Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule n° 5 - Témoignages du 4 mai 2016
OTTAWA, le mercredi 4 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 20, pour étudier les questions relatives aux barrières au commerce intérieur.
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, Mme MacEwen a sa petite fille avec elle aujourd'hui. Elle s'appelle Anna. Je veux m'assurer que son nom figurera au compte rendu.
Bonjour et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle David Tkachuk et je suis le président du comité. Nous tenons aujourd'hui notre neuvième séance sur notre étude spéciale relative aux obstacles au commerce intérieur.
Je suis heureux de souhaiter la bienvenue aux membres de notre panel : M. Yves-Thomas Dorval, président- directeur général du Conseil du patronat du Québec, et sa collègue, Mme Norma Kozhaya, vice-présidente et économiste en chef, qui comparaissent par vidéoconférence depuis Montréal; M. Dan Paszkowski, président de l'Association des vignerons du Canada; Mme Angella MacEwen, économiste principale du Congrès du travail du Canada; ainsi que Mme Susie Grynol, vice-présidente des Relations gouvernementales fédérales, et son collègue, M. David Wilkes, vice-président principal, Relations gouvernementales, tous deux du Conseil canadien du commerce de détail.
Je vais commencer par le Conseil canadien du commerce de détail. Je crois comprendre que Mme Grynol prononcera la déclaration. Allez-y, je vous en prie.
Susie Grynol, vice-présidente, Relations gouvernementales fédérales, Conseil canadien du commerce de détail. Merci. Bonjour et merci de prendre le temps de nous recevoir.
Le Conseil canadien du commerce de détail est heureux d'avoir la possibilité de faire entendre le point de vue du secteur de la vente au détail sur l'importante question des obstacles au commerce intérieur.
[Français]
Le comité a entendu une foule de témoignages sur les nombreux défis que pose l'accord existant sur le commerce intérieur. Aujourd'hui, le Conseil canadien du commerce de détail fournira un point de vue axé sur la vente au détail et émettra des recommandations sur la voie à suivre.
[Traduction]
Le Conseil canadien du commerce de détail se compose de petits, moyens et grands détaillants actifs partout au Canada, soit des grands magasins, des épiceries, des entreprises à succursales ainsi que des cybercommerces et des commerçants indépendants. Nos membres emploient plus de deux millions de Canadiens, ce qui fait de notre secteur le plus grand employeur privé du Canada. Les détaillants exploitent 45 000 emplacements de commerce établis dans toutes les collectivités du pays.
Nous préconisons depuis longtemps une réduction de la paperasserie et une plus grande harmonisation réglementaire à l'échelle tant nationale qu'internationale; nous sommes donc enchantés que le présent comité consacre beaucoup de temps et d'efforts à examiner les questions relatives au commerce intérieur. Nous sommes heureux que le ministre Bains en ait fait une priorité et que le Comité du commerce intérieur et, en fait, les premiers ministres provinciaux se soient engagés à réformer l'Accord sur le commerce intérieur (ACI).
Les obstacles au commerce intérieur auxquels sont confrontés aujourd'hui les détaillants freinent considérablement l'acquisition de ressources, la productivité et le potentiel de croissance. Nos membres subissent des préjudices principalement à trois niveaux : la main-d'œuvre et l'emploi, les normes environnementales et les règlements relatifs aux aliments et aux produits.
Le secteur du commerce au détail constitue le plus gros employeur du secteur privé du Canada, mais il est directement touché par les diverses lois sur la main-d'œuvre et l'emploi partout au Canada. Les heures d'ouverture des magasins et les jours fériés ne sont pas les mêmes partout, différentes méthodes sont utilisées pour calculer les heures supplémentaires, les permis ne sont pas toujours transférables, les systèmes de paye sont différents et les régimes d'indemnisation des accidents du travail varient d'une province à l'autre. Comprendre et respecter toutes les réglementations en vigueur est incroyablement coûteux et prend un temps fou.
Pour ce qui des lois et des règlements sur le recyclage, il existe plus de 100 programmes obligatoires au Canada auxquels un détaillant qui fait des affaires dans plus d'une province doit se conformer. Prenons brièvement l'exemple des systèmes de consigne des contenants de boissons. Dans la plupart des cas, la consigne est remboursée au complet, mais certaines provinces n'en remboursent qu'une partie. D'autres provinces ajoutent à la consigne un droit de recyclage des contenants distinct non remboursable au lieu de ne rembourser qu'une partie de la consigne. Le Manitoba, en comparaison, impose seulement un droit de recyclage des contenants. Dans certaines provinces, en plus de nécessiter une ligne distincte sur le reçu du client, le droit de recyclage fait l'objet d'une structure de comptabilité et de déclaration différente selon que la TPS/TVH doit être appliquée au contenant ou non. Il n'est donc pas difficile de voir la quantité considérable de ressources qu'il faut consacrer pour se conformer aux divers programmes en vigueur dans le pays.
En ce qui concerne les règlements sur les aliments et les produits, les exemples de normes et de règlements différents entre les provinces et les territoires sont nombreux. Les exigences en matière d'étiquetage ne sont pas les mêmes dans plusieurs provinces. Les produits non pasteurisés faits au Québec ne peuvent être expédiés à l'extérieur du Québec. Toutes les provinces et tous les territoires autorisent la vente des emballages multiples d'insectifuges à l'exception du Québec. Les tailles de contenants varient d'une province à l'autre. Les exigences provinciales d'inspection des viandes varient, non pas parce que certaines sont plus sûres que d'autres, mais simplement parce qu'elles sont différentes.
La majeure partie des obstacles au commerce auxquels les détaillants sont confrontés découlent d'une incohérence des règlements. Par conséquent, notre première recommandation porte sur la création, sous l'autorité du ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, d'un conseil fédéral-provincial-sectoriel chargé de cerner et d'éliminer les incohérences réglementaires qui n'ont aucune raison légitime d'exister. Ce conseil devrait être constitué immédiatement.
Quant au renouvellement de l'Accord sur le commerce intérieur, le CCCD a deux recommandations importantes. En premier lieu, nous recommandons que le nouvel accord soit fondé sur le principe de la reconnaissance mutuelle selon lequel un permis, ou une accréditation, accordé de manière appropriée par une administration est reconnu et accepté par une autre administration. Ce principe est au cœur des accords modernes conclus tant à l'échelle internationale, comme l'Accord économique et commercial global signé avec l'Union européenne, qu'à l'échelle nationale, comme les accords en vigueur en Australie et en Suisse. Le Canada devrait donc s'en inspirer.
Soyons clairs. Si la plupart des incohérences réglementaires sont injustifiées, certaines d'entre elles existent pour une bonne raison. Voilà pourquoi nous recommandons, en second lieu, que la reconnaissance mutuelle soit appariée à une approche de listes négatives, fondée sur l'hypothèse selon laquelle l'échange de biens et services devrait être autorisé, sauf quand cela est contre-indiqué explicitement. Cette approche permettrait des exceptions légitimes et appropriées, tout en maintenant le principe fondamental du commerce ouvert.
À cet égard, nous avons été ravis d'apprendre par le témoignage du ministre Bains que le nouvel Accord sur le commerce intérieur reposera sur le principe de l'approche des listes négatives. Nous félicitons le ministre et le Conseil de la fédération pour cet important pas en avant.
Un dernier point à ce sujet, monsieur le président : tout bon accord doit contenir un mécanisme de règlement des différends fonctionnel et accessible. Nous recommandons donc d'inclure aussi un tel mécanisme dans le nouvel ACI.
Notre dernière recommandation concerne la création d'un groupe de travail chargé d'examiner le modèle décisionnel du Comité du commerce intérieur. À l'heure actuelle, ce modèle ne permet pas une participation suffisante des intervenants, le changement de président tous les ans nuit aux activités du comité et l'obligation d'avoir la participation de tous les membres aux réunions crée des contraintes indues qui entravent l'avancement des travaux.
En conclusion, j'aimerais mentionner que le Conseil canadien du commerce de détail fait partie d'une coalition avec la Chambre de commerce du Canada, la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, le Conseil canadien des chefs d'entreprise, rebaptisée dernièrement le Conseil canadien des affaires, les Manufacturiers et exportateurs du Canada, CPA Canada, l'Association des transformateurs laitiers du Canada et Restaurants Canada. Individuellement et en groupe, nous continuerons à suivre l'avancement et l'évolution d'un régime de commerce intérieur plus efficace au Canada.
Le président : Nous entendrons maintenant M. Dorval, du Conseil du patronat du Québec. Monsieur, la parole est à vous.
[Français]
Yves-Thomas Dorval, président-directeur général, Conseil du patronat du Québec : Bonjour. Je vous remercie de l'invitation à comparaître devant votre comité. Nous tenterons d'être brefs. Vous avez reçu quelques notes au sujet de notre position. J'aimerais rappeler que le CPQ, le Conseil du patronat du Québec, représente plus de 70 000 employeurs qui mènent des activités au Québec, mais dont la grande majorité exercent des activités à l'échelle nationale. Notre mission principale est de réunir les meilleures conditions pour favoriser la prospérité. Nous sommes heureux de participer à ce débat et aux réflexions des parlementaires et des sénateurs à ce sujet.
Ces conditions de prospérité reposent notamment sur l'entrepreneuriat, la productivité, la création de la richesse et le développement durable. Celles-ci alimenteront les propos dont nous souhaitons vous faire part.
Selon le CPQ, si le commerce international contribue à la prospérité économique du Canada — nous avons pris position maintes fois en ce sens —, c'est la même chose pour le commerce interprovincial, qui y contribue tout autant, sinon plus. Les différences dans les normes de réglementation, de certification et d'inspection, ainsi que d'autres obstacles non tarifaires, peuvent ralentir et alourdir le processus et représenter des coûts additionnels qui ne favorisent pas les meilleures conditions pour prospérer au Québec. Il ne s'agit pas de tentatives explicites de pratiquer le protectionnisme entre les différentes provinces, mais plutôt d'un chevauchement qui découle de la mise en commun des compétences et des préférences des différentes administrations. Le Canada étant une fédération, chaque province tient à conserver une certaine autonomie, et la coopération vaut mieux qu'une approche descendante.
Les avantages d'une plus grande libéralisation du commerce interprovincial au Canada sont nombreux : réduire les coûts pour les entreprises en éliminant les dépenses inutiles; fournir des choix à plus bas prix aux consommateurs en élargissant les gammes de produits offerts et en encourageant la concurrence; et améliorer la mobilité de la main- d'œuvre. Les permis provinciaux et l'équivalence des formations sont coûteux pour les travailleurs qualifiés qui envisagent de venir au Canada, même si les normes de formation sont similaires. Il faut augmenter la productivité totale et la compétitivité de l'économie canadienne, entre autres, en permettant aux entreprises de grandir, de se développer à l'échelle nationale et de se préparer à conquérir les marchés à l'échelle internationale.
Des recherches montrent que les entreprises qui font affaire avec les autres provinces sont plus susceptibles de croître et d'exporter partout dans le monde. Il ne semble pas y avoir de consensus spécifique sur l'ampleur des coûts liés aux barrières interprovinciales. Dans le court mémoire que vous avez en main, on évoque des études, notamment celle de deux économistes de l'Université de Calgary. Selon eux, les barrières au commerce interne ajoutent un pourcentage important aux coûts de production de biens et de services à travers les provinces, et leur élimination pourrait entraîner des gains de plusieurs milliards de dollars pour le PIB, ce qui est très important.
Diverses barrières existent, notamment en ce qui concerne les marchandises. N'oublions pas les questions liées aux ressources énergétiques, le capital financier, la mobilité des travailleurs et la fiscalité. Nous sommes encouragés par l'évolution qui se réalise et par les améliorations apportées. À l'heure actuelle, les premiers ministres provinciaux se sont engagés en ce sens à plusieurs reprises, et des progrès ont été réalisés. Vous trouverez divers exemples de ces questions dans notre mémoire.
Bon nombre d'initiatives ont été mises de l'avant, mais, bien sûr, il reste encore du travail à faire pour améliorer la situation. Ces accords reposent souvent sur la base de l'universalité avec des listes d'exceptions, mais l'un des principes importants — et nos prédécesseurs vous l'ont affirmé — est celui de la reconnaissance mutuelle des réglementations. À notre avis, il s'agit d'un modèle idéal à suivre.
Le CPQ recommande une éventuelle stratégie de commerce interprovincial qui repose sur le principe de la reconnaissance mutuelle, à l'instar de l'approche adoptée par l'Union européenne et l'Australie. La reconnaissance mutuelle garantit l'accès aux marchés des produits qui ne sont pas soumis à une harmonisation pancanadienne. Elle garantit que tout produit ou service légalement commercialisé dans une province puisse être vendu dans une autre, comme c'est le cas avec l'Accord de commerce et de coopération entre le Québec et l'Ontario. Un professionnel qui répond aux exigences réglementaires d'une région devrait pouvoir exercer ses activités ou déménager ailleurs au Canada sans embûches supplémentaires. C'est le fondement de l'accord sur le commerce extérieur des Australiens et de leur entente avec la Nouvelle-Zélande. Il s'agit aussi du fondement de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne.
Le principe fonctionne bien pour les administrations, comme les provinces canadiennes, qui ont des objectifs communs quant à la sécurité sanitaire des aliments et aux enjeux importants comme la gérance environnementale, la sécurité, et cetera.
Parmi les autres recommandations, le concept de la reconnaissance réciproque est aussi relativement simple. Il semblerait que les premiers accords entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande ne contenaient que trois pages à l'origine, même si les textes se sont alourdis avec le temps. Cette pratique favorise la concurrence sur le plan réglementaire et l'innovation en matière de réglementation. Il faut se rappeler que l'innovation naît souvent de la pression qu'un État peut exercer en matière de réglementation par rapport à un autre. Plutôt que choisir les secteurs couverts par l'accord, il faudrait négocier un accord qui couvre l'ensemble des secteurs, à l'exception de ceux qu'on voudra exempter, soit une liste négative.
Une autre approche serait de procéder selon les grands dossiers. Par exemple, dans le dossier de l'encadrement des marchés financiers, le système de « passeport » au Québec fonctionne relativement bien. On doit s'entendre aussi sur la taxation du carbone. Trois systèmes sont en place : au Québec, en Ontario, et bientôt au Manitoba. La Colombie- Britannique et l'Alberta ont mis en place une taxation sur le carbone, contrairement à d'autres provinces.
L'harmonisation des régimes de retraite représente un autre grand dossier. Cependant, comme l'ont mentionné nos prédécesseurs, il y a aussi des enjeux fiscaux liés aux taxes de vente qui sont très différentes sur le modèle d'application et sur le modèle de l'administration, ou quant au niveau de taxation des différentes provinces.
Enfin, les questions environnementales sont fort importantes également. Chaque État est jaloux de ses priorités, mais il est important d'harmoniser nos actions pour créer les meilleures conditions possible pour favoriser la prospérité partout au Canada.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup.
Nous passons maintenant à M. Dan Paszkowski, président-directeur général de l'Association des vignerons du Canada.
Dan Paszkowski, président et chef de la direction, Association des vignerons du Canada : Merci, monsieur le président, et bonjour.
Notre association est le porte-parole national de l'industrie canadienne du vin. Nos membres représentent 90 p. 100 de toute la production vinicole canadienne, et ils sont actifs dans l'ensemble de la chaîne de valeur, incluant la culture de la vigne, la gestion agricole, les vendanges, la production du vin, la mise en bouteilles, la vente au détail, la recherche et le tourisme.
Vous vous souviendrez sans doute que beaucoup avaient prédit l'effondrement de notre industrie lorsque l'accord de libre-échange a été conclu entre le Canada et les États-Unis, mais le leadership de l'industrie et le soutien gouvernemental qui lui a été accordé ont permis au secteur vinicole de réussir la transition et d'acquérir de la résilience dans un marché en pleine évolution.
Le Canada est un producteur mondial de vins de qualité supérieure; il produit des vins de grande qualité qui remportent des prix. Aujourd'hui, l'industrie contribue à hauteur de 6,8 milliards de dollars à l'économie nationale, elle permet de maintenir 31 000 emplois et elle attire chaque année plus de 3 millions de touristes.
Le marché canadien se classe deuxième au monde au chapitre de la croissance : la consommation de vin y augmente trois fois plus vite que la moyenne mondiale. Le Canada est également le sixième importateur de vin du monde; au cours de la dernière décennie, les importations ont représenté 75 p. 100 de la croissance des ventes de vin de 150 millions de litres au Canada. Et on prévoit que la demande canadienne en vin augmentera de 50 millions de litres, soit de 11 p. 100, d'ici 2018, ce qui rendra notre pays de plus en plus attirant pour la concurrence étrangère.
Pour que l'industrie canadienne du vin atteigne son plein potentiel, les décideurs et les dirigeants politiques doivent reconnaître que, contrairement aux autres secteurs de l'économie, la part du marché intérieur de l'industrie canadienne du vin atteint seulement 32 p. 100 — dont seulement 10 p. 100 pour les 100 vins de marque canadiens. Cela nous place au dernier rang pour les ventes de vins locaux parmi toutes les régions productrices de vins du monde.
Je crois que, comme la plupart des Canadiens, vous serez surpris d'apprendre que seulement deux provinces possèdent une part de marché des ventes de vins VQA d'un peu plus de 10 p. 100. En outre, cinq provinces ont une part du marché des vins VQA de 1 p. 100 ou moins, et le Québec, la province où la consommation de vin par habitant est la plus élevée, ne possède qu'une part du marché des ventes de vin VQA de 0,2 p. 100.
Comme notre industrie est encore jeune, de nouveaux vignobles ouvrent leurs portes chaque année et des vins de grande qualité deviennent disponibles pour la vente à gros volumes.
Cette croissance est très positive, mais malgré un certain progrès de la libéralisation des ventes de vin dans les épiceries, nous sommes gravement restreints par les circuits de vente limités et le peu d'espace d'étalage dans les magasins traditionnels des régies des alcools provinciales. Nos vignobles, particulièrement les petits, ont besoin de plus d'options pour présenter leurs produits sur le marché.
Le moyen le plus simple et celui qui causerait le moins de perturbations serait d'éliminer complètement les barrières interprovinciales au commerce. Cela stimulerait l'intérêt des consommateurs et les sensibiliserait à nos produits, ce qui entraînerait de meilleures ventes de vin pour les vignobles canadiens et, comme il a été démontré aux États-Unis, une hausse de ventes de vin dans les régies des alcools et chez les détaillants.
Mesdames et messieurs, en préparation de mon témoignage d'aujourd'hui, j'ai jeté un coup d'œil à mes anciens agendas et je me suis rappelé que la dernière fois que j'ai comparu devant le comité remonte au 13 juin 2012, lorsque vous examiniez le projet de loi C-311, Loi modifiant la Loi sur l'importation des boissons enivrantes de 1928.
Le 28 juin 2012, le projet de loi C-311 a reçu la sanction royale après son adoption unanime au Sénat et à la Chambre des communes. Il s'agissait non seulement d'un événement politique rare, mais également d'un moment historique pour l'industrie canadienne du vin. Dans deux mois, nous célébrerons le quatrième anniversaire de l'adoption de ce projet de loi. Alors, que s'est-il passé depuis?
Presque immédiatement après la sanction royale du projet de loi, la Colombie-Britannique et le Manitoba ont tous deux ouvert leurs frontières pour permettre l'expédition de bouteilles de vin. La Nouvelle-Écosse aussi a ouvert ses frontières en juillet 2015, mais, malheureusement, les autres provinces ont laissé traîner les choses de diverses façons, le plus souvent en publiant des « énoncés de politiques » qui niaient l'acceptabilité de l'expédition de bouteilles de vin par service de messagerie entre les provinces.
Au cours des dernières années, nous avons observé quelques avancées sur la question.
En juin 2014, le gouvernement fédéral a modifié la Loi sur l'importation des boissons enivrantes pour permettre aux Canadiens de transporter de la bière et des spiritueux entre provinces pour leur usage personnel, étendant ainsi les droits accordés pour le vin en juin 2012.
En juillet 2014, le gouvernement de la Saskatchewan a annoncé la conclusion d'un accord de réciprocité avec la Colombie-Britannique qui permet la livraison directement aux consommateurs, pour leur usage personnel, de commandes de vin allant jusqu'à 9 litres.
En février 2015, le gouvernement fédéral a annoncé la création d'un Bureau de promotion du commerce intérieur chargé d'aider à éliminer les barrières au commerce. Il a inclus le vin dans la liste des obstacles au commerce interprovincial pour qu'on puisse trouver une meilleure façon de coordonner la réglementation fédérale-provinciale.
En juin 2015, les ministres des provinces et des territoires ont convenu d'agir rapidement pour éliminer les barrières au commerce intérieur, notamment les lois qui empêchent l'importation de vin d'autres provinces, et ils se sont engagés à créer un nouveau régime de commerce intérieur avant mars 2016.
En juillet 2015, les tribunaux ont reçu des renseignements détaillés sur l'accusation portée par le gouvernement de Terre-Neuve contre FedEx pour avoir enfreint la loi provinciale en expédiant du vin de « contrebande » de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve. La Couronne provinciale a rejeté la cause avant qu'une décision définitive ait pu être rendue.
En novembre 2015, l'Institut Fraser a publié un rapport intitulé Toward Free Trade in Canada, dans lequel il concluait que le gouvernement fédéral devrait donner plus de visibilité au projet de loi C-311 pour faire monter la pression publique et politique en faveur de l'élimination de toutes les barrières restantes à la livraison interprovinciale de vin.
De plus, la semaine dernière, un juge du Nouveau-Brunswick a rendu une décision selon laquelle les restrictions imposées pour l'importation d'alcool dans la province à des fins de consommation personnelle enfreignent les dispositions de libre-échange prévues dans la Constitution. Cette cause a suscité d'importantes discussions dans les médias sur la possibilité que les barrières interprovinciales au commerce fassent l'objet d'une contestation en vertu de la Constitution.
Le projet de loi C-311 prépare le terrain pour permettre la circulation de bouteilles de vin entre les provinces et il fournit un moyen d'accéder aux consommateurs depuis Terre-Neuve jusqu'à la Colombie-Britannique, offrant ainsi aux producteurs la possibilité de se constituer une clientèle loyale et de faire connaître leurs marques par des visites touristiques de vignobles, des clubs de vin des vignobles et des ventes en ligne.
Les provinces et les vignobles ont investi des millions de dollars dans les infrastructures touristiques, mais, comme vous pouvez le constater, à l'exception de trois provinces représentant 19 p. 100 de la population canadienne, les politiques et règles provinciales continuent d'empêcher 81 p. 100 des Canadiens de faire livrer chez eux leur vin canadien préféré pour leur consommation personnelle.
Laissez-moi conclure en indiquant qu'en 1989, lorsque le Canada a signé l'Accord de libre-échange avec les États- Unis, il y avait environ 50 vignobles canadiens. Aujourd'hui, 671 établissements vinicoles sont en exploitation au Canada. Les temps ont vraiment changé et notre succès futur sur le marché mondial demeure étroitement lié à notre croissance et au succès que nous pouvons avoir dans notre pays.
Alors que nous aspirons à ratifier des accords commerciaux avec des pays de l'AECG et du PTP, il est essentiel de reconnaître que 89 p. 100 de tous les vins importés au Canada proviennent de ces pays et que ces mêmes pays profiteront des avantages commerciaux offerts par ces accords.
En 2005, la Cour suprême des États-Unis a décrété qu'il était inconstitutionnel de permettre les envois directs de vin à l'intérieur d'un État sans permettre les envois directs de vin d'un État à l'autre. Au cours de la dernière décennie, 45 des 51 États américains ont modifié leurs lois et leurs règlements pour permettre les envois de vin directement aux consommateurs. En 2015, les petits vignobles représentaient moins de 10 p. 100 de la production américaine de vin, mais 63 p. 100 du volume total des bouteilles de vin expédiées directement et 73 p. 100 de la valeur des bouteilles de vin expédiées directement aux consommateurs. Non seulement cela offre-t-il à ces vignobles américains de nouveaux et importants circuits de vente, où le prix moyen d'une bouteille est de 38,40 $, mais cela permet également aux petits vignobles de prendre de l'expansion et d'explorer des marchés d'exportation — ce que bon nombre de nos petits vignobles aimeraient pouvoir envisager de faire.
Nous n'avons pas peur du libre-échange et nous ne craignons pas la concurrence, mais notre réussite au niveau national et international dépend largement du libre-échange à l'intérieur de notre propre pays. Dans un article de WineOnline, François Morissette, du vignoble ontarien réputé Pearl Morissette, a écrit ce qui suit :
Malheureusement pour nous, il est très difficile pour ceux qui ne sont pas restaurateurs d'acheter des vins canadiens. Il est plus facile de vendre nos vins à Hong Kong que dans le reste du Canada, et l'Ontario est essentiellement mon plus gros marché. On tue le marché alors qu'on devrait le favoriser. L'élimination des barrières interprovinciales restantes au commerce du vin aidera le secteur vinicole canadien à s'ajuster, à profiter des occasions qui se présentent et à se préparer à la nouvelle réalité du commerce mondial.
Le président : Nous entendrons maintenant Mme Angella MacEwen, du Congrès du travail du Canada.
Angella MacEwen, économiste principale, Congrès du travail du Canada : Je vous remercie de me donner la possibilité de m'adresser à vous aujourd'hui. Le Congrès du travail du Canada regroupe des syndicats nationaux et internationaux, ainsi que des fédérations de travailleurs provinciales et territoriales et 130 conseils du travail de district. Nos membres sont actifs dans presque tous les secteurs de l'économie du Canada, toutes les professions et toutes les parties du Canada.
J'ai l'impression d'être une voix discordante ici.
Monsieur le président, même si le mouvement syndical est pleinement conscient du fait que le commerce est et a toujours été un segment important de l'économie, il comprend qu'il peut être avantageux pour tous les paliers de gouvernement de favoriser des échanges commerciaux sains à l'intérieur du Canada et à l'étranger.
Malheureusement, nous sommes d'avis que les accords commerciaux peuvent restreindre indûment le droit des gouvernements de réglementer le commerce et donner des avantages énormes aux grandes entreprises; de plus, ils fournissent rarement des mesures de protection efficaces pour les travailleurs et pour l'environnement. Les accords commerciaux ne permettent donc pas toujours d'accroître les échanges et d'améliorer l'économie et ils ne sont pas toujours bénéfiques pour les Canadiens.
La question que nous posons aujourd'hui est la suivante : quels sont les problèmes qu'une mise à jour de l'Accord sur le commerce intérieur est censée régler? Pourrait-on mettre en place de meilleures politiques pour régler ces problèmes?
Bon nombre des obstacles au commerce intérieur ont été levés depuis 1995. Selon la plupart des études empiriques effectuées, les coûts du maintien des obstacles actuels sont très faibles et les avantages qu'il y aurait à étendre l'Accord sur le commerce intérieur ont été grossièrement exagérés. Nous entendons le plus souvent parler du mouvement de l'alcool ou de la mobilité des travailleurs qualifiés.
Pour ce qui est de la mobilité des travailleurs, je peux vous dire que des gains considérables ont été réalisés au cours des dernières années, grâce notamment au Programme du Sceau rouge, qui comprend des normes de qualité élevées acceptées par toutes les provinces. Nous croyons que les provinces avancent dans la bonne direction pour la mobilité de la main-d'œuvre et pour l'harmonisation de la formation et des accréditations.
Faut-il rouvrir un accord pour corriger des problèmes ponctuels qui pourraient, de façon plus appropriée, être confiés à des experts?
Comme M. Scott Sinclair l'a dit dernièrement au comité, il serait extrêmement plus utile de dresser la liste des obstacles au commerce entre les provinces et d'en évaluer les coûts. Les gouvernements provinciaux pourraient alors travailler ensemble pour lever les obstacles coûteux et inutiles, ce qui serait bien mieux que de signer un accord d'une portée considérable qui peut avoir des conséquences imprévues importantes.
Nous parlons également de changer l'Accord sur le commerce intérieur afin, entre autres, de l'aligner sur les accords commerciaux internationaux, comme le Partenariat transpacifique ou l'Accord économique et commercial global, l'AECG.
Le mouvement syndical a de sérieuses réserves au sujet de ces accords. Ils ne sont pas encore ratifiés, et le PTP fait encore l'objet de négociations et de consultations à la grandeur du Canada. Ils contiennent des éléments qui, selon nous, sont dommageables pour les travailleurs, l'environnement et les économies locales. Nous tenons tout particulièrement à ce que les administrations locales conservent le pouvoir de fournir des services publics de grande qualité et d'appliquer des politiques d'approvisionnement favorables au développement économique local et à la protection de l'environnement.
Nous savons que les politiques d'approvisionnement peuvent procurer de grands avantages. Elles peuvent notamment réduire le gaspillage et la consommation d'énergie, favoriser le développement économique dans les populations mal servies et aider les petits fournisseurs ainsi que les fournisseurs qui ont des pratiques commerciales durables et éthiques. Or, tout cela deviendra plus difficile pour les administrations provinciales et locales si l'Accord sur le commerce intérieur est élargi.
Pour ce qui est de protéger les services publics, l'incitation à adopter l'approche des listes négatives dans l'Accord sur le commerce intérieur est très inquiétante, en raison, tout particulièrement, de l'élargissement possible des mécanismes de règlement des différends avec les investisseurs. Avec une telle approche, tout service gouvernemental qu'on ne veut pas inclure dans une activité commerciale doit être désigné explicitement à cette fin. Ainsi, si de nouveaux services se font jour ou si un consensus public se dégage pour faire entrer dans le domaine public de nouveaux programmes, comme l'assurance-médicaments, ces services sont automatiquement assujettis à l'accord. C'est une privatisation par défaut.
En contrepartie, l'approche des listes positives donne à tous les gouvernements et aux citoyens la chance de choisir les nouveaux services publics qu'ils veulent protéger. Même dans les secteurs protégés dans un accord, des clauses immuables et dysfonctionnelles empêchent de modifier le niveau de privatisation atteint dans un domaine et ne permettent qu'une augmentation de la privatisation au lieu d'une participation accrue du secteur public. Par exemple, un hôpital qui aurait confié au secteur privé les services des repas, de la lessive ou du nettoyage et qui estimerait qu'il paie plus cher et obtient des services de moindre qualité en procédant de la sorte s'exposerait à une plainte au titre du règlement des différends entre investisseurs et États et à une amende s'il voulait revenir en arrière, et ce, même si, de toute évidence, ce serait la meilleure décision à prendre.
Dans l'état actuel des choses, l'Accord sur le commerce intérieur interdit d'adopter ou de maintenir des mesures même non discriminatoires qui restreignent ou empêchent le mouvement de personnes, de biens, de services ou d'investissements entre les provinces. Passer de l'approche des listes positives à celle des listes négatives aurait des conséquences de grande portée sur la capacité des administrations locales de mettre des mesures en œuvre et de prendre des règlements dans l'intérêt public. Cela réduirait gravement et inutilement la marge de manœuvre des élus à tous les paliers de gouvernement.
À notre avis, le Canada a suivi les recommandations formulées par l'OCDE et le FMI dans les années 1980 et 1990 concernant la privatisation des services publics, la libéralisation du commerce et la réduction de l'impôt des sociétés sans que les avantages économiques escomptés aient été au rendez-vous. Nous estimons qu'il est temps d'essayer quelque chose de nouveau au lieu de réchauffer de vieilles politiques.
Le président : Merci, madame MacEwen. Nous passons maintenant à l'étape des questions.
Le sénateur Black : Merci pour toutes vos déclarations. Vous avez accompli un travail fabuleux, et le comité vous est très reconnaissant de lui avoir présenté une information aussi détaillée.
Madame MacEwen, j'aimerais m'adresser à vous, parce que c'est toujours important de comprendre les voix discordantes. Je présume que vous avez examiné les témoignages faits ici au cours des neuf dernières séances et que vous avez certainement entendu les témoignages d'aujourd'hui. Vous marchez sur un terrain glissant. Je ne dis pas que c'est une bonne chose ni une mauvaise.
Mme MacEwen : Je ne suis pas toute seule, mais je fais partie de la minorité. M. Scott Sinclair serait d'accord avec moi. Il s'est déjà présenté ici.
Le sénateur Black : Très bien. Je ne formule pas une critique; je veux juste comprendre, parce que la dissidence est importante. Il est important de se parler.
Mme MacEwen : Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Black : Je suis intéressé à connaître votre réaction concernant les faits très convaincants qui ont été exposés devant nous et qui montrent que le Canada et les provinces peuvent tirer des avantages financiers se chiffrant à des milliards de dollars si nous abolissons les obstacles au commerce intérieur. Vous avez entendu ces choses aujourd'hui et nous avons nous-mêmes entendu constamment des témoignages en ce sens. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
Mme MacEwen : Je dis que d'autres faits probants montrent que les avantages sont très modestes, en fait.
Le sénateur Black : Pourriez-vous les porter à notre attention?
Mme MacEwen : Certainement.
Le sénateur Black : Cela nous aiderait.
Mme MacEwen : Pour analyser les avantages tirés de ces mesures, les économistes procèdent habituellement par hypothèses. Ils tiennent pour acquis que l'emploi ne changera pas, que les échanges commerciaux, les importations et les exportations augmenteront au même rythme, assurant ainsi une croissance équilibrée, et qu'il n'y aura pas de répercussions négatives là où nous craignons beaucoup qu'il y en ait.
Si on utilise un modèle d'analyse différent, on obtient un résultat bien différent. Par exemple, au lieu de tenir pour acquis que la livraison de bouteilles de vin directement aux consommateurs procurerait un avantage supplémentaire pour l'économie, je dirais plutôt qu'elle remplacerait probablement l'achat d'autres vins, tout simplement. Même si une telle évolution avantageait l'industrie vinicole, il est certain qu'elle n'aurait pas une bien grande incidence sur la croissance économique. Croyons-nous que les Canadiens ne boivent pas assez de vin?
Le sénateur Black : L'idée est que les Canadiens ne boivent pas assez de vins canadiens. S'ils en buvaient plus, il y aurait plus d'emplois pour les Canadiens et j'aurais cru que la chose serait intéressante pour votre organisation.
Mme MacEwen : Absolument, mais l'économie canadienne en tirerait un avantage bien modeste.
Le sénateur Black : Ce n'est certainement pas conforme à ce que nous venons d'entendre, mais ce qui serait utile...
Mme MacEwen : On ne vous a pas présenté de faits probants; on a formulé des affirmations.
Le sénateur Black : On a formulé des affirmations.
Mme MacEwen : Oui.
Le sénateur Black : Merci. Cela serait utile de fournir au comité les affirmations que vous avez...
Mme MacEwen : Même l'Institut C.D. Howe a examiné les avantages à tirer des échanges commerciaux et a constaté qu'ils sont très modestes. Je crois que M. Scott Sinclair vous a donné cette étude; je suis certaine qu'elle figure déjà au compte rendu.
Le président : Je ne suis pas certain que l'étude figure au compte rendu, mais je crois qu'elle y est.
Le sénateur Black : Nous allons la regarder de près.
Mme MacEwen : Certainement.
Le sénateur Black : J'ai une deuxième question. Vous avez dit que ce qui vous inquiète le plus concernant l'élimination des obstacles au commerce intérieur, c'est qu'elle pourrait avoir des répercussions défavorables sur les règlements environnementaux, la protection des travailleurs et l'autonomie des gouvernements.
Mme MacEwen : C'est intéressant que vous formuliez votre question de cette façon. Je ne suis pas contre la levée des obstacles. Je suis contre la façon dont on veut lever ces obstacles parce que j'ai l'impression que vous allez trop loin et qu'il y aura des répercussions négatives. Je suggère plutôt de dresser une liste des obstacles au commerce, d'évaluer de façon raisonnable le coût de ces obstacles et de déterminer si les règlements constituent bel et bien des obstacles ou s'ils ne sont pas plutôt bénéfiques et nécessaires.
Certains des exemples donnés par le Conseil canadien du commerce de détail sont excellents du fait qu'il n'y a aucune raison pour laquelle un tel format est de rigueur dans une province et un autre, dans une autre; c'est comme cela et c'est tout. Alors, travaillons ensemble à simplifier les choses. Je crois qu'il y a vraiment des mesures positives que nous pouvons prendre, mais il ne sera pas nécessairement avantageux d'adopter l'approche des listes négatives.
Le sénateur Black : Êtes-vous favorable à l'idée du Conseil canadien du commerce selon laquelle un petit groupe de gens devrait se rencontrer pour examiner les règlements en vigueur partout au Canada dans le but, fondamentalement, d'éliminer ceux qui constituent des obstacles au commerce?
Mme MacEwen : Absolument. Je crois que nous avions quelque chose comme cela lorsque nous avions les conseils sectoriels, où nous pouvions soulever les problèmes avec lesquels les détaillants étaient aux prises. On pouvait dire : « Regardez, cela n'a pas de bon sens. Je suis à Ottawa et je ne peux pas livrer ma marchandise au Québec. »
Il y a des obstacles, et lorsque des obstacles bien réels comme celui-là n'ont pas de sens, nous devrions absolument prendre des mesures pour les faire disparaître. Il serait peut-être mieux toutefois de laisser un conseil sectoriel s'en occuper au lieu d'utiliser une liste négative.
Le sénateur Black : C'est très instructif. Selon vous, y a-t-il des questions qu'un tel organisme ne devrait pas ou ne pourrait pas examiner?
Mme MacEwen : Qu'il ne devrait pas ou ne pourrait pas examiner?
Le sénateur Black : Et qu'il devrait peut-être éliminer, à la suite de l'examen qu'il en aurait fait.
Mme MacEwen : Je ne voudrais pas qu'un tel groupe empêche les gouvernements provinciaux d'établir des règlements dans leurs champs de compétence. Je crois qu'il devrait formuler des recommandations aux gouvernements provinciaux et les aider à trouver des solutions efficaces.
Le sénateur Black : N'est-ce pas le vrai problème : à savoir qu'il y a trop de chefs dans la cuisine?
Mme MacEwen : En fait, la province a peut-être une raison pour chaque obstacle perçu. Il est possible que le règlement soit en place pour une bonne raison; alors si les parties en discutent, elles peuvent trouver une solution.
Le sénateur Black : Merci beaucoup. Votre fille a lieu d'être fière de vous. Vous avez fait un excellent travail aujourd'hui.
La sénatrice Wallin : Nous avons entendu de nombreux témoins. On nous a récité — parfois sur un ton amusé, mais nous savons qu'il y a un coût à cela — une longue litanie d'anecdotes bizarres sur les répercussions qu'a toute cette résistance au libre commerce à l'intérieur de nos propres frontières. Vous nous avez dit, madame Grynol, qu'il faut charger un groupe de travail d'examiner le processus décisionnel des premiers ministres provinciaux et des leaders de la collectivité et qu'il faut la participation de tous les membres aux réunions.
Je me demande si, dans vos organisations respectives ou si collectivement, vous n'en venez pas à penser qu'il serait simplement plus rapide et plus avisé de demander un jugement à la Cour suprême du Canada au lieu de revenir sans cesse devant nous pour nous dire que c'est vraiment important, ce que vous avez fait. Nous sommes pas mal d'accord avec vous; le problème, c'est que nous ne voyons pas de moyen d'en arriver à ce que vous recherchez. Qui voudrait répondre?
David Wilkes, vice-président principal, Relations gouvernementales, Conseil canadien du commerce de détail : C'est une option très intéressante, madame la sénatrice. Il suffit de regarder ce qui se passe au niveau international. Aujourd'hui, à Washington, le Conseil de coopération en matière de réglementation formé entre le Canada et les États-Unis se réunit et examine les changements à apporter à des règlements particuliers, dont certains ont été portés à l'ordre du jour par le Conseil canadien du commerce de détail.
Je vais vous donner un exemple : les sièges d'auto. Il y a des règlements différents pour les essais auxquels les sièges d'auto doivent être soumis au Canada et aux États-Unis, mais les résultats sur le plan de la sécurité ne sont pas différents. Je pourrais parler des différences dans la densité de la mousse des sièges, par exemple.
Nous constatons toutefois que ce processus fonctionne et donne de bons résultats. Je crois sincèrement, sénatrice Wallin, que ce qu'il faut, c'est du leadership politique et la volonté d'éliminer les obstacles, dont mon collègue de l'Association des vignerons a parlé. Les Canadiens comprendraient ainsi que nous voulons que les échanges commerciaux à l'intérieur du pays soient aussi libres que les échanges commerciaux avec l'étranger. Nous croyons que cela donnerait également suite aux propos tenus par le Congrès du travail dans les discussions.
La Cour suprême pourrait rendre une décision, mais je crois que la question relève plus du processus démocratique que du processus juridique.
La sénatrice Wallin : Je ne pourrais être davantage d'accord avec vous. Il semble que nous ne soyons tout simplement pas capables de prendre cette voie ou d'avoir cette volonté politique malgré toutes les protestations publiques formulées à ce sujet.
M. Wilkes : Je crois que si nous pouvons trouver la même volonté politique chez notre principal partenaire commercial — les États-Unis —, nous pouvons la trouver ici.
La sénatrice Wallin : Vous êtes optimiste. Monsieur Paszkowski, auriez-vous quelque chose à ajouter?
M. Paszkowski : Les États-Unis ont respecté la décision rendue par la Cour suprême et constaté qu'il était inconstitutionnel d'empêcher l'expédition de bouteilles de vin directement au consommateur à l'intérieur de leur territoire. Il a fallu 10 ans, mais maintenant presque tous les États ont modifié leurs règlements et l'industrie en tire profit. Ils n'ont plus beaucoup de contrôle des alcools par les États, alors, leur mode de fonctionnement est différent du nôtre.
Il faut attendre de voir si la décision prise au Nouveau-Brunswick sera ou non portée en appel; et s'il y a appel, quelle en sera l'issue. Je ne suis pas avocat, et l'application de l'article 121 est compliquée. Étant donné que la Constitution est en place depuis si longtemps et que cet article a été enfreint pendant tant d'années, j'ai peine à croire qu'on renversera la décision qui a été rendue si elle est bonne. Toutefois, cela peut arriver.
Je crois qu'il faut de la volonté politique. Jusqu'à maintenant, trois provinces ont changé leurs règlements pour le vin. Nous croyons que la solution la plus efficace serait de modifier la loi fédérale. Nous l'avons fait, mais les provinces n'ont pas respecté l'esprit de la loi. Nous espérons que le processus relatif au commerce intérieur nous mènera là où nous voulons aller. Le fait que des gouvernements libéraux soient en place dans la plupart des provinces productrices de vin est peut-être ce qui va permettre de débloquer les choses. Si l'appel est accueilli ou si la décision est portée devant la Cour suprême, nous suivrons le dossier également, mais le processus sera bien long.
Les accords commerciaux que nous signons ne nous font pas peur, mais il faut que nous puissions prendre de l'expansion au Canada et exporter nos produits. Les petits vignobles sont en croissance aux États-Unis; ils ont plus de marge de manœuvre et ils remportent du succès; leurs produits entreront bientôt au Canada et nous enlèveront des parts de marché. La méthode la plus rapide est donc celle que nous préconisons.
Le président : Voulez-vous vous prononcer là-dessus, monsieur Dorval?
[Français]
M. Dorval : Dans notre exposé, nous expliquons clairement qu'il est compréhensible que des juridictions provinciales veuillent établir des réglementations et prendre des décisions en fonction des besoins de leurs concitoyens. C'est pourquoi une approche descendante est moins favorable qu'une approche ascendante. Nous saluons les efforts des premiers ministres pour trouver des solutions à ce problème. Chaque province doit comprendre, par l'entremise de mesures de sensibilisation, l'importance d'éliminer le plus possible les barrières entre les provinces au Canada. La reconnaissance mutuelle est un excellent exemple : on reconnaît qu'il peut y avoir des différences entre chaque État, mais lorsqu'une décision est prise dans une province, elle s'applique automatiquement aux autres. Cette mesure permet d'éliminer bon nombre de barrières. C'est une décision politique plutôt que juridique. Il y a toujours moyen de parvenir à une entente. Au fil des ans, on constate qu'il y a eu des améliorations constantes. Certes, toutes ces actions demandent du temps, mais c'est le principe même d'une fédération. C'est en unissant nos efforts, notamment grâce aux travaux de la Chambre des communes et du Sénat, et en menant des actions de sensibilisation sur les conséquences de ces enjeux sur la prospérité du pays que nous obtiendrons des résultats. Qui dit prospérité — je m'adresse à tous les groupes autour de la table — dit amélioration de la qualité de vie de tous les citoyens et travailleurs.
[Traduction]
Le président : Quelqu'un d'autre voudrait-il ajouter quelque chose? Je suis heureux de constater qu'il n'y a pas beaucoup d'enthousiasme pour la Cour suprême. Le contraire me décevrait beaucoup.
Le sénateur Campbell : Je déteste briser les illusions, mais je crois que la question devrait être soumise à la Cour suprême. Nous parlons sans cesse de l'article 121. Que dit-il?
Tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d'aucune des provinces seront, à dater de l'union, admis en franchise dans chacune des autres provinces.
L'article date de 1867. M. Paszkowski a dit que cet article a été enfreint parce que nous n'avons pas de commerce interprovincial. Or, ce n'est pas vraiment exact, parce que nous avons bel et bien eu des échanges interprovinciaux jusqu'au 1921. Lorsque la question a été portée à l'attention de la Grande-Bretagne, où était notre haute cour à l'époque, elle a pris le nom de cause du Gold Seal. La cour a statué que les provinces pouvaient littéralement interdire l'entrée de certains produits sur leur territoire. C'est cette décision qui remonte à 100 ans qui a inspiré les autres depuis.
Je demanderais à chacun de vous : voulez-vous continuer à perdre votre temps et à venir ici pendant encore 10 ans pour parler du même sujet, ou ne faudrait-il pas plutôt porter la question là où nous aurons une décision une bonne fois pour toutes et laisser ensuite les provinces déterminer ce qu'elles ont à faire des commissions de mise en marché et tout le reste? J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet, parce que nous serons encore ici à en discuter dans 10 ans. Vous n'arriverez jamais à amener 10 provinces à s'entendre sur quelque chose. C'est le problème que nous avons. Il est temps que le gouvernement fédéral prenne les choses en main et fasse réellement avancer le pays dans un domaine qui doit mystifier quiconque écoute la diffusion de notre séance. Qu'en pensez-vous?
M. Wilkes : Nous, les détaillants, sommes confrontés à un défi unique, comme Mme Grynol l'a indiqué. Nous essayons davantage de gérer des règlements hétéroclites et les frais à engager pour nous y conformer, comme dans les exemples donnés par Mme Grynol. Le mouvement des produits et le commerce interprovincial, visés à l'article 121, dont vous avez parlé, monsieur le sénateur, ne sont pas nos préoccupations principales.
Voilà la logique qui sous-tend nos recommandations, qui sont fondées sur des mesures efficaces prises à l'étranger pour harmoniser les règlements. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont donc quelque peu différents et il se pourrait bien qu'une décision de la cour n'y change pas grand-chose.
Le sénateur Campbell : Nous parlons constamment de ce qui se passe au niveau international, mais le problème n'est pas de cette nature. Il s'agit de notre pays. Nous vivons tous dans le même pays, nous sommes tous régis par les mêmes règles, mais pour une raison ou une autre — nous savons qu'il y en a beaucoup —, nous ne pouvons pas bouger. Je ne sais pas pourquoi nous continuons de rechercher une entente canado-américaine. Selon moi, ce n'est pas logique. Je suis d'accord avec Mme MacEwen. Certains de ces accords commerciaux me font trembler de peur. Pourquoi ne pouvons-nous pas trouver une solution canadienne pour ce qui est à l'évidence une loi inconstitutionnelle?
Mme Grynol : Je pourrais peut-être dire quelques mots à ce sujet. Nous n'avons pas encore perdu tout espoir. Depuis un an et demi, nous percevons une volonté politique qui n'avait pas été manifestée depuis longtemps. Le ministre et les premiers ministres provinciaux ont pris l'engagement de corriger le problème. Le Comité du commerce intérieur se rencontrera sous peu et, à ce que nous croyons comprendre, il présentera un nouvel accord sur le commerce intérieur.
Le processus décisionnel fait encore problème. Vous avez tout à fait raison. Il se pourrait que nous nous retrouvions encore à cette table dans cinq ans pour discuter de la même question, et c'est la raison pour laquelle notre recommandation no 1 est si importante. Si nous formions un conseil, un comité — qu'on l'appelle comme on veut — regroupant des responsables des gouvernements fédéral et provinciaux, de l'industrie et des travailleurs, nous pourrions avoir une vue d'ensemble de ce qui se fait à l'échelle du pays. Nous convenons avec vous que certains règlements ont leur raison d'être. Nous devons toutefois avoir une vision d'ensemble pour pouvoir dire : « Ce règlement est en train d'être mis en place par une province et il diffère de celui d'une autre sans bonne raison, mais celui-là est logique. »
Vous allez probablement me demander ensuite : « Par où commençons-nous alors? » En 2014, le ministre a commandé une étude, que mène actuellement Ernst & Young. On s'emploie à recenser les principaux obstacles réglementaires au commerce à l'intérieur du pays. Cette étude constitue, à notre avis, un très bon point de départ. L'étude sera terminée à la fin de la présente année civile, et nous connaîtrons alors les grands obstacles au commerce. Il est probable qu'il y aura aussi des coûts associés à ces obstacles. Le groupe chargé de l'étude pourrait commencer à jeter un coup d'œil à ces coûts, au moins dans l'examen des règlements existants.
Selon nous, le groupe devrait avoir deux fonctions. Il devrait intervenir en amont, pour les futurs règlements qui devront être élaborés conjointement ou harmonisés, et en aval, pour les règlements déjà en vigueur, qui doivent faire l'objet d'un examen. Il y aurait probablement quatre catégories de règlements. Premièrement, il y aurait les règlements qui pourraient être reconnus mutuellement; deuxièmement, les règlements qui pourraient être harmonisés; troisièmement, les règlements qui devraient demeurer différents; et quatrièmement, j'imagine, ceux qui pourraient être élaborés conjointement.
Le président : Quelqu'un pourrait-il me donner une bonne raison pour empêcher le commerce intérieur? Vous venez de dire que, dans certains cas, il y a de bonnes raisons pour que des règlements empêchent le commerce interprovincial. Donnez-moi deux ou trois exemples.
Mme MacEwen : Un gouvernement provincial peut amener d'autres gouvernements provinciaux à déterminer que certains additifs présents dans l'essence dégagent des toxines nocives. Voici un exemple de ce qui est arrivé au Canada. Une province a interdit un additif pour l'essence et a été poursuivie en vertu de l'Accord sur le commerce intérieur. On a fait valoir que cette interdiction nuisait aux affaires parce qu'on voulait vendre des produits contenant cet additif nocif. Une poursuite a ensuite été intentée en vertu du chapitre 11 de l'ALENA à l'issue de laquelle nous avons dû payer une somme substantielle pour pouvoir éviter d'avoir cet additif dans notre essence, un additif dont on a prouvé qu'il contenait une toxine.
Voilà principalement le genre d'exemple auquel je pense, où une province assure la direction des choses — une province qui a des normes plus élevées en matière de droits des travailleurs ou de protection de l'environnement, ce qui est souvent le cas. Nous savons que les provinces ont des normes différentes et que, très souvent, elles arrivent à s'entendre. Moyennant des frais minimes, une province ouvrira la voie, une autre tirera de l'arrière pendant un certain temps et subira de fortes pressions pour se mettre au pas de la première. Si tous les règlements devaient être harmonisés, on risquerait d'avoir une harmonisation vers le bas, ce qui empêcherait des gouvernements provinciaux d'ouvrir la voie, tout particulièrement dans le domaine de la protection de l'environnement.
Le président : Croyez-vous que le salaire minimum constitue un obstacle au libre-échange?
Mme MacEwen : C'est possible.
Le président : Donnez-moi un exemple. Pourquoi le salaire minimum ferait-il obstacle au commerce interprovincial?
Mme MacEwen : Si vous avez un camionneur et que vous devez lui verser un certain montant pour arrêter en Alberta et en Saskatchewan, vous devrez lui verser le salaire minimum le plus élevé de ces deux provinces. Il devient alors difficile de vendre vos produits d'une province à l'autre. Les salaires sont souvent considérés comme des obstacles au commerce, tout comme les avantages sociaux. Le Québec a un accord fantastique pour protéger les droits des femmes en congé de maternité. Il y a actuellement un projet de loi à ce sujet. Un programme existe au Québec dans le cadre duquel une femme dont le travail présente un danger pour elle-même ou pour le fœtus qu'elle porte a le droit d'exiger de son employeur qu'il lui trouve un autre emploi ou qu'il lui permette de rester à la maison en retirant 90 p. 100 de son salaire. Rien de tel n'existe en Ontario. Ce programme pourrait être invoqué comme obstacle au commerce parce qu'il alourdit la tâche de ceux qui voudraient faire des affaires au Québec.
Le président : On est bien loin de la bouteille de vin à faire passer de Kelowna au Nouveau-Brunswick.
Mme MacEwen : Tout à fait, mais c'est la conséquence qu'il y aura si vous mettez en place une approche des listes négatives. Voilà pourquoi nous estimons qu'il vaut mieux s'attaquer aux problèmes à mesure qu'ils se présentent au lieu d'adopter une approche de grande portée comme celle des listes négatives.
[Français]
M. Dorval : Le principe de base, c'est que nous croyons que c'était le cas autrefois; cependant, aujourd'hui, les provinces sont d'accord pour favoriser les meilleures conditions possible pour pratiquer les échanges commerciaux avec le moins de barrières possible, et donc, de procéder à des ententes ou à la reconnaissance mutuelle. Le principe, aujourd'hui, c'est que les provinces sont favorables à des échanges commerciaux interprovinciaux qui se déroulent selon un flux constant, avec un minimum de difficulté.
Il y a un autre principe qui entre en jeu — parce que vous avez posé la question sur les réglementations — et qui est de plus en plus important, et c'est l'acceptabilité sociale. Dans chaque province, l'acceptabilité sociale ne se résume pas nécessairement à une question d'environnement. C'est aussi une question de décision dans un État où les gouvernements légitimement élus dans chaque province font face à leurs citoyens. Ceux-ci peuvent avoir une perception différente, d'une région à l'autre, de certaines questions, qu'elles soient environnementales, fiscales ou réglementaires, et ainsi de suite. Ils font face aussi à des conditions qui peuvent être particulières. Pensons au transport : la vision n'est pas la même en Colombie-Britannique que dans un climat plus nordique comme celui du Québec.
Je crois fondamentalement que les élus ont l'intention d'arriver à des décisions qui peuvent être légèrement différentes, mais ils sont également animés par une volonté d'améliorer les conditions qui favorisent la prospérité et, ainsi, de réduire les barrières, ou lorsque ce n'est pas possible, de faire de la reconnaissance mutuelle.
Selon moi, même si le processus prend un peu plus de temps, je crois que nous sommes dans la bonne direction. L'époque moderne dans laquelle nous vivons aujourd'hui ne nous permet pas de nous référer à ce qui se faisait il y a 50 ou 100 ans. Je crois qu'il faut regarder vers l'avenir d'une façon plus optimiste.
Cela dit, puisque ma prédécesseure a parlé des belles conditions liées aux avantages sociaux au Québec, je vous ferai remarquer que les études démontrent que, au Québec, même si les employeurs du Québec versent 225 millions de dollars par année — ou plutôt, maintenant, 231 millions de dollars — en faveur du programme Pour une maternité sans danger, il n'y a eu aucun résultat en termes de conditions et de réduction du nombre de bébés de petit poids et d'accouchements prématurés, et cetera. Il faut donc faire attention, car les généreux programmes sociaux du Québec ne donnent pas nécessairement des résultats aussi éclatants lorsqu'on se compare à d'autres provinces. Il est très important d'examiner les résultats, et pas seulement les beaux principes, les belles idées.
Cela dit, nous croyons qu'il y a encore des barrières, et c'est pourquoi nous appuyons le processus de promotion, de sensibilisation. L'ensemble des Canadiens, d'un bout à l'autre du Canada, croit sincèrement à l'avantage de favoriser un commerce plus fonctionnel entre les provinces, mais, en même temps, dans chaque État, les citoyens veulent également certaines dispositions qui correspondent davantage à leurs préoccupations, tout en reconnaissant qu'il faut réduire au maximum les barrières entre les provinces. D'ailleurs, nous allons déjà dans cette direction.
[Traduction]
Mme Grynol : Nous aurions utilisé l'exemple du salaire minimum, mais à partir d'un point de vue différent. Le salaire minimum est un bon exemple de domaine où il est justifié d'avoir des différences. Ainsi, le salaire minimum n'a pas à être le même en Alberta et à l'Île-du-Prince-Édouard. Une telle différence ne constitue pas un obstacle, selon nous, elle est légitime.
Là où il peut y avoir un obstacle, toutefois, c'est dans le calcul des heures supplémentaires, qui diffère d'une province à l'autre. Nous pourrions peut-être nous entendre sur la façon de calculer les heures supplémentaires et convenir que le salaire minimum peut différer.
Le président : C'est une bonne idée.
Le sénateur Enverga : Merci pour toutes vos déclarations et vos observations. Elles sont très intéressantes.
Ma question concerne les emplois. Les membres du Conseil canadien du commerce de détail ont deux millions d'emplois pour la population. Le secteur vinicole en aurait au moins 30 000. Si nous éliminons les obstacles au commerce interprovincial, quelle incidence cela aura-t-il sur l'emploi? Dès que les obstacles au commerce auront été levés, il y aura une rationalisation des opérations, il me semble. Quelle incidence cette rationalisation aura-t-elle sur le nombre d'emplois?
M. Paszkowski : Les problèmes du secteur vinicole canadien ne seront pas tous résolus pour autant, mais nous pourrons joindre nos clients partout au pays, faire connaître les vins canadiens et, en fin de compte, augmenter nos ventes. Nous ne prévoyons pas une augmentation considérable de nos ventes, mais nous aurions accès aux Canadiens qui ont un revenu élevé pour vendre nos meilleurs vins, nos vins les plus chers, et cela aiderait les petits vignobles à augmenter leurs chiffres d'affaires.
Nous croyons qu'avec le temps, il y aurait des gains pour l'industrie touristique, parce que, actuellement, si un touriste visite notre vignoble, qu'il vient de l'Ontario et habite dans la région du Niagara, nous pouvons lui expédier le vin acheté chez lui. Si un touriste vient du Texas, nous pouvons lui expédier son vin au Texas. Toutefois, si le touriste vient de la Saskatchewan, c'est bien dommage, mais il ne peut pas acheter une grande quantité de vin chez nous. Ce touriste doit le transporter avec lui et, soit dit en passant, il ne peut pas apporter plus de neuf bouteilles, sans enfreindre la loi de la Saskatchewan. Il risque autrement d'être condamné à une amende ou à une peine de prison.
On aidera les vignobles à croître — les plus petits tout au plus. Ils pourront utiliser les médias sociaux, Facebook, vendre leurs vins en ligne, former des clubs de vin et ce genre de choses. Cela aidera les petits producteurs à prendre de l'expansion, comme c'est arrivé aux États-Unis, où les mesures prises ont surtout avantagé les petits vignobles qui n'ont pas accès à un réseau de distribution.
Un petit vignoble de l'Ontario peut bien avoir accès aux magasins de la LCBO mais il n'aura pas vraiment accès à un marché plus grand, parce que ses marges sur ses ventes sont trop faibles et qu'il a vraiment un personnel réduit. Si vous permettez l'expédition de bouteilles de vin directement au consommateur, vous allez donner aux viticulteurs accès à tous les Canadiens. Ils seront en mesure de se construire une clientèle fidèle et de faire croître leurs entreprises et, avec le temps, il est à espérer, d'avoir assez de vin pour le vendre à la LCBO et peut-être à la SAQ, au Québec.
Le président : Sénateur Enverga, la sénatrice Ringuette a quelque chose à ajouter.
La sénatrice Ringuette : Je n'ai jamais entendu aucun de nos témoins, aujourd'hui ni auparavant, parler des répercussions qu'il y aurait sur les revenus des provinces. Lorsque vous expédiez du vin dans une autre province, qui paie la taxe de vente provinciale?
M. Paszkowski : Si vous achetez le vin en Ontario, c'est que vous êtes dans un vignoble. Le consommateur provenant de l'extérieur de la province paiera la taxe de vente, les droits, les majorations et autres frais en vigueur en Ontario. La Colombie-Britannique, pour sa part, a ouvert son marché pour permettre l'expédition de bouteilles de vin directement au consommateur. Ce serait la même chose. Le consommateur paiera les taxes de l'Ontario, par exemple, par rapport à celles de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Ringuette : C'est un gros problème.
M. Paszkowski : C'est ce qui préoccupe les commissions de contrôle des alcools et les provinces, mais il y a une solution. Nous avons toujours fait valoir qu'un système de déclaration permanent pourrait permettre facilement de régler le problème; les revenus seraient alors transférés à la province où le vin est expédié. Ce ne serait pas difficile de mettre sur pied un tel système avec la technologie dont on dispose aujourd'hui.
Le problème tient à ce que les commissions de contrôle des alcools imposent un taux de majoration, celui de l'Ontario est de 66 p. 100, parce qu'elles fournissent un service. Le vigneron qui n'utilise pas les services d'une telle commission devrait-il payer ce taux de 66 p. 100 alors qu'il effectue tout le travail? Le vigneron fait tout le travail administratif; il perçoit la taxe, organise l'expédition par messagerie — il fait tout le travail. Voilà le problème.
Dans le cadre de l'ACI et de tous les accords commerciaux, il y a un coût de service vérifié où le service doit correspondre au coût et vice versa. Il devrait donc y avoir un taux de majoration plus faible pour ce vin en particulier et toutes les autres taxes devraient être payées.
Le sénateur Enverga : Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?
Mme MacEwen : Oui. En qualité d'économiste, je constate que vous essayez de réduire les coûts associés à des tâches fastidieuses et fondamentalement non productives qui doivent être effectuées actuellement. Si les vignerons ne sont plus obligés de s'acquitter de ces tâches improductives, ils pourront affecter leurs ressources à d'autres tâches plus utiles qui leur permettront d'augmenter leurs chiffres d'affaires et, il est à espérer, de créer de meilleurs emplois. Ce serait l'idéal pour les vignerons; ils disposeraient ainsi de plus de ressources qu'ils pourraient utiliser de façon novatrice ou investir dans de nouvelles technologies ou dans des travaux de recherche susceptibles de les aider à faire croître leur entreprise. Ce serait l'idéal, mais cela n'arrive pas souvent.
Mme Grynol : C'est exactement ce que j'allais dire, et peut-être créer de meilleurs emplois et plus d'emplois. Notre secteur de la vente au détail est celui qui emploie le plus de gens. Chaque fois que nous pouvons réduire nos coûts et accroître la productivité de nos commerces, nous pouvons embaucher plus de gens et faire croître notre chiffre d'affaires.
Le président : Monsieur Dorval, vouliez-vous dire quelque chose? Si ce n'est pas le cas, je vais passer au sénateur Smith.
Le sénateur L. Smith : Les témoins qui ont comparu devant nous au cours des dernières semaines ont soulevé des points semblables : la reconnaissance mutuelle, un conseil sectoriel fédéral-provincial, les questions réglementaires qu'il faut revoir, les listes négatives et le processus décisionnel de l'ACI qu'il faut examiner; Mme MacEwen nous a également parlé aujourd'hui de l'acceptabilité sociale.
Nous revenons à la question du sénateur Campbell et à certaines réponses données par Mme Grynol, mais je demande à chacun de vous de me dire où nous en serons dans cinq ans. Aurons-nous fait des petits pas en avant? Aurons-nous vraiment changé les choses? Quelles sont les mesures qui donneront peu de résultats et quelles sont celles qui nous permettront de faire des progrès importants? Chacun de vous pourrait-il me donner son opinion sans aller trop dans les détails? Comprenez-vous bien ma question?
Mme Grynol : Oui.
Le sénateur L. Smith : Il faudrait une baguette magique pour répondre à ma question, mais j'aimerais seulement savoir ce que vous envisagez.
Mme Grynol : J'imagine qu'il n'y a aucune garantie de changement pour ce qui est de l'Accord sur le commerce intérieur, parce qu'il est assujetti à la participation et à l'adhésion de toutes les parties. Nous sommes optimistes, mais il n'y a aucune garantie. Ce que nous pouvons faire de notre côté, c'est certain, c'est créer immédiatement un groupe extérieur à l'ACI, bien que cela serait magnifique que des responsables de cet accord y participent, qui réunirait des décideurs provenant des gouvernements fédéral et provinciaux et de l'industrie pour examiner les obstacles réglementaires actuels. Ce groupe pourrait ainsi repérer les obstacles sur lesquels il faut absolument se concentrer pour faire vraiment bouger les choses, comme vous dites.
Le sénateur L. Smith : Les priorités ont-elles été établies en ce moment?
Mme Grynol : Elles seront établies, je crois, à la lumière de l'étude menée actuellement par Ernst & Young dont j'ai parlé. Tout l'exercice pourrait reposer sur cette étude. À notre avis, la meilleure chance d'en arriver à apporter immédiatement des changements importants serait de recenser les 10 plus grands obstacles au commerce intérieur et de s'y attaquer.
Le sénateur L. Smith : Qu'entendez-vous par immédiatement?
Mme Grynol : Dès que nous pourrons réunir les gens.
Le sénateur L. Smith : Quand cette étude sera-t-elle disponible?
Mme Grynol : À la fin de l'année civile.
Le sénateur L. Smith : Vous avez mentionné cela.
Le président : Allez-y, monsieur Dorval. Voulez-vous dire quelque chose à ce sujet?
[Français]
M. Dorval : Nous pensons que, tout d'abord, le contexte mondial jouera un rôle important. Il y a des accords de libre-échange internationaux, particulièrement avec l'Europe ou le PTP, qui nous amèneront à favoriser davantage une efficacité canadienne dans toutes les questions de commerce. Je pense que nous faisons face à une concurrence mondiale, et nous avons l'avantage de faire partie d'un pays qui a la possibilité de s'améliorer sur le plan de l'efficacité. Il y a des choses qui arriveront en même temps au cours des prochains mois.
Il y a des discussions très importantes sur la question de l'accès à des ressources énergétiques localisées dans certaines provinces et sur la possibilité d'utiliser davantage les productions canadiennes, au sein de l'économie canadienne, qui favoriseront la conscientisation au fait qu'une meilleure collaboration entre les provinces, notamment sur les questions énergétiques, apportera une plus grande prospérité au Québec. Il y a des conditions, à l'heure actuelle, qu'il s'agisse de l'environnement externe ou de l'environnement canadien interne, qui amèneront des décisions en ce sens.
Nous avons parlé beaucoup d'échanges commerciaux, mais nous avons très peu parlé du commerce électronique. Or, le commerce électronique est probablement l'enjeu qui progresse le plus rapidement à travers le monde, mais aussi au Canada, ce qui entraîne des impacts au chapitre, par exemple, de la perception des taxes de vente provinciales d'un État à l'autre, si ce n'est pas au niveau international. Encore là, si nous voulons régler des problèmes en matière d'équité, de fiscalité entre les provinces, plutôt qu'entre le Canada et les autres pays, nous devrions commencer à régler ces questions au Canada et nous assurer d'avoir une perception correcte des taxes de vente d'un État à l'autre, particulièrement sur les questions de commerce électronique.
La question des capitaux amène un débat qui est celui des commissions de valeurs mobilières depuis quelques années. Or, nous avons un système de passeport qui a ses qualités également.
Cependant, au-delà de cela, il y a la question de la main-d'œuvre. Le Canada, et en particulier la province de Québec, connaît un vieillissement démographique très important, et nous assistons à une évolution des besoins en matière d'adéquation entre la qualification et les besoins du marché du travail. Cela entraînera de plus en plus les États à rivaliser d'intelligence pour attirer les meilleures ressources humaines afin de satisfaire aux besoins d'adéquation entre la qualité et la reconnaissance des compétences.
Le Canada a le système du Sceau rouge; cependant, si je donne l'exemple du Québec, nous avons un problème, parce que la reconnaissance des compétences n'est pas la même que celle du Sceau rouge. Or, dans le cadre du Sceau rouge, certaines reconnaissances de compétences qui sont établies au Québec ne sont pas présentées, mais elles seraient intéressantes à l'extérieur.
Il y a des enjeux à régler, mais je crois que les forces du marché externe, les considérations internes, que ce soit le commerce électronique ou les ressources énergétiques, ou encore, les besoins d'avoir accès à une main-d'œuvre de qualité disponible feront en sorte que ces enjeux vont s'accélérer en terme de prise de décisions communes. C'est pour cela que j'ai un certain optimisme quant à l'idée que, dans cinq ans, nous aurons sûrement beaucoup avancé dans ces dossiers; nous sommes d'accord avec plusieurs des points de vue qui ont été communiqués ici par le Conseil canadien du commerce de détail, avec lequel nous partageons beaucoup de perceptions et de solutions.
[Traduction]
M. Paszkowski : J'espère que la volonté politique sera présente dans cinq ans pour cueillir le fruit mûr. On a souvent comparé la question du vin à un fruit mûr qu'il serait facile de cueillir en mettant simplement en place un régime de déclaration permanent ou quelque chose du même genre qui faciliterait l'expédition de bouteilles de vin et la collecte des taxes — oui, en fait, percevoir les taxes au lieu de laisser les consommateurs apporter avec eux, sans payer de taxes, une caisse de neuf litres de vin chaque fois qu'ils quittent une province, ce que les commissions permettent depuis l'adoption du projet de loi C-311. Si la volonté politique était là, je crois que nous pourrions faire bouger les choses.
Un petit pas en avant, à ce que je vois, serait que les commissions de contrôle des alcools mettent sur pied un système de commerce électronique où les gens pourraient commander leur vin en ligne, qui leur serait ensuite livré à la maison dans un délai de quatre à huit semaines; ce qui serait insuffisant. On paierait le taux de majoration entier sur de telles commandes. Il n'y aurait en plus aucun avantage supplémentaire pour le vignoble ni pour le consommateur. Le Nouveau-Brunswick, s'il n'est pas menacé par la décision rendue vendredi, pourrait décider d'autoriser l'achat de neuf litres de vin, comme toutes les autres provinces l'ont fait, pour pallier les répercussions du projet de loi C-311.
Par contre, si rien n'est fait en vertu de l'ACI, parce que les provinces se font dire par les commissions de contrôle des alcools qu'il n'y a aucune mesure à prendre, le problème pourrait bien finir par se retrouver devant la Cour suprême. Nous attendrons alors le résultat en espérant qu'il sera à notre avantage.
Dans notre cas, c'est simplement une question de volonté politique. Trois provinces ont agi; nous attendons que les sept autres en fassent autant.
Mme MacEwen : Je suis absolument optimiste quant à ce qui va arriver au cours des cinq prochaines années.
Je dis que le Canada et les États-Unis vont rejeter le Partenariat transpacifique et que nous pourrons modifier l'Accord économique et commercial global pour nous débarrasser des listes négatives et du système des tribunaux des investisseurs, qui est fondamentalement la même chose que le mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un État. Nous aurons mis sur pied les conseils sectoriels dont le Conseil canadien du commerce de détail parle, et nous aurons établi clairement la liste des obstacles actuels au commerce et leurs coûts dont nous pourrons alors parler en termes concrets.
C'est ce que nous avons déjà fait sur le front de la main-d'œuvre. La question laisse présumer que nous n'avons fait aucun progrès depuis 1995. Or, nous avons fait des progrès considérables depuis ce temps. Nous faisons des progrès depuis 2008.
Nous avons fait des progrès au niveau de la main-d'œuvre, cela est indéniable. Les infirmières autorisées peuvent travailler dans une autre province. Ce n'était pas le cas auparavant. Les comptables ont tout revu leur formation et leur système pour n'en avoir qu'un seul reconnu partout au Canada. Cela est arrivé au cours des dernières années et cela a été possible grâce à l'ACI et aux changements apportés aux normes relatives au travail.
Il faudrait reconnaître, je crois, que les petits pas en avant permettent probablement des avancées solides et efficaces et que nous devons procéder à la lumière de faits probants. Les conseils sectoriels et les faits ou les mesures dont nous avons parlé constituent probablement la meilleure façon de procéder.
J'espère sincèrement que le gouvernement investira dans une politique industrielle réelle qui nous permettra d'évoluer vers une économie verte. Je veux simplement lancer l'idée.
Le président : Je vous en remercie.
S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons suspendre la séance pendant deux ou trois minutes et revenir ensuite pour parler un peu de nos travaux futurs. Profitons de ce moment pour remercier sincèrement nos témoins, qui ont fait un travail formidable. Je crois que nous avons beaucoup appris, et je crois que les sénateurs ont beaucoup aimé vous interroger et parler avec vous. À vous qui avez été avec nous par vidéoconférence, je dirai que j'aurais aimé vous avoir avec nous dans la salle. Néanmoins, je vous remercie beaucoup de votre présence.
Sur ce, je suspends la séance et vous invite à revenir dans deux ou trois minutes.
(La séance se poursuit à huis clos.)