Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule no 40 - Témoignages du 3 mai 2018
OTTAWA, le jeudi 3 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 10 h 32, pour étudier la teneur des éléments des sections 2, 4, 5, 6, 7, 12, 16 et 19 de la partie 6 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.
Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, et bienvenue aux collègues et aux membres du grand public qui écoutent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce dans la salle ou sur le Web.
Je m’appelle Doug Black. Je suis un sénateur de l’Alberta et je suis président du comité.
Je vais demander aux sénateurs à la table de se présenter, à commencer par le sénateur Marwah.
Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Unger : Betty Unger, de l’Alberta.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.
Le sénateur Day : Joseph Day. Je viens de la région qui est inondée en ce moment.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
Le président : Merci beaucoup. Bien sûr, notre greffière et nos analystes de la Bibliothèque du Parlement nous aident habilement.
Aujourd’hui, nous entamons l’examen de la teneur des huit sections de la partie 6 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, qu’on appelle aussi la Loi d’exécution du budget.
Les honorables sénateurs ne sont pas sans savoir que notre comité doit faire rapport de ses conclusions au Sénat au plus tard le 31 mai 2018.
Comme les sénateurs le savent malheureusement aussi, en raison du décès prématuré de notre collègue, nous avons décidé d’annuler la réunion d’hier soir, de sorte que la greffière est bien sûr en train de convoquer à nouveau ces témoins.
Nous allons aujourd’hui nous concentrer sur la section 16 de la partie 6, qui modifie certaines lois régissant les institutions financières fédérales et les lois connexes.
Pour la première partie de notre réunion, je suis heureux d’accueillir les représentantes de l’Association des banquiers canadiens : Angelina Mason, avocate générale et vice-présidente, et Marina Mandal, avocate générale adjointe. Nous recevons également les représentants de l’Association canadienne des coopératives financières : Marc-André Pigeon, vice-président adjoint de la Politique du secteur financier, et Athana Mentzelopoulos, vice-présidente des Relations gouvernementales.
Merci d’être avec nous aujourd’hui. Vous pouvez commencer par vos remarques liminaires, après quoi les sénateurs auront des questions. Allez-y, s’il vous plaît.
Angelina Mason, avocate générale et vice-présidente, Association des banquiers canadiens : Je tiens à remercier le comité de son invitation pour discuter de la partie 6 du projet de loi C-74. Comme toujours, l’Association des banquiers canadiens, ou ABC, est heureuse de communiquer son point de vue sur toute nouvelle législation soumise au Parlement.
L’ABC est la voix de plus de 60 banques canadiennes et étrangères qui contribuent à l’essor et à la prospérité économique du pays. L’association préconise l’adoption de politiques publiques favorisant le maintien d’un système bancaire solide et dynamique, capable d’aider les Canadiens à atteindre leurs objectifs financiers.
Ce matin, nos commentaires visent principalement la section 16 de la partie 6 du projet de loi, qui traite des modifications à la Loi sur les banques. Le caractère évolutif du marché actuel des services financiers exige des mises à jour au cadre législatif afin que ce dernier demeure adapté aux attentes et aux besoins changeants des consommateurs. Les changements à la section 16 de la partie 6 résultent du processus de consultation entrepris par le gouvernement dans son examen périodique du cadre fédéral régissant les services financiers.
Vers la fin de mon allocution, j’aborderai également la section 12 de la partie 6, où sont décrites les mesures envisagées afin de regrouper, au sein du Centre de la sécurité des télécommunications, toutes les activités en matière de cybersécurité du gouvernement fédéral.
Au cours des récentes années, les demandes des consommateurs ont produit un grand changement dans le paysage des services financiers. Maintenant, les consommateurs s’attendent à un accès sécuritaire et pratique aux services financiers, en temps réel, n’importe quand et de n’importe où dans le monde. Afin d’offrir à leurs clients de meilleurs produits et services, les banques au Canada continuent donc d’innover et de mettre au point de nouvelles technologies.
Grâce à Internet, les services bancaires sont devenus accessibles en ligne, à partir de la maison ou du bureau. Aujourd’hui, les appareils mobiles prennent le dessus. Toute personne munie d’un téléphone intelligent se déplace avec une banque entre les mains. Et chaque banque a son application mobile qu’elle met à jour systématiquement avec de nouvelles caractéristiques. Il est maintenant possible de confirmer son identité par simple balayage de son empreinte digitale, d’envoyer de l’argent à un ami par transfert de fonds électroniques et de déposer un chèque en en prenant une photo. Dans l’intervalle de quelques années, le nombre de Canadiens qui ont recours aux services bancaires mobiles a augmenté considérablement, passant de 5 p. 100 en 2010 à 44 p. 100 en 2016. En fait, de nos jours, plus des deux tiers, ou 68 p. 100 des Canadiens effectuent la plupart de leurs opérations bancaires sur une plateforme numérique, en utilisant soit les services bancaires en ligne, soit les services bancaires mobiles.
Il est clair que les Canadiens ont adopté la technologie pour leurs activités bancaires. Nous sommes d’avis que le cadre législatif entourant les services financiers doit être modernisé afin de refléter cette réalité.
Les banques sont en faveur d’un secteur des services financiers qui soit ouvert, concurrentiel et novateur. Un nombre impressionnant de nouvelles entreprises de technologie financière ont déjà augmenté la concurrence et le choix dont bénéficient les clients dans les domaines des paiements, des placements et de l’établissement de budget.
Actuellement, des entraves contenues dans la Loi sur les banques empêchent certains types de relations entre les banques et les entreprises de technologie financière. Parmi ces entraves, notons le long processus d’approbation réglementaire et les restrictions imposées sur les types d’investissements que les banques peuvent avoir dans les entreprises de technologie financière.
Par exemple, l’investissement des banques dans une entreprise de technologie financière qui possède une petite gamme de produits dans un domaine autre que les services financiers — comme un service de livraison de nourriture — sera limité, car cette entreprise offre un service non bancaire.
Aussi, le processus d’approbation réglementaire peut prendre des mois, soit une éternité dans le monde de la technologie financière. Cette contrainte peut priver ces entreprises de la reconnaissance de marque, de la large base de clients et du partenariat que les banques sont capables de leur offrir. Pire encore, elle pourra pousser des entreprises de technologie financière canadiennes et novatrices vers d’autres pays.
Un grand nombre des mesures qui font obstacle actuellement à la collaboration entre banques et entreprises de technologie financière ont été adoptées à un temps où la notion de ces entreprises n’existait même pas et où la technologie n’était pas aussi essentielle aux produits et aux services bancaires qu’elle ne l’est de nos jours. En plus de freiner l’innovation, ces obstacles n’ont pas leur raison d’être dans un monde où la technologie fait partie intégrante des services financiers.
S’il est adopté, le projet de loi C-74 effacera de nombreux obstacles contenus dans la Loi sur les banques et permettra une plus grande collaboration entre les banques et les entreprises de technologie financière.
En outre, il faudra clarifier, dans la Loi sur les banques, la nature des activités de technologie financière que les banques peuvent entreprendre à l’interne. Plus essentiel encore serait le besoin de mettre à jour dans la Loi sur les banques les références aux types de technologies pertinentes — telles que « sites », « plateformes » et « portails » — vu que le langage contenu dans cette loi est assez obsolète.
Les consommateurs canadiens profiteront de nouveaux canaux de distribution, ainsi que de nouveaux produits, services et applications. Les entreprises de technologie financière auront accès aux capitaux, au financement, aux points de distribution et aux conseils offerts par les banques.
Par ailleurs, ces dispositions rendront le Canada plus en phase avec d’autres pays qui encouragent activement la croissance de leur secteur de technologie financière.
Je vais maintenant aborder la cybersécurité. Depuis fort longtemps, l’ABC prône une démarche concertée entre les différents paliers de gouvernement et à travers les piliers des infrastructures essentielles. Lorsque nous avons comparu devant le comité en octobre 2017 au sujet de la cybersécurité, nous avons soutenu que le cadre de la cybersécurité serait plus efficace si un seul organisme fédéral assumait la responsabilité des cybermenaces. Dans le budget de 2018, le gouvernement a annoncé la création du Centre national sur la cybersécurité et de l’Unité nationale de coordination de la lutte contre la cybercriminalité. Les changements proposés dans le projet de loi C-74 contribueront à regrouper sous un même toit l’expertise en matière de cybersécurité du gouvernement fédéral. En tant que chefs de file de la sécurité numérique, les banques sont impatientes de partager leur expertise et de participer à cette nouvelle plate-forme.
En conclusion, les modifications proposées à la section 16 favoriseront une plus grande collaboration entre les entreprises de technologie financière et les banques. S’il est adopté, le projet de loi C-74 encouragera l’innovation dans les services financiers, favorisera la concurrence et veillera à ce que les consommateurs aient accès à de meilleurs produits et services.
En ce qui a trait à la section 12, nous appuyons le regroupement de toutes les activités de cybersécurité du gouvernement fédéral au sein du Centre de la sécurité des télécommunications. La cybersécurité est en tête des priorités du secteur bancaire canadien : ces modifications contribueront à augmenter la résilience du Canada aux menaces cybernétiques.
Nous serons heureuses de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, maître Mason.
Madame Mentzelopoulos, vous pouvez y aller.
Athana Mentzelopoulos, vice-présidente, Relations gouvernementales, Association canadienne des coopératives financières : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci de nous avoir invités à vous parler aujourd’hui. L’Association canadienne des coopératives financières représente près de 260 coopératives de crédit et caisses populaires à l’extérieur du Québec. Nos membres sont des institutions financières coopératives qui offrent des services complets à plus de 5,6 millions de Canadiens.
Les coopératives de crédit apportent 6,5 milliards de dollars au PIB du pays, et nous contribuons à créer plus de 58 000 emplois directs et indirects. Les coopératives de crédit sont les seules institutions financières traditionnelles dans plus de 369 collectivités essentiellement rurales du Canada. Nous offrons aux Canadiens d’un océan à l’autre une importante solution de rechange aux grandes banques, mais il peut être difficile pour nous de soutenir la concurrence dans un marché dominé par de grandes banques, qui jouissent d’un avantage concurrentiel en raison de leur taille. Cela leur permet notamment de se conformer plus facilement aux obligations.
Nos membres étaient satisfaits de l’engagement pris dans le budget de 2018, selon lequel des changements seraient apportés pour permettre aux coopératives de crédit et à d’autres entités d’employer des termes bancaires génériques, sous réserve de communication. Nous devons remercier chaudement plusieurs membres de votre comité pour ce changement. Cet engagement se retrouve maintenant dans la modification à la Loi sur les banques proposée dans le projet de loi C-74.
Ce changement permettra à nos membres de continuer à expliquer aux Canadiens les services qu’ils offrent dans des termes qu’ils comprennent. Nous sommes reconnaissants à l’égard du ministre des Finances, des membres du caucus multipartite sur les coopératives de crédit et de votre comité pour avoir aidé les coopératives de crédit à continuer d’utiliser ces termes.
Le système des coopératives de crédit reconnaît que les décideurs fédéraux semblent inquiets de la sensibilisation des consommateurs aux structures réglementaires entourant les institutions financières, en raison, surtout, de l’émergence et de la croissance d’institutions financières non réglementées et du secteur de la technologie financière au pays. Ces préoccupations sont à l’origine de l’expression « sous réserve d’exigences liées à leur communication » qui figure dans les documents budgétaires. Cette expression signifie que les décideurs fédéraux recherchent des pratiques normalisées à propos de l’information qui est partagée avec les membres et les membres potentiels quant à l’entité qui réglemente les coopératives de crédit et offre une assurance-dépôts.
Les coopératives de crédit et les caisses populaires sont des institutions financières de dépôt réglementées qui sont les seules concurrentes des banques à l’échelle nationale depuis plus d’un siècle. Nos membres demeurent préoccupés des répercussions d’une réglementation poussée sur leur capacité à soutenir la concurrence, en particulier lorsqu’une telle réglementation ne contribue pas à la sécurité et à la solidité du secteur financier.
Les coopératives de crédit provinciales sont constituées, réglementées et assurées. Les autorités réglementaires provinciales établissent des normes prudentielles et réalisent des examens qui conviennent aux institutions de dépôt à structure coopérative. Ce sont des institutions peu exposées aux marchés des changes internationaux ou étrangers.
Bon an mal an, les coopératives de crédit sont plus performantes que d’autres institutions en matière de prêts de haute qualité. En fait, les pertes subies par les coopératives de crédit ont représenté en moyenne moins de 0,5 p. 100 du total des prêts au cours des 20 dernières années, alors que c’est plus du double pour nos concurrents. J’admets que le taux est très faible dans les deux cas. Nous attribuons cette réussite au fait que les coopératives de crédit locales connaissent ceux à qui elles prêtent.
L’assurance-dépôts provinciale offre aux membres des coopératives de crédit des protections équivalentes ou supérieures à celles qui sont offertes aux déposants bancaires. De plus, les coopératives de crédit prennent des mesures supplémentaires pour s’assurer que chaque dollar est protégé. Environ 8 à 10 p. 100 des dépôts sont détenus par les centrales de coopératives de crédit et, pour plus de sécurité, de nombreuses coopératives de crédit ont également des marges de crédit auprès d’autres institutions financières.
Je vous donne cette information parce que nous croyons que le désir de communication est probablement attribuable à une incompréhension qui subsiste parmi les décideurs à propos des structures de réglementation provinciales. La réglementation provinciale est tout aussi efficace que la réglementation des institutions financières fédérales.
Le système des caisses de crédit est déterminé à prendre les rênes de la protection des consommateurs et à veiller à ce que nous continuions de fournir un service exceptionnel. Il met à l’avant-plan l’intérêt de ses membres, sans que le gouvernement ne l’exige.
C’est pourquoi nous développons un code de marché national qui préconisera les pratiques exemplaires que nous avons apprises grâce à la prestation d’un service à la clientèle primé, et qui contribuera à leur promotion. Notre code de marché volontaire aidera les Canadiens à comprendre ce qui différencie les coopératives de crédit et les rassurera sur notre engagement à faire preuve de transparence, d’intégrité et à offrir un service à la clientèle exceptionnel.
Parmi les nombreux avantages d’un code volontaire, notons que c’est le moyen le plus efficace de s’assurer que les consommateurs comprennent le cadre de réglementation et d’assurance-dépôts de leur coopérative de crédit. En d’autres termes, nous tentons de satisfaire aux exigences de communication au moyen d’un code volontaire. Le code peut compléter ou élargir la portée des régimes réglementaires traditionnels tout en incitant la population à participer à l’élaboration, à la mise en œuvre et à la modernisation des normes. Il peut aussi aider les petites coopératives de crédit à demeurer compétitives, même si elles n’ont pas la taille nécessaire pour se conformer à de nouvelles obligations d’envergure.
Pour terminer, je tiens à souligner que je vous présente aujourd’hui l’appui des coopératives de crédit d’un océan à l’autre, qui demandent une utilisation souple de la terminologie bancaire générique et une approche raisonnable des exigences de communication. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup. À moins qu’il y ait d’autres exposés, nous allons passer aux questions.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie de vos exposés. Mes questions s’adressent à Me Mason. Elles portent principalement sur la sécurité et la protection de la sécurité de vos clients, compte tenu de l’arrivée de la technologie financière.
Comment allez-vous protéger les renseignements sur le client? Donnez-vous cette information aux entreprises de technologie financière? Vous introduisez maintenant une tierce partie. Je m’inquiète un peu de la cybersécurité. Je sais qu’il y a beaucoup de choses ici; il est question d’un établissement de cybersécurité qui aurait vu le jour dans le dernier budget. Je ne pense toutefois pas qu’il soit opérationnel. Comment diable pouvez-vous protéger les clients et veiller à la sécurité de l’information?
Mme Mason : Il y a plusieurs façons de collaborer avec les entreprises de technologie financière. Il pourrait notamment y avoir une entente de réseautage consistant à renvoyer nos clients à ces entreprises. Nous ne fournirions pas directement les renseignements sur le client; celui-ci échangerait plutôt directement avec les entreprises de technologie financière. Nous établissons des relations semblables et faisons preuve d’une diligence raisonnable importante pour garantir que les parties auxquelles nous renvoyons nos clients respectent des normes de sécurité convenables.
Dans les cas où nous collaborons directement avec des entreprises de technologie financière sur un produit et un service donné, nous sommes présents pour veiller à ce que des mesures de sécurité adéquates soient en place. La sécurité des clients demeure en tout temps une priorité absolue des banques, et nous veillons à ce que ce soit pris très au sérieux dans nos consultations auprès d’entreprises de technologie financière.
La sénatrice Stewart Olsen : Lorsqu’elles travailleront avec des entreprises de technologie financière, les banques choisiront celles auxquelles elles donneront des informations sur le client. Tout ce scénario me rend assez nerveuse. Pourriez-vous me rassurer un peu?
Mme Mason : Pardon. Les banques ne donnent pas les renseignements sur le client aux entreprises de technologie financière.
La sénatrice Stewart Olsen : Sauf si vous leur renvoyez des clients.
Mme Mason : Si un client travaille directement avec une entreprise de technologie financière, on s’attend à ce que celle-ci respecte des normes supérieures en matière de sécurité.
La sénatrice Stewart Olsen : Si je reviens à votre réponse à ma première question, vous avez parlé de renvoyer des clients aux entreprises de technologie financière. Les choisissez-vous? Je ne comprends pas.
Mme Mason : Veuillez m’excuser; la réponse est oui. Comme je l’ai dit, nous pourrions collaborer avec une entreprise de technologie financière de différentes façons, notamment au moyen d’une entente de référence. Lorsque vous dites que nous choisissions, nous envisageons les relations qui méritent selon nous d’être entretenues. Lorsque nous arrêtons notre choix, nous nous assurons d’avoir fait preuve de la diligence requise. Il y a un certain nombre d’entreprises de technologie financière auxquelles nous pourrions nous associer.
Le plus important, c’est que nous souhaitons protéger la sécurité de nos clients. Nous voulons préserver notre réputation.
Si nous nous lançons dans une telle relation, nous faisons ce choix avec tout cela à l’esprit.
La sénatrice Stewart Olsen : Je trouve cela préoccupant, mais merci de vos réponses.
Le sénateur Marwah : Encore une fois, la question s’adresse à vous deux. Je peux voir que vous êtes raisonnablement satisfaites des changements imposés dans la Loi no 1 d’exécution du budget. Je suis ravi que nous modernisions le cadre afin de composer avec l’évolution rapide de l’univers technologique d’aujourd’hui. Il y avait toutefois déjà des contraintes voulant que lorsqu’une banque investit dans une entreprise de technologie financière, celle-ci ne soit pas autorisée à investir à son tour dans une autre entreprise qui fournit des services à une compagnie de livraison. Il y avait d’autres contraintes : il arrivait que des banques doivent obtenir la permission du Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, ou du ministre des Finances, ce qui prenait parfois des mois, soit une éternité dans le monde de la technologie financière.
Avez-vous assez de marge de manœuvre? Ces règles vous laissent-elles suffisamment de souplesse pour composer avec ce nouveau monde, ou reste-t-il des contraintes qui vous désavantagent?
Mme Mason : Nous sommes ravies de ces changements. Ils fournissent la clarté et la flexibilité que nous recherchions. Ils ont été proposés avec modération. Il reste évidemment à voir les règlements, mais nous pensons que les changements nous donneront la souplesse dont nous avons besoin pour fournir nos produits et services, ainsi que pour soutenir la concurrence.
Nous devons continuer à surveiller le milieu. Les choses évoluent rapidement, mais nous sommes évidemment très satisfaites de cette orientation.
Le sénateur Marwah : Permettez-moi de poser la question inverse, dans ce cas. Si vous êtes vraiment satisfaites, y a-t-il suffisamment de contraintes adéquates sur ce que vous pouvez faire? Il y en avait auparavant qui empêchaient d’investir massivement dans les organisations commerciales. Existent-elles toujours?
Mme Mason : C’est pourquoi je dis que le ministère des Finances a adopté une démarche réfléchie et modérée. Il y a encore des contraintes. Lorsqu’il est question d’investir dans une entreprise de technologie financière qui a un service de livraison d’aliments, il faut encore que la majorité des activités soit des services financiers.
De plus, si vous recherchez un accès à d’autres types de technologie, c’est encore une fois pour soutenir les services financiers. Nous faisons toujours des activités bancaires, mais nous nous adaptons pour offrir l’expérience à laquelle nos clients s’attendent. En réalité, les consommateurs ne s’attendent pas seulement à faire des opérations bancaires.
Je vais vous donner un exemple. Un bracelet peut payer tous vos achats dans un hôtel, mais il peut aussi ouvrir la porte de votre chambre ou mesurer la distance que vous avez parcourue à la marche pendant vos vacances. Il faut donc pouvoir offrir ces activités supplémentaires et cette expérience à nos clients dans le contexte de la prestation d’un service financier. À la base, nous fournissons toujours un service financier et traitons avec des entreprises de technologie financière qui évoluent dans les services financiers.
Le sénateur Marwah : La modernisation des paiements est également un élément essentiel de la question. Je suis heureux que nous lancions un examen de la Loi canadienne sur les paiements. Il contribue à moderniser le système de paiement pour s’attaquer à l’efficacité, la sécurité et l’intégrité du système. Il y a deux plans dans le cadre de cette modernisation. Le premier consiste à moderniser le Système automatisé de compensation et de règlement, ou SACR, et l’environnement fonctionnel standard. Un autre plan se rapporte à la capacité en temps réel. Sommes-nous capables de faire les deux dans les délais dont nous avons besoin, ou devons-nous accorder la priorité à l’un par rapport à l’autre? Qu’est-ce que l’industrie en pense?
Marina Mandal, avocate générale adjointe, Association des banquiers canadiens : Les deux plans sont parallèles. Dans le cadre de la modernisation des paiements, le ministère des Finances a entrepris de travailler pendant quelques années à la surveillance des paiements de détail à l’échelle nationale — ce n’est pas peu dire. Ces activités se déroulent parallèlement au sein du gouvernement et de l’industrie.
Pour ce qui est des ressources, il y a beaucoup de pression, mais le moment est venu. Vous devez moderniser le cadre législatif des banques et les coopératives de crédit fédérales et, en même temps, vous ne pouvez pas ignorer ou reporter la modernisation des paiements à une date ultérieure. Je comprends que c’est difficile, mais tous les joueurs sont à la table, et je pense que les choses doivent bouger dans les prochaines années.
Le président : J’aimerais si possible poser une question complémentaire. Maître Mason, seriez-vous allée plus loin avec les changements?
Mme Mason : Nous aurions probablement demandé d’autres choses, mais je suis très satisfaite de ce que nous avons devant nous. Je pense que c’est assez pour soutenir la concurrence et instaurer les innovations qui nous intéressent.
Le sénateur Marwah : Est-ce que les représentants des coopératives de crédit ont des commentaires sur l’un des deux types d’investissement? Je suis certain que vous investissez dans les entreprises de technologie financière pour répondre aux besoins de vos clients. Vous sentez-vous désavantagés en raison de certaines contraintes?
Marc-André Pigeon, vice-président adjoint, Politique du secteur financier, Association canadienne des coopératives financières : À l’instar de l’ABC, nous étions satisfaits des changements proposés, en tenant compte du fait que nous n’avons qu’une coopérative de crédit fédérale, mais que plusieurs sont en formation et seront prêtes en temps voulu, nous l’espérons. En ce sens, nous sommes favorables aux changements.
En plus de manifester notre appui à l’approche générale, nous avons dit tenir compte des répercussions sur l’équilibre de la concurrence. Le marché est un oligopole dominé par cinq ou six grandes banques. Dans mon for intérieur, je crains toujours que ces grandes banques s’approprient l’espace des entreprises de technologie financière et prennent le contrôle de tout ce qui existe.
Nous avons discuté avec le ministère des Finances afin de trouver des moyens d’uniformiser les règles du jeu pour que les petites entités, les banques et les coopératives de crédit fédérales ne soient pas désavantagées par ce qui en découlera.
Le sénateur Marwah : Trouvez-vous que ce sujet est abordé adéquatement?
M. Pigeon : Il s’agit de modifications législatives du cadre. Elles ne sont pas aussi détaillées. Dans la réglementation, nous pourrions préconiser quelque chose à ce chapitre.
Mme Mason : À ce sujet, lorsque vous parlez d’entreprises de technologie financière, vous parlez de vous intégrer au milieu, et non pas de le posséder. Il faut préconiser une approche collaborative et déterminer qui est la compétition. Ce ne sont pas seulement des banques, mais aussi d’autres types d’entreprises. Nous parlons ici de nous intégrer à l’industrie sans être limités de telle sorte que nos clients devraient aller ailleurs pour obtenir l’expérience qu’ils recherchent et exigent avec la technologie d’aujourd’hui.
Le sénateur Wetston : Je voudrais continuer sur cette voie pour comprendre à quoi ressemblera la structure du marché.
Si je comprends bien, vous appuyez relativement ce que nous voyons dans l’étude préalable du projet de loi. Je pense que le ministère des Finances a réalisé un examen approfondi pour en arriver là.
Comment envisagez-vous l’évolution de la technologie financière, qui comprend l’intelligence artificielle, l’apprentissage artificiel, la technologie de la chaîne de blocs et les enjeux numériques dans cet environnement? Comment les choses vont-elles évoluer pour des organisations assez importantes comme Apple, Google, Amazon, les portefeuilles électroniques, les systèmes de paiement et les services financiers? C’est une question générale, mais j’aimerais savoir comment cette structure de marché va évoluer, selon vous.
Comme M. Pigeon l’a indiqué, le pouvoir de marché des banques est considérable. Je sais qu’elles investissent directement dans la technologie financière et travaillent en collaboration avec des entreprises de ce milieu. Pouvez-vous m’en donner une idée?
Mme Mason : Eh bien, la réponse comporte de nombreux volets, car il y a beaucoup de choses en jeu et différentes façons d’interagir avec les entreprises de technologie financière. À l’intérieur de ce spectre, les choses bougent et évoluent si rapidement qu’il y a diverses façons d’intervenir.
Prenons l’exemple de l’identification numérique. Cette technologie évolue dans le cadre d’un modèle fédéré. Ce sera le fruit d’une collaboration entre de nombreux intervenants du marché, tant du secteur public que du secteur privé. À ce titre, les banques ont beaucoup à apporter grâce aux efforts qu’elles déploient pour identifier leurs clients en raison du cadre législatif de lutte contre le blanchiment d’argent et de diverses autres exigences. Ainsi, notre participation au marché repose sur une approche concertée.
Dans d’autres situations, nous misons sur divers types de collaboration — parfois au moyen d’investissements et d’autres fois, sous forme de projets communs de développement.
Pour ce qui est de notre contribution dans le contexte des entreprises de technologie financière, nous mettons à profit des réseaux de distribution de marque à grande échelle et une clientèle solide. Nous assurons également la surveillance réglementaire puisque nous menons nos activités dans un cadre réglementaire rigoureux. Nos clients nous font confiance. Voilà un aspect auquel nous contribuons également.
M. Pigeon : De notre point de vue, lorsque nous pensons au secteur non bancaire, c’est-à-dire à des entités comme Google et Apple, nous gardons toujours à l’esprit la question suivante : l’organisme reçoit-il, oui ou non, des dépôts? Si une entité se lance dans ce domaine, nous voulons qu’elle soit assujettie au régime de surveillance réglementaire auquel nous sommes actuellement soumis.
Voilà pour le premier point. Il existe une préoccupation au sein de l’industrie. L’autre jour, nous nous sommes entretenus avec nos collègues de l’European Association of Co-operative Banks, et ils craignent que Google et Apple puissent se servir de leurs vastes connaissances au sujet de mes transactions, de vos courriels, et j’en passe, pour s’immiscer dans ce domaine. C’est quelque chose qui nous préoccupe. Nous devons y réfléchir sérieusement.
Permettez-moi de revenir sur l’observation à propos des banques et du secteur. On propose ici des modifications aux investissements autorisés. Les restrictions actuellement en vigueur aux termes des articles 477 et 478 font en sorte qu’il est plus difficile pour de petites entités d’effectuer certains types d’investissements. Nous avons vu ce qui s’est passé par le passé lorsque, dans la foulée de l’ouverture du secteur des fiducies et des assurances, les grandes banques se sont mises à occuper une place importante dans cette sphère d’activité. Même dans le secteur des hypothèques, dont les banques étaient jadis exclues, elles ont rapidement assumé une position dominante. Comme nous le savons à partir des exemples de Google et d’Apple, les effets de réseautage sont énormes; c’est comme un langage. Quand vous occupez une position dominante, cela tend à créer des obstacles qui empêchent les nouveaux joueurs d’entrer dans le secteur ou les petites entités existantes de soutenir la concurrence.
Le sénateur Wetston : Absolument.
M. Pigeon : Ce sont des préoccupations légitimes fondées sur ce que nous savons de la théorie économique et des trajectoires antérieures. C’est un sujet dont nous continuerons de discuter.
Le sénateur Wetston : Comme vous le savez, les trois ou quatre entités que j’ai mentionnées exercent un pouvoir considérable sur le marché mondial et elles continuent de faire des acquisitions à n’en plus finir. Les banques canadiennes ont également une grande emprise sur le marché — vous n’êtes peut-être pas d’accord là-dessus —, et elles peuvent faire beaucoup d’acquisitions, elles aussi. Il faut donc s’assurer d’avoir un marché qui fonctionne efficacement pour les petites entreprises et les consommateurs. C’est là une simple observation. J’en viens maintenant à ma question.
Je sais que vous comprenez cela sans doute mieux que moi, mais dans la sous-section B de la section 7 de la partie 6, qui porte sur les paiements… J’essaie de comprendre en quoi consistent les renseignements relatifs à la surveillance et ce que le projet de loi prévoit à cet égard. Pouvez-vous nous dire comment ces renseignements sont visés par le projet de loi et à quoi ils servent? Si la réponse est trop technique, je ne m’en ferais pas outre mesure. J’essaie simplement de comprendre comment les dispositions législatives traitent de cet aspect.
Mme Mandal : Parlez-vous des modifications à la Loi sur la compensation et le règlement des paiements?
Le sénateur Wetston : Ces dispositions portent sur les renseignements relatifs à la surveillance qui ne peuvent pas servir de preuve dans les procédures civiles, par exemple. C’est peut-être trop technique, mais j’avais du mal à comprendre pourquoi seuls le ministre des Finances, le gouverneur de la Banque du Canada, la banque ou le procureur général peuvent — sous réserve des règlements, nous verrons ce qui arrivera — utiliser ces renseignements comme preuve dans le cadre de procédures, alors que personne d’autre ne le peut.
Mme Mandal : Sénateur, pouvons-nous vous transmettre l’information?
Le sénateur Wetston : Absolument. Les fonctionnaires seraient peut-être mieux placés pour répondre à cette question. Je voulais simplement comprendre ce libellé.
Mme Mandal : Nous serons heureux de l’examiner et de vous revenir là-dessus.
Le président : Oui, faites-nous parvenir la réponse.
Mme Mason : Puis-je ajouter un mot sur l’affirmation selon laquelle les banques sont en train de tout acheter? Je veux que ce soit clair : nous pouvons collaborer avec les entreprises de technologie financière de plusieurs façons. Il y en a certaines qui ne veulent pas être achetées, qui souhaitent plutôt avoir une place dans le secteur et qui préfèrent collaborer avec de multiples institutions financières. Je ne pense pas que l’objectif soit d’acheter toutes ces entreprises. Certaines n’auront pas d’objection à se faire acheter, alors que d’autres voudront avoir leur propre place dans le secteur et miser sur la collaboration. C’est pourquoi je tiens à souligner que la capacité de collaborer est également très importante.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins de leur présence. Madame Mason, j’ai écouté votre présentation et je crois que vous avez entièrement raison. Bientôt, on n’aura plus besoin de se présenter à la banque grâce à toutes les applications disponibles. Je suis moi-même un utilisateur de ces applications, que je trouve pratiques, surtout lorsqu’on voyage beaucoup.
Ma question s’adresse aux quatre témoins. Vous représentez de très grandes associations, l’Association des banquiers canadiens et l’Association canadienne des coopératives financières. Lorsque le gouvernement prévoit de nouvelles mesures dans son budget dont certaines peuvent toucher vos activités, est-ce qu’on vous consulte? Est-ce qu’on vous demande votre opinion? Parce que cela peut influencer vos opérations.
Lorsque vos activités sont modifiées à la suite de nouvelles mesures dans le budget, savez-vous si cela entraînera ou non une augmentation des taux de cotisation pour vos membres?
[Traduction]
Mme Mason : Je vais commencer par le processus de consultation. Comme je l’ai dit au début de ma déclaration, cela faisait partie de l’examen du cadre fédéral régissant le secteur financier. Il y a eu deux processus de consultation. Nous avons donné deux réponses publiques. Ce que nous voyons dans le projet de loi, c’est la réponse du gouvernement à notre demande. Comme je l’ai mentionné, ce n’est pas exactement ce que nous avions demandé, mais il s’agit d’une approche équilibrée qui permet au gouvernement d’exercer une surveillance alors que nous entrons dans cette ère de changement. Certains règlements pertinents influeront également sur la clarté et les pouvoirs précis qui nous ont été confiés. Donc, dans ce contexte, oui, nous avons été consultés, mais maintenant que nous en sommes à l’étude du projet de loi, les observations que nous avons formulées reposent sur ce qui nous avait été présenté.
Parlons maintenant des frais. Il arrive souvent que les entreprises de technologie financière permettent de réduire les frais, ce qui est avantageux pour les consommateurs. Comme on peut le voir dans le cas des services bancaires mobiles et en ligne, les consommateurs ont ainsi le moyen d’accéder à des services bancaires qui coûtent moins cher et qui entraînent souvent une réduction des frais. Grâce à ces technologies, les clients sont également plus sensibilisés à la gestion de leurs finances, en plus d’être plus à l’affût des frais. Il existe des applications pour leur donner l’heure juste sur leurs états de compte et pour leur montrer comment transférer plus efficacement leur argent. De ce point de vue-là, ces technologies peuvent s’avérer avantageuses.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Si j’interprète bien votre réponse, plus la technologie progresse, plus les frais baissent pour la clientèle, c’est bien ça? Si c’est le cas, c’est donc une très bonne nouvelle.
[Traduction]
Mme Mason : Ce que je dis, c’est que cela peut être une bonne nouvelle.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, madame.
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : J’ai deux questions à vous poser. La première concerne le volet cybersécurité aux termes du projet de loi. J’aimerais connaître votre avis sur les récents événements mettant en cause Equifax et les données qui ont été relayées par les diverses institutions financières au Canada. Comment cette mesure législative permettra-t-elle d’éliminer le risque que vos organisations transmettent des renseignements personnels?
Mme Mason : La centralisation de l’échange de renseignements et de pratiques exemplaires sur la cybersécurité s’appliquerait à tous les secteurs financiers importants, ce qui comprend les entités de vérification de crédit. Ces entités devraient, elles aussi, veiller à la protection des renseignements de leurs clients.
La sénatrice Ringuette : Cela s’applique aux entités au Canada.
Mme Mason : Oui.
La sénatrice Ringuette : Qu’en est-il des renseignements que vous communiquez à des entités qui ne se trouvent pas au Canada?
Mme Mason : Pour ce qui est de nos activités avec des entités à l’étranger, parlez-vous des fournisseurs de services?
La sénatrice Ringuette : Je parle d’une entité comme Equifax.
Mme Mason : Dans le cas d’Equifax, ses normes de sécurité devraient être conformes à celles en vigueur sur le marché canadien. La cybersécurité comporte également une dimension internationale. Il ne s’agit pas seulement d’échanger des renseignements au Canada, mais aussi d’expliquer ce qui se passe dans d’autres pays. Voilà pourquoi un réseau centralisé pour mettre en commun les renseignements et collaborer avec des joueurs internationaux permettra d’accroître notre sensibilisation et de renforcer notre lutte pour la cybersécurité.
La sénatrice Ringuette : Monsieur le président, passons à un autre point, parce que je sais que d’autres collègues souhaitent intervenir.
Le président : C’est une très bonne question. Puis-je en poser une qui est complémentaire à la vôtre?
La sénatrice Ringuette : Oui.
Le président : Êtes-vous d’avis que les modifications prévues empêcheront, ou aideront à empêcher, un futur incident d’atteinte à la sécurité des données chez Equifax?
Mme Mason : Tout d’abord, il existe ici des lois rigoureuses sur la protection de la vie privée qui s’appliquent à Equifax, et celle-ci doit se plier à ces exigences. Lorsqu’on parle de cybersécurité dans le contexte des intervenants du secteur, toute amélioration de la cybersécurité pourrait aider à prévenir n’importe quelle forme de cyberattaque.
La sénatrice Ringuette : Il faut tout de même reconnaître que ces exigences s’appliquent au contexte canadien et nulle part ailleurs. Nous ne pouvons pas appliquer des lois canadiennes à une entité étrangère.
Cela dit, j’aimerais passer maintenant à mon autre question. Je regarde l’alinéa 312(2.2)b), qui se lit comme suit : « […] la société peut, en vertu du paragraphe (2.1), acquérir le contrôle d’une entité — et par « société », on entend ici une entité financière — « […] ou acquérir ou augmenter un intérêt de groupe financier dans une telle entité. »
J’en viens donc à ma question, et j’espère que vous la comprendrez. Une grande entité de services financiers n’est pas nécessairement une entité au sens de la Loi sur les banques du Canada. Il pourrait s’agir de services financiers électroniques, de prêts sur salaire et de toutes sortes d’autres services financiers.
Vous avez dit que vous vouliez participer à ce secteur des finances, des technologies, des fournisseurs de services, et cetera. Comment définissez-vous une « entité dont la majorité de l’activité commerciale est constituée de services financiers »? Quand je lis votre mémoire — et je m’adresse surtout à Me Mason —, j’ai le sentiment que nos institutions bancaires ne se mettront pas à offrir des prêts sur salaire, des services de commerce électronique, des services financiers électroniques comme ceux offerts par les entités que nous voyons dans l’espace public en ce moment.
Mme Mason : Ce n’est pas là le but de ce pouvoir d’investissement. Le but est de viser les entités dont la majorité de l’activité est constituée de services financiers, même si elles offrent certains services non financiers d’une nature qui nous serait interdite. Dans la mesure où il nous serait possible d’investir dans une société qui offre des services financiers, rien ne nous empêcherait de le faire si une petite proportion des services ne sont pas d’ordre financier.
La sénatrice Ringuette : Qui établirait en quoi consiste un contenu financier raisonnable pour une telle entité?
Mme Mason : Ce sera le gouvernement. La plupart des services seront prévus par règlement.
Le sénateur Tannas : Merci d’être des nôtres. Au risque d’être pédant, j’aimerais parler un peu des assurances. Je sais que nous allons entendre tout à l’heure des représentants de ce secteur.
Pourriez-vous nous indiquer clairement s’il y a quoi que ce soit ici qui permettrait aux banques de promouvoir la vente d’assurances en établissant une relation avec un intermédiaire financier ou une société de technologies financières, grâce au paiement de commissions d’aiguillage ou à la réduction des coûts d’impartition?
Permettez-moi de vous donner un exemple. J’ai pris connaissance d’une entreprise intéressante qui fait beaucoup de travail dans le domaine de la réalisation d’hypothèques pour le compte des banques, probablement parce les coûts sont attrayants. Cependant, ô surprise, cette entreprise possède également une société d’assurance de titres, et elle vend beaucoup d’assurances de titres. Je suis sûr qu’elle ne paie pas une commission aux banques. En fait, je suis sûr qu’elle est payée par les banques pour son travail de réalisation. Elle ne paie peut-être pas autant qu’elle le ferait s’il n’y avait pas d’assurances de titres.
Je me demande si c’est un exemple potentiel de l’orientation que nous prenons. Si vous pouvez me donner l’assurance relativement à nos piliers, est-ce que cela ouvre la voie à des activités qui vont au-delà de ce que je viens de décrire — ou qui correspondent peut-être à ce que je viens de décrire — et qui affaiblissent le tout?
Mme Mason : À ma connaissance, non. Ce n’est pas le but, à coup sûr. Si vous regardez la disposition sur la prestation de service, elle précise que c’est sous réserve de l’article 416. Il ne devrait y avoir aucune raison législative pour laquelle ce serait possible, et il n’y a aucune intention, à ma connaissance, pour que ce soit le cas.
La sénatrice Unger : Merci de vos exposés. J’ai une question qui fait suite à celle sur les modifications à la Loi sur les banques. Elle s’adresse à Mme Mentzelopoulos et à M. Pigeon. Le projet de loi prévoit-il toutes les modifications que vous jugez nécessaires à la Loi sur les banques? Y a-t-il des propositions de modifications auxquelles vous ne souscrivez pas?
Mme Mentzelopoulos : En ce qui concerne la terminologie bancaire, ce qui est énoncé dans le projet de loi tient compte de nos demandes. Par contre, ce qui nous inquiète, c’est la mesure dans laquelle un processus réglementaire vient restreindre cet aspect. Nous serons donc sur nos gardes.
La sénatrice Unger : Pour en revenir à la cybersécurité, beaucoup de changements sont prévus, et vous avez parlé de ces préoccupations. Je me demande si certaines choses risquent de nous échapper et de causer peut-être une fuite quelconque. Par ailleurs, il y a le nouveau Centre canadien pour la cybersécurité. Tout sera regroupé sous un même toit, pour ainsi dire. Je ne sais pas à quoi cela ressemble, mais si quelqu’un voulait vraiment nuire à notre pays, maintenant que tout est sous un même toit, cela ne facilite-t-il pas les attaques?
Mme Mason : À titre de précision, ce qui se trouve sous un même toit, c’est l’échange de renseignements pour nous protéger contre des cyberattaques. Les données en tant que telles continuent à relever des participants du secteur.
En réalité, le projet de loi permet de faciliter une approche rationalisée pour l’échange de renseignements sur les risques potentiels. L’ABC a déjà participé aux efforts multisectoriels d’échange de renseignements par l’entremise de ses membres et de ses comités pour aider à réduire les risques en matière de cybersécurité. Le projet de loi permettra de déployer des efforts au niveau national. Grâce à l’intervention du gouvernement à l’échelle nationale, il y aura beaucoup plus de joueurs dans le cadre d’une approche rationalisée. Cela ouvrira la porte à l’apprentissage et à l’établissement de relations à l’échelle internationale.
La sénatrice Unger : Cela ne permettra pas une telle éventualité?
Mme Mason : Au contraire, cela en réduit la probabilité. Ce risque est toujours présent. Les banques sont des chefs de file en matière de cybersécurité et elles ont investi des sommes considérables dans la protection contre les cyberattaques. C’est une menace permanente, et il faut tout un village pour y arriver. Il s’agit de rassembler tous les secteurs pour pouvoir nous entraider et pour éviter que l’infiltration d’une section se répercute sur une autre.
La sénatrice Unger : Merci.
Le président : J’aimerais donner suite à cette excellente question, si je peux me le permettre. Notre comité étudie actuellement la cybersécurité. J’aimerais bien connaître votre avis. Estimez-vous que le projet de loi va suffisamment loin pour contrer les menaces auxquelles nous faisons face?
Mme Mandal : Je ne veux pas dire que nous n’en sommes qu’au début, parce que la cybersécurité n’en est pas à ses balbutiements. C’est au premier plan des préoccupations des banques et des institutions financières. Nous voyons et lisons les nouvelles. Cet enjeu a certainement été à l’avant-plan de nos pensées. Cela dit, le budget et le projet de loi d’exécution du budget prévoient l’établissement du centre. De ce point de vue-là, nous n’en sommes qu’au début.
Est-ce que cela va suffisamment loin? C’est difficile à dire. C’est une mesure que nous préconisons. Nous trouvons que c’est formidable.
Pour en revenir à l’argument d’Angelina sur la rationalisation et l’instauration d’un processus efficace, l’idée de réunir autour d’une même table tous les organismes de réglementation nécessaires — du Commissariat à la protection de la vie privée au CANAFE, en passant par les ministères des Finances et de la Sécurité publique — et de permettre à ces représentants de parler à leurs homologues internationaux constitue, à notre avis, un excellent centre d’échange de connaissances et de renseignements. Au bout du compte, selon la façon dont nous serons en mesure de poursuivre sur notre lancée — et je pense que nous y arriverons, parce que c’est l’un des trois facteurs les plus déterminants pour n’importe quel intervenant qui s’occupe de renseignements de nature délicate sur les clients —, voilà qui est de très bon augure. Nous verrons comment les choses évolueront.
Le président : Parmi les recommandations que vous avez faites au gouvernement en ce qui a trait à la cybersécurité, y en a-t-il certaines qui n’ont pas été retenues durant les consultations?
Mme Mandal : Nous avons fourni des observations à Sécurité publique Canada dans le cadre de sa consultation tenue il y a quelque temps — il y a environ un an. Nos recommandations figurent dans le projet de loi d’exécution du budget; c’est exactement ce que nous avions demandé. Nous avions réclamé la création de ce centre.
Le président : Merci beaucoup. Y a-t-il des observations de la part des représentants de coopératives de crédit?
Mme Mentzelopoulos : Non, merci.
Le président : Merci bien. Passons maintenant à la deuxième série de questions, en commençant par la sénatrice Stewart Olsen.
La sénatrice Stewart Olsen : En fait, monsieur le président, je vais réserver ma question pour les fonctionnaires. Elle s’adresse davantage à eux. Merci beaucoup.
Le sénateur Wetston : Permettez-moi de faire un petit suivi sur l’innovation. Nous entendons parler de ce concept de système bancaire ouvert, concept que vous connaissez assurément puisque vous êtes dans ce milieu. Un certain nombre de pays ont créé des comités pour étudier ce concept de système ouvert dans une perspective, disons, un peu plus holistique. Je ne crois pas que cela s’est fait au Canada, est-ce que je me trompe?
Mme Mason : C’est quelque chose qui a été évoqué lors de la consultation, et le gouvernement est présentement en train d’étudier la question.
Le sénateur Wetston : Pour la gouverne du comité — et probablement pour ma propre gouverne —, pouvez-vous décrire l’incidence que ce type de système pourrait avoir sur le système bancaire actuel?
Ce matin, nous avons beaucoup parlé des technologies financières. Que pensez-vous de ce système bancaire ouvert? Comment en percevez-vous la légitimité et le potentiel de croissance?
Mme Mason : Je vais d’abord décrire en quoi consiste un système bancaire ouvert. Ce type de système rend compte d’une tendance favorable à une concurrence accrue associée au fait de permettre aux clients d’avoir un meilleur contrôle sur les données qui les concernent. C’est la possibilité pour le client de transférer ses données à un autre participant de manière à pouvoir diversifier ses choix.
Dans notre présentation, nous avons mentionné que certains marchés avaient rapidement adopté ces façons de faire parce qu’il y avait un besoin particulier à cet égard, nommément l’absence de concurrence. Il y a beaucoup de compétition dans le marché canadien. Nous nous sommes demandé si un système bancaire ouvert était approprié pour notre marché, et notre mémoire met vraiment l’accent sur les éléments clés de ce type de système. On pense au premier chef à la question de la confidentialité et du consentement client — les clients doivent savoir comment leurs données sont utilisées —, ainsi qu’à la sécurité de l’information.
Cependant, avant d’envisager une telle chose, il faut s’assurer d’avoir un cadre adéquat. Il reste que c’est une question toute neuve. Nous savons que le gouvernement est en train de l’étudier, et nous avons fait savoir que nous sommes disposés à participer à cette discussion et à y apporter nos connaissances.
Le sénateur Wetston : Merci. Quelqu’un a-t-il quelque chose à ajouter?
M. Pigeon : Je crois que nous avons fait une démarche semblable à cet égard. J’ai mentionné tout à l’heure qu’un représentant de l’European Association of Cooperative Banks était venu nous parler. Ses propos portaient précisément là-dessus — le système bancaire ouvert — et sur leur expérience en la matière. Il a repris certaines des choses que nos collègues de l’Association des banquiers canadiens ont mentionnées, comme le besoin de revoir les conditions en matière de consentement. Par exemple, si je clique pour accepter les témoins de connexion — les cookies —, cela signifie-t-il que j’accepte aussi que l’on communique mes renseignements à d’autres?
Il y a beaucoup de travail à faire, et ce, même en Europe, où l’on a décidé d’y aller à fond de train.
La question des données est très importante. Dans quelle mesure les établissements de crédit et les institutions de dépôt sont-ils responsables des fuites d’information qui profitent aux sociétés tierces de technologies financières qui utilisent ce cadre?
Je crois qu’il est important de comprendre qu’il s’agit d’un cadre législatif qui fixe une norme, du moins, dans une des conjugaisons de ce système, une norme API qui établit la forme dans laquelle les banques et les coopératives de crédit sont tenues de fournir l’information. C’est une notion fondamentale. C’est un peu comme s’il y avait une troisième langue que tout le monde devait utiliser pour communiquer. Voilà comment les données sont partagées.
Cela a des conséquences bien réelles sur la façon dont le secteur évolue — j’aimerais revenir vous en parler un de ces jours. C’est un enjeu de taille, et qui ne manque pas d’intérêt.
Mme Mason : Différentes entités ont pris différentes approches. Certaines ont misé sur quelque chose de plus réglementé et d’un peu plus organique, alors il faudra encore beaucoup d’étude avant de trouver la formule qui convient.
Le sénateur Wetston : C’est toujours une bonne nouvelle de savoir qu’il nous reste encore du travail à faire.
Le président : J’ai une dernière question. Madame Mentzelopoulos, j’ai écouté attentivement votre exposé, mais je ne suis pas certain, en fin de compte, de bien comprendre ce que vous voulez que nous retenions de vos propos. Êtes-vous irrités par le fait d’être réglementés à outrance? Est-ce que ce sont plutôt — ou aussi — les questions de divulgation qui vous préoccupent?
J’aimerais que vous nous fassiez le résumé de ce que vous voulez que nous retenions de votre excellent exposé.
Mme Mentzelopoulos : Merci. Nous craignons de nous retrouver avec un règlement extrêmement onéreux et qui sera très prescriptif au sujet de ce que les coopératives de crédit seront tenues de faire pour divulguer l’information concernant la façon dont elles sont réglementées et la provenance de l’assurance-dépôts.
Le secteur a déjà des pratiques proactives pour communiquer avec les membres et avec des membres potentiels. Nous aimerions éviter toute forme de règle en matière de divulgation et inclure cette notion dans un code à adhésion volontaire, code sur lequel nous sommes en train de travailler.
Le président : Je vois. En avez-vous parlé au ministère des Finances?
Mme Mentzelopoulos : Oui.
Le président : Puis-je vous demander quelle sorte de réaction ce point de vue suscite?
Mme Mentzelopoulos : Ils avaient l’air pensifs.
Le président : Merci beaucoup. Vos réponses m’ont beaucoup aidé.
La sénatrice Ringuette : Sauf que, vous êtes réglementés par les gouvernements provinciaux.
Mme Mentzelopoulos : Oui, nous le sommes.
La sénatrice Ringuette : Les provinces ont leurs propres arrangements en matière d’assurance-dépôts. J’essaie de faire le lien entre ce que vous disiez et le fait que nous examinions la Loi sur les banques, qui est une compétence fédérale.
Mme Mentzelopoulos : La Loi sur les banques est une loi fédérale, et c’est cette loi qui prohibait l’utilisation des termes banque, banquier et opérations bancaires. C’est toujours par l’intermédiaire de cette loi fédérale que l’on permet désormais d’utiliser les termes génériques associés à ce secteur, mais c’est la mise en œuvre de la divulgation qui nous préoccupe.
Le président : La question qu’il faut poser, c’est celle-ci : s’agit-il d’une question provinciale ou fédérale?
Mme Mentzelopoulos : C’est une question fédérale, et ce, à cause des dispositions de la Loi sur les banques.
Le sénateur Tannas : Je veux m’assurer de bien comprendre, car rappelez-vous que nous avons eu une ou deux audiences au sujet des coopératives de crédit qui voulaient utiliser les mots banque, opération bancaire, banquier, et cetera. Si je comprends bien, le compromis qui vous a été offert c’est que, oui, vous pouvez utiliser un certain vocabulaire, mais à condition que vous divulguiez qui vous êtes vraiment. Est-ce exact?
Mme Mentzelopoulos : Oui, c’est exact.
Le sénateur Tannas : C’est tout pour moi. Merci.
Le sénateur Wetston : Merci de me donner l’occasion, monsieur le président, de préciser pour les besoins du compte rendu que le Canada compte 13 organismes de réglementation des valeurs mobilières, organismes qui transigent eux aussi à divers degrés avec des entreprises de technologie financière, selon qu’elles touchent, oui ou non, aux valeurs mobilières. Certaines de ces sociétés sont dans cette sphère, qu’il s’agisse d’autoriser un paiement ou de négocier l’échange de valeurs mobilières avec les moyens dont elles disposent.
Je me rends compte que nous avons affaire à une loi fédérale, sauf que nous ne devons pas oublier que le régime canadien de services financiers est un régime fragmenté. Que faites-vous de la dimension provinciale des valeurs mobilières dans ce contexte?
Mme Mandal : Excellente observation. Je crois que les initiatives telles que la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario — la CVMO — et l’EMF ont été des modèles pour nous dans un contexte fédéral. Nous avons été épatés de voir les choses formidables que la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario réussit, ces accords avec l’Australie et avec certains pays d’Europe. Donc, je comprends très bien ce que vous me dites.
Dans notre mémoire sur l’examen de la Loi sur les banques, nous avons explicitement demandé que le gouvernement fédéral — les finances fédérales, au premier chef — crée des centres d’innovation qui permettront de rassembler divers décideurs du gouvernement, puis de jeter des ponts vers les provinces et de mettre en évidence la CVMO, l’EMF et leur travail. Nous avons recommandé que des protocoles de coopération et de coordination soient mis en place pour nous permettre d’apprendre les uns des autres et d’envisager des choses comme la transposition de règles. Par exemple, nous voyons d’un très bon œil la possibilité de transposer au niveau fédéral les règles provinciales relatives aux entreprises de technologie financière, afin de permettre aux banques de faire affaire avec ces entreprises. Nous sommes à l’affût de cela. Je crois que nous avons besoin de ce premier pas à l’endroit des banques pour nous engager dans cette voie.
Le sénateur Wetston : Merci beaucoup.
La sénatrice Wallin : Ma question va également dans le même sens que celles du sénateur Black et du sénateur Tannas. Nous avons abordé ce sujet à maintes reprises avec nos amis des coopératives de crédit. Si je comprends bien ce que vous nous dites, c’est que vous pensez que le double standard qui, selon vous, s’applique aux banques et aux coopératives de crédit ne va pas seulement continuer à s’appliquer, mais bien prendre de plus en plus de place. C’est bien cela?
Mme Mentzelopoulos : En raison de la réglementation, oui. C’est ce que nous craignons.
Le président : Merci beaucoup. Cela nous a été très utile.
Je remercie chaleureusement nos experts. Comme vous pouvez le constater, c’est toujours un plaisir de comparaître devant les comités du Sénat. Nous sommes bien heureux que vous soyez là, et vous pouvez prendre congé pour le reste de la journée. Merci beaucoup.
Nous poursuivons notre étude de la teneur du projet de loi C-74, Loi no 1 d’exécution du budget de 2018.
Je suis heureux de souhaiter la bienvenue aux témoins de notre deuxième groupe d’experts. Du Digital Finance Institute, Mme Christine Duhaime, fondatrice et avocate au cabinet Duhaime, et, de l’Association canadienne des compagnies d’assurance mutuelles, M. Normand Lafrenière, président. M. Lafrenière est accompagné de Steve Masnyk, qui est directeur de SkyBridge Strategies.
Soyez les bienvenus. Merci beaucoup de vous être déplacés. Je crois que nous allons commencer par un exposé de M. Lafrenière, est-ce exact?
Normand Lafrenière, président, Association canadienne des compagnies d’assurance mutuelles : En fait, nous allons nous séparer l’exposé.
Le président : Très bien. Vous avez la parole.
Steve Masnyk, directeur, SkyBridge Strategies : Mesdames, messieurs, bonjour. Je vais partager ce temps de parole avec le président de l’Association canadienne des compagnies d’assurance mutuelles, M. Lafrenière.
L’Association canadienne des compagnies d’assurance mutuelles représente environ 76 compagnies d’assurance mutuelles canadiennes, des compagnies qui, de façon générale, assurent les résidences, les voitures et les propriétés commerciales des particuliers.
Nous sommes ici aujourd’hui pour faire part des réserves que nous avons à propos de deux articles du projet de loi C-74. Ces articles auront une incidence notable sur le régime qui gouverne actuellement les banques à charte qui évoluent dans le milieu de l’assurance ainsi que sur tous les Canadiens qui font affaire avec ces institutions.
Comme vous le savez, les gouvernements successifs ont interdit aux banques d’intervenir dans le domaine de l’assurance. La raison en est simple : lorsqu’il est question d’obtenir du crédit, les consommateurs sont extrêmement vulnérables. Il est également interdit aux banques de partager, de relayer ou d’utiliser les données bancaires de leurs clients à des fins d’assurance, et ce, de quelque façon que ce soit.
Les articles 316 et 317 du projet de loi C-74 permettraient aux banques de partager, de relayer, de vendre ou de transmettre les renseignements des clients de leurs services bancaires à de soi-disant entités de technologies financières, ces entreprises qui ont mobilisé une partie de votre conversation avec les experts du groupe précédent.
Il s’agit d’un changement d’une grande portée. Lorsqu’il est question de données bancaires, cela ne se limite pas au nom et à l’adresse du client. Cela renvoie aussi à toutes les opérations bancaires que ce client a pu faire : les comptes de chèques, les cartes de crédit, les cartes de débit, les placements, et cetera. L’entité de technologies financières récipiendaire sera d’ores et déjà en mesure de mettre au point et de financer des produits adaptés à tous les besoins, y compris, dans notre secteur, des produits d’assurance.
Comme vous le savez tous, contrairement aux banques et aux compagnies d’assurances, les entités de technologies financières ne sont pas réglementées. Nous pensons que cette mesure irresponsable risque d’avoir des conséquences majeures pour le secteur de l’assurance, certes, mais aussi pour la plupart des autres secteurs de la société.
Nous craignons que les masses de données bancaires dont disposent les banques soient utilisées à des fins qu’il nous est impossible de prévoir. Nous avons récemment vu à quoi pouvaient ressembler l’utilisation abusive et à mauvais escient des données.
[Français]
M. Lafrenière : Pour vous donner un exemple, nous sommes d’avis que les banques seront en mesure de vendre à des entreprises de technologie financière des données qui leur permettront de savoir combien vous payez vos polices d’assurance, de déterminer si vous représentez un bon risque d’assurance grâce à ces données et de vous formuler une offre de concurrence avec votre compagnie d’assurance actuelle.
Ce projet de loi permettrait de réaliser en deux étapes ce qu’une banque ne peut actuellement réaliser en une étape.
Les articles de la loi dont il est question, soit les articles 416 et 417, sont assujettis aux règlements à venir. Nous comprenons très bien ce concept. Cependant, étant donné qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle, ces articles de loi et leur impact potentiel devraient faire l’objet d’un examen approfondi. L’annonce d’un régime réglementaire à venir qui permettrait de maintenir la protection des renseignements personnels des clients bancaires tout en atteignant les objectifs énoncés dans ces deux articles du projet de loi est, à notre avis, prématurée et insuffisante à la lumière de la nécessité de protéger les renseignements personnels. Nous croyons qu’il serait prudent de retirer ces deux articles du projet de loi C-74 et de demander au Parlement d’en faire une étude exhaustive dans l’intérêt de tous les Canadiens. Nous proposons qu’une étude approfondie soit effectuée sous la rubrique « système bancaire ouvert », une initiative déjà annoncée par le ministère des Finances.
Tous les parlementaires et tous les Canadiens devraient pouvoir se prononcer sur les pouvoirs qu’ont les banques de collecter et de vendre les données personnelles des Canadiens. Alors que même Facebook est d’avis que le législateur devrait réglementer son entreprise, pourquoi devrions-nous nous hâter d’adopter la portion du projet de loi C-74 qui permettrait aux banques de partager les données bancaires des Canadiens? Merci de votre attention.
[Traduction]
Le président : Voilà qui est très intéressant.
Maître Duhaime, avez-vous quelque chose à ajouter à cela?
Christine Duhaime, fondatrice et avocate au cabinet Duhaime, Digital Finance Institute : Oui. En ce qui concerne les technologies financières, il y aura toujours une sorte de carrefour des intentions : voulons-nous oui ou non soutenir l’innovation et édifier quelque chose comme un système bancaire ouvert en permettant la circulation d’une quantité accrue de renseignements détenus de façon générale par les grandes banques et en coopérant de façon plus soutenue avec les petites entreprises de technologie bancaire? Digital Finance Institute est d’avis que, pour préserver la compétitivité, il y aurait lieu de miser sur un partage accru de l’information et d’appuyer avec plus de conviction le recours aux technologies numériques.
Le président : Avez-vous aussi un exposé à nous faire?
Mme Duhaime : Non, je n’en ai pas.
Le président : Étant donné que le sénateur Tannas doit partir tôt, nous allons commencer par lui.
Le sénateur Tannas : Vous soutenez que ceci ouvre vraiment la porte au risque que les banques se servent des données bancaires de leurs clients pour pousser la vente d’assurance. Vous avez été très clair à cet égard.
Vous avez entendu ce qu’ont dit les gens de l’Association des banquiers canadiens. Ils ont dit le contraire. Ils ont dit que ce n’était pas l’intention. Je suis d’avis que ce n’est pas suffisamment clair.
Qu’est-ce qui cloche avec ce libellé particulier? Y aurait-il lieu d’apporter un amendement? Nous allons avoir l’heure juste de la part des fonctionnaires : est-ce que c’était vraiment leur intention ou non? S’il y a lieu de clarifier le libellé de manière à ce qu’ils aient droit à tout ce qui leur plaît, soit. Cependant, si cela fait partie d’un stratagème pour faire en sorte que l’on puisse faire d’une certaine façon ce que l’on ne peut pas faire d’une autre façon tout en en tirant un avantage — que ce soit par une réduction des coûts d’un service ou des frais de recommandation, ou par l’acquisition de droits de propriété, ou par quoi que ce soit d’autre —, bref, si ce n’est vraiment pas l’intention, il nous faudra peut-être une sorte d’amendement. Qu’en pensez-vous?
M. Masnyk : C’est une excellente question. Le libellé des articles 316 et 317 qui sont proposés est fait de telle façon qu’il assujettit ces derniers à l’article 416 actuel de la Loi sur les banques, où il est question de l’interdiction. Tant sur le plan législatif que réglementaire, la loi actuelle régit la relation qui existe entre la banque et l’assureur, deux entités réglementées. Cependant, ces dispositions créent une nouvelle avenue entre les banques et les entreprises de technologie financière. Cela ne modifie pas la loi actuelle telle qu’on la connaît, cette loi qui est le mur. C’est ce qui continue d’être écrit. La relation entre une banque et un assureur restera inchangée, et ce mur restera debout. Cependant, si vous êtes en mesure de sauter par-dessus ce mur et de grimper au sommet de la clôture pour arriver face à face avec une entreprise de technologie financière, cette société, qui n’est à peu près pas réglementée, sera en mesure d’utiliser ces données bancaires pour vous proposer — comme c’est votre cas — un produit d’assurance, ou tout autre produit conforme à son secteur de prédilection.
Le mur actuel concernant la relation entre la banque et l’assureur continuera d’exister. Toutefois, ce dont il est question va au-delà du mur. En gros, disons que ces dispositions permettent de faire en deux étapes ce qu’il est interdit de faire en une étape.
Le président : Qu’arriverait-il si l’on ajoutait quelque chose comme une condition pour assurer une plus grande certitude, comme « cette disposition ne s’applique pas au secteur de l’assurance » ? Ce n’est pas quelque chose que je défends; je vous demande simplement votre avis.
M. Masnyk : C’est une question difficile, étant donné que les entreprises de technologie financière ne sont pas réglementées. Vous pouvez réglementer la banque et la façon dont la banque se comporte, mais pas l’entreprise de technologie financière qui a vendu vos données bancaires. Qui peut savoir ce que cette entreprise fera avec ces données?
M. Lafrenière : C’est ce qui a été dit. Certaines de ces entreprises de technologie financière sont constituées en vertu d’une loi provinciale; d’autres le sont en vertu d’une loi fédérale, ce qui complique la réglementation.
La sénatrice Stewart Olsen : Je partage vos craintes à l’égard de cet article particulier. Vous avez proposé quelque chose de sage, c’est-à-dire d’extraire ces articles et de les étudier séparément, car il y a probablement lieu de mieux les encadrer par la réglementation.
Je vais vous poser une question concernant les investissements liés à l’infrastructure par les sociétés d’assurances de personnes, investissements dont il est question dans le budget. La section 16 de la partie 6 modifie la Loi sur les sociétés d’assurances afin « de permettre aux sociétés d’assurance vie, sociétés de secours mutuel et sociétés de portefeuille d’assurance d’investir à long terme dans des entités d’infrastructure admissibles pour obtenir un rendement prévisible », et cetera.
Est-ce que c’est quelque chose que vous avez demandé?
M. Lafrenière : Nous sommes dans l’assurance des biens et l’assurance contre divers risques. Il est ici question de compagnies d’assurance vie. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il est tout à fait logique pour elles de pouvoir faire des investissements qui généreront des revenus et leur permettront de…
La sénatrice Stewart Olsen : Les fonctionnaires pourront peut-être répondre à cela, mais je me demande s’il s’agit d’investissements qui seraient faits par l’intermédiaire de la toute nouvelle banque de l’infrastructure que le gouvernement a mise sur pied.
M. Masnyk : Madame la sénatrice, je vous enjoins de parler à l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes. Notre organisme ne représente pas les compagnies qui sont dans l’assurance vie. C’est à eux qu’il faudrait poser la question.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci beaucoup.
Le sénateur Marwah : Pour revenir à la question des assurances, le fait est que les banques vendent de l’assurance aujourd’hui. Elles ont des filiales distinctes par l’entremise desquelles elles peuvent vendre de l’assurance. Que cela nous plaise ou non, elles sont dans le monde de l’assurance aujourd’hui. Toutes les banques ont une filiale d’assurances réglementée séparément.
Les activités des banques sont toujours réglementées par l’article 416. Même si vous allez dans une entreprise de technologie financière, elle est aussi régie par l’article 416 qui lui interdit de vendre de l’assurance. Je ne vois pas pourquoi il faut étudier cela pendant deux ans. La Loi sur les banques est déjà en retard de deux ans; c’est sept ans au lieu de cinq. Vous parlez de retarder cela pour le plaisir de le faire. Où est le problème?
M. Masnyk : Sénateur Marwah, j’ai deux points à faire valoir concernant votre question.
Premièrement, il y a un mur entre la banque et l’assureur qui lui appartient. La banque ne peut fournir aucune donnée bancaire à la compagnie d’assurances pour assurer quelqu’un. La compagnie d’assurances qui appartient à une banque part de zéro. Elle n’a pas de données bancaires pour assurer quelqu’un. Cela n’a donc pas vraiment d’importance à qui appartient la compagnie d’assurances, car il n’y a pas de transfert de données de la banque vers sa filiale. C’est mon premier point.
Deuxièmement, dans ce cas, la banque transférerait toutes les données bancaires d’un client, comme ses comptes chèques, ou 10 000 points de données, disons, à une entreprise de technologie financière. Il n’y a pas de mur comme celui qui existe entre la banque et sa filiale d’assurances. La communication de l’information se produira, même si cela n’est pas autorisé actuellement entre la banque et l’assureur. Le scénario est très différent, parce que l’entreprise de technologie financière, qui agit comme fournisseur d’assurances, ne partira pas de zéro pour vous émettre une assurance, mais aura 10 000 points de données que lui aura fournis la banque.
Le sénateur Marwah : Je ne vois pas en quoi cela est important. Disons qu’une banque fournit de l’information à une entreprise de technologie financière et que cette entreprise de technologie financière commence à vendre de l’assurance. À mon avis, c’est une bonne chose pour le consommateur, car il a alors plus de choix. C’est une saine concurrence. Tant et aussi longtemps que les profits ne retournent pas à la banque, c’est une saine concurrence. Pourquoi êtes-vous contre cela?
M. Masnyk : Je ne sais pas si beaucoup de Canadiens approuveraient l’idée que leur banque vende toutes leurs données bancaires à une entreprise de technologie financière.
Le sénateur Marwah : C’est à la banque et au consommateur d’en décider.
M. Masnyk : Eh bien, lorsque vous signez les ententes de 120 pages, à la fin, il y a une section à la page 75 qui…
Le sénateur Marwah : Mais elles sont toutes régies par l’article 416 qui dit qu’elles ne peuvent pas vendre d’assurances, alors elles ne peuvent pas le faire.
M. Masnyk : L’article 416 ne s’applique pas aux entreprises de technologie financière. Il ne s’applique qu’à la banque et à l’assureur. Tant la banque que l’assureur sont régis par l’article 416. Si on introduit un nouveau joueur, une entreprise de technologie financière, il n’est régi par aucune loi. En fait, le projet de loi ouvre la porte à un nouveau joueur. L’interdiction qui s’applique à la banque et à l’assureur demeure, mais on introduit un nouveau joueur.
M. Lafrenière : On leur permettra de faire en deux étapes ce qu’elles ne peuvent pas faire en une.
Le sénateur Marwah : Elles ne récoltent pas les profits, alors où est le problème? C’est de la saine concurrence parce que les gens ont plus de choix.
M. Masnyk : Seriez-vous d’accord pour qu’une banque vende vos données bancaires à une entreprise de technologie financière sans savoir ce qu’elle en fera?
Le sénateur Marwah : C’est à moi de décider.
Le président : Maître Duhaime, aimeriez-vous dire quelque chose?
Mme Duhaime : Oui. Merci de me l’offrir.
Je pense que ce qu’on ne dit pas, et que tout le monde a à l’esprit, même l’Association des banquiers canadiens, c’est le coût élevé de recruter un nouveau client, que ce soit pour une banque, une bourse de monnaies numériques ou une compagnie d’assurances, en raison des lois contre le blanchiment d’argent. On parle de centaines de dollars par client pour le recruter, lui ouvrir un compte, recueillir ses données, les protéger et avoir une politique sur la confidentialité. C’est un des aspects de la prestation de services financiers qui coûte cher.
Un des enjeux importants en Europe au sujet du concept de système bancaire ouvert a été le suivant : nous avons investi beaucoup d’argent pour bâtir une industrie bancaire ou de services financiers et nous avons créé des données qui, même si elles appartiennent aux consommateurs, sont aussi notre propriété en tant qu’institution financière. Et maintenant, si je suis une banque, on me demande de communiquer gratuitement ces données à une entreprise de technologie financière. Vous venez donc de perdre votre investissement, car on vous oblige maintenant par une loi à communiquer les données. Pour toutes les entreprises de services financiers, c’est là où se situe la question de la concurrence. Vous avez investi et on vous demande maintenant de communiquer l’information gratuitement. Personne ne semble examiner cet enjeu, et c’est un enjeu important au Canada.
Au sujet des entreprises de technologie financière, il est vrai de dire qu’on pourrait remettre l’information à une entreprise qui n’est pas aussi bien réglementée qu’une banque. Dans une banque, contrairement à une entreprise de technologie financière, les postes d’administrateurs ou de dirigeants ne peuvent être occupés par les mêmes personnes. Ils n’ont pas le même type de formation, sans doute pas la même instruction, et on leur transfère des renseignements de nature délicate sur les clients. On leur demande de traiter l’information comme les banques, mais elles n’en sont pas.
Je pense que la réglementation devra préciser que pour la communication de données très sensibles sur les Canadiens — car nous nous préoccupons tous de nos données, en particulier dans les services financiers —, il faudra s’assurer que si on transfère l’information à des entreprises de technologie financière, ce qui est une excellente idée à mon avis pour appuyer l’innovation, elles ont des directives sur la façon de manipuler les données et de les protéger.
Le président : C’est une intervention très intéressante.
M. Masnyk : Si je peux ajouter quelque chose au sujet de ce que vient de dire Me Duhaime, nous ne sommes pas contre les entreprises de technologie financière, au contraire. Ce à quoi nous nous opposons… et il se pourrait que ce soit un choc pour vous, mais j’espère que non, car il faut savoir que les banques détiennent plus de renseignements sur les Canadiens que le gouvernement du Canada. Réfléchissons-y un instant. Les banques détiennent plus de données, en savent plus, sur les Canadiens que le gouvernement du Canada. Nous disons donc que si ces données se retrouvent entre les mains d’ « entités non réglementées », cela devrait être surveillé.
La sénatrice Ringuette : Un précédent témoin nous a dit qu’ils voulaient occuper l’espace concurrentiel. Ces mots en disent long sur l’intention de la loi et sur l’intention de ces institutions financières.
Quand je regarde le paragraphe 316(5), je constate qu’il porte sur les services financiers, le traitement de l’information et l’activité technologique, y compris les circonstances dans lesquelles les banques peuvent recueillir, manipuler et transmettre l’information dont il est question à l’article 410. Il y a, bien sûr, le mécanisme de réglementation. Toutefois, on ne dit nulle part qu’en tant que cliente d’une banque, la première étape consistera à me demander mon autorisation. Ce n’est pas dans la loi. Peut-on se fier aveuglément que ce sera dans la réglementation? Je ne suis pas certaine d’être prête à aller jusque-là. Qu’en pensez-vous?
M. Lafrenière : J’attire votre attention également à la page 2 du même document, où on dit qu’une banque pourra renvoyer toute personne à une autre personne.
La sénatrice Ringuette : C’est également vrai. C’est ce qu’on dit.
M. Lafrenière : Cela ouvre la porte à la communication de l’information que possèdent les banques aux entreprises de technologie financière. Nous disons que le Parlement devrait se pencher sur la question — et que cela ne devrait pas être laissé à la réglementation, mais faire l’objet de l’étude actuelle sur le « système bancaire ouvert ». Prenez plus de temps pour examiner la question et vous assurer de bien faire les choses.
M. Masnyk : Nous suggérons essentiellement de retirer ces deux sections du projet de loi C-74 et de les intégrer à l’étude sur le système bancaire ouvert, que le ministère a déjà entreprise. Nous ne sommes pas contre ces deux sections, mais nous pensons qu’elles devraient faire l’objet d’un examen approfondi par le Parlement et les législateurs, et non pas être laissées à la réglementation dans 6, 9 ou 12 mois.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je comprends très bien les craintes de M. Masnyk concernant le transfert de données entre institutions financières. Cependant, la population en général doit pouvoir magasiner ses assurances quand vient le temps des renouvellements, et cette façon de faire l’en empêcherait, parce que des offres lui seraient communiquées. Je ne connais personne qui aime prendre une journée ou deux pour magasiner ses assurances.
Je saisis le côté négatif en ce qui a trait au transfert des données, mais le côté positif, c’est que les gens recevront des offres. Ils pourront toujours refuser ces offres. Rien ne les obligera à les accepter. Cela peut être inquiétant d’un côté, mais, pour le consommateur, à moins de ne pas accepter la nouvelle technologie, je comprends qu’il faudrait modifier le projet de loi C-74. J’aimerais vous entendre à ce sujet. Cela ne pourrait-il pas être avantageux pour le consommateur?
M. Lafrenière : Actuellement, un mur sépare les compagnies d’assurances et les banques. Les banques n’ont pas le droit de diriger leurs clients vers une compagnie d’assurances. La banque qui négocie avec des clients qui s’achètent une voiture ou qui magasinent une hypothèque aimerait bien transmettre cette information à la compagnie d’assurances. Selon les règles actuelles, c’est interdit. Cela serait possible avec des entreprises de technologie financière, ce qui avantagerait une compagnie par rapport à d’autres compagnies d’assurances. Elle pourrait offrir un prêt et inciter le client à souscrire à une police d’assurance. Cela lui permettrait de faire un lien entre ces deux éléments lorsqu’il ne devrait pas y en avoir.
M. Masnyk : Cela ne s’applique pas seulement aux banques, mais aussi aux entreprises de technologie financière, et, en même temps, vous poussez de l’assurance.
Le sénateur Dagenais : Ce que vous dites, monsieur Lafrenière, c’est que si vous faites partie d’une coopérative, comme le Mouvement Desjardins, qui vend aussi de l’assurance, cela lui permettrait de proposer de l’assurance à ses clients alors qu’elle a déjà ses données bancaires. Ai-je bien compris?
M. Lafrenière : C’est permis.
Le sénateur Dagenais : Cela se fait déjà.
M. Lafrenière : Oui. Au Québec, c’est permis entre les caisses. La Caisse Desjardins peut avoir une compagnie d’assurances sur place. Cela n’est pas permis dans le domaine bancaire à l’échelle fédérale. Un mur sépare les compagnies d’assurances et les institutions financières.
Le sénateur Dagenais : Ce qui est provincial pourrait devenir fédéral. Je vous remercie, monsieur Lafrenière.
[Traduction]
Le sénateur Wetston : Je comprends très bien votre position au sujet du système bancaire ouvert et des entreprises de technologie financière, mais les entreprises de technologie financière ne sont pas totalement non réglementées. Elles le sont dans une certaine mesure. Elles le seront par les organismes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières lorsqu’elles occuperont cet espace. Elles pourraient aussi s’occuper d’autres produits et elles pourraient devenir membres de l’OCRCVM, au sein duquel les exigences sur la protection des renseignements personnels sont considérables. Je comprends que vous parlez de l’espace fédéral. Vous avez entendu les coopératives financières parler de toute la réglementation à laquelle elles sont, elles aussi, assujetties.
Je pense que les données sont une question prioritaire pour tout le monde de nos jours, qu’il soit question de protection des renseignements personnels ou de leur utilisation à des fins commerciales. Nous le comprenons tous, j’en suis certain.
Ce qui me préoccupe au sujet des données et de la communication des données n’est pas seulement lié à la protection de la vie privée. C’est important, et je comprends que vous vous inquiétiez des règlements à venir : quels seront-ils et comment l’espace sera-t-il encadré? Je pense que Me Duhaime en a parlé également.
La question qui me préoccupe est l’innovation. Oui, vous avez raison de dire que les banques possèdent beaucoup de données, qui seraient fort utiles aux entreprises de technologie financière. Il ne sera pas possible d’innover et de diversifier l’offre de services aux consommateurs sans cette information, qui est cruciale.
Je crois comprendre que vous n’êtes pas opposés à ce que les entreprises de technologie financière obtiennent cette information, car c’est la seule façon de stimuler l’innovation. Les données sont un outil indispensable, en particulier pour ce qui est des services aux consommateurs, et cetera. Êtes-vous d’accord avec moi sur ce point?
M. Masnyk : Je suis d’accord avec l’idée que les consommateurs soient informés de la façon dont leurs données sont utilisées ou vendues par les banques pour qu’ils puissent prendre des décisions éclairées.
Je serais d’accord si le consommateur disait : « Vous savez quoi? Vous, ma banque, pouvez vendre mes données à qui vous voulez. » C’est bien. Ce qui m’inquiète, c’est de voir que même Facebook est d’avis qu’elle devrait être réglementée, et bien réglementée, malgré le fait qu’elle a vendu les données de 87 millions de personnes.
Au sujet de ce que vous avez dit à propos de la vente de données par les banques, c’est une activité à laquelle elles vont maintenant s’adonner. On ouvre ainsi un nouveau secteur d’activité pour les banques. À leurs secteurs d’activité traditionnels, comme les prêts hypothécaires, les cartes de crédit, et cetera, elles vont maintenant ajouter celui des données. Elles vont vendre des données. La question est de savoir quel sera le rôle du propriétaire de ces données — le consommateur — dans tout cela? Par exemple, une banque peut renvoyer une personne à une autre personne. Je ne comprends pas ce que cela veut dire. Les membres du comité ont sans doute des idées à ce sujet. Pour moi, cela veut dire essentiellement — et je ne suis pas avocat — que c’est le Far West.
Le sénateur Wetston : Maître Duhaime, auriez-vous des commentaires à faire? Vous êtes dans le domaine.
Mme Duhaime : Je dirais tout d’abord que nous sommes en faveur de l’innovation responsable. Le Canada n’est pas toujours un chef de file en innovation, malgré ce qu’on peut entendre. Au fur et à mesure que l’apprentissage machine fait son chemin, et que l’IA prend en charge les services financiers… quand on regarde ce qui se passe en Chine, c’est assez phénoménal, et c’est le cas aux États-Unis également.
Je peux vous donner l’exemple de la Swedbank qui, il y a un an je crois, a mis à la porte 30 000 employés qui répondaient aux appels des clients et les a remplacés par un ordinateur, un robot conversationnel.
Toutes les entreprises de services financiers vont en faire autant, mais, pour être un chef de file en IA, en services financiers et en technologie, nous aurons besoin de ces mégadonnées. Les banques ne sont pas exactement des centres d’innovation, ou ne l’étaient pas traditionnellement, en tout cas. Elles se tournent vers les entreprises de technologie financière pour mener la charge du côté de l’innovation — parce qu’elles sont innovantes, parce que ce sont des entrepreneurs, des entreprises en démarrage, et qu’elles pensent différemment. C’est une des raisons pourquoi l’échange de données, la création de mégadonnées et le fait de pouvoir les échanger sont nécessaires. Si nous tardons, nous allons simplement tirer encore plus de l’arrière en innovation. Nous croyons énormément à l’échange des données, mais de façon responsable. Nous pensons qu’il est possible d’innover de manière responsable au Canada et de demeurer en tête et d’être des chefs de file dans les entreprises de technologie financière, mais de le faire tout en protégeant les Canadiens.
Le président : J’aimerais que vous précisiez ce que vous venez de dire. Il faut trouver un équilibre entre « non » et « oui, nous avons besoin des données pour innover ». Le sénateur Wetston a soulevé cet enjeu de façon très claire. Comment peut-on parvenir à cet équilibre, selon vous?
Mme Duhaime : Il faut tout d’abord éviter la surréglementation. Je sais que vous avez fait une excellente étude sur les monnaies numériques, un de mes domaines préférés. Vous vous souviendrez sans doute avoir appris alors qu’Ethereum, une invention canadienne, a quitté le Canada pour la Suisse. Toutes les offres initiales — beaucoup ne sont pas bonnes, mais certaines le sont — en sont le résultat. C’est le problème lié à la réglementation des valeurs mobilières dont vous avez parlé.
Ce sont des cerveaux canadiens qui nous ont quittés. Ils sont partis parce que nous avons commencé à surréglementer l’espace quand nous étions les chefs de file mondiaux. Il faut qu’il y ait une façon de ne pas perdre nos talents, de demeurer des chefs de file de l’innovation, et que nos génies restent ici, mais de le faire de façon responsable. Quand les Canadiens nous demandent si nous protégeons leurs données, ce que nous faisons pour protéger leur vie privée, nous avons une réponse et nous le faisons tous ensemble. On ne réagit pas d’une façon, puis d’une autre; nous allons être un centre d’innovation, comme c’est le cas actuellement. Nous allons appuyer cette idée. Nous devons protéger les données des consommateurs. Nous devons avoir une politique pour nous assurer de le faire de façon responsable.
Pour ce qui est de la façon de procéder, je pense qu’il faut cesser d’examiner la question. Il faut agir, et au fur et à mesure que les choses évoluent, mettre en place des procédures et des politiques que tout le monde doit respecter, y compris les entreprises de technologie financière.
Le sénateur Wetston : Au sujet des données et de leur importance pour l’innovation — car nous n’y arriverons pas sans l’information dont nous avons besoin pour procéder aux analyses prévisionnelles et à l’IA. Nous serons toujours derrière les autres pays. Il n’y a pas de doute; nous avons besoin des données. Je pense que nous pourrions être d’accord sur ce point, probablement, à moins qu’on se dise « les bonnes vieilles méthodes » et qu’on continue sans rien changer. Je ne pense pas que vous êtes contre l’idée. Ce n’est pas ce que j’entends.
Si on examine le cadre, nous savons que le commissaire à la protection de la vie privée demande qu’on lui accorde des pouvoirs additionnels. C’est important, de toute évidence. Étant donné ce qui s’est passé dernièrement, les choses vont bouger.
C’est très important, surtout pour ce qui est des données transactionnelles des consommateurs. Il faut vraiment qu’elles continuent d’être protégées. Je pense que nous comprenons tous cela. La question est de savoir comment procéder. Eh bien, il faut le faire. Nous n’avons pas d’autre choix que de trouver un cadre pour le faire. Autrement, nous allons stagner et nous ne serons pas en mesure de fournir aux consommateurs les avantages que nous voulons leur offrir.
Ma seule question serait la suivante : avez-vous une recommandation précise à nous faire, autre que l’équilibre? Nous savons qu’il faut y parvenir, mais avez-vous des idées sur la façon de faire? Nous n’allons pas mettre un frein à l’innovation, mais si nous le faisons, nous allons nous retrouver derrière les autres pays. Si vous adoptiez une autre approche, quelle serait-elle?
Mme Duhaime : Je pense que le Canada a besoin d’un peu de leadership en matière d’innovation. Je ne dis pas cela dans un sens antipolitique, mais dans le sens où on a besoin d’une personne qui est responsable de l’innovation, y compris surtout dans le dossier de l’IA, de l’apprentissage machine — tous ces éléments intéressants qui touchent les services financiers, car c’est un des domaines importants où nous excellons au pays. Si j’étais Justin Trudeau, je nommerais un administrateur en chef de l’innovation pour discuter avec les provinces, obtenir l’appui de tous les intervenants et favoriser l’implantation d’une culture de l’innovation d’un océan à l’autre, aussi banal que cela puisse paraître. La personne serait chargée d’élaborer des politiques et des procédures pour avoir une approche responsable qui n’en serait pas nécessairement économique ou politique — ou quoi que ce soit de mener par les banques — dans le cadre de laquelle tous sont assis autour de la table pour discuter et travailler ensemble. Je ne suis pas politicienne.
Le président : Pouvez-vous nous donner des exemples de pays qui ont dû composer avec ce problème?
Mme Duhaime : Je pense que dans la sphère des technologies financières, tout le monde se tourne vers le Royaume-Uni, car il a nommé dès le départ un agent chargé de cette question, un porte-parole national sur l’innovation et les sciences. Les Britanniques restent des chefs de file en la matière, car ils ont réuni tous les organismes de réglementation vraiment importants avec la Banque centrale et les technologues financiers. Ils ont créé un carrefour de l’innovation et des partenariats avec d’autres pays pour que les technologues financiers puissent partager les partenariats, les données et les entreprises commerciales. Ils sont vus comme de bons exemples et, selon moi, s’ils restent des chefs de file, c’est parce qu’ils ont pris les devants dès le départ et rallié les gens de façon très inclusive. Ils continuent de mener le bal. Je pense que c’est un excellent modèle à étudier.
[Français]
Le sénateur Dagenais : On parle du transfert de données entre les banques et les compagnies d’assurances. Est-ce qu’on ne devrait pas obliger les banques à communiquer par écrit avec leurs clients? Quand elles ont le temps de nous écrire, elles nous envoient beaucoup de choses. Chaque fois qu’elles partagent des données personnelles et qu’il y a un transfert d’information, de données, est-ce qu’elles n’auraient pas l’obligation de communiquer avec leurs clients pour les aviser qu’elles s’apprêtent à transférer leurs données personnelles? Je comprends qu’elles ne seraient peut-être pas d’accord, mais on est peut-être rendu là.
[Traduction]
Mme Duhaime : En ce moment, vous donnez votre consentement préalable lorsque vous ouvrez un compte en banque. Conformément aux mesures législatives relatives à la protection de la vie privée, les banques doivent, bien sûr, vous dire pourquoi elles recueillent vos données; ensuite, vous leur donnez votre consentement préalable lorsque vous ouvrez un compte en banque. Malheureusement, au Canada, si vous ne consentez pas à fournir vos renseignements, les banques ne vous ouvriront pas de compte. Ce n’est vraiment pas du consentement, mais plutôt de l’extorsion. Désolée. C’est vrai, cependant; vous ne pouvez pas ouvrir de compte à moins de… Vous êtes contraint d’y consentir.
Le partage des données permet au client de dire : « Banque Royale, transmettez mes données à X technologue financier, et BMO, transmettez mes données. » Le partage est généré par les clients. Ce n’est pas la banque qui décide pour eux. Voilà pourquoi en Europe, les banques se disent que c’est très coûteux et qu’elles ne veulent pas partager toutes ces données. Cependant, le partage se fait à l’initiative des clients.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Iriez-vous jusqu’à dire que le projet de loi C-74 accorde aux banques le droit de faire subtilement ce qui apparaît moralement inacceptable et sans contrôle sur le plan du partage possible de l’information personnelle? Vous n’êtes pas obligée de me répondre. Vous pouvez simplement me faire un signe de la tête et je vais comprendre.
M. Masnyk : Absolument. À 100 p. 100. M. Lafrenière pourra donner des précisions sur la relation entre la banque et les entreprises de technologie financière.
M. Lafrenière : Vous avez un exemple aujourd’hui, dans le Globe and Mail, d’une entreprise de technologie financière, en Colombie-Britannique, qui ne fait pas de rapport, qui est, en fait, une banque non réglementée. C’est le genre de situations qu’on veut éviter.
Ce qui nous touche, c’est l’assurance. En assurance, il est possible de faire en deux mouvements ce qu’il est impossible de faire en un seul mouvement, soit de partager avec une entreprise de technologie financière l’information dont elle a besoin pour recruter un client. On dit que ce n’est pas permis actuellement et c’est vrai, la loi est très bien conçue. On ne peut pas parler directement à une compagnie d’assurances. Par contre, à l’avenir, les banques pourront le faire par le biais de leur entreprise de technologie financière. Et cela se passera dans d’autres secteurs d’activités.
Le sénateur Dagenais : Y a-t-il d’autres modifications qu’on pourrait apporter au projet de loi C-74? Y a-t-il d’autres risques que vous avez constatés?
M. Lafrenière : Il y a plusieurs risques qui nous concernent. Un des risques est le partage des informations d’un client à toute autre personne. Il faut approfondir cette question. On ne dit pas qu’on est nécessairement contre, mais on vous demande, à vous les parlementaires, d’y réfléchir sérieusement avant de l’approuver, et de ne pas approuver la loi telle quelle. Vous verrez par règlement ce qui fonctionne et ne fonctionne pas. Lorsque de l’information est acheminée à une autre partie, il est trop tard pour la rattraper.
Le sénateur Dagenais : C’est le cas pour plusieurs projets de loi. Il faut toujours prévenir les risques et prendre le temps de les examiner comme il faut pour ne pas en subir les conséquences.
M. Lafrenière : C’est ce qu’on vous invite à faire.
[Traduction]
M. Masnyk : Norman a mentionné un article intitulé Is it a bank or not?, qui a été publié dans le Globe and Mail aujourd’hui concernant Mogo, une entreprise de technologie financière à Vancouver. Elle fait des dépôts et accorde des prêts, alors il s’agit d’une entreprise de technologie financière, mais s’agit-il d’une banque réglementée ou pas?
Le président : Cet article aurait été publié aujourd’hui, le 2 mai?
M. Masnyk : Le 3 mai.
Le président : Le temps file. Merci beaucoup.
La sénatrice Unger : Après avoir écouté cette conversation, je ne pense pas avoir déjà été aussi préoccupée de mes données personnelles que je le suis en ce moment. Oui, j’ai différents comptes en banque, mais il me semble qu’il est de plus en plus facile pour nombre de groupes différents de partager les données des clients entre eux.
Maître Duhaime, vous avez mentionné que les provinces doivent discuter avec le premier ministre pour définir la réglementation à l’échelon provincial. Selon vous, quelle est la probabilité que cela se produise?
Mme Duhaime : J’espère que cela se produira. Je suis optimiste parce que je suis sûre que le personnel du Cabinet du premier ministre et ses conseillers se tournent vers les autres pays et voient ce qui se passe en Chine sur le plan de l’innovation. L’analyse d’importantes données en constitue un aspect primordial. Ils recueillent des données qu’il serait offensant pour nous de recueillir et de partager, mais ils sont très en avance sur nous. En Corée et au Japon, c’est la même chose. Des robots gèrent des banques. Nous sommes très en retard sur eux. Compte tenu de ce que les autres pays font, quand nous ouvrirons le commerce et leur permettrons de nous offrir des services financiers, nous nous ferons manger tout cru.
Comment nous assurer que le Canada est un endroit innovateur et que nous pouvons exporter nos services financiers, en plus d’offrir des services financiers de façon compétitive ici?
Ces questions sont problématiques, mais une qui ressort est celle de la protection des données. J’estime que nous ne pouvons malheureusement pas amasser nos données et les protéger au point d’étouffer l’innovation. C’est pourquoi je dirais qu’il nous faut faire un acte de foi et nous assurer de disposer de politiques et de procédures pour pouvoir innover ainsi que recueillir, utiliser et partager les données dont nous avons besoin sinon nous ne resterons pas longtemps innovateurs alors que les autres pays ont des normes moins élevées que les nôtres. Je ne dis pas que nous devrions abaisser nos normes, mais ils ont des normes moins strictes que les nôtres en matière de collecte et de conservation des données — sans vouloir vous effrayer encore plus.
La sénatrice Unger : Comment contribuerez-vous à sensibiliser les Canadiens ordinaires qui ne comprendraient pas vraiment ces concepts ou qui le fera à votre place? Comment leur apprend-on que le partage de leurs données est une bonne chose et qu’il est nécessaire?
Mme Duhaime : Je pense que c’est la raison pour laquelle nous devrions avoir au Canada un agent en chef qui aurait pour mandat de gérer cette question. On a mentionné qu’il y avait un monde d’intelligence artificielle qui s’offrait à nous et que nombre d’entre nous vivrons des changements au travail et en ce qui concerne nos attentes, et que bien des services financiers seront offerts par des machines. Je pense que nous aurons besoin de ce processus de sensibilisation pour rester concurrentiels.
Je pense qu’il y a d’autres choses que nous pouvons faire, comme exiger le consentement des clients pour un certain nombre de choses relatives aux banques dont ils ne comprennent pas les répercussions, qui sont écrites en petits caractères que les personnes âgées n’arrivent pas à lire ou même à comprendre ou pour lesquelles on leur dit d’aller sur Internet et de donner leur consentement. Or, elles n’ont pas accès à Internet et n’arrivent pas à lire les renseignements qui s’y trouvent.
Au fur et à mesure que nous prenons le virage vers ce monde technologique, nous imposons aux gens, surtout à nos aînés, des choses qu’ils ne comprennent pas, et nous ne prenons pas le temps de nous arrêter et de leur dire que nous fermerons 52 succursales bancaires dans des petites villes, si bien qu’il leur sera impossible de faire leurs transactions en personne. Il leur faudra prendre un bus pour se rendre dans la grande ville la plus proche, car l’intelligence artificielle s’en vient et les services financiers sont en train de changer.
Nous n’avons pas besoin de plus de lois. Je pense simplement que nous avons besoin d’instaurer des politiques et de nous dire qu’il nous faut innover, mais de façon à inclure tout le monde et à offrir de la formation et de la sensibilisation, et obtenir le consentement des Canadiens pour le nouveau Canada qui s’en vient.
La sénatrice Unger : Merci.
Mme Duhaime : Je vous en prie.
Le sénateur Marwah : Que pensez-vous de l’industrie de l’assurance qui investit dans les entreprises de technologie financière et qui partage des renseignements avec elles? Je sais que Manulife et Sun Life et bien d’autres ont investi dans des entreprises de technologie financière et ont choisi de partager les données. Qu’en est-il de cette industrie? Estimez-vous qu’on doive aussi y mettre un frein? Les sociétés d’assurances détiennent de vastes quantités de renseignements. Peut-être pas autant que les banques, mais elles ont aussi pris le virage de la technologie financière et elles partagent ces renseignements avec des entreprises de technologie financière ou elles pourraient le faire. Devrait-on y mettre aussi un terme?
M. Masnyk : La différence entre les sociétés d’assurances et les banques est que les sociétés d’assurances n’offrent pas de crédit.
Le sénateur Marwah : Elles détiennent des renseignements sur la santé que les banques n’ont pas.
M. Masnyk : C’est exact. Cependant, elles ont cent fois plus de renseignements que les sociétés d’assurances.
Le sénateur Marwah : C’est une question de degré. Vous n’y allez pas par quatre chemins : vous dites que ce qui est bon pour l’un est bon pour l’autre. Vous dites qu’on devrait aussi l’interdire?
M. Masnyk : Non, je pense que c’est une question de crédit. C’est le crédit qui fait toute la différence. Il a beaucoup d’influence. Il force les gens à acheter des produits supplémentaires, ce qui n’est pas juste pour les consommateurs. Si les entreprises de technologie financière offrent des hypothèques, des prêts et des crédits dans la même mesure qu’ils vendent des polices d’assurance — les sociétés d’assurances n’offrent pas de crédit, ce sont les banques qui le font. C’est une question de protection des renseignements personnels.
Le sénateur Marwah : Les entreprises de technologie financière n’offrent pas de crédit.
M. Masnyk : Elles pourraient le faire. Dans l’exemple qu’a donné le sénateur Tannas tout à l’heure du fournisseur d’hypothèques, il était question à la fois de technologie financière et d’assurances de titres. Il s’agit de crédit et d’assurance combinés.
Le sénateur Marwah : Si les entreprises de technologie financière n’offraient pas de crédit, est-ce que cela vous conviendrait?
M. Masnyk : La question du consentement que donnerait un client à sa banque me poserait problème, que la banque transmette l’information, qu’elle la vende, qu’elle la transfère ou qu’elle la soumette; appelez cela comme vous voudrez.
Le sénateur Marwah : Les mêmes contraintes devraient s’appliquer à l’industrie de l’assurance?
M. Masnyk : Absolument, oui.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes arrivés à la fin de notre discussion. Merci beaucoup aux témoins. Vous avez soulevé une question très intéressante. Nous nous réjouissons à la perspective d’entendre les témoignages des responsables du ministère des Finances à cet égard.
(La séance est levée.)