Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule n° 21 - Témoignages du 31 mai 2017
OTTAWA, le mercredi 31 mai 2017
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier la teneur des éléments des sections 3, 8, 18 et 20 de la partie 4 du projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget, déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, la séance est ouverte. Bonjour et bienvenue.
Nous poursuivons l'étude de la teneur du projet de loi C-44, Loi no 1 d'exécution du budget de 2017, particulièrement les sections 3, 8, 18 et 20 de sa partie 4. Sachez que notre comité doit faire rapport de ses conclusions au Sénat d'ici le mercredi 7 juin 2017.
Pour la première partie de la séance, je suis heureux d'accueillir, par vidéoconférence, M. Matti Siemiatycki, professeur agrégé à l'Université de Toronto. Si j'ai mal prononcé votre nom, veuillez me pardonner et me corriger. Merci d'être au rendez-vous.
Après avoir entendu votre déclaration préliminaire, nous passerons aux questions. Comme nous attendons le ministre Morneau à 16 h 45, je vous enjoins, chers collègues, d'abréger vos questions. Bien sûr, même chose pour les réponses. Je vous en remercie d'avance. Vous pouvez commencer.
Matti Siemiatycki, professeur agrégé, Université de Toronto, à titre personnel : Fantastique. Merci beaucoup de votre invitation. Je suis ravi d'être avec vous. Je me nomme Matti Siemiatycki, professeur au Département de géographie et de planification de l'Université de Toronto. Depuis à peu près 15 ans, j'étudie les grands projets d'infrastructures et leurs coûts. Au cours de la dernière année, j'ai fait, sur la Banque de l'infrastructure, de la recherche qui a abouti à deux publications.
Pendant mes études, la question lancinante sur cette initiative était quelle est sa valeur publique et comment sert-elle à protéger l'intérêt public? Ces derniers mois, il est devenu évident que les principes directeurs de la banque et que son mandat principal étaient d'attirer les investisseurs institutionnels dans des projets canadiens d'infrastructures, particulièrement les projets lucratifs.
Ce mode de réalisation des projets permet d'obtenir des fonds supplémentaires pour les infrastructures publiques et, en même temps, d'augmenter la part du gâteau offerte aux investissements dans les infrastructures publiques, notamment celles de transport, d'énergie et, peut-être, de réaménagement des secteurs au bord de l'eau, de logement et de transport de marchandises.
Il importe de se rappeler que ce modèle de création d'infrastructures a besoin de sources de revenus et que très peu d'actifs, au Canada, satisfont à ce critère. Les sources de revenus de la plupart des infrastructures canadiennes ne correspondent pas tout à fait à leurs coûts en capital et à leurs frais d'exploitation. Ce modèle ne conviendra donc qu'à une frange assez étroite de projets. Les caisses de retraite et les autres investisseurs institutionnels sont désireux d'investir au Canada, mais les projets doivent être attrayants.
Ce n'est pas tout. Il faut aussi que ce modèle réponde à l'intérêt public. Des questions se posent quand on s'achemine vers une plus grande privatisation de la réalisation des projets : comment protéger l'intérêt public? Qu'en est-il des coûts de leur financement? Dans le privé, particulièrement dans l'investissement en fonds propres, ils sont supérieurs aux coûts d'emprunt de l'État. Ils sont donc considérables. Des questions se posent aussi sur les actifs mêmes et sur la possibilité de les modifier ou de les relier à des systèmes préexistants, en ville comme à la campagne. Nous devons conserver à l'État sa souplesse d'action à l'égard des éléments d'actif, même appartenant au privé et exploités par lui.
Ensuite, il y a la question de l'ordre de priorité des projets, comment, en fait, les sélectionner pour s'assurer de leur utilité. Le seul fait d'attirer des capitaux privés ne rend pas nécessairement un projet intéressant.
L'objectif général est d'optimiser, plutôt que de maximiser, les capitaux privés pour qu'ils servent l'intérêt public. La structure de la banque privilégie l'obtention de capitaux privés, mais la loi, dans son libellé, prévoit la création d'un centre d'excellence. Je pense que c'est vraiment ce qui permet de pleinement valoriser cette institution, si elle prend vraiment ce rôle au sérieux, c'est-à-dire préconiser la sélection scientifique des projets, pour vraiment appliquer les meilleurs renseignements à cette tâche, ce qui amène à rassembler des données à long terme pour tirer les leçons de l'expérience. Il s'agit aussi d'instituer un centre de collaboration intergouvernementale. La plupart des infrastructures au Canada ne sont pas fédérales. On tissera donc des liens entre les divers gouvernements.
Pour le moment, je dirais que les discussions sur la Banque de l'infrastructure ont peut-être excessivement porté sur le rôle financier. Il faut donc favoriser davantage le rôle de centre d'excellence, qui est vraiment susceptible d'accroître la valeur publique. En misant davantage sur les deux tableaux, tant dans le débat public que dans la loi, on contribuera beaucoup à faire vraiment répondre cette organisation à l'intérêt public.
Enfin, je m'interrogerais sur l'appellation « Banque de l'infrastructure » que j'estime, dans son sens général, mal choisie. Nous envisageons un organisme d'investissement dans les infrastructures canadiennes qui marie la finance à un centre d'excellence pour améliorer le rendement dans notre paysage infrastructurel. Merci.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Wetston : Merci. J'ai seulement deux ou trois petites questions. Je vous remercie de votre témoignage.
J'ai peut-être mal compris vos observations sur la plupart de ces grands projets d'infrastructures. N'avez-vous pas affirmé quelque chose comme les recettes n'équivalent pas tout à fait aux coûts de fonctionnement ou de construction?
M. Siemiatycki : Si, c'est exact.
Le sénateur Wetston : Vous feriez peut-être une exception pour les services publics réglementés et les projets réglementés, bien sûr.
M. Siemiatycki : Cela dépendrait des secteurs, mais il est sûr que certains recouvrent tous leurs coûts, tandis que d'autres sont subventionnés.
Le sénateur Wetston : Permettez un exemple éclairant. La plupart des services publics réglementés, hydroélectricité, services municipaux, infrastructures de transport d'énergie, recouvrent leurs coûts auprès des usagers. Évidemment, la totalité des coûts en capital n'est pas recouvrée dès le premier jour. C'est sûr, sinon les tarifs seraient élevés. Pendant l'existence de l'installation, ils sont recouvrés auprès des usagers, et j'aurais tendance à croire qu'il est exceptionnel que des subventions soient accordées pour les coûts de ces installations, pipelines ou lignes de transport d'hydroélectricité qui sillonnent le pays, n'est-ce pas?
M. Siemiatycki : Ces types d'infrastructure peuvent recouvrer la totalité de leurs coûts et les recouvrent effectivement, mais il paraît que la banque se fait proposer des projets de transport en commun, de routes et d'autoroutes, de réseaux d'aqueducs et, dans certains cas, de construction de logements, qui ne recouvrent pas leurs coûts.
Le sénateur Wetston : Bien sûr. J'essaie simplement de montrer que des infrastructures importantes obéissent à des enjeux économiques propres aux services publics réglementés, c'est-à-dire que les coûts sont recouvrés auprès des usagers et non des contribuables, la plupart du temps. Je pense que vous serez d'accord. Il y en a une foule d'autres pour qui ce serait le contraire et que vous avez énumérés. Je vous en remercie.
Mon autre question est que je sais que vous insistez sur cette notion, qui, je crois, a fait l'objet d'observations de la part de C.D. Howe et d'autres participants, sur les centres d'excellence, la collecte de données et les enjeux de la collaboration entre organismes gouvernementaux. J'y engloberais les organismes provinciaux, municipaux et fédéraux. Je soupçonne que vous seriez d'accord avec moi, parce que c'est important.
Ne vivons-nous pas déjà dans un pays en mesure de s'affirmer doté de centres d'excellence dans la création d'infrastructures grâce aux belles réussites affichées par les partenariats public-privé? Je pense que beaucoup de pays prennent, pour cette raison, le Canada comme modèle.
M. Siemiatycki : Rappelez-vous qu'il s'agit surtout d'organismes provinciaux, les plus renommés pour leurs succès, par exemple, Partnerships British Columbia et Infrastructure Ontario, parmi une foule d'autres.
La question alors est où cette institution se range-t-elle, en se rappelant que l'un des mandats est de présenter des projets proposés par le privé. Nous aurons besoin de systèmes assurant une intégration convenable, comme vous l'avez justement dit, avec l'État fédéral, peut-être avec différents ministères fédéraux, les provinces et les municipalités. Je pense que, en qualifiant cette entité de banque, on donne l'impression que l'argent est au centre de tout alors que, en réalité, il ne faut pas négliger la collaboration et les relations dans le cadre d'une confédération aussi complexe que la nôtre, où les infrastructures sont souvent du ressort de la province ou de la municipalité.
Le sénateur Wetston : Merci.
Le président : Si les industries réglementées se remboursent, pourquoi avons-nous besoin d'une banque de l'infrastructure?
M. Siemiatycki : Question fondamentale! Je pense que les infrastructures de ces secteurs bénéficient déjà d'investissements privés. Les partenariats public-privé y pullulent déjà. Je dirais que nous avons la possibilité de piloter des projets plus innovants, lucratifs, de façon vraiment créative et intéressante, par la combinaison des usages, par exemple, le développement ajouté à des plaques tournantes de transport, pour financer le transport grâce à une partie des recettes de ce développement.
Autre exemple : les améliorations énergétiques axées sur les énergies vertes. Notre pays est parsemé de tours de béton d'une grande inefficacité énergétique. Il y a moyen de les revêtir de matériaux permettant des économies d'énergie et d'en payer le coût grâce à ces économies. On peut faire appel à la banque pour amener les investisseurs à financer une partie de ces économies permanentes.
Entre le fournisseur privé de services publics et le partenariat public-privé traditionnel, il se trouve un espace où, je pense, nous pouvons employer de manière créative cette institution, si nous la construisons comme il faut, pour la rendre très créative et piloter des projets innovants.
Le président : Proposez-vous le financement de l'industrie privée propriétaire des tours à bureaux par la Banque de l'infrastructure, pour en faire des immeubles d'un meilleur rendement énergétique?
M. Siemiatycki : Je songeais plutôt aux tours d'habitation, dont certaines sont des logements sociaux, tandis que d'autres sont des immeubles à logement du marché construits en béton dans les années 50 à 70, qui gaspillent beaucoup d'énergie. Ils sont vraiment des facteurs importants de changement climatique, mais il y a moyen de comprimer les coûts par un revêtement qui permet des économies d'énergie. Un tel programme pourrait, d'après nous, être avantageux pour le Canada.
La sénatrice Ringuette : Merci beaucoup pour votre exposé. Avez-vous étudié d'autres entités qui, à l'étranger, jouent un rôle semblable pour les infrastructures? Je pense à Singapour, où le gouvernement a reconnu un besoin et fait appel au privé pour concevoir, construire et gérer une infrastructure pendant 20 ans. Pendant 20 ans, il en paiera le loyer, puis il en deviendra le propriétaire. Avez-vous étudié ces diverses modalités partout dans le monde?
M. Siemiatycki : Absolument. Vous venez plutôt de décrire un partenariat public-privé traditionnel, qui s'occupe à la fois de la conception d'une installation, de sa construction, de son financement, de son exploitation et de son maintien dans une concession unique. En fait, le Canada en a réalisé beaucoup et il en est perçu comme le champion.
Nous en avons réalisé environ 225, construits et à l'état de projet. Ce modèle maintient dans une grande mesure un niveau supérieur de contrôle public parce qu'on paie la mise à disposition et le loyer et que le lien est contractuel. La Banque de l'infrastructure propose un régime qui ressemble plus à la propriété privée par une industrie réglementée. Pour le secteur privé, cela représente un rôle et un ensemble dense de relations. Le coût du financement sera considérablement accru, parce qu'il est question, ici, d'investissements en fonds propre, qui font escompter des retours supérieurs.
Les caisses de retraite s'attendent à des rendements de 6 à 10 p. 100, au bas mot, tandis que le rendement attendu de certains actifs est beaucoup plus élevé. Mais c'est ainsi, également, que les installations s'insèrent et évoluent dans les communautés, et cela touche la maîtrise de la planification et de l'établissement des tarifs ainsi que les changements à venir, toutes des questions qui préoccupent vraiment nos communautés. Ces modèles de prestation qui appartiennent plus au privé modifient l'ensemble des rapports.
La sénatrice Ringuette : J'essaie de rattacher ce que vous venez de dire et la création, en quelque sorte, d'un centre d'excellence dans les projets de partenariats public-privé au Canada. Quelle est alors la différence avec le centre d'excellence qu'on créera dans la Banque de l'infrastructure?
M. Siemiatycki : D'abord, les centres d'excellence sont essentiellement diffus, relevant avant tout des provinces, où résident les principales compétences dans les prestations des partenariats public-privé. Ils réalisent la plupart des projets. Essentiellement, nous ne mettons pas l'information en commun, nous ne collectons pas vraiment de données et nous ne publions pas de normes nationales. Cet organisme d'investissement dans les infrastructures — que je ne conçois pas précisément comme seulement une banque, mais comme un organisme — pourrait élaborer des normes nationales sur la collecte de données instructives sur le rendement des projets. Ce pourrait être une académie nationale de formation du personnel chargé de la réalisation des gros projets d'infrastructures, pour vaincre dans notre pays le fléau des dépassements de coûts dans les travaux d'infrastructures.
Ça s'est fait au Royaume-Uni. Il existe donc des modèles de ces académies et des normes pour la collecte des données. Il existe aussi une planification fondée sur des données scientifiques. Il faut une méthode uniformisée d'évaluation de la priorité des projets, parce qu'on s'en fera proposer de toutes sortes, certains très utiles, d'autres non. Tout de suite, il faut des modèles et des méthodes pour évaluer ces projets à l'aide des données disponibles. Voilà la valeur de cette institution.
Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup d'être avec nous. Entre la protection de l'intérêt public et la crédibilité de l'organisation pour qu'elle attire les capitaux, il se trouve un juste milieu. Où le situez-vous? Le projet de loi confie la nomination des administrateurs et du directeur général au ministre et l'examen de tous les projets au gouvernement. Le ministre a déclaré publiquement que tous les projets seraient examinés. Où situez-vous ce juste milieu? Est-ce que le projet de loi en propose un par rapport à l'intérêt public?
M. Siemiatycki : C'est peut-être la question la plus difficile qu'on puisse se poser sur ces organismes, c'est-à-dire sur le juste milieu pour la gouvernance entre le contrôle démocratique d'une part et l'indépendance accordée pour accroître la crédibilité sur les marchés et dans les collectivités, d'autre part.
D'autres pays, l'Australie et le Royaume-Uni, par exemple, n'ont pas accordé assez d'indépendance. L'organisme doit créer des processus et des modèles d'évaluation des projets, et il incombe au système démocratique de scruter complètement chacun d'eux. Sinon, leur taille fait craindre que, faute pour nous de contrôler l'établissement des priorités, nous n'accordions beaucoup d'argent à des projets insuffisamment examinés par notre système démocratique.
Essentiellement, les politiciens et le ministre établissent les priorités, puis le projet est évalué à la lumière de données scientifiques et d'un modèle ou d'une formule reconnue par l'organisme. Les résultats seront ensuite rendus publics, puis on décidera de donner le feu vert ou non au projet. Je pense que cela prend un degré élevé de transparence, une crédibilité démocratique et aussi une certaine indépendance pour que tout cela fonctionne.
Le sénateur Massicotte : J'essaie de voir si vous avez répondu à ma question. Est-ce que vous dites que le processus est adéquat tel qu'il est en ce moment?
M. Siemiatycki : Selon moi, ce qui est prévu dans la loi actuellement suffit, et il reste à voir comment les choses vont évoluer. J'ai quelques préoccupations par rapport au fait que le ministre peut remplacer certains membres du conseil. Cela fait planer le spectre d'une possible intervention. Je crois que cela pourrait être resserré. Dans l'ensemble, j'estime que le projet de loi est sur la bonne voie. Tout va dépendre de la façon dont la loi sera mise en œuvre et comment tous les éléments s'emboîteront une fois qu'elle sera adoptée.
Le sénateur Massicotte : Comme vous le savez, le taux du gouvernement fédéral applicable aux obligations s'élève à 2,2 p. 100, alors que ces institutions envisagent des taux plus élevés allant jusqu'à 7 ou 8 p. 100 et même jusqu'à 10 à 12 p. 100. Évidemment, c'est du capital à risque élevé, mais c'est plus coûteux. Certains diront : « Pourquoi ne pas utiliser les finances publiques? » Il y a une bonne marge de manœuvre. Pourquoi ne pas financer entièrement tous les projets relatifs à l'utilisation de ces capitaux, ce qui donnerait lieu à des frais d'utilisation beaucoup moins élevés si on ne tient pas compte du risque. Les experts disent : « D'accord, mais nous perdons l'impact du levier financier. » De plus, le secteur privé s'est révélé bien meilleur pour construire ces choses, et l'efficacité opérationnelle est beaucoup plus grande.
Est-ce que vous acceptez ces arguments? Y a-t-il des données empiriques qui prouvent que les économies découlant de l'exploitation et de la construction en général seront suffisantes pour compenser l'écart de financement?
M. Siemiatycki : Il y a eu un grand débat à cet égard. Il s'agit de savoir de quel type de projets il est question. Il y a relativement peu de projets au Canada qui couvrent entièrement leurs coûts d'immobilisation et d'exploitation au moyen des frais d'utilisation, et nous avons déjà des partenariats publics-privés qui sont conçus pour transférer les risques liés à la conception et à la construction — et dans certains cas, à l'exploitation et à l'entretien — au secteur privé. Le coût du capital est assurément plus faible lorsque le public emprunte, alors je considère qu'il y a très peu de projets où ce type de modèle pourrait s'appliquer.
Je pense que nous devrions utiliser ce modèle pour envisager différents types de frais. Qu'il s'agisse de frais d'utilisation, de développement immobilier, d'économies sur le coût de l'énergie, il y a différents modèles qui peuvent être utilisés. Je pense que l'institution devrait stimuler l'innovation et non pas seulement avoir recours à des capitaux privés plutôt que publics parce que quelqu'un devra payer au bout du compte, que ce soit des frais d'utilisation ou autre chose.
Le sénateur Enverga : Vous avez déjà répondu à la plupart de mes questions. Cependant, vous avez indiqué plus tôt qu'il n'y avait pas beaucoup de projets qui pouvaient compter sur des sources de revenus, n'est-ce pas?
Si vous pouviez attirer le secteur privé, pourquoi le gouvernement ne pourrait-il pas investir? Ils doivent gagner de l'argent et, en même temps, vous n'allez pas créer de monopole.
M. Siemiatycki : Je pense que cela dépend réellement du type de projet. Comme je l'ai dit, je ne crois pas que cela devrait être utilisé pour des projets d'aqueduc, des projets de transport ou des projets de logement. Avec ce modèle, selon moi, il faut faire preuve de créativité au moment de négocier des ententes avec le secteur privé. Comme je l'ai mentionné, nous avons déjà des modèles de partenariats publics-privés si nous voulons utiliser le financement privé pour transférer les risques. Nous avons déjà ces modèles. En revanche, on devrait s'en servir pour des types de projets particuliers.
Je pense que le public serait préoccupé si on s'en servait pour privatiser des actifs existants, et je ne crois pas que la banque a été conçue pour cela. Elle a été conçue à la base pour de nouvelles constructions, et non pas pour des actifs existants, et je crois que c'est ce que nous devrions envisager.
Le sénateur Enverga : Dans ce cas, devrions-nous prévoir une disposition dans le projet de loi pour inclure ou exclure divers types de projets? Qu'en pensez-vous?
M. Siemiatycki : Je ne crois pas que j'insérerais une disposition dans le projet de loi, car on ne connaît pas exactement le type de projets qui seront présentés. Quelqu'un pourrait proposer une façon de mettre sur pied un projet de transport sans qu'il en coûte un sou au gouvernement, ce qui, en l'occurrence, serait une façon viable de procéder. Le hic, en ce qui concerne les infrastructures, c'est que chaque projet est unique; on ne voudrait donc pas fixer trop de restrictions dès le départ. Il faut garder à l'esprit que cela ne sera pas rentable pour bon nombre d'autres types d'actifs qui intéressent les gens, c'est-à-dire le transport en commun, le logement abordable, l'énergie verte et d'autres.
Le sénateur Enverga : Pensez-vous qu'on devrait former un comité qui serait chargé de superviser, de créer ou d'encourager le bon type de projets? Croyez-vous que cela devrait faire partie du mandat?
M. Siemiatycki : Selon moi, c'est à ceux qui établissent les politiques, et non pas à la banque, qu'il revient de donner des directives, quel que soit le gouvernement au pouvoir, sur les types de projets qu'on veut réaliser. À ce moment-là, la Banque de l'infrastructure pourrait solliciter des propositions en conséquence auprès des municipalités, des provinces ou du secteur privé ou encore recevoir des propositions non sollicitées, puis les évaluer dans le cadre du processus de sélection.
Le sénateur Enverga : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'ai deux questions. Premièrement, on semble vouloir utiliser les fonds institutionnels pour créer ces nouveaux projets. Je comprends qu'il y a beaucoup de fonds disponibles qui proviennent des fonds institutionnels. Si le gouvernement décide d'avoir des infrastructures publiques au lieu d'aller sur le marché public, parce que le gouvernement et les municipalités ont d'excellentes cotes de crédit, pour la plupart, je ne crois pas que ce soit un problème à l'échelle locale, provinciale ou fédérale. Si le gouvernement décide plutôt, dans le cadre de la banque, de prendre des investissements, des fonds de pension institutionnels, par exemple, pour investir l'argent des fonds pension dans des infrastructures publiques qui, normalement, étaient financées par des fonds publics à 100 p. 100, est-ce que cela ne risque pas de créer un déséquilibre en ce qui a trait à l'argent accessible des fonds de pension où l'on va augmenter le coût du crédit pour les entreprises privées qui, actuellement, ont accès à ces fonds institutionnels pour financer leurs projets? Est-ce qu'on risque d'augmenter le coût du crédit ou de l'argent disponible dans les fonds de pension pour des acteurs du secteur privé?
[Traduction]
M. Siemiatycki : Je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre question, mais je vais tout de même faire quelques observations.
Cette approche en matière d'infrastructure ne va pas remplacer les investissements publics ni les subventions du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral a versé des milliards de dollars en subventions partout au pays pour financer des projets de petite et de grande envergure.
La plupart des projets n'ont pas de frais d'utilisation, alors ils ne seront pas remplacés par cette institution.
Ensuite, il faut savoir que les municipalités ont d'excellentes cotes de crédit, tout comme les provinces. Leur difficulté n'est pas de trouver des investisseurs, c'est de rembourser leur emprunt. Elles éprouvent des difficultés à ce chapitre et, par conséquent, les investisseurs institutionnels potentiels voudront obtenir un rendement sur leurs investissements, que ce soit au moyen de frais d'utilisation ou de paiements du gouvernement. S'il s'agit de paiements du gouvernement, il faut tenir compte du coût additionnel du capital qui, comme vous l'avez dit, se situe entre 6 et 10 p. 100. Dans le cas des frais d'utilisation, les coûts additionnels seront assumés par les usagers.
[Français]
Le sénateur Carignan : Avec tous les exemples qu'on nous a donnés jusqu'à maintenant, il s'agit d'usines de traitement des eaux, par exemple, d'aqueducs et de services de transport.
Dans le passé, j'ai été maire, et j'ai été aussi président d'un centre d'expertise de recherche en infrastructure urbaine. Tout notre travail portait sur des projets d'infrastructure, comme ceux dont nous traitons depuis le début. J'ai peine à imaginer un projet qui ne correspondrait pas au secteur public traditionnel.
À l'heure actuelle, à Montréal, il y a le projet de train électrique. Nous sommes en train de créer un modèle avec la Caisse de dépôt pour investir. La banque n'y participe pas, mais le projet va tout de même se réaliser. À Ottawa, il y a une voie pour train léger qui est en construction; le projet se déroule bien même sans la Banque de l'infrastructure. Donc, j'ai de la difficulté à voir dans quel autre type de projet qu'un projet traditionnel du secteur public la banque pourrait investir. Je ne le vois pas.
[Traduction]
M. Siemiatycki : Je partage vos inquiétudes. Les projets de transport en commun ne font pas d'argent. Ils ne couvrent pas leurs coûts d'immobilisation et sont loin de couvrir leurs coûts d'exploitation au Canada et en Amérique du Nord. Il est important de le souligner.
L'eau est un autre exemple. La tarification de l'eau dans les municipalités partout au pays varie énormément. Dans la plupart des cas, les tarifs d'approvisionnement en eau ne permettent pas aux municipalités de couvrir leurs coûts en entier.
Je pense que nous devons indiquer clairement qu'ils ne seront pas de bons candidats pour attirer les investisseurs institutionnels, à moins qu'il y ait d'importants investissements publics sous une forme ou une autre. Nous avons des modèles de partenariats publics-privés, qui fonctionnent selon le processus conventionnel de conception, construction, financement, exploitation et entretien, pour les projets de transport en commun ou d'aqueduc, si nous jugeons que cela pourrait être la méthode à privilégier.
Plus précisément, je pense qu'il y a des possibilités en ce qui concerne les carrefours communautaires, par exemple, lorsqu'il y a des projets de développement et qu'on doit composer avec une augmentation de la densité, cet argent est récupéré et investi dans les infrastructures publiques sur ce site.
Nous avons remarqué que certains projets semblables avaient besoin de davantage de fonds publics pour aller plus loin, et pour la banque, ce sont des types de projets créatifs.
Il y avait une centrale de production d'énergie à Toronto qui aurait pu se financer elle-même à long terme, mais elle ne disposait pas de suffisamment de ressources au départ. On n'a pas su trouver d'investisseurs pour démarrer le projet. C'est donc le type de projet que pourrait financer la Banque de l'infrastructure.
On parle ici du type de projets qui s'éloigne un peu des projets traditionnels, à l'échelle municipale, mais où nous pourrions conclure des ententes créatives, et la Banque de l'infrastructure pourrait utiliser ses ressources afin de rendre ces projets viables.
Le sénateur Tannas : Merci, monsieur, d'être ici aujourd'hui. J'ai quelques questions à vous poser.
Tout d'abord, y a-t-il quelque chose, d'après les renseignements qu'on vous a fournis, qui empêcherait une infrastructure verte d'être considérée comme une infrastructure et de mener à une foule d'investissements de démarrage, comme on l'a vu avec l'administration Obama, dans le domaine de l'énergie solaire, où on a perdu quelque 500 milliards de dollars? Y a-t-il quelque chose dans le projet de loi qui empêcherait cela?
M. Siemiatycki : Je crois que le projet de loi et le concept de la banque en général misent certainement sur une approche entrepreneuriale fondée sur un modèle d'aménagement d'infrastructure dirigé par le secteur privé. Cela vient avec un haut rendement, mais aussi avec des risques élevés.
Le plus difficile, avec les infrastructures vertes, c'est que la plupart d'entre elles ne récupèrent pas leurs coûts d'immobilisation et d'exploitation grâce à des tarifs ou des frais d'utilisation, alors elles ont besoin de subventions pour être viables.
Maintenant, elles ont besoin de subventions non seulement pour les immobilisations, mais aussi pour l'exploitation à long terme, alors cela ouvre la porte à des ententes créatives qui peuvent s'avérer très positives, mais qui comportent aussi beaucoup de risques pour les gouvernements. Il faut donc faire preuve de vigilance au moment de négocier ces ententes, et nous assurer d'investir dans le bon type d'actifs.
Le sénateur Tannas : Je vois que le ministre est ici.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Siemiatycki. C'était excellent. Nous vous remercions pour votre participation à ces audiences, et sur ce, nous allons passer à notre prochain témoin.
Nous allons poursuivre notre examen de la teneur des éléments des sections 3, 8, 18 et 20 de la partie 4 du projet de loi C-44, Loi nº 1 d'exécution du budget de 2017.
Je suis très heureux d'accueillir l'honorable Bill Morneau, C.P., député, ministre des Finances. Monsieur le ministre, nous vous remercions d'être des nôtres aujourd'hui.
Je sais que vous avez un horaire très chargé. Vous êtes accompagné de votre sous-ministre, M. Paul Rochon. Nous vous remercions du temps que vous nous consacrez tous les deux.
Sans plus tarder, je vais vous céder la parole afin que vous puissiez faire votre déclaration liminaire. Comme vous pouvez le constater, il y a beaucoup de gens dans l'auditoire, non seulement des membres du comité, mais d'autres comités également.
L'honorable Bill Morneau, C.P., député, ministre des Finances : Je suis très honoré de voir qu'il n'y a pas juste des membres de votre comité qui sont ici et je suis ravi d'avoir la possibilité de vous parler aujourd'hui.
J'ai quelques mots à vous dire. J'aimerais commencer en remerciant le comité pour ses travaux dans le cadre de son étude préliminaire sur la Banque de l'infrastructure du Canada. Je crois savoir que vous avez tenu de nombreuses réunions pour discuter de cette partie du projet de loi C-44. Je vous remercie de lui avoir consacré le temps et l'attention qu'elle mérite.
J'aimerais commencer en disant que je crois vraiment en cette Banque de l'infrastructure du Canada. J'estime qu'elle a le potentiel de créer de bons emplois pour la classe moyenne, d'améliorer la qualité de vie au sein de nos collectivités et de contribuer à une économie florissante. Je suis ravi d'être ici aujourd'hui, comme je l'ai dit, pour répondre à vos questions.
Je vais d'abord vous parler du plan du gouvernement de façon plus générale et de ses conséquences pour les Canadiens.
[Français]
Les mesures que nous avons prises jusqu'à maintenant ont des effets concrets et positifs sur notre économie et sur les Canadiens et les Canadiennes. Au courant de la dernière année, l'économie a créé plus de 250 000 nouveaux emplois. La grande majorité de ces emplois était à temps plein et dans le secteur privé.
[Traduction]
Les économistes prévoient un redressement de la croissance économique au Canada au cours des prochaines années.
Selon les chiffres qui ont été révélés aujourd'hui, au cas où vous ne les auriez pas vus, la croissance de l'économie canadienne s'est accélérée au cours du premier trimestre pour atteindre 3,7 p. 100. Il s'agit d'une forte croissance — en fait, la plus forte croissance des pays du G7. Nous avons encore la meilleure situation financière parmi les pays du G7.
Malgré ces signes encourageants, les gens sont toujours inquiets face à l'avenir. C'est pourquoi nous faisons tout notre possible pour nous assurer que les Canadiens et leurs collectivités sont prêts pour l'économie de demain et qu'ils ont toutes les chances de réussir. Je sais que la Banque de l'infrastructure du Canada jouera un rôle primordial dans la réalisation des projets nécessaires à la création d'emplois à court terme et à la croissance économique à long terme. Nous savons que nous devons prendre les mesures qui s'imposent pour y arriver, alors cette discussion arrive à point nommé.
Nous sommes ouverts à vos points de vue. En fait, ils nous aideront à prendre des décisions importantes et à apporter des modifications qui seront dans l'intérêt des gens qui nous ont élus.
Le gouvernement du Canada a annoncé un plan inégalé visant à investir plus de 180 milliards de dollars dans les infrastructures sur une période de 12 ans. Ces investissements sont sans précédent dans l'histoire du Canada, et ils arrivent à un moment où les besoins sont considérables. Selon certaines estimations, le déficit en infrastructure du Canada s'élève à environ 570 milliards de dollars. Par conséquent, combler ces besoins en matière d'infrastructure impose des pressions financières importantes sur tous les ordres de gouvernement.
[Français]
Le financement du déficit d'infrastructures par le seul recours aux fonds publics imposerait un lourd fardeau sur les familles canadiennes. Aucun ordre de gouvernement ne peut combler à lui seul ce déficit d'infrastructures. La situation exige de nouvelles solutions et de nouveaux partenariats. Nous avons donc visé un nouveau type de partenariat, le type qui pourrait mettre à profit les forces des investisseurs du secteur privé et mettre leurs compétences, leurs talents et leur capital au service des Canadiens.
[Traduction]
Des investisseurs nous ont dit un peu partout dans le monde qu'ils souhaitaient investir au Canada. Les caisses de retraite et les investisseurs institutionnels veulent des investissements stables et à long terme. L'argent qu'ils ont à investir est actuellement investi ailleurs. Nous voulons nous assurer qu'ils investissent dans nos villes et nos collectivités. Nous savons que les gouvernements ne peuvent y arriver seuls.
Le fait de mobiliser des capitaux privés pour appuyer les projets d'infrastructure allège les pressions sur les finances du gouvernement et donne la capacité de transformer les collectivités ayant des projets qui, autrement, ne verraient pas le jour. Une telle approche permettra au gouvernement de concentrer son attention sur d'autres priorités pouvant améliorer la vie des Canadiens. C'est pourquoi le projet de loi C-44 propose d'établir la nouvelle Banque de l'infrastructure du Canada à titre de société d'État.
Pour remplir son mandat, la banque investirait dans des projets d'infrastructure relevant de l'intérêt public et ayant un potentiel de génération de revenus; elle attirerait des investisseurs institutionnels et privés souhaitant participer aux projets pour que l'on puisse bâtir davantage d'infrastructures.
La banque bonifierait le soutien fédéral en attirant des investisseurs institutionnels et privés qui aideront à financer les projets transformateurs dont notre pays a besoin.
[Français]
Cette approche donnera lieu au genre de projets transformateurs qui ne seraient pas réalisables autrement en raison de leurs coûts prohibitifs, de leur profil de risque ou de leur potentiel de revenu limité. Il s'agit d'une composante importante de notre plan visant à attirer les investissements et à bâtir des communautés plus saines. Grâce à la mise sur pied d'un nouvel organisme capable de collaborer avec le secteur privé lorsqu'il est logique de le faire, les fonds publics seront utilisés d'une manière plus efficace et plus judicieuse.
[Traduction]
La Banque de l'infrastructure du Canada investira au moins 35 milliards de dollars sur 11 ans en utilisant le large éventail d'instruments financiers à sa disposition, y compris les prêts, les garanties de prêt et les participations au capital, et 15 milliards de dollars provenant des fonds annoncés pour l'infrastructure. L'impact financier maximal s'élève à 15 milliards de dollars au cours de cette période de 12 ans. En attirant des investisseurs, les risques peuvent être transférés. Grâce à son expertise, la banque veillera à ce que les risques pour les contribuables soient minimisés. Elle devra déterminer si le projet attire des capitaux du secteur privé qui, autrement, n'auraient pas été investis dans les infrastructures publiques. Ces investissements seront réalisés stratégiquement, en mettant l'accent sur les grands projets transformateurs comme les plans régionaux de transport en commun, les réseaux de transport et les interconnexions des réseaux électriques.
Par conséquent, ces grands projets profiteront de plus d'innovation et favoriseront l'innovation. Les projets soutenus par la banque permettront au secteur privé de jouer un plus grand rôle que dans le cadre du modèle de PPP actuel. Ce partage de capitaux et de coûts d'exploitation avec le secteur privé pourrait surtout avantager les provinces et municipalités confrontées à des contraintes d'emprunt. L'apport de fonds additionnels par l'entremise de partenariats avec le secteur privé et la banque permettrait à tous les ordres de gouvernement de réduire leurs mises de fonds initiales leur évitant d'accumuler plus de dettes ou de devoir augmenter les impôts. La banque réduira les coûts nécessaires pour satisfaire aux besoins en infrastructure et nous permettra de tirer le maximum des nouvelles infrastructures. Cela favorisera l'innovation et la conception ainsi que la création de projets rentables de bonne taille, et permettra la construction d'infrastructures durales plus performantes.
La réduction des coûts pour tous les ordres de gouvernement libérera plus de deniers publics pour des projets qui dépendent de fonds publics, comme les logements sociaux, les hôpitaux ou les centres communautaires.
Cette réduction de coûts allégera les pressions qui accompagnent la gestion unique des coûts d'exploitation à long terme, une considération majeure dans le transport en commun, par exemple, où les municipalités assument la majorité des coûts d'exploitation à long terme. Les provinces, territoires et municipalités choisiront d'avoir recours aux services de la banque uniquement pour les projets dont ils peuvent tirer un avantage clair. En ce qui a trait aux projets eux- mêmes, le rendement pour les investisseurs doit être équivalent aux avantages du projet pour les contribuables. Autrement dit, tout projet approuvé doit être profitable à la fois pour les investisseurs et la communauté.
[Français]
Bien qu'elle n'ait pas de liens de dépendance, la Banque de l'infrastructure du Canada devra rendre des comptes au gouvernement et au Parlement. Cette structure permettra un juste équilibre entre la surveillance effectuée par le gouvernement et l'expertise voulue en matière d'investissement dans l'infrastructure. Le gouvernement sera responsable d'établir l'orientation stratégique globale et les priorités de haut niveau en matière d'investissement. Un résumé du plan organisationnel et le rapport annuel de la banque seront déposés chaque année au Parlement.
[Traduction]
La banque sera dirigée par un chef de la direction et régie par un conseil d'administration. Elle embauchera des employés talentueux ayant l'expertise nécessaire pour élaborer et exécuter des transactions offrant la meilleure valeur pour les ressources publiques.
Les investissements de la banque mèneront à une activité économique accrue et à une croissance de la productivité à long terme et nous savons que les Canadiens profiteront de bons emplois bien rémunérés. Il est important de souligner que notre plan s'attire déjà des éloges. La semaine dernière, j'ai rencontré des représentants du FMI en visite au Canada dans le cadre de la mission relative à la consultation au titre de l'article IV menée chaque année. Ils étaient très enthousiastes à l'idée de la Banque de l'infrastructure du Canada et quant à son immense potentiel à servir les intérêts des Canadiens tout en travaillant efficacement en partenariat avec le secteur privé. Dans sa déclaration, la mission a dit : « La Banque de l'infrastructure du Canada proposée sera un ajout important aux outils déjà disponibles pour soutenir l'infrastructure. »
Je dois admettre qu'il s'agit d'un vote de confiance très encourageant. Grâce à cette approche novatrice, les Canadiens peuvent s'attendre à profiter de routes, de ponts, de services de transport en commun et d'infrastructures sociales de qualité construits pour satisfaire à leurs besoins et favoriser le développement de leurs communautés.
Investir aujourd'hui dans les infrastructures permettra aux citoyens de mieux vivre pendant de nombreuses années.
En terminant, ce projet de loi propose des mesures concrètes faisant du Canada un pays averti et soucieux du bien- être des citoyens.
[Français]
En appuyant ce projet de loi, vous ouvrez la voie à la prochaine étape du plan du gouvernement pour renforcer et faire croître la classe moyenne, ainsi que tous ceux qui travaillent fort pour en faire partie. Votre soutien permettra au gouvernement de continuer à effectuer des investissements judicieux qui créeront des emplois qui feront croître notre économie et qui offriront davantage de possibilités pour tous.
[Traduction]
Nous poursuivons les efforts, mais pas pour simplement favoriser la croissance. Nous souhaitons aider tous les Canadiens, pas seulement les plus riches. Cette initiative améliorera la perspective des familles quant à l'avenir de leurs enfants et petits-enfants.
Je vous enjoins de soutenir le projet de loi C-44 et de nous faire part de vos commentaires et de vos idées pour l'améliorer. Notre objectif ultime est de satisfaire aux attentes et normes élevées qu'ont les Canadiens à notre égard. Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci. Nous avons suffisamment de gens ici pour avoir quorum au Sénat. Il y a 17 sénateurs dans la pièce.
J'aimerais m'adresser à nos collègues qui ne siègent pas au comité. Si vous désirez poser une question, veuillez lever la main. Lorsqu'un membre du comité terminera son intervention, je m'assurerai de vous donner la parole en tentant de garder mentalement une liste des intervenants afin de permettre à tous ceux qui souhaitent intervenir de le faire.
Combien de temps pouvez-vous nous consacrer, monsieur le ministre? Environ une heure?
M. Morneau : Je peux rester 45 minutes. J'aurais une idée à vous proposer, monsieur le président, mais la décision vous reviendra. Si les membres souhaitent poser plusieurs questions à la fois, je serai heureux d'y répondre, si cela peut être utile.
Le président : Les sénateurs qui n'ont pas obtenu réponse à toutes leurs questions pourront procéder ainsi, mais je laisse cela à leur discrétion.
Essayez de vous limiter à deux questions, s'il vous plaît. . . des questions brèves et rapides.
[Français]
Le sénateur Carignan : Merci, monsieur le ministre, d'être ici. En regardant le projet de loi, l'alinéa 5(4)d) a attiré mon attention. Cet article parle de la notion de mandataire de l'État ou de la Couronne, où il est permis que le gouverneur en conseil et le Cabinet prennent un décret pour déterminer qu'un projet en particulier, pour lequel la banque déciderait d'investir avec le secteur privé, soit assujetti à la juridiction fédérale et devienne ainsi mandataire de l'État, avec toutes les conséquences qui s'ensuivent. Lorsque le gouvernement fédéral investit, lorsqu'il y a compétence fédérale ou qu'il s'agit d'un mandataire de la Couronne, les lois provinciales ne s'appliquent pas; les lois provinciales sur l'environnement ne s'appliquent pas, et les lois qui touchent les municipalités ne s'appliquent pas à la Couronne fédérale.
Avez-vous l'intention, par ce projet de loi, de faire des projets de nature provinciale ou locale qui éviteraient l'application des lois provinciales, par exemple, en matière d'environnement? Vous avez sûrement vu la résolution adoptée unanimement par l'Assemblée nationale ce matin, qui vous demande de ne pas le faire.
M. Morneau : J'ai bien compris votre question et la situation.
[Traduction]
Soyons clairs : la banque n'empiétera pas sur les compétences provinciales. Nous sommes convaincus que la banque sera assujettie aux lois municipales, provinciales et fédérales. Le partage des compétences entre les gouvernements provinciaux et fédéral sera respecté.
Toutes les lois provinciales et territoriales pertinentes s'appliqueront à tous les projets dans lesquels la banque investira. Ni la banque ni les projets ne feront l'objet d'exceptions particulières. Nous avons obtenu un avis juridique à ce sujet et c'est très clair.
[Français]
Le sénateur Carignan : Il faudra peut-être amender le projet de loi à ce sujet, pour s'assurer de bien exprimer votre volonté.
Ma deuxième question porte sur la responsabilité. On constate que le vérificateur général sera l'entité mandatée pour examiner les activités de la Banque de l'infrastructure. Par contre, la banque pourra créer des filiales. Elle pourra décider de participer. D'ailleurs, chaque projet risque d'être une filiale de la banque. Je ne vois pas comment le vérificateur général pourrait être celui qui vérifiera les filiales de la banque. Est-ce votre intention d'éviter que les filiales de la banque soient assujetties aux pouvoirs du vérificateur général du Canada?
[Traduction]
M. Morneau : D'abord, nous ne voyons aucune raison d'apporter des changements en ce qui concerne les lois fédérales, provinciales ou municipales. Nous avons obtenu l'avis de professionnels à cet égard. Le projet de loi est clair. Nous ne voyons aucun problème à ce sujet.
Je comprends que c'est important et nous en convenons.
Concernant la façon dont la banque fonctionnera, le vérificateur général pourra vérifier les activités de la banque et cette capacité sera élargie. Nous tentons de trouver une façon de permettre à la banque de trouver des capitaux externes pour des projets d'infrastructure en particulier, des projets individuels. Chaque projet pourra faire l'objet d'une vérification du vérificateur général. On ne parle pas d'une filiale, mais bien de projets précis comptant sur l'appui d'un ensemble précis d'investisseurs. C'est notre objectif.
[Français]
Le sénateur Carignan : Et les filiales?
[Traduction]
M. Morneau : Il est important de les considérer comme des projets distincts et non comme des filiales. Ce sont des projets individuels dans lesquels la banque investira en collaboration avec des investisseurs externes, et non des filiales. Dans la mesure où il y aurait des filiales, celles-ci pourraient, elles aussi, faire l'objet d'une vérification du vérificateur général, mais ce n'est pas l'objectif que nous tentons d'atteindre.
La sénatrice Ringuette : Monsieur le ministre, merci d'avoir accepté notre invitation. Je suis consciente que l'article 27 de la loi prévoit un examen quinquennal, mais il ne précise pas si cet examen sera effectué par une organisation indépendante.
Ce que j'aimerais obtenir de votre part aujourd'hui, c'est un engagement selon lequel le règlement précisera que l'examen quinquennal sera effectué par une organisation indépendante.
M. Morneau : Je vous remercie pour ce commentaire. Nous en tiendrons compte.
La sénatrice Ringuette : Merci.
Ma prochaine question concerne les chiffres. J'ai examiné les chiffres proposés dans le budget de 2017. Dans ce budget, on retrouve les prévisions relatives à différents programmes d'infrastructures pour les cinq prochaines années. Dans le cadre de mon analyse de ces chiffres, je me suis concentrée sur les investissements de la banque. On parle de 2,844 milliards de dollars sur cinq ans, mais vous vous engagez à investir 35 milliards de dollars sur 11 ans. Donc, pour les cinq prochaines années, l'investissement ne représente que 10 p. 100 de l'engagement total. Qu'en est-il du 90 p. 100 restant? Quelles sont les prévisions pour l'engagement total de 35 milliards de dollars?
M. Morneau : Encore une fois, je vous remercie pour cette question. Ce que nous tentons de faire, c'est de combler l'écart en infrastructure au pays tout en transférant à des investisseurs externes le risque et la responsabilité relative au financement.
Nous avons prévu 180 milliards de dollars sur 12 ans. De ce montant, 15 milliards seront attribués à la Banque de l'infrastructure, ce que j'appellerais un « capital concessionnel ». Ces fonds peuvent servir à faire fonctionner des projets. Cela sera semblable à la pratique actuelle où des fonds d'infrastructures sont accordés pour rendre possible la réussite de ces projets.
La deuxième tranche, soit 20 milliards plus les 15 milliards déjà mentionnés, constituera le capital dont jouira la banque pour considérer des prêts, des garanties de prêt ou d'autres instruments de financement qui permettraient d'améliorer le taux de rendement des projets. Ces fonds ne figureront pas dans le cadre financier.
Donc, les fonds prévus pour les cinq prochaines années représentent en fait un pourcentage des 15 milliards. Ce n'est pas du tout 20 milliards, car ils ne figurent pas dans le cadre financier. C'est la même situation qu'avec la Banque fédérale de développement ou Exportation et développement Canada : il n'y a aucun ajout annuel aux immobilisations sous-jacentes.
La sénatrice Ringuette : Ce que vous dites, c'est que la banque se verra attribuer une somme globale de 20 milliards de dollars?
M. Morneau : La banque sera immobilisée jusqu'à concurrence de 20 milliards. Comme une banque traditionnelle, ces fonds ne sont pas pour être dépensés. Ils seront renouvelés par le remboursement de prêts ou d'autres instruments de financement.
Encore une fois, le montant auquel vous faites référence, et j'ignore s'il est exact, car je ne m'en souviens plus, mais j'imagine que vous avez fait vos devoirs, serait un pourcentage des 15 milliards de dollars.
Je tiens à rappeler quels sont nos objectifs. Nous souhaitons être en mesure d'avoir un plus gros impact en sollicitant la participation d'investisseurs externes à ces projets. Vous parlez d'un montant de 2,8 milliards. Ce que nous voulons, c'est que ces 2,8 milliards représentent en réalité un impact de 10, voire 12,5 milliards de dollars en raison de la participation d'investisseurs externes. L'impact pourrait même être plus important, car nous pourrions utiliser les immobilisations sous-jacentes pour permettre au projet d'avoir un plus gros impact; un prêt enchâssé dans un projet.
Encore une fois, le but, c'est d'avoir un impact beaucoup plus important. Revenons à l'enjeu global, soit, à court terme, créer des emplois. Certains de ces emplois seront très stimulants, par exemple, architectes, ingénieurs et concepteurs, ceux qui montent ces projets. Des gens travailleront aussi à la modélisation et aux finances et d'autres mèneront les activités des projets. On parle d'emplois créés rapidement et pour la durée des projets.
Évidemment, le niveau de productivité pourrait être plus élevé au bout du compte s'il s'agit d'un projet de transport en commun pour améliorer la circulation dans une ville ou de plusieurs projets d'amélioration des systèmes de traitement des eaux usées. Le but est de trouver des façons de se servir de cet argent, c'est-à-dire, que les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux puissent en faire davantage avec les fonds alloués, les 165 milliards, plus les fonds investis dans les projets.
Le président : Concernant les capitaux, vous dites que la première tranche sera de rendre les investissements plus intéressants. Vous voulez parler de filiales?
M. Morneau : Non. Voyons les choses de cette façon. Actuellement, sans le soutien de la banque, c'est le gouvernement qui assume 100 p. 100 du risque et du financement. Imaginez un spectre. Actuellement, nous sommes à cette extrémité du spectre où le gouvernement assume tous les risques et tout le financement.
À l'autre extrémité du spectre, c'est le secteur privé qui assume tout. Nous cherchons à atteindre cette position-ci sur le spectre. Le gouvernement assumera, disons, 10 p. 100 du financement d'un projet par l'entremise de la Banque de l'infrastructure du Canada. Le reste du financement sera institutionnel. Donc, nous invitons ces institutions à participer au financement du projet et, du même coup, nous réduisons énormément le risque.
On pourrait décider — et cette décision serait laissée à la discrétion de la banque en raison de son expertise — d'investir dans un projet qui serait dans l'intérêt des Canadiens, mais en assumant beaucoup moins que 100 p. 100 des dépenses. La banque pourrait investir, disons, 5 p. 100 des 15 milliards dans ce projet. Cela pourrait suffire à inciter des investisseurs externes à investir le reste.
C'est la façon dont nous voyons cette initiative. L'ajout de capitaux externes permet de réduire les risques associés aux projets et nous permet d'en faire davantage avec moins d'argent.
Le sénateur Tannas : Merci d'avoir accepté notre invitation. Je suis l'une des seules personnes encore vivantes à avoir demandé et reçu une charte bancaire. J'ai donc une petite idée de ce qu'il faut pour ouvrir une banque. J'ai dû présenter un plan d'affaires de 1 200 pages à l'un de vos prédécesseurs, John Manley, en 2002, pour obtenir cette charte et amorcer mes activités. Pendant que je montais mon plan d'affaires, je me disais : « Voici nos produits, voici notre public cible et voici le mélange d'activités que nous croyons pouvoir mener. » C'est ce qui a orienté notre modèle financier détaillé qui comprenait un scénario de réussite, un scénario de base et un scénario de la pire éventualité prouvant que nous allions avoir un taux de rendement positif.
Vous nous avez parlé des objectifs. Nous savons que le but est d'atteindre ces objectifs, soit d'utiliser des capitaux du secteur privé, plus dispendieux, même beaucoup plus dispendieux, honnêtement, que le coût d'emprunt de capitaux pour le gouvernement, et que le recours au marché privé plus que comblera la différence en matière d'économies.
Avez-vous un plan d'affaires semblable, aussi détaillé, qui montre que c'est possible?
M. Morneau : Je vais vous répondre de deux façons. D'abord, sénateur, je peux imaginer la complexité d'une demande de charte bancaire au Canada, car les risques sont très importants. Il y a des risques pour les déposants dont les investissements doivent être protégés. Il a des risques quant au respect de la réglementation relative au ratio d'endettement pour ce genre de banque.
Ce n'est pas de cela qu'il est question ici. Il n'y a aucun déposant pour cette banque. Le but est de trouver une façon de tirer avantage des deniers publics pour créer davantage d'infrastructures.
Nous avons fait beaucoup de recherches sur le sujet. D'ailleurs, mes recherches personnelles ont commencé avant même que je sois élu. J'ai eu l'occasion de diriger un projet pour le compte du gouvernement de l'Ontario qui cherchait à consolider tous les régimes de retraite en Ontario afin qu'ils puissent être suffisamment importants pour investir en infrastructure, une des catégories clés d'immobilisations dans lesquelles ils souhaitaient investir.
Ils ont découvert que les grands fonds, comme OMERS, le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario et HOOPP, en Ontario, étaient suffisamment importants pour faire le travail et assurer une diligence raisonnable — ce que les petits fonds ne pouvaient pas faire —, mais ils voulaient tous investir dans des projets d'infrastructure à long terme, car, cela concordait avec leur passif. C'était leur source de motivation.
Nous savons que dans ce genre de situation, il est possible de trouver du capital à un taux très faible en raison de la demande importante dans le monde et du fait que le Canada est reconnu comme un pays où le risque politique est faible. C'est donc prometteur.
Lorsque l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada investit dans des infrastructures au Chili ou dans un autre pays où il ne comprend pas le risque politique, il doit assumer ce risque en exigeant un taux plus élevé, alors qu'il ne peut pas agir de la sorte au Canada. Nous tentons de créer de telles occasions au pays.
En raison de toutes les recherches que nous avons effectuées sur le sujet, nous sommes certains de pouvoir ouvrir cet accès à du capital, ce qui nous permettra d'accomplir davantage avec les fonds que nous sommes disposés à risquer.
Je reviens à votre question implicite : le gouvernement ne pourrait-il pas faire la même chose à un taux moins élevé? À notre avis, les ressources du gouvernement ne sont pas infinies; il suffit d'ajouter constamment. Nous allons faire des investissements historiquement élevés en infrastructure au cours de la prochaine décennie, des 12 prochaines années, pour être plus précis. Ce sont des investissements importants. L'idée est de trouver des façons d'en faire davantage et de combler ce grand écart pour construire les infrastructures dont la prochaine génération aura besoin.
Le sénateur Tannas : C'est une excellente question. Je crois que toutes les institutions que vous avez mentionnées auront un moyen de mesurer le rendement de leur capital investi. Quelle mesure de rendement aurez-vous pour dire : « Il s'agit d'un meilleur investissement pour les contribuables que si nous avions emprunté l'argent pour l'investir »? Là est la question. Je parle ici d'un plan d'affaires qui prévoit ce calcul. Je ne m'inquiète pas pour les institutions. Elles obtiendront certainement leur juste part. Je m'inquiète pour les contribuables.
M. Morneau : Comme je l'ai dit, c'est l'un de nos principaux objectifs.
Le sénateur Tannas : Oui, mais, y aura-t-il une mesure du rendement, monsieur le ministre?
M. Morneau : Nous voulons nous assurer que notre investissement en infrastructure nous permet d'accomplir davantage que ce que nous aurions pu accomplir seul.
S'ils n'étaient pas attribués à la Banque de l'infrastructure du Canada, les 15 milliards de dollars ne généreraient que 15 milliards, plus le financement additionnel provenant d'autres ordres de gouvernement. C'est une façon de mesurer le rendement.
Nous croyons pouvoir élargir considérablement cette mesure grâce au nombre d'infrastructures que nous pourrons compléter et, grâce aux différents instruments offerts par la banque, les immobilisations sous-jacentes, nous pourrons en compléter davantage.
De façon générale, le comité exécutif et le conseil d'administration de la banque devront présenter au Parlement un plan annuel pour préciser leurs objectifs. Nous pourrons ainsi approuver, tôt dans le processus, le projet, le modèle de financement et les attentes relatives au rendement pour le gouvernement et les investisseurs externes. Il y aura un examen minutieux à deux niveaux : le plan annuel et l'examen minutieux du projet lui-même.
Le président : Donc, la banque n'a aucun déposant, mais utilise l'argent des contribuables. Qu'arrive-t-il si un projet ne fonctionne pas et perd de l'argent? Qui est responsable?
M. Morneau : Revenons au spectre. Actuellement, le gouvernement assume 100 p. 100 des risques et du financement. Prenons, par exemple, la construction d'un pont dans la ville, d'un système de traitement des eaux usées ou de logements abordables. Qu'arrive-t-il si le coût de ces projets dépasse les projections initiales? Le gouvernement est 100 p. 100 responsable.
Ce que nous proposons avec cette initiative, c'est de permettre à ceux qui se trouvent à l'autre extrémité du spectre d'investir dans ces projets. Ils assumeront le risque que le projet ne donne pas les résultats escomptés. Si le coût de construction du pont, du réseau de transport en commun ou du réseau électrique dépasse les prévisions, le taux de rendement pour ces investisseurs sera moins élevé. C'est l'une des façons que nous utiliserons pour nous décharger du risque. Le gouvernement se décharge considérablement du risque associé à l'infrastructure ce qui lui permet d'en faire davantage avec l'argent dont il dispose.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie, monsieur le ministre, d'être parmi nous cet après-midi. C'est fort apprécié.
Premièrement, je tiens à vous dire que j'appuie entièrement les objectifs de la Banque de l'infrastructure qui visent à utiliser du capital gouvernemental qui coûte peu cher comme levier pour produire un impact plus important. Je soutiens entièrement ce projet, et je crois qu'il a beaucoup de potentiel.
J'aimerais vous entendre plus particulièrement sur le sujet de la gouvernance. On cherche un équilibre entre les obligations gouvernementales de protéger l'intérêt public — la responsabilité —, tout en étant assez crédible et fiable pour attirer l'entreprise privée.
Le passé est garant du fait qu'un gouvernement a tendance à agir de manière partisane et, conséquemment, il ne choisit pas toujours les meilleurs projets ou il peut changer d'opinion. Je peux vous donner l'exemple du pont Champlain, à Montréal. Ne croyez-vous pas que le public sera réticent à faire des affaires avec une telle bête politique? Il y a une multitude d'exemples en ce sens. Voilà pourquoi la banque doit être crédible en se gardant une certaine forme d'indépendance par rapport aux motivations électorales d'un gouvernement typique. La population veut de la transparence et veut être informée.
Or, le projet de loi prévoit que le gouvernement nomme tous les administrateurs de la banque, ainsi que son PDG. Le gouvernement aura le loisir de retirer ce PDG sans donner de raison. Vous avez clarifié, il y a deux semaines, que le gouvernement va approuver chacun des projets. Cependant, l'expérience australienne depuis 10 ans a démontré que cette forme de gouvernance, de structure organisationnelle n'est pas adéquate. Certains des témoins que nous avons rencontrés jusqu'à maintenant ont confirmé qu'avec cette structure, la crédibilité du gouvernement et de la banque serait grandement minée.
Avez-vous une opinion contraire? Pourquoi avez-vous choisi cette forme de gouvernance qui vous donne beaucoup de latitude et qui va peut-être mettre en péril le succès de cette entreprise?
M. Morneau : Merci, c'est une question importante.
[Traduction]
Nous savons qu'il est essentiel pour cette organisation d'avoir la confiance des Canadiens. Il est également essentiel pour elle d'avoir la confiance du genre d'investisseurs que nous souhaitons attirer pour ces projets. Selon nous, il faut adopter une approche transparente à la sélection des membres du conseil d'administration, par exemple. Nous devons adopter une approche rigoureuse pour satisfaire à leurs normes.
Le Canada jouit d'une très bonne réputation auprès des investisseurs étrangers. Mais, cette réputation sera détruite dès que l'efficacité de notre gouvernance et de notre leadership ne répondra pas aux attentes.
C'est la raison pour laquelle nous devons adopter une approche rigoureuse quant à la composition du conseil d'administration. Il revient au gouvernement de nommer les administrateurs, mais aussi de les remercier en cas de problème. Nous devrons rendre des comptes, comme c'est le cas avec la SCHL, la BDC et EDC. Nous devons rendre des comptes pour chacune de ces organisations. Cette initiative échouera et les investisseurs ne se manifesteront pas si nous n'adoptons pas une approche de gouvernance et une vision à long terme claires pour réussir, car, par définition, l'infrastructure, c'est du long terme. On parle de projets s'étirant sur 20, 30, 40 et 50 ans.
Selon les discussions que nous avons eues un peu partout dans le monde sur cette initiative, les investisseurs institutionnels croient que le Canada est l'endroit idéal pour investir en raison de sa réputation de gouvernance rigoureuse. Ils sont aussi très enthousiastes à l'idée que nous créons essentiellement un centre d'excellence au sein de cette organisation. Dans une grande mesure, c'est ce que nous tentons de faire : réunir l'expertise nécessaire pour la conclusion de marchés pour des projets à long terme, la création de modèles financiers, l'organisation et l'établissement de la structure des projets afin d'assurer leur durabilité à long terme. Les investisseurs institutionnels nous disent qu'ils investissent dans les projets dans d'autres pays sans connaître l'objectif final, car les gouvernements concernés ne disposent pas de l'expertise pour conclure des marchés leur permettant d'éviter de se retrouver dans une situation fâcheuse.
Manifestement, les investisseurs institutionnels ne veulent pas se retrouver dans une situation où ils obtiennent une trop bonne affaire, car dans ce cas, il s'agit potentiellement d'une mauvaise affaire. En effet, si l'affaire est trop bonne, cela signifie que les gens sont susceptibles de se dire la même chose plus tard et de reconsidérer leur offre.
Nous croyons que nous commençons du bon pied avec la gouvernance, car la gouvernance de nos autres sociétés d'État est très solide. Nous ferons preuve d'une grande transparence dans nos activités, mais nous croyons que c'est notre responsabilité de trouver les meilleures personnes pour assumer ces rôles. Nous sommes également responsables de prendre des mesures au cas où l'avenir nous donnerait une raison d'agir.
Le sénateur Wetston : Merci, monsieur le ministre.
On a déjà abordé de nombreux points, et je tenterai donc d'éviter de poser des questions qui ont déjà fait l'objet d'une discussion.
Vous avez mentionné l'exemple des réseaux hydroélectriques. Comme vous le savez, nous avons une grande interconnexion avec les États-Unis, mais très peu d'interconnexion à l'intérieur du Canada. Je n'aborderai pas les enjeux interprovinciaux bien connus auxquels nous faisons face dans de nombreuses régions de notre pays, mais lorsqu'on considère que la plus grande partie de l'infrastructure — et vous avez plus ou moins abordé ce point — se trouve à l'échelon provincial et municipal — je ne sais pas si c'est 80 ou 90 p. 100, mais c'est une proportion très élevée —, selon vous, comment peut-on, au Canada, passer de la conception à la mise en œuvre, étant donné la nature des relations entre les municipalités, les provinces et le gouvernement fédéral, ainsi que les défis auxquels nous sommes confrontés? Et je ne parle pas de l'aspect politique. Pourriez-vous répondre à cette question, s'il vous plaît?
M. Morneau : Je pense qu'il s'agit d'une question très importante et je crois que plus de 90 p. 100 de l'infrastructure se trouve à l'échelon provincial et municipal. Dans le premier cas, nous savons que de nombreux grands projets de transformation pourraient être présentés, même par les réseaux municipaux et provinciaux actuels. On peut citer l'exemple du projet du REM, à Montréal. Il se trouve sur un territoire, du moins à l'échelle provinciale, il avance et il aura un modèle intéressant pour la Banque de l'infrastructure du Canada.
Il y aura également des projets qui traverseront potentiellement les frontières, et nous chercherons également à obtenir ces types de projets. Nous devrons trouver des mécanismes appropriés dans ces cas. Il existe déjà des mécanismes qui nous permettent de collaborer avec les municipalités et les provinces. Nous verrons donc ces projets. On les présente en ce moment. Nous confierons au nouvel organisme la responsabilité de chercher et de trouver d'autres projets qui pourraient traverser les frontières. Ces projets sont déjà proposés. Je peux vous dire que j'ai déjà entendu parler de plusieurs de ces projets. Certains d'entre eux ont été rendus publics, et d'autres non. Nous commençons donc déjà à entendre parler de projets qui traversent les frontières et qui augmentent l'efficacité de... Des réseaux de transport en commun ou des réseaux hydroélectriques, par exemple
Il faudra accomplir davantage de travail pour trouver une façon de lancer ces projets. Toutefois, nous voyons déjà, dans la série de projets, des éléments sur lesquels nous pouvons travailler à court terme, ce qui nous permet de démontrer l'efficacité du modèle qui nous permettra de produire un plus grand nombre de projets. Manifestement, l'une des responsabilités de l'organisme sera de mettre au point l'expertise et d'encourager la réflexion sur des éléments auxquels on pourrait être en mesure d'appliquer ces modèles, ce qui pourrait entraîner la création de projets que nous n'avons peut-être pas encore la capacité d'imaginer. L'objectif est donc de créer des projets qui ne le seraient peut-être pas autrement.
Le sénateur Enverga : Je sais que nous donnons — eh bien, nous ne donnons pas vraiment. Nous offrirons quelques — nous accepterons des investissements en matière d'infrastructure de la part d'entreprises privées. Toutefois, lorsque le projet n'atteindra pas le taux de rendement prévu, fixerons-nous une limite aux frais d'utilisation qui seront imposés aux contribuables ou aux utilisateurs de ces services?
M. Morneau : C'est une question importante. Je ne peux pas vous dire que j'ai l'imagination assez fertile pour connaître chaque nouveau projet qui sera mis sur pied. Nous tentons de créer des projets dans lesquels les investisseurs institutionnels ou les investisseurs de fonds de retraite — et j'aimerais vous rappeler qu'il pourrait très bien s'agir d'investisseurs de fonds de retraite canadiens — assumeront le risque que le projet n'atteigne pas le taux de rendement prévu au départ.
L'un des éléments principaux que nous devrons prévoir dans le cadre de la Banque de l'infrastructure, c'est l'expertise en matière de passation de contrats, car cela nous permettra de lancer les projets. Cette expertise en matière de passation de contrats fera partie de chaque projet que nous devrons approuver. Dans les conditions liées au contrat, avant d'inviter les investisseurs, nous décrirons le modèle opérationnel, y compris les possibilités de revenus. Ces éléments pourraient être différents dans chaque situation, mais une partie de l'objectif consiste à les décrire au départ, afin que les investisseurs connaissent les conditions sous lesquelles ils pourront envisager d'investir ou non.
Et, évidemment, si nous décidons de fixer une limite quelconque, c'est notre décision. Nous ne remettons pas ce pouvoir décisionnel à une autre partie. Cela pourrait être une condition sous laquelle nous acceptons un projet.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue, monsieur le ministre. Si j'ai bien compris votre présentation, vous avez parlé, entre autres, des réseaux électriques.Ma question est très simple. Hydro-Québec a besoin de 5 milliards de dollars pour l'installation d'un nouveau barrage qui permettrait de vendre de l'électricité aux provinces canadiennes avoisinantes. Est-ce que la Banque de l'infrastructure pourrait intervenir dans une telle situation?
M. Morneau : Je ne peux pas répondre à votre question avec certitude. Cependant, je peux dire que si un projet se présentait pour lequel il serait possible de trouver des investisseurs institutionnels qui seraient prêts y à injecter des fonds, cela pourrait se faire, mais il faudrait s'assurer de bien évaluer la situation avant de l'accepter. Avec toutes les informations nécessaires en main, ce serait quelque chose qui pourrait être envisagé.
[Traduction]
Le sénateur Pratte : Je vous remercie d'être ici, monsieur le ministre. Étant donné qu'il s'agit d'une institution essentielle et importante, pourquoi ne l'avez-vous pas présentée dans un projet de loi distinct? Chaque fois que nous étudions cette banque, nous soulevons de nouvelles questions et de nouvelles préoccupations. Puisque rien ne presse, car comme vous l'avez mentionné, il s'agit de projets à long terme, vous travaillez à la conception de la banque depuis plus d'un an et demi et vous nous demandez d'étudier et d'approuver ce projet en deux semaines dans le cadre d'un projet de loi volumineux et complexe. Pourquoi ne pas le présenter dans un projet de loi distinct et nous donner quelques semaines de plus pour l'étudier?
M. Morneau : C'est une partie importante de notre plan. Nous avons clairement exprimé que nous souhaitons avoir un impact sur la croissance économique. Cela fait partie de notre plan. L'aspect à long terme commence dès maintenant. La capacité d'entamer le projet et de produire un impact commence aujourd'hui, et nous croyons donc qu'une partie intégrale de ce plan consiste à intégrer ce projet dans la Loi d'exécution du budget actuelle. Nous reconnaissons aussi, évidemment, que l'aspect financier est important, et que cet élément devrait se retrouver dans un projet de loi budgétaire.
Cela fait partie de notre plan. Ce projet aura un impact important et significatif à court, moyen et long terme sur notre économie, et il nécessite visiblement suffisamment de ressources du gouvernement fédéral pour justifier de l'inclure au budget. Nous sommes également heureux que vous ayez ajouté du temps à votre examen; selon nous, c'est une bonne chose. Je suis heureux d'être ici pour répondre à vos questions. C'est la raison pour laquelle je suis ici. Nous croyons qu'il est temps d'aller de l'avant et que ce projet aura un impact important.
[Français]
La sénatrice Moncion : Ma question concerne l'article 22 de la Loi sur la Banque de l'infrastructure du Canada au sein du projet de loi. Lors d'une séance du comité, des témoins nous ont mentionné deux sections du projet de loi qui pouvaient être gênantes, et la disposition qui l'était le plus, c'est le paragraphe 22(2) qui traite des pouvoirs du ministre des Finances à consentir des prêts. Cela ressemble à un genre d'intrusion, selon l'une des inquiétudes mentionnées par les témoins.
Pouvez-vous nous indiquer comment vous allez analyser cette section?
[Traduction]
M. Morneau : Nous croyons manifestement que nous ne pouvons pas nous décharger de nos responsabilités simplement parce que nous avons créé cette nouvelle institution. Nous voulons veiller à ce que l'approche utilisée pour dépenser ces 20 milliards de dollars corresponde aux choses que nous croyons appropriées selon le risque pris par le gouvernement, et nous voulons donc être en mesure de l'approuver. C'est un peu comme la responsabilité actuelle du ministre des Finances qui doit approuver le plan d'immobilisations annuel pour d'autres institutions. Cette institution pourrait recevoir plus d'investissements liés à des projets précis, et nous devons avoir la capacité de les approuver.
Notre objectif est de le faire le plus tôt possible dans le projet, afin de pouvoir offrir une certitude aux investisseurs potentiels, mais nous sommes d'avis que nous devons assumer cette responsabilité.
Le sénateur Woo : À titre de suivi à la question de la sénatrice Moncion, on discute beaucoup de l'interférence politique et de la possibilité que le gouvernement exerce une surveillance excessive à l'égard de cet organisme.
Pourriez-vous nous parler un peu du risque opposé, c'est-à-dire que le secteur privé s'empare du processus de réglementation? Le problème avec les PPP et cette façon créative de financer de grands projets de transformation, c'est que le gouvernement a relativement peu d'expertise. Une grande partie de l'expertise — toute l'expertise — dépend des banques d'investissement, des investisseurs institutionnels, des caisses de retraite, des services bancaires d'investissement, et cetera.
Selon moi, les gouvernements provinciaux et municipaux et les autres devront presque inévitablement faire appel aux services consultatifs du secteur privé pendant l'étape de la conception du projet.
Pourriez-vous nous expliquer comment vous pondérerez ce risque? Il est manifestement possible que les intervenants du secteur privé conçoivent les projets de façon à en retirer des avantages — c'est dans leur intérêt — tout en nuisant aux intérêts du secteur public.
M. Morneau : C'est une question importante. L'une des raisons pour lesquelles nous voulons faire cela, c'est que selon nos observations à l'échelle mondiale, un grand nombre de pays affirment que c'est le type d'idée qui fera une différence réelle dans la quantité de projets d'infrastructure réalisés, mais si l'infrastructure n'est pas construite, c'est en raison du problème de délégation que vous avez précisément cerné.
Le sénateur Woo : D'accord.
M. Morneau : Ce qu'on a également été en mesure d'établir partout dans le monde, c'est que le Canada possède la meilleure expertise en matière de financement de l'infrastructure de la planète. En effet, nos institutions ont très bien réussi dans ce domaine à l'échelle mondiale, et nous avons donc l'occasion de mettre à profit une certaine partie de cette expertise dans cet organisme.
C'est un risque, et nous devons toujours reconnaître les risques. Nous pouvons réduire ce risque en ne précipitant pas les choses au départ. Au sein de l'organisme, nous recruterons des gens qui seront en mesure de modifier le déséquilibre lié à l'expertise, afin de créer des projets réellement pertinents. C'est ce que nous tentons d'accomplir.
Ce matin, dans un article que j'ai vu dans le Globe and Mail, on se demandait si on devait donner à l'institution le nom d'agence ou de banque, et je vous dirais qu'il s'agit évidemment d'un débat qui se produit toujours lorsqu'il faut nommer une entité quelconque. À bien des égards, il s'agit vraiment de créer un centre d'excellence lié à l'infrastructure afin de réaliser davantage de projets, car l'équilibre des pouvoirs entre les gens qui mettent sur pied l'infrastructure et ceux qui investissent dans l'infrastructure permettra d'y arriver.
Encore une fois, j'aimerais vous rappeler que dans mon scénario sur le risque, où l'on aborde tous les risques assumés par le gouvernement et tous les risques assumés par le secteur privé dans les projets d'infrastructure en cours, des intervenants du secteur privé participent inévitablement à ces projets. En créant un niveau beaucoup plus élevé d'expertise, il est possible, à long terme, de réduire le risque assumé par le gouvernement dans tous ces projets.
[Français]
Le sénateur Carignan : Pourriez-vous nous confirmer que le gouvernement n'a pas l'intention d'utiliser la Banque de l'infrastructure pour régler les coûts liés au pont Champlain et faire en sorte de compenser pour l'absence de péage, dans le consortium chargé de la construction du pont, avec des investissements de la Banque de l'infrastructure?
M. Morneau : Je crois que la réponse est oui. Je puis vous dire que nous n'avons pas, en ce moment, une liste de projets définie. S'il y a un projet à l'avenir pour lequel il y aurait une façon de trouver des revenus pour les investisseurs institutionnels, on pourrait le considérer. Toutefois, à mon avis, ce n'est pas un projet qui réunit les conditions nécessaires.
[Traduction]
La sénatrice Moncion : Pour revenir à ma question, ce qui est préoccupant, ce sont les pouvoirs prépondérants que vous accorde cet article. Comment pouvez-vous convaincre les gens qu'on n'utilisera aucun pouvoir excessif? Pour vous donner un exemple, si un projet est refusé, le ministre pourrait décider, en coulisse, que ce projet sera tout de même mis sur pied et personne ne pourra donner son avis sur la question. C'est une autre préoccupation qui a été soulevée.
M. Morneau : Je ne suis pas absolument certain...
La sénatrice Moncion : Je ne m'exprime peut-être pas comme il faut en anglais.
[Français]
Je vais le dire en français. C'est le pouvoir d'approuver des prêts qui auraient potentiellement été refusés par le groupe. Si, par exemple, les gens au pouvoir refusent un prêt, et que ceux qui veulent que ce prêt soit consenti s'adressent au ministre, on parle du pouvoir de contourner le processus et d'approuver un projet qui n'aurait pas été recommandé.
[Traduction]
M. Morneau : La meilleure façon de répondre à cette question, c'est peut-être de vous parler du processus que nous envisageons. Nous nous attendons à ce que les projets soient soumis au gouvernement, après quoi nous déterminerons si chacun des projets semble admissible au programme de la banque. Il y aura probablement des projets qui seront soumis directement à la banque, parce qu'ils viendront d'autres sources. La banque évaluera chaque projet, puis déterminera s'il est possible pour elle d'aller chercher des investisseurs externes. Elle pourrait créer une structure financière pour attirer les investisseurs financiers.
Le projet sera ensuite soumis de nouveau au gouvernement, en phase initiale, pour qu'il lui accorde son approbation ou non. Il y aura un certain nombre de critères à respecter. D'abord, nous devrons croire qu'il s'agit du bon type d'infrastructure pour transformer le pays, et je présume que nous devrons également être convaincus que le projet sera à l'avantage des municipalités et des provinces.
Ensuite, nous voudrons connaître le modèle de financement et de tarification, comme le sénateur Enverga l'a demandé, pour déterminer quels types de prêt ou de garanties de prêt seraient acceptables pour nous du point de vue des risques. Le projet devrait respecter toutes ces conditions pour que nous l'approuvions.
C'est ce que nous envisageons. Nous ne voudrions pas nous retrouver dans une situation où ce n'est pas nous qui aurions la responsabilité d'approuver les prêts ou les garanties de prêt, comme il se doit.
Le sénateur Massicotte : Voulez-vous changer quoi que ce soit à votre réponse?
M. Morneau : Non.
La sénatrice Moncion : Voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Morneau : Je suppose que ce que Paul veut dire... Je ne voudrais pas qualifier le processus d'obscur, mais voici l'enjeu : quand toutes les autres sources de capital ont été épuisées, reste-t-il d'autres leviers possibles?
Encore une fois, la réussite de cette institution dépend beaucoup de la confiance qu'elle inspirera aux investisseurs potentiels. Si les investisseurs ne sont pas persuadés que nous agissons avec transparence et que nous créons des modèles sensés, cela ne fonctionnera pas. Nous ne réussirons pas à attirer les investisseurs, et tout cela n'aura servi à rien.
La dynamique de marché sera déterminante pour le succès de cette entreprise, et nous croyons qu'elle contribuera beaucoup à susciter les comportements appropriés.
Le sénateur Massicotte : Sur la même note, en fait, je reprends mon argument. J'avais très peur que la confiance et la crédibilité des investisseurs ne nuisent malheureusement au succès de la banque. J'ai évidemment les mêmes intérêts que vous. C'est ce que nous avons entendu.
En fait, comme vous le savez, c'est l'expérience qu'ont faite les Australiens. Ils avaient le même genre de structure que nous, qui laissait beaucoup de pouvoir discrétionnaire quant à l'approbation des projets, et ils ont échoué. En 2016, ils ont modifié leur loi pour la clarifier.
Pourquoi n'en tirez-vous pas de leçon? En fait, je vois que chaque année, le conseil et le PDG produisent un plan annuel et un budget devant être approuvés par le ministre désigné et le gouvernement en place.
Je ferais valoir que si vous approuvez son plan chaque année — et ce sera un plan très détaillé —, un plan qui vous renseignerait sur les projets jugés intéressants et admissibles, je vois mal pour quelle raison vous vous réserveriez le droit, à vous ou au gouvernement, d'intervenir pour approuver un projet dans la mesure où le plan et le budget sont respectés? Cela contribuerait beaucoup à nous rassurer.
L'histoire canadienne regorge d'exemples où de nouveaux gouvernements ou des gouvernements déjà en place ont changé d'idée, et vous avez mentionné la BDC et EDC. Toutes ces institutions entretiennent des relations de prêteurs et non des relations de co-investissement à long terme. C'est très différent.
Je reviens à ma question. Pourquoi ne tirez-vous pas de leçons de cette expérience pour viser ce que je verrais comme un meilleur équilibre?
M. Morneau : Je comprends ce que vous dites. Nous ne pensons pas pouvoir confier la responsabilité de déterminer quelles infrastructures seront construites au Canada aux experts en infrastructure, aussi brillants soient-ils, parce que c'est nous qui devons en rendre compte aux électeurs.
Si l'idée consiste à construire un projet qui ne nous semble pas nécessairement approprié pour l'infrastructure du Manitoba, selon l'avis du gouvernement du Manitoba et de la Ville de Winnipeg, nous ne voudrions pas que la Banque de l'infrastructure ait le pouvoir d'y donner son aval malgré tout.
Nous voulons intervenir au début du processus. Donc si un projet ne semble pas pouvoir répondre aux critères, il ne pourra pas aller de l'avant. Encore une fois, ce sont des deniers publics que nous dépenserons, et la somme de 15 milliards de dollars qui sera investie dans ces projets est importante. Nous voulons bénéficier le plus possible de l'infrastructure que nous construisons et qu'elle ait le plus de retombées possible. Je ne crois pas que nous puissions déléguer cette responsabilité.
Le président : Monsieur le ministre, je vous remercie au nom de tous mes collègues de votre témoignage. Je vous remercie de vos réponses franches à nos questions. Sur ce, chers collègues, nous nous reverrons demain matin, à 10 h 30.
M. Morneau : Merci. J'espère que vous me réinviterez.
Le président : Nous le ferons; je vous le promets.
(La séance est levée.)