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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule n° 13 - Témoignages du 8 février 2017


OTTAWA, le mercredi 8 février 2017

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, à qui a été renvoyé le projet de loi S-224, Loi sur les paiements effectués dans le cadre de contrats de construction, se réunit aujourd'hui, à 16 h 19 pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bon après-midi. Bienvenue aux collègues, invités et membres du public qui regardent cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce dans cette salle ou sur Internet.

Je m'appelle David Tkachuk et je suis le président du comité. Nous nous réunissons aujourd'hui pour la deuxième fois, afin d'étudier le projet de loi S-224, Loi sur les paiements effectués dans le cadre de contrats de construction. Le projet de loi a été lu pour la première fois au Sénat le 13 avril 2016, puis renvoyé à notre comité le 28 novembre.

Je suis heureux d'accueillir aujourd'hui, pendant la première partie de notre séance, de la Coalition nationale des entrepreneurs spécialisés du Canada, John Blair, président du Comité sur le paiement sans délai, et Steve Boulanger, directeur général adjoint de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec; et de l'Association des entrepreneurs en mécanique du Canada, Del Pawliuk, président, et Dan Leduc, membre du conseil.

John Blair, président du Comité sur le paiement sans délai, Coalition nationale des entrepreneurs spécialisés du Canada : Je tiens d'abord à vous remercier. Nous savons que vous avez beaucoup de pain sur la planche et nous essaierons donc d'être aussi rapides que possible. Monsieur le président Tkachuk, merci pour vos mots de bienvenue.

Je suis ravi d'être ici aujourd'hui. Je m'appelle John Blair et je suis directeur général de la Canadian Masonry Contractors Association et président de la Coalition nationale des entrepreneurs spécialisés du Canada. Je préside le Comité sur le paiement sans délai au sein de cette coalition. Je suis le porte-parole de tous ceux qui emploient des gens de métier, ceux qui forment des apprentis et des compagnons, ceux qui s'occupent de la paie, des avantages sociaux et des cotisations aux régimes de retraite, et ceux qui exécutent les travaux.

La Coalition a été créée en 2004, afin de constituer une tribune nationale structurée permettant aux entrepreneurs spécialisés du Canada d'échanger des renseignements et des ressources et de collaborer dans des domaines d'intérêt commun. Nous avons 10 associations membres, qui représentent environ 16 000 entreprises spécialisées et 400 000 travailleurs ou employés au Canada.

Notre premier objectif a été de résoudre le problème des retards de paiement. J'ai pris la parole à maintes reprises sur de nombreux aspects de la question, comme les applications mondiales, les incidences économiques, l'inégalité du pouvoir de négocier dans la pyramide de la construction, la cascade des risques et les répercussions sur les travailleurs.

Nous avons fait nos devoirs, commandé des études, des sondages et des recherches qui, collectivement arrivent tous à la même conclusion : il faut légiférer sur le paiement sans délai afin de corriger un grand problème dans l'industrie de la construction.

Je crois pouvoir résumer la situation par une analogie très simple. On a autant besoin d'une loi sur le paiement sans délai que d'oxygène pour respirer. Tout comme les humains ont besoin d'oxygène pour vivre, les entrepreneurs spécialisés ont besoin d'être payés rapidement pour rester en affaires. Lorsque l'accès à l'oxygène est limité ou retardé, on a du mal à respirer et à rester conscient. Les activités quotidiennes et les capacités en souffrent grandement. Si l'oxygène est coupé, on meurt.

Remplacez le mot « oxygène » par « liquidités » et vous voyez ce qui peut arriver aux entrepreneurs spécialisés. Je suis ici au nom de milliers d'entrepreneurs qui appuient le projet de loi S-224, Loi sur les paiements effectués dans le cadre de contrats de construction, et pour défendre ce qui devrait être un droit fondamental des entrepreneurs d'être payés pour les travaux qui ont été achevés et certifiés.

Les retards de paiement ont des conséquences nombreuses : sur les emplois, l'investissement, la formation, les retraites, les avantages sociaux, les coûts de la construction et la productivité. Ils ne se comptent pas en jours, mais en mois.

Il y a des répercussions négatives non seulement sur les entreprises elles-mêmes, mais aussi sur l'ensemble de l'économie. Je pourrais discuter en long et en large de chacun de ces problèmes qui découlent de ces retards de paiement, mais je dépasserais largement le temps qui m'est accordé. Il y a pourtant des opposants à une loi sur le paiement sans délai. Bien que caractérisée par une foule d'éventuels problèmes et difficultés, l'opposition tient surtout à ce que j'appellerais un système de croyances féodales selon lesquelles le dernier maillon de la chaîne devrait simplement accepter son sort et le mal qu'on lui fait.

Il est toujours intéressant de souligner que personne n'a prétendu qu'une loi sur le paiement sans délai ne serait pas une bonne chose. On veut tout simplement que la question ne fasse pas l'objet d'une loi. Dans le monde entier, des pays et des États ont pourtant adopté des lois sur le paiement sans délai. La question est donc : Qu'est-ce qui rend le Canada différent?

Certainement pas l'absence de problème. Le problème existe bien. Il peut mener à des activités contraires à l'éthique, mais occasionner aussi de grandes difficultés pour les travailleurs et leur famille et pour les entrepreneurs.

Le Canada a toujours été un chef de file discret sur la scène internationale, depuis nos progrès médicaux et technologiques jusqu'au rôle que nous avons joué comme gardiens de la paix dans le monde. Sur ce front, quand on regarde l'industrie qui bâtit littéralement notre pays, nous accusons un grand retard. L'action du gouvernement fédéral dans ce domaine est cruciale pour secouer l'inertie.

En deux mots, l'industrie de la construction a beaucoup évolué depuis 40 ans, dans sa gestion des processus, ses politiques et sa structure. Malheureusement, la structure contractuelle imposée par la loi n'a pas toujours suivi, en particulier pour assurer une certaine protection à cette industrie qui construit : les entreprises spécialisées et leurs employés, ceux qui sont le moins en mesure de négocier librement pour défendre leurs droits. Nous sommes ici aujourd'hui pour demander au comité et au Sénat de corriger cette erreur et d'appuyer le projet de loi S-224.

[Français]

Steve Boulanger, directeur général adjoint, Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec : Je m'appelle Steve Boulanger, directeur général adjoint de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec (CMMTQ). C'est un ordre professionnel créé par une loi québécoise visant à encadrer l'ensemble des entrepreneurs dans les domaines de la plomberie et du chauffage au Québec et qui sont au nombre d'environ 2 550.

Tout d'abord, je tiens à remercier ce comité de nous donner l'occasion de nous exprimer au sujet du projet de loi qui est à l'étude et que nous appuyons. La CMTQ travaille de concert avec la Coalition nationale des entrepreneurs spécialisés du Canada dans le but d'endiguer la problématique des retards de paiement dans le domaine de la construction. J'aimerais éclairer ce comité avec quelques données provenant du Québec, mais, selon les échanges que nous avons eus, elles reflètent fort probablement ce qui se passe également dans les autres provinces canadiennes.

Dans son rapport de novembre 2015, la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, mieux connue sous le nom de la Commission Charbonneau, recommande de réduire les délais de paiement des entrepreneurs en construction. Plus précisément, il est recommandé au gouvernement du Québec d'adopter des dispositions législatives ou réglementaires afin de proposer, dans le cadre d'un contrat principal et des contrats de sous-traitance, une norme sur les délais de production progressifs et des paiements. Pour en arriver à cette conclusion, la commission avait particulièrement été interpellée par la statistique suivante que nous lui avons fournie à l'issue d'un sondage exhaustif : 77 p. 100 des entrepreneurs interrogés ont mentionné avoir refusé de déposer une soumission au moins une fois au cours d'une année donnée dans le cadre d'un projet en raison de la problématique anticipée des délais de paiement. Dans près de 60 p. 100 des cas, il s'agissait de projets publics.

Une telle situation a évidemment comme conséquence de réduire la concurrence, avec toutes les autres conséquences qui s'ensuivent, y compris l'augmentation potentielle des coûts du projet pour le gouvernement. Dans le cadre d'une étude d'impact des retards de paiement dans l'industrie de la construction, la firme Raymond Chabot Grant Thornton concluait que l'impact économique quantifiable se montait à plus de 1 milliard de dollars par année, simplement au Québec. Transposé au Canada, l'impact monétaire des retards de paiement devient tout simplement astronomique pour l'industrie, qui est l'un des moteurs économiques au pays. Selon les données recueillies, deux tiers des comptes clients des entrepreneurs sont de 30 jours et plus, et 20 p. 100 sont de 120 jours et plus. Il s'agit donc de milliards de dollars qui sont dus aux entrepreneurs et qui demeurent impayés sans justification.

D'ailleurs, nous avons constaté que la situation se détériore d'année en année. C'est pourquoi nous appuyons l'initiative lancée par le Sénat avec le projet de loi S-224, Loi sur les paiements effectués dans le cadre de contrats de construction, pour s'attaquer à une situation inacceptable qui met en péril la survie de plusieurs entreprises. Ce faisant, le Sénat fait office de chef de file au Canada dans l'adoption de meilleures pratiques d'affaires en matière d'équité et d'efficacité, au profit à la fois des entreprises et des travailleurs. Je vous remercie. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

[Traduction]

Del Pawliuk, président, Mechanical Contractors Association of Canada : Je m'appelle Del Pawliuk, et je suis propriétaire-exploitant d'une petite entreprise d'installations mécaniques à Sault Ste. Marie, en Ontario. Je suis également président et chef de la direction de la Mechanical Contractors Association of Canada.

Je suis accompagné de M. Dan Leduc, avocat spécialisé en droit de la construction chez Norton Rose Fulbright, un membre de longue date de notre association. Il est ici pour répondre aux questions juridiques ou techniques auxquelles je ne saurais pas répondre.

Fondée en 1895, la Mechanical Contractors Association of Canada est une association nationale sans but lucratif qui représente les entrepreneurs en installations mécaniques de toutes les régions du pays, actifs dans des domaines comme la plomberie, le chauffage, le refroidissement, la ventilation, la climatisation, la tuyauterie industrielle, les gaz médicaux, et cetera, principalement dans les secteurs industriel, commercial et institutionnel de l'industrie de la construction canadienne. Essentiellement, nous aidons les gens à être confortables.

Nous appuyons le projet de loi S-224 sur les paiements effectués dans le cadre de contrats de construction. Certains ont demandé pourquoi il faut une loi fédérale pour régler le problème des retards de paiement dans l'industrie de la construction du Canada. Voici quelques-unes des questions qui ont été soulevées par le passé, ainsi que certaines de nos réponses à ces questions.

L'une des remarques que nous entendons souvent est que, pour les contrats de construction, l'entrepreneur principal doit présenter avec chaque facture une déclaration solennelle indiquant que toutes les exigences légales en matière de paiement ont été satisfaites pendant la période de facturation, afin d'assurer le paiement au premier niveau de sous- traitance.

Notre réponse est que c'est très bien, mais cela n'assure pas le paiement, encore moins le paiement rapide. Les déclarations solennelles des entrepreneurs généraux ne constituent pas une garantie de paiement sans délai, et les pénalités en cas de fausse déclaration relèvent du Code criminel. Mais le gouvernement du Canada n'a jamais intenté de poursuites contre un entrepreneur général, jamais. Ce n'est jamais arrivé. Vu qu'il n'y a pas de réelle sanction en cas de fausse déclaration, l'apparente garantie de paiement est tout simplement inexistante, tout comme le paiement sans délai.

Une autre remarque que nous entendons est qu'il faut une garantie contractuelle pour tous les contrats de construction de 100 000 $ ou plus. Cette garantie protège les entreprises contre le non-paiement, mais crée aussi un mécanisme de réclamation au gouvernement en cas de paiement en retard.

Peut-être. Mais les garanties contractuelles existent depuis une vingtaine d'années et n'ont jamais réussi à assurer un paiement rapide aux sous-traitants. Par exemple, le site Internet de Services publics et Approvisionnement fixe les délais applicables pour faire une réclamation relative à un cautionnement pour le paiement de la main-d'œuvre et des matériaux.

Ces délais, soutient-on, informent les réclamants qui envisagent d'intenter des poursuites qu'ils doivent d'abord informer le débiteur principal et la caution. Peu importe qu'il s'agisse de retenues ou de montants dus. Le délai est de 120 jours ou quatre mois, ce qui est très long quand il s'agit de retenues.

Ce n'est qu'un délai de carence. Cela signifie qu'une réclamation a été déposée. Elle a été enregistrée. Il peut s'écouler ensuite de six mois à un an avant de voir la couleur de son argent.

Cela ne démontre pas vraiment que les paiements sont rapides. On finit par être payé, le vrai problème n'est pas là. On finira par être payé, mais quand?

Nous avons aussi entendu que la meilleure façon d'assurer un paiement rapide est que l'industrie encourage cette pratique chez les membres de ses associations. Les entreprises ne devraient signer que des contrats qui garantissent un paiement rapide. La stratégie la plus efficace du gouvernement pour atteindre cet objectif consiste à appuyer l'industrie et collaborer avec elle en ce sens.

Voilà quelques observations qui sont exprimées. L'industrie connaît le problème et s'y attaque et possède des outils plus efficaces pour le résoudre. Malheureusement, en réalité, c'est ce que l'industrie s'efforce de faire depuis toujours, sans succès. Cela ne fonctionne tout simplement pas et cela ne fonctionnera pas dans un contexte où c'est payant de retarder ou de retenir des paiements, parce que c'est possible et qu'il y a très peu d'outils pour combattre ce comportement.

D'autres pays du monde occidental le savent bien et ont donc adopté des mesures législatives pour assurer le paiement sans délai, au niveau fédéral ou des États. Ces gouvernements ont fait preuve de leadership et d'équité. Notre question est : Pourquoi le Canada fait-il bande à part? Notre industrie est-elle si différente de celles de ces pays? Nous pensons que non. Elles sont très semblables.

Une autre remarque que nous entendons de temps en temps est qu'il est beaucoup plus efficace et efficient de collaborer avec l'industrie pour qu'elle améliore ses normes contractuelles et ses normes de paiement.

L'autorégulation de l'industrie n'est pas la solution, comme en témoignent les pratiques de paiement actuelles qui érodent notre industrie. C'est pour cette raison que nous avons besoin de mesures législatives pour assurer la stabilité de notre industrie. Des pratiques de paiement médiocres, voire inexistantes, n'aident pas l'économie. Des entreprises font faillite et ne peuvent pas gérer les projets correctement lorsque les paiements sont lents. La technologie en souffre, les programmes d'apprentis en souffrent et l'économie en souffre. En règle générale, l'absence d'un paiement rapide pour les produits livrés et les services rendus exerce sur les entreprises des pressions qui mènent parfois à la faillite ou à la cessation des activités.

Pour faire une histoire courte, il y a toujours quelqu'un qui croit que les règles s'appliquent aux autres et pas à soi. Voilà le nœud du problème. L'industrie et les associations parlent de paiement à temps, mais il y a toujours quelqu'un qui s'estime au-dessus des règles et qui se croit dispensé de les respecter.

Un autre argument parfois invoqué est que l'industrie a déjà élaboré des contrats types en construction. C'est vrai, mais le problème, c'est que ces documents types ne sont pas utilisés très souvent. Quand ils le sont, nous recevons des conditions supplémentaires qui diluent le contrat, au point de le rendre inutile en ce qui concerne le paiement. Il y a plus de contenu dans les conditions supplémentaires modifiant le CCDC2 que dans les conditions supplémentaires.

D'autres questions éventuelles sont abordées dans notre mémoire, mais compte tenu du temps à notre disposition nous n'en avons mentionné que quelques-unes pour vous donner des exemples.

Voilà quelques-uns des arguments que vous entendrez peut-être. Nous espérons qu'en soulevant ces éventuelles questions et en vous donnant nos réponses, nous vous aiderons à prendre vos décisions concernant le projet de loi.

Je le répète, la Mechanical Contractors Association of Canada appuie le projet de loi S-224. Nous savons que certaines modifications au projet de loi pourraient s'imposer. Nous sommes disposés à les examiner au moment opportun, afin de contribuer à faire de ce projet de loi un outil très efficace et utile pour l'industrie de la construction du Canada.

En conclusion, nous remercions le comité de nous avoir permis d'exposer nos arguments en faveur du projet de loi S-224. Selon nous, l'adopter est tout simplement la bonne chose à faire. Notre avenir en tant qu'entrepreneurs en dépend.

Le président : Chers collègues, vous avez peut-être remarqué la semaine dernière que notre comité comptait 15 membres. La salle était pleine à craquer au moins une journée la semaine dernière. Nous sommes 12 aujourd'hui, ce qui est la taille habituelle de notre comité. Veuillez intervenir brièvement et poser de courtes questions.

La sénatrice Ringuette : Je suppose que vous avez lu le compte rendu de nos réunions de la semaine dernière et que vous avez vu où je veux en venir. L'objectif devrait être de se faire payer et non de suspendre vos travaux sur les chantiers ou d'y mettre fin. Nous espérons arriver à quelque chose de mieux.

Dans vos remarques, monsieur Blair, vous avez parlé d'« opposants ». Jusqu'ici, nous n'avons entendu ici personne qui serait opposé au projet de loi. Alors qui sont ces opposants?

M. Blair : Ils sont peut-être timides, mais pour paraphraser la Bible, ceux qui œuvrent dans l'ombre détestent la lumière. Ils ne se vantent pas de leur antagonisme ou leur opposition. Mais en réalité, ils ne ménagent aucun effort pour semer la confusion.

J'ai entendu parler de problèmes de constitutionnalité. J'ai entendu dire qu'il n'était pas nécessaire d'avoir un cadre législatif, que ces mesures ne sont pas nécessaires. Le test décisif pour nous a été ce qui s'est passé en Ontario quand on a déposé ce qui était alors le projet de loi 69. Tout d'un coup, les municipalités se sont plaintes des délais rattachés à cette demande, ou de l'obligation d'effectuer des paiements rapides.

Certaines sociétés de cautionnement craignaient que cela accroisse les risques auxquels elles seraient confrontées. Nous les définirons à mesure qu'ils surgiront. Des gens se taisent actuellement, mais nous savons qu'ils n'agissent pas en silence.

L'Association canadienne de la construction, l'ACC, se présente comme la voix nationale de la construction. Étrangement, même si elle a des conseils d'entrepreneurs spécialisés, au bout du compte, nous ne croyons pas qu'elle est en faveur du projet de loi, parce que selon nous, elle est dominée de manière arbitraire par les entrepreneurs généraux.

Le sénateur Plett : Je serai bref. Je connais probablement la plupart des réponses parce que j'ai travaillé avec ces messieurs pour rédiger le projet de loi, mais je veux clarifier quelques points.

En réponse à la dernière remarque de M. Blair à propos de l'Association canadienne de la construction, je vais profiter de l'occasion même s'ils ne le veulent pas le faire. Vous avez déclaré à juste titre que les entrepreneurs généraux ont plus de poids que les entrepreneurs spécialisés au sein de l'Association canadienne de la construction. J'ai assisté l'hiver dernier à un très important congrès de la Mechanical Contractors Association of Canada, au cours duquel un représentant de l'Association canadienne de la construction a déclaré publiquement qu'ils étaient en faveur de ce projet de loi. Au cas où ils changeraient d'avis, ils ont certainement déclaré publiquement à ce congrès qu'ils étaient en faveur du projet de loi. Nous les avons d'ailleurs remerciés.

Ma question s'adresse aux deux avocats. Elle est peut-être un peu liée à la question de la sénatrice Ringuette concernant les opposants. La semaine prochaine, nous entendrons les fonctionnaires. Parce que nous leur avons parlé, nous savons qu'ils soulèveront des questions constitutionnelles et des questions de compétences. Ils affirmeront qu'un contrat entre un entrepreneur général et un entrepreneur spécialisé est un contrat privé, contrairement au contrat entre l'entrepreneur général et le propriétaire.

J'aimerais que les avocats nous disent s'ils croient que nous avons raison d'affirmer que ces contrats le long de la chaîne d'approvisionnement sont valides et que, constitutionnellement, nous sommes sur des bases assez solides.

Dan Leduc, membre du conseil, Mechanical Contractors Association of Canada : En tant qu'avocat, je suis très bien placé pour observer ce qui se passe quotidiennement dans l'industrie. J'exerce ici à Ottawa, alors un grand nombre de mes clients ont des contrats avec SPA. En fin de compte, lorsque Travaux publics ou le gouvernement du Canada conclut un marché avec un entrepreneur général, il impose habituellement, mais pas toujours les mêmes modalités dans ce que nous appelons le contrat principal à chacun des sous-traitants de la chaîne contractuelle. Il y a déjà des incidences sur les modalités du contrat entre l'entrepreneur et le sous-traitant, parce qu'on exige que les mêmes modalités s'appliquent d'un bout à l'autre.

C'est logique parce que lorsque monsieur ici reçoit un appel d'offres pour des installations mécaniques destinées à un projet fédéral, son offre est assujettie aux conditions figurant dans les documents d'appel d'offres fournis par Travaux publics ou SPA. Vous le faites déjà. En réalité, vous exigez que les mêmes modalités s'appliquent partout.

Premièrement, là où le bât blesse c'est lorsque finalement l'entrepreneur principal ou général impose en plus son propre contrat type. C'est une partie du problème.

Deuxièmement, vous influencez déjà la garantie de paiement. Souvenez-vous, il y a deux éléments. Le paiement sans délai, qui signifie un paiement dans les 30 jours, et la garantie de paiement, qui signifie qu'on sera payé, point barre.

Vous influez déjà sur la capacité des sous-traitants de se faire payer. Vous êtes la seule entité au pays qui délivre des garanties à deux niveaux. Vous exigez que l'entrepreneur général obtienne et présente deux types de garanties : un cautionnement pour le paiement de la main-d'œuvre et des matériaux et un cautionnement d'exécution. Vous êtes la seule entité au pays qui exige que le cautionnement pour le paiement de la main-d'œuvre et des matériaux ait deux niveaux. Un réclamant peut ainsi être non seulement une entité qui a conclu un marché avec un entrepreneur général, mais aussi, une entité au-dessous du sous-traitant, que nous appelons le sous-sous-traitant. Vous offrez déjà une certaine garantie de paiement contractuelle en exigeant un cautionnement pour le paiement de la main-d'œuvre et des matériaux à deux niveaux.

J'ai entendu diverses personnes soulever des questions au sujet de la constitutionnalité, par exemple. J'ai du mal à comprendre. Je ne suis pas constitutionnaliste, mais vous imposez déjà de nombreuses règles qui se reflètent dans les contrats. Ce sont des contrats privés entre un sous-traitant et un entrepreneur général, mais les modalités de la sous- traitance sont déjà fixées par le contrat principal.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais je ne vois pas de problème.

Le sénateur Plett : Oui, cela y répond, et je remettrai au comité une opinion d'un constitutionnaliste à ce sujet. Monsieur Boulanger, voulez-vous répondre vous aussi?

[Français]

M. Boulanger : Je n'ai rien à ajouter à la réponse. Je pense que, au Québec, dans le cas de certains contrats, effectivement, il y a des lois fédérales qui s'appliquent. La question ne m'a jamais été soulevée.

Ce qu'on entend des entrepreneurs, c'est qu'ils doivent trouver le moyen d'être payés en fonction d'un délai raisonnable, sinon ils ne peuvent rester en affaires. Peu importe ce que contiennent les contrats, la difficulté à les respecter demeure. Tous les entrepreneurs prévoient dans leurs contrats des modalités de paiement dans les 30 jours. Cette disposition existe. Le problème est de faire respecter ces modalités et de les mettre en application. Évidemment, il y a toujours le recours aux tribunaux. Toutefois, au Québec, dans le cadre d'un tel recours, avant qu'une décision soit prononcée, il faut prévoir de deux à trois ans, d'où l'importance d'adopter une loi sur la responsabilisation dotée d'un mécanisme d'adjudication.

[Traduction]

La sénatrice Ringuette : Dois-je comprendre, monsieur Leduc, que pour la plupart des contrats fédéraux les sous- traitants ont une certaine garantie, mais que, selon vous, cette garantie reflète le contenu du projet de loi ou se limite à ce qui n'y figure pas?

M. Leduc : Quand on est sous-traitant, on fait face à deux types de risque. Le premier est de se faire payer, c'est ce que nous appelons la garantie de paiement. Est-ce qu'on sera payé? La solvabilité de l'entité avec laquelle j'ai un contrat, en l'occurrence l'entrepreneur général, est-elle assez bonne? Est-elle appuyée par un cautionnement pour le paiement de la main-d'œuvre et des matériaux, par exemple? Voilà une garantie de paiement. Ce n'est pas le projet de loi. Première chose.

L'autre risque est sera-t-on payé selon des modalités de 30 jours? Je suis dans une industrie qui dépend complètement de la trésorerie. Je n'achète pas d'actifs. Je ne vends pas d'actifs en consignation. J'ai besoin de ces 30 jours.

Il est important que ce monsieur paie sa main-d'œuvre toutes les semaines, sa TVH et ses retenues à la source tous les mois, et que les factures qu'il présente soient réglées dans un délai de 92 jours en moyenne. Voilà une garantie de paiement. Il faut une neutralité financière accrue. Nous devons combler l'écart afin qu'ils ne financent pas les travaux.

La sénatrice Ringuette : Essentiellement, vous dites que le délai de paiement de 30 jours ne figure pas actuellement dans les contrats de Travaux publics, qui impose les mêmes normes à l'entrepreneur général et au sous-traitant.

M. Leduc : Oui. C'est ce que vient de dire M. Boulanger. Tout le monde fonctionne avec des modalités de paiement de 30 jours. Mais la réalité est bien différente. L'argent ne circule pas assez rapidement.

La sénatrice Ringuette : Travaux publics n'assure pas un suivi des modalités du contrat.

M. Leduc : Je ne pense pas qu'il doive le faire. Il doit exiger, et c'est ce que ferait le projet de loi, que les parties dans la chaîne contractuelle acceptent toutes un délai net dans 30 jours.

Le sénateur Enverga : Normalement quand on soumissionne, il y a des risques. Dans quelle mesure les sous-traitants et les entrepreneurs prévoient-ils une marge pour couvrir le risque de paiement en retard?

Pensez-vous qu'il y aurait des économies pour les entrepreneurs? Pensez-vous que ces économies finiront par revenir au gouvernement et aux contribuables?

M. Leduc : Je n'ai aucune raison d'en douter, parce que maintenant, ils financent les travaux exécutés dans le cadre de projets de Travaux publics du fait qu'ils sont payés dans des délais de 90 jours, mais qu'eux paient tout le monde dans des délais de 30 jours. Il y a un écart net pendant toute la durée du projet et ils doivent donc faire appel au crédit, pour lequel ils versent une prime. S'ils étaient payés dans un délai net 30 jours, de la même façon qu'ils paient les autres, ils seraient dans une situation de neutralité financière. Ils n'auraient alors pas besoin de crédit, le coût d'emprunt serait nul et le prix deviendrait plus concurrentiel.

Le président : Je pense que cela se refléterait dans leur offre.

M. Leduc : Dans le prix. L'écart dans les délais de paiement est nul et les entrepreneurs ont des prix plus concurrentiels. Il n'y a plus ce risque supplémentaire sur les frais généraux.

Je dois avoir une marge de crédit à la RBC parce que je dois financer les travaux.

Le sénateur Enverga : Diriez-vous que ce serait gagnant-gagnant pour le gouvernement et pour les entrepreneurs?

M. Leduc : J'ose l'espérer. Je m'attendrais à des prix beaucoup plus concurrentiels et à un nombre accru de soumissionnaires parce qu'ils sauront que vous avez imposé des modalités de paiement de 30 jours.

Je peux accepter ces conditions ou réaliser un projet privé pour lequel je serai payé selon des modalités de 120 jours. C'est sûr que je travaillerai davantage pour le gouvernement fédéral. Vous aurez des prix plus concurrentiels.

La sénatrice Moncion : Quelle mesure législative faut-il pour modifier le comportement? Vous demandez 30 jours. Je ne suis pas certaine qu'on réglera nécessairement le problème en exigeant un délai de 30 jours. Il faut présenter des rapports d'étape et les 30 jours commencent à partir du dépôt du rapport. Si le rapport d'étape met 90 jours à venir, les 30 jours commencent à compter à partir de la réception du rapport.

Je veux comprendre de quoi nous avons besoin et ce que nous n'avons pas déjà pour modifier le comportement.

M. Leduc : Apparemment, il fut un temps au Canada, dans les années 1960 et 1970, où les entreprises de construction étaient payées dans un délai de 30 jours, y compris le processus du certificat de paiement. J'espère qu'avec les technologies dont nous disposons actuellement, ce serait encore plus rapide.

Finalement, un groupe de personnes qui ne font pas partie de la chaîne contractuelle, soit les consultants, doit certifier le paiement. Il s'agit d'une espèce de sondage quantitatif pour s'assurer que le travail facturé a été effectivement exécuté. La facture traîne sur le bureau du consultant et va ensuite à un sous-consultant. C'est le processus en soi qui pose problème. Nous ne pouvons pas le contrôler actuellement.

Tout le monde est assujetti à des délais de 30 jours. Vous donnez à l'entrepreneur la possibilité de dire que sept jours se sont écoulés et qu'il n'a pas été payé. Travaux publics ou SPA peut alors se tourner vers le consultant et lui dire que l'entrepreneur doit être payé dans les 30 jours et qu'il doit se grouiller et accélérer le processus.

J'ai grandi dans cette industrie. Mon père était sous-traitant en électricité. Il travaillait souvent pour ce qui s'appelait à l'époque le ministère des Travaux publics. Il était payé dans les 30 jours. Pourquoi n'est-ce pas le cas actuellement? Il y a de nombreuses raisons. Nous ne voulons pas en parler ouvertement, mais je ne vois pas en quoi la mécanique peut constituer un obstacle.

Il faut donner un certain pouvoir aux entrepreneurs, que ce soit une adjudication rapide ou la capacité de se démobiliser, en dernier ressort. Avec un délai de 30 jours contractuel, imposé par la loi et obligatoire, ils peuvent au moins compter sur cette garantie et prendre ces décisions. Donnez-leur la capacité de prendre des décisions.

Le sénateur Wetston : J'aimerais revenir sur la dernière question. Vous semblez hésiter à raconter ce qui s'est passé. Qu'est-il arrivé? Y a-t-il eu des changements de culture?

M. Leduc : Et vous voulez une réponse courte.

Le sénateur Wetston : J'accepterai n'importe quelle réponse.

M. Leduc : Je comprends ce que vous demandez. Faisons un peu de mathématiques avec de gros chiffres. Un entrepreneur général qui a un chiffre d'affaires de 750 millions de dollars par année, dont 80 p. 100 en sous-traitance parce qu'il n'exécute pas lui-même tous les travaux, touche 62 millions de dollars par mois.

Si l'entrepreneur général qui reçoit 62 millions dans un délai de 30 jours garde cet argent pendant 30 jours et le place dans un certificat de dépôt garanti à 3 p. 100 ou dans des fonds communs de placement à 7 p. 100, après 30 jours, il empoche des centaines de millions de dollars. La théorie de la conspiration laisse croire que c'est ce qui se passe.

Les paiements ne circulent pas et ne vont pas aux paliers inférieurs. Quelqu'un laisse traîner l'argent pendant longtemps. Cet argent rapporte entre-temps. Si on me demandait de garder 62 millions de dollars pendant 30 jours, je le placerais dans quelque chose qui rapporte des intérêts. Je le ferais fructifier.

Les investisseurs sont maintenant très futés. Je ne dis pas que c'est ce qui arrive, mais je ne suis pas sourd ni aveugle. Il n'y a aucun avantage à payer dans un délai de 30 jours. Ils préfèrent garder l'argent jusqu'à ce qu'on se plaigne. Alors seulement, ils paient.

Si je ne paie pas ma facture de Rogers dans les 30 jours, je reçois un texto m'informant que j'ai 10 jours pour payer, sinon ils vont me débrancher. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les entrepreneurs, pour lesquels les sommes sont beaucoup plus élevées?

Le président : De toute évidence, à un moment donné dans le passé, un entrepreneur a tardé à payer, n'a pas payé et il n'y a pas eu de conséquences, n'est-ce pas? Il pouvait attendre un mois sans problème. Travaux publics ne disait rien. Personne ne disait rien. Les seuls qui l'engueulaient étaient ceux qui le facturaient, alors il s'en tirait.

M. Leduc : C'est devenu la norme dans l'industrie.

Le président : Si vous ne tuez pas le coupable, ils vont tous l'imiter, n'est-ce pas? Il faut mettre un terme à tout cela un jour ou l'autre.

M. Leduc : Vous pouvez faire une analyse dans les autres industries et comparer leurs comptes clients classés chronologiquement à ceux de l'industrie de la construction.

Le président : C'était une punition exagérée, mais vous voyez ce que je veux dire.

M. Leduc : Je comprends. Il s'est passé quelque chose de spectaculaire en 2008-2009. Dans son analyse comparative des comptes clients classés chronologiquement dans l'industrie de la construction et dans les autres industries non financières, Statistique Canada a constaté un écart à partir de 2008-2009. Quand la récession est arrivée, ces messieurs étaient tellement heureux d'avoir du travail qu'ils ne se sont pas plaints. Les délais sont passés de 52 jours à 60, puis 70, 80 et 90 jours. Vous pouvez le constater vous-mêmes sur le site de Statistique Canada.

Il s'est passé quelque chose. D'après moi, nous étions tellement heureux d'avoir du travail qu'il valait mieux se taire, faire son travail, ne pas trop se plaindre et accepter des délais de 90 jours, au point où c'est devenu une norme. C'est une culture d'entreprise qui se nourrit elle-même et ils paient la pénalité.

La sénatrice Wallin : Ma question porte sur le même sujet. Une partie du problème est probablement le fait qu'il y a, au sein de l'industrie de la construction, les entrepreneurs généraux qui semblent être les méchants, faute de meilleur terme, et les sous-traitants, qui semblent être les bons. Il y a toutes ces allusions au comportement des gens, aux motivations et peut-être au silence ou la volonté de ne pas en parler publiquement. Votre théorie de la conspiration est pleine de bon sens, compte tenu du contexte financier.

Vous ne cessez de rappeler que l'industrie ne réussit pas à encourager ses membres et ses associations à payer rapidement. L'autorégulation de l'industrie n'est pas la solution, comme en témoignent les pratiques de paiement actuelles qui érodent l'industrie. Est-ce que vous parlez seulement des entrepreneurs généraux et pas des sous-traitants?

M. Leduc : En réalité, les paiements démarrent avec le propriétaire. Si Travaux publics peut nous assurer qu'il paie l'entrepreneur général dans un délai de 30 jours et faire savoir à quelle date le paiement s'effectue, alors le problème n'est pas de ce côté, c'est évident.

La sénatrice Wallin : Alors le problème n'est pas de ce côté, n'est-ce pas?

M. Leduc : Je ne sais pas. Je sais que Travaux publics ne paie pas dans un délai de 30 jours. Je l'ai vu. Cela me dérange. C'est ainsi que cela se passe. Travaux publics ne paie pas dans un délai de 30 jours, en règle générale, et cela pourrait venir du fait que le consultant externe ne certifie pas les paiements assez rapidement.

En fin de compte, il n'y a pas de méchants, en soi. Il y a un méchant problème. Je préférerais me concentrer sur le problème plutôt que sur les gens. On ne peut pas légiférer contre les gens. On peut légiférer pour s'attaquer au problème et promouvoir une loi qui vise à s'attaquer au problème.

La sénatrice Wallin : Vous dites qu'il y a une espèce de problème systémique à cause du Code criminel. C'est difficile de légiférer contre un comportement mauvais ou immoral. Il y a déjà des sanctions prévues. J'essaie simplement de savoir...

M. Leduc : Quel est le nœud du problème?

La sénatrice Wallin : Oui.

M. Leduc : Le nœud du problème c'est que des gens signent des contrats et n'appliquent pas leurs propres modalités de paiement à 30 jours. Ils ne facilitent pas les choses, comme ils le devraient et il n'y a pas de conséquences.

La sénatrice Wallin : Vous pensez que c'est davantage le gouvernement que les entrepreneurs généraux?

M. Leduc : Je pense que c'est tout le monde. Les ingénieurs et les architectes. Toute l'industrie.

La sénatrice Wallin : Et les consultants?

M. Leduc : Il faut commencer quelque part, commencer par ceux qui financent les projets. À ce niveau, ce serait le gouvernement fédéral. Quel bon point de départ. Ceux qui tiennent les cordons de la bourse fixent les règles. Nous vous demandons de fixer les règles. Vous avez la bourse, c'est vous qui payez.

M. Blair : Il serait très malvenu d'isoler un groupe ou une personne et d'affirmer qu'ils sont la cause du problème. C'est en 1982 je crois qu'on a instauré ce que nous appelions la « condition préalable » ou le « paiement conditionnel ».

C'était une nouveauté chez les entrepreneurs généraux en Ontario. C'est devenu une nouvelle norme et tout le monde se demandait ce qu'en penseraient les tribunaux. Était-ce une condition? Est-ce que cela signifie qu'on sera payé même si l'autre partie ne l'a pas été? Cela fonctionne comment?

Deuxièmement, il y a de bons entrepreneurs généraux qui comprennent la nature de la relation qu'ils doivent établir avec leurs entrepreneurs spécialisés. Certains comprennent que l'efficacité de leur travail dépend beaucoup de ceux qui exécutent le travail.

Un autre aspect très important est qu'il y a un avantage économique pour vous au gouvernement et que vous n'en profitez pas. Avant de décider dans un moment de béatitude de devenir le directeur général de notre groupe, j'ai été entrepreneur spécialisé pendant 25 ans dans l'industrie de la maçonnerie. Je peux affirmer sans équivoque que des exigences ont été ajoutées dans les appels d'offres pour résoudre le problème évoqué par Dan, à savoir que c'est plus long. Il y a un risque actuellement. Même si les documents peuvent affirmer que tout le monde doit bien faire son travail et respecter les conditions, la réalité est tout autre.

Il importe à notre avis que vous exigiez la transparence et la reddition des comptes, et Travaux publics en tirera un avantage économique. Un élément qui passe inaperçu est que le nombre d'entrepreneurs spécialisés qui soumissionnent et qui peuvent soumissionner pour participer à des projets diminue de manière exponentielle.

Le nombre d'entrepreneurs qui peuvent participer aux projets de rénovation de 70 ou 80 millions de dollars sur la Colline du Parlement diminue de plus en plus. Pas parce qu'ils n'ont pas les compétences. Parce qu'ils n'ont pas les liquidités. Ils ne peuvent pas gérer leur trésorerie.

Les rapports sont là. Nous voulions nous assurer de procéder de manière objective et empirique. Il est évident, selon nous, que le gouvernement fédéral n'obtient pas l'avantage qu'il devrait naturellement obtenir au nom des contribuables canadiens et de tout le monde, parce que certains imposent des exigences afin de se prémunir contre le risque de ne pas être payés rapidement.

La sénatrice Wallin : Vous vous heurterez à la résistance de ceux qui s'enrichissent en retenant les fonds.

M. Blair : Exactement.

Le sénateur Black : Merci, messieurs, de nous aider à clarifier un important problème que nous devons examiner. J'ai quelques questions pour obtenir vos lumières et pouvoir déterminer quelle est la solution la plus efficace.

D'après la question de ma collègue la sénatrice Moncion, il y a un arsenal d'armes qui permettront de quitter le chantier, de ne pas effectuer le travail et de ne pas être remplacés. C'est l'arme que vous souhaitez et vous pensez qu'elle réglera le problème.

M. Pawliuk : Je vais répondre en ma qualité d'entrepreneur. La dernière chose qu'un entrepreneur veut faire, c'est de quitter le chantier.

Le sénateur Black : Je l'accepte.

M. Pawliuk : Nous quitterions le chantier en dernier ressort, car nous perdrions ainsi de l'argent. Pour faire plus d'argent, cette dépense est incontournable.

Le sénateur Black : Je l'accepte, monsieur.

M. Pawliuk : Nous avons vraiment besoin d'un processus de règlement des différends ou d'arbitrage aux termes duquel, si un problème survient, on dispose d'une période de 30 jours pour présenter une demande. On fait appel à un arbitre qui règle de façon satisfaisante le différend entre les deux parties en deux semaines, ou quelque chose du genre.

Le problème, aujourd'hui, c'est que nous avons les outils pour percevoir l'argent. M. Leduc m'a représenté dans un cas. Un entrepreneur en mécanique me devait 620 000 $. J'étais sous-traitant pour un autre sous-traitant. J'ai perçu exactement la somme qui m'était due.

Cependant, la seule personne qui y a gagné, c'est M. Leduc. Je lui ai versé 100 000 $ pour percevoir cet argent et la démarche a pris quatre ans. Cette entreprise s'est enfuie avec notre argent, plus d'un demi-million de dollars, pendant quatre ans. Nous n'avons jamais touché un sou d'intérêt, car nous avons réglé avant le procès. J'avais décidé de ne pas me rendre au tribunal parce que les coûts auraient augmenté de façon exponentielle.

Le sénateur Black : Je sympathise beaucoup avec vous. Je comprends tout à fait votre position, mais je veux tenir compte efficacement de l'objet de ce projet de loi qui, dans les faits, vous en donne la possibilité.

M. Pawliuk : Exactement.

Le sénateur Black : Vous ne voulez peut-être pas y avoir recours, mais le projet de loi vous offre la possibilité d'arrêter les travaux sans être remplacé. Voilà l'arme fatale.

M. Pawliuk : Tout à fait.

Le sénateur Black : Il importe de comprendre les intérêts concurrents en cause. Je sais qu'un entrepreneur viendra témoigner demain et je pense que nous devrions entendre le point de vue de l'industrie du cautionnement.

Une question vous a directement été posée, et c'était une excellente question, à propos des personnes qui s'y opposaient, et votre réponse a été vague. Dites-nous qui s'y oppose. Qui estime que ce n'est pas la bonne façon de procéder?

M. Blair : La sénatrice Wallin l'a très bien énoncé. Les gens qui font de l'argent en gérant l'argent des autres y sont maintenant opposés, et c'est sans équivoque.

Le sénateur Black : Ce sont les entrepreneurs généraux.

M. Blair : Oui, et au bout du compte, l'autre facette du problème, c'est que les titulaires de charge publique ne veulent pas que leur monde soit perturbé par cette inflexibilité, cette efficacité et cette responsabilisation.

Le sénateur Black : Qu'est-ce que cela veut dire?

M. Blair : La commission Charbonneau s'est penchée sur les questions de confiance et de responsabilisation et a relevé un contrôle démesuré. C'était inquiétant, car la personne qui contrôle les fonds a une importance démesurée par rapport aux autres personnes avec lesquelles elle fait affaire. C'est la nature des choses.

Si je peux revenir sur un autre point, les gains d'efficience sont bien réels. En présence d'un système de responsabilisation et d'appartenance, nous devons comprendre ce qui se passe quand un entrepreneur spécialisé n'est pas payé. Il n'avise pas l'entrepreneur général ou le propriétaire qu'en passant, il ralentit toutes les activités, mais je peux vous assurer qu'il atténuera les dommages qu'il subit et qu'il ralentira les activités.

Le sénateur Black : Je comprends le problème. Je demandais plutôt quel autre intervenant nous devrions inviter.

M. Blair : À mon avis, les municipalités. Cela se fera à l'échelle provinciale. Elles craignent vraiment d'être obligées, ou, si vous voulez, tenues d'aller dans cette direction. Je ne comprends pas pourquoi.

Le sénateur Black : Voilà qui est intéressant.

M. Blair : Elles ont pris la parole devant ce qui était la commission Reynolds, qui vient tout juste de présenter les témoignages des divers groupes. Les membres de l'Ontario General Contractors Association sont de bonnes personnes, mais en bout de ligne, elles ne sont pas en faveur d'une solution législative.

Le sénateur Tannas : Le sénateur Black a fait mention du cautionnement et a indiqué qu'un intervenant de l'industrie du cautionnement viendra témoigner devant nous. Est-ce exact?

Le président : Je ne pense pas.

Le sénateur Tannas : Permettez-moi alors de vous poser une question au sujet du cautionnement. Est-ce que l'un d'entre vous a fait savoir à ses compagnies de cautionnement à quel point vos programmes de travail pourraient être élargis si ce projet de loi était adopté?

Pour revenir à ce que vous avez dit à propos de ne pas être payé, quelle capacité seriez-vous en mesure d'assumer? Vous n'avez pas l'argent et les responsables du cautionnement recherchent tous votre argent. Y a-t-il un lien entre les deux ou est-ce simplement votre fonds de roulement et non un problème avec les cautionnements?

M. Pawliuk : C'est la compagnie de cautionnement qui détermine le montant du cautionnement que vous pouvez absorber selon les liquidités de votre entreprise. Elle veut tel montant en actifs et tel montant en liquidités.

Tout est à risque. Chaque fois que je signe avec la compagnie de cautionnement, elle veut les enfants, la maison et les voitures; elle veut tout. J'avais l'habitude de recevoir un accueil glacial à la maison pendant un mois, parce que j'avais dû mettre la maison en garantie comme cautionnement. Les gens prudents ne vont jamais jusqu'à tout risquer. À tout le moins, je ne pense pas qu'ils le devraient. Je suis un comptable méticuleux de métier.

Vous devez gérer les risques, et c'est ce que font les compagnies de cautionnement. Elles veulent que votre entreprise ait autant de liquidités que possible de sorte que si vous faites faillite, elles puissent quand même encaisser. Elles ne manqueront pas d'argent; elles iront le chercher dans votre maison, vos voitures, vos propriétés, peu importe.

Si nous percevons les sommes dues plus rapidement, nous avons plus de liquidités, car nous n'empruntons pas auprès des banques. En rétrospective, une question a été posée sur la raison pour laquelle nous allons adopter des modalités de paiement plus longues. Dans les années 1980, les taux d'intérêt étaient de 14, 15 et 16 p. 100 et les gens n'avaient absolument pas les moyens d'attendre 90 jours. Nous, les entrepreneurs, nous aurions tous déclaré faillite. Les coûts d'emprunt ont aujourd'hui reculé et nous pouvons en absorber une partie. Nous devons travailler. Si nous irritons trop un entrepreneur général ou un autre sous-traitant pour lequel nous travaillons, il nous est impossible de trouver du travail. Il faut que mes employés travaillent pour que je puisse survivre.

M. Leduc : C'est l'industrie de cautionnement qui en profiterait. Il y a d'habitude deux types de cautionnement, le cautionnement d'exécution et le cautionnement de paiement de la main-d'œuvre et des matériaux, celui-ci étant une garantie de paiement. Ce n'est pas ce qui est en cause ici, mais ce sont les sous-traitants qui fournissent le cautionnement d'exécution. S'ils sont payés dans les 30 jours, ils sont davantage en position financière neutre, beaucoup plus saine. Le risque d'insolvabilité est considérablement moindre et ainsi, il y a moins de chances de devoir utiliser le cautionnement d'exécution. L'association de caution devrait s'en réjouir, je pense.

Le sénateur Tannas : Ce que je veux dire, c'est qu'il faudrait offrir à chaque entrepreneur une plus grande capacité, un plus gros volume de travail pour lequel il est disposé à fournir un cautionnement.

Mr. Pawliuk : Cela fonctionne exactement ainsi. Plus vous avez de liquidités et d'actifs, plus les limites de votre cautionnement sont élevées.

Le sénateur Plett : Le sénateur Black s'est considérablement efforcé de vous amener à identifier le problème — le problème, ce sont les personnes. La plupart d'entre nous savent la raison pour laquelle vous ne voulez pas pointer du doigt, et je l'accepte.

Les personnes à qui le problème est attribuable ne sont, de toute évidence, pas ici pour témoigner. Ce sont elles, le problème. C'est pour cette raison qu'elles s'opposent au projet de loi. Pourquoi une personne qui ne règle pas ses factures voudrait-elle se présenter ici et attester que ce n'est pas un bon projet de loi?

À la question à savoir pour laquelle elles estiment que ce n'est pas un bon projet de loi, elles répondraient qu'elles ne veulent tout simplement pas payer leurs factures. Seriez-vous d'accord avec cela?

M. Leduc : Savez-vous qui est une partie du problème? Ces personnes sont aussi une partie du problème. Ce sont les personnes les plus sympathiques du monde. Vous voulez faire affaire avec elles. Elles versent à tout le monde les sommes dues en 30 jours et acceptent les paiements en 90 jours. Elles font partie du problème.

Si on veut cibler le problème, nous ne pouvons nous autoréglementer dans l'industrie, car nous sommes tous très gentils. Nous essayons tous de tirer profit. C'est un milieu très concurrentiel. Impossible d'avoir confiance en cette personne; c'est un concurrent.

C'est ce que la sénatrice a essayé de soulever. Le problème s'étend à toute l'industrie maintenant, il est endémique. Vous demandez de pointer du doigt quelqu'un. C'est en général. Ce sont les sous-traitants. Ce pourrait aussi être les garanties, je ne sais pas. Ce sont les propriétaires, les ingénieurs, les experts-conseils. C'est tout le monde.

Le sénateur Plett : Vous voulez réagir à cette intervention, monsieur Bélanger?

[Français]

M. Boulanger : Afin de vous éclairer sur la situation au Québec, je peux vous dire que l'ensemble de l'industrie de la construction, c'est-à-dire les sous-traitants, les cautions et les entrepreneurs généraux, est d'accord avec un projet de loi sur les paiements rapides.

Enfin, j'ai beaucoup aimé les propos de Me Leduc selon lesquels la loi ne doit pas viser un groupe d'individus, mais chercher plutôt à contrer une problématique globale.

Dans le projet de loi actuel, il y a également des éléments qui bénéficieront aux entrepreneurs généraux. Prenons la disposition relative à la demande de paiement réputée approuvée. C'est un avantage pour l'entrepreneur général de recevoir cet argent. Il veut effectuer les paiements le plus rapidement possible s'il est payé, car le chantier va bien fonctionner. Il sera en mesure de livrer à temps avec une qualité acceptable et même supérieure à ce qui était prévu.

À mon avis, dans la perspective de l'ensemble de l'industrie de la construction au Québec, c'est un projet de loi qui est extrêmement positif et qui vient régler une problématique globale. Cependant, il y a certains entrepreneurs qui ne souhaitent pas se faire imposer des règles.

[Traduction]

Le sénateur Plett : La sénatrice Moncion a fait valoir que cela ne réglera pas tous les problèmes. Il y a aussi les architectes et les ingénieurs qui n'approuvent pas toujours à temps les réclamations de paiement proportionnel.

Monsieur Pawliuk, la plupart du temps, vous avez accès aux dates auxquelles l'entrepreneur général a été payé. À votre avis, l'absence d'accréditation est-il le grand problème ou est-ce simplement l'absence de paiement après l'accréditation?

M. Pawliuk : Parfois, c'est plus l'un que l'autre, tout dépend des personnes avec lesquelles nous faisons affaire. Dans certaines situations, ce sont les ingénieurs qui se traînent les pieds et dans d'autres, c'est en général. Même si une personne travaille comme sous-traitant pour un sous-traitant, c'est peut-être le sous-traitant principal qui accuse du retard.

Tout tourne autour des personnes, peu importe où ou pour quoi. C'est l'individu qui décide que les règles ne s'appliquent pas à lui, par exemple.

Il y a de bons entrepreneurs généraux qui payent dans le temps prévu et c'est un plaisir de collaborer avec eux. Je ne présenterai pas de soumission pour des travaux de certains ingénieurs dans notre domaine, parce que je sais que ce ne sera pas payant. Je ne soumissionnerai pas non plus auprès de certains entrepreneurs généraux, car je sais que je ne serai pas payé avant trois, quatre ou cinq mois.

Le sénateur Wetston : Sénateur Plett, je sais que vous inviterez un constitutionnaliste à venir s'adresser au comité.

Le sénateur Plett : Il s'agira d'une opinion. Il se trouve à l'extérieur du pays et je transmettrai une opinion.

Le sénateur Wetston : Je soulève la question parce qu'une chose est importante, ce sont les recours. Je sais qu'un processus de règlement est envisagé. Je comprends que vous pensez peut-être à un arbitre pour trouver une résolution contraignante.

Sans vouloir parler en votre nom, vous préférez peut-être ne pas avoir une législation, mais vous avez l'impression de devoir en avoir une, si je puis dire. La seule raison, c'est qu'on se bute à des questions relatives à l'efficacité de la législation et des recours. Les dispositions législatives sont importantes, certes, mais les recours sont probablement encore plus importants, car les efforts que vous déployez pour atteindre votre objectif n'en vaudront pas le coup.

Sauf erreur, nous n'avons aucune idée précise de la forme que pourrait prendre un processus de règlement des différends. Avez-vous plus de précisions à ce sujet? De toute évidence, le gouvernement devrait adopter une loi pour appuyer le concept.

Vos délais pour toucher les sommes dues sont assez serrés. Je ne veux pas dire qu'ils ne sont pas appropriés. J'en comprends le bien-fondé. Que se passera-t-il si le processus en question ne fonctionne pas comme prévu? Alors?

M. Leduc : On a déjà, avec les clauses et conditions types régissant les acquisitions, l'un des plus éloquents verbiages en matière de règlement des différends. Nous avons droit à de la prose. C'est beau sur papier. Le processus envisagé, cependant, ne fonctionne pas, car il faudra deux ou trois semaines pour que le dossier soit transféré de Travaux publics au ministère de la Justice. Il faut compter deux autres semaines pour qu'un avocat du ministère de la Justice communique avec moi, si je représente quelqu'un. Deux ou trois mois se seront écoulés avant que nous puissions déterminer comment ce protocole se déroulera. Les avocats sont un volet du problème, tout comme le processus l'est. Je le répète, la clause type sur le règlement des différends est très bien rédigée. Ça paraît vraiment bien, mais ça ne fonctionne tout simplement pas.

Le processus de règlement serait propre à l'industrie de la construction. Il vise à faire avancer le processus de façon beaucoup plus informelle, si je peux m'exprimer ainsi. Nous sommes ravis. Nous n'avons pas besoin de preuves de vive voix. Nous pouvons simplement rédiger un document, en sachant très bien qu'il pourrait faire l'objet d'un appel. Qu'il s'agisse d'une révision judiciaire ou d'un autre mécanisme d'appel disponible, en fin de compte, ce que nous voulons, c'est une résolution rapide, car c'est une question de liquidités. Nous ne voulons pas devoir aller en arbitrage, choisir un arbitre et appliquer ce processus, car cela prendra des mois et des mois.

C'est une solution de rechange aux mesures que nous prenons actuellement pour essayer de raccourcir ce processus. Il est utilisé au Royaume-Uni. Tout le monde adopte le modèle du Royaume-Uni. Il semble fonctionner dans ce pays et, au bout du compte, il fonctionne ici.

Le sénateur Wetston : Auriez-vous des statistiques en provenance du Royaume-Uni pour prouver que cela fonctionne? Pourrions-nous avoir cette information?

M. Leduc : Je pourrais la transmettre à quelqu'un, oui.

Le sénateur Wetston : Cela pourrait être intéressant.

M. Leduc : En fait, il y a, dans le rapport Reynolds, des centaines de pages sur le règlement des différends.

Le sénateur Wetston : Je suis un sénateur ontarien; j'ai donc tout intérêt à prendre connaissance de ce rapport.

M. Leduc : Il est publié en ligne et traite du sujet en détail.

Le sénateur Black : Nous nous préparons à la discussion constitutionnelle qui aura lieu la semaine prochaine et, bien entendu, tout le monde est fébrile; les gens ont tendance à toujours balayer du revers les arguments constitutionnels, mais c'est comme ça que les choses se déroulent ici. Est-ce que l'argument fondamental contre votre position est qu'il s'agit de droits de propriété et de droits civils dans la province et que ce n'est donc pas de la compétence du gouvernement fédéral? Est-ce là le cœur de l'argument contre votre position?

M. Leduc : Nous ne sommes pas au courant des détails de l'argument contre. Dans l'optique de l'industrie de la construction, nous avons des liens privilégiés avec le régime provincial. Les fonds versés sont assujettis à une fiducie. Il y a toujours notamment les cautionnements. Ils disposent de beaucoup plus d'outils aux fins de la garantie de paiements. Voilà pourquoi, au plan de l'indemnisation, le gouvernement fédéral a des cautions à deux paliers.

Vous imposez déjà la constitutionnalité de la façon dont vous gérez la teneur d'un contrat entre un sous-traitant et un entrepreneur général. En fait, vous autorisez un grand nombre de sous-traitants à se constituer en personne morale conformément à la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Leur existence en soi et leur capacité de passer des contrats sont générées par le gouvernement fédéral.

On dit qu'il pourrait y avoir une question constitutionnelle et je n'arrive pas à comprendre. Nous en avons parlé à l'interne. La première fois que le point a été soulevé, j'ai mentionné qu'il doit y avoir une disposition dans la Loi sur la gestion des finances publiques du Conseil du Trésor qui empêche certaines choses de se produire. Or, je ne peux la trouver. Une fois que nous saurons en quoi consiste la question constitutionnelle, c'est avec plaisir que nous répondrons. Nous nous trouvons face à un vide en ce moment. Je n'ai aucune idée de ce que c'est.

Le président : Selon nous, quiconque s'intéresse de près ou de loin à cette question est au courant de ces audiences. S'il y a des enjeux, si le projet de loi n'est pas appuyé ou s'il y a une question constitutionnelle, n'importe qui peut se présenter ici et faire valoir son point de vue. Autrement, nous ne faisons que deviner ce que les autres pourraient dire. Cela dit, je remercie mes collègues de leur présence aujourd'hui. La discussion a été assez animée.

Nous poursuivons l'étude du projet de loi S-224, Loi sur les paiements effectués dans le cadre de contrats de construction. Je suis heureux d'accueillir, dans le deuxième groupe de témoins, le président et directeur général de l'Institut canadien de la construction en acier, M. Edward Whalen, le président de la Canadian Automatic Sprinkler Association, M. John Galt, et Dan Lancia, Jeff Koller et Bill McKee de l'Electrical Contractors Association of Ontario.

Messieurs, merci de vous joindre à nous. Allez-y avec votre discours d'ouverture.

Edward Whalen, président et directeur général, Institut canadien de la construction en acier : Je m'appelle Ed Whalen et je suis président et directeur général de l'Institut canadien de la construction en acier, ou l'ICCA. L'ICCA est le porte-parole de toute la chaîne d'approvisionnement de la construction en acier, dont les aciéries, les entrepôts d'acier, les centres de distribution, les fabricants, les monteurs, les détaillants, les fournisseurs, les ingénieurs, les architectes, les constructeurs et autres intervenants. Nos membres sont syndiqués ou non syndiqués et l'ICCA compte dans ses rangs des syndicats.

Notre industrie représente bien plus de 120 000 personnes réparties dans tout le pays et travaillant dans des bureaux, des usines de fabrication et sur les sites de construction. Nous offrons des services de production, d'approvisionnement et de montage sur le marché canadien, mais partout dans le monde aussi. Au Canada, nous fabriquons et bâtissons tous les types de structures, par exemple, des structures industrielles en acier lourd pour le secteur pétrolier et gazier en Alberta et en Saskatchewan, des hangars d'aviation en acier aux fins de la construction de défense, des ponts en acier comme l'ouvrage fédéral du pont Champlain à Montréal et des immeubles institutionnels à vocation commerciale de toutes les tailles d'un océan à l'autre.

L'industrie sidérurgique appuie sans réserve le projet de loi S-224. Nous avons besoin d'une législation musclée en matière de paiements, et nous en avons besoin maintenant. Nous saluons et appuyons les amendements établissant une période de règlement définie et estimons que la période de paiement entre l'entrepreneur général et ses sous-traitants devrait être la même que celle entre le gouvernement et l'entrepreneur général.

La tendance au paiement retardé et au non-paiement est généralisée; elle est en hausse selon moi et elle est tout à fait hors de contrôle au Canada. Pourquoi? Parce qu'elle le peut.

Il n'y a aucune conséquence négative pour le payeur qui retarde son paiement tandis que le bénéficiaire n'a accès à aucun recours pour atténuer rapidement et à peu de frais le non-paiement ou le paiement retardé. Nous croyons que c'est exactement ce que le projet de loi prévoit.

Est-ce qu'une loi sur le paiement rapide est efficace? Absolument. Il suffit de voir ce qui se passe au Royaume-Uni, par exemple, dont le modèle, selon le rapport Reynolds de l'Ontario, produit des résultats exceptionnels dans le secteur de la construction. Leur système d'adjudication chronologique permet de régler les différends en un temps record et de donner suite aux projets sans heurts.

Plus d'un quart des créances de notre secteur sont considérées comme des non-paiements dans la catégorie des paiements dus depuis plus de 60 jours. Les banques estiment que les sommes dues depuis plus de 60 jours sont des créances irrécouvrables, ce qui compromet la capacité de nos entreprises à faire des emprunts, à payer leurs employés, à acheter du matériel, à payer les sous-traitants et à régler d'autres dépenses.

Les retards de paiement en haut de la pyramide entraînent une série de retards le long de toute la chaîne d'approvisionnement. Ils ont des effets négatifs sur le coût des intrants et les prix offerts dans les appels d'offres. L'augmentation des prix peut aussi se répercuter négativement sur la capacité des entreprises canadiennes à faire concurrence à des entreprises étrangères ici même et à l'étranger.

Selon des statistiques récentes, lorsque des entreprises canadiennes investissent 1 $ CAN dans la productivité, les entreprises américaines investissent 8 $ US. On ne s'étonnera pas d'apprendre que les États-Unis aient adopté des lois sur les paiements rapides aussi bien à l'échelle fédérale que dans la plupart des États, ce qui garantit un environnement où l'argent s'écoule dans toute l'économie et où les entreprises ont accès à des fonds pour investir.

Au Canada, nos entreprises concurrencent des entreprises de pays étrangers dont beaucoup ont des lois sur le paiement rapide. Le fait que nous n'ayons pas de telle loi ici alors qu'il y en a dans la plupart des pays occidentaux place les entreprises canadiennes dans une position désavantageuse par rapport à nos concurrents.

Lorsque le secteur de l'action cherche les meilleurs marchés pour ses produits, le risque est un des principaux facteurs à considérer. La globalisation des marchés visés par la production canadienne et le fait que ces marchés sont assujettis à des lois sur le paiement rapide sont désormais des éléments importants de l'équation. L'abandon du marché local canadien compromet la concurrence locale, la disponibilité d'expertise et les cours acheteurs.

Si les entreprises n'obtiennent pas rapidement l'argent qu'on leur doit légalement, elles n'ont pas de réserves pour investir dans l'amélioration de leur productivité, dans leur matériel, dans la production à valeur ajoutée, dans les programmes de formation d'apprentis, dans la réduction du carbone et dans l'efficacité énergétique. Il n'y a pas d'argent pour les augmentations de salaire, les régimes de pension d'entreprise ou d'autres indemnités de maladie. Le niveau de vie auquel la classe moyenne est habituée commence ainsi à s'éroder.

Le projet de loi S-224 ne coûte rien au gouvernement du Canada ni aux contribuables : pas de subventions, pas de prêts, pas de fonds pour l'emploi ou d'autres programmes de démarrage d'entreprise. Si on factorise ce que coûtent la réduction de la concurrence, l'augmentation des cours acheteurs, les faillites d'entreprises et le chômage, le projet de loi permettra au contraire de réduire les dépenses gouvernementales, sera profitable à tous les Canadiens et rendra le secteur de la construction plus concurrentiel.

Le projet de loi S-224 permettra de libérer des millions de dollars, de fournir aux entreprises un fonds de roulement, de garantir les emplois actuels, de créer de nouveaux emplois, de stimuler l'investissement et de remettre le secteur de la construction sur pied. Si le gouvernement veut contribuer à la réédification de l'infrastructure du secteur de la construction, stimuler l'économie, redonner du travail à la classe moyenne et créer un milieu épanouissant pour les entrepreneurs, la loi sur le paiement rapide est une absolue nécessité.

John Galt, président, Canadian Automatic Sprinkler Association : Je suis président de la Canadian Automatic Sprinkler Association, mais je suis également administrateur du régime de retraite de notre secteur d'activité. C'est un régime national. Je suis également administrateur de notre programme de formation. Nous avons aussi des programmes d'aide sociale.

Je veux aborder ce sujet du point de vue de la nécessité d'analyser cette culture ou ce comportement qui se dégrade, c'est-à-dire que les choses ne font qu'empirer. Il faut savoir également que nos entreprises représentent une part assez modeste dans le secteur de la construction. Nous intervenons vers la fin des projets. Nous sommes généralement des sous-sous-traitants. Quand vous entendez ce terme, c'est de nos membres qu'il s'agit en général. Pour nous, l'accès rapide à des liquidités est important.

Mes collègues vous parleront de beaucoup de choses en détail. Je vais vous parler d'une situation réelle que les administrateurs constatent souvent parmi les petites entreprises et parfois même parmi les grandes. Dans leur très grande majorité, les petits entrepreneurs du Canada ont de la difficulté à gérer leur trésorerie à cause de retards de paiement. Ils doivent donc choisir parmi les paiements qu'ils ont à faire de leur côté. C'est un problème dont nous avons beaucoup entendu parler.

Les petits entrepreneurs paient généralement leurs employés. Ceux-ci sont payés toutes les semaines et supposent que les charges sociales le sont aussi. En réalité, ce qui se passe souvent, c'est que le règlement des charges sociales est retardé. Cela fait partie des retards, tout comme les cotisations de retraite, et c'est ce que nous, administrateurs à plusieurs chapeaux, constatons régulièrement ou même tous les mois.

Pour vous donner un exemple concret, l'année dernière, un employé de l'Ontario, vivant dans le sud de la province, a contracté le cancer. On l'a diagnostiqué et on lui a prescrit un certain nombre de médicaments. Heureusement pour lui, son régime d'avantages sociaux couvrait ces médicaments. Excellente nouvelle pour lui.

Mais ses demandes de remboursement ont été rejetées parce que l'employeur n'avait pas payé sa part des cotisations. Il avait bien payé son employé, c'est-à-dire sa rémunération, mais il n'avait pas payé les charges sociales. Nous disons que cet employé était hors régime, et il n'a pas eu accès à ses avantages à un moment extrêmement important.

Dans une moindre mesure, c'est ce qui arrive aux enfants qui vont chez le dentiste, ont besoin de lunettes et de diverses choses couvertes par les programmes d'aide sociale et d'avantages sociaux que nous connaissons bien. Il y a une réponse immédiate. On le sait immédiatement.

Parlons un moment des régimes de retraite. Supposons qu'un couple décide de planifier sa retraite en comptant sur des prestations qu'ils pensent obtenir. Ils téléphonent au fournisseur du régime et se renseignent sur les prestations prévues. Ils savent maintenant ce qu'ils auront pour vivre et comment dresser leur budget. Bien souvent, le montant est inférieur à ce qu'ils escomptaient. Pourquoi?

Voyons un peu l'histoire de cet employé qui a travaillé régulièrement pendant 25 ou 30 ans, parfois plus. Il y a des trous dans son emploi, ces trois ou quatre ou cinq mois pendant lesquels ses employeurs n'ont pas contribué à son régime de retraite, et peut-être même aux autres régimes. Le plus souvent, on ne s'occupe pas des autres régimes. Mais, au final, quand l'actuaire fait les calculs, les prestations auxquelles l'employé a droit sont inférieures à ce qu'il aurait dû avoir.

Ne vous y trompez pas. Cela a des conséquences imprévues très graves sur la gestion de trésorerie, et pas seulement pour les entreprises, mais aussi pour les gens qui travaillent pour elles. Et la seule solution, c'est une loi sur le paiement rapide. La seule chose qui ait un rapport est un certain désavantage financier pour ceux qui gardent cet argent et aux yeux desquels cet inconvénient n'est rien à comparer au fait de ne pas payer rapidement les entreprises.

Si on examine la situation à l'échelle du Canada, ce n'est pas un problème seulement pour les entreprises. C'est un problème pour tous les Canadiens. En fait, c'est un problème pour tout le Canada.

Jeff Koller, directeur exécutif et membre du conseil, Association canadienne des entrepreneurs électriciens, Electrical Contractors Association of Ontario : Certaines de mes remarques permettront peut-être aujourd'hui d'approfondir les questions soulevées par les témoins précédents et d'y répondre. Nous estimons que cette question est essentielle tant pour l'industrie de la construction que pour le développement économique et la création d'emplois dans tout le Canada. La problématique des retards de paiements dans l'industrie de la construction est systémique, généralisée et constitue plus souvent la norme que l'exception.

Mon nom est Jeff Koller, je suis le directeur exécutif de l'Association des entrepreneurs électriciens de l'Ontario (AEEO), qui représente environ 800 entrepreneurs électriciens qui emploient 17 000 membres de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (FIOE) dans l'ensemble de la province. Je suis accompagné de notre président, Dan Lancia, qui exploite également une entreprise à titre d'entrepreneur électricien, et de Bill McKee, notre ancien trésorier, qui a longtemps été président et membre de l'AEEO et qui est propriétaire d'une entreprise d'entrepreneur électricien basée à Ottawa, qui a obtenu des contrats auprès du gouvernement fédéral et de ses organismes.

Collectivement, l'AEEO est membre de l'Association canadienne des entrepreneurs électriciens (ACEE), qui représente 8 000 entrepreneurs électriciens d'un bout à l'autre du Canada, qui à leur tour emploient 70 000 électriciens qualifiés et agréés. L'ACEE, à son tour, est membre de la Coalition nationale des entrepreneurs spécialisés du Canada (CNESC), dont l'objectif premier est de convaincre le gouvernement canadien de faire ce qui s'impose pour enrayer le problème croissant des retards de paiements dans l'industrie de la construction.

L'industrie de la construction emploie plus de 1,2 million de Canadiens, ce qui représente 7,1 p. 100 de la main- d'œuvre, 6 p. 100 du produit intérieur brut (PIB) du Canada et une valeur de 73,8 milliards de dollars.

La construction constitue une véritable locomotive de croissance économique au Canada, et plus de 80 p. 100 de la construction est effectuée par des entrepreneurs spécialisés, comme les messieurs qui se trouvent à mes côtés et les personnes qu'ils emploient. La plupart du temps, les entrepreneurs spécialisés sont obligés d'attendre plusieurs mois avant d'être payés pour des travaux qui ont été achevés de façon satisfaisante, tout en s'efforçant de s'acquitter de leurs propres obligations hebdomadaires en matière de paie, ainsi que pour payer les taxes fédérales, provinciales et municipales, les versements aux régimes d'assurance-maladie et d'assurance-salaire, les contributions au régime de pension, les versements des indemnités d'accident du travail, et la myriade des autres factures et obligations qui vont de pair avec l'exploitation d'une entreprise.

Les employeurs du secteur de la construction, même s'ils représentent plus de 80 p. 100 de tous les travaux de construction, sont souvent des sous-traitants d'un maître d'œuvre ou d'un entrepreneur général qui est embauché par le propriétaire ou le promoteur du projet, dans ce cas, le gouvernement fédéral et/ou ses organismes. À ce titre, on leur impose des modalités de paiement sur lesquelles ils ont peu ou pas de contrôle, s'ils veulent travailler.

Historiquement, les emplois dans le secteur de la construction ont été plus sensibles aux fluctuations économiques auxquelles Dan Leduc a fait allusion tout à l'heure. Cette situation s'est maintenue en 2009 et 2010, après la récession ou le ralentissement économique qui a commencé en 2008 et s'est poursuivi en 2009. L'emploi total a régressé de 1,6 p. 100, alors que l'emploi dans la construction a diminué de 5,7 p. 100.

En 2010, lorsque l'économie a montré des signes d'amélioration, l'emploi dans l'ensemble du secteur industriel a augmenté de 1,4 p. 100, tandis que l'emploi dans le secteur de la construction a augmenté de 4,9 p. 100. Ce qu'il faut comprendre ici, c'est que la construction est un moteur important de l'économie.

Notre requête est simple, nous vous demandons d'appuyer le projet de loi dont vous êtes saisis, le projet de loi S-224, de le renvoyer au Sénat pour la troisième lecture et son adoption afin qu'il soit soumis à débat à la Chambre des communes et adopté.

C'est une question de justice et d'équité de donner aux entrepreneurs spécialisés du Canada, qui emploient un si grand nombre de personnes et qui apportent une contribution importante à l'économie, une chance de maintenir la viabilité et la solvabilité de leurs entreprises.

Vous avez des exemples ici même, à Ottawa, d'entreprises établies de longue date, représentant des investissements des économies d'une vie, qui ont fait faillite à cause de retards de paiements pour des travaux exécutés de manière satisfaisante. Un article publié le 11 décembre 2015 dans l'Ottawa Citizen relatait certains de ces exemples inadmissibles concernant des travaux exécutés au Lansdowne Centre. L'article était intitulé « Lifting Lansdowne's veil : Lawsuits tell story of escalating costs, unpaid bills, business failure ».

Cela ne devrait pas arriver et n'arriverait pas s'il existait une loi pour obliger les entreprises à se comporter de façon honorable et équitable. Mais il s'agit d'une loi à promulguer par un autre ordre de gouvernement.

Le fait est que le problème s'aggrave. C'est un problème généralisé dans le secteur de la construction et qui n'est toléré dans aucune autre industrie. Les retards de paiements dans l'industrie de la construction commencent au sommet de la pyramide des paiements et ont un important effet d'entraînement dans tout le reste de la pyramide jusqu'aux sous-traitants à la base.

Cette législation ne concerne que les projets d'approvisionnement du gouvernement fédéral, dans le cadre desquels le gouvernement fédéral et ses organismes et commissions sont les promoteurs ou les acheteurs de projets de construction.

Malheureusement, on tarde autant à payer les projets de construction acquis par le gouvernement fédéral que n'importe quel autre promoteur du secteur privé, particulièrement lorsque des entreprises de gestion de projet tierces, comme Brookfield Global, entrent en jeu. M. McKee pourra vous en parler.

Vous voyez un chantier de construction comptant environ 300 travailleurs et vous voyez les panneaux d'Ellis Don, de PCL Construction ou de l'un des nombreux autres grands entrepreneurs généraux. On présume que l'ensemble des 300 travailleurs de ce chantier de construction sont des employés de l'entreprise. En fait, seuls quelques-uns sont des employés directs. Les autres sont des sous-traitants ou des entrepreneurs spécialisés embauchés pour effectuer les travaux de coffrages, de maçonnerie, d'électricité ou des murs secs ou des dizaines d'autres métiers, pour aider l'entrepreneur général à réaliser le projet.

Les retards de paiements nuisent à la capacité d'un entrepreneur à développer son entreprise en l'empêchant d'embaucher de nouveaux employés ou apprentis. Ces retards ont une incidence sur les investissements dans de nouvelles machines et du nouveau matériel. Ils ont également une incidence sur la capacité de l'entrepreneur à participer aux appels d'offres, parce que ses flux de trésorerie sont insuffisants.

Les critiques des tentatives pour introduire une loi limitant les délais de paiement par le passé ont laissé entendre qu'une telle loi ferait augmenter le coût de construction, en particulier dans le secteur public. En réalité, c'est tout l'inverse.

C'est le risque des retards de paiements, non des paiements sans délai, qui fait augmenter le coût de construction, car les entrepreneurs doivent tenir compte du risque des retards de paiements dans leurs offres. C'est la diminution du bassin d'entrepreneurs admissibles et de bonne réputation qui fait augmenter le coût de construction, non les paiements sans délai.

Finalement, cela nuit à la solvabilité des entreprises, ce qu'on voit de plus en plus souvent et en nombre croissant. La vaste majorité des pays industrialisés ont adopté des lois sur le paiement sans délai pour l'industrie de la construction, reconnaissant la valeur de sa contribution à stimuler la création d'emplois et la croissance économique.

Le gouvernement fédéral américain, 49 États américains pour les projets du secteur public, 31 États américains pour les projets de construction du secteur privé, le Royaume-Uni, la République d'Irlande, tous les pays de l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande ont également adopté des lois pour limiter les délais de paiement, dont bon nombre depuis 10 ou 20 ans et certains depuis plus de 30 ans déjà. Pourquoi n'est-ce pas le cas ici?

Le principe du paiement sans délai est simple : il convient de payer les travaux achevés et certifiés dans un délai approximatif d'un mois, non de trois mois, de quatre mois, voire plus.

Nous avons joint en annexe à ce mémoire une lettre d'un entrepreneur du Yukon qui explique qu'il essaie depuis plus d'un an d'obtenir le paiement de travaux effectués pour le gouvernement fédéral à des postes frontaliers isolés.

Le sénateur Day : Monsieur Koller, dans tous les contrats, il y a en principe une disposition prévoyant qu'un ingénieur ou un architecte, par exemple, certifie que le travail a été exécuté.

M. Koller : Effectivement.

Le sénateur Day : Dans la situation dont vous parlez, le travail exécuté a été certifié, mais il a quand même fallu un an pour obtenir le paiement, c'est bien cela?

M. Koller : D'après ce que j'ai compris, oui.

Le sénateur Day : Il va falloir s'en occuper. Pourquoi attendre si le travail exécuté a été certifié?

Vous avez dit que cela pourrait se faire rapidement et sans coûter grand-chose, monsieur Whalen. Vous espérez que la loi permette d'imposer le paiement rapide à un coût raisonnable. Le coût raisonnable serait l'alternative, et l'alternative serait le tribunal, je présume.

M. Whalen : Le seul recours des entrepreneurs spécialisés et les intrants d'un projet de construction sont ceux que vous ont décrits les témoins précédents. Cela prend beaucoup de temps. Il faut attendre des mois avant d'obtenir les services d'avocats. Et la procédure coûte cher.

C'est quelque chose qui se passe aussi dans d'autres pays. On en revient toujours au Royaume-Uni, mais c'est que cet exemple est excellent. Le système de gouvernement y est très semblable au nôtre. On peut accéder à la procédure d'arbitrage très rapidement grâce à un expert du secteur d'activité. Un aller-retour, et le projet se poursuit.

Nous avons besoin d'être payés rapidement, et il n'y a rien à notre disposition actuellement pour l'obtenir.

Le sénateur Day : Il n'y a pas d'arbitrage, je veux dire de dispositions concernant l'arbitrage dans vos contrats actuellement?

M. Whalen : Il y en a, mais il faut attendre au moins 120 jours, autrement dit six mois. Le système actuel suppose une démarche juridique très longue. Les entreprises n'ont pas toujours les moyens de survivre pendant ce temps-là, et ce n'est pas de leur faute.

Pour qu'un système permette à de jeunes entrepreneurs d'envisager de s'investir à fond, on a besoin d'une meilleure procédure qui facilite le succès non seulement de cette génération-ci, mais de la suivante.

Il y a des entreprises qui ne trouvent pas d'acheteurs. Il est temps pour elle de passer à autre chose, et elles aimeraient vendre leur fonds de commerce. Ceux qui travaillent pour elles ne veulent pas y investir. Personne ne veut investir, parce que le risque est trop grand à l'heure actuelle.

M. Koller : Monsieur McKee, pourriez-vous nous donner des exemples concrets du coût des poursuites intentées pour obtenir paiement?

Bill McKee, membre du conseil et président, Carleton Electric, Electrical Contractors Association of Ontario : J'ai eu le malheur de conclure un contrat avec une société d'État. En gros, il m'a fallu sept ans et environ 300 000 $ de frais juridiques, et il n'y a pas eu de procédure judiciaire, mais un règlement hors cour. La société d'État en question n'avait aucun intérêt à trouver un règlement.

Je peux vous parler de ce qu'ont coûté les répercussions de cette seule situation. C'est de l'ordre de plusieurs millions de dollars. À l'époque, mon chiffre d'affaires était de 10 à 12 millions de dollars par an. Les ventes enregistrées l'année où je n'ai pas été payé par ce client ont diminué de 8 millions simplement parce que je n'avais plus les moyens de financer un projet. Les contrats que j'ai dû accepter n'étaient pas payants parce que je ne pouvais plus m'offrir les cautionnements ni engager les coûts d'exécution de contrats plus lucratifs.

Le sénateur Day : Monsieur McKee, voilà qui est très instructif. Merci de nous avoir donné un exemple concret. Est- ce qu'il y avait dans votre contrat une disposition concernant l'arbitrage ou la médiation que vous avez décidé de ne pas utiliser?

M. McKee : J'aurais bien aimé pouvoir l'utiliser, mais l'organisme en question n'a jamais voulu en entendre parler.

Le sénateur Day : C'était donc facultatif et sujet à une entente entre les deux parties.

M. McKee : Effectivement.

Le sénateur Day : Vous n'avez pas accepté, à la signature du contrat, que le différend soit réglé par arbitrage.

M. McKee : Non, cela devait être convenu mutuellement.

Le sénateur Day : Le projet de loi S-224 prévoit une procédure d'arbitrage. C'est dans la loi, mais je me demande pourquoi on ne pourrait pas prévoir une procédure d'arbitrage aussi fonctionnelle dans un contrat. Cela pourrait être la même, indiquant la marche à suivre dans le cadre des relations normales entre les parties.

M. McKee : Dans ce cas, vous n'auriez jamais pensé que cela irait dans cette direction.

Le sénateur Day : Le problème, c'est que vous n'avez pas prévu de disposition parce que vous ne pensiez pas qu'il y aurait un problème. Et, quand le problème s'est posé, il était trop tard.

M. McKee : Exactement.

Le sénateur Wetston : Vous donnez à penser au comité, et peut-être à ceux qui nous écoutent, qu'il y a un dysfonctionnement du marché. Quand il y a dysfonctionnement du marché, j'essaie toujours de comprendre la logique du système.

Nous avons entendu d'autres témoins. Ce que vous dites est très convaincant : il y a un problème, et c'est un problème que d'autres pays ont réglé parce qu'ils ont dû avoir le même genre de problème ou des problèmes semblables. Je sais que le rapport Reynolds porte sur un certain nombre de ces questions.

Vous avez peut-être entendu la question que j'ai posée aux témoins du groupe précédent. Je m'intéresse toujours aux recours. Par exemple, je suppose que Travaux publics est le principal propriétaire. C'est ce ministère qui passe contrat avec l'entrepreneur général, lequel, évidemment, passe contrat avec des sous-traitants et ainsi de suite le long de la chaîne d'approvisionnement.

M. McKee : Pas nécessairement. J'ai beaucoup de contrats directs avec Travaux publics.

Le sénateur Wetston : Vous pouvez donc avoir affaire au ministère directement.

M. McKee : En effet.

Le sénateur Wetston : Avez-vous eu le même genre de problème avec Travaux publics?

M. McKee : Les créances dues par Travaux publics remontent en moyenne à 130 ou 140 jours. Il y en a eu une de plus d'un an.

Le sénateur Wetston : Il y a donc un problème là aussi. Nous comprenons bien la procédure de certification et ce qui s'est passé là. Ce que je voudrais savoir, c'est ceci : si tel est le cas, pensez-vous qu'une autre solution pourrait être proposée par le gouvernement sous la forme d'une sorte de procédure de règlement des différends? Comme il s'agit d'un dysfonctionnement du marché, selon ma terminologie, ce n'est peut-être pas d'une loi que vous avez besoin, mais d'un recours. Il semble que tout cela se produise en grande partie dans l'espace fédéral et découle de contrats fédéraux. Qu'en pensez-vous?

M. Koller : Les auteurs du rapport Reynolds relatif à l'Ontario envisagent en fait un système de règlement accéléré des différends dans le cadre de la loi. D'après nous, s'il y a un système quelconque de règlement des différends qui prévoie qu'on doit payer dans un délai de 30 jours, il faut que cela fasse partie d'une loi, parce que les contrats normalisés sont modifiés. Les gens ne les respectent pas. S'il n'y a pas de loi, les gens trouvent des moyens d'échapper aux stipulations contractuelles.

Le président : Monsieur McKee, quand vous avez eu ces problèmes avec Travaux publics et qu'on vous a payé au bout de 180 jours ou trois mois, est-ce que le travail avait été certifié et est-ce que vous avez attendu tout ce temps?

M. McKee : Non, le décompte part de la facturation finale. Mon entreprise réalise environ 900 à 1 000 travaux par an et répond à des appels de service qui vont de 5 millions de dollars à 700 ou 800 $. Auparavant, les affaires de Travaux publics étaient prises en charge par SNC-Lavalin, mais désormais c'est Brookfield Global. C'est là qu'est le problème, c'est le substitut de Travaux publics.

La fois où je n'ai pas été payé avant un an était un appel de service d'urgence pour la GRC. Il s'était produit une panne sur leur ligne aérienne pendant la nuit. Il a fallu attendre un an pour que ce travail soit payé.

Le président : Pourriez-vous nous expliquer le lien avec Brookfield Global ou SNC-Lavalin? De quoi s'agit-il?

M. McKee : Je travaille dans ce secteur d'activité et essentiellement dans ce domaine depuis 53 ans. J'ai vu tout ce qu'il y avait à voir de ce qui se passe avec le gouvernement fédéral dans la région d'Ottawa. À une certaine époque, le gouvernement fédéral s'occupait lui-même de ses contrats. Il y avait une section A&I qui était chargée d'attribuer les contrats. Puis, il y a une quinzaine d'années, ils ont décidé de faire un appel d'offres et de confier le travail à une tierce partie. Au début, il y a eu seulement Brookfield Johnson LePage. SNC-Lavalin a suivi pendant huit ans, et c'est maintenant Brookfield Global qui s'en occupe.

Travaux publics s'occupe des projets de plus d'un million de dollars, mais tous les projets inférieurs à cette somme sont confiés à Brookfield Global. Je pense que, quand un projet fait l'objet d'un appel d'offres, le gouvernement fédéral met de l'argent de côté à cette fin. Donc Brookfield Global a effectivement en main l'argent du projet, mais nous les entrepreneurs, nous sommes parfois payés 140 ou 150 jours après avoir exécuté le travail. Nous n'avons guère de recours.

Le président : Savez-vous si des fonctionnaires ont été licenciés lorsque les projets ont été confiés à une entreprise privée?

M. McKee : Je pense qu'il y en a eu un certain nombre.

Le sénateur Enverga : Ma question est à peu près la même que celle que j'ai posée à l'autre groupe de témoins. Nous comprenons bien que ce projet de loi sera bien accueilli par votre secteur d'activité, et je crois qu'il sera sûrement utile à nos travailleurs locaux.

Cela peut aussi représenter des économies pour les contribuables. Est-ce que ce serait une situation gagnante à la fois pour les travailleurs et pour le gouvernement?

M. Koller : Absolument. Comme l'a dit M. Blair, du groupe de témoins précédents, le gouvernement ne tire pas tout le bénéfice de l'impartition de projets de construction à des entrepreneurs parce que ceux-ci doivent factoriser le risque des retards de paiement dans leur offre.

M. Whalen : Ils ne font pas que factoriser le risque. Le fait qu'ils n'aient pas cet argent fait augmenter le coût des intrants. Ils ne peuvent pas vous offrir de meilleur prix parce qu'ils n'ont pas encore l'argent des projets déjà exécutés pour financer d'autres choses. Tout cela coûte de l'argent aux contribuables, qui paient aussi les prestations d'emploi quand les activités des entreprises ralentissent, avec toutes les conséquences négatives que cela entraîne.

Le sénateur Plett : Je vois bien, depuis ces quelques journées de témoignages, que beaucoup de mes collègues sont ahuris et ont du mal à croire que vous attendez si longtemps pour être payés. Heureusement que je ne dois pas attendre si longtemps pour avoir mon chèque. Je suis heureux qu'il arrive le dernier lundi de chaque mois et soit déposé directement. Autrefois, je devais attendre effectivement tout ce temps-là. J'ai l'impression que mes collègues sont très surpris.

Combien de temps d'autres entreprises doivent-elles attendre? Est-ce que c'est une anomalie propre au secteur de la construction? Expliquez-nous, je vous prie.

M. Galt : C'est effectivement une anomalie propre au secteur de la construction, mais les fabricants et les fournisseurs de services qui nous soutiennent sont emportés par ce courant. Tout à l'heure, vous avez entendu un groupe représentant ces gens. Alors, oui, c'est la construction, mais aussi les métiers spécialisés, les entreprises artisanales et tout ce qui a trait à la construction au Canada.

Comme nous l'avons dit, cela ne représente pas grand-chose quand on considère la valeur totale en jeu pour l'entrepreneur général ou le fournisseur principal, mais c'est lui qui a le contrôle.

M. Whalen : Dans le secteur sidérurgique, il n'y a pas que le secteur de la construction dans la chaîne d'approvisionnement. Et ces entreprises s'attendent à être payées dans les 30 jours. Si vous ne payez pas dans les 30 jours, elles ne feront plus affaire avec vous. Les fournisseurs de matériaux, de fournitures et de services d'autres secteurs ne le tolèrent pas. Cela entraîne des effets négatifs sur la disponibilité de matériaux, sans parler des prix.

Le sénateur Plett : Monsieur Whalen, je suppose que vous avez discuté avec des gens sur la Colline au cours des derniers jours. Et je suis sûr qu'il y avait parmi eux des représentants du secteur. Le gouvernement, comme le font le plus souvent les gouvernements, a proposé de former un groupe de travail qui prendra son temps pour élaborer différentes solutions.

Vous avez envoyé un tweet, monsieur Whalen, et je le lis à l'instant : « Si ce n'est pas exécutoire, ce n'est pas une solution. » Pourriez-vous nous expliquer cela et nous dire ce que vous pensez de l'idée de former un autre groupe de travail qui discutera de ce problème, et peut-être bien que ce problème s'évanouira?

M. Whalen : Le problème essentiel est que nous ne sommes pas payés à temps. Si une procédure, quelle qu'elle soit, prend 120 jours ou plus, ce n'est pas la bonne solution. Nos fournisseurs s'attendent à être payés dans les 30 jours. Nous épuisons nos marges de crédit. Les banques sont sur notre dos. Elles sont prêtes à tout faire sauter.

Vous n'auriez pas tant d'entrepreneurs spécialisés devant le comité sénatorial si la situation n'était pas extrêmement grave. Des centaines de milliers de Canadiens risquent leur emploi. Des milliers d'entreprises sont en danger, et ce n'est en rien de leur faute.

Nous avons besoin d'une solution pour que nos entreprises puissent minimiser les risques un projet à la fois. Elles peuvent alors prendre une décision commerciale. Actuellement, il y a un projet, puis un autre, et un autre encore, et tout à coup, sans qu'elles aient rien vu venir, les banques sont sur leur dos. Elles ne peuvent pas être payées, mais tout le monde réclame son argent.

Ce n'est pas une blague. Il nous faut des solutions tout de suite. Est-ce qu'il y a un autre moyen de régler ce problème? Le reste du monde dit que non. Tous les pays en sont venus à la même conclusion, et la solution, c'est une loi.

Pourquoi essayer de réinventer la roue? Nous avons la réponse sous les yeux. Nous pourrons y ajouter d'autres solutions par la suite. Voulez-vous que ces entreprises fassent faillite alors qu'elles n'y sont pour rien?

Nous essayons de gagner notre vie, de faire tourner l'économie et d'employer des gens. Nous essayons de construire des choses, pas de faire gagner beaucoup d'argent aux avocats. Tous ces frais juridiques et toutes ces dépenses sont prélevés sur nos bénéfices. Actuellement, nos bénéfices sont nuls. Tout ce qui retarde les paiements et compromet notre capacité à survivre est de l'argent perdu. Nous avons besoin d'un minimum de bénéfices pour survivre, et vous ne nous le donnez pas.

Le sénateur Plett : Est-ce que quelqu'un d'autre veut donner son avis à ce sujet?

M. Koller : Si je ne paie pas mon fournisseur de services téléphoniques, mon fournisseur de services de chauffage ou mon fournisseur de services de câble, je sais qu'ils couperont le service.

Le sénateur Smith : Monsieur McKee, vous travaillez dans ce secteur depuis de nombreuses années. Si vous vous le rappelez, quand le gouvernement a-t-il commencé à faire appel à SNC-Lavalin et des entreprises comme Brookfield? Qu'est-ce qu'ils ont vendu au gouvernement il y a 15 ans? Je sais que c'est à peu près à ce moment-là, mais pourquoi le gouvernement doit-il faire appel à des tiers? Pourquoi ne pas s'occuper de la gestion et des paiements lui-même?

M. McKee : C'est ce qu'il faisait, et il le faisait bien. On lui a fait croire qu'il allait économiser énormément d'argent, qu'il pourrait se débarrasser de ses services d'architecture et d'ingénierie, qu'il pourrait se débarrasser de la gestion des projets et du service de planification et qu'il pourrait confier tout cela à un tiers, qui était SNC-Lavalin à l'époque. Ensuite, SNC-Lavalin a externalisé l'ingénierie et ajouté 20 p. 100 au coût de ce que le gouvernement venait de lui confier.

Le sénateur Smith : J'espère qu'une loi sur le paiement rapide est effectivement la solution. Mais le gouvernement a tout ce qu'il faut et il devrait pouvoir développer l'expertise qu'il avait auparavant pour assumer cette fonction, ce qui permettrait de faire des économies si le tout était fait à l'interne. Ne croyez-vous pas?

M. McKee : C'est ce que je pense en effet.

M. Whalen : Cela ne règle pas la question de l'argent qui ne s'achemine pas le long de la chaîne d'approvisionnement. C'est une partie du problème.

Le sénateur Smith : C'est ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est indiscutable, et nous comprenons tous cela. J'ai déjà fait partie d'une petite entreprise. Nous faisions pression sur nos fournisseurs parce que nos clients faisaient pression sur nous. C'est une mentalité qui doit changer. Personne ne dit le contraire. Le gouvernement pourrait peut-être trouver des moyens d'améliorer sa propre productivité en dehors de la question du paiement rapide. Cela pourrait être un autre élément de solution.

Le sénateur Campbell : Le sénateur Plett a absolument raison. Très franchement, j'ai du mal à croire ce que j'entends ici. Ce qui m'a le plus troublé aujourd'hui, c'est que le gouvernement est en cause. C'est très choquant. Cette idée de former un autre comité est une réaction classique.

Le gouvernement devrait s'en occuper et se débarrasser des 20 p. 100 supplémentaires que touche SNC-Lavalin. Mais, très franchement, je ne crois pas qu'on puisse se débarrasser d'eux désormais. Qui dit que SNC-Lavalin touche 20 p. 100, que l'entreprise reçoit l'argent et n'est pas tenue de payer les autres entreprises jusqu'à dieu sait quelle échéance? Si nous commençons par le gouvernement, est-ce que cela se répandrait dans le reste du secteur?

M. Koller : Je crois que oui. Si le gouvernement fédéral donne l'exemple en adoptant une loi fédérale sur le paiement rapide, les provinces qui collaborent actuellement à l'adoption d'une loi provinciale en ce sens emboîteront le pas.

Le sénateur Campbell : Mais voilà un gouvernement qui va adopter une loi pour se contraindre lui-même à payer ses factures.

M. Koller : Cela servira d'exemple.

Le sénateur Campbell : Peu importe que cela leur plaise ou non, mais c'est vraiment un scandale. Ils ont votre argent. Ils sont assis dessus pendant six mois et gagnent 2 p. 100. Et ils vous font attendre encore plus longtemps.

Quand j'allais à l'université, on attendait 30, 60 ou 90 jours pour rembourser, mais on ne dépassait jamais 90 jours parce que, à ce stade, il fallait payer une énorme prime. Et maintenant, d'après ce que vous dites, il n'y a même plus d'échéance.

M. Galt : Nous avons discuté de l'évolution et de l'aggravation de la situation. Le délai habituel de 45 jours est progressivement passé à 60, puis à 68, 80 et 90.

Le sénateur Campbell : Cela vous donne une idée du nombre d'années que j'ai passées à l'université.

M. Galt : On a maintenant des contrats prévoyant un délai de 120 jours parce qu'on estime que c'est la norme dans le secteur. C'est ce que j'ai constaté dans l'Est du Canada.

Les choses empirent. Pourquoi? C'est une question de comportement. S'il n'y a pas de conséquences, s'il n'y a pas de sanctions, si les dispositions ne sont pas exécutoires, comme l'a dit Ed, les gens sont enclins à se dire : « voyons jusqu'où on peut aller, voyons ce qu'ils accepteront. » Il y a de petits entrepreneurs spécialisés vulnérables dans tout le pays.

Les meilleurs exemples sont les grands projets dirigés par un grand entrepreneur, mais voyez la multitude de prisons et de pénitenciers et tout ce qui se passe dans le pays. Voyez ce qui passe. C'est là que la situation prend de l'ampleur.

Il faut inverser cette mentalité. Il faut changer les comportements.

Le sénateur Wetston : Je me suis promis de lire le rapport Reynolds. Je dois le faire en tant que sénateur de l'Ontario. Compte tenu de nos discussions ici, je crois que ça devient de plus en plus important.

Il n'est pas rare que le gouvernement confie beaucoup de services à l'entreprise. C'est très à la mode depuis un certain nombre d'années, et c'est ce qui se passe en ce moment, manifestement.

Je suis convaincu que la plupart des entreprises réagiront bien aux mesures incitatives. Je ne sais pas trop ce que devraient être ces mesures, en dehors de ce que vous proposez, monsieur Whalen, la loi semble être la seule solution. Je n'ai jamais considéré une loi comme une mesure incitative, mais il me semble que c'est ce que vous expliquez.

J'ai réfléchi à ce que ces mesures pourraient être. Vous m'avez entendu, et d'autres comme le sénateur Day, vous parler de solutions de rechange. Nous vivons dans une fédération où se conjuguent des pouvoirs fédéraux et des pouvoirs provinciaux. Il faudra en parler. Je suis avocat, et j'aime donc parler de droit constitutionnel.

Mais laissons cela, nous devons comprendre le problème que vous décrivez. Vous parlez de prisons et d'autres établissements éventuellement gérés par le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux, selon la perspective. Est-ce que c'est aussi un problème important dans le secteur immobilier ou dans d'autres grands secteurs où les entrepreneurs ont un rôle important?

On parle beaucoup du rôle du gouvernement fédéral et du secteur privé. Je suis de Toronto et, donc, je comprends bien ce qui se passe. Pourriez-vous préciser ou est-ce que ça se trouve aussi dans le rapport Reynolds?

M. Whalen : Je peux vous donner des éléments de réponse. Et je passerai la parole à certains de mes collègues pour compléter. On trouve les mêmes protagonistes dans les projets du secteur privé et dans les ouvrages fédéraux. Les problèmes sont les mêmes au gouvernement fédéral et dans le secteur privé. Les délais de paiement y sont aussi lamentablement longs. C'est pour cette raison que nous abordons la question non seulement au niveau fédéral, mais à l'échelle des provinces.

Pour vous donner une idée des ramifications, je vais prendre un exemple concret dans le domaine de la sidérurgie. Il y a deux projets sur lesquels on pourrait faire une offre. Il y en a un, quelque part à l'étranger, dont je sais qu'il sera payé rapidement, et il y a un projet fédéral. Entre le projet à l'étranger qui est assujetti à une loi sur le paiement rapide et le projet qui ne sera payé que dans 120 ou 170 jours, lequel pensez-vous que je vais choisir? Qui aura le meilleur prix?

C'est le secteur sidérurgique maintenant qui va décider si cela vaut la peine de faire le travail. Nous ne sommes pas une banque, mais le gouvernement du Canada s'attend à ce que nous en soyons une.

Le sénateur Day : La semaine dernière, nous avons entendu des entrepreneurs généraux et des sous-traitants. J'ai cherché dans mes notes, mais je crois me rappeler qu'ils disaient que le gouvernement fédéral n'est pas à blâmer. Le gouvernement fédéral paie rapidement les factures, mais c'est ensuite que les fonds sont retenus, et cetera. Vous n'êtes pas d'accord ou peut-on concilier les deux points de vue?

M. Whalen : Ce que je dis, c'est que le système de paiement des projets fédéraux comme des projets du secteur privé est une catastrophe. Une loi sur le paiement rapide règle le problème du haut en bas de la chaîne d'approvisionnement. C'est la seule solution qu'on ait pu trouver ici et ailleurs. On reconnaît désormais à l'échelle mondiale que le système de paiement rapide prévu dans le projet de loi S-224 garantit que les gens qui paient rapidement n'ont pas de problèmes et que les entreprises qui ne le font pas commencent à corriger leur comportement.

Le sénateur Day : Je pose une question précise. Le gouvernement est le propriétaire et fait faire des travaux. Est-ce que la lenteur de paiement est imputable au propriétaire ou est-ce que cela se produit le long de la chaîne d'approvisionnement?

M. Whalen : Du point de vue du secteur de la sidérurgie, nous faisons affaire avec le gouvernement du Canada. Tout ce que nous savons, c'est que les modalités de paiement dans le cadre de nos relations directes avec l'entrepreneur général dépassent largement la date à laquelle nous avons présenté notre facture. Un des témoins que vous avez entendus aujourd'hui et qui fait directement affaire avec le gouvernement du Canada vous a dit que les délais de paiement ne sont pas satisfaisants.

M. Galt : Si j'ai bien compris, le gouvernement fédéral paie dans un ordre de grandeur de 90 p. 100. Mais la marge de 10 p. 100 comprend beaucoup de cas. Nous avons envisagé divers scénarios sur la représentation du gouvernement, mais le problème, c'est que nous ne sommes pas unis. Nous sommes tous ici bénévolement. Personne n'est payé, sauf que nous recevons le même chèque de paie chez nous au retour.

Nous avons créé ce groupe pour une seule raison, à savoir qu'il y a un problème réel que nous n'avons pas réussi à régler dans toutes les relations que nous avons depuis des décennies avec ceux qui contrôlent l'argent.

M. McKee : Auparavant, à l'époque où le gouvernement fédéral contrôlait tout, tout passait par Travaux publics et par les services d'architecture et d'ingénierie. C'est le gouvernement qui disait aux différents clients qu'un contrat était terminé et qu'ils allaient être payés. Les paiements étaient effectués par Travaux publics.

L'un des problèmes actuellement, c'est que le client individuel, Santé Canada ou un autre ministère, veut garder l'argent. Il arrive très souvent que ces ministères trouvent des excuses pour ne pas payer.

Le problème le plus important se produit autour du 31 mars quand, tout à coup, le contrat n'est pas terminé avant le 15 avril et qu'il n'y a plus d'argent dans le budget.

Tous ces problèmes accentuent le problème des retards de paiement aux entrepreneurs.

M. Koller : M. Lancia aimerait parler un peu de sa propre expérience des retards de paiement, pas particulièrement avec le gouvernement fédéral, mais cela permettra de contextualiser les problèmes systémiques auxquels se heurte le secteur de la construction.

M. Dan Lancia, président, Electrical Contractors Association of Ontario : Vous avez entendu l'essentiel de ce qu'il y avait à dire. Nous avons déjà travaillé pour des entrepreneurs généraux qui nous payaient dans des délais bien supérieurs à 180 jours. J'ai même attendu trois ans dans un cas où je savais que l'entrepreneur avait été payé.

C'est un problème systémique dans notre secteur d'activité. Je ne fais pas affaire avec le gouvernement. Je fais affaire avec des entreprises privées. Et c'est systémique dans le secteur privé. Les entrepreneurs généraux gardent l'argent qu'ils doivent.

Je crois savoir qu'ils engagent maintenant des gestionnaires chargés de gérer l'argent qu'ils me doivent et de ne pas me le donner. C'est devenu un tel problème que j'ai décidé de ne plus travailler pour des entrepreneurs généraux. C'est pour cette raison que nos activités sont un peu ralenties. Nous acceptons moins de projets et nous embauchons moins de gens que d'habitude.

Je suis fatigué de jouer à la banque. Je suis fatigué d'être appelé par ma banque. Je suis fatigué d'être appelé par mes fournisseurs. J'en ai assez. Je suis en affaires depuis 28 ans. C'est un domaine très intéressant.

Mais, depuis 15 ans, la situation a changé. Il suffisait d'une poignée de main pour régler un contrat de plusieurs millions de dollars. Impossible aujourd'hui, parce qu'on ne peut pas faire confiance aux nouveaux joueurs. Il n'y a plus de loyauté, il n'y a plus rien. Tout a changé il y a 15 ans, et c'est de plus en plus difficile de se faire payer.

Le sénateur Day : Monsieur Lancia, je vois le nom EllisDon partout. Est-ce qu'il s'agit de gestionnaires de projets ou d'entrepreneurs généraux?

M. Lancia : Ce sont des gestionnaires de projets, pas des entrepreneurs généraux. Ils prétendent être des entrepreneurs généraux, mais ce sont des gestionnaires de projets.

Je vous invite à leur rendre visite à leur siège social, qui est à London, je crois. Leur personnel pourrait vous dire ce qu'ils font exactement, qui ils sont, combien de gestionnaires de projets y travaillent, qui les finance, qui sont les juristes subalternes, et cetera, parce que ce sont ces gens qu'ils embauchent. C'est un gros problème dans notre secteur d'activité.

Monsieur le sénateur, vous avez dit quelque chose au sujet du règlement des différends. Essayez donc de prévoir une disposition à ce sujet dans un contrat avec un entrepreneur général. Il n'acceptera jamais. Peut-être que cela arrive dans les films, mais jamais dans la vraie vie. Ils préfèrent vous faire sécher, passer devant un tribunal et vous laisser souffrir pendant trois ou quatre ans, en comptant sur le fait que vous abandonnerez contre un million de dollars ou peu importe et qu'ils emporteront votre argent.

Le président : Merci beaucoup, messieurs.

Avant de nous quitter, chers collègues, je vous rappelle que, demain, nous recevrons Steven MacKinnon, secrétaire parlementaire de la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement, des représentants de Services publics et Approvisionnement Canada et du ministère de la Défense, et un entrepreneur général du groupe Aecon.

Merci beaucoup, messieurs. Nous avons tous beaucoup appris. Les témoignages ont parfois été fort émouvants. Merci encore.

(La séance est levée.)

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