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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 41 - Témoignages du 23 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 23 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 16 h 12, pour étudier la teneur des éléments des sections 2, 4, 5, 6, 7, 12, 16 et 19 de la partie 6 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour, chers collègues et bienvenue aux membres du public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce d’aujourd’hui dans la salle ou sur le Web.

Je m’appelle Doug Black. Je suis un sénateur de l’Alberta et je préside le comité.

Je demanderais aux sénateurs de se présenter à nos témoins.

Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Sénatrice Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l’Alberta.

Le président : Bien sûr, nous sommes très bien secondés par notre greffière et par les analystes de la Bibliothèque du Parlement.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de la teneur des diverses sections de la partie 6 du projet de loi C-74, le projet de loi d’exécution du budget, 2018, no 1, et nous nous centrerons sur la section 16, Modification de certaines lois régissant les institutions financières fédérales et d’autres lois connexes, et sur la sous-section A, Activités liées à la technologie financière.

Pour nous aider dans nos délibérations, nous recevons Grahame Johnson, directeur général, Gestion financière et opérations bancaires et Scott Hendry, directeur spécial principal, Technologies financières, gestion financière et des opérations bancaires, tous deux de la Banque du Canada.

Messieurs, nous vous remercions d’être ici pour nous aider dans nos délibérations. Nous vous invitons à faire vos déclarations préliminaires; nous vous poserons ensuite des questions.

[Français]

Grahame Johnson, directeur général, Gestion financière et Opérations bancaires, Banque du Canada : Bon après-midi, monsieur le président et distingués membres du comité. Mon nom est Grahame Johnson, je suis directeur général de la Gestion financière et des Opérations bancaires à la Banque du Canada.

[Traduction]

Je vous remercie de m’avoir invité à discuter du projet de loi C-74.

La Banque du Canada est chargée de favoriser la stabilité et l’efficience du système financier. Ce mandat comprend la surveillance réglementaire des infrastructures de marchés financiers désignées, à savoir les systèmes de paiement et les systèmes de compensation et de règlement d’importance systémique.

[Français]

Toutefois, la banque n’est pas une autorité prudentielle. Elle se concentre plutôt sur la détection, l’évaluation et l’atténuation des risques systémiques au sein du système financier. À cet égard, les cybermenaces représentent l’un des risques auxquels nous consacrons actuellement le plus de temps et d’énergie.

[Traduction]

Pour atténuer ce risque, nos efforts portent sur trois grands domaines. Premièrement, nous investissons pour veiller à ce que la banque puisse elle-même résister aux cybermenaces. Deuxièmement, nous nous assurons que les infrastructures de marchés financiers soumises à la surveillance de la banque prennent les bonnes mesures pour atténuer les cybermenaces. Troisièmement, nous collaborons avec les participants au système financier ainsi qu’avec les organismes de réglementation et de surveillance nationaux et internationaux pour accroître la résilience du système financier.

Parmi les enjeux qui, selon la banque et bon nombre de ses collaborateurs à l’échelle internationale, méritent d’être suivis de près, je mentionnerais le risque opérationnel croissant lié aux fournisseurs externes, notamment le groupe très concentré de sociétés qui procurent au secteur financier bon nombre des nouvelles technologies.

Le recours grandissant à ces entreprises, dont certaines offrent des services indispensables, contribue à améliorer l’efficience du secteur financier. Par contre, il se peut que ces entreprises ne relèvent pas de la compétence des instances de réglementation. Comme l’a souligné le Conseil de stabilité financière, le fait pour de nombreuses institutions financières de s’appuyer sur les mêmes fournisseurs, conjugué aux interconnexions entre les institutions, est susceptible de présenter un risque pour l’ensemble du système financier. Nous suivons cette question de près dans le cadre de notre rôle visant à favoriser la stabilité et l’efficience du système financier.

Sur ce, M. Hendry et moi serons heureux de répondre à vos questions. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Johnson. Nous avons, bien sûr, des questions à vous poser. La vice-présidente du comité, la sénatrice Stewart Olsen, sera notre première intervenante.

La sénatrice Stewart Olsen : Nous vous remercions de votre présence aujourd’hui, messieurs.

Vous savez probablement que nous étudions les questions relatives à la protection de la vie privée et à la cybersécurité de façon détaillée dans ce projet de loi d’exécution du budget. Puisque vous êtes responsables de favoriser un système financier stable et efficace… Je me dois de vous féliciter : lorsque les marchés mondiaux étaient en difficulté, le Canada était perçu comme une région très sécuritaire dotée d’une réglementation rigoureuse. Notre situation est donc demeurée stable. J’en suis très heureuse.

À l’heure actuelle, nous sommes face à une nouvelle mesure qui permettrait aux banques d’offrir ou de diffuser des renseignements sur les clients à des tiers, à savoir les entreprises de technologie financière. Comme vous le savez, ces entreprises ne sont pas réglementées au même titre que la Banque du Canada.

Pouvez-vous nous donner votre opinion à ce sujet et nous dire si vous en avez discuté avec les banques? Avez-vous une idée de ce que nous devrions faire avec les entreprises de technologie financière?

M. Johnson : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Il s’agit d’un domaine très vaste et de façon générale, les entreprises de technologie financière connaissent une croissance incroyable. Nous nous centrons de plus en plus sur ces entreprises.

Je dirais que la nature même des transactions financières a changé au fil des années. À mon avis, il ne s’agit plus d’un simple échange de valeurs, mais d’un échange de valeurs et de renseignements. Les renseignements associés à cet échange de valeurs sont une composante essentielle de la transaction.

Lorsque vous effectuez un paiement en temps réel à un fournisseur, vous lui envoyez aussi des renseignements sur vous, sur le motif du paiement, le compte qui sera crédité, ce genre de choses. Ce sont des renseignements essentiels; des renseignements de nature très délicate.

Nous ne sommes pas des organismes de réglementation prudentielle des banques, mais dans l’ensemble du système, dans les domaines que nous réglementons, soit les infrastructures de marchés financiers, nous insistons pour que les intervenants répondent à des normes élevées en matière de cyberrésilience, tout comme le fait le BSIF pour le système bancaire.

Comme je l’ai dit dans mes commentaires, nous travaillons à l’échelle nationale et internationale. Nous sommes membres du CCHD, le Conseil consultatif de la haute direction, qui est composé de la Société d’assurance-dépôts du Canada — la SADC —, du BSIF, de l’ACFC et de la Banque du Canada, et qui veille à ce que ces questions soient abordées.

Nous travaillons aussi à l’échelle internationale pour veiller à ce qu’elles soient abordées.

Les banques doivent respecter des normes assez élevées. Je ne sais pas si la situation est propre au Canada uniquement, mais c’est la situation qui prévaut ici. Le BSIF tient les banques responsables de veiller à ce que leurs fournisseurs et partenaires tiers répondent à des normes tout aussi élevées. C’est un chemin indirect pour s’y rendre.

Encore une fois, puisque les entreprises de technologie financière joueront un plus grand rôle, la communauté nationale leur accordera plus d’attention sur le plan de la réglementation.

Dans certains cas, c’est approprié… et nous avons recours à ce qu’on appelle la réglementation proportionnelle. Les très grandes banques qui gèrent des milliards de dollars en transactions et qui ont une énorme visibilité sont tenues de respecter une norme réglementaire plus élevée que les institutions beaucoup plus petites de moins grande importance systémique en ce qui a trait à la liquidité et aux capitaux. L’échec d’une plus petite institution entraînera beaucoup moins de répercussions.

Ce que je dirais toutefois, c’est qu’à notre avis, lorsqu’il est question de cyberrisques et de risques opérationnels, la proportionnalité n’existe pas. Les plus petites entreprises de technologie financière doivent avoir recours aux mêmes mesures de cybersécurité que les plus grandes entreprises du système lorsqu’elles traitent des données individuelles et participent au système.

Je vais céder la parole à M. Hendry, qui voudra peut-être ajouter quelque chose.

Scott Hendry, directeur spécial principal, Technologies financières, Gestion financière et Opérations bancaires, Banque du Canada : Je n’ai pas grand-chose à ajouter, mais la protection de la vie privée est une préoccupation fondamentale, tant pour les banques que pour les autres organismes de réglementation du Canada. Nous adoptons un point de vue général et non un point de vue microprudentiel, et nous songeons à la façon dont les préoccupations individuelles en matière de protection de la vie privée pourraient s’accumuler jusqu’à entraîner des préoccupations systémiques. La confiance à l’égard du système financier est essentielle; la protection de la vie privée et la confidentialité en font partie. Nous devons veiller à maintenir la confiance à l’égard du système et du caractère privé de toutes les transactions et activités.

La sénatrice Stewart Olsen : Avez-vous des suggestions quant à ce que nous devrions attendre des entreprises de technologie financière? Qui devrait fixer les attentes? Qui devrait réglementer? Vous dites que les banques sont responsables d’assurer leur sécurité. Comme le monde a changé, je me demande si vous avez des suggestions pour l’avenir, monsieur Hendry.

M. Hendry : Des suggestions précises? Non, je n’en ai pas. Il faut surveiller les développements. Le monde des technologies financières évolue très rapidement et je ne sais pas si nous pouvons ou si nous devons prendre les devants, parce que cela pourrait nuire à l’innovation.

Il faut veiller à ce que, sur le plan de la réglementation, notre environnement général favorise l’innovation, tout en contrôlant les risques connexes.

Je crois que c’est vrai pour le Canada. Nous devons surveiller ce qui se passe pour cibler les entités qui connaissent une croissance à l’extérieur du périmètre réglementaire et pour les ramener à l’intérieur de ce périmètre au besoin.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vois. Merci.

M. Johnson : Nous avons aidé le CSF à préparer un rapport sur les entreprises de technologie financière. Selon lui, ces entreprises n’ont pas atteint un niveau où elles pourraient représenter un risque pour le système financier. À l’heure actuelle, je dirais que les risques associés à ces entreprises visent plutôt la protection des consommateurs — il faut veiller à ce que les consommateurs soient protégés — de même que la protection de la vie privée et des renseignements, ce qui ne correspond pas du tout à notre mandat et à notre domaine de réglementation.

Nous pouvons à tout le moins soulever ces questions et nous publions une révision du système financier dans laquelle nous soulignons ce genre d’enjeux. Les membres de notre conseil d’administration présentent des discours à cet égard et notre première sous-gouverneure, Carolyn Wilkins, a abordé la question également. Le gouverneur a dit que c’était l’une des trois choses qui l’empêchaient de dormir la nuit.

C’est un enjeu plutôt indirect et il faut travailler avec nos partenaires, puisqu’à cette étape-ci, les risques associés aux entreprises de technologie financière ont plutôt trait à la protection du consommateur et à la protection de la vie privée. Nous travaillons avec nos collègues fédéraux afin de porter la question à leur attention et de veiller à ce qu’elle soit abordée.

La sénatrice Ringuette : Nous vous remercions de votre présence. J’aime entendre vos commentaires et vous entendre parler de vos recherches dans le domaine.

Il y a la question des cyberattaques et du nouvel organisme qui sera mis sur pied pour l’aborder. Il y a aussi la question de la circulation libre des renseignements financiers personnels, qui est très incertaine.

J’ai aimé entendre les questions et vos réponses, mais ai-je tort de penser que vous êtes ici pour discuter de la section 7 de la partie 6 du projet de loi, qui vise la compensation et le règlement des paiements? Est-ce que je me trompe?

M. Johnson : Je crois qu’on nous a invités pour discuter de la confidentialité des données et des tiers, et non du règlement des paiements. Nous serons heureux de répondre à toutes les questions à ce sujet, mais nous nous centrons sur la protection de la vie privée.

La sénatrice Ringuette : Je crois que je vous ai déjà fait part de mes préoccupations en ce qui a trait à la section 16.

Auriez-vous les mêmes préoccupations à l’égard du règlement des paiements et des entités de technologie financière dans le cadre de ce processus?

M. Johnson : Oui, tout à fait. Nous supervisons les infrastructures de marchés financiers, les infrastructures systémiques, notamment le système de transfert de paiements de grande valeur. Nous supervisons les systèmes importants, notamment le Système automatisé de compensation et de règlement, le SACR, au Canada, qui est fondé sur le commerce de détail.

Nous travaillons en étroite collaboration avec Paiements Canada et le système bancaire afin de moderniser ces systèmes de paiement clé. En fait, nous nous préparons à acquérir un nouveau système de paiement de grande valeur. Nous travaillons aussi avec Paiements Canada au renouvellement des systèmes de paiement de détail.

Je dirais que le principal enjeu, surtout pour le système du commerce au détail, c’est la sécurité et la protection des renseignements associés à ces transactions.

Comme je l’ai dit plus tôt, les données — les renseignements — représentent une partie essentielle des transactions financières. Il n’est plus seulement question de valeur.

La sénatrice Ringuette : Ce qui a de la valeur, c’est le contenu.

M. Johnson : Nous assurons une surveillance réglementaire à cet égard. Nous travaillons en étroite collaboration avec Paiements Canada afin d’établir les normes les plus élevées et d’assurer la sécurité des renseignements.

Le système de paiement de grande valeur est un système relativement fermé, qui compte 17 participants. Ainsi, l’information reste dans un système relativement… le système de vente au détail qui, avec le temps sera plus ouvert aux plus petits fournisseurs de systèmes de paiement lorsque le gouvernement aura adopté des lois à cet égard, comptera plus de participants, qui seront plus petits. C’est là que nous allons veiller — et que nous devrons veiller — à mettre en place les protections appropriées.

La sénatrice Ringuette : C’est une toute nouvelle avenue. Ma question est la suivante : vous travaillez en collaboration avec les institutions financières et le système de paiement, et ainsi de suite. Vous vous préoccupez de la protection de la vie privée. Est-ce que vous travaillez avec le commissaire à la protection de la vie privée afin de veiller à ce que la question de la protection de la vie privée soit réglée, peu importe quels seront les résultats?

M. Johnson : La banque travaille en étroite collaboration avec le commissaire à la protection de la vie privée afin de veiller à ce que nous respections les lois pertinentes en matière de protection de la vie privée dans tous les volets de nos activités. Il en va de même pour Paiements Canada et les banques.

La sénatrice Unger : J’aimerais que vous nous répondiez à la question d’un point de vue canadien.

Est-ce que la quantité de renseignements sur les particuliers recueillis par les institutions financières canadiennes a beaucoup augmenté? Si oui, croyez-vous que, de façon générale, les gens savent dans quelle mesure on recueille leurs renseignements personnels?

M. Johnson : Je ne peux pas vraiment répondre à cette question. Ce serait plutôt une question pour les responsables de la réglementation prudentielle. Nous avons plutôt un intérêt macro-systémique et, comme je l’ai dit, nous réalisons une surveillance directe de l’infrastructure de marchés financiers. Nous ne sommes pas en mesure de parler de la relation entre les banques et le consommateur.

La sénatrice Unger : Hier, j’ai été surprise d’apprendre que le commissaire à la protection de la vie privée n’avait pas le pouvoir d’appliquer les lois sur la protection de la vie privée; ce sont plutôt des lignes directrices. Puisqu’après l’adoption du projet de loi, les banques pourront transmettre une grande quantité de données aux entreprises de technologie financière, croyez-vous qu’il faudrait renforcer la Loi sur la protection des renseignements personnels afin d’imposer de lourdes sanctions dans les cas d’atteinte à la vie privée?

M. Johnson : Encore une fois, cela dépasse le mandat de la Banque du Canada. Je dirais toutefois que le BSIF, qui est l’organisme de réglementation prudentiel du système bancaire, a établi des normes pour les banques et les fournisseurs tiers auxquels elles ont recours.

M. Hendry : Je n’ai rien d’autre à ajouter.

Le sénateur Wetston : Est-ce que vous pouvez répondre aux questions sur le Compte du fonds des changes?

M. Johnson : Oui, avec plaisir.

Le sénateur Wetston : J’ai posé la question à un autre représentant, mais je n’ai pas tout à fait obtenu la réponse souhaitée, alors je vais essayer encore un fois.

M. Johnson : Je ferai de mon mieux, sénateur.

Le sénateur Wetston : J’en suis sûr. Merci d’être ici.

Le Compte du fonds des changes a une valeur d’environ 86,6 milliards de dollars américains, n’est-ce pas?

M. Johnson : Plus ou moins, oui.

Le sénateur Wetston : L’article 224 permet au ministre des Finances d’autoriser le versement de fonds du Compte du fonds des changes au Trésor, n’est-ce pas?

M. Johnson : Oui.

Le sénateur Wetston : Comment se ferait le transfert? Est-ce qu’il serait déclaré?

M. Johnson : Je peux certainement vous dire comment on procèderait. Je ne connais pas très bien le fonctionnement des comptes nationaux et du système comptable, alors je ne pourrai pas aussi bien vous répondre au sujet de la façon de consigner le transfert.

Le Compte du fonds des changes est une réserve de fonds d’environ 85 milliards de dollars américains, dont environ 75 milliards de dollars sont détenus sous forme de titres liquides — libellés surtout en dollars américains, en euros, en livres et en yens. Ce compte est financé au moyen d’avances prélevées sur le Trésor. Plus précisément, le gouvernement empruntera de l’argent, en dollars canadiens qui seront ensuite échangés ou convertis en devises étrangères. Cet argent est versé au Trésor pour ensuite être transféré au Compte du fonds des changes, où il est investi, en grande partie, dans des titres d’État de première qualité.

L’argent reste dans le Compte du fonds des changes, pour y être géré. Si jamais il s’avérait nécessaire de l’utiliser, que ce soit pour préserver la stabilité du dollar canadien ou pour régler des problèmes de liquidités, l’argent serait remis dans le Trésor.

Nous effectuons, de temps à autre, de petits transferts. Nous nous trouvons dans une situation plutôt enviable, car nos investissements dans le Compte du fonds des changes nous rapportent un peu plus que la valeur des intérêts que nous payons pour le financer. Avec le temps, il se crée un solde de trésorerie positif. Nous laissons les sommes s’accumuler jusqu’à un certain seuil, puis nous les transférons au Trésor.

C’est ainsi que les choses se déroulent. Si je comprends bien la modification de forme dont il est question, à titre de précision, la Loi sur la monnaie faisait auparavant référence aux avances, et toute avance évoque la notion de remboursement. Il ne s’agit vraiment que d’une modification de forme afin d’indiquer très clairement que le transfert de fonds peut se faire, et se fait, dans les deux sens. C’était initialement financé au moyen d’avances provenant du Trésor, et celles-ci peuvent être remboursées, au besoin.

Le sénateur Wetston : Vous n’êtes donc pas d’avis qu’un tel régime, selon la façon dont il est conçu — et je suppose qu’il sera probablement utilisé de cette manière —, risque d’entraîner des problèmes ou d’éventuelles contestations, du point de vue de l’agent financier de la Couronne ou du gouvernement, en raison de ce rôle précis qui est prévu dans la modification. J’ai un peu l’impression que cela ouvrirait la porte à la possibilité d’utiliser le Trésor à des fins qui n’étaient sans doute pas envisagées à l’origine.

M. Johnson : Je suis probablement mal placé pour me prononcer là-dessus. Je dirai que, de par sa nature, le Compte du fonds des changes est, je le répète, financé au moyen d’une avance prélevée sur le Trésor. Je sais, après 10 ans dans ce poste, que cette avance peut être remboursée, et ce, généralement en très petits versements. Cela ne se fait pas au moyen d’interventions — du jamais vu depuis 1998 —, mais par l’entremise de bénéfices accumulés.

Le sénateur Wetston : Bien entendu, quand on parle de petits versements, il peut s’agir de 100 ou de 200 millions de dollars.

M. Johnson : Je me disais justement que je devrais les quantifier. Disons que c’est petit pour un pays souverain de la taille du Canada.

Le Compte du fonds des changes est un bassin de liquidités que le gouvernement a mises de côté et qui sont disponibles en cas de besoin, sous réserve des conditions de la Loi sur la monnaie.

Le sénateur Marwah : Merci de vos observations. Vous avez fait valoir quelques points sur les problèmes liés à l’interconnectivité entre les acteurs financiers. Il s’agit d’un enjeu mondial. Ce n’est pas l’apanage du Canada. Tout le monde en parle. Le gouverneur Poloz en parle aussi. Je crois que votre chef de la direction a prononcé récemment, il y a quelques semaines, un discours sur l’interconnectivité et sur les mesures prises par la Banque du Canada.

J’aimerais connaître votre point de vue. Avez-vous observé quoi que ce soit dans d’autres pays qui s’en sortent probablement mieux que nous et qui imposent des normes plus élevées pour gérer les cyberrisques et les risques associés aux paiements? Je m’inquiète particulièrement de ces gros paiements effectués par l’entremise du Système de transfert de paiements de grande valeur et du Système automatisé de compensation et de règlement, qui sont au cœur même de notre système de paiement.

Y a-t-il d’autres pays qui en font plus que nous pour ce qui est d’atténuer les cyberrisques dans ce domaine?

M. Johnson : Je dirais que nous jouons un rôle de premier plan. J’hésiterais toutefois à dire à quel rang nous nous situons exactement. Nous participons activement à un certain nombre de forums internationaux dans le domaine des paiements : le Comité sur les paiements et les infrastructures de marché, le Conseil de stabilité financière, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. Nous travaillons en très étroite collaboration avec nos pairs.

Les réseaux de paiements de grande valeur attirent de plus en plus d’attention par les temps qui courent. Chose certaine, avant la crise financière — et, en fait, même un peu après —, ce domaine passait inaperçu pour la plupart des gens et même au sein des gouvernements. C’était comme un système de plomberie qui fonctionnait bien et auquel on ne prêtait guère attention.

À mon avis, pour reprendre l’image de la plomberie, on se rend compte de son importance lorsque cela cesse de fonctionner et qu’on se trouve avec un gros gâchis à nettoyer. C’était un peu le cas durant la crise financière, mais le Canada a certainement été épargné.

Je tiens également à signaler la récente cyberattaque contre la banque centrale du Bangladesh, dont le système de paiement a été compromis. De faux messages SWIFT ont été envoyés à la Federal Reserve Bank de New York, et environ 80 millions de dollars ont été exfiltrés, bien franchement, vers des casinos aux Philippines.

Je crois que cet incident a été un peu comme un signal d’alarme. Les systèmes de paiement de grande valeur sont une cible, car ils assurent la circulation d’énormes sommes d’argent.

SWIFT, c’est-à-dire la Société mondiale des télécommunications financières interbanques, qui est un système de messagerie permettant d’effectuer ce genre de transactions, a mis en place une série de contrôles obligatoires pour s’assurer, dans la mesure du possible, que de tels incidents ne se reproduisent plus.

Nous visons tous à atteindre la pleine conformité. À la Banque du Canada, nous avons mis davantage l’accent sur ce que nous appelons un cadre de gestion des risques de crime financier afin d’établir nos propres processus de défense, tant automatisés que manuels, pour garantir la légitimité des transactions que nous effectuons, pour le compte du gouvernement et de nos autres clients — nous offrons des services bancaires aux institutions monétaires officielles étrangères —, c’est-à-dire pour veiller à ce que ces transactions ne soient pas compromises, pour nous assurer de l’identité de la personne avec qui nous transigeons et pour éviter de ne pas nous trouver dans une telle situation.

Les choses évoluent rapidement. Nous jouons un rôle de premier plan en prenant les meilleures mesures de protection. Nous coordonnons nos efforts avec ce que je considère être le principal fournisseur de service officiel des banques centrales du monde afin de prendre les mesures qui s’imposent pour nous assurer d’être, encore une fois, à l’avant-garde.

Le sénateur Marwah : Vous êtes également chargés de réglementer la surveillance des marchés financiers, y compris des paiements, et les plus gros versements se font par l’entremise du Système de transfert de paiements de grande valeur et du Système automatisé de compensation et de règlement. Voilà l’essentiel de nos systèmes de paiement.

Permettez-moi de vous poser une question. Si une banque fournit des renseignements à une entreprise de technologie financière, est-ce que cela signifie que cette entreprise a un accès plus facile au Système de transfert de paiements de grande valeur et au Système automatisé de compensation et de règlement?

M. Johnson : Non.

Le sénateur Marwah : Comment contrôlez-vous cela?

M. Johnson : Pour accéder au Système de transfert de paiements de grande valeur et au Système automatisé de compensation et de règlement, vous devez avoir un compte de règlement à la Banque du Canada.

Le sénateur Marwah : Vous contrôlez donc cet aspect? Ces entreprises ne peuvent pas compromettre le système de paiement?

M. Johnson : Nous contrôlons ceux qui ont accès aux comptes de règlement, en effet. Il s’agit d’un système fermé. Il est impossible d’accéder au Système de transfert de paiements de grande valeur au moyen d’Internet. C’est un réseau spécialisé. Vous avez besoin d’un terminal SWIFT spécialisé. Vous devez remplir une foule de normes, notamment l’exigence d’avoir un compte de règlement à la Banque du Canada.

Le sénateur Marwah : Il n’y a donc aucun risque supplémentaire lorsqu’une banque transmet des renseignements à une entreprise de technologie financière?

M. Johnson : Pas dans le cas du système de paiements de grande valeur. Il n’y a pas de doute là-dessus.

Le sénateur Marwah : Merci.

Le sénateur Tannas : Merci de votre présence. Pouvez-vous confirmer s’il existe aujourd’hui des entreprises de technologie financière qui ne sont pas réglementées ou qui échappent à votre compétence ou au mandat des organismes de réglementation et qui risquent de nuire sérieusement à notre système financier, soit en provoquant un cyberévénement qui le paralyse, soit en causant une défaillance financière?

M. Johnson : La portée et la définition des entreprises de technologie financière sont extrêmement vastes. En travaillant avec le Conseil de stabilité financière et en examinant l’environnement des entreprises de technologie financière, nous avons conclu, du moins pour l’instant, que les entreprises de technologie financière — qu’il s’agisse d’actifs cryptographiques, de jetons cryptographiques, de prêts de personne à personne ou d’une foule d’autres applications possibles — ne posent aucun risque systémique pour le système financier canadien.

Comme je l’ai dit, il y a des préoccupations sur le plan de la protection des investisseurs et peut-être bien aussi en matière de protection de la vie privée. Par contre, pour ce qui est de savoir s’il existe un risque systémique pour l’économie ou le système financier, nous sommes arrivés à la conclusion que non. Vous vous êtes d’ailleurs penché sur cette question.

M. Hendry : Je suis d’accord. Il y a beaucoup d’entreprises de technologie financière, mais la plupart d’entre elles ne sont pas de très grande taille. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays. En Chine, il y a deux autres grandes entreprises de technologie financière qui assument, de nos jours, la part du lion des paiements. Toutefois, il n’en est pas ainsi au Canada.

Il y a de nombreuses petites entreprises de technologie financière, mais elles ne revêtent pas une importance systémique.

Le sénateur Tannas : Disons que vous repérez une entreprise de technologie financière ou un segment, un secteur, qui a pris beaucoup d’ampleur — parce que le tout évolue rapidement —, si bien que vous estimez que cela pourrait présenter une menace pour le système financier, sur le plan de la vie privée ou sous forme d’une cyberattaque ou d’une défaillance financière. Dans pareil cas, devez-vous revenir ici, comme vous l’avez fait pour la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, afin de demander l’autorisation de prendre en charge cette organisation en situation de crise, ou disposez-vous d’outils qui vous permettraient d’intervenir — soit en collaboration avec vos collègues d’autres organismes de réglementation, soit par vous-mêmes — et d’élargir votre cadre réglementaire pour pouvoir vous en occuper? Bref, devez-vous revenir ici, ou pouvez-vous agir rapidement, de votre propre initiative?

M. Johnson : Je dirais qu’il est difficile de généraliser. Si cette entité correspondait à ce que nous qualifierions d’infrastructure de marché financier ayant évolué, ou s’il s’agissait d’un nouveau type d’échange ou d’un nouveau type de système de compensation par contrepartie centrale, alors cela ferait partie de notre mandat. Si le gouverneur désignait ces systèmes comme étant d’importance systémique, alors ils seraient assujettis à notre compétence réglementaire, et nous n’aurions pas à nous présenter de nouveau ici.

En revanche, si c’était quelque chose d’une autre nature, nous en saisirions nos collègues du Conseil consultatif de la haute direction et du Comité de surveillance des institutions financières, et nous leur expliquerions que, selon nous, la situation est à un point tel que cela peut présenter des risques systémiques. Si nos partenaires du Conseil consultatif de la haute direction, du Comité de surveillance des institutions financières ou même des organismes de réglementation provinciaux jugeaient bon de procéder ainsi, ils le feraient. Par contre, je ne saurais vous dire s’ils estimeraient nécessaire de comparaître devant le comité pour demander à élargir le cadre réglementaire, mais cette question serait soulevée auprès de ces organismes.

Le président : Mais ce qui importe, c’est que vous surveillez la situation, n’est-ce pas?

M. Johnson : Nous la surveillons de très près.

La sénatrice Stewart Olsen : Une petite précision, si vous me le permettez. Les deux principales entreprises chinoises de technologie financière sont en train de s’implanter au Canada, n’est-ce pas? Nous en sommes à organiser des mécanismes de paiement par l’entremise de ces deux grandes entreprises. Je crois que c’est à la suite des demandes faites par les touristes chinois qui viennent ici.

Savez-vous quelque chose à ce sujet? C’est juste parce que vous avez dit que cela pourrait présenter un risque systémique. Désolée, monsieur le président. Merci.

Le président : Non, non. C’est un bon point.

M. Hendry : Je sais que l’une d’entre elles a commencé à faire des progrès au Canada ou à déployer des efforts pour essayer d’entrer au Canada. Pour ce qui est de l’autre entreprise, appelée Ant Financial, je n’en suis pas sûr. Quoi qu’il en soit, les mêmes sortes de critères s’appliqueraient. Si nous, à la Banque du Canada, estimions qu’un système a pris de l’ampleur au point de devenir prédominant ou d’importance systémique, nous demanderions au gouverneur de le désigner comme tel, l’assujettissant ainsi à notre périmètre de réglementation.

Dans cette optique, le gouvernement travaille actuellement sur une structure de surveillance des paiements de détail pour s’assurer qu’il existe un périmètre plus large afin d’y inclure les petites infrastructures de paiements qui ne sont pas encore considérées comme étant prédominantes ou d’importance systémique.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci beaucoup.

Le président : C’était une bonne précision.

La sénatrice Wallin : Revenons un instant au point de départ. Dans votre exposé, vous avez dit : « […] nous nous assurons que les infrastructures de marchés financiers soumises à la surveillance de la banque prennent les bonnes mesures pour atténuer les cybermenaces. »

Vous venez d’expliquer, il y a quelques instants, que vous pouvez contrôler l’accès aux renseignements bancaires. Le gouverneur et les autres prononcent des discours. Vous signalez ces problèmes ou ces préoccupations à vos partenaires fédéraux.

Avez-vous le pouvoir de prendre des mesures punitives? Avez-vous le droit d’empêcher des transactions? Vous est-il possible d’exiger un changement de comportement de la part des entreprises de technologie financière, qu’elles soient canadiennes ou étrangères? Je cherche tout simplement à savoir si vous avez d’autres outils dans votre arsenal, mis à part les discours et les efforts de sensibilisation.

M. Johnson : Dans le cas des infrastructures de marchés financiers qui relèvent de notre pouvoir de surveillance ou de supervision, nous disposons bel et bien d’outils directs. Nous réglementons le Système de transfert de paiements de grande valeur, le Système automatisé de compensation et de règlement, le Groupe TMX, la Corporation canadienne de compensation de produits dérivés et les divers marchés boursiers. Nous avons le pouvoir d’intervenir et de dire : « Vous devez faire ceci si vous voulez continuer à mener vos activités. » Nous leur donnons du temps pour leur permettre de se conformer, mais il reste que, oui, nous avons ce pouvoir.

Dans d’autres domaines où nous n’avons pas… De façon générale, nous sommes une banque centrale qui ne s’occupe pas de réglementation. Donc, dans d’autres domaines où nous n’avons pas un tel pouvoir, nos efforts reposent vraiment sur la surveillance, la sensibilisation et l’établissement d’un dialogue avec nos partenaires à l’échelle nationale.

Là encore, je m’en remettrai au Conseil consultatif de la haute direction et au Comité de surveillance des institutions financières. Nous avons ces mécanismes, qui se sont d’ailleurs avérés efficaces.

La sénatrice Wallin : Je suppose que chaque fois que le gouverneur et la sous-gouverneure viennent ici pour nous parler ou chaque fois qu’ils prononcent un discours quelque part, ils doivent y aller en douceur parce que si la banque dit quelque chose qui va trop loin, vous n’avez pas la latitude de dire — comme l’a fait hier le commissaire à la protection de la vie privée — que nous avons un très gros problème.

Comment faites-vous la part des choses, étant donné le contexte actuel et la vitesse à laquelle le tout évolue, pour sensibiliser les gens et soulever des préoccupations, sans toutefois provoquer une crise. Cela fait-il partie de la conversation que vous tenez en ce moment? Autrement dit, quand faut-il passer à l’étape suivante, c’est-à-dire du niveau 3 au niveau 4, en ce qui concerne nos discours et nos systèmes d’alerte?

M. Johnson : Je suis heureux de laisser au gouverneur le soin de faire la part des choses. Il s’y connaît mieux en la matière.

La sénatrice Wallin : J’en suis sûre.

M. Johnson : Encore une fois, il faut éviter de réagir de manière excessive dans les discours, comme vous le dites.

La banque est, faute d’un meilleur terme, une institution de politiques qui adopte une approche réfléchie et axée sur la recherche. Nous échangeons ouvertement avec les autres, qu’il s’agisse de représentants de l’industrie, d’autres organismes de réglementation et d’autres disciplines. Le gouverneur et nous-mêmes travaillons dans le domaine de la cybersécurité en collaboration avec les banques afin de coordonner un mécanisme de rétablissement à la suite d’une cyberattaque.

En réalité, nous interagissons et communiquons très fréquemment avec l’industrie, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, ainsi qu’avec nos homologues internationaux pour nous assurer que nous ne tirons pas de l’arrière ou que nous ne crions pas au feu dans une salle pleine à craquer, ce qui n’est jamais une bonne idée.

La sénatrice Wallin : Je suis contente de savoir que vous avez des conversations de façon calme et réfléchie, derrière des portes closes.

M. Johnson : Je le répète, ce n’est pas derrière des portes closes.

La sénatrice Wallin : Je comprends.

M. Johnson : En effet, cela se fait de façon très approfondie, rigoureuse et attentive.

La sénatrice Wallin : Merci.

La sénatrice Ringuette : La sénatrice Wallin vient de parler de votre trousse d’outils, et je regarde la section 7 de la partie 6 du projet de loi, où il est question de compensation et de règlement des paiements. Voilà qui met à votre disposition un autre ensemble d’outils très importants que vous n’aviez pas auparavant. Si un système de compensation des paiements semble présenter certaines difficultés, vous pouvez intervenir et dire : « D’accord, tous ceux qui font partie de ce système de compensation doivent rester là jusqu’à ce que nous gérions la situation. »

Vous avez ce nouvel outil, alors…

M. Johnson : Vous voulez parler de l’autorité de résolution pour les infrastructures de marchés financiers, qui est un nouvel outil très important pour l’organisme de réglementation. Il s’agit d’une leçon qui a été apprise directement de la crise financière.

Il faut voir ce que cela implique lorsqu’une institution financière d’importance systémique cesse d’exister — je crois, sénateur Marwah, que vous avez parlé d’interconnectivité, de degré d’interconnectivité. Ce n’est pas comme si c’était un simple magasin de jouets qui faisait faillite. C’est quelque chose qui peut avoir des répercussions à très grande échelle. Nous avons vu ce qui est arrivé avec Lehman et les répercussions que cela a pu avoir à l’échelle mondiale.

De par leur nature, les infrastructures de marchés financiers sont interreliées de manière incroyable. Il s’agit de services centraux d’échange de données dont tout le monde se sert comme contrepartie centrale pour les échanges fermés. Elles sont bien capitalisées et rigoureusement protégées des risques. Dans l’éventualité où l’une d’elles faisait faillite, les conséquences pourraient être catastrophiques, car elles sont la contrepartie des échanges de tous les autres.

Ce que fait l’autorité de résolution, c’est qu’elle permet à la banque d’intervenir à titre d’autorité de résolution, de mettre un stop à ce qui est en train de se passer et de livrer les mises en garde suivante : « Personne n’ira nulle part. Nous sommes là maintenant. Ne vous inquiétez pas pour nous. Nous avons des liquidités à profusion. Nous allons calmer le jeu de manière ordonnée et, essentiellement, résoudre le problème. »

C’est un outil de dernier recours : ce n’est pas un outil de prévention. Les outils dont je parlais sont des dispositifs que nous pouvons utiliser en amont pour assurer une bonne conduite, veiller au respect de normes de haut calibre et éviter que les choses tournent mal. L’autorité de résolution est un outil qui sera utilisé…

La sénatrice Ringuette : Dans les cas extrêmes.

M. Johnson : C’est-à-dire si quelque chose de vraiment grave se produit.

La sénatrice Ringuette : Au moins, avec ce projet de loi, vous allez désormais disposer de cet outil.

M. Johnson : Oui, et c’est quelque chose d’essentiel. Merci.

La sénatrice Eaton : Messieurs, dans vos notes, vous avez indiqué ceci :

Comme l’a souligné le Conseil de stabilité financière, le fait pour de nombreuses institutions financières de s’appuyer sur les mêmes fournisseurs, conjugué aux interconnexions entre les institutions, est susceptible de présenter un risque pour l’ensemble du système financier.

Quelle est l’ampleur de ce risque? Quelle est la teneur des recherches que vous faites sur ces tierces parties ou sur leurs interconnexions?

M. Johnson : Je vais vous laisser répondre.

M. Hendry : Un peu comme ce que nous venons de dire, la surveillance que nous exerçons ainsi que les enquêtes, les analyses et les recherches que nous effectuons ne nous permettent pas de voir de fournisseurs tiers qui, à l’heure actuelle, aurait une importance systémique telle que leur débâcle financière ou l’arrêt de leurs activités pourrait poser un risque systémique ou de contagion pour l’ensemble du secteur financier. Nous continuons de surveiller cela en partenariat avec d’autres organismes canadiens de réglementation, ou avec des organismes internationaux pour avoir une idée de ce qui se passe ailleurs.

La sénatrice Eaton : Aidez-moi à comprendre. Lorsqu’il est question de tierces parties et d’interconnexions internationales, c’est-à-dire non canadiennes, peut-on présumer que la majorité de leurs règlements sont à la hauteur de nos standards? Autrement dit, jouons-nous tous selon les mêmes règles, ou est-ce que certains pays ont des normes différentes des autres?

M. Johnson : Permettez-moi de répondre. J’ai deux choses à dire à ce sujet.

Tout d’abord, je tiens à souligner de nouveau que le Canada est dans cette situation — que je décrirais de « réfléchie » — où les normes des tierces parties sont réglementées par le Bureau du surintendant des institutions financières. Les banques ne peuvent donc pas choisir de s’adresser à n’importe quel fournisseur tiers qui ne serait pas réglementé. Elles doivent s’assurer que ce fournisseur se conforme aux normes canadiennes.

Comme exemple de ce que nous considérons comme étant un fournisseur tiers, pensez aux services d’infonuagique. Il y a une dimension incertaine. Comme l’a dit Scott, nous ne sommes pas encore rendus là, mais c’est tout de même quelque chose qui présente un risque potentiel. On peut s’imaginer ce qui arriverait si, tout à coup, toutes les banques canadiennes décidaient de recourir à Microsoft Azure comme fournisseurs de services d’infonuagique. « Nous allons tous faire la transition à ces services et nous allons leur confier nos portails web. Nous allons même leur confier nos applis de services bancaires par téléphone. » Cependant, ô surprise, voilà que le système tombe en panne pendant une journée ou deux, et personne ne peut plus faire la moindre opération. On peut facilement imaginer les risques d’interconnexion qu’il pourrait y avoir si le système financier au complet se mettait à utiliser un seul et même fournisseur de services d’infonuagique.

J’avoue que je vais un peu dans les extrêmes. Nous ne sommes pas du tout rendus là, sauf que c’est le genre de chose qu’il convient de surveiller.

Le président : J’aurais une question, si vous me le permettez. Comme vous le savez, notre comité a appris qu’il y avait des dispositions pour permettre aux banques de fournir des renseignements sur leurs clients aux entreprises de technologie financière. C’est le commissaire à la protection de la vie privée qui nous l’a dit.

J’aimerais savoir si vous pouvez nous dire quelque chose sur l’équilibre qui devrait être visé — s’il en faut un — entre l’innovation et la protection de la vie privée.

M. Johnson : Je ne peux pas vraiment dire quoi que ce soit au sujet de cet équilibre entre l’innovation et la protection de la vie privée. Je peux cependant vous dire que la première sous-gouverneure Wilkins a fait mention de cela lors de son allocution à l’École de gestion Rotman.

Nous sommes très conscients de la nécessité de trouver un équilibre entre l’innovation et la gestion appropriée des risques. Je vais me servir de la gestion du risque comme notion globale pour couvrir une foule de choses allant des risques opérationnels aux risques financiers en passant par la protection des consommateurs et la protection de la vie privée. Il est essentiel de faire un équilibre entre toutes ces composantes.

Encore une fois, en dehors de l’intérêt général que nous portons à la sécurité et à l’efficacité du système financier, la protection de la vie privée n’est pas quelque chose qui fait partie du mandat de la banque. Étant donné que nous n’avons pas d’autorité directe à cet égard, nous avons tendance à profiter des tribunes qui s’offrent à nous — comme à l’occasion des allocutions que nous sommes invités à prononcer ou de notre examen du système financier — pour soulever ces questions et souligner à quel point l’innovation est formidable. Les innovations dans le domaine des paiements sont tout à fait renversantes. On n’a qu’à penser à la vitesse et à la facilité avec lesquelles il nous est maintenant possible de faire des transactions financières.

En même temps, cela augmente les risques en ce qui concerne les nouveaux produits qui sont créés et vendus aux investisseurs particuliers. La prolifération des fonds négociés en bourse — parfois très complexes —, des cryptomonnaies et des autres choses de ce type pourrait-elle provoquer une augmentation des risques? Il n’y a pas de risques systémiques pour le moment, mais nous gardons l’œil ouvert, et les risques systémiques font partie de notre mandat. Parallèlement à la surveillance que nous exerçons, ce sont des choses que nous pouvons porter à l’attention des investisseurs, pour leur gouverne. Il est important d’assurer la protection des investisseurs et de faire en sorte que toutes les parties concernées — les créateurs et les utilisateurs de ces nouveaux produits et services et, en fait, l’ensemble des acteurs du milieu — sont conscientes de la dynamique qui existe entre l’innovation et le risque.

Le président : Monsieur Hendry, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Hendry : Je conviens que l’équilibre entre les différents objectifs stratégiques doit primer, quel que soit l’enjeu dont il est question. Dans l’exemple qui nous intéresse, il s’agit de l’équilibre entre l’innovation et une gamme élargie d’objectifs de gestion du risque.

Ces objectifs doivent être surveillés en permanence.

Le président : Voilà qui est très utile. Merci beaucoup.

Le sénateur Wetston : J’aimerais revenir sur la question des entreprises de technologie financière, mais d’abord, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais y aller d’une brève observation : au Canada, il y a une responsabilité partagée entre les marchés financiers. Comme je le fais tout le temps, je veux ici vanter les mérites des organismes de réglementation, et souligner le fait que la Caisse canadienne de dépôt de valeurs limitée et la Corporation canadienne de compensation de produits dérivés sont supervisées conjointement par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, l’Autorité des marchés financiers et la Banque du Canada. Si je dis cela, c’est simplement parce que je crois que le comité est tout à fait conscient qu’il y a d’autres organismes de réglementation qui participent de façon très active à la supervision de ces très importantes organisations de compensation et de règlement. Je crois que vous allez être d’accord avec moi. C’est simplement quelque chose que je tenais à souligner.

J’aimerais parler un peu de ce monde des technologies financières. Comme le président l’a mentionné au sujet de la communication de l’information et compte tenu de vos observations et de ce que la sénatrice Eaton a dit à propos des tierces parties, que pensez-vous de la possibilité que… De toute évidence, nos banques sont rigoureusement réglementées par le Bureau du surintendant des institutions financières, mais je ne vois pas le Bureau du surintendant des institutions financières intervenir à l’égard de ces risques dont vous avez parlé en matière de cybersécurité et d’autres risques associés aux transactions financières. Je sais que le bureau est très occupé, ce qui ne fait aucun doute.

Ce dont je veux parler, c’est de la question des chaînes de blocs, car je crois que la technologie des chaînes de blocs semble avoir un potentiel considérable sur le plan de la désintermédiation et de l’efficacité. Je suis d’avis que ces amendements devraient permettre aux banques d’investir dans cette technologie. Voilà comment je les comprends.

Si c’est le cas et d’après ce que j’ai compris de vos observations, vous allez surveiller les développements à cet égard. Comment envisagez-vous les choses? Je sais que ce n’est pas un problème systémique pour le moment, mais que faites-vous pour tenir compte de ces développements, et pas seulement de ceux qui entourent les prêts en ligne et les autres types de transactions qui se feront. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Hendry : Nous nous intéressons de près aux chaînes de blocs afin de comprendre comment cette technologie pourrait changer la donne. Nous sommes encore en train de nous faire une opinion. Bien sûr, cette technologie n’a pas encore été mise en place dans un système important sur le plan systémique ni dans aucun système de « production » en usage au Canada. Ce n’est pas encore assez important, mais ça pourrait le devenir. Comme vous l’avez dit, de nombreuses entreprises sont en train d’essayer de trouver des usages appropriés pour cette technologie.

Dans certaines circonstances, il est possible que l’utilisation de cette technologie mène à la suppression d’intermédiaires au sein de diverses institutions et provoque des changements importants quant aux modes de fonctionnement du secteur financier.

Dans un autre ordre d’idée, il se peut que ce soit une technologie qui ne va pas changer grand-chose d’important, sauf peut-être en ce qui a trait à la façon dont les choses fonctionnent « sous le capot ». Elle permettra peut-être de faire des gains d’efficience et d’apporter des modifications importantes au secteur financier, mais pas nécessairement importantes sur le plan systémique.

Nous ne savons pas encore ce qui va se produire. Nous avons nous-mêmes fait certaines expériences dans ce domaine afin d’essayer de mieux comprendre cette technologie. Nous essayons de rester au fait des différentes choses qui sont proposées dans le secteur privé ou par des institutions officielles de l’étranger en ce qui concerne les façons d’intégrer cette technologie et les changements qu’elle pourrait provoquer.

La direction que cela prendra n’est tout simplement pas claire, mais nous allons continuer d’en surveiller l’évolution.

M. Johnson : Puis-je ajouter une ou deux choses? Depuis des années, les banques investissent massivement dans les chaînes de blocs. Rien ne leur interdisait de le faire. Elles ont acheté des entreprises. Elles ont acheté des talents. Elles ont acheté de la technologie. Elles ont vu cela comme, je dirais, un catalyseur important susceptible de changer les choses au sein du système. Je crois que c’est en toute sagesse qu’elles ont choisi d’investir.

Scott en a déjà parlé, mais je crois qu’il vaut la peine d’y revenir. Vous êtes peut-être trop modestes. Nous avons fait énormément de choses en ce qui concerne les chaînes de blocs. Nous sommes l’une des banques centrales les plus actives au monde dans ce domaine. Nous nous sommes associés à six ou sept banques, à Paiements Canada et à une entreprise de technologie, R3, afin de créer un système de paiement fondé sur la chaîne de blocs.

Le sénateur Wetston : Vous parlez de Jasper?

M. Johnson : Ensuite, nous avons fait Jasper 2, qui était un système de paiement plus étoffé que le premier. Puis, nous avons fait Jasper 3, pour lequel nous nous sommes associés au TMX, l’objectif étant de mettre sur pied un système concret de règlement des opérations sur titres. Maintenant, nous avons créé un partenariat avec l’Autorité monétaire de Singapour dans le but de trouver une façon d’appliquer la chaîne de blocs aux échanges transfrontaliers.

Pour dire vrai, nous n’avons pas encore déterminé si cette technologie est efficace au point de nous inciter à vouloir laisser tomber les systèmes existants. En revanche, les partenariats que nous avons créés avec le secteur privé ont été très précieux puisqu’ils nous ont permis d’acquérir une expérience concrète. En effet, c’est beaucoup plus facile de voir comment une technologie évolue lorsque vous êtes concrètement sur le terrain en train d’élaborer des applications connexes. Notre engagement dans ce domaine est considérable.

Le sénateur Wetston : Advenant la direction que cela prendra et la façon dont les choses vont évoluer, croyez-vous qu’il sera nécessaire d’élaborer un cadre réglementaire pour cette technologie et ses utilisations, qu’il s’agisse de systèmes de paiement ou d’autres types d’activités transactionnelles?

M. Johnson : Je dirais que ce n’est pas encore clair.

Depuis des années, on nous annonce que la chaîne de blocs va transformer le paysage financier en profondeur, mais cela ne s’est pas produit. Il se peut que ce ne soit rien d’autre qu’un outil que les banques utiliseront à l’interne pour équilibrer leurs grands livres, ce qui serait un changement somme toute assez anodin. Il se peut aussi que cette technologie permette d’éliminer énormément d’intermédiaires, dans lequel cas, il sera nécessaire d’avoir un cadre réglementaire.

À peu de choses près, le mot d’ordre est de participer, de surveiller, de rester au courant de ce qui se fait et de réagir de façon appropriée. Je crois que c’est exactement ce que nous faisons.

Le sénateur Wetston : Merci.

M. Hendry : Pour aller dans le même sens que Grahame, je préciserais que les banques s’intéressent énormément à cette nouvelle technologie. Elles cherchent vraiment à en comprendre le fonctionnement; elles essaient de décider si elles vont l’intégrer à leurs opérations ou de trouver comment elles pourraient s’en servir à leur propre avantage.

Ce n’est pas comme si elles avaient la tête enfouie dans le sable et que la suppression des intermédiaires va les prendre par surprise. Elles sont au courant de ce qui se passe. Elles en connaissent les risques. Elles travaillent fort pour améliorer leurs systèmes. La modernisation est en train de faire cela pour les systèmes de paiement plus traditionnels, mais les banques s’intéressent aussi aux modes de paiement non traditionnels ainsi qu’aux autres types de technologie.

Elles sont très conscientes de ce qui est en train de se passer et elles essaient de trouver une façon d’en profiter.

Le président : Nous voilà rendus à la fin de notre liste de questions. Je remercie M. Johnson et M. Hendry d’avoir été là aujourd’hui.

En terminant, je tiens à souligner que notre comité doit beaucoup à la Banque du Canada, puisqu’elle s’est toujours montrée très serviable et très ouverte à notre endroit. Sachez que nous apprécions beaucoup cette collaboration, puisqu’elle nous aide grandement dans nos travaux.

Encore une fois, merci de vos exposés. Votre franchise, votre serviabilité et votre engagement vous honorent, et nous vous en remercions sincèrement. Nous sommes impatients de vous recevoir à nouveau.

(La séance est levée.)

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