Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule n° 6 - Témoignages du 2 juin 2016
OTTAWA, le jeudi 2 juin 2016
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 32, pour étudier la teneur des éléments des sections 3, 4, 5, 6 et 10 de la partie 4 du projet de loi C-15, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2016 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle David Tkachuk et je suis le président du comité.
Nous tiendrons aujourd'hui notre deuxième séance consacrée à l'examen de la teneur du projet de loi C-15, la Loi no 1 d'exécution du budget de 2016, en particulier les sections 3, 4, 5, 6 et 10 de la partie 4 du projet de loi. Les sénateurs ne sont pas sans savoir que notre comité doit faire rapport de ses conclusions au Sénat d'ici le jeudi 9 juin 2016. Notre rapport sera considéré comme ayant été automatiquement renvoyé au comité des finances nationales aux fins d'étude.
Aujourd'hui, la partie publique de la séance sera divisée en deux. Pour discuter de la section 4, nous souhaitons d'abord la bienvenue aux représentants de l'Association canadienne des coopératives financières : Chris White, qui est vice-président, Relations gouvernementales; et Marc-André Pigeon, qui est directeur, Politique du secteur financier.
Monsieur White, j'ai cru comprendre que vous alliez faire une brève déclaration liminaire. Nous vous poserons ensuite des questions. Lorsque nous aurons terminé, nous allons suspendre brièvement la séance le temps d'accueillir nos autres témoins, qui parleront plus particulièrement de la section 10. Nous siégerons ensuite brièvement à huis clos pour discuter des travaux futurs du comité. Monsieur White, vous avez la parole.
[Français]
Chris White, vice-président, Relations gouvernementales, Association canadienne des coopératives financières : Nous vous remercions de nous avoir invités à participer aux audiences concernant le projet de loi C-15. Ce matin, nos remarques porteront sur les parties 3 et 4.
[Traduction]
Avant d'en discuter en détail, j'aimerais vous présenter rapidement notre nouvelle association commerciale. C'est la première fois que nous nous présentons devant ce comité au nom de l'Association canadienne des coopératives financières, ou l'ACCF. La fois précédente où nous avons témoigné, c'était au nom de la Centrale des caisses de crédit du Canada.
Comme le faisait la centrale, l'ACCF représente 316 caisses populaires canadiennes. Ces institutions concurrentes des grandes banques appartiennent entièrement à des Canadiens. Plus de cinq millions de Canadiens font confiance à leur coopérative financière locale pour leurs services bancaires quotidiens. Dans l'ensemble, ces coopératives financières comptent plus de 27 000 employés et gèrent 190 milliards de dollars d'actifs. Ainsi, collectivement, leur taille dépasse celle de la Banque Nationale. Pour ce qui est de nos parts de marché, les caisses détiennent environ 6,3 p. 100 des actifs confiés à des institutions de dépôt, mais leur présence est beaucoup plus marquée dans deux segments clés, soit les prêts aux petites entreprises et les prêts agricoles. En effet, les coopératives financières détiennent 11 p. 100 du marché dans chacun de ces importants secteurs.
Lors de son passage ici il y a deux semaines, l'Association des banquiers canadiens a tenu à souligner, à juste titre, à quel point les banques sont des institutions stables. Nous croyons qu'il est tout aussi important de mentionner que les coopératives financières l'ont été tout autant tout au long de la crise financière. Pour appuyer cette affirmation, nous avons remis au greffier deux études réalisées au cours des 24 derniers mois par des organismes de recherche indépendants, dont une du Conference Board of Canada, selon lesquelles le ratio de capitalisation des caisses est, en moyenne, supérieur à celui des banques et que cela les rend plus aptes à affronter les difficultés.
J'aimerais maintenant vous faire part de nos remarques concernant les modifications législatives proposées.
D'abord, pour ce qui est de la section 3, nous sommes entièrement d'accord avec l'idée de proroger la date de l'examen de la législation sur le secteur financier de deux ans pour que celui-ci ait lieu en 2019. En fait, certains d'entre vous savent probablement que, depuis environ un an, nous demandons au gouvernement fédéral d'envisager la possibilité d'effectuer un examen plus exhaustif de la législation sur les services financiers et que cela exigerait qu'on y consacre davantage de temps, d'argent et d'effort. Qu'entendons-nous par un « examen exhaustif » et pourquoi croyons-nous cela nécessaire?
Depuis la crise financière, l'élaboration de politiques concernant le secteur financier ressemble un peu à de la lutte contre les incendies. Au début de la crise, les responsables de l'élaboration de politiques ont principalement cherché à éteindre les feux. Le pire passé, ils ont ensuite mis l'accent sur la prévention. Le cadre législatif concernant la recapitalisation interne dont traite la section 5 est un exemple de mesure de prévention au sens où il vise à réduire le risque que les contribuables aient à sauver les grandes banques dans l'éventualité peu probable de difficultés.
À notre avis, cette approche de lutte contre les incendies était et continue d'être tout à fait appropriée. Cela dit, nous voyons l'examen de 2017 — qui aura maintenant lieu en 2019 — comme une occasion de prendre le temps de nous demander si, dans notre empressement à éteindre et à prévenir les feux et par les efforts que nous avons déployés pour modifier notre réglementation fiscale et en matière de protection de la vie privée en fonction des normes internationales, nous n'avons pas créé un environnement réglementaire qui nuit à la concurrence en faisant passer la stabilité avant l'efficacité. Plus précisément, nous craignons que l'importance accordée à la stabilité et à la conformité aux normes internationales ait accidentellement mené à la création de politiques qui avantagent plus que jamais les grandes banques par rapport aux petites institutions, surtout si ces dernières sont des coopératives financières.
Les règles qui entreront bientôt en vigueur au sujet de la Norme commune de déclaration, ou NCD, de l'OCDE sont un bon exemple de ce qui nous préoccupe. La NCD a été conçue pour surveiller les comptes bancaires afin de repérer les activités d'évasion fiscale. Dans l'industrie, nous appelons parfois cette norme « la FATCA mondiale » parce qu'elle reprend les grandes lignes de la Foreign Account Tax Compliance Act des États-Unis et les applique à toute la planète. Mais contrairement au gouvernement américain avec la FATCA, le gouvernement fédéral entend demander à l'ensemble des institutions financières — même aux caisses qui présentent un taux de risque faible — de faire rapport sur tous les comptes appartenant à des non-résidents à partir du 1er juillet 2017, même si une récente enquête que nous avons menée nous a appris que le nombre médian de non-Américains et de non-résidents servis par les 100 caisses répondantes est seulement de trois. Nous avons fait part du problème aux gens du ministère des Finances, tant au niveau politique que bureaucratique; ils en sont maintenant conscients.
Ce que nous voulons mettre en évidence, c'est que les institutions financières ne présentent pas toutes le même risque d'être utilisées pour faire de l'évasion fiscale internationale. Les règles de la NCD sont faites pour les grandes banques qui mènent des activités dans plusieurs pays et qui peuvent répartir les coûts liés à leur application dans leur vaste structure. Ce sont ces banques qui, par leur nature, sont susceptibles d'avoir beaucoup de non-résidents parmi leurs clients. Ces règles sont beaucoup moins appropriées aux coopératives financières, qui appartiennent à des gens d'ici et dont les activités sont essentiellement locales. Pour les caisses, se conformer à ces règles représentera un fardeau disproportionné et ne donnera vraisemblablement lieu à rien d'intéressant du point de vue des politiques fédérales.
Nous tenons aussi à dire que nous espérons ne pas avoir à attendre l'examen de 2019 pour qu'une solution soit trouvée à cet égard. Nous aimerions profiter d'exemptions raisonnables fondées sur les risques avant l'entrée en vigueur des règles. Cela dit, la NCD est un bon exemple des réalités avec lesquelles nous devons régulièrement composer en tant que petites institutions coopératives et montre également pourquoi nous avons besoin d'un examen exhaustif.
Pour conclure cette partie de mes remarques, j'aimerais dire que l'examen exhaustif que nous souhaitons voir adopté ressemblerait un peu à ce qui était évoqué dans le rapport McKay des années 1990 puisqu'il s'intéresserait aux grandes questions concernant le bon équilibre à atteindre entre prudence et concurrence et serait par le fait même assez vaste pour comprendre des discussions non seulement sur la façon de se doter d'une charte fédérale, mais aussi sur les effets de la fiscalité, de la protection de la vie privée et des politiques commerciales sur la concurrence.
J'aimerais maintenant parler brièvement de la section 4, qui vise spécifiquement les coopératives de crédit fédérales. Comme l'ont mentionné les représentants du ministère des Finances lors de leur témoignage au comité il y a deux ou trois semaines, ces mesures visent à limiter les obstacles pour les coopératives financières qui souhaitent passer d'un cadre réglementaire provincial à un cadre réglementaire fédéral. Le ministre des Finances aura de nouveaux pouvoirs qui lui permettront d'exempter des règles procédurales les coopératives financières qui veulent passer au cadre fédéral si elles satisfont déjà de façon considérable à celles-ci.
Les nouveaux pouvoirs du ministre lui permettront également d'exempter pendant un maximum de trois ans les caisses qui viennent de se pourvoir d'une charte fédérale de certaines exigences de la Loi sur les banques concernant les votes, pourvu, encore une fois, qu'elles respectent celle-ci de façon considérable.
Enfin, le gouvernement propose aussi de recourir à une garantie d'emprunt pour résoudre un autre obstacle, à savoir celui auquel pourraient se heurter les caisses qui passent du cadre d'une province offrant une assurance-dépôts illimitée au cadre fédéral, lequel prévoit une assurance beaucoup moins importante, du moins pour les petites institutions.
Nous sommes reconnaissants au ministère d'avoir proposé ces mesures. Elles portent sur des questions bien réelles. Nous souhaitons seulement que les réflexions dont elles sont issues se poursuivent, et nous croyons que l'examen de 2019 est le contexte parfait pour que cela se produise.
[Français]
Enfin, nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité pour faire valoir notre point de vue sur cet important projet de loi.
[Traduction]
Nous aimerions conclure en disant que le moment nous semble approprié pour commencer à soumettre les politiques du secteur financier à un examen exhaustif. Proroger l'examen jusqu'en 2019 comme le propose le projet de loi C-15 est la meilleure chose à faire, tout comme accorder un budget au processus d'examen. En somme, avec l'aide de votre comité, nous voulons nous assurer que l'examen cherchera à répondre à la question suivante : l'équilibre entre les politiques en matière de stabilité et celles en matière de concurrence est-il celui qui sert le mieux les Canadiens?
[Français]
Nous vous remercions d'avoir pris le temps de nous écouter. Mon collègue et moi serons heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Avant de donner la parole aux sénateurs, j'ai moi-même une question à poser. Lorsqu'une coopérative de crédit relève du gouvernement fédéral en vertu de la Loi sur les banques, quelle est l'organisation du capital social? Des coopératives de crédit à l'échelle locale appartiennent à leurs membres, qui détiennent des parts sociales, et il y a également la Centrale des caisses de crédit. Quelle est l'organisation du capital social? Quelle serait la différence?
Marc-André Pigeon, directeur, Politique du secteur financier, Association canadienne des coopératives financières : Il n'y aurait pas de différence. Les membres demeureraient membres dans une coopérative de crédit à charte fédérale.
Le président : De quelle coopérative de crédit s'agirait-il? Les coopératives de crédit sont toutes des entités distinctes, n'est-ce pas?
M. Pigeon : Oui. Elles ne font que troquer la réglementation provinciale contre la réglementation fédérale, mais l'organisation du capital social demeure la même.
Le président : Il s'agirait donc de la même coopérative de crédit, n'est-ce pas?
M. Pigeon : Oui.
Le président : La coopérative de crédit à Saskatoon, par exemple, demanderait une charte fédérale. Est-ce ainsi que cela fonctionnerait?
M. Pigeon : Oui. Ce serait leur choix, mais elles poursuivraient leurs activités avec le même nom et la même image de marque.
Le président : Comme Vancity, à Vancouver?
M. Pigeon : Oui. Vancity pourrait devenir une coopérative de crédit fédérale, et ses membres demeureraient les mêmes. Il n'y a pas vraiment quoi que ce soit qui change de ce point de vue là.
Le président : De toute évidence, elles pourraient donc mener des activités dans les autres provinces, n'est-ce pas?
M. Pigeon : Oui. Elles pourraient ouvrir des succursales dans toutes les provinces et tous les territoires.
Le président : Et ces succursales appartiendraient-elles aux nouveaux membres, disons, à Saskatoon?
M. Pigeon : C'est exact. Pour utiliser les services d'une coopérative de crédit, il faut en devenir membre, ce qui est tout aussi vrai en Saskatchewan, en Ontario ou à l'Île-du-Prince-Édouard. L'endroit n'a aucune importance. Ce sera la même chose partout.
La sénatrice Ringuette : Merci. J'ai deux questions. Je viens du Nouveau-Brunswick, et je sais que les Caisses populaires acadiennes ont présenté une demande pour devenir une coopérative à charte fédérale. Je détiens des parts sociales d'au moins trois caisses différentes. À quel risque s'exposent non pas l'entité, mais les détenteurs de parts sociales lors du passage d'un système de réglementation provinciale à son pendant fédéral?
M. Pigeon : Je pense que la principale préoccupation qui a été exprimée, à peu près depuis la création en 2010 du cadre législatif fédéral pour les coopératives de crédit, concerne la transition à partir d'une province où l'assurance- dépôts offre un plus haut niveau de protection que celui offert par le gouvernement fédéral. On craint surtout que les membres fassent les frais, dans une certaine mesure, du passage d'un concept provincial à un concept fédéral.
La sénatrice Ringuette : Mais ce n'est pas le seul risque.
M. Pigeon : Non, il y en a d'autres.
La sénatrice Ringuette : Ne vous préoccupez pas de ceux qui ont fait les manchettes. Quels sont les autres risques inconnus?
M. Pigeon : Il est encore une fois question du même genre d'obstacles. Dans certaines provinces, les membres peuvent acheter des produits d'assurance à leur succursale, mais ce ne sera plus autorisé lorsque leur coopérative de crédit deviendra une entité fédérale, à l'exception des produits d'assurance axés sur le crédit. Du point de vue des membres, cela pourrait être un peu désavantageux.
Il y a également des avantages évidents — je crois qu'il est important de le souligner — à l'adoption d'une charte fédérale. L'une des difficultés auxquelles font face les coopératives de crédit est que beaucoup de jeunes deviennent membres avec leurs parents et pensent ensuite, lorsqu'ils quittent la province pour fréquenter une université ailleurs, qu'ils ne peuvent plus effectuer d'opérations bancaires auprès de leur coopérative et qu'ils doivent donc ouvrir un compte ailleurs. La plupart du temps, cela signifie qu'ils ouvrent un compte dans une des grandes banques. À cet égard, nous sommes généralement d'avis que l'adoption d'une charte fédérale offre une bonne occasion.
Il est également possible que des coopératives de crédit situées le long de la frontière avec une autre province puissent regrouper leurs opérations.
La sénatrice : Je ne m'imagine pas la Caisse Populaire Acadienne ouvrir une succursale à tous les campus du Canada pour régler le problème des jeunes membres qui délaissent les caisses.
M. Pigeon : Je travaille à l'association des coopératives financières depuis six ans, et chaque fois que je participe à une rencontre, c'est la principale préoccupation qui est exprimée : comment pouvons-nous garder nos jeunes dans le système des coopératives de crédit? Ce n'est attribuable qu'à leur départ de l'Acadie pour se rendre à Québec, à Montréal ou à Toronto. La relation a tout simplement tendance à se rompre à ce moment-là. C'est un fait. Cela ne signifie pas que la caisse ouvrira une succursale à toutes les universités, mais elle pourrait en choisir quelques-unes que finissent par fréquenter beaucoup de leurs jeunes membres. C'est un exemple de stratégie possible.
La sénatrice Ringuette : Monsieur Pigeon, la première fois que vous avez comparu devant notre comité remonte à très longtemps, notamment à cause du poste que vous occupiez avant. Avez-vous examiné la possibilité que des caisses populaires ou d'autres coopératives de crédit qui veulent passer au régime fédéral fassent l'objet d'une prise de contrôle ou d'une acquisition de la part d'une banque à charte fédérale?
M. Pigeon : Je dirais, en fait, que ce serait sans doute moins probable que ce l'est maintenant. À l'exception du Québec, les règles provinciales concernant la démutualisation — c'est effectivement de cela que vous parlez — ne sont pas strictes, mais selon les règles fédérales, différentes mesures doivent être prises avant de même pouvoir envisager une démutualisation. Si je me fie seulement aux règles, je pense que cela risque moins d'arriver dans le contexte fédéral qu'à l'échelle provinciale.
La sénatrice : Eh bien, nous voyons ce qui se passe sur le plan économique, et ce n'est pas très positif.
Le sénateur Tannas : Merci d'être ici. Je n'ai que deux ou trois questions. Premièrement, vous avez dit avoir 315 coopératives de crédit membres qui gèrent environ 190 milliards de dollars d'actifs. Desjardins fait-il partie de votre groupe?
M. White : Non.
Le sénateur Tannas : Le nombre de coopératives de crédit au pays est donc vraiment deux fois plus élevé, n'est-ce pas?
M. White : C'est exact. Un peu plus de 10 millions de Canadiens sont membres d'une coopérative de crédit.
Le sénateur Tannas : Exactement. En tant qu'organisation, lorsque vous regardez la recapitalisation effectuée au moyen de certains titres, constatez-vous que cela augmente l'intérêt ou l'appétit que vos membres et que votre association manifeste à l'égard de ce genre de titres externes qui vont au-delà de leur champ d'activités? Je pense aux titres de fiducie privilégiés que nous voyons aux États-Unis. Les banques communautaires s'en servent, et elles seront bientôt assujetties à d'éventuelles dispositions relatives à la recapitalisation. Y a-t-il des moyens semblables grâce auxquels vous pourriez utiliser vos activités collectives pour faire certaines choses sur les marchés financiers?
Je sais qu'une réglementation lourde se traduit par la nécessité d'avoir plus de capitaux, et vous êtes les plus vulnérables à cet égard parce que vous pouvez seulement recourir à vos propres profits et à vos propres membres. À mon avis, vous devrez soit en demander davantage à vos membres à un moment où votre nombre de membres vous préoccupe, soit examiner ce genre de possibilité.
Pouvez-vous nous donner une idée de la voie sur laquelle vous êtes engagée et de ce que vous pensez faire à cet égard?
M. Pigeon : Le cadre de recapitalisation vise seulement les banques importantes sur le plan systémique à l'échelle nationale. Je dois tout d'abord mentionner que nous n'en faisons pas partie. C'est la première chose à retenir.
Il convient également de noter que c'est une question à laquelle nous avons beaucoup réfléchi. Si je peux revenir sur une observation que Chris a faite dans sa déclaration liminaire, c'est que nous avons toujours eu plus de capitaux précisément parce que nous ne pouvons pas aller piger dans les marchés, alors nous avons plus de bénéfices non répartis, qui représentent quelque 80 p. 100 de nos capitaux.
Il y a une règle de prudence dans notre modèle commercial qui est en fait très positive. Si l'on examine à l'échelle mondiale, on constatera le même comportement dans toutes les structures coopératives. Nous avons un fonds intergénérationnel prudent à long terme — nous sommes tournés vers l'avenir. Nous ne sommes pas obsédés par les profits trimestriels.
On a également entendu l'observation selon laquelle le système envisage ces mesures. Nous sommes en pourparlers actuellement avec le BSIF pour discuter de la façon dont les capitaux des coopératives de crédit, les parts des membres, le partage des investissements et d'autres parts pourraient s'inscrire dans le cadre des accords de Bâle III. C'est un exemple classique de la façon dont les règles sont établies à l'échelle internationale et d'une situation où l'on réfléchit peu à la façon dont elles seront appliquées dans le milieu des coopératives. Cela fait cinq ans que ces règles sont en place, et nous n'avons toujours pas réglé le problème. Les banques par actions doivent se conformer à ce cadre depuis maintenant cinq ou six ans, et nous essayons toujours de régler le problème.
Le sénateur Tannas : Desjardins, par exemple, a réagi et est en train de s'orienter pour être mieux en mesure d'obtenir des capitaux externes. Le mouvement Desjardins a suivi le modèle de gestion prudente des capitaux. Les caisses n'étaient pas les banques les plus sécuritaires au Canada, classées...
M. Pigeon : Par Bloomberg.
Le sénateur Tannas : Et tout le reste.
Donc, même si votre organisation compte 300 membres, je constate que vous avez cette responsabilité. Si je vous comprends bien, votre organisation n'est peut-être pas aussi avancée que Desjardins, mais c'est dans vos plans et vous avez l'intention de les concrétiser, n'est-ce pas?
M. Pigeon : Oui, je pense. Pour ajouter à ce que vous venez de dire, le Mouvement Desjardins a recueilli beaucoup de capitaux par l'entremise de ces parts de série F qu'il a vendues par l'entremise de son réseau de succursales, mais pas aux membres. C'est peut-être l'avantage de sa structure plus centralisée car il peut passer de l'échelle fédérale à l'échelle locale. Nous ne sommes pas encore rendus là en tant que structure, mais ce pourrait être un modèle qui pourrait être envisagé à l'avenir.
Le sénateur Tannas : C'est aux membres. Le mouvement prévoit également des valeurs mobilières externes qui vont à d'autres qu'à leurs membres et aux marchés de capitaux — ce ne sont pas seulement des dettes, car elles peuvent être des formes d'investissement également.
M. White : Nous examinons toutes ces dispositions car nous savons que nous n'avons pas seulement un défi immédiat, mais un défi à long terme également. Lorsque nous regardons le travail que Desjardins a fait, c'est certainement un modèle à envisager.
Dans le cadre de conversations avec le BSIF, et plus particulièrement si l'on regarde les coopératives de crédit qui font la transition vers la sphère fédérale, je pense qu'il nous incombera de nous assurer qu'il y a une structure avec laquelle le gouvernement fédéral et les coopératives de crédit fédérales sont à l'aise et qu'ils ont accès à ce genre de marchés. À l'heure actuelle, on s'attend à ce que des fardeaux réglementaires internationaux supplémentaires seront imposés au Canada, qui sera tenu de respecter ces règles qui auront un effet d'entraînement et engloberont les coopératives de crédit dans cet espace également.
Le sénateur Tannas : Excellent. Donc, d'ici à ce que nous procédions à l'examen, vous pourrez dire, « Nous avons réglé cette question et nous ne demandons pas de nous accorder un passe-droit », n'est-ce pas?
M. White : Non, je ne pense pas que nous demandons d'avoir un passe-droit.
Le sénateur Day : Messieurs, merci infiniment de votre présence ici et de vos déclarations. Pour faire suite à la question du sénateur Tannas, les 315 membres sont-ils tous des organismes qui relèvent des provinces? Vous n'avez pas d'organismes qui sont sous réglementation fédérale?
M. White : Pas encore.
Le sénateur Day : Il serait possible que certains de vos membres deviennent des organismes fédéraux en vertu de cette mesure législative?
M. White : C'est exact.
Le sénateur Day : Ils pourraient être des membres de votre association?
M. White : Ils sont tous membres de l'association, sénateur, mais toutes les coopératives de crédit au Canada sont réglementées par les provinces à l'heure actuelle. Il se pourrait que certaines coopératives de crédit deviennent des coopératives de crédit réglementées par le gouvernement fédéral; elles feraient la transition du provincial au fédéral.
Le sénateur Day : Et les règles et les exigences en matière de déclaration que cette mesure législative prévoit pour ces coopératives de crédit en transition les placent-elles dans une situation différente que les coopératives de crédit provinciales membres de votre association?
M. White : Il n'y a que la structure de reddition de comptes qui serait différente.
M. Pigeon : Elles seraient réglementées par le fédéral.
Le sénateur Day : Je comprends, mais le gouvernement dit que vous n'êtes pas tenus de respecter certaines des exigences en matière de déclaration — à la partie 4 du projet de loi. Est-ce que ce serait la même chose si les coopératives étaient réglementées par les provinces?
M. Pigeon : Je pense que vous faites allusion au pouvoir d'exemption que cette mesure législative conférera au ministre.
Le sénateur Day : Oui.
M. Pigeon : Le ministère a indiqué très clairement, dans le projet de loi et dans ses communications à ce sujet, que ces exemptions potentielles ont mené à un résultat très similaire à ce que l'on retrouve dans la Loi sur les banques. Les exemptions ne peuvent pas être complètement différentes de celles prévues dans la Loi sur les banques en ce qui concerne le processus de prorogation au fédéral. Ensuite, lorsque les coopératives de crédit relèvent du gouvernement fédéral, les règles prévues à la partie 5 s'appliquent, à savoir les règles de gouvernance liées au vote.
Les exemptions ne dépassent pas trois ans. Elles sont discrétionnaires et elles doivent dans une large mesure respecter les règles actuelles. Lorsque les représentants du ministère sont venus témoigner, ils ont soulevé un autre point important : toutes les exemptions reproduiraient vraisemblablement les pratiques provinciales actuelles, puis iraient à l'encontre de ces pratiques.
Je peux vous donner un exemple, si vous voulez. Ce pourrait être utile pour illustrer ce dont nous discutons. L'une des exigences que doit respecter une coopérative de crédit qui veut être sous réglementation fédérale à l'heure actuelle, c'est qu'elle doit envoyer un avis quatre semaines avant la tenue d'un vote concernant le changement de cadre d'assurance-dépôts. Lorsqu'on quitte le contexte provincial, on doit adopter le cadre fédéral d'assurance-dépôts. La coopérative doit informer ses membres quatre semaines avant le vote que cette transition aura lieu, à savoir qu'elle délaissera le cadre provincial d'assurance-dépôts pour adopter le cadre fédéral d'assurance-dépôts.
Pendant cette période de quatre semaines, la règle interdit la tenue d'un vote. Cette interdiction pose problème, car la coopérative de crédit pourrait vouloir faire un seul envoi postal et envoyer les renseignements sur le changement de cadre d'assurance-dépôts avec un bulletin de vote. Mais pendant cette période de quatre semaines, le membre ne pourra pas voter et devra conserver le bulletin de vote et faire attention de ne pas le perdre. Si on l'envoie trop tôt, cela pose problème pour la coopérative de crédit.
L'exemption pourrait être appliquée dans ce cas-ci, par exemple, pour permettre aux membres de voter durant la période de quatre semaines où ils ont cette information au sujet du changement de couverture d'assurance-dépôts. C'est un exemple de la façon dont l'exemption pourrait être appliquée et c'est conforme aux règles provinciales qui permettent actuellement de tenir un vote avant une assemblée annuelle, par exemple. C'est un exemple où l'on peut constater de légères frictions, un obstacle ou une différence entre les règles fédérales et les règles provinciales. Le ministre a maintenant le pouvoir de régler ce problème pour une courte période.
Le sénateur Day : Je n'ai plus besoin de poser d'autres questions concernant l'exemption relative au vote prévu dans cette mesure législative.
M. Pigeon : Cela se rapporte au vote électronique. C'est l'une des grandes préoccupations. À l'échelle provinciale, les coopératives de crédit sont autorisées à voter par voie électronique avant l'assemblée générale annuelle, ce qu'elles ne peuvent pas faire au fédéral. C'est le genre d'autorisations que nous voulons.
Le sénateur Day : Ma dernière question est la suivante : une prorogation de deux ans est prévue à la section 3, je pense, de 2017 à 2019, mais ce n'est que pour l'examen quinquennal, pour qu'il soit effectué aux sept ans. Est-il logique d'effectuer un examen tous les sept ans? Pourquoi prolongeons-nous de deux ans la fréquence d'un examen normalement effectué tous les cinq ans?
M. White : De notre point de vue et de ce que nous comprenons dans le cadre de nos discussions avec les représentants du ministère des Finances, compte tenu de tout ce qui se passe en ce moment, elles ont seulement besoin de plus de temps. Il y a un nouveau gouvernement au pouvoir, et les normes internationales ont changé et évolué, alors je pense qu'il voulait être certain que lorsqu'il a effectué l'examen de la Loi sur les banques, c'était un examen approfondi et le plus exhaustif possible.
De notre point de vue, sept ans, c'est une longue période d'attente avant de procéder à un examen. Si c'est enchâssé dans la loi, nous voudrions certainement une période plus courte. Cinq ans, c'est une bonne fréquence; sept ans, c'est un peu long, à notre avis.
Le sénateur Day : Donc, c'est une prorogation extraordinaire, et vous ne voudriez pas qu'elle devienne permanente?
M. White : Non.
Le sénateur Massicotte : Merci d'être parmi nous. Dans votre déclaration, monsieur White, vous dites que vous ne voulez pas être traité comme une grande banque, car c'est contraignant. Vous avez notamment indiqué que le gouvernement fédéral prévoit obliger toutes les institutions financières considérées comme présentant un faible risque de rendre des comptes concernant tous les comptes détenus par des non-résidents à compter du 1er juillet 2017. Je peux comprendre cette exigence. Je comprends pourquoi vous dites cela. Des 100 coopératives de crédit, seulement trois sont admissibles.
Je reconnais qu'il y a des formalités administratives, mais je me demande où nous en sommes en tant que pays, où le scandale des Panama Papers et où de nombreuses fuites d'information montrent qu'un grand nombre de Canadiens abusent injustement du système en manipulant les règles fiscales complexes pour ne pas payer leur juste part d'impôts — je ne sais tout simplement pas comment on peut gagner sur ce point. Ces gens ne sont pas des imbéciles. Si vous êtes l'institution qui n'a pas à fournir cette information, vous obtiendrez beaucoup plus de dépôts. C'est peut-être votre plan. C'est un assez bon plan d'affaires, mais il ne répond pas aux besoins du pays pour nous assurer que nous faisons preuve d'une transparence complète dans l'information à fournir et que le gouvernement fédéral, et surtout le CANAFE, sait ce qui se passe.
Comment gérez-vous ce problème? Je peux comprendre votre logique, mais comment gérez-vous la question de savoir où nous en sommes en tant que pays et la nécessité d'avoir l'information?
M. White : C'est un défi, de toute évidence. Lorsque nous avons eu des discussions à des forums internationaux, c'est clairement un argument voué à l'échec, à notre avis.
Le sénateur Massicotte : C'est un bon début. Nous sommes d'accord là-dessus.
M. White : La difficulté, c'est que vous voulez être le plus transparent possible. En raison de tout ce qui s'est passé sur la scène internationale, il est difficile pour vous de commencer à segmenter les institutions.
Nous faisons valoir que c'est un exemple où une politique internationale est mise en place et qui est sensée dans certaines situations et dans certains pays. Cependant, si l'on prend une petite coopérative de crédit en Saskatchewan ou au Nouveau-Brunswick où il y a 8, 10 ou 12 personnes, l'ajout de ce type de responsabilité et de structure de reddition de comptes est contraignant. Même si c'est logique d'un point de vue stratégique, dans la pratique, c'est insensé. Nous demandons au ministère d'examiner s'il y a une façon ou non de concilier ces deux défis.
Avant de me lancer en politique, j'ai travaillé à l'ARC. Je sais qu'il y a peu d'exceptions dans ce type de situations. Nous avons dit au ministère des Finances que c'est un exemple de difficultés auxquels est confronté le système de coopératives de crédit continuellement et beaucoup plus souvent après une crise financière.
Il faut plus de politiques et de règlements en place, mais il y a des conséquences associées à ces règlements. Souvent, ils ne sont pas aussi bien conçus qu'ils devraient l'être. Ce que nous entendons lorsque nous discutons avec nos homologues aux États-Unis et sur la scène internationale, c'est qu'ils ont l'impression qu'il y a eu tout un retour du balancier — et avec raison —, mais ils s'attendent que l'équilibre sera lentement rétabli.
Lorsqu'on examine les politiques qui touchent le secteur bancaire et financier au Canada, y a-t-il des possibilités d'appliquer une exception? Dans certains cas, c'est impossible, mais dans d'autres cas, nous voulons discuter de cette possibilité. Lorsque des représentants canadiens tiennent ces discussions sur la scène internationale, les décideurs et les législateurs devraient garder en tête ces considérations.
Le sénateur Massicotte : Qu'aimeriez-vous accomplir? Vous ne contestez pas l'exigence de la CANAFE pour le versement d'un dépôt pour une somme de plus de 10 000 $. Vous ne contestez pas toutes les opérations suspectes que vous devez signaler. Vous n'avez aucun problème avec cela, n'est-ce pas?
M. White : Non, monsieur.
M. Pigeon : C'est exact.
Le sénateur Massicotte : Vous faites référence à l'autre rapport où l'on doit demander les renseignements appropriés pour confirmer si les gens ont des comptes à l'étranger. Est-ce ce à quoi vous vous opposez?
M. Pigeon : C'est l'ensemble de règles à venir que l'on appelle les normes communes de déclaration. Ce qu'il faut comprendre à propos de ces règles, c'est qu'elles s'inspirent de la Foreign Account Tax Compliance Act, ou FACTA, aux États-Unis. Lorsque la FACTA a été mise en œuvre au Canada, il y avait des exemptions pour les petites institutions, des exemptions fondées sur le risque. Tout ce que nous demandons, c'est d'appliquer le même type de règles que celles prévues dans les normes communes de déclaration qui ont été appliquées dans la Foreign Account Tax Compliance Act. Notre requête est très simple. Si nous franchissons un seuil où le risque augmente, alors on nous inclut. Je pense que ce que nous proposons est très raisonnable.
Le sénateur Massicotte : Est-ce le cas aux États-Unis? C'est ce que font les Américains?
M. Pigeon : Les États-Unis n'ont pas adopté les normes communes de production de rapports, même si leur loi les a créées. C'est intéressant. Ils ont donné le coup d'envoi pour qu'on surveille l'évasion fiscale, mais quand la communauté internationale a adopté les normes, les États-Unis ont refusé d'y adhérer.
Le sénateur Massicotte : Tous les pays sont confrontés à ce problème. Nous avons tous de petites institutions financières. Y a-t-il un autre pays qui a exempté ces petites institutions financières et qui a adopté la même méthode?
M. Pigeon : C'est une bonne question. Non, mais il y a d'autres secteurs où des exemptions seront probablement appliquées en fonction du risque. Par exemple, il y a des discussions sur les comptes d'épargne libres d'impôt et les risques associés à ces comptes. Le concept des exemptions fondées sur le risque est enchâssé dans le cadre de reddition de comptes. Tout ce que l'on dit, c'est qu'il faut l'appliquer aux petites institutions de manière équitable.
Le sénateur Massicotte : Que recommandez-vous exactement? Vous avez travaillé dans le passé à l'ARC, alors vous connaissez la mentalité; vous êtes au courant de la situation. Avez-vous une recommandation qui serait acceptable?
M. Pigeon : Je pense que nous en avons une. Ce que nous disons, c'est que vous devez appliquer le même type de critère que vous appliquez en vertu de la FATCA, qui est à l'origine, pour ainsi dire, du CRS. Appliquez le même type d'exemption que vous appliquez ici. On simplifierait ainsi l'application.
Le sénateur Massicotte : Qu'ont-ils dit?
M. Pigeon : Ils ont dit sensiblement la même chose que vous avez dit, c'est-à-dire, « Montrez-nous le précédent international ». Bien entendu, si l'on pointe du doigt tout le monde et qu'on demande de voir le précédent international, on n'obtiendra jamais rien. Il y a des leviers grâce auxquels nous commençons à voir de légers changements sur le plan politique.
M. White : Pour être juste envers le ministère des Finances, on comprend la situation. Je pense qu'il le reconnaît. Glen Campbell est venu témoigner, et je pense que le ministère comprend. C'est une petite requête par rapport à tout ce que doit gérer le ministère des Finances dans des dossiers comme celui-ci.
On pense que cela n'arrivera pas. Je serais très étonné, à vrai dire, si cela arrivait. Mais nous essayons également de jeter les bases avec le ministère des Finances car c'est le genre de situations qui surviennent souvent. Ce n'est pas quelque chose qui touche seulement le système des coopératives de crédit. Il y a d'autres exemples dans toutes sortes de secteurs. C'est ce genre de mentalité que nous essayons de changer progressivement.
Le sénateur Massicotte : Malgré le fait que c'est dans votre discours et dans votre requête, vous ne vous attendez pas de recevoir une réponse positive, mais vous voulez le signaler pour le futur?
M. White : Eh bien, comme le sénateur Tannas l'a indiqué, d'ici 2019, nous aurons réglé toutes ces questions; c'est une requête.
Le président : C'est une requête pour le futur également. Vous ne voulez pas que les négociateurs internationaux pensent seulement aux six grandes banques lorsqu'ils discutent de ces questions. Vous voulez qu'ils parlent de tous les intervenants.
M. White : Il est intéressant de voir que lorsque nous discutons avec les Américains, nous avons l'impression parfois que, lorsque le Canada siège à ces réunions internationales, les points de vue du Canada ne sont pas forcément pris en considération parce qu'ils se préoccupent beaucoup des pays économiquement forts du G7. C'est comparable à notre situation en quelque sorte.
Le président : On en prend bonne note.
Y a-t-il d'autres questions? Dans ce cas, je tiens à remercier nos témoins.
Pour discuter de la teneur des éléments de la section 10 du projet de loi, j'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Jean Bédard, c.r., président intérimaire du Tribunal canadien du commerce extérieur, ainsi que M. Darryl Larson, directeur, Droits antidumping et compensateurs, Produits de consommation, Direction générale des programmes, au sein de l'Agence des services frontaliers du Canada. Je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Je crois savoir que vous avez tous les deux un exposé à nous présenter. Nous enchaînerons ensuite avec une période de questions. Monsieur Larson, vous voulez bien ouvrir le bal?
Darryl Larson, directeur, Droits antidumping et compensateurs, Produits de consommation, Direction générale des programmes, Agence des services frontaliers du Canada : Je vous remercie de me donner l'occasion de contribuer à votre étude de la section 10 de la partie 4 de la Loi no 1 d'exécution du budget de 2016, qui modifie le rôle de l'agence dans l'application de la Loi sur les mesures spéciales d'importation.
Comme les membres du comité le savent, le ministère des Finances est responsable des politiques relatives à la Loi sur les mesures spéciales d'importation, tandis que l'agence, en partenariat avec le Tribunal canadien du commerce extérieur, mène les enquêtes de dumping et de subventionnement au titre de la loi.
[Français]
Monsieur le président, le Canada a été l'un des premiers pays à adopter une loi sur les droits antidumping ou sur les droits compensateurs. Ce programme existe depuis 1904.
Dans le cadre de l'application de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, l'Agence a pour mission de mener des enquêtes sur les plaintes formulées par les producteurs canadiens qui prétendent que le dumping ou le subventionnement en ce qui concerne les marchandises a causé préjudice à leur industrie, et d'évaluer les droits antidumping ou compensateurs pour les mesures en vigueur.
Il s'agit d'un travail complexe et technique qui exige une excellente connaissance des pratiques comptables et d'audit, ainsi qu'une expertise des secteurs de l'industrie et des tendances du marché.
Les mesures en vigueur dans la Loi sur les mesures spéciales d'importation englobent des marchandises industrielles, notamment l'acier, l'aluminium et le cuivre, ainsi que des produits de consommation comme les pommes de terre et le sucre, entre autres.
On parle de dumping quand des exportateurs étrangers vendent leurs produits au Canada à des prix inférieurs aux prix de vente sur leur marché ou à des prix inférieurs aux coûts de production et de vente des marchandises.
[Traduction]
Le « subventionnement » a lieu lorsqu'un gouvernement étranger offre aux exportateurs étrangers des subventions qui leur permettent de réduire le prix de vente de leurs produits au Canada.
Avant d'expliquer au comité l'incidence des modifications législatives dont il a été saisi, permettez-moi de décrire rapidement le processus d'enquête de l'ASFC en vertu de la loi.
Si la plainte faite par des producteurs canadiens contient une preuve suffisante du dumping ou du subventionnement, et du préjudice ainsi causé, l'agence ouvrira une enquête. Le but de l'enquête est de décider si les biens importés ont été sous-évalués ou subventionnés et de déterminer la marge de dumping ou le montant de subvention.
Le TCCE mène une enquête parallèle pour déterminer si le dumping ou le subventionnement des importations a causé ou menace de causer un préjudice matériel à l'industrie canadienne. Les deux enquêtes sont menées simultanément, dans les délais prévus par la loi.
L'enquête de l'Agence des services frontaliers du Canada dure généralement six mois. Le processus inclut une étape préliminaire et une étape finale. À partir des résultats de l'étape préliminaire de l'enquête, l'agence met fin à l'enquête ou rend une décision provisoire de dumping ou de subventionnement. Si elle rend une décision provisoire, l'agence entreprendra l'évaluation des droits provisoires applicables aux marchandises importées en cause. En s'appuyant sur les résultats de l'étape finale, l'agence mettra fin à l'enquête ou rendra une décision définitive de dumping ou de subventionnement. Si une décision définitive est rendue, les droits provisoires resteront en vigueur jusqu'à ce que le tribunal rende sa décision définitive relativement au préjudice.
Si le tribunal conclut que le dumping ou le subventionnement a causé ou menace de causer un préjudice matériel à l'industrie canadienne, l'agence commencera à évaluer les droits antidumping ou compensateurs applicables aux marchandises. Ces droits resteront en vigueur pendant cinq ans. Au terme de cette période, ils peuvent faire l'objet d'un nouvel examen — ce qu'on appelle le réexamen relatif à l'expiration.
Si le tribunal décide de procéder au réexamen relatif à l'expiration, l'agence doit déterminer si l'expiration de l'ordonnance ou des conclusions causera vraisemblablement la poursuite ou la reprise du dumping et du subventionnement des marchandises.
La section 10 de la partie 4 de la Loi no 1 d'exécution du budget de 2016 apportera deux modifications à la LMSI qui auront une incidence sur le travail d'enquête de l'agence. La première modification prévoit la tenue d'une enquête complète même si, au stade de la décision provisoire, l'agence conclut que la marge de dumping est minimale ou que le montant de subvention est minimal. La deuxième modification accordera un délai plus long pour le lancement et la tenue des réexamens relatifs à l'expiration. Les mesures seront donc en vigueur plus longtemps.
En ce qui concerne la première modification, la Loi sur les mesures spéciales d'importation précise que l'agence doit mettre fin à une enquête si, à l'étape de la décision provisoire, elle constate que la marge de dumping est minimale ou que le montant de subvention est minimal, ou encore que le volume des marchandises sous-évaluées ou subventionnées est négligeable.
Les modifications proposées changeraient les conditions dans lesquelles l'agence doit mettre fin à une enquête à l'étape de la décision provisoire. L'agence ne mettrait plus fin à l'enquête lorsque la marge de dumping ou le montant de subvention est minimal. L'enquête se poursuivrait, mais sans évaluation des droits provisoires.
Cette modification donnera aussi plus de temps aux enquêteurs pour vérifier s'il y a eu un dumping ou un subventionnement des marchandises avant de conclure leur enquête. La modification ne devrait pas avoir une incidence importante sur la charge de travail de l'agence. En effet, depuis 2004, il n'y a eu que trois dossiers où l'agence a conclu que la marge de dumping ou le montant de subvention était minimal à l'étape de la décision provisoire.
Du point de vue de l'ASFC, les modifications donneraient 30 jours de plus à l'agence pour mener les enquêtes associées au réexamen relatif à l'expiration. Par conséquent, l'agence déterminerait si l'expiration d'une ordonnance est susceptible de causer la poursuite ou la reprise du dumping ou du subventionnement dans les 150 jours suivant la date de réception de l'avis de réexamen relatif à l'expiration du tribunal, au lieu de 120 jours à l'heure actuelle. Cette modification donnerait plus de temps aux agents de l'ASFC pour examiner et vérifier minutieusement l'information dont ils disposent avant de décider si l'expiration de l'ordonnance ou des conclusions donnera lieu à la poursuite ou à la reprise du dumping ou du subventionnement.
Si on autorise l'annulation de la mesure, les droits évalués après l'expiration de la période de cinq ans suivant la date de la dernière ordonnance seront remboursés à l'importateur. Cela aurait une incidence mineure sur les ressources de l'agence.
Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'expliquer le rôle et les responsabilités de l'ASFC relativement à l'application de la Loi sur les mesures spéciales d'importation et la mise en œuvre des modifications législatives proposées. Je serai heureux de répondre aux questions du comité.
[Français]
Jean Bédard, c.r., président intérimaire, Tribunal canadien du commerce extérieur : Je vous remercie, monsieur le président. Je n'avais pas prévu émettre des remarques, mais puisque vous m'en donnez l'occasion, j'aimerais vous remercier, à mon tour, de votre invitation. C'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions concernant les amendements à la Loi sur les mesures spéciales d'importation.
[Traduction]
Monsieur Larson vous a déjà donné un bon aperçu du système à deux branches, alors je ne vais pas m'attarder là- dessus. Vous avez reçu toute l'information nécessaire quant aux rôles respectifs du Tribunal canadien du commerce extérieur et de l'ASFC dans ce processus.
Notre tribunal est un tribunal d'arbitrage quasi judiciaire, c'est-à-dire une cour d'archives. Nous avons les pouvoirs d'une cour supérieure d'archives pour certaines de nos fonctions et de nos ordonnances. Nous menons nos procédures en vertu de la LMSI, qui est l'un des mandats du Tribunal canadien du commerce extérieur. Nous menons ces procédures dans le cadre d'une enquête quasi judiciaire.
La seule disposition de ces modifications qui a une incidence directe sur le TCCE est celle concernant le réexamen relatif à l'expiration. Cette disposition — et je pourrai en reparler plus longuement durant la période de questions — nous donnera une plus grande marge de manœuvre, étant donné que nous disposerons de plus de temps pour prendre une décision.
[Français]
Je vous remercie de nouveau. Je serai heureux de répondre aux questions du comité.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, je tiens à souligner que nous avons d'autres invités dans la salle. Nous avons Michèle Govier, chef, Règles du commerce international, Finances et échanges internationaux, du ministère des Finances Canada, ainsi que Laura Bourns, économiste principale, Finances et échanges internationaux. Nous avons aussi André Moncion, d'Affaires mondiales Canada. Ce sont des experts en la matière, alors n'hésitez pas à faire appel à leur savoir.
La sénatrice Wallin : Est-ce vous ou le ministère des Finances qui avez exigé des changements à votre travail d'enquête?
M. Larson : C'est l'ASFC qui applique la loi.
La sénatrice Wallin : Vous n'avez pas dit : « On veut s'assurer d'examiner tous les éléments? »
M. Larson : Non.
La sénatrice Wallin : Est-ce une bonne ou une mauvaise chose?
M. Larson : Comme vous l'avez indiqué, ce serait probablement une bonne question à poser au ministère des Finances.
La sénatrice Wallin : Mais d'après ce que vous avez dit, ces modifications n'ont pas de répercussions sur votre travail. Est-ce que cela signifie que vous devez maintenant tenir compte de tous les éléments plutôt que de simplement vous en remettre à votre propre opinion?
M. Larson : Nous disposerons de plus de temps pour mener une enquête. Nous serons donc mieux en mesure de vérifier l'information et de recueillir des renseignements supplémentaires, au besoin.
La sénatrice Wallin : Cependant, si je me fie à la première modification, vous allez mener une enquête complète, et ce, même si le montant est minime, ce que vous n'auriez pas fait auparavant, n'est-ce pas?
M. Larson : Pas tout à fait. En vertu de la loi actuelle, si nous arrivons à la conclusion que la marge de dumping ou le montant de subvention est négligeable à l'étape préliminaire, nous devons mettre fin à l'enquête plutôt que de procéder à la deuxième ou à la dernière étape de l'enquête.
La sénatrice Wallin : Très bien; merci.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Ma question est semblable à la précédente. Je sais que vous n'êtes pas la personne qui a préparé le texte de loi proposé, mais vous êtes au courant du dossier et vous connaissez bien la réalité. Je présume qu'ils sont ouverts à vos commentaires et qu'ils vous ont déjà demandé votre avis. Il s'agit de l'argent des contribuables. Or, j'ai de la difficulté lorsqu'on arrive à la conclusion — ce qui s'est passé à au moins trois reprises — que le montant n'est pas important et qu'il ne vaut pas la peine de poursuivre l'étude. Quelle que soit votre opinion professionnelle, la législation vous obligera à poursuivre l'étude. Je ne comprends pas pourquoi on vous imposerait de telles contraintes, puisque vous avez exprimé un avis contraire.
[Traduction]
M. Larson : Conformément à la loi actuelle, nous devons mettre un terme à notre enquête lorsque nous concluons que le montant de subvention ou la marge de dumping est négligeable.
Les délais prévus par la loi pour réaliser une enquête sont très courts. Nous disposons de 90 jours, dès le début de l'enquête, pour obtenir et analyser l'information et en arriver à une décision provisoire. C'est donc très exigeant pour l'ASFC, qui doit recueillir, analyser et vérifier l'information dont nous aurons besoin pour prendre la décision provisoire. Grâce à ce changement, nous disposerons de plus de temps pour le faire.
Le sénateur Massicotte : Je comprends tout ça, mais permettez-moi de reformuler ma question. Selon la loi actuelle, si vos recherches préliminaires indiquent qu'il ne vaut pas la peine d'enquêter plus en profondeur — c'est votre opinion professionnelle; vous avez plus d'expérience que n'importe quel autre législateur dans ce domaine. Vous décidez alors de ne pas poursuivre l'enquête et d'épargner ainsi l'argent des contribuables, car vous considérez que ce n'est pas une bonne utilisation de votre temps. Mais voilà que des législateurs vous imposent l'étude complète d'un dossier, alors que vous étiez d'avis initialement qu'il n'y avait pas matière à enquête. Pourquoi le grand patron à Ottawa vous impose-t-il cette exigence, qui vient en quelque sorte contredire vos connaissances professionnelles?
Le président : Nous avons peut-être le grand patron avec nous aujourd'hui. Madame Govier?
Michèle Govier, chef, Règles du commerce international, Finances et échanges internationaux, ministère des Finances Canada : Je n'ai pas l'habitude de m'appeler ainsi.
L'un des problèmes, c'est que la nature de l'information disponible, à l'étape préliminaire, pourrait être incomplète ou non validée. Même si une décision provisoire est prise en fonction de cette information, si on poursuit l'enquête et les vérifications, la situation pourrait très bien changer. C'est ce que nous voyons dans les enquêtes de l'ASFC; la marge de dumping ou le montant de subvention peut varier entre l'étape préliminaire et l'étape finale. C'est assez courant. On ne parle pas nécessairement d'une marge de dumping inférieure à 2 p. 100 du prix à l'exportation, ce que nous considérons actuellement comme étant minimal, mais cela pourrait être un petit montant qui s'avère être plus élevé à l'étape finale, ou vice versa. Cela arrive régulièrement.
Le sénateur Massicotte : Mais pourquoi le préciser dans une loi? Si la personne qui fait le travail se rend compte que le montant qui ne semblait pas important au départ se trouve à l'être finalement, elle pourrait exercer son bon jugement et poursuivre l'enquête. En adoptant cette mesure législative, c'est comme si vous disiez à ces personnes qu'en dépit de leur expérience, même lorsqu'il s'agit d'un montant minimal ou négligeable, elles seront tenues de poursuivre l'enquête et de dépenser l'argent des contribuables pour un montant — la vie est pleine de probabilités — probablement négligeable. Pourquoi donc les obliger à agir ainsi?
Mme Govier : Le problème, c'est qu'au stade préliminaire, lorsqu'on conclut que le montant est minime, nos conclusions ne reposent pas sur une enquête approfondie.
Le sénateur Massicotte : Par conséquent, selon leur opinion professionnelle, ils pourraient poursuivre l'enquête.
Mme Govier : Oui. Ils ne pouvaient pas le faire en vertu de la loi précédente. Je suppose que vous voulez savoir pourquoi on ne leur accorde pas cette marge de manœuvre?
Le sénateur Massicotte : En effet. Pourquoi ne pas laisser ces professionnels décider de ce qu'ils doivent faire, au lieu de leur imposer une loi qui dit : « Malgré votre gros bon sens, vous n'êtes pas assez compétents. Nous devons vous imposer cette exigence. »
Mme Govier : Il y a certainement des aspects du système des recours commerciaux qui relève de l'ASFC qui pourraient nous permettre de prendre des décisions politiques à cet égard et de leur accorder une plus grande souplesse. Cependant, la plupart des aspects du processus d'enquête, notamment les échéanciers, sont énoncés clairement dans la loi. Cela est conforme aux autres aspects de la loi.
Selon moi, il est important d'inclure cette exigence dans la loi pour s'assurer qu'une enquête complète a eu lieu. Lorsqu'on laisse de la latitude, il y a tout de même des incertitudes qui subsistent — on ne veut pas remettre en question le jugement des agents de l'ASFC; on veut simplement s'assurer que toute l'information est examinée avant qu'une décision ne soit prise.
Le sénateur Massicotte : Nous avons eu une discussion avec un témoin précédent au sujet de la bureaucratie. Je n'ai pas l'impression qu'on s'en va dans la bonne direction ici.
Maintenant que nous avons des experts avec nous, j'aurais une question à propos du dumping. Je comprends la définition. Une entreprise est accusée de dumping si elle vend ses produits à un prix inférieur au prix de revient ou à un prix inférieur à celui exigé partout ailleurs, et c'est le principe du pays, j'imagine. Est-ce dans les deux cas? Autrement dit, l'entreprise pourrait vendre ses produits à perte. Toutefois, si elle vend également ses produits à un prix inférieur dans son pays d'origine — parce que les entreprises veulent souvent liquider des produits —, est-ce du dumping?
M. Larson : Cela peut être l'un ou l'autre.
Le sénateur Massicotte : Si un produit coûte 10 $, mais qu'une entreprise le vend 8 $ au Canada, mais aussi 8 $ dans son propre pays, est-ce considéré comme du dumping?
M. Larson : Absolument.
Le sénateur Massicotte : Cela ne me paraît pas raisonnable. Le taux d'échec des entreprises est très élevé. Lorsqu'on établit des contrats, parfois on se trompe. Une entreprise pourrait vouloir liquider un produit afin de s'en débarrasser. Elle ne peut donc pas le vendre à un coût inférieur au prix de revient, indépendamment de la situation dans son pays d'origine?
M. Larson : Aux termes de la loi, nous établissons une valeur normale, qui est essentiellement un prix équitable. Si un exportateur collabore à notre enquête et reçoit une valeur normale, il peut vendre ses produits au Canada à cette valeur normale ou au-dessus sans qu'on lui impose de droits antidumping. Nous n'établirions pas une valeur normale qui soit inférieure au coût total de production des marchandises. Nous examinerions donc le prix de vente intérieur des biens pour nous assurer que la valeur normale est supérieure à ce prix.
Le sénateur Massicotte : Vous avez dit « le coût total ». Vous réalisez que c'est un terme qui englobe beaucoup de choses. Le coût total inclut l'amortissement des coûts d'investissement, si je ne me trompe pas?
M. Larson : Le « coût total » inclut tout — le coût de production des biens, un montant pour les frais de vente et d'administration et un montant pour les profits.
Le sénateur Massicotte : On ne parle pas des coûts marginaux. C'est donc un amortissement des coûts pendant la vie utile du bien en question?
M. Larson : Si on doit assumer ces coûts, oui.
Le sénateur Massicotte : Vous vous rendez compte que c'est un exercice de comptabilité extrêmement compliqué et probablement très coûteux pour un montant qui risque d'être minime? Êtes-vous d'accord avec moi? Je dirais même que c'est un casse-tête du point de vue comptable. Je suppose que, la plupart du temps, c'est une question de termes comptables.
La sénatrice Wallin : Est-ce différent de l'autre côté de la frontière?
M. Larson : Ce n'est pas nécessairement une question de termes comptables, mais il s'agit d'un processus complexe qui consiste à établir une valeur normale correspondant aux exigences prévues par la loi.
Le sénateur Massicotte : Les gens raisonnables pourraient être sérieusement en désaccord avec vous.
M. Larson : Certains pourraient soutenir que nous devrions examiner les coûts marginaux ou variables, mais encore une fois, la loi n'est pas établie ainsi.
La sénatrice Wallin : J'aurais une question complémentaire, étant donné que les normes comptables, comme vous le savez, sont très différentes.
J'aimerais revenir à Mme Govier, si je puis me permettre, afin d'obtenir des éclaircissements.
Vous dites que vous exigez la tenue d'une enquête complète pour tous les produits parce qu'il arrive parfois que le montant ou la valeur varie entre l'enquête initiale et l'enquête subséquente, et que si l'ASFC avait conclu que le montant était minimal, elle ne pouvait pas poursuivre l'enquête?
Mme Govier : C'est exact. Cela fait partie de la même enquête. Selon la loi actuelle, si la conclusion était négative au stade préliminaire, on n'était pas autorisé à poursuivre l'enquête. Avant que la décision provisoire ne soit prise, si on déterminait qu'un pays en particulier avait une marge de dumping minimale, on ne pouvait pas réenquêter.
La sénatrice Wallin : Comment allez-vous vous y prendre pour évaluer le coût ou le montant qui pourrait avoir changé?
Mme Govier : Pour ces pays, cela ne se produira pas à ce stade-ci. Je vais vous donner un exemple d'un pays qui...
La sénatrice Wallin : Pourquoi ne pas nous donner un exemple? Ce serait peut-être plus facile.
Mme Govier : Je parlais plutôt d'un pays pour lequel l'étape préliminaire de l'enquête détermine une marge de dumping de 10 p. 100, ce qui n'est pas négligeable. L'enquête se poursuit jusqu'à l'étape finale et l'on procède à une vérification ultérieure des renseignements, et cetera. À l'étape finale, la marge de dumping pourrait s'avérer différente de 10 p. 100. Elle pourrait être de 15 p. 100, d'après les renseignements additionnels obtenus durant la deuxième phase.
C'est l'exemple que je donnais, concernant la différence possible entre les deux. Si les marges étaient minimales et qu'on a mis fin à l'enquête, on peut raisonnablement croire que les marges auraient été différentes si l'enquête s'était poursuivie.
La sénatrice Wallin : Pour quelle raison? Y aurait-il une société ou un pays dont vous vous méfiez? Outre l'expansion de la bureaucratie, comme un de mes collègues le faisait remarquer à juste titre, qu'est-ce qui vous motiverait à faire cela? Pensez-vous qu'il y a beaucoup de choses qui se sont passées et qui nous ont échappé?
Mme Govier : Ce pourrait bien être le cas.
La sénatrice Wallin : Non, mais le pensiez-vous?
Mme Govier : Une fois qu'une enquête est terminée, cela ne se produit pas. Ce n'est pas comme si nous en avions la preuve.
Je voudrais souligner que les États-Unis, par exemple, suivent une approche où l'enquête se poursuit après une décision. Je n'ai pas de données sur les résultats de cette approche, mais je pense que c'est le genre de modèle que les intervenants souhaitaient proposer comme changement, pour dire : « Laissons l'enquête suivre son cours pour avoir de meilleures chances d'en venir à un résultat favorable. »
Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, sénateur Tannas? Je remarque un air interrogateur sur votre visage.
Le sénateur Tannas : Est-ce que l'un de vous deux pourrait nous dire quel est le pourcentage d'enquêtes qui ont pris fin en raison d'une marge minimale, comparativement au pourcentage d'enquêtes poursuivies, au cours de la dernière année ou des cinq dernières années, peu importe?
Mme Govier : Comme l'a indiqué Darryl, depuis l'an 2000, les données montrent que cela ne s'est produit que trois fois. Je ne sais pas combien de cas au total nous avons eus durant cette période, mais je dirais que c'est quatre ou cinq par année en moyenne.
Le sénateur Tannas : On a donc mis fin à trois enquêtes seulement.
Mme Govier : Oui.
Le sénateur Tannas : Ce n'est donc pas parce que les cas se multiplient que vous vous dites soudainement : « Oh, nous devons faire cela. »
Mme Govier : Non.
Le président : Avez-vous autre chose à dire, sénatrice Wallin?
La sénatrice Wallin : J'ai soulevé la question, car je cherche à comprendre ce qui a déclenché cela. Y a-t-il une réponse simple à cela?
Mme Govier : Un intervenant craignait qu'il y ait des cas où l'enquête se termine alors qu'elle devrait se poursuivre si l'on continue cette pratique qui, je le reconnais, n'est pas courante.
La sénatrice Wallin : Qui était l'intervenant?
Mme Govier : C'était l'Association canadienne des producteurs d'acier.
La sénatrice Wallin : Merci.
La sénatrice Ringuette : Mes premières questions concernent les changements à apporter à l'échéancier et à l'enquête. Quel serait le problème d'avoir plus de temps, si nécessaire, pour réaliser une enquête? Je comprends que c'est ce qui est proposé ici. Si vous avez besoin de plus de temps, vous en aurez à votre disposition et pourrez terminer ce que vous avez à faire, alors qu'en ce moment, vous manquez de temps.
Pour ce qui est des contribuables, je ne crois pas que cela soit un problème important. Si vous avez besoin de plus de temps et de plus de ressources pour continuer, vous en trouverez. Si vous n'en avez pas besoin, ça s'arrête là. Cependant, le calendrier n'a rien à voir avec la quantité de ressources ni avec l'argent des contribuables que vous utiliserez pour mener votre processus d'enquête adéquatement. Est-ce que j'ai raison ou non?
M. Larson : Je pense que vous avez raison. L'enquête se poursuivra et nous aurons alors l'occasion de demander des renseignements additionnels et de les vérifier.
Étant donné que toutes nos enquêtes sont réalisées en sol étranger, cela nous donnerait évidemment l'occasion de prendre les dispositions nécessaires pour vérifier les renseignements sur place, ce qui est plutôt difficile à faire dans une fenêtre de 90 jours comme c'est le cas actuellement. Nous pourrions également solliciter, recevoir, analyser et vérifier les renseignements sur place.
Donc oui, ce changement nous donnerait plus de temps pour nous assurer que nous prenons la bonne décision au moment même où nous la prenons.
La sénatrice Ringuette : Exactement. C'était mon point de vue. Madame Govier, nous étudions les mesures antidumping et le subventionnement de marchandises. Je comprends que cela est facile vu qu'il s'agit d'articles physiques. Dans la même veine, que font l'Agence des services frontaliers du Canada ou le ministère des Finances en matière de dumping et de subventionnement des services?
Mme Govier : Vous avez raison de dire que les droits antidumping et les droits compensateurs ne s'appliquent pas à des services.
Je tiens à souligner que les règles que nous avons au Canada découlent de règles qui se trouvent également dans des accords de l'Organisation mondiale du commerce. Il y a un accord antidumping et un accord sur les subventions qui établissent les règles et qui précisent le moment et la façon d'appliquer ces règles, lesquelles ne s'appliquent qu'aux marchandises.
Il serait assurément novateur d'appliquer ces règles aux services. Je ne connais aucun pays qui a essayé de le faire et j'ignore si cela est réalisable ou non. Vous avez raison de dire qu'une marchandise est un produit physique que nous pouvons facilement comparer de part et d'autre des frontières. On ne pourrait peut-être pas faire la même chose avec des services.
Je ne me suis pas penchée sur la question et je n'ai pas grand-chose à dire sur le sujet à part que ce n'est pas une option que nous étudions en ce moment.
La sénatrice Ringuette : Étant donné que les services sont l'élément des échanges commerciaux qui connaît la plus forte croissance, il faudrait certainement s'intéresser à la question.
J'ai une autre question. Monsieur Larson, est-ce que votre définition du terme « dumping » comprend les produits faussement identifiés?
M. Larson : Parlez-vous des produits de contrefaçon?
La sénatrice Ringuette : Les produits de contrefaçon ou les produits intentionnellement mal identifiés.
M. Larson : Non, la Loi sur les mesures spéciales d'importation n'est pas la loi qui s'intéresse à ces marchandises. Elle porte sur les coûts de production et le prix de vente d'une marchandise sur les marchés d'exportation.
La sénatrice Ringuette : Existe-t-il une autre unité au sein de l'Agence des services frontaliers du Canada qui examinerait une telle...
M. Larson : Oui, probablement. Je n'ai pas ces renseignements avec moi, mais si vous le souhaitez, je peux tenter de les trouver et vous les faire parvenir.
La sénatrice Ringuette : Je vous en serais reconnaissante. Merci.
Le sénateur Enverga : Je vous remercie de vos exposés. La plupart de mes questions ont déjà été abordées.
J'aimerais toutefois poser une question liée aux services. À votre avis, serait-il utile — peut-être pas dans le cadre de cet amendement, mais dans le prochain — de prévoir des droits antidumping liés aux services? La sous-traitance à l'extérieur du pays nuit énormément à nos produits. Cela pourrait-il faire partie de votre mandat?
Mme Govier : Le commerce des services est généralement très différent du commerce des biens en raison de sa nature. Cette situation pourrait se produire lorsque des gens entrent au Canada pour fournir un service ou lorsqu'un service est fourni de l'autre côté de la frontière. C'est un domaine beaucoup plus complexe, et je crois que c'est en partie à cause de cela.
J'ai consulté les règles de l'OMC qui régissent le dumping et le subventionnement et la façon dont nous les appliquons au pays, mais il n'existe aucune règle ou ligne directrice liée aux services. On ne sait donc pas trop si ce serait possible en vertu des règles de l'OMC ou si on a prévu cette situation.
Comme je l'ai dit, nous n'avons pas envisagé cela. Nous pourrions tenter de déterminer dans quelle mesure ce problème peut être réglé par ce type de système. Toutefois, en raison de la nature particulière du commerce des services, les problèmes commerciaux dans ce domaine sont réglés séparément par l'entremise de différents mécanismes.
La sénatrice Enverga : Ce que je constate, c'est qu'une série d'organismes — et certaines banques en particulier — sont déplacés. Ce sont des services qui sont offerts ici, et ce sont essentiellement nos produits. Mais d'autres pays les offrent en raison du faible coût de leur main-d'œuvre. Il pourrait s'agir d'une bonne raison pour examiner la question.
Mme Govier : Comme je l'ai dit, je crois que ces types de problèmes peuvent être réglés. Comme je ne suis pas une experte dans le domaine des services, je dois me montrer prudente dans mes affirmations. Je crois que ces problèmes peuvent également être réglés par l'entremise d'autres mécanismes.
Une chose que j'aimerais préciser relativement au système de recours commerciaux, c'est que le dumping ne se produit pas seulement lorsqu'un autre pays peut nous vendre des produits à prix moins élevé — ce qui se produit souvent, car les entreprises ont des avantages concurrentiels, et cetera. Il doit vraiment s'agir d'une situation commerciale inéquitable dans laquelle on pratique le subventionnement ou le dumping.
Le sénateur Enverga : Les autres pays font certainement du subventionnement. J'espère qu'on fera quelque chose à cet égard.
Mme Govier : Je vais m'assurer d'examiner la question.
Le sénateur Enverga : J'aimerais aborder un autre sujet. Dans le calcul de la valeur normale des biens, tenez-vous compte des coûts d'amortissement lorsque vous comparez un produit d'un pays avec celui d'un autre pays? Cela fait-il partie des coûts que vous avez examinés?
M. Larson : Pour déterminer si un produit a été sous-évalué, il faut comparer sa valeur normale à son prix à l'exportation, c'est-à-dire essentiellement son prix de vente au Canada. Lorsque nous calculons la valeur normale d'un bien dans un pays étranger, nous calculons le coût total pour l'exportateur, ce qui comprend tous les coûts financiers et l'amortissement. Nous calculons le coût total pour chaque exportateur. Cela n'a rien à voir avec les coûts au Canada, les coûts de ses concurrents ou les coûts d'autres producteurs dans ce pays. Nous tenons compte du coût total de l'exportateur dont nous calculons la valeur normale du bien.
Le sénateur Enverga : Merci.
Le sénateur Day : Monsieur Larson, j'ai réfléchi à la quantité de travail supplémentaire ou réduite que vous devrez effectuer. Si nous éliminons le critère de la quantité négligeable, pourquoi devriez-vous appliquer un critère si vous continuez? C'est la première chose à laquelle j'ai pensé. Ensuite, je me suis rendu compte, en vous écoutant, que vous devez utiliser ce critère pour déterminer si des droits provisoires seront imposés. Est-ce exact?
M. Larson : Nous avons essentiellement deux options pendant la phase préliminaire de notre enquête. Soit nous mettons fin à l'enquête, soit nous rendons une décision provisoire et nous poursuivons ensuite l'enquête. En vertu de la loi en vigueur, si nous concluons que le montant de la subvention ou la marge de dumping est négligeable, nous devons mettre fin à l'enquête.
Le sénateur Day : Oui. Et si ce changement est apporté à la Loi, cela ne s'appliquera plus. Vous poursuivrez l'enquête.
M. Larson : C'est exact.
Le sénateur Day : Dans ce cas, pourquoi vous faut-il deux phases? Il semble que vous ayez besoin de deux phases pour vous en sortir si vous ne trouvez rien ou alors vous pouvez imposer des droits provisoires après la première phase. Est-ce exact?
M. Larson : Oui. Encore une fois, les représentantes du ministère des Finances souhaitent peut-être formuler des commentaires sur les raisons pour lesquelles la Loi est structurée de cette façon, mais elle est structurée de façon à ce qu'en général, 90 jours après le début de l'enquête, nous prenions une décision préliminaire, qu'il s'agisse de mettre fin à l'enquête sans prendre de mesure ou de rendre une décision provisoire. Dans le dernier cas, nous commençons à imposer des droits provisoires et l'enquête se poursuit pendant 90 jours.
Le sénateur Day : Mais vous devez utiliser le critère qui détermine si la quantité est négligeable ou non pour décider si vous imposerez des droits provisoires.
M. Larson : Afin de déterminer si nous rendrons une décision provisoire, ce qui entraîne ensuite l'imposition de droits provisoires, oui.
Mme Govier : Sauf qu'avec ces amendements, lorsque la marge de dumping ou le subventionnement est négligeable, on n'imposerait pas de droits provisoires. Vous avez donc raison lorsque vous dites que cela s'appliquerait seulement dans certains cas.
Le sénateur Day : Mais le critère doit-il toujours être appliqué?
Mme Govier : Il faut tout de même rendre une décision, oui.
M. Larson : Oui.
Le sénateur Day : Ce point est maintenant éclairci. Le deuxième point concerne ce qui entraîne l'intervention du Tribunal canadien du commerce extérieur dans le dossier. Devez-vous trancher vous-mêmes s'il y a eu dumping ou subventionnement ou pouvez-vous nous assurer que les deux organismes s'échangent les renseignements pertinents?
M. Bédard : Je suis heureux de vous assurer que les deux organismes se répartissent les tâches.
L'ASFC détermine s'il y a eu subventionnement ou dumping ou les deux, et cette décision lui revient entièrement. La décision nous est ensuite communiquée et notre enquête porte sur le préjudice causé. Autrement dit, selon la Loi, non seulement on doit déterminer qu'il s'agit d'un cas de dumping, mais que le dumping cause également un préjudice matériel à l'industrie nationale. Nous laissons nos amis de l'ASFC faire tous les calculs, et nous nous concentrons seulement sur les préjudices.
Le sénateur Day : Il s'ensuit que vous commencez seulement à évaluer la présence d'un préjudice matériel lorsque les agents des services frontaliers vous confirment qu'à leur avis, il s'agit de dumping ou de subventionnement.
Mme Govier : Je peux parler du processus. Lorsqu'une plainte est acceptée par l'ASFC, ses agents agissent un peu comme les gardiens du système et décident qu'une enquête sera lancée. À ce moment-là, chaque organisme commence à travailler sur la partie dont il est responsable.
Tout d'abord, si le TCCE a des renseignements généraux qui laissent croire que l'industrie nationale a subi un préjudice, il rend une décision provisoire à cet égard. Ensuite, l'ASFC rend une décision provisoire de dumping et de subventionnement; les droits provisoires seront appliqués à ce moment-là.
Le sénateur Day : Puis-je vous interrompre?
Mme Govier : Oui.
Le sénateur Day : Il me semble que deux enquêtes sont menées. Lorsque vous examinez la question des préjudices matériels, vous formulez l'hypothèse selon laquelle il y a eu dumping ou subventionnement illégal, ou alors vous devez mener une enquête pour déterminer ce qui s'est produit avant de pouvoir déclarer que l'industrie a subi un préjudice matériel.
Mme Govier : Veuillez me corriger si je me trompe, mais une grande partie de la décision provisoire liée au préjudice matériel rendue par le TCCE est fondée sur les renseignements fournis dans la plainte. Les intervenants de l'industrie qui présentent une plainte à l'ASFC fourniront aussi de nombreux renseignements, des indicateurs, et cetera, et des preuves qui démontrent que l'industrie a subi un préjudice. Je crois que c'est le processus, en plus du travail supplémentaire accompli par le TCCE. Ils ajouteront également des renseignements sur les raisons qui leur font croire qu'il y a eu dumping et subventionnement.
Ce n'est pas qu'il n'y a pas de seuil. Il faut établir un seuil de preuves qui indiquent que les activités décrites dans la plainte existent bel et bien. C'est le premier pas à franchir pour lancer l'enquête; elle peut ensuite être déclenchée.
Le sénateur Day : Ensuite, les deux enquêtes sont menées en parallèle?
Mme Govier : Oui, avec des analyses distinctes.
Le sénateur Day : Tentez-vous de déterminer si un préjudice matériel a été causé en vous fondant sur certaines hypothèses selon lesquelles il y a eu dumping?
M. Bédard : Dans le cadre de ce processus, l'organisme nous aura communiqué une décision provisoire et plus tard, une conclusion définitive. Mais oui, étant donné les délais prescrits dans la loi, les deux enquêtes sont menées en parallèle.
Le sénateur Day : Partagez-vous l'information pendant ces enquêtes parallèles?
M. Larson : Il y a un échange officiel de renseignements lors de points de décision précis dans le processus, et l'ASFC transfère certains renseignements au tribunal et le tribunal transfère des renseignements à l'ASFC.
En ce qui concerne votre préoccupation sur la présence de preuves de dumping ou de subventionnement pendant le processus, je crois qu'il est important de revenir en arrière pour parler du rôle de gardien du processus que joue l'ASFC.
Nous menons seulement des enquêtes lorsque des producteurs canadiens nous présentent des plaintes écrites, et ces plaintes doivent présenter une certaine quantité de faits qui prouvent que les biens en question ont fait l'objet de dumping ou de subventionnement. La plainte doit également présenter au moins une indication raisonnable que le dumping et le subventionnement causent un préjudice. Rien n'est entrepris avant que ce seuil ait été franchi. C'est le seuil qui doit être franchi pour que l'ASFC lance une enquête.
Une fois l'enquête lancée, le processus de bifurcation commence, et le TCCE se concentre seulement sur les préjudices et l'ASFC se concentre seulement sur les calculs ou sur le montant de subventionnement et la marge de dumping.
Le sénateur Massicotte : J'ai une question sur les détails. Essentiellement, nous devons déterminer le coût total pour le producteur et le coût pour l'exportateur. Vous demandez à une entreprise étrangère — en Chine, par exemple — de calculer le total de ses coûts. Avez-vous des pouvoirs de vérification? Comment vous assurez-vous que les calculs sont exacts et complets?
M. Larson : Lorsque nous lançons l'enquête, nous envoyons une demande d'information détaillée dans laquelle nous demandons des renseignements sur les coûts de production de l'exportateur ou du producteur, sur toutes ses dépenses de ventes et ses dépenses administratives et financières, et sur les ventes des mêmes produits dans leur pays et au Canada. C'est seulement lorsque les exportateurs coopèrent avec nous et nous fournissent une réponse complète que nous nous rendons habituellement dans le pays étranger — la Chine dans votre exemple — et que nous vérifions les renseignements qui nous ont été fournis.
Le sénateur Massicotte : Est-ce qu'ils signent un contrat vous donnant le pouvoir d'examiner leurs dossiers sur place?
M. Larson : Ils ne signent pas de contrat. C'est une exigence qu'ils doivent remplir pour être en mesure d'obtenir une valeur normale et de continuer de vendre leurs produits au Canada, soit lorsque nous imposons des droits provisoires, soit lorsque nous imposons des droits définitifs. La loi ne les oblige pas à nous permettre de vérifier leurs renseignements, mais s'ils ne nous permettent pas de les vérifier, nous ne pouvons pas les utiliser dans l'enquête.
Le sénateur Massicotte : Avez-vous la certitude d'obtenir tous les renseignements nécessaires? Obtenez-vous une réponse pertinente?
M. Larson : Oui, j'en suis sûr. Nous avons un programme de formation de deux à quatre ans dans lequel nous offrons à nos enquêteurs un mélange de formation officielle et de formation en cours d'emploi qui les amène en Chine ou dans un autre pays étranger pour examiner les dossiers et s'assurer que tous les renseignements que nous avons reçus sont exacts et complets.
Le sénateur Massicotte : Plus tôt, en réponse au sénateur Day, vous avez dit que le processus commence lorsqu'un producteur ou une entreprise canadienne affirme subir un préjudice causé par l'importation de biens dans notre pays.
M. Larson : En raison de produits qui sont sous-évalués ou subventionnés.
Le sénateur Massicotte : Il faut que ce soit un producteur, n'est-ce pas?
M. Larson : Oui.
Le sénateur Massicotte : Prenons l'exemple de l'industrie aéronautique dans laquelle, comme vous le savez, Bombardier et Embraer s'accusent l'une et l'autre de recevoir des subventions. L'ensemble de l'industrie aéronautique est indirectement subventionné. Ce débat représente un casse-tête pour notre pays.
Ainsi, supposons que Bombardier tente de vendre ses produits au Brésil et qu'Embraer s'y oppose. Une étude est menée au Brésil, et nous faisons la même chose ici. Toutefois, dans un pays où il n'y a pas de producteurs — et c'est le cas des 196 autres pays —, il n'existe aucun recours, et les entreprises peuvent vendre leurs produits à n'importe quel prix. Est-ce exact? Elles peuvent vendre leurs produits à un prix plus bas que leurs coûts?
Mme Govier : L'OMC a établi des règles et des recours qui prévoient ce genre de situation. Ils ne sont pas fréquemment utilisés.
Le sénateur Massicotte : Mais dans une large mesure, l'OMC s'occupe seulement des coûts de financement.
Mme Govier : Non, les règles sur les subventions qui s'appliquent dans nos enquêtes sur les droits compensateurs s'appliquent également dans ces cas. Il y a également les disciplines de l'OMC. Vous savez peut-être que nous avons eu un différend assez important avec Embraer dans les années 1990, et que les règles de l'OMC ont été utilisées.
S'il s'agit d'une subvention à l'exportation, certaines définitions de l'OMC précisent que les subventions à l'exportation sont interdites. Dans ces cas-là, vous pourriez vous adresser à l'OMC, et si votre plainte est acceptée, la subvention devra être retirée.
S'il ne s'agit pas d'une subvention à l'exportation, mais qu'il s'agit tout de même d'une subvention assujettie aux règles de l'OMC, il y a différents mécanismes en place, toujours par l'entremise de l'OMC, qui pourraient être utilisés, notamment lorsque des produits sont vendus sur un troisième marché. Par exemple, le Canada et le Brésil se font concurrence sur le marché américain, en Europe ou ailleurs.
Le sénateur Massicotte : Il n'est donc pas nécessaire qu'un producteur américain présente une plainte?
Mme Govier : C'est exact.
Le sénateur Massicotte : Pouvez-vous accroître la portée de votre décision 5 ou 10 ans plus tard, si vous le souhaitez, par l'entremise de l'OMC?
Mme Govier : Oui. Ce processus n'est certainement pas aussi rapide que notre processus national, et les deux processus sont complètement distincts.
Le sénateur Massicotte : L'OMC offre un processus d'appel, mais si vous rendez une décision et que l'autre partie n'est pas d'accord, mais que vous devez rendre une décision sur le préjudice causé, n'existe-t-il aucun processus d'appel ou d'autre processus pour signaler le désaccord et demander à une tierce partie de trancher la question?
Mme Govier : Il y a quelques options. Il existe un processus d'appel national. Donc, si un producteur national, par exemple, est d'avis qu'une décision rendue par l'ASFC ou le TCCE va à l'encontre de la loi, cette décision peut faire l'objet d'un appel à la Cour fédérale. Si un autre pays juge que nous avons pris une décision qui ne respecte pas les règles de l'OMC, il est possible d'utiliser le mécanisme de règlement des différends de l'OMC.
Le sénateur Massicotte : Merci.
La sénatrice Ringuette : Je suis un peu intriguée par le fait que le processus peut seulement être déclenché par une plainte. N'avez-vous pas un autre processus qui sélectionne au hasard des cargaisons en vrac envoyées au Canada qui pourraient être sous-évaluées, mais pour lesquelles personne n'a porté plainte, parce qu'aucune entreprise canadienne ne fabrique ce produit? Il se pourrait que des produits soient sous-évalués au Canada.
Mme Govier : Nous examinons les préjudices causés aux producteurs nationaux, et c'est la raison pour laquelle c'est un processus mené surtout par l'industrie nationale. Les intervenants de l'industrie doivent démontrer que leur industrie subit un préjudice. S'il n'y a aucun producteur national, aucun préjudice n'est causé et c'est la fin de l'histoire.
Le président : J'aimerais remercier chaleureusement les témoins. J'aimerais également remercier les représentants du ministère des Finances, comme Mme Govier, qui ont comparu pour nous aider. C'était une bonne réunion, et nous avons utilisé tout le temps qui nous était imparti; c'est une excellente chose.
Nous suspendrons la séance pendant quelques minutes et nous nous réunirons ensuite à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)