprise de l'économie mondiale à compter de la mi-2016, tous ces facteurs entraîneront une appréciation du dollar canadien. En fait, nous pouvons déjà en constater les effets.

En me limitant à une perspective assez générale, j'aimerais vous parler brièvement des impacts économiques de la valeur du dollar. Les fluctuations du dollar font des gagnants et des perdants. Il s'agit après tout d'un prix relatif, ce qui en incite certains à craindre les guerres de devises. D'une manière générale, une devise plus faible se traduit par un niveau de vie inférieur pour les Canadiens. Parmi les répercussions évidentes d'un dollar déprécié, notons l'augmentation du coût des produits importés, notamment dans le secteur alimentaire, la hausse de l'inflation et le fait qu'il devient plus coûteux de voyager à l'étranger. Ce ne sont là que quelques exemples, car les impacts ressentis sont beaucoup plus profonds. Ainsi, largement plus de 60 p. 100 de la machinerie et des équipements utilisés par les entreprises canadiennes sont importés. Plus notre dollar est faible, plus ces investissements sont coûteux. Compte tenu de l'importance économique des investissements consentis par les entreprises et des vents contraires auxquels celles-ci sont exposées à l'échelle nationale et internationale, une augmentation des coûts des biens d'équipement est un véritable frein pour l'activité économique. Cela étant dit, la faiblesse du dollar est une bénédiction pour les exportateurs, et nous constatons la vigueur des exportations dans les secteurs non liés aux ressources malgré le coût plus élevé des investissements.

C'est aussi une excellente nouvelle pour l'industrie du voyage au Canada, tout comme, chose un peu étonnante, pour les marchés immobiliers, semblerait-il. Le prix moyen en dollars américains d'une maison au Canada est de près de 6 p. 100 inférieur à ce qu'il était l'an passé, alors qu'il est de presque 12 p. 100 supérieur en dollars canadiens. Nous parlions des impacts favorables de la sorte en indiquant que le dollar joue un rôle d'amortisseur. Il absorbe en effet une partie des répercussions négatives pour l'économie. L'ampleur de l'impact de la valeur du dollar sur l'économie dépend en grande partie de la durée de son maintien à un niveau donné. Une forte proportion des grandes entreprises ayant des activités à l'étranger prennent des mesures de couverture à l'égard de leur exposition à une devise étrangère de telle sorte que les variations à court terme de celle-ci n'ont qu'un impact modéré sur leurs plans financiers. Quand les mesures de couverture perdent de leur effet, les répercussions financières de la dépréciation du dollar commencent à se faire sentir. Les petites entreprises n'ont pas toujours la capacité de se protéger contre les risques associés aux devises étrangères et sont donc, bien évidemment, davantage touchées par les fluctuations du dollar.

Lorsque la valeur du dollar est faible ou élevée pendant une longue période, il y a aussi des impacts sur les décisions des entreprises pour l'établissement des prix. Les entreprises ne vont pas nécessairement faire payer à leur clientèle, comme les ménages, les effets des fluctuations à court terme, mais vont en arriver à prendre une telle décision si la variation est de plus longue durée. C'est un peu ce qui explique la hausse si marquée du prix des aliments au Canada. Il peut y avoir un impact sur la politique monétaire dans la mesure où ce transfert a un effet sur l'inflation et sur les projections en la matière.

[Français]

Sur une période plus longue, une devise faible réduit les pressions concurrentielles et permet aux firmes moins compétitives de demeurer profitables. Il s'agit évidemment d'un enjeu politique et économique important.

[Traduction]

Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à toutes vos questions.

Le président: Merci, monsieur Perrault.

Derek Burleton, vice-président et économiste en chef adjoint, Groupe financier Banque TD: Je suis heureux d'être des vôtres aujourd'hui pour discuter de ce sujet extrêmement important. Je ne peux pas m'empêcher de constater que l'histoire se répète. Nous avons eu droit à un débat semblable au Canada dans les années 1990 alors que la valeur du dollar a chuté des 90 cents aux 80, puis aux 70, pour finir dans les 60 cents. À l'époque, certains soutenaient qu'il se rendrait jusqu'à 50 cents. J'ai entendu récemment une projection à 59 cents, mais je ne peux pas dire que ce soit un point de vue très répandu. On commence tout de même à nous servir un peu la même rengaine. Allons-nous bientôt entamer des discussions quant à la pertinence d'arrimer notre taux de change à celui des États-Unis?

Nous n'en sommes pas encore là, mais cela fait partie des choses que nous avons pu entendre dans les années 1990. J'ai d'ailleurs fait une petite recherche pour retracer les éléments qui ont été soulevés à l'époque. On avait dressé une liste des facteurs à l'origine de la dépréciation du dollar canadien, tous des éléments négatifs. Il y en avait une dizaine. Nous en avons déjà entendu quelques-uns, mais il y avait aussi des facteurs plus structurels comme les écarts touchant la croissance de la productivité, les régimes fiscaux et les politiques financières du gouvernement. Ce sont autant de facteurs structurels essentiels à la croissance à long terme. Vous avez également parlé des prix des produits de base qui étaient aussi un élément déterminant à l'époque.

Cette fois-ci, on examine le portrait d'ensemble en comparant le Canada aux États-Unis et à bon nombre de ses concurrents. Les gouvernements ont multiplié les actions pour rectifier le tir, ou tout au moins améliorer la situation, à l'égard d'une grande partie de ces enjeux. Je dirais d'ailleurs que la position fiscale du gouvernement fédéral n'est aucunement responsable de la dépréciation du dollar. Il n'y a pas de problème du point de vue des niveaux d'endettement qui sont faibles, et notre situation fiscale est bien meilleure qu'auparavant, surtout pour les entreprises. Voilà qui nous ramène à l'élément qui a été soulevé à répétition: c'est une affaire de cours du pétrole. Le Canada en souffre beaucoup. Le gouverneur de la Banque du Canada nous a dit que la situation exige un ajustement sur plusieurs années. Le dollar canadien est un amortisseur qui facilite la transition vers une croissance davantage axée sur les exportations que sur le marché intérieur — une conversion nécessaire pour notre économie. Dans cette perspective, c'est une bonne chose.

Parmi les autres facteurs déterminants dans les années 1990, il faut noter une importante sortie de capitaux attribuable aux investisseurs étrangers. D'après les données mensuelles à notre disposition, je ne pense pas que cela soit vraiment problématique à ce moment-ci. Je dirais toutefois que le phénomène a pris de l'ampleur au cours des derniers mois. La demande de titres en dollars canadiens par des investisseurs étrangers a diminué, mais on ne peut pas parler d'une fuite en règle. La demande de titres du gouvernement et de titres de sociétés est encore forte, même si elle s'éloigne des sommets déjà atteints.

Parlons maintenant des perspectives d'avenir. Dans la mesure où le Canada ne se retrouve pas en pleine crise structurelle pouvant miner sa capacité concurrentielle — même s'il y a bien quelques problèmes structurels associés à la transition visant à nous affranchir de la dépendance au secteur des ressources —, j'ai bon espoir que nous verrons le dollar canadien se stabiliser.

Encore là, c'est d'abord une question de cours du pétrole et je pense que la plupart d'entre nous sommes d'avis que les prix ne vont pas chuter indéfiniment, mais qu'il y a plutôt des perspectives de reprise. C'est un changement qui devrait être bénéfique pour le dollar canadien et qui va également atténuer les inquiétudes quant à l'écart cyclique qui touche principalement le rendement de l'économie canadienne par rapport à celle des États-Unis, un élément clé à mon avis.

À l'instar de mes collègues ici présents, je crois que la valeur du dollar canadien pourra se stabiliser, voire augmenter légèrement, d'ici 6 à 12 mois.

Pour ce qui est des effets ressentis, je ne vais pas en dresser la liste complète, mais il y a deux des répercussions que j'observe qui sont plutôt positives. Nous avons entendu parler des effets négatifs à court terme. Certains peuvent préconiser un dollar plus faible, mais on ne veut pas le voir partir en chute libre, car cela mine la confiance tout en créant une plus grande incertitude. Quoi qu'il en soit, les effets bénéfiques vont se faire sentir progressivement à compter de l'année qui vient.

En fait, le secteur manufacturier est aussi un aspect important à considérer. Je crois que le délai de réaction est d'environ six trimestres. Nous voyons encore se manifester les avantages d'une devise plus concurrentielle. Cela étant dit, à la lumière des recherches que nous avons menées, je suis un peu moins optimiste que je l'ai déjà été. M. Mendes a parlé des enjeux structurels avec lesquels doit composer le secteur manufacturier, notamment quant au manque de capacité et aux problèmes liés à la chaîne d'approvisionnement en raison d'un secteur en difficulté aux États-Unis. C'est ainsi que les répercussions favorables vont être freinées. Nous avons en outre été à même de constater que les composantes du secteur manufacturier les plus touchées par un dollar faible sont généralement celles de plus petite taille comme le caoutchouc, le plastique ou le bois d'œuvre, plutôt que les grands secteurs comme celui de l'automobile. Ces composantes ont leur importance, mais ne représentent que 20 ou 25 p. 100 de l'ensemble du secteur manufacturier. Reste quand même qu'il y a amélioration à ce chapitre.

Quand il est question de commerce, on pense généralement à celui des marchandises, mais que dire de celui des services? C'est un autre secteur qui ressent des effets favorables. Ainsi, le secteur touristique contribue discrètement à la relance de notre économie. Cet apport se manifeste sur deux plans. Non seulement les Américains reviennent-ils finalement au Canada, ce qui nous permet d'anticiper au cours de la prochaine année une hausse de leurs dépenses chez nous à hauteur de 1 à 2 milliards de dollars par rapport aux niveaux de 2014, mais nous savons également que les Canadiens seront moins nombreux à se rendre aux États-Unis, et qu'une partie des sommes ainsi économisées seront dépensées au Canada, ce qui devrait avoir selon moi un effet de stimulation encore plus marqué. Si l'on tient compte du simple volume des sommes dépensées, l'incidence du grand nombre de Canadiens qui renoncent à se rendre aux États- Unis se fera ressentir beaucoup plus rapidement que celle du retour des Américains chez nous. Ce n'est pas du tout le même ordre de grandeur. L'effet combiné de ces deux facteurs positifs va sans doute stimuler l'économie canadienne à hauteur de 4 à 5 milliards de dollars. Le portrait d'ensemble ne va pas s'en trouver bouleversé, mais ce sera assurément un sérieux coup de pouce pour une économie qui a grand besoin de croissance.

Je vais conclure ainsi mon allocution et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Je suis heureux que le débat ne porte pas sur la pertinence d'arrimer notre taux de change à celui des États-Unis, car je ne pense pas que cette solution nous serait profitable, compte tenu de nos structures économiques différentes. Je vais m'arrêter là. Je vous remercie.

Le président: Ce n'est pas comme si nous n'avions jamais discuté de cette possibilité.

M. Burleton: Vous en avez peut-être discuté, mais ce n'est pas un point de vue répandu sur les grandes tribunes.

Le président: Tout à fait.

Chers collègues, nous accueillons aujourd'hui un excellent groupe de témoins, et nous devons terminer notre séance à 12 h 30. Essayons donc de profiter au mieux de toute cette expertise en leur permettant de nous transmettre autant d'information que possible. Je vous invite à leur poser des questions concises pour leur laisser un maximum de temps de parole.

Je vais commencer par la première intervenante figurant sur ma liste, la sénatrice Bellemare.

[Français]

La sénatrice Bellemare: Merci, monsieur le président. Ma question est brève et elle s'adresse à vous tous. Chacun en a parlé à sa façon, mais je suis très préoccupée par l'adaptation de l'économie canadienne à la nouvelle réalité d'un dollar plus faible que la parité.

Votre message était assez clair quant au fait que la valeur du dollar canadien augmentera, mais qu'on ne s'attend pas à ce qu'elle soit plus élevée que le dollar américain ou à parité au cours des prochaines années. Le gouverneur Poloz nous annonce même qu'il faudra structurer notre économie.

Lorsqu'on examine cette réalité d'une province à l'autre, on s'aperçoit que, malgré le fait que le Québec a bien tiré son épingle du jeu, les provinces maritimes, selon des données qui datent de 1999, ont des balances courantes et exportent davantage qu'elles n'importent, ce qui donne des taux de croissance négatifs en termes d'exportations.

Hier, au comité, des représentants de la Banque du Canada et d'Exportation et développement Canada ont aussi fait allusion aux difficultés d'adaptation. En particulier, M. Hall, vice-président et économiste en chef à Exportation et développement Canada, a répondu à une question du sénateur Tannas. Il nous a dit des choses intéressantes, comme le fait que l'ajustement était compliqué.

Tout le monde disait qu'avec la baisse du dollar canadien, les gens pourraient acheter de la machinerie, mais 60 p. 100 de la machinerie est importée. Puis, quand le dollar canadien était élevé, on n'achetait pas de machinerie, on gardait des liquidités.

Je vais lire la réponse de M. Hall, afin de préciser ma question:

[Traduction]

Pour répondre à votre question sur les opérations de couverture, je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons toujours pas observé les effets positifs de la faiblesse du dollar sur le marché, parce que les contrats, les fonds de couverture et les divers instruments que les chaînes d'approvisionnement mondiales juste à temps doivent utiliser pour maintenir la stabilité confèrent une rigidité supplémentaire au marché, qui ne permet pas de tirer pleinement avantage de la faiblesse de la devise...

[Français]

Alors, voici ma question: croyez-vous que la financiarisation de l'économie a permis ou a empêché à l'économie réelle de s'adapter au Canada? On constate que les choses ne vont pas si mal, mais qu'elles pourraient aller beaucoup mieux, en particulier dans certaines provinces. Le développement économique n'est pas égal, et on dirait que l'économie réelle peine à augmenter sa productivité et à s'ajuster à la concurrence mondiale. En tant qu'institutions financières, quel est votre rôle dans ce dossier?

[Traduction]

M. Mendes: Je répondrai à deux de ces excellentes questions et je laisserai le soin à mes collègues de répondre aux autres.

Les opérations de couverture, j'en conviens, pourraient retarder certains des effets positifs et ralentir en partie le rééquilibrage qui survient actuellement au Canada, mais les opérations de couverture offrent aux entreprises plus de certitude relativement à leurs sources de revenus et à leurs coûts, ce qui, en fait, permet leur exploitation plus efficiente. Il conviendrait peut-être de dire que, dans ce cas, c'était peut-être négatif, mais, dans l'ensemble, la perspective à long terme est nettement positive pour les entreprises.

Sur votre observation ou votre autre question sur l'achat de machinerie, plus chère quand le dollar canadien se déprécie, j'ai une précision peut-être utile. Les entreprises qui doivent acheter de la machinerie aux États-Unis et qui, en même temps, exportent leurs produits aux États-Unis concurrencent des entreprises américaines ayant le même besoin de machinerie et les mêmes revenus en dollars américains. En fait, donc, leur compétitivité n'en souffre pas nécessairement, parce que l'entreprise américaine et l'entreprise canadienne, payées en dollars américains doivent acheter la même machinerie. La situation n'est donc pas aussi mauvaise qu'à première vue.

[Français]

M. Jean: Mon commentaire est que cela rejoint un peu ce que M. Mendes vient d'expliquer au sujet du coût de l'investissement. En fait, si on est exposé à l'étranger, en ce moment on subit une inflation positive des revenus. On parle ici d'inflation des coûts du capital en raison de la devise, mais si on a cette même inflation qui agit sur le revenu, on a alors une couverture parfaite dans un monde idéal, et cela n'a pas tellement d'impact.

Nous sommes concurrentiels sur le marché américain, et ce n'est pas tellement un facteur négatif. Tout n'est pas parfait, cependant. Évidemment, certaines entreprises ont des coûts en capital à l'étranger, qui subissent cette inflation et qui n'ont pas cette inflation dans leurs revenus. Cela signifie qu'il y a des entreprises qui sont orientées à l'échelle intérieure domestique.

À ce moment-là, il y a évidemment un impact très négatif. Comment peut-on y remédier? Il y a une façon de le faire, c'est de générer cette inflation, c'est-à-dire d'augmenter les prix tout simplement. Dans certains secteurs, on voit des entreprises transformer ces coûts plus élevés en prix plus élevés, mais ce ne sont pas tous les secteurs qui ont la capacité de le faire.

Certains secteurs ont effectivement très peu de capacité d'augmenter les prix pour pallier des coûts plus élevés. Dans le cas de l'investissement, cela a l'effet d'une taxe sur le capital qui peut freiner les investissements.

On ne peut pas mettre toutes les entreprises canadiennes dans le même panier. Certaines entreprises seront touchées très positivement, d'autres subiront cet impact. Dans les travaux que nous faisons pour le Québec, nous avons déterminé qu'un grand nombre d'entreprises bénéficient de cette dépréciation à l'heure actuelle, et qu'à un moment donné, du capital devrait être déployé.

M. Perrault: J'aurais quelques observations supplémentaires à ajouter. Évidemment, les activités de couverture, comme certains d'entre vous l'ont indiqué, représentent un frein à l'ajustement. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une politique d'assurance. Bien que cela puisse avoir des effets négatifs, d'une certaine perspective en ce moment, cela a aussi des effets positifs, comme certains l'ont mentionné, que de garantir un flux de paiement strictement à une certaine valeur de la devise. Lorsque cette assurance a été contractée, elle protégeait à la hausse ou à la baisse. Donc, la firme a un avantage important. Les entreprises le font, car cela leur procure un avantage. Il s'avère que, dans ces cas-ci, certaines y ont perdu un peu, mais, fondamentalement, c'est bien pour elles.

Ce qu'on observe également, du moins chez nous, c'est que les firmes se protègent ou achètent de la couverture au taux actuel. Puisqu'on anticipe une augmentation du dollar canadien, ces firmes ont pu se couvrir et acheter une couverture de 0,68$ à 0,72$, ce qui leur permettra de faire plus d'argent que si le dollar s'apprécie.

L'ajustement est un processus complexe, comme certains l'ont mentionné. Le gouverneur de la banque en a parlé souvent. Il s'agit d'un processus qui est encore plus complexe étant donné la conjoncture globale. On sait que les coûts de financement sont très faibles pour les entreprises. Elles ont beaucoup d'argent en général et sont profitables. Elles ont beaucoup d'argent en banque et elles n'investissent pas tant que cela. Ce n'est pas nécessairement une question de coûts financiers qui agissent comme frein à l'investissement. C'est tout simplement une inquiétude quant aux perspectives économiques, tant au Canada qu'à l'extérieur. On le voit à l'échelle globale, il y a un excès de l'épargne relative à l'investissement, parce que les entreprises sont conservatrices. Elles ont des inquiétudes relativement aux perspectives globales, et cela constitue un frein à l'investissement au niveau global. Nous avions un léger avantage au Canada, par rapport aux autres pays, dans la mesure où l'investissement était plus fort ici qu'il ne l'était ailleurs. Dans les provinces où il y a d'importants ajustements structurels à faire, comme les provinces de l'Atlantique, ces facteurs pèsent encore plus lourd.

C'est un élément partiel à la réponse, mais il est important de prendre un peu de recul et de considérer les conditions globales.

Le sénateur Massicotte: Ma question sera très courte, et je vous demanderais de formuler une réponse très courte, ce qui me permettra de poser plusieurs questions. Vous êtes tous d'accord que ce n'est pas le temps de proposer de geler notre dollar par rapport à la devise américaine. C'est hors de question. Vous êtes tous d'accord? Personne ne propose de faire autrement? Bon.

Lorsque vous faites des projections, il est facile de parler du passé. Vous parlez du passé avec certitude, comme le fait un analyste de sport ou des marchés boursiers. Lorsqu'on parle de l'avenir, c'est toujours plus difficile. Plusieurs d'entre vous ont fait des projections — Mme Desjardins, en particulier — sur le prix du pétrole, et notamment M. Porter. Quel est le pourcentage de probabilité de vos projections? Êtes-vous convaincus à 90 p. 100? Ou à 50 p. 100? J'aimerais avoir un chiffre de la part de chacun d'entre vous. Monsieur Porter?

[Traduction]

M. Porter: Je dirais que je suis convaincu à environ 30 p. 100. Un peu plus sérieusement, cela dépend tellement des hypothèses qu'on fait sur les cours pétroliers, et, bien honnêtement...

[Français]

Le sénateur Massicotte: Alors, quel est votre pourcentage?

La sénatrice Ringuette: Il a dit 30 p. 100.

Le sénateur Massicotte: Non, 30 p. 100, c'était...

[Traduction]

M. Porter: Trente pour cent; je ne plaisante pas.

M. Mendes: Je dirais que je serais très convaincu. À partir des cours du pétrole, je pourrais pronostiquer la valeur du dollar canadien. Avec une certitude supérieure à 50 p. 100, je dirais, que les cours du pétrole seront, à la fin de l'année, supérieurs à ce qu'ils sont aujourd'hui et que, en même temps, le dollar canadien sera plus fort qu'il l'était.

[Français]

Le sénateur Massicotte: Alors 50 p. 100.

M. Jean: Je vous dirais que, l'année dernière, à pareille date, nous étions confiants à 75 p. 100 que le prix du pétrole serait à 60$ aujourd'hui.

Le sénateur Massicotte: C'est le passé.

M. Jean: Je dis cela pour faire le parallèle. Aujourd'hui, le prix du pétrole est légèrement au-dessus de 30$. Donc, nous vous disons que le prix du pétrole atteindra 46$. Toutefois, peut-on être aussi confiant? Peut-on être confiant de cette prédiction à 75 p. 100 comme on l'était l'an dernier? Bien sûr que non, parce que, de toute évidence, la situation a été difficile.

Le sénateur Massicotte: Quel est votre pourcentage?

M. Jean: Si j'avais à donner un pourcentage, je dirais probablement 40 p. 100. Je pense, cependant, que plus bas sera le prix du pétrole, plus nous aurons de chances de rebondir.

Le sénateur Massicotte: Madame Desjardins?

[Traduction]

Mme Desjardins: Je dois dire que je suis assez sûre que les cours du pétrole monteront, sûre à 50 p. 100.

[Français]

Le sénateur Massicotte: Monsieur Perrault?

M. Perrault: Je me situerais dans les 50 p. 100 en ce qui concerne la probabilité d'avoir raison que le prix du pétrole augmentera d'ici un an et demi.

[Traduction]

M. Burleton: Je suis d'accord. Il y a beaucoup d'incertitudes relativement au pétrole.

Le sénateur Massicotte: Quel est votre pourcentage?

M. Burleton: Oh, eh bien, je dirais 50 p. 100.

[Français]

Le sénateur Massicotte: Si je puis me permettre une remarque, vous êtes à Ottawa, vous êtes habitués à ne pas répondre aux questions, car vous avez bien appris de nos politiciens. Lorsque vous dites 50 p. 100, vous travaillez avec une banque ou une institution financière d'importance. Vous avez un département de marchés de capitaux qui gère et spécule à coup de milliards chaque jour. Vos départements de marchés de capitaux vous écoutent-ils? Prennent-ils des risques équivalents à vos présomptions de certitude, ou est-ce simplement à des fins de consommation et de discussion avec le public?

Monsieur Porter, votre département de marchés de capitaux investit-il de façon équivalente à vos attentes? Ma question est simple, et j'aimerais une réponse simple.

[Traduction]

M. Porter: Le mien, non; il parle d'une seule voix. Je fais certainement partie de l'opinion, du consensus qui s'y établit. Sur les marchés financiers, je crois que les économistes se trompent aussi souvent qu'ils ont raison. Sur d'autres variables économiques, comme le taux de chômage ou la croissance ou l'inflation, ils obtiennent des résultats très supérieurs, mais, au fond, les marchés financiers ont déjà inclus dans leurs prix toute l'information courante. Alors, presque par définition, à partir de maintenant, tout devient surprise.

M. Mendes: Je serais d'accord avec M. Porter; il m'a enlevé les mots de la bouche. Par définition, les marchés financiers intègrent dans les prix tout ce qui est connu à ce moment-là. Alors, une grande certitude serait presque un signe de trucage. Ainsi, c'est très équitable.

[Français]

Le sénateur Massicotte: Monsieur Jean?

M. Jean: Nous sommes toujours sollicités, que ce soit par les médias ou par nos clients, pour discuter et donner nos visions sur les valeurs de la devise et des variables financières. Si notre opinion n'avait pas de valeur, nous ne serions pas sollicités autant. Ce n'est pas tant le fait d'avoir raison qui importe, mais surtout le raisonnement qui sous-tend les projections, et le fait d'être capable d'articuler les différentes dynamiques. Je vous dirais que c'est utilisé et que c'est important.

Le sénateur Massicotte: Madame Desjardins?

[Traduction]

Mme Desjardins: Je suis d'accord avec Jimmy, vu que notre opinion découle de notre meilleure évaluation des bases apparentes d'un mouvement du dollar canadien. Dans cette mesure, nos opinions sur le marché ont d'autant plus de valeur qu'elles sont divergentes, comme vous le voyez.

Je pense que, en somme, cela les valorise. Il est sûr que si les faits s'accordent à nos prévisions et que vous avez la même intuition d'après les principes de base économiques, alors cela les valorise certainement auprès de nos clients.

[Français]

Le sénateur Massicotte: Monsieur Perrault?

M. Perrault: Les prévisions que nous faisons, tant en ce qui concerne le dollar que les matières premières, sont utilisées en matière de planification fiscale et financière.

Le sénateur Massicotte: Monsieur Burleton?

[Traduction]

M. Burleton: Si les marchés à terme peuvent donner une indication, ils sont un peu moins optimistes que les prévisionnistes de l'école dominante, et c'est la même chose pour beaucoup de variables, par les temps qui courent — le taux des fonds de la Réserve fédérale américaine.

Sur les marchés, on fait certainement attention à certains des experts, mais cela ne signifie pas qu'ils auront raison et que nous aurons tort, c'est certain.

[Français]

La sénatrice Ringuette: J'ai une question simple, et peut-être que la réponse sera complexe, mais elle s'adresse à vous tous.

Depuis plusieurs années, pas une semaine ne passe sans que, dans les médias, on ne fasse état de l'endettement des ménages canadiens. Selon vous, quel sera l'impact, à court et moyen termes, de la devise canadienne sur l'endettement des ménages?

[Traduction]

M. Porter: L'effet direct ne se fera pas nécessairement sentir immédiatement. Je pense en fait que ce serait marginalement. L'un des faits survenus l'année dernière découle de la faiblesse des cours du pétrole et de celle de l'économie canadienne. À deux reprises, la Banque du Canada a réduit les taux d'intérêt, ce qui les a amenés, ces dernières semaines, à des valeurs minimales jamais vues, et, à vrai dire, cela a effectivement rendu plus abordable notre niveau d'endettement.

Pour l'avenir, en guise de solution ou d'effet sur l'économie — et cela fait partie du processus de correction dont nous parlons au sujet du dollar canadien déprécié —, je pense que nous verrons que, pour sa croissance, l'économie canadienne cessera de compter sur les dépenses des consommateurs et les mises en chantier dans le bâtiment pour s'appuyer davantage sur les exportations, en particulier, et que le dollar canadien affaibli nous aidera à franchir ce pas.

J'ai toujours essayé de réagir contre les scénarios apocalyptiques, qui voient dans l'endettement des ménages un danger évident et actuel pour l'économie. Je ne me prive jamais de signaler que les niveaux de cet endettement ne sont pas extraordinaires par rapport à ceux d'autres pays. Dans un certain nombre d'économies très prospères, l'endettement des ménages est supérieur au nôtre, par exemple en Suisse, en Norvège, aux Pays-Bas ou au Danemark. En Suède, au Royaume-Uni et en Australie, il est très semblable au nôtre. Effectivement, le nôtre est plus élevé que celui des ménages américains, mais le consommateur américain s'est réformé. Il a redécouvert la religion pendant la crise financière et abaissé sa dette à des niveaux beaucoup plus faciles à gérer. Alors le Canada ne fait pas exception par rapport au reste du monde.

Mon opinion sur l'endettement des ménages est que nous ne pouvons pas vraiment compter sur le consommateur pour continuer à animer l'économie dans les années à venir, mais je n'y vois aucun danger à court terme pour l'économie.

Le président: D'autres observations?

M. Mendes: J'en ai une seule à ce sujet. Je pense que nous comprenons que le dollar canadien affaibli touchera les consommateurs en raison de l'augmentation de l'inflation, mais, dans notre pays, l'inflation reste très faible et maîtrisée.

De plus, cela favorisera le marché du travail, ce qui est plus important, pour que les ménages puissent continuer de payer les intérêts de leur endettement élevé. Je pense que la Banque du Canada, en diminuant les taux d'intérêt aussi, appuiera le marché du travail, et c'est de là que proviendra l'aide contre cet endettement.

M. Burleton: Je pense que cette observation est importante. Nous relions souvent directement un dollar canadien faible à un pouvoir d'achat réduit des consommateurs. Toutes autres choses étant égales, c'est un facteur négatif pour le bilan des ménages.

Ce qui importe ici, ce n'est pas la baisse du dollar, mais ce qui se passe chez les facteurs d'inflation. Il faut donc examiner la situation générale. L'inflation est la clé du point de vue du pouvoir d'achat du ménage canadien. La baisse des prix de l'essence la neutralise dans une certaine mesure. Beaucoup estiment que l'effet du dollar canadien déprécié sur l'indice des prix à la consommation tendra à être de courte durée.

La sénatrice Ringuette: Et la réaction, sur le marché de l'emploi, permettra aux Canadiens de réduire cet endettement?

M. Burleton: Absolument. Dans la mesure où le dollar déprécié aide à la croissance du marché de l'emploi, cela entraîne dans ces secteurs une croissance — dont j'ai parlé en partie — et c'est vraiment la solution, lorsque le consommateur en profite.

Voilà l'important. Ce n'est pas le dollar canadien; c'est ce que ça laisse sous-entendre au sujet de l'économie sous- jacente. Dans la mesure où le dollar se déprécie parce que l'économie canadienne s'affaiblit vraiment, ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'endettement ou les finances des ménages.

Le sénateur Tannas: Je vous remercie tous d'être ici. Hier — la sénatrice Bellemare y a fait allusion un peu —, nous avons essayé d'entamer une discussion avec la Banque du Canada sur l'effet de l'humeur, qui devient plus maussade si on ajoute l'effet de la spéculation, de la vente à découvert du dollar, des opérations de couverture par des exportateurs ou des importateurs nerveux qui essaient de se protéger. Peine perdue. C'était manifestement un sujet désagréable pour la banque.

Vous en avez tous parlé ou un certain nombre d'entre vous en ont parlé. L'un de vous a mentionné que l'humeur se manifeste dans la vente à découvert du dollar canadien, qui est quatre fois plus importante que celle du dollar australien. J'en déduis, d'après vos observations, que nous avons franchi une période d'humeur négative, que le dollar a été survendu et que, peut-être, après être tombés au plus bas, nous commençons à remonter, grâce à un changement d'humeur. Si je me trompe, corrigez-moi.

Inspiré par les questions du sénateur Massicotte, je voudrais que, à partir de vos modèles ou de votre expérience, vous chiffriez l'humeur neutre et que vous disiez à quelle valeur votre modèle arriverait pour le taux de change du dollar canadien par rapport au dollar américain aujourd'hui. Commençons par M. Porter.

M. Porter: Il se trouve, par hasard, que nous venons de peaufiner notre modèle et ce qu'il nous dit, d'après le cours des marchandises, ne diffère pas beaucoup des prévisions de Desjardins. Nous arrivons à une estimation ponctuelle de 74 cents, d'après les cours du pétrole.

Je vous donne tout de suite un aperçu à plus long terme. Lorsque nous essayons d'estimer une valeur juste du dollar à long terme, dans la fourchette de 80 à 85 cents, d'après des cours plus normaux pour le pétrole, nous...

Le sénateur Tannas: Je vois, et nous l'avons vu un certain nombre d'années. Je m'intéresse seulement à l'humeur.

Donc un cours de 74 cents correspondrait à une humeur neutre. C'est toujours un rabais. Pour tous les Canadiens qui nous écoutent et qui, par patriotisme, veulent vendre aujourd'hui le dollar américain à découvert, c'est le chiffre que nous visons: 74 cents, c'est là où nous devrions nous trouver, aujourd'hui, d'après les cours du pétrole et tous vos autres facteurs. Monsieur Mendes?

M. Mendes: J'ai quelques observations. Je vous donnerai le chiffre. Il est très près de celui de M. Porter, 73 cents. Mais les économistes savent très bien que les devises sont souvent surévaluées. Je dirais que le sort récent du dollar canadien en est un exemple classique.

Le risque pour une devise surévaluée — et j'ai calculé que nous avons assisté à l'une des dépréciations les plus rapides et les plus fortes de l'histoire du dollar canadien, si l'on excepte la grande récession et quelques autres cas —, c'est que l'ampleur et la rapidité du phénomène minent la confiance du consommateur. Ce n'est même pas une humeur négative du marché, c'est la confiance du consommateur. C'est ce qui m'inquiéterait.

Les marchés ont été négatifs, j'en conviens. Dans le monde entier, on pense que les actifs canadiens devraient être bon marché. Je constate, à l'égard du prix des valeurs à revenu fixe et du cours des obligations, que la part des primes de risque dans leurs prix n'est pas fortement évaluée.

Le Canada est donc victime d'une humeur négative. Sa devise a été surévaluée. Nous revenons à un cours approprié, et c'est bon, parce que, si le mouvement s'était amplifié, nous aurions risqué d'entamer la confiance du consommateur.

Le sénateur Tannas: Bonne observation.

M. Jean: En ce qui concerne la confiance, je pense qu'elle ou l'humeur du marché ont été carrément toxiques en janvier, pas seulement au Canada, mais sur tous les marchés financiers. Le dollar canadien a beaucoup écopé, manifestement, mais pourquoi? À cause des cours du pétrole. Je pense que ses cours sont aussi survendus, vu les facteurs de base et ce que nous constatons depuis.

Le vrai problème, maintenant, est la vitesse de la chute et le sentiment d'instabilité qu'on peut rattacher à l'humeur. Lorsque nous avons franchi la barre des 70 cents, la presse générale a été alertée, et le cours du dollar canadien a fait les manchettes quotidiennes, aux heures de grande écoute. L'humeur du consommateur et du propriétaire d'entreprise à l'égard de l'économie fait vraiment mal.

Effectivement, cela arrive au moment qui risque d'être problématique. Je pense que c'est important, parce que la Banque du Canada, le 20 janvier, s'est présentée à la réunion dans l'intention de diminuer les taux d'intérêt. Mais on a fait valoir que des mesures de relance étaient en vue et que, ensuite, la réduction des taux exacerberait l'instabilité de la devise. La Banque a finalement choisi de ne pas intervenir et d'attendre un peu, pour ne pas causer cet effet, qui aurait contrarié les résultats recherchés. Il est juste de le dire.

Aujourd'hui, nous sommes à 73 cents. Peut-être que l'effet agit dans le sens contraire.

Le sénateur Tannas: Êtes-vous à 73 dans votre modèle ou êtes-vous en train de dire...

M. Jean: Non. Je dis que le cours, actuellement, est à 73 cents...

Le sénateur Tannas: Quel est votre chiffre? Celui qui correspond à la neutralité?

M. Jean: Le dollar est à 75 cents.

Mme Desjardins: Notre modèle, compte tenu des conditions économiques actuelles, dit 76 cents. Je pense que l'un des facteurs qui a notablement influé sur ce mouvement est, bien sûr, les cours du pétrole, mais il y a aussi le dollar américain, qui a continué de s'apprécier au détriment de tous. On pensait que la Réserve fédérale relèverait graduellement les taux d'intérêt, pendant que le reste du monde les diminuerait ou les maintiendrait constants. Il faut aussi situer cela dans son contexte. Effectivement, nous éprouvons des sentiments négatifs, mais, je pense que, à l'endroit du dollar américain, ils sont positifs.

M. Perrault: Je pense que, au fond, nous utilisons les mêmes types de modèles pour le dollar canadien. Nous pouvons aboutir à un résultat différent: 74, 75 ou 73 cents. Actuellement, nous sommes à 73 cents, mais cela dépend beaucoup de ce qui arrivera au cours des marchandises.

Le sénateur Tannas: Vous avez aussi mentionné que vous surveilliez les positions à découvert. Vous êtes capable de les quantifier. Voyez-vous, à court terme, l'abandon de ces positions, qui signalerait la fin de l'humeur maussade et le début d'une embellie?

M. Perrault: Les données sont hebdomadaires. Les dernières ne disent rien à ce sujet. Manifestement, ce qui est arrivé au dollar, la semaine dernière, porte à croire qu'on a nettement préconisé une position antagoniste. Je soupçonne que lorsque nous prendrons connaissance des prochaines données, nous constaterons l'abandon de certaines positions à découvert.

Comme M. Mendes l'a dit, l'humeur était nettement négative. En même temps, de la manière dont les marchés de change fonctionnent, il faut, en général, un certain degré de surévaluation avant de leur faire faire marche arrière et avant que les investisseurs ne commencent à dire que la descente a assez duré, qu'il est temps de miser sur une hausse. Cela semble se produire maintenant pour le Canada. Cela prend en grande partie la forme d'un mouvement contre le dollar américain. Le dollar américain est fort depuis longtemps. Les gens se demandent si cette force sera aussi durable qu'ils le pensaient, vu les propos de certains gouverneurs de la Réserve fédérale. Une certaine désaffection agit contre le dollar américain, en faveur d'autres devises, y compris la nôtre; mais la nôtre a été plus malmenée. Il est donc normal de s'attendre à ce qu'elle s'apprécie et qu'elle rebondisse un peu plus que les autres.

M. Burleton: Mon intuition me dit que le dollar canadien a été survendu, mais surtout parce que le dollar américain a été suracheté; et il va probablement redescendre.

Nos modèles sont peut-être un peu différents. L'écart n'est cependant pas très grand. Nos deux modèles sont principalement axés sur les taux d'intérêt, car cela s'avère un très bon indicateur. Les écarts sur 10 ans entre le Canada et les États-Unis sont plus larges que jamais; et les écarts sur cinq ans les suivent d'assez près. À moins que la situation ne change drastiquement, les écarts devraient rétrécir légèrement au fil du temps.

Le sénateur Black: J'ai une question à propos des exportations. Si on vous l'a déjà posée, veuillez me le dire.

Le président: Monsieur Porter, la prochaine fois qu'on vous désignera en premier, vous pourrez renvoyer la question à un autre témoin.

Le sénateur Black: J'aimerais vraiment savoir si, en général, le Canada a la capacité d'être concurrentiel dans le secteur manufacturier. C'est la grande question que j'ai pour vous. Je vois que le dollar est en déclin. Je vois que nos exportations, comme vous nous l'avez indiqué aujourd'hui, n'ont pas repris aussi rapidement que nous l'aurions espéré. J'aimerais attirer votre attention sur la multiplication des accords de libre-échange, une tendance qui me fait craindre un peu pour la capacité du Canada de faire concurrence aux autres pays exportateurs. Peut-être que c'est seulement dû aux produits que nous exportons à l'heure actuelle, mais je vais vous laisser le soin de nous le dire. Auriez-vous l'obligeance de nous faire part de vos commentaires à ce sujet?

M. Burleton: Je suis d'un optimisme prudent. La chute du dollar a au moins eu pour effet d'éliminer le fossé qui s'était creusé entre le Canada et les États-Unis en ce qui a trait au coût unitaire de la main-d'œuvre. Il s'agit bien sûr de statistiques moyennes, et cela varie selon l'industrie, car certaines sont plus concurrentielles que d'autres.

En revanche, nous sommes concurrentiels face aux entreprises américaines, mais le Mexique demeure un défi de taille pour le marché nord-américain. Le dollar canadien et le peso mexicain ont connu une baisse presque égale. Depuis un an ou deux, ils sont presque à parité. C'est le défi à long terme auquel nous continuons de nous adapter — l'idée est que notre force résidera dans le haut de la courbe. C'est long, mais je pense que c'est réaliste, d'où l'importance accordée à l'innovation. Les prochains budgets fédéral et provinciaux vont y accorder une grande importance. C'est là que réside la solution.

Les producteurs canadiens vont devoir continuer à travailler sur les chaînes d'approvisionnement. Nous avons du retard à rattraper de ce côté et nous devons adopter des chaînes d'approvisionnement concurrentielles. J'ai bon espoir que nous pourrons pénétrer d'autres marchés.

M. Perrault: Ce qui freine nos exportations, comme vous l'avez si bien fait remarquer, c'est la capacité de nos entreprises d'être concurrentielles sur le marché mondial. La faiblesse du dollar contribue dans une certaine mesure à notre compétitivité, car cela permet de réduire nos coûts en devises étrangères. Certains d'entre nous l'avons déjà mentionné, mais cela complique un peu les investissements et augmente un peu les coûts, ce qui est très important, car la productivité au Canada a toujours connu un faible essor par rapport aux autres économies du G7. Il y a un problème fondamental à régler concernant la productivité de nos entreprises, qui a des répercussions négatives sur les possibilités offertes au secteur manufacturier.

Cela dit, comme M. Jean le mentionnait, en Ontario et, dans une certaine mesure, en Colombie-Britannique, le secteur manufacturier connaît actuellement une recrudescence. Cela a commencé probablement avant que le dollar amorce sa chute vertigineuse. Il y a toujours place à l'optimisme, mais la productivité nationale pose un problème fondamental, qui est en partie associé à ce dont M. Burleton parlait: les entreprises souhaitent faire preuve d'innovation et ont intérêt à le faire. La productivité peut être combinée à l'offre de services, de produits ou de techniques par les entreprises qui veulent se démarquer des autres; et les deux sont nécessaires pour être concurrentiels sur le marché mondial.

Mme Desjardins: Oui, je suis d'accord avec mes collègues concernant la façon dont on peut s'assurer que le virage vers l'exportation s'effectue réellement. En dehors du secteur de l'énergie, les investissements sont au ralenti, alors c'est ce que nous devons stimuler pour ouvrir des possibilités aux entreprises canadiennes et leur permettre de répondre à la demande. S'il y a une hausse des exportations, et que la demande nationale demeure relativement la même, bon nombre des industries n'auront peut-être pas la capacité voulue. La volonté doit certainement y être. L'incertitude qui règne, et qui découle en partie du déclin du dollar canadien, freine les entreprises.

On peut certainement entrevoir des jours meilleurs en ce qui a trait à notre devise et à nos possibilités d'expansion, et cela se traduira par une hausse des investissements et appuiera la demande accrue à laquelle on s'attend du côté des exportations.

M. Jean: Il y a deux catégories d'entreprises: celles vulnérables aux fluctuations de la devise sur les exportations hors énergie et celles qui ne le sont pas. Dans chacune des catégories, certaines entreprises seront des chefs de file et prendront de l'expansion dans le domaine de l'exportation, et d'autres ne pourront pas en faire autant.

Par exemple, les secteurs de l'aérospatial, de l'aluminium et des produits pharmaceutiques sont des secteurs vulnérables aux fluctuations de la devise et qui devraient maintenir leur croissance. La recherche montre que ce sont là les catégories d'exportation. Le rendement du secteur de l'exportation au Québec, où ces catégories occupent une place prépondérante, a augmenté de 25 p. 100 au cours des trois premiers trimestres de 2015 par rapport à 2014. C'est énorme. Pour l'aluminium, l'augmentation est de 12 p. 100. Pour les produits pharmaceutiques, elle est de 36,3 p. 100.

Alors oui, les entreprises de ces catégories peuvent clairement être concurrentielles. À savoir s'il en ira de même pour les secteurs du vêtement et du papier, qui sont soumis aux variations de la devise, mais aussi à la force à long terme de la mondialisation, non, nous ne pouvons pas avoir les mêmes attentes.

Il faudra voir au cas par cas, mais certains secteurs sont effectivement en mesure d'être concurrentiels.

M. Mendes: En gros, je suis d'accord avec mes collègues. Le secteur manufacturier a perdu de sa compétitivité lorsque le dollar affichait une très forte valeur.

Je ne m'attends pas à voir une révolution du secteur manufacturier avec la faiblesse du dollar. Je le répète, la compétitivité mondiale est en hausse. Je crois que le Canada doit mettre l'accent sur les produits à valeur ajoutée, mais encore là, il faut faire face aux conséquences de la faible demande mondiale. Les banques centrales du monde entier maintiennent les taux d'intérêt à un faible niveau afin de soutenir la demande, mais les choses ne vont pas se rétablir immédiatement.

Comme je l'indiquais dans mon introduction, je pense que le Canada peut également se concentrer sur le secteur des services. Le Canada est un chef de file mondial, et en tête parmi les pays de l'OCDE, en ce qui a trait à l'enseignement supérieur, ce qui le place en situation de choix pour tirer profit de l'exportation de services.

L'exportation des services peut sembler minime par rapport à l'exportation de marchandises, mais c'est parce qu'il est parfois difficile d'en mesurer l'ampleur. Si on examine le tout selon une échelle à valeur ajoutée, différente de celle que produit Statistique Canada, c'est à peu près équivalent.

Nous pensons que l'exportation de services va gagner du terrain au Canada. Je ne nommerai personne, mais j'ai su que des entreprises du secteur des logiciels et des médias enregistrent d'importantes augmentations dans leurs revenus provenant des États-Unis. Des entreprises pourraient déplacer ou maintenir leur siège social au Canada parce que cela leur permet de payer leurs employés en dollars canadiens, tout en faisant des affaires principalement aux États-Unis ou sur le marché mondial.

M. Porter: Je crois que nous pouvons être concurrentiels avec le taux de change actuel, mais quatre facteurs me font dire que nous n'aurons pas la même impulsion que nous aurions pu avoir dans le passé grâce à ce taux de change et à la croissance à laquelle on assiste actuellement aux États-Unis.

Premièrement, il y a la capacité industrielle disponible dont mes collègues ont parlé. À titre d'exemple, l'an dernier, le secteur automobile a enregistré des ventes record au Canada et aux États-Unis, pourtant, pendant la même période, la production du même secteur a chuté de 5,5 p. 100 au Canada. C'est le premier facteur.

Le deuxième facteur, et c'est un contraste par rapport aux années 1980 et 1990, c'est que nous devons affronter une concurrence beaucoup plus féroce de la part du Mexique et, pour le secteur automobile, de la Chine et de presque partout ailleurs.

Le troisième facteur est que le dollar canadien n'a certainement pas été le seul à chuter. Presque toutes les grandes devises ont subi le même sort.

Et le quatrième facteur est que les coûts non associés à la main-d'œuvre sont en hausse, notamment en Ontario; je parle des coûts de l'électricité, entre autres, qui ont nui à notre compétitivité.

Pour toutes ces raisons, je ne crois pas que nous pouvons nous attendre à la même recrudescence des exportations que nous aurions pu connaître dans le passé.

Le sénateur Black: Dois-je donc en conclure que vous êtes généralement optimistes à propos de la capacité du Canada d'être un pays exportateur et de retrouver l'équilibre, s'il arrive à trouver la bonne combinaison entre l'innovation et la productivité? Ai-je bien compris?

M. Porter: Oui, mais c'est un grand «si».

Le sénateur Black: Je sais. Ce sera le prochain sujet de discussion.

[Français]

Le sénateur Maltais: Comme j'ai dû m'absenter quelques minutes, peut-être que ma question a été posée, et vous me remettrez à l'ordre si c'est le cas.

Le prix du pétrole fait fluctuer le dollar canadien dans une grande mesure. La production est excédentaire à la demande à l'heure actuelle. Or, nous avons appris récemment que l'Iran mettra sur le marché un million de barils de pétrole supplémentaires chaque jour. Ce facteur peut-il contribuer à une nouvelle baisse du prix du pétrole, ou les prix demeureront-ils stables? Est-ce que cela peut influencer la devise canadienne?

[Traduction]

M. Mendes: Je mentionnerais seulement que lorsqu'il est question des marchés financiers, notamment le marché pétrolier, les prix sont ajustés presque immédiatement lorsqu'on apprend que l'Iran est de retour sur le marché. Je m'attendrais à ce que les prix soient fixés en conséquence.

[Français]

M. Jean: Je fais un peu le même constat. Lorsque vous prenez, par exemple, le constat qu'a fait l'Agence internationale de l'énergie au sujet du pétrole, il faudra encore plusieurs trimestres avant que l'excédent qui se trouve actuellement sur le marché du pétrole commence à diminuer. Cette prévision a été émise le mois dernier. On vu beaucoup de volatilité dans le prix du pétrole, mais cela n'a pas été un facteur supplémentaire.

La décision de l'Iran était prévue. L'idée que ce surplus prendra beaucoup plus de temps qu'on le prévoyait à se résorber a longtemps été acquise par les marchés financiers, mais je n'ai pas l'impression que cela peut encore faire baisser le prix du pétrole. Ce qui sera crucial à examiner, c'est l'ajustement de la production. Ce qui a peut-être été la grande surprise en 2015, c'est le fait qu'on n'a pas vu la production, particulièrement nord-américaine, diminuer autant qu'on le prévoyait, étant donné la situation des prix. Maintenant, les niveaux de prix font en sorte que, non seulement les projets à venir sont compromis, mais un certain nombre de projets actuels le sont également. La production devrait ralentir. Une fois que ce signal sera envoyé aux marchés, on assistera à un certain regain des prix du pétrole.

[Traduction]

Mme Desjardins: Oui, je suis d'accord. Je crois que la correction de l'offre est plus susceptible de provenir des États- Unis. C'est là qu'on a enregistré une forte croissance. Et maintenant, bon nombre de producteurs américains se trouvent dans le pétrin, car ils n'arrivent pas à couvrir leurs coûts. Pour le moment, ils roulent à perte, mais cela influe aussi sur les capitaux que les investisseurs sont prêts à injecter dans leur production future.

Alors oui, la production de l'Iran va s'ajouter à l'offre, mais on risque de voir une baisse proportionnelle de la production chez certains producteurs américains. Graduellement, l'offre va s'équilibrer d'ici la fin de 2016. Cela prend du temps, mais je pense que c'est ce qui va arriver.

M. Burleton: Nous avons abordé brièvement le sujet de la financiarisation du dollar canadien. D'après ce que j'ai lu, quelque 85 p. 100 du pétrole produit aux États-Unis est à découvert cette année, un niveau beaucoup plus bas. Bien des entreprises avaient des couvertures en place lorsque le pétrole était au-dessus de 50 ou 60$, et elles ont décidé de les laisser tomber. Je crois que beaucoup comptent là-dessus pour accélérer le déclin du schiste aux États-Unis.

Il ne faut toutefois pas sous-estimer le dollar américain. La plupart des modèles montrent une corrélation assez serrée, du moins récemment, entre les fluctuations du dollar américain et le prix du pétrole aux États-Unis. Certains comptent sur le fait que le dollar américain va perdre du terrain plus tard cette année, et cela devrait être une autre condition préalable à la hausse des prix du pétrole.

Le sénateur L. Smith: J'ai posé une question semblable hier, et je vais la poser encore aujourd'hui. Je vais faire appel à vos talents de voyant. Je sais que vous n'aimez pas nécessairement faire des prédictions ou des recommandations, mais si vous deviez nommer trois étapes cruciales à suivre pour assurer la relance du dollar et de notre économie, quelles seraient-elles? Si vous me permettez de vous demander votre avis.

Nous avons parlé de la productivité et du secteur manufacturier, mais nous en parlons depuis 25 ans. Nous avons aussi parlé d'offrir de meilleures formations afin d'avoir des candidats de haut niveau, mais nos corps de métier... après la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne a bâti son économie sur les corps de métier en y consacrant des programmes d'enseignement.

Je me demande quelles sont les trois choses qui doivent se produire au Canada pour relancer l'économie. Nous avons parlé du dollar, mais tout cela renvoie à des notions économiques. Pourriez-vous nous donner une petite idée? Ce serait utile pour les gens qui nous écoutent aujourd'hui si vous pouviez donner des exemples concrets, plutôt que de parler de théories complexes. Notre réunion est télévisée et beaucoup de gens sont à l'écoute. C'est aussi un sujet très important pour le comité des banques. Il est important pour nous de véhiculer des messages qui non seulement susciteront des discussions, mais qui permettront aussi d'établir une certaine orientation.

M. Burleton: Sénateur, les commentaires que j'ai formulés dans mon introduction plus formelle renvoyaient davantage aux années 1990. Je crois que les répercussions directes de la chute du dollar sur les politiques étaient beaucoup plus marquées à l'époque, en ce sens que nos taux d'imposition étaient loin d'être concurrentiels et la position fiscale du Canada était en très piteux état. Plusieurs de ces problèmes ont été réglés depuis. On parle beaucoup plus du fait que le secteur des produits de base a été un moteur clé de notre croissance économique, mais on tente aujourd'hui de s'en éloigner, ce qui devrait mettre en lumière la nécessité d'accorder encore plus d'importance à l'innovation.

Je sais que bien des choses sont laissées en plan au niveau de l'innovation. Ce n'est pas tellement une question de taux d'imposition, mais plutôt de programmes. Il faudrait peut-être tenir une réunion à part sur l'innovation, car c'est un dossier très complexe. Nous devons y accorder beaucoup plus d'attention, et nous n'avons pas toutes les données voulues pour en comprendre certains aspects, alors ce sera crucial d'aller plus loin à cet égard.

Le sénateur L. Smith: Est-ce que cette innovation devrait être alimentée par les entreprises, ou devrait-il s'agir d'un effort commun des entreprises et du gouvernement?

M. Burleton: Cela devrait absolument être un effort commun. Et pour cela, il faudra entre autres établir des liens solides. Mais je reviens à l'idée que bon nombre des facteurs qui contribueront à la hausse du dollar ne relèvent pas directement du gouvernement. Il faut regarder du côté des écarts dans les taux d'intérêt qu'offrent les États-Unis, les différents points du cycle. Il faut se rappeler que les États-Unis se remettent d'une très grave récession et qu'ils ont une longue pente à gravir. C'est ce qu'on appelle «l'effet macho», c'est-à-dire qu'ils ont un plus grand potentiel de croissance. On sort d'une période où les consommateurs étaient lourdement taxés, et nous n'avons tout simplement pas le même potentiel de croissance. On compte sur cette rotation, mais il faudra probablement encore du temps avant qu'on enregistre une croissance plus marquée. Les gouvernements peuvent y contribuer, mais il est très difficile de faire quoi que ce soit pour le marché du pétrole. On peut très difficilement contrôler les prix du pétrole.

M. Mendes: J'ai rédigé un document récemment en collaboration avec mon collègue Benjamin Tal. Nous avons constaté qu'environ 50 p. 100 des dépenses en R-D provenaient des petites et moyennes entreprises. Un des problèmes auxquels les petites et moyennes entreprises sont souvent confrontées est le manque de financement. Permettre à ces entreprises d'accéder à du financement pourrait aider à accroître l'innovation et la productivité au pays.

Le deuxième aspect que je voudrais mentionner est la non-concordance entre les études et l'emploi. Les Canadiens souhaitent poursuivre des études supérieures, mais il faut inciter plus de gens à faire carrière en sciences, en technologie, en génie ou en mathématiques. Cela contribuera aussi à la croissance de l'économie canadienne.

Dans une perspective de haut niveau, je dirais que le gouvernement fédéral et la Banque du Canada sont sur la bonne voie. L'adoption d'une politique monétaire plus souple est l'un des éléments essentiels à la relance de l'économie canadienne. Certaines personnes de la Banque du Canada essuieront les critiques pour avoir réduit les taux d'intérêt en raison des risques qui en découlent, mais à mon avis, cela représente un avantage net par rapport au marché du travail, à la promotion des investissements, et cetera. À cela s'ajoute le déficit annoncé par le gouvernement fédéral pour financer les projets d'infrastructure, une mesure qui semble indiquée aussi.

M. Perrault: Il s'agit manifestement d'une question à plusieurs volets. Je pense qu'à court terme, l'économie canadienne doit être soutenue. Nous traversons une importante période de transition, un choc très important, que la Banque du Canada a bien négociés jusqu'à maintenant, ce qui a été utile. Nous estimons que la croissance sera plutôt faible durant la première partie de l'année, car les investissements et les activités du secteur pétrolier continueront de subir les contrecoups de la situation actuelle. L'incertitude au sujet des perspectives économiques est manifestement la cause de cette faible croissance pendant la première partie de l'année, mais elle entraîne aussi, dans une certaine mesure, la compression des dépenses des ménages, ce qui nuit évidemment aux investissements. Donc, un des facteurs clés d'un retour à une croissance décente et durable est l'atténuation de ce sentiment d'incertitude, ce qui est possible lorsque les décideurs aident les gens à se sentir mieux. La banque y contribue quelque peu en modifiant les taux d'intérêt. Toutefois, ce n'est pas seulement une question de baisse des taux d'intérêt; l'important, c'est que quelqu'un cherche à les aider. À certains égards, cela a été utile. Je pense que c'est possible, pourvu que le gouvernement présente un programme de relance économique quelconque, qui ne sera mis en œuvre qu'au cours de la deuxième moitié de l'année, ou au début de l'année prochaine. Tout dépend ce que le gouvernement décidera de faire.

Je suis certain que ce sera avantageux, même s'il ne s'agit que de mesures à court terme. Il y a un enjeu à long terme, soit la production potentielle au Canada pendant cette période où on observe un fléchissement senti du taux de croissance à long terme de l'économie. Cela découle en partie de la contraction du secteur pétrolier et du secteur de l'énergie, qui entraîne une perte de production permanente. Une autre partie est attribuable au vieillissement de la population et à la faiblesse relative de la croissance économique. Des ajustements importants doivent donc être apportés au sein de l'économie si on veut que la croissance potentielle revienne aux niveaux que nous avons déjà connus.

C'est probablement chose impossible. Vous avez parlé de mesures permettant au marché du travail de s'adapter, d'y mettre en œuvre des mesures incitatives adéquates qui aideront les gens à passer d'une industrie à une autre et de programmes de recyclage professionnel, par exemple. Comme M. Mendes l'a indiqué, une grande proportion des étudiants issus des systèmes d'éducation canadiens ont étudié dans ce que nous appelons les domaines des STGM, soit les sciences, la technologie, le génie et les mathématiques. En fait, les taux sont plutôt élevés par rapport à la moyenne du G7. Toutefois, ce qui est étrange dans l'économie canadienne, c'est que les entreprises embauchent moins d'étudiants issus de ces programmes que celles des autres économies. En général, les écoles ont des diplômés dans les bons domaines, mais pour une raison quelconque, les entreprises canadiennes ne font pas appel à leurs services dans une aussi grande proportion que les sociétés à l'étranger. Je ne sais pas pourquoi. Je suis sûr que certains se sont penchés sur la question, mais on en revient essentiellement à l'enjeu dont nous discutions précédemment concernant l'innovation, la nécessité pour les entreprises d'adopter des approches plus novatrices et leur désir de le faire. À cet égard, il est facile de dire que le gouvernement a une part de responsabilité et qu'il fait certaines choses qui nuisent aux entreprises. Dans le cas présent, une bonne partie de la dynamique en cause, c'est que les entreprises sont plus prudentes.

Pardonnez-moi ce long commentaire, mais il y a presque une dimension culturelle à cet enjeu: nous sommes des Canadiens, donc plus gentils et moins enclins au risque, en quelque sorte, contrairement aux Américains sans merci. Cela se voit dans les données. La croissance de la productivité est légèrement plus faible, mais les entreprises ne considèrent pas qu'il soit aussi important d'innover au Canada que dans nos principales économies concurrentes. Comment peut-on changer cela? C'est une attitude ancrée, pour ainsi dire. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux peuvent offrir toutes sortes de subventions, mais en fin de compte, si une entreprise n'a aucun intérêt pour l'innovation — même si certaines en ont et que beaucoup le font —, que peut-on faire?

Le président: Est-ce une question de culture? Les établissements d'enseignement sont-ils en cause? On trouve parmi les diplômés des gens d'affaires, des innovateurs, des ingénieurs et des scientifiques, mais ils sont moins prudents. Est- ce en partie attribuable aux écoles qui, en quelque sorte, ne sont pas axées sur le risque?

M. Perrault: Je n'ai pas les données précises, mais des études ont été réalisées sur ce que nous appelons les aptitudes en gestion au sein des entreprises canadiennes. En général, au Canada — comparativement à d'autres pays, et plus particulièrement les États-Unis —, moins d'entreprises sont dirigées par des gens d'affaires. Au Canada, on retrouve, à la tête des entreprises ou au sein des structures de gestion, moins de diplômés de programmes de maîtrise en administration des affaires, ce qui est en partie lié à l'aspect culturel, parce que les étudiants en administration des affaires apprennent comment maximiser les profits.

Je pense qu'il y a un changement de culture, et ce n'est pas nécessairement parce que les écoles ne produisent pas de diplômés dans ces secteurs. C'est simplement que les entreprises canadiennes et les entreprises américaines n'ont pas les mêmes préférences quant au personnel qu'elles embauchent.

Le président: Vouliez-vous ajouter quelque chose, monsieur Porter?

M. Porter: Je voulais faire un commentaire d'ordre général en réponse à la question du sénateur Smith. Il ne faut pas oublier qu'il y a deux ans à peine, l'économie canadienne était largement reconnue comme l'une des meilleures, l'une des plus prospères du monde, et je ne pense pas que le monde soit si différent aujourd'hui. Évidemment, ce qui a changé, c'est que nous sommes confrontés à l'effondrement des cours des matières premières, et il y aura un redressement. Je pense que les politiques monétaires et fiscales joueront un rôle à cet égard, mais je ne crois pas que les cours faibles des matières premières se traduiront toujours par une économie canadienne en déclin. Ces dernières décennies, certaines des meilleures années qu'a connues l'économie canadienne au chapitre de la croissance ont été observées à la fin des années 1990. Certes, c'était à l'apogée du boom technologique, mais le cours des matières premières était également faible pendant cette période. Donc, la faiblesse des prix des matières premières ne nous condamne pas à une faible croissance pour toujours.

Le sénateur Massicotte: Nous interprétons souvent les indices boursiers — le S&P 500, peut-être —, comme le reflet de la vigueur de l'économie. On pense qu'il s'agit d'une prévision de la croissance ou de la chute de l'économie. Or, quand on regarde les nouvelles et que le cours du pétrole est en baisse, si on observe la tendance des deux ou trois dernières années, on voit que le marché boursier baisse également, en particulier le S&P 500. Pour le marché canadien, cela se comprend, parce que notre économie est perçue comme étant axée sur le pétrole ou les matières premières.

Si vous regardez le S&P 500 ou les marchés mondiaux en émergence, l'augmentation du cours du pétrole est une bonne nouvelle; par conséquent, le S&P 500 augmente. Dans certains pays, comme nous le savons, c'est l'effet contraire. L'indice S&P 500 augmente-t-il parce que les sociétés pétrolières et gazières occupent une place importante dans le calcul de cet indice? Ou est-ce vraiment une bonne chose? Autrement dit, si le cours du pétrole augmente, le S&P 500 augmente aussi, et c'est une bonne chose pour le monde entier. L'économie se porte bien. Est-ce exact?

M. Porter: C'est quelque chose qui mystifie beaucoup de gens cette année. Les jours où les cours du pétrole sont en baisse, on observe une baisse des marchés boursiers japonais et européens. Évidemment, comme le Japon et l'Europe sont d'importants importateurs de pétrole, la faiblesse des cours du pétrole devrait être à leur avantage. La meilleure explication que j'ai vue par rapport à ce lien étroit entre les cours du pétrole et les marchés boursiers mondiaux qu'on observe jusqu'à maintenant cette année, c'est que certains fonds d'investissement souverains qui ont une participation dans les sociétés pétrolières sont maintenant forcés de se départir de leurs actifs en raison de la chute des cours du pétrole.

Autrement dit, des pays comme l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis réduisent leurs avoirs dans le marché des actions, ou du moins, c'est ainsi qu'on le perçoit sur les marchés financiers. Que ce soit le cas ou non est matière à débat. La perception, c'est que lorsque le cours du pétrole descendra sous la barre des 30$, certains de ces fonds d'investissement souverains devront vendre des actions parce que cela n'a aucun sens sur le plan économique.

M. Mendes: J'ai la même interprétation que M. Porter. Cependant, je me demande pourquoi les actions du marché japonais ont parfois un rendement inférieur par rapport à d'autres marchés, tandis que le Japon est un important importateur de pétrole.

Je proposerais une explication légèrement différente. L'économie mondiale est affligée par une demande anémique et en même temps, le taux d'inflation de nombreux pays est près de zéro; c'est presque un contexte déflationniste. Deux facteurs sont en jeu: la chute des cours du pétrole entraînera une baisse de l'inflation globale, ce qui aura pour effet de contrer les efforts de la Banque centrale européenne et de la Banque du Japon, qui visent à augmenter l'inflation et les attentes. Il y a donc deux forces opposées.

Je voudrais aussi parler d'un aspect que vous connaissez sans doute, soit l'impression de risque. En général, les marchés évoluent en fonction du risque perçu. Donc, les jours où le sentiment de risque est plus élevé, les cours du pétrole et les indices boursiers suivront la même tendance.

[Français]

La sénatrice Bellemare: J'aimerais faire un commentaire avant de poser ma question. Mon commentaire est lié à vos réponses quant au processus d'ajustement et de l'innovation à la productivité. Vous avez parlé de ressources humaines, et nous devons peut-être nous occuper davantage de nos ressources humaines pour changer la culture de nos entreprises. C'est ce que j'ai conclu de vos propos.

Ma question est assez simple. Le commerce international est très important pour le Canada; on n'en sortira jamais. Cependant, le commerce interprovincial est aussi une réalité intéressante. Pensez-vous que, à court et à moyen terme, nous puissions stimuler davantage le commerce interprovincial pour aider à redéfinir notre structure économique et solidifier nos entreprises, parce que nous n'avons pas à traiter avec la question des devises?

M. Jean: C'est une excellente question, et c'est l'un des problèmes. Le Canada — lorsqu'on parle d'une dimension de ces rigidités à l'échelle interprovinciale, comme on le voit sur le marché du travail — est l'un des pires pays en terme de mobilité de la main-d'œuvre, malgré les flux de main-d'œuvre entre l'est et l'ouest, en raison du boum énergétique. On fait piètre figure à l'échelle internationale. Cette source de rigidité fait en sorte que notre croissance n'est pas aussi forte qu'elle devrait l'être. Le commerce interprovincial est une autre facette qui a été définie comme un problème depuis longtemps, étant donné qu'elle recèle de nombreux gains.

Il commence à y avoir certains partenariats au niveau public, comme l'hydroélectricité entre le Québec et l'Ontario, et c'est un pas dans la bonne direction. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire, notamment pour les entreprises. Nous avons parlé plus tôt de notre potentiel de production au Canada, de notre croissance potentielle. Ce sont des initiatives comme celles-là qui nous aideront à contrer les autres effets négatifs sur notre croissance potentielle. Oui, je crois que les dynamiques interprovinciales se retrouveront de plus en plus au cœur du débat.

[Traduction]

Le sénateur Massicotte: Je tiens à vous remercier d'avoir contribué à ce débat d'une grande importance pour les Canadiens. J'ai trouvé cela très intéressant, même si vous estimez que les probabilités que vous ayez raison ne sont que de 30 p. 100.

Le président: Je tiens à remercier les témoins. C'était une extraordinaire séance. J'aimerais aussi remercier vos employeurs de vous avoir permis de comparaître et de participer. Ces témoignages seront fort utiles aux Canadiens et aux décideurs publics. Nous ne nous attendions pas à accueillir des devins, mais en votre qualité d'économistes et de gens d'affaires, vous avez fait un excellent travail.

(La séance est levée.)

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