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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule n° 11 - Témoignages du 7 décembre 2016


OTTAWA, le mercredi 7 décembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 20, pour étudier, en vue d'en faire rapport, la création d'un corridor national au Canada afin d'améliorer et de faciliter le commerce et les échanges intérieurs.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle David Tkachuk et je suis le président du comité. La séance d'aujourd'hui est la neuvième que nous consacrons à notre étude sur la création d'un corridor national au Canada afin d'améliorer et de faciliter le commerce et les échanges intérieurs.

Je profite de l'occasion pour informer mes honorables collègues que notre motion visant à obtenir un délai a été adoptée hier, et que la date de présentation de notre rapport a ainsi été reportée du 28 février 2017 au 31 mai 2017.

Pendant la première portion de notre séance d'aujourd'hui, nous avons le grand plaisir d'accueillir notre ancien collègue, l'honorable Gerry St. Germain, C.P., sénateur de 1993 à 2012 à titre de représentant de la Colombie-Britannique (Langley-Pemberton-Whistler). Pendant ses années au Sénat, M. St. Germain a notamment été membre de notre comité et président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones au fil de plusieurs législatures.

Avant d'être nommé au Sénat, M. St. Germain a été député de 1983 à 1988.

En mars 1988, il s'est joint au Cabinet canadien, devenant ainsi le premier Métis à le faire, à titre de ministre des Transports avant d'être nommé ministre des Forêts.

Merci d'être des nôtres aujourd'hui, honorable sénateur St. Germain. Veuillez maintenant nous présenter vos observations préliminaires après quoi les sénateurs auront des questions pour vous.

Honorable Gerry St. Germain, C.P., ancien sénateur, à titre personnel : Merci, monsieur le président. C'est tout un honneur pour moi de me retrouver ici devant mes chers collègues qui ont droit à tout mon respect et qui me manquent beaucoup. Je veux être bien honnête avec vous. Vous étiez tous formidables.

Je vois Lynn, la greffière, les interprètes et tous ceux qui travaillent pour nous, et je veux les remercier d'être ce qu'ils sont et de l'aide qu'ils m'ont apportée pendant que j'étais sénateur.

Bonjour à tous. Comme on vient de vous le dire, je suis Gerry St. Germain, ancien sénateur de la Colombie-Britannique, éleveur de bétail et homme d'affaires, mais surtout connu comme producteur de poulets. Je suis également un Autochtone, un Métis du Manitoba. Je veux d'abord et avant tout remercier les membres du comité de me donner l'occasion de comparaître devant eux.

Comme certains d'entre vous le savent très bien, j'ai servi pendant 19 ans au Sénat dont 16 à titre de membre du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et 7 comme président de ce comité.

Depuis ma retraite du Sénat du Canada à la fin de 2012, je donne de mon temps pour aider les Premières Nations du nord de la Colombie-Britannique à envisager différentes options pouvant faciliter leur participation financière aux grands projets qui sont proposés sur leurs territoires. Soit dit en passant, ce serait sans doute une bonne chose, pour autant que l'on puisse s'y prendre de la manière qui convient.

C'est à la lumière de mon travail bénévole auprès des Autochtones que je vais vous entretenir principalement aujourd'hui des répercussions que pourrait avoir l'établissement d'un corridor national sur certains intérêts commerciaux des Premières Nations. Les enjeux liés à la participation des Premières Nations aux grands projets de développement sont complexes à un point tel qu'ils exigent le déploiement de capacités et d'efforts considérables.

Si les décisions historiques des tribunaux au cours des 20 dernières années et les annonces récentes du gouvernement du Canada concernant l'approbation des projets de Kinder Morgan, de la canalisation 3 et de Pacific Northwest LNG ainsi que le rejet de celui de Northern Gateway, nous ont appris quelque chose, c'est bien que notre approche stratégique actuelle des grands projets de développement ne sert pas particulièrement bien les intérêts des Premières Nations et des autres Canadiens.

Même s'ils ont été approuvés par le Cabinet, rien n'indique avec certitude que ces projets vont aller de l'avant. Cette incertitude est néfaste pour l'industrie, néfaste pour les Premières Nations et néfaste pour l'avenir économique du Canada. Si nous continuons dans la même veine, nous obtiendrons toujours les mêmes résultats.

À mon avis, le mandat stratégique actuel des organismes centraux ne permet pas la prise en compte véritable des intérêts socioéconomiques des Premières Nations dans le contexte du développement des grands projets.

Je tiens à profiter de l'occasion pour affirmer sans équivoque que je n'envisage aucun des enjeux touchant les Premières Nations dans une perspective partisane. J'estime que tout cela doit être complètement apolitique.

Il m'apparaît évident que les efforts déployés au fil de plusieurs décennies par différents gouvernements, y compris ceux dont j'ai moi-même fait partie, pour changer les approches stratégiques du Canada ont échoué pour différents motifs, même s'ils partaient des meilleures intentions du monde.

Je pense qu'il est plus urgent que jamais de faire le nécessaire pour apporter les changements qui s'imposent, car nous aurons tôt fait d'avoir épuisé nos deuxièmes chances. À mon sens, ce sentiment d'urgence doit primer sur toutes les considérations politiques. Les décideurs et les législateurs doivent concilier leurs efforts afin de favoriser cette forme de participation dans l'intérêt des Premières Nations. Ce faisant, nous devons être disposés à prendre les moyens pour que les Premières Nations soient parties prenantes dans la recherche de solutions.

Les nouvelles approches doivent viser d'abord et avant tout la participation commerciale des Premières Nations pour qu'elles puissent s'intégrer au courant principal de l'économie canadienne et bénéficier des avantages sociétaux découlant d'une contribution économique à part entière. Le cadre actuel ne permet toutefois pas une telle chose. Je pense que cela doit changer, et le plus tôt sera le mieux.

Je crois que le gouvernement en poste à Ottawa dit les bonnes choses et donne le ton juste relativement au changement générationnel qui doit survenir, mais il reste quand même que le moment est venu de joindre le geste à la parole.

Le Canada dispose d'outils législatifs pouvant lui permettre d'amorcer l'intégration des intérêts des Premières Nations au cadre stratégique entourant le développement de grands projets. Je pense notamment à la Loi sur la gestion financière des Premières Nations qui vise d'une manière générale à les appuyer dans leur administration financière ainsi que dans leurs relations commerciales avec d'autres gouvernements, les banques et l'industrie. Honorables sénateurs, je crois que l'on devrait chercher en priorité à exploiter les possibilités qu'offre cette loi.

Pas moins de 200 Premières Nations des différentes régions du pays utilisent désormais les services offerts via les trois institutions gérées par des Premières Nations qui ont été créées avec l'entrée en vigueur de cette loi d'application facultative.

Mes efforts bénévoles pour aider les Premières Nations du nord de la Colombie-Britannique sont appuyés par ceux du Conseil de gestion financière des Premières Nations et de son directeur exécutif, Harold Calla, qui est dans l'assistance aujourd'hui. Il a d'ailleurs déjà comparu devant votre comité. La sincérité de son engagement et de son dévouement ne fait aucun doute.

À la demande de plusieurs collectivités des Premières Nations, nos efforts se sont concentrés sur les options pouvant permettre l'accès au capital nécessaire pour acquérir une participation dans les grands projets proposés. Ces communautés ont dit vouloir investir dans ces projets et se sont donné un mécanisme de renforcement des capacités pour avoir accès aux informations techniques nécessaires afin de prendre des décisions d'affaires éclairées. Ce mécanisme prend la forme d'une coalition pour les grands projets avec la participation des Premières Nations de la côte nord-ouest jusqu'au nord-est de la Colombie-Britannique. Je ne vous donnerai pas plus de détails à ce sujet, car je sais que vous avez eu la chance d'entendre le témoignage des membres de cette coalition des Premières Nations à la fin octobre et que vous connaissez donc la nature de leur travail. J'ai pu visionner la vidéo de ces séances, et je dois dire que je suis impressionné de pouvoir travailler avec ces gens-là. Ils sont vraiment formidables. Le chef Joe Bevan est venu vous rencontrer, de même que la chef Corrina Leween de la Première Nation Cheslatta et Angel Ransom de la Première Nation Carrier Sekani. Ils travaillent tous très fort. La création de la coalition représente un important pas en avant dans la détermination des prochaines options stratégiques à considérer pour le Canada. À mon sens, c'est aux Premières Nations qu'il revient d'alimenter et d'orienter le cadre stratégique à venir.

Le gouvernement ne peut pas continuer à s'en remettre à ses processus stratégiques internes et s'attendre à ce qu'il en ressorte des approches novatrices et différentes. On doit ouvrir la porte à une réflexion externe par les Premières Nations directement touchées pour qu'elles aient leur mot à dire quand aux décisions stratégiques à venir. La coalition est une instance apolitique à vocation commerciale capable d'apporter la contribution souhaitée. Si l'on veut vraiment que les Premières Nations, les gouvernements et l'industrie puissent progresser dans ces différents dossiers, le Canada doit être prêt à investir de façon continue dans les mécanismes de renforcement des capacités comme la coalition.

Parallèlement à cela, nous devons être prêts à adhérer à des concepts comme celui de la participation financière à des grands projets, une conséquence probable des investissements accrus dans la capacité. Cette participation aux grands projets proposés revêt une importance capitale à différents égards.

En sillonnant le nord de la Colombie-Britannique et d'autres régions du Canada au cours des quatre dernières années, et en discutant avec des chefs héréditaires et élus, des aînés, des jeunes et d'autres membres des Premières Nations dans les communautés, j'ai été à même de constater que l'environnement est la grande priorité. Je ne saurais trop insister là-dessus. J'ai toujours cru que c'était seulement l'argent et les affaires. Ce n'est pas le cas.

J'ai rencontré des aînés. Je me souviens de m'être assis dans une pièce où personne n'a dit un traître mot pendant une vingtaine de minutes. Je portais ma veste métisse. L'un d'eux m'a finalement posé des questions au sujet de ma veste, ce qui a permis de briser la glace, et nous avons pu ensuite discuter des sujets qui les intéressaient. Ils m'ont dit d'entrée de jeu que l'environnement est la chose qui prime. Ils m'ont aussi parlé des problèmes sociaux qui touchent les jeunes, du manque de respect et de toutes ces choses déplorables, mais ils m'ont bien indiqué que l'environnement était la priorité principale.

Les Premières Nations veulent être en position de force pour aborder la protection de l'environnement, et j'estime que c'est tout à fait justifié. J'ai pu moi-même observer les effets dévastateurs d'une politique d'aménagement inappropriée dans les territoires traditionnels des Premières Nations du nord-est de la Colombie-Britannique où la majorité des activités d'extraction de gaz naturel liquéfié ont cours.

Ce sont des situations semblables qui ont ébranlé la confiance des Premières Nations à l'endroit des processus de la Couronne pour ce qui est des grands projets de développement. C'est en investissant pour s'assurer une participation financière aux grands projets proposés que les Premières Nations seront mieux à même d'en tirer parti en exerçant une influence sur les décisions de gestion du projet tout en atténuant les risques pour l'environnement.

J'ai survolé en hélicoptère pendant une heure et 40 minutes un territoire qui a déjà été le plus peuplé en gibier dans le monde. Nous volions à 500 pieds d'altitude. Nous n'avons pas vu un seul orignal. Nous avons seulement pu apercevoir des loups — c'est la destruction totale. Je vous parle de la région nord-est, à partir de Fort Nelson. Nous avons pu voir l'eau brunâtre des sites de fracturation. La seule eau brunâtre que vous trouverez jamais dans le Nord, c'est celle qui est attribuable à l'activité humaine.

L'accès à la propriété via la participation financière procurera en outre à ces communautés des Premières Nations la source de revenus dont elles ont besoin pour stimuler suffisamment leur économie afin de s'affranchir de leur dépendance à l'égard des programmes et des services du ministère des Affaires autochtones et du Nord. Les Premières Nations ont déjà négocié une participation au capital avec l'industrie pour des projets comme celui du pipeline Pacific Trail. Ce projet a permis d'établir une norme de référence en offrant aux Premières Nations un siège à part entière au conseil d'administration. La participation au capital prévue n'a pas pu se concrétiser parce que les Premières Nations ont été incapables de trouver le financement nécessaire. On leur a répondu soit que la chose n'était pas possible soit que l'intérêt sur le prêt serait aussi élevé que le taux de rendement sur l'investissement.

Honorables sénateurs, cet exemple montre bien que les gouvernements doivent être prêts à collaborer avec les Premières Nations pour trouver des façons novatrices d'éliminer les obstacles à l'accès au capital dans une mesure suffisante pour permettre la participation financière des Premières Nations aux grands projets.

À cette fin, il faudrait voir comment il est possible de mettre à contribution le bilan et la cote de crédit du Canada pour faciliter l'octroi de garanties de prêts par le gouvernement.

La perspective de voir les Premières Nations investir dans les grands projets ne fait pas l'unanimité. Certains soutiennent que la participation au capital comporte trop de risques pour les Premières Nations et que leurs intérêts sont mieux servis par une formule misant sur le partage des revenus ou sur des ententes prévoyant le versement d'indemnités. Selon moi, ces autres options ne permettent pas aux Premières Nations d'exercer leur influence et de faire valoir leurs intérêts tout au long du cycle de vie d'un projet.

Si nous choisissons de mettre fin au statu quo, les Premières Nations doivent avoir accès à des options leur permettant d'affirmer ainsi leur influence pour faire changer les choses tout en disposant des capacités nécessaires à cette fin. Des intervenants clés de l'industrie du gaz et des pipelines m'ont carrément indiqué que leurs projets offrent les possibilités d'investissement les plus sûres qui soient. Ils ont tout à fait raison.

Tous les risques associés à l'acquisition d'une participation financière peuvent être atténués de différentes manières. Je peux vous en parler pour avoir moi-même évolué dans le milieu des affaires. Je siège au conseil d'administration d'une entreprise appartenant à des Autochtones en Alberta. Je sais quel genre de décisions nous prenons dans ce contexte, pour quelle raison nous les prenons et quels en sont les avantages pour les Premières Nations.

Qu'adviendra-t-il si nous ne sommes pas disposés à apporter ces changements nécessaires pour permettre à la majorité des Premières Nations de participer de cette manière aux grands projets? Je vous pose la question. Allons-nous être en mesure d'établir un cadre stratégique permettant de réaliser les projets comme celui d'un corridor national pour faciliter les échanges et le commerce? C'est une autre bonne question. Et j'en ai une troisième. À quoi voulons-nous que le tissu économique et social du Canada ressemble dans 10 ou 20 ans d'ici?

Il y a 10 ans, alors que j'étais président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, nous avons produit un rapport détaillé portant sur le développement économique. Le comité y formulait une série de recommandations traitant de bon nombre des réalités et des défis dont je vous ai parlé aujourd'hui. Le travail de ce comité était notamment le fruit des efforts de la sénatrice Dyck, du sénateur Sibbeston, du sénateur Patterson, du sénateur Campbell, qui est présent aujourd'hui, et d'autres sénateurs qui ont cru et continuent de croire en l'avenir des Premières Nations.

Des améliorations ont bel et bien été apportées depuis, mais il n'y a pas eu une véritable volonté d'opérer le genre de transformation nécessaire pour assurer aux Premières Nations la place qu'elles revendiquent et qui leur revient de droit. Cette place se trouve dans les conseils d'administration où les décisions sont prises, dans les organisations communautaires où l'on s'emploie à stimuler l'économie et à améliorer les services sociaux, et sur le terrain pour la protection de l'environnement.

Honorables sénateurs, j'ai 79 ans, bientôt 80, et je vais continuer de donner de mon temps pour aider les Premières Nations de la Colombie-Britannique et de partout au Canada dans leurs efforts pour se donner la capacité et les outils nécessaires pour prendre des décisions d'affaires éclairées et bénéficier pleinement des possibilités qui s'offrent. Plaise à Dieu que je puisse le faire encore longtemps. Nous devons toutefois en arriver à tourner la page pour mettre derrière nous ces séquelles historiques qui ont valu un sort aussi navrant à nos Premières Nations.

Pour ce faire, nous pouvons notamment leur donner les moyens de prendre leur avenir en main en les habilitant à occuper la place qui leur appartient au cœur de l'économie canadienne. L'avenir économique de notre pays riche en ressources en dépend.

Pour conclure, je vais vous raconter une petite histoire. C'est un jeune Métis qui arrive en Colombie-Britannique en 1966 sans un sou et sans un meuble, mais avec trois jeunes enfants. Il fallait que je trouve à nous loger, et j'ai finalement loué une maison plutôt délabrée d'un immigrant allemand et d'un immigrant néerlandais. Nous nous sommes ensuite liés d'amitié, et celui qui était d'origine allemande a fini par me dire qu'il faudrait bien que j'aie ma propre maison. Je ne possédais rien et je n'avais pas accès à du capital. Je n'étais qu'un simple Métis et mon épouse provenait d'une famille aussi pauvre que la mienne.

La coopérative de crédit allemande, Edelweiss Credit Union, de Vancouver m'a consenti un prêt avec hypothèque pour 100 p. 100 du capital nécessaire à la construction d'une maison. Six ans plus tard, et n'oubliez pas que je vous parle du milieu des années 1970, j'avais des actifs de 360 000 $. Tout cela parce que quelqu'un m'a donné la chance d'accéder à la propriété pour m'intégrer à l'économie de notre pays.

C'est tout ce dont nos Premières Nations ont besoin, une chance, et nous ne leur avons jamais donné cette chance. Nous multiplions les versements, les programmes, les projets et tout le reste, mais cela ne fonctionne pas. Nous devons donc changer d'approche.

Je vois ici des gens avec lesquels j'ai travaillé pendant de nombreuses années. Je vois aussi de nouveaux visages, ce qui est une bonne chose. N'oubliez pas que tout est en vos mains dans une très large mesure. Faites ce que vous avez à faire, je vous en prie.

Que Dieu vous bénisse tous. Merci.

Le président : Merci, sénateur St. Germain.

J'aimerais bien ajouter quelque chose. Je crois pouvoir parler au nom de tous les membres du comité en disant que nous avons eu droit à un exposé fort intéressant d'un groupe représentant les Premières Nations de la Colombie-Britannique.

Lorsque nous parlons de la possibilité de négocier avec les Premières Nations dans le contexte des grands projets de développement, nous perdons de vue la nécessité d'établir un partenariat avec les Premières Nations. Des problèmes se sont posés pour bon nombre de ces projets du simple fait que nous n'avons pas considéré les Premières Nations comme des partenaires à part entière. C'est une leçon également pour le secteur privé qui ne voit pas non plus les Premières Nations comme de véritables partenaires. J'aimerais simplement savoir ce que vous en pensez.

Deuxièmement, quelle forme pourrait prendre selon vous l'aide financière ou la garantie offerte par le gouvernement fédéral pour la participation au capital? Serait-ce un peu comme avec les municipalités? Je sais que les municipalités bénéficient de garanties qui réduisent leurs taux d'intérêt. C'est le cas de toutes les villes, comme le sénateur Campbell pourrait nous le confirmer. Je sais que la Saskatchewan garantit des prêts pour toutes les villes de la province. Est-ce un peu ce que vous envisagez?

M. St. Germain : En principe, oui, mais il faut que ce soit des investissements judicieux.

C'est le cas par exemple du pipeline Pacific Trail. Le rendement d'un tel investissement est garanti en raison du taux fixe établi par la commission des services publics.

Il va de soi que nous devons concevoir un mécanisme semblable. Les gens des Premières Nations sont d'ailleurs pleinement conscients de la situation. Il m'a fallu quatre ans pour gagner leur confiance et leur respect afin de pouvoir m'asseoir avec eux et parler ouvertement.

Ils m'ont dit qu'ils se rendent bien compte qu'ils n'ont pas toutes les capacités voulues. Ils ont besoin d'aide à ce chapitre. Ils apprécient pouvoir gérer leurs propres affaires. C'est la raison pour laquelle ils veulent établir des partenariats.

Comme je l'indiquais dans mon exposé, le principal obstacle viendra de la réticence de certaines grandes sociétés de pipelines à lâcher prise. Je leur ai dit : « Êtes-vous en train de me dire que vous êtes prêts à faire passer votre pipeline sur leurs territoires traditionnels, mais que vous n'êtes pas prêts à en partager la propriété avec eux? » Ils m'ont répondu : « Non, nous ne voulons pas. C'est le meilleur investissement que nous puissions faire, et nous ne voulons pas le partager. » J'ai rétorqué : « Qu'allez-vous faire s'ils ne vous laissent pas passer? » Je discutais avec l'un des responsables d'une des grandes sociétés de pipelines que je vais m'abstenir d'identifier.

Il m'a carrément dit — et M. Calla, qui se trouve derrière moi, m'accompagnait — « Cela ne nous intéresse pas. ». Je lui ai demandé comment ils allaient faire. Et il m'a répondu : « Nous allons simplement passer, comme nous l'avons toujours fait. ». Je lui ai donc dit ceci : « N'essayez pas de passer par mon ranch, car si vous le faites et que vous rasez tout sur votre passage, cela ira mal. ».

Ces gens pensent qu'ils ont un droit inaliénable d'aller où ils veulent, et ils ont toujours agi ainsi. Regardez la situation des pauvres gens concernant la route Dollarton. Le sénateur Campbell connaît la situation. On leur a dit de déménager leurs cabanes ailleurs parce qu'on allait faire construire la route, et c'est ce qui a été fait. Ces personnes sont passées directement dans la réserve.

Il y a encore des gens qui pensent ainsi. C'est l'autre problème. Il nous faut convaincre l'industrie, de sorte qu'elle se rende compte qu'elle a une responsabilité.

Par exemple, Ian Anderson est un homme qui agit de la façon la plus correcte possible. En tant que grand patron de la société de pipeline Kinder Morgan, il parle directement aux Autochtones.

Je ne suis pas en train de prendre position au sujet de Kinder Morgan ou de M. Anderson, mais je sais que c'est ce qu'il fait, ce qui change beaucoup la donne. Il parle directement aux gens, leur serre la main et essaie de s'entendre avec eux. Voilà ce que nous devons commencer à faire. Nous devons reconnaître ces gens comme des personnes compétentes.

Il y a trois personnes qui ont comparu devant vous, soit Angel Ransom, une jeune Autochtone plus que brillante; Corrina, la chef de la nation des Carrier de Cheslatta, qui est très brillante et qui peut faire des affaires; et Joe Bevan — je crois que c'était le troisième témoin —, une autre personne qui est consciente que nous devons accroître les capacités, et c'est la seule façon dont nous réussirons.

La sénatrice Ringuette : Commençons par le commencement : Gerry, vous nous manquez beaucoup également. Vous étiez une source d'inspiration.

Concernant la question du corridor nordique et ce que nous examinons actuellement, j'ose espérer qu'à la fin de notre étude, on recommandera le financement de l'étude proprement dite. Cela se fera dans le milieu universitaire.

Depuis le début, comme vous l'avez indiqué, on parle surtout d'accumulation d'avoirs, d'acquisition de connaissances, et cetera. Je crois que le comité devrait insister pour que les Premières Nations participent dès le départ, dès le début de l'initiative.

D'après votre expérience, en ce qui concerne ce type de projet majeur, quelles Premières Nations devraient participer à la première étape, soit à l'étude, à votre avis?

M. St. Germain : Sénatrice, voilà pourquoi je suis ici. Je pourrais faire autre chose, comme tomber de mon cheval, comme c'est arrivé il y a cinq semaines. Ce n'était pas amusant. Je pourrais faire autre chose, mais je veux être ici.

Le président : Est-ce aussi terrible?

M. St. Germain : J'étais étendu par terre. Un témoin de Jéhovah était à côté de moi, en train de faire une prière. C'était drôle.

Ce qui m'emballe, c'est cette fusion des Premières Nations. Je ne suis pas le premier à examiner la question. Avant de quitter le pouvoir, l'ancien premier ministre de la Colombie-Britannique, Gordon Campbell, avait recommandé de les regrouper. À l'heure actuelle, l'industrie et les gouvernements font affaire avec une nation à la fois, ce qui n'est pas la bonne façon de procéder.

C'est ce que fait la Coalition de grands projets des Premières Nations. Les Premières Nations se sont regroupées. La coalition compte un comité de direction, et les personnes qui ont comparu en sont membres.

Vous devriez parler à des organisations comme celle-là, ce que vous avez fait et je vous en félicite. Voilà pourquoi votre étude me réjouit.

En raison de cette fusion, on a la majorité. Sur environ 38 bandes, 25 ont adopté des résolutions de conseils de bande, et les membres approuvent ce qui est fait. Une fusion rend cela possible.

Je pense que vous avez raison, car le corridor passera surtout sur des terres traditionnelles. Je vous recommande fortement, monsieur le président, et à vous tous, de favoriser la participation des Premières Nations et qu'il n'y ait pas de surprise. La qualité des gens là-bas vous étonnerait. J'ai rencontré des gens vraiment extraordinaires.

Harold Calla et moi travaillons ensemble depuis 30 ans. Il a travaillé à d'autres mesures législatives visant à permettre aux Premières Nations de se soustraire à l'application de la Loi sur les Indiens, ce qui est aussi une bonne idée, car malheureusement, cette loi est tellement paternaliste qu'elle ne permet pas à nos Premières Nations de penser par elles-mêmes.

Sénatrice Ringuette, je dirais que le processus de fusion est important, mais qu'il faut maintenir la participation des Premières Nations. Je crois avoir déjà dit que c'est essentiel.

Comme je l'ai dit, nous avons déjà commencé. La Colombie-Britannique compte un grand nombre de bandes des Premières Nations, soit plus de 260 sur environ 630. C'est un nombre approximatif.

Il nous faut commencer quelque part. Chaque grand voyage commence par un pas. Ce que nous faisons concernant la Coalition de grands projets des Premières Nations constitue un petit pas, mais il est important. Vous êtes rendus à une étape de votre étude où vous pouvez continuer à faire participer les Premières Nations.

Le sénateur Tkachuk et tous ceux parmi nous qui viennent de l'Ouest du pays savent que si le corridor est créé, il passera surtout sur des terres autochtones.

Le sénateur Black : Je vous remercie de votre contribution aux travaux et de ce que vous accomplissez pour ce projet très important.

Sénateur, vous ne le savez probablement pas, mais aujourd'hui, le Comité des transports a déposé un rapport qui inclut, dans une de ses recommandations — et je crois qu'il ne contient que huit recommandations —, un élément qui, je le sais, vous plaira. Nous avons recommandé que le gouvernement, les entreprises et les Premières Nations se réunissent chaque année pour examiner les pratiques exemplaires afin de garantir la participation des Premières Nations aux projets de pipeline. Le rapport a été déposé il y a quatre heures. Le comité reconnaît clairement l'importance de recourir à des pratiques exemplaires pour atteindre les objectifs que vous avez si bien établis.

Je voulais le dire, monsieur.

J'ai une question à vous poser, car il est à espérer que vous pourrez nous en apprendre un peu plus. J'ai deux questions.

Tout d'abord, pouvez-vous donner à notre comité des exemples de situation où la démarche que vous avez décrite aujourd'hui a été mise en œuvre? Si c'est le cas, est-ce que cela a fonctionné?

Ma deuxième question est un peu plus précise. En ce qui concerne le projet Northern Gateway, qui a été rejeté la semaine dernière, bien des gens ont dit qu'il aurait pu être un bon modèle de participation autochtone. Je crois comprendre que 31 groupes autochtones participant à un partenariat autochtone étaient des intervenants économiques pour le pipeline. Y a-t-il un modèle que nous devrions examiner pendant que nous faisons l'autopsie?

M. St. Germain : Pour ce qui est des exemples, sénateur Black, je n'en ai aucun qui concerne les garanties gouvernementales pour les Premières Nations. Je peux toutefois m'en remettre à mon partenaire et collègue, Harold Calla, de la Première Nation des Squamish, qui est parmi nous aujourd'hui. Je sais que le gouvernement a fourni une garantie pour le projet de Muskrat Falls à hauteur de 6 milliards de dollars.

J'ignore si vous savez que Genworth est une compagnie qui offre des garanties hypothécaires et que le gouvernement garantit 90 p. 100 des assurances. C'est un exemple où le gouvernement a versé une garantie. Je ne crois pas que General Electric en a autant besoin que certaines de nos Premières Nations.

Cela dit, ce sont des exemples où il y a des garanties de prêt du gouvernement. Ce n'est fort probablement pas aussi simple que je l'ai décrit en ce qui concerne Genworth et la garantie hypothécaire, mais cela montre que le gouvernement peut le faire.

Je veux soulever ce point, étant donné que vous l'avez souligné, sénateur Black. Si quelqu'un a une meilleure idée — n'importe qui dans le monde —, il ne faut pas qu'elle reste secrète, car je ferai tout ce que je peux pour aider. Je ne veux même pas qu'on mentionne mon nom. Je vais vous donner un exemple personnel. Sénateur Black, j'ai vécu dans une collectivité dans laquelle il n'y avait rien; il n'y avait aucun espoir, aucune possibilité de se lancer en affaires. On était soit travailleur, soit trappeur, comme mon père. Même mon père m'a dit : « Gerry, tu ne peux pas être trappeur, car ces gens vont détruire l'environnement ». Et c'est ce qui s'est passé. Les marais ont été drainés pour des activités agricoles, et cetera.

Sans capitaux et sans accès, que peut-on démarrer? Dans 99 p. 100 des cas, on ne peut rien entreprendre, et voilà pourquoi c'est tellement essentiel.

La sénatrice Wallin : Je suis ravie de vous voir, sénateur. C'est une question qui rappelle celle de la poule et de l'œuf.

M. St. Germain : Avez-vous trouvé une chose dans laquelle je n'ai pas d'expérience?

La sénatrice Wallin : Comme bien d'autres gens, vous avez dit que la Loi sur les Indiens et les programmes ne fonctionnent pas. Un nombre infini de gens l'ont dit, mais on dépense des milliards de dollars. Donc, si vous et nous avons accès à cet argent afin de favoriser les investissements et les partenariats de participation ou de financer d'autres types d'activités, dont l'étude en tant que telle, il y a probablement de l'argent dans le système pour le faire, mais comment y accédons-nous? Est-ce que tout le monde commence à renoncer à ces choses, de sorte que l'argent puisse être transféré?

Je sais que c'est une question difficile, mais ce n'est pas que l'on ne dépense pas l'argent. Comment pouvons-nous l'investir ailleurs? C'est qu'il faudrait alors que les groupes de Premières Nations de partout au pays disent qu'ils abandonnent si cela leur revient de l'autre façon.

M. St. Germain : Tout d'abord, cela passe par l'éducation. D'après les discussions que j'ai eues avec des dirigeants des Premières Nations, ils le reconnaissent. À l'heure actuelle, des fonds pour l'éducation sont versés dans le fonds commun pour les bandes. Quand j'étais président du comité sénatorial permanent, nous avions publié une étude indiquant que le financement de l'éducation devrait être prescrit par la loi. Cela signifie qu'il n'est investi que dans l'éducation, exclusivement. Si l'on n'inclut pas cette disposition...

L'autre enjeu concernant l'éducation et les Premières Nations en ce moment, c'est qu'il n'y a aucune norme. Il n'y a pas de conseil scolaire, ni de critères décisifs. Je vous donne un exemple : la nation Dogrib des Territoires du Nord-Ouest, qui vit tout près de Yellowknife. Elle a une école secondaire à Rae-Edzo, près de Yellowknife, et le taux de diplomation est très bon.

Il y a une autre collectivité isolée. On peut s'y rendre par avion ou passer par la glace en hiver. Le taux d'échec est tout simplement atroce. Personne n'obtient vraiment de diplôme. D'autre part, les bons enseignants ne vont pas là-bas, mais vont à Rae-Edzo.

Il y a tellement de facteurs, comme la qualité des enseignants et de la structure de l'enseignement dans son ensemble. On ne peut pas tout simplement investir de l'argent dans quelque chose, comme cela. Si l'on a un tas d'argent et que tout le monde en prend une poignée, la première chose qu'on sait, c'est que la caisse est vide. Il faut que le financement soit ciblé.

Voilà pourquoi, grâce à un comité de direction comme le nôtre, on peut attirer des gens de qualité comme Angel Ransom, qui a comparu devant vous. Nous devons prendre un risque.

Quand j'étais pilote de la Force aérienne, j'avais un instructeur. Durant mon premier vol solo à bord d'un avion Chipmunk, il s'est écrasé — les ailes ont été arrachées. Un instructeur — l'un des hommes qui nous évaluaient — m'a dit :« Tu vas remonter dans le ciel avec moi. ». Je lui ai alors demandé s'il voulait que je cause l'écrasement d'un autre avion. Nous sommes remontés dans les airs. Il m'a dit qu'il savait ce qui n'allait pas, et c'était que mon instructeur ne m'avait pas laissé piloter l'avion. Il m'a dit qu'on peut bien tout apprendre, mais que si une personne ne sait pas comment piloter l'avion et que son instructeur ne la laisse pas le faire et ne prend pas le risque, l'avion s'écrase. C'est la meilleure analogie que je puisse vous offrir.

La sénatrice Wallin : Je sais que les choses sont différentes en Colombie-Britannique par rapport à d'autres provinces. L'obligation de consulter ne veut pas dire la même chose partout. Voyez-vous cela comme un veto?

M. St. Germain : Non.

Le sénateur Smith : Je suis ravi de vous voir, Gerry.

J'ai une question, et elle est simple. Comment? C'est que M. Calla a comparu, et les gens du groupe s'exprimaient très bien et étaient très impressionnants, mais la première étape dans le processus de vente est liée à la façon de communiquer avec les gens et d'établir un lien de confiance. Vous en avez beaucoup parlé.

Je pense que ce qu'il nous faut probablement, et j'ai besoin de votre opinion, c'est de savoir par où nous devons commencer. Commençons-nous par un projet? Commençons-nous en Colombie-Britannique? Comment devons-nous commencer et créer un lien?

Nous devons connaître leur façon de voir les choses, par exemple le groupe de M. Calla. Si nous croyons vraiment que nous donnerons aux peuples des Premières Nations des moyens d'agir, nous devons connaître leur point de vue. Ils doivent être assez en confiance pour nous dire exactement ce qu'ils pensent, de sorte que nous puissions établir les liens.

Quand je travaillais pour Ogilvie Mills, nous sommes allés au Japon et il nous a fallu huit ans pour réussir à vendre là-bas, parce que les Japonais ne nous faisaient pas confiance. Une fois que nous avons obtenu leur confiance, nous avons battu les Américains à plates coutures, même si notre prix était plus élevé. La question qui se pose, c'est la suivante : comment procédons-nous? Comment faire bouger les choses? Par où devons-nous commencer? Il y a 640 nations selon les dernières données fournies par Affaires autochtones et du Nord Canada.

M. St. Germain : Par où commencer? Honnêtement, je crois que nous sommes à la recherche d'un projet. Nous allons essayer de commencer le plus possible en travaillant avec les gens avec lesquels nous collaborons en Colombie-Britannique. La province est en pleine ébullition en raison des ressources naturelles dans le Nord-Est et en Alberta, à côté de l'Alberta, et il faut que cela parvienne aux marchés. Il sera essentiel que les Premières Nations participent au processus.

Voilà pourquoi j'ai manifesté de l'intérêt à l'égard du nord de la Colombie-Britannique. J'ai toujours dit, lorsque je parlais aux peuples des Premières Nations à titre de président du comité sénatorial permanent, que nous devions nous assurer que les gens collaborent plutôt que de travailler les uns contre les autres.

Je crois que ce que vous avez vu ici, c'est l'embryon de la première étape. Je suis persuadé que nous trouverons un projet.

Or, il vous faut comprendre, sénateur — vous n'y êtes pas obligé, mais ce serait bien, et vous comprendrez fort probablement —, qu'il nous a fallu attendre un peu plus de quatre ans.

Harold est membre de la Première Nation des Squamish. Il est comptable de profession. Son fils a étudié à la London School of Economics. J'ai travaillé avec ces deux personnes, qui sont ici dans la tribune, et nous avons vécu une période très difficile.

Mon ancien assistant qui a travaillé avec moi ici collabore également avec nous. J'interviens et je fais certaines choses en tant que bénévole. Mais croyez-moi, cette question de confiance n'est pas simple.

Nous avons tenu une rencontre dans le Nord et les gens sont restés muets. J'ai fait un court exposé sur le bénévolat notamment. Ils m'ont convoqué à leur table et m'ont demandé : « Vous travaillez bénévolement? ». Ils ont posé la question comme si quelque chose clochait chez moi. J'ai répondu : « Oui ». Et ils ont dit : « Pourquoi? ». Et j'ai répondu : « C'est parce que mon père était l'un de vous et j'honore sa mémoire. ».

Le sénateur Smith : Il nous a fallu huit ans pour convaincre les Japonais d'acheter notre produit.

M. St. Germain : Pour votre gouverne.

Le sénateur Smith : Dans le cadre de certaines rencontres, il est arrivé que nous nous soyons simplement regardés. Il fallait progresser à partir de là.

M. St. Germain : Nous travaillons à un projet.

Le sénateur Smith : Nous devons savoir « comment ». J'aimerais que Harold prépare un document de deux pages qui expliquerait comment nous voulons aller de l'avant. Ce pourrait être lié à l'idée du corridor. Dans le cadre de ce projet, il faut d'emblée établir les terrains et nous assurer d'élaborer toutes les cartes géopolitiques et topographiques, et cetera. Mais nous devons savoir ce que les Premières Nations en pensent pour pouvoir commencer. Puis, si nous avons l'initiative, nous pourrons peut-être trouver des partenaires privés et mettre sur pied un groupe. Tout le monde dit : « Laissez les Premières Nations vous dire ce qu'elles en pensent. » Eh bien, qu'elles nous le disent.

M. St. Germain : Monsieur le président, voyez-vous un inconvénient à ce que nous invitions Harold à la table de discussion?

Le président : Nous n'y voyons aucune objection. Harold?

M. St. Germain : Allez-y. Ils veulent un document de deux pages.

Harold Calla, directeur exécutif, Conseil de gestion financière des Premières Nations, à titre personnel : Nous pouvons vous fournir un document de deux pages, mais il faut répondre à quelques questions. Vous avez posé des questions très pertinentes.

Madame la sénatrice Wallin, nous ne cherchons pas à obtenir de l'argent du gouvernement. Nous voulons des fonds du secteur privé. Nous voulons un prêt garanti du gouvernement fédéral. Cela ne sera pas un fardeau si vous vous engagez dans cette voie.

Nous aurons besoin d'argent pour investir dans le renforcement des capacités. Il y a une grande coopération en ce sens actuellement. Il importe de se rappeler que cette approche ne représente pas un fardeau de plusieurs milliards de dollars. Nous voulons nous associer avec le secteur privé, à qui tout le monde s'adresse pour obtenir du soutien. Nous avons seulement besoin d'une aide financière pour lancer le projet, comme Gerry l'a fait pour acheter sa première maison.

Je veux parler du projet de la fibre de bois car vous avez posé une question très pertinente : comment pouvons-nous lancer le projet? Par où devons-nous commencer? Je vous suggérerais respectueusement deux façons de commencer. La participation des Premières Nations dans le processus d'évaluation environnementale doit être reconnue, pas en tant que question stratégique, mais en tant que question législative.

Je vous ai déjà dit que la nation Squamish a entrepris ses propres processus d'évaluation environnementale et a délivré son propre certificat. Les questions qui étaient importantes, comme Gerry l'a mentionné plus tôt, en lien avec le fait que l'environnement est la priorité absolue dans nos collectivités ont été réglées dans l'entente que nous avons conclue avec le promoteur. La nation Squamish a acquis le droit de décider des systèmes de refroidissement qui seraient utilisés à l'usine de gaz naturel liquéfié. Nous avons dit : « Vous n'utiliserez pas l'usine de Howe Sound car elle ne s'est pas encore remise de l'exploitation de la mine de cuivre. Vous allez utiliser de l'air. Vous allez également utiliser le gaz naturel liquéfié et libérer plus d'hydrocarbures dans l'air. Vous allez utiliser l'électricité. Vous déplacerez le pipeline. Vous déplacerez la station de pompage pour régler certains problèmes. »

Il y a d'importantes choses qui doivent survenir. Je pense que le projet n'est pas négligeable, mais il n'est pas énorme. L'entente économique de partage des avantages a été conclue. Nous avons atteint cette étape. À l'avenir, la nation Squamish pourra tirer parti d'importantes possibilités qui découleront de ces initiatives.

Un projet de 40 milliards de dollars ne vous offre pas cette possibilité. Si vous voulez commencer quelque part, commencez avec le gouvernement fédéral et dites qu'il y a une garantie de prêt sur la table pour les bons projets.

Il y a cinq ans, j'ai parcouru le pays avec le Forum des politiques publiques pour discuter avec les intervenants de l'industrie et d'autres acteurs au sujet de la participation des Premières Nations dans des projets de grande envergure. Les intervenants de l'industrie ont dit qu'ils allaient effectuer d'importants investissements; il faut que ce soit un achat et non pas un don.

C'est donc là où nous devons commencer, sénateur, pour pouvoir dire qu'il y aura une approche relative aux évaluations environnementales qui reconnaît la légitimité des Premières Nations en tant que gouvernements qui prennent des décisions.

Je dois vous dire que le processus de la nation Squamish a donné lieu à une décision finale en matière d'investissement par le promoteur pour construire l'usine et y acheminer le gaz naturel afin de l'expédier à l'étranger.

Le sénateur Smith : Est-ce du gaz naturel liquéfié?

M. Calla : C'est le seul projet qui a obtenu une décision finale en matière d'investissement. C'est le fruit d'une coopération pour une période donnée entre la Première Nation, le promoteur, la province et le gouvernement fédéral, qui ont accepté de ne pas intervenir et de nous laisser mener notre processus d'évaluation environnementale.

Le sénateur Massicotte : Gerry, je suis ravi de vous revoir. Dans votre déclaration, vous avez commencé par dire que l'attitude est bonne, mais que les choses ne vont pas dans la bonne voie. Vous avez parlé plus précisément de l'approbation de certains projets de pipeline, mais vous avez également évoqué le rejet du projet de pipeline Northern Gateway. Vous semblez laisser entendre que le rejet du projet est très mauvais pour la Première Nation. Ai-je bien compris?

M. St. Germain : Non, ce n'est pas un point négatif important pour eux, mais je pense que c'est une décision politique qui a été prise. J'étais là; j'étais présent à la table du Cabinet à essayer de prendre ces décisions. Espérons que vous prendrez la bonne décision.

Il ne fait aucun doute que ce serait bien de pouvoir acheminer un produit de l'Alberta et de la Saskatchewan aux eaux côtières.

Le sénateur Massicotte : Vous parlez en bon Canadien en ce moment, mais vous avez dit que le rejet du projet du pipeline Northern Gateway montre que notre approche stratégique actuelle envers la réalisation de projets de grande envergure ne sert pas les intérêts des Premières Nations. Pourquoi le rejet du pipeline Northern Gateway ne sert-il pas les intérêts des Premières Nations?

M. St. Germain : Eh bien, parce que cela réduit une autre possibilité dont ils pourraient tirer parti d'une façon ou d'une autre, je pense.

Le sénateur Massicotte : Mais les Premières Nations n'appuyaient vraiment pas le projet.

M. St. Germain : Eh bien, certaines l'appuient et d'autres, non. C'est un dossier politique chaud, sénateur Massicotte, et nous pourrions en parler encore longuement.

Je sais que l'une des plus grandes bandes dans le Nord-Est appuie vraiment le projet. Pour ces gens, c'est un point négatif car ils veulent que le projet de loi aille de l'avant. Je ne vais pas mentionner leurs noms car je ne veux pas faire de la politique.

Le sénateur Massicotte : C'est une complication. Il y a d'autres groupes. Certains pays fonctionnent ainsi, où il n'y a aucun porte-parole qui peut représenter le projet et le concrétiser. Je pense qu'il y a 14 bandes dans ce cas-ci; 10 l'appuient et 4 ne l'appuient pas. C'est compliqué, mais j'imagine qu'il n'y a pas de solution.

M. St. Germain : Eh bien, non, mais s'il y a un regroupement éventuel, une sensibilisation — si l'industrie trouve un projet sans faille —, des pipelines de 100 ans peuvent être enfouis dans le sol. C'est une question de coûts et de profits, mais si on force les intervenants à participer...

Écoutez, nous pouvons envoyer des gens sur la Lune et des trucs sur Mars. Je suis certain qu'ils peuvent construire un pipeline qui durera 100 ans. D'ici là, il ne restera pratiquement plus de combustibles fossiles ou les activités dans ce secteur auront pris fin, sait-on jamais.

Le sénateur Tannas : Sénateur, je suis ravi de vous revoir, comme toujours.

M. St. Germain : Je suis heureux de vous voir.

M. St. Germain : Je veux revenir sur ce que la sénatrice Ringuette a dit. Je pense que nous avons une idée de ce que sera notre recommandation, qui se rapporte à la demande initiale de Jack Mintz et de l'École de politique publique pour que nous menions une étude importante. Nous avons une idée intéressante pour l'instant, et nous avons un livre vieux de 50 ans d'un général qui est encore vivant et qui a en quelque sorte amorcé le processus.

Donc, une étude importante doit être menée pour que nous puissions passer à la prochaine étape. Mais qui mènera cette étude et quelles perspectives seront abordées?

Quand Harold a témoigné...

M. St. Germain : Il est encore ici.

Le sénateur Tannas : Non, mais lorsqu'il avait la parole.

M. St. Germain : Il peut intervenir.

Le sénateur Tannas : Il a parlé de la façon dont les Premières Nations et les groupes comme l'initiative des grands projets et, potentiellement, le Conseil de gestion financière des premières nations pourraient jouer un rôle dans cette étude initiale. J'en suis très conscient et je pense que d'autres personnes aussi.

Qui d'autres devraient participer? Si nous recommandons l'Université de Calgary et l'École de politique publique, qui sont les instigateurs de tout cela, de même que la coalition des grands projets, j'imagine que nous voudrons qu'il y ait un groupe de l'industrie composé de différents utilisateurs potentiels d'un corridor, puis nous devrons déterminer qui assurera le financement et quelles recommandations faire. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez? Si vous ne voyez pas d'inconvénient à ce qu'Harold intervienne également, ce serait formidable.

M. St. Germain : Je vais laisser Harold répondre.

Sénateur Smith, vous aviez la parole; je suis un vendeur.

Le sénateur Smith : Moi aussi.

M. St. Germain : Je me suis toujours entouré de personnes plus brillantes que moi, ce qui est généralement facile. Je suis donc accompagné aujourd'hui d'un homme plus intelligent que moi.

Je suis heureux que vous soyez ici, Harold, alors si vous voulez répondre à la question du sénateur Tannas, je vous prie de le faire.

M. Calla : Merci.

Je pense que nous devons faire participer des organisations comme la CB First Nations Energy & Mining Council. Nous ne pouvons pas faire fi des factions politiques. Nous avons besoin de techniciens.

Nous parlons de mener une étude, mais comment le mandat sera-t-il élaboré? Comment faire participer les Premières Nations à une étude? La raison pour laquelle nous discutons de certaines des questions plus fondamentales sur l'élaboration d'un projet de grande envergure est qu'il y a eu des projets d'exploitation des ressources dans le passé dans nos territoires traditionnels où les Premières Nations n'ont tiré aucun avantage.

Je n'oublierai jamais le regretté George Watts, de Nuu-chah-nulth, qui disait — et je l'ai déjà dit ici —, « Je veux seulement voir des arbres passer devant la porte de chez moi, Harold ». Eh bien, si vous voulez adopter une approche qui sera envisagée par les Premières Nations au pays, elles doivent savoir ce que cette approche prévoit. Elles doivent savoir si elles pourront en bénéficier en bout de ligne. Certaines de ces questions plus fondamentales devront être examinées, car nous ne voulons pas d'une autre situation où l'on nous dit : « Bien, nous sommes Autochtones, voici l'étude. Nous avons fait le travail. Qu'en pensez-vous? »

Le sénateur Smith : C'est pourquoi je vous ai demandé le document de deux pages, Harold.

Le président : Sénateur Tannas, puis-je céder la parole au sénateur Day maintenant? Je veux régler la question.

Le sénateur Tannas : D'accord.

M. St. Germain : Nous ne devons pas partir?

Le président : Vous pourriez poser la question à M. Rae; il pourrait peut-être répondre à quelques-unes de ces questions.

Le sénateur Day : Je vais donner suite, si vous le permettez, aux propos du sénateur Tannas. Notre étude ne porte pas sur les Premières Nations en général, mais y a-t-il — et je pense que oui, et nous aimerions que vous répondiez oui — un rôle que les collectivités des Premières Nations au Canada pourraient jouer en lien à cette étude sur un corridor qui traverserait le Canada?

Savez-vous s'il y a une étude comparative qui se penche sur les Autochtones dans d'autres pays qui ont été confrontés à une situation semblable? Nous avons entendu dire que l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont été très progressifs à l'égard de leurs différentes collectivités. Un témoin nous a parlé de l'Australie-Occidentale, où un corridor nord-sud jusqu'à Perth traversait la région, et du rôle que les Autochtones ont joué dans le cadre de ce projet.

Ce n'est pas une situation où nous arrivons avec un bulldozer et bâtissons un pipeline du jour au lendemain, mais c'est une situation où s'il faut exécuter des projets à proximité du corridor ou dans le corridor, dont des droits de passages ou des études d'impact sur l'environnement, bon nombre d'entre eux auront été effectués. Les Premières Nations ne doivent-elles pas jouer un rôle en ce moment en ce qui concerne les droits de passage? Car c'est important. Si vous cédez un droit de passage que vous avez promis, s'il y a un projet d'aménagement, alors il est important d'obtenir une indemnisation et d'établir un partenariat avec le promoteur du projet.

M. St. Germain : C'est indéniable. La majorité des terres visées seront des terres traditionnelles.

Le sénateur Day : Exactement.

M. St. Germain : Ils doivent donc établir un partenariat.

Nous vivons dans une grande mesure de nos ressources naturelles, en tant que Canadiens, et c'est la seule manière possible que les Premières Nations peuvent vraiment participer.

Sénateur Day, elles doivent participer. Si les projets sont organisés conjointement avec elles dès le départ, alors il y a des chances de réussite, mais elles doivent participer dès le début.

Le sénateur Moore m'a posé la question suivante : Pourquoi n'y a-t-il pas plus de Premières Nations qui approuvent le projet? J'ai assisté à une conférence sur le secteur minier à Niagara Falls. Nous avons tenu des discussions, et j'ai posé aux intervenants de l'industrie la question suivante : « Combien de membres des Premières Nations avez-vous au sein du conseil de consultation? » Personne n'a levé la main. Alors j'ai demandé, « Et au conseil d'administration? ». Personne n'a levé la main. J'ai ensuite demandé, « Il n'y a aucun membre des Premières Nations aux deux conseils? ». Et pourtant, ils sont tous ici. Vous voulez utiliser leurs terres, mais vous ne faites pas suffisamment preuve de respect pour les inclure dans vos conseils d'administration? Certains d'entre eux sont beaucoup plus intelligents que la majorité d'entre nous et que vous. Voilà qui répond à votre question, sénateur Moore.

Merci, monsieur le président. Désolé de prolonger le processus.

Le président : Pour le Comité des banques et pour moi plus particulièrement, cette question est très intéressante. En ce qui me concerne, les Premières Nations devraient toujours figurer à l'ordre du jour du Comité des banques et du commerce, car c'est avec elles que nous traiterons dans le futur. Merci beaucoup de votre exposé.

Et merci beaucoup, monsieur Calla, d'être venu en aide à M. St. Germain. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je suis ravi d'accueillir maintenant l'honorable Bob Rae, C.P., O.C., c.r., qui comparaît à titre personnel. M. Rae est actuellement associé principal du cabinet Olthuis Kleer Townshend LLP. Il travaille avec des Premières Nations du Canada à titre de conseiller juridique, de conseiller, de négociateur et d'arbitre.

M. Rae a été élu député 11 fois à Chambre des communes et à la l'assemblée législative de l'Ontario entre 1978 et 2013. Il a été le 21e premier ministre de l'Ontario de 1990 à 1995, et a assumé le rôle de chef fédéral intérimaire et de porte-parole pour les affaires étrangères du Parti libéral du Canada pendant la période allant de 2011 à 2013.

Boursier de la Fondation Cecil Rhodes, M. Rae a terminé ses études à l'Université d'Oxford en 1971, et a ensuite obtenu son diplôme en droit de l'Université de Toronto en 1979. Il est devenu conseiller de la Reine en 1984 et a été nommé au Conseil privé du Canada en 1998. Il est devenu officier de l'Ordre du Canada en 2000, compagnon de l'Ordre du Canada en 2016, et membre de l'Ordre de l'Ontario en 2004.

Monsieur Rae, merci d'être venu aujourd'hui. Je vous prie de faire votre déclaration, et ensuite nous aurons une belle séance de questions et de réponses. Nous disposons d'environ une heure.

L'honorable Bob Rae, C.P., O.C., c.r., à titre personnel : Merci beaucoup, mesdames et messieurs. Quel plaisir de me retrouver parmi vous. Je vous remercie de l'invitation et de l'occasion de vous parler.

J'ai pu écouter une bonne partie des témoignages de l'ancien sénateur, M. St. Germain, ainsi que de M. Calla, avec qui j'ai travaillé à plusieurs reprises.

Je vais peut-être faire une courte déclaration, au grand soulagement de tous, j'en suis sûr, afin que nous puissions entretenir un dialogue, parce que je pense que bon nombre des questions soulevées par M. St. Germain sont très importantes, tout autant que sa perspective.

Je voudrais tout simplement faire valoir quelques points essentiels. Tout d'abord, je crois que nous devons reconnaître comme fait historique que la plupart du développement de notre pays n'a pas avantagé les Premières Nations. Nous devons comprendre, en examinant les grands projets d'exploitation des ressources qui ont été réalisés au cours des 150 dernières années, que dans la plupart des cas, les Premières Nations se sont retrouvées dans une position marginale.

Nous avons maintenant l'occasion, et je vous dirais l'obligation, en partie juridique, de nous assurer que la prochaine série de grands projets de développement ne se réalise pas sans la pleine participation des peuples autochtones de notre pays. Voilà le défi devant nous.

Bien évidemment, j'ai des clients, mais je ne suis pas venu pour les représenter. J'ai occupé le poste de président de l'organisation connue sous le nom de First Nations Limited Partnership de la Colombie-Britannique pendant deux ans et demi, à laquelle a fait référence M. St. Germain. Nous avons réuni 16 Premières Nations afin qu'elles signent un accord de partenariat entre les Premières Nations membres et deux sociétés, Chevron et Apache, concernant un gazoduc qui irait du nord-est de la Colombie-Britannique et du nord-ouest de l'Alberta, en suivant essentiellement le corridor créé par l'autoroute 16, jusqu'à Kitimat. Le projet a été approuvé par le gouvernement de la Colombie-Britannique à la suite d'une évaluation environnementale. Le projet est prêt à démarrer, mais il n'y a pas encore eu de décision finale concernant les investissements de la part des sociétés participantes, et ce, pour de nombreuses raisons, surtout les conditions du marché ainsi que l'incidence de la chute du cours du pétrole et du gaz naturel. Si vous me posez des questions à ce sujet, je pourrais vous en parler.

Je voulais dire également qu'à la suite du jugement de la Cour suprême rendu au début des années 1970 dans l'affaire Calder, nous devons comprendre qu'aux fins de la politique gouvernementale, il existe une différence considérable dans le traitement des territoires faisant l'objet d'un traité et ceux qui n'en font pas. Sans vouloir vous faire un cours de droit, je peux affirmer que dans l'affaire Calder, on a conclu que si les peuples ne détenaient pas de titre foncier et n'avaient pas de traité qui leur en accordait, leur situation était floue et ils devaient engager des négociations. C'est ce qui a donné lieu au jugement concernant les revendications territoriales en Colombie-Britannique et au traité des Haïdas, car c'est cette Première Nation qui était l'origine de l'affaire Calder. La Convention de la Baie James en est également le résultat, et c'est un exemple important que le comité devrait étudier pour ce qui est d'un corridor qui passerait par le milieu du Canada. C'est la raison d'être de la Convention de la Baie James. Ce corridor a eu une incidence énorme sur les Autochtones du nord du Québec et, si je peux me permettre de le dire, le traitement et les conditions dont ils jouissent sont très différents de ceux des Autochtones du nord de l'Ontario, une région dans laquelle je continue de travailler.

Nous devons comprendre que le gouvernement fédéral et les provinces ont surtout interprété les traités numérotés, qui vont de 1 à 11 et qui couvrent une bonne partie du territoire canadien, y compris, monsieur le sénateur, votre province de la Saskatchewan et ma province, l'Ontario, en allant jusqu'à l'Alberta et le nord-est de la Colombie-Britannique avec le traité no 8. La Couronne a interprété ces traités comme des textes qui lui donnent des titres fonciers et lui permettent de réaliser des projets de développement à son gré. Jusqu'à ce que la Cour suprême rende des jugements en la matière dans les années 1980 à 1990 et au début du XXIe siècle, la Couronne pouvait agir sans que personne conteste ce que la Couronne et les sociétés faisaient.

Nous avons donc construit des chemins de fer et d'énormes mines à Sudbury, nous avons lancé des projets d'exploitation forestière ambitieux, tout ça parce que la Couronne a dit : « Allez-y, vous avez un permis, tout est beau. » Ce n'est qu'au cours des 25 dernières années que les Premières Nations ont commencé à réagir en disant : « Attendez, nous ne vous avons rien cédé. » Il y a cette divergence d'opinions notable entre les Premières Nations et la Couronne quant au sens des traités et des rapports entre les parties. La question, qui suscite toujours des désaccords et des litiges potentiels, devra être étudiée et tranchée.

Il y aura énormément de différends qui découleront de l'obligation de consulter qu'a stipulée la Cour suprême. Quelle est l'incidence sur le plan juridique de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones?

Plutôt que d'aborder le sujet en tant que question purement juridique, nous devons l'examiner dans une optique stratégique et politique, et comprendre que, de toute évidence, le développement ne peut pas réellement avoir lieu sans la participation et l'engagement directs des Premières Nations. Il me semble également avoir entendu le terme « partenariat ».

Si l'on regarde ce qui se passe sur le terrain partout au pays, on constate une transformation fort encourageante. Nous voyons la création d'un nombre record d'entreprises autochtones. Le taux de fréquentation des établissements postsecondaires est inégalé. Nous observons une réelle différence dans la façon dont les Premières Nations établissent des rapports avec le secteur des ressources naturelles partout au Canada. Il est possible d'aller d'une province à l'autre et affirmer que comparativement à l'état des choses il y a 25 ou 50 ans, nous avons réalisé un certain progrès.

Cependant, nous sommes confrontés à un défi, comme je l'ai dit auparavant. Une partie du défi est attribuable à la politique publique. M. St Germain l'a bien dit : la Loi sur les Indiens a divisé les Premières Nations. Il est très difficile de faire travailler ensemble des communautés des Premières Nations sur des projets parce que depuis 150 ans, on leur dit : « Non, voici votre territoire. Vous restez ici, et eux, ils resteront là. » Les négociations entre les gouvernements, les sociétés et les diverses communautés ne sont pas transparentes. Ce qui a été négocié par un groupe n'est jamais révélé à un autre groupe. Grâce aux efforts de la part des conseils tribaux, des organisations régionales et des organisations régies par un traité, nous tentons d'encourager la coopération et une prise de position commune. C'est un défi, pourtant essentiel : nous devons le faire. Les Premières Nations le reconnaissent de plus en plus, et les gens constatent les bienfaits d'une approche plus axée sur l'effort collectif dans la négociation d'avantages pour le compte de tous.

Nous sommes confrontés au problème de l'interprétation du traité, ainsi qu'aux difficultés créées par la Loi sur les Indiens. Si nous voulions, nous pourrions tout simplement dire : « On verra bien », et les choses avanceraient petit à petit. Et pourtant, les gens sont frustrés en l'absence d'une approche musclée de la part des provinces et du gouvernement fédéral. On n'a pas suffisamment parlé du rôle des provinces, qui est extrêmement important, car comme tout le monde le sait, les ressources naturelles sont du ressort des provinces.

Je vous le dis franchement, le gouvernement fédéral n'est pas l'organisation dont la présence à la table est primordiale : ce sont les provinces. Dans tous les jugements importants émis par la Cour suprême, les provinces ont été tout autant concernées pour ce qui est des permis de coupe et des autres questions dont il faut saisir les tribunaux.

Je vous recommande, dans le cadre de votre étude, de songer à la façon de créer les conditions propices aux partenariats et de décider qui doit être à la table. Il faudrait y avoir le gouvernement fédéral et les provinces, ainsi que les Premières Nations, et nous devons trouver des façons d'assurer cette représentation. Qui représente qui? Il faut reconnaître que la représentation variera d'un bout à l'autre du pays. Il est difficile de prévoir la composition de la table. Bien évidemment, le secteur privé doit avoir sa place, en raison de son intérêt à l'égard du développement et de ses préoccupations quant à la certitude de ses investissements et à la façon de procéder si la situation demeure floue.

Il est juste de dire que la situation est déjà tellement complexe que les gouvernements doivent être prêts à participer directement à la résolution des problèmes.

Je participe actuellement aux négociations entre la province de l'Ontario et neuf Premières Nations dont les territoires entourent le cercle de feu, qui est une région d'une grande importance sur le plan de l'extraction minérale. Je ne suis pas promoteur, même si certains ministres des Finances provinciaux et fédéraux ont indiqué que la valeur potentielle de cette région serait de l'ordre de 65 à 100 milliards de dollars environ. À l'heure actuelle, le minerai est dans le sol et l'accès est difficile, car le terrain est constellé de tourbières plutôt que de sols bien drainés. Il faut trouver une façon de construire les infrastructures de transport nécessaires.

Sur les neuf communautés, quatre jouissent d'un accès routier. Cinq d'entre elles sont des communautés éloignées. Les communautés éloignées sont confrontées aux défis qui leur sont propres : des défis liés à l'éducation et aux conditions de vie, les profondes séquelles de la catastrophe des pensionnats qui se font toujours sentir, et de graves problèmes de dépendance aux médicaments d'ordonnance, un véritable fléau qui se propage dans ces communautés et crée des problèmes constants. Et pourtant, on s'intéresse au développement et on veut mettre un terme aux conditions extrêmement difficiles qui sévissent depuis longtemps.

Les Premières Nations que je représente ne s'opposent pas au développement. Elles sont décidées cependant à prendre les commandes pour ce qui est des investissements, elles veulent leur mot à dire quant aux activités de développement, et elles prendront leur place à part entière avec la province. Nous encourageons actuellement le gouvernement fédéral à intervenir aux termes de ses obligations prévues par le traité et la Loi sur les Indiens et d'autres lois pour ce qui est des conditions dans les réserves.

Le défi est de taille. Ce n'en est qu'un seul exemple. On pourrait regarder les projets d'hydroélectricité dans le nord du Manitoba, l'exploitation des gisements de minerais dans le nord de la Saskatchewan, et l'extraction du pétrole et du gaz naturel dans le nord de l'Alberta. Dans chaque cas, il faut comprendre que nous n'avons pas les institutions de gouvernance en place qui permettraient aux gens de gérer leur propre développement.

La seule chose qui manque dans les échanges avec le sénateur St. Germain que j'ai entendus plus tôt, c'est qu'il doit y avoir un programme qui prévoit l'autonomie gouvernementale et crée les conditions propices afin que les Premières Nations puissent prendre des décisions et être aux commandes.

Si l'on regarde la Convention de la Baie James, on voit que ce n'est en fait pas un seul accord; c'est le fruit de trois séries de négociations distinctes menées sur une période de 20 ans qui ont donné lieu à une autonomie inégalée dans la région de la baie James.

Depuis l'affaire Calder, des négociations soutenues se sont déroulées au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest. Le territoire du Nunavut a vu le jour. Au Labrador, les Innus et les Inuits recherchent un plus grand pouvoir décisionnel par rapport à leurs ressources. C'est un processus dont ont été exclus les peuples autochtones des provinces visées par les traités. Dans ces provinces, il n'y a aucune démarche qui prévoit l'autonomie gouvernementale, aucune. Nous constatons donc que le progrès politique et économique est au point mort. M. St. Germain l'a dit bien clairement : si vous ne permettez pas aux gens de piloter l'avion, vous n'allez pas voir l'engagement que vous recherchez.

Nous constatons de la frustration dans les débats qui ont lieu dans les communautés des Premières Nations, de la part des gens qui disent : « Donnez-nous les moyens de participer à une discussion sur l'autonomie gouvernementale, parce qu'actuellement, nous ne les avons pas. » Ce n'est pas tout simplement une question économique, car cela concerne entre autres les soins de la santé et l'éducation. Les gens le réclament : « Donnez-nous davantage de pouvoir décisionnel dans ces domaines et permettez-nous de participer plus directement afin d'améliorer nos propres conditions. »

Je vais m'arrêter là, et je serai heureux de répondre à vos questions. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner.

Le président : Puisque je vous ai coupé la parole, sénateur Tannas, vous serez le premier.

Le sénateur Tannas : Merci pour vos observations. Je sais que d'autres sénateurs ont des questions par rapport à votre témoignage. J'aimerais prendre une approche légèrement différente.

Vous êtes un homme d'État et vous avez dirigé des gouvernements. Nous étudions une idée intéressante. Nous devons faire des recommandations : ou bien mettre l'idée de côté, ou bien commencer un genre d'étude de faisabilité qui serait toujours une démarche fort préliminaire.

Si c'était vous le premier ministre, et le comité sénatorial des banques proposait une recommandation folle, un projet incroyablement ambitieux donnant la priorité aux réseaux ferroviaire et routier, aux réseaux d'alimentation en électricité et optiques de fibre et aux pipelines, qui traverseraient le pays en entier, que rechercheriez-vous? Pouvez-vous tout d'abord nous dire ce que vous voudriez voir et nous conseiller? Ensuite, j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'idée. Est-ce de la folie? Est-ce un plan ambitieux à retenir? Quel est votre avis?

M. Rae : Tout d'abord, je ne pense pas que l'idée en soi est folle. Les enjeux sont compliqués, par contre.

Le président : C'est ce que nous apprenons.

M. Rae : La question qu'il faut se poser est la suivante : comment procéder pour que ce soit gérable?

Si je pensais que c'était une idée folle, je vous dirais que toutes les provinces ont leur mot à dire quant aux ressources naturelles, à l'électricité, au service à large bande et tout le reste. Or, les provinces ne sont pas représentées. Il faut faire participer les Premières Nations, parce que leur statut juridique et leur position constitutionnelle ont évolué grandement au fil des 50 dernières années en raison de la reconnaissance accordée par les tribunaux et des réalités politiques qui ont été engendrées. Vous n'avez pas de consensus quant à la façon de procéder. Il y a beaucoup de questions environnementales, et une vaste gamme d'intervenants soulèveront tous ces problèmes.

À mon avis, aucun de ces facteurs ne devrait vous empêcher de dire que nous avons besoin d'une approche plus organisée par rapport à la façon dont le développement aura lieu sur le vaste territoire du Canada, lequel est toujours revendiqué comme territoire traditionnel des Premières Nations du pays. Le développement pourrait bénéficier non seulement à ces Premières Nations mais au pays tout entier. Comment allons-nous procéder?

Je crois qu'il faut diviser le tout en morceaux et dire : « Bon, regardons tout ça. » Rien ne se passera sans les provinces. On ne va pas mener des projets de développement dans le nord de l'Ontario sans l'accord de cette province. Je vous l'affirme en tant qu'ancien premier ministre, et c'est vrai partout au pays. Il faut donc se poser la question suivante : Le gouvernement fédéral peut-il réunir toutes les parties au moyen d'une étude comme celle-ci? Comment procéder?

Une partie de la réponse viendra de l'offre que mettront les Premières Nations sur la table, et une partie de l'offre des provinces, et encore une partie de l'offre du secteur privé. On ne peut avancer, par contre, sans créer un partenariat beaucoup plus élargi qu'il n'existe actuellement.

Les provinces ne peuvent le faire à elles toutes seules. Elles en sont parfois convaincues, mais ce n'est pas possible. Les Premières Nations ont besoin de partenaires afin de pouvoir mener à bien des projets de développement, et dans bien des cas, c'est ce qu'elles veulent faire. Le secteur privé, quant à lui, aura son avis sur les enjeux, et je crois qu'il faut réunir tous ces partenaires.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Rae, j'aimerais prendre un instant pour vous remercier. Vous avez servi le Canada dans de nombreux rôles avec brio. Vous êtes l'un des hommes d'État les plus reconnus et vous agissez dans l'intérêt du pays et des Canadiens.

M. Rae : Y a-t-il un enregistrement qui se fait? J'aimerais en être certain.

Le sénateur Massicotte : Nous vous remercions de tout cœur. Je crois que nous sommes tous du même avis, quelle que soit notre couleur politique.

J'ai énormément de questions, mais pourriez-vous tout d'abord m'expliquer certaines choses? Lorsqu'on participe à des négociations, on commence en établissant sa position et ses leviers. Pouvez-vous me le décrire en termes simples? On m'a toujours dit que les terres visées par un traité sont beaucoup plus simples à gérer que ce qu'on voit dans l'Ouest canadien, où de tels traités n'existent pas et il faut établir l'histoire et les tendances et ainsi de suite. Dites-moi comment vous percevez l'évolution de la situation. Comment voudriez-vous que la communauté autochtone soit perçue? Ce n'est pas une collectivité, ce n'est pas une entité municipale ni un gouvernement provincial. Est-ce l'équivalent du gouvernement fédéral? Ces communautés ont-elles des droits de propriété foncière? Pouvez-vous nous l'expliquer en termes simples?

M. Rae : Je vous répondrai tout simplement que la réponse n'est pas si simple que ça, parce que c'est un domaine contesté relativement aux lois et à la pratique. Cela dit, ce n'est pas parce que c'est un domaine contesté que l'on ne peut pas trouver des solutions.

Lorsque je parle aux aînés des Premières Nations, admettons dans le nord de l'Ontario, et je leur demande de m'expliquer comment ils comprennent le traité, en l'occurrence le traité no 9 qui a été signé, ils me disent que le traité est un document qui concerne le partage. Leur argument principal pour expliquer qu'ils n'ont pas cédé les terres, c'est qu'ils n'en sont pas les propriétaires. Ils me disent : « Personne ne possède la terre. Nous en avons la gouvernance. Nous devons veiller sur les terres. Et nous ne pouvons pas céder la propriété alors que nous n'en sommes pas les propriétaires. »

Le concept de fief simple n'est pas un concept autochtone. La notion de territoire traditionnel correspond à un territoire que vous utilisez, comme vos ancêtres l'ont toujours fait. Vous y pratiquez la pêche, la chasse et le trappage et vous avez accès à la terre. C'est en ce sens que le territoire vous appartient. Certaines familles diront : « Ceci est notre territoire, et le vôtre est là-bas. » Toutefois, le concept n'est aucunement lié à la notion de cession du territoire.

Toutefois, les commissaires aux traités envoyés par Ottawa — et aussi par Queen's Park, dans le cas du traité no 9 — avaient manifestement comme directive d'obtenir la cession des terres parce que nous avions besoin d'un droit de passage pour la construction du chemin de fer et pour entreprendre des activités d'exploitation forestière et d'extraction minière. Ils devaient donc obtenir la cession des terres. Ils ont un document écrit dans lequel on utilise le terme « céder ».

Cependant, les Premières Nations ont de solides raisons de poser la question suivante : « Si nous avons cédé toutes ces terres, qu'avons-nous obtenu en retour? » Lorsqu'on regarde cela du point de vue des principes fondamentaux du droit contractuel, on peut dire qu'ils n'ont rien eu en contrepartie de ce qu'ils ont cédé. Personne ne pourrait affirmer, en examinant ce contrat, qu'ils ont conclu une bonne entente. Ils doivent vivre dans une petite réserve située très loin de ce qu'ils considèrent comme leur territoire traditionnel. Leur propriété se limite à cela; en fait, ils n'en sont même pas propriétaires. Ces terres appartiennent à la Couronne, qui a l'obligation honorable de les détenir en fiducie en leur nom. On a enlevé les enfants à leurs familles en disant que c'est cela, l'entente. La réaction est donc de dire que cela ne peut être ce qui a été convenu. J'ai toujours fait valoir que nous pouvons consacrer les 25 prochaines années à toutes sortes de procédures devant les tribunaux pour obtenir une réponse.

Je suis également d'avis que l'enjeu fondamental est lié à l'honneur de la Couronne et à la façon dont elle peut agir honorablement, alors que la Cour suprême du Canada a indiqué très clairement qu'il est interdit d'avoir recours à des pratiques déloyales. L'honneur de la Couronne, c'est l'obligation d'agir honorablement à l'égard des gens auxquels on a affaire. Je ne pense pas qu'on puisse dire, en examinant les interprétations antérieures du traité, qu'il s'agit là des interprétations les plus honorables qu'on puisse en faire.

Nous devons reconnaître qu'il s'agit d'un territoire traditionnel pour lequel les Premières Nations ont des intérêts manifestes, ce qui est aussi le cas du gouvernement du Canada et du gouvernement de l'Ontario. Les promoteurs disent vouloir faire du développement, tandis que d'autres demandent ce qui peut être fait pour améliorer la situation. Je pense que cela fait vraiment partie de ce qu'on observe à l'échelle du pays : les gens se mobilisent.

L'autre commentaire du sénateur St. Germain auquel je souscris entièrement — et Harold Calla l'a aussi mentionné —, c'est que la clé est de revenir à la notion d'intendance du territoire. La raison pour laquelle la question de l'évaluation environnementale revêtait une si grande importance pour les Premières Nations, c'est qu'ils considèrent qu'ils ont un rôle essentiel à jouer quant à la préservation de la qualité de la terre et de l'eau. Les gouvernements antérieurs n'ont pas un bilan très positif à cet égard; vous devez donc chercher à savoir comment nous pouvons nous améliorer. Comment pouvons-nous le faire de façon à ce que vous ayez le sentiment de jouer un rôle concret dans la protection des activités de développement tout en veillant à ce que ce développement ne soit pas contraire à vos valeurs en matière de gérance environnementale?

Je dois aussi souligner qu'il y a — et qu'il y aura — dans la société des groupes des Premières Nations et d'autres groupes, notamment les groupes environnementaux, qui s'opposent à certains projets de développement, simplement parce qu'ils considèrent qu'il est impossible de mener de tels projets sans entraîner d'autres problèmes.

En outre, beaucoup de Premières Nations, notamment, ne sont pas nécessairement contre le développement, sous réserve de processus et de conditions acceptables. C'est donc possible, à certaines conditions.

Le sénateur Massicotte : Vous avez parlé des terres cédées en vertu d'un traité. Quelle est la différence par rapport aux terres qui ne sont pas visées par un traité?

M. Rae : Dans le cas des terres non visées par un traité, les gouvernements estiment qu'ils n'ont désormais d'autre choix que de négocier. Pourquoi a-t-on la Convention de la baie James et du Nord québécois au Québec, et un arrangement différent au Manitoba? Parce que la Couronne a interprété le traité d'une certaine façon, et parce que la Cour suprême du Canada a essentiellement demandé aux gouvernements québécois et canadien ce qu'ils comptaient faire, étant donné que les titres qu'ils considéraient comme transférés, dans le nord du Québec, ne l'étaient peut-être pas.

Le sénateur Massicotte : Que pensez-vous des capitaux propres?

M. Rae : C'est une forme de participation. Je ne suis pas en désaccord avec le sénateur St. Germain lorsqu'il dit que cela comporte des avantages symboliques et économiques importants. Je ne crois pas qu'il s'agisse du seul mécanisme permettant aux gens de participer à l'exploitation d'une ressource.

Je crois qu'il ne faut pas écarter cette solution, si c'est ce que les gens veulent. Toutefois, si vous regardez le secteur minier, par exemple, il s'agit d'un investissement à très haut risque. C'est très différent des canalisations des services publics. Mais si un promoteur minier se présente dans une collectivité et vous invite à investir dans son projet, gardez vos mains dans vos poches. Vous devez faire preuve de grande prudence à cet égard.

Je suis d'avis que les gouvernements des Premières Nations sont de véritables gouvernements. De quoi les gouvernements ont-ils besoin pour faire leur travail? Ils ont besoin de revenus stables et du pouvoir de réglementer les activités sur leur territoire. Je souligne au passage qu'ils ont besoin d'un territoire suffisamment grand pour pouvoir faire quelque chose. Voilà ce qu'il faut aux gouvernements pour être efficace. Sans cela, ils connaîtront beaucoup de difficultés.

Si vous parlez d'un pipeline ou d'activités minières, par exemple, ce qui intéresse le plus un gouvernement est de connaître les revenus dont il pourra en tirer, la stabilité des revenus, sa capacité d'exercer une surveillance des activités et ses pouvoirs en matière de réglementation environnementale. Je pense que ce sont là les préoccupations d'un gouvernement. En outre, en ce qui concerne les Premières Nations, d'autres questions se posent. Combien d'emplois seront créés? Qui sera embauché? Quelle part du travail ira à la collectivité?

Cela dit, les occasions sont nombreuses, notamment dans le secteur de la construction de routes. Nous avons des problèmes dans le Nord. Nous parlons d'un corridor, mais une grande partie de ce corridor n'est pas accessible par la route. Allons-nous construire des routes? Si oui, comment peut-on en assurer la viabilité?

Les changements climatiques ont de nombreuses répercussions sur la terre et l'eau. Il convient de faire une prise de conscience et de se demander s'il est possible de construire des routes durables dans ces conditions. Dans la négative, quelles sont les autres solutions? Que doit-on faire?

Ce sont tous des enjeux qui doivent faire l'objet de discussions approfondies tandis qu'on cherche à savoir comment développer ce genre de choses.

Le président : Je ne suis pas certain, mais il faudrait peut-être que les entreprises qui veulent faire des affaires dans une région donnée... Si je suis propriétaire foncier et que quelqu'un veut forer un puits sur ma terre parce qu'il pense y trouver du pétrole, je devrais obtenir des redevances, étant donné que je suis propriétaire de la terre. Je n'ai pas à investir; j'accorde simplement un droit de passage, et j'obtiens des redevances. Je pense que c'est ce que souhaitent les Premières Nations. Elles veulent être traitées de la même façon que tout autre gouvernement.

M. Rae : En effet.

Le président : Mais vous devrez négocier des redevances. Donc, soit ils investiront, comme le font les gouvernements, soit ils se contenteront d'une participation en raison de certains droits de propriété.

M. Rae : En mon sens, c'est lié à la solidité du partenariat économique.

Ce que le sénateur St. Germain a souligné, c'est qu'il faut siéger au conseil d'administration d'une entreprise avant qu'elle ne commence à vous écouter. De mon point de vue, en tant que gouvernement, il n'est pas nécessaire de siéger au conseil d'administration d'une entreprise pour qu'elle vous écoute. Ce sera plutôt le contraire; les entreprises devront se tourner vers le gouvernement étant donné qu'il a le pouvoir de réglementation.

Je reviens toujours à la question de l'autonomie gouvernementale. Je me demande si nous avons des unités d'autonomie gouvernementale. C'est intéressant. Si vous vous référez à la Commission royale sur les peuples autochtones, aussi appelée la CRPA, qui a été créée par le premier ministre Mulroney et qui a présenté son rapport au gouvernement du premier ministre Chrétien, vous constaterez que la question de l'autonomie gouvernementale était au centre de ses recommandations. Voilà pourquoi l'autonomie gouvernementale faisait partie intégrante des négociations des changements constitutionnels dans le cadre de l'Accord de Charlottetown, en 1992. J'étais présent lors de la conclusion de l'accord, et j'ai en quelque sorte assuré la présidence des funérailles après le référendum. On ne peut pas dire que c'est une idée novatrice; elle fait l'objet de discussions depuis longtemps.

Le problème, par rapport à l'autonomie gouvernementale, se situe sur le plan géographique. Cela nuit au fonctionnement. Lorsqu'on a 640 petites bandes distinctes comptant chacune 400 ou 500 personnes, il est difficile de dire que tel gouvernement ou tel autre sera chargé d'administrer le système de soins de santé et le réseau de l'éducation. Il faut créer des unités plus grandes. Je ne suis pas toujours l'avocat le plus populaire lorsque je dis aux gens qu'ils doivent faire partie d'un ensemble plus grand parce que c'est la seule façon d'avoir la taille et la capacité nécessaires pour offrir des services et de se doter des moyens d'exercer l'autonomie gouvernementale. Nous devons régler cette question.

Certains disent que la Loi sur les Indiens les empêche de le faire, qu'il faut oublier cette idée et qu'ils ne le feront pas. Je suis d'avis que nous ne pouvons ignorer l'objectif à long terme qu'est l'autonomie gouvernementale. Cet aspect se rapporte à l'essence même de la définition d'une personne autonome. Il faut avoir une réelle capacité de prendre des décisions.

Les preuves sont éloquentes : les collectivités qui jouissent d'une autonomie gouvernementale plus grande vivent dans de meilleures conditions. Vous pourriez notamment étudier les exemples des États-Unis. J'ai suivi avec intérêt les observations faites sur les exemples comparatifs. Je peux vous assurer que l'Australie n'est pas en avance sur le Canada. En fait, nous pouvons démontrer que nous sommes en avance sur l'Australie dans bien des cas. Nous accusons un léger retard à certains égards par rapport à la Nouvelle-Zélande, en raison de certaines différences, notamment la population des Maoris, le degré de centralisation de l'État et la relation découlant des traités entre les Maoris et le gouvernement néo-zélandais.

Regardons la situation des Navajos, qui ont l'autonomie gouvernementale. Ils ont une population de 260 000 personnes et gèrent un territoire plus grand que l'Irlande. Ils présentent des taux de réussite plus élevés, tant au secondaire qu'à l'université. Ils ont des capacités accrues.

Il est également possible de le démontrer en Colombie-Britannique. Des études démontrent que les collectivités qui ont une réelle autonomie gouvernementale obtiennent de meilleurs résultats. Il me semble qu'au Canada — une fédération où les provinces et le gouvernement fédéral sont autonomes, et où il existe une interconnexion entre les diverses instances —, nous devrions avoir la souplesse nécessaire pour affirmer qu'il convient d'examiner d'autres modèles de gouvernance et voir s'il est possible d'accroître la gouvernance au sein des collectivités des Premières Nations. Ce qui serait avantageux pour tous, en fin de compte. Vous ne pourrez trouver une solution exhaustive concernant ce corridor sans d'abord régler le problème de la gouvernance.

Le sénateur Black : Si vous le permettez, monsieur Rae, j'aimerais d'abord faire écho aux propos de mon collègue, le sénateur Massicotte. L'épinglette que vous portez si fièrement sur le revers de votre veston symbolise la reconnaissance du pays pour la contribution que vous faites tous les jours, en ce moment même, alors que vous êtes ici aujourd'hui pour nous aider à comprendre cet enjeu complexe. Je tiens donc à vous exprimer ma gratitude.

M. Rae : Merci beaucoup.

Le président : Il va vouloir faire un retour en politique.

M. Rae : Ne vous inquiétez pas; il n'y a aucun risque.

Le sénateur Black : Ma question est la suivante : étant donné vos observations et tout ce que nous avons entendu au cours des derniers mois, si nous acceptions l'hypothèse selon laquelle la création d'un corridor du Nord ou d'un nouveau corridor national est dans l'intérêt du Canada, conviendrait-il alors que nous nous tournions vers les collectivités des Premières Nations de l'ensemble du pays pour leur dire de mener à bien ce projet puisque c'est à eux qu'il est destiné?

M. Rae : Je ne pense pas que cela puisse se concrétiser sans la participation des Premières Nations. Sur le plan pratique, je pense que le comité devrait exprimer cette idée, mais les provinces auront certainement leur mot à dire à cet égard, car vous vous retrouvez essentiellement à leur retirer ce qui leur appartient, selon elles. Je pense que le processus est légèrement plus complexe.

Je dirais simplement que la question doit faire l'objet d'une étude plus approfondie. Comme je l'ai indiqué, nous devons ensuite déterminer quelles mesures il convient de prendre si nous voulons réellement être, dans 20 ans, dans une situation plus enviable que celle où nous étions dans le passé et où nous sommes aujourd'hui.

Le sénateur Black : J'essaie de savoir s'il faut faire un saut dans l'inconnu.

M. Rae : Si c'est le cas, il faut à tout le moins qu'il soit réalisable. Je pense que les provinces doivent participer au processus. Elles veulent sans doute participer au débat sur la question des ressources, étant donné leur sens des responsabilités et leurs pouvoirs constitutionnels. Je suppose que votre province et la province de la Saskatchewan auraient des observations à présenter si le gouvernement fédéral disait : « Prenez le nord de la Saskatchewan et développez-le à votre guise. » En tant qu'ardent défenseur des Premières Nations, je dirais : « Formidable, merci. », mais je ne pense pas que cela pourrait être mis en œuvre facilement.

Le sénateur Black : Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y aurait un transfert des actifs sous-jacents; il faudrait toutefois songer à un arrangement quelconque dans le but de faire de la gestion et de l'orientation de cette initiative un projet national dirigé par les Premières Nations.

M. Rae : Si le gouvernement fédéral adoptait cette approche, ce serait un remarquable exemple de leadership, à mon avis. La difficulté réside dans la façon de jouer ce rôle de chef de file.

Le passage de la parole aux actes est l'un des enjeux auxquels nous sommes confrontés actuellement. Nous avons fait beaucoup de progrès quant à la rhétorique de la réconciliation, à la rhétorique du changement et à la rhétorique de la transformation, et cetera. C'est important. Il est important d'avoir cette vision, mais il est tout aussi important de la mettre en œuvre et d'indiquer de quelle façon nous comptons le faire. Si la première chose qui se produit par la suite c'est qu'on se retrouve avec plusieurs premiers ministres qui disent que c'est trop compliqué... Je ne cible pas les provinces; je dis simplement que vous devez absolument trouver une façon d'y arriver, concrètement.

Si le gouvernement fédéral disait qu'il ne veut détenir aucun titre de participation dans quoi que ce soit et qu'il veut que les Premières Nations soient les principales bénéficiaires des projets de développement, je pense que ce serait très bien. La question serait alors de savoir comment y arriver. Je pense qu'une étude à ce sujet est nécessaire. À mon avis, aucun de nous ne peut prédire comment cela va se concrétiser.

Le sénateur Black : Merci beaucoup. Cela nous est très utile.

Le sénateur Campbell : Comme tous les autres, Bob, j'admire ce que vous avez accompli.

M. Rae : J'ai l'impression d'assister à mes propres funérailles.

Le sénateur Campbell : C'est bon. Nous sommes au Sénat, n'est-ce pas?

Dans quelle mesure les traités conclus dans les années 1800 sont-ils encore valides au XXIe siècle?

M. Rae : Les traités sont intéressants. Je parle encore une fois selon ma propre expérience, mais je sens une tension entre le sentiment des Canadiens d'être tous visés par les traités... enfin, pour la plupart d'entre nous — les gens de l'Ontario sont certainement touchés par les traités — et l'insistance des Premières Nations pour dire que c'est bel et bien le cas et qu'elles sont visées par les traités, et la façon dont les traités ont été interprétés par la Couronne jusqu'à maintenant. Voilà le point de tension.

Si vous voulez savoir dans quelle mesure les traités sont valides aujourd'hui, je crois qu'il faut poser la question essentielle suivante : est-il raisonnable pour la Couronne de continuer d'utiliser les traités pour nier le droit des Premières Nations de participer à leur propre autonomie gouvernementale? C'est ce qui est problématique, à mon avis, avec la façon dont la Couronne a procédé. C'est pourquoi nous voulons tous que les traités soient renouvelés, je crois. Il faut donner un nouveau souffle aux traités. Nous devons trouver des façons d'exprimer les relations découlant des traités.

Un avocat bien avisé m'a déjà dit que le problème était que les Premières Nations interprétaient les traités comme un mariage ou comme le début d'une relation alors que jusqu'à maintenant, la Couronne ou les gouvernements avaient interprété les traités comme un règlement de divorce. Ils disent : « Voilà ce qui est à vous et ce qui est à nous. Au revoir. » Les Premières Nations, quant à elles, disent : « Attendez un instant, nous pensions avoir une relation avec vous, une relation fondée sur le partage. Nous pensions que cette relation visait une meilleure compréhension. » Je crois qu'il s'agit d'une bonne façon de comprendre les tensions entre les deux groupes.

À mon avis, si on devait se rendre devant les tribunaux, je crois qu'on aurait beaucoup de difficulté à faire valoir cette interprétation intransigeante du traité par la Couronne qui exige la concession.

À titre stratégique, le gouvernement fédéral pourrait dire — et devrait dire, à mon avis — qu'il n'a pas besoin de la concession d'un titre pour entretenir une relation.

Le sénateur Campbell : Il y a un sujet que nous n'avons pas abordé ici : l'incidence des revendications territoriales en suspens. Je ne sais pas où nous en sommes. Je ne veux pas être critique, mais lorsqu'on a réduit la TPS de deux points, il s'est passé quelque chose d'intéressant. Je siégeais au Comité des peuples autochtones. Cette réduction de deux points a généré 6 milliards de dollars. C'est exactement le montant qu'il fallait pour régler tous les cas de revendication territoriale. Je m'en souviens très bien. Donc, au-delà des traités, il y a toutes ces revendications territoriales qui n'ont pas été réglées, et nombre d'entre elles se trouvent dans ce corridor, je crois.

M. Rae : Oui.

Le sénateur Campbell : Que fait-on avec cela?

M. Rae : C'est un problème. Les principales revendications territoriales qui visent de grandes étendues de terres et valent des milliards de dollars se trouvent dans les parties du pays qui ne sont pas visées par un traité. Il y a aussi un processus de règlement des revendications particulières qui vise le rajustement des frontières et limites des réserves et qui examine plus en profondeur les traités. Le processus de règlement des revendications est différent.

Au milieu des années 1970 il y a eu l'affaire Calder. M. Trudeau, père, avait dû revenir en arrière parce qu'il avait au départ défendu le Livre blanc qui disait : « On s'en va. La Loi sur les Indiens est une abomination. C'est un acte de paternalisme. Il faut s'en débarrasser. Nous sommes prêts à négocier avec les provinces pour veiller à ce que tous les partis demeurent entiers, mais, essentiellement, vous êtes laissés à vous-mêmes et vous reprenez votre relation avec la province. » Les Premières Nations l'avaient vivement rejeté.

Au bout du compte, ce qui a mené à la modification de la politique gouvernementale, c'est l'affaire Calder, dans laquelle on disait : « On ne sait pas quel est le titre associé à nombre des territoires contestés. » Le gouvernement avait donc dit : « Nous allons devoir créer un nouveau processus et adopter une autre approche. » Il faut donner des points à M. Trudeau, qui avait dit : « D'accord, les temps ont changé. Nous allons établir un processus de revendications. »

Il y a aussi la réalité du processus de rapatriement auquel j'ai participé et dans le cadre duquel les Premières Nations ont exigé le recours à l'article 35, ce qui n'a pas fait l'affaire du gouvernement fédéral ni des provinces.

Le président : Même au sujet de l'autonomie gouvernementale et de toutes ces autres questions, comme vous le dites et comme l'a dit le sénateur St. Germain, nous avons quelque 625 nations indiennes au pays. Elles ne s'entendent pas toutes. Certaines réussissent très bien, certaines réussissent sur le plan économique, sur le plan éducatif, dans la réserve et tout se passe bien pour elles, tandis que d'autres vivent dans la pauvreté et ne semblent pas pouvoir s'en sortir.

En Colombie-Britannique, les revendications se chevauchent. Les nations se battent entre elles pour savoir à qui appartient quoi. Elles n'arrivent pas à s'entendre.

M. Rae : Non, mais nous avons besoin d'un processus pour tenter de clarifier les choses. Il faut le faire.

Le président : Oui.

Le sénateur Campbell : Pour être honnête, en Colombie-Britannique, les revendications de trois Premières Nations se chevauchent, mais elles travaillent en collaboration. C'est ce qui s'est passé avec les terres de la défense. Elles travaillent ensemble. Ce n'est pas parce qu'il y a chevauchement qu'on ne peut pas trouver une solution. Elles y travaillent, du moins en Colombie-Britannique.

M. Rae : Pour poursuivre la conversation... et je tiens à dire que j'aime cet échange... cela me rappelle la courte période au cours de laquelle j'ai dirigé un caucus, dans la mesure où l'on peut diriger un caucus.

Ce qu'il faut retenir, monsieur le sénateur, c'est que le terme « Premières Nations » ne représente pas bien la diversité des peuples autochtones du pays. Les Cris des plaines sont différents des Ojibwas du nord de l'Ontario. Dans le nord de l'Ontario, il y a les Cris de la Baie-James qui viennent du Québec et qui se trouvent sur la côte de la baie d'Hudson et de la baie James. Puis, au sud, il y a les Cris ojibwas et les Ojibwas, et à l'autre bout du pays il y a divers groupes de langues et de cultures au Labrador et au Yukon. Il y a toutes sortes de groupes et de regroupements. Les différences culturelles sont profondes.

Les conditions économiques varient aussi grandement selon l'emplacement géographique. Si vous vivez près d'une mine — et les données probantes sont très claires à ce sujet — ou si votre réserve se trouve près d'une ville, vous aurez probablement une meilleure éducation et de meilleures conditions de vie. Les habitants de ces réserves travaillent depuis 100 ou 150 ans; ils ont un emploi, font de la sous-traitance et participent aux activités commerciales.

Si vous vivez dans une collectivité éloignée du nord du Manitoba ou de l'Ontario, les gens vous diront que vous ne réussissez pas bien. Mais il est impossible de réussir dans de telles circonstances. Pour avoir une économie forte, il faut des possibilités et il faut de la chance. Bien sûr, ces réserves se portent mal parce qu'on n'a pas donné la chance à leurs habitants de tirer profit des développements et des possibilités.

Je crois qu'on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide, selon sa nature. Je suis quelqu'un d'optimiste. Je crois que nous avons beaucoup progressé. Il y a encore beaucoup de travail à faire.

Le sénateur Smith : Monsieur, le gouvernement dépense environ 10 milliards de dollars, soit par l'entremise d'Affaires autochtones et du Nord, soit par l'entremise de ses relations horizontales avec d'autres ministères. Nous allons probablement recommander de procéder à une étude.

L'Université de Calgary nous a rendu visite et nous a montré son programme. On parle d'un investissement de 800 000 $ à 1 million de dollars.

Où pourrait-on trouver l'argent? Est-ce qu'on demanderait au gouvernement fédéral ou on demanderait aussi la contribution des provinces? Comment peut-on lancer l'étude? Selon votre expérience, comment devrions-nous procéder?

M. Rae : Tout d'abord, les sources d'information indépendantes sur ce que j'appelle la condition autochtone, la condition des finances autochtones et la condition des réserves sont peu nombreuses. On parle beaucoup d'argent, mais il faut aussi comprendre que le directeur parlementaire du budget a fait valoir hier que le financement de l'éducation dans les réserves était largement inférieur — des milliers de dollars par étudiant — à celui offert aux collectivités voisines — pas celles dans le Sud — régies par la province.

Il faut tenir compte de la situation globale des transferts provinciaux. On dépense de l'argent, mais qu'est-ce qu'on obtient en retour? Pourquoi les conditions varient-elles d'une collectivité à l'autre?

Peut-on obtenir ces renseignements quelque part? J'ai beaucoup travaillé — en partie dans le cadre de mon travail d'enseignant à l'université — pour tenter de comprendre pourquoi nous n'avions pas plus de renseignements à ce sujet, même à propos des résultats. Nous en savons très peu sur les résultats comparativement aux autres administrations.

Je suis toujours étonné de voir qu'au gouvernement, on peut dépenser des tonnes d'argent pour faire fonctionner le système, nos hôpitaux et tout le reste, mais qu'on a du mal à évaluer les résultats de toutes ces dépenses. Quel est le lien entre les dépenses et les résultats? Et si les résultats sont mauvais, il n'y a peut-être pas de réponse, mais on doit alors se demander pourquoi on fait face à de tels problèmes. C'est une autre façon de se questionner.

On ne devrait pas devoir courir après l'argent. La réalité, c'est que le gouvernement a l'obligation de dire qu'un projet doit être financé s'il est d'avis que ce projet en vaut la peine. Je crois qu'on aurait intérêt à obtenir plus de renseignements afin de tirer certaines conclusions sur le cours des choses.

Je crois que ce que j'ai entendu le plus souvent — et je crois qu'on l'a dit encore aujourd'hui —, c'est qu'on lance de l'argent sans régler la situation. Il faut comprendre la nature du déficit des collectivités des Premières Nations. On ne parle pas seulement d'un déficit financier, même si c'est le cas de nombreuses collectivités. Combien de collectivités sont gérées par un séquestre-administrateur? Combien sont en cogestion? Combien de collectivités sont autonomes et gèrent elles-mêmes leurs finances?

Voilà le résultat du système. Si vous étiez une banque, vous vous demanderiez ce qui se passe là-bas. Je ne vois aucune étude systématique du gouvernement. Si j'étais à nouveau premier ministre et que la moitié des municipalités étaient en cogestion, je me dirais qu'il y a quelque chose qui cloche dans le système. Ce n'est pas leur faute. Quelque chose ne fonctionne pas, et voilà le résultat.

Il faut faire preuve d'audace et être directs pour trouver la faille. Il faut tenir ce dialogue.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Rae.

M. Rae : Merci. Je suis heureux d'être de retour sur la Colline du Parlement.

Le président : Je vous remercie de votre contribution au pays. Il est bon d'avoir des gens comme vous en politique. Nous vous en sommes très reconnaissants.

(La séance est levée.)

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