Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule no 48 - Témoignages du 8 novembre 2018
OTTAWA, le jeudi 8 novembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, afin d’étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international (sujet : la collecte des informations financières par Statistique Canada).
Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue à mes collègues de même qu’aux membres du grand public qui sont présents dans la pièce ou qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce d’aujourd’hui sur le Web. Je m’appelle Doug Black, et je suis président du comité. Je suis un sénateur de l’Alberta.
Je demanderais à mes collègues de se présenter pour les témoins.
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, de la Saskatchewan.
Le sénateur Klyne : Marty Klyne, de la Saskatchewan.
Le président : Merci beaucoup, honorables sénateurs.
Nous étudions d’aujourd’hui porte sur la collecte des informations financières par Statistique Canada. Comme notre réunion est chargée, je demande à tous les témoins et à mes collègues d’être aussi brefs que possible dans leurs interventions. Avec votre coopération, nous aurons le temps d’entendre les trois groupes de témoins à l’horaire ce matin.
Je tiens à profiter de l’occasion pour vous rappeler que nous avons des services d’interprétation simultanée aujourd’hui. Je ne comprends pas ce que cela veut dire en fait, parce que je crois que c’est de l’interprétation simultanée pratiquement la plupart du temps, mais cela signifie que nous sommes censés nous assurer d’avoir une élocution adéquate.
Je souhaite la bienvenue au premier groupe de témoins aujourd’hui qui se compose de représentants de Statistique Canada : Anil Arora, statisticien en chef du Canada; André Loranger, statisticien en chef adjoint, Statistique économique; et, enfin, Linda Howatson-Leo, directrice, Bureau de gestion de la protection de la vie privée et de coordination de l’information.
Je vous remercie tous de votre présence ici aujourd’hui. Monsieur Arora, je vous invite à faire votre exposé, puis je suis sûr que les sénateurs auront des questions pour vous. Merci beaucoup.
[Français]
Anil Arora, statisticien en chef du Canada, Statistique Canada : Merci beaucoup de nous donner l’occasion de partager avec vous notre plan et les détails concernant le projet actuel.
[Traduction]
Honorables sénateurs, je tiens à corriger immédiatement trois inexactitudes importantes au sujet du projet pilote visant à améliorer le système statistique au moyen des données sur les paiements.
Premièrement, aucune donnée relative à ce projet pilote n’a encore été recueillie par Statistique Canada. Je le répète : aucune donnée n’a été recueillie.
Deuxièmement, la confiance est le fondement même des activités de Statistique Canada, et nous continuerons de gagner la confiance des Canadiens.
Troisièmement, je peux vous assurer que ce projet n’ira pas de l’avant avant que le commissaire à la protection de la vie privée ait terminé son enquête et que nous ayons dissipé les préoccupations relatives au respect de la vie privée des Canadiens.
Vous vous demandez peut-être pourquoi. Eh bien, le rythme auquel notre économie et notre société évoluent pousse de plus en plus les organismes de statistique du monde entier à fournir des informations plus détaillées et plus opportunes pour la prise de décisions fondées sur des faits. En tant qu’agence statistique de premier plan, Statistique Canada expérimente, pilote et collabore avec les Canadiens depuis plus d’un siècle afin de fournir aux entreprises, aux organismes sans but lucratif et aux décideurs de tous les ordres de gouvernement la meilleure information possible. Honorables sénateurs, au cours de la dernière année, nous avons organisé plus de 175 séances de consultation et de mobilisation d’un océan à l’autre pour recueillir les commentaires des Canadiens sur leurs besoins en matière de données et les moyens de faire mieux. Le gouvernement a réservé les ressources annoncées dans le budget de 2015 pour nous aider à trouver de nouveaux moyens de fournir des données de meilleure qualité et en temps opportun.
La question d’aujourd’hui n’est pas un débat purement académique; les statistiques ont une incidence profonde sur tous les Canadiens, et la réduction de leur qualité aura des répercussions directes sur eux. Les statistiques économiques et sociales sont indispensables pour établir une politique économique et fiscale. Comme vous le savez, elles servent à déterminer les prestations de la Sécurité de la vieillesse, du Régime de pensions du Canada et du Régime des rentes du Québec, à établir des paiements de péréquation et à orienter les affectations budgétaires pour ce qui est des transferts en matière économique et sociale. En plus de ces utilisations, les entreprises et les particuliers se servent de ces données pour prendre des décisions clés d’investissement sur les achats importants, les emplois et les investissements en vue d’aller de l’avant ou non, par exemple, avec l’expansion d’une entreprise ou l’achat d’une nouvelle maison.
Plus spécifiquement, les estimations des dépenses des ménages servent en partie à calculer l’indice des prix à la consommation. Cet indice est ensuite utilisé pour indexer les prestations pour les régimes de pension et la Sécurité de la vieillesse, ce qui a une incidence directe sur le revenu des personnes âgées. Cela affecte les salaires, les contrats de travail, l’assurance-emploi et les politiques conçues pour lutter contre divers enjeux, comme la pauvreté. Par ailleurs, 80 milliards de dollars en revenus provenant de la taxe de vente harmonisée sont distribués aux provinces en fonction des estimations des dépenses des ménages de Statistique Canada. Le gouvernement fédéral et les provinces utilisent à leur tour les revenus de la TVH pour financer les services publics. La Banque du Canada utilise nos statistiques pour fixer les taux d’intérêt et surveiller l’inflation.
Le rythme auquel les Canadiens se tournent vers des services numériques a accéléré rapidement. Aujourd’hui, nous envoyons de l’argent par courriel et nous faisons livrer nos repas à l’aide d’une application. Au total, 80 p. 100 des opérations financières sont effectuées électroniquement, ce qui représentait environ 21 milliards d’opérations en 2016.
Le gouverneur de la Banque du Canada a parlé des nouvelles lacunes dans nos statistiques et il a mentionné que les transactions dont le montant n’exige pas de déclaration aux douanes ne sont pas recensées dans nos statistiques financières.
Nous produisons des statistiques qu’utilisent quotidiennement les Canadiens, et leur utilisation et leur impact augmentent à mesure que l’économie et la société deviennent de plus en plus numériques et mondiales. Depuis quelques années, nous avons mis à l’essai un certain nombre de méthodes novatrices dans les domaines du logement, du cannabis, du tourisme, et cetera. Nous publions plus rapidement un plus grand nombre de données qui sont plus détaillées et faciles d’accès. Les arguments à l’appui de la modernisation sont clairs. Les Canadiens exigent et méritent la meilleure information possible pour prendre des décisions, et Statistique Canada s’efforce de la leur fournir.
J’aimerais également préciser que notre programme d’innovation est fondé sur les piliers que sont notre solide expérience en matière de respect et de protection de la vie privée et la confidentialité des renseignements personnels que nous confient les Canadiens. Nous ne pouvons pas seulement leur dire de nous faire confiance; nous travaillons chaque jour avec acharnement pour gagner la confiance des Canadiens grâce à des processus et à des systèmes rigoureux et à une culture de la protection de la vie privée et de la confidentialité.
J’aimerais maintenant passer à la deuxième partie de mon exposé, soit le projet pilote en question, et expliquer les discussions que nous avons eues avec l’Association des banquiers canadiens et les institutions financières au cours de la dernière année. Il s’agit d’un projet pilote, et des discussions sont en cours. Le projet n’a pas encore été lancé, et Statistique Canada n’a reçu aucune donnée.
Nous travaillons dans un environnement ouvert et transparent, et cela se fait en collaboration et en partenariat avec nos fournisseurs de données, qu’il s’agisse d’un autre ministère, d’une province, d’un territoire ou d’une institution privée. Depuis près d’un an, nous nous penchons sur une conception et un cadre qui s’appuient sur la confiance des institutions financières envers leurs clients et une meilleure compréhension des conséquences techniques de la poursuite de ce projet pilote. Plus tôt le mois dernier, nous avons reçu de l’information de chacune des neuf institutions de l’Association des banquiers canadiens participant à ce projet pilote afin de mieux comprendre leurs besoins individuels, de renforcer davantage la conception et de mieux comprendre les détails de la mise en œuvre. Statistique Canada a rencontré et a échangé avec l’Association des banquiers canadiens et les institutions financières à plusieurs reprises, soit 12 fois depuis avril, pour être exact.
Le projet est conçu pour suivre des principes méthodologiques rigoureux et respecter la confidentialité grâce à des éléments de conception. Nous avons clairement indiqué qu’il faut expliquer de manière totalement transparente aux Canadiens les raisons pour lesquelles nous le faisons et leur expliquer que les renseignements devaient être fournis à Statistique Canada à des fins statistiques seulement, comme nous le faisons avec tous nos fournisseurs de données.
La conception a également été élaborée avec l’aide du Commissariat à la protection de la vie privée. Nous devons en grande partie nos processus et nos systèmes à sa collaboration et à son expertise.
Bien qu’un échantillon de 500 000 adresses puisse sembler important, il y a plus de 14 millions de ménages au Canada. La probabilité qu’une adresse donnée soit sélectionnée pour faire partie de l’échantillon est de 1 sur 28, et la probabilité qu’un logement soit utilisé dans l’échantillon réel est de 1 sur 40. Le questionnaire détaillé du recensement a un échantillon de 1 ménage sur 4. L’échantillon du projet sera renouvelé d’une année à l’autre afin qu’il soit tout simplement impossible de retracer l’historique des renseignements pour un ménage donné.
Monsieur le président, comme je l’ai dit d’entrée de jeu, Statistique Canada prend la vie privée des Canadiens très au sérieux. Nous avons élaboré des systèmes, des processus et une culture, et nous avons un solide bilan en matière de protection des renseignements personnels et de confidentialité. La confiance des Canadiens est essentielle à notre capacité de fournir en temps opportun des statistiques objectives de haute qualité, que cela se fasse au moyen d’un questionnaire papier, du recensement ou d’un fichier administratif.
Je peux vous assurer que nous n’irons pas de l’avant avec ce projet tant que nous n’aurons pas dissipé les inquiétudes exprimées par les Canadiens relativement à la protection de la vie privée; nous le ferons en collaboration avec le commissaire à la protection de la vie privée et les institutions financières.
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Arora. Passons immédiatement aux questions des sénateurs. La vice-présidente a la parole en premier.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci de témoigner devant le comité pour nous donner des explications concernant cette étrange annonce et les reportages dans les médias. Je m’intéresse à ce que vous venez de dire au sujet d’un projet pilote — ce sont les premières fois que j’entends l’expression « projet pilote » — et je trouve aussi intéressant que vous ayez affirmé avoir été clair à l’endroit des Canadiens concernant le respect de leur vie privée. Je crois que c’est peut-être erroné, étant donné que les Canadiens n’étaient pas au courant de ce qui se passait ou de ce qui avait été proposé, pour reprendre vos paroles.
J’ai examiné votre mandat en ce qui concerne les données administratives que Statistique Canada peut recueillir d’autres organismes gouvernementaux, du secteur privé et de diverses organisations, et Statistique Canada peut utiliser les données administratives en complément des données d’enquête et le faire pour rendre ces opérations statistiques plus efficaces. Toutefois, à l’heure actuelle, 40 p. 100 des programmes de Statistique Canada sont fondés en totalité ou en partie sur des données provenant de sources administratives.
En ce qui concerne les renseignements personnels des Canadiens qui sont sélectionnés, je crois comprendre que les employés qui prêtent un serment de discrétion sont les seuls qui peuvent avoir accès à ces renseignements personnels, et ce, seulement dans certaines circonstances. Quelles sont ces circonstances spéciales?
D’autres organisations qui en ont besoin peuvent avoir accès à ces données administratives, mais il faut obtenir le consentement des personnes pour avoir accès à leurs renseignements personnels. Comment communiquez-vous ces données? Comment vous assurez-vous que les autres organisations ont obtenu la permission des gens, étant donné que vous avez vous-même affirmé que c’est un peu nébuleux et difficilement traçable? Avez-vous communiqué ces données aux cabinets de ministres qui peuvent vous appeler? Lorsque ces données ont été communiquées, un ministre demande-t-il la permission pour avoir accès à ces données?
M. Arora : Je vous remercie énormément de vos questions, sénatrice.
Je tiens clairement à le répéter. Nous n’avons encore reçu aucune information des institutions financières, et nous demeurons en contact avec l’Association des banquiers canadiens et les diverses institutions pour comprendre leurs préoccupations et leur conception propre. Nous prévoyons de collaborer avec nos partenaires en ce qui concerne leurs besoins avant de recevoir des données.
Deuxièmement, comme je l’ai mentionné, il ne suffit pas de dire aux Canadiens de nous faire confiance. Nous avons gagné cette confiance, parce que nous avons de solide processus et systèmes en place. Lorsque nous recevons ces données, nous recevons en fait deux fichiers distincts. Nous rendons les données anonymes ou aléatoires pour nous assurer que les noms et les fichiers ne se rendent même pas à nous. Ensuite, nous avons en gros un site de stockage à Statistique Canada où les clés pour reconstituer ces deux fichiers sont vraiment hors de la portée des personnes qui traitent cette information.
Les transactions entre un particulier et un commerçant ou entre deux particuliers ne nous intéressent pas. Ce que nous essayons de faire, c’est d’en tirer des statistiques concernant les types de ménages et leurs tendances en matière de dépenses et d’achats. Nous pouvons ensuite utiliser ces statistiques dans des indicateurs comme l’Indice des prix à la consommation. Il est aussi possible d’avoir une vue d’ensemble des quartiers pour voir ce qui se passe avec les populations vulnérables, comme les personnes qui souhaitent acheter une propriété ou une entreprise qui cherche à prendre de l’expansion.
Le président : Vous répétez ce que vous avez dit dans votre exposé. Nous comprenons vos objectifs. Je vous prierais de bien vouloir répondre à la question.
M. Arora : Absolument. Sénatrice, le dernier élément a trait aux organismes auxquels nous communiquons cette information. Il n’y en a aucun. Le dossier d’un particulier n’est aucunement communiqué à un ministre, à un tribunal, aux forces de l’ordre, au SCRS, et cetera. Personne ne peut y avoir accès.
La sénatrice Stewart Olsen : Toutefois, votre propre lettre de mandat affirme que c’est possible.
M. Arora : Si une personne nous autorise à communiquer son dossier et que c’est clair, nous pouvons le faire. Toutefois, dans le cas en question, il n’existe aucune demande ou disposition en ce sens.
La sénatrice Stewart Olsen : Vous voulez dire que vous n’avez pas envisagé de demander aux gens leur permission pour donner accès à leurs données. Est-ce exact? Vous semblez quelque peu mettre la charrue devant les bœufs.
M. Arora : Comme vous n’êtes pas sans le savoir, il y a de nombreux cas. Nous avons 400 enquêtes. Bon nombre de ces enquêtes sont à participation obligatoire, et bon nombre sont à participation volontaire. Autrement dit, il arrive, dans bien des cas, que les gens choisissent de nous donner l’information. Dans d’autres circonstances, les gens doivent nous la donner.
Dans le cas qui nous concerne, compte tenu des renseignements détaillés que nous exigeons à l’échelle locale et des données démographiques, il faut que ces renseignements soient représentatifs et objectifs, dans un certain sens. Nous devons donc être en mesure d’obtenir ces renseignements des gens qui consentent à le faire et des gens qui n’y consentent pas.
La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends. Je crois que nous comprenons tous pourquoi, mais nous ne comprenons pas les circonstances où vous pourriez communiquer ces données, et c’est ce que je vous ai demandé. Par exemple, si vous communiquez ces données à un ministre ou au gouvernement, informez-vous le gouvernement qu’il doit obtenir la permission de la personne?
M. Arora : Tout d’abord, la divulgation n’est permise que dans des circonstances très spéciales et à des fins statistiques seulement. Nous ne donnons pas de dossiers individuels pour quelque raison que ce soit. Pour ce qui est de votre question de savoir si un ministre ou l’ARC peuvent demander le dossier d’un particulier, cela ne répondrait manifestement pas à un besoin à des fins statistiques et, par conséquent, la demande ne serait pas recevable.
Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Arora, de vos observations. Très brièvement, je me demande si vous pourriez transmettre une information au comité. Je lisais, sur Twitter, un message de Mme Jennifer Robson sur le processus que les chercheurs doivent suivre pour accéder aux ensembles de données agrégées de Statistique Canada; évidemment, à cette étape, les données sont regroupées et anonymes. J’étais très impressionné par ce processus, et vous pourriez peut-être fournir des détails à la greffière, au lieu d’y consacrer du temps ici.
M. Arora : Volontiers.
Le sénateur C. Deacon : Pour ma part, je regarde la situation du point de vue d’une personne qui vient du secteur des entreprises en démarrage et qui a créé des entreprises en s’appuyant uniquement sur des données probantes. L’existence de toute entreprise repose sur de bonnes données probantes. J’ai été frappé par les observations faites par le gouverneur Poloz il y a environ une semaine lorsqu’il a parlé des difficultés à mesurer l’économie numérique et les grands changements qui ont eu lieu. Il y a 10 ans, Blockbuster avait la cote. Des services comme Airbnb n’existaient pas, ni l’économie à la demande et ce qui en découle. Comme j’ai moi-même fait trois ou quatre achats au moyen de Square la fin de semaine dernière, j’en vois clairement la nécessité.
Je m’intéresse aux risques que pourrait entraîner le refus d’agir. Pourriez-vous nous en parler? Je crois vraiment que si les Canadiens comprennent combien il est important pour nous d’établir des politiques fondées sur des données probantes et comment leurs préoccupations en matière de protection de la vie privée sont prises en considération, tout en sachant que les données sont agrégées, alors ils seront très en faveur. Nous devons adopter des politiques fondées sur des données probantes au pays. J’aimerais donc que vous nous parliez plus précisément de l’urgence de cette nécessité et peut-être de certains comparateurs et risques à l’échelle mondiale.
M. Arora : Vous avez tout à fait raison. Le rythme auquel les choses évoluent, comme vous l’avez dit, est incroyablement rapide dans le monde numérique. Nous sommes aux prises avec d’énormes lacunes qui nous empêchent de déterminer dans quelle mesure les Canadiens utilisent des services numériques comme Netflix ou dans quelle mesure ils participent au secteur des ménages pour générer des revenus, par exemple, en louant leur maison au moyen d’Airbnb. Il nous manque beaucoup de données sur les services issus du secteur des ménages, et nous devons nous assurer d’en tenir compte.
Selon notre méthode traditionnelle pour dégager des tendances en matière de dépenses, il suffit d’avoir un journal et un crayon. Or, de nos jours, nous obtenons un taux de refus ou de non-participation de plus de 60 p. 100. Même ceux qui acceptent de consulter leurs relevés bancaires pour déterminer sur quoi ils dépensent leur argent se plaignent du fardeau que nous leur imposons parce qu’ils doivent tenir compte de leur revenu et examiner les reçus pour chaque transaction, puis calculer le tout pour qu’il y ait une petite marge de différence entre leur revenu et leurs dépenses.
Les méthodes traditionnelles ne fonctionnent pas en raison des distorsions qui s’immiscent dans les données; le caractère opportun en dit long sur le rythme auquel les choses évoluent. Nous fournissons des données qui datent de deux ou trois ans, et ce n’est pas suffisant lorsque nous essayons d’obtenir des données représentatives à des niveaux géographiques détaillés qui ont une incidence sur des groupes vulnérables ou particuliers.
Le sénateur Tannas : J’ai deux très courtes questions. Vous avez mené 175 consultations. Est-ce que cela comprenait le commissaire à la protection de la vie privée? J’aimerais savoir si vous pouvez le confirmer, et nous demanderons ensuite au commissaire à la protection de la vie privée si son équipe se souvient de la séance de consultation, le cas échéant. Deuxièmement, y a-t-il d’autres pays qui font ce que vous proposez de faire ici dans le cadre de ce projet pilote?
M. Arora : Merci beaucoup de cette observation. La réponse à votre question est oui. J’ai bel et bien rencontré M. Therrien à son bureau l’an dernier pour lui donner un aperçu global de nos efforts de modernisation et lui expliquer pourquoi nous procédons ainsi. Ce qui le préoccupait en particulier, c’était la façon dont nous entendons protéger les renseignements personnels. Nous avons comparé cela à un navire doté de plusieurs coques et barrières de protection; il s’agit donc d’une approche à plusieurs niveaux. Nous tenons régulièrement des réunions avec le commissaire à la protection de la vie privée pour parler, en général, de la façon dont nous utilisons les données administratives; relativement à ce projet précis, nous lui avons présenté les éléments de la conception, et ce, à quelques reprises. Nous avons une très bonne et très solide relation de collaboration. Nous nous réunissons officiellement avec les représentants du commissariat une fois par trimestre et, ensuite, nous nous communiquons par téléphone, tout en travaillant en étroite collaboration avec l’équipe de Linda et ses homologues au Commissariat à la protection de la vie privée. Comme je l’ai dit, nous devons bon nombre de nos systèmes à leur expertise.
Le sénateur Tannas : Et qu’en est-il des autres pays?
M. Arora : J’ai présidé un groupe de haut niveau sur la modernisation des statistiques officielles, groupe dans le cadre duquel les principaux organismes de statistique au monde se penchent sur ce genre de questions. L’utilisation de données administratives n’a rien de nouveau pour les organismes de statistique ni d’ailleurs pour Statistique Canada. Nous utilisons des données administratives depuis 1921 pour les statistiques sur l’état civil et depuis 1938 pour les dossiers d’importation et d’exportation, sans compter tout le reste. La capacité de traiter les renseignements de nature privée et délicate des Canadiens n’est pas quelque chose de nouveau pour nous, et il en est de même dans d’autres pays, qu’il s’agisse des Pays-Bas, de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande, qui cherchent tous des moyens de répondre aux besoins d’une société qui exige aujourd’hui ce genre de données détaillées grâce à des méthodes nouvelles et innovatrices. Nous examinons tous des solutions comme l’externalisation ouverte. Nous cherchons tous à savoir comment mettre en pratique le moissonnage du Web, comment utiliser des données recueillies par balayage et comment faire des démarches auprès d’entreprises privées comme les banques et d’autres institutions. La protection des renseignements personnels et de la confidentialité est le fondement même de ces activités, car elle constitue notre monnaie d’échange.
Le sénateur Tannas : Les données que vous proposez de recueillir dans le cadre de ce projet pilote sont-elles déjà compilées dans n’importe quel autre pays?
M. Arora : Pas nécessairement en ce qui concerne strictement les données bancaires, mais je sais que de nombreux autres pays sont en train de concevoir un tel projet. Dans notre cas, nous n’avons rien fait de concret, nous non plus. Soyons clairs. Nous en sommes toujours à l’étape de la conception du projet.
Le sénateur Wetston : Merci d’être là aujourd’hui. Je crois que nous comprenons tous l’importance du travail de Statistique Canada; pour ma part, j’en suis bien conscient. Je pense que nous le reconnaissons tous.
En guise de préambule à ma question, j’aimerais revenir à ce que le sénateur Deacon a évoqué, c’est-à-dire l’économie à la demande ou peu importe comment on veut l’appeler. Nous comprenons tous que les données constituent aujourd’hui une marchandise. Nous savons tous que de puissantes sociétés ont en leur possession une quantité incroyable de données et qu’il est possible de puiser de l’information auprès de nombreuses sources, qu’il s’agisse de banques, d’entreprises, de Statistique Canada ou de gouvernements, qui possèdent beaucoup de données sur les particuliers canadiens.
La question que j’ai à vous poser concerne, je suppose, le domaine de la cybersécurité, et je sais que vous y avez beaucoup réfléchi. Avez-vous eu à régler des problèmes de cybersécurité à Statistique Canada? Voilà ma première question.
Ma deuxième question est la suivante : de quel genre d’information ou d’assurance aurez-vous besoin dans le cadre de vos discussions avec les banques et le commissaire à la protection de la vie privée pour passer de la phase pilote à la mise en œuvre du projet et, par ailleurs, quel genre de préavis donnerez-vous aux Canadiens si vous décidez d’aller de l’avant avec ce projet?
M. Arora : Merci beaucoup, sénateur, de vos questions judicieuses.
Personne n’est à l’abri des cyberattaques. C’est la réalité d’aujourd’hui, et nous devons tous y faire face. Tant et aussi longtemps que nous vivrons dans un monde numérique, nous aurons à nous en inquiéter tous les jours. Bien entendu, nous ne faisons pas ce travail tout seuls. Nous avons recours à des experts qualifiés à l’échelle du gouvernement du Canada, que ce soit au sein de Services partagés ou du CCS. Il y a des mécanismes et des procédures en place.
À Statistique Canada, nous allons encore plus loin. Nous utilisons de multiples couches de sécurité; ainsi, même s’il y a une infiltration à un certain niveau et qu’elle se propage plus en profondeur, notre système est conçu de manière à faire une distinction entre les renseignements qui appartiennent à des individus et les dossiers anonymisés, et nous plaçons ces renseignements dans des répertoires qui ne sont pas accessibles ni connectés au réseau. La conception qui est en place fonctionne toujours selon l’anonymisation des données internes et la substitution des indicateurs ou des identificateurs qui nous intéressent et qui serviront ensuite de flux d’information afin de produire des statistiques qui revêtent une importance pour nous. Ce sera toujours une source de préoccupation. Tant que nous voudrons travailler dans l’économie numérique et la société d’aujourd’hui, nous devrons composer avec cette réalité et poursuivre nos efforts en ce sens. Nous allons toujours miser sur les pratiques exemplaires et travailler avec acharnement pour nous assurer de protéger ces renseignements contre les menaces qui font maintenant partie de la réalité.
Quant à la deuxième question, c’est-à-dire le degré d’assurance dont nous aurions besoin pour passer de la phase pilote à la mise en œuvre du projet, évidemment, nous voulons d’abord nous assurer que les banques informent leurs clients. Nous savons que la relation entre une banque et ses clients est très importante, tout comme notre relation avec les répondants. Nous voulons être certains que les banques informent les clients que ce projet est mené à des fins statistiques seulement. Nous n’avons pas encore diffusé de l’information ni fait des annonces publiques à ce sujet. Nous nous apprêtions, au terme de nos discussions avec l’Association des banquiers canadiens, à nous entretenir avec chacune des institutions, car cet échange d’information doit se faire entre l’institution et ses clients. C’est la prochaine étape de ce volet, et nous voulons être transparents. Nous avons expliqué à quoi cela pourrait ressembler, et c’est le genre de travail que nous devons faire.
Bien entendu, le commissaire à la protection à la vie privée est un partenaire important dans le cadre de ces efforts. Nous ne faisons pas cela parce que nous sommes dans deux camps différents. Nous travaillons en collaboration. Nous connaissons leurs besoins et nous savons ce que nous devons faire à titre d’organisme de statistique. Au bout du compte, nous sommes chargés de fournir des données représentatives, et les gens prendront des décisions qui ont des répercussions sur chacun d’entre nous en fonction de cela. Je dois assurer la représentativité et la qualité de cette information. Nous veillons à ce que l’expertise du commissaire à la protection de la vie privée fasse partie intégrante de la conception de ce projet pilote.
Le sénateur Tkachuk : À titre de précision, est-ce que la banque informerait son client, ou est-ce qu’elle lui demanderait sa permission?
M. Arora : Elle informerait le client, monsieur.
Le sénateur Tkachuk : Donc, en gros, elle lui dirait : « Voilà, c’est fait, merci bien. » Est-ce exact? Il y a une grande différence entre « informer » et « demander la permission ».
Le président : Je crois que nous avons eu la réponse.
Le sénateur Tkachuk : J’en conviens.
La sénatrice Wallin : Lorsque le premier ministre s’est fait interroger à ce sujet à la Chambre des communes, il a dit :
Des données récentes de qualité sont essentielles pour que les programmes gouvernementaux restent pertinents et efficaces pour les Canadiens.
Avez-vous interprété cette déclaration comme une approbation politique de votre projet ou comme une directive?
M. Arora : La notion de données récentes de qualité pour la prise de décisions? Je ne vois pas comment on pourrait s’y opposer.
La sénatrice Wallin : C’est ce qui a été déclaré. Je me demande comment vous interprétez cela.
M. Arora : Par ailleurs, le gouvernement est résolu. Dans une déclaration publique faite en juin dernier, le ministre a affirmé que Statistique Canada modernisera ses activités et envisagera des moyens novateurs pour accroître la qualité des données. Dans le budget de 2018, une section entière est consacrée au financement prévu de 51,3 millions de dollars pour un certain nombre d’initiatives que nous entreprenons, y compris la modernisation de l’organisme.
La sénatrice Wallin : D’accord. Dans ce cas, je vais reformuler ma question : lorsque le gouvernement a prévu des fonds à cet égard dans le budget, savait-on clairement en quoi consistait le projet?
M. Arora : Nous avons commencé à travailler à notre programme de modernisation avant même que je devienne statisticien en chef. Nous avons effectué des essais et des travaux préliminaires, comme je l’ai dit. C’est ce que nous avons fait au cours de la dernière année, et nous nous sommes penchés sur un grand nombre de domaines : logement, cannabis, et j’en passe.
La sénatrice Wallin : Diriez-vous aujourd’hui que vous en êtes toujours à l’étape du projet pilote, à l’étape de la conception ou au stade exploratoire?
M. Arora : Selon moi, nous sommes bien avancés sur le plan de la conception réalisée en collaboration avec l’Association des banquiers canadiens, et c’est maintenant que commence la tâche difficile de travailler avec les diverses institutions. Nous voulons nous assurer que cela se concrétisera. Encore une fois, ce travail doit se faire de manière ouverte et transparente, et il faut respecter les exigences de confidentialité de toutes les institutions et l’engagement de Statistique Canada en matière de protection des renseignements personnels.
La sénatrice Wallin : Compte tenu des propos du premier ministre, que je viens de vous citer — des propos de nature générale, puisque les détails seront rendus publics —, considérez-vous avoir reçu ainsi le mandat de continuer?
M. Arora : Eh bien, tel est notre mandat. Nous essayons toujours de fournir des données récentes de bonne qualité; c’est exact.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez dit à Bill Curry, du Globe and Mail, que la raison pour laquelle la collecte de ces données s’impose, c’est pour que le Canada soit régi par des faits plutôt que par des anecdotes et des fausses nouvelles. Quelle est, au juste, l’ampleur du problème auquel vous faites allusion? Quelles preuves avez-vous pour justifier la collecte de renseignements bancaires personnels de 500 000 — je crois qu’il s’agit de ménages, et non de particuliers, n’est-ce pas?
M. Arora : Il s’agit de logements.
Le sénateur Tkachuk : Quelles preuves avez-vous pour dire que cela fera en sorte que le Canada soit régi par des faits plutôt que par des anecdotes et des fausses nouvelles?
M. Arora : Je vais commencer par la deuxième question. Il s’agit de 500 000 logements. Comme je l’ai dit, la probabilité qu’un logement soit utilisé dans l’échantillon réel est de 1 sur 40. C’est une sous-catégorie parmi ces 500 000. La raison pour laquelle nous avons besoin d’un tel chiffre, c’est parce que les données sont exigées à l’échelle des quartiers; on a donc un quartier qui compte environ 500 000 logements. Il faut se constituer un échantillon représentatif. C’est le cas surtout lorsque j’essaie d’examiner la situation des parents seuls, des jeunes, de certains groupes vulnérables — comme les immigrants, notamment —, d’où la nécessité d’avoir un échantillon représentatif qui tient compte de ce qui se passe dans une zone particulière. Nous avons essayé, bien entendu, d’alléger le fardeau au strict minimum pour nous assurer d’obtenir la qualité de données que nous pouvons appuyer.
Quant à la première question, lorsqu’il y a des lacunes, plus l’organisme de statistique s’éloigne de...
Le sénateur Tkachuk : Je veux que vous vous concentriez sur les renseignements bancaires; c’est ce qui nous intéresse ici. Je comprends toutes les autres données que vous pouvez obtenir de toutes sortes de personnes, mais vous témoignez parce que vous voulez recueillir les renseignements bancaires de citoyens canadiens, et c’est ce dont je veux que vous traitiez. Pour ce qui est de la question que je vous ai posée, je veux savoir pourquoi vous avez besoin de ces renseignements.
M. Arora : Monsieur, nous souhaitons recueillir des données de haute qualité sur les dépenses des ménages, afin de savoir à quelles fins le ménage typique dépense son argent, si les structures de dépense des gens évoluent, dans quelle mesure ils utilisent les services numériques aujourd’hui, en quoi consistent les transactions qu’ils effectuent avec leur téléphone cellulaire ou en ligne, et combien génèrent des revenus à partir de leur domicile. Nous tentons de déterminer la teneur du panier d’achats, si l’on peut dire, entre Whitehorse et le centre-ville de Toronto ou de Vancouver pour voir ce qui les différencie.
Ces structures de dépense servent à établir l’indice des prix à la consommation, lequel est utilisé pour calculer les pensions et déterminer le seuil de pauvreté du pays, comme le gouvernement vient de l’annoncer au chapitre des mesures officielles. Voilà comment nous déterminons qui appartient aux 50 p. 100 au-dessus ou en dessous du seuil médian. C’est à partir de ce seuil que de nombreux programmes commencent à s’appliquer pour aider les populations visées.
Il ne s’agit pas que des programmes sociaux. Les entreprises elles-mêmes utilisent également ces données, tout comme le font les banques pour déterminer, par exemple, quels éléments de l’inflation elles doivent prendre en compte; elles le font même pour établir leurs politiques servant à déterminer si quelqu’un devrait obtenir une hypothèque ou non. Le demandeur est-il trop endetté? En quoi tient sa structure de dépense par rapport à ses revenus?
Pour obtenir ce genre de données sur les dépenses, au lieu de demander à des Canadiens de tenir un journal à cette fin — des gens qui, comme je l’ai expliqué, ne constituent plus maintenant que 40 p. 100 environ de l’échantillon —, nous pouvons glaner des données de meilleure qualité à partir des transactions qu’ils effectuent dans le monde, des transactions que les banques ont en leur possession. Nous ne voulons pas connaître la teneur exacte de ces transactions, mais obtenir des renseignements à leur sujet pour établir des indicateurs afin d’en faire profiter les secteurs public et privé et la société. Si nous n’avons pas ces renseignements, que pouvons-nous utiliser d’autre?
Le sénateur Tkachuk : Pourriez-vous me donner une définition de « fausse nouvelle », en me donnant des exemples d’occasions où elles sont devenues un problème qui menace la gouvernance du Canada? Pourquoi avez-vous besoin de noms dans les statistiques?
M. Arora : Je possède plusieurs comptes, dont un compte épargne et un compte chèque. Une famille aura un certain nombre de comptes, une ligne de crédit, et cetera. Je ne pense pas vous dévoiler là un secret. C’est le cas de nombreux Canadiens, et je sers moi-même d’exemple.
C’est un fait que nous devons pouvoir prendre en compte ces diverses combinaisons, si l’on peut dire, de gens qui ont un certain nombre de comptes pour être en mesure de déterminer la structure de revenu et de dépense d’un ménage. Ce qui nous intéresse, ce sont nos familles économiques.
Le sénateur Tkachuk : Je comprends tout cela, mais pourquoi avez-vous besoin des noms?
M. Arora : Parce que ce n’est qu’avec un nom que nous pouvons dupliquer et dédupliquer les dossiers.
Le président : Je pense que cela répond...
Le sénateur Tkachuk : Ce n’est pas une très bonne réponse, mais c’est la seule qu’il a.
Le sénateur Wells : Il y a bien des points que je veux aborder, mais j’ai une question supplémentaire qui fait suite à une question posée précédemment. Vous avez affirmé ne pas avoir reçu de renseignements des banques. Leur en avez-vous demandé, mais n’en avez pas reçu?
M. Arora : Nous collaborons avec l’Association des banquiers canadiens, et lors de la dernière réunion que nous avons eue avec elle, nous avons cherché à trouver des personnes-ressources au sein des diverses institutions financières, car nous n’en avons pas, et on nous a demandé d’informer les institutions des impératifs juridiques auxquels nous sommes assujettis. C’est exactement ce que nous avons fait. Nous avons communiqué avec les personnes-ressources et nous commençons maintenant à déterminer quels sont les besoins individuels, quels sont les besoins du système, comment les institutions travaillent avec les données et comment elles informeront leurs clients. Ce sont là les prochaines étapes.
Le sénateur Wells : Qu’en est-il des déclarations de David Akin et d’Andrew Russell, qui ont affirmé sur Global News que StatCan avait obtenu jusqu’à 15 ans de renseignements financiers personnels du bureau de crédit canadien? Cela s’est manifestement fait sans le consentement de quiconque et uniquement en vertu de votre loi habilitante. Cela a-t-il un lien avec votre réponse relative aux fausses nouvelles ou à d’autres renseignements distincts de ceux que vous demandez ou espérez recevoir d’autres institutions financières du Canada?
M. Arora : Le projet auquel vous faites référence concerne TransUnion, que nous avons joint non pas à cette fin, mais pour déterminer le degré d’endettement des ménages canadiens. Cette initiative s’inscrit dans notre cadre statistique sur les ménages. Nous cherchons à savoir comment les prix du logement augmentent et dans quelle mesure les gens accordent trop d’argent au logement ou ne peuvent se permettre d’en payer le prix?
Pour obtenir des renseignements sur le crédit, nous avons collaboré, ici encore pendant plus d’un an, avec TransUnion. Nous avons reçu non pas 15 ans d’information, mais 2 ou 3. Le projet est d’une durée totale de 15 ans. Nous appliquerons encore les mêmes processus d’anonymisation et utiliserons les dossiers personnels à des fins statistiques.
Le sénateur Wells : Je vous remercie de m’avoir permis de poser cette question complémentaire. Passons maintenant à ma question.
Le président : Voilà le numéro principal.
Le sénateur Wells : Il est question de 500 000 logements. Nous avons entendu parler de 500 000 Canadiens, mais, de toute évidence, un logement comprendra plus d’un habitant en moyenne. Quel nombre assurera l’intégrité statistique de votreprojet pilote? Est-ce 500 000 logements? En voudriez-vous plus? Faudrait-il que ce soit moins? Qu’est-ce qui assure l’intégrité statistique? Pourriez-vous me donner le nombre?
M. Arora : Merci beaucoup de me poser cette question. Nous partons avec la présomption selon laquelle des besoins se font sentir dans un grand nombre de communautés, de villes et de régions, puis nous nous demandons quel est le plus petit échantillon dont nous avons besoin. Nous estimons à cette étape-ci que cet échantillon est de 350 000 logements, en divisant ce nombre entre l’ensemble des communautés du pays; voilà qui devrait nous fournir un bon échantillon à propos des traits dont j’ai parlé plus tôt.
En fait, l’échantillon est conçu de telle manière que nous demanderons aux banques un suréchantillonnage — autrement dit, des dossiers administratifs supplémentaires — pour que les banques ignorent lesquels sont réellement utilisés pour établir notre cadre statistique. C’est donc un projet pilote qui...
Le sénateur Wells : La réponse est donc 350 000 logements, et je le comprends. Vous demandez plus de dossiers que vous en avez besoin. Vous recevez tous les renseignements que vous demandez dans le cadre du projet pilote. En vertu de la loi habilitante dont StatsCan dispose évidemment, demanderez-vous 500 000 dossiers l’an prochain? Cela s’inscrit-il dans le projet pilote? Quand ce dernier prendra-t-il fin? Quand décidera-t-on que ce projet est une réussite ou un échec? Je ne puis imaginer qu’il s’avère un échec quand vous demandez toutes les données dans un suréchantillonnage de 500 000 dossiers au lieu d’un échantillon de 350 000 dossiers qui assure l’intégrité statistique. Le projet ne peut qu’être une réussite quand les banques sont obligées de vous fournir toute l’information. Le projet pilote se termine-t-il après un an ou se poursuit-il? Quand prend-il fin?
M. Arora : Merci de cette question. Sachez d’abord que nous n’avons pas encore reçu la moindre donnée. Nous n’en sommes pas à l’étape de la réception, mais à celle de la conception.
Le projet pilote soulève, bien entendu, des questions d’ordre opérationnel, car nous devons déterminer si nous recevrons les renseignements de manière anonymisée ou sous la forme de dossiers individuels, et comment ils seront analysés. C’est la facette opérationnelle du projet, à laquelle s’ajoutent celles des communications et de la transparence. Il faut également tenir compte de la protection de la vie privée. Il y a tout un côté statistique auquel nous travaillerons au cours de la prochaine année. Si l’échantillon est trop important, nous le réduirons. Si nous n’avons pas assez de données, nous verrons comment nous pouvons obtenir les renseignements de haute qualité dont nous avons besoin.
Ce n’est pas parce que nous disposons d’un volume élevé de données que cela signifie qu’elles sont de haute qualité. Nous pouvons encore découvrir, au bout du compte, des erreurs d’échantillonnage ou de justesse dans les dossiers administratifs. Nous sommes prêts à faire tout ce travail. Tout cela se fera au cours de la prochaine année, et nous voulons travailler avec les gens qui utilisent les données pour déterminer si l’objectif est atteint, car ce n’est manifestement pas le cas aujourd’hui.
Ces démarches permettent de combler les manques et les besoins actuels des décideurs et des Canadiens avec, évidemment, le plus petit échantillon nécessaire. Comme je l’ai fait remarquer, cet échantillon représente 2 p. 100 des 21 milliards de dossiers enregistrés annuellement. C’est 1 logement sur 40 qui participera au projet pilote.
Le sénateur Wells : Bien entendu, on présume que les décideurs travaillent pour le gouvernement. Ce dernier peut-il utiliser ces microrenseignements ou ces informations détaillées pour faire du microciblage ou à des fins fiscales?
M. Arora : Non.
Le sénateur Wells : Un décideur ne pourrait donc pas analyser les mégadonnées ou les données anonymisées pour formuler des recommandations stratégiques dans le domaine fiscal alors qu’il a à sa disposition chaque transaction que j’ai effectuée avec ma carte de crédit?
M. Arora : Nous ne communiquerons que des données globales indiquant que dans un quartier géographique donné se trouve tel type de ménages ayant telle structure de dépenses. Les décideurs peuvent utiliser ces renseignements de toutes sortes de manières, mais ils n’utiliseront jamais votre dossier ou le mien pour prendre une décision précise sur une entreprise ou un citoyen canadien.
Le sénateur Wells : Je comprends qu’ils n’ont pas mon dossier, car les données sont anonymisées, mais ils pourraient utiliser les données globales à des fins fiscales.
M. Arora : Nous devrons déterminer quelles utilisations stratégiques il convient de faire avec ces données.
Le président : La réponse est donc « c’est possible ».
M. Arora : Eh bien, ici encore, c’est possible, mais ce n’est pas là l’utilisation prévue.
Le président : Nous voulons seulement les réponses.
M. Arora : Les décideurs n’obtiendront jamais de dossier individuel pour savoir que quelqu’un ne paie pas sa juste part d’impôt.
Le président : Nous ne disons pas le contraire; nous voulons simplement faire avancer le processus.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai écouté ce que vous avez dit concernant les objectifs que vous vous êtes fixés. À mon avis, la collecte d’informations bancaires équivaut à emprunter un raccourci économique. Il y a d’autres moyens d’obtenir ces statistiques.
Postes Canada a admis qu’elle s’était fait voler des données confidentielles concernant la vente de cannabis.
Les systèmes informatiques du gouvernement, comme le système de paie Phénix, démontrent l’incompétence du gouvernement à cet égard. Ce que vous proposez — et j’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet — serait une intrusion inutile et très dangereuse dans la vie privée des Canadiens. Les renseignements bancaires, quant à moi, sont aussi confidentiels que les renseignements médicaux personnels. Je ne comprends pas que vous n’envisagiez pas d’autres moyens.
Vous avez parlé de l’achat de maisons, de statistiques et de l’importance de bien informer les Canadiens. Les citoyens canadiens peuvent aller chercher toutes les informations dont ils ont besoin via les médias sociaux et électroniques. On n’a pas besoin de ces statistiques.
À mon avis, vous prenez un raccourci économique en utilisant les données bancaires.
M. Arora : Aviez-vous une question?
Le sénateur Dagenais : J’aimerais avoir votre opinion à propos de ce que je viens de dire. Ne trouvez-vous pas que c’est une intrusion inutile dans la vie des Canadiens? Je compare cela à aller chercher des données dans les dossiers médicaux des patients. Je considère que c’est la même chose que ce que vous proposez et que ce n’est pas nécessaire.
M. Arora : Merci de votre question. Tout d’abord, on gère des renseignements très sensibles tous les jours. On a des dossiers sur la santé des Canadiens et sur les aspects judiciaires, par exemple, l’éducation. C’est le travail qu’on fait tous les jours depuis 100 ans.
Ce n’est pas nouveau qu’on doit protéger la vie privée ou la confidentialité des données des Canadiens. Cela fait partie de notre travail. Quand on compile des statistiques, on commence toujours par des renseignements personnels. C’est le début du processus.
Aucun dossier n’a été volé dans nos systèmes, ce qui est tout à fait exceptionnel. On n’est pas comme un autre ministère du gouvernement. On ne partage pas les microdonnées avec d’autres. Cela n’est pas possible dans notre contexte.
Le sénateur Dagenais : Dans les cas où il y a de jeunes adultes à la maison ou des enfants qui s’occupent de leurs parents à la maison, comment allez-vous procéder?
M. Arora : Pour ce qui est du recensement, on déterminera le revenu familial. Ce n’est pas seulement les informations d’une seule personne qui nous intéressent, mais celles de toute une collectivité. Notre travail n’est pas axé sur les transactions entre des personnes ou une personne et une entreprise, mais plutôt sur les statistiques. Notre processus est conçu pour faciliter cet aspect.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Je remercie nos témoins de comparaître. Quand j’examine l’ensemble du projet, je constate qu’il y a deux objectifs. L’un, de nature économique, vise à prendre des mesures à propos de certaines questions pour que les utilisateurs finaux les utilisent. Il s’agit de macrodonnées qui peuvent toutefois être réduites à l’état de microdonnées, car c’est à partir de microdonnées que les données globales ont été constituées. Je le comprends.
En ce qui concerne les programmes gouvernementaux, ils peuvent sonder leurs propres clients et vous fournir ces données. Leurs utilisateurs, leurs clients. Ils peuvent donc réaliser leurs propos sondages.
Vous semblez toutefois également vous intéresser aux changements sociétaux d’une manière qui va au-delà des questions démographiques pour entrer dans le domaine de la psychographie. Qu’est-ce que les gens aiment ou détestent et quels sont les comportements des ménages dans les diverses régions ou régions de tri d’acheminement?
Je trouve ce volet très redondant, puisque les banques ou les institutions financières effectuent une analyse très solide et fort rigoureuse des données de leurs ménages clients. Je ne saurais trop insister sur la grande solidité et l’immense rigueur de ces analyses.
Je ne comprends pas que vous ayez besoin des dossiers individuels alors que vous pourriez demander que ces renseignements vous soient transmis de manière globale, présentés comme vous les voudriez par région de tri d’acheminement ou ménage. Les institutions financières disposent de données incroyables qu’elles recueillent, synthétisent et analysent pour obtenir des réponses sur leurs clients, les tendances et les structures de dépenses. Pourquoi ne pouviez-vous pas simplement leur demander des données globales dans les diverses catégories dont vous aviez besoin? Je vous pose cette question en raison de la protection de la vie privée, qui est d’une importance primordiale.
M. Arora : Merci beaucoup de me poser ces deux questions.
Le Canada dispose d’un système statistique centralisé, contrairement aux États-Unis, où 14 organismes recueillent des statistiques sur divers sujets, comme la main-d’œuvre et le commerce. Au Canada, Statistique Canada est l’organisme national responsable des statistiques. Fondé à cette fin, il est doté de tous les mandats figurant dans la Loi sur la statistique. À titre d’organisme national en matière de statistiques, nous coordonnons même les activités avec les provinces et les territoires. Bien que certains ministères puissent effectivement réaliser leurs propres enquêtes, nous sommes l’autorité responsable du système statistique national.
Pour ce qui est de votre deuxième question, monsieur, je n’irai pas par quatre chemins : les banques ne sont pas plus un organisme de statistiques que nous ne sommes une banque. Nous nous occupons des statistiques et elles, des opérations bancaires. Nos visées s’entrecroisent, en un certain sens, au chapitre de la protection de la vie privée de leurs clients, et nous tentons d’harmoniser nos activités en matière de statistiques avec la manière dont elles colligent des renseignements sur leurs clients. C’est ce que nous faisons depuis un an et que nous continuerons de faire, en assurant le respect absolu de la vie privée tout en me permettant de fournir aux Canadiens et aux décideurs les meilleurs renseignements qu’ils attendent et méritent de nous. C’est le travail que nous faisons actuellement.
Le sénateur Klyne : Je pense que vous sous-estimez les institutions financières et les données qu’elles recueillent sur les ménages clients. Elles peuvent gérer ces renseignements comme personne. En fait, elles sont expertes en la matière. Elles savent comment étudier les données démographiques et psychographiques de leurs clients, ménage par ménage. Elles vous diront le nombre de ménages. Vous savez qu’elles peuvent vous fournir des données sur l’éducation et d’autres données démographiques par région de tri d’acheminement, le tout en les présentant de manière globale, sans noms, et répondre aux questions que vous pouvez avoir à ce sujet.
Le président : C’est donc une suggestion.
M. Arora : C’est exactement le travail qui est en cours.
Le sénateur Klyne : Voilà qui règle le problème de la protection de la vie privée.
M. Arora : Je dois dire qu’elles ne connaissent pas le revenu. Il leur manque bien des données démographiques.
Le sénateur Klyne : Elles recueillent de nombreux renseignements quand elles reçoivent une demande d’hypothèque, de ligne de crédit personnelle ou de carte de crédit. Les compagnies de carte de crédit peuvent ventiler toutes ces données. Si vous voulez vous renseigner sur des personnes aux États-Unis ou en Europe, elles peuvent ventiler tous ces renseignements.
Le président : Nous nous en tiendrons là, sénateur Klyne. C’est un point que nous vous proposons d’examiner à mesure que vous progressez dans vos travaux.
Avant de recevoir notre prochain groupe de témoins — et les sénateurs ne pourront malheureusement pas effectuer de second tour de questions, car nous devons maintenant entendre les témoins du Commissariat à la protection de la vie privée —, je voulais simplement formuler quelques observations auxquelles je vous encourage à réagir.
Sachez que personne ici n’a le moindre doute à propos de l’intégrité de votre organisation, comme vous l’avez constaté lors des tours de questions. Nous admettons les bienfaits que vous apportez aux citoyens, aux organismes et aux entreprises du Canada et nous vous en sommes reconnaissants.
Nous sommes très conscients, peut-être parce que nous venons à peine de terminer une étude fort exhaustive sur la cybersécurité, que des choses se passent en dépit des meilleures intentions du monde. Nous avons tous appris des choses que vous devriez prendre en compte, notamment le fait que, en 2017, 10 millions de Canadiens ont été victimes de piratage; c’est essentiellement le tiers de la population. À la mi-octobre, des journalistes, après avoir obtenu des documents, ont fait paraître dans le Toronto Star un article indiquant que les réseaux du gouvernement bloquent en moyenne 474 millions de tentatives de piratage par jour, ce qui est ahurissant. Nous trouvons ces chiffres stupéfiants. Il n’y a aucune raison de croire que votre organisme, un coffre au trésor de renseignements, n’est pas attaqué, puisqu’il se produit quotidiennement des millions, voire des dizaines de millions d’attaques. Voilà ce qui nous préoccupe. Comment pouvez-vous garantir aux Canadiens que les données que vous recueillez, si vous décidez d’aller de l’avant, sont en sécurité? C’est ce que nous voulons que vous nous disiez.
M. Arora : Merci beaucoup. Je vais utiliser toutes vos observations pour orienter notre travail à l’avenir. Ce sont des observations très utiles, et je vous sais gré du temps que vous avez consacré à préparer vos conseils et à nous les transmettre.
Tout ce que je dirai en réponse à cela, c’est que, premièrement, ce qui occupe l’esprit de chacun des employés de Statistique Canada qui franchit le seuil du bureau, matin et soir, c’est la protection de la vie privée et la confidentialité. Nous savons que la confiance des Canadiens se fonde sur la capacité de protéger les renseignements personnels et de garantir la confidentialité.
Deuxièmement, oui, c’est la réalité de notre univers numérique actuel. La réponse à cela n’est pas de recourir au papier, au crayon, aux livres et ainsi de suite. En fait, nous avons constaté que ce n’est pas mieux quand des documents comportant de l’information confidentielle circulent d’un point à l’autre, passant entre les mains de dizaines de milliers d’employés. Les risques sont les mêmes. En réalité, dans bien des cas, les risques se multiplient.
C’est notre univers en ce moment. Nous devons nous améliorer. Nous devons continuer de travailler fort. Nous devons établir des processus encore plus solides pour pouvoir garantir aux Canadiens qu’ils peuvent se fier à nous, non pas parce que nous leur disons de nous faire confiance, mais parce que nous avons des processus et des systèmes robustes. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de l’expertise de gens comme Daniel Therrien et son personnel expert : pour veiller à ce que nous travaillions ensemble dans la réalité actuelle. Jamais un point de données n’a été compromis, sur aucun de nos serveurs, et nous ne voulons pas que cela change.
Le président : Merci beaucoup à nos témoins. Nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré aujourd’hui.
Sénateurs, merci de vos formidables questions.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous poursuivons notre étude sur la collecte des informations financières par Statistique Canada avec notre deuxième groupe de témoins. Je suis ravi d’accueillir les représentants du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Daniel Therrien, commissaire, Lara Ives, directrice, Direction des services conseils au gouvernement, et Sue Lajoie, directrice exécutive, Direction de la conformité à la Loi sur la protection des renseignements personnels. À titre personnel, nous entendrons également, par vidéoconférence de Toronto, Ann Cavoukian, experte en résidence distinguée, Centre d’excellence Privacy by Design, Université Ryerson, et ancienne commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario.
Merci à vous tous. Monsieur Therrien, pourriez-vous prononcer votre déclaration liminaire, je vous prie?
[Français]
Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invité à parler de la collecte de données administratives financières par Statistique Canada. Il est évident que cette situation préoccupe de nombreux Canadiens.
Après avoir reçu des plaintes liées à Statistique Canada et à sa collecte de renseignements personnels auprès d’organisations du secteur privé, j’ai ouvert une enquête. Je tiens à préciser que cette enquête découle des plaintes reçues et non d’une invitation de Statistique Canada. Cela dit, nous sommes heureux de constater que le statisticien en chef, M. Arora, accueille favorablement cette enquête.
À partir de maintenant, j’ai l’obligation juridique de faire enquête sur ces plaintes de manière équitable et impartiale, en conformité avec la loi. Je ne pourrai donc pas me prononcer sur les résultats qui découleront de cette enquête.
J’aimerais également vous rappeler que la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que les enquêtes sont secrètes, ce qui m’empêche de divulguer des détails sur les enquêtes en cours. Cependant, je peux vous dire que j’ai reçu 52 plaintes sur cette question en date de ce jour. À la fin de mon enquête, si vous le désirez, je serai heureux de vous présenter mes constatations.
[Traduction]
Statistique Canada nous consulte depuis un certain temps concernant son programme de collecte de données administratives. Effectivement, Statistique Canada nous consulte régulièrement sur les répercussions que bon nombre de ses initiatives pourraient avoir sur la vie privée des Canadiens. Ils sont toujours prêts à dialoguer et acceptent souvent nos recommandations. Toutefois, le but de ces consultations n’était pas de nous prononcer sur la conformité du programme à la loi, mais plutôt de faire des suggestions que Statistique Canada pourrait prendre en compte dans l’élaboration de son programme.
Le Commissariat n’a pas le pouvoir de préautoriser les programmes en voie d’élaboration par les organismes fédéraux. Nous ne préautorisons rien. Nous ne rendons pas de décision voulant qu’un projet pilote soit conforme à la loi ou pas. Nous donnons des conseils généraux sur les meilleures pratiques et formulons des recommandations que les ministères vont accepter ou pas. Nous formulons des conclusions sur les questions de conformité au sens strict de la loi à la suite du processus formel d’enquête, processus que nous venons de lancer.
Au-delà de la loi dans sa version actuelle, sur laquelle nous formulerons des constatations à la conclusion de notre enquête, je dirai ceci : bien que StatistiqueCanada recueille des données administratives depuis des décennies, peut-être même depuis aussi loin que 1921, il est clair que de nombreux Canadiens sont préoccupés par l’ampleur des données personnelles de nature financière que cet organisme veut recueillir.
J’ai souvent parlé publiquement de la nécessité de moderniser nos lois sur la protection de la vie privée, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. L’une de mes recommandations, formulée pour la première fois en mars 2016, est particulièrement pertinente dans le cas présent. En effet, nous recommandons que la Loi sur la protection des renseignements personnels soit modifiée de manière à exiger que la collecte de données par des organisations du secteur public, comme Statistique Canada, soit autorisée non pas parce qu’elles sont utiles et pertinentes pour l’administration de programmes gouvernementaux, mais seulement lorsque cette collecte est nécessaire et que la portée et l’ampleur des données recueillies sont proportionnelles aux objectifs de politique publique que les données servent à atteindre. Il s’agirait d’un simple amendement non controversé qui améliorerait nettement la protection de la vie privée des Canadiens tout en rehaussant cette protection au niveau garanti par les normes internationales.
Cela dit, je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Therrien.
Ann Cavoukian, experte en résidence distinguée, Centre d’excellence Privacy by Design, Université Ryerson, et ancienne commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée à venir vous parler.
J’aimerais commencer par souligner les conséquences d’un accès unilatéral, sans consentement, aux données financières personnelles d’un demi-million de ménages par nos banques, soit les institutions sur lesquelles nous en sommes venus à compter pour protéger nos renseignements personnels et assurer la sécurité de nos données financières. Comme vous le savez très certainement, la confiance dans les organisations, tant privées que publiques, qui détiennent nos données personnelles est en chute libre. Il y a en ce moment un déficit de confiance en croissance. Cela ne devrait surprendre personne, étant donné que les données personnelles sont de plus en plus utilisées à des fins qui n’avaient jamais été prévues — les données sont piratées, vendues et transférées à des organismes gouvernementaux et à des organismes d’application de la loi, souvent sans mandat.
Les préoccupations relatives à la protection de la vie privée grimpent de façon constante dans notre société. Regardez simplement l’opposition à ce que Statistique Canada propose. J’ai vérifié, ce matin. En moins d’une semaine, plus de 20 000 personnes ont déjà signé une pétition pour manifester leur opposition à la transmission de leurs données financières à Statistique Canada.
En toute déférence, je tiens à répondre au commentaire de M. Arora, qui disait que Statistique Canada suit les principes de protection de la vie privée dès la conception. Je vous assure que ce n’est pas le cas. J’ai créé les principes de protection de la vie privée dès la conception, et ces principes reposent sur le consentement et le contrôle personnel. Ces deux conditions sont tout à fait absentes, dans ce cas-ci.
La possibilité d’une surveillance exercée par le gouvernement est très choquante pour la plupart des gens, et elle est perçue comme une atteinte sérieuse à leur vie privée et à leur liberté. Je sais que ce sont des propos sévères, mais ils expriment les sentiments des gens. L’enjeu n’est pas que légal. Il est également d’ordre moral. C’est une atteinte à notre droit fondamental à la protection de la vie privée, venant en particulier du gouvernement. C’est peut-être légal, mais ce n’est pas perçu comme étant éthique.
La façon dont Statistique Canada explique son besoin d’avoir accès à nos données personnelles ne justifie pas l’extraction de ces données directement des banques des citoyens sans qu’ils le sachent et y consentent. De nombreux avocats mettent même en doute, maintenant, la légalité de cette mesure qui veut que les banques transmettent ces données directement à Statistique Canada.
Rex Murphy a cité un représentant de Statistique Canada, qui aurait dit que la raison pour laquelle ils ne peuvent pas demander le consentement, c’est que personne ne consentirait à cette pratique. Alors, qu’est-ce que cela vous dit? Cela vous dit que les Canadiens respectueux des lois ne veulent pas que leurs renseignements personnels les plus délicats soient transmis au gouvernement.
Même l’ancien dirigeant de Statistique Canada, M. Wayne Smith, a démissionné, il y a deux ans, à cause de préoccupations relatives à la sécurité des données et, par conséquent, des menaces pour la robustesse de Statistique Canada. Imaginez cela maintenant, avec les atteintes quotidiennes à la cybersécurité qui ne cessent de croître. Il y aura là un coffre aux trésors rempli de données financières de nature délicate qui attirera comme un aimant les pirates. M. Arora dit que cela ne se produira pas parce qu’ils ont des mesures de sécurité tellement robustes. Sauf le respect que je lui dois, nombreux sont les grandes sociétés et les ministères gouvernementaux qui ont déjà été piratés et ont été victimes d’atteintes à la sécurité des données, alors il est impossible de dire que cela ne se produira jamais.
Quelles sont les solutions? La poussée technologique vers une meilleure protection de la vie privée prend rapidement de l’ampleur et s’accélère avec l’adoption dans l’Union européenne du Règlement général sur la protection des données, le RGPD, lequel comporte des restrictions, pour la première fois, selon les principes de protection de la vie privée dès la conception. On constate la croissance des chaînes de blocs conjuguées à des réseaux de poste à poste sécurisés, des enclaves fiables, des nouvelles méthodes de chiffrement comme le calcul sécurisé multi-parties et le chiffrement homomorphique. Ce sont de formidables technologies servant à protéger la vie privée et à favoriser l’utilité des données.
Notre société innove sans cesse. Si les clients ne peuvent plus compter sur leurs banques pour garantir que leurs données financières demeurent privées et ne se retrouvent pas entre les mains de tierces parties, en particulier le gouvernement, ils vont regarder ailleurs. La société va innover et remplacer ces institutions par de nouvelles institutions qui seront équipées de technologies capables de rendre excessivement difficiles les indiscrétions relatives aux données financières les plus délicates des gens.
On a déjà pris cette direction — l’intelligence artificielle et la chaîne de blocs comme base — dans divers secteurs, et cela ne va qu’accélérer, à moins que le gouvernement essaie de prendre encore plus de mesures réglementaires restrictives pour y faire obstacle. Si nous voulons assurer la protection de nos renseignements personnels, ce qui est à la base de notre liberté, voulons-nous vraiment, en tant que société libre, permettre encore plus de restrictions sur les libertés qui nous sont si chères? Je ne le pense pas.
Ce que je vous dirais, c’est que nous devons faire preuve de plus de créativité et opter pour l’innovation. Si Statistique Canada a besoin de ce type de renseignements pour contribuer au fonctionnement du pays, il faut alors créer de nouvelles méthodes permettant des réponses efficaces à leurs questions sans que cela porte atteinte à la vie privée des citoyens. Nous avons besoin d’un modèle gagnant-gagnant.
La protection de la vie privée est une question de contrôle — c’est le contrôle qu’on exerce personnellement sur l’utilisation de ses propres données. Malheureusement, ce contrôle est complètement absent, en l’espèce. C’est la raison pour laquelle cela a suscité une telle opposition. Les gens ont fini par en entendre parler. Il n’y avait aucune transparence à ce sujet. David Akin, qui est avec Global News, a diffusé l’information, et c’est alors que tout le monde l’a appris. Si Statistique Canada veut cette information, c’est possible, mais nous devons veiller à ce que le contrôle personnel soit maintenu, concernant l’utilisation de vos données personnelles très délicates.
Nous devons exercer des pressions sur Statistique Canada pour que cet organisme devienne vraiment novateur et propose de nouvelles façons de faire qui ne portent pas atteinte à notre vie privée, comme l’anonymisation garantie à la source de toutes les données personnelles transmises par les banques. Les données doivent être anonymisées avant d’être transmises au gouvernement. La minimisation et l’anonymisation des données sont des outils essentiels qui existent déjà aujourd’hui. Nous pouvons le faire.
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, madame Cavoukian.
Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie de votre présence. Je suis préoccupée par une des réponses que nous avons obtenues. Je ne veux pas vous poser une question précise, mais plutôt une question d’ordre général.
C’est de portée presque totalitaire. Je pense que de nombreux Canadiens vont se mettre à croire que nous vivons dans un cauchemar orwellien où le gouvernement peut accéder à la moindre chose en disant tout simplement : « Vous êtes obligés. » Ils veulent que les banques s’occupent de l’information — du moins, c’est ce que je comprends des déclarations qui ont été faites ici. Ils veulent que les banques fassent savoir aux Canadiens qu’elles donnent — elles ne demandent pas la permission, mais donnent — l’information à Statistique Canada. Une fois l’information rendue à Statistique Canada, ce sera considéré comme un consentement tacite de la part des citoyens canadiens. Ils vont ensuite pouvoir passer l’information à d’autres s’ils pensent, d’après leur mandat, qu’elle peut servir ailleurs ou qu’elle est requise ailleurs. Je crois que c’est quand on en arrive là que je trouve cela effrayant : une fois que l’information est rendue à Statistique Canada, elle peut aller ailleurs sous les ordres de Statistique Canada, encore là sans la permission des Canadiens. Autrement dit, nous créons une chaîne le long de laquelle votre information est transmise et retransmise. Pourriez-vous me dire de façon générale ce que vous pensez de ce qui se passe?
M. Therrien : Je crois que nous avons tous été frappés, en entendant les nouvelles, récemment, par la quantité de données très détaillées venant d’un très grand nombre de ménages. Je crois que c’est cet aspect de la question qui frappe de grands pans de la population comme étant important. Dans notre enquête sur la question, compte tenu des plaintes que nous avons reçues, ce sera un aspect que nous examinerons. Avec du recul, on constate qu’il se fait depuis très longtemps ce que Statistique Canada appelle de la collecte de données administratives, donc de l’information obtenue d’autres ministères gouvernementaux ou institutions privées. Cela se faisait avant. Encore là, je pense que ce qui cause beaucoup de préoccupation en ce moment, c’est ce que j’appelle l’échelle, la profondeur et la portée de l’information recherchée.
Je ne sais pas quelles seront les conclusions de l’enquête, mais le cadre juridique est certainement plus permissif pour Statistique Canada, concernant ce que cet organisme peut recueillir auprès des institutions gouvernementales et privées, par rapport à la situation si le Canada avait les mêmes lois qui s’appliquent à de nombreux autres territoires, y compris de nombreuses provinces canadiennes, où la norme relative à la collecte légale d’information par les institutions publiques est la nécessité et la proportionnalité, par opposition à la loi actuelle. Je pense que c’est un enjeu important.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, veuillez indiquer à qui vous posez vos questions, pour que nos témoins sachent qui est censé répondre.
Le sénateur Tkachuk : Ma question s’adresse au commissaire à la protection de la vie privée. M. Arora nous a dit avoir eu des réunions avec vous. Je ne sais pas combien. Pourriez-vous nous dire combien de réunions il a eues avec vous? Est-ce qu’il vous a expliqué le nombre de personnes qui allaient intervenir dans cette collecte de données par l’intermédiaire des banques?
M. Therrien : Comme M. Arora l’a expliqué, nous nous sommes rencontrés une fois sur ces questions, et ce, il y a un peu plus d’un an. Depuis, il y a eu des réunions avec mes collègues. Avez-vous le nombre exact?
Lara Ives, directrice, Direction des services conseils au gouvernement, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Au cours de la dernière année, nous avons eu six réunions, mais elles n’ont pas toutes porté sur le programme de collecte de données administratives.
M. Therrien : Ils nous parlent de collecte de données administratives depuis longtemps, et ils en ont notamment parlé au cours de la dernière année. Ce n’est que tout récemment qu’on nous a donné le nombre de ménages soumis à ce projet pilote de collecte de données par l’intermédiaire des banques. La discussion a été plutôt générale, et nous les avons conseillés sur des questions comme la transparence et la nécessité de veiller à ce que les personnes dont les données sont recueillies aient le droit d’y avoir accès et de les corriger au besoin. Divers principes relatifs à la protection de la vie privée ont été discutés à un niveau très général, mais le nombre de ménages, qui est un facteur très important, n’a été discuté avec nous que très récemment.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce que la raison de votre enquête était la loi en soi? Vous aviez traité de cette question pendant toute une année, d’après ce que je comprends, alors vous saviez qu’on allait s’adresser aux banques et qu’on allait obtenir de l’information privée. Vous ne connaissiez peut-être pas les nombres, mais je ne le sais pas. Avez-vous entamé votre enquête quand vous avez découvert cela, ou quand le public l’a découvert?
M. Therrien : Nous avons amorcé l’enquête à cause des plaintes qui sont parvenues au commissariat, ce qui nous oblige à enquêter sur les questions soulevées. Avant ces plaintes, nous avions discuté de la collecte de données administratives en général, de certains projets pilotes en général, mais pas des nombres, que nous ne connaissons que depuis peu de temps.
Le sénateur Tkachuk : Votre permission d’aller de l’avant aurait-elle donné à croire à M. Arora que vous étiez d’accord et qu’il pouvait aller de l’avant?
M. Therrien : Ce n’est jamais sur cette base que de telles consultations ont lieu. Il le sait.
Le sénateur Tkachuk : Avez-vous exprimé des réserves à M. Arora?
M. Therrien : Premièrement, je le répète, aucun nombre n’avait été mentionné. Nous parlions d’un projet pilote assez semblable à bien des égards à d’autres initiatives de collecte de données administratives qui remontent à près d’un siècle. Nous avons transmis à Statistique Canada les principes généraux de protection de la vie privée qui s’appliqueraient sans dire — parce que cela ne relevait pas de notre mandat à ce moment — que ce qu’il proposait était, d’après nous, légal ou illégal. Je suis content d’apprendre qu’il n’agira pas tant que nous ne serons pas satisfaits. Maintenant que nous menons une enquête, nous devons arriver à une conclusion à savoir si c’est légal ou illégal.
Le sénateur Tkachuk : En tant que commissaire à la protection de la vie privée, diriez-vous que c’est différent si je vous affirme que je veux puiser dans l’information bancaire du sénateur Tkachuk, et si je vous dis que je veux puiser dans l’information bancaire de 500 000 ménages? Est-ce au contraire la même chose?
M. Therrien : Je crois que la proportionnalité est très importante. M. Arora a soutenu, juste avant que je prenne la parole, qu’il cherche à réduire au minimum le nombre de personnes touchées. C’est son objectif. Nous devons, lui et moi, avoir une discussion à ce sujet.
Le sénateur Tkachuk : Je comprends cela. Donc, vous n’êtes pas là à protéger mon information personnelle; vous protégez le volume d’information personnelle?
M. Therrien : Je me demanderai d’abord si sa proposition respecte la loi en vigueur, qui ne comporte pas de critères de proportionnalité. Nous aurons néanmoins des discussions avec Statistique Canada sur la proportionnalité. En clair, les objectifs de politique publique qu’il a exposés ce matin exigent-ils des renseignements sur autant de personnes et au niveau de détail que l’étude pilote envisage? C’est ce dont nous discuterons.
Le président : Monsieur Therrien, avez-vous l’impression que, dans vos discussions, Statistique Canada a agi franchement?
M. Therrien : Oui. Je pense que votre question touche le cadre juridique canadien. Nous jouons un rôle de médiateur et non de tribunal. Les ministères ne nous demandent pas notre bénédiction juridique, mais des recommandations générales. Dans ce contexte, cela influe sur la quantité de renseignements fournis, parce que la loi le dit clairement : nous ne donnons pas d’autorisation préalable. Les ministères ou les organismes comme Statistique Canada doivent agir dans le respect de la loi, et il leur incombe de déterminer ce qui respecte la loi.
Le sénateur Wells : Je vous remercie, monsieur Therrien, d’être ici. Expliquez-moi la différence entre la protection de la vie privée des Canadiens, en votre qualité de commissaire à la protection de la vie privée, et la fourniture d’orientations à un autre organisme de l’État qui, essentiellement, a carte blanche pour accéder aux données des Canadiens. En quoi particulièrement résiderait cette différence?
M. Therrien : Je ne parlerais pas de carte blanche, mais d’une grande latitude dans la collecte de renseignements personnels sur les Canadiens à des fins de statistiques.
Avec un organisme comme Statistique Canada, alors que nous n’avons pas le pouvoir d’accorder d’autorisation préalable, nos discussions portent sur les principes juridiques généraux, sans entrer dans les détails du programme. Il explique son programme en termes généraux, et nous le conseillons sur les principes qui nous semblent les plus importants, comme la transparence, l’accessibilité, la rectification et, bien sûr, l’existence de mesures convenables de protection de la sécurité de l’information en question. Voilà le niveau des discussions. Notre enquête sera beaucoup plus détaillée.
Le sénateur Wells : Récemment, donc, la pression s’est accentuée, ce qui a produit beaucoup de publicité et fait réagir votre bureau et peut-être mis le gouvernement et Statistique Canada sur la défensive.
D’après vous, le gouvernement a-t-il été entièrement transparent sur ce projet, depuis le début? Sinon, en quoi aurait-il péché? Pourquoi en entendons-nous parler seulement maintenant, si les discussions ont lieu depuis un bon bout de temps?
M. Therrien : Nous avons certainement été pris par surprise. Nous ne savions rien des chiffres jusqu’à tout récemment. C’est un fait capital. Nous avons recommandé la transparence à Statistique Canada. Le ministère a pris des mesures à cette fin, qui n’étaient pas inutiles, mais qui, visiblement, n’ont pas suffi. Aujourd’hui, je dois donc conclure que ces mesures étaient certainement insuffisantes pour la transparence.
Le sénateur Wells : Puis-je poser une question à Mme Cavoukian?
Le président : Absolument.
Le sénateur Wells : Merci, madame Cavoukian, de votre exposé. J’apprécie certaines de vos observations publiques. Sur le consentement des Canadiens et la protection de leur vie privée, souhaiteriez-vous des modifications précises de la loi?
Mme Cavoukian : D’après moi, il faut modifier l’article 13 de la Loi sur la statistique, qui oblige les organisations comme les banques à divulguer l’information qu’elles demandent à Statistique Canada. Des modifications sont nécessaires à cette loi que je suppose avoir un âge vénérable.
Les craintes que j’ai entendues est que cet article est inconstitutionnel. Il autorise les saisies sans mandat, à l’encontre d’une attente raisonnable de la protection de la vie privée qu’accorde l’article 8 de notre Charte des droits et libertés, saisies qui ne peuvent pas être justifiées dans une société libre et démocratique au sens de l’article 1 de la Constitution. Voilà un sujet de préoccupations.
D’après moi, il est tellement essentiel d’avoir beaucoup plus de transparence. J’ignore quels sont les articles de la Loi sur la statistique qui la concernent, mais j’ai reçu des dizaines d’appels et de courriels de personnes très irritées à ce sujet. Elles se demandaient comment cela se pouvait; elles disaient qu’elles venaient d’en être informées. Et ce n’est su que parce que David Akin a découvert le pot aux roses et l’a publié. Figurez-vous que, déjà, en moins d’une semaine, plus de 20 000 personnes sont allées déclarer leur opposition sur un site web et signer une pétition.
Je pense qu’il est temps de réviser la Loi sur la statistique et les méthodes qui autorisent l’obtention de renseignements très sensibles, sans préavis ni consentement des intéressés.
Le président : Merci.
Le sénateur Wells : Je tiens seulement à dire que j’entends des choses qui nous inquiètent beaucoup, moi et, j’en suis convaincu, la plupart des Canadiens. Nous devrions poursuivre cette discussion à la première occasion.
Le président : Nous le ferons.
La sénatrice Wallin : J’ai une seule question à poser à M. Therrien, puis une autre à Mme Cavoukian.
Faut-il, si on en croit Statistique Canada, pour une recherche statistique valide, utile aux autorités et pour l’efficacité des programmes de l’État, mais, peut-être même de façon plus générale, pour une recherche statistique valide, connaître les noms et adresses correspondant aux données financières?
M. Therrien : Je ne suis pas un spécialiste, mais, selon Statistique Canada, l’organisation a d’abord besoin de ces données pour s’assurer de leur validité et de leur exactitude.
La sénatrice Wallin : Madame Cavoukian, qu’en pensez-vous?
Mme Cavoukian : Je ne suis pas d’accord avec M. Arora. Voyez-vous, pour obtenir les données sous une forme permettant d’identifier les personnes, on les met immédiatement en danger, parce que c’est un trésor qui attire les pirates informatiques comme un aimant. Même si, en fin de compte, les données sont anonymisées, pourquoi les soumettre à ce risque? Pourquoi ne pas autoriser les banques à les dépersonnaliser en toute sécurité, d’autant plus qu’il existe, pour le faire, des protocoles robustes? Tout à fait d’accord pour communiquer les données à Statistique Canada pour le travail à faire, mais sans exposer au risque les éléments d’information permettant d’identifier les personnes qui peuvent être reliées à des opérations financières très sensibles, comme vous pouvez très bien l’imaginer. Ce n’est pas des renseignements destinés à n’importe qui. Il est rare que nous les communiquions à des collègues et à des amis.
Actuellement, on a très peu confiance dans l’État. On s’offusque souvent que les entreprises divulguent les renseignements personnels. Alors, comment se fait-il que nous autorisions l’État à le faire, lui qui exige ces renseignements de ses citoyens? En quoi est-ce différent des entreprises qui prétendent utiliser les données personnelles pour mieux servir sa clientèle?
La sénatrice Wallin : Je voulais dire que je comprends la nécessité de faire des vérifications. Je sais que mon compte bancaire enregistre toutes mes opérations bancaires, mais c’est pour mémoire. Même si on prend les renseignements sur l’activité du compte, a-t-on vraiment besoin de mon nom?
Mme Cavoukian : J’ajouterais même : pourquoi en a-t-on besoin?
La sénatrice Wallin : Je pose la question.
Mme Cavoukian : Voilà ce que j’essaie de démontrer. Il existe d’innombrables études sur la dépersonnalisation des données, la dépersonnalisation très sûre de l’information. On peut employer d’autres méthodes. Il y a tellement de...
La sénatrice Wallin : Nous ferons le tour de la question.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Therrien. Je vais répéter ce que j’ai dit plus tôt au représentant de Statistique Canada. Je crois que les renseignements bancaires sont aussi personnels que les renseignements médicaux. Il pourrait être coûteux pour Statistique Canada d’utiliser d’autres moyens. En utilisant les renseignements bancaires, Statistique Canada prend un raccourci économique.
Je trouve d’autant plus préoccupant que — et je comprends que vous ne pouvez pas en parler — vous ayez déjà reçu 52 plaintes concernant Statistique Canada. Pourquoi devrait-on faire confiance à Statistique Canada? Corrigez-moi si je me trompe, mais le représentant de Statistique Canada a dit que leurs statistiques aident les Canadiens, par exemple, à prendre une décision lorsqu’ils veulent acquérir une propriété ou contracter une hypothèque. Pourquoi aurais-je besoin de Statistique Canada pour contracter une hypothèque alors que les services bancaires vont très bien m’informer?
M. Therrien : En ce qui concerne la question de savoir si les renseignements financiers sont sensibles, la réponse est évidemment oui. Un jugement de la Cour suprême, qui date d’environ deux ans, confirme même ce fait.
Est-ce que le projet pilote et la collecte de données par Statistique Canada auprès d’autres institutions, comme des ministères et des entreprises, sont un raccourci économique? Dans le cadre de l’enquête, je demanderai à Statistique Canada quelles sont les solutions de rechange. Statistique Canada propose de colliger le type d’informations et l’ampleur des informations. On devra avoir des discussions sérieuses avec Statistique Canada pour savoir s’il y a des solutions de rechange. Pourquoi le recensement ne fonctionne-t-il pas? Pourquoi des sondages plus ponctuels, sans aller voir dans les comptes bancaires, ne fonctionnent-ils pas? C’est ma façon de répondre à votre question à propos du raccourci.
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Therrien.
[Traduction]
Le sénateur Wetston : Monsieur Therrien, en discutez-vous avec les banques? Le ferez-vous? Je vous le demande, parce que, d’après moi, les banques se trouvent entre le marteau et l’enclume. J’exagère peut-être, mais c’est mon impression. Je m’aperçois que je ne vous questionne pas sur votre enquête sur l’observation de la loi. Normalement, ce genre d’enquête conduit au constat du respect de la loi ou d’une infraction, mais vous ne faites pas d’observations sur la légalité. Peut-être avez-vous besoin que la loi soit modifiée, mais c’est un autre sujet. Pouvez-vous formuler des observations sur ma question?
M. Therrien : Nos discussions avec d’autres secteurs de l’industrie, pour ne pas nous borner au projet pilote sur les données bancaires et pour englober dans un sens plus général les données administratives, ont notamment soulevé, comme vous le laissez entendre, des inquiétudes sur la conformité de la communication de leurs données à Statistique Canada avec la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques à laquelle est assujetti le secteur privé. Nos discussions, qui ont porté sur ces sujets, que nous avons portés à l’attention de Statistique Canada, mènent à une discussion sur la légalité des pratiques de Statistique Canada, et c’est l’objet de notre enquête.
Lara, avons-nous parlé aux banques de ce point particulier?
Mme Ives : Non, pas aux banques. Au moment où nous avons discuté du sujet avec Statistique Canada, au cours de l’été, nous avions alors l’impression que le ministère poursuivait ses discussions avec l’Association des banquiers canadiens, le Bureau du surintendant des institutions financières et d’autres joueurs. Depuis, nous n’avons pas eu d’autres contacts.
Le sénateur Wetston : J’ai seulement une petite question complémentaire, puis une question pour Mme Cavoukian, si vous le permettez. Peut-être au prochain tour...
Je cherche à savoir s’il se peut que votre enquête sur le respect de la loi s’applique non seulement à Statistique Canada, mais également aux banques. Manifestement, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques concerne la protection des renseignements personnels. Sous quel prisme examinerez-vous cette question?
M. Therrien : Il existe un lien, absolument, et la loi que vous citez renvoie à un pouvoir légal de divulgation, qui renvoie implicitement à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur la statistique. Voilà l’une des questions sur lesquelles nous devons nous prononcer au bout de l’enquête.
Le sénateur Wetston : Je vous en remercie.
Puis-je poser une petite question, ou faut-il que j’attende au prochain tour?
Le président : Cela vous dérangerait d’attendre?
Le sénateur Wetston : Pas du tout.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur C. Deacon : Deux questions, notamment, me brûlent les lèvres.
Devant la nécessité, pour Statistique Canada, de fournir à tous les gouvernements et à de nombreuses entreprises des données publiques précises pour proposer une politique publique, en quoi pouvons-nous être utiles? J’adhère absolument à l’idée de Mme Cavoukian, c’est-à-dire faire preuve de créativité. Comment surmonter la difficulté, pour Statistique Canada, du fait que des données fournies librement ne seraient pas statistiquement exactes? C’est l’une des difficultés à vaincre. Très rapidement, vous le savez. L’organisation doit l’affronter. Voilà ma première question.
La deuxième concerne la nécessité d’excellentes politiques de protection de la vie privée dans toutes les organisations. Comment aider les Canadiens, malgré l’emploi de produits comme Mint ou ImpôtRapide et tous les autres produits d’Intuit, Air Miles et toutes les données que nous abandonnons déjà à beaucoup d’organisations, souvent sans être conscients de la façon qu’elles sont utilisées et protégées? Comment les aider à concilier ce comportement et la nécessité d’employer d’excellentes statistiques, à l’échelon fédéral et provincial ainsi que dans les entreprises? Voilà mes deux questions.
M. Therrien : Le consentement est visiblement une sauvegarde importante pour la protection de la vie privée, et il est de règle au Canada. Il arrive qu’il ne soit pas légalement requis, et nous voici devant un cas où le Parlement, quand il a adopté la Loi sur la statistique actuellement en vigueur, a jugé qu’il n’était parfois pas requis. Statistique Canada prétend, à titre d’expert, que s’il fallait l’exiger absolument, ce serait aux dépens de la qualité des données. C’est ce que prétend cette organisation experte. Mon travail n’est pas d’appliquer le consentement dans tous les cas, parce que ce n’est pas ce qu’exige le droit canadien. C’est de m’assurer que, lorsque des données sont recueillies sans consentement, leur collecte satisfait aux exigences de la loi, dans le respect des critères de proportionnalité et ainsi de suite. Ce n’est donc pas tout noir ni tout blanc.
Le sénateur C. Deacon : Et que faire pour les Canadiens, compte tenu des masses de données qu’ils communiquent déjà à tout vent sur leurs opérations financières? Actuellement, le gouvernement canadien n’y a pas accès et peut-être qu’on ne comprend pas dans dans quelle mesure la protection de la vie privée est laissée à elle même et que ces renseignements sont protégés.
M. Therrien : Cela ouvre la porte à la discussion sur la transparence et sur ce qui est requis pour être transparent à l’égard du citoyen et du consommateur. Même si la collecte de données par Statistique Canada ne requiert pas le consentement, les Canadiens ont certainement le droit de savoir que c’est ce qui se passe. La notion de transparence ne se situe pas à un niveau abstrait. Elle devrait conduire à des avis assez clairs, qu’on communiquerait aux particuliers pour les informer que les renseignements qu’ils cèdent à la banque ou à une autre entreprise privée peuvent être collectés par Statistique Canada pour des motifs de politique publique implicitement prévus dans la Loi sur la statistique.
Le président : Madame Cavoukian, souhaitiez-vous ajouter autre chose?
Mme Cavoukian : Comme le commissaire Therrien l’a dit, le consentement n’est pas requis à tous les niveaux, et il influerait sur la valeur des données obtenues par Statistique Canada qui, d’après moi, serait privé de beaucoup de données, parce que les gens ne veulent pas communiquer leurs données à l’État. Je préconise dans ce cas des techniques de dépersonnalisation directe et indirecte des données, mais les banques doivent les appliquer de manière poussée, à la source, dès réception des données que convoite Statistique Canada. C’est ensuite qu’on les lui communique.
À tout le moins, on peut dire au public que nous avons des rapports avec nos banques. Nous supposons qu’elles sécuriseront nos données, au lieu de simplement les céder sans notre consentement ou notre autorisation, mais elles peuvent dire, après le dépouillement des identifiants personnels, qu’elles pourraient encore être sensibles mais qu’elles ne permettent plus l’identification des personnes, ce qui les soustrait aux lois sur la protection de la vie privée, puisqu’il ne s’agit plus de renseignements personnels.
C’est la conduite la plus prudente, parce qu’elles permettent encore à Statistique Canada d’obtenir les renseignements dont elle a tant besoin pour son travail, mais vous pourrez rassurer le public qu’il n’y a plus de souci à se faire pour la protection de la vie privée. Les données restent confidentielles, en sécurité et sécurisées par les banques à qui on les a confiées.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie.
Le sénateur Wetston : Madame Cavoukian, je connais vos travaux. J’ai travaillé en Ontario et je connais bien votre influence dans cette province. Vous avez parlé du déficit de confiance, qui, d’après moi, peut transparaître dans la société d’aujourd’hui et qui peut nous inquiéter tous. Nous savons que M. Therrien conduit actuellement une enquête et qu’il lui est difficile de communiquer des renseignements. Quand je corrèle le déficit de confiance et la sursaturation en données que nous subissons dans la société et les enjeux du rapport entre cette sursaturation et la protection de la vie privée, j’en conclus que cette protection se révèle plus difficile aujourd’hui. C’est en grande partie à cause de la technologie et du pouvoir commercial des grandes entreprises qui contrôlent des masses de données. Aujourd’hui, les données sont de l’or, et nous le savons. Pouvez-vous livrer à notre comité certains fruits de vos réflexions sur ces rapports et nous indiquer comment ils pourraient orienter nos propres réflexions sur cet enjeu?
Mme Cavoukian : Je vous remercie de votre question.
J’aimerais attirer votre attention sur la mesure législative très rigoureuse en matière de protection des renseignements personnels qui vient tout juste d’entrer en vigueur dans l’Union européenne, à savoir le Règlement général sur la protection des données, le RGPD. Il est entré en vigueur en mai. Il a renforcé des mesures législatives en matière de protection des renseignements personnels littéralement partout dans le monde. Il s’agit d’une loi globale qui remplace les lois en matière de protection des renseignements personnels de 28 pays membres, mais des pays de partout dans le monde modifient également leurs lois existantes, comme la nôtre, car on ne considère plus qu’elle répond adéquatement aux exigences de cette nouvelle loi.
Le commissaire Therrien a déjà dit au gouvernement fédéral, l’an dernier, qu’il fallait renforcer la LPRPDE, car elle est désuète, puisqu’elle date du début des années 2000. Nous devons y ajouter la notion de la protection de la vie privée dès l’étape de la conception, comme l’a fait l’Union européenne.
Je soulève ce point, car il changera la donne. En effet, soudainement, on ne se concentre plus sur les besoins des gouvernements et des entreprises privées, mais sur les besoins des particuliers à titre de sujets des données. On redonne le contrôle aux particuliers et on renforce la protection de leurs données de façon spectaculaire. Je ne peux pas vous dire à quel point cela change la donne.
Dans ce contexte, lorsque nous appliquons cette notion aux exigences de Statistique Canada, dont les représentants rencontrent ceux des banques et discutent apparemment avec eux depuis un an et que manifestement, la plus grande partie de la population, comme moi, n’était pas au courant, nous sommes étonnés du manque de transparence et de reddition de comptes manifesté par cet organisme qui souhaite avoir accès à nos données les plus sensibles.
Toutes les plaintes que j’ai reçues du public, ainsi que cette pétition qui a été signée par plus de 20 000 personnes, démontrent que les gens n’aiment pas la façon dont cette affaire a été menée. Je ne savais pas qu’il s’agissait d’un projet pilote. Je viens de l’apprendre. La population n’est certainement pas au courant, et elle s’oppose fermement à cette initiative.
Je le mentionne, car je suis une éternelle optimiste. Il faut assurer la protection des données personnelles en même temps que leur utilité; il faut donc assurer la protection des renseignements personnels et la sécurité. Il faut avoir ces deux choses. On ne peut pas choisir l’une ou l’autre. Selon moi, la démarche adoptée dans ce cas-ci n’est pas la bonne, car il semble qu’on a fait tout cela à l’insu de la population. D’ailleurs, les gens ont seulement appris ce qui se passait lorsqu’un journaliste a publié cette histoire.
J’aimerais faire valoir un dernier point. La Chambre de commerce du Canada est préoccupée à l’idée que la collecte de renseignements bancaires effectuée par Statistique Canada est non seulement extrêmement invasive, mais qu’elle pourrait également représenter une menace pour nos échanges commerciaux avec l’Europe dans le cadre du nouveau Règlement général sur la protection des données. On est très inquiet à l’idée que cela pourrait nuire aux échanges commerciaux.
Le président : Merci beaucoup, madame. Sénateur Tkachuk, aimeriez-vous formuler un bref commentaire?
Le sénateur Tkachuk : J’aimerais poser une brève question au commissaire à la protection de la vie privée. Lorsque vous avez rencontré les intervenants de Statistique Canada, vous ont-ils mentionné que c’était un projet pilote ou vous ont-ils dit que c’était seulement un projet qu’ils menaient?
M. Therrien : Lorsque je les ai rencontrés il y a plus d’un an, je crois que nous avons parlé de la collecte de données administratives en général. Depuis cette époque, il y a eu plusieurs réunions plus récentes avec Mme Ives et d’autres personnes sur deux manifestations de ces données financières, et sur la question des renseignements liés à la cote de crédit à laquelle on a fait allusion plus tôt. Je crois que ces projets pilotes nous ont été divulgués au début de 2018 en ce qui concerne les renseignements liés à la cote de crédit et pendant l’été en ce qui concerne les renseignements bancaires.
Le sénateur Tkachuk : D’accord. Merci.
Le président : Avant d’accueillir les témoins du troisième groupe, j’aimerais remercier les témoins présents de leurs excellents exposés. Vous nous avez beaucoup aidés. Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, toujours dans le cadre de notre examen de la collecte des informations financières par Statistique Canada, nous accueillons maintenant notre troisième groupe de témoins. J’aimerais donc souhaiter la bienvenue à Neil Parmenter, président et chef de la direction de l’Association des banquiers canadiens, ainsi qu’à Sandy Stephens, avocate-conseil adjointe, aussi à l’Association des banquiers canadiens. Nous sommes également heureux d’accueillir Greg Basham, représentant du consommateur à l’Association des consommateurs du Canada.
Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Monsieur Parmenter, vous avez la parole.
Neil Parmenter, président et chef de la direction, Association des banquiers canadiens : Merci, monsieur le président. Au nom de l’Association des banquiers canadiens, j’aimerais remercier le comité de nous avoir invités à communiquer notre point de vue sur cet enjeu important.
Les banques mènent leurs activités dans la sphère du service à la clientèle. Elles ont établi des relations de longue date avec leurs clients. Ces relations reposent sur la confiance, une confiance ancrée dans un engagement envers la protection de la confidentialité des renseignements personnels des clients.
Les banques sont les dépositaires fiables d’une importante quantité de renseignements personnels. Elles prennent très au sérieux la responsabilité de protéger les renseignements personnels des clients et de respecter non seulement les exigences imposées par les lois en matière de protection des renseignements personnels, mais également les attentes de leurs clients. Bref, la protection des renseignements personnels est inscrite dans l’ADN des banques.
Les banques ont élaboré et suivent des normes rigoureuses afin de veiller à ce que les données soient adéquatement protégées et accessibles. Elles ont massivement investi dans les mesures de cybersécurité et collaborent à l’échange des plus récents renseignements et des pratiques exemplaires les plus efficaces en matière de lutte contre les menaces à leurs systèmes.
L’ABC et ses membres ont clairement exprimé leurs vives préoccupations à l’égard des répercussions sur la confidentialité qu’aura la demande de Statistique Canada en ce qui concerne les données sur les opérations. Je tiens à préciser qu’aucune donnée sur les opérations des clients et qu’aucun autre renseignement personnel n’a été transmis à Statistique Canada dans le cadre de cette demande.
L’ABC et ses membres sont encouragés par le fait que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a lancé une enquête sur la demande de données formulée par Statistique Canada. Nous saluons l’examen plus détaillé de cette demande qu’effectue le commissaire à la protection de la vie privée.
Les banques comprennent la valeur du travail important accompli par Statistique Canada. Le secteur bancaire demeure un chef de file en matière d’innovation, ainsi qu’en matière de conception et d’adoption de nouvelles technologies, afin d’en faire bénéficier ses clients tout en maintenant leur confiance. En effet, la confiance des Canadiens est essentielle. Ainsi, le secteur bancaire continue de souligner l’importance capitale de la sécurité et de la protection des données financières et des renseignements personnels de ses clients.
Nous serons heureux de répondre à vos questions. Merci.
Greg D. Basham, représentant du consommateur, Association des consommateurs du Canada : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je vous remercie également de l’occasion qui m’a été donnée de lire votre rapport sur la cybersécurité.
J’aimerais formuler quelques commentaires.
Tout d’abord, la proposition présentée aujourd’hui par Statistique Canada et ce que nous avons entendu est simplement inacceptable pour les consommateurs canadiens.
Deuxièmement, le Canada doit se trouver du bon côté de l’histoire. Le RGPD a changé la donne, comme vient de le décrire la représentante de Privacy by Design. Partout dans le monde, des entreprises, notamment une entreprise avec laquelle je suis associé dans l’Extrême-Orient, ont dû modifier leurs règlements et leurs activités, car elles font affaire avec des citoyens européens et des particuliers qui exercent un contrôle plus serré et imposent d’énormes pénalités qui pourraient entraîner la fermeture d’une petite entreprise en démarrage. En 2020, la Californie adoptera une loi qui donnera aux consommateurs et aux particuliers le droit de savoir quels renseignements ont été recueillis, pourquoi ils ont été recueillis et comment ils sont utilisés. Ils seront également en mesure d’empêcher, si cette loi est adoptée, la vente ou l’échange de ces données avec d’autres gens. Il est important que le Canada soit du bon côté de l’histoire.
La confiance envers le gouvernement a été mentionnée aujourd’hui. Les consommateurs ne sont pas convaincus que le gouvernement possède les renseignements et les connaissances — je n’aurais jamais fait cette déclaration avant l’élection du 45e président des États-Unis, car on se serait probablement moqué de moi. Toutefois, lorsqu’on observe la tendance vers le populisme et l’autoritarisme dans les démocraties d’aujourd’hui, on peut avoir peur des répercussions pour l’avenir, car si ces données sont recueillies dans le format que demande Statistique Canada aujourd’hui, mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices, je vous assure qu’il ne restera plus qu’à actionner l’interrupteur et à collecter ces données en temps réel, car ce seront les mécanismes dont se dotera une société de données un jour ou l’autre.
Nous devons moderniser la Loi sur la protection des renseignements personnels. Nous devons reconnaître que le profilage de données et l’analytique prédictive ont changé la donne. Si nous n’apportons pas ces changements, notre société échouera. Nous ne sommes pas plus libres à cause des mesures de sécurité supplémentaires qui ont été adoptées à la suite de crises. Nous sommes plutôt moins en sécurité. Nous devons rétablir l’équilibre entre ce que cela signifie d’être un citoyen dans ce pays et la question de savoir qui est au service de qui. Les citoyens doivent-ils servir les intérêts du gouvernement ou le gouvernement doit-il servir les intérêts des Canadiens?
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous parler aujourd’hui.
Le président : Merci beaucoup, messieurs. Nous passons maintenant aux questions. Nous entendrons d’abord la vice-présidente.
La sénatrice Stewart Olsen : J’ai deux brèves questions. La première concerne la différence entre une habitation et un ménage. Si vous demandez des renseignements sur une habitation, cela signifie-t-il l’un de ces énormes immeubles à appartements et tous les gens qui s’y trouvent? On nous a corrigés à plusieurs reprises lorsque nous avons utilisé le mot « ménage ». Je parle seulement de la portée des données demandées.
M. Parmenter : J’aimerais beaucoup répondre à votre question, sénatrice. Malheureusement, je ne connais pas la réponse. Il vaudrait mieux poser cette question à Statistique Canada.
La sénatrice Stewart Olsen : C’est ce que j’aurais dû faire.
L’autre chose, c’est que les banques ont de très bons organismes de surveillance. Je ne suis toutefois pas certaine que Statistique Canada a un organisme de surveillance. L’un des gros problèmes que j’éprouve, après ce qui a été dit aujourd’hui, c’est que cet organisme demandera aux banques d’informer leurs clients — pas de leur demander la permission, mais de les informer — que ces données ont été demandées par Statistique Canada et qu’elles seront envoyées. Pourriez-vous me donner votre opinion à cet égard?
M. Parmenter : Je crois qu’il est important que tout le monde se souvienne — et je sais qu’on a beaucoup discuté de la question d’envoyer un avis aux consommateurs — que, en réalité, l’industrie pensait que Statistique Canada était à l’étape exploratoire de ce projet. La communication aux clients, si on en arrive là, ferait manifestement partie de ce plan, mais il serait prématuré de faire cela en raison de toutes les questions qui sont toujours sans réponse. Nous avons abordé un grand nombre de ces questions ici aujourd’hui. Cela fera toujours partie de l’engagement en matière de transparence des banques à l’égard de leurs clients. Toutefois, comme je l’ai dit, je ne crois pas que nous soyons arrivés à ce point. Nous accueillons favorablement l’enquête du commissaire à la protection de la vie privée sur cet enjeu. L’industrie a toujours de nombreuses préoccupations sérieuses liées à la nature de la demande et de nombreuses questions sans réponse.
La sénatrice Stewart Olsen : Ce qui m’inquiète, c’est que les banques seront la cible du mécontentement des clients, plutôt que Statistique Canada. C’était le point que je tentais de faire valoir.
M. Parmenter : Oui. Je comprends, sénatrice, mais je crois que nous sommes d’avis qu’il faut d’abord comprendre tous les éléments du projet proposé et obtenir des réponses concrètes et satisfaisantes à un grand nombre de nos questions avant d’en arriver là. Absolument.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci.
Le sénateur Wells : J’aimerais remercier les témoins de comparaître dans le cadre de ces travaux importants que nous menons.
J’aimerais revenir à la déclaration faite par l’ABC lorsque cette affaire a été divulguée. Les banques croyaient que le projet proposé sur l’acquisition des données était toujours à l’étape exploratoire et elles ne savaient pas que Statistique Canada avait comme objectif d’obliger la divulgation de ces renseignements. Vous vous souviendrez de cette déclaration dans votre communiqué. Avez-vous l’impression que les banques ont été induites en erreur ou tenues dans l’ignorance? Vous êtes maintenant au premier plan de cette affaire. Statistique Canada l’est aussi, mais les banques sont à l’avant-plan. Rien n’a autant d’influence sur les entreprises que la voix collective des consommateurs. Je crois que c’est ce à quoi vous devrez faire face maintenant. Donc, les banques ont-elles été induites en erreur ou tenues dans l’ignorance de ce plan? Comment réagirez-vous à la réaction des consommateurs?
M. Parmenter : Je dirais, comme vous l’avez entendu plus tôt aujourd’hui, que les discussions avec Statistique Canada au sujet du projet proposé durent depuis des mois. Comme je l’ai dit, je ne crois pas que nous étions arrivés à un point où nous étions suffisamment satisfaits, résolus ou d’accord pour lancer l’étape suivante du plan. Il restait de nombreuses questions auxquelles l’industrie devait d’abord obtenir une réponse satisfaisante. Je crois qu’en ce qui concerne les avis préalables, vous faites référence à la surprise — et c’était effectivement surprenant — que nous avons éprouvée lorsque certaines de nos banques ont reçu ces lettres les obligeant à faire cela. Honnêtement, nous avons entendu parler de cette affaire pour la première fois ce vendredi-là par l’entremise de M. Akin, sur Global.
Le sénateur Wells : Êtes-vous préoccupés à l’idée que cette obligation qui vous est maintenant imposée ou qui vous sera imposée par Statistique Canada poussera les consommateurs à délaisser les méthodes d’achat liées à la collecte de données comme les cartes de débit et les cartes de crédit, qui représentent une grande partie des activités des banques, pour revenir au paiement en espèces, qui est complètement anonyme aux points de vente?
M. Parmenter : Nous venons juste d’entendre le commissaire à la protection de la vie privée dire que son enquête est en cours. Les résultats de cette enquête seront divulgués à la nouvelle année. Nous avons hâte de voir ce que contiendra ce rapport.
Je ne crois pas que nous sommes déjà rendus à ce point. Il reste de nombreuses questions sans réponse et le projet n’est pas en cours. Nous nous concentrons plutôt sur la façon d’obtenir des réponses aux questions plus fondamentales liées au partage des données sur les clients.
M. Basham : J’aimerais répondre à cette question. Nous avons entendu plus tôt la représentante de Privacy by Design dire que les gens créeront d’autres méthodes de paiement, par exemple. Nous avons maintenant le bitcoin. Cela élargira de façon spectaculaire la voie vers l’anonymat, ce qui représentera un énorme inconvénient pour les responsables de l’application de la loi et d’autres organismes de sécurité, car ces activités ne pourront plus être surveillées.
La sénatrice Wallin : Je crois qu’en réponse à une question posée par le sénateur Deacon, Mme Cavoukian a dit que le consentement limiterait la valeur des données, car trop de gens répondraient simplement non, mais pouvez-vous « anonymiser », si ce mot existe, les données beaucoup plus tôt dans le processus?
M. Parmenter : Sénatrice, vous abordez certaines des questions que nous avons posées à Statistique Canada. Lorsque nous examinons les approches et les solutions de rechange possibles, ce sont les questions que nous soulevons, et un grand nombre d’entre elles sont toujours sans réponse.
La sénatrice Wallin : J’aimerais savoir si vous pouvez faire cela.
M. Parmenter : Je ne peux pas vous donner une réponse définitive maintenant, sénatrice, mais je sais que les banques exercent la diligence voulue en temps réel quant à la nature de ces demandes et qu’elles examinent un large éventail d’options.
La sénatrice Wallin : Merci.
Le sénateur Tkachuk : J’aimerais d’abord formuler un commentaire. Je suis un peu populiste. C’est la raison pour laquelle je n’aime pas ce que fait Statistique Canada en ce moment. C’est le gouvernement actuel qui défend ce programme à la Chambre des communes.
Monsieur Parmenter, j’aimerais savoir ce que vous voulez dire par une réponse satisfaisante? Lorsque vous dites que les banques doivent obtenir des réponses satisfaisantes, qu’entendez-vous par satisfaisantes?
M. Parmenter : Ce que nous voulons vraiment dire, c’est qu’il y a toujours de gros enjeux non résolus. Le plus important d’entre eux est aussi le plus fondamental, et c’est le partage des renseignements personnels des consommateurs. Cet enjeu demeure non résolu.
Le sénateur Tkachuk : Les banques iraient-elles devant les tribunaux pour protéger les renseignements personnels de leurs clients ou laisseraient-elles tout simplement le gouvernement leur dire quoi faire?
M. Parmenter : Comme je l’ai mentionné plus tôt, toutes les banques exercent la diligence voulue quant à la nature de cette demande, y compris les répercussions juridiques. Elles étudient minutieusement cet enjeu.
Le sénateur Tkachuk : Iraient-elles devant les tribunaux pour protéger un intérêt? Si on testait leurs limites, les banques iraient-elles devant les tribunaux?
M. Parmenter : Je ne voudrais pas émettre de jugement précoce ou prévoir des actions individuelles, mais je dirais que toutes les solutions sont possibles. Je crois que les banques prennent la nature de cette demande très au sérieux. Les banques canadiennes chercheront toujours à respecter la loi, sénateur. Je suis sûr que vous pouvez comprendre cela.
Le sénateur Tkachuk : Je comprends.
M. Parmenter : Nous avons des obligations envers nos clients, le gouvernement et les autres parties prenantes. Tous ces facteurs sont pris en compte et analysés.
Le sénateur Tkachuk : Il y a un aspect que je trouve particulièrement problématique. Lorsque je fais affaire avec une banque, c’est comme s’il y avait un contrat tacite prévoyant que ma banque va conserver mes renseignements personnels sans jamais les divulguer. Si vous transmettez ces informations, vous allez briser le lien de confiance avec vos clients. Ce serait pour moi une raison suffisante pour intenter des poursuites. J’aimerais bien que vous puissiez me rassurer à ce sujet.
M. Parmenter : Comme je le disais, sénateur, toutes les options sont envisagées. Les banques analysent toutes les possibilités qui s’offrent à elles. Comme vous le signaliez, lorsqu’un client ouvre un compte ou achète un produit dans une banque, il est convenu que l’information découlant de cette transaction ne sera pas communiquée à un tiers sans le consentement du client. C’est conforme à ce que prévoit la LPRPDE. Tous ces enjeux sont envisagés et analysés dans ce contexte.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Selon certaines sources d’information que j’ai consultées, environ 4,5 millions d’incidents de vol et de piratage de données personnelles ont été répertoriés sur trois ans. Dieu merci, vous ne faites pas partie de ces statistiques.
Ces statistiques concernant le piratage et le vol d’identité touchent même des institutions gouvernementales provinciales et fédérales. Vous devez donc être préoccupé lorsqu’il s’agit de transmettre des données bancaires à des institutions gouvernementales comme Statistique Canada. Si je fais affaire avec une banque et que, pour une raison X, mes données sont piratées ou volées, je peux changer d’institution financière. Par contre, si mes données sont piratées au gouvernement fédéral, je ne peux pas changer de gouvernement. Je comprends vos préoccupations.
Comment pouvez-vous expliquer le transfert de nos informations personnelles à une institution gouvernementale qui a eu environ 17,5 p. 100 d’incidents de vol, de piratage et de négligence autant à l’échelon fédéral que provincial?
De plus, ces statistiques sont publiques. Tout le monde y a accès.
[Traduction]
M. Parmenter : Merci, sénateur. Comme je l’indiquais dans mes observations préliminaires, je pense que les préoccupations sont de deux ordres. Il y a d’abord, bien évidemment, celles touchant la protection de la vie privée, mais il y a aussi des inquiétudes relativement à la sécurité des données. Comme vous pouvez vous l’imaginer, il ne fait aucun doute que les différentes banques prennent ces deux préoccupations très au sérieux dans leurs activités courantes et ont adopté les pratiques et les règlements les plus rigoureux qui soient afin d’assurer à la fois la protection de la vie privée et la sécurité des données. Compte tenu de la nature de la requête formulée en l’espèce, ces deux facteurs influent grandement sur l’analyse que les banques font de ces enjeux.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vais y aller directement : Statistique Canada ou d’autres organismes gouvernementaux ont-ils fait des pressions sur votre association pour obtenir ces données, pour divulguer l’identité de vos clients?
[Traduction]
M. Parmenter : Non, sénateur. Il y a seulement la lettre adressée à certaines institutions bancaires pour formuler cette requête. On ne peut certes pas parler de pressions pour l’instant.
Le sénateur C. Deacon : Je m’intéresse surtout à la protection des données par la banque elle-même à la lumière de ce que vous venez de nous dire et de l’incident de piratage qui a fait en sorte, plus tôt cette année, si je ne m’abuse, que les données de 90 000 Canadiens ont été exposées. Je me préoccupe du fait que 78 p. 100 des cadres supérieurs des banques ayant répondu à un sondage effectué par Accenture ont indiqué avoir pleinement confiance dans les pratiques de sécurité en usage dans les banques canadiennes. J’ai beaucoup aimé la réponse du commissaire de Statistique Canada qui nous a dit que c’est un aspect qui le préoccupait au quotidien. À mon avis, il est risqué de se sentir trop rassuré dans ce domaine. C’est une simple observation de ma part. Nous devons vraiment rester aux aguets.
Je veux poursuivre dans le sens des commentaires de la sénatrice Wallin. Je crois fermement qu’il faut prendre des décisions en s’appuyant sur des données probantes. Le gouvernement doit pouvoir compter sur des données de grande qualité pour prendre les meilleures décisions qui soient relativement à ses politiques monétaires, fiscales et sociales. Plutôt que d’affirmer simplement que c’est une mauvaise chose, il faudrait se mettre à la recherche d’une solution pour pouvoir aller de l’avant, par exemple via l’anonymisation des données, de manière à pouvoir compter sur des indicateurs fiables de la situation économique, comme l’indice des prix à la consommation, et de façon à bien comprendre toutes les répercussions de l’économie numérique et des changements qu’elle apporte dans la vie des Canadiens. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure on semble prêt à explorer de telles pistes de solution? Je pense qu’il est primordial que nous le fassions.
M. Parmenter : Nous sommes d’accord, sénateur. Pour que les choses soient bien claires, nous estimons que Statistique Canada joue un rôle essentiel, tant pour le gouvernement que pour l’ensemble de l’économie canadienne. Comprenez-moi bien, ce n’est pas Statistique Canada à proprement parler qui nous pose problème. Nous sommes plutôt préoccupés par la nature de cette demande de données qui nous a été adressée. Dans le sens de ce que vous indiquez, nous espérons poursuivre le dialogue en vue d’explorer d’autres solutions pouvant permettre à Statistique Canada d’obtenir les données nécessaires.
Je veux mettre une autre chose au clair. Lorsque nous demandons à nos institutions membres quelle est leur principale préoccupation, la cybersécurité vient toujours au premier plan. C’est bien évidemment en raison de la nature même de ce secteur qui ne nous permet pas de nous reposer sur nos lauriers. C’est le principal sujet de préoccupation autant pour les conseils d’administration des banques que pour leurs gestionnaires.
Le sénateur C. Deacon : Il faudrait demander à Accenture de refaire ce sondage.
Le sénateur Wetston : Merci de votre présence aujourd’hui. J’ai seulement une brève question pour faire suite à celle posée par le sénateur Tkachuk et aux commentaires que j’ai adressés à M. Therrien concernant le fait que les banques sont en quelque sorte prises entre l’arbre et l’écorce dans ce dossier.
De toute évidence, vous n’êtes pas des agents de Statistique Canada, pas plus que du gouvernement d’ailleurs. À mon point de vue, si vous refusez carrément d’acquiescer à cette requête et de fournir l’information demandée, vous allez peut-être contrevenir aux exigences de Statistique Canada. Si vous acquiescez à la requête, vous enfreindrez peut-être la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. C’est un peu le dilemme auquel vous êtes confrontés. Percevez-vous les choses de la même manière?
M. Parmenter : Comme je l’indiquais précédemment, nous avons bien sûr des obligations autant envers nos clients qu’à l’endroit du gouvernement, et nous devons respecter les différentes lois qui s’appliquent dans ces deux scénarios. Lorsque je dis que nos institutions membres analysent actuellement la requête d’une manière générale pour déterminer quelles mesures elles doivent prendre dans les circonstances, cela fait partie des nombreux enjeux qui sont examinés.
Le sénateur Wetston : Monsieur Basham, la prise de position que vous nous avez présentée aujourd’hui est, bien sûr, le fruit d’une compilation des réflexions qui ont eu cours au sein de l’Association des consommateurs du Canada. J’ai pris bonne note de vos observations préliminaires qui me semblent bien témoigner de l’importance que nous accordons tous à bon nombre de ces questions. Il convient toutefois de considérer à la fois la nécessité de la cueillette de données et l’obligation de protéger la vie privée. Est-ce que vous-même ou votre association avez eu l’occasion de soumettre au gouvernement fédéral des mémoires relativement à la réforme du régime de protection de la vie privée et quelle serait selon vous la solution à privilégier pour assurer un juste équilibre entre la grande accessibilité actuelle des données, lesquelles sont bien sûr omniprésentes au sein de notre société, et les améliorations que nous pourrions envisager d’apporter à la Loi sur la protection des renseignements personnels?
M. Basham : Dans une perspective d’avenir, nous voudrions recommander un changement à la Loi sur la protection des renseignements personnels de telle sorte que soient reconnus les principes fondamentaux voulant que chaque Canadien puisse contrôler et connaître la façon dont les renseignements le concernant sont utilisés. Il n’y a pas de mesures particulières que nous réclamons ou que nous préconisons, mais nous souhaitons que l’on reconnaisse le statut quasi constitutionnel de la Loi sur la protection des renseignements personnels, conformément au jugement rendu par la Cour suprême du Canada. Les articles 7 et 8 de la Charte des droits et libertés ne traitent pas expressément des données personnelles, mais nous voulons que tous les régimes réglementaires visant la protection de la vie privée soient adaptés à la réalité de l’économie moderne. Toutes ces interventions doivent par ailleurs s’appuyer sur le droit de chaque Canadien à la protection de sa vie privée.
J’aurais pu également me prononcer sur les autres enjeux, mais on ne m’a pas invité à le faire.
La sénatrice Stewart Olsen : J’ai seulement une brève question pour vous, monsieur Parmenter. Pouvez-vous me dire quelles banques ont reçu une lettre semblable?
M. Parmenter : Il semblerait que l’on ait communiqué ainsi avec neuf banques.
La sénatrice Stewart Olsen : Pouvez-vous nous dire lesquelles?
M. Parmenter : Cela dit très respectueusement, sénatrice, je pense qu’il s’agissait de communications entre Statistique Canada et les différentes banques. Je préfère donc ne pas divulguer cette information. Je vous prie de m’en excuser.
Le président : Un grand merci à nos témoins. Vos observations ont été très constructives et vont grandement éclairer nos délibérations. Nous vous sommes reconnaissants de votre contribution.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons nous interrompre quelques instants avant de passer à huis clos pour une brève analyse de ce que nous avons entendu aujourd’hui. Merci beaucoup.
(La séance se poursuit à huis clos.)