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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule n° 4 - Témoignages du 14 avril 2016


OTTAWA, le jeudi 14 avril 2016

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier les questions relatives aux barrières au commerce intérieur.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle David Tkachuk et je suis président du comité. Il s'agit de la sixième réunion sur notre étude spéciale sur les questions relatives aux barrières au commerce intérieur.

Nous accueillons aujourd'hui M. Frédéric Seppey, négociateur en chef pour l'agriculture de la Direction des accords commerciaux et des négociations d'Agriculture et agroalimentaire Canada; et M. Richard Arsenault, directeur exécutif de la Direction des systèmes de la salubrité des aliments nationaux et de l'hygiène des viandes, de l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

Chers collègues, M. Seppey nous présentera son exposé, et M. Arsenault et lui répondront aux questions.

[Français]

Frédéric Seppey, négociateur en chef pour l'agriculture, Direction des accords commerciaux et des négociations, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Je vous remercie, monsieur le président. Je m'appelle Frédéric Seppey. Je suis le négociateur en chef pour l'agriculture, et sous-ministre adjoint à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Mes responsabilités comprennent principalement la direction de la politique commerciale internationale en matière d'agriculture, mais touchent également le commerce intérieur, étant donné qu'il constitue un facteur clé pour la compétitivité de l'agriculture canadienne sur le marché national et international. C'est avec plaisir que M. Arsenault et moi sommes ici aujourd'hui pour discuter des questions liées au commerce intérieur qui pourraient avoir une incidence sur le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire au Canada.

Un marché intérieur mieux intégré favorise la mise en place d'un secteur agricole et agroalimentaire compétitif et innovateur en plus de réduire les coûts de production et d'accroître la productivité. Il constitue un complément naturel à la participation intensive du Canada dans le commerce international.

Le commerce entre les provinces et les territoires est un élément essentiel de l'économie canadienne. En 2014, année à laquelle s'appliquent les derniers chiffres dont nous disposons, la valeur du commerce interprovincial s'élevait à près de 400 milliards de dollars, ce qui représente un cinquième ou 20 p. 100 du PIB du Canada.

Il est utile de noter que 40 p. 100 des exportations des provinces et des territoires restent au sein du Canada. En réalité, les récentes tendances indiquent que la croissance du commerce intérieur est plus stable que celle du commerce international. Cela a été clairement démontré durant la dernière récession pendant laquelle le déclin du PIB associé aux exportations internationales était beaucoup plus prononcé que celui associé au commerce intérieur.

Au chapitre du commerce intérieur, le commerce interprovincial de produits agricoles et agroalimentaires représentait environ 40 milliards de dollars en 2011, soit 11 p. 100 du commerce interprovincial total, ce qui représente la même proportion de la part de l'agriculture dans les exportations totales du Canada.

Le fait que l'agriculture soit un domaine de compétences partagées entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires joue un rôle important lorsqu'on examine le commerce intérieur des produits agricoles et agroalimentaires.

En vertu du pouvoir en matière de commerce, le gouvernement fédéral est responsable du commerce interprovincial et international, et dans certains cas, de la vente de biens au sein des provinces et des territoires. Les provinces et les territoires, pour leur part, sont responsables de la production et de la commercialisation intérieure des produits agricoles et agroalimentaires. Par exemple, certains produits comme la viande doivent respecter la réglementation fédérale relative à l'homologation pour pouvoir faire l'objet de commerce entre les provinces ou sur les marchés internationaux. Si ces produits ne sont pas fabriqués dans un établissement agréé par le gouvernement fédéral, ils ne peuvent être vendus que dans la province où ils ont été produits et à condition de satisfaire à la réglementation de cette province ou de ce territoire.

De même, en ce qui concerne la salubrité des aliments en général, le gouvernement fédéral est responsable de la réglementation nationale qui s'applique au commerce interprovincial et international ainsi qu'à la vente de biens à l'intérieur de chacune des provinces. Dans certains cas, les provinces disposent en outre de leur propre réglementation complémentaire.

C'est à cet égard que le gouvernement a mis en place un certain nombre de mécanismes pour assurer la collaboration étroite et la coordination des efforts avec les provinces et territoires sur des sujets qui intéressent les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire.

[Traduction]

Le commerce intérieur de produits agricoles et agroalimentaires est essentiellement régi par l'Accord sur le commerce intérieur, ou l'ACI, qui est entré en vigueur le 1er juillet 1995. Dans l'ensemble, le commerce en agriculture est assujetti aux règles générales établies dans l'ACI, comme la non-discrimination réciproque et la transparence. De plus, le nouveau chapitre de l'ACI portant sur les produits agricoles, plus vigoureux, a fait l'objet de négociations entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux amorcées en 2008 et a pris effet le 8 novembre 2010.

Le chapitre révisé sur l'agriculture permet de faire en sorte que les mesures techniques adoptées par les gouvernements ne restreignent pas le commerce interprovincial au point de faire obstacle à l'atteinte d'objectifs légitimes, tels que la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou la protection des végétaux.

Même si l'ACI a permis une évolution vers la libéralisation intégrale du commerce interprovincial en agriculture, un certain nombre d'éléments tels que les différences de réglementation et la non-uniformité des normes continuent à faire obstacle à la libre circulation des biens au-delà des frontières provinciales.

Par exemple, le commerce interprovincial ou international des produits carnés doit respecter la réglementation fédérale relative à l'homologation des établissements de transformation. Autrement, les produits carnés ne peuvent être vendus que dans la province ou le territoire où ils ont été produits.

Les normes de composition ou d'identification constituent un autre domaine dans lequel il peut y avoir un manque de coordination entre les réglementations. Cela peut être justifié d'un point de vue de politique publique, mais peut accroître les coûts ou la complexité pour les commerçants.

Au Canada, 511 normes fédérales de composition ou d'identification s'appliquent pour 27 produits différents, et ces normes peuvent être reproduites d'une province à l'autre avec des différences subtiles. C'est le cas pour le sirop d'érable. Certaines normes ne s'appliquent qu'au niveau provincial, par exemple, les normes de composition du yogourt au Québec. Une harmonisation des normes d'identification pourrait être un vecteur de libéralisation pour ce qui est de la mobilité des produits.

Si je passe maintenant au processus de renouvellement de l'ACI actuel, depuis la conclusion des récentes négociations commerciales, par exemple avec la Corée et l'Union européenne et, plus récemment, le Partenariat transpacifique, des associations professionnelles, des groupes de consommateurs et des universitaires ont fait des demandes à propos de la nécessité de moderniser l'ACI et de s'assurer que le commerce intérieur n'accuse pas de retard sur la libéralisation du commerce international et que le marché canadien est aussi ouvert à l'échelle intérieure qu'il l'est pour nos partenaires commerciaux externes.

Par conséquent, en août 2014, le gouvernement du Canada a demandé la modernisation de l'ACI par l'intermédiaire d'un document de politique diffusé par l'ancien ministre de l'Industrie.

De surcroît, lors de la réunion du Conseil de la fédération d'août 2014, tous les premiers ministres des provinces et des territoires se sont engagés à renouveler l'Accord sur le commerce intérieur en se fixant comme objectif de conclure les négociations avec le gouvernement fédéral en 2016.

Comme l'a noté le ministre Bains lorsqu'il a comparu devant le comité le 24 février dernier, le ministère de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique est à l'avant-plan du mouvement en faveur du renouvellement de l'ACI.

Agriculture et Agroalimentaire Canada appuie fortement les efforts déployés par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour s'attaquer aux obstacles intérieurs au commerce. Notre ministère et notre ministre, conjointement avec d'autres ministères et organismes du gouvernement fédéral, travaillent actuellement avec le ministère de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique pour améliorer l'approche du gouvernement pour un ACI modernisé et ambitieux.

Il est important de noter que ce sont les provinces et les territoires qui disposent de la plupart des leviers pour libéraliser davantage et faciliter le commerce intérieur. De plus, le gouvernement fédéral ne maintient pas autant de mesures réglementaires pouvant avoir des répercussions sur le commerce intérieur que les provinces et les territoires.

Un exemple de mesure fédérale qui avait de telles répercussions, c'est la Loi sur l'importation des boissons enivrantes. Cette loi a été modifiée en 2012 afin de retirer les restrictions fédérales sur l'importation du vin d'une province à l'autre aux fins de consommation personnelle. Cette modification a ensuite été étendue en 2014 de façon à inclure la bière et les spiritueux.

Malgré l'élimination des restrictions fédérales, les provinces ont toujours le pouvoir d'imposer des limites sur les quantités autorisées et les moyens d'importer des boissons alcoolisées. Si l'on n'apporte pas de changements correspondants aux lois et règlements provinciaux et territoriaux, il pourrait s'avérer difficile de faire progresser le commerce interprovincial.

[Français]

Enfin, j'aimerais réitérer que le portefeuille de l'agriculture, qui comprend le ministère de l'Agriculture et Agroalimentaire et l'Agence canadienne d'inspection des aliments, appuie fortement les efforts déployés par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour s'attaquer aux obstacles nuisant au commerce intérieur dans un contexte visant à accroître davantage la compétitivité du secteur canadien de l'agriculture, tant au pays que sur la scène internationale, tout en renforçant le marché intérieur du Canada. La prise de mesures pour lutter contre les obstacles au commerce intérieur peut contribuer à créer le bon environnement pour accroître les exportations, stimuler l'innovation et améliorer la compétitivité.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'aborder cette question importante devant le comité. Nous sommes à votre disposition pour tenter de répondre à vos questions.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je vous souhaite la bienvenue. À la page 3, au deuxième paragraphe, vous indiquez que le commerce interprovincial de produits agricoles représentait environ 40 millions de dollars en 2011. Êtes-vous sûr d'avoir le bon chiffre? Il me semble que 40 millions de dollars, c'est très peu, surtout lorsque je dois payer 50 $ pour un rosbif. Je m'attendais à des centaines de millions de dollars. Est-ce qu'on fait toutes ces singeries de règlements pour un montant aussi minime que 40 millions? Il est impossible que ce soit aussi bas.

Le sénateur Day : Dans la version anglaise, il est indiqué « milliards ».

La sénatrice Hervieux-Payette : Il est indiqué 40 millions de dollars dans la version française. Alors, ce chiffre n'a pas de sens.

[Traduction]

Excusez-moi, mais il y a une erreur importante dans la version française : il est écrit 40 millions plutôt que 40 milliards. Je comprends maintenant pourquoi je paie autant pour un rosbif.

[Français]

J'ai une question insipide à vous poser. Pourquoi le gouvernement intervient-il dans le secteur des produits de la viande? Qu'allez-vous faire au juste dans les abattoirs en Alberta? Ne sont-ils pas capables de réglementer leurs affaires eux-mêmes?

Richard Arsenault, directeur exécutif, Direction des systèmes de la salubrité des aliments nationaux et de l'hygiène des viandes, Agence canadienne d'inspection des aliments : Vous posez une bonne question. La réglementation fédérale vise l'importation et l'exportation et, par le fait même, le commerce interprovincial. Le règlement visant l'inspection des viandes a été créé de prime à bord pour autoriser les exportations. Au chapitre du commerce international, nous devons appliquer des normes équivalentes pour l'importation et l'exportation. C'est aussi le cas pour les importations. Bref, nous disposons d'un système qui vise à préserver la confiance des consommateurs canadiens et des pays où l'on exporte ces produits. Près de 50 p. 100 des 20 milliards de dollars de viande produite annuellement vise le marché des États-Unis et d'environ 130 autres pays partout dans le monde. Pour qu'un produit réponde aux exigences de ces pays, il faut appliquer des normes parmi les meilleures au monde. C'est aussi simple que cela. Près de 95 p. 100 des bovins et 90 p. 100 de la volaille élevés au Canada sont abattus dans des établissements agréés au fédéral. Pour ce faire, nous devons fixer un plancher.

Les abattoirs en Alberta qui sont réglementés par le gouvernement fédéral n'ont pas ce problème. Ils sont en train de produire à ce niveau. Votre rosbif provient probablement de cette province. Cependant, il y a des PME qui ne sont pas intéressées à exporter car, pour elles, le fait de mettre en œuvre tous les éléments nécessaires à l'exportation, c'est moins intéressant. Il y a un prix associé au fait de mettre un produit sur le marché, et on ne parle plus de 5 $ ou de 10 $ la livre, parce que la taille de l'entreprise n'a pas le volume par rapport aux frais généraux, donc le volume des ventes pour supporter les coûts additionnels n'est pas le même. Il est impossible de répartir ces coûts sur un écart aussi grand.

Puisque le système n'impose pas cette norme d'exportation sur les entreprises relevant uniquement des provinces, celles-ci sont en mesure d'exploiter selon les règles provinciales en place. Par contre, elles peuvent exploiter uniquement à l'intérieur de leur propre province. Les normes au Québec et en Ontario sont différentes, tout comme en Alberta et en Colombie-Britannique. Dans certaines provinces aussi, il y a un différentiel assez important. Dans notre exercice de 2010, nous avions répertorié nos produits. J'ai déjà fait mention des règlements qui sont en vigueur dans ces provinces. D'autres provinces, comme celles de l'Atlantique, ne sont pas assujetties à un règlement. Elles avaient l'intention de créer un règlement, mais cela ne s'est pas concrétisé. Elles ont d'autres priorités. On a créé une norme afin de permettre à tout le monde d'être au même niveau, mais elle n'a jamais été mise en place en 2006. En 2010, on a tenté de normaliser ce qui se faisait au fédéral pour faire preuve de souplesse et d'ouverture à l'égard des PME. On a obtenu un certain succès pour changer les règlements visant la viande en 2011-2012.

Les PME sont confrontées à un dilemme : la mise en place des systèmes de traçabilité, d'identification et de contrôle préventif de classe mondiale. La majorité des consommateurs canadiens y sont favorables, mais ces systèmes coûtent de l'argent. Lorsqu'on propose aux PME qui comptent deux ou trois employés de se doter d'un système de contrôle de la qualité, on sait que des coûts y sont liés. Elles fabriquent leurs produits depuis 40 ans sans ces systèmes. Je ne suis pas prêt à leur dire que leurs produits présentent des problèmes. Par contre, sans ces systèmes de contrôle, je ne peux pas gagner la confiance des consommateurs. Voilà le dilemme. On tente d'avoir un système plus ouvert à ces personnes. On travaille d'arrache-pied pour obtenir des éléments de conformité pour leur donner des outils afin de faciliter leur travail. Cependant, l'industrie a aussi un rôle à jouer pour équiper ces entreprises.

La sénatrice Hervieux-Payette : Dans le cas du sirop d'érable et du yogourt, est-il nécessaire d'appliquer 10 règlements? Y a-t-il un règlement fédéral aussi pour le yogourt et le sirop d'érable?

M. Arsenault : Il y a une norme d'innocuité pour le yogourt qui nous permet de nous assurer que le produit est salubre.

La sénatrice Hervieux-Payette : Lequel?

M. Arsenault : Dans le cadre du Règlement sur les produits laitiers.

La sénatrice Hervieux-Payette : Est-ce un règlement fédéral?

M. Arsenault : Oui. Il permet d'assurer des normes de salubrité. En ce qui concerne la composition, soit les ingrédients qui entrent dans la préparation du yogourt, il n'y a pas de norme au fédéral, parce qu'on croit qu'un échange clair entre l'industriel et le consommateur peut se faire par les forces du marché. Alors, si je n'aime pas le yogourt de M. Untel, je déciderai d'en acheter un autre. On ne croit pas que le gouvernement fédéral a le devoir d'imposer des normes et des règlements dans un domaine où le besoin public peut être satisfait autrement.

Dans le cas du Québec, on a décidé de faire autre chose. Soit. Je suis mal placé pour parler du provincial, ce n'est pas mon rôle. C'est une décision qui appartient à la province, qui relève de ses compétences, et elle peut l'exécuter comme elle le veut, tout comme les autres provinces, si elles le désirent.

La sénatrice Hervieux-Payette : Dans le cas du sirop d'érable, qu'est-ce qu'il y a de différent entre un érable du Québec, des Maritime ou de l'Ontario?

M. Arsenault : C'est encore une excellente question. Le sirop d'érable est fabriqué de la même façon qu'il l'a toujours été. Lorsque vient le temps de le mettre en marché, par contre, il y a des différences par rapport à la catégorisation et aux normes de classement. Au fédéral, il y avait tout de même des normes. Nous avons modernisé cet exercice avec, je crois, le vif intérêt du sénateur Greene, et nous avons réalisé beaucoup de progrès pour permettre aux fabricants canadiens d'avoir plus de succès dans la mise en marché de leurs produits en faisant un nettoyage dans cette norme.

Comme M. Seppey l'expliquait, la question, par contre, est qu'une province peut décider, si elle le désire, d'élaborer une norme qui lui est propre, et cette norme peut être la même ou elle peut être différente. Dans le cas du sirop d'érable, les autres provinces n'ont pas insisté à mettre en œuvre une norme, et il y a une province qui a décidé d'élaborer ou de conserver une norme qui lui était propre.

Nous travaillons très fort avec nos partenaires provinciaux dans le cadre de nos comités et de nos échanges pour permettre la communication, afin que les gens puissent prendre des décisions et que nous puissions avancer ensemble. Nous pouvons avoir ces entretiens, mais nous ne pouvons pas nécessairement garantir ou forcer un résultat.

La sénatrice Hervieux-Payette : Il n'y a donc pas d'harmonisation?

M. Arsenault : C'est notre objectif, mais c'est aux gens de décider ce qu'ils font chez eux, individuellement.

[Traduction]

Le sénateur Black : Je vous remercie tous les deux de votre présence et du travail que vous accomplissez au nom de nous tous. J'ai deux questions à vous poser afin de comprendre un peu mieux deux ou trois éléments.

J'aimerais tout d'abord connaître votre point de vue sur quelque chose. Un certain nombre de témoins ont dit qu'à leur avis, la bonne façon de faire avancer ce dossier concernant le commerce interprovincial, c'est d'établir une liste négative. Cela signifie qu'on part du principe que partout au Canada, tous les produits et services peuvent circuler librement, à moins qu'il y ait des exemptions. Pourriez-vous nous dire si vous pensez que c'est une approche acceptable pour le secteur agricole et agroalimentaire?

M. Seppey : Je vous remercie de la question. Ce dont vous parlez concerne la mesure dans laquelle les accords de commerce internationaux, surtout ceux basés sur l'ALENA — le type d'accord de libre-échange que le Canada connaît le plus —, incluent le concept de liste négative.

Cependant, les accords de commerce internationaux comportent deux types d'obligations ou de principes. Il y a la catégorie des principes qui s'appliquent de façon universelle, qui ne prévoient pas d'exemptions.

Si je prends l'exemple de l'ALENA, il y a l'obligation de non-discrimination ou ce qui concerne les tarifs. Dans ce cas, dans un accord commercial, cela signifie que, par exemple, si, en vertu de l'ALENA, on impose un tarif aux États- Unis, il faut l'imposer aussi au Mexique. C'est le concept de nation la plus favorisée.

En général, il n'y a pas de possibilité d'exemption ou de réserve pour ce type d'obligation universelle. C'est un principe fondamental de tout accord commercial.

Cependant, dans d'autres types de règles, par exemple, celles en matière d'investissement — le type de traitement que nous réservons aux investisseurs étrangers en comparaison avec ceux du pays —, dans ces types de règles à l'échelle internationale, il est pratique courante d'établir une liste négative comprenant une mesure qu'on veut exempter de l'application de ces principes.

Il est sensé de faire la même chose dans le cadre de l'Accord sur le commerce intérieur, lorsque c'est approprié, selon le chapitre et le type de règle. Le gouvernement fédéral est d'avis que pour la raison que j'ai mentionnée, c'est-à-dire pour mieux harmoniser les règles sur le commerce intérieur avec celles que nous avons acceptées à l'échelle internationale, il serait logique que pour ces obligations internationales selon lesquelles nous ne permettons pas d'exemption, par exemple, une règle de non-discrimination pour les biens, nous suivions le même principe pour le commerce intérieur.

Or, nous savons que bon nombre de mesures provinciales portent sur le commerce des services ou les investissements parce que, généralement, le gouvernement fédéral a une responsabilité, en matière d'échanges et de commerce, concernant le commerce international. Ainsi, le commerce des biens est généralement réglementé au fédéral.

Toutefois, les provinces ont des règles sur les investissements et les services. Donc, dans l'Accord sur le commerce intérieur, lorsque nous avons des règles en matière d'investissement et de services, suivre la même approche que celle qui s'applique aux accords internationaux et établir une liste négative, comme vous le soulignez, est une idée sensée.

Le sénateur Black : Vous approuvez cette approche?

M. Seppey : Oui, pour certaines règles, soit celles selon lesquelles, à l'échelle internationale, il est aussi permis d'avoir une liste négative.

Le sénateur Black : Approuvez-vous l'adoption de cette approche pour le secteur agricole et agroalimentaire?

M. Seppey : Oui.

Le sénateur Black : Je vais poser une question vraiment stupide. C'est tout simplement que je ne comprends pas, et je vous prie donc d'être patient.

Le sénateur Massicotte : Ce n'est pas la première fois.

Le sénateur Black : C'est mon ami.

En ce qui concerne la gestion de l'offre au Québec, dans quelle mesure la gestion de l'offre, dans les différentes industries qui en font l'objet, entre-t-elle en jeu dans la proposition d'un accord visant à éliminer les barrières commerciales interprovinciales au Canada?

M. Seppey : C'est une excellente question. En fait, vous avez parlé du système de gestion de l'offre du Québec, mais il existe dans chaque province.

Le sénateur Black : Je vous remercie de le souligner.

M. Seppey : Il couvre les secteurs des produits laitiers, de la volaille et des œufs, donc les cinq secteurs. La gestion de l'offre est un système permettant de gérer la production, de réglementer les prix et de contrôler les importations pour faire en sorte qu'à tout moment, les producteurs et la chaîne de valeur de ces secteurs sachent quelle quantité il faut produire au pays pour répondre aux exigences du marché.

Les éléments fondamentaux de la gestion de l'offre incluent le bon fonctionnement de la gestion de l'offre, un certain nombre de mesures qui structurent le système, avec des offices de commercialisation, et cetera.

Dans le cadre de l'ACI actuel, et d'après ce que prévoit la réforme, les règles ne sont pas censées porter sur ces mesures structurelles. Elles portent sur des mesures qui restreignent le commerce — ou qui font une différence entre les produits d'une province et ceux d'une province importatrice ou qui font en sorte que des fournisseurs de services ou des investisseurs d'une province ne sont pas traités comme ceux d'une autre province.

Les systèmes actuels qui assurent l'efficacité de la gestion de l'offre ne sont pas des mesures de cette nature. Ils servent à codifier la production, et étant donné que chaque province a son propre système, les mesures structurantes de gestion de l'offre ne constituent pas, à notre avis, des barrières au commerce.

Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas avoir de mesures limitant le commerce pour les secteurs des produits laitiers, de la volaille et des œufs parce qu'il y a une réglementation sur les produits laitiers qui peut limiter le commerce à l'heure actuelle. Nous avons dit que les règles sur le sirop d'érable diffèrent d'une province à l'autre, par exemple. Cependant, les mesures qui établissent les systèmes de gestion de l'offre dans les différentes provinces ne constituent pas des obstacles au commerce.

Le sénateur Black : Je veux seulement comprendre ce que vous venez de me dire.

Le président : Pourrais-je avoir quelques précisions à ce sujet? Il y a des barrières à l'offre.

M. Seppey : Oui, il y a des barrières à l'offre. D'une façon non-discriminatoire, cela s'applique...

Le président : Si un agriculteur veut avoir des poulets, il ne peut pas. On ne peut pas vendre des œufs dans le marché, n'est-ce pas?

M. Seppey : Oui, mais en fait, le poulet est un bon exemple. Je vais vous donner un exemple d'une mesure qui restreint le commerce interprovincial du poulet.

Le président : Oh, donc nous en avons une.

M. Seppey : Il y en a certaines. Lorsque j'ai répondu à la question du sénateur Black, j'ai précisé qu'il pourrait y avoir des mesures, mais ce ne sont pas celles qui établissent, par exemple, la gestion de l'offre au Québec, soit la loi sur la régie des marchés agricoles. Cette mesure législative ne constitue pas, ipso facto, une barrière au commerce, mais il y a une mesure, par exemple, qui limite la circulation entre le Nouveau-Brunswick et Québec pour le poulet. Elle peut être considérée comme une mesure qui limite le commerce interprovincial. Le fait qu'il existe un système de gestion de l'offre dans une province donnée ne constitue pas un obstacle au commerce. En fait, même dans le cadre d'un système de gestion de l'offre, il y a un mouvement interprovincial de produits laitiers et de volaille.

Les offices de commercialisation unissent leurs efforts. Dans le secteur des produits laitiers, par exemple, les cinq provinces de l'Est et les quatre provinces de l'Ouest coordonnent leurs efforts. Voilà la distinction que je fais; les mesures qui doivent être mises en place pour établir un système ne sont pas censées être visées par les règles de cet accord et, par conséquent, ne sont pas des barrières au commerce en soi.

Le sénateur Black : Je comprends ce que vous dites, mais je veux aller plus loin, car j'imagine que bon nombre de personnes qui nous écoutent se posent la même question que moi, c'est-à-dire, que venez-vous de dire? C'est ce que je veux comprendre.

Je veux savoir si le libre-échange interprovincial devrait s'appliquer au Canada, et si nous adoptons une liste négative — volaille, produits laitiers, et cetera — de n'importe quelle province qui gère l'industrie à l'heure actuelle, peu importe à quel niveau, cela ne sera pas possible pour l'avenir. Est-ce exact?

M. Seppey : Permettez-moi de reformuler pour que ce soit clair.

Le sénateur Black : Je conviens que c'est compliqué.

M. Seppey : Oui, ce l'est certainement, mais je vais essayer de préciser les choses.

Il appartiendra à chaque partie aux négociations, et en particulier aux provinces, de décider. Ce n'est pas le cas actuellement, mais s'il était possible d'inscrire des exclusions à l'obligation de permettre la libre circulation des biens au-delà des frontières, je ne crois pas qu'il faudrait inscrire, par exemple, au Québec, la Loi sur la mise en marché des produits agricoles; je ne crois pas qu'il faudrait inclure cette mesure dans une liste négative. Je pense qu'une telle mesure ne concerne pas le commerce, mais bien la production.

Le sénateur Black : Ils diraient qu'il s'agit d'une question provinciale?

M. Seppey : C'est exact. J'imagine que l'autre mesure, qui est explicite pour ce qui est de limiter le commerce interprovincial de poulet, c'est davantage le type de mesure qui s'inscrirait dans les limites prévues de l'accord. Or, la décision de chaque partie, pour ce qui est des mesures qu'il faut inscrire comme des mesures non conformes, doit être prise en tenant compte du libellé exact des règles.

Étant donné que l'Accord sur le commerce intérieur vise à réglementer la circulation et le commerce interprovinciaux plutôt que de codifier la production, c'est ce qui fait que le système n'est pas visé par l'accord.

Le sénateur Black : Merci beaucoup, monsieur.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie de votre exposé. À la page 6, vous dites que « [...] le gouvernement a mis en place un certain nombre de mécanismes pour assurer la collaboration étroite et la coordination des efforts avec les provinces et les territoires sur des sujets qui intéressent les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire ». Dans quelle mesure ces mécanismes fonctionnent-ils? Quels sont les autres mécanismes que vous voudriez intégrer pour assurer un marché interprovincial d'échanges exempt d'obstacle?

M. Seppey : Je vais vous parler du type de mécanismes en place au ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, et M. Arsenault pourra ensuite vous dire ce qui se fait au niveau des organismes de réglementation.

Comme l'agriculture est un champ de compétence partagé, il est devenu nécessaire, au fil du temps, d'établir un processus axé sur la collaboration et la coopération. En effet, nous avons instauré il y a plus de 20 ans un cadre stratégique pour l'agriculture qui est régi par des ententes fédérales-provinciales.

La terminologie vous est peut-être familière. Le cadre actuel, appelé Cultivons l'avenir 2, a été adopté en 2013 et viendra à échéance en 2018. Nous avons déjà entamé avec les provinces des discussions au sujet du cadre stratégique quinquennal qui lui succédera.

Le cadre englobe une série de programmes financiers à frais partagés ou dont le coût est assumé entièrement par le gouvernement fédéral ou par la province. En outre, il facilite la coordination des efforts lorsque nous avons un objectif commun.

Pour prendre l'exemple du commerce international, beaucoup de provinces se soucient de la compétitivité de leur secteur agricole et envoient des missions à l'étranger. Nous faisons la même chose à l'échelle fédérale. Nous prenons des mesures en vue de développer les marchés. Le cadre nous permet de coordonner notre action grâce à des comités fédéraux-provinciaux et à une interaction régulière des responsables. Par exemple, si plusieurs provinces veulent promouvoir l'exportation de bovins en Chine, nous coordonnerons leurs efforts.

Cela vaut également pour toute la gamme des politiques qui régissent l'agriculture, y compris celles qui définissent nos objectifs communs au chapitre de la stratégie alimentaire, de la salubrité des aliments, de la prévention des pratiques trompeuses à l'endroit des consommateurs, et ainsi de suite.

Voilà donc les facteurs qui peuvent influer sur le commerce, mais je vais laisser à M. Arsenault le soin de vous dire ce qu'il en est de la sphère réglementaire.

M. Arsenault : La fonction est essentiellement de rassembler les acteurs. Comme l'a dit M. Seppey, il y a pour cela des mécanismes de consultation fédéraux-provinciaux-territoriaux qui sont hiérarchisés en ce que les ministres se réunissent d'abord, et leurs adjoints tiennent ensuite des réunions.

Le comité le plus intéressant à cet égard serait celui de la réglementation. Chaque trimestre, mon patron et ses homologues se réunissent pour établir un programme et un plan de travail.

Parmi les points susceptibles d'être utiles, je signale les travaux que nous sommes en train d'effectuer relativement à la réduction des agents pathogènes, qui visent à diminuer la présence de bactéries nocives dans les produits crus afin d'améliorer nos résultats et la santé des Canadiens.

Comme nous l'avons mentionné, ce projet du gouvernement fédéral vise environ 90 p. 100 de la volaille et 95 p. 100 du bœuf produits au pays. Dans les autres cas, notamment celui des petites entreprises de transformation, nous avons besoin de l'aide des provinces pour gérer et améliorer la situation dans le reste du continuum. À cette table, nous discutons et travaillons à l'élaboration d'un plan d'action afin de faire mieux dans ce domaine.

C'est le genre de collaboration qui est le plus important, car ces discussions nous donnent l'occasion d'en apprendre davantage sur nos systèmes respectifs, de dissiper certains mythes, de bâtir une meilleure confiance et de commencer à travailler pour obtenir de meilleurs résultats. C'est vraiment le point de départ de tout ce que nous essayons d'accomplir.

Le sénateur Enverga : J'ai demandé ceci au ministre Bains : où en sommes-nous dans la mise en place de tous ces nouveaux mécanismes? Sommes-nous encore très loin de notre objectif d'abolir les barrières au commerce agricole?

M. Seppey : Le principal moyen de contrer les mesures qui entravent le commerce, ce seront les négociations sur la modernisation de l'Accord sur le commerce intérieur.

L'échéance des négociations avait été fixée à la fin de mars 2016. Cela n'a pas été possible, mais les négociateurs fédéraux, provinciaux et territoriaux travaillent avec beaucoup de diligence pour achever les négociations. Ils sont très avancés et auront terminé le plus tôt possible.

L'Accord sur le commerce intérieur prévoit la convocation d'une réunion annuelle de tous les ministres responsables du commerce intérieur. Cette réunion, qui se tient habituellement en été, pourrait servir d'objectif pour la conclusion des travaux sur la modernisation de l'accord.

Je signale que, comme tous les accords commerciaux, l'Accord sur le commerce intérieur a pour objet de prescrire des règles générales et d'établir les principes qui orienteront les mesures — en l'occurrence celles adoptées par le gouvernement fédéral, les provinces ou les territoires — qui pourraient faire entrave au commerce.

Cependant, les détails relatifs à l'harmonisation réglementaire n'y figurent pas. Ils sont confiés aux organismes de réglementation, qui doivent continuer de travailler ensemble. Mais l'ACI, une fois modernisé, les incitera à coordonner leurs efforts. M. Arsenault nous a parlé de ce qui se faisait pour la viande, mais il en va de même pour la prescription des règles visant la santé animale, par exemple. Le médecin vétérinaire en chef du gouvernement fédéral et ses homologues provinciaux se consultent régulièrement dans une optique d'harmonisation. Si un problème en santé animale nécessite l'intervention à la fois du gouvernement fédéral et des provinces, ils se consultent et essaient d'aligner leurs efforts.

En l'occurrence, les mesures n'auraient peut-être pas d'incidence sur le commerce, mais c'est un bon exemple de mécanisme qui ne trouve pas son origine dans l'accord et qui peut favoriser le commerce entre les provinces.

Le sénateur Enverga : Mais ce que je veux savoir, c'est où nous en sommes. Les négociations sont-elles fructueuses? Reste-t-il beaucoup de chemin à faire?

M. Seppey : Lorsque nous avons entrepris de moderniser l'Accord sur le commerce intérieur, nous avons fait l'inventaire des mesures et l'avons présenté à d'autres comités du Sénat ou de la Chambre des communes dans le cadre d'une étude sur le commerce. Pour tout dire, je pense qu'il existe une grande différence entre les obstacles perçus et les obstacles réels.

Les mesures qui entravent le commerce intérieur demeurent plutôt rares; toutefois, on ne sait pas ce que nous réserve l'avenir. Chaque gouvernement a le pouvoir d'adopter, dans son champ de compétence, des mesures qui pourraient avoir une incidence sur le commerce à l'avenir.

C'est la raison pour laquelle il faut moderniser l'Accord sur le commerce intérieur. Nous devons établir des principes qui garantiront la plus grande liberté de commerce possible à l'intérieur du Canada, tout en admettant qu'il puisse être légitime, au regard d'objectifs stratégiques, de recourir à une mesure pouvant entraver le commerce. Mais l'idée de base, c'est d'encourager les gouvernements à prendre de telles mesures seulement lorsqu'elles sont nécessaires à la réalisation de leurs objectifs stratégiques. L'objectif est d'aligner les règles du commerce intérieur sur ce qui se fait au niveau du commerce international.

Le sénateur L. Smith : Lorsque le ministre Bains a comparu devant notre comité, je pense que nous lui avons demandé à quel pourcentage se chiffrait le mouvement interprovincial des biens et services. Était-ce 20 p. 100? Il disait viser 60 p. 100.

Les témoins que nous avons entendus jusqu'ici ont parlé de la modernisation de l'ACI, des listes négatives, de l'harmonisation et de l'expérience d'autres pays, en particulier de l'Australie.

Vous avez évoqué des obstacles possibles. Je me demande ce que sont, dans une perspective macro, les facteurs qui font obstacle à l'accroissement du commerce. Évidemment, il y a toutes sortes de questions qui divisent les provinces. Y a-t-il des provinces qui constituent en elles-mêmes des obstacles à cause du protectionnisme qu'elles préconisent sur leur territoire? Qu'est-ce qui freine l'accroissement du commerce intérieur? Est-ce qu'il sera graduel?

Qu'en est-il, concrètement? Le marché va-t-il s'ouvrir un jour, ou est-ce que ce sera de 20 à 25, de 30 à 35, à 45, comme beaucoup de choses dans notre pays? Que faut-il faire pour ouvrir le marché?

J'adresse ma question à vous deux, car vous avez soulevé l'importance de la réglementation. Or la réglementation est-elle un obstacle administratif? Le gouvernement précédent s'était engagé à réduire la paperasse. Comment fait-on, alors, pour garantir à la fois le contrôle de la qualité et l'accès aux marchés?

M. Arsenault : Je pense que vous venez d'avancer un argument convaincant pour expliquer pourquoi il ne faut pas prescrire les exigences par voie réglementaire.

Vous avez mentionné la réduction de la paperasse, et c'est l'un des objectifs auxquels nous sommes très attachés. Nous allons continuer dans la même veine, car il est essentiel que nous ayons le bon type de règlements, que ceux-ci soient au bon endroit et qu'ils aient un but utile si nous voulons assurer le succès de l'industrie dans l'ensemble et, par extension, accroître la capacité des petites entreprises à faire du commerce dans d'autres provinces.

Pour bien faire les choses, notre approche devra être moins prescriptive. Il ne s'agit plus de mesurer la taille des drains au centimètre près comme nous le faisions autrefois. C'était une nuisance. On ne respectait pas tout à fait les exigences, on dépensait une fortune pour se conformer, et dans quel but? Cela ne se fait plus.

L'objectif poursuivi en modernisant la réglementation en matière de salubrité alimentaire, c'est réellement d'obtenir un bon résultat avec tout ce que cela implique, c'est-à-dire, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, se donner les moyens de déterminer d'où vient un produit, qui l'a préparé, et savoir que des mesures de contrôle étaient en place pour leur permettre de connaître les risques et les dangers, et savoir que ceux-ci ont été éliminés.

L'été dernier, nous avons mené une campagne de sensibilisation en prévision d'un nouveau règlement que nous espérons mettre en place cette année. Au cours des trois ou quatre dernières années, nous avons parlé à plus de 14 000 personnes, mais, durant l'été, nous avons organisé 17 webinaires et sept sorties, et avons discuté avec de nombreuses PME partout au pays. Nous avons découvert que le règlement n'était pas bien compris et que, pour cette raison, il causait beaucoup de crainte et d'inquiétude.

Dans un système réglementaire, il faut énoncer les règles très clairement et s'assurer qu'elles sont comprises. Nous y travaillons très fort. J'espère que les gens seront en mesure d'apprécier le règlement une fois qu'il sera prêt. Un règlement, c'est toujours un peu compliqué, mais nous nous efforçons de le simplifier et d'offrir des outils pour en faciliter l'application, ce à quoi j'ai fait allusion plus tôt.

L'une des difficultés, c'est que dans beaucoup de cas, les gens fabriquent des produits depuis de nombreuses années, mais n'ont jamais fait ce dont je parlais tout à l'heure. Ils devront en faire davantage. Ce sera une décision d'affaires et il y aura un coût. Si je veux croître comme entreprise, je devrai embaucher quatre personnes. Vais-je le faire?

Les PME doivent mieux connaître ces difficultés afin de prendre des décisions éclairées. À l'heure actuelle, l'information n'est pas suffisante et cela entraîne de la crainte et de l'hésitation. C'est difficile de faire le saut quand on ne sait pas ce qui nous attend de l'autre côté.

C'est ce que nous voulons accomplir dans l'espace réglementaire et je pense que ce thème que nous continuerons d'adopter au fil du temps.

De plus, il a été question d'autres types de règlements, comme les normes de composition, et je pense que M. Seppey a évoqué les quelque 500 normes qui touchent toutes sortes de choses. Nous allons déterminer lesquelles sont réellement nécessaires, car je doute qu'elles le soient toutes.

Ce qui est difficile dans ce domaine, honnêtement, c'est que certains groupes d'intérêts aiment beaucoup le statu quo. Il y a quelques années, lorsque nous avons tenté d'éliminer les exigences liées à la taille des conteneurs, nous avons fait des progrès dans les secteurs où il y avait un consensus, mais nous travaillons toujours très fort et avec diligence pour résoudre les problèmes dans les autres secteurs où il n'y avait pas vraiment de consensus.

Il s'agit donc d'harmoniser la volonté et les intérêts de tous les intervenants. Parfois, c'est possible et parfois, ce ne l'est pas. Donc pour revenir à l'autre point, à savoir dans combien de temps nous pouvons y arriver, je crois qu'il est important d'avoir une vision et de nous efforcer de l'atteindre, et c'est ce que nous faisons à l'échelon fédéral. Quant à prévoir si nous serons en mesure de mettre en œuvre cette vision dans cinq ans ou dans cinq mois, je ne crois pas que ce soit réaliste. Il faut avoir un jalon raisonnable pour commémorer ces réussites et continuer de progresser vers cet objectif, et c'est ce que nous faisons.

Monsieur Seppey, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Seppey : Si je délaisse les règlements pour parler de la prévention du passage des marchandises à la frontière, un domaine plus traditionnel, la situation varie énormément d'un comité à l'autre. Par exemple, les agriculteurs du Québec peuvent importer leurs grains de partout, et dans ce secteur, le commerce se fait librement.

Dans d'autres secteurs traditionnellement bien réglementés, par exemple les boissons alcoolisées, c'est très différent. C'est la raison pour laquelle je l'ai mentionné dans mon exposé, c'est-à-dire que c'est un secteur dans lequel il y a compétence, et le gouvernement fédéral et chaque province peuvent jouer un rôle à cet égard; nous avons éliminé les restrictions à l'échelon fédéral, mais cela ne suffit pas.

Dans le cadre du mandat de votre comité, vous pourriez examiner ce secteur particulier. Dans le cas des obstacles au commerce des boissons alcoolisées, souvent, dans les provinces, l'organisme responsable n'est pas le ministère de l'Agriculture, mais habituellement le Trésor, car c'est une source de revenus très importante. Par exemple, au Québec, le ministère de la Sécurité publique était autrefois l'organisme responsable de ce dossier.

Ainsi, pour progresser, vous devez avoir la collaboration de plusieurs intervenants de chaque gouvernement, afin de créer la dynamique favorable aux changements. C'est à ce moment-là que l'ACI, avec une nouvelle série de règlements et l'engagement des premiers ministres des provinces et des territoires, peut aider à faire avancer les choses.

Le sénateur L. Smith : Vous avez parlé de volonté politique. J'ai une brève question pour chacun d'entre vous. Pourriez-vous me citer une mesure, d'abord du point de vue réglementaire et ensuite du point de vue des biens et des services, c'est-à-dire des produits, qui pourrait être mise en œuvre immédiatement pour améliorer la situation, car il semble que vous parlez davantage de changements progressifs que de changements globaux immédiats?

M. Arsenault : Je vais vous citer deux mesures liées à la réglementation, car nous nous efforçons de mettre en œuvre des règlements sur la salubrité des aliments modernisés, simplifiés et axés sur les résultats. Nous pensons pouvoir y arriver et les mettre en œuvre de façon progressive au cours des prochaines années, car cela donnera aux gens le temps de se préparer.

En ce qui concerne l'étiquetage, le type de modernisation que nous tentons de mettre en œuvre, comme je l'ai dit, concerne l'élaboration de règlements aussi simples et appropriés que possible, afin de donner aux consommateurs l'assurance que le produit acheté est bien celui qu'ils souhaitaient obtenir et pour mettre en place un endroit et un système qui permettra à des tierces parties agréées et dignes de confiance de gérer ces normes, au lieu de confier aux bureaucrates la tâche de déterminer la taille d'un conteneur ou le pourcentage autorisé d'un ingrédient dans un produit; il s'agit de délaisser ces types de règlements, car dans de nombreux cas, ils constituent un obstacle au commerce, et de les remplacer par des règlements qui permettront de libéraliser davantage le commerce.

M. Seppey : À mon avis, la bonne nouvelle, encore une fois, c'est qu'il ne reste pas trop de leviers ou de mesures à l'échelon fédéral. La mesure que nous avons modernisée — celle sur les boissons alcoolisées qui a fait l'objet de deux modifications — représentait probablement une étape importante pour améliorer la situation, mais il faut également que des mesures soient prises à l'échelon provincial.

J'aimerais également donner l'exemple des produits biologiques, qui sont visés par une norme fédérale. Ce secteur n'en est qu'à ses débuts. Il existe une norme fédérale, mais les provinces sont en train d'adopter leurs propres normes. Puisque c'est un nouveau secteur, les provinces ne peuvent pas compter sur leurs antécédents. Le sirop d'érable, par exemple, est réglementé depuis des années au Québec et à l'échelon fédéral. Par contre, cette réglementation est plus récente pour les produits biologiques. Mais cela nous donne l'occasion d'harmoniser les règlements dès le début.

Cela dit, les préférences des consommateurs présentent des différences régionales marquées à l'échelle du pays, et il se peut qu'un gouvernement provincial soit d'avis que les normes fédérales sur les produits biologiques ne sont pas assez sévères, et qu'il souhaite élaborer ses propres normes. C'est probablement très tentant pour certaines provinces.

Le sénateur L. Smith : J'aimerais obtenir une brève définition de produit biologique, et ce sera tout pour moi.

M. Seppey : Oh, cela pourrait prendre du temps.

Le sénateur L. Smith : Existe-t-il une définition?

M. Seppey : Je ne suis pas un spécialiste, mais oui. Je crois qu'il pourrait y avoir différentes interprétations, différentes normes et différentes définitions.

J'ai donné cet exemple, car on a manifesté un intérêt, à l'échelle nationale, envers l'élaboration de normes dans ce secteur, et cela offre l'occasion d'harmoniser le processus dès le départ.

Le sénateur Greene : J'avais toute une série de questions, mais le sénateur Black les a déjà posées. Ensuite, j'ai formulé d'autres questions, et le sénateur Smith les a posées. Toutefois, il me reste une question sur un enjeu qui, je crois, n'a pas encore été exploré, et il s'agit des obstacles au commerce créés par les provinces qui ne produisent pas de biens particuliers.

Par exemple, il n'y a pas, au Canada, de produit plus emblématique que le sirop d'érable, et vous l'avez déjà mentionné. Seules quelques provinces le produisent, à savoir le Québec, l'Ontario et peut-être le Nouveau-Brunswick, et l'État de New York et quelques autres États.

Existe-t-il des obstacles au commerce dans les provinces qui ne produisent pas de sirop d'érable, ou est-ce un bon exemple? Existe-t-il de meilleurs exemples?

M. Arsenault : Il se peut qu'il existe d'autres exemples, car actuellement, seule la province de Québec a pris des règlements provinciaux sur le sirop d'érable. Il n'y a donc aucune autre province qui...

Le sénateur Greene : Il n'y a pas de règlement, et ce n'est donc pas un bon exemple.

M. Arsenault : C'est un bon exemple d'une situation où il y a une différence entre les échelons fédéral et provincial, et on a déjà demandé à savoir pourquoi nous avons deux différentes normes et comment cela constitue un obstacle. Je crois que la simplification de ces deux règlements, comme dans l'exemple des produits biologiques, dans lequel nous tentons d'atteindre un objectif commun au lieu d'aller dans des directions différentes, représente un autre exemple. Je crois qu'il est approprié à cet égard.

En ce qui concerne le contexte réglementaire, nous avons mentionné plus tôt la norme sur le yogourt, c'est-à-dire qu'une province a une norme à cet égard, mais pas d'autres. Il s'ensuit que si un producteur de l'Ontario souhaite envoyer son produit dans une telle province, il doit franchir des étapes supplémentaires pour veiller à ce que les ingrédients qui composent ses produits soient conformes aux règlements en vigueur au Québec s'il souhaite les vendre à Montréal, par exemple.

La question fondamentale, c'est de déterminer si le produit est sécuritaire. Satisfait-il aux normes fédérales? Oui. Satisfait-il aux exigences fédérales en matière d'étiquetage à tous autres égards? Oui. Quelle est la valeur ajoutée découlant de ce règlement? Cela revient à ce que disait plus tôt le sénateur Smith, c'est-à-dire qu'il faut bien choisir le moment d'établir les choses et fixer des objectifs légitimes. Sans liste négative et sans processus en place, sans la présence d'une volonté d'agir de façon délibérée, on risque toujours d'être aux prises avec des initiatives ponctuelles qui créent un obstacle au commerce plutôt que des mesures qui stimulent la confiance nécessaire pour élargir nos marchés.

La sénatrice Hervieux-Payette : Peut-on m'expliquer cela, étant donné que c'est moi qui fais l'épicerie?

Le président : Bien sûr. C'est également moi qui fais l'épicerie.

La sénatrice Hervieux-Payette : En ce qui concerne le yogourt, cela nuit à tous les petits producteurs, même à ceux du Québec. On ne trouve jamais leurs produits dans les supermarchés. On les trouve peut-être dans les petits magasins, mais nous avons seulement ceux des grandes multinationales. Que vous alliez à Montréal, à Toronto ou à Paris, vous mangez le même produit fabriqué par la même entreprise. Ce sont donc tous de gros joueurs. Ce ne sont pas de petits joueurs, et lorsqu'il s'agit de réglementer ou non, on parle de sociétés qui valent des milliards de dollars.

Lorsqu'on souhaite obtenir le produit véritable qu'on pourrait trouver en Grèce, par exemple, je peux vous dire que c'est très difficile à trouver, car même nos propres produits, dans notre province, ne se rendent pas aux consommateurs.

Toutefois, nous avons également accès à certains produits de l'Ontario. Mais il faut avoir le bon format, et cela revient à cette question des règlements, et si l'entreprise peut se le permettre ou non.

Je crois que c'est une bonne idée.

Le sénateur Day : J'ai une brève question. Je crois que nous pensons tous que l'hésitation des provinces est liée, dans de nombreux cas et comme vous l'avez mentionné relativement aux boissons alcoolisées, à une raison financière, et elles ne veulent pas renoncer à cette compétence. Il se peut également qu'elles protègent une industrie et des emplois dans la province.

Analyse-t-on suffisamment les avantages dont pourrait profiter une province afin de l'encourager à renoncer à certaines de ses compétences au profit du bien commun?

Vous avez dit que l'agriculture représentait 20 p. 100 du commerce intérieur, qui représente 40 milliards de dollars. Pouvez-vous me dire à combien s'élèverait ce pourcentage s'il n'y avait aucun obstacle au commerce intérieur?

M. Seppey : En ce moment, je ne connais aucune étude dans ce domaine qui pourrait quantifier ce potentiel. Si nous prenons, par exemple, les boissons alcoolisées, le potentiel augmente et chacun d'entre nous, en tant que consommateur — et j'ai personnellement tenté d'importer. Le verbe importer semble un choix étrange lorsque nous parlons de produits venant d'une autre région du Canada, mais je vis au Québec. J'aimerais avoir davantage de vins de la Colombie-Britannique ou de la Nouvelle-Écosse, mais je dois me conformer aux règlements de la Société des alcools du Québec et de la Régie des alcools. C'est la même chose dans de nombreuses provinces.

C'est un domaine dans lequel on n'a peut-être pas recueilli suffisamment d'information sur les consommateurs. Habituellement, la même chose se produit lorsque nous examinons l'impact des accords commerciaux internationaux. Les universitaires n'ont peut-être pas autant approfondi la question des avantages pour les consommateurs, mais il est évident que des échanges commerciaux accrus entraînent plusieurs avantages pour les consommateurs. Je crois que nous pouvons tous parvenir à cette conclusion.

Le sénateur Day : L'autre volet, c'est le secteur de l'emploi et l'argent pour la province. Vous dites que les consommateurs pourraient exercer des pressions pour que la province fasse des concessions, mais les provinces pourraient également faire des concessions de leur propre chef, si elles n'avaient pas l'impression de renoncer à trop de choses ou s'il était plus probable qu'elles en retirent des avantages.

M. Seppey : Revenons à l'exemple du vin; toutes les provinces n'en produisent pas. Il y a quelques années, lorsque le ministre fédéral de l'Agriculture a consulté ses homologues sur la possibilité de prendre des mesures supplémentaires à l'échelon provincial pour libéraliser davantage le commerce des boissons alcoolisées, il a obtenu des réponses de plusieurs Trésors ou ministères de la Sécurité publique, et je crois que ces réponses étaient surtout axées sur les préoccupations liées à la gestion des taxes perçues sur ces produits. Dans la plupart des cas, je crois que cela n'était pas axé sur ce que nous pourrions appeler le protectionnisme ou la protection d'un secteur intérieur.

Même dans les provinces qui produisent du vin, la présence des vins étrangers est considérable; vous n'avez qu'à regarder les étagères de n'importe quelle succursale de la LCBO pour constater l'abondance de vins étrangers. Les problèmes se situent donc à différents niveaux, et c'est peut-être ce qui complique leur étude.

Le président : En ce qui concerne la réglementation des produits de la viande, il existe des règlements fédéraux relativement à l'homologation pour pouvoir faire l'objet de commerce entre les provinces ou sur les marchés internationaux et ensuite, il y a les règlements intérieurs sur les abattoirs locaux, et cetera. Y a-t-il une grosse différence ou y a-t-il des problèmes liés à la sécurité en ce qui concerne les provinces, ou les provinces adoptent-elles essentiellement les normes de réglementation fédérales de toute façon? Le processus visant l'homologation fédérale est- il fastidieux? Est-il coûteux?

M. Arsenault : Certaines provinces présentent des différences plus importantes que d'autres. Comme je l'ai dit au début, certaines provinces ont des règlements qui correspondent de très près aux règlements fédéraux, et d'autres provinces n'ont pas encore pris de règlements. Ces provinces appliquent les exigences fédérales générales en matière d'inspection des aliments.

L'exécution du système est également fragmentée. Il est difficile de vous répondre par oui ou par non. La vérité, c'est que nous travaillons très fort avec les provinces depuis de nombreuses années. Lorsque nous avons modernisé les règlements en 2011 et en 2012, nous avons collaboré étroitement avec des représentants de toutes les provinces dans le cadre d'un groupe de travail, et avec l'aide d'Agriculture Canada, nous avons été en mesure de collaborer avec les petites entreprises pour évaluer cette différence.

Nous avons conclu qu'en ce qui concerne les détails techniques, c'est-à-dire la structure de l'édifice, et cetera, ce n'était pas énorme. Le grand défi auquel ces gens faisaient face était lié à la taille des ressources humaines, c'est-à-dire l'absence de systèmes de contrôle de la qualité comparables aux systèmes de contrôle préventifs présents dans le système fédéral, et qui représentent la norme internationale. Ce n'est pas comme si l'on demandait à nos gens d'en faire plus que les importateurs.

La question qui a émergé concernait la nécessité, pour ces personnes, de décider si leur entreprise resterait une petite entreprise ou si elle serait agrandie, afin d'être en mesure de répartir ces coûts supplémentaires dans un volume assez important pour lui permettre de demeurer concurrentielle sur le marché.

Les dirigeants de ces entreprises doivent donc revenir à la question fondamentale, à savoir si l'entreprise sera agrandie ou conservera sa taille actuelle. La plupart des entreprises souhaitent toujours être homologuées par le gouvernement fédéral un jour, mais après cinq ans, seulement quelques-unes ont réussi. Cela vous donne donc un peu d'information à cet égard.

Le président : J'aimerais remercier les témoins. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide. C'était une très bonne séance. Nous avons appris beaucoup de choses et nous vous remercions de vos témoignages.

Dans notre prochain groupe de témoins, nous accueillons Kathleen Macmillan, présidente d'International Trade Policy Consultants, Inc. Elle est économiste et agit souvent à titre de commentatrice sur le commerce, les politiques industrielles et la réforme réglementaire. Elle est également une ancienne vice-présidente du Tribunal canadien du commerce extérieur et a travaillé comme analyste des politiques pour l'Institut C.D. Howe et pour la Canada West Foundation. Elle a beaucoup écrit sur les questions liées au commerce intérieur pour des organismes tels la Chambre de commerce du Canada, l'Institut C.D. Howe, le Conference Board du Canada et le Forum des politiques publiques du Canada.

Kathleen Macmillan, présidente, International Trade Policy Consultants, Inc. : Bonjour. Il est juste de dire que nos partenaires commerciaux ont habituellement mieux réglé la question des obstacles au commerce intérieur que l'a fait le Canada. Dans le cadre de mes travaux précédents, j'ai eu la chance d'étudier des régimes commerciaux aux États-Unis et en Europe, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Suisse. Je crois qu'il s'agit d'exemples importants dont le Canada peut s'inspirer, même si ces pays présentent tous des différences dans la répartition de leurs compétences, dans leur structure, et cetera.

Comme vous l'ont dit de nombreux témoins, certains progrès ont été réalisés en ce qui concerne l'Accord sur le commerce intérieur au cours des 20 dernières années, surtout dans le domaine de l'approvisionnement gouvernemental et de la mobilité de la main-d'œuvre. Toutefois, il existe toujours des divergences dans les normes visant les produits et des règlements qui se chevauchent.

Je vais vous donner trois grandes raisons pour lesquelles les progrès ont été insatisfaisants de façon générale. Je citerai des exemples tirés de quatre autres administrations pour illustrer ce que nous pourrions réaliser.

Tout d'abord, l'Accord sur le commerce intérieur, ou ACI, ne permet pas d'éliminer les obstacles. D'autres pays ont adopté une méthode plus efficace qui donne de meilleurs résultats. En deuxième lieu, nous n'avons aucun mécanisme de surveillance judiciaire, contrairement à d'autres pays. Nous n'avons pas non plus le soutien institutionnel nécessaire à la réussite continue de notre communauté économique. Enfin, d'après ce que j'ai appris, il me semble que ces autres pays ont été motivés par des crises économiques ou politiques. Les pays ont su puiser leur motivation à faire tomber les barrières dans leur expérience.

Pour commencer, parlons de la structure de l'accord. J'ai pris connaissance des témoignages que vous avez entendus, et vous avez abondamment parlé du concept des listes positives et négatives. Vous savez bien que la plupart des dispositions de l'ACI ont été adoptées à l'unanimité par les provinces et le gouvernement fédéral, et qu'il s'agit d'inclusions explicites. Cette démarche était laborieuse. Voilà qui explique largement pourquoi les progrès ont été aussi minimes.

Il y a des années, l'Union européenne a fait figure de pionnière en créant le concept de « reconnaissance réciproque ». Aujourd'hui, le système européen est très complexe, comme vous le savez, et il serait inacceptable à bien des égards pour les Canadiens et les gouvernements canadiens. Une surveillance est exercée par le droit conventionnel, les directives administratives et toutes sortes d'entités supranationales.

Cette reconnaissance réciproque était donc l'innovation ingénieuse que les Européens ont su introduire. J'écoutais les témoins précédents, qui étaient excellents d'ailleurs, et je me suis surprise à penser à des voyages d'affaires où nous pouvons prendre un avion pour nous rendre dans une province à l'autre bout du pays. Nous pouvons prendre un taxi local; nous pouvons aller manger un steak qui a fait l'objet d'une inspection provinciale; nous pouvons prendre un verre d'un vin qu'il est impossible d'acheter dans notre province. Nous pouvons même arroser le tout de sirop d'érable. Tout cela est acceptable pour nous, mais pas pour les organismes de réglementation. Voilà qui met en évidence toute cette notion de reconnaissance réciproque.

En termes simples, le concept signifie que si un produit, une personne, un professionnel ou un service répond aux exigences réglementaires d'une région donnée, la personne devrait pouvoir exercer ses activités ou déménager dans une autre partie de la communauté sans embûches supplémentaires.

C'est le fondement de l'accord sur le commerce intérieur des Australiens et de leur entente avec la Nouvelle-Zélande. Il s'agit aussi du fondement de l'Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre, qui est ensuite devenu le New West Partnership, de même que de l'Accord économique et commercial global avec l'Europe, ou AECG.

Le principe fonctionne bien pour des administrations, comme nos provinces, qui ont des objectifs communs quant à la sécurité sanitaire des aliments, et aux enjeux importants comme la gérance environnementale, la sécurité, et ainsi de suite.

Il s'agit d'une façon ingénieuse d'enrayer le fléau de ce que j'appelle la prise de décision en vase clos, étant donné qu'un grand nombre de nos barrières en découlent vraiment. Il ne s'agit pas de tentatives explicites de pratiquer le protectionnisme; c'est simplement un chevauchement qui découle du partage des compétences.

Ce qui me plaît dans le concept de la reconnaissance réciproque, c'est que celui-ci est remarquablement simple. Les deux premiers accords entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande faisaient trois pages. Les textes sont maintenant plus longs étant donné que les pays ont entrepris d'harmoniser leurs mesures. Mais il s'agit d'une façon très simple de régler des problèmes.

Cette pratique permet une concurrence sur le plan réglementaire. Il n'incombe pas à une seule administration de régler tous les problèmes. L'innovation en matière de réglementation est extrêmement importante étant donné l'évolution de l'économie, des industries et du contexte. Il est donc fort important de conserver cette tension attribuable à la réglementation conjointe tout en permettant les échanges commerciaux entre les régions.

Je tiens à préciser que nous ne parlons pas de nivellement vers le bas. Je ne suis pas d'avis qu'il faut se débarrasser de toute réglementation. Le secteur bancaire canadien témoigne du fait qu'une haute surveillance réglementaire ne nuit ni à une forte croissance économique ni à la réussite des industries.

Je sais que vous en avez discuté avec Jack Mintz le mois dernier, et je vais attirer votre attention sur l'exemple des États-Unis. L'article 1 de la Constitution américaine donne le droit au milieu commercial de réglementer le commerce intérieur aux États-Unis. Je ne vais pas prétendre que le marché intérieur américain est un exemple de bon fonctionnement. En effet, les États ont des politiques d'acquisition très protectionnistes, et il y a aussi beaucoup de fraudes relatives aux régimes fiscaux et aux systèmes de subventions. La situation est donc loin d'être parfaite à bien des égards.

Grâce à l'article 1 de la Constitution et à une disposition que les juristes appellent la « dormant commerce clause », le Congrès a pu invalider un grand nombre de mesures étatiques discriminatoires. Il a aussi pu adopter des dispositions économiques globales qui ont grandement contribué au bon fonctionnement de l'économie américaine.

Par exemple, le pays s'est doté d'une loi sur les transports terrestres qui empêche la discrimination entre les États quant aux normes sur le camionnage. Les États-Unis ont des règlements en matière de valeurs mobilières et d'assurances. Au Canada, nous avons un ensemble disparate de règlements sur le camionnage et sur l'environnement, et n'avons aucun organisme de réglementation des valeurs mobilières.

Ce genre de pouvoir judiciaire a été extrêmement utile. Comme vous le savez, nos tribunaux font preuve de retenue quant aux droits des provinces. Ils ont limité la portée du pouvoir de notre gouvernement en matière de commerce en vertu de la Constitution. Comme Brian Lee Crowley vous l'a dit lors de son témoignage d'il y a deux ou trois semaines, les tribunaux ne peuvent pas appliquer l'ACI.

Si notre Constitution ne confère pas au gouvernement fédéral le pouvoir dont il a besoin pour faire tomber les barrières, celui-ci peut-il s'y prendre autrement pour faire avancer les choses à ce chapitre? Je pense que oui; je ne crois pas que le gouvernement fédéral doive se contenter d'être une instance sur 11. Il peut jouer un rôle plus important afin de régler le problème.

Pour ce qui est de la gouvernance et de la structure, des partenaires commerciaux permettent d'offrir un meilleur soutien institutionnel dans le but de faire progresser le marché commun. Par exemple, l'Australian Productivity Commission publie des rapports annuels et énumère les barrières, ce qui est pris très au sérieux.

La Commission européenne produit elle aussi des rapports qui énoncent les obstacles, mais elle exige que les gouvernements membres lui soumettent, avant l'adoption de toute réglementation, une ébauche que les autres instances pourront commenter. De plus, la commission agit au nom des particuliers lorsque les barrières entre les pays sont contestées devant la Cour européenne de justice.

L'autorité suisse compétente en matière de concurrence fait la même chose : elle joue un rôle de surveillance et de signalement, et représente l'intervenant et le plaignant dans les questions de barrières discriminatoires qui sont portées devant les tribunaux suisses.

La dernière chose qui entre en ligne de compte est la question de la motivation. Qu'est-ce qui a poussé d'autres pays à faire tomber les barrières plus sérieusement que nous? Dans le cas de l'Europe, le Traité de Rome signé en 1957 a été conçu dans le but de créer des relations économiques qui pourraient réprimer une autre période d'agitation politique.

La Suisse a adopté sa loi et a modifié sa constitution à la fin des années 1990 par crainte d'être dépassée par un agent économique très puissant en Europe. Le pays n'est pas membre de l'UE, et son économie est en quelque sorte dualiste. Il compte un bel ensemble d'industries d'exportation, mais l'économie locale est très chère et fortement protégée. La Suisse harmonise unilatéralement ses barrières et toutes ses normes à celles de l'UE, puis applique le résultat aux échanges commerciaux des cantons aussi.

J'aime beaucoup l'exemple de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, que je trouve fort pertinent pour le Canada. Dans les années 1980, l'Australie a traversé une crise relative à la devise et au compte courant, qui a eu des répercussions néfastes sur le niveau de vie des habitants. Le pays a dû respecter un impératif de productivité. Le gouvernement central a décidé d'entamer des négociations avec les gouvernements étatiques et territoriaux, puis a mis en place un accord de reconnaissance réciproque, qui a ensuite été élargi de façon à englober la Nouvelle-Zélande. Les autorités sont d'ailleurs en train de réaliser un exercice exhaustif de réforme réglementaire.

L'exemple de l'Australie est intéressant. La situation se distingue par l'excellente collaboration intergouvernementale, qui est aussi agréablement pragmatique.

Je sais que vous avez parlé des permis de conduire il y a deux ou trois semaines. Pour illustrer le pragmatisme des pays de la Tasmanie, permettez-moi de dire que ceux-ci ont décidé d'adopter ou de reconnaître les permis de conduire de toutes nos provinces canadiennes sans exiger d'évaluation supplémentaire. Ils considèrent que c'est une façon de contribuer à la mobilité des professionnels entre nos deux pays et à nos relations commerciales.

Il serait merveilleux que notre gouvernement prenne ce genre d'engagement et ait ce sentiment d'urgence. Nous semblons être enlisés dans les efforts que nous déployons pour comprendre l'ampleur du problème. Nous semblons croire que si nous arrivons à calculer un pourcentage suffisamment élevé du PIB, il pourrait valoir la peine que les décideurs s'attardent au problème. C'est comme si nous ne savions pas que les barrières font augmenter les prix payés par les consommateurs et les entreprises, qu'elles diminuent nos choix et qu'elles dissuadent les investisseurs. Et c'est comme si nous pensions que certains de ces coûts dynamiques peuvent être évalués avec exactitude et précision de toute façon — et je parle en tant qu'économiste.

De mon point de vue, la libéralisation des échanges commerciaux au pays est une situation proprement canadienne, à la différence des autres problèmes qui assaillent notre économie, comme les faibles prix des produits de base, la faible demande extérieure de la Chine, et ainsi de suite. C'est un problème que nous pouvons parfaitement régler, et je pense que d'autres pays ont trouvé des façons intéressantes de le faire. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Macmillan.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie infiniment d'être ici. Il est agréable de recevoir une personne tout à fait indépendante, et qui peut nous donner son point de vue sans craindre de perdre son emploi, peut-être.

Nous avons déjà essayé de régler des problèmes avec les provinces. Nous semblons très rapidement convaincre les deux tiers ou les trois quarts d'entre elles, mais les deux, trois ou quatre dernières refusent de céder sur certaines questions et chambardent tout. Un bon exemple est bien sûr la réglementation des valeurs mobilières. Je viens de l'Alberta, et je ne suis pas d'accord avec mon gouvernement sur ce sujet, mais c'est un très bon exemple.

Avez-vous pu identifier des provinces, le cas échéant, qui pourraient selon vous être réticentes à l'idée du libre- échange, de la liste négative et du reste? Dans l'affirmative, comment qualifieriez-vous ces réserves? S'agirait-il de déclarations de compétence — une sorte de souveraineté — sur certains enjeux, d'une simple protection du caractère provincial, disons, ou de provinces qui prennent des mesures protectionnistes brutes dans l'intérêt d'une petite industrie locale ou provinciale?

Avons-nous ce genre de problème? J'ai posé la question à deux ou trois occasions, mais les gens ont bougé sur leur siège sans vraiment répondre. Allons-nous réussir à identifier des provinces qui, bien franchement, refuseront de signer simplement parce que ce n'est pas dans leur nature?

Mme Macmillan : C'est une excellente question. Je me suis attardée pendant des années au commerce intérieur, et les réticences provinciales changent constamment. Lorsque l'ACI est entré en vigueur au milieu des années 1990, la Colombie-Britannique était très récalcitrante. Le gouvernement de la province avait une piètre opinion de l'accord, ce qui avait nui aux progrès à bien des égards. Un changement de gouvernement représente un véritable changement d'orientation.

Ainsi, certaines provinces ont toujours été ouvertes à l'idée. C'est le cas du Manitoba, et je pense que c'est notamment pour cette raison que le Secrétariat du commerce intérieur est situé là-bas. Mais dans le cas des industries et des situations particulières, la donne change. Prenons l'exemple des enjeux relatifs à l'énergie : un profond différend entre les gouvernements de Terre-Neuve-et-Labrador et du Québec a entravé les progrès à ce chapitre. Il est donc vraiment difficile de répondre à la question.

Voilà qui met en évidence la raison pour laquelle il faut un peu... Et je n'essaie pas d'être une personne axée sur les progrès. Je ne tente pas de créer une panoplie d'autres organismes. Mais je crois honnêtement que l'ACI souffre du manque de soutien institutionnel. Le Secrétariat du commerce intérieur n'est vraiment qu'un organisme administratif. Il n'a même pas pour mandat d'établir les faits. Je sais que cette décision a été prise délibérément étant donné que les gens ne voulaient aucune forme de surveillance. Mais si un organisme indépendant dressait la liste des progrès, les décrivait et en faisait la surveillance, puis qu'il retirait le dossier du cycle de rencontres annuelles des ministres du Commerce pour le placer dans une position plus solide, je pense que nous réduirions ainsi une bonne partie des allées et venues des gouvernements provinciaux.

Le sénateur Tannas : Vous avez parlé de M. Brian Crowley et de sa solution — je pense que nous l'appelions l'option nucléaire, ou c'était peut-être seulement moi qui l'appelais ainsi. Que pensez-vous de cette idée, et dans quelle mesure est-elle pratique?

Mme Macmillan : Il y a une chose qui semblait me plaire. Je pense qu'il parlait d'une commission de la liberté économique ou de quelque chose du genre, qui ressemblerait à la Australian Productivity Commission. Lorsque vous dites « nucléaire », vous voulez parler du gouvernement fédéral...

Le sénateur Tannas : Je parle du gouvernement fédéral, qui dit simplement que c'est lui qui mène sur le plan constitutionnel, et que c'est ainsi que les choses vont se passer.

Mme Macmillan : C'est un peu trop centralisé à mon goût. Le problème, c'est que... Et nous l'avons même vu dans le renvoi récent à la Cour suprême du Canada sur la question de la réglementation des valeurs mobilières. Je ne suis pas avocate, mais j'ignore si ce genre d'affirmation du gouvernement fédéral a un fondement juridique. Nous pourrons peut-être en faire quelque peu l'essai d'une façon créative et expérimentale, mais je pense que le gouvernement fédéral a d'autres pouvoirs qu'il pourrait mettre à profit relativement à ces enjeux. Il a de vastes pouvoirs de dépenser.

Le sénateur Tannas : Ou encore, comme le sénateur Campbell l'a dit, nous pouvons simplement encourager les provinces avec de l'argent.

Mme Macmillan : Oui. Si vous voulez quelque chose de nouveau, il faut voir si nous pouvons envisager de conclure une sorte d'entente sur les normes du sirop d'érable ou sur quoi que ce soit. Je pense qu'il y a une façon d'y arriver. Je crois que le gouvernement fédéral n'a pas vraiment fait preuve d'un esprit d'initiative suffisamment déterminé à ce chapitre.

La sénatrice Hervieux-Payette : Nous parlons des provinces et du fédéral, mais de nombreux intervenants sont touchés. Après la comparution d'hier de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante et de la Chambre de commerce du Canada, j'ai même l'impression que les deux groupes, qui représentent des entreprises différentes, ne voient pas la question du même œil. Un gros joueur voudra protéger son territoire le plus possible, et il ne voudra pas payer pour les entreprises plus modestes qui n'en ont pas les moyens. J'ai l'impression que tout le monde vit ce dilemme. Bien sûr, les multinationales ont peut-être plus de poids dans notre système que les petits producteurs.

Nous avons aussi des chambres de commerce locales, dont une pour le Québec, une pour l'Ontario, et ainsi de suite. Mais je crois que ce sont les gens directement touchés qui devraient prendre ces décisions.

Mme Macmillan : Je suis tout à fait d'accord. J'ai travaillé auprès de la Chambre de commerce du Canada. Patrick Grady et moi avions dressé une liste des obstacles il y a plusieurs années. Je pense qu'il ne fait aucun doute que cela doit être fait de concert avec les intervenants, et je suis tout à fait d'accord sur le fait que bon nombre d'entre eux sont très attachés aux barrières existantes.

Ce que je veux dire, et ce que je trouvais si intéressant à propos de la méthode de la liste négative, c'est qu'il existe un grand nombre de normes de produit tout à fait divergentes et de réglementations qui se chevauchent sur des questions pour lesquelles les gens n'avaient même pas l'intention de prendre des mesures protectionnistes. Je pense qu'il serait vraiment préférable de trouver un système ou un cadre qui nous permettrait de donner un sens à tout cela. Nous pourrions ensuite régler les problèmes au cas par cas de concert avec ceux qui sont vraiment touchés par les barrières.

La sénatrice Hervieux-Payette : Comment faire pour rallier les deux types d'entreprises? On peut bien faire les recommandations qu'on veut, mais une des meilleures reste de mettre cela entre les mains des principaux intéressés. Ce sont eux qui devraient braquer les projecteurs sur la question et trouver des solutions. S'ils ne disent rien et qu'ils n'attirent pas l'attention du public sur le sujet, je ne crois pas qu'ils arriveront à quelque chose.

Mme Macmillan : C'est un excellent point. Je pense que l'information aide toujours. Je crois qu'il pourrait aussi être utile de confier la responsabilité du marché intérieur à une entité quelconque, qui pourrait recevoir cette information et tenter d'arriver aux compromis nécessaires pour faire avancer la cause. À l'heure actuelle, il s'agit d'une responsabilité partagée. Les ministres du Commerce ont autre chose à faire. Il faudrait peut-être vouer une organisation à la question et en faire son mandat.

Le sénateur Day : Sur ce dernier point, c'est semblable au modèle de l'Australie et aux modèles européens dont vous nous avez parlé, sachant que les barrières reviennent tous les ans.

Mme Macmillan : Oui.

Le sénateur Day : J'ai du mal avec tout cela, comme nous tous, j'imagine. Le sénateur Tannas a demandé comment on pourrait se sortir de ce marasme. Comment pouvons-nous initier les choses? Tout le monde convient qu'il faut intervenir, mais rien ne bouge.

Vous avez cité en exemple d'autres administrations, et vous avez indiqué ce qui les avait poussées à agir. Essentiellement, il a fallu des situations de crise pour mobiliser tout le monde et arriver aux résultats qu'elles visaient depuis un bon bout de temps, probablement, mais elles n'y arrivaient tout simplement pas.

Devons-nous attendre qu'une crise éclate, ou pouvons-nous compter sur d'autres incitatifs? Pour l'accord potentiel avec l'Europe, le gouvernement fédéral a signalé qu'en cas de répercussions sur le marché du fromage du Québec, il allait offrir une compensation à ceux qui arriveraient à démontrer qu'ils ont subi des pertes en raison de l'accord international. C'est une initiative du gouvernement fédéral, et peut-être que nous devrions avoir plus d'initiatives de ce genre.

Je pense aux professions de comptable et d'auditeur, et aux avocats et aux ingénieurs. Les groupes autoréglementés ont vu la lumière, ont pris les mesures qui s'imposaient et ont permis la reconnaissance mutuelle, qui est une des solutions que vous avez proposées.

Je me demande si certains des accords internationaux que veut conclure le gouvernement fédéral vont le forcer à revoir certaines responsabilités provinciales et à solliciter leur aide dans certains dossiers. Pensez-vous que cela pourrait être la crise qu'on attendait?

Mme Macmillan : Absolument. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je crois que cela a été très utile que les gouvernements provinciaux participent aussi activement aux négociations sur le nouvel accord commercial avec l'Europe. J'estime que cela démontre tout d'abord un bel esprit de coopération, mais ce processus leur a aussi probablement permis d'avoir une meilleure idée des coûts et des avantages associés à ce genre d'entreprise. Oui, absolument.

Le sénateur Enverga : Merci pour votre exposé. Ce fut très enrichissant.

Vous disiez que le commerce intérieur ne bénéficiait pas d'un très grand appui juridique. Vous avez aussi mentionné que le Secrétariat du commerce intérieur est essentiellement une entité administrative dont le mandat est d'établir les faits.

En supposant que le gouvernement fédéral peut légiférer pour consolider cet appui, qu'elle est la première chose que vous aimeriez qu'il fasse? Quel type de loi voudriez-vous qu'on adopte? Préférez-vous que le Secrétariat du commerce intérieur ait plus de pouvoirs? Que peut faire le gouvernement pour réduire les barrières?

Mme Macmillan : Cela pourrait être utile si on en faisait une entité qui a plus de poids et si on lui donnait, à tout le moins, le mandat d'effectuer des recherches qui nous permettraient d'assurer le suivi des mesures qu'il reste à prendre à cet égard. Le secrétariat pourrait aussi publier des rapports. Ce serait un premier pas et on saurait au moins ce qu'il y a à faire de ce côté. Le gouvernement fédéral pourrait désigner une unité spéciale et lui donner le genre d'accès politique nécessaire pour faire la promotion de cette idée à plus grande échelle.

En ce qui a trait aux changements juridiques, sénateur, je pense qu'il faudrait modifier la Constitution canadienne, ce qui ne nous plaît pas vraiment, et avec raison. Peut-être que le gouvernement fédéral pourrait se permettre quelques incursions plus sélectives et tâter le terrain de temps à autre lorsqu'il est question d'enjeux importants concernant les barrières connues.

Le gouvernement fédéral a lui-même quelques squelettes dans son placard. Il pourrait voir à ces choses-là. Nous avons passablement entendu parler de la réglementation sur l'étiquetage. Il y a énormément de chevauchements avec la réglementation des provinces, surtout dans le secteur de l'agriculture.

Un groupe de provinces a conclu un accord intérimaire sur le commerce intérieur de produits agricoles et alimentaires, et ce sont les provinces qui ne sont généralement pas assujetties à la gestion de l'offre. Le gouvernement fédéral n'a pas signé cet accord. Il pourrait cependant le faire.

Il y a une foule de choses que le gouvernement fédéral pourrait faire. Il pourrait non seulement mettre en place le type d'infrastructure dont nous avons réellement besoin pour donner toute l'attention nécessaire à notre union économique, mais aussi voir aux barrières sélectives et peut-être se permettre quelques incursions juridiques.

Le sénateur Enverga : Quand on est de l'extérieur, on parle toujours aux bureaucrates ou aux représentants du gouvernement.

À votre avis, où en sommes-nous en ce qui a trait au commerce intérieur? Les provinces sont-elles bien loin du but? Y a-t-il autant de chemin à faire que les témoins précédents nous l'ont dit? Pouvons-nous garder espoir?

Mme Macmillan : Je crois qu'il est extrêmement frustrant pour les gens d'affaires de voir que nos industries de l'assurance et du courtage hypothécaire sont aussi fragmentées. Les normes de produits sont loin d'être uniformes à l'échelle du pays.

En ce moment, et je pense que les représentants de Statistique Canada vous l'ont dit, 67 p. 100 du commerce intérieur au Canada est composé de produits intermédiaires, donc de produits qui font partie de chaînes de valeur mondiales. C'est une nouvelle réalité, et ce genre d'obstacles qui compliquent le commerce de province à province sont carrément ridicules.

Le New West Partnership a remédié à bon nombre de ces problèmes. Les mesures comme celle de l'enregistrement des entreprises n'ont rien de protectionniste, alors pourquoi ne pas permettre à une entreprise enregistrée en Colombie- Britannique, si elle satisfait à toutes les exigences, de faire des affaires aussi en Ontario?

On a raison de vouloir faire les choses quelque peu différemment d'une province à l'autre dans certains secteurs. Pour les gens d'affaires, il y a certainement encore beaucoup de travail à faire de ce côté.

Le sénateur Enverga : Sur une échelle de 1 à 10, comment se compare-t-on actuellement à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande?

Mme Macmillan : Oh, nous sommes très loin derrière l'Australie. Je ne veux toutefois pas dire que les autres pays sont des exemples parfaits.

Les États-Unis ne font pas dans la dentelle : « Buy America, buy local, buy Nebraska ». Il existe des politiques claires qui font obstacle à cela. Nous n'avons pas d'organisme unique de réglementation des valeurs mobilières. Il est difficile pour moi de vous donner un chiffre. Nous sommes peut-être à mi-chemin du trajet parcouru par l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Le président : Je ne suis pas du genre à réclamer une plus grande présence du gouvernement. J'aime l'idée de publier des rapports annuels, parce que les consommateurs et les électeurs doivent être inclus au dialogue. La plupart des Canadiens ne savent pas que ces barrières font grimper inutilement le prix des produits qu'ils achètent. Mettons quelques provinces dans l'embarras pour démontrer le ridicule de la chose.

On parle de l'achat d'une voiture et de la façon dont les provinces contrôlent la vérification des normes de sécurité. Donc, on a quelqu'un qui achète une voiture en Alberta. Il s'en allait aux États-Unis. Il a échangé sa voiture. Il a dû faire la route jusqu'en Saskatchewan pour conclure la transaction, puis revenir à Calgary avant de poursuivre son voyage. En gros, sa voiture ne convenait pas, alors il a décidé de la changer en chemin vers les États-Unis. C'est ridicule. Je lui ai demandé s'il aurait pu amener sa voiture au concessionnaire de l'Alberta, mais il m'a répondu que non, parce qu'il fallait que ce soit un conducteur de la Saskatchewan. Un vrai désastre. C'est un exemple de barrière au commerce qui est totalement insensé.

Mmes Macmillan : Oui.

Merci beaucoup, madame Macmillan, pour votre témoignage. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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