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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 45 - Témoignages du 26 septembre 2018


OTTAWA, le mercredi 26 septembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 16 h 16, pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international (sujet : La monnaie numérique : mise à jour et examen).

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues et membres du grand public qui suivent la séance d’aujourd’hui du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, soit en personne ou sur le Web.

Je m’appelle Doug Black et je suis président du comité. Je demanderais à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Comme toujours, nous bénéficions de l’aide de notre greffière et de nos analystes, qui nous font généralement mieux paraître que nous le sommes en réalité. Nous vous en sommes reconnaissants.

En juin 2015, notre comité a publié un rapport intitulé Les crypto-monnaies : pile ou face? Le rapport comportait huit recommandations, notamment que le comité évalue le cadre réglementaire des monnaies numériques au cours des trois prochaines années.

Trois années se sont écoulées depuis. Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir au comité l’honorable Bill Morneau, C. P., député et ministre des Finances. Monsieur le ministre, merci d’être ici. Nous sommes ravis de passer la prochaine heure avec vous.

J’imagine que vous avez eu l’occasion d’étudier le rapport du comité. Nous avons très hâte d’entendre vos commentaires sur nos recommandations et, peut-être, d’avoir une mise à jour. Je constate que vous êtes accompagné de M. Stewart, qui pourra aider le comité, au besoin.

Merci beaucoup, monsieur le ministre.

[Français]

L’honorable Bill Morneau, C.P., député, ministre des Finances : Je vous remercie de nous offrir l’occasion de comparaître devant le comité aujourd’hui.

Comme vous le savez peut-être, j’ai eu une discussion avec le sénateur Black l’an dernier au sujet des crypto-actifs. À l’époque, je lui avais promis d’être à la disposition des membres du comité pour discuter de cette importante question, et je suis heureux de pouvoir le faire cet après-midi.

[Traduction]

Je me suis fixé plusieurs objectifs pour mon exposé d’aujourd’hui. Plus précisément, j’aimerais fournir au comité un aperçu des crypto-actifs; discuter des quatre principaux enjeux qu’ils représentent pour les gouvernements à l’échelle mondiale; fournir une mise à jour sur les efforts continus auxquels le Canada participe sur l’enjeu des crypto-actifs; et, pour terminer, décrire les efforts que nous continuerons de déployer pour gérer les crypto-actifs afin d’assurer la stabilité, l’utilité et l’efficience continues du système financier canadien.

Avant d’aborder ces questions en détail, toutefois, j’aimerais fournir au comité une brève mise à jour du travail que fait notre gouvernement par rapport à l’économie en général.

Notre gouvernement croit que tous les Canadiens devraient avoir une chance égale et réelle de réussir, et nous travaillons avec acharnement pour que cela devienne une réalité pour un nombre croissant de personnes, pas seulement parce que c’est la bonne chose à faire, mais parce que nous sommes convaincus que c’est ce qu’il y a de plus judicieux. La prospérité continue de notre pays en dépend. Pour relever les défis qui nous attendent, nous devons miser sur le travail acharné et la créativité de tous les Canadiens, femmes et hommes, des gens de tous âges aux expériences et compétences diversifiées.

[Français]

Notre gouvernement veille à ce que de plus en plus de personnes bénéficient des avantages de la forte croissance économique du Canada. L’une des meilleures façons d’y parvenir consiste à faire en sorte qu’il y ait davantage de bons emplois bien rémunérés pour la classe moyenne et pour ceux qui travaillent fort pour en faire partie.

Les preuves que notre plan fonctionne sont claires. Au cours des trois dernières années, grâce à leur travail acharné, les Canadiennes et les Canadiens ont créé près de 540 000 emplois à temps plein, ce qui a ramené le taux de chômage du pays près de son niveau le plus bas des 40 dernières années. La proportion de Canadiens en âge de travailler atteint son plus haut niveau de l’histoire du Canada. De plus, jusqu’à présent, l’année 2018 est marquée par la plus forte croissance des salaires pour les Canadiens en une décennie.

Depuis 2016, le Canada figure en tête de liste des pays du G7 au chapitre de la croissance économique. Contrairement à ce que les alarmistes aimeraient vous faire croire dans les textes d’opinion, l’investissement des entreprises est à la hausse. Or, depuis la fin de 2016, la croissance de ce type d’investissement a atteint 8 p. 100 en moyenne, soit le taux de croissance le plus rapide des six dernières années. Monsieur le président, il s’agit là de résultats qui sont bons pour notre économie et bons pour la population canadienne.

[Traduction]

Il est important que les gens aient le sentiment que les avantages de la croissance sont partagés. Il est important que les familles aient confiance en l’avenir. Il est primordial que les Canadiens aient confiance en notre système financier et que ce système demeure solide, résilient et efficient. Cela nous amène aux crypto-actifs.

J’aimerais commencer par deux ou trois définitions pour que nous puissions tous être sur la même longueur d’onde. Essentiellement, les crypto-actifs sont une catégorie d’actifs numériques en forte croissance qui utilise la technologie de registre distribué pour valider et consigner des transactions. Bien que beaucoup considèrent le bitcoin et d’autres crypto-actifs comme des devises, la grande majorité des banques centrales et des organismes de réglementation, y compris la Banque du Canada et l’Agence du revenu du Canada, ne sont pas de cet avis. Les crypto-actifs sont difficiles à utiliser et leur valeur n’est pas fiable. Ils sont volatiles et hautement spéculatifs.

Bien que de nombreux termes sont utilisés de façon interchangeable, le terme « crypto-actifs » est le terme généralement employé dans les communications du G20, et la plupart des pays du G20 considèrent les crypto-actifs comme des valeurs mobilières et non des devises. La notion de crypto-actif et la technologie sous-jacente existent sous une forme ou une autre depuis près de 20 ans. En soi, les crypto-actifs ne sont pas nouveaux, mais leur volatilité et les enjeux qui découlent de leur adoption généralisée le sont, tout comme la technologie sous-jacente, qui évolue constamment.

Cela a attiré l’attention des organismes de réglementation partout dans le monde. Ces organismes cherchent donc des solutions équilibrées pour les réglementer. Il s’agit d’atténuer les risques sans freiner l’innovation.

Les organismes de réglementation du secteur financier sont confrontés à divers défis. Les crypto-actifs sont internationaux de nature et numériques par définition. Les systèmes financiers mondiaux sont fortement intégrés et les utilisateurs aguerris de crypto-actifs n’ont aucune difficulté à adapter leurs pratiques — pour les premières émissions de cryptomonnaie ou les échanges subséquents — pour contourner la réglementation. Vous comprenez certainement, monsieur le président, que ces problèmes mondiaux exigent une réponse mondiale.

Par conséquent, ce sujet a été au centre des discussions sur de nombreuses tribunes, y compris au Conseil sur la stabilité financière et dans les réunions du G7 et du G20, où j’ai mené les discussions sur les crypto-actifs et les défis qu’ils représentent. Au terme de ces discussions, les gouvernements ont convenu de se concentrer sur quatre enjeux importants : l’utilisation des crypto-actifs à des fins de blanchiment d’argent ou de financement d’activités terroristes; l’absence de mesures de protection pour les investisseurs et des consommateurs; l’utilisation de ces actifs à des fins d’évasion ou d’évitement fiscal et, enfin, les répercussions potentielles sur l’intégrité du marché.

J’aimerais décrire en détail les efforts que déploie le ministère des Finances Canada pour chacun de ces enjeux. Je souligne toutefois que les enjeux liés aux crypto-actifs ne concernent pas seulement le ministère des Finances. Au Canada, étant donné que la plupart des crypto-actifs sont classés dans la catégorie des valeurs mobilières, la réglementation et les mesures de protection connexes pour les investisseurs et les consommateurs relèvent essentiellement de la compétence des provinces et des territoires.

D’autres organismes fédéraux, dont l’Agence du revenu du Canada et la Banque du Canada participent aussi à l’évaluation du risque d’utilisation à des fins d’évitement fiscal et des répercussions sur l’intégrité du marché.

[Français]

Concernant les mesures adoptées dans le cadre de mon mandat, le gouvernement a répondu aux risques grâce à la réglementation, à la collaboration et à la coordination. Il a apporté des modifications aux textes réglementaires afin de s’attaquer plus efficacement à l’utilisation à des fins illicites des crypto-actifs, que l’on appelle aussi des monnaies virtuelles, et d’assurer la conformité aux normes internationales.

Nous collaborons avec nos homologues provinciaux et territoriaux afin de garantir la mise en place de mesures adéquates de protection des consommateurs et des investisseurs relativement aux crypto-actifs classés comme des valeurs mobilières. Nous travaillons également avec nos partenaires internationaux en échangeant de meilleures pratiques afin de gérer les risques liés aux crypto-actifs.

[Traduction]

Revenons aux quatre principaux enjeux. Dans un premier temps, j’aimerais parler des efforts qui sont faits sur la question du blanchiment d’argent et du financement des activités terroristes, car c’est là que les risques associés aux crypto-actifs sont les plus marqués. Ils sont en effet intrinsèquement vulnérables au blanchiment d’argent et au financement des activités terroristes parce que les transactions se font en marge du système de paiement conventionnel. L’anonymat, la transférabilité et l’accessibilité accrus qu’ils permettent sont des avantages attirants pour les acteurs du crime organisé, et ils sont assurément utilisés à ces fins.

Les crypto-actifs sont de plus en plus utilisés pour le blanchiment des produits de la criminalité, le financement des activités illicites et pour échapper à des sanctions. L’exemple le plus probant est Silk Road, une plateforme commerciale du Web invisible qui, selon les estimations, a vendu pour 1,2 milliard de dollars de marchandises illégales avant d’être fermée.

Sur ce front, le ministère des Finances a proposé, en collaboration avec le ministère de la Justice, des modifications aux règlements visant à combattre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes afin de renforcer le régime canadien et de mieux l’harmoniser aux normes internationales. Ces règlements ont été publiés dans la Gazette du Canada de juin à septembre 2018, à des fins de consultation.

Dès leur entrée en vigueur, ces nouveaux règlements s’appliqueront aux courtiers en monnaies virtuelles et en crypto-actifs et non aux entreprises qui utilisent les monnaies virtuelles et les crypto-actifs comme forme de paiement. Les courtiers seront tenus de mettre en place un programme de conformité exhaustif et de s’inscrire auprès de l’unité de renseignements financiers canadiens, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE.

Toutes les institutions financières et les autres entités déclarantes qui reçoivent des montants de 10 000 $ ou plus sous forme de dépôt ou de paiement auront des obligations en matière de tenue de dossiers et de production de rapports, comme c’est le cas pour d’autres transactions financières. Ces mesures contribueront à atténuer les risques d’utilisation des crypto-actifs à des fins illicites.

Nous avons également ajouté des définitions de base dans la réglementation. Nous avons défini la « monnaie fiduciaire » comme étant une devise émise par un État et ayant cours légal.

Nous avons aussi établi une définition de « monnaie virtuelle »; il s’agit d’une monnaie numérique qui n’a pas cours légal, mais qui peut être convertie, soit en espèces, soit en une autre monnaie virtuelle. Cette approche vise à accroître la certitude réglementaire à l’égard des crypto-actifs, mais sans réglementer la technologie sous-jacente, conformément à notre objectif qui consiste à atténuer les risques sans freiner l’innovation.

Il s’agit d’une importante orientation stratégique, puisque la technologie de la chaîne de blocs sert souvent à la création de crypto-actifs, mais a d’autres applications qui pourraient être avantageuses pour les Canadiens et les entreprises canadiennes, même au-delà du secteur financier.

Sur la scène internationale, le Groupe d’action financière, un organisme intergouvernemental, sera parmi les premiers organismes de normalisation internationale à publier — en octobre prochain — des directives sur l’application, par les pays membres, des normes réglementaires sur les crypto-actifs qu’il a établies pour contrer le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. Il s’agit d’un important pas en avant. Cela aura pour effet d’élargir le mandat du groupe de travail au-delà du suivi de cet enjeu et d’offrir une plus grande clarté aux pays membres.

[Français]

Comme je l’ai mentionné au début de cette intervention, un certain nombre d’organismes de réglementation provinciaux, territoriaux et fédéraux jouent un rôle important en ce qui concerne la protection des investisseurs et des consommateurs. Je parlerai d’une partie du travail qu’ils ont fait jusqu’à maintenant, mais j’invite aussi le comité à faire un suivi directement auprès d’eux.

Bien que les premières émissions de crypto-actifs offrent aux Canadiens de nouvelles possibilités de mobiliser des capitaux, leur croissance soudaine a suscité des inquiétudes quant à la protection des consommateurs et des investisseurs. Nous savons, par exemple, que certaines premières émissions ont servi à frauder des investisseurs.

Le Fonds monétaire international a relevé certains des grands risques que les crypto-actifs posent aux consommateurs. Ces risques comprennent une infrastructure qui n’a pas fait ses preuves et qui est potentiellement instable, des intermédiaires et des fournisseurs de services non réglementés et l’impossibilité d’annuler les transactions.

Ici au pays, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada a publié des directives dans lesquelles elle avertit les consommateurs des risques possibles liés aux crypto-actifs et au caractère limité des mesures de protection qui s’y rattachent. L’agence continue de surveiller cette question afin de tenir les consommateurs au courant des risques éventuels.

[Traduction]

Le gouvernement travaille en étroite collaboration avec ses homologues provinciaux et territoriaux pour renforcer la coordination entre les instances réglementaires. De plus, en août de l’an dernier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont émis des directives. L’organisme précise que bon nombre des premières émissions de cryptomonnaies à ce jour sont en réalité des valeurs mobilières. Il a recommandé aux entreprises intéressées par ces émissions de consulter les organismes de réglementation des valeurs mobilières de leur région.

Plus récemment, en juin de cette année, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié des directives supplémentaires sur l’applicabilité des lois sur les valeurs mobilières sur les émissions de pièces de monnaie ou de jetons afin de décrire des circonstances précises. À titre d’exemple, si les jetons ne sont pas livrés à l’acheteur immédiatement, cela pourrait indiquer que le crypto-actif n’est pas encore disponible et que l’acheteur n’en fait pas l’acquisition aux fins d’une utilisation immédiate. L’achat en vue de faire un profit s’apparente à l’acquisition de valeurs mobilières.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’utilisation des crypto-actifs à des fins d’évitement fiscal est une autre préoccupation. Les crypto-actifs ainsi que les transactions et les usages connexes suscitent d’importantes préoccupations pour les gouvernements en raison du risque d’évasion et d’évitement fiscal. La plupart des pays du G20 ont décidé qu’aux fins de l’impôt, les crypto-actifs seraient considérés comme des valeurs mobilières et non des devises. Au Canada, l’administration des règlements fiscaux relève de l’ARC, l’Agence du revenu du Canada, qui a d’ailleurs publié des directives dans lesquelles on explique que les règles fiscales s’appliquent lorsque les crypto-actifs sont utilisés pour l’achat de biens et services ou s’ils sont achetés ou vendus comme une marchandise.

Enfin, l’incidence des crypto-actifs sur l’intégrité du système financier mondial est une importante préoccupation pour les banques centrales, y compris la Banque du Canada. Comme je l’ai indiqué plus tôt, les crypto-actifs font l’objet ces dernières années d’un intérêt et d’une spéculation accrus. Beaucoup d’entre vous se souviennent certainement de la hausse spectaculaire et de la chute subséquente du cours du bitcoin, qui n’est qu’un crypto-actif parmi d’autres. En 2017, les premières émissions de cryptomonnaie pour les nouveaux crypto-actifs ont permis de recueillir plus de 6 milliards de dollars, et déjà près de 7 milliards de dollars pour les huit premiers mois de 2018 seulement. En date de mars 2018, plus de 1 600 types de crypto-actifs étaient mis en marché. Bien que le marché demeure relativement modeste, les crypto-actifs suscitent beaucoup d’intérêt, y compris au Canada, en tant qu’investissement et en tant que mode de paiement novateur.

Je souligne au passage que, dans le commerce où j’achète mon Financial Times tous les dimanches matin, la dame qui me le vend me pose des questions sur les crypto-actifs toutes les semaines, sans exception. Comme vous vous en doutez bien, cet intérêt a entraîné la création d’un marché extrêmement actif et volatil.

Le Canada joue un rôle de chef de file sur ce front au sein de la communauté internationale. En collaboration avec le ministère des Finances, la Banque du Canada a codirigé les activités axées sur les crypto-actifs et les monnaies virtuelles sur les tribunes internationales comme le G7, le G20 et le Conseil de stabilité financière. De son côté, le CSF a étudié l’incidence des crypto-actifs sur la stabilité financière. Il a conclu qu’en comparaison avec la capitalisation boursière, la part des crypto-actifs est actuellement trop petite relativement aux autres types d’actifs pour représenter un risque systémique à la stabilité financière mondiale.

Par conséquent, la plupart des pays du G20, dont le Canada, ont fait preuve d’une grande prudence à l’égard des crypto-actifs. Ils surveillent les occasions et les risques et évaluent la pertinence des interventions multilatérales. Jusqu’à maintenant, toutefois, les interventions réglementaires ont été très ciblées en raison de la nature spéculative du marché. C’est d’ailleurs l’approche prise par le Canada : répondre de manière réfléchie à l’aide de mesures ciblées proportionnelles au risque perçu.

Les crypto-actifs présentent à la fois des occasions et des défis pour le Canada; il est essentiel de les reconnaître et d’y répondre. Conformément aux recommandations du rapport de 2015 de ce comité et aux orientations du Conseil de stabilité financière, nous continuerons de prendre les mesures nécessaires en matière de réglementation, proportionnellement aux risques observés sur le marché.

[Français]

Nous continuerons aussi de collaborer étroitement avec nos partenaires au pays et ailleurs afin d’évaluer les mesures en place. Nous surveillerons aussi l’évolution du marché et les tendances liées à la réglementation dans d’autres administrations.

En particulier, nous continuerons de jouer notre rôle de chef de file au sein du G7 et du G20 et nous insisterons sur une coopération internationale forte et sur une réponse concertée à ces défis qui ne s’arrêtent pas aux frontières et qui exigent une véritable réponse mondiale.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir accueilli. Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.

[Traduction]

Le président : Monsieur le ministre, merci beaucoup de cet aperçu exhaustif. Je sais qu’il y aura plusieurs questions pour vous. Nous commençons avec le sénateur Marwah.

Le sénateur Marwah : Merci, monsieur le ministre. Vos commentaires sur les mesures prises par le gouvernement sont très instructifs. Cela dit, je me demande toujours comment on peut réglementer un secteur conçu pour ne pas l’être. Les crypto-actifs sont précisément conçus pour échapper à toute réglementation.

Mes préoccupations portent sur les nouveaux règlements relatifs aux exigences en matière de suivi, comme le seuil de 10 000 $ du CANAFE. Je me réjouis toutefois de l’accent qui est mis sur cet aspect et des efforts concertés à l’échelle mondiale. Est-ce que ce sera suffisant? Devrions-nous adopter des règlements beaucoup plus sévères, comme interdire certaines devises? Je crains que le signalement des transactions de 10 000 $, notamment, ne crée une situation cauchemardesque pour la production de rapports. Je suis au fait des difficultés rencontrées pour les transactions de 10 000 $ en espèces, alors imaginez l’effet qu’aura un pareil seuil pour le bitcoin. Ce sera catastrophique.

M. Morneau : Je pense que c’est une question raisonnable et que le problème auquel nous sommes confrontés à cet égard continue d’évoluer. Nous devons le voir comme un problème en évolution.

Nous avons conclu que si nous n’adoptions pas cette approche — c’est-à-dire si nous n’abordions pas ce problème comme nous abordons les autres —, nous laisserions un grand vide pour ceux qui souhaitent éviter de l’impôt ou frauder le fisc, comme vous le savez, ou utiliser des crypto-actifs à des fins occultes. Je pense que notre stratégie s’apparente à celle privilégiée ailleurs dans le monde. Nous ne voyons pas vraiment d’autre solution que de trouver une façon de mieux maîtriser la situation, parce que si nous ne le faisons pas, nous nous placerons en position de vulnérabilité.

Nous devrons revoir notre stratégie avec le temps, en fonction de l’évolution de la situation. C’est un marché qui change très rapidement, donc nous devrons nous y adapter.

Le sénateur Marwah : Je n’en doute pas. Je me demande plutôt si c’est assez pour vraiment mettre un frein aux activités occultes dans le secteur. Devrions-nous les forcer à recourir à des bourses d’échanges? Devrions-nous exiger que tous les échanges de cryptomonnaies passent par des bourses d’échange? C’est ce qui se fait aux États-Unis, maintenant, mais devrions-nous faire de même au Canada, en adoptant une position plus ferme et mesurée sur la façon de régir cet espace?

M. Morneau : Nous devrons réfléchir à la façon dont nous pouvons collaborer avec les autres administrations et États à ce chapitre. La question du partage des compétences sera importante. Si l’on considère ces actifs comme des valeurs boursières, et c’est ainsi que nous les voyons, ils relèvent de la compétence des provinces et des territoires.

Cela signifie que nous devrons intervenir d’une certaine façon, parce que nous avons accès à plus d’information, de manière à ce que les autres administrations du pays aient accès à cette information.

Rob, vous pouvez peut-être expliquer comment nous communiquons actuellement aux provinces toute l’information que nous recueillons au G7, au G20 et au CSF.

Rob Stewart, sous-ministre délégué et représentant du Canada auprès du G7, du G20 et du Conseil de stabilité financière, ministère des Finances Canada : Il y a divers contextes dans lesquels nous travaillons avec les provinces, notamment dans nos discussions avec la Banque du Canada et les Autorités canadiennes en valeurs mobilières. En effet, nous avons eu plusieurs discussions dans ce contexte et nous nous sommes explicitement entendus pour surveiller toutes les activités et les enjeux liés aux cryptomonnaies.

J’ajouterais aussi à la réponse du ministre qu’il est très important que notre réglementation soit bien calibrée. Il faut trouver l’équilibre entre l’innovation et l’utilisation illicite, si l’on veut. Jusqu’ici, nous n’avons pas jugé nécessaire de resserrer les règles sur leur utilisation collective ou individuelle au-delà de ce que nous proposons déjà dans nos règles contre le blanchiment d’argent, soit d’un plancher de 10 000 $.

Le sénateur Wetston : Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui, monsieur le ministre. Il s’agit d’une question aux ramifications multiples, manifestement.

Je suis assez optimiste quant à la vague actuelle d’innovation associée à la technologie des registres distribués. Je sais qu’il y a beaucoup de travail qui se fait à ce sujet, y compris au Canada, ainsi que sur les cryptomonnaies, à l’égard desquelles je suis peut-être un peu moins optimiste, qu’il s’agisse du bitcoin, de l’ethereum ou d’autres devises. Il y a toutefois des avancées et de l’innovation dans ce domaine.

En même temps, je suis assez sceptique à l’égard des motivations de bon nombre des participants actuels au marché, et je suis extrêmement sceptique devant l’évaluation vertigineusement à la hausse de beaucoup de cryptomonnaies aujourd’hui. Vous venez de dire que nous voulons de l’innovation, que nous ne voulons pas nuire à l’innovation, mais que nous voulons un cadre pour guider cette innovation. Vous nous avez beaucoup aidés en décrivant ce que le gouvernement fait et comment vous intervenez dans ces domaines. Le simple fait que nous ne sachions pas comment décrire les cryptomonnaies et que nous sentions le besoin de préciser qu’il s’agit d’une forme de valeurs mobilières et de la réglementer est indicatif des obstacles auxquels nous nous heurtons.

Nous avons eu le même problème avec les produits dérivés après la crise financière, et nous avions conclu qu’il ne s’agissait pas de valeurs mobilières. Vous vous en souvenez probablement.

Je vois votre détermination. Je peux comprendre la pertinence d’intervenir et je suis conscient que vous réagissez à l’évolution de la situation, mais comment comptez-vous pouvoir créer un cadre fonctionnel puisque, comme vous l’avez vous-même expliqué, il vous faudra vous assurer d’une coordination importante avec les autres administrations nationales et internationales? Pouvez-vous nous éclairer un peu sur la stratégie que j’essaie de vous décrire?

M. Morneau : Je peux peut-être vous rassurer un peu, mais je ne suis pas certain de pouvoir vous éclairer plus que vous ne l’êtes déjà, parce que de toute évidence, vous avez déjà des connaissances approfondies du domaine et avez déjà beaucoup réfléchi à ces choses.

Cependant, si je peux vous rassurer un peu, il y a actuellement des discussions très sérieuses à ce sujet au G20 et au G7. Je vous dirais qu’elles portent principalement sur le terrorisme et le blanchiment d’argent : c’est un problème grave partout dans le monde, puisque nous nous trouvons devant des méthodes qui permettent aux gens d’appuyer anonymement des groupes qui pourraient essentiellement nuire à la société occidentale. C’est la grande source de préoccupation, surtout au G7, et nous avons cette discussion littéralement chaque fois que les ministres des finances du G7 et les gouverneurs de la banque centrale se rencontrent.

Nous essayons avant tout de trouver des moyens de collaborer, puisque dans ce domaine, nous n’avons d’autre choix que de travailler ensemble et de trouver des façons de régler le problème. Nous avons donc sollicité l’avis des observateurs les plus sophistiqués en la matière. Le Conseil de stabilité financière déploie beaucoup d’efforts pour cerner les risques systémiques, et comme je l’ai mentionné dans mon exposé, il a conclu que pour l’instant, il ne s’agirait pas d’un risque systémique.

Sous cet angle, et surtout de notre point de vue, c’est la raison pour laquelle nous privilégions l’angle des valeurs mobilières et observons qu’il ne s’agit pas d’une devise plus que d’autre chose, et c’est pourquoi nous choisissons de nous doter d’un régime d’imposition adapté à la nature de ce type de véhicule.

Je partage certaines de vos observations et votre optimisme sur les chaînes de blocs, y compris pour ce que nous voyons. J’ai eu la chance de rencontrer le président d’Alibaba, c’était bien intéressant. Il m’a expliqué qu’il utilisait notamment la technologie de la chaîne de blocs dans son entreprise de homards, imaginez-vous. Il l’utilise parallèlement à la technologie du registre distribué pour suivre les échanges commerciaux d’un territoire à l’autre.

Nous avons vu aujourd’hui qu’il y a des banques qui les utilisent pour des paiements différents de ceux en bitcoins. Je partage votre optimisme à l’égard de la technologie. Et pour ce qui est des motivations de ceux qui les utilisent, nous devons être très prudents et suivre la situation de près pour nous assurer de repérer ceux qui se comporteraient de façon inappropriée.

Le sénateur Wetston : Illégalement, peut-être?

M. Morneau : Illégalement, de bien des façons. Je suis sûr qu’il y a beaucoup de raisons pour lesquelles on peut envisager d’utiliser la technologie, mais parfois, les gens l’utilisent très clairement pour les mauvaises raisons.

Le sénateur Tkachuk : Je vous remercie de votre exposé, monsieur le ministre. Dans notre rapport sur la monnaie numérique, nous avons conclu, entre autre chose, que les monnaies numériques et les technologies présentent toute une série de difficultés, notamment qu’elles offrent de nouveaux outils pour blanchir de l’argent. Nous avons appris depuis que le blanchiment d’argent, au Canada, est un problème bien plus grave que le comité n’était porté à le croire.

Nous avons reçu des témoins du CANAFE à maintes reprises, sur la question, et jamais ils ne nous ont dit qu’il y avait de graves problèmes de ce type dans six des neuf banques, surtout en ce qui a trait à la déclaration des transactions douteuses.

Dans son rapport public publié en 2017, le CANAFE faisait l’éloge des efforts des banques canadiennes à ce chapitre, or il y a un autre rapport, dont on ne nous avait pas parlé et qui vous a été présenté, que nous avons découvert grâce à une demande d’accès à l’information et qui révèle les problèmes que connaissent les banques. Je vous citerai ce qu’on a pu en lire dans les médias, mais vous êtes déjà au courant. Il est écrit dans le rapport qui vous a été soumis que « les examens réalisés dans le secteur bancaire ont permis de constater un degré important de non-conformité dans 67 % des cas. »

Même les casinos ont enregistré de meilleurs résultats que les banques, avec leur maigre 29 % de non-conformité, et nous connaissons tous l’ampleur du problème de blanchiment d’argent dans les casinos.

Monsieur Morneau, chaque fois que nous entendons des représentants du CANAFE, ils nous présentent les choses sous un jour très rose. C’est un peu un choc. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les représentants du CANAFE ne nous en ont rien dit quand ils ont témoigné devant nous? Pourquoi n’en avons-nous pas entendu parler des fonctionnaires du ministère des Finances? Après tout, c’est vous qui avez reçu ce rapport. Que comptez-vous en faire?

M. Morneau : Je vous remercie de cette question.

Le sénateur Tkachuk : Il n’y a vraiment pas de quoi.

M. Morneau : Je ne peux pas me prononcer sur ce qui s’est dégagé de votre rencontre avec les représentants du CANAFE, puisque je n’étais pas là. Je ne suis absolument pas au courant de ce qu’ils vous ont présenté ou non.

Le sénateur Tkachuk : Nous étions tous là.

M. Morneau : Je n’y étais pas, donc je ne peux rien vous répondre à ce sujet. Bien sûr, le rapport en question portait sur un très large volume de transactions, compte tenu de la taille des banques, évidemment. Beaucoup de problèmes sont de nature technique. Il est important que nous soyons bien au courant de ce genre de choses et qu’on nous en fasse rapport, pour que nous puissions continuer de surveiller la situation et de nous attaquer convenablement aux difficultés qui se posent dans le secteur bancaire. Nous avons en place un système qui nous permet de voir ce qui se passe et de comprendre quels problèmes il importe que nous corrigions et à quels problèmes nous devons travailler sur le plan technique pour que les banques se conforment davantage aux règles lorsqu’elles gèrent un très grand nombre de transactions.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur le ministre, je ne sais pas comment vous le dire, mais les représentants du CANAFE comparaissent devant nous. Vous en êtes responsable. Ils viennent nous dire que tout va bien. Nous nous rendons ensuite compte qu’il y a un autre rapport qui vous avait été présenté, selon lequel tout n’était pas rose et il y avait des problèmes. On ne parle pas de petits problèmes, ici. Il s’agit de graves problèmes de non-conformité des banques.

Nous n’en avons jamais entendu parler de la part des représentants du CANAFE ni d’ailleurs de vos fonctionnaires, quand ils ont comparu devant nous. Nous avons dû l’apprendre par les journaux. Il y a quelque chose qui cloche. Vous ne pouvez pas vous en tirer en nous disant que vous ne savez pas ce qu’ils nous ont dit. Nous savons tous ce qu’ils ont dit. Ils ont dit que tout allait bien, mais ce n’était pas le cas. Comment comptez-vous résoudre le problème?

M. Morneau : Je suis prêt à jeter un autre coup d’œil à son rapport. Si vous avez des questions en particulier et que vous souhaitez me les faire parvenir, j’y répondrai avec plaisir.

Pour ce qui est des rapports du CANAFE, il essaie évidemment d’examiner un très grand nombre de transactions. Il est important de les examiner. Il est aussi important de tenir les banques responsables des problèmes relevés, et je pense que nous faisons un bon travail à cet égard.

Le sénateur Tkachuk : Quand avez-vous pris connaissance du rapport qui n’avait été révélé à aucun d’entre nous, ni par vous ni par le CANAFE? Quand l’avez-vous vu?

M. Morneau : Je ne sais pas de quel rapport en particulier vous parlez, donc vous devrez me le fournir.

Le sénateur Tkachuk : Je passerai mon tour.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, monsieur le ministre, de votre ouverture à discuter de l’état de l’économie. Je souhaite discuter de la compétitivité du Canada à l’égard du bitcoin et des crypto-actifs. Quand les gens ordinaires comme moi entendent « des milliards de dollars », je n’ai pas l’impression que nous sommes très loin de l’établissement d’un régime fiscal. Habituellement, les gouvernements ne rechignent pas à taxer d’aussi grandes sommes d’argent. Nous ne semblons pas en être là.

Je veux m’assurer que le Canada sera compétitif dans ce domaine et que nous serons aux premières loges. C’est un domaine en émergence, dans lequel nous devons être compétitifs, parce que le Canada perd des investissements étrangers, ce qui se répercute sur nos revenus généraux, pour les pipelines, le pétrole, nos ressources. J’aimerais vous entendre à ce sujet. Vous affirmez surveiller la situation de près, mais ne croyez-vous pas que nous devrions en faire un peu plus que de surveiller la situation?

M. Morneau : Je pense qu’il y a beaucoup de choses dans cette question, donc je peux peut-être essayer de les prendre une à la fois. Dans la première partie, vous vous interrogez sur la compétitivité canadienne. Il est toujours important de nous demander où nous en sommes et où nous voulons être. Où en sommes-nous? Dans l’état actuel des choses, notre économie se porte bien. Nous avons connu la croissance la plus rapide des pays du G7 l’an dernier, en 2017, notre taux de chômage est presque au plus bas depuis la moitié des années 1970, donc il y a de plus en plus de Canadiens qui travaillent. Nous constatons aussi un relèvement des salaires, ce qui est positif. Le niveau d’investissement auquel vous faites allusion ne décline pas, il augmente.

Le niveau d’investissement a changé avec les fluctuations des prix du pétrole, mais depuis six trimestres, nous enregistrons une augmentation moyenne de 8 p. 100. L’investissement est donc en hausse, et non en baisse. Je ne le dis pas par complaisance, mais parce qu’il faut toujours nous demander vers quoi nous nous dirigeons.

Quand j’ai parcouru le pays, cet été, pour parler des difficultés qu’entrevoient les entrepreneurs canadiens, j’ai entendu que les entreprises se portent bien; elles ont beaucoup de mal en ce moment à trouver de la main-d’œuvre qualifiée, ce qui n’est pas surprenant, parce que notre taux de chômage est bas, d’où la difficulté d’attirer des travailleurs; enfin, ils tiennent à ce que nous conservions notre pouvoir de faire des investissements de manière concurrentielle. Ils observent les modifications apportées aux taux d’imposition, aux États-Unis, et essaient d’évaluer en quoi cela change leur situation du point de vue des affaires s’ils veulent investir de l’autre côté de la frontière. C’est un contexte important.

À mes yeux, la question du bitcoin n’est pas totalement distincte. Si l’on voit les crypto-actifs comme des valeurs mobilières, cela aura une incidence sur la façon dont ils seront imposés. Cela signifie que si quelqu’un achète un crypto-actif de 10 $, puis que sa valeur augmente à 100 $, il aura réalisé un gain de 90 $ au moment de la vente. Il y a une taxe qui s’applique à la vente. Nous taxons ces actifs. Donc quand vous demandez si nous perdons quelque chose, vous faites fausse route. En fait, nous taxons les gains en capital sur ces actifs comme nous taxons les autres gains.

Il faut toujours nous demander si nous devons revoir notre compréhension d’une catégorie d’actifs et s’il y a des dynamiques qui changent la donne. C’est la raison pour laquelle il est si important d’avoir des discussions comme celles-ci, mais pour l’instant, notre économie n’y perd rien.

Pour ce qui est de l’ampleur du phénomène, je pense que vous avez souligné à juste titre qu’il prend de l’ampleur, mais si on l’analyse dans le contexte global de l’économie, ce n’est pas une fonction si énorme de notre économie. L’argent dont nous parlons ici fait partie d’une économie de 2 billions de dollars, donc il est important de mettre les choses en contexte. Nous devons surveiller la situation et nous assurer que nos systèmes soient à jour. Nous devons particulièrement nous préoccuper des difficultés potentielles, comme le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ce sont là des risques importants non seulement pour le Canada, mais pour l’économie mondiale. Je crois toutefois qu’il faut garder les choses en perspective et ne pas perdre les proportions de vue.

La sénatrice Stewart Olsen : J’ai peut-être mal compris, mais il me semble que vous avez dit « pour choisir un régime fiscal ». J’en ai déduit que nous n’en faisons peut-être pas autant que nous pourrions en faire à l’avenir. Est-ce ce que vous disiez?

M. Morneau : Non. Quand nous regardons la nature des crypto-actifs, nous y voyons le même genre de volatilité que dans les valeurs mobilières, le même genre de caractéristiques, de sorte que nous les taxerons de la même façon que nous taxerions les autres actifs pouvant générer le même genre de gains. C’est ce que je voulais dire. C’est l’approche que nous avons retenue, et je pense qu’elle concorde avec celle de la plupart des autres pays.

Rob, vous pouvez peut-être nous en toucher quelques mots.

M. Stewart : À ma connaissance, c’est ainsi dans la plupart des pays. Ce genre d’actifs est considéré comme des marchandises.

La sénatrice Stewart Olsen : C’est sur le mot « choisir » que je m’interrogeais.

La sénatrice Wallin : J’aimerais poursuivre dans la même veine, monsieur le ministre. Nous sommes en train de définir, de réglementer et de taxer un actif que nous considérons comme une forme de valeur mobilière, mais la valeur de ce genre d’activité est très élevée. Je formulerai ma question ainsi : qu’est-ce qui pousse le gouvernement fédéral à traiter ces actifs comme des valeurs mobilières et ainsi à en laisser l’administration aux provinces? Qu’est-ce qui les placerait dans notre rétroviseur, qui en ferait un phénomène assez important pour qu’on les considère comme une forme de monnaie? Vous nous avez décrit un régime fiscal très précis. Avez-vous un ordre de grandeur en tête, en dollars, à partir duquel la donne changerait, ou doit-il y avoir un incident, une autre attaque terroriste et que nous découvrions qu’elle a été financée grâce à ce mécanisme? Qu’est-ce qui nous mènerait à la prochaine étape?

M. Morneau : Je vois là deux questions séparées, d’une certaine façon. Quand on regarde la taille du marché, il y a évidemment un marché de capitaux très important au Canada, dont la réglementation relève des provinces. Ces actifs, ces valeurs mobilières, sont réglementés par les provinces. C’est la question du partage des compétences dans notre pays. Ces actifs sont donc réglementés pour que nous puissions bien comprendre la situation, pour que l’achat et la vente de ce genre d’actifs soient déclarés. Tant que c’est le cas, ce cadre est approprié.

Il y a ensuite toute la question, différente, du risque de l’anonymat qui vient avec la technologie. Nous devrons continuer de suivre la question très attentivement. Évidemment, nous adoptons des règlements qui obligent les courtiers et quiconque échangent ce genre de valeurs à déclarer leurs activités pour que nous puissions gérer la situation. S’il survenait une situation, hypothétique, qui nous poussait à repenser notre façon de faire en raison des risques qu’elle présente pour l’économie en général ou notre sécurité, je pense que nous devrons y réfléchir en temps et lieu. Pour l’instant, nous essayons de réglementer les activités de manière à réduire les problèmes associés à l’anonymat et à bien comprendre ce qui se passe.

La sénatrice Wallin : Ai-je raison de dire que vous ne considérez pas encore cela comme une forme de monnaie légitime?

M. Morneau : Tout à fait. Nous ne considérons pas que cela a les caractéristiques d’une monnaie, pas du tout. Nombre d’autres pays ont le même point de vue que nous sur la question, et c’est assurément le cas au sein du G7 et du G20.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le ministre, de votre présentation.

Lorsqu’on lit sur les cryptomonnaies, on constate qu’il s’agit d’un placement à risques élevés. Il n’y a pas de processus pour traiter les plaintes. Souvent, le fournisseur ne fournit aucune aide pour récupérer les fonds. Il n’y a aucune assurance-dépôts. Si le fournisseur fait faillite, les fonds ne sont pas protégés.

Pensez-vous que les Canadiens sont assez sensibilisés à l’utilisation des cryptomonnaies pour comprendre les risques élevés? Pensez-vous que la législation en place, s’il y en a une, est assez musclée pour exercer un contrôle?

Vous avez parlé des rencontres du G20. Y a-t-il des ententes entre les pays pour prévoir une surveillance accrue de l’utilisation des cryptomonnaies?

M. Morneau : Il est clair que ce sont de bonnes questions. Je suis certain qu’il est difficile de comprendre le marché des crypto-actifs pour les Canadiennes et les Canadiens. Je préfère utiliser le mot « crypto-actif », parce que c’est différent de la cryptomonnaie. Cela continue d’être un défi. On doit évaluer les risques pour les consommateurs. Avec notre réglementation, nous pensons pouvoir améliorer la situation, mais nous devons continuer nos délibérations pour nous assurer que les gens comprennent bien la situation. Avec les autres types d’actifs, on peut toujours se demander si les gens qui en achètent comprennent bien les risques. C’est toujours un défi, mais c’est un défi plus important avec quelque chose de nouveau.

Aux rencontres du G7 et du G20, nous avons discuté des risques liés au terrorisme et à la façon de travailler ensemble pour améliorer la situation. En même temps, nous examinons les risques pour tout le système et pour la stabilité financière. Il faut examiner ces aspects, parce que le marché est en train de changer. Cependant, pour l’heure, nous pensons que ce n’est pas un risque pour le système entier.

Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé des performances économiques et du taux de chômage qui est bas. Ce sont des images qui sont fixées dans le passé, et vous et moi savons qu’il faut plutôt regarder vers l’avenir.

M. Morneau : Nous devons toujours envisager l’avenir. C’est pour cette raison que j’ai été à l’écoute des gens à travers le pays au cours de l’été pour voir ce que nous pouvions faire pour maintenir notre niveau de compétitivité à l’avenir.

De ce que j’ai entendu, la grande majorité des entreprises sont dans une bonne situation, mais avec un certain niveau d’anxiété à cause des changements sur la scène internationale et des changements en matière d’impôt aux États-Unis. Nous réfléchissons à ce que nous pouvons faire pour attirer des investissements dans notre pays à l’avenir. Cela fera partie de nos réflexions cet automne.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur le ministre.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Monsieur le ministre, le comité a présenté huit recommandations, et j’étais heureux de faire partie du comité à ce moment. Nous nous sommes efforcés de présenter des recommandations très précises, réalisables et pas trop compliquées, afin qu’elles soient relativement faciles à mettre en œuvre.

Je veux vous parler des recommandations 5, 6 et 7. La recommandation 5 vous demandait à vous, en tant que ministre des Finances, d’organiser une table ronde avec les parties prenantes, incluant les banques, afin de solutionner les problèmes d’accessibilité des entreprises qui évoluent dans l’univers des cryptomonnaies, y compris celles qui ne font que les accepter; il est difficile pour elles de conclure des ententes avec les banques, car les banques canadiennes ne veulent pas leur fournir de services. Je me demandais si vous avez organisé cette table ronde, ou si vous avez changé d’idée.

La recommandation 6 demandait au gouvernement fédéral, par l’entremise des autorités fédérales concernées, d’informer en termes concis la population des risques que présente la cryptomonnaie. J’aimerais savoir si vous êtes passé à l’action, et si c’est le cas, j’aimerais que vous nous acheminiez l’information qui a été diffusée par les autorités.

La recommandation 7 demandait que l’Agence du revenu du Canada déploie des efforts pour informer les contribuables de leurs obligations fiscales. Avez-vous décidé d’agir dans ce dossier, et si c’est le cas, pourriez-vous nous donner plus de détails?

M. Morneau : Tout d’abord, il est toujours important de prendre conscience de l’importance pour nous de réfléchir à ces questions. Vous avez présenté des recommandations qui mettaient en lumière des lacunes, notamment sur la compréhension qu’ont les Canadiens du marché. Bien sûr, il s’est passé beaucoup de choses depuis la publication du rapport. Le marché évolue, et les consultations de l’été dernier sur les règlements visaient justement à examiner la situation actuelle, de même que les recommandations du Comité des banques. C’est très important.

Aucune recommandation n’a été abandonnée. Certaines sont en cours de mise en œuvre, même s’il reste encore beaucoup à faire. Il est tout à fait juste de dire que nous devons continuer de renseigner la population sur les risques des monnaies numériques. Nous le faisons par l’entremise de FinPaie, mais il est toujours possible de faire plus. Mon anecdote à propos de la femme qui me vend le journal est la pure vérité. Malheureusement, elle n’a pas suivi mon conseil, et elle a perdu de l’argent en achetant des bitcoins. Je pense toutefois que les gens ont hâte d’en savoir plus, et je pense aussi que les obligations fiscales, que nous avons tenté d’expliquer, ne sont pas bien comprises.

J’avancerais toutefois que ceux qui sont actifs sur les plateformes d’échanges sont plus au fait maintenant que par le passé des conséquences fiscales de leurs actions, et qu’il faut surtout s’inquiéter des nouveaux venus sur le marché. Il faut vraiment continuer à suivre la situation.

Enfin, au sujet de l’accès aux services bancaires, le sénateur Tkachuk a fait valoir, à juste titre, que nous devons suivre de près la situation des banques, et c’est un fait qu’elles vont être réfractaires, et doivent l’être, à entrer sur des marchés où elles craignent qu’il y ait du blanchiment d’argent ou du financement du terrorisme. Il se peut donc qu’elles craignent, avec raison, les risques.

Nous allons toutefois continuer d’examiner les recommandations à la lumière de ce qui se passe. Les consultations de l’été dernier sur la réglementation ont suscité beaucoup de commentaires. Vous savez sans doute qu’elles ont pris fin le 7 septembre, si je me souviens bien. Nous allons donc y donner suite dans un avenir rapproché.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur le ministre, de votre exposé. Je viens du monde des entreprises en démarrage, alors je suis très heureux, monsieur Stewart, que vous ayez fait la distinction entre l’utilisation novatrice et illicite des cryptoactifs. C’est essentiellement l’objet de ma question.

Je travaille souvent avec des jeunes qui abordent les innovations technologiques de façon très ingénieuse, et nous avons bien sûr travaillé très fort au Canada pour attirer beaucoup d’immigrants entrepreneurs, grâce au visa pour démarrage d’entreprise. Ces nouveaux arrivants ont énormément de compétences. Je sais qu’un d’eux à amener au Canada des actifs sous forme de cryptomonnaies, mais ses actifs ont été gelés rapidement en raison de l’enquête pour fraude d’une banque à charte canadienne. La personne a été pénalisée pendant ses premiers mois au Canada, et l’affaire n’est pas réglée. C’est en fait le manque de compréhension de la banque à charte qui a provoqué cette situation. Il n’y avait aucune preuve d’actes répréhensibles. C’était clair. Il a fourni tous les documents nécessaires.

Il se pourrait bien que parmi les plus ingénieux de nos jeunes et d’autres également, certains veuillent utiliser ce type d’actifs d’une façon tout à fait légitime. Une réaction malheureuse ou malavisée des banques à charte présente des risques pour eux, et elle pourrait leur porter un coup dur à un mauvais moment. Je sais que c’est arrivé dans ce cas.

J’aimerais que vous nous parliez du travail que vous faites avec les banques à charte pour les aider à s’adapter à la nouvelle réalité.

M. Morneau : Je vais demander à Rob s’il a quelque chose à ajouter sur le sujet. Je dois dire que nous devons faire preuve d’une certaine prudence lorsque les gens utilisent des actifs numériques pour transférer des actifs ailleurs dans le monde. Il faut une certaine dose de prudence, car nous avons des exemples très concrets — plusieurs ont été rapportés, mais d’autres ne l’ont pas été — de gens qui ont déplacé des actifs de manière abusive. Dernièrement, 70 enquêtes ont été ouvertes au Canada et aux États-Unis. Le danger est réel.

Nous devons toujours, bien sûr, trouver un équilibre entre une utilisation légitime et nos préoccupations, et il se pourrait bien que nous ayons quelques banques très prudentes, parce qu’elles ont des craintes à ce sujet. Il est important également que nous ne les encouragions pas à relâcher leurs normes de surveillance des transferts de fonds.

Je ne sais pas si nous prenons des mesures particulières à ce sujet. Rob, qu’en pensez-vous?

M. Stewart : Je peux peut-être ajouter quelque chose, monsieur le ministre. Ma réponse pourrait éclairer quelques autres points soulevés sur la question du cadre.

Monsieur le sénateur, j’aimerais mentionner que de nombreuses mesures que nous avons prises depuis s’inspirent de l’esprit du rapport de 2015; je dirais que nos activités ne sont pas ponctuelles, mais multiformes.

Nous avons, au ministère des Finances, un comité consultatif appelé FinPaie — le ministre y a fait référence — qui nous fournit des conseils. Il s’agit d’un comité multipartite, qui s’efforce de trouver un équilibre entre protection et innovation. Cela vient s’ajouter au travail sur le blanchiment d’argent. Nous avons examiné les enjeux liés à la protection des gens et aussi ceux qui visent à stimuler l’innovation. Nous avons discuté des défis que présente le fait de réglementer des entités que nous ne réglementons pas habituellement, car nous avons des outils pour réglementer les banques, qui ont des règles à suivre pour lutter contre le blanchiment d’argent. Toutefois, nous n’avons pas vraiment d’outils pour réglementer les entreprises de technologie financière qui peuvent utiliser des chaînes de blocs ou des méthodes de paiement novatrices. Le comité nous aide à examiner ces questions et à réfléchir à un système de paiement de détail, par exemple, que nous pourrions utiliser dans l’avenir, soit un cadre qui validerait la façon de faire des affaires en utilisant des technologies novatrices comme les cryptoactifs et qui donnerait aux banques la garantie que les risques sont surveillés, et aux entités qui entreprennent des activités de cette nature la certitude que les banques vont les appuyer.

Le président : Je pense que le sénateur Tkachuk a une petite question complémentaire.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Stewart, au sujet du rapport dont j’ai parlé et à propos duquel j’ai interrogé le ministre, il a mentionné ne pas l’avoir vu. Avez-vous vu ce rapport dont les journaux ont parlé au sujet de la non-conformité?

M. Morneau : Je n’ai pas dit que je ne l’avais pas vu. J’ai dit que je ne savais pas quand le rapport était sorti, ni son titre. Je ne sais pas de quel rapport vous parlez, et je ne suis pas certain de l’article dont vous parlez. Je n’ai pas le contexte sur lequel porte votre question. Je ne suis pas en mesure de répondre sans un contexte plus précis.

Le sénateur Tkachuk : D’accord. Je ne suis pas satisfait de la réponse, mais cela va aller. Vous pouvez continuer.

Le président : Merci beaucoup.

Monsieur le ministre, je crois que vous devez quitter à 17 h 15, environ. Avez-vous plus de temps à nous consacrer?

M. Morneau : Non, mais je veux vous dire que je suis très heureux d’être ici. J’ai eu l’occasion de participer à une réception hier soir à New York. La réception était donnée dans le cadre de la conférence Finovate à laquelle participaient des entreprises de technologie financière canadiennes. La sénatrice Wallin sait sans doute où j’étais, car j’étais avec le consul général à New York. Je peux vous dire que les entreprises de technologie financière étaient enthousiastes à l’idée de faire des affaires au Canada, car elles sont conscientes de la nature de notre système bancaire et de la concentration de compétences à Toronto et dans les environs, en particulier; leur potentiel de développement est énorme. Cela nous offre de belles possibilités, et on peut y puiser une solide expertise pour réfléchir aux enjeux dont nous avons discuté ici aujourd’hui.

Le président : C’est encourageant. À titre d’information pour les membres du comité, même si le ministre doit nous quitter, M. Stewart et ses collègues restent avec nous et pourront répondre à nos questions. Je sais que le sénateur Wetston a une autre question.

Monsieur le ministre, avant que vous partiez, j’aimerais vous faire part de deux choses.

Je veux tout d’abord vous mentionner que je trouve fort encourageant, comme président, de vous entendre dire qu’il faut qu’il y ait un équilibre entre innovation et réglementation. Ce n’est pas simple. Nous en sommes conscients, mais je suis heureux de vous entendre dire, vous et vos collaborateurs, que vous comprenez cela.

Puis, dans la foulée de ce qu’a dit le sénateur Tannas, nous trouvons très encourageant que vous teniez compte de nos recommandations, et je suis heureux d’entendre M. Stewart dire qu’elles font partie, même si elles n’arrivent pas en haut de la liste, des éléments que vous consultez.

J’attire également votre attention sur la deuxième recommandation, dans laquelle nous pressons le gouvernement d’explorer les possibilités d’utiliser la chaîne de blocs. Tout comme Walmart, apparemment, et maintenant la RBC et, comme nous l’avons appris hier, JP Morgan Chase, le Canada devrait explorer les possibilités d’utiliser cette technologie, comme il est mentionné dans la deuxième recommandation.

Dans un autre ordre d’idées, monsieur le ministre, nous savons que l’énoncé économique de l’automne s’en vient, et nous savons que vous y avez préparé de grandes choses pour notre économie. Le comité a examiné la question en profondeur au cours des trois derniers mois. Nous allons publier un rapport sur ce que les gens nous ont dit et sur nos propres conclusions. J’espère que vous l’examinerez, car nous cherchons tous des moyens d’aider l’économie canadienne à demeurer concurrentielle et à continuer de croître au cours des six ou huit prochains trimestres.

Monsieur le ministre, merci beaucoup de votre présence. Nous nous efforçons de bien servir le Canada.

M. Morneau : Merci. J’attends avec impatience le rapport et, bien sûr, nous examinerons les recommandations qu’il contient, tout comme nous examinons celles des entreprises et des gens partout au pays.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Chers collègues, M. Stewart et ses collègues resteront avec nous, si c’est ce que vous souhaitez. Le sénateur Wetston a une question.

Permettez-moi d’abord de présenter les représentants du ministère des Finances. Nous connaissons déjà M. Rob Stewart, directeur général, et nous avons aussi Mme Annette Ryan.

Madame Ryan, je crois que ce n’est pas votre première fois, n’est-ce pas? Vous avez de la chance.

Mme Ryan est sous-ministre adjointe déléguée, Direction de la politique du secteur financier. Nous avons également M. Julien Brazeau, de ce côté — et ce n’est pas votre première fois non plus — directeur principal, Stratégie et coordination, Division des institutions financières, Direction de la politique du secteur financier. Vos titres sont très longs. Nous avons enfin M. Gabriel Ngo, conseiller, Politique sur les crimes financiers, Direction de la politique du secteur financier.

Merci beaucoup d’être avec nous. Nous ne vous retiendrons sans doute pas longtemps, à moins que le sénateur Wetston ait une question très longue, très détaillée et très compliquée.

Le sénateur Wetston : Je suis heureux de pouvoir poser ma question. Je pense qu’il est absolument indispensable d’avoir un cadre pour réglementer les cryptomonnaies ou l’écosystème qui l’entoure. Je veux vous rappeler, même si vous êtes déjà au courant, ce qui s’est passé il y a 10 ans lors de la crise financière, parce que nous n’avons pas réglementé pour la peine le marché des produits dérivés, et les problèmes que nous avons eus au Canada avec les 35 milliards de dollars de papiers commerciaux adossés à des actifs.

J’aimerais simplement avoir votre point de vue sur le cadre réglementaire qu’il faudrait mettre en place pour éviter que les risques, les fraudes ou les manipulations du marché, ou quoi que ce soit d’autre, se multiplient. Selon les discussions que j’ai eues avec des entreprises de monnaies numériques, elles veulent fonctionner dans un environnement légitime. Elles ne savent pas ce que c’est au juste. En préparant ce cadre, dans le cadre fragmenté que nous avons au Canada, je vous prie d’avoir bien en tête nos expériences passées et d’éviter de trop tarder à le mettre en place, afin que les entreprises puissent fonctionner sur une plateforme et bénéficier des vérifications, du suivi, de la traçabilité et de la transparence nécessaires pour éviter le genre de situations que nous avons connues par le passé dans un marché de gré à gré, dans un marché non transparent. La tâche n’est pas facile, et j’en suis conscient, monsieur le président. Je vous prie toutefois de ne pas oublier cela et de ne pas tarder à élaborer ce cadre.

Le président : C’est une question importante, en fait, sénateur Wetston. Qui veut s’y attaquer?

M. Stewart : Si je puis me permettre une petite correction. Mon titre est sous-ministre délégué.

Le président : Toutes mes excuses. J’ai dit que vous étiez directeur général.

M. Stewart : C’est ce que vous avez dit, je pense. C’était il y a quelques années.

Le sénateur Wetston : Je suis heureux que vous l’ayez signalé pour le compte rendu.

M. Stewart : Je ne suis pas certain de m’en porter mieux pour autant.

Le président : Ce n’est sans doute pas le cas.

M. Stewart : Je vais m’en remettre à mes collègues pour quelques éléments, mais j’aimerais simplement mentionner, sénateur Wetston, que la crise financière nous a tous donné une leçon sur le laxisme réglementaire. Je pense que si la situation actuelle fait l’objet de plus d’attention, c’est pour cette raison. Par « situation actuelle », j’entends les cryptoactifs et leurs diverses utilisations.

À l’heure actuelle, le niveau d’activités sur le marché est loin d’avoir atteint celui des produits dérivés ou du papier commercial adossé à des actifs, et c’est pour cette raison qu’il n’a pas nécessité une intervention draconienne ou intensive des organismes de réglementation. Nous sommes soucieux de maintenir un équilibre entre cela et l’évolution de la technologie, et l’utilisation de la technologie du registre distribué dans d’autres contextes, comme vous le savez sans doute. Nous sommes donc prudents. Nous voulons avoir un cadre, c’est certain.

Des travaux sont en cours pour examiner plus particulièrement les paiements, et ce, comme j’y ai fait allusion tout à l’heure, dans le contexte des modèles d’affaires en pleine évolution, où les institutions réglementées, comme les banques, cèdent le pas aux entreprises de technologie ou, en fait, à d’autres types d’entités qui n’offrent des services de paiements que de façon secondaire. À nos yeux, tout cela justifie la prise de mesures, et nous y travaillons en ce moment en donnant des conseils au gouvernement sur la façon d’assurer une réglementation plus cohérente par l’intermédiaire des autorités qui existent actuellement à l’échelle fédérale, à savoir la Banque du Canada, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, le BSIF et le CANAFE.

Je crois que même si nous n’avons pas conçu de cadre global pour les crypto-actifs en tant que tels, nous allons de l’avant avec le cadre réglementaire, qui englobera, en grande partie, les activités effectuées au moyen de crypto-actifs.

Le président : D’autres observations? Sénateur Wetston, voulez-vous donner suite à cela?

Le sénateur Wetston : Non, c’est bon. Merci beaucoup.

Le sénateur Tkachuk : Je vais vous poser des questions sur ce rapport, car il s’agit d’un rapport du CANAFE. Il existe un rapport public, mais celui dont il est question est un rapport privé — plus précisément, un rapport annuel confidentiel. Ce n’est donc pas un rapport sporadique, mais bien régulier. Présenté au ministre des Finances, M. Morneau, quelques semaines plus tôt, ce rapport tient compte des enquêtes menées par le CANAFE en 2016-2017 auprès de neuf banques. Le document du 30 septembre, obtenu par CBC News en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, révèle des problèmes importants dans six des neuf banques, notamment des problèmes liés à la déclaration de transactions douteuses au CANAFE.

Est-ce que cela vous dit quelque chose?

Annette Ryan, sous-ministre adjointe déléguée, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : Sénateur, je me ferai un plaisir de vous fournir plus d’information à ce sujet. Vous avez tout à fait raison sur le plan factuel. En guise de contexte, permettez-moi de vous faire part de quelques renseignements que la directrice du CANAFE, Nada Semaan, a présentés lors de son récent témoignage devant le Comité des finances de la Chambre des communes. Je dirais que le rapport dont vous parlez, c’est-à-dire le rapport au ministre, se veut un rapport présenté par la directrice du CANAFE au ministre afin de faire le point sur les questions administratives et tout le reste, à titre de complément à l’autre cycle de rapports annuels.

Le rapport en question portait essentiellement sur des évaluations techniques de la conformité de différents secteurs et entités. J’estime que le rapport de cette année avait pour contexte la transition amorcée par le CANAFE pour passer d’une approche de vérification axée sur la conformité et l’intégralité de chaque déclaration vers une méthode de travail qui encourage les entités déclarantes à fournir des renseignements au CANAFE en vue de mettre l’accent sur l’efficacité des déclarations. Il s’agit donc de collaborer avec les entités pour qu’elles fournissent au CANAFE des renseignements qui peuvent ensuite être transformés en données destinées aux organismes d’application de la loi ou à d’autres autorités compétentes.

Dans cette optique, étant donné que le CANAFE cherchait à modifier le rapport pour le rendre plus efficace et plus axé sur l’objectif de sévir contre les mauvais joueurs, le nombre de problèmes de non-conformité a augmenté dans tous les secteurs au cours de cette année, comme en témoigne le rapport du ministre. Je vous invite respectueusement à lire la transcription du témoignage rendu par la directrice, Mme Semaan, à la Chambre des communes, où elle a expliqué plus en détail la nature de ce qui constitue de graves erreurs de conformité dans le cadre du rapport au ministre. Elle a déclaré publiquement que ces erreurs étaient surtout de nature administrative. Par exemple, s’il manquait un champ, un code postal ou un autre élément dans une déclaration, cela serait mis en évidence au moyen de l’ancienne méthode statistique, laquelle fait également l’objet d’une révision.

Le sénateur Tkachuk : Quelqu’un a-t-il reçu une amende pour non-conformité?

Mme Ryan : C’est une excellente question, sénateur, et cela rejoint le fait que les indicateurs de conformité utilisés pour ce rapport n’étaient pas suffisamment importants pour attirer l’attention sur la possibilité d’imposer une sanction administrative pécuniaire; de plus, ils n’étaient pas nécessairement liés à l’existence d’activités de blanchiment d’argent. Cela portait donc principalement sur les pratiques administratives observées dans le cadre des vérifications, plutôt que sur la présence réelle d’activités de blanchiment d’argent.

Le sénateur Tkachuk : Si cela avait si peu d’importance, pourquoi le CANAFE nous dirait-il que tout fonctionne à merveille et qu’il n’y a aucun problème, alors qu’en 2016 une banque s’est vu imposer une amende de, sauf erreur, plus de 1 million de dollars, n’est-ce pas? Le gouvernement n’a-t-il pas infligé une amende à une banque pour cause de non-conformité?

M. Stewart : Absolument. Une sanction administrative pécuniaire s’appliquait alors en cas de non-conformité. Annette vient de dire ce que je tenais à souligner. Il faut faire la distinction entre la prévalence d’activités de blanchiment d’argent et le degré de conformité de tout individu, parmi les 30 000 entités déclarantes, auprès du CANAFE. La conformité consiste simplement à transmettre au CANAFE un ensemble de renseignements, qui sont ensuite condensés. Il incombe au CANAFE de déterminer si certaines transactions doivent être déclarées à l’autorité compétente, soit la GRC. Cette dernière est chargée d’intenter des poursuites liées à des crimes pouvant servir au blanchiment d’argent.

La directrice dresse un portrait très cohérent de la situation. En effet, le CANAFE constate qu’il n’y a pas un nombre démesuré de transactions douteuses signalées. C’est un nombre relativement petit, qui est toutefois à la hausse. Nous estimons qu’il y a des problèmes de blanchiment d’argent. Or, la vérification de la conformité consiste davantage à savoir si la case a été cochée, s’il s’agit d’un problème persistant et si les enjeux sont importants. Nous ne voulons pas que les gens se méprennent à cet égard. Lorsque la banque en question s’est fait imposer une amende pour non-conformité, nous risquions effectivement de voir sa réputation ternie. Les gens ont l’impression que cela veut dire qu’il y a eu des activités de blanchiment d’argent, chose que nous ne souhaiterions à aucune banque. Des amendes devraient s’imposer en cas de non-conformité, mais nous ne voulons pas que les gens pensent que la non-conformité signifie que ce sont des criminels.

Le sénateur Tkachuk : Je ne le souhaite pas non plus, mais si une banque n’est pas conforme, cela signifie qu’elle ne produit pas de rapports en bonne et due forme. Comment sauriez-vous ce qui se passe à la banque si elle ne déclare pas les renseignements correctement?

M. Stewart : Le CANAFE s’efforce de passer d’une conformité technique et administrative à une conformité de fond, ce qui est l’un des aspects qu’il doit vraiment connaître puisque c’est ainsi qu’il obtiendra les indicateurs nécessaires pour présenter des preuves d’éventuelles activités criminelles. Au cours des dernières années, nous avons délaissé progressivement le régime en place, qui fait l’objet de ce rapport, pour adopter un régime plus axé sur les questions de fond.

Le sénateur Tkachuk : Le Comité des banques a toujours soupçonné que l’utilisation de tonnes de papier n’aide en rien la situation et que les banques elles-mêmes savent quand une transaction est douteuse. Il faut être en mesure de traiter avec la banque en partant du principe que si une transaction est douteuse, la banque peut généralement s’en rendre compte assez rapidement. Elle connaît ses clients. Elle sait ce qui se passe. Si quelqu’un apporte un sac d’argent, la banque sait qu’il y a un problème. J’essaie d’être de votre côté. Nous utiliserions moins de papier, mais là où je veux en venir, c’est qu’il faut accroître la conformité. Le ministre devrait lire le rapport.

Le président : Il s’agit d’une très bonne série de questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités.

Ma question s’adresse à M. Ngo. Vous êtes conseiller en matière de politiques sur les crimes financiers. Dans quelle mesure êtes-vous outillé au ministère pour faire échec au crime organisé et aux terroristes qui seraient tentés d’utiliser la cryptomonnaie pour déjouer les enquêtes policières? Avez-vous assez d’effectifs? J’espère que vous allez me répondre que non.

Gabriel Ngo, conseiller, Politique sur les crimes financiers, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : Merci de cette question.

D’abord, les règles que nous avons proposées en juin à des fins de consultation visaient à atténuer les risques. Dans ce contexte, les règles proposent d’imposer des mesures pour limiter les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

En ce qui concerne les cryptomonnaies ou les monnaies virtuelles, nous souhaitons les réglementer de manière à adopter la même approche que celle qui est utilisée par d’autres institutions financières à l’égard des entités déclarantes. Nous souhaitons réglementer de façon égale toutes les entités déclarantes. Nous ne voulons pas réglementer leurs mécanismes, mais bien examiner les services qu’ils fournissent. Nous voulons vraiment cibler les transactions mentionnées par le ministre, soit les transactions de 10 000 $ et plus et les opérations de change de monnaies fiduciaires à des monnaies virtuelles.

En ce qui a trait à la question de savoir si nous sommes équipés dans le cadre de la réglementation proposée pour atténuer les risques posés par les organismes criminels, il s’agit là de notre objectif final avec la mise en place de cette réglementation.

Le sénateur Dagenais : Dites-vous que les entreprises de technologie financière pourraient être réglementées de façon différente?

M. Ngo : Non. L’objectif de notre réglementation est de cibler les services qu’elles offrent et non qui elles sont. Les entreprises de technologie financière ne sont pas vraiment ciblées par les règlements; ce sont plutôt les entités qui offrent des services financiers et qui utilisent les monnaies virtuelles qui le sont. Comme l’a mentionné plus tôt le ministre, il ne s’agit pas de réglementer la technologie financière, mais plutôt de réglementer les activités financières.

Le sénateur Dagenais : J’aimerais poser une dernière question.

Madame Ryan, est-ce que votre ministère a pensé à modifier la législation pour placer sous la loupe les monnaies virtuelles qui deviennent de plus en plus populaires? Étant donné leur fluidité et ce qui peut être fait avec ces monnaies, avez-vous pensé à modifier la législation en ce qui a trait aux monnaies virtuelles?

Mme Ryan : Je dirais qu’il s’agit là d’une question de réglementation, comme Gabriel vient de le mentionner et comme le ministre l’a aussi mentionné plus tôt. Nous avons adopté des modifications à la loi et nous en sommes maintenant à la mise en place des règlements afin de traiter cet aspect.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Pour ma part, j’aimerais revenir rapidement sur ce que le sénateur Wetston cherchait à faire valoir. Je ne m’attends pas à obtenir une longue réponse. Relativement à ma question précédente sur un élément déclencheur, l’ampleur des activités n’a pas encore fait l’objet d’un cadre, mais vous y travaillez en quelque sorte pour que ce facteur y soit inclus; vous vous préparez donc à cet égard. L’élément déclencheur est-il d’ordre financier ou politique? Qu’attendons-nous pour éviter de réagir après coup à une crise éventuelle?

M. Stewart : Eh bien, j’aimerais beaucoup mieux avoir affaire à un élément déclencheur d’ordre financier que d’être dans une situation où il s’agit d’un autre type de facteur, pour tout dire. Cependant, à mon avis, ce serait une erreur que de le qualifier de strictement financier. Pour des raisons de stabilité financière ou pour assurer l’intégrité du système financier et la confiance des gens, cela mettrait en cause l’ampleur des activités ou la gravité des pertes; d’ailleurs, nous avons vu des pertes importantes liées aux crypto-actifs, à tel point qu’ils sont échangés en monnaie fiduciaire, et il y a eu des cas de piratage de systèmes. Cette crainte existe. Au Canada, les activités ne sont pas d’une telle ampleur qu’elles suscitent une préoccupation en matière d’intégrité.

Je crois que j’interpréterais votre question de façon plus large. Avons-nous besoin d’un cadre qui met l’accent sur ces facteurs, et ce, d’une manière plus exhaustive?

La sénatrice Wallin : Ou par anticipation.

M. Stewart : N’est-ce pas simplement lié aux pertes ou à la déstabilisation du système financier, ou est-ce que cela nuit à la capacité des gens d’avoir confiance dans le système, de savoir quoi faire, comment se protéger et tout le reste?

La réponse que je donnerai, c’est que nous y travaillons, mais selon la procédure habituelle. Nous ne sélectionnons pas de cadre précis pour les crypto-actifs. Nous améliorons la protection des consommateurs et la divulgation. Les organismes de réglementation de la sécurité contribuent aux efforts parce qu’ils craignent pour la protection des investisseurs. Nous y participons du point de vue de la lutte contre le blanchiment d’argent. Il y a bien des façons dont nous améliorons les mesures que nous prenons à cet égard.

Le président : Merci beaucoup. Comme les sénateurs n’ont pas d’autres questions, je tiens à vous remercier tous de votre présence. Pour ceux d’entre vous qui ne sont jamais venus ici auparavant, nous attendons votre retour avec impatience. Merci à tous de votre franchise, de votre ouverture d’esprit et de votre professionnalisme.

(La séance est levée.)

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