Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule no 34 - Témoignages du 14 février 2018
OTTAWA, le mercredi 14 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 16 h 16, pour étudier les enjeux actuels et émergents auxquels font face les importateurs et exportateurs canadiens sur les marchés nord-américains et mondiaux.
Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues et membres du grand public qui suivent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, que ce soit ici dans la salle ou sur le Web. Je m’appelle Douglas Black, et je suis le président du comité.
J’invite les sénateurs à se présenter aux témoins qui sont avec nous par vidéoconférence et en personne, ainsi qu’aux téléspectateurs.
Le sénateur Marwah : Sarabjit Marwah, de l’Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.
La sénatrice Unger : Betty Unger, de l’Alberta.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, de la Saskatchewan.
Le président : Merci beaucoup.
Comme je le signale toujours, nous bénéficions de l’appui très compétent de notre greffière et des analystes qui nous aident dans le cadre de nos travaux.
Aujourd’hui, notre comité entreprend ses audiences sur les enjeux actuels et émergents pour les importateurs et exportateurs canadiens en ce qui a trait à leur compétitivité internationale. Certains de ces enjeux pourraient porter notamment sur le retrait possible des États-Unis de l’Accord de libre-échange nord-américain, les récentes modifications apportées à l’impôt fédéral américain des sociétés, les différentiels de taux d’intérêt, la réglementation et l’innovation.
Le comité s’intéresse aux répercussions possibles de ces changements sur la compétitivité des importateurs et des exportateurs canadiens, ainsi qu’à la façon dont ces derniers et le gouvernement fédéral pourraient y réagir.
Aujourd’hui, nous allons entendre un certain nombre d’économistes canadiens. Puis-je présenter les témoins du premier groupe?
Nous accueillons Peter Hall, économiste en chef, Exportation et développement Canada, qui est avec nous dans la salle, et Jeremy Kronick, analyste principal de la politique, Institut C.D. Howe, qui se joint à nous par vidéoconférence.
J’invite chacun des témoins à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.
Jeremy Kronick, analyste principal de la politique, Institut C.D. Howe : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l’occasion de formuler des observations sur les enjeux actuels et émergents auxquels font face les importateurs et exportateurs canadiens, leurs répercussions possibles sur la compétitivité internationale et les mesures que le gouvernement devrait prendre à cet égard.
Dans mon exposé, je vais me concentrer sur le scénario selon lequel les taux d’intérêt au Canada continueraient de suivre une tendance à la hausse. Toutefois, pour mettre cela en contexte, il est utile de discuter de la forme que pourrait prendre un éventuel effondrement de l’ALENA et, par ricochet, de la façon dont la hausse des taux d’intérêt pourrait influer sur la compétitivité internationale du Canada.
L’Institut C.D. Howe s’est beaucoup penché sur les négociations de l’ALENA, en publiant notamment un document de Dan Ciuriak dans lequel l’auteur évalue trois scénarios, advenant le retrait des États-Unis.
Dans le premier scénario, les trois parties à l’ALENA s’en remettent à nouveau aux règles de l’OMC pour leurs échanges commerciaux réciproques et, en plus, les États-Unis se retirent de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, soit le prédécesseur de l’ALENA.
Dans le deuxième scénario, l’ALENA tombe, mais l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis demeure en vigueur.
Dans le troisième scénario, qui s’appuie sur le contexte du deuxième, le Canada et le Mexique poursuivent leurs échanges commerciaux soit par l’entremise d’un nouvel accord bilatéral, soit dans le cadre d’une version révisée du Partenariat transpacifique.
Dans le premier scénario, les exportations canadiennes diminuent d’environ 20 milliards de dollars, ou 2,8 p. 100, sur une période de 5 ans, et le PIB réel accuse une baisse de 15 milliards de dollars, ou 0,55 p. 100. La légère diminution du PIB réel est attribuable à une certaine restructuration de l’économie à la suite d’une baisse des échanges commerciaux.
Si l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis demeure en vigueur après l’abandon de l’ALENA, le volume des échanges commerciaux du Canada, selon les modèles de M. Ciuriak, restera essentiellement le même, et cela vaut aussi pour le PIB réel. En fait, dans le dernier scénario où le Canada et le Mexique poursuivent leurs relations de libre-échange bilatéral, le Canada pourrait même voir ses exportations et son PIB réel augmenter de façon modeste, respectivement, d’un peu plus de 2 et 3 milliards de dollars, étant donné le détournement des courants commerciaux au détriment des États-Unis.
Ces résultats soulignent non seulement l’importance des négociations, mais aussi l’existence de multiples retombées dans le scénario d’un abandon de l’ALENA. Toutefois, si les États-Unis se retirent de l’ALENA, aucun de ces scénarios n’est susceptible d’aboutir à ce que je qualifie de « bonne » inflation, c’est-à-dire une inflation qui découle d’une économie canadienne vigoureuse, amenant ainsi la Banque du Canada à hausser le taux du financement à un jour.
Il y a, malheureusement, un scénario dans lequel l’effondrement de l’ALENA donne lieu à une « mauvaise » inflation. Si jamais l’ALENA devait être abandonné, les tarifs américains augmenteraient selon toute vraisemblance, ce qui forcerait le Canada à emboîter le pas, car nous ne pourrions plus imposer des tarifs moins élevés à nos voisins du Sud, faute d’avoir un accord commercial avec eux.
Si la disparition de l’ALENA devait affaiblir l’économie réelle, la Banque du Canada, qui s’est donné pour cible de maîtriser l’inflation, se trouverait devant un véritable dilemme pour ce qui est d’augmenter les taux d’intérêt. Toutefois, dans ce cas-ci, le Canada pourrait alors conclure des ententes de libre-échange avec des pays qui ne sont pas signataires de l’ALENA afin de faire baisser les tarifs à l’échelle mondiale, ce qui compensera, nous l’espérons, l’effet inflationniste des tarifs américains. Je crois qu’il est probablement difficile, à ce stade-ci, de prévoir les résultats nets d’une telle éventualité.
Par conséquent, le scénario où les taux d’intérêt sont les plus susceptibles d’augmenter présuppose, selon moi, une économie canadienne solide, qui fait grimper la demande de telle sorte que la Banque du Canada s’attend à ce que l’inflation dépasse la cible à moyen terme, ce qui ne peut survenir que si les négociations de l’ALENA ne débouchent pas sur le retrait des États-Unis.
À supposer que ce soit le cas, nous commençons alors du bon pied, car cela insinue une économie canadienne solide où les exportations continuent de jouer leur rôle crucial. Or, pour le moment, si les taux d’intérêt canadiens commencent à augmenter par rapport à ceux d’autres pays, le dollar canadien s’appréciera en conséquence, d’où une demande accrue pour le huard. La question est donc la suivante : comment l’appréciation du dollar canadien se répercutera-t-elle sur la compétitivité internationale du Canada?
Si vous êtes propriétaire d’une entreprise qui dépend des importations, il va de soi qu’un dollar canadien plus fort rend vos importations moins chères et fait augmenter vos marges de profit, ce qui vous permet de bénéficier de tous les avantages dont jouissent les entreprises se trouvant dans la même situation.
En revanche, dans le cas des entreprises exportatrices, ce scénario sera moins que souhaitable, car leurs produits et services deviennent plus coûteux, ce qui entraîne une baisse de la demande et, par voie de conséquence, des effets macroéconomiques négatifs. Bien entendu, s’il faut effectuer des importations pour produire ces biens exportables, certains des effets seront contrebalancés.
Depuis la crise financière, la position du Canada a beaucoup oscillé entre celle d’un petit importateur net, par rapport à sa taille totale, et celle d’un petit exportateur net de produits et services. Étant donné que le Canada n’occupe pas une position claire et constante en tant qu’exportateur net ou importateur net, on peut difficilement prédire le bilan net si les taux d’intérêt canadiens augmentent plus rapidement que ceux d’autres pays.
Il en va de même si la hausse des taux d’intérêt au Canada est égalée, voire surpassée par la majoration des taux d’intérêt aux États-Unis ou ailleurs. Dans un tel scénario, le dollar canadien pourrait se déprécier, mais une fois de plus, en raison de la taille modeste des résultats commerciaux nets au Canada, cela n’aura probablement aucune incidence notable sur notre compétitivité internationale cumulative.
Dans l’ensemble, j’estime que la hausse des taux d’intérêt est une bonne chose, car cela signifie que les négociations de l’ALENA ont abouti, que l’économie tourne à un rythme assez soutenu et que la banque entrevoit des vents favorables à l’inflation sur un horizon à moyen terme.
Bien entendu, notre économie subira une certaine restructuration, en fonction de ce que le dollar canadien finira par valoir par rapport à la monnaie de nos partenaires commerciaux, surtout des États-Unis, mais tout compte fait, l’économie canadienne est assez équilibrée du point de vue des importations et des exportations.
Par conséquent, le gouvernement ne devrait pas trop s’inquiéter de l’incidence des taux d’intérêt à la hausse, à proprement parler, mais il devrait se concentrer sur d’autres mesures susceptibles d’améliorer notre compétitivité; par exemple, il devrait chercher à faire du Canada une destination plus attrayante pour les sièges sociaux des multinationales, améliorer les résultats médiocres du pays sur le plan de la productivité et saisir l’occasion que ces négociations forcées de l’ALENA donnent au Canada pour moderniser ce qui est devenu un accord commercial désuet.
Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de m’avoir permis de prendre la parole aujourd’hui. J’ai bien hâte de répondre à vos questions après l’exposé de Peter.
Peter Hall, économiste en chef, Exportation et développement Canada : Merci, monsieur le président et distingués membres du comité. Bonjour à tous.
[Français]
C’est vraiment un honneur pour moi d’être parmi vous aujourd’hui afin de partager avec vous nos observations en ce qui concerne le commerce international et les inquiétudes de nos clients.
[Traduction]
Je suis ravi de pouvoir m’adresser aux membres du comité. Le commerce international est un sujet qui préoccupe, peut-être plus que jamais, les gens d’affaires canadiens. L’économie intérieure du Canada est fondamentalement faible, alors que l’économie mondiale reprend de la vigueur. La diversification du commerce attire de plus en plus d’attention sur la dynamique des marchés d’exportation moins traditionnels, et la jeune génération semble être plus portée à interagir sur la scène mondiale.
En même temps, la mondialisation fait face à ce qui pourrait être la plus grande menace qui ait jamais pesé sur son existence depuis son avènement. Les années de croissance économique médiocre qui ont suivi la récession ont laissé pour compte des millions de personnes. Leur nombre a sans cesse augmenté si bien que, dans plusieurs cas, les élections ont failli pencher en faveur du mouvement antimondialisation. Le manque de prospérité commune a amené une très grande partie de la population mondiale à remettre en question les dirigeants politiques actuels, les institutions de l’après-guerre, le monde des affaires et le 1 p. 100.
La prospérité économique du Canada, en tant que pays commerçant, est étroitement liée à la réussite de son commerce international. C’est pourquoi les débats tenus à l’échelle planétaire sur l’architecture même du commerce mondial suscitent énormément d’inquiétudes. Selon un sondage réalisé par EDC et si l’on se fie aux multiples conversations avec les clients, l’avenir de l’Accord de libre-échange nord-américain est aujourd’hui le principal sujet de préoccupation des exportateurs canadiens. D’ailleurs, les déclarations provocatrices faites par le gouvernement américain tout au long des négociations viennent renforcer ce sentiment.
Face à cette situation, EDC a étudié, tout comme l’Institut C.D. Howe, les conséquences de l’annulation de l’ALENA pour l’économie canadienne. Notre travail nous a permis de conclure que le PIB canadien serait touché de façon un peu plus marquée que ce qui est prévu dans l’étude de l’Institut C.D. Howe; plus précisément, le résultat net devrait diminuer de presque 1,2 point de pourcentage sur une période de 3 à 5 ans.
Grâce aux taux de croissance actuels, cette baisse n’est pas assez importante pour nous faire plonger dans une récession, mais ses répercussions ne passeraient certainement pas inaperçues. Les échanges commerciaux en subiraient le contrecoup. Toutefois, selon notre étude, ce sont les investissements commerciaux qui seraient les plus durement touchés. Nous prévoyons, à cet égard, une baisse de 4 ou 5 p. 100 ou une diminution nette de l’ordre de 24 milliards de dollars par rapport à nos prévisions de référence.
D’après nos hypothèses, les répercussions ne seraient pas réparties de façon égale entre les exportateurs. Certains seraient touchés beaucoup plus que d’autres. En fait, certains s’en sortiraient indemnes si jamais le Canada devait passer de l’ALENA aux règles de l’Organisation mondiale du commerce en ce qui concerne le statut de « nation la plus favorisée ».
Même si l’accord commercial le plus important du Canada fait l’objet d’un débat, on cherche en même temps à conclure d’autres accords. De toute évidence, l’intérêt et la volonté sont toujours au rendez-vous pour faire avancer le programme de commerce mondial. C’est tout un soulagement puisque le marché mondial offre déjà d’immenses possibilités, et ce, à une cadence accélérée.
Des centaines de millions de personnes rejoindront les rangs de la classe moyenne des marchés émergents au cours de la prochaine décennie, selon le rapport du Conseil consultatif en matière de croissance économique, publié il y a environ un an. Ce vaste groupe de consommateurs achètera des produits et des services d’une très grande valeur que leurs économies respectives n’auront pas la capacité de fournir. La nourriture en est un bon exemple, et il s’agit d’un secteur industriel où le Canada dispose d’un vaste surplus.
Parmi ces marchés, celui de la Chine est clairement le plus dynamique. À ce titre, rappelons que le 22 décembre 2016, le Canada a entrepris des discussions avec la Chine en vue d’un éventuel accord de libre-échange entre les deux pays, ce qui est tout à fait stratégique. Un certain nombre de réunions ont eu lieu depuis, notamment une réunion entre plusieurs ministres, tenue en décembre dernier.
Entretemps, le 23 janvier, le Canada et les 10 autres membres restants du Partenariat transpacifique ont conclu des pourparlers à Tokyo, au Japon, au sujet d’un nouvel Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste.
C’est là une bonne nouvelle parce que, manifestement, les pays de la région profiteront de l’énorme dynamisme de la Chine et ouvriront de nouvelles perspectives aux exportateurs canadiens qui misent déjà sur une grande diversification du commerce dans les marchés non traditionnels. C’est ce que nous observons chez notre clientèle, mais nous essayons également de répondre aux préoccupations des exportateurs.
Cela dit, comme personne n’attend l’avènement de ces circonstances particulières, je tiens à signaler au comité que les investissements en subissent déjà les effets. La simple menace d’une éventuelle désintégration de notre plus important accord commercial entraîne une hésitation sur le plan des investissements, ce qui a déjà des répercussions sur la capacité de l’industrie et la certitude ou l’incertitude avec laquelle les exportateurs canadiens exercent leurs activités dans un tel contexte.
Les États-Unis étant de loin notre client le plus important, cet enjeu est d’une importance cruciale à ce stade-ci.
Je vais m’arrêter là, et je serai très heureux de répondre aux questions des membres du comité. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Hall.
Nous allons passer aux questions.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci beaucoup de vos exposés. Je vous suis reconnaissante de ne pas avoir joué les prophètes de malheur et de nous avoir présenté des options, ce qui était rassurant.
Monsieur Hall, j’ai été encouragée de vous entendre dire que l’exportation des produits alimentaires est quelque chose que le Canada pourrait certes envisager. Le cas échéant, le gouvernement devrait peut-être investir dès maintenant dans ce secteur, ce qui comprend nos agriculteurs et nos ressources naturelles, à mesure que nous délaissons les combustibles fossiles.
Vous pourriez peut-être répondre tous les deux à ma question : en ce qui concerne les produits alimentaires, quels investissements de la part du gouvernement seraient les bienvenus en ce moment pour veiller à ce que notre économie continue de fonctionner rondement?
M. Hall : Merci de la question. Les produits alimentaires sont d’une importance croissante parce que, devant l’ascension de la classe moyenne sur les marchés émergents, l’industrie alimentaire constitue presque le point de départ pour une économie de plus en plus prospère. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, c’est la consommation de la viande qui augmente.
Il s’agit d’une dynamique intéressante, car pour obtenir un apport calorique équivalent à celui de la viande, il faut 7 à 10 fois la même quantité de grain pour produire cette viande; autrement dit, il faut consommer une telle quantité de grain pour obtenir un apport calorique équivalent. Mon explication n’est pas trop claire, mais je pense que vous comprenez ce que je veux dire.
Cela met énormément de pression sur les cultures et les produits alimentaires dans le monde. Cette dynamique est illustrée dans l’étude réalisée par la FAO de 2012 sur cette question, qui met en évidence le fait qu’en raison de la hausse de la demande dans les marchés émergents en Chine plus particulièrement, la dépendance nette à l’égard du reste du monde augmente de 10 à 25 p. 100 environ par année après avoir tenu compte de l’inflation. Il y a peu d’éléments qui augmentent à ce point.
C’est ainsi que la demande change avec la hausse dans ce marché émergent, cette classe moyenne mieux nantie et les pressions connexes.
Le Canada n’a jamais cessé d’être un grenier pour le monde. C’est ainsi que l’on qualifiait le pays à l’époque de la reine Victoria, et cela n’a pas changé. À vrai dire, nous sommes un chef de file mondial dans un certain nombre d’aspects différents dans le secteur agricole. C’est une dynamique qui exerce des pressions non seulement sur les cultures, mais aussi sur la viande, sur les sciences agricoles, sur la machinerie agricole — qui sont très spécialisés — et sur les engrais. Nous serions portés à croire que ces cinq aspects du secteur agricole sont tous très en demande. C’est une occasion à court, moyen et long terme pour le Canada.
Des efforts ont déjà été déployés pour que l’on se concentre sur ce secteur et pour qu’il soit examiné par ISDE plus particulièrement, mais aussi par Agriculture et Agroalimentaire Canada, afin d’explorer des moyens de répondre à cette demande.
Le président : Monsieur Kronick, avez-vous quelque chose à ajouter à l’excellente question du sénateur sur les secteurs sur lesquels nous devrions nous pencher en tant que pays?
M. Kronick : Je vais aborder la question sous un angle légèrement différent que Peter. Je ne suis pas du tout en désaccord, mais je vais parler de quelques points que j’ai mentionnés à la fin de mon exposé, pour essayer d’encourager les organismes à établir leur siège social au Canada et à continuer de prendre de l’expansion.
Nous excellons à créer de nouvelles entreprises. Nous ne sommes pas très doués cependant à les garder ici et à leur permettre de prendre de l’expansion pour tirer les bénéfices à long terme des entreprises en croissance.
Il y a quelques raisons qui expliquent cette situation. Il y a notamment que nos prêts aux entreprises sont moins élevés que ceux de nos importants pairs internationaux. Cet écart est plus marqué pour les prêts aux petites et moyennes entreprises, les PME. Si l’on examine les taux d’intérêt, soit la différence dans les taux d’emprunt des PME par rapport à ceux des grandes sociétés, nous avons l’écart le plus élevé parmi nos pairs internationaux. Par conséquent, nous n’offrons pas d’incitatif ou, pour une raison ou une autre, nous ne consentons pas des prêts suffisamment élevés aux PME pour favoriser l’innovation. Nous devons réfléchir aux raisons pour lesquelles cette situation survient. Je soulèverais ce point.
Je me pencherais également sur les compétences que nous acquerrons ici. Nous entendons constamment parler des compétences en sciences et en génie, qui sont indéniablement importantes, mais les entreprises doivent prendre de l’expansion. Nous devons investir un peu plus et penser aux compétences dans les entreprises et dans la commercialisation qui favoriseront les gains de productivité et la mise sur pied d’entreprises que nous voulons avoir au Canada afin de créer des emplois et de nous rendre concurrentiels.
Nous serons confrontés aux changements apportés à la politique fiscale aux États-Unis, ce qui représentera indéniablement un défi au Canada.
Nous avons l’imposition des petites entreprises. Le problème avec l’imposition des petites entreprises à l’heure actuelle, c’est qu’elle crée un incitatif pour que les entreprises restent petites. Nous avons effectué des travaux à l’Institut C.D. Howe pour voir comment on peut changer cet avantage fiscal pour qu’il soit plutôt offert aux jeunes entreprises par opposition aux petites entreprises. Donc, les jeunes entreprises reçoivent ces avantages fiscaux, mais il y a au moins un incitatif pour que ces entreprises prennent de l’expansion.
Il faut penser de façon générale à la productivité et à l’innovation. Je pense que le gouvernement doit absolument penser à ces éléments pour l’avenir de notre économie.
Le sénateur Dagenais : Les États-Unis ont réduit le taux d’imposition des petites entreprises de 35 à 20 p. 100. Cette réduction exercera des pressions sur le Canada. Est-ce que c’est une différence?
M. Hall : C’est une question très importante, et c’est l’une des principales questions auxquelles je dois répondre dans mes voyages.
C’est une source de préoccupation importante pour les exportateurs canadiens. Nous bénéficions depuis longtemps d’un avantage fiscal pour les entreprises par rapport aux États-Unis, comme vous l’avez justement souligné. Selon certaines études, nous sommes concurrentiels à un taux d’environ 25 p. 100. La réduction à 21 p. 100 est une source de préoccupation.
Ce n’est pas encore un fait accompli, car plusieurs modifications ont été apportées à la structure de ce taux d’imposition. Il y a le changement absolu du taux d’imposition, mais il y a des exclusions. Il y a des crédits qui ont également été abolis à la suite de ce nouveau projet de loi, si bien que ce n’est pas qu’un changement de 35 à 21 p. 100. Par conséquent, il y a des différends concernant les répercussions nettes, les répercussions finales sur les entreprises canadiennes.
Plus précisément, le secteur de l’automobile est l’un des secteurs qui nous préoccupent le plus avec la fin de l’ALENA, et nous croyons qu’il absorbera environ la moitié des répercussions si nous adoptons le taux de l’OMC. Il y a quelques semaines, Ray Tanguay a publié son rapport sur le secteur de l’automobile en Ontario dans lequel il dégage deux très grandes préoccupations concernant la compétitivité. Lorsqu’on l’a interrogé sur la modification au taux d’imposition aux États-Unis, il s’en souciait peu, car on ne savait pas trop à ce moment-là si la modification de l’impôt fédéral et la modification de l’impôt aux États-Unis auront d’importantes répercussions sur la compétitivité absolue du secteur de l’automobile au Canada par rapport aux États-Unis. J’ai trouvé cette remarque très importante, car c’était une excellente occasion de présenter cette préoccupation dans l’éventualité où cette modification perturbera ce secteur et le placera dans une situation précaire advenant la fin de l’ALENA.
Des études sont en cours à ce sujet; c’est encore très volatile. Je suis allé au Mexique plus tôt cette année, et on se préoccupait beaucoup plus de la situation entre le Mexique et les États-Unis que de la situation au Canada en raison des taux d’imposition relatifs.
Les histoires que me racontent les intervenants de l’industrie au sujet de ces changements m’interpellent, et bien que ce soit une source de préoccupation, en analysant les faits, on apaise les inquiétudes.
Le sénateur Dagenais : Si le Canada ne signe pas l’ALENA avec les États-Unis pour des raisons qui lui sont propres, pouvez-vous me décrire quelles seront les répercussions sur les entreprises canadiennes? Quelles mesures les entreprises devront-elles prendre si nous n’avons pas l’ALENA entre les États-Unis et le Canada?
M. Hall : Eh bien, je ne pense pas que personne au Canada s’empresserait de mettre fin à ses activités avec les États-Unis, où 75 p. 100 de nos exportations sont destinées. J’ai l’habitude de dire que, dans le cours normal des activités commerciales, la nécessité est mère de l’invention. Mais dans ce cas-ci, nous parlerions d’une crise comme étant mère de la transformation, et les entreprises au Canada réfléchiraient à des moyens très créatifs de régler le problème.
Lorsque nous réalisions notre analyse — et je suis certain que l’analyse de l’Institut C.D. Howe a permis d’arriver à la même conclusion —, plus de 46 p. 100 des exportations du Canada à l’heure actuelle sont déjà assujetties aux taux tarifaires de la nation la plus favorisée. Nous ne savons pas trop pourquoi, mais avec le temps, le tarif moyen de la nation la plus favorisée a baissé au point que les entreprises ont choisi de payer le tarif plutôt que de devoir se soumettre à toutes les tractations, formalités administratives, et cetera. Si l’ALENA était aboli, le statut quo serait maintenu pour 46 p. 100 des exportations canadiennes. C’est environ la moitié des exportations qui soutiendraient l’incidence du changement si jamais c’est ce qui se produisait, et on reviendrait aux taux tarifaires de la nation la plus favorisée de l’OMC.
Nous ne balayons aucunement ce problème du revers de la main, mais il est utile de savoir que les entreprises ont choisi d’adopter telle ou telle autre mesure dans différentes industries, où elles peuvent dire : « Nous absorberons ces pertes. »
Là où les entreprises sont plus pénalisées, c’est lorsque nous parlons d’une industrie où la marge bénéficiaire est déjà très faible. Une industrie très compétitive qui a une marge bénéficiaire faible est beaucoup plus touchée.
Notre analyse sur les répercussions par industrie a mesuré le changement absolu dans les taux tarifaires par rapport aux marges bénéficiaires dans l’industrie. Nous avons ensuite pris le total des exportations canadiennes, et nous avons dégagé les répercussions par industrie.
M. Kronick : En ce qui concerne les faibles taux d’imposition des entreprises aux États-Unis, je dirais notamment que tout dépendra de ce qui se passera avec l’économie américaine à la suite de l’adoption de ces faibles taux d’imposition des entreprises. Il est facile de dire que les taux seront plus faibles et stimuleront les entreprises, mais n’oubliez pas que le budget accroîtra le déficit de 1 billion de dollars. Nous parlons d’importants pourcentages chaque année qui s’ajouteront à un déficit qui est déjà énorme. À un moment donné, les taux d’imposition augmenteront à nouveau pour pouvoir payer une partie de ce déficit.
Il y aura une incidence sur l’économie qui ne sera probablement pas aussi positive si nous pensons à long terme. Une partie des décisions sur l’incidence finale doivent faire la distinction entre le court terme et le long terme.
Les dépenses du gouvernement feront vraisemblablement augmenter l’inflation, ce qui poussera le gouvernement fédéral à augmenter les taux d’intérêt, ce qui a des conséquences différentes pour le Canada.
Il y a de quoi réfléchir. Ce n’est pas aussi simple que des taux d’imposition relatifs concurrentiels.
Peter a mentionné le secteur de l’automobile. Ce qui est intéressant dans le travail que Dan a fait pour nous, c’est qu’il a découvert que le secteur de l’automobile aux États-Unis serait durement touché si l’ALENA s’effondrait et qu’on ne faisait pas intervenir l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis.
Peter a raison : c’est une question de changements sectoriels. On doit examiner les répercussions par secteur et l’incidence de ces répercussions sur les politiques. Le secteur de l’automobile et le secteur agricole aux États-Unis sont très importants et lourdement politisés. Je pense qu’il peut être ironique au final que M. Trump essaie par la suite de recueillir des votes de ceux qui ont initialement amené le Congrès à intervenir et à dire : « Non, nous n’allons pas nous débarrasser de l’ALENA. »
C’est un autre aspect auquel il faut réfléchir lorsque nous examinons les répercussions des taux d’imposition des entreprises à long terme.
Le sénateur Wetston : J’ai une question pour M. Hall et M. Kronick. Je m’intéresse à la notion de la hausse du taux d’inflation. Je pense que vous avez tous les deux lu et étudié le Rapport sur la politique monétaire que la banque a rendu public récemment et comprenez ce dont il est question ici.
C’est une question à deux volets. Je pense que M. Kronick a dit que, toutes proportions gardées, l’économie continue de faire ce qu’elle fait et que l’inflation augmente lorsque l’on fait fit de l’ALENA. Je pense que c’était votre position. Pouvez-vous m’expliquer comment vous en êtes venus à cette conclusion?
Monsieur Hall, vous avez peut-des idées à ce sujet également.
M. Kronick : Sénateur, je pense que la communication a été interrompue à la fin de votre dernière phrase. Pourriez-vous répéter votre dernière phrase sur ce que vous pensez être ma position?
Le sénateur Wetston : Si l’économie continue d’avancer dans cette direction, et je pense que c’est le cas, et si nous ne sommes plus signataires de l’ALENA, vous croyez que les taux d’intérêt vont augmenter. Je pense que c’était votre opinion. Je voulais savoir si vous êtes d’avis que le Rapport sur la politique monétaire appuie cette position d’une façon quelconque.
M. Kronick : Permettez-moi de préciser ce que je veux dire. Si la question de l’ALENA n’est pas réglée au final, je ne pense pas que l’économie réelle sera suffisamment stimulée pour générer l’inflation qui obligera la Banque du Canada à augmenter les taux d’intérêt. Le scénario est mauvais quant à ce qui se produira avec l’inflation si l’ALENA s’effondre. Peter a mentionné les tarifs. Dans les cas où les tarifs de la nation la plus favorisée ne sont pas déjà appliqués, il y aura des augmentations forcées des tarifs américains, et le Canada devra intervenir. C’est un mauvais scénario concernant l’inflation s’il y a un ralentissement de l’économie.
Mon scénario, où l’inflation augmente suffisamment pour que la Banque du Canada estime qu’il est justifié d’augmenter le taux stratégique, est un scénario où l’ALENA fait l’objet de négociations et où l’on trouve une solution à l’impasse dans laquelle nous sommes à l’heure actuelle.
Pour répondre à votre question sur le Rapport sur la politique monétaire, j’estime qu’il appuie ma position. L’incertitude entourant l’ALENA est une raison importante pour laquelle la Banque du Canada n’a pas augmenté davantage le taux au jour le jour. Elle fait valoir depuis longtemps qu’elle s’attend que nous allons combler l’écart de production, et l’inflation est essentiellement au niveau voulu en ce moment. Si c’est le cas, les théories et les données économiques laissent entendre que vous devriez avoir un taux à long terme neutre, et la Banque du Canada estime qu’il doit être entre 2,5 et 3,5. La raison pour laquelle il est moins élevé est l’incertitude entourant l’ALENA. Le Rapport sur la politique monétaire explique que c’est l’un des principaux facteurs pour lesquels le taux au jour le jour est encore à 1,5.
M. Hall : Je souscris à tout ce que M. Kronick a dit, et c’est probablement un moment marquant dans l’histoire; les économistes ne s’entendent jamais entre eux. Je souscris à tout ce qu’il a dit.
Là où je ne suis peut-être pas d’accord — nous ne sommes jamais d’accord —, c’est les positions relatives des économies du Canada et des États-Unis. Notre économie nationale est très fragile, et je l’ai mentionné dans mes remarques liminaires. Je dirais que nous sommes dans une situation où nous avons un approvisionnement excédentaire dans le marché du logement, et nous avons des consommateurs très endettés. Dans ce contexte, les taux d’intérêt croissants fragilisent l’économie. Au pays, il y a une précarité sur laquelle nous nous interrogeons.
En ce qui concerne la politique monétaire, il faut se référer à de nombreux Rapports sur la politique monétaires antérieurs de la Banque du Canada. Je suis certain que les responsables n’ont pas oublié les déclarations qu’ils ont faites sur la nécessité du marché du logement de corriger la situation et sur leurs inquiétudes concernant le niveau d’endettement des consommateurs au Canada.
Les États-Unis, d’autre part, sont dans une situation que nous considérerions comme étant une demande comprimée. C’est tout le contraire de la nôtre. Nous nous retrouvons rarement dans des positions différentes. Donc, les raisons pour lesquelles ils resserrent leur politique monétaire, c’est qu’elle est très différente de la nôtre. Par conséquent, nous nous attendons à ce que nos politiques monétaires varieront beaucoup s’il n’y a pas d’ALENA. Je souscris aux remarques de M. Kronick sur l’inflation plus faible au Canada, mais la perspective d’une inflation plus élevée aux États-Unis fera en sorte que nos banques centrales devront prendre des mesures différentes.
Le sénateur Wetston : Les instruments de politique monétaire qui sont disponibles, si nous ne sommes plus signataires de l’ALENA, sont très limités, et nous allons devoir compter sur d’autres mesures probablement pour soutenir l’économie. Dans une certaine mesure, c’est là où le sénateur Dagenais voulait en venir. Pouvez-vous nous faire part de vos observations à ce sujet?
M. Hall : Je reviendrais à la première analyse à laquelle j’ai fait référence dans mon discours préliminaire : oui, on s’attendrait à une baisse de 1,2 p. 100 du produit intérieur brut. Elle n’entraînerait pas de récession et nous n’aurions pas besoin des stimuli qui ont été nécessaires au cours de la période 2009-2010, où nous avons connu une grande récession.
Je suppose qu’on examinerait toutes les solutions possibles, mais on ne parle pas d’une profonde récession où il faut tout faire pour s’en sortir.
Le président : Monsieur Kronick, voulez-vous répondre à la question du sénateur Wetston?
M. Kronick : Non. J’allais dire que je suis d’accord avec Peter. L’analyse que nous avons réalisée donne également à penser que la baisse du PIB réel n’est probablement pas assez importante pour faire pencher la balance du côté de la récession. Elle ralentira la croissance et la banque n’augmentera probablement pas son taux directeur, mais je suis aussi d’avis que nous ne plongerons probablement pas dans une récession qui nécessitera le recours aux mêmes stimuli qu’en 2009.
En passant, nous n’avons pas eu à adopter les mêmes mesures d’assouplissement que les États-Unis et l’Europe. Nous avons pu nous en tenir au cadrage prospectif et avons maintenu de faibles taux. Nous avons aussi rattrapé certaines diminutions des taux directeurs que nous avions connues pendant la crise. Le gouverneur a lui-même fait valoir que la limite inférieure n’était peut-être plus près de zéro; il y a donc un peu de place.
Je suis d’accord avec M. Hall à ce sujet également.
Le sénateur Marwah : Je crois que nous sommes tous d’avis que les accords commerciaux sont essentiels pour le Canada, puisque nous sommes une nation commerçante. Si on laisse l’ALENA de côté un instant, je crois qu’après avoir signé les accords commerciaux — et nous en avons signé avec le Pérou, la Colombie et la Corée, pour ne nommer que ceux-là —, le temps passe et après une période de cinq à sept ans, nous affichons une balance commerciale négative. Cela signifie que les accords commerciaux ne sont plus aussi avantageux pour nous qu’ils le sont pour les autres pays. Cela me porte à croire qu’il y a d’autres obstacles structuraux au commerce et des barrières non commerciales à prendre en compte plutôt que la simple signature de ces accords. Croyez-vous que ce soit le cas?
M. Hall : C’est une excellente question. Je vais vous répondre en quelques points.
Au cours de la période d’intervention, l’économie mondiale a connu un événement cataclysmique. Le Canada a perdu le quart de son commerce presque du jour au lendemain. Certaines études qui comparent l’efficacité des accords commerciaux, même l’ALENA, font référence à cette période comme s’il s’agissait d’une période normale de croissance. Selon les points de départ et d’arrivée choisis, on peut inventer des scénarios au sujet de l’efficacité des accords commerciaux qui présentent la situation de manière inexacte. Il faut faire attention.
En ce qui a trait à la possibilité qu’on se retrouve dans une situation de déséquilibre commercial ou de déficit, cela dépend du niveau de développement à l’intérieur des deux économies. Par exemple, les États-Unis croient pour le moment qu’ils exportent des emplois vers le Mexique, ce qui est tout à fait injuste, et ils parlent du déficit commercial avec le Mexique — qui représente une fraction du déficit commercial avec la Chine, soit dit en passant — de façon négative. Étant donné son stade de développement, le Mexique consomme des biens qui ne correspondent pas à ce que produisent les États-Unis. Si, à long terme, le développement s’accroît, le commerce sera mieux équilibré.
Ce qui est naturel et qui fait partie du calcul des accords commerciaux au moment de leur création, mais qu’on oublie la plupart du temps, c’est que ces accords ne visent pas uniquement le flux des exportations et des importations; ils visent aussi l’investissement transfrontalier. Ce que les statistiques ne disent pas souvent, c’est que les installations établies dans un pays en particulier génèrent des ventes des sociétés étrangères affiliées. Ces ventes sont devenues assez importantes au fil du temps et elles font état de l’importance d’avoir une administration centrale dans l’économie nationale et de contrôler les activités réalisées à l’étranger.
À notre avis, il s’agit d’une façon très efficace de mondialiser une entreprise afin de tirer profit des avantages comparatifs des diverses nations, de créer des entreprises efficaces à l’échelle mondiale qui peuvent vendre à un public beaucoup plus large dans le monde.
Voilà les points que je voulais soulever à ce sujet. Je ne m’inquiète pas des déficits commerciaux initiaux parce que ce développement entraîne des résultats positifs.
M. Kronick : Sénateur Marwah, vous avez parlé de balances commerciales et je crois que c’est un terme un peu dangereux. Le déficit commercial n’est pas nécessairement une mauvaise chose. On peut avoir moins d’exportations et d’importations, mais un volume d’exportation supérieur au volume d’importation, et donc un surplus commercial positif. Or, si les exportations et les importations augmentent également, mais qu’elles entraînent un déficit commercial, cela ne signifie pas nécessairement que l’économie se porte moins bien, dans la mesure où la consommation et l’investissement augmentent et que les entreprises exportatrices se portent mieux, puisqu’elles utilisent les importations pour exporter des biens. L’importation peut entraîner de nombreux avantages.
Je crois que l’un des défis auxquels sont confrontés les négociateurs commerciaux canadiens avec l’administration Trump, c’est qu’elle se consacre uniquement à la balance commerciale. Je soulignerais qu’une grande partie de l’analyse montre que le déficit commercial serait pire pour les États-Unis s’ils se retiraient de l’ALENA, pour cette raison précise… Les exportations et les importations diminueront selon ces scénarios.
Nous soustrayons les exportations du PIB réel notamment pour des motifs comptables : nous risquerions autrement de les compter en double. Je crois donc qu’il est important de bien comprendre ce qu’est le déficit commercial et ce qu’il signifie pour l’économie.
Le sénateur Marwah : Je devrais peut-être reformuler ma question. J’aimerais qu’on s’éloigne du surplus ou du déficit de la balance commerciale. Je vais poser une question plus directe : y a-t-il des barrières non commerciales auxquelles on ne porte pas suffisamment attention au moment des négociations? Est-ce que nos pays dressent d’autres barrières non commerciales qui nuisent aux exportations, malgré la présence d’accords de libre-échange? Y a-t-il d’autres obstacles structuraux, à part la signature d’un accord? Parce que cela a une incidence sur l’étude. C’est ce qui nous empêche d’améliorer nos exportations.
Y a-t-il des barrières non commerciales qui nous causent du tort?
M. Hall : Nos clients nous en parlent tout le temps. Ils évoquent les pratiques commerciales déloyales.
Ce dont on a beaucoup parlé récemment, c’est l’établissement d’un accord de libre-échange dans le secteur de l’automobile, avec la Corée du Sud. Même si, sur papier, les portes sont ouvertes à l’échange des pièces automobiles entre les pays, on se demande s’il n’y a pas d’autres dispositions ou pratiques culturelles non tarifaires qui les empêchent d’entrer sur ce marché, tandis que nous ouvrons notre marché à ces biens et services.
Je crois qu’il s’agit d’un processus itératif qui se déroule sur plusieurs années et que nous précisons notre approche à l’égard des accords commerciaux de manière progressive. Donc, lorsqu’on a présenté le PTP pour la première fois, on l’a qualifié d’accord de libre-échange de prochaine génération parce qu’il abordait bon nombre de ces barrières non tarifaires dont on a parlé, notamment en ce qui a trait aux services et à la propriété intellectuelle, ce à quoi on n’aurait même pas pensé lorsqu’on a rédigé l’ALENA, par exemple. Les industries d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que celles d’hier.
Je dirais qu’il s’agit d’un processus itératif : il faut que ces éléments finissent par être enchâssés dans les nouveaux accords.
Le président : Monsieur Kronick, pourriez-vous répondre à la question du sénateur le plus brièvement possible?
M. Kronick : Bien sûr.
Je suis tout à fait d’accord. Les services représentent 70 p. 100 de l’économie à l’heure actuelle. Ce n’était pas du tout le cas lorsqu’on a entrepris les négociations de l’ALENA il y a 30 ans. Et c’est un problème avec l’administration Trump : elle se centre sur l’exportation des biens, surtout dans le secteur de l’automobile. Nous devons formuler notre argument de manière à mieux refléter la structure de notre économie actuelle, qui est dominée par les services. Ce processus itératif qui nous permet de rajuster les accords en fonction de la structure de l’économie sera l’élément clé de nos négociations futures.
Le président : Selon ce que je comprends, votre réponse à la question du sénateur Marwah est que oui, il y a d’autres obstacles au commerce dont il faudrait tenir compte.
M. Hall : C’est exact.
Le sénateur Tkachuk : Il y a quelques semaines, nous avons entendu les voix paniquées du gouvernement fédéral et d’autres, qui disaient que Donald Trump allait se retirer de l’accord de libre-échange. J’aimerais avoir vos commentaires au sujet des principaux obstacles à l’accord de libre-échange qu’on tente de négocier avec les États-Unis. Est-ce qu’il s’agit de nos offices de commercialisation, de notre industrie laitière, de notre industrie du poulet ou de notre industrie ovocole? J’aimerais une réponse de chacun d’entre vous.
M. Hall : La gestion de l’offre est certainement considérée à titre d’obstacle au commerce. Bien sûr, l’industrie laitière est scrutée à la loupe et selon ce que je comprends, à Washington, on dit que cet enjeu est là pour de bon. Donc oui, les Américains regardent cela et voient un pays qui a la capacité de produire beaucoup plus que ce qu’il consomme, qui se présente comme un pays commerçant, mais qui a toutes ces structures en place. Ils ne savent pas trop quoi en penser pour le moment. Ils ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas avoir accès à notre marché.
L’approche que semble avoir adoptée l’administration, c’est d’évoquer de temps en temps la possibilité de déchirer l’accord, mais dans les faits de se centrer sur certaines industries en particulier comme le secteur de l’automobile, le secteur laitier, l’aérospatiale et le bois d’œuvre pendant qu’ils négocient.
Dans certains cas, il y a un irritant structurel clair. Dans d’autres, on se demande pourquoi ils ont choisi de s’y attaquer. Le bois d’œuvre leur est tombé dessus, alors ils l’ont choisi.
Le sénateur Tkachuk : Ce serait bien d’avoir une certitude à cet égard parce qu’il semble que cet enjeu revienne au fil des années.
M. Kronick : Je suis d’accord avec Peter. L’administration a décidé d’adopter une approche sectorielle pour les négociations. Habituellement, elle se centre sur les secteurs déficitaires ou ceux où, à son avis, le Canada agit de manière injuste. C’est le plus important défi des négociateurs du Canada. Nous usons d’une approche plus holistique à l’égard du commerce et les États-Unis utilisent une approche sectorielle, et oublient les services. Par exemple, les États-Unis avaient un surplus de plus de 4 milliards de dollars en matière de services financiers et on n’en parle pas souvent dans le cadre des négociations parce qu’il s’agit d’un domaine où les États-Unis font très bonne figure. Ainsi, cette approche sectorielle nuit aux négociations.
Je dirais aussi que le mécanisme de règlement des différends est un irritant pour les États-Unis : ils ont l’impression d’être perdants à l’issue de ces règlements et je crois qu’il s’agit d’un gros point de friction pour eux. Je ne sais pas trop comment nous pouvons passer par-dessus cela autrement qu’en insistant sur l’importance des comités objectifs pour aborder ces différends commerciaux.
Le sénateur Tkachuk : Je suis certain qu’il y a des subventions pour l’agriculture aux États-Unis. On nous parle toujours de ce que veulent les États-Unis, mais jamais de ce que veulent les Canadiens. Qu’est-ce que nous voulons retirer de l’accord? Pourquoi croyons-nous qu’il s’agit d’un mauvais accord, que nous n’avons pas un accès suffisant? Parce que je ne l’ai pas entendu. Je me demande si c’est seulement moi qui n’écoute pas bien, mais on ne semble pas vouloir dire : « Nous savons ce que vous voulez, mais voici ce que nous voulons. » Il faut qu’il y ait des négociations. Il semble que nous soyons à la défensive alors qu’il n’y a aucune offensive.
M. Hall : En guise de réponse, je dirais que je ne suis pas au courant des conversations qui ont lieu en privé, donc je ne sais pas quelle est notre position tactique dans le cadre de ces négociations.
On a de toute évidence fait un effort pour contenir la discussion et pour aborder les négociations — et la ministre des Affaires étrangères a été très claire à ce sujet — en approchant ceux qui seraient les plus touchés par la fin de l’ALENA afin qu’ils passent le message à Washington au sujet des avantages de l’accord. Je ne peux pas m’avancer plus sur ce sujet.
M. Kronick : Aussi, je n’ai pas entendu parler de ce que nous recherchions. Je crois que le problème, c’est que nous avons passé beaucoup de temps à tenter de convaincre l’administration Trump que les choses n’allaient pas aussi mal qu’elle le prétendait. Lorsqu’on use d’une telle défense, on ne peut pas vraiment aller en offensive. Or, si nous pensions à ce qui pourrait être amélioré — et je réitère qu’il faudrait centrer nos énergies sur la modernisation d’un accord désuet —, alors nous pourrions peut-être nous placer à l’offensive.
Le sénateur Tkachuk : À mon avis, c’est exactement cela le problème. Les États-Unis vont obtenir ce qu’ils veulent, mais pas nous parce qu’il semble que nous ne sachions pas ce que nous voulons. Si on ne l’exprime pas, si on n’en parle pas, si personne n’en débat et n’explique aux gouverneurs quels sont nos problèmes, alors qu’est-ce qui arrivera?
M. Hall : On utilise le mot « modernisation » des deux côtés de la table. On ne sait pas exactement ce que cela veut dire. On peut espérer que cela signifie qu’on tiendra compte de ce qui avait été oublié.
La sénatrice Unger : J’ai une brève question. Dans quelle mesure, le cas échéant, les changements au gouvernement influent-ils sur ces enjeux? Ils ont certainement eu une incidence.
M. Hall : Ils semblent changer complètement la donne, en fait. Sur le plan idéologique, les croyances d’une personne au sujet du commerce international peuvent avoir une grande influence sur leur façon de procéder.
Ce qui est troublant, je dirais, dans la période d’après-récession, c’est que lorsque l’économie a repris des forces et que tout le monde la stimulait, même les grands défenseurs de la mondialisation et du commerce international semblaient faire demi-tour, dans des régions inusitées comme en Europe occidentale et en Chine, aussi surprenant que cela puisse paraître, et avaient émis des énoncés protectionnistes qui semblaient aller à l’encontre de ce qui s’était fait jusqu’à ce moment-là.
Pour répondre à votre question, oui, les régimes changent complètement la donne avec leur vision du commerce, mais tous les régimes peuvent changer de cap en raison des circonstances économiques changeantes.
M. Kronick : Si le Canada a réagi très fortement à l’idée d’inclure une disposition de temporisation dans l’ALENA qui ferait l’objet d’un examen tous les cinq ans, ou peu importe ce qu’a demandé l’administration Trump, c’est exactement pour cette raison, car les gouvernements peuvent changer de position tous les quatre ou cinq ans. Songez au climat d’incertitude et aux bouleversements qui découlent de cette menace concernant l’ALENA. Imaginez si cela se produisait tous les cinq ans. Ce qui fait le succès de ces accords commerciaux en partie, c’est qu’il est très difficile de les annuler une fois qu’ils ont été mis en place. Cela crée le type d’environnement permettant aux entreprises de s’établir en sachant qu’elles auront ce type de relations transfrontalières. Je pense que le Canada devrait se montrer ferme sur cette question.
Le président : Messieurs Kronick et Hall, merci beaucoup. Vous avez été des témoins remarquables et vous nous avez fourni beaucoup de renseignements. De toute évidence, vous êtes très compétents dans votre domaine, et vos connaissances nous sont très utiles. Merci beaucoup d’avoir comparu devant le comité.
Nous en sommes à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons Mme Meredith Lilly, professeure agrégée et titulaire de la Chaire des affaires internationales Simon Reisman à la Norman Paterson School of International Affairs de l’Université Carleton, et M. Walid Hejazi, professeur agrégé de commerce international à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto, qui comparaît par vidéoconférence.
Je vous souhaite la bienvenue. Je vous demanderais de ne pas prendre plus que cinq minutes chacun pour votre déclaration préliminaire et de répondre aux questions des sénateurs par la suite. Qui veut commencer?
Walid Hejazi, professeur agrégé, commerce international, Rotman School of Management, Université de Toronto, à titre personnel : Les dames d’abord.
[Français]
Meredith Lilly, professeure agrégée et titulaire de la Chaire des affaires internationales Simon Reisman, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à me joindre à vous aujourd’hui.
[Traduction]
Je suis ravie de vous parler de mes résultats de recherche sur les questions importantes que vous étudiez concernant les défis liés à la concurrence auxquels font face les importateurs et les exportateurs canadiens dans les marchés nord-américains et mondiaux.
Je peux donner mon point de vue sur les répercussions qu’auront les mesures fiscales proposées aux États-Unis sur la compétitivité du Canada, mais ma déclaration préliminaire portera sur des questions commerciales, dont la possibilité que les États-Unis se retirent de l’ALENA et l’influence sur le commerce bilatéral.
Tout d’abord, permettez-moi de parler de la possibilité que les États-Unis se retirent de l’ALENA dont il est question sur la scène politique et dans les médias. Depuis décembre dernier, je suis de moins en moins convaincue qu’une telle chose peut se produire. Bien qu’il y ait toujours un risque que le président Trump déclenche un processus de retrait à tout moment — et nous devons certainement nous préparer à cette éventualité —, à mon avis, le risque est actuellement plus faible qu’il l’était au début des négociations, en août.
Heureusement, depuis la fin du cycle de négociations de Montréal, les trois pays ont envoyé le message qu’ils veulent négocier et qu’aucun d’entre eux ne veut faire échouer l’entente. Je crois que c’est essentiel pour les importateurs et les exportateurs canadiens dont la grande majorité ne sait pas ce qui se passe exactement à la table des négociations. Ils s’en remettent aux reportages des médias pour obtenir des renseignements qui, jusqu’à tout récemment, n’ont fait qu’accentuer l’incertitude, à mon avis. Comme nous le savons, l’incertitude nuit aux affaires.
Ceci dit, je vais décrire plusieurs facteurs importants qui devraient être pris en considération advenant un retrait. Je recommanderai également des mesures que le gouvernement devrait prendre pour se préparer.
Le premier facteur concerne le passage de produits commerciaux à la frontière canado-américaine. L’an dernier, j’ai supervisé un groupe d’étudiants en maîtrise dirigé par Matthew Smith, un ancien étudiant maintenant diplômé — je suis ravie de le dire. Il s’agissait d’examiner les conséquences du resserrement des contrôles à la frontière sur le commerce bilatéral depuis les attentats du 11 septembre. De toute évidence, les circonstances de 2001 diffèrent énormément de celles d’aujourd’hui, mais il est possible qu’une administration américaine établisse des processus plus vastes qui pourraient avoir des répercussions négatives sur les échanges commerciaux entre nos deux pays.
Pour mieux comprendre les leçons à tirer à long terme, nous avons fait une revue systématique de 13 ans de recherche sur les conséquences des mesures de sécurité qui ont été prises sur les échanges bilatéraux après le 11 septembre. Globalement, nous avons constaté que le Canada en souffrait davantage que les États-Unis; que les secteurs qui ne sont pas très intégrés étaient, en fait, les plus touchés; que les petites entreprises canadiennes étaient confrontées à des défis uniques réduisant leur capacité de faire des échanges avec les États-Unis; et que la circulation d’automobiles à la frontière avait diminué considérablement au cours de cette période.
Bien que des initiatives dirigées par le gouvernement, comme le Programme d’expéditions rapides et sécuritaires — le Programme EXPRES — ait permis d’atténuer une partie de ces problèmes et se sont révélées très efficaces, globalement, elles ont été sous-utilisées en grande partie à cause des coûts et de la bureaucratie.
J’ai fourni au comité un résumé des conclusions de l’étude, et je serai ravie de répondre à toute question sur le sujet.
Auparavant, j’aimerais soulever deux autres points concernant la possibilité que les États-Unis se retirent de l’ALENA. Le premier porte sur le point de vue répandu selon lequel dans un scénario d’après-ALENA, le tarif de la NPF — nation la plus favorisée — selon les règles de l’OMC s’appliquerait. Pour la plupart des biens échangés entre le Canada et les États-Unis, il n’y aurait aucun tarif, et dans des secteurs comme celui de l’automobile, il serait de 2,5 p. 100. De plus, des études sur les règles d’origine de l’ALENA indiquent que même les règles actuelles sont trop lourdes, ce qui fait en sorte que de nombreuses entreprises ne cherchent même pas à utiliser l’avantage préférentiel conféré par l’ALENA concernant l’exemption de tarif.
Or, cette idée selon laquelle ces tarifs s’appliqueraient a amené des commentateurs à conclure que la situation ne serait vraiment pas aussi négative qu’on le croit si les États-Unis se retiraient de l’accord. Je doute fort que l’administration américaine revienne simplement aux listes tarifaires de l’OMC si elle devait faire exploser l’ALENA. Je recommande que, s’il ne l’a pas déjà fait, le gouvernement se penche sur d’autres scénarios qui incluraient l’imposition de tarifs beaucoup plus élevés et de barrières non tarifaires entre nos deux pays.
L’autre question dont j’aimerais parler concerne les dispositions relatives au séjour temporaire que comprennent les accords commerciaux. Dans le contexte nord-américain, c’est le visa TN qui permet à de nombreux professionnels canadiens de travailler aux États-Unis. Ils n’ont pas à obtenir le visa H-1B utilisé par des pays pour lesquels il n’existe pas de dispositions relatives au séjour temporaire.
Récemment, des préoccupations aux États-Unis, concernant tant la réforme de l’ALENA que du programme de visa H-1B, ont joué en faveur du Canada. Soit dit en passant, je crois que nous avons tous entendu des histoires selon lesquelles il semble que nous ayons attiré des entreprises et des travailleurs basés aux États-Unis dans le Nord en conséquence, en particulier dans le secteur de la technologie de pointe. À mon avis, c’est très positif pour le Canada. Cependant, je crois qu’il reste à savoir si notre système d’immigration plus ouvert peut rivaliser avec des changements majeurs aux États-Unis qui rendent ce pays plus attrayant que le Canada sur le plan des investissements, comme la réforme de l’impôt sur les sociétés. C’est une question que je suis en train d’étudier.
Je serai ravie de répondre aux questions sur le sujet ou sur d’autres questions touchant les négociations.
Le président : Merci beaucoup, madame Lilly.
Monsieur Hejazi.
M. Hejazi : Je vous remercie de me donner la possibilité de témoigner devant le comité. Je suis désolé de ne pas avoir pu me rendre à Ottawa, mais après tout, c’est aujourd’hui la Saint-Valentin, et j’ai rendez-vous avec ma femme pour souper.
Je suis du même avis que Mme Lilly : la possibilité d’un retrait de l’ALENA est beaucoup moins élevée aujourd’hui qu’elle ne l’a été pendant un certain temps. Je ferai des observations générales et je parlerai de ce que devrait être l’orientation de la politique commerciale.
Nous l’avons entendu à maintes reprises : le Canada est un pays commerçant. Une grande partie de notre prospérité et des millions d’emplois canadiens est directement associée à des liens avec l’économie mondiale. Cela inclut les échanges avec les États-Unis et d’autres pays, bien que nous sachions que trois quarts de nos échanges commerciaux se font avec un seul partenaire, les États-Unis, ce qui nous rend extrêmement vulnérables aux changements politiques du pays. Je crois qu’un des éléments importants de la politique commerciale du Canada, c’est qu’elle doit permettre à des entreprises canadiennes de soutenir la concurrence mondiale aux États-Unis et ailleurs. J’ai fait de nombreuses recherches sur ces questions, et j’aimerais parler au comité de deux constatations qui touchent directement la compétitivité et la productivité des entreprises canadiennes et leurs liens avec l’économie mondiale.
Jianmin Tang, collègue de la Direction des stratégies, de la recherche et des résultats à Innovation, Sciences et Développement économique Canada, et moi avons utilisé des renseignements détaillés pour chaque entreprise établie au Canada afin d’examiner sa compétitivité et sa productivité. Le document que je vous ai fourni contient un beau graphique sur la productivité des entreprises, en fonction de leur participation à l’économie mondiale. Comme l’indique le graphique, sur le plan de la fabrication, les entreprises canadiennes qui participent à l’économie mondiale sont des entreprises à forte intensité capitalistique qui paient de meilleurs salaires et ont une productivité plus élevée. Autrement dit, les entreprises qui participent à l’économie mondiale sont plus compétitives et productives que celles qui se limitent au marché canadien.
De plus — et je veux insister là-dessus —, ces entreprises ont une plus grande productivité ex ante. Qu’est-ce que j’entends par là? Ce sont de bonnes entreprises avant même qu’elles participent à l’économie mondiale, et il en résulte ce que je crois être l’un des plus importants piliers des politiques commerciales : veiller à ce que les entreprises canadiennes puissent être productives et novatrices de sorte qu’elles soient en mesure de se tailler une place dans l’économie mondiale. Nous devons nous assurer que les conditions au Canada favorisent l’innovation, la productivité et la compétitivité des entreprises.
Dans une deuxième étude qui sera bientôt publiée par Affaires mondiales Canada, M. Daniel Trefler et moi montrons les répercussions très néfastes qu’ont les mesures de protection visant l’investissement direct étranger sur la productivité des entreprises canadiennes. De telles mesures empêchent les entreprises canadiennes d’atteindre les niveaux de productivité et d’innovation nécessaires pour soutenir la concurrence dans l’économie mondiale.
Une question s’est toujours posée au cours de notre histoire : les Canadiens sont-ils des bûcherons ou des porteurs d’eau? Le Canada peut exporter des produits de base ou des biens et services indifférenciés, ou les exportations canadiennes pourraient être beaucoup plus novatrices et différenciées. Lorsque la valeur du dollar canadien est passée de 62 cents américains à la parité, entre 2002 et 2007, ce sont les produits canadiens exportés les moins différenciés et les moins novateurs qui ont été les plus durement touchés. Les produits les plus novateurs ont favorisé plus fortement la prospérité canadienne. Les entreprises canadiennes et l’économie canadienne, plus généralement, doivent prendre une place plus novatrice.
En ce qui concerne les trois points dont vous nous avez demandé de tenir compte — retrait possible, récents changements apportés à l’impôt fédéral des sociétés aux États-Unis et hausse des taux d’intérêt —, j’ai écrit une lettre d’opinion dans le Hill Times il y a à peine quelques semaines, et cinq questions sont toujours très présentes dans le différend.
Évidemment, nous préférerions que l’ALENA soit maintenu, mais le Canada ne peut pas rester signataire à n’importe quel prix. Les changements fiscaux apportés récemment aux États-Unis viennent appuyer ce point de vue. Ces changements fiscaux, parallèlement à, par exemple, la disposition de temporisation, nuiraient à l’économie canadienne et inciteraient les entreprises à déménager leurs installations à l’extérieur du Canada, aux États-Unis. Je dirais que si une disposition de temporisation est adoptée ou que le mécanisme de règlement des différends inclus dans l’ALENA est éliminé, à mon avis, le Canada devrait se retirer.
Bref, pour que la compétitivité des entreprises canadiennes s’améliore et que ces entreprises puissent être compétitives dans l’économie mondiale, il faut que la politique commerciale canadienne garantisse, premièrement, que les entreprises canadiennes ne soient pas désavantagées sur le plan fiscal; deuxièmement, qu’elles aient accès aux talents, aux technologies et à l’innovation; et, troisièmement, qu’elles aient accès à des marchés d’exportation non seulement aux États-Unis, mais ailleurs.
Merci beaucoup.
Le président : C’est très utile. Merci beaucoup, monsieur.
Nous passons aux questions. C’est notre vice-présidente qui commence.
La sénatrice Stewart Olsen : J’ai une brève question qui s’adresse aux deux témoins.
Vous avez tous les deux parlé de la « pire éventualité », mais même si le pire n’arrivait pas, que devrait faire le Canada en premier lieu pour favoriser l’innovation et accroître la productivité au pays? Je sais que c’est une grande question, mais j’aimerais entendre quelques réponses.
Mme Lilly : J’aimerais que nous ne passions pas trop de temps à envisager le pire. Il est certain que le Canada devrait axer ses efforts sur l’innovation. C’est un élément très important, tout comme la formation et le perfectionnement professionnels ainsi que l’apprentissage continu. Je sais que le G7 mettra l’accent là-dessus au cours de l’année à venir et que c’est une priorité du gouvernement. Par conséquent, c’est une bonne chose.
Je pense que certaines des difficultés que nous avons rencontrées dans notre relation avec les États-Unis résultent du fait qu’un groupe de citoyens ont été laissés pour compte soit à cause du commerce, soit à cause de changements technologiques. Je crois sincèrement qu’un changement majeur s’impose dans notre façon de voir les compétences et la formation. C’est un aspect sur lequel il nous faut nous concentrer.
En outre, strictement du point de vue commercial, il y a certes des aspects sur lesquels nous pourrions axer nos efforts. Il est important d’examiner entre autres le Programme EXPRES, qui permet à ceux qui remplissent les conditions requises de traverser la frontière de façon très efficace et cela contribue à améliorer grandement les échanges transfrontaliers pour ces personnes.
Se qualifier pour ce programme est difficile et coûte cher. Un camionneur ne doit pas avoir d’antécédents criminels, par exemple. Cela découle d’une période très axée sur la sécurité qui a suivi le 11 septembre. Je nous vois avancer dans cette direction encore une fois du côté des États-Unis, dont le gouvernement et l’administration sont axés sur la sécurité, que ce soit fondé sur des faits ou non.
Je pense qu’au Canada, nous pourrions assurément en faire plus et simplifier les processus à suivre pour traverser la frontière, ce qui se traduirait par une augmentation de la productivité et un renforcement des échanges commerciaux.
M. Hejazi : J’ajouterais que nous devons penser à la mentalité des entreprises au Canada et aux raisons pour lesquelles elles font autant d’échanges avec les États-Unis; comme nous le savons, 70 p. 100 de nos échanges commerciaux se font avec ce pays. Toute entreprise canadienne qui voudra maximiser ses profits ira aux États-Unis en raison de la taille et de la proximité de ce pays et des similarités entre nos deux pays, et je pourrais continuer.
La première chose, c’est que si faire des affaires aux États-Unis coûte plus cher, cela nuira aux entreprises canadiennes. Surtout, des entreprises canadiennes seront forcées de choisir une autre option qui rapporte moins, ce qui leur fera mal. Il faut se demander à quel point ce sera le cas.
Voici ce que nous devons faire, à mon avis.
Premièrement, il faut que les décideurs canadiens, et la politique commerciale canadienne, créent des débouchés pour le Canada. Nous devons avoir accès à un plus grand nombre de marchés, comme en Chine, en Inde, ou peu importe où c’est possible. À l’heure actuelle, exploiter ces marchés coûte tellement cher, que les États-Unis restent l’endroit où l’on maximise les profits. Nous devons faire en sorte que faire des affaires dans ces autres marchés coûte moins cher, en faisant de l’accès aux marchés la priorité.
Deuxièmement, il faut innover, et je n’insisterai jamais assez là-dessus. Même du côté des ressources naturelles brutes ou transformées que nous exportons, le Canada a un énorme excédent commercial du côté des ressources naturelles brutes. Nous exportons beaucoup de ressources extraites directement du territoire, mais nous avons un énorme déficit commercial lorsqu’il s’agit des ressources transformées.
Il est temps que le Canada se défasse de son image « de bûcherons et de porteurs d’eau » et adopte une mentalité beaucoup plus axée sur l’innovation. Je pourrais vous en parler longuement, mais je vais me limiter à une seule observation que je considère comme très importante.
Lundi dernier, j’étais à Oakville, dans une entreprise qui exporte des produits chimiques dans 50 pays partout dans le monde. J’ai demandé au PDG ce qui était le plus difficile pour une entreprise canadienne d’Oakville, en Ontario, qui veut pénétrer les marchés internationaux. Il m’a répondu que parmi les gens avec qui il interagissait au sein du gouvernement, qui l’aidaient à avoir accès à ces marchés ou à protéger ses brevets et la propriété intellectuelle, il n’y avait aucun sentiment d’urgence.
J’aimerais citer un extrait d’un rapport du Forum économique mondial :
L’enquête révèle que les entreprises canadiennes considèrent l’inefficacité de la bureaucratie gouvernementale comme étant l’un des principaux obstacles à leurs activités commerciales. Le gouvernement ne semble pas déterminé à s’attaquer à cette question.
Pour revenir à ma déclaration, sachez que le gouvernement canadien doit trouver de nouveaux débouchés pour les entreprises canadiennes et leur permettre d’être plus innovatrices pour qu’elles puissent percer sur ces marchés étrangers.
Le sénateur Tkachuk : Madame Lilly, j’ai lu un de vos gazouillis qui se lit comme suit :
L’Amérique d’abord ne m’inquiète pas… Le risque est que l’Amérique d’abord finisse par se traduire par l’Amérique seule.
Je suis sûr que vous avez été soulagée par la déclaration du président Trump à Davos, mais vous avez dit que vous craigniez au départ que le président Trump déchire l’accord de libre-échange, étant donné que le gouvernement, il y a quelques semaines, a engagé un effort médiatique pour convaincre les Canadiens que c’est ce qui allait arriver. J’ai trouvé que c’était une très mauvaise stratégie, mais il n’en demeure pas moins que c’est ce qui a été fait.
Quelle preuve aviez-vous à ce moment-là? Je n’ai jamais eu l’impression qu’ils allaient déchirer l’entente. Certaines personnes le croyaient, mais personne ne l’a jamais dit.
Mme Lilly : J’ai des opinions bien arrêtées là-dessus, car en janvier dernier, lorsqu’on a commencé à parler de la possibilité que les Américains se retirent de l’accord, j’ai commencé à vérifier les faits et il n’y avait effectivement aucune preuve à cet effet. De nombreuses organisations médiatiques m’ont contactée. J’ai dit à certaines d’entre elles qu’il n’y avait rien à dire là-dessus, et j’ai dit à d’autres que si on m’invitait à une émission, je leur expliquerais pourquoi il en est ainsi, mais bon nombre d’entre elles ne voulaient même pas transmettre ce message. Ce n’est pas sensationnaliste et cela ne fait pas la manchette : il n’y a rien à raconter.
Il y a eu un article anonyme — en fait, il a été rédigé par une personne dont on connaît l’identité — qui citait des représentants canadiens non identifiés selon lesquels le retrait par l’administration Trump était imminent. Le jour même, des journalistes aux États-Unis qui prennent leur travail très sérieux se sont rendus à la Maison-Blanche et ont dit : « Voici ce qui se passe au Canada; qu’allez-vous faire? », et la Maison-Blanche a immédiatement nié toute l’histoire.
Je suis effectivement très préoccupée par ce qui se dit sur la place publique, car au cours des derniers mois, rien ne nous a laissés croire que cela allait se produire, mise à part une volonté des journalistes ici au Canada de maintenir cette histoire.
Le sénateur Tkachuk : Je vais vous poser la même question que j’ai posée aux deux autres témoins. Selon vous, quels sont les principaux obstacles à la conclusion d’un accord avec les Américains?
Je n’ai pas vu ni entendu aucune déclaration sur ce que nous voulons dans l’accord. Il s’agit essentiellement de ce que veulent les Américains. Il n’y a pas que leur opinion qui compte; nous avons aussi notre mot à dire. Y a-t-il des secteurs en particulier sur lesquels nous devrions nous pencher pour obtenir mieux alors que les Américains négocient pour conclure une meilleure entente avec nous?
M. Hejazi : Je vais commencer par votre deuxième question sur la mesure dans laquelle il s’agit d’une entente à sens unique. Je crois sincèrement que cela témoigne de la faiblesse de la position du Canada.
Je suis d’accord avec Mme Lilly sur le fait qu’il y a une menace qui plane sur toute cette renégociation. Lorsqu’on essaie de raisonner tout cela et de voir quels sont les gains, on dit que les deux parties vont finir par s’entendre et prendre une décision dans leur intérêt respectif.
À mon avis, si on annulait l’ALENA, cela ferait encore plus mal aux Américains que si on maintenait le statu quo. Si on regarde cela d’un point de vue purement rationnel, je ne m’inquiéterais pas.
Le problème, c’est que Donald Trump agit dans une optique politique. À mon avis, il veut pouvoir dire à son électorat : « Voici une autre promesse électorale que j’ai respectée. » Il veut se rendre aux prochaines élections. Je pense qu’il est prêt à renoncer à de nombreux gains économiques s’il peut obtenir des gains politiques.
Je suis déçu qu’on se concentre uniquement sur ce que veulent les Américains : les Américains veulent se débarrasser du mécanisme de règlement des différends; ils veulent une clause de temporisation. Bien qu’elles soient admirables, toutes les propositions canadiennes consistent à établir la prochaine génération de politiques progressistes. Tout cela est bien louable, mais je ne crois pas que cela tienne la route. Il s’agit davantage de l’histoire et des gènes du gouvernement. Je ne pense pas qu’on va avoir un chapitre sur l’égalité des sexes ou les communautés autochtones, par exemple.
La faiblesse, c’est qu’il s’agit ici d’une agression des États-Unis contre le Canada par rapport aux négociations. Le seul obstacle à l’obtention d’une entente pour le Canada, ce sont les calculs politiques aux États-Unis, mais on n’a aucun contrôle là-dessus.
Mme Lilly : Je suis d’accord avec tout ce qui a été dit, mais je vais faire quelques remarques.
Nous savons qu’il y a certains secteurs qui seront plus difficiles à négocier, notamment le règlement des différends. Chose certaine, les règles sur l’origine des pièces d’automobiles poseront problème. Il y a deux volets. Tout d’abord, il y a la règle d’origine principale dotée d’une limite de 50 p. 100, qui est un non-sens et à laquelle le Mexique et le Canada ne devraient pas adhérer. Il y a ensuite la règle régionale des 85 p. 100, qui est assez compliquée et difficile pour certaines raisons, mais qui pourrait certainement faire l’objet de négociations.
Il y a aussi la disposition de temporisation, dont on a déjà parlé. Selon moi, le Canada ne devrait pas signer un accord de libre-échange qui renferme une clause de temporisation de cinq ans. Cependant, le compromis proposé par le Mexique, auquel le Canada est favorable, est un excellent compromis et ce sera le mieux que les Américains pourront obtenir. Je serais d’ailleurs surprise que les Américains le refusent; c’est une position de négociation et non pas un intérêt profond.
Il sera extrêmement difficile de s’entendre sur la question des marchés publics. Pour ce qui est des produits laitiers, du moins du côté canadien, je crois que ce sera également ardu.
Quant à ce que veut le Canada, sachez que nous prônons la modernisation. Nous étions signataires du PTP et nous continuons de l’être. Nous voulons donc les mêmes choses qui se trouvent dans le PTP afin d’avoir un ALENA moderne.
En revanche, je pense que le Canada pourrait davantage faire connaître sa position derrière des portes closes — y compris réaliser des gains au chapitre des marchés publics. Nous voulons réellement progresser dans ce dossier. Le problème, c’est que les États-Unis veulent être plus agressifs dans ce domaine.
Le sucre ne fait pas partie des discussions. Le Canada n’a presque pas accès au marché du sucre américain, mais ce qui est problématique, c’est que le Mexique et les États-Unis ont signé un accord distinct qui a essentiellement éliminé le sucre des négociations de l’ALENA. Qu’est-ce que souhaite le Canada? Nos producteurs de betteraves à sucre aimeraient certainement élargir leur marché.
L’entrée temporaire aurait été l’une des principales demandes du Canada. Nous ne l’avons pas obtenue dans le cadre du PTP. Cela n’a pas été mentionné par Robert Lighthizer dans son document de consultation déposé au Congrès. Ce document est très important parce qu’il renferme les obligations légales qui feront partie des consultations. Si certaines questions ne figurent pas dans ce document de 17 pages, publié en août et mis à jour en octobre, cela signifie que les États-Unis n’ont pas reçu le mandat de les négocier. Par conséquent, du côté des États-Unis, la question de l’entrée temporaire est exclue des négociations, alors même si c’est une chose à laquelle tient beaucoup le Canada, je n’ai pas bon espoir que nous allons l’obtenir.
Voilà donc certaines des choses qui sont importantes pour le Canada, à ma connaissance.
Le président : C’est très utile. Merci beaucoup.
Le sénateur Marwah : Monsieur Hejazi, je suis tout à fait d’accord avec vous lorsque vous dites que le contrôle et la gestion de notre PI sont absolument cruciaux, autrement, nous risquons de devenir ce que j’appelle une colonie de pays qui contrôlent la propriété intellectuelle à l’avenir.
Qu’est-ce que nous ne faisons pas à cet égard? Comment pouvons-nous mieux gérer la PI? On incite les Google de ce monde à venir ici plutôt que d’encourager les petits entrepreneurs à prendre de l’expansion et à devenir de grandes entreprises. Que devrait-on faire? J’aimerais avoir vos deux avis là-dessus.
M. Hejazi : C’est la question à cent dollars. Nous y travaillons depuis des années. Qu’est-ce qui explique la faible capacité d’innovation du Canada? Il y a beaucoup d’hypothèses à ce sujet, mais ce qui est le plus important, c’est qu’il faut encourager les entreprises canadiennes à se mondialiser davantage, c’est-à-dire au-delà des États-Unis — accéder au marché américain est relativement facile — je ne dis pas que c’est facile, mais plus facile que d’autres marchés. Dans le cadre de leur stratégie mondiale, les entreprises doivent créer des produits en vue de satisfaire ces marchés étrangers. Nous devons instaurer un climat qui amènera les entreprises canadiennes à être plus innovatrices.
Par ailleurs, sachez que les universités canadiennes, par exemple, en font très peu pour ce qui est de la commercialisation de la propriété intellectuelle. Beaucoup de gens sont étonnés d’apprendre que l’Université de Toronto consacre 1 milliard de dollars à des activités de recherche et de développement, alors qu’une très faible proportion est commercialisée. Nous avons investi dans les infrastructures ici à l’université, plus particulièrement dans ce que nous avons appelé le Creative Destruction Lab. L’Université Ryerson a le DMZ, mais essentiellement, l’idée est d’aider les entreprises canadiennes à faire preuve d’innovation.
Par contre, il y a toutes sortes de défis auxquels il faut faire face. Premièrement, il y a très peu de mesures visant à encourager l’expansion des entreprises canadiennes en raison du taux d’imposition des petites entreprises.
Deuxièmement, on incite beaucoup les entreprises canadiennes à vendre leur entreprise à une multinationale américaine comme stratégie de sortie. Il est donc très difficile, ici au Canada, de faire preuve d’innovation et de commercialiser les produits innovateurs à l’échelle internationale. Il y a toutes sortes de raisons qui expliquent ce phénomène, mais une grande partie du problème vient de l’incapacité ou de la difficulté à commercialiser la technologie.
J’aimerais revenir à ce que j’ai dit un peu plus tôt. Lorsque je suis allé dans une entreprise d’Oakville, en Ontario, il y a quelques jours, le PDG m’a dit qu’il détenait des brevets dans 15 ou 20 pays. Il exporte ses produits dans 60 pays. Il a eu beaucoup de difficulté avec le gouvernement canadien qui ne l’a pas aidé à déployer des stratégies mondiales pour lui permettre de profiter de ces brevets et d’en obtenir de nouveaux. Il a dit que les gens n’étaient pas empreints d’un sentiment d’urgence.
Je crois que cette situation difficile concernant l’ALENA devrait sonner l’alarme pour le Canada. Les États-Unis sont notre principal marché. La meilleure solution est que l’ALENA survive, mais nous ne voulons pas nous retrouver encore dans cette situation dans 5, 10 ou 20 ans, où nous sommes tributaires du marché américain. Nous devons permettre aux entreprises canadiennes d’être innovatrices et de créer de la propriété intellectuelle puis de développer des plateformes leur permettant d’évoluer sur la scène mondiale.
Le sénateur Marwah : Que pensez-vous de la gestion de la PI?
Mme Lilly : Je ne suis pas une experte en matière de PI, mais je voudrais néanmoins parler de la dynamique des parties prenantes dans le cadre des négociations commerciales.
À certains égards, il est difficile pour le gouvernement canadien d’adopter une position sur la propriété intellectuelle, en partie parce qu’au sein de l’industrie pharmaceutique, nous avons des médicaments de marque et des médicaments génériques, et ils ont des intérêts différents. On trouve également des intérêts divergents en matière de propriété intellectuelle au sein des industries de la création. Il y a des intérêts numériques par rapport au droit d’auteur, par exemple, où vous avez des innovateurs qui pensent que nous devrions assouplir les règles régissant le droit d’auteur et d’autres qui réclament des périodes beaucoup plus longues. Chaque fois que les intérêts en cause divergent au sein d’un même secteur, il devient difficile pour un pays de prendre position. C’est donc la seule chose que j’ajouterais à cela.
Il est important de noter qu’un certain nombre des dispositions très strictes en matière de propriété intellectuelle négociées dans le cadre du Partenariat transpacifique ont maintenant été suspendues. Ces dispositions avaient été réclamées par les États-Unis, en particulier en ce qui concerne les produits biologiques au sein de l’industrie pharmaceutique. Ce serait donc le domaine à surveiller pour voir comment le Canada et le Mexique tireront leur épingle du jeu sans l’appui de neuf autres pays.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Hejazi, vous avez parlé de transformation et de notre déficit. Comment expliquez-vous le fait qu’il y ait autant d’entreprises canadiennes qui fuient de l’autre côté de la frontière pour produire aux États-Unis?
M. Hejazi : Je ne sais pas si j’ai bien compris votre question, mais je vais tout de même tenter d’y répondre.
Si vous regardez les données sur l’investissement étranger, une fois que l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis a été signé en 1989 et l’ALENA en 1994, le nombre d’investissements étrangers au Canada a chuté de façon spectaculaire, parce que de nombreuses entreprises qui étaient au Canada pour approvisionner les marchés canadiens devaient être ici pour éviter de payer les droits de douane pour l’arrivée des produits au Canada. Une fois que ces tarifs ont diminué entre les deux pays, un grand nombre d’entreprises canadiennes se sont établies aux États-Unis.
Je dirais que, compte tenu des récents changements fiscaux apportés aux États-Unis, le marché américain est beaucoup plus attrayant. Les entreprises qui hésitaient à s’établir au Canada ou aux États-Unis choisissent désormais de déménager aux États-Unis.
À mon avis, ces changements fiscaux inciteront davantage d’entreprises à quitter le pays pour aller aux États-Unis.
L’un des défis de la politique commerciale est le suivant, et c’est certainement le cas avec l’AECG, l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. J’étais là lorsque l’ancien premier ministre Harper a annoncé, au centre-ville de Toronto, que nous avions signé un accord. Il a ensuite déclaré : « Il est maintenant temps que les entreprises ici présentes profitent de cet accord de libre-échange. » Mais nous devons préparer les entreprises canadiennes pour qu’elles soient innovatrices et concurrentielles et qu’elles puissent faire des affaires sur ces marchés étrangers.
Il ne faut pas oublier le principe fondamental, qui est celui de s’assurer que nos entreprises soient innovatrices pour être en mesure de faire des affaires à l’étranger. C’est une importante source de prospérité pour le Canada.
Le sénateur Dagenais : Madame Lilly, le Canada est un beau grand pays, mais j’aimerais parler de ce qui se passerait si on n’avait pas l’ALENA. Pourriez-vous nous dire quel serait l’impact du retrait de l’ALENA sur les différents secteurs de notre économie?
Mme Lilly : En ce qui concerne l’ALENA?
Le sénateur Dagenais : Oui.
Mme Lilly : D’après mes renseignements sur les conséquences du 11 septembre 2001 sur le commerce transfrontalier, l’Ontario et le Québec s’en sont les mieux tirés, parce que c’était dans leur intérêt économique. Conscients de l’urgence et de sa gravité, les gouvernements ont très rapidement signé la Déclaration sur la frontière intelligente et mis en œuvre un certain nombre de processus pour empêcher que les blocages observés dans les jours et les mois qui ont suivi le 11 septembre ne deviennent permanents.
D’autre part, la Colombie-Britannique a éprouvé beaucoup de difficultés et a été plus touchée que d’autres provinces. D’après nous, en effet, malgré leur intensité dans les deux sens à la frontière de la province, les échanges sont peu intégrés. Au Québec et en Ontario, ils sont constitués de chaînes de valeur et d’éléments globaux qui vont et viennent selon un modèle de livraison à flux tendus. En Colombie-Britannique, les camions grumiers traversent une seule fois la frontière. L’industrie n’est pas intégrée. Le transport américain vers le nord a beaucoup diminué et le transport canadien vers le sud aussi, mais un peu moins.
Nous avons observé le même phénomène en raison inverse de la taille des entreprises. Essentiellement, les grandes entreprises s’en sont mieux sorties, partout, parce qu’elles étaient mieux intégrées et que c’était plus rentable pour elles de poursuivre les échanges, tandis que les petites, en Colombie-Britannique et dans les petites provinces, ont trouvé moins avantageux d’affronter tous les maux de tête causés par le transport transfrontalier, ce qui a diminué de façon spectaculaire cette activité.
Le sénateur Wetston : Merci beaucoup à vous deux d’être ici. Je tiens à poser quelques questions générales, parce que, surtout, je pense que la politique commerciale est très technique. Tout comme nous parlons toujours du Canada comme d’une économie fondée sur les richesses naturelles — je ne répéterai pas les éternels clichés du « bûcheron » et du « porteur d’eau » — l’enjeu d’une économie fondée sur l’innovation est connu depuis des années, mais il semble que nous n’y ayons pas suffisamment donné suite.
Je pense souvent que des marchés concurrentiels sont vraiment les moteurs d’une économie de l’innovation. Est-ce que le manque d’esprit de concurrence au Canada, dans certains des secteurs dont nous discutons, explique en partie le manque, ici, d’économie de l’innovation ou d’innovations dans nos entreprises? Ensuite, croyez-vous que la politique commerciale est un catalyseur important d’une économie de l’innovation?
Mme Lilly : Je vais être brève, quitte à y revenir plus tard.
Je suis d’accord avec une observation faite plus tôt. Par boutade, on dit, au Canada, que la petite entreprise rêve de devenir assez grande pour être achetée par une entreprise américaine. Il est sûr que nous avons des difficultés à vaincre. Dans une certaine mesure — et je formule ici une observation générale, je n’ai pas de compétences dans ce domaine —, nous avons, pour beaucoup de nos objectifs commerciaux, la mentalité d’un petit pays.
Je suis un peu prudente sur le rôle de la politique commerciale comme catalyseur de l’innovation. Il est sûr que les politiques commerciales devraient, à l’avenir, faire l’objet de négociations. Dans le cas de l’ALENA, l’avenir est aux services et non aux marchandises. Dans la mesure où l’innovation représente l’avenir, nous devrions effectivement consacrer beaucoup de temps et d’énergie à réfléchir à la mesure dans laquelle les clauses techniques que nous négocions ont de l’intérêt pour l’avenir.
J’ai beaucoup écrit à ce sujet sur les règles d’origine. L’iPhone numérique est un exemple. Dans les négociations de l’ALENA, le gouvernement canadien fait des progrès sur les règles d’origine pour l’automobile. Mais je préciserais aussi qu’il importe de ne pas exagérer leur rôle dans la politique commerciale par rapport à celui de l’innovation technologique, en général.
Aux États-Unis, on aime imputer à l’ALENA beaucoup d’emplois perdus. Eh bien l’ALENA en a fait perdre une poignée. C’est prouvé, des entreprises se sont relocalisées au Mexique et dans des pays où les coûts sont moins élevés, mais, en général, les spécialistes s’accordent à dire que le responsable est en grande partie les technologies, plus que les échanges commerciaux.
Si on accepte cet argument, je suis convaincue que, dans la politique commerciale au sens large, nous devrions privilégier les échanges à l’avenir, mais j’éviterais de faire des promesses exagérées sur ce que la politique commerciale pourrait faire pour notre économie en général.
M. Hejazi : Pour ce qui concerne la concurrence, j’incite vivement le comité à mettre la main sur le rapport qu’Affaires mondiales Canada publiera d’ici un mois ou à peu près.
C’est un travail que j’ai réalisé avec le professeur Trefler de l’Université de Toronto. Nous avons examiné les répercussions des mesures canadiennes de protection contre les investissements étrangers sur la productivité et la prospérité de l’économie canadienne. Permettez que je donne l’exemple du secteur des télécommunications — je pourrais en citer d’autres pendant des heures. Mais, quand on étudie les répercussions de ces mesures sur la productivité de ce secteur et sur la prospérité de l’économie canadienne, les chiffres lourds de sens qu’on en tire permettent de conclure à l’effet paralysant de cette protection contre l’innovation et la productivité dans la plupart des industries exigeant de gros volumes de données.
Nous savons que deux des nouvelles sources d’avantage concurrentiel au Canada sont l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine. Ces mégadonnées exigent vraiment la large bande, et je suis déçu de signaler que, au Canada, on investit dans cette bande la moitié moins qu’aux États-Unis par habitant. Nous avons besoin de plus de concurrence dans les télécommunications. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi nous continuons de protéger cette industrie.
Quant aux taux d’adoption des technologies financières dans le monde, le Canada est l’un des pays où ils sont les plus faibles.
L’interface de programmation ouverte s’est répandue en Europe. Il s’ensuit que les technologies financières permettent l’intégration des données que possède l’institution financière sur son client dans ses services de technologie financière. Notre étude de la Loi sur les banques nous permet d’évaluer à 5 à 10 ans le délai qu’il faudra au système bancaire canadien pour rattraper le reste du monde.
Sur la politique commerciale, les publications universitaires préconisent pour les entreprises canadiennes l’accès à des marchés plus grands, parce que, à la marge, nous en avons besoin pour étaler le coût fixe de la recherche-développement et discipliner nos entreprises pour les rendre capables des innovations qui, dans le siècle à venir, seront sources de prospérité.
La sénatrice Wallin : J’ai une observation à faire. Ensuite je poserai une question.
Je connais vos travaux sur le monde de l’après-11 septembre 2001. Voici ce qui me dérange. Le Canada a refusé, à l’époque, l’offre de s’abriter derrière un périmètre de protection. En conséquence, la frontière s’est de plus en plus épaissie. Ensuite est survenue la double guigne du SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère. J’espère que nous ne répéterons pas l’erreur et que nous tiendrons compte de la réalité plutôt que de la rhétorique, en matière de sécurité. Qu’en pensez-vous, madame Lilly?
Hier soir, je suis allée dans une manifestation où la nouvelle ambassadrice des États-Unis au Canada et Pete Sessions, éternel membre du Congrès, originaire du Texas, ainsi que Laura Dawson parlaient de libre-échange, bien sûr, de l’ALENA. Ils ont comme jeté un regard dans notre direction et dit que la question ne serait pas réglée avant les prochaines élections de mi-mandat et les élections mexicaines. Les négociations vont bon train. Le travail avance; les clauses sont paraphées. Et, relativement à vos deux affirmations, les enjeux relèvent vraiment de la prise, au Canada même, de décisions qui ont beaucoup plus d’effet sur la croissance de notre économie et de décisions sur la nécessité d’un ALENA semblable à celui que nous avons signé à l’époque. Nous sommes ailleurs, dans une époque différente. Je n’en dirai pas plus.
Mme Lilly : Sur la première question concernant la politique américaine de plus en plus sécuritaire après le 11 septembre 2001 et un éventuel retour à cette politique, je pense que c’est vrai dans une certaine mesure. Je pense que le Canada agira d’après les faits.
Je ne suis pas certaine que l’actuelle administration américaine ne répète l’offre d’un périmètre de sécurité comme celle qu’elle aurait pu faire dans le passé. Mon observation d’hier, c’est-à-dire sur les États-Unis d’abord par opposition aux États-Unis seuls, provient d’une crainte réelle que, si ce pays croit poreuses les frontières mexicaine et canadienne, il ne nous exclue de toute manière d’une solution axée sur un périmètre. Nous devons donc répondre et réagir, mais, je l’espère, nous pouvons aussi nous préparer et essayer d’éviter les scénarios inquiétants pour la sécurité frontalière.
Dans l’échéancier de l’ALENA, les élections mexicaines ont lieu en juillet. Si l’accord n’est pas conclu d’ici mars, je prévois que la rhétorique mexicaine prendra une tournure très anti-Trump, au point qu’il sera difficile de faire progresser les discussions. Au Mexique, le calendrier présidentiel est ainsi fait que le président élu en juillet n’assume pas complètement ses fonctions avant décembre. C’est donc un long échéancier, et vous avez parlé des élections de mi-mandat aux États-Unis. Je crois donc qu’il est très probable qu’un accord de libre-échange pour l’Amérique du Nord sera renvoyé à plus tard.
Ça me fait vraiment craindre une incertitude permanente pour les entreprises canadiennes et les investissements étrangers au Canada. Les faits et les anecdotes — et je pense que vous avez soit convoqué la Banque du Canada ou que vous la convoquerez pour parler de ces enjeux — révèlent un ralentissement des investissements au Canada que je vois durer tant que la question de l’ALENA ne sera pas réglée. C’est mauvais pour les trois pays d’Amérique du Nord, pas seulement pour le Canada.
Compte tenu des mesures que l’administration américaine prend pour séduire les entreprises pour les ramener aux États-Unis, les risques que court le Canada me semblent réels. J’éprouve donc des difficultés à croire que les choses s’arrangeront si nous tenons seulement bon vraiment longtemps.
M. Hejazi : Je tire moi aussi tout à fait les mêmes conclusions sur la longueur des renégociations et l’incertitude pour le Canada. Des banques ont, je pense, publié des rapports. Je pense que la TD a annoncé hier une véritable inhibition des investissements étrangers, qui fera mal à l’économie canadienne.
Ensuite, Edward Luce, du Financial Times, est venu à l’école Rotman aujourd’hui. Il a rédigé un livre, The Retreat of Western Liberalism (le recul du libéralisme occidental). Détail important pour notre discussion, beaucoup pensent effectivement que si Trump perd les prochaines élections, on reviendra d’un coup à la normale. Son livre et ses recherches l’amènent à conclure que le Brexit, l’élection de Trump et la montée des partis d’extrême droite en Europe sont un symptôme — pour lui Trump est un symptôme — et non une cause de ce recul du libéralisme.
Pourquoi est-ce que j’en parle? Parce que si nous ne savons pas si les États-Unis vont revenir à un modèle de décision fondé sur les faits qui permet d’affirmer que, si l’ALENA profite aux deux parties, s’il avantage tout le monde, c’est qu’il est perfectible, mais que si on y met fin, ce sera préjudiciable aux deux parties. On ne saurait dire à quel moment nous reviendrons à ce modèle, ce qui m’inquiète vraiment. Voilà pourquoi je continue de souligner que nous voulons la survie de l’ALENA. C’est notre premier choix. C’est la stratégie qui maximise les profits, qui crée la prospérité. Mais je crois que nous devons aider les entreprises canadiennes à prendre beaucoup d’envergure et à devenir beaucoup plus innovantes. Il faut les aider à développer leur propriété intellectuelle et à déployer des stratégies globales, qui nous affranchissent un peu de l’économie états-unienne et, par conséquent, nous rendent vraiment un peu moins otages du calendrier politique. C’est assez triste.
Le sénateur Tkachuk : Je ne sais pas, au sujet de l’ALENA, mais j’ai beaucoup réfléchi au Brexit. Le problème de l’Union européenne, c’est d’être devenue plus qu’un accord commercial, d’être devenue une tentative pour faire de l’Europe un État à une nation, dans laquelle les Britanniques n’étaient pas heureux. Je pense que c’est là que réside une partie du problème.
Vous avez dit que la bureaucratie canadienne n’avait aucun sentiment d’urgence. Nous avons eu le même problème. Nous avons examiné le rapport sur le droit d’auteur, pour la même chose, où la propriété intellectuelle est l’un des moteurs les plus importants de l’économie. Ces fonctionnaires ne faisaient rien et prenaient des années avant d’aboutir.
Ces retards sont frustrants pour les entreprises. La faute est toujours rejetée sur les échanges commerciaux, mais à tort. Les coupables sont ailleurs. Les échanges commerciaux sont seulement l’absence de taxes. C’est tout. Ça signifie la possibilité de vendre un produit à un Américain sans se faire imposer une taxe. C’est simple. Mais c’est ce que nous avons fait, c’est ce que les bureaucrates ont fait. C’est désagréable, c’est révoltant. C’est le danger en Europe et ça fait partie du problème au Canada et aux États-Unis aussi.
M. Hejazi : Nous terminons la rédaction d’un livre intitulé Canada at 200 (le Canada à 200). Chaque année, je demande à mes étudiants dans quel autre pays que le Canada ils préféreraient vivre. Et nous savons que le Canada est l’endroit idéal, mais les causes de notre prospérité des 50 dernières années ne seront pas nécessairement celles de notre prospérité à venir. Le regard dans le rétroviseur peut nous rassurer et nous donner l’illusion que nous sommes l’un des meilleurs pays du monde, mais les données révèlent notre glissade qui se poursuit dans beaucoup de classements différents.
Je pense que ça menace l’édifice social. Je ne veux pas jouer les alarmistes, mais nous devons aider les entreprises canadiennes, notamment à être innovantes — en ce qui concerne le droit d’auteur, la propriété intellectuelle —, parce que les facteurs de la prospérité à venir diffèrent de ceux sur lesquels nous avons compté ces 50 dernières années.
Le sénateur Tkachuk : Prenez ce type de BlackBerry, qui a ressuscité une entreprise moribonde. Comment a-t-il fait? Par l’innovation.
Le président : J’ai la chance et le privilège de vous remercier tous les deux. Vous avez été des témoins formidables. Vous n’êtes que le deuxième groupe que nous accueillons pour notre étude, et vous nous avez beaucoup aidés à baliser la tâche à faire.
Comme le sénateur Tkachuk l’a fait remarquer à sa façon extrêmement efficace, le commerce, c’est important, mais il y a autre chose. Notre comité, dans les prochaines semaines, examinera les autres causes éventuelles des obstacles à la compétitivité. Je ne veux pas préjuger de quoi il s’agira.
Vous nous avez été extrêmement utiles, tous les deux, et nous pourrons très bien vous faire signe encore.
(La séance est levée.)