Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule n° 4 - Témoignages du 13 avril 2016
OTTAWA, le mercredi 13 avril 2016
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 32, pour étudier les questions relatives aux barrières au commerce intérieur.
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Soyez les bienvenus au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je suis David Tkachuk, le président du comité.
C'est notre cinquième séance sur l'étude spéciale des questions relatives aux barrières au commerce intérieur.
Nous accueillons aujourd'hui M. John Moffet, directeur général de l'Intendance environnementale d'Environnement et Changement climatique Canada, M. Ryan Greer, directeur de la Politique des transports et de l'infrastructure de la Chambre de commerce du Canada et Mme Monique Moreau, directrice des Affaires nationales de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.
Je vous remercie d'être ici. Nous entendrons d'abord Mme Moreau. Je pense que M. Moffet a un avion à prendre à 17 h 25. Que les personnes qui ont des questions en soient bien conscients.
Monique Moreau, directrice, Affaires nationales, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante : Je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez de vous faire connaître le point de vue de la FCEI sur le commerce intérieur. Vous devriez avoir sous les yeux un diaporama que j'aimerais commenter pour vous dans les quelques prochaines minutes.
La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante est une organisation non partisane, sans but lucratif, qui représente 109 000 PME dans tout le Canada, lesquelles, collectivement, emploient plus de 1,25 million de Canadiens et contribuent à hauteur de 75 milliards de dollars au PIB du Canada, soit à près de sa moitié. Nos membres se recrutent dans tous les secteurs de l'économie et sont présents dans toutes les régions du pays.
Collectivement, les PME canadiennes emploient 70 p. 100 des Canadiens qui travaillent dans le secteur privé et elles créent la plupart des nouveaux emplois. La résolution des problèmes importants pour elles peut avoir des effets considérables sur la création d'emplois et l'économie.
Comme vous pouvez vous en rendre compte, la fédération suit seulement les orientations qui lui viennent de ses membres, à la faveur de divers sondages effectués au cours de l'année, et, aujourd'hui, je vous communiquerai certains résultats d'un sondage et d'un rapport sur le commerce intérieur que nous avons publiés en 2015. Vous devriez déjà en posséder un exemplaire dans les deux langues officielles.
D'après la diapo 3, pour le Canadien ordinaire, la notion d'obstacle au commerce intérieur, au Canada, peut sembler ridicule. Après tout, les frontières des provinces ou des territoires ne sont pas gardées, et on ne prélève aucun tarif sur les biens et services qui passent d'une province à une autre. Si c'est ces types d'entraves qu'évoque normalement cette expression, en réalité, c'est la paperasserie, le labyrinthe des règles différentes ou contradictoires des différentes provinces, le remplissage des formulaires pour les différentes administrations ou l'obligation de se conformer aux règles d'un certain nombre de bureaucraties différentes qui, trop souvent, limitent les occasions commerciales pour les entreprises canadiennes et qui agissent comme un boulet sur notre productivité et notre potentiel de croissance économique.
Est un obstacle au commerce intérieur tout règlement ou toute obligation réglementaire de n'importe quel ordre de gouvernement qui nuit aux échanges commerciaux avec une autre province ou un autre territoire.
Il en existe trois types, sur lesquels les gouvernements peuvent exercer leur pouvoir ou leur influence, que nous énumérons sur la diapo 3. Le premier est constitué des obstacles prohibitifs, les textes de loi interdisant le commerce, comme l'interdiction de la vente directe de boissons alcoolisées aux clients ou détaillants d'autres provinces. Le deuxième est constitué des obstacles techniques, les règlements propres à certains secteurs industriels. Par exemple les normes sur la masse ou les dimensions des véhicules. Le troisième est constitué des obstacles réglementaires ou administratifs, qui incluent l'obligation de respecter différents règlements et de remplir de la paperasse dans différentes provinces, par exemple pour l'enregistrement des entreprises, les permis, les licences, et cetera. Tout nouvel accord sur le commerce intérieur doit, à ce titre, s'attaquer à ces obstacles pour être efficace.
Quand il a été ratifié, en 1994, l'Accord sur le commerce intérieur du Canada, l'ACI, a été décrit comme un grand pas en avant pour notre commerce intérieur. Cependant, la signature de l'Accord économique et commercial global, l'AECG, avec l'Europe et d'autres accords de commerce international ont mis en évidence le décalage de l'ACI par rapport à l'évolution du climat économique.
Ainsi, l'AECG fournira aux entreprises européennes un accès au marché canadien auquel les entreprises des provinces ou des territoires voisins peuvent ne pas avoir droit sous le régime de l'ACI. En plus des progrès réalisés sur la scène internationale, il y a aussi des exemples d'accords commerciaux régionaux efficaces, par exemple le « nouveau partenariat de l'Ouest », entre la Colombie-Britannique, l'Alberta et la Saskatchewan. Même si ces accords régionaux sont élargis de manière à avoir une portée supérieure à celle de l'ACI, une actualisation exhaustive à l'échelle nationale se fait attendre depuis longtemps.
Comme vous pouvez le voir, sous la diapo 4, les petites entreprises sont généralement d'accord pour déplorer la présence injustifiée d'obstacles au commerce intérieur dans une économie moderne et elles pensent que les gouvernements devraient faire de leur suppression une priorité. Pour atteindre l'objectif du libre-échange intérieur au Canada, il faut que le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires fassent preuve de leadership politique.
Quelle est alors la situation actuelle dans les petites entreprises canadiennes. Parmi celles qui ont répondu à un sondage récent de la fédération, 46 p. 100 avaient vendu des biens et services et 73 p. 100 en avaient acheté dans une autre province ou territoire. Les taux variaient selon la province, comme le montre la diapo 5, et la plupart des entreprises sont plus susceptibles d'avoir des liens commerciaux avec des entreprises de leur propre région ou d'une région voisine.
Pour les entreprises qui participent au commerce intérieur, comme le montre la diapo 6, les pires entraves provenaient des obstacles réglementaires et administratifs. Une fiscalité différente dans les provinces et territoires, le respect des règles particulières et toute la paperasse à remplir peuvent exiger beaucoup de temps et d'argent, particulièrement dans les plus petites des entreprises.
Les dépenses occasionnées par l'activité commerciale, que ce soit les frais d'expédition ou le paiement de permis et de licences constituent aussi une difficulté notable.
Comme le montre la diapo 7, le principe le plus important pour le commerce intérieur, d'après les petites entreprises, est que le commerce à l'intérieur du Canada doit être aussi facile qu'avec l'étranger. On recherche aussi le libre accès à tous les marchés intérieurs et on veut que le gouvernement fédéral assume non seulement un rôle de leadership, mais qu'il dirige les efforts visant à faciliter le commerce intérieur.
Enfin, les trois quarts des petites entreprises croient aussi qu'il faudrait prévoir des conséquences pour les gouvernements qui entravent le commerce.
Pour vous donner une idée de l'effet de ces obstacles sur les petites entreprises canadiennes, voici des exemples parmi les centaines de commentaires que nous avons reçus à la faveur de notre sondage. La diapo 8 montre les difficultés que les propriétaires de petites entreprises affrontent quand leurs employés doivent aller travailler dans une autre province, ce qui est particulièrement le cas dans la région de la capitale nationale. La paperasse et les complexités suscitées par les différentes commissions des accidents du travail et la variabilité de leurs règles en matière de santé et de sécurité au travail peuvent présenter un véritable casse-tête quand on essaie de faire travailler des employés dans une autre province.
La diapo 9 montre certaines des difficultés découlant du transport de produits alimentaires locaux vers une autre province, ce qui conduit souvent les détaillants à acheter des produits alimentaires de l'étranger plutôt que de se fournir au Canada.
La diapo 10 donne quelques exemples des difficultés qu'affrontent les entreprises de camionnage exploitées dans plus d'une province, des difficultés pas simplement administratives, mais qui font exploser les coûts d'expédition et, en fin de compte des marchandises, d'un bout à l'autre du Canada, aux dépens de tous les Canadiens.
La diapo 11 donne des exemples des frustrations éprouvées par les propriétaires de petites entreprises face aux différents processus de certification, comme ceux qui sont liés au respect des normes techniques et des normes de sécurité, et face à la complexité des différents régimes de taxe de vente en vigueur au Canada.
Nos membres ont déploré le nombre excessif d'obstacles au commerce et ils nous ont dit qu'un nouvel accord sur le commerce intérieur était indiqué. Pour s'assurer de son efficacité, la fédération recommande l'adoption des principes énumérés à la diapo 12 pour tout nouvel accord ou pour tout accord amélioré sur le commerce interprovincial. Le premier est la reconnaissance mutuelle : un produit ou un service conforme aux règlements d'une province sera acceptable dans toutes les autres, sauf indication contraire après négociation. C'est ainsi qu'on a procédé dans l'Union européenne, en Australie et en Suisse pour supprimer les obstacles au commerce entre les États ou les cantons.
Le deuxième principe est l'adoption de la méthode de la liste négative. L'un des éléments essentiels des accords modernes sur le commerce est la présupposition de la licéité de tous les échanges, sauf indication contraire. Un problème souvent mentionné de l'ACI est qu'il se fonde sur une liste positive qui oblige l'énumération de tous les secteurs auxquels s'appliquent les clauses de libre-échange.
La méthode de la liste négative est beaucoup plus souhaitable, puisqu'aucune nouvelle industrie, dont on ne saurait encore imaginer l'existence, ne devra se préoccuper des obstacles archaïques qui pourraient s'appliquer à elle ni se préoccuper de son exclusion accidentelle des accords commerciaux. La liste négative oblige le signataire de l'entente qui veut maintenir certains obstacles dans une industrie particulière à en démontrer la nécessité pour jouir d'une exemption particulière.
Le troisième et dernier principe est le mécanisme de règlement des différends. Tout mécanisme de conformité devra concilier persuasion et sanctions en maintenant entre les deux un équilibre délicat. Le processus actuel de conformité à l'ACI entraîne des disputes longues, qui traînent en longueur et dont le règlement est rarement satisfaisant pour les deux parties ou rarement soucieux de l'intérêt général de la libéralisation des échanges.
Pour assurer un processus plus efficace de règlement des différends, nous proposerions l'équivalent canadien du processus de règlement des différends entre un investisseur et un État qui existe déjà dans le cadre de l'ALENA. Il peut être déclenché directement auprès des instances dirigeantes plutôt que, comme dans l'ACI, auprès de son propre gouvernement.
Dans l'économie d'aujourd'hui, très peu nombreux seraient ceux qui douteraient de la valeur du libre-échange, et si les accords commerciaux internationaux offrent des occasions à saisir aux entreprises canadiennes et à l'économie dans son ensemble, il est aussi important sinon plus, pour les petites entreprises, que le commerce à l'intérieur du Canada soit libre et sans entraves. Les gouvernements à tous les niveaux doivent donc faire du libre-échange à l'intérieur du Canada une priorité.
Volonté politique et ressources devraient se conjuguer pour la formulation d'accords sur le commerce intérieur inspirés des principes de la reconnaissance naturelle, de la méthode de la liste négative et du règlement efficace des différends. Même si l'appui public des premiers ministres des provinces et du gouvernement fédéral pour l'avancement de ce dossier est encourageant, ce qui compte le plus pour les petites entreprises, c'est une action significative et rapide pour leur assurer un marché ouvert et concurrentiel.
Je vous remercie et j'ai hâte de répondre à vos questions.
Ryan Greer, directeur, Politique des transports et de l'infrastructure, Chambre du commerce du Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir invité la Chambre de commerce du Canada à participer à votre étude des questions relatives aux barrières au commerce intérieur. C'est une question importante pour notre réseau de 200 000 membres. En fait, depuis 2012, nous publions une liste annuelle des 10 principaux obstacles à la compétitivité, pour souligner les principales entraves à la croissance pour les créateurs d'emplois au Canada. Chaque année, y compris cette année, les obstacles au commerce intérieur ont figuré dans ce palmarès.
Je ferai aussi remarquer que la Chambre de commerce fait partie d'une alliance d'entreprises constituée d'organisations nationales qui travaillent à l'atteinte d'un objectif commun, renforcer notre union économique. Il s'agit notamment de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, du Conseil canadien des affaires, de Manufacturiers et Exportateurs du Canada (ou MEC), de l'Association des transformateurs laitiers du Canada et du Conseil canadien du commerce de détail. Ce groupe a formulé plusieurs recommandations pour le Comité du commerce intérieur sur la modernisation des accords.
Je n'ai pas l'intention d'insister sur certaines de ces barrières, mais nous savons tous que les entreprises, les employés et les consommateurs sortent perdants du système balkanisé actuel. Si le patient est malade, plutôt que de m'arrêter aux symptômes, je concentrerai mon attention sur quelques-uns des remèdes. Je pense aussi que vous ne trouverez pas beaucoup d'écarts entre nos recommandations et celles que vient d'exposer la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Comme beaucoup de problèmes causés par les accords existent depuis quelque temps, leurs solutions sont connues aussi depuis aussi longtemps.
Le premier remède que nous cherchons à appliquer est la méthode de la liste négative. Comme en a témoigné devant vous le ministre Bains, ses homologues s'approchent d'un accord, un renouvellement complet, fondé sur une liste négative. Cela correspond aux tendances modernes en matière d'accords commerciaux, et c'est une bonne nouvelle. Toute nouvelle activité commerciale fera automatiquement partie de l'accord, sauf indication contraire. Une liste négative est également plus transparente pour les entreprises, les consommateurs et les États.
Cependant, pour qu'un nouvel accord sur le commerce intérieur ou qu'une nouvelle convention commerciale vaillent le papier sur lequel ils sont imprimés, les parties doivent avoir des recours pour en appliquer les clauses. Le deuxième remède sera donc un nouveau mécanisme efficace de règlement des différends.
Des ministres ont dit qu'on ne négociait pas de nouveau mécanisme simplifié et contraignant. C'est décevant. Sans processus décisionnel rapide et d'un bon rapport coût/efficacité, une liste négative n'est pas vraiment un accord amélioré. C'est seulement une liste.
La Chambre de commerce croit qu'un nouveau processus de règlement des différends élargit le droit des parties privées à accéder plus facilement à des tribunaux d'arbitrage sans le parrainage de l'État et à disposer des procédures appropriées d'appel auprès des tribunaux. Il n'y a aucune raison pour que les différends en matière de commerce intérieur, qui sont fondés sur des opérations commerciales, ne puissent pas profiter, au moins, des mêmes recours que l'activité commerciale. Contre les obstacles non légitimes, le marché et les outils dont le marché dispose sont le meilleur moyen d'entamer des réformes.
Le troisième remède recherché par la Chambre de commerce est, pour un nouvel accord, l'engagement d'une reconnaissance mutuelle. La plupart des obstacles dont nous parlons sont réglementaires, des normes légèrement différentes qui peuvent servir de barrières protectionnistes, sous couvert de défense de l'intérêt public. Quand il n'existe pas de véritable intérêt public, nous disposons de deux moyens complémentaires pour supprimer ces obstacles : l'harmonisation des règlements et la reconnaissance mutuelle.
Si l'harmonisation des règlements est un objectif valable, elle est complexe et atteignable à long terme. À court terme, les provinces et les territoires devraient opter pour la reconnaissance mutuelle et affirmer qu'une marchandise ou un service fourni légalement dans une province devrait être autorisé dans les autres, même si les exigences réglementaires auxquelles il est assujetti diffèrent. La reconnaissance mutuelle est déjà la base qui permet à l'Union européenne et à l'Australie de régir leurs marchés internes. La reconnaissance mutuelle étant acquise, les provinces et les territoires peuvent ensuite s'en inspirer et continuer à travailler à des normes et à des règlements communs.
L'harmonisation des règlements sans reconnaissance mutuelle est susceptible de subir le même sort que l'ACI depuis sa signature : des modifications graduelles et lentes qui ne répondent pas aux besoins des entreprises.
Un autre ingrédient que la Chambre de commerce recherche, le plus indispensable peut-être pour unifier le marché canadien, est le leadership politique. Avec un peu de recul, il est facile de constater pourquoi les progrès du commerce intérieur ont été si lents. Ce commerce est souvent une responsabilité secondaire du ministre qui en est chargé dans chaque province ou territoire. Ce ministre et ses fonctionnaires maîtrisent un très petit nombre des leviers exigés pour effectivement supprimer ces obstacles. Il faut donc une coordination réussie de tout le gouvernement, dans plusieurs provinces et territoires, pour modifier le consensus. Et même si tout va bien, des mois ou des années de progrès peuvent être annulés pour des motifs politiques ou autres.
La consultation des rapports annuels sur l'ACI en donnera un aperçu. Voici un extrait du rapport annuel de 2010- 2011; dans une actualisation du chapitre sur l'énergie, on lit :
Le parachèvement d'un chapitre sur l'énergie pour l'ACI est une obligation en suspens depuis l'entrée en vigueur de l'Accord en 1995 et constitue un élément clé du plan du Conseil de la fédération visant à améliorer le commerce intérieur depuis 2004.
Une ébauche de chapitre sur l'énergie a été élaborée et présentée au CCI lors de sa réunion d'octobre 2009. Toutes les Parties sauf une ont appuyé l'inclusion formelle de l'ébauche de chapitre à l'ACI. Comme il faut consensus entre toutes les Parties pour intégrer le chapitre à l'ACI, on ne l'y a pas inclus.
Ce n'est qu'un exemple, mais très éloquent, de la raison pour laquelle la modification de l'accord a été si lente et si insuffisante.
Aurions-nous signé aucun de nos accords de libre-échange internationaux sans l'important investissement de capital politique de nos premiers ministres pour conclure les négociations qui devaient y mener? Ce même investissement politique est nécessaire de la part de nos premiers ministres fédéraux, si nous voulons sensiblement améliorer le commerce intérieur.
Voilà pourquoi la Chambre de commerce manifeste un optimisme prudent pour un accord renouvelé. Le Conseil de la fédération s'est fixé un objectif et un échéancier ambitieux, en mai 2014, pour la conclusion d'un nouvel accord avant le printemps, et les premiers ministres des provinces de l'Ouest, notamment, ont fait plus bruyamment campagne pour le commerce intérieur, ces dernières années. Quelle que soit l'issue annoncée, les premiers ministres doivent rester au cœur de l'action pour assurer l'application d'échéanciers exigeants et leur respect. En même temps, il faudrait une mobilisation accrue des entreprises pendant les discussions, pour empêcher que des calculs politiques ou autres ne fassent échouer ce désir d'ouverture du marché canadien.
Dans son témoignage devant votre comité, le ministre Bains a estimé que le commerce intérieur au Canada se situe probablement à 20 p. 100 de son niveau optimal et il a laissé entendre qu'un accord renouvelé permettrait de relever ce pourcentage autour de 60 p. 100. Ce serait un progrès énorme, pour lequel les ministres mériteront nos félicitations. Mais, après, la Chambre de commerce voudra entendre ce que nos dirigeants vont nous annoncer au sujet sur la marche à suivre pour atteindre un taux de 90 ou de 95 p. 100 et pour nous mobiliser vers cet objectif.
Je termine en disant que la Chambre de commerce a observé avec beaucoup d'intérêt le débat qui se déroule à Ottawa sur la meilleure façon de stimuler l'économie, les montants que le gouvernement devrait dépenser, la vitesse avec laquelle il peut injecter cet argent dans l'économie et ce à quoi il devrait le consacrer. Les membres de la Chambre de commerce du Canada nous disent que, partout au pays, des montants considérables d'argent privé et un vaste élan de croissance économique attendent simplement le feu vert, si les gouvernements se mettent à l'œuvre et suppriment certaines de ces barrières artificielles que notre pays a érigées. Alors, passons à l'action. Merci.
John Moffet, directeur général, Direction générale de l'intendance environnementale, Environnement et Changement climatique Canada : Mon titre complet est directeur général, Affaires législatives et réglementaires. Je vous le dis pour que vous sachiez que je suis un responsable de la réglementation. Et que je suis ici pour discuter du rôle des règlements fédéraux en matière d'environnement.
J'ai deux grands messages à livrer. Le premier est que les lois et les règlements fédéraux en matière d'environnement ne créent pas de barrières internes qui entravent le commerce, bien que ce puisse être le cas des règlements des provinces. Ensuite, il existe des manières, pour un accord sur le commerce interne, d'envisager la protection de l'environnement.
Je reviens au premier message. Toutes mes excuses si je répète ce que vous savez déjà, mais je commencerai par les rudiments du droit constitutionnel et je rappellerai le fait fondamental que l'environnement n'est pas mentionné dans la Constitution. Par voie de conséquence, l'État fédéral et les provinces ont le pouvoir d'adopter des lois sur divers aspects de la protection de l'environnement.
Les lois et règlements fédéraux, provinciaux et territoriaux en matière d'environnement peuvent coexister et, de fait, coexistent pour la résolution de nombreux problèmes. Lorsqu'ils sont directement incompatibles, cependant, les lois fédérales, en général, ont préséance.
Comme les deux autres témoins l'ont souligné, des obstacles peuvent entraver le commerce intérieur lorsqu'il existe des différences entre les lois et règlements d'une province ou d'un territoire et ceux d'une autre province ou territoire. Quand les exigences en matière d'environnement diffèrent d'une province à l'autre, ces différences peuvent créer des obstacles. Par contre, les lois et règlements fédéraux en matière d'environnement s'appliquent uniformément d'un bout à l'autre du pays et, ainsi, par nature, ils n'érigent pas d'obstacles contre le commerce intérieur.
Cette logique s'applique à la série complète de problèmes auxquels le gouvernement fédéral s'attaque pour la protection de l'environnement : ainsi, les normes sur les produits, les émissions, les effluents rejetés dans l'eau et les exigences et règles s'appliquant aux importations et aux exportations et liées à la conservation, y compris le transport interprovincial de produits dangereux pour l'environnement.
On voit ainsi que la réglementation fédérale en matière d'environnement ne crée pas d'obstacles, mais que les règlements des provinces peuvent le faire.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est que malgré l'importance évidente, pour le développement économique, de supprimer les obstacles qui entravent le commerce, il est également important qu'un accord renouvelé sur le commerce intérieur reconnaisse l'importance de sans cesse mieux protéger l'environnement et de reconnaître le droit de chaque province et territoire d'établir des mesures légitimes de protection de l'environnement.
C'est essentiellement le même effort de conciliation qu'il faut tenter dans les accords internationaux sur le commerce. C'est pourquoi le ministère de l'Environnement et du Changement climatique estime que les clauses relatives à l'environnement dans un accord renouvelé sur le commerce intérieur devraient être analogues à celles des chapitres sur l'environnement des accords bilatéraux et multilatéraux de libre-échange. Je me propose de mettre en évidence certains des éléments les plus notables qu'on retrouve dans à peu près tous les accords.
En général, ils reconnaissent l'importance de promouvoir une protection poussée de l'environnement et le pouvoir de chaque partie de définir ses propres priorités, d'y donner suite et d'établir les niveaux de protection de l'environnement qui lui conviennent.
D'autre part, presque tous les accords commerciaux interdisent explicitement aux parties d'ériger des barrières commerciales sous couvert de protection de l'environnement. De même, ils empêchent en général les parties de se soustraire aux lois ou aux exigences en matière d'environnement ou d'y déroger en conséquence d'une décision stratégique visant à promouvoir le commerce ou à attirer les investissements. Autrement dit, nous essayons d'éviter un nivellement par le bas de la protection de l'environnement.
Enfin, nous pensons qu'il sera important de nous assurer que rien, dans un accord renouvelé sur le commerce intérieur, ne gênera le Canada de remplir les obligations qui découlent des divers accords internationaux qu'il a conclus en matière d'environnement.
La sénatrice Ringuette : J'ai deux questions, une pour Mme Moreau et l'autre pour M. Greer.
Madame Moreau, soyez la bienvenue, et mes respects à M. Kelly.
Je m'intéresse à tout le sujet de votre diapo 6. Vous avez dit que vous aviez 109 000 membres; mais nous voyons ici que le sondage n'a obtenu que 6 340 réponses, pas même 1 p. 100 de vos membres.
Est-ce le taux normal de réponses que vous obtenez pour vos sondages auprès de vos membres, moins de 1 p. 100?
Mme Moreau : Le taux varie. Par exemple, nous pouvons obtenir jusqu'à 12 000 réponses pour un questionnaire sur l'Agence du revenu du Canada, qui, peut-être, touche plus nos membres. Notre équipe de recherche nous a dit que c'est une taille assez robuste pour un échantillon, vu que la plupart...
Le président : Il y a erreur. C'est 5 ou 6 p. 100, n'est-ce pas?
Mme Moreau : Merci.
Dans la plupart des sondages, aujourd'hui, l'échantillon n'est habituellement que de 1 000, environ, et on en extrapole l'opinion des Canadiens sur une question particulière. Quand nous obtenons de 6 000 à 12 000 réponses, nous estimons ordinairement posséder un nombre suffisant pour tirer des conclusions sur nos membres, en n'oubliant pas que ce n'est pas toutes les petites entreprises qui s'adonnent au commerce intérieur, ce qui réduit nécessairement la taille de l'échantillon. Peut-être n'offrent-elles pas un service qui se prête au commerce intérieur, peut-être ne l'offrent- elles plus.
La sénatrice Ringuette : Je vous remercie, particulièrement de votre dernière observation, qui m'aide à relativiser vos chiffres.
Monsieur Greer, merci beaucoup. Parlons du dernier problème que vous avez signalé à l'égard du leadership politique dans ce dossier, en raison des provinces, des territoires et du gouvernement fédéral ainsi que des compétences que la Constitution accorde à chacun d'eux. Vous avez cité en exemple une clause proposée mais qui ne figure pas dans l'accord commercial à cause d'une partie, une province je suppose, qui n'était pas d'accord.
Voici ma question : Ne devrions-nous pas aussi prévoir dans ce genre de négociation un mécanisme de retrait pour que, si 9 provinces ou parties sur 10 tombent d'accord sur une question de commerce interprovincial, celle qui n'est pas d'accord puisse se retirer plutôt que d'empêcher les autres de s'entendre à ce sujet dans l'accord?
Avez-vous envisagé cette possibilité plutôt que de viser l'unanimité, avez-vous prévu un mécanisme de retrait, qui débloquerait les négociations?
M. Greer : C'est vraiment une bonne question et une question que nous devrions nous poser dans les négociations sur un accord avec tant de parties, qui tient compte de tant de règlements et qui exige par ailleurs une issue positive.
Pour préparer le projet de chapitre sur l'énergie, auquel vous avez fait allusion, en vue de son adoption à une réunion, il a fallu que des fonctionnaires de tous les niveaux y travaillent pendant des mois sinon une année et demie pour parvenir à une version acceptable pour tous; du moins a-t-elle été acceptable jusqu'à la dernière minute.
Je pense que le Comité du commerce intérieur a effectivement essayé de répondre à cette question d'autoriser une formule de retrait ou permettre aux parties d'être d'accord pour ne pas être d'accord, et il s'en est occupé d'une certaine manière même avant 2008-2009, alors qu'il a proposé exactement ce que vous venez de dire. Nous n'avons pas tous besoin d'être d'accord; nous devrions peut-être permettre un mécanisme par lequel une partie peut exercer son droit de retrait sur un point particulier. Malgré cela, le consensus subsiste de sorte que même pour exercer ce droit de retrait, il faudrait être d'accord pour ne pas être d'accord. Et dans le cas du chapitre sur l'énergie, je pense que, à l'époque, on n'était même pas d'accord pour ne pas être d'accord, de sorte que la partie qui n'était pas d'accord aurait pu se soustraire à ce chapitre, mais il a été décidé qu'il était impossible même d'autoriser ce mécanisme dans l'accord.
Je crois que le comité a déjà examiné la question de l'avancement des négociations si cette idée de consensus est d'être d'accord pour ne pas être d'accord. Dans certains cas, si on ne peut même pas être d'accord pour ne pas être d'accord, on peut se retrouver là où nous sommes actuellement. Voilà pourquoi nous voyons se signer plus d'accords régionaux. L'autre façon d'exercer son droit de retrait est de signer des accords régionaux.
La sénatrice Ringuette : J'en parle parce que si nous voulons modifier la Constitution, le minimum, pour la plupart des articles, c'est 7 voix sur 10. Pourquoi ne pas appliquer un tel principe au commerce interprovincial? En autorisant une formule de retrait, il pourrait y avoir un motif plus légitime pour une partie de vouloir le faire.
M. Greer : S'il y a moyen de le faire, je crois que ce serait productif. Cependant, l'accord est lui-même politique, il n'a pas beaucoup de validité légale sauf pour son propre mécanisme de règlement des différends. Si on ne peut même pas modifier le consensus pour parvenir à une sorte d'accord, il semblerait très risqué d'édicter un nouveau système doté de ces mécanismes de protection. Cependant, si c'était possible, ne serait-ce pas génial?
La sénatrice Ringuette : C'est ce que je pense.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : En fait, je prends la part du Québec avec les professions. C'est-à-dire qu'on a des ingénieurs qui vont travailler en Alberta et un peu partout, des comptables et des informaticiens. Dans le cas des avocats, des médecins et d'autres professionnels de ce secteur, ils ne peuvent pas travailler dans d'autres provinces, sinon toutes sortes de mécanismes de blocage entrent en jeu. Il y a donc d'abord les individus.
Deuxièmement, dans le cas des métiers, il y a le Programme du Sceau rouge. J'ai été sous-ministre au Québec dans les années 1970, et je ne crois pas que les choses ont changé depuis lorsqu'il s'agit de couvrir les métiers. Dans le cas des services, j'aimerais savoir quels sont les principaux services affectés. Quant aux services financiers, à ce que je vois, pour l'assurance, les compagnies canadiennes sont incorporées au Canada et régies par le gouvernement fédéral. Il en va de même pour les banques.
Dans le cas des produits, le plus célèbre cas est celui de la bière. Tout le monde est au courant que la bière d'une province ne peut être vendue dans une autre province. Pour le vin, il doit y avoir un petit truc quelque part, parce qu'on peut acheter du vin de l'Ontario et de la Colombie-Britannique au Québec. On peut aussi acheter des pommes de terre du Nouveau-Brunswick régulièrement. Il doit certainement y avoir une mesure qui permette de vendre des pommes de terre, mais pas des petits pois.
Ces quelques exemples me mènent à la question suivante : qui exige toutes ces mesures? Est-ce que ce sont les entreprises? Je pense aux méchantes compagnies de bière qui veulent toutes protéger leur territoire. Est-ce le gouvernement?
Dans le cas des professions, entre vous et moi, elles sont régies par les provinces. Qui décidera, à un moment donné, que les avocats pourront pratiquer partout au Canada, lorsqu'ils ont fait la common law et le doit civil? Ce n'est quand même pas du chinois.
Je reviens aux produits, comme les produits alimentaires dont vous parlez. Je trouve tout à fait aberrant qu'on ait une réglementation provinciale sur les tomates. Une tomate est une tomate. Cela sert à quoi? Qui sont ceux qui en bénéficient, à part le fait de savoir qu'il y a des taxes et toutes sortes de choses à payer? Pourquoi les gouvernements provinciaux voudraient-ils tous collecter des taxes au lieu de diminuer leur budget? Je veux savoir où sont les coupables.
Mme Moreau : Je répondrai de façon générale. Les coupables, pour nous, avec le plus grand respect que j'ai pour mes collègues, ce sont les gens qui réglementent, donc les gouvernements. Vous avez mentionné ceux qui veulent récupérer les taxes. C'est une chose, bien sûr.
L'exemple des tomates n'est peut-être pas le meilleur. Pour ce qui est de la viande, entre les provinces, c'est très compliqué. Il y a des situations où on a l'approbation fédérale, mais pas provinciale. Ce cas ne nécessite pas votre permission pour partager ou vendre votre viande à travers les provinces.
J'aimerais parler du cas des avocats, étant donné que j'en suis une. La situation maintenant n'est pas trop compliquée. J'ai fait mes études à Ottawa. J'ai complété un stage en Alberta. J'ai postulé pour revenir à Ottawa. J'ai payé quelques sous, j'ai rempli un peu de paperasse, et c'était fini. Toutefois, je ne suis qu'une seule personne, je l'ai fait une fois et tout a fonctionné depuis ce temps.
Dans le cas des petites et moyennes entreprises qui agissent pour elles-mêmes à titre d'avocat et de comptable, elles doivent gérer toute la paperasse, les applications et les règlements qui changent continuellement. La question du transport est un superbe exemple. Dans certaines provinces, comme dans les Maritimes, il faut changer les pneus, car la taille des pneus est différente dans chaque province.
La sénatrice Hervieux-Payette : C'est comme pour les trains, en Espagne et en France.
Mme Moreau : Voilà. Un autre bon exemple est celui des trousses de premiers soins où les normes de sécurité sont différentes. Mon exemple préféré est celui des petits contenants de lait que vous utilisez pour votre café lors des conférences. Dans certaines provinces, ils sont de 14 millilitres, dans d'autres, ils font 15 ou 16 millilitres. Chaque province a fait ses propres efforts. Individuellement, les choses ne sont peut-être pas compliquées. Toutefois, avec le temps, les provinces ont rajouté et rajouté, et nous nous trouvons maintenant dans une situation compliquée et dispendieuse.
La sénatrice Hervieux-Payette : Ce sont donc les collègues parlementaires provinciaux qui sont les coupables. On saura au moins avec qui faire la guerre.
Il est important que même le citoyen moyen sache où on doit commencer. Vous vous souviendrez lorsqu'on a démarré le projet de la Commission nationale des valeurs mobilières. Pour réaliser cet exploit qui, selon moi, n'aboutira à rien, nous avons tout de même acheté les provinces en leur faisant un chèque, parce qu'on leur enlevait un champ de compétence.
Ma dernière question est la suivante : combien en coûtera-t-il au gouvernement fédéral pour faire comprendre aux provinces qu'elles doublent et décuplent? En fin de compte, elles vont toutes perdre de l'argent.
En ce qui me concerne, la seule façon pour nous d'intervenir est de leur faire un chèque pour les patates, un chèque pour les transports, un chèque pour tout. Dans le fond, elles ne veulent pas perdre les champs de compétences auxquels elles ont attaché un prix. Ce sont des sous qui sont en jeu. Le consommateur, pour sa part, est pris avec le problème et il ne peut pas le régler.
Mme Moreau : Je répondrai brièvement avant de céder la parole à mes collègues. Ce n'est pas impossible. Tous les janviers, la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante souligne les problèmes de la paperasserie en soulignant la Semaine de la sensibilisation à la paperasserie. Nous donnons aussi des chapeaux et des étoiles aux gouvernements qui ont fait des efforts et des démarches pour réduire la paperasserie dans leurs communautés. Il peut s'agir d'initiatives comme le fait d'éliminer des permis d'affaires. Un maire en Alberta a décidé d'arrêter le renouvellement des permis chaque année. Il a délivré le permis une fois, et la PME n'est plus obligée de payer. La question est de déterminer que le coût n'en vaut plus la peine.
La sénatrice Hervieux-Payette : Avez-vous d'autres commentaires? Qui doit payer la facture pour sortir tout ce monde du marasme?
[Traduction]
M. Greer : J'ai mon opinion sur qui est responsable. Je suis d'accord avec ma collègue. Ce sont les organismes de réglementation. Ils font les règlements, mais il revient aux chefs politiques d'essayer de supprimer ces règles une fois qu'elles sont en place. Ces règles et ces règlements ne se voulaient pas tous protectionnistes. Souvent, ils s'appliquaient à un nouveau service ou à un nouveau secteur. Les provinces promulguaient en toute légitimité de nouveaux règlements pour protéger la santé, la sécurité et l'environnement. Les normes étaient différentes, parce que d'autres provinces n'avaient pas encore fait de règlements dans ce domaine. Mais, quand, tout d'un coup, on se retrouve avec 10, 11, 12 ou 13 régimes différents et que vient le temps de songer à les modifier, le statu quo servira certains intérêts. Vous avez un accès privilégié à un marché qui annonce clairement qu'il y aura des conséquences politiques ou autres pour un gouvernement qui décidera de le modifier, et cela n'en vaut pas la peine de le changer.
Cependant nous nous retrouvons dans ce système fou, comme nous l'avons dit, où on réglemente le volume des petits contenants de lait et où le contenu des trousses de premiers soins doit être différent, d'une province à l'autre...
La sénatrice Hervieux-Payette : Combien de sparadraps?
M. Greer : Effectivement. Il incombe désormais aux chefs politiques de se concerter et de sonner un rappel à l'ordre. Il n'y a rien à redire contre les motifs légitimes de promulguer des règlements différents en raison de critères de santé et de sécurité. Mais, dans les autres cas, débarrassons-nous de ces obstacles sans fondement.
Le sénateur Campbell : Je suis gêné, et cela ne m'arrive pas souvent, par ce que je viens d'entendre.
Expliquez-moi pourquoi il faut 100 p. 100 ou même 50 p. 100? Parmi tous ceux qui sont ici présents, trois veulent conclure un accord. Pourquoi cela serait-il impossible? Je sais qu'il se conclut des accords régionaux, mais pourquoi ne le faisons-nous pas d'un bout à l'autre du pays? C'est stupide; vraiment stupide. Après 150 ans, nous sommes à 20 p. 100. Vous vous plaignez parce qu'il pourrait être de 60 p. 100 dans quelques années. Si c'était 30 p. 100, ce serait aussi étonnant, et vous envisagez 90 p. 100. Qui est-ce? L'argent, c'est l'État fédéral qui l'a.
Par exemple, 100 travailleurs migrants sont arrivés à Terre-Neuve pour cette usine de transformation du poisson qui a complètement brûlé. Partout au pays, le chômage augmente. Que faisons-nous et pourquoi ne disons-nous pas : — c'est le gouvernement fédéral, je suppose, est-ce lui? — « Vous voulez l'argent? Vous voulez les paiements de transfert et tout cela? Un nouveau jeu fait fureur en ville. Il s'appelle le Canada. » Est-ce à lui d'agir, parce que nous allons parler exactement du même sujet dans 150 ans.
M. Greer : Le gouvernement fédéral a un rôle. S'il voulait, il pourrait essayer d'exercer ses pouvoirs en vertu de l'article de la Constitution sur le commerce. Aucun gouvernement fédéral n'a, jusqu'ici, essayé de le faire, et je m'attends à ce qu'aucun ne soit disposé à le faire bientôt. Même si, légalement, il pouvait essayer d'abattre certaines de ces barrières, face à des gouvernements forts dans les provinces, face à des conséquences politiques, cela, d'après moi, n'arrivera jamais, encore moins bientôt. Il joue, malheureusement, un rôle effacé, pour ce qui est d'essayer de faciliter les négociations, de prendre l'initiative politique et d'encourager ses partenaires politiques à se présenter à la table de négociation. Parfois, ce n'est pas suffisant.
Il vient d'adopter des mesures à mon avis encourageantes. Le personnel du secrétariat du Comité du commerce intérieur, ici, à Ottawa, est très intelligent et très vaillant et il croit fermement dans la libéralisation du commerce intérieur, mais son apport n'est qu'une goutte dans la mer, et son travail est mal financé. Le site web du comité, que je vous invite à visiter, vous replongera à l'époque de Windows 95. Ce groupe pourrait être mieux armé pour faire un meilleur travail, c'est-à-dire exposer ces barrières ainsi que les mesures à prendre pour les supprimer.
Le fédéral joue essentiellement un rôle de facilitateur. C'est en grande partie aux provinces qu'il incombe d'établir des alliances. Comme vous l'indiquiez, des provinces aux vues similaires ont ainsi pu conclure des accords régionaux, comme celui du nouveau partenariat de l'Ouest, en se disant qu'elles ne pouvaient plus attendre le nouvel ACI, que c'était trop long. Mais je pense à d'autres provinces qui vont en venir à reconnaître la nécessité de supprimer quelques- uns de ces obstacles réglementaires. Dans une conjoncture de croissance structurelle plutôt lente, nous devons améliorer notre productivité, et c'est l'un des outils à notre disposition pour ce faire.
Le sénateur Campbell : Quel imbécile ne pourrait pas comprendre que nous avons plus à gagner à faciliter nos échanges intérieurs que sur le plan du commerce extérieur? C'est vraiment gênant. En toute franchise, je ne sais même pas pourquoi nous discutons encore de ces questions, car je ne vois aucun espoir. C'est toujours la même histoire qui se répète.
J'aimerais savoir pourquoi vous affirmez que les lois environnementales fédérales ne font pas obstacle au commerce interprovincial, alors que c'est le cas pour les lois provinciales sur l'environnement?
M. Moffet : C'est parce que les lois environnementales fédérales s'appliquent de la même manière partout au Canada. Je pense aux différents coûts à engager pour se conformer à une loi. Dans le cas des lois sur l'environnement, ce coût est le même dans toutes les régions du pays. Je ne suis pas ici pour tenter de vous convaincre qu'une mesure environnementale fédérale est plus bénéfique qu'une autre. Je vous dis simplement que les règlements que nous adoptons s'appliquent de façon uniforme. Ils ne font pas obstacle au commerce intérieur en ce sens que vous n'avez pas à respecter une règle fédérale en Colombie-Britannique et une autre en Alberta. En revanche, il a été clairement démontré que les différences dans la réglementation environnementale d'une province à l'autre font obstacle aux échanges commerciaux.
Vous n'avez qu'à penser aux exigences relatives à l'élimination des produits à la fin de leur vie utile. Elles diffèrent d'une province à l'autre. Si vous écoulez vos produits à l'échelle nationale, il est possible que vous deviez mettre en place des processus distincts pour prendre en charge vos obligations dans les différentes régions du pays. C'est un exemple parmi tant d'autres.
Le sénateur Campbell : Merci. Cela explique bien des choses.
La sénatrice Wallin : Je suis en grande partie d'accord avec le sénateur Campbell. Il y a longtemps déjà que nous parlons de commerce intérieur. Il est facile de pointer du doigt les instances réglementaires, les premiers ministres protectionnistes, les avocats et qui on veut. Comme notre comité devra produire un rapport à ce sujet, je vous donne à chacun l'occasion de résumer la nature du problème en nous indiquant les mesures qui pourraient être prises dans l'immédiat. Et je ne veux pas que vous me répondiez qu'il faudrait que tout le monde change son fusil d'épaule. Est-ce que le travail que vous avez effectué vous a permis de dégager des mesures concrètes qui pourraient vous guider dans la formulation de nos recommandations?
M. Greer : Je pourrais assurément vous dire qu'un nouvel accord — qu'il soit conclu demain matin, dans six semaines ou dans six ans — devra prévoir un mécanisme de règlement des différends. Si les gouvernements et les entrepreneurs n'ont pas l'impression qu'il leur est possible de revendiquer l'application d'une entente conclue librement par les instances gouvernementales, on ne peut pas vraiment parler d'un accord, mais davantage de vœux pieux, pourrait-on dire. Un mécanisme mieux conçu et plus efficace pour le règlement des différends est l'un des éléments fondamentaux que l'on devrait retrouver dans n'importe quelle entente. Sans égard aux modalités convenues, il faut que l'on puisse contourner tous les obstacles à l'application, et ce, de façon rapide, efficiente et peu coûteuse. Il faut également s'assurer que les entreprises y ont directement accès.
À l'heure actuelle, une entreprise qui souhaite loger une contestation relativement à l'Accord sur le commerce intérieur doit s'adresser à un parrain gouvernemental pour qu'il lui serve d'intermédiaire. Si le parrain ne veut pas donner suite à la requête, il demeure possible pour l'entreprise de formuler une contestation, mais c'est un processus qui traîne en longueur et l'accès à un tribunal n'est pas chose facile. Il est donc ardu d'obliger le gouvernement de l'autre côté de la table à respecter les termes de l'accord. Une entente deviendra nettement plus efficace si on lui donne plus de mordant.
La sénatrice Wallin : On garde toujours cette question pour la fin des négociations, alors que l'on devrait en traiter dès le départ. Merci. Je vous laisse répondre.
M. Moffet : J'aurais un élément à ajouter. Je voudrais insister sur la nécessité pour un accord sur le commerce intérieur de bien définir les objectifs visés par la réglementation et les normes. On pourrait certes débattre de l'endroit exact où doit se situer la ligne de démarcation, mais il est généralement reconnu en droit international qu'il existe des motifs légitimes pour l'établissement de normes techniques en matière de santé, de protection de l'environnement et de sécurité, sans que celles-ci constituent des formes déguisées de barrières commerciales.
Un accord sur le commerce intérieur vise justement à éliminer ce genre d'obstacles techniques dont le véritable but est de protéger le développement économique de la province qui les établit, ce qui freine d'autant le développement efficient de l'économie nationale.
Mme Moreau : J'aimerais poursuivre brièvement dans le sens des commentaires de M. Greer. Nos membres nous ont indiqué que leur volonté d'éliminer les règlements néfastes ne vise aucunement ceux qui touchent la santé et la sécurité. Comme notre collègue vient de l'expliquer, ces règlements sont tout à fait justifiés. Nous en avons plutôt contre les règles inutiles et insensées dont je vous parlais tout à l'heure.
À la page 13 de notre rapport, nous traitons des obstacles exigeant une attention immédiate. La quasi-totalité des entreprises canadiennes obtiennent un numéro de l'Agence du revenu du Canada. Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser ce numéro d'entreprise dans toutes les provinces? L'appellation « numéro d'entreprise du Canada » est même employée dans certains cas. Il va de soi que si un tel numéro est valable pour l'Ontario ou la Colombie-Britannique, il devrait l'être tout autant pour la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince-Édouard.
Pour ce qui est des règlements sur le transport, nous vivons dans un très vaste pays où le camionnage est parfois le seul moyen de transporter un produit du point A au point B. Il est totalement insensé que l'on doive changer de pneus et obtenir des permis saisonniers selon le type de route que l'on emprunte.
Comme certains de vos collègues l'ont déjà mentionné, l'octroi de permis pour exercer une profession ou un métier est un autre secteur où des changements pourraient facilement être apportés dans l'immédiat. C'est un peu la même chose pour l'indemnisation des accidentés du travail et les questions de santé et sécurité.
Parallèlement aux considérations d'ordre plus général, ces quelques suggestions de mesures précises pourraient constituer un bon point de départ dans l'élimination de ces barrières réglementaires intangibles qui affligent les propriétaires d'entreprise au quotidien.
La sénatrice Wallin : J'aurais une dernière question qui va vous mettre un peu sur la sellette. Vous nous avez parlé avec beaucoup d'éloquence et de passion des différents obstacles au commerce intérieur. Quelles sont d'après vous les chances que l'on arrive à aplanir ces difficultés? J'aimerais que chacun de vous puisse répondre.
Mme Moreau : Je suis optimiste; sincèrement. Comme je l'indiquais précédemment, nous tenons une semaine de sensibilisation à la paperasse. À cette occasion, nous remettons chaque année des prix aux décideurs et aux instances gouvernementales qui parviennent à réduire les tracasseries administratives. Et c'est d'ailleurs exactement ce que sont les barrières au commerce intérieur : des tracasseries administratives. De nombreux progrès intéressants ont ainsi pu être réalisés. Des maires ont décidé de ne plus exiger le renouvellement annuel des permis d'exploitation d'une entreprise en renonçant ainsi aux revenus tirés de cette formalité.
Il y a aussi un très bon exemple du côté de Calgary où le maire Nenshi a fait le nécessaire pour que des camions de cuisine de rue puissent offrir leurs services dans un très court délai. C'est donc chose possible; la volonté politique est là. Nous pouvons soit nous attaquer à de petits irritants pour améliorer graduellement la situation, soit aborder le problème de front dans ces différents dossiers. S'il y a un message à retenir, c'est que les actions menées doivent faire une véritable différence dans la vie des gens. Si le Canadien moyen ne peut pas constater de vrais changements, alors toutes les ententes et les communiqués ne demeureront que de la simple paperasse.
M. Greer : Je pencherais du côté d'un optimisme prudent. Il faut s'attendre à des développements sous peu. L'échéance était fixée au mois de mars. Je comprends qu'il puisse y avoir des retards, car il y a eu certains changements de gouvernement. D'après ce que nous avons pu apprendre, les négociateurs sont toujours au travail et les ministres tiennent des conférences téléphoniques pour essayer de faire avancer les choses. Nous ne savons pas encore ce que prévoira l'accord à venir, mais nous avons bon espoir que la conjoncture politique favorable, à partir du sommet et des premiers ministres, permettra d'aboutir à un résultat concret.
Combien faudra-t-il de temps pour que cet accord puisse être mis en œuvre? Nous ne le savons toujours pas. Est-ce que l'on optera pour le long terme avec de grands objectifs visant à améliorer la situation dans un délai de 10 ans ou est-ce qu'il y aura des changements instantanés? Qu'adviendra-t-il une fois l'entente conclue? Je voudrais que les premiers ministres profitent de l'élan exprimé en mai 2014 pour préconiser une poursuite des efforts afin que la conjoncture soit encore meilleure dans deux ans.
Par ailleurs, il y a des changements structurels qui s'opèrent au sein de notre économie. Selon moi, une réforme de la réglementation et des formalités administratives doit être au cœur de tout plan de croissance. C'est un constat que devront faire tous les ordres de gouvernement. Il faut espérer que la dynamique actuelle les incitera à continuer à chercher des moyens de faciliter l'exploitation d'une entreprise aussi bien dans le territoire sous leur juridiction que d'un océan à l'autre.
M. Moffet : Je ne suis pas nécessairement le mieux placé pour m'exprimer dans un sens ou dans l'autre, mais je conviens avec mes collègues qu'il s'agit essentiellement d'une question de volonté politique.
Il y a effectivement de nombreux exemples de cas où l'incurie bureaucratique a pu s'installer à la faveur de l'inertie institutionnelle. C'est uniquement la volonté politique qui nous permettra de changer les choses et de surmonter les barrières les plus importantes qui sont en fait des mesures protectionnistes déguisées. Rien de mieux, bien sûr, pour susciter la volonté politique nécessaire que d'exposer clairement les avantages pour l'ensemble des Canadiens.
Le sénateur Enverga : Merci à tous pour vos exposés. Je sais, monsieur Moffet, que vous devrez nous quitter sous peu, car l'heure avance.
Ma question porte sur les lois environnementales en vigueur dans les différentes régions du pays. Est-ce que les provinces peuvent imposer des exigences supplémentaires en matière d'environnement? Je pense surtout à la question des pipelines. Dans certains cas, le pipeline pourrait être acceptable, mais la loi environnementale de la province fait en sorte qu'il ne l'est plus. Est-ce que c'est chose possible? Est-ce que les lois provinciales peuvent avoir préséance sur les lois fédérales?
M. Moffet : Non, les lois provinciales ne peuvent pas avoir préséance sur les lois fédérales, mais elles peuvent régir certaines questions qui ne sont pas visées par les lois fédérales. Pour reprendre l'exemple des pipelines, ceux qui traversent les frontières provinciales relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. Il y a toutefois plusieurs pipelines qui ne sortent pas des limites d'une province. C'est alors la province en question qui en est la seule responsable.
Les pipelines qui passent dans plus d'une province sont réglementés par l'Office national de l'énergie, une instance fédérale. D'un point de vue juridique, les décisions concernant les pipelines interprovinciaux sont donc prises à l'échelon fédéral. Il y a toutefois aussi une perspective politique à considérer, car des projets comme ceux de la construction d'un pipeline doivent généralement satisfaire au critère de l'acceptabilité sociale dans chacune des régions touchées. Les considérations juridiques laissent alors place aux questions de politique générale.
Le sénateur Enverga : Nous avons pu constater que l'accord commercial du nouveau partenariat de l'Ouest donne de bons résultats en créant pour ainsi dire une nouvelle région économique. Peut-être serait-il possible pour vos organisations respectives, et je parle de la Chambre de commerce du Canada et de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, de travailler auprès des provinces pour voir si chacune d'elles n'aurait pas intérêt à conclure une telle alliance régionale. Pourquoi pas, par exemple, dans les Maritimes ou dans le centre du Canada? Commençons par un accord régional. Nous n'avons pas besoin d'une entente pancanadienne dès le départ. Est-ce une avenue possible? Ne serait-ce pas plus facile à réaliser? Qu'en pensez-vous?
Le président : Il faut toujours faire attention à ses désirs.
M. Moffet : Puis-je prendre la parole? Je vous prie de m'excuser, mais bien que mon vol ne soit pas à 17 h 30, je dois partir dès maintenant pour me rendre à l'aéroport. Si vous avez des questions de suivi, je me ferai un plaisir d'y répondre avec mes collègues. J'espère avoir pu vous être utile.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Moffet. Nous apprécions votre contribution. Veuillez poursuivre.
M. Greer : À mon sens, on se rabat sur des ententes régionales du fait qu'il est très difficile de dégager un consensus quant aux modifications à apporter à l'accord national. L'accord commercial du nouveau partenariat de l'Ouest en est un bon exemple. Même si les mesures pourraient être plus musclées dans certains secteurs, c'est un bon accord qui va certes plus loin que l'ACI, et sans doute plus loin également que certaines mesures prévues dans l'accord à venir.
Si l'on ne parvient pas à conclure un accord national bien structuré, il peut être utile de négocier des ententes régionales. Les provinces aux vues similaires devraient, au nom des différents intérêts commerciaux qu'elles représentent, poursuivre les efforts pour conclure des ententes semblables et en étendre la portée. À l'issue de la campagne électorale en cours au Manitoba, il est possible que cette province se joigne au nouveau partenariat de l'Ouest. Il est bien certain que les ententes régionales sont une bonne solution en l'absence d'un accord fédéral bien conçu. Pour une entreprise dont les échanges s'effectuent depuis l'Ontario et le Québec vers les provinces de l'Ouest, l'accord commercial du nouveau partenariat de l'Ouest n'est guère profitable, mais c'est un point de départ. C'est mieux que rien du tout. En définitive, nous avons besoin d'une entente nationale qui va permettre la libre circulation de la main-d'œuvre, des produits et des capitaux entre toutes les provinces.
Mme Moreau : Je ne saurais pas vraiment mieux dire.
Le sénateur Enverga : Serait-il plus facile de conclure d'abord une entente régionale?
Mme Moreau : Comme de tels accords existent déjà, il est bien évident que l'on a trouvé plus facile de s'entendre entre trois ou quatre provinces, plutôt qu'à l'échelle nationale. Je suis d'accord avec M. Greer. Nous ne saurons jamais trop insister sur l'importance que revêt un accord national pour les Canadiens. Les petites entreprises ont davantage tendance à viser les marchés avoisinants, mais rien ne les empêche de voir plus loin. Nous avons des entreprises de l'Alberta qui vendent leurs produits au Québec et d'autres de la Nouvelle-Écosse qui les écoulent en Colombie- Britannique. Elles doivent encore composer avec ces obstacles dont nous vous avons parlé, et j'estime qu'elles devraient bénéficier d'une situation aussi favorable que les provinces qui ont conclu une entente régionale.
Le sénateur Enverga : Est-ce que le gouvernement fédéral pourrait prendre des mesures, comme un incitatif fiscal, qui faciliteraient les choses? Est-ce que ce serait une bonne idée? On pourrait par exemple indiquer qu'une entente donnera droit à un incitatif fiscal.
Le sénateur Campbell : Un pot-de-vin.
Le sénateur Enverga : Exactement.
Mme Moreau : En fin de compte, il faudrait que nous consultions nos membres pour voir quelles mesures pourraient leur être utiles.
D'une manière générale, les échanges devraient être plus faciles; les choses ne devraient pas être aussi compliquées. De nombreux chercheurs ont tenté de chiffrer le coût de ces barrières commerciales. Selon des travaux récents, il s'établirait à 7,500 $ par Canadien. Personne ne s'entend sur un chiffre précis, mais toutes les estimations sont ahurissantes. Les économies potentielles devraient être suffisantes pour convaincre le gouvernement de l'importance de ce dossier.
Le sénateur Black : Monsieur Greer, pourriez-vous nous aider à mieux cadrer nos échanges concernant les mécanismes de règlement des différends? Y en a-t-il certains dont nous pourrions nous inspirer?
M. Greer : Il faut considérer les mécanismes existants dans nos accords de libre-échange en vigueur, y compris l'AECG. Nous avons apporté des modifications au processus de règlement des différends de l'AECG de telle sorte que...
Le sénateur Black : N'y a-t-il pas un de ces mécanismes qui vous apparaît idéal?
M. Greer : Celui-là semble se distinguer. Même le mécanisme prévu dans l'accord du nouveau partenariat de l'Ouest est plus rapide et pratique que celui du fédéral. Ce serait donc, comme celui de l'AECG, un bon exemple d'un mécanisme plus efficace que ce que nous avons actuellement.
Le sénateur Black : Madame Moreau, auriez-vous quelque chose à ajouter concernant les modèles à suivre pour le règlement des différends?
Mme Moreau : Nous avons souligné au départ le cas de l'ALENA. À ce moment-là, nous n'avions pas beaucoup de détails au sujet de l'AECG. Il faut essentiellement chercher à mettre en place des mesures permettant à chacun de faire valoir plus facilement sa cause lorsque cela est nécessaire.
Le sénateur Black : Tout à fait.
J'aurais une dernière question et je vous prie de m'excuser et de ne pas répondre si elle a déjà été posée, car j'ai dû m'absenter quelques instants pour faire un appel.
Vous venez de nous parler du coût pour l'économie canadienne. À combien chacune de vos organisations estime-t-elle ce coût?
M. Greer : Nous n'avons pas de nombre précis à côté duquel nous avons mis notre nom. Vous avez tous vu les estimations. Certains croient que le commerce intérieur ne pose pas de gros problème, que c'est une bagatelle, une petite question de PIB qui ne vaut pas la peine d'être réglée, tandis que j'ai vu d'autres études qui donnent un montant de 50 milliards de dollars.
D'après ce que nos membres disent, c'est un gros montant. Je ne sais pas à quel point; nous n'avons pas de chiffres là-dessus. Il est difficile de mesurer l'activité économique qui aurait autrement lieu en l'absence de petites règles visant un million de biens et services différents, mais je crois que le coût serait considérable.
Mme Moreau : Nous sommes dans le même bateau. Je vais étoffer un peu ma réponse. Comme je l'ai dit, nous sommes dans le même bateau. C'est une chose difficile à saisir, mais nous avons fait une étude sur la paperasse, en général, à tous les paliers de gouvernement, et je peux fournir l'information recueillie au comité. Cette information ne porte pas uniquement sur le commerce, mais elle vous donnera une bonne idée du coût, qui se chiffre en milliards.
Le sénateur Greene : Le Canada est-il unique parmi les États fédéraux? Je pense aux États-Unis, à l'Allemagne, à l'Australie et ainsi de suite. Est-ce un problème propre au Canada ou est-il répandu parmi les États fédéraux?
Mme Moreau : Le problème est commun; le Canada ne fait pas exception. La superficie de notre pays a créé des problèmes uniques, mais tout pays ayant une structure infranationale — les États-Unis, l'Australie, la Suisse, le Canada — est aux prises avec ce genre de problèmes. Cela dit, si l'Union européenne peut faire signer 27 pays et harmoniser de nombreux règlements, nous pouvons sûrement faire bouger les choses à l'échelle provinciale.
Le sénateur Greene : C'est ce que je pensais.
M. Greer : J'ajouterais que, même si les problèmes ne sont certainement pas propres au Canada, le fait de ne pas avoir trouvé une solution commence à l'être. En Australie, les différents paliers infranationaux de gouvernement ont essayé d'en trouver une, n'ont pas réussi et se sont ensuite adressés au gouvernement fédéral pour obtenir de l'aide. Ils ont exercé leur pouvoir constitutionnel pour adopter un accord portant sur certains points d'entente et d'autres échanges transfrontaliers.
L'incapacité de trouver une solution devient propre au Canada.
Le sénateur Campbell : Je veux revenir encore une fois aux coûts. Dans votre document, vous citez ce que Copeland a dit en 1998. Cela fait longtemps; cela remonte à loin. N'y a-t-il rien de plus à jour que des propos datant de 1998 selon lesquels il est avantageux pour l'économie d'éliminer les obstacles au commerce intérieur pour qu'ils soient de l'ordre de 0,1 p. 100 ou même de 0,5 p. 100? Vous dites ensuite qu'un consortium de groupes de gens d'affaires, y compris la FCEI, a évalué le coût à 14 milliards de dollars par année.
Il me semble que si nous avions un nombre fondé sur des données scientifiques... Ce que je veux dire, c'est que le montant de 14 milliards de dollars retient mon attention. Il pourrait être utile que la population voie ce genre de montant nous échapper, pour ainsi dire — nous ne le voyons même pas. Certains disent que ce n'est pas si grave alors que d'autres disent le contraire. Je crois que c'est très grave; on parle de 14 milliards de dollars. Cela dit, y a-t-il autre chose que nous pouvons consulter pour avoir une meilleure idée des chiffres?
Mme Moreau : Je peux vous diriger vers un article récent du Financial Post qui porte sur la recherche effectuée par les gens de la Revue canadienne d'économique selon lesquels le montant est de 7 500 $ par ménage. Nous n'avons pas encore fait sanctionner ce montant par la FCEI, mais il s'agit de données plus récentes. Leurs calculs leur ont donné un coût d'environ 100 milliards de dollars pour l'économie.
Comme l'indique notre mémoire, et comme nous l'avons dit dans nos observations, que l'on puisse ou non déterminer ce montant, il est toujours considérable — chaque fois que l'on essaie...
Le sénateur Campbell : Oui, mais vous savez que d'un point de vue politique, c'est tout simplement faux. Ce ne sont pas tous les chiffres qui sont élevés; certains le sont plus que d'autres. Vous venez tout juste de passer de 14 milliards à 100 milliards de dollars. C'est un grand écart, et les gens disent : « Si vous ne pouvez pas déterminer ce que cela nous coûte, qu'allons-nous faire? » Les chiffres approximatifs — même si vous avez réduit l'écart — se situent entre 14 et 100 milliards de dollars, ce qui ne correspond pas vraiment à une erreur d'arrondissement.
Mme Moreau : Je suis d'accord. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que c'est une nouvelle étude; nous ne l'avons pas encore nécessairement analysée avec nos membres dans le but d'établir un coût.
Comme je l'ai mentionné, dans notre étude sur le coût de la paperasse pour l'économie, nous n'avons pas isolé le commerce intérieur, mais je peux tout de même vous la remettre. Nous avons comparé les coûts au Canada aux coûts aux États-Unis, et les chiffres s'élèvent à plusieurs milliards. Le montant de 14 milliards de dollars est donc un plus petit chiffre que nous avons tiré de notre étude sur la paperasse concernant cette question.
Le président : Les études s'appuient-elles sur des paramètres différents? Autrement dit, tenez-vous compte des pipelines ou des offices de commercialisation des œufs, par exemple?
Mme Moreau : Dans le cas de l'étude portant sur la paperasse...
Le président : Pas pour ce qui est de la paperasse, mais pour le commerce interprovincial. Il va de soi que certaines études en tiennent compte et d'autres peut-être pas; les chiffres pourraient varier pour cette raison.
Mme Moreau : Je pense que tous les économistes vous donneraient une réponse différente.
Le président : C'est habituellement le cas, peu importe ce qu'on leur demande.
Le sénateur Tannas : Je vais terminer en vous posant une question qui pourrait vous rendre mal à l'aise. Je veux seulement m'assurer d'une chose, car, au cours des quelques années que j'ai passées ici, je me suis parfois rendu compte que j'étais naïf dans certains dossiers. Y a-t-il des provinces qui sont reconnues comme étant manifestement récalcitrantes à ce projet? Nous avons vu que l'Alberta, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan ont réussi à mettre sur pied quelque chose qui est comparable à ce à quoi nous aspirons tous — pour ce qui pourrait être de bonnes raisons.
Avez-vous entendu parler d'une ou plusieurs provinces, ou en avez-vous observé une ou plusieurs, qui empêchent carrément la réalisation de ce projet? Le cas échéant, pouvez-vous les nommer?
M. Greer : Ce n'est pas caractéristique de provinces précises. À mesure que les gouvernements et le leadership politique changent — parfois à mesure que les ministres changent au sein d'un gouvernement —, la position d'un gouvernement et d'une province change également. C'est varié, et il a été question de diverses provinces à divers moments.
En partie, le problème de l'accord — de manière semblable à tous les accords politiques fondés sur un consensus —, se rapporte à l'exemple que j'ai donné dans mes observations au sujet d'un chapitre sur l'énergie ayant été approuvé par toutes les provinces sauf une qui a dit à la dernière minute : « Non, merci. »
Dans cet accord, les entreprises canadiennes ne peuvent pas voir de qui il s'agit, qui a dit non. L'accord ne responsabilise pas suffisamment les provinces, car nous ne savons pas lesquelles ont dit non lorsque les trois quarts des provinces s'entendent sur des règles précises. Ce manque de transparence dans l'accord ne nous aide pas vraiment à répondre à la question à laquelle nous cherchons tous à répondre.
Le sénateur Tannas : Au fil des ans, vous n'avez pas entendu parler de parties continuellement récalcitrantes. Comme l'a dit le sénateur Campbell, 150 ans se sont écoulés.
Mme Moreau : Je pourrais peut-être ajouter brièvement que le Comité du commerce intérieur est structuré de manière à ce que la présidence soit assumée à tour de rôle. Chaque année, une nouvelle province assume la présidence, et le gouvernement fédéral a également droit à son tour. Une année ne donne pas suffisamment de temps lorsque les travaux avancent bien. Le changement de président s'accompagne d'un changement de volonté politique. Je n'ai pas de solution qui me vient à l'esprit — il faut déterminer si la période devrait être prolongée. Nos membres ont dit que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle de premier plan. Cela signifie peut-être que le comité devrait avoir un rôle de soutien accru, un rôle plus fondamental, et que l'alternance de la présidence devrait se poursuivre. Au moins, en procédant ainsi, quelqu'un demeurerait toujours aux commandes.
La sénatrice Ringuette : Eh bien, nous connaissons tous Ottawa et le rôle que vous jouez au sein du système de lobbying. C'est une observation ou une question à laquelle vous pouvez répondre pour vous défendre. Nous semblons nous attaquer facilement au leadership provincial et politique. Or, combien de membres de la Chambre de commerce du Canada et de la FCEI exerceraient des pressions sur leur gouvernement provincial respectif pour que soient maintenues les règles qui protègent leurs entreprises?
M. Greer : C'est une question extrêmement pertinente et importante. À l'échelle nationale, pour ce qui est de la majorité de nos membres, cela concerne en grande partie leur gagne-pain. Ils sont peu nombreux à nous exprimer leur désaccord ou à appeler le siège social pour dire : « Nous n'arrivons pas à croire que vous portez encore attention au commerce intérieur. » Je ne peux pas parler au nom des entreprises ou des secteurs qui exerceraient des pressions pour protéger l'accord, mais il y en a forcément. Nous pouvons dire qu'il est très important de modifier l'accord, et que les gouvernements provinciaux doivent mettre de l'ordre dans leurs affaires. Le milieu des affaires est prêt à nouer un partenariat pour éliminer ces obstacles, plutôt que de se contenter d'exprimer son mécontentement et de dire qu'il faut régler la question.
Je signale que, en juillet dernier, des membres de l'alliance des gens d'affaires ont été conviés à une réunion du Comité du commerce intérieur. À ma connaissance, c'était la première fois qu'ils étaient invités à participer à une présentation faite dans le cadre de ces négociations qui ont eu d'énormes répercussions sur le milieu. Nous exprimons notre mécontentement et disons qu'il est temps de passer à l'action, mais nous sommes aussi disposés à nouer un partenariat avec le gouvernement et à nous pencher avec lui sur ce qui a du sens. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de participer à cette séance.
Le gouvernement est prêt à dévoiler un nouvel accord, et nous espérons qu'il nous invitera de nouveau à une sorte de séance d'information pour nous montrer en quoi il consiste. Nous pouvons aider à valider l'approche et à en faire connaître les répercussions, ainsi que dire avec franchise en quoi nous pensons que les mesures ne vont pas assez loin. Nous serons assurément là pour participer à la mise en œuvre de l'accord et déterminer comment passer au prochain. Nous sommes prêts à aider.
Le sénateur Massicotte : Si vous me permettez, madame Moreau, j'ai une question technique à vous poser. L'un des graphiques de votre organisation indique qui exporte des produits et qui en achète. Vous remarquerez que toutes les provinces en achètent plus qu'elles n'en vendent. Il y a quelque chose qui cloche. Comment expliquez-vous cela?
Mme Moreau : Cela dépend de la province, bien entendu, et des produits.
Le sénateur Massicotte : Toutes les provinces achètent plus de produits qu'elles n'en vendent.
Mme Moreau : C'est également vrai pour l'ensemble du pays. Cinquante pour cent de nos membres importent des produits, tandis que seulement 25 p. 100 d'entre eux en exportent. L'exportation représente un gigantesque défi pour une petite entreprise, notamment à l'échelle internationale ou tout simplement dans une province voisine. Quand vous avez besoin de quelque chose, vous le commandez, on vous le fait parvenir et vous payez les coûts connexes. Dans notre pays, nous ne trouvons pas de tout dans une même province, et certaines provinces doivent donc faire venir des patates de l'Île-du-Prince-Édouard ou autres choses venant d'ailleurs.
Le sénateur Massicotte : Je suppose que l'élément non canadien expliquerait l'écart.
Mme Moreau : Je pourrais vous revenir là-dessus. Les importations interprovinciales peuvent assurément répondre à des besoins, par exemple pour ce qui est du lait, du blé ou de certains services.
Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, chers sénateurs, nous devrons siéger un peu à huis clos, pendant environ cinq minutes.
Avant de poursuivre la séance, nous dirons d'abord au revoir à nos témoins. Les sénateurs qui ne sont pas membres du comité, mais qui souhaitent rester, sont les bienvenus.
(La séance se poursuit à huis clos.)