Aller au contenu
BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule n° 5 - Témoignages du 12 mai 2016


OTTAWA, le jeudi 12 mai 2016

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier les questions relatives aux barrières au commerce intérieur.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle David Tkachuk et je suis le président du comité.

C'est aujourd'hui la onzième séance que nous consacrons à notre étude spéciale sur les questions relatives aux barrières au commerce intérieur. Je suis heureux d'accueillir notre premier groupe de témoins. Nous recevons deux représentants de l'organisme Produits de santé aux consommateurs du Canada : la présidente, Karen Proud, et le vice- président, Politique législative et Affaires réglementaires, Gerry Harrington. Nous entendrons également un représentant de l'Alliance canadienne du camionnage : le vice-président principal, Affaires économiques, Stephen Laskowski.

Au nom du comité, je vous remercie tous de votre présence ici aujourd'hui. Chacun des témoins fera une déclaration préliminaire, puis il y aura une période de questions et réponses. Madame Proud, c'est à vous de commencer.

Karen Proud, présidente, Produits de santé aux consommateurs du Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de nous donner l'occasion de contribuer à votre étude sur les barrières au commerce intérieur. C'est un enjeu qui intéresse grandement l'association que je représente ainsi que ses membres et qui a une incidence considérable sur notre secteur d'activité au Canada. Nous saluons le travail que vous êtes en train d'accomplir dans le cadre de l'étude et nous espérons que vos recommandations se traduiront par des résultats concrets.

Je veux parler brièvement de mon organisation. Produits de santé aux consommateurs du Canada — ou PSC Canada — représente les fabricants de médicaments en vente libre, ou vendus sans ordonnance, et de produits de santé naturels éprouvés. Ces produits entrent dans la vaste catégorie des produits de santé destinés aux consommateurs; des millions de Canadiens y ont recours chaque jour pour gérer leur santé personnelle et soulager certains maux mineurs tels qu'un rhume ou une grippe de même que certaines conditions chroniques telles qu'une allergie ou des douleurs arthritiques. Afin que vous ayez une idée des fabricants que nous représentons, permettez-moi de vous dire que les produits dont il est question ici sont des produits que vous pourriez utiliser au quotidien : écrans solaires, vitamines, analgésiques tels qu'Advil, Tylenol et Aleve, médicaments antiallergiques comme ceux qu'on retrouve dans Reactine et Nasonex, et produits de désaccoutumance au tabac. Nos membres fabriquent tout un éventail de produits différents.

Notre secteur représente plus de 56 000 emplois au Canada, des ventes de 5,6 milliards de dollars sur le marché intérieur et des exportations d'une valeur supérieure à 1,5 milliard de dollars. Ce n'est donc pas un secteur sans importance.

La semaine dernière, d'ailleurs, je me trouvais à Washington pour prendre part à des réunions du Conseil de coopération Canada-États-Unis en matière de réglementation en compagnie de fonctionnaires et d'intervenants de l'industrie des deux pays. Nous avons discuté de questions très semblables à celles sur lesquelles le comité se penche aujourd'hui, c'est-à-dire les façons d'éliminer les obstacles réglementaires et administratifs qui nuisent au commerce. Ce qui m'a frappée à l'occasion de ces rencontres — et je réfléchissais aussi au discours que je prononcerais devant votre comité —, c'est que les principales barrières au commerce auxquelles nous nous heurtons actuellement se dressent à l'intérieur des frontières canadiennes et ne sont pas associées au commerce entre le Canada et les États-Unis. Comme je l'ai déjà dit, nous nous réjouissons qu'un comité sénatorial réalise une étude sur ce sujet.

Lors de sa comparution devant le comité, le ministre Bains a fait état d'une réglementation et de normes disparates et de tracasseries administratives. Voilà précisément les problèmes d'ordre réglementaire sur lesquels butent nos membres en ce qui concerne la vente de leurs produits au Canada. Permettez-moi d'expliquer un peu le fonctionnement du système auquel sont assujettis nos produits sur le marché canadien.

Le gouvernement fédéral et les provinces se partagent la responsabilité de réglementer les médicaments en vente libre et les produits de santé naturels. D'une part, il y a Santé Canada, qui est responsable d'assurer l'innocuité, la qualité et l'efficacité des produits; d'autre part, il y a les provinces, qui définissent les conditions ou les points de vente des produits. La loi qui habilite Santé Canada à réglementer nos produits est la Loi sur les aliments et drogues. Quant aux règlements provinciaux, ils découlent des lois régissant la pharmacie et non de lois régissant les produits. Le Canada est le seul pays, parmi nos principaux partenaires commerciaux, qui utilise cette approche dualiste, laquelle constitue le nœud du problème pour notre secteur d'activité.

Le fait que la réglementation des conditions de vente relève des provinces pose problème, car cela engendre un manque d'uniformité d'une province à l'autre et entraîne des chevauchements des systèmes fédéral et provincial, voire des conflits. Ces chevauchements et conflits nuisent à l'accès aux produits de santé destinés aux consommateurs un peu partout au pays, mais à divers degrés selon la province où l'on vit. Ils font augmenter les coûts, accroissent la complexité et créent un climat d'incertitude pour l'industrie, en plus d'avoir un effet négatif sur l'ensemble des coûts des soins de santé.

En réalité, quand des Canadiens utilisent nos produits pour gérer leur santé ou traiter des maux mineurs, ils s'administrent eux-mêmes des soins. C'est ce qu'on appelle des « autosoins ». Cette pratique est bénéfique à bien des égards. Elle permet notamment de garder les gens à l'extérieur du système de soins de santé officiel, de faire économiser de l'argent au système et de libérer les ressources médicales, qui peuvent alors être employées pour répondre aux besoins urgents. Toute entrave au processus d'autosoins est néfaste pour le système de soins de santé global.

Pour votre gouverne, le principal facteur de croissance de l'industrie des produits de santé destinés aux consommateurs est la création de nouveaux produits grâce à un changement de statut au titre duquel un médicament sur ordonnance devient un médicament sans ordonnance. Santé Canada, après avoir réalisé une analyse approfondie des données probantes, effectué des consultations et déterminé l'étiquetage requis pour que les consommateurs soient en mesure d'utiliser le produit sans l'intervention d'un professionnel de la santé, peut déclarer qu'un médicament peut désormais être vendu sans ordonnance.

Après avoir examiné toutes les données probantes, Santé Canada décide si, oui ou non, il convient d'appliquer à un médicament sur ordonnance le statut de médicament sans ordonnance. À cela s'ajoute un processus provincial. Le Québec a son propre processus et le reste du Canada en a un autre.

À l'extérieur du Québec, l'Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie, ou ANORP, charge un comité de revoir la décision de Santé Canada quant au changement de statut d'un médicament et de recommander les conditions de vente de ce produit. Ces recommandations s'inscrivent dans ce qu'on appelle le système de classification des médicaments au Canada. Le comité détermine si le produit sans ordonnance sera conservé derrière le comptoir du pharmacien — médicament de l'annexe II —, vendu sur les tablettes d'une pharmacie — médicament de l'annexe III — ou vendu n'importe où — on parle alors d'un médicament non inscrit.

Voici ce qui est complètement insensé : l'ANORP peut renverser la décision de Santé Canada et remettre le médicament à l'annexe I, ce qui revient à lui redonner le statut de médicament sur ordonnance.

Le président : Pardon?

Mme Proud : Vous voulez que je vous répète ce qui est insensé? Eh bien, l'ANORP, l'organisme provincial à qui il revient de décider où un produit peut être vendu, peut effectivement annuler une décision de Santé Canada. L'ANORP peut déclarer qu'un produit jugé par Santé Canada comme ne présentant aucun danger en tant que médicament sans ordonnance doit être remis à l'annexe I et considéré comme un médicament sur ordonnance. C'est là l'un des aspects absurdes du système et l'un des obstacles au commerce auxquels nous nous heurtons.

Une autre facette du problème, c'est ce qui survient après la décision de l'ANORP. C'est à ce moment que les provinces interviennent. Dans sept provinces, les recommandations de l'ANORP quant aux points de vente sont automatiquement adoptées par renvoi.

À Terre-Neuve-et-Labrador, il y a une étape supplémentaire. L'ordre des pharmaciens de la province évalue la décision de l'ANORP avant de procéder à la classification du produit.

Le président : Il ne peut pas infirmer une décision de Santé Canada, n'est-ce pas?

Mme Proud : Il ne le fait pas, mais il pourrait s'il le souhaitait. L'ordre pourrait décider de ne pas suivre la recommandation de l'ANORP et de ne pas inscrire le produit à l'annexe visée.

En Colombie-Britannique, il faut modifier la réglementation pour pouvoir mettre en œuvre une décision de l'ANORP. Le processus a déjà pris jusqu'à deux ans.

Tout cela peut sembler un peu décousu, et nous n'avons même pas encore parlé du Québec. Je sais que beaucoup de sénateurs du Québec sont membres du comité. Ceci risque de les intéresser tout particulièrement.

Au Québec, quand Santé Canada décide de déclarer qu'un médicament sur ordonnance devient un produit sans ordonnance, celui-ci est automatiquement envoyé derrière le comptoir. Le Québec ne participe pas au processus décisionnel de l'ANORP; tout est mis derrière le comptoir. Pour faire transférer un produit sur les tablettes, il faut présenter une demande de changement d'annexe à l'Office des professions du Québec, une démarche qui prend quatre ans en moyenne.

Que faut-il comprendre? Eh bien, que le Canada n'est pas un pays particulièrement accueillant pour un secteur d'activité tel que le nôtre. De l'avis des multinationales, l'incertitude qui entoure l'ensemble du système n'est pas propice aux bonnes affaires. Ainsi, en moyenne, les Canadiens obtiennent l'accès à des produits qui changent de statut pour devenir des médicaments sans ordonnance sept à neuf ans après l'arrivée de ces produits sur les marchés des États-Unis et de l'Union européenne.

De surcroît, si vous habitez en Colombie-Britannique, vous y aurez peut-être accès deux ans après le reste du pays. Si vous vivez au Québec, vous ne verrez peut-être jamais les produits, ou du moins vous ignorerez qu'ils sont disponibles, car ils sont conservés derrière le comptoir.

La solution exige en premier lieu que le fédéral prenne les devants. C'est pourquoi j'estime que le travail de votre comité sera utile.

Jusqu'ici, Santé Canada, organisme de réglementation des médicaments en vente libre et des produits de santé naturels qui est respecté de par le monde, s'est vu entravé dans ses efforts pour administrer un cadre réglementaire de calibre mondial pour les produits de santé destinés aux consommateurs. Le ministère approuve les produits en fonction de leur innocuité et de leur efficacité, mais doit partager avec les provinces le pouvoir de les classifier, et ce, en dépit du fait que la Loi sur les aliments et drogues lui confère le pouvoir de déterminer les conditions de vente. C'est capital.

Nous ne préconisons nullement l'exclusion des provinces du processus décisionnel, mais nous sommes d'avis que la solution la plus efficace est d'intégrer à l'échelon fédéral les processus d'approbation et de classification. Il y aurait plusieurs façons de s'y prendre, mais il s'agit d'abord de reconnaître qu'il existe bel et bien un problème au sein du système et il faut une volonté de trouver une solution sensée qui fonctionne. Nous avons espoir que l'étude du comité sera le catalyseur du changement dont nous avons besoin.

Avant de conclure, je veux donner un exemple concret et très récent pour illustrer les problèmes du système. Comme certains d'entre vous le savent peut-être, Santé Canada, devant l'insistance de responsables de la santé publique de tous les ordres de gouvernement, a décidé plus tôt cette année de retirer la naloxone de la liste des médicaments sur ordonnance. Pour ceux qui l'ignoreraient, la naloxone est un médicament qui permet de sauver des vies, car elle inverse les effets des opiacés et peut empêcher les surdoses si elle est administrée au bon moment. C'est la ministre de la Santé qui a annoncé cette décision, laquelle a été bien accueillie par bon nombre d'intervenants du domaine de la santé publique.

Comme il s'agissait d'un enjeu de santé publique urgent, Santé Canada a procédé au changement de statut de manière accélérée, omettant la notification de l'OMC pour que le changement puisse se faire en moins de trois mois. Le délai n'est jamais inférieur à trois mois quand il s'agit de modifier le statut d'un produit pour qu'il devienne un médicament sans ordonnance, mais il s'agissait d'une situation urgente ou à tout le moins d'une mesure jugée nécessaire pour le grand public.

Le ministère a terminé au début mars les démarches qui lui incombaient dans le cadre du processus de changement de statut. Toutefois, vu le manque de mécanisme de coordination du processus fédéral et du système provincial de classification, la naloxone est encore un médicament sur ordonnance dans huit provinces sur dix et le restera jusqu'à l'ANORP confirme le changement de statut à la mi-juin. Le temps nécessaire au changement aura donc été plus que doublé. Voilà un exemple concret des problèmes qui minent le système, même lorsque le changement de statut est lancé par le gouvernement et non par un fabricant ou une entreprise.

Je remercie le comité de nous avoir offert la possibilité d'aborder ces questions. Mon collègue Gerry Harrington et moi-même serons ravis de répondre à vos questions et nous nous ferons un plaisir de vous fournir de plus amples renseignements si vous en avez besoin pour mener à bien votre étude.

Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant des médicaments au camionnage. Je donne la parole à Stephen Laskowski, de l'Alliance canadienne du camionnage.

Stephen Laskowski, vice-président principal, Affaires économiques, Alliance canadienne du camionnage : Je vous remercie, monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous accueillir ce matin. Je vais commencer par décrire qui nous sommes et dans quelle industrie nous évoluons, puis j'entrerai dans le vif du sujet.

L'Alliance canadienne du camionnage, ou ACC, est une fédération d'associations provinciales de camionnage de partout au Canada. Nous représentons environ 4 500 membres transporteurs. L'alliance se compose de propriétaires et de PDG. Nous nous occupons de questions intéressant les conducteurs, mais nos membres sont les présidents et les propriétaires des entreprises.

Le président : Pardonnez ma question, mais à combien de camions cela équivaut-il?

M. Laskowski : En tout, nous représentons environ 150 000 employés, ce qui équivaut à 70 p. 100 du transport de marchandises par camion, que ce soit par contrôle direct ou contrôle indirect — c'est ainsi que nous appelons le transport de marchandises par des intermédiaires. Dans le deuxième cas, une entreprise peut décider de transporter des marchandises non pas dans ses camions, mais dans le véhicule d'un partenaire. Nous représentons l'industrie et nous en sommes fiers.

L'industrie du camionnage transporte approximativement 90 p. 100 des biens de consommation. C'est près des deux tiers de la valeur des échanges entre le Canada et les États-Unis.

L'industrie emploie environ 1,5 p. 100 de la population active et cela équivaut à près de 24 milliards de dollars en impôt sur le revenu des particuliers. Notre industrie est grande et importante à de nombreux chapitres.

Ce qui explique la taille de l'industrie, c'est le service qui est offert. L'économie moderne repose sur la livraison « juste à temps ». Internet et le concept de livraison « juste à temps » nous sont très profitables, tout comme l'est le commerce nord-sud. L'économie a évolué et notre industrie a suivi. C'est un domaine où la concurrence est vive, mais l'industrie est très adaptable et elle compte de nombreux entrepreneurs extraordinaires.

L'industrie du camionnage est un des principaux indicateurs économiques. Je dis toujours aux gens : « Ne vous fiez pas à votre courtier en valeurs; appelez plutôt le propriétaire d'une entreprise de camionnage et demandez-lui ce qui se passe actuellement. Si ses affaires vont bien, le marché le reflétera dans trois mois. Si les choses ne vont pas très bien, cela se manifestera dans les rapports économiques. » Les rapports trimestriels rendent compte de la vigueur de l'économie. Notre industrie est un excellent indicateur économique.

Pour ce qui est des barrières au commerce, nous comprenons que votre comité s'intéresse principalement au commerce intérieur. Nous devons composer avec un certain nombre d'obstacles aux échanges commerciaux nord-sud, mais compte tenu de la portée de l'étude, nous nous concentrerons sur les barrières au commerce intérieur.

Dans l'industrie du camionnage, les obstacles qui nuisent au commerce intérieur ne correspondent pas à la définition classique des barrières au commerce, comme celles qui touchent par exemple l'industrie vinicole de la Colombie- Britannique ou de l'Ontario, où divers conflits commerciaux font en sorte que les marchandises ne peuvent pas être vendues sur certains marchés. Même si les obstacles avec lesquels nous devons composer ne sont pas ce que je qualifierais de barrières au commerce en tant que tel, ils n'en sont pas moins problématiques puisqu'ils nuisent aux échanges commerciaux. Je vais vous expliquer comment.

Les obstacles au commerce en soi ne sont pas une nouveauté pour nous; ils minent notre industrie depuis les années 1980. De nombreuses entreprises de camionnage effectuent du transport interprovincial. Or, les règles qui régissent l'équipement et les camionneurs diffèrent d'une province à l'autre. Dans certains cas, ces différences s'expliquent par les conditions propres à chaque territoire, mais dans d'autres cas, elles n'ont pas leur raison d'être et constituent un obstacle à la juste concurrence et au commerce efficace. Dans de tels cas, il serait essentiel d'harmoniser les règles.

L'ACC classe la source de nos problèmes en deux grandes catégories : le Code canadien de sécurité et le poids et les dimensions des camions.

Le Code canadien de sécurité pour les camions a été adopté il y a près de 30 ans dans le but d'améliorer la sécurité dans le secteur du camionnage. Je considère que notre industrie a réalisé d'importants progrès en matière de sécurité au cours de ces trois décennies.

Pour vous mettre en contexte, en 1989, notre secteur d'activité a été déréglementé, ce qui a entraîné de profonds changements. Nous sommes passés d'un marché extrêmement réglementé à un marché libre, de nouvelles règles ont été adoptées et de nouveaux joueurs ont fait leur apparition. En raison de tous ces changements, comme ce serait le cas au sein de toute industrie naissante, les membres de notre industrie se sont retrouvés dans un contexte inconnu à de nombreux égards. En conséquence, tout le monde a dû se familiariser avec les règles en matière de sécurité. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, mais ce l'était en 1989.

Le Code canadien de sécurité se compose de 16 normes qui portent sur des sujets allant des heures de service des camionneurs à la cote de sécurité des transporteurs, en passant par les normes médicales pour les conducteurs et l'inspection sur route des véhicules. Cependant, près de trois décennies après l'adoption du Code canadien de sécurité, bon nombre de ses normes n'ont toujours pas été adoptées ou ne sont pas appliquées uniformément par les gouvernements provinciaux. La situation est inacceptable, tant pour le gouvernement que pour l'industrie.

Des éléments comme les heures de service des camionneurs qui parcourent de longues distances devraient être uniformes à l'échelle du pays. Or, ce n'est pas le cas. Il a fallu plus d'une décennie pour que toutes les provinces s'entendent sur un nouveau règlement fédéral régissant les normes relatives aux heures de service. Le passage aux dispositifs d'enregistrement électroniques d'ici 2019 nous fait craindre que la même situation se reproduise.

En se fondant sur de nombreuses situations du genre rencontrées au fil des ans, l'ACC estime qu'il est temps pour tous d'admettre qu'une révision du système d'élaboration de politiques actuel s'impose. On observe un manque de communication entre les divers ordres de gouvernement et l'industrie. Il faut mettre fin à l'élaboration de politiques et à la prise de décisions en vase clos.

Pour que vous puissiez mieux comprendre, je précise que les gouvernements provinciaux appliquent les règles qui régissent le camionnage et que, dans bien des cas, ce sont eux qui les élaborent. Le gouvernement fédéral adopte des normes et formule des recommandations, mais il ne dispose d'aucun moyen pour obliger les gouvernements provinciaux à appliquer les mesures ayant fait l'objet d'une entente à la suite de discussions. Ceux-ci peuvent décider de simplement ignorer les règles et les recommandations qu'ils ont contribué à élaborer ou à modifier lors des discussions avec leurs homologues et de ne pas les appliquer sur leur territoire. La situation n'est pas acceptable parce qu'elle crée un ensemble de règles disparates à l'échelle nationale. Comme je l'ai mentionné, les camions se déplacent d'un bout à l'autre du pays. C'est la raison pour laquelle cela constitue selon nous un obstacle au commerce.

Pour ce qui est du poids et des dimensions, il se peut que vous bayiez aux corneilles lorsque j'aurai fini de vous décrire la situation, en raison de tous les détails techniques que je vais vous présenter, mais ceux-ci sont essentiels à notre industrie, et ils sont relativement simples à comprendre. Sous une remorque, on trouve deux, trois, quatre ou cinq ensembles de pneus. Tout dépend du poids. Le poids des cargaisons est un indicateur de l'économie d'une région. Dans les régions où le secteur manufacturier est très important, les camions comptent davantage d'essieux. S'il y en a moins, il peut s'agir de marchandises légères, comme les croustilles et autres produits du genre. Dans certains cas, ce seront des pièces d'automobiles, parce qu'elles sont parfois volumineuses.

L'emplacement de ces essieux n'est pas laissé au hasard. Il est régi par des règles provinciales. Les essieux doivent donc être disposés de manières bien précises, et les règles à respecter à cet égard peuvent nuire au commerce. Je vais vous expliquer pourquoi.

Les émissions de GES sont un autre élément sur lequel il faut se pencher. La réglementation porte sur plusieurs aspects. Les émissions de GES représentent un enjeu majeur pour notre industrie. Nous cherchons tous à réduire notre consommation de carburant et notre empreinte carbone, et c'est notamment par la technologie que nous pourrons y parvenir. Nos habitudes de conduite ont aussi un rôle à jouer. Les gestionnaires peuvent apporter certains changements, mais une bonne partie de ces objectifs passe par la technologie. Je vais vous donner quatre exemples d'innovations technologiques qui ont fait leurs preuves pour ce qui est de réduire les GES, mais qui ne sont pas autorisées par certaines provinces.

D'abord, il y a les pneus nouvelle génération. Il s'agit de pneus simples à bande large qui en remplacent deux de taille ordinaire et qui permettent de réduire la consommation de carburant de 3 à 10 p. 100. L'Ontario, le Québec et le Manitoba sont les seules provinces où les transporteurs peuvent utiliser ces pneus sans être pénalisés au chapitre de la charge maximale permise.

Ce qui rend cette situation encore plus problématique, c'est qu'en 2018, ces pneus deviendront l'une des deux seules options permises pour les remorques. Nous sommes en 2016. Il ne reste plus que deux ans pour que toutes les provinces autorisent l'utilisation de ces nouveaux pneus, sinon l'industrie du camionnage se retrouvera dans l'obligation de respecter une règle environnementale fixée par Environnement Canada que certaines provinces auront choisi d'ignorer pour diverses raisons.

Ensuite, il y a les véhicules au gaz naturel. Il s'agit d'une nouvelle technologie qui a fait ses preuves et à laquelle l'industrie du camionnage commence à avoir accès. Elle pose certains défis au chapitre de la gestion, mais il reste qu'elle peut être adoptée. Le problème, c'est qu'une seule province a modifié les limites de poids permises en conséquence. Les camions qui sont alimentés au gaz naturel sont équipés de réservoirs extrêmement lourds. L'ACC et les associations provinciales réclament que le poids des réservoirs soit exclu du calcul du poids des marchandises. Par exemple, pour pouvoir adopter ces véhicules, certaines entreprises de camionnage seraient obligées de réduire la quantité de marchandises qu'elles transportent pour compenser le poids des réservoirs. Nous demandons que le poids des réservoirs ne soit pas inclus dans le calcul de la charge tant que les manufacturiers n'auront pas réussi à fabriquer des réservoirs plus légers. Seule la Colombie-Britannique a accédé à cette demande. Cela nous pose problème.

Il y a également les rétreints : les gens qui aiment les Porsche 911 des années 1970 et 1980 ont une idée de ce à quoi ressemblent les rétreints. Pensez au gros aileron qu'on trouve à l'arrière de ces modèles. Il n'a pas tout à fait la même allure à l'arrière d'un camion, mais le principe est le même. À l'heure actuelle, une seule province autorise ces dispositifs aérodynamiques. Ils sont rabattus sur les portes de la remorque lorsque le camion est arrêté et déployés durant leur usage. Ils ont été conçus et mis à l'essai par Transports Canada, ce qui confirme qu'ils sont sécuritaires. Mais, je le répète, une seule province autorise actuellement ces dispositifs qui génèrent des économies de carburant de l'ordre de 3 à 10 p. 100.

La dernière technologie consiste en un type particulier d'essieu qui s'installe à l'avant d'un tracteur routier et qui permet de réduire la consommation de carburant d'environ 3 à 5 p. 100. L'essieu en question s'abaisse et se relève en fonction du poids, ce qui permet de réduire la résistance au roulement lorsqu'il est en position relevée. Lorsque la cargaison est plus lourde, il s'abaisse. Même si les entreprises de camionnage souhaiteraient avoir une cargaison maximale en tout temps, ce n'est pas possible. Une telle technologie permet donc, par l'entremise d'un logiciel, de déterminer à quel moment relever l'essieu, et donc de réduire la consommation de carburant. Certaines provinces en interdisent cependant l'utilisation. Là encore, il serait essentiel d'uniformiser les normes, parce qu'une entreprise de camionnage de l'Ontario ou de l'Alberta, par exemple, qui livre des marchandises dans l'Ouest ou dans l'Est du Canada, doit équiper ses véhicules de manière à ce qu'ils puissent rouler partout, pas seulement dans sa province d'origine.

Ce sont là des exemples relatifs à la sécurité et aux technologies qui illustrent l'importance d'une plus grande concertation entre les gouvernements fédéral et provinciaux afin de permettre à l'industrie du camionnage d'être concurrentielle partout au pays grâce à l'uniformisation des normes.

Je vous remercie de votre temps. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : J'ai entendu une partie de votre témoignage d'aujourd'hui de la bouche d'une autre personne. Je sais donc ce qu'est un dispositif d'enregistrement électronique, mais j'aimerais que vous l'expliquiez aux membres du comité.

M. Laskowski : Bien sûr. Depuis 1989, notre industrie a connu une évolution — je dirais même une révolution —pour ce qui est de la façon de considérer et de gérer tous les aspects liés à la sécurité. Les registres papier en sont un exemple.

D'abord, quelques précisions pour vous situer. Les conducteurs de camion peuvent uniquement conduire un nombre déterminé d'heures par jour. De plus, ils doivent prévoir des périodes de repos d'une durée précise au cours de chaque journée de travail. Toutes ces périodes doivent être consignées à des fins de vérification de la conformité, ce avec quoi nous sommes entièrement d'accord.

Nous sommes cependant en 2016; l'ère du papier est révolue. Comme nous le savons tous, la consignation sur papier permet ce que j'appellerais une certaine créativité. Or, une telle créativité n'a pas sa place au sein de notre industrie. Il existe divers dispositifs permettant de consigner ces données de façon électronique. Ceux-ci vont de la simple application pour téléphone intelligent aux systèmes de gestion complets composés de matériel informatique et de logiciels de pointe. À notre avis, il est temps que le gouvernement fédéral et les provinces mettent fin aux registres papier dans l'industrie du camionnage longue distance. Il est temps de rendre obligatoires les dispositifs d'enregistrement électroniques. Transports Canada a joint ses efforts aux nôtres, mais nous ne sommes pas encore en mesure d'annoncer officiellement que ces dispositifs seront dorénavant la norme au Canada.

Pour en revenir à mes observations concernant les heures de service, ce que nous craignons, c'est que les provinces conviennent d'adopter ces dispositifs, mais qu'elles hésitent à faire respecter le Code canadien de sécurité sur leur territoire. Aucune hésitation ne devrait cependant être tolérée à ce sujet. L'objectif est d'assurer la sécurité de tous ainsi que le transport sécuritaire des marchandises sur les routes et d'offrir des règles du jeu équitables. À notre avis, la question ne se pose même pas. Nous trouvons donc la situation actuelle quelque peu frustrante.

Le président : Quelques précisions à ce sujet : ces dispositifs sont plus efficaces parce qu'ils évitent au conducteur la tâche fastidieuse d'avoir à remplir un registre pendant une demi-heure à la fin de sa journée de travail. Il peut ainsi rentrer chez lui et retrouver sa famille. Il n'a pas non plus besoin de consigner des données au début de son quart de travail.

M. Laskowski : Le changement n'est jamais facile, peu importe l'aspect de la vie qu'il touche. Tout changement entraîne son lot de craintes. Cependant, lorsqu'on prend le temps de présenter les avantages de ces dispositifs aux camionneurs et aux représentants de l'industrie et du gouvernement, tous conviennent qu'il s'agit effectivement de la voie à suivre. Ils permettent aux conducteurs de gagner plus d'argent et assurent une plus grande transparence et une clarté accrue pour tous. Si certains contestent cette décision, c'est sans doute davantage parce qu'ils sont réfractaires au changement en soi ou parce qu'ils ne comprennent pas ce que nous cherchons à accomplir en tant qu'industrie et groupe d'employeurs.

Le président : Merci beaucoup. Nous poursuivrons avec les questions.

Le sénateur Greene : Vous avez mentionné divers problèmes. Tellement en fait, que je crois que nous devrions produire un rapport distinct pour votre industrie. Un jour, peut-être.

J'ai plusieurs petites questions au sujet desquelles il existe peut-être une solution concrète. Vous avez mentionné que le gouvernement fédéral n'a aucun moyen d'obliger les provinces à faire respecter les normes. Est-ce que c'est parce qu'il a des moyens de le faire, mais qu'il ne les utilise pas, ou est-ce qu'il y a une interprétation quelconque de la Constitution qui l'en empêche? Et que fait le gouvernement américain à titre de comparaison?

M. Laskowski : Je vais commencer par présenter la situation dans son ensemble, puis je parlerai des cas particuliers.

Je crois que vous visez juste : la situation n'est pas caractéristique de notre industrie; elle découle plutôt de la façon dont le Canada est gouverné en tant que pays et de la manière dont les pouvoirs ont été divisés entre les administrations fédérale et provinciales et dont les choses ont évolué au fil des ans.

Je crois qu'il est approprié de parler d'évolution dans ce cas-ci. Si l'on regarde ce qui se passe chez nos voisins du Sud, il y a des leçons à tirer de ce qu'ils font. Les Américains sont dans une situation semblable à la nôtre, mais, pour faire respecter les règles, que ce soit en matière de sécurité ou de poids et de dimensions des véhicules, l'administration fédérale — ils ont le même genre de régime que nous — a recours à un argument très convaincant, c'est-à-dire l'argent.

L'administration fédérale des autoroutes dit aux ministères des Transports des États : « Gouverneurs, voici les objectifs que nous cherchons à atteindre pour l'industrie du camionnage par rapport à la sécurité ou encore au poids et aux dimensions des véhicules. Nous voulons connaître votre avis à ce sujet. » L'administration fédérale consulte les États, puis elle prend une décision. Elle leur dit ensuite : « Voici la décision que nous avons prise. Vous avez le choix de la respecter ou non. Si vous vous y conformez, voici de l'argent pour les routes qu'emprunteront les camions. »

Je tiens à préciser que cet argent provient en fait des camions. En effet, aux États-Unis, la taxe sur l'essence et les frais d'immatriculation sont consacrés exclusivement aux routes, et c'est ce qu'il faut retenir. Les milliards de dollars versés par l'industrie du camionnage en taxe sur l'essence et en frais d'immatriculation sont consacrés aux infrastructures routières. Que l'argent soit perçu par l'administration fédérale ou les États, tout est versé dans la même enveloppe.

L'administration fédérale peut alors dire : « La règle est la suivante. Si vous choisissez de l'appliquer, voici votre chèque. Mais la décision vous appartient. Si vous choisissez de ne pas appliquer la règle, nous respectons votre décision. Mais nous voulons ravoir notre argent. » En fait, l'argent n'est même pas versé aux États qui refusent d'obtempérer.

Au Canada, nous réclamons l'instauration d'un fonds en fiducie depuis une dizaine d'années. Trois obstacles en empêchent la création, à savoir la séparation des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces, la perception que l'on a des fonds dédiés et la nécessité pour le gouvernement fédéral de jouer un rôle de premier plan, mais également d'être en mesure d'obliger les provinces à emboîter le pas. Si elles veulent que leurs routes et leurs ponts soient financés grâce à des fonds fédéraux, elles doivent respecter les codes de sécurité nationaux et les normes fédérales.

Le sénateur Greene : C'est une idée intéressante. Est-ce que vous proposez que ce soit l'une de nos recommandations?

M. Laskowski : Oui.

Le président : C'est ce que nous faisons dans le domaine des soins de santé.

Le sénateur Greene : Oui, c'est ce que nous faisons.

M. Laskowski : Uniquement aux États-Unis, pour ce qui est des consultations, les consultations entre les secteurs privé et public et les autorités provinciales sont utiles et nécessaires, mais une fois qu'une décision est prise, il faut faire preuve de leadership. Il faut dire : « Nous avons pris une décision et nous la respecterons. Nous avons mis en place un processus, et il est maintenant temps d'aller de l'avant. » Nous devons respecter la décision qui a été prise et refuser que les provinces disent par la suite : « Eh bien, c'était un exercice très intéressant, mais nous n'allons pas respecter la décision qui a été prise; nous allons faire comme bon nous semble, car de toute façon, nous recevons quand même de l'argent. »

Le sénateur Greene : Est-ce que certains de vos membres n'exercent pas leurs activités de camionnage à l'extérieur des frontières de leur province et préféreraient que les barrières demeurent en place?

M. Laskowski : Je pense que cette question peut s'appliquer dans les deux cas. Dans la majorité des cas, les gens qui veulent être des chefs de file dans leur secteur souhaitent qu'il y ait une concurrence libre et ouverte; ils ne veulent pas se mesurer à leurs concurrents en fonction de barrières artificielles, mais plutôt en fonction de leurs capacités de gestion; ils veulent que ce soit le meilleur gestionnaire et le meilleur entrepreneur qui l'emporte, et non que les barrières artificielles les favorisent. Autant dans l'industrie intraprovinciale que dans l'industrie interprovinciale, il y a bel et bien des exploitants qui fonctionnent selon ce principe.

Cela dit, si les exploitants s'appuient sur des obstacles artificiels pour justifier leurs activités ou leur analyse de rentabilisation, on ne peut pas dire que celle-ci est très solide.

La sénatrice Ringuette : En fait, il existe un fonds national de ce type, mais l'argent recueilli grâce à ce fonds est remis aux municipalités, ce qui vous prive donc de l'effet de levier lié à cet enjeu. Cela dit, ces sommes viennent de votre industrie.

M. Laskowski : Nous avons salué l'orientation stratégique qui a été adoptée pour le fonds de la Fédération canadienne des municipalités en ce qui concerne les dépenses liées au transport en commun. Je ne suis pas un spécialiste du domaine — et ce n'est pas à moi, qui évolue dans le secteur de camionnage, d'aborder cette question —, mais je crois savoir qu'il n'existe pas de situation parfaite. Cela dit, je pense que c'est un excellent exemple, qui montre bien que nous nous dirigeons vers des mesures de ce type.

La sénatrice Wallin : Je sais que tout le monde pense que c'est une étrange combinaison, mais lorsque je travaillais à New York, il était question de ces deux secteurs commerciaux toutes les semaines, car... non, nous n'avons pas réglé le problème. Je sais que les règles, les règlements et les barrières au commerce intérieur dont nous discutons aujourd'hui ont un véritable effet dissuasif sur les acteurs internationaux ainsi que sur nos industries ici, au pays.

Comme le sénateur Greene, j'ai quelques questions. Hier, nous avons coupé les cheveux en quatre lorsque nous avons discuté de l'emploi du mot « barrières » par rapport à l'emploi du mot « irritants », et la personne qui participe en quelque sorte aux négociations relatives au commerce intérieur a dit qu'en réalité, il n'y a pas d'obstacles; il y a seulement des enjeux parallèles. J'aimerais que vous me parliez tous les deux de la différence entre les barrières et les irritants, si c'est possible.

Mme Proud : Est-ce que vous voulez connaître notre opinion sur la différence entre les barrières et les irritants?

La sénatrice Wallin : J'aimerais que vous nous disiez qu'il existe bel et bien des barrières ou si ce sont simplement des irritants.

Mme Proud : Pour ce qui est de la situation au Canada de façon générale et de la mise en marché de nouveaux produits, nous accusons un retard de sept à neuf ans par rapport à l'Union européenne et aux États-Unis, ce qui veut dire qu'il existe bel et bien des barrières. Ce n'est pas seulement un irritant. Il existe bel et bien une barrière commerciale. Nous allons surmonter cette barrière sept à neuf ans plus tard, mais il s'agit évidemment d'une barrière pour ceux qui prennent des décisions à l'échelle internationale et qui se demandent si, oui ou non, ils mettront de nouveaux produits en marché ici, dans notre pays.

M. Laskowski : J'aimerais ajouter quelque chose en lien avec cette observation; du point de vue technique, je ne suis pas en désaccord, peu importe qui l'a dit. Par contre, qu'il s'agisse d'un irritant ou d'une barrière, le résultat est le même : il y a des inefficacités. Si nous parvenons à éliminer les inefficacités provinciales, nous créerons un meilleur marché. Oui, techniquement, ces camions peuvent encore franchir toutes ces frontières, mais ils pourraient le faire d'une manière beaucoup plus efficace. Nos membres nous disent que, peu importe le nom qu'on donne à ce problème, ce qu'ils veulent, c'est qu'on le règle.

La sénatrice Wallin : Madame Proud, vous avez parlé d'un médicament qui permet de renverser les effets d'une surdose d'opioïdes et vous avez dit que dans ce cas, on a passé outre au processus de l'OMC. Y a-t-il eu des sanctions à cet égard?

Gerry Harrington, vice-président, Politique législative et Affaires réglementaires, Produits de santé aux consommateurs du Canada : Non. L'avis donné à l'OMC permet aux fabricants de l'extérieur du Canada de se conformer à la réglementation. Puisque ce médicament provient d'un seul fabricant, on n'a pas jugé que cela posait problème. Dans ce cas, aucune sanction n'a été imposée.

La sénatrice Wallin : Est-ce que c'est le genre de mesure qu'on pourrait prendre plus régulièrement?

M. Harrington : Nous aimerons beaucoup que ce soit possible. Nous avons fait une proposition à cet égard.

La sénatrice Wallin : On pourrait trouver des solutions novatrices, comme dans l'industrie du camionnage.

M. Harrington : Nous en prenons bonne note.

La sénatrice Wallin : Je sais que cela peut paraître étrange, mais je vais raconter une anecdote personnelle au sujet d'Aleve, un médicament offert en vente libre ici, au Canada. Aux États-Unis, je peux acheter le médicament Aleve PM, mais pas ici. Par contre, je peux me rendre dans une pharmacie au Canada et acheter les deux ingrédients. La seule différence, c'est que je dois acheter deux médicaments.

Est-ce que ces règles et règlements aident l'industrie? De toute évidence, l'industrie fait plus d'argent si j'achète deux médicaments plutôt qu'un seul.

M. Harrington : Non. Disons-le franchement : l'industrie préfère de loin innover et offrir un seul produit qui répond à vos besoins, car c'est ce que vous recherchez. Le problème, ce sont les obstacles qui se dressent entre vous et l'entreprise qui veut mettre ce produit en marché. Dans ce cas, il s'agissait de deux demandes distinctes de modification du statut de vente.

Lorsque le statut de vente sur ordonnance d'un médicament comme Aleve, le naproxène sodique, est modifié, il l'est selon des conditions très précises. Si on veut combiner ce médicament avec un autre ingrédient, il faut présenter une demande distincte de changement de statut, qui sera assujettie à toutes les étapes des processus fédéraux et provinciaux. C'est un plus petit marché, et c'est pour cette raison que ces barrières deviennent plus importantes.

La sénatrice Wallin : J'ai l'impression qu'il serait plus intéressant pour l'industrie, du point de vue financier, de vendre deux médicaments, mais vous dites que non.

M. Harrington : Non.

Le sénateur Tannas : Madame Proud, vous avez parlé d'un antidote aux surdoses d'opioïdes, le naloxone. Vous avez aussi mentionné que huit provinces tergiversent encore à ce sujet. Cela voudrait donc dire que deux provinces ont déjà réglé la question. Le Québec fait-il partie de ces deux provinces?

M. Harrington : Oui.

Le sénateur Tannas : En raison de sa situation particulière, c'est bien ça?

Mme Proud : Comme vous vous en souvenez peut-être, le Québec ne traite pas avec l'Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie, l'ANORP. Ce médicament est directement offert sans ordonnance, et en fait, c'est exactement l'objectif visé par la modification de statut propre à ce médicament.

Le sénateur Tannas : Dans ce cas précis, ces provinces ont déjà une longueur d'avance, au lieu d'accuser un retard.

Vous avez parlé de la Colombie-Britannique, qui se trouve dans une situation unique. Pourquoi le New West Partnership et la promesse faite par les provinces, qui se sont engagées à harmoniser leurs règlements, n'ont-ils pas permis de régler ce problème? S'agit-il d'une exception qu'elles ont ajoutée à leurs listes?

M. Harrington : On a tenté à plusieurs reprises d'harmoniser les divers règlements provinciaux. L'harmonisation n'a jamais été inscrite au programme de l'alliance de l'Ouest, mais les provinces ont tenté à de nombreuses reprises de collaborer afin d'essayer d'harmoniser les exigences.

Invariablement, des problèmes se sont posés, ce qui a empêché les provinces d'harmoniser leurs règlements. Le principal problème, c'est que l'organisme qui joue un rôle clé dans ce projet, c'est-à-dire l'Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie, n'est pas un organisme gouvernemental. Les gouvernements provinciaux nous ont dit qu'ils ne sont pas à l'aise de déléguer ce pouvoir à un organisme non gouvernemental.

Le sénateur Tannas : Savez-vous si une exemption particulière est prévue dans le New West Partnership?

M. Harrington : Je ne peux pas répondre à cette question, car je ne connais pas la terminologie utilisée dans le cadre de cette initiative pour ce qui est des annexes de médicaments. Par contre, je peux vous dire que les règles de la Colombie-Britannique et de l'Alberta sont très différentes. En fait, l'Alberta suit les règles de l'Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie par renvoi, tandis que la Colombie-Britannique a ses propres règlements, qui doivent être modifiés.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie. Vous avez fait d'excellents exposés.

Pour ce qui est du commerce international, c'est toujours avec les États-Unis que nous traitons le plus souvent. Pouvez-vous nous donner des exemples montrant qu'il est plus facile de conclure des échanges commerciaux avec les États-Unis et d'autres pays qu'entre deux provinces, plus particulièrement ce qui concerne les produits pharmaceutiques? Je sais que l'industrie du camionnage se heurte à des problèmes à cet égard, mais pourriez-vous me donner d'autres exemples, s'il y en a?

M. Harrington : Le plus difficile, ce n'est pas d'exercer ses activités une fois que le produit est approuvé. Ce qui est pose problème, c'est le fait qu'il est plus facile pour une entreprise de faire approuver un produit à l'échelle fédérale au Canada si celui-ci a déjà été approuvé aux États-Unis. C'est un aspect du processus qui se déroule de façon relativement efficace et qui, à titre de comparaison, donne à peu près le même résultat. C'est lorsqu'on doit suivre les autres étapes du processus que des difficultés se posent.

Je vais vous donner un exemple concret. Aux États-Unis, l'avantage, c'est que lorsqu'un fabricant demande une modification du statut de vente d'un médicament, il doit fournir des preuves scientifiques à l'appui pour que les Canadiens puissent utiliser ce médicament en toute sécurité, sans ordonnance. En fait, les États-Unis protègent ces données afin que le fabricant puisse récupérer son investissement sur trois ans.

Il n'existe pas de processus de ce type au Canada, mais en soi, ce n'est pas une véritable pierre d'achoppement. Il est tout de même possible de faire un investissement qui rapporte, mais quand on ajoute cela aux retards attribuables aux systèmes provinciaux, bien souvent, ce qui se produit, c'est que le médicament générique est finalement distribué sur le marché en même temps que le médicament d'origine, et parfois même avant celui-ci.

C'est donc un obstacle plus important que l'absence de protection des données à l'échelle fédérale. C'est pour cette raison que nous affirmons que les barrières interprovinciales sont plus importantes. Elles ont une plus grande incidence sur la volonté d'une entreprise d'investir dans un produit dont le statut de vente a été modifié, et c'est surtout pour cette raison que nous accusons un retard de sept à neuf ans pour ce qui est des produits dont le statut de vente est modifié.

Le sénateur Enverga : Pouvez-vous nous donner des exemples pour l'industrie du camionnage?

M. Laskowski : Je dirais que depuis le 11 septembre, l'industrie du camionnage se heurte à toutes sortes de difficultés lorsqu'elle transige avec les États-Unis : en effet, elle doit composer avec une panoplie de règles et l'application de mesures douanières à la frontière, ce que j'appelle les taxes appliquées à la frontière, et avec l'application des règles établies par certains États pour les camions canadiens qui circulent près de la frontière, étant donné que des fonds leur sont accordés pour les maintenir à flot. De plus en plus, les camions canadiens sont visés par les organismes locaux d'application de la loi.

Les camions canadiens ne peuvent pas se déplacer efficacement aux États-Unis. Essentiellement, tout ce qu'ils peuvent faire, c'est décharger leurs marchandises, puis revenir au Canada avec les marchandises. Il n'est pas possible de déplacer des véhicules vides aux États-Unis.

Le 11 septembre est une date très importante dans l'histoire mondiale, mais les événements survenus ce jour-là ont eu des répercussions très importantes sur les activités de l'industrie du camionnage aux États-Unis, des répercussions qui se sont avérées très négatives.

Le sénateur Greene : Est-ce que les Américains, eux, peuvent déplacer leurs camions vides au Canada?

M. Laskowski : Non, mais comme dans toute autre situation, les gens font preuve de créativité. Ce sont les systèmes d'application de la loi qui déterminent ce qui peut être fait. Les États-Unis font preuve de vigilance à cet égard, alors qu'au Canada, on fait preuve d'un peu moins de rigueur de ce côté.

Le président : Les Américains ont enfin trouvé une façon de se soustraire au libre-échange en faisant ce que les provinces font ici.

M. Laskowski : La sénatrice Wallin en sait probablement plus à ce sujet, étant donné qu'elle a déjà été la principale responsable des négociations menées avec plusieurs États pour le compte du gouvernement fédéral. Au fil du temps, nous avons constaté que les Américains n'acquiescent à nos demandes que lorsqu'ils peuvent eux aussi en tirer un avantage.

Par exemple, depuis le 11 septembre, il est illégal pour les camions de passer par les États-Unis pour se rendre de Toronto à Vancouver, même si c'est le chemin le plus court. Pourquoi devrions-nous gaspiller de l'essence quand ce n'est pas nécessaire? Les Américains ont décidé que c'est illégal, et il en est ainsi depuis le 11 septembre. Par contre, ici, au Canada, nous autorisions les camions américains à traverser notre territoire jusqu'à ce que l'Alliance canadienne de camionnage intervienne. Nous avons alors exercé de fortes pressions et dit : « Nous ne savons pas comment vous allez transporter des marchandises jusqu'en Alaska, car la route que vous empruntez est une route de transit, mais sachez que ce qui est bon pour l'un l'est aussi pour l'autre. » C'est la même chose pour le courriel américain destiné au Michigan, qui passe par l'Ontario. Nous avons réussi à attirer leur attention. Je pense que c'est une leçon qui s'applique dans les deux cas. Lorsque c'est un aspect qui est important pour eux, ils sont disposés à négocier.

Le président : Ce sera utile pour les camionneurs dans l'Est, car en ce moment, ils sont obligés de passer par l'Ontario au lieu de prendre la route la plus directe, qui traverse Detroit.

M. Laskowski : Exactement. Pour que les sénateurs comprennent bien, il faut expliquer que pour les Américains, les frais d'enregistrement et les taxes sur l'essence sont calculés au prorata, en fonction de l'endroit par où nous passons. Si un camion passe par les États-Unis, ce pays obtient une partie de la taxe sur l'essence et des frais d'enregistrement payés pour ce camion. Donc, tout le monde reçoit de l'argent.

Le sénateur Massicotte : En ce qui concerne le camionnage, vous avez dit que les camions canadiens peuvent faire des livraisons, et vous avez dit qu'ils peuvent revenir avec les mêmes marchandises?

M. Laskowski : Avec un autre chargement. On peut se rendre chez un autre client, mais on doit revenir au pays.

Le sénateur Day : Monsieur Laskowski, vous avez indiqué que le Code canadien de sécurité a été élaboré en 1988- 1989. A-t-il été élaboré par toutes les provinces et le gouvernement fédéral, ou le gouvernement fédéral l'a-t-il imposé aux provinces?

M. Laskowski : C'est un processus auquel participent Transports Canada en tant que président et divers ministères des provinces en tant que membres du comité; c'est donc un processus bien organisé. L'industrie peut participer, et les provinces y participent également. À mesure que la technologie et les règles évoluent, on met au point ce que j'appellerai une « norme d'excellence » relativement à la rédaction des règles. Il y a 16 normes. On comprend ensuite mieux le langage et comment harmoniser les choses. Essentiellement, cela devient une approche passe-partout. Le processus est ouvert. Ce qui pose problème, ce ne sont pas les règles contenues dans le Code canadien de sécurité, mais plutôt leur mise en œuvre.

Le sénateur Day : Il me semble étrange, s'il y a eu une entente et si les provinces ont participé au processus au niveau national, qu'elles ne les mettent pas nécessairement en œuvre. Vous avez indiqué que le problème, c'est que certaines dispositions du code ne sont pas mises en œuvre.

M. Laskowski : C'est exact, sénateur. Voilà pourquoi j'ai des cheveux gris et le front dégarni.

Le sénateur Day : Mais les normes ont été élaborées sans objection au niveau national.

M. Laskowski : C'est exact, monsieur.

Le sénateur Day : Vous avez parlé avec le président du dispositif d'enregistrement électronique et vous avez indiqué qu'il sera adopté en 2019.

M. Laskowski : Oui.

Le sénateur Day : Cela ne posera-t-il pas problème? On a des raisons de croire que certaines provinces ne l'adopteront peut-être pas, même si on a convenu de son adoption à l'échelle nationale d'ici 2019.

M. Laskowski : On craint que l'histoire ne se répète, compte tenu des pratiques et des réponses des provinces au cours des 20 dernières années. J'ai du mal à comprendre qu'en 2016, un ministre des Transports décide de ne pas adopter cette technologie comme mesure visant à améliorer la sécurité routière dans sa province. Pourtant, à ce jour, seuls deux ministres provinciaux, je crois, ont appuyé publiquement cette technologie.

Le sénateur Day : Ma dernière question s'adresse à Mme Proud et à M. Harrington. Elle porte ce que vous avez dit au sujet de la façon accélérée avec laquelle on a traité la question de la naloxone en contournant certaines règles. Je pense avoir entendu M. Harrington parler d'une proposition visant à utiliser peut-être encore ce processus. Pouvez- vous nous parler de cette proposition?

M. Harrington : Oui. Puisque l'avis donné à l'OMC vise à permettre aux autres fabricants qui seraient touchés par la décision d'être informés six mois à l'avance, nous avons proposé à Santé Canada de retirer de la liste des drogues sur ordonnance, durant la période de notification de six mois, uniquement le produit pour lequel l'innovateur a présenté une demande, et à la fin de cette période, de retirer l'ingrédient dans son intégralité, ce qui aurait alors une incidence sur les autres fabricants. C'est une solution simple et élégante au problème, à notre avis, qui est tout à fait conforme à l'intention de l'OMC.

Le sénateur Day : Cette proposition a-t-elle été faite par votre association, madame Proud?

Mme Proud : Oui. Nous discutons de cette question avec Santé Canada depuis un certain temps. Nous avons préparé, ces derniers mois, une grande représentation graphique du système actuel au Canada ainsi que du système que nous voudrions qu'on mette en place. Nous nous ferons un plaisir de la transmettre au comité. Elle présente en détail les divers aspects du système, qui est complexe. C'est avec plaisir que nous vous la transmettrons.

Je n'occupe mes fonctions que depuis deux ans, et lorsque les membres de mon équipe m'expliquaient ce problème, j'avais du mal à croire que les choses pouvaient être aussi insensées en ce qui concerne les produits, mais je me suis rapidement rendu compte que c'était la vérité. Même lorsque nous parlons aux gouvernements fédéral et provinciaux, tout le monde convient que c'est un peu insensé et que des changements seraient souhaitables.

Nous pensons que si notre témoignage d'aujourd'hui permet que cette question soit incluse dans un rapport du Sénat, peut-être que cela suscitera des changements. Nous savons qu'il ne faut qu'une petite mesure, une priorité ou une mention dans le discours du Trône, ou quelque chose de ce genre, pour qu'on aborde cette question. Si cette question était mise au programme des ministres de la Santé des provinces et des territoires afin qu'ils l'examinent, alors nous pourrions faire des progrès. Nous serons heureux de vous transmettre les documents que nous avons et de vous faire part de tout autre renseignement qui pourrait vous intéresser.

Le président : Je tiens à remercier les témoins de leurs excellents exposés. C'est une excellente façon de commencer la journée.

Nous allons maintenant accueillir un seul témoin, M. Daniel Schwanen, vice-président, Recherche, Institut C.D. Howe. Je vous remercie d'être ici. Vous avez la parole, monsieur Schwanen.

Daniel Schwanen, vice-président, Recherche, Institut C.D. Howe : Merci, honorables sénateurs, de m'avoir invité à venir donner mon avis sur les problèmes liés au commerce intérieur au Canada.

L'Institut C.D. Howe est un centre d'études et de recherches indépendant en politique publique. Nous avons des centaines de membres et de boursiers partout au pays qui nous conseillent sur ce qu'ils considèrent comme étant des enjeux économiques importants qui touchent la vie des Canadiens. Nous tentons d'effectuer des recherches et des analyses sur ces enjeux et de formuler des recommandations afin d'améliorer le rendement économique du Canada et le niveau de vie des Canadiens.

Les obstacles au commerce et à l'exercice de son métier au Canada s'accumulent depuis des décennies, principalement en raison de la prolifération des programmes et des règlements dans les provinces et les territoires du Canada. C'est en grande partie accidentel. C'est un peu attribuable au protectionnisme et à une volonté délibérée, mais c'est arrivé en grande partie par accident, sur plusieurs décennies, dans les nombreux domaines où les gouvernements exercent leur compétence.

J'ai bien aimé la discussion sur les obstacles par rapport aux irritants. L'expression que nous aimons employer et qui, je crois, les reflète le mieux — sauf en ce qui concerne les obstacles directs liés au protectionnisme et à la discrimination à l'égard d'autres Canadiens —, l'expression que nous employons à l'Institut C.D. Howe, c'est la « tyrannie des petites différences ». C'est la tyrannie des différences qui sont en fait insignifiantes et tout à fait inutiles pour les gouvernements fédéral ou provinciaux pour atteindre leurs objectifs stratégiques légitimes, comme la protection des consommateurs. C'est ainsi que nous voyons cela.

Il y a également eu un débat entourant le coût de ces pratiques discriminatoires et de ces petites différences. Au cours des décennies où je me suis penché sur ces questions, les estimations au sujet des coûts ont grandement varié.

Je précise que toute estimation qui vous est fournie est habituellement une estimation de ce qu'il en a coûté à des personnes pour surmonter les obstacles, pour arriver à faire des affaires en dépit des obstacles. Quels coûts supplémentaires ont-elles dû absorber? Quels ont été les coûts supplémentaires pour les consommateurs? On ne connaît jamais les coûts des retards de sept ans, dont on vient de discuter, pour la mise en marché des médicaments. On ne connaît jamais les coûts des activités commerciales que ne font pas les entreprises parce qu'en évaluant les obstacles, elles se disent qu'il ne vaut pas la peine de contacter des clients, même si elles savent qu'elles offriraient un meilleur service. C'est trop compliqué : elles devraient enregistrer leur entreprise dans une autre province, et cetera. Il y a là un avertissement.

Ces coûts invisibles incombent pour la plupart aux petites entreprises et aux Canadiens. Les petites entreprises n'ont pas les moyens ou trouvent plus difficile d'avoir accès aux marchés étrangers, et même au marché américain, où les obstacles sont généralement plus importants. Pour étendre leur marché au-delà de leur province, elles doivent vraiment avoir accès au marché intérieur canadien.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le marché intérieur canadien a été créé, pour favoriser la croissance des entreprises et pour offrir aux Canadiens une plus grande sécurité économique. Si, dans une province donnée, il y a davantage d'emplois dans son domaine de compétence que dans une autre province, on a une protection supplémentaire et on court moins de risques, car on peut faire reconnaître ses compétences dans une autre province.

Ce sont des avantages invisibles, mais ils sont très réels. En un sens, c'est la raison pour laquelle, à mon avis, outre les questions plus générales liées à l'efficacité et à la réduction des coûts pour les consommateurs, dont viennent de parler les représentants de l'industrie des transports et de l'industrie des médicaments, il y a également ces coûts invisibles — le manque de dynamisme à l'égard des petites entreprises et le manque de protection pour que les travailleurs puissent aller là où il y a des emplois.

Il s'agit uniquement d'une vue d'ensemble. Je me penche là-dessus depuis fort longtemps et je veux souligner un point positif. Il y a un changement de mentalité à l'échelon provincial, surtout depuis le processus de négociation de l'Accord économique et commercial global avec l'Union européenne, auquel les provinces ont participé. J'entends dire et je crois que leurs efforts finiront par porter leurs fruits — les provinces et les territoires y travaillent depuis quelques années — afin de corriger au moins certaines des lacunes persistantes. Il y en a beaucoup. Même si nous avons signé l'Accord sur le commerce intérieur en 1994, il reste encore de nombreux obstacles liés à cet accord.

Les provinces et les territoires se sont servis de l'expérience de l'AECG pour déterminer, par exemple, la façon de compléter le marché intérieur canadien grâce à l'accès aux marchés publics. Il n'est pas logique que les Européens aient un meilleur accès aux marchés publics provinciaux que les personnes d'une autre province, par exemple. Les provinces et les territoires harmoniseront les règles sur le plan international; ils s'assureront que le responsable des achats de la province n'ait pas à se conformer à 30 règles différentes, une pour l'AECG, une pour l'ALENA, une pour l'Accord sur le commerce intérieur; ils s'assureront que les obstacles ne sont pas plus importants pour les Canadiens qu'ils ne le sont pour les fournisseurs qui veulent accéder aux marchés publics à partir d'un autre pays; et ils abaisseront le seuil à partir duquel les Canadiens ont un accès non discriminatoire aux marchés publics à l'échelon provincial. Ce n'est qu'un exemple.

Je n'ai pas de renseignements privilégiés, mais je pense que c'est précisément ce dont ils discutent actuellement, afin d'améliorer l'Accord sur le commerce intérieur et de miser sur l'expérience liée à la négociation internationale. Il est insensé que l'on dresse des barrières plus élevées pour les Canadiens que pour les étrangers. Nous en avons tous entendu parler. Continuons à tenter de réduire les autres obstacles à l'accès aux marchés publics, par exemple.

Je pense que, grâce à l'ACI, les provinces ont fait de véritables améliorations sur le plan de la reconnaissance mutuelle des compétences et des qualifications professionnelles dans de nombreux domaines; cependant, sur le plan de l'harmonisation des normes, il n'y a pas eu beaucoup d'améliorations. Il y en a eu quelques-unes. On vous a dit aujourd'hui que l'un des principaux irritants qui subsistent, c'est le cadre réglementaire, ou peut-être l'absence d'un tel cadre, dans l'ensemble du Canada, qui permettrait une certaine harmonisation de la réglementation; cette absence est très coûteuse pour les entreprises et les consommateurs.

Je ne devrais probablement pas croire tous les communiqués que je lis ni toutes les rumeurs que j'entends, mais je pense que des progrès sont réalisés à l'échelon provincial et territorial. Je crois qu'une annonce sera faite cette année. Toutefois, elle ne concernera pas tous les obstacles qui subsistent, y compris ceux dont on vous a parlé ce matin.

L'un des obstacles qui demeureront sans doute, et qui constituent, à mon sens, un exemple particulièrement éloquent, c'est la nécessité pour les entreprises canadiennes de s'enregistrer séparément auprès des registraires de chaque province dans laquelle elles veulent faire des affaires. C'est plutôt étrange. C'est un problème que d'autres États fédéraux — des pays très décentralisés comme la Suisse, et un peu plus centralisés comme l'Australie — ont réglé. C'est un problème pour lequel il existe des solutions techniques, malgré la grande quantité de programmes et de règlements provinciaux qui exigent que les entreprises, les provinces ou les organismes provinciaux de réglementation aient accès aux renseignements concernant une entreprise qui exerce ses activités dans la province. C'est un objectif légitime. Ce qui relève de la tyrannie des petites différences, c'est le fait qu'on doit s'enregistrer séparément dans chacune des provinces pour faire des affaires. En Alberta, on doit même être inscrit dans l'annuaire téléphonique. C'est curieux.

Il y a en fait seulement deux provinces, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, qui ont une reconnaissance mutuelle : si on est enregistré dans l'une, on peut faire des affaires dans l'autre, et vice versa, sans avoir besoin de s'enregistrer à nouveau. Je pourrais vous en parler longuement. C'est l'exemple parfait d'une barrière qui pourrait être éliminée. Cela ne coûte pas des centaines de millions de dollars annuellement à l'économie canadienne — tout au plus des dizaines de millions. Néanmoins, j'ai du mal à comprendre, à l'ère où nous stockons des renseignements dans un nuage, notamment, que l'on doive s'enregistrer séparément dans toutes ces provinces pour pouvoir faire des affaires. Je me répète.

Le président : Devrait-on s'enregistrer dans toutes les provinces chaque année?

M. Schwanen : Oui. On doit parfois avoir un représentant. Si on vient d'une autre province, on doit s'inscrire par l'intermédiaire d'un cabinet d'avocats de la province. Tous ces obstacles attirent leurs propres clientèles, les gens qui travaillent dans le domaine ou certaines bureaucraties concernées, mais je n'en dirai pas plus.

Il y a un autre exemple frappant, qui est un peu plus délicat, mais bien réel : l'appui du gouvernement au maintien des barrières au commerce intérieur et son rôle décisif à cet égard. J'invite les membres du comité à s'intéresser aussi à cet aspect, car un jugement rendu récemment par un tribunal provincial du Nouveau-Brunswick nous a rappelé cette réalité. Le meilleur exemple — et je me dois de le mentionner — est le soutien du fédéral pour la gestion de l'offre avec des quotas individuels pour chaque province. Pareil système ne pourrait pas exister sans les lois fédérales.

Je ne veux pas prendre une position trop dogmatique à ce sujet, mais je crois — et je conclurai sur ce point — que le gouvernement fédéral pourrait agir en amont de manière plus musclée — ai-je vraiment écrit cela? — pour s'assurer que les lois fédérales sont conformes à l'article 121, d'une part, et pour vérifier la conformité des lois fédérales d'autre part.

En outre, il faudrait utiliser les pouvoirs en matière de commerce pour à tout le moins interdire aux provinces de maintenir des barrières à l'encontre d'autres Canadiens qui sont plus élevées que celles auxquelles sont soumis les non-Canadiens. Pourquoi cela devrait-il faire l'objet de négociations fédérales-provinciales? Il devrait plutôt s'agir d'un principe de notre union économique que le gouvernement peut appliquer. Je pourrais continuer. Le pouvoir fédéral a déjà contribué par le passé à résoudre certains problèmes liés au transport de surface. Pensons aux autobus interurbains ou interprovinciaux dans les années 1980. Il serait possible de résoudre certains des problèmes évoqués ce matin d'une manière plus proactive compte tenu des responsabilités fédérales vis-à-vis l'union économique.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Nous passons maintenant à Robert Carberry, qui est secrétaire adjoint du Conseil de coopération Canada-États-Unis et à Philippe Massé, qui est directeur général, Intégration au marché du travail de la Direction générale des compétences et de l'emploi. Monsieur Carberry, c'est à vous.

Robert Carberry, secrétaire adjoint, Conseil de coopération Canada-États-Unis en matière de réglementation, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada : Je vous remercie beaucoup. Je crois que Karen Proud était ici tout à l'heure, et qu'elle a parlé de l'événement qui a eu lieu à Washington la semaine dernière. C'était notre événement; nous avons donc survécu.

Je vais simplement lire une partie de ma déclaration préliminaire. Elle n'est pas très longue, afin de laisser le plus de temps possible pour les questions.

En février 2011, le premier ministre du Canada et le président des États-Unis ont annoncé la création du Conseil de coopération en matière de réglementation dont l'objectif était de favoriser une coopération plus étroite en matière de réglementation entre les deux pays.

Les chaînes de fabrication et d'approvisionnement ont été les premières touchées, puisque l'on reconnaissait que le va-et-vient des produits entre nos deux pays avait une incidence sur le coût de la production qui nuisait à la compétitivité économique des deux pays. L'objectif était de régler ce problème.

Un secrétariat a été créé des deux côtés de la frontière afin de collaborer et de renforcer les efforts dans le domaine de la coopération en matière de réglementation, de manière à stimuler le commerce et la compétitivité en Amérique du Nord. Je suis responsable de tous les aspects du secrétariat canadien depuis sa création. Mon homologue travaille à l'Executive Office Branch de la Maison-Blanche. Les employés de l'organisme sont très compétents et ils ont été des partenaires dynamiques au cours des cinq dernières années.

Le Canada et les États-Unis possèdent le marché et la relation de fabrication les plus intégrés au monde. Toutefois, il existe deux systèmes de réglementation indépendants, qui se répercutent sur toutes les chaînes d'approvisionnement et tous les produits, ce qui entraîne des exigences et des coûts inutiles et en double pour les fabricants, les organismes de réglementation et les consommateurs. En termes simples, les organismes de réglementation du Canada et des États- Unis passent tout au peigne fin et font un double exercice. Le but de la coopération en matière de réglementation est d'éviter ces exigences inutiles et de procurer des avantages aux parties réglementées, aux consommateurs et aux organismes de réglementation.

Les travaux ont commencé lors de la création d'un plan d'action initial comportant environ 29 volets de travail. Pendant que nous travaillions sur ces 29 volets, nous savions que nous en créerions 229 autres, mais il fallait commencer quelque part. Le travail prévoyait des initiatives dans 14 ministères fédéraux des deux côtés de la frontière, au Canada et aux États-Unis, et englobait une vaste gamme d'activités liées à la santé, la sécurité et l'environnement.

Le premier plan d'action se voulait simplement une première étape pour engager le dialogue et tirer des enseignements. C'est moi qui ai rencontré tous les ministères et départements de réglementation du Canada et des États-Unis. Quand j'annonçais que j'étais là pour parler de compétitivité économique, j'obtenais la même réponse des deux côtés de la frontière. On me disait : « Nous nous occupons de santé et de sécurité; notre travail n'a aucune incidence sur l'économie. » Cette façon de voir a beaucoup changé au cours des cinq dernières années. Quand je dis que nous voulons dialoguer d'une nouvelle façon, c'est ce à quoi je pense.

Pendant la première partie du plan d'action initial, nous avons donc eu le temps d'examiner des façons de parvenir à une coopération systémique en matière de réglementation entre le Canada et les États-Unis plutôt que d'avoir à mener une série d'initiatives comme nous le faisions par le passé. Lorsque nous avons mis en place le plan d'action initial, j'ai inséré une phrase qui disait : « Nous travaillerons à la création de mécanismes d'harmonisation continus. » Lorsque des gens me demandaient de quoi il s'agissait, je quittais la salle rapidement. J'avais le concept, mais je ne savais pas quelle forme celui-ci prendrait. Toutefois, cette idée a vu le jour pendant la période initiale.

Le plan d'action initial nous a rapporté gros. Il a ouvert un nouveau dialogue entre les organismes de réglementation. Il a ajouté une nouvelle optique et a légitimé la discussion sur les conséquences économiques dans le contexte des résultats recherchés en matière de santé et de sécurité, sans considérer que cet aspect était contraire aux résultats en question, ce qui était important. Il a précisé les diverses catégories d'avantages qui pouvaient être réalisés et qui se divisent en trois groupes : les entreprises, les consommateurs et les organismes de réglementation en soi.

Le plan d'action a démontré que l'accent est rarement mis sur la réglementation, mais plutôt sur la mise en œuvre. Je l'ai dit à maintes reprises. La même réglementation au Canada et aux États-Unis nous obligerait tout de même à tout faire en double, il faut donc s'attaquer aux procédures de mise en œuvre.

Le plan d'action nous a également montré que la coopération en matière de réglementation systémique pose des obstacles et des problèmes bien réels quant à la façon dont pourraient s'articuler un financement conjoint ou le partage et l'utilisation de renseignements. Nous travaillons donc à certains de ces aspects.

L'approche globale a insufflé beaucoup de dynamisme, ce qui a aussi été fort utile. Le plan d'action a souligné le rôle important des intervenants, qui a maintenant été intégré. Il a réussi à valider le principe grâce à une foule d'initiatives individuelles qui ont très bien fonctionné, et il nous a permis de déterminer quel type de modèle il faudrait mettre en place pour parvenir à une coopération continue

Ce dernier aspect a suscité beaucoup d'attention; nous cherchions une façon d'y parvenir en permanence. Il est devenu évident que les divergences ne se produisaient pas parce que le Canada et les États-Unis recherchaient des résultats différents en matière de réglementation; elles s'expliquaient simplement par le fait que nous n'avions pas pris le temps de trouver ensemble un moyen d'atteindre ces résultats de la même façon. Il n'existait pas de mécanismes officiels bien organisés pour planifier ensemble et harmoniser les orientations et les efforts.

Je raconte parfois une anecdote à ce sujet : nous nous livrons à l'intégration des économies depuis l'époque des chariots couverts. Nous avons produit et fabriqué en commun des objets. Nous avons fait face à des problèmes communs provenant de l'étranger. Toutefois, ce faisant, nous avons aussi développé deux systèmes réglementaires de calibre mondial, des systèmes réglementaires qui ne reconnaissent pas la qualité du travail accompli dans l'autre pays. Aucun pont n'a été construit. Personne n'avait prévu trouver un partenaire compétent et plein de bonne volonté de l'autre côté de la frontière.

J'ai amené mon fils à Alamo, il y a quelques années. J'avais trop attendu avant d'acheter des billets pour la Floride pour la semaine de relâche, je l'ai donc amené à Alamo. Je me suis rendu compte que je ne craignais pas de respirer l'air qui m'entourait, de boire l'eau, de manger la nourriture, de louer et de conduire un véhicule ou d'acheter des médicaments en vente libre parce que je savais que le système de réglementation fonctionne. Je sais que lorsque mes collègues des États-Unis viennent au Canada, ils ont le même sentiment. Il y a cependant deux choses qui ne reconnaissent pas cela : nos systèmes de réglementation. Voilà ce sur quoi nous avons travaillé. Nous avons fait en sorte que les organismes de réglementation et les systèmes de réglementation reconnaissent qu'il y a du bon travail qui se fait de l'autre côté de la frontière, et qu'il n'est pas nécessaire de tout faire en double.

Les leçons tirées ont mené à la publication d'un plan prospectif conjoint en 2014, qui marquait la transition vers une nouvelle relation en matière de réglementation entre le Canada et les États-Unis. Le plan prospectif était bien différent du plan initial, qui portait sur les sujets de l'heure — il était très axé sur des questions. C'était la meilleure façon de commencer, car il fallait un point de départ pour nouer un dialogue. Toutefois, nous avons mis le plan en place pour jeter les bases d'une coopération institutionnalisée en matière de réglementation entre les deux pays.

Nous avons prévu trois choses dans le plan prospectif. Nous avons demandé des ententes publiques entre les organismes de réglementation ayant un mandat semblable au Canada et aux États-Unis afin qu'ils assument un rôle de chef de file dans le cadre de la coopération en matière de réglementation — ce n'est pas toujours le rôle du centre, et les organismes doivent l'accepter. Ceux-ci doivent préparer des plans chaque année, en créant des comités de haut niveau : Santé Canada et la Food and Drug Administration ainsi que l'Agence canadienne d'inspection des aliments et le département de l'Agriculture des États-Unis. Ces regroupements ont pris forme. Il y a 16 partenariats de ce genre en place.

Nous sommes passés d'une approche visant une question à la fois à une autre qui prévoit des engagements à plus long terme. Au lieu de régler un problème touchant deux normes de sécurité des véhicules automobiles, nous avons dit : « À partir de maintenant, nous harmoniserons toutes les normes dans ces ensembles de normes. Il nous faudra un peu de temps, mais c'est le niveau d'engagement que nous prenons, et nous l'indiquerons dans des plans d'action annuels afin de pouvoir montrer ce que nous faisons chaque année. » Nous avons également officialisé le rôle d'intervenants sur les plans stratégique et technique.

Nous avons mis ces ententes en place. La semaine dernière, l'activité dont Karen a parlé a marqué le lancement des comités de haut niveau et la prise en charge du cycle de planification par les ministères et les départements. Il y avait plus de 420 participants inscrits à cet événement, notamment des cadres supérieurs des organismes de réglementation, mais surtout des représentants de l'industrie. Lorsque j'ai commencé, il fallait rencontrer les gens cinq à la fois dans une pièce. Il s'agit d'un gros changement en cinq ans. Il y a eu beaucoup de mouvement. L'espace a changé et l'approche également.

Mais surtout, nous visons maintenant des objectifs à court, moyen et long termes. Nous avons appris que si une mesure législative a déjà été proposée, il est très difficile de s'en défaire. Les gens doivent travailler ensemble et réfléchir à la prochaine génération de réglementation, aux nouvelles technologies qui s'annoncent et à la façon dont nous pourrions les aborder ensemble. Je pense aux nanotechnologies, à la biologie synthétique, ce genre de choses.

Le 10 mars, le premier ministre Trudeau et le président se sont de nouveau rencontrés, et nous avons apporté quelques améliorations à notre approche afin de créer un groupe de spécialistes, de consommateur et de représentants de l'industrie, afin de discuter avec eux de l'orientation à prendre et de veiller, désormais, à insister sur les questions concernant les consommateurs. Nous inclurons les fonctionnaires dans la gouvernance globale afin qu'ils en soient partie prenante. Nous avons demandé de recevoir le plan de travail le plus ambitieux jamais envisagé entre le Canada et les États-Unis d'ici le 1er juillet de cette année. Le premier comportait 29 points, et le dernier, environ 120. Nous voulons que celui-ci soit encore plus gros, sans compter que ce sont de nouveaux organismes qui participent.

Je ferais également valoir que nous travaillons à ce dossier entre le Canada et les États-Unis depuis cinq ans, et que la coopération internationale en matière de réglementation apparaît maintenant comme un aspect véritablement intéressant et important du travail à venir. Tous les obstacles d'ordre technique de l'OMC au commerce et les exigences, les droits de douane et les normes sanitaires et phytosanitaires sont en quelque sorte réglés. Nous en sommes maintenant à la coopération en matière de réglementation, où nous avons des circuits de distribution existants et ce genre de choses. Nous nous en servirons pour éliminer certains coûts inutiles dans le système.

Il y a beaucoup d'échanges à ce sujet. Le modèle canadien est tenu en très haute estime. C'est celui que les gens veulent voir appliqué partout, parce qu'il est plein de bon sens. Nous devrions être très fiers de ce que nous avons réussi à accomplir. Nous devrions être fiers du fait qu'avec les États-Unis, c'est nous qui avons pris les devants; nous avons fait preuve d'un leadership éclairé qui se poursuivra aux autres étapes de ce dossier. L'exercice et l'expérience ont été véritablement uniques pour quelqu'un comme moi, qui, tout au long d'une carrière de 37 ans, avais argumenté sur tant de choses avec les États-Unis.

J'étais le vice-président de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, j'ai donc été au centre de toute sorte de dossiers comme l'encéphalopathie spongiforme bovine et l'interdiction d'importer des pommes de terre de l'Île-du- Prince-Édouard. Aujourd'hui, je construis des ponts. J'aime beaucoup mieux cela.

Voilà où nous en sommes. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.

Le président : Je vous remercie, monsieur Carberry. Monsieur Massé, c'est votre tour.

[Français]

Philippe Massé, directeur général, Intégration au marché du travail, Direction générale des compétences et de l'emploi, Emploi et Développement Canada (EDSC) : Bonjour, je suis directeur général de la Direction de l'intégration au marché du travail à Emploi et Développement social Canada.

Une partie de mes responsabilités est de travailler en coopération avec les gouvernements des provinces et des territoires afin de favoriser la mobilité de la main-d'œuvre au Canada. Je vais parler un peu de ces activités et exposer comment elles sont gérées au sein du Forum des ministres sur le marché du travail (FMMT). En particulier, j'aimerais parler de l'évolution de la mobilité de la main-d'œuvre dans le contexte de l'Accord sur le commerce intérieur (ACI). Des structures sont en place pour appuyer sa mise en œuvre. Je vais aborder également le Programme du Sceau rouge et le travail actuel du Conseil canadien des directeurs de l'apprentissage en faveur de la promotion de la mobilité de la main-d'œuvre dans les métiers spécialisés au Canada.

[Traduction]

Je vais vous donner une idée de la situation globale de la mobilité de la main-d'œuvre au Canada. La mobilité de la main-d'œuvre est un aspect important d'une économie et d'un marché du travail fonctionnant bien. En effet, elle facilite la redistribution efficace des travailleurs des secteurs ayant une faible demande de travailleurs vers les secteurs où la demande est élevée et elle permet aux Canadiens de tirer parti des possibilités d'emploi.

La majorité des Canadiens qui se déplacent de façon permanente chaque année — ils sont environ 1,2 million — déménagent au sein d'une province ou d'un territoire. Il y en a 300 000 autres qui déménagent d'une province à une autre. Environ 20 p. 100 des personnes qui quittent une province pour une autre mentionnent que la principale raison de leur déménagement est l'emploi. Il y a aussi, bien entendu, un nombre important de travailleurs qui demeurent dans une province ou un territoire, mais qui travaillent ou qui déménagent temporairement ailleurs au pays afin de tirer parti des possibilités d'emploi.

La majorité de la population active du Canada travaille au sein d'une profession non réglementée. On estime que de 15 p. 100 à 20 p. 100 des gens travaillent dans une profession réglementée, notamment dans des domaines où il est nécessaire d'avoir un permis pour être reconnu par un organisme de réglementation de la province ou du territoire où ils veulent exercer leur métier.

L'Accord sur le commerce international, comme vous le savez, a été signé en 1994 dans le but de faciliter les déplacements des biens et des travailleurs à l'échelle du Canada. Le chapitre 7 traite de la mobilité de la main-d'œuvre. Bien qu'il soit spécialement conçu pour éliminer ou réduire les obstacles interprovinciaux qui restreignent ou réduisent la mobilité au Canada, ce n'est pas ainsi que cela a commencé. Pendant plus de dix ans, la mobilité était fragmentée entre les professions et les provinces et les territoires. Il n'y avait pas beaucoup de progrès en vue d'atteindre une pleine mobilité interprovinciale. Jusqu'en 2009, plusieurs professions étaient incapables de surmonter les différences entre les normes des différentes administrations.

En 2009, des modifications apportées au chapitre 7 ont renforcé la mobilité des travailleurs sous réglementation par la mise en place du principe fondamental de la reconnaissance individuelle des titres de compétences. Comme son nom l'indique, la reconnaissance permet à un travailleur autorisé à exercer une profession réglementée dans une province ou un territoire d'être autorisé à exercer cette profession partout au Canada sans que d'autres exigences matérielles en matière de formation, d'expérience ou d'évaluation soient requises.

Les modifications ont essentiellement renversé le fardeau de l'établissement de la preuve de compétence des travailleurs vers les organismes de réglementation. Les provinces et les territoires doivent désormais démontrer pourquoi un travailleur accrédité dans une administration n'a pas les qualifications nécessaires pour obtenir l'accréditation délivrée au sein de leur administration. Le chapitre 7 ne contient aucune obligation pour les provinces, et les gouvernements peuvent approuver des exceptions à la mobilité pour certaines professions. Par exemple, dans le domaine juridique, un avocat du Québec qui pratique le droit civil et qui a l'intention de s'installer dans une autre province doit suivre une formation supplémentaire en common law afin d'être en mesure de pratiquer le droit. Ces exceptions ne se veulent pas restrictives en concentrant des obstacles, elles sont plutôt un moyen de communiquer aux Canadiens quelles exigences supplémentaires il leur faudra peut-être satisfaire pour un emploi donné. En principe, elles sont publiées. Les Canadiens ont accès à l'information. Il y a actuellement 44 exceptions prévues couvrant 14 professions.

La mise en œuvre du chapitre 7 est un bon exemple de collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux. C'est le Forum des ministres du marché du travail, un comité ministériel co-présidé par le ministre de l'Emploi et du Développement social et un coprésident provincial qui assume un mandat de deux ans par rotation, qui en a la responsabilité. Le coprésident actuel est du Québec. Au sein de ce comité, il y a un Groupe coordonnateur de la mobilité de la main-d'œuvre chargé de la mise en œuvre du chapitre 7. Nous travaillons ensemble par l'entremise de différents sous-comités. Ces derniers examinent, en vue d'en discuter, les interprétations de politiques, les exceptions en matière de mobilité entre les provinces et les territoires et les stratégies de communication pour s'assurer que les travailleurs et les représentants des organismes de réglementation ont accès à l'information.

Le Forum des ministres du marché du travail fait annuellement rapport au Comité sur le commerce intérieur pour faire le point sur la mise en œuvre. Règle générale, tous s'entendent sur le fait que le chapitre fonctionne bien. Je ne peux pas parler de l'état des négociations à ce jour, mais aucune province et aucun territoire n'ont indiqué qu'ils souhaitent apporter des modifications fondamentales au fonctionnement du chapitre, qui repose sur l'approche de la liste négative. Vous en avez sûrement beaucoup entendu parler au cours des audiences. Cette approche porte sur toutes les professions réglementées et elle est perçue comme étant une approche modèle qui pourrait ou devrait être reflétée dans un accord plus vaste.

[Français]

Je vais parler du Programme du Sceau rouge. En général, il s'agit de la norme d'excellence au Canada pour les métiers spécialisés. Il permet aux gens de métiers de faire reconnaître leurs compétences partout au Canada.

La formation en apprentissage et la reconnaissance professionnelle forment un système axé sur les besoins de l'industrie sous contrôle provincial et territorial. Le Sceau rouge est en place depuis le début des années 1950 et joue un rôle essentiel dans l'élaboration de normes et d'examens pancanadiens qui établissent le fondement pour la mobilité dans les métiers spécialisés. Il existe 57 métiers désignés Sceau rouge, qui représentent 77 p. 100 de tous les apprentis inscrits.

Emploi et Développement social Canada collabore avec les provinces afin de gérer et de mettre en œuvre le Programme du Sceau rouge, par l'intermédiaire du Conseil canadien des directeurs de l'apprentissage (CCDA) au Canada.

Le cœur du Programme du Sceau rouge réside dans la qualité des normes interprovinciales pour l'industrie, en fonction desquelles les gens de métier peuvent être formés et évalués. Le CCDA collabore afin d'établir ces normes de concert avec les secteurs et les autres professionnels partout au Canada.

L'approche axée sur la collaboration du Programme du Sceau rouge vise à établir les normes et examens nationaux, et permet à toutes les provinces et à tous les territoires de former des apprentis en fonction des mêmes normes de reconnaissance professionnelle dans les métiers spécialisés.

Cela crée une fondation solide pour faciliter la mobilité de la main-d'œuvre, puisque les certificats d'aptitude professionnelle qui arborent la mention du Sceau rouge sont automatiquement reconnus partout au Canada. De plus, le chapitre 7 de l'ACI prévoit la reconnaissance des travailleurs qualifiés dans des métiers non désignés par le Sceau rouge dans toutes les juridictions.

[Traduction]

Pour améliorer la mobilité dans les métiers, le gouvernement du Canada et les provinces et territoires œuvrent de concert avec l'industrie en vue d'harmoniser l'apprentissage. C'est chose faite pour les compagnons et la reconnaissance professionnelle. Nous nous occupons maintenant des apprentis afin d'harmoniser davantage leur formation et d'améliorer leur mobilité.

Il y a quatre aspects auxquels les provinces s'intéressent tout particulièrement : l'utilisation du nom du métier afin que tous utilisent le même nom; le nombre total d'heures de formation; le nombre de niveaux de formation technique — il y en a généralement trois ou quatre par métier — et l'ordonnancement de la formation en classe, pour que le même cours soit donné la même année.

Il s'agit là de l'une des priorités du Forum des ministres du marché du travail. En juillet dernier, les ministres ont annoncé d'importants progrès, car les dix premiers métiers seront mis en œuvre dans la plupart des provinces et territoires en septembre 2016. Nous avons hâte d'harmoniser le deux tiers des métiers Sceau rouge, c'est-à-dire 30 sur 57, d'ici 2017. Il y a un grand dynamisme et une solide collaboration avec l'industrie qui favorisent les progrès soutenus.

En conclusion, la mobilité au Canada en vertu de l'Accord sur le commerce intérieur se fait bien. C'est un bon exemple de collaboration intergouvernemental étant donné la façon dont elle a évolué et dont elle a été mise en œuvre.

Le Programme du Sceau rouge, qui est plus vieux que le chapitre 7, est encore essentiel et pertinent en raison d'un appui fort des industries dans le cadre de la gestion et de la prestation du programme actuel et de l'initiative visant l'harmonisation de la formation en apprentissage. Dans l'ensemble, ces mesures contribuent à créer un marché du travail stable et efficace.

Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

Le président : Je vous remercie, monsieur Massé.

La sénatrice Wallin : Monsieur Carberry, j'aimerais simplement une précision. Si j'ai bien compris, vous dites que l'approche états-unienne en matière de réglementation — leur façon de gérer les États et le reste — devrait ou pourrait servir de modèle ici, bref, qu'elle fonctionne mieux. Par contre, le modèle canadien en matière de discussion est considéré comme exemplaire, et c'est là que vous ou d'autres avez pris les devants. Ai-je bien compris?

M. Carberry : Ce n'est pas tout à fait cela. Notre travail s'est limité aux relations interfédérales. Je dois dire, quand je vois la panoplie de règlements des États, que les États-Unis ont probablement plus de pain sur la planche que le Canada.

Toutefois, j'ai parlé aux provinces des possibilités associées aux efforts fédéraux entre le Canada et les États-Unis. Il y a deux choses. L'une porte sur la façon de déterminer les mesures à prendre dans les provinces et les territoires, et l'autre sur la façon de s'y prendre.

Notre formule a été un succès, ce qui en a surpris plus d'un. Pour ce qui est des mesures à prendre, je leur ai dit deux choses. Premièrement, si nous avons pris la peine d'harmoniser des choses au niveau fédéral entre les deux pays, comme les normes d'efficacité énergétique pour les appareils, adoptons-les. La création d'une nouvelle norme provinciale n'est pas particulièrement utile. Il serait extrêmement utile de suivre la norme fédérale dans les domaines qui tendent à relever du fédéral. Je pense à des normes comme celles en matière d'environnement et d'émissions, par exemple.

Deuxièmement, l'industrie nous a demandé d'étudier de nombreux points, mais il n'a pas été possible de le faire, car il y a trop de lois et de règlements en cause dans les provinces et les États, dans le cas du camionnage, notamment. Elle voulait que nous nous penchions sur la circulation des camions sur les routes. Nous ne pouvions pas; c'était trop. Il y a aussi un aspect fédéral à cela. Nous leur demandons par conséquent de dégager la voie et d'établir une priorité pour que du côté fédéral, nous puissions travailler avec nos homologues des États-Unis. Voilà qui serait également utile.

Pour ce qui est des leçons qui m'apparaissent applicables dans les deux cas, et probablement avec d'autres pays, nous nous sommes attaqués à des dossiers où il y avait de la bonne volonté. On ne peut imposer ce genre d'exercice à personne. Il faut des partenaires motivés de part et d'autre, qu'il s'agisse du gouvernement fédéral, des provinces ou des territoires.

Nous avons aussi tenté d'éviter d'adopter la norme d'un pays au détriment de l'autre. Nous avons cherché des occasions où nous avions tous deux à nous améliorer, car on peut alors travailler en commun et parvenir au même résultat sans que personne soit accusé d'avoir adopté les normes de l'autre, renoncé à sa souveraineté ou, selon certains, perdu du galon. Nous nous sommes efforcés au cours de l'exercice de toujours viser à améliorer les choses et à le faire en commun. Cette façon de faire a également été fort utile. Nous avons entièrement évité l'idée de l'adoption, ce qui a donné de bons résultats.

Troisièmement, il n'est pas essentiel que tout le monde soit de la partie. Je sais que j'ai choqué quelqu'un en disant cela. À l'heure actuelle, nous devons composer avec une situation, dans l'industrie des cosmétiques. Il y a six pays qui représentent 65 p. 100 du marché : le Canada, les États-Unis, le Japon, le Brésil, l'Union européenne et la Chine, à titre d'observateur. Ces pays ont défini une norme qui fonctionnerait bien pour tout le monde. Elle n'est pas restreinte à un accord de libre-échange particulier. Vous n'avez donc pas à forcer tous les pays à signer l'accord de libre-échange pour y adhérer. Ce n'est pas une norme internationale; c'est un peu comme une offre groupée. Si la bonne volonté l'emporte, il n'est plus nécessaire d'obtenir six approbations de produits, six formules différentes et tout le reste. Nous cherchons les occasions où il y a de la bonne volonté et une réelle possibilité. Voilà où nous concentrons nos efforts.

La sénatrice Wallin : Voilà qui est fort utile.

Monsieur Schwanen, vous avez parlé du rôle du gouvernement fédéral. Nous avons entendu beaucoup de témoignages disant que celui-ci contribue au problème plutôt qu'à la solution, sans compter qu'il y a maintenant la décision rendue au Nouveau-Brunswick. Vous me semblez toutefois fort optimiste quant à la possibilité d'une entente. Est-ce que j'ai mal compris ou est-ce simplement de l'espoir?

M. Schwanen : Non, vous m'avez bien compris.

La sénatrice Wallin : À partir de quel moment — nous avons eu cette discussion avec quelques témoins — devons- nous nous dire que nous avons eu tout le temps nécessaire, mais qu'étant donné que rien n'y fait, il faudrait peut-être essayer autre chose, comme un renvoi à la Cour suprême, ou je ne sais quoi, sur la grande question ou le problème précis, afin de faire avancer les choses?

M. Schwanen : Je vous remercie. Je crois que je suis optimiste au sujet d'une entente portant sur certaines questions en suspens. Je parlais des marchés publics, et plus particulièrement de la mobilité de la main-d'œuvre. Je crois que c'est une réalisation particulière de l'Accord sur le commerce intérieur, bien qu'il nous ait fallu beaucoup de temps pour en arriver là où nous sommes.

Je vais répondre à votre question d'abord indirectement. Lors de la signature de l'Accord sur le commerce intérieur, le contexte a fait en sorte que tous les représentants des provinces, y compris, à l'époque, M. Parizeau, ont apposé leur signature en disant « nous ne ferons pas de discrimination » et le reste.

Les choses se sont étirées en longueur, entre autres sur la question de la mobilité de la main-d'œuvre. Il est vrai que nous sommes parvenus à nous entendre sur les marchés et l'harmonisation de la réglementation, particulièrement en ce qui a trait à la couleur de la margarine et ainsi de suite. Des groupes spéciaux ont émis des avis sur les règlements des provinces, mais leurs décisions n'ont pas été respectées, car ils n'avaient pas le pouvoir d'imposer la mise en place de leurs conclusions ou de leurs recommandations.

En ce qui concerne l'Accord sur le commerce intérieur, je pense aux gouvernements qui ont apposé leur signature sur des ententes qui ne prévoient aucun changement à leurs responsabilités constitutionnelles. Nous en revenons donc au gouvernement fédéral. Ils ont tous signé. Vous avez donc maintenant l'autorité morale voulue pour exercer votre pouvoir constitutionnel sur le commerce. Il s'agit là d'un obstacle majeur au commerce, surtout si l'on considère nos accords internationaux. Mettons en œuvre ce que nous avions dit que nous mettrions en œuvre. Je dirais que cela s'applique au transport et ainsi de suite.

Pour répondre à votre question, c'était peut-être en 1994, mais c'est encore plus vrai maintenant qu'il y a de la coopération. Nous n'avons pas la carotte de l'argent qu'ont les gouvernements de l'Australie et des États-Unis. Les provinces canadiennes dépensent beaucoup, mais elles génèrent aussi d'importantes recettes par leurs propres moyens. Cependant, puisque tout le monde est d'accord avec le principe, nous allons prendre les choses en main et, au fond, appliquer la Constitution.

Il faut donc du leadership, et il doit venir du niveau fédéral. Les conditions sont propices, maintenant qu'il y a une entente de principe sur un grand nombre de ces aspects.

Le sénateur Day : Monsieur Carberry, si j'ai bien compris votre présentation et ce que vous venez de dire à la sénatrice Wallin, le problème, ce n'est pas le chevauchement réglementaire entre le Canada et les États-Unis, mais plutôt — et nous étudions le commerce interprovincial — le grand problème de l'incompatibilité et du chevauchement réglementaire au sein des provinces au Canada. Vous avez indiqué que les États-Unis ont aussi tout un défi à relever à cet égard. Y a-t-il, aux États-Unis, un organisme regroupant plusieurs États semblable au Conseil de coopération en matière de réglementation? Si un tel organisme existe, pourriez-vous nous en parler un peu?

M. Carberry : Pour autant que je sache, il n'y a rien d'équivalent à ce que l'industrie tente de faire à l'heure actuelle avec l'Accord sur le commerce intérieur.

En réaction à ce que nous faisons, nous avons été approchés par de nombreuses industries relevant principalement du provincial, comme la plomberie, le chauffage et l'électricité. Leurs représentants sont venus nous voir, et il y a eu tout un mouvement pour s'amarrer à nos voiles en disant qu'il y avait une nouvelle confiance entre les pays et qu'un énorme travail avait été accompli sur les normes facultatives. Les normes facultatives sont celles adoptées dans les codes provinciaux. J'ai vu des progrès appréciables, mais ce sont les organismes canadiens qui en ont parlé aux États- Unis et qui tentent de guider les choses.

Il y a un lien avec ce que le Conseil canadien des normes et leurs divers organismes approuvés tentent de faire. Il y a donc un effort qui est fourni, mais pas directement par notre entremise. En fait, c'est l'industrie qui pousse en ce sens. Toutefois, pour ce qui est d'un organisme réunissant le gouvernement fédéral et les États aux États-Unis, il n'y a rien de semblable pour l'instant. Le niveau fédéral offre une abondance extraordinaire de cibles, il y a donc beaucoup de bien qui peut en découler.

Le sénateur Day : Est-ce vous qui avez dit que le Canada est un modèle?

M. Carberry : Oui.

Le sénateur Day : Je comprends cela. Est-ce dans le secteur touchant aux aspects axés sur l'industrie?

M. Carberry : Non, c'est surtout en ce qui a trait aux mesures interfédérales. Il existe quelques autres modèles. Il y a celui de l'Union européenne, mais ce modèle prévoit un contrôle général des pays membres. Nous ne ferons cela avec personne. D'ailleurs, ce modèle est inapproprié pour mettre les choses en train avec d'autres pays. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont apporté des modifications d'ordre physique à certains de leurs ministères. Ceux-ci font rapport conjointement aux deux Parlements. Nous ne pouvons pas faire cela avec les États-Unis. Il serait difficile de leur faire adopter un système de gouvernement britannique. Il me faudrait des semaines.

Notre modèle porte sur les organismes de réglementation et les circuits de distribution tout en laissant une grande place aux intervenants. Je crois qu'il est applicable partout. Chaque fois que je vais aux États-Unis, la Commission de l'Union européenne ne nous laisse aucun répit : « Quelles sont vos idées actuellement? » Le modèle canado-états-unien est perçu comme l'un des exercices les plus réussis dans cet espace au cours des cinq à dix dernières années. Il y a beaucoup de gens qui s'intéressent à ce que nous faisons, mais je parle de l'aspect interfédéral.

Le sénateur Day : Monsieur Massé, vous avez parlé de l'élaboration de la nouvelle initiative concernant l'apprentissage, qui s'apparente au Programme du Sceau rouge pour les gens de métiers, puis vous avez parlé du programme d'apprentissage qui est coordonné de façon similaire. J'ai trouvé ceci dans votre déclaration : « Étant donné que les apprentis ne sont pas couverts en vertu du chapitre 7 de l'ACI », les choses peuvent aller plus rapidement. J'ai trouvé cela fort intéressant. Pouvez-vous nous dire quel est le problème du chapitre 7 de l'Accord commercial intérieur? Le Programme du Sceau rouge a pris forme grâce à des initiatives de l'industrie en dehors du chapitre 7. Avons-nous besoin du chapitre 7?

M. Massé : C'est une question maintenant que le chapitre 7 existe. Le Programme du Sceau rouge existe depuis 1959; il existait donc avant le chapitre 7. L'industrie a voulu élaborer ces normes nationales et désigner les normes et les compétences de base requises pour exercer un métier au Canada. Les provinces et le gouvernement fédéral y avaient collaboré à l'époque et on compte aujourd'hui 57 métiers désignés Sceau rouge. Ce sont des métiers de portée nationale pratiqués par de nombreuses personnes, et le chapitre 7 est arrivé après seulement. Ces gens sont accrédités. Ils ont terminé leur formation en apprentissage et sont donc des compagnons accrédités, et l'on souhaitait permettre la mobilité dans les métiers spécialisés. L'évolution n'a pas été la même dans les autres domaines, alors le chapitre 7 couvre le reste. Le Programme du Sceau rouge conserve sa valeur parce que, techniquement, il n'est pas requis. Un travailleur qui a obtenu un certificat d'une école de métiers peut travailler dans n'importe quelle province. Le Programme du Sceau rouge s'ajoute à l'attestation provinciale. Or, comme c'est un programme de longue date et que les employeurs le reconnaissent, c'est quelque chose qu'ils recherchent.

Le sénateur Day : Vous semblez dire qu'on peut faire les choses plus vite et mieux sans le chapitre 7 de l'ACI. Est-ce que j'interprète mal votre commentaire, quand vous dites ceci : « Étant donné que les apprentis inscrits ne sont pas couverts en vertu du chapitre 7 de l'ACI, l'harmonisation aidera les apprentis à se déplacer [...] »

M. Massé : Il faut faire la différence entre les apprentis et les compagnons qui possèdent une attestation. Comme les apprentis ne sont pas accrédités, ils n'ont pas d'attestation qui peut s'appliquer à un autre lieu. Ce sont des employés. Ils doivent avoir un emploi. Ils doivent être des apprentis inscrits dans la province. Ils peuvent travailler dans une autre province, ce n'est pas un problème. Avec le chapitre 7, comme ils n'ont pas d'attestation, il n'y a rien à reconnaître.

Le plus grand obstacle à la mobilité des apprentis, c'est que la formation varie d'une province à l'autre. Dans certains programmes, on vous enseignera une certaine tâche ou un volet au cours de la première année de formation en apprentissage, tandis que dans d'autres, on vous les enseignera au cours de la deuxième année. Donc, un apprenti qui change d'administration doit parfois reprendre des cours ou alors on ne reconnaît pas ses acquis. L'idée est que les apprentis puissent se déplacer. Nous tentons d'harmoniser le nombre d'heures de cours requis, l'ordre des cours et le nombre de niveaux à atteindre. Pour un électricien, c'est quatre ans.

Le sénateur Day : En dehors de l'ACI?

M. Massé : Oui. L'ACI vise les travailleurs accrédités. Les apprentis sont en période d'apprentissage, même s'ils consacrent une grande partie de leur temps au travail. Je suis désolé si ce n'était pas clair.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur Massé, félicitations! Je crois que nous réalisons de vrais progrès au chapitre de la mobilité de la main-d'œuvre au Canada, et c'est très important. Sur le plan économique également, il est très important d'intégrer les nouveaux arrivants au Canada. Des ingénieurs sont venus témoigner, il y a un mois et demi environ, et ils nous ont expliqué la façon de procéder pour les ingénieurs qui viennent de l'extérieur. Ils peuvent consulter le site web de l'Ordre des ingénieurs du Québec, où un programme leur indique, dépendamment du type de diplôme, s'ils doivent suivre des cours et quelles sont les exigences, s'ils ont des lacunes académiques, pour être membres de l'ordre.

Par hasard, un ingénieur de France, qui demeure ailleurs en ce moment, m'en a parlé. Nous avons tenté l'exercice. Je lui ai recommandé de consulter le site web de l'Ordre des ingénieurs et d'y inscrire ses renseignements afin de déterminer s'il aurait des lacunes du point de vue académique ou non. Or, cela ne fonctionne pas du tout. Nous avons communiqué avec l'Ordre des ingénieurs du Québec, et il a confirmé que cela ne fonctionne pas. Il demande 900 $ pour faire une révision du curriculum vitae de monsieur et lui remettre un rapport. Je trouve que cette approche n'est pas très engageante à l'égard des immigrants. On dirait qu'on rate quelque chose d'assez important. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Massé : Comme vous le dites, la reconnaissance des titres étrangers est très importante pour intégrer les immigrants. Chaque année, nous faisons une sélection des immigrants qualifiés qui espèrent travailler dans leur domaine d'études ou de qualification.

Notre ministère gère un programme depuis une dizaine d'années qui s'appelle le Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers. Nous travaillons avec les ordres professionnels pour les aider à développer des systèmes et des mécanismes qui leur permettront de mieux reconnaître les titres de compétences et d'être plus transparents par rapport aux exigences au Canada, y compris ce que cela signifie par rapport aux étapes qui devront être suivies. C'est un processus qui est toujours en cours. Nous tenons des discussions supplémentaires dans les domaines où les juridictions provinciales sont différentes. Nous tentons d'amener les associations nationales à travailler avec leurs partenaires.

Ce n'est pas parfait, et l'approche est plus développée dans certains domaines que dans d'autres. Tout ce que je peux dire, c'est que le scénario que vous évoquez ne m'est pas familier, mais il s'agit d'un dossier que nous essayons de faire avancer. Les ministres du marché du travail en sont conscients et consacrent des ressources pour appuyer les ordres professionnels et pour obtenir de meilleurs résultats dans ce dossier. Cependant, c'est encore imparfait, et il est très frustrant pour les immigrants de ne pas pouvoir exercer leur profession au moyen des compétences qu'ils ont acquises à l'étranger. Il s'agit d'un manque de productivité et d'une perte économique pour le Canada.

Le sénateur Massicotte : Comme on l'a lu dans les journaux, et au Québec, surtout dans le cas des médecins, il y a tout de même une tendance naturelle, que l'on peut comprendre et qui est égoïste de la part de la profession, de se protéger. Si on permet à des gens qualifiés de pratiquer au Canada, cela augmente l'offre, ce qui pourrait entraîner des conséquences financières. Il ne faudrait pas croire que les professions agiront toujours de manière absolument correcte et ouverte. Il faudrait prévoir une incitation gouvernementale, peut-être assortie de pénalités. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont un rôle très important à jouer à ce chapitre.

M. Massé : En fait, les provinces sont responsables de la régie des professions au Canada. Nous agissons à titre de facilitateurs et de motivateurs, et nous essayons de trouver des façons de soutenir les systèmes. Nous tentons de travailler ensemble pour continuer d'avancer dans la bonne direction.

Il y a tout de même des progrès qui ont été accomplis au cours des 10 dernières années dans plusieurs professions. Les infirmières et infirmiers, en particulier, se sont organisés de façon nationale et sont en mesure d'offrir un point d'entrée unique aux immigrants, au lieu de 12 ou 13. Bien entendu, il y a encore du travail à faire, et nous collaborons avec les différents ordres et les provinces pour faire avancer le dossier.

Le sénateur Massicotte : Bonne chance, et merci.

[Traduction]

Le président : Y a-t-il d'autres questions? Je remercie tous les témoins. C'était très intéressant et, étonnamment, nous avons terminé à temps.

C'était la dernière audience sur le commerce interprovincial. Mercredi prochain, nous tiendrons une séance de travail pour élaborer le rapport. Je crois que nous vous transmettrons une liste de toutes les recommandations vendredi ou lundi, certainement avant la réunion de mercredi. Si vous pouviez les étudier, cela nous aiderait à orienter la production du rapport.

Le sénateur Greene : Quelqu'un — je ne me souviens plus qui — a fait une recommandation cet après-midi au sujet de l'article 121 et a dit que le gouvernement fédéral devrait vérifier si les lois respectent cet article. Je crois que c'est une excellente idée.

Le président : Je suis certain que cela fera partie de l'ensemble complet, mais nous ne pourrons pas tous les inclure. Nous devrons établir les priorités, et c'est ce que nous commencerons à faire mercredi. D'ici là, pensez-y afin que nous soyons tous bien préparés.

Je remercie les témoins.

(La séance est levée.)

Haut de page