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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 47 - Témoignages du 31 octobre 2018


OTTAWA, le mercredi 31 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 16 h 18, pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues, et membres du grand public qui suivent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, que ce soit dans la salle ou sur le Web.

Je m’appelle Doug Black, sénateur de l’Alberta. J’ai le privilège d’être président du comité. Je vais demander à mes collègues de se présenter au gouverneur et à la sous-gouverneure.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

Le sénateur Day : Joseph Day, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, de la Saskatchewan.

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.

Le président : Merci beaucoup.

Je suis très heureux que le comité accueille encore une fois M. Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada, et Mme Carolyn Wilkins, première sous-gouverneure. Vous êtes venus témoigner à quelques reprises déjà et vos exposés nous aident toujours.

La dernière fois, qui remonte au mois d’avril dernier, le gouverneur et la sous-gouverneure sont venus nous parler du Rapport sur la politique monétaire paru au printemps. Aujourd’hui, nous sommes heureux de les accueillir pour nous parler de l’édition d’octobre 2018 du même rapport, parue la semaine dernière. Mesdames et messieurs les sénateurs, le lien à ce rapport a été envoyé à votre bureau. Nous avons quelques exemplaires ici si vous en avez besoin.

Monsieur le gouverneur et madame la sous-gouverneure, merci beaucoup d’être avec nous. C’est un privilège. Nous sommes impatients de vous entendre.

Stephen S. Poloz, gouverneur, Banque du Canada : Bonjour. La première sous-gouverneure Wilkins et moi sommes heureux d’être devant vous aujourd’hui pour présenter le Rapport sur la politique monétaire.

[Français]

En avril dernier, nous vous avons parlé des progrès considérables de l’économie. Nous avons expliqué qu’après avoir manqué de vigueur au début de 2018, la croissance allait rebondir au deuxième trimestre et s’établir à environ 2 p. 100 pour le reste de l’année. Nous avons aussi indiqué que l’inflation allait rester un peu au-dessus de notre cible de 2 p. 100 cette année en raison de facteurs temporaires. L’effet de ces facteurs allait disparaître avec le temps et l’inflation allait revenir à la cible en 2019.

Six mois plus tard, les choses évoluent de façon très positive. L’économie canadienne va très bien et continue de tourner près des limites de sa capacité. La croissance est assez généralisée dans l’ensemble des secteurs et des régions. Elle est aussi plus équilibrée. En effet, la composition de la demande se modifie en faveur des investissements des entreprises et des exportations plutôt que de la consommation et du logement.

[Traduction]

L’expansion de l’économie se fera à une cadence légèrement supérieure à celle de la production potentielle pendant la période de projection, puisqu’elle sera soutenue par la demande étrangère et intérieure et par les conditions financières favorables. L’inflation se situe quant à elle près de la cible après avoir été légèrement plus élevée qu’escompté en juillet et en août. Des changements dans la méthode utilisée par Statistique Canada pour mesurer les prix des billets d’avion expliquent en grande partie cet écart. Bien que l’inflation puisse encore afficher une certaine volatilité au cours des mois à venir, nos mesures de l’inflation fondamentale restent fermement autour de 2 p. 100. Bien entendu, nos prévisions demeurent soumises à des incertitudes et des risques importants. Le commerce et l’endettement des ménages sont deux de ces enjeux.

En avril, nous avions indiqué que le risque le plus important entourant les perspectives d’inflation était l’éventualité d’une montée notable du protectionnisme à l’échelle mondiale. Nous avions aussi précisé que nos prévisions tenaient compte de l’effet négatif de l’incertitude accrue associée à ce sujet sur les projets d’exportation et d’investissement des entreprises. Avant l’annonce du taux directeur la semaine dernière, nous avons bien sûr discuté longuement des implications du récent Accord États-Unis—Mexique—Canada. Cet accord est une bonne nouvelle, car il permettra de réduire une source importante d’incertitude qui a freiné les investissements des entreprises. D’après notre plus récente enquête sur les perspectives des entreprises, menée avant la conclusion de cet accord, les intentions d’investissement de ces dernières étaient déjà plutôt positives. Les entreprises cherchaient en effet à tirer parti de la vigueur de l’économie américaine.

Compte tenu de l’accord, nous avons annulé en partie la diminution de nos perspectives d’investissement. Par mesure de prudence, nous ne l’avons pas retiré en entier. Il y a deux raisons à cela. La première est que nous voulons voir comment les entreprises ajusteront leurs projets d’investissement en pratique. La deuxième est que nous savons que les défis de compétitivité pèsent aussi sur les investissements.

Les mesures protectionnistes, surtout celles concernant les États-Unis et la Chine, ont aussi retenu notre attention, car elles ont déjà des conséquences sur les perspectives mondiales. Nous avons intégré dans nos prévisions les incidences attendues des droits de douane imposée jusqu’à maintenant. Nous avons aussi intégré un effet modérateur sur la confiance qui provient de la menace de mesures supplémentaires. Au total, nous estimons que ces facteurs vont réduire la production mondiale de 0,3 p. 100 d’ici la fin de 2020. C’est un coût considérable, qui s’élève à plus de 200 milliards de dollars à ce jour.

La question des échanges commerciaux qui opposent les États-Unis et la Chine représente un risque aussi bien à la hausse qu’à la baisse pour la politique monétaire canadienne. En effet, les États-Unis et la Chine pourraient réussir à apaiser ou à régler ce conflit commercial. Un tel résultat serait positif pour le commerce international et les investissements, et pour le Canada. Le conflit pourrait aussi s’aggraver, ce qui mettrait en péril d’importantes chaînes de valeur mondiales. La croissance à long terme et la prospérité à l’échelle mondiale s’en trouveraient naturellement réduites. Les conséquences globales pour l’inflation seraient incertaines.

Je vous invite à consulter l’encadré 1 du Rapport sur la politique monétaire pour en savoir plus sur les répercussions possibles des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine.

En ce qui concerne l’endettement des ménages, nous évaluons aussi la façon dont les gens s’adaptent aux taux d’intérêt plus élevés et aux modifications apportées plus tôt cette année à la ligne directrice B-20 sur la souscription des prêts hypothécaires. L’encadré 4 du rapport apporte des précisions sur l’incidence de la modification de ces règles sur le crédit hypothécaire. Dans l’ensemble, les données indiquent que les ménages ajustent leur budget essentiellement comme prévu. Nous comprenons que cela peut être difficile, surtout pour ceux qui sont très endettés. L’emploi et les revenus continus aussi à croître, ce qui peut aider à amortir le processus d’ajustement. De plus, la qualité des nouveaux emprunts s’améliore et l’activité dans le secteur du logement ralentit pour se situer à un niveau plus soutenable.

Tous ces éléments rendent l’économie plus résiliente et réduisent la probabilité que de nombreuses personnes se retrouvent plus tard dans une situation difficile. Les modifications aux règles semblent également avoir tempéré les élans des spéculateurs sur certains marchés. La pression sur l’accessibilité à la propriété a donc diminué. Bien que les vulnérabilités du système financier demeurent élevées, le fait qu’elles se soient stabilisées et aient diminué légèrement à plusieurs égards est positif.

Pour conclure, je tiens à souligner que même si la banque a relevé le taux directeur la semaine dernière pour le porter à 1,75 p. 100, la politique monétaire reste expansionniste. De fait, le taux directeur est encore négatif en termes réels, c’est-à-dire une fois l’inflation prise en compte. Notre estimation d’une orientation neutre correspond à une fourchette, qui va actuellement de 2,5 à 3,5 p. 100. Le taux directeur devra augmenter jusqu’à parvenir à une orientation neutre pour assurer l’atteinte de la cible d’inflation. Cela dit, le rythme approprié des hausses de taux dépendra de l’évaluation que nous faisons, à chaque date d’annonce préétablie, de l’évolution des perspectives d’inflation et des risques connexes.

En particulier, nous continuerons de tenir compte de la façon dont l’économie s’ajuste aux taux d’intérêt plus élevés, vu l’endettement élevé des ménages. Nous évaluons également si la forte confiance des consommateurs se conjugue à la vive croissance de l’emploi et des revenus et se traduit par une consommation plus élevée que prévu. Nous prêterons aussi une attention particulière à l’évolution des politiques commerciales mondiales et à ses implications pour les perspectives d’inflation. Encore une fois, il s’agit d’un risque tant à la hausse qu’à la baisse.

Sur ce, nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le gouverneur. Nous avons une liste d’intervenants. Avant de procéder, j’aimerais présenter la sénatrice Bellemare, qui vient de se joindre à nous, ainsi que le sénateur Mockler du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Tkachuk : Bienvenue, monsieur le gouverneur, et merci.

Vous avez mentionné dans votre rapport que les entreprises continuent à accroître leur capacité de production pour répondre à la forte demande intérieure et étrangère, sauf dans le secteur pétrolier et gazier, où les contraintes liées au transport posent encore problème. Je crains que le problème ne soit pas près de disparaître. Nos ressources pétrolières et gazières occupent encore une grande place dans notre économie, en particulier en Alberta et en Saskatchewan.

Pouvez-vous nous dire quelle est l’incidence des contraintes liées au transport sur notre économie ? Pouvez-vous la quantifier? Quelle sera l’incidence si ces contraintes persistent? Pourriez-vous aussi nous parler de la différence entre le prix mondial du pétrole et le prix que les Canadiens reçoivent pour leur pétrole?

Carolyn A. Wilkins, première sous-gouverneure, Banque du Canada : Je vais commencer par parler de la différence dans les prix du pétrole. Nous avons tous pu constater que le prix du WCS est plus bas que celui du WTI. Cela s’explique en grande partie par les contraintes de capacité. Le transport par train coûte plus cher. De plus, et en particulier en ce moment, certaines fermetures de raffineries aux États-Unis pour leur modernisation sont plus importantes et sont arrivées plus tôt qu’à la normale. La demande pour ce type de pétrole est donc plus faible.

Nous nous attendons à ce que la différence s’amenuise lorsque les raffineries reprendront du service, lorsque la demande augmentera et lorsque la capacité du rail s’affermira. Bien entendu, les contraintes de transport demeurent toujours présentes en filigrane, et elles ont un effet sur les producteurs. Il ne faut pas oublier qu’environ 93 p. 100 du pétrole est expédié par pipeline. C’est le pétrole excédentaire qui est vendu à prix moindre. Toutefois, dans la mesure où ce sont des entreprises canadiennes qui s’occupent du transport par rail, c’est une forme de contrepoids. Dans l’ensemble, la valeur moindre du WCS est un facteur qui, en plus de diminuer la profitabilité du secteur, limite aussi les investissements, ce qui nous amène à la deuxième partie de votre question. Nous examinons où en sont les prix et, dans le cadre d’une analyse, si de nouveaux investissements seraient rentables dans le secteur.

Si la conjoncture n’est pas bonne, vous verrez dans nos prévisions que lorsque le profil des investissements hors secteur pétrolier augmente à un rythme raisonnable, on observe de très faibles diminutions du côté du secteur pétrolier.

Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Poloz : Juste un point, si je peux me permettre. Il faut avoir une perspective globale de la situation. Vous vous souvenez, j’en suis sûr, que pendant la période allant de 2010 à 2013, les investissements dans le secteur pétrolier atteignaient des niveaux très élevés, parce que le prix du baril de pétrole a frôlé puis dépassé les trois chiffres.

Pendant cette période, la valeur du dollar canadien grimpait, comme c’est le cas lorsque le prix du pétrole augmente. Nous avions alors une économie à deux vitesses : un secteur manufacturier et d’autres secteurs frappés durement par l’augmentation de la valeur du dollar et des coûts de l’énergie, et un secteur de l’énergie en pleine croissance. Nous avons eu une économie à deux vitesses pendant cinq ans environ.

Lorsque les prix du pétrole ont chuté — et celui du WCS à un niveau encore plus bas —, on a assisté à un renversement de l’économie. Cela veut dire, qu’à long terme on pourrait s’attendre à ce que la croissance du secteur pétrolier dans l’économie se fasse à un rythme plus lent que la moyenne des autres secteurs, alors qu’auparavant cette croissance était supérieure à la moyenne.

Pour ce qui est de la part du secteur pétrolier dans l’économie, elle sera sans doute moindre à la fin de la période qu’elle ne l’était à son pic. Les projets d’investissement s’en ressentent donc. Il faut garder cela à l’esprit également.

Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas certain de bien comprendre. Voulez-vous dire que le fait de ne pas obtenir la valeur marchande pour notre pétrole est une bonne chose? Qu’est-ce que vous voulez dire?

M. Poloz : J’essaie d’expliquer les réactions aux prix dans l’économie. C’est vrai que le prix du WCS se situerait beaucoup plus près du WTI si les problèmes de transport étaient réglés, si la capacité du transport par pipeline augmentait, et cetera. Ce serait, à n’en pas douter, une bonne chose pour l’économie canadienne.

Le sénateur Tkachuk : Naturellement.

M. Poloz : Toutefois, la situation est très différente lorsque le prix du baril de pétrole mondial est à 60 $ que lorsqu’il était à 100 ou 110 $. Il faut garder à l’esprit que l’économie ne reviendra pas à son niveau de 2013, soit avant la chute des prix. C’est ce que j’essaie de faire ressortir.

Le sénateur Tkachuk : Je pense que nous le savons. Je ne dis pas que nous devrions obtenir plus de 100 $ le baril, parce que ce n’est pas le prix sur les marchés mondiaux. Vous avez mentionné dans votre rapport que la demande étrangère stimulait notre économie. D’où vient cette forte demande étrangère? De quels pays?

M. Poloz : L’économie mondiale se comporte en gros comme nous avions prévu qu’elle le ferait il y a environ un an. Ce qui est différent, ce sont les États-Unis, où la croissance est plus forte en raison de leurs mesures budgétaires expansionnistes. Nos prévisions ont donc été revues en ce sens. La demande vient des États-Unis.

Le sénateur Tkachuk : Merci beaucoup.

La sénatrice Wallin : J’ai une question courte et une question longue.

Madame la sous-gouverneure, vous avez parlé il y a quelques semaines, je crois, d’une amélioration de la qualité des dettes à la suite du test de résistance hypothécaire sur le marché de l’habitation. Les gens qui sont endettés ne passent pas le test, si bien qu’ils ne s’endettent pas davantage. Le revers de la médaille, c’est qu’ils se tournent alors vers des prêteurs privés et paient des taux d’intérêt plus élevés, ce qui ne réglera pas leurs problèmes de dettes. Est-ce que cette situation vous inquiète?

Mme Wilkins : Nous surveillons la situation de près. Il est possible en effet, étant donné que la ligne directrice B–20 ne couvre qu’une partie du marché des prêts hypothécaires — la majeure partie du marché, en fait, mais néanmoins pas tout le marché — que des gens se tournent vers d’autres prêteurs.

Ce qui est positif, c’est que les données indiquent que parmi les nouvelles hypothèques qui sont souscrites — et cela n’est pas dû uniquement aux derniers changements concernant la B–20 qui s’appliquent aux hypothèques à faible ratio, soit celles qui n’ont pas été assurées, mais les hypothèques à ratio élevé qui ont été traitées l’année précédente —, la portion des nouveaux prêts à des gens qui auraient été endettés à plus de 450 p. 100 de leurs revenus est passée, dans le cas des hypothèques à ratio élevé, de 20 p. 100 à moins de 10 p. 100.

C’est une bonne nouvelle. On voit que la courbe diminue également. C’est positif, mais ce n’est sans doute pas agréable pour la personne qui doit attendre plus longtemps ou qui doit se trouver une maison moins chère, ce qui est le cas selon nous pour la moitié d’entre eux.

Ils achètent quand même une maison, mais qui leur coûte moins cher. Ce n’est pas un ajustement facile, mais qui résistera à l’épreuve du temps en raison de la montée des taux d’intérêt en cours.

Les gens se tournent-ils vers d’autres options? Nous constatons que tous les prêteurs ont connu une baisse des nouvelles hypothèques au cours de la dernière année, une baisse qui a été moins marquée chez les prêteurs privés.

La sénatrice Wallin : Cela équivaut à une augmentation.

Mme Wilkins : Ce que cela veut dire, c’est que la part du marché de ces prêteurs a un peu augmenté. On pourrait assister, et c’est un élément positif, à une consolidation des dettes. Nous avons produit un document en juin sur ces prêts. Ils sont en général beaucoup plus petits et sont assortis d’un taux d’intérêt plus élevé.

Vous voulez sans doute savoir s’il y a lieu de s’en inquiéter. Nous suivons de près la situation. Ce n’est pas une source importante d’instabilité financière à l’heure actuelle, mais c’est une situation qu’il faut garder à l’œil.

La sénatrice Wallin : J’ai passé les deux dernières journées dans des réunions, et au cours des deux dernières semaines, j’ai eu des conversations avec des chefs d’entreprise et des représentants de chambres de commerce. Les circonstances ont fait en sorte que ce soit ainsi.

Vous dites être en attente. Je pense que vous avez dit vouloir attendre de voir comment les entreprises vont ajuster leurs projets d’investissement. Ce que j’ai entendu dire dans les réunions, c’est que les décisions étaient prises. Le Canada n’est pas une bonne mise. Les chefs d’entreprise n’investissent pas au pays. Nous n’attirons pas les investissements étrangers. Les chefs d’entreprise justifient leurs décisions par les taux d’intérêt, le fardeau réglementaire et la perspective qu’on accroisse les dépenses et le ratio de la dette au PIB. Ils le disent très clairement. Je ne sais pas si vous parlez à divers groupes, mais ce que j’entends, ce ne sont pas de bonnes nouvelles : il ne fait pas bon investir au Canada à l’heure actuelle.

M. Poloz : C’est ce à quoi nous faisions allusion lorsque nous avons dit que nous n’avions pas réussi à dissiper tous les jugements négatifs qui en découlent dans notre prévision. Une conclusion fructueuse des négociations de l’ALENA ne règle pas tout.

Il y a une vaste gamme de défis sur le plan de la concurrence et dans notre enquête auprès des patrons, nous dressons une liste de choses qui préoccupent les gens. Parallèlement, il s’agit de 100 entreprises choisies avec soin dans toute l’économie. Les chiffres d’investissement réels ont révélé que, sur une base nette, elles investissent moins que nos modèles suggèrent qu’elles le feraient. Nous attribuons cet écart à l’incertitude causée par l’ALENA et, bien sûr, aux autres choses que vous mentionnez.

Nous ne comblons pas soudainement cet écart. Nous attendons de voir comment elles vont répondre. Le lundi après l’annonce de l’AEUMC, j’étais à New York avec le Conseil canadien des affaires. Le sentiment de soulagement dans cette pièce était palpable. Les 75 ou 80 PDG les plus influents au pays étaient présents. Je pense que cela doit avoir un effet d’entraînement positif, mais ce n’est peut-être pas tout.

La sénatrice Wallin : Ces commentaires ont été formulés après l’AEUMC.

M. Poloz : Notre enquête a révélé de fortes intentions d’investir et elle a été menée avant que la question de l’accord soit réglée. Cela dépend de l’endroit où vous vous trouvez. Voilà pourquoi nous avons besoin de voir les chiffres. Nous n’allons pas présumer que tout va pour le mieux. Nous devons voir la réponse.

La sénatrice Wallin : J’ai l’impression que vous êtes assez optimiste compte tenu de cette incertitude.

M. Poloz : Je ne rejette rien de ce que vous dites. En fait, je le prends pleinement en compte, et les chiffres continuent de montrer que le Canada est en bonne posture, qu’il fonctionne et croît à son niveau potentiel. L’inflation est telle que prévue et le taux de chômage est à son plus bas en 40 ans. Quand on ajoute toutes ces choses à notre prochaine surprise positive, on connaîtra des pressions inflationnistes. Nous en sommes rendus à ce stade de notre analyse.

Est-ce que la situation pourrait être meilleure? Bien sûr étant donné que le fait d’accroître les investissements hausserait le potentiel et la croissance non inflationniste pour l’économie. C’est toujours une bonne idée d’atténuer ces défis liés à la capacité concurrentielle si possible.

La sénatrice Wallin : Merci.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Poloz et madame Wilkins d’être venus ici. On apprend toujours beaucoup de choses.

Votre rapport traite de la question de la relation entre la Chine et les États-Unis et de la guerre potentielle des tarifs. En résumé, cela aurait un impact de 0,2 à 0,5 p. 100 sur le PIB. J’aimerais qu’on parle des hypothèses. Il paraît qu’il y aura d’autres discussions et d’autres négociations d’ici une semaine. Le président américain a dit clairement que, si on n’arrivait pas à une entente d’ici peu, il allait augmenter tous les tarifs de tous les produits d’importation de la Chine. Je sais que ce n’est pas un scénario très positif, mais j’aimerais savoir ce qui pourrait arriver de pire. Disons qu’aucune entente n’est conclue et qu’une vraie guerre se déclenche entre la Chine et les États-Unis pendant des mois, voire des années, quelles en seraient les conséquences sur l’économie canadienne et sur la stabilité financière du monde entier?

M. Poloz : Pour le moment, notre analyse démontre que les mesures annoncées sont assez graves. Ce ne sont pas des tensions. Il s’agit vraiment d’une guerre qui a commencé. Des investissements ont déjà été faits en Chine et aux États-Unis. C’est difficile de le voir aux États-Unis parce qu’ils subissent aussi un choc fiscal qui a créé un décalage majeur. Alors, dans ce contexte, c’est facile de voir les effets sur les deux économies. La croissance diminuera avec le temps.

Les débordements pour le reste du monde sont négatifs aussi. Il y a des possibilités de diversion de commerce. Par exemple, des entreprises au Canada reçoivent des contrats provenant de la Chine, aujourd’hui, plutôt que des États-Unis. C’est un cas de diversion commerciale, mais en résumé, c’est négatif pour le monde. La phase la plus importante sera la prochaine. Si c’est une guerre totale entre les deux pays, l’avenir de notre système international est remis en question. C’est difficile à évaluer. Nous n’avons pas analysé mécaniquement les effets parce que ce n’est pas officiellement annoncé, mais je vous assure que ce serait grave pour l’économie mondiale.

Le sénateur Massicotte : « Grave » est un mot qui manque de définition. Le rapport parle de 0,2 à 0,5 p. 100. Est-ce que 0,5 p. 100 serait le pire des cas ou est-ce un scénario un peu rose pour mener des négociations?

M. Poloz : Comme je l’ai mentionné plus tôt dans mes remarques, il y a deux côtés à cette médaille. C’est vrai que ce serait très grave pour la croissance mondiale. Il est difficile de voir qui sera touché, mais, en principe, ce serait tout le monde. Il est aussi possible de résoudre les problèmes entre les deux pays et ce serait un nouveau choc à la hausse pour le monde.

Pour les commentateurs ou pour les investisseurs même, ils peuvent choisir un scénario préférable qui consiste à se positionner pour profiter de la situation. C’est leur choix, mais pour la banque centrale, ce n’est pas possible de le faire parce que les deux scénarios sont possibles et si on se positionne entre les deux, c’est un genre de gestion du risque. Pour le moment, les deux options restent possibles.

Le sénateur Massicotte : J’essaie de voir ce qui pourrait arriver de pire. Vous me répondez que c’est grave. Je crois que c’est la seule réponse que vous être prêt à me donner aujourd’hui.

M. Poloz : Par exemple, pour le Fonds monétaire international, nous avons fait une analyse progressive à l’égard des deux pays et la croissance économique pour le monde entier diminue graduellement à chaque phase du processus. À la fin, au lieu d’être autour de 4 p. 100, c’est 2,5 p. 100. C’est grave.

Le sénateur Massicotte : C’est grave.

M. Poloz : C’est une récession mondiale. Par exemple, en 2008, c’était 2 p. 100 de la croissance mondiale. Pour les autres pays qui dépendent du commerce extérieur, ce sera une situation très grave. Je crois que l’économie américaine sera également touchée. Alors, ce n’est pas rationnel de vivre une guerre comme cela.

Le sénateur Massicotte : J’aimerais poser une question technique. Après 2008, tous les pays, y compris le Canada, cherchaient un moyen de faire croître l’économie canadienne. Les banques centrales ont déployé beaucoup d’efforts pour réduire la dette et les taux d’intérêt. La banque centrale, surtout la Banque américaine, depuis six ou neuf mois, est en train de vendre ses actifs pour équilibrer le bilan, entre autres. Selon la Banque américaine, il n’y a pas eu d’impact important sur les taux d’intérêt.

Comment voit-on cela au Canada? Est-ce que cela fait en sorte que les taux d’intérêt seront plus élevés qu’à l’habitude? Quelle est la façon d’équilibrer notre budget à cet égard?

Mme Wilkins : Vous avez raison, quelques banques centrales ont fait l’assouplissement quantitatif pour éviter une récession telle qu’on l’a connue dans les années 1930. Dans la mesure où on croit que ces mesures ont eu un effet à la baisse sur les taux d’intérêt à plus long terme, les estimations varient de beaucoup, soit environ 150 points de base. Lorsque la Réserve fédérale commence à diminuer son bilan, ou arrête d’acheter, et augmente les taux d’intérêt, on peut voir des ajustements de portefeuilles, ce qui fait en sorte que les taux d’intérêt à long terme recommencent à monter.

On n’a pas vu cela souvent jusqu’à maintenant. Cela se fait de façon très ordonnée. De plus, c’est un peu voulu, parce que ce qu’on voit avec ce genre d’actions, c’est de voir que les primes de risque, ce qu’on paie au secteur privé est moins élevé parce que la banque centrale veut encourager un peu de risque pour que l’économie reprenne. Alors, lorsque cela se renverse, c’est l’effet contraire qui se produit. Dans nos projections, on prévoit une normalisation de ces taux à long terme provenant des États-Unis. Le Canada maintiendra sensiblement la même position à long terme parce que nous sommes un système financier global.

Nous croyons que c’est normal et que c’est voulu, surtout si l’économie américaine, l’économie canadienne et l’économie mondiale continuent de croître. Il peut aussi y avoir un risque. Nous l’avons d’ailleurs mentionné dans notre rapport. Une augmentation trop rapide des taux d’intérêt entraînerait des conséquences importantes. On peut imaginer pourquoi cela pourrait se produire, qu’est-ce qui pourrait jouer le rôle de catalyseur dans une telle situation. Évidemment, la Chine et les États-Unis pourraient être confrontés à des problèmes plus importants, non pas parce que nous avons une croissance démesurée. C’est plutôt le contraire. Le risque de la croissance augmente et les marchés décident de réagir.

C’est sûr que la croissance pourrait être moins élevée avec plus de frictions, mais, comme le gouverneur l’a dit, l’inflation pourrait à la fois être plus élevée parce qu’il pourrait y avoir des chaînes de valeur qui ne sont plus là. Alors, il y a des risques et il y a d’autres facteurs qui pourraient produire un tel risque. Toutefois, il y a d’autres façons pour la Chine et les États-Unis d’améliorer leur situation. Nous croyons que l’économie américaine emprunte une voie où la Réserve fédérale pourrait atteindre ses objectifs sur le plan de l’inflation et du taux chômage. Ce n’est pas notre scénario de référence, mais il y a un risque.

Le sénateur Massicotte : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Merci d’être parmi nous. J’ai besoin d’un peu de tutorat.

C’est au sujet des investissements en capitaux dans les décaissements et tout cela. Au Canada, les investissements étrangers sont-ils positifs ou négatifs en ce moment?

M. Poloz : Ils sont positifs, mais ils ont grandement diminué. Lorsque nous examinons la situation, nous pouvons les diviser entre le secteur de l’énergie et le reste de l’économie. Il est clair, premièrement, que le déclin que nous avons connu est attribuable à la réduction des investissements dans le secteur de l’énergie.

En fait, les choses se sont améliorées dans le reste de l’économie; les investissements étrangers directs au Canada dans les secteurs non énergétiques connaissent une hausse assez marquée.

Le sénateur Tannas : En ce qui concerne vos intentions d’investissements nationaux positifs, comment arrivez-vous à déterminer quel montant pourrait correspondre à des immobilisations reportées pour cause d’incertitude plutôt qu’à de nouveaux capitaux d’expansion qui serviront de capitaux de risque?

M. Poloz : Nous sommes attentifs à cette question car, bien sûr, nous avons traversé une période où les gens essayaient d’épargner de l’argent. Ils arrivaient à peine à payer leurs comptes d’électricité dans certains cas. Ce n’est pas seulement un petit sondage dans lequel on coche des cases, mais un entretien personnalisé qui dure habituellement une heure ou plus. La majeure partie de ces renseignements est intégrée à nos statistiques. Pour nous, le reste ne présente pas d’intérêt général.

Nous y sommes attentifs. Ils nous disent quelle partie destinée à l’expansion est la partie forte. Nous devons garder à l’esprit que ce n’est pas tout le monde qui s’en remet au libre-échange avec les États-Unis pour la croissance de leur entreprise. Nous essayons d’avoir un éventail complet. Si vous ne faisiez que vous adresser aux exportateurs, la version des faits serait biaisée.

Ils nous ont dit dès le départ qu’ils voulaient investir, mais ils font plus attention que d’habitude en raison de l’incertitude entourant l’ALENA. Ils nous le disaient toujours lorsque nous menions notre enquête. Si vous fonctionnez à pleine capacité et vous n’avez aucune idée de la durée de cette période d’incertitude, il vous faut toujours décider si vous allez rester en affaires et répondre aux besoins de vos clients ou pas. Certaines entreprises nous ont dit qu’elles avaient investi aux États-Unis pour se couvrir. D’autres ont dit qu’elles attendaient. Nous sommes intéressés de voir comment ce groupe répondra.

Malheureusement, l’ALENA n’a jamais changé. Nous avons maintenant quelque chose pour le remplacer qui n’a pas encore force de loi. Les conditions opérationnelles n’ont pas changé partout, mais les coûts pour nous sont permanents, car les décisions n’ont pas seulement été retardées, elles ont été prises de façon tendancieuse. Ces décisions retardées se sont traduites par des exportations perdues pendant cette période parce qu’on produit déjà à la vitesse grand V dans nombre de secteurs.

Si ces entreprises investissent maintenant et ajoutent à ces capacités, il est évident qu’elles seront concurrentielles pour accroître leurs ventes. Elles doivent se lancer et essayer à nouveau de conclure ces marchés — ceux qu’elles ont perdu pendant cette interruption.

Le sénateur Tannas : Je suis originaire de la région de Calgary. Nous semblons être la ville la moins optimiste au monde ces jours-ci, et non le contraire.

M. Poloz : Je suis bien d’accord.

Le sénateur Tannas : Peut-être que nous sommes attirés par des nouvelles qui correspondent à notre situation. Au début du deuxième trimestre, le PDG de RBC a dit que les capitaux fuyaient le pays en temps réel. Au Comité des finances et à d’autres comités, nous avons entendu les témoignages de représentants de cabinets comptables qui nous disaient que leur planification fiscale pour des clients canadiens concernant la fuite des capitaux étrangers n’a jamais été aussi en demande ou aussi bonne. Retracez-vous les capitaux privés? Où vont-ils? Quelle partie de ces capitaux influe sur l’économie, au fait?

M. Poloz : La réponse brève est « non ». Nous suivons les phénomènes macros dont nous avons déjà discuté. Je peux vous confirmer que, si j’en juge par tous les endroits que j’ai visités pendant mes déplacements, Calgary a probablement le moral le plus bas que j’aie vu.

J’en reviens à la question que le sénateur Tkachuk a posée tout à l’heure et à laquelle j’ai répondu qu’il est important de garder à l’esprit que le secteur de l’énergie n’aura pas une part du marché aussi importante et robuste quand tout cela sera fini étant donné que le pétrole est à 60 $ le baril au lieu de 100 $. Cette baisse se traduira par une réduction des investissements étrangers. En fait, nous avons vu des désinvestissements dans ce secteur. Il n’a pas à rétrécir, mais sa part du marché doit le faire. Il s’agit d’une période d’ajustement prolongée, que nous avons décrite en 2015. Nous avons dit que ce serait une période d’ajustement de trois à cinq ans à ce régime du prix du pétrole à la baisse. Nous avons maintenant dépassé la troisième année. Nous pensons toujours qu’il nous reste deux années de plus de ce régime avant de retrouver un rythme plus régulier pour tout.

Ces ajustements sont réels pour les gens. Les salaires sont toujours stagnants et il est probable qu’ils le restent, sauf à des endroits exceptionnels — les revenus, le marché de l’immobilier, et cetera. Ces sources de stress existent toujours. Nous ne faisons pas valoir que tout est parfait pour l’ensemble des Canadiens. Les nombres macros s’additionnent, car les choses se sont améliorées dans d’autres parties de l’économie.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le sénateur Wetston : Merci, monsieur Poloz et madame Wilkins. J’essaie simplement de comprendre la question de l’endettement des ménages. Je sais que vous insistez grandement sur cette question depuis un certain temps. Je ne voudrais pas vous faire dire ce que vous n’avez pas dit, mais c’est une question qui préoccupe la banque. Le rapport montre-t-il que l’endettement des ménages est à la hausse, stable ou à la baisse?

Je pose la question parce que je sais que nous avons besoin de décrire ces choses de façon à ce que les spécialistes de la macroéconomie comprennent pleinement ce que signifie une meilleure qualité de l’endettement. Je n’ai jamais pensé que nous voudrions être endettés. Pouvez-vous m’aider à comprendre la situation actuelle en ce qui concerne l’endettement des ménages? Si j’interprète la déclaration que vous avez faite il y a un instant, tout ce que cela me dit, c’est que vous êtes plus endetté et que vous devez acheter des maisons moins chères. J’espère que ce n’est pas seulement ce que cela signifie, mais peut-être que si.

Mme Wilkins : Ce n’est pas tout ce que cela signifie; il y a plus. Je suis ravie que vous ayez posé la question. Je ne voudrais pas que vous gardiez cette impression pour longtemps.

Comment en sommes-nous arrivés là? L’endettement des ménages en proportion du revenu augmente depuis pas mal de temps. Il n’a pas simplement commencé lorsque les taux d’intérêt étaient bas; il augmentait avant cela. Peut-être qu’il a eu quelque chose à voir avec l’environnement pour acheter des maisons, en particulier quand on a assoupli certaines règles concernant les prêts hypothécaires et l’assurance-habitation. C’était il y a plus de 10 ans, avant la crise.

L’endettement des ménages par rapport au revenu disponible est à la hausse. Une baisse des taux d’intérêt les incitera davantage à le faire, car elle leur donne la possibilité d’acheter une maison, et c’est voulu.

Maintenant que les taux d’intérêt sont à la hausse et qu’ils ont augmenté cinq fois au cours de la dernière année et des poussières, cette question se pose : dans quelle mesure l’économie est-elle sensible à cet endettement à la hausse? Et cette vulnérabilité se traduit-elle par une hausse de l’endettement élevé des foyers? La réponse est « non », le ratio entre l’endettement et le revenu disponible s’est stabilisé. Il a commencé à baisser. J’utilise ce terme très prudemment, car nous croyons toujours qu’il existe de la vulnérabilité. Nous n’avons pas poussé de soupir de soulagement parce que nous n’avons plus à y penser. Nous devons toujours y penser et nous devrons le faire pendant un certain nombre d’années.

Il est encourageant de voir la qualité sous cet indice boursier s’améliorer lentement, car chaque nouvelle hypothèque qui sera prise sera plus durable. Les personnes qui les prennent seront plus en mesure de résister, selon le test et compte tenu de leur revenu, aux variations des taux d’intérêt, qui peuvent ou non se produire. C’est bien pour une personne de bénéficier de cette protection.

Du point de vue de la politique monétaire, cela signifie qu’il nous faut être très conscients de la façon dont les hausses des taux d’intérêt influent sur l’économie. Du point de vue du particulier, cela pourrait sembler signifier aujourd’hui qu’il ne peut acheter de maison ou qu’il peut seulement en acheter une plus petite. Cela signifie aussi qu’on a donné un fondement plus solide à deux choses. C’est à nous qu’il revient de stabiliser l’inflation, 2 p. 100. Un taux d’inflation bas, stable et prévisible crée un environnement macroéconomique dans lequel il est moins probable que son revenu et son travail soient à risque. Il est aussi moins probable qu’on se retrouve dans un scénario d’expansion et de ralentissement dans le marché de l’immobilier, ce qui n’est pas génial si vous êtes propriétaire et qui n’est pas génial pour l’abordabilité lorsque les prix de l’immobilier augmentent. Cela signifie aussi que les gens qui prennent des hypothèques jouiront d’une plus grande sécurité. Ce qui semblait être une excellente décision aujourd’hui d’acheter une maison sera toujours une excellente décision dans deux ou cinq ans.

Il y a des compromis à faire; nous le comprenons. C’est un ajustement difficile pour bien des gens, mais j’estime qu’il est profitable à tout le monde d’avoir un fondement plus solide.

Le sénateur Massicotte : Avez-vous vendu votre maison?

Le sénateur Wetston : Je vis à Toronto. Je ne veux pas parler des maisons. Cela dit, je vais passer à ma question.

J’aimerais connaître votre opinion, car je sais que lorsque vous siégez au conseil de direction — je n’y suis jamais allé, mais je reconnais et je pense que lorsque vous traitez des questions concernant la hausse des taux d’intérêt, vous indiquez que les instruments de politique monétaire prennent du temps à agir dans le système, bien que certains soient peut-être un peu plus rapides que d’autres.

Je ne comprends pas entièrement comment cela affecterait l’économie dans son ensemble ou votre capacité de composer avec l’inflation et les taux d’intérêt. Je sais que dans vos remarques, vous avez parlé de 0,3 p. 100 d’ici la fin de 2024, des coûts de 200 milliards de dollars dans le contexte des questions États-Unis-Chine. Nous avons récemment donné suite au PTP. Nous avons aussi récemment donné suite à l’accord de libre-échange européen. Nous continuons de traiter des questions en Europe, qui pourraient avoir un peu moins d’influence au Canada; le Brexit, par exemple.

Monsieur Poloz, mon intention n’est pas de me lancer dans une sorte de discussion sur la politique étrangère, mais je me demande comment vous tenez compte de ces questions. La chancelière d’Allemagne vient de tirer sa révérence. Il y a des mouvements populistes croissants en Hongrie, en Pologne, en Italie, en Amérique du Sud et au Brésil. Cela me préoccupe personnellement parce que j’ignore combien d’instabilité cela crée dans l’environnement économique mondial.

Je reconnais que, dans une certaine mesure, ma question manque peut-être un peu de pertinence dans cette discussion. Je me demande si vous tenez compte ou pas de ces aspects dans le contexte de leur incidence sur le Canada et de l’approche et de la position que vous prenez à l’égard des questions macroéconomiques auxquelles fait face le pays?

M. Poloz : Nous en tenons évidemment compte. En résumé, je pense que votre question est la suivante : comment toutes ces dimensions politiques se retrouvent-elles dans la discussion? Ce ne serait pas si différent de la façon dont elles pourraient être soulevées dans le contexte d’une réunion du conseil ou d’une entreprise importante qui envisage d’investir des montants appréciables d’argent durement gagné ou d’argent emprunté, d’une façon ou d’une autre. Le conseil demanderait : « Qu’arrivera-t-il si le Brexit survient? Qu’arrivera-t-il si l’AECG ne fait pas ceci ou s’il fait cela? »

Le sénateur Wetston : La qualité de l’endettement.

M. Poloz : Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a rien d’unique dans notre façon de nous colleter avec cette situation comparativement à la façon dont une équipe d’entreprise ou son conseil se débattrait avec les mêmes types d’incertitudes au moment de prendre une décision financière.

Pour nous, cela prend habituellement la forme de l’incertitude et de la modélisation des décisions d’investissement, car il s’agit de décisions importantes. Vous pouvez même avoir des périodes où les gens coupent dans les dépenses en raison d’incertitudes. C’est principalement dans les entreprises qu’on l’observe.

Ce sont les gens qui finissent par être touchés parce que les entreprises qui ne croissent pas n’embauchent pas. Elles ne haussent pas leurs effectifs. Ces emplois ne sont jamais offerts. La population croît, il n’y a pas suffisamment d’emplois, et cetera. Cela devient un effet de consommation qui se répand.

Compte tenu des risques auxquels nous faisons face, nous devons nous demander : « Quelle preuve avons-nous? Dans le contexte de l’ALENA, nous pouvions voir que les entreprises investissaient toujours. Les chiffres d’investissement étaient corrects, mais pas aussi bons que ce que suggérait notre modèle. Y a-t-il d’autres facteurs qui les retiennent? Demandons-leur ». Nous avons fait une assez bonne évaluation de la situation, semblable à celle que nous avons faite lors du choc pétrolier en 2014. « Dans quelle mesure allez-vous réduire les investissements? » On nous a donné le montant en dollars. Nous avons été capables de l’additionner pour 30 ou 40 entreprises et nous sommes arrivés très près du nombre.

Au bout du compte, les renseignements qui nous viennent de la rue, si vous voulez, peuvent être très valables pour soupeser l’importance de ces choses. Vous essayez de faire la corrélation entre ces choses et d’arrêter un jugement concernant leur importance pour les résultats.

À l’heure actuelle, nous faisons face à bien des certitudes. Bien sûr, il est naturel de penser qu’elles sont négatives. Je remonte trois mois en arrière, à l’époque où nous avons préparé le Rapport sur la politique monétaire de juillet. Les gens, les commentateurs, les médias, tout le monde était presque certain que l’ALENA était sur le point d’être déchiré et remplacé par divers tarifs de toutes sortes.

Je me suis demandé : « Comment peut-on envisager de hausser les taux d’intérêt quand tout cela est sur le point de s’effondrer? » La réponse est que nous devons composer avec ce que nous avons. J’estime que cela pourrait représenter un risque négatif pour le Canada si cela se produisait, mais si j’ai bien analysé la situation, ils font des progrès. Qu’adviendra-t-il si on règle la question? Dans ce cas, cela se traduira par un risque positif.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, vous ne pouvez pas choisir une de ces questions et l’appuyer sur la politique monétaire. Vous devez opter pour une solution qui met ces risques en balance. Vous voulez avoir le plus de chances possibles d’avoir raison quel que soit le résultat. Bien sûr, lorsque vous êtes confronté aux faits, vous devez trouver une façon de changer.

Vous avez dit que ces mesures prennent du temps à agir. Leurs effets prennent aussi du temps à se manifester. On n’en ressent pas les effets du jour au lendemain. Lorsque des tarifs entrent en vigueur, les gens se disent, pendant des mois, des choses comme : « Je ne pense pas que ce soit permanent, alors je ne ferai rien pour m’y adapter. Je vais négocier une entente avec mes fournisseurs. » C’est ce qui se passe, à certains égards, dans le secteur de l’acier et de l’aluminium.

Si on utilisait un modèle pour prédire les conséquences, on se tromperait parce que les gens n’ont pas encore réagi selon les modèles. Plus le délai est long, plus il est probable qu’une telle situation se produise.

Par ailleurs, il y a les politiques. Il faut au moins un an pour que les effets de nos taux d’intérêt se répercutent sur les résultats, à la suite des décisions prises. Ce n’est qu’au bout d’un an ou deux que nous pouvons évaluer pleinement les répercussions des mesures que nous prenons.

Le sénateur Wetston : Ce n’est donc pas un changement brusque, comme ce qui est arrivé il y a 10 ans lorsque nous étions aux prises avec une terrible récession.

M. Poloz : En effet. C’était là quelque chose d’inusité. L’éclatement de la bulle financière a ébranlé et paralysé le monde entier, d’un seul coup. On faisait face à une récession instantanée. Il fallait donc adopter immédiatement des politiques de très grande envergure, ce qui fut le cas. Je n’étais pas là, alors je peux qualifier ce travail de magistral. La relance a été menée avec brio. Il nous a fallu tout ce temps pour nous en remettre.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Poloz et madame Wilkins. J’appuie la façon dont vous avez résumé le travail accompli il y a 10 ans.

J’aimerais me concentrer sur les réalités auxquelles font face de nombreuses industries aujourd’hui : si on ne provoque pas de perturbations, on finit par en subir les contrecoups. Ce n’est peut-être pas un message que l’on apprécie autant qu’on le devrait, mais il faut accélérer la croissance de la productivité au Canada. Que pensez-vous des mesures que nous prenons ou que nous ne prenons pas à cet égard?

Je suis très inquiet de voir que nous ne mobilisons pas nos innovations et que nous n’agissons pas assez vite pour créer de nouveaux produits à valeur ajoutée. Cela dit, certaines pépinières d’entreprises ont certainement été couronnées de succès. Nous devons adopter une approche plus vigoureuse que jamais pour favoriser l’expansion des entreprises de sorte qu’elles deviennent de moyennes ou de grandes entreprises.

Je veux que vous me parliez un peu de cette question. Je trouve cela inquiétant.

M. Poloz : Eh bien, moi aussi. J’ai d’ailleurs prononcé un discours sur ce sujet, à Moncton, il n’y a pas si longtemps. J’ai essayé d’offrir un point de vue optimiste pour un certain nombre de raisons. On a tendance à voir le côté négatif de ce phénomène parce que, bien entendu, nous ne réussissons pas aussi bien que les États-Unis sur ce front. En même temps, étant donné notre taille, nous aurons probablement toujours cette impression, car vous savez très bien qu’il faut avoir des économies d’échelle pour que ces choses fonctionnent, d’où l’importance des accords commerciaux et de tout le reste pour avoir l’occasion de promouvoir des idées à l’échelle mondiale.

Fait important, vous avez parlé de l’idée de provoquer des perturbations ou de les subir. Beaucoup de gens pensent qu’il s’agit d’une nouveauté en raison de l’évolution technologique, mais ayant étudié l’histoire de l’économie, je peux vous citer des exemples qui montrent que tel a toujours été le cas depuis plus de 200 ans. Une des choses dont bien des gens ne se rendent pas compte est ceci : ils croient que la croissance agit comme de la levure, c’est-à-dire qu’elle se propage partout, de façon homogène, et que ses effets sont visibles dans les moindres coins et recoins.

En fait, selon le célèbre économiste Harberger, la croissance se comporte davantage comme les champignons, car lorsque l’innovation voit le jour, elle surgit de nulle part et gruge tous les nutriments dans un endroit donné, si bien qu’aucun autre champignon ne peut pousser là-bas. C’est normalement ainsi que se manifeste le processus de destruction créatrice; autrement dit, on crée des choses, mais, bien sûr, cela accule certaines entreprises à la faillite.

L’histoire montre que le progrès technologique a toujours créé plus d’emplois qu’il en a détruit. Il est très difficile pour les gens d’adopter une technologie lorsque, bien entendu, ce sont eux qui perdent leur emploi. Il faut donc essayer de comprendre ce processus d’adaptation. Ensuite, on entendra souvent parler dans les médias, par exemple, du cas d’un travailleur très spécialisé dans le secteur manufacturier, qui possède beaucoup de compétences en matière de machinerie, et cetera : comment diable cette personne est-elle censée commencer à faire de la programmation?

Ce n’est pas du tout ce que la transition exige parce que les richesses créées par ces « champignons » génèrent des revenus que les gens finissent par consacrer aux choses habituelles. Ils ne dépensent pas cet argent pour acheter des iPad; ils l’utilisent pour se payer une maison, des vacances, une voiture et des vêtements. Ils créent des emplois dans l’ensemble de l’économie à mesure que la croissance se poursuit. Si vous avez essayé récemment de faire réparer quelque chose dans votre maison, vous saurez qu’il y a des pénuries de travailleurs qualifiés dans ce secteur. Nous savons qu’il existe, dans tous les secteurs de l’économie, plus de 500 000 postes vacants, dont la plupart se trouvent dans le secteur de la fabrication ou de la construction où les compétences n’ont rien de bien différent de celles qui disparaissent à cause de la technologie.

Il ne fait aucun doute que la croissance se produit surtout au sommet de l’échelle, dans les emplois technologiques. Les emplois dits de TI constituent le secteur qui connaît la plus forte croissance, du point de vue de la création d’emplois et des ventes à l’exportation. Il s’agit d’emplois très bien rémunérés qui ont des effets bénéfiques sur l’économie dans son ensemble.

C’est, en somme, une chose positive. La vraie question, et je terminerai là-dessus, c’est la suivante : à quel moment la croissance commence-t-elle à se manifester dans les statistiques sur la productivité? Quand on parle aux entreprises, elles ont toutes des histoires exceptionnelles à raconter, ce qui signifie qu’il doit sûrement y avoir beaucoup de nouveaux gains de productivité. Je suis convaincu que c’est pour bientôt. Il en a toujours été ainsi : après une vague technologique, il faut plus de temps que prévu pour en voir les effets dans les statistiques sur la productivité.

Je vais vous donner un exemple. Supposons qu’une entreprise compte aujourd’hui une demi-douzaine de serveurs et une petite équipe de TI qui s’occupe de systèmes informatiques internes. Quelqu’un pourrait se présenter demain et dire : « Je peux transférer tout cela dans le nuage informatique. Vous n’avez qu’à me donner un chèque de X dollars par trimestre, et je m’occuperai du reste. » Un tel changement représente, pour l’entreprise, une énorme économie d’argent, une énorme augmentation de la productivité et, pourtant, cela ne compte même pas comme un investissement.

C’est une question difficile à trancher parce que les entreprises n’achètent plus de serveurs; elles utilisent les économies réalisées sur leurs coûts réguliers pour payer des services. Si elles effectuent ce travail à l’interne — par exemple, en élaborant de nouvelles applications pour les iPhone et tout le reste —, ce ne sera pas nécessairement considéré comme un investissement, car il ne s’agit que d’employés figurant sur la liste de paie.

C’est justement pour ces raisons que la définition d’investissement vient d’être révisée par Statistique Canada, qui est en train d’adapter ses méthodes pour rattraper son retard. Je peux vous attester que nous tirons de l’arrière sur le plan de l’évolution de l’économie.

Nous nous attendons à ce que la productivité se manifeste bientôt dans nos prévisions. Elle ne survient pas pour des raisons magiques, mais parce qu’il y a plus d’investissements. Elle dépassera probablement ce que nous avons prévu. Nous prenons garde à ne pas peindre la situation en rose, et ce sera également important pour les séries de données sur les salaires, qui afficheront une hausse.

Le sénateur C. Deacon : Je suis d’accord avec vous : c’est ainsi que les progrès se sont produits au fil du temps. Selon moi, la grande différence aujourd’hui réside probablement dans l’ampleur de l’accélération. Le tout évolue tellement rapidement. Est-ce que cela change, à votre avis, le taux de perturbation et le rythme auquel les changements s’opèrent? Est-ce que cela modifie la façon dont nous devrions réagir au sein de notre économie?

Permettez-moi de vous donner mon exemple favori parce que tout le monde le comprend : il y a 10 ans, les annonces classées rapportaient 1 million de dollars par mois au Chronicle-Herald à Halifax. Aujourd’hui, elles ne lui rapportent rien. Les changements surviennent à la vitesse de l’éclair dans certains secteurs, et il se peut que certains des secteurs les plus rentables en subissent l’assaut. Devons-nous mieux réagir à cette situation récurrente?

M. Poloz : Oui, je suis d’accord pour dire que la vitesse s’est accélérée. Si chaque création entraîne une destruction, alors ces problèmes prennent de plus en plus d’ampleur parce qu’ils ne surviennent pas en petites quantités à la fois. Ils s’accumulent rapidement. Nous devons soumettre nos filets de sécurité à des tests de résistance et prendre des mesures qui aident les gens à s’adapter à cette nouvelle réalité, comme la formation et le recyclage professionnel ou d’autres mécanismes de soutien pour veiller à ce que les gens ne soient pas laissés pour compte.

Cela va bien au-delà de la politique monétaire. Je dirais que nous menons activement des recherches sur les changements technologiques dans l’économie numérique. Nous avons créé une équipe qui se penche là-dessus à temps plein et, d’ailleurs, celle-ci a commencé à embaucher non pas des économistes, mais des spécialistes des données qui travaillent dans ce domaine.

Je ne devrais peut-être pas en dire davantage, parce que ce dossier relève de la responsabilité de Mme Wilkins. Elle pourrait vous en parler tout l’après-midi, mais pour vous donner une idée, je me contenterai de dire que nous y consacrons des ressources.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Madame Wilkins, j’ai une question dans la même veine que celle du sénateur Deacon concernant vos propos sur la productivité dans le quotidien Le Devoir. On sait que la productivité, ce n’est pas juste une question d’investissement en capital physique, mais également en capital humain. Comme vous l’avez dit tous les deux dans vos récentes déclarations, on n’a pas de pénurie de main-d’œuvre parce que beaucoup de personnes seraient prêtes à travailler, mais il y a une pénurie de compétences. C’est d’ailleurs ce qui empêche les entreprises de s’adapter.

Serait-il possible de calculer l’investissement en capital humain dans les entreprises d’une autre façon qu’on le fait actuellement? Serait-il possible de tenir compte de l’investissement en capital humain en formation comme une dépense en capital plutôt qu’une dépense régulière? On pourrait l’amortir. Les entreprises canadiennes sont très en retard pour ce qui est des investissements dans la formation de leurs employés. Elles dépensent moins que les entreprises américaines, qui sont aussi en retard par rapport aux normes internationales. Croyez-vous qu’il serait intéressant d’explorer cette idée? Sinon, pourquoi? Si cela vous apparaît comme étant un jeu de comptabilité qui n’est pas pertinent, pouvez-vous m’expliquer pourquoi?

Mme Wilkins : Je ne suis pas une experte en impôt des entreprises, mais vous mentionnez les incitations aux entreprises afin qu’elles investissent davantage dans la formation. Il est clair qu’en discutant avec elles, quand on parle de la numérisation ou juste de la pénurie de la main-d’œuvre en général, surtout pour les PME, elles ont de la difficulté parce que le rendement n’est pas nécessairement là. Elles nous disent qu’elles investissent dans la formation d’un employé et que tout va bien jusqu’au moment où cet employé quitte son emploi pour aller travailler dans une autre entreprise. C’est une question de rentabiliser cet investissement. Il est clair que toute nouvelle mesure fiscale ou incitative pourrait aider à cela. Ce n’est pas juste une question d’investir avec l’entreprise toute seule.

À Trois-Rivières, j’ai eu la chance de rencontrer des gens de l’université et de l’industrie qui travaillaient en partenariat afin que les étudiants puissent mettre en pratique ce qu’ils apprennent à l’école dans une vraie entreprise. On entend souvent dire que les jeunes d’aujourd’hui savent lire et écrire, mais lorsqu’ils doivent se rouler les manches pour accomplir quelque chose de concret dans une entreprise, ce n’est pas nécessairement acquis. Ce n’est pas seulement une question d’investissement, mais aussi d’avoir des investissements appropriés pour ces jeunes. À mon avis, il faut un partenariat plus étroit entre les établissements scolaires et les entreprises. Il faut que cette relation se poursuive durant toute la carrière d’une personne. Il est peu probable qu’une personne, une fois ses études terminées, garde le même emploi pendant 10 ans ou 15 ans, car les choses changent rapidement. Il y a beaucoup de facettes à améliorer dans notre système, mais toute mesure incitative serait la bienvenue.

La sénatrice Bellemare : On a abordé la question de la productivité. Si le Canada avait le même mandat que la Réserve fédérale américaine en ce qui a trait à sa politique monétaire, soit un mandat dual avec un lien à l’emploi et un lien à la stabilité des prix, est-ce que cela changerait quelque chose à la conduite de la politique monétaire canadienne?

M. Poloz : Je dirais que non, parce qu’on parle de la tendance d’inflation soutenable. Quand l’inflation est stable et demeure stable, ça se passe en même temps que la croissance économique, sur son potentiel ainsi que sur le taux de chômage qui reste autour de son taux naturel d’équilibre. Toutes ces choses coïncident, à mon avis. Historiquement aussi, la stabilisation de l’inflation au cours d’une période de plus de 25 ans démontre que cette politique a réduit les fluctuations réelles dans l’économie.

Alors, c’est un produit de cette politique. Cela aura l’effet d’introduire des « trade-offs », qui ne sont pas nécessaires entre les deux et qui ne sont pas réels. Cela entraîne un débat qui fera valoir de nombreux points de vue. En même temps, il faut ajouter des variantes et non les réduire. À mon avis, c’est peut-être un peu sévère parce qu’il est possible d’appliquer des règles plus larges en matière de politique monétaire.

On ne ferme pas la porte aux autres possibilités. Nous sommes en train de nous préparer pour le prochain renouvellement de notre entente avec le gouvernement. C’est Mme Wilkins qui est chargée de cela.

Mme Wilkins : Oui, 63 économistes nous ont proposé de changer le mandat afin qu’il soit plus large. Je crois que c’est une bonne chose. Cela incite les gens à en discuter. Parfois, nos études portant sur le cadre de la politique monétaire n’attirent pas beaucoup d’attention, alors que c’est important. Depuis l’année dernière, nous participons à des conférences, dont une qui aura lieu demain avec les gens de l’extérieur pour discuter de plusieurs autres formes de mandats, dont le mandat dual. On va d’abord faire des recherches sur plusieurs aspects. On fera preuve de transparence et on aura des discussions avec la population à propos des arbitrages entre les cadres.

Parfois, on se dit qu’on peut gagner ici, mais qu’on peut perdre autre chose ailleurs. Il faut faire le lien entre ce qu’on veut accomplir et où on veut recourir à l’arbitrage pour le bien-être de la population canadienne. Notre prochaine étape est la conférence que nous tiendrons demain avec des personnes du milieu académique et de l’extérieur. Une partie de cette conférence sera publique. Je prononcerai un discours à l’Université McGill au mois de novembre où j’exposerai nos réflexions et nos démarches. Comme le gouverneur l’a dit, il y a des similarités entre ce qu’on fait en ce moment et ce qu’on pourrait accomplir avec le mandat dual, mais il pourrait y avoir de petites différences. Cela vaut la peine d’en discuter et de mener une réflexion sur les autres cadres de la politique monétaire.

La sénatrice Bellemare : La conférence qui aura lieu demain sera-t-elle télédiffusée?

Mme Wilkins : Pas complètement, mais en partie.

Le sénateur Mockler : Je tiens à vous remercier, monsieur le gouverneur et madame la sous-gouverneure, d’être venus partager votre vision de l’avenir du pays où l’on vit le mieux.

[Traduction]

Je dois mentionner que j’ai eu l’occasion, à titre de président du Comité des finances depuis à peine trois semaines, d’organiser des tables rondes avec des dirigeants d’entreprises de partout au Canada. Je viens du Nouveau-Brunswick, dans la région de l’Atlantique. J’aimerais aborder deux sujets. Vous y avez fait allusion, monsieur Poloz, mais vous n’en avez pas parlé directement : je voudrais discuter du Brexit. Ensuite, j’aimerais vous poser une question sur les répercussions des taux d’intérêt sur les maisons dans la région de l’Atlantique.

Au mois d’août, Reuters a signalé que, depuis le référendum, les fiducies britanniques de placement immobilier ont affiché un rendement inférieur de plus 20 p. 100 par rapport à leurs homologues européens.

Même si nous savons que l’incertitude ne garantit pas la stabilité économique, ici au Canada, nous sommes préoccupés par la négociation du Brexit, surtout parce que le Royaume-Uni, notre troisième partenaire commercial, est aux prises avec des difficultés.

Monsieur Poloz, quels conseils avez-vous à donner aux nombreuses entreprises canadiennes qui ont investi au Royaume-Uni comme porte d’entrée vers les 27 autres pays de l’Union européenne?

Le sénateur Tkachuk : À part de leur dire bonne chance.

Le sénateur Mockler : Je veux entendre le gouverneur.

M. Poloz : C’est, bien sûr, une tournure regrettable pour ceux qui ont investi au Royaume-Uni. Il y a toujours eu des flux d’investissement très solides entre le Royaume-Uni et le Canada, et ce, dans les deux sens. Bien entendu, les investissements vers le Royaume-Uni ont augmenté après la création de la zone euro. Vous avez raison : ce pays est devenu une porte d’entrée, mais cette situation est sur le point de changer radicalement.

Je n’ai rien d’autre à ajouter. Il n’y a aucun conseil que je puisse donner là-dessus. À ce qu’il paraît, le Brexit aura bel et bien lieu. C’est encore un point d’interrogation. Nous analysons cet événement comme s’il s’était déjà produit, mais ce n’est pas encore le cas. Nous devons voir comment la situation évoluera, quelles conditions seront négociées et comment le tout influera sur les décisions d’affaires. Nous n’avons pas assez d’information à ce sujet pour l’instant.

En ce qui concerne l’économie britannique, elle subira un changement structurel classique, ce qui signifie qu’il y aura une phase de désinvestissement. Cela ressemble un peu à ce que nous avons vécu à la suite du choc énergétique parce que nous observons une phase de désinvestissement dans certains secteurs de notre économie et une augmentation des investissements dans d’autres. Dans le cas du Brexit, le désinvestissement a lieu au Royaume-Uni, et nous nous attendons à ce que sa devise soit faible durant cette période de transition, d’où une hausse de l’inflation.

C’est une transition très difficile à gérer, du point de vue des politiques et des affaires. Cependant, je n’ai pas de conseils quant à la façon de s’y prendre; tout ce que je peux faire, c’est aider les gens à comprendre la situation.

Le sénateur Mockler : Parlez-vous avec votre homologue au Royaume-Uni pour savoir ce qu’il en pense?

M. Poloz : Absolument. Nous nous réunissons facilement une douzaine de fois par année.

Le sénateur Mockler : Qu’en pense-t-il?

M. Poloz : C’est à lui de le dire.

Le sénateur Mockler : Je viens du Canada atlantique. J’ai eu l’occasion de parler à des représentants d’institutions financières et à des entrepreneurs qui construisent des maisons. Je dois admettre que j’étais ministre du Logement au Nouveau-Brunswick avant d’être sénateur.

Monsieur Poloz, lorsque vous regardez la situation au Canada, vous savez ce qu’il en est — le Canada atlantique, le Québec, l’Ontario, l’Ouest canadien et la Colombie-Britannique. En ce qui concerne vos taux bancaires, quelle région du pays sera la plus touchée? Je pose la question pour aider les gens qui songent à acheter leur première maison.

M. Poloz : Vous mettez le doigt sur un point important, à savoir que le Canada n’est presque jamais le même d’une région à l’autre. Nous avons affaire à une macroéconomie, qui est le résultat d’une moyenne pondérée de toutes ces régions.

J’utilise souvent une analogie qui n’a rien de drôle : c’est comme si l’économie était une personne dont la tête était dans un four et les pieds dans un congélateur. La moyenne semble acceptable, mais ce n’est pas très confortable. Autrement dit, lorsqu’on établit une politique monétaire, on vise la moyenne. Cela pourrait ne pas convenir aux extrémités qui se trouvent dans le four ou dans le congélateur.

Vous avez posé une question directe : où est-ce que le changement de notre taux d’intérêt aura le plus d’effet? Réponse : dans les secteurs de l’économie où les consommateurs et les ménages sont les plus endettés. Bref, ce n’est pas dans la région de l’Atlantique, mais à Toronto et à Vancouver. C’est là que les prix de l’immobilier ont augmenté à tel point que les ménages se sont lourdement endettés.

Nous avons divisé le secteur des ménages canadiens en de nombreuses parties : ceux qui ont des niveaux élevés d’endettement, ceux qui ont pris des hypothèques de cinq ans plutôt que d’un an, et cetera. Nous avons cartographié le tout. Nous avons d’ailleurs brossé un portrait très détaillé de la situation dans notre Rapport sur la politique monétaire de juillet. Nous surveillons la façon dont ces divers segments s’y adaptent; loin de nous l’idée de prétendre que c’est simple — cela ne se résume pas à un chiffre. C’est une analyse beaucoup plus complexe.

Il y a un aspect qui nous rassure quelque peu, et cela rejoint ce que Mme Wilkins a dit tout à l’heure : avant que tout cela commence, certaines régions du pays avaient connu une hausse rapide des prix de l’immobilier. Les gens disaient : « Comment puis-je me permettre d’acheter une maison quand vous augmentez le taux et que je dois passer le test de résistance pour être admissible? » Ainsi, dans la foulée des diverses politiques qui ont été mises en place, les flux de capitaux spéculatifs se sont plus ou moins arrêtés, si bien que les prix de l’immobilier augmentent maintenant de façon beaucoup plus modérée partout au pays. Lorsque la valeur d’une maison à Toronto grimpe de 15 ou 20 p. 100, cela nuit beaucoup plus à l’abordabilité qu’un changement de 25 ou 50 points de base dans les taux d’intérêt. Toutefois, une fois que la situation sera résorbée, nous contribuerons à l’abordabilité à long terme.

Pour ce qui est du test de résistance auquel doivent se soumettre les particuliers, je préconise cela depuis longtemps, avant même que le test soit instauré, simplement parce que tout le monde savait que les taux d’intérêt n’avaient jamais été aussi bas. Chaque personne devrait se préparer à l’éventualité que les taux d’intérêt augmentent de 1 ou 2 p. 100; on devrait donc faire une autovérification. Pour l’heure, c’est une réalité. Il est vraiment important que les gens aient l’assurance de pouvoir survivre à un cycle de hausse des taux d’intérêt. Nous avons dû en faire une règle pour que ce soit effectivement le cas.

Le président : Nous n’avons qu’une seule question à poser au cours de la deuxième série de questions.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie encore une fois tous les deux des réponses judicieuses et simples que vous nous avez données pendant cette partie de la séance et que vous donnez très fréquemment, d’après ce que j’ai observé.

Madame la sous-gouverneure, en ce qui concerne la productivité, votre groupe examine-t-il la productivité du secteur public, ou uniquement la productivité du secteur privé?

Mme Wilkins : Nous étudions la productivité de l’ensemble de l’économie, et nous approfondissons notre examen dans différents secteurs. Comme vous le savez probablement, il est très difficile de mesurer la productivité du secteur des services. Cette mesure pose d’énormes problèmes. C’est une dimension que la banque, Statistique Canada et un grand nombre de pays tentent de cerner.

Vous avez mentionné la productivité du secteur public. L’un des aspects qui importent, c’est le fait que le secteur public, y compris la Banque du Canada — je me contenterai donc de parler de la Banque du Canada —, joint un peu le geste à la parole. Si nous voulons que l’industrie devienne plus productive et adopte des technologies, nous devons être en mesure d’établir intelligemment le cadre approprié pour que cela se produise. Qu’il s’agisse de réglementation, de surveillance ou de politique fiscale, il est vraiment utile que vous compreniez vous-même la situation. C’est la raison pour laquelle la banque prévoit un grand nombre de projets de recherche — des activités que nous accomplissons habituellement — dans son plan de travail et planifie de faire appel aux nouveaux experts en science des données.

Nous établissons également des partenariats par l’intermédiaire du Creative Destruction Lab de la Rotman School of Business et du HEC de Montréal. Nous avons mis sur pied un nouveau programme appelé Pivot, dans le cadre duquel nous pouvons faire équipe avec des entrepreneurs et des petites entreprises et utiliser l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine en vue d’essayer de résoudre nos propres problèmes commerciaux et de déterminer où se trouve la ligne de démarcation. Il s’agit en partie d’apprendre, et non d’inventer de nouveaux concepts. Nous entreprenons vraiment ce travail afin de mieux comprendre la situation. Que ce soit à l’échelle internationale dans le cadre du G20, du point de vue du Conseil sur la stabilité financière ou même à l’échelle nationale, lorsque nous cherchons à déterminer les règles que nous devrions modifier ou adapter afin qu’elles appuient solidement l’innovation — mais une innovation sécuritaire —, il est difficile de le faire sans mieux comprendre ce dont nous parlons.

Avec un peu de chance, les activités de ce genre constitueront un investissement qui portera fruit, ne serait-ce que sur le plan de la productivité de la banque centrale. En outre, nous ne sommes pas les seuls à exercer ces activités.

Le président : Chers sénateurs, je vous remercie infiniment des questions bien pensées et bien présentées que vous avez posées. Je tiens également à remercier le gouverneur et la sous-gouverneure. Vos propos étaient très brefs, utiles et pertinents.

(La séance est levée.)

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