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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 49 - Témoignages du 21 novembre 2018 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le mercredi 21 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 14 h 33 afin d’examiner la teneur des éléments des sections 3, 4, 6, 7 et 10 de partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à mes collègues de même qu’aux membres du grand public qui sont présents dans la pièce ou qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce d’aujourd’hui sur le Web. Je suis Doug Black, sénateur de l’Alberta, et je suis président du comité.

Je demanderais à mes collègues de se présenter pour les témoins, en commençant par mon amie, la sénatrice Wallin.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Je précise que tous les sénateurs sont mes amis.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de la teneur de cinq sections de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, et en particulier, la section 7 de la partie 4, qui a trait à la Loi sur les brevets. Plus particulièrement, le comité examine la sous-section H, qui porte sur la Commission du droit d’auteur.

J’ai le plaisir d’accueillir notre premier groupe de témoins : à titre personnel, Casey M. Chisick, associé, Cassels Brock & Blackwell s.r.l.; Jeremy de Beer, professeur titulaire, faculté de droit, Université d’Ottawa; et, enfin, Howard P. Knopf, avocat, Macera & Jarzyna LLP/Moffat & Co Patent & TM Agents.

Merci à tous d’être avec nous aujourd’hui. Nous attendons avec intérêt les déclarations préliminaires et nous passerons ensuite aux questions des sénateurs. Comment voulons-nous procéder? Monsieur Chisick, voulez-vous commencer?

Casey M. Chisick, associé, Cassels Brock & Blackwell s.r.l., à titre personnel : Je peux commencer. Merci, sénateur.

Je suis un associé chez Cassels Brock, à Toronto. Je suis certifié comme spécialiste du droit d’auteur; j’enseigne et je pratique dans ce domaine depuis presque 20 ans. Cela comprend de nombreuses comparutions devant la Commission du droit d’auteur et lors de révisions judiciaires de ses décisions, y compris à plusieurs reprises devant la Cour suprême du Canada. Dans le cadre de ma pratique, je représente un large éventail de clients, notamment des sociétés de gestion de droits d’auteur, des éditeurs de musique, des producteurs de films et de télévision, des universités, des radiodiffuseurs et bien d’autres, mais les opinions que j’exprime ici aujourd’hui sont entièrement les miennes.

La Commission du droit d’auteur est essentielle à l’économie créative au Canada. Les titulaires de droits, les utilisateurs et le grand public comptent tous sur la commission au moment de fixer des tarifs justes et équitables pour l’utilisation du matériel protégé. Afin que le marché créatif canadien fonctionne efficacement, la commission doit effectuer son travail de manière efficiente, rapide et prévisible, et prendre ses décisions de la même manière.

Je suis très heureux de voir la réforme en profondeur proposée dans le projet de loi C-86. Je félicite le gouvernement d’avoir reconnu que la commission devrait fonctionner comme un tribunal de dernier recours, les sociétés de gestion et les utilisateurs étant également libres de négocier des accords qui répondent à leurs intérêts respectifs. Je suis également optimiste quant au fait que les modifications proposées des processus de la commission, ainsi que les règlements à venir, contribueront à réduire le temps nécessaire à la certification des tarifs. Cela devrait contribuer à inverser la tendance à la fixation rétroactive des tarifs, ce qui représente un véritable défi pour les intervenants au cours des dernières années. Cela dit, j’ai deux préoccupations dont j’aimerais parler au comité aujourd’hui.

La première a trait à l’article proposé 66.501. Cet article codifierait le mandat de la Commission du droit d’auteur en l’obligeant à fixer des redevances « justes et équitables » compte tenu de ce qui serait convenu entre un acheteur et un vendeur consentants sur un marché concurrentiel, ainsi que de l’intérêt public.

C’est un fait nouveau très positif, à mon avis. Une norme de tarification reflétant les principes du marché est compatible avec ce que l’on retrouve dans de nombreuses autres administrations dans le monde. L’introduction de critères clairs et obligatoires d’établissement des tarifs devrait aboutir à un processus plus rapide, plus efficient et, surtout, plus prévisible. C’est important, car un processus imprévisible conduit à des dépenses inutiles pour les parties devant la commission. Elles investissent des centaines de milliers de dollars dans des preuves économiques de la part d’experts que la commission rejette souvent en faveur de méthodologies qu’elle a elle-même mises au point afin d’établir la valeur d’œuvres protégées. Des tarifs imprévisibles peuvent également entraîner de graves perturbations du marché, en particulier sur les marchés émergents comme la musique en ligne.

C’est très positif, mais malheureusement, le projet de loi ne s’arrête pas là. Outre les critères spécifiques, il habilite la commission à prendre en considération « tout autre critère » qu’elle juge approprié. À mon avis, plutôt que de résoudre les problèmes que je viens de décrire, cette disposition pourrait bien aggraver la situation. En effet, les parties devront cocher davantage de cases obligatoires en plus de celles que la Cour suprême a imposées il y a quelques années et qui sont toujours en cours d’interprétation. Or, cela ne garantira toujours pas que la commission n’écarte pas cette preuve en faveur d’autres critères qu’elle est parfaitement en droit de prendre en considération, selon elle, mais qui restent complètement imprévisibles. Si cela se produit, le coût des procédures de la commission augmentera sans entraîner pour autant une efficience ou une prévisibilité accrues.

Pour éviter que ces critères de tarification explicites ne se retrouvent noyés dans d’autres critères imprévisibles, je recommande simplement au gouvernement de réexaminer l’article proposé 66.501 ou, à titre subsidiaire, de promulguer rapidement un règlement visant à donner plus de directives à la commission et, par extension, aux parties qui comparaissent devant elle en ce qui concerne la façon d’appliquer les critères, y compris ce qu’il faut rechercher dans le cadre de l’analyse de l’acheteur et du vendeur consentants.

Ma deuxième préoccupation est liée à l’article proposé 73.3, qui est la prétendue « interdiction de recours », laquelle empêche une société de gestion de faire valoir ses droits contre un utilisateur qui a payé ou offert de payer des redevances en vertu d’un tarif approuvé. Pour l’essentiel, cela reflète la loi telle qu’elle existe, et cette loi a été conçue pour empêcher une société de gestion d’agir de façon discriminatoire à l’endroit d’utilisateurs en acceptant d’accorder une licence à certains, mais pas à d’autres. C’est une bonne politique qui devrait être maintenue.

La nouvelle disposition ne va toutefois pas dans le sens de l’interdiction élargie applicable à une personne qui offre de payer des redevances en vertu d’un tarif qui n’a pas encore été approuvé. En raison du temps requis pour examiner et certifier un tarif, cela signifie concrètement qu’un utilisateur serait en mesure d’utiliser le répertoire d’une société de gestion pendant des années sans payer pour celui-ci. Le recours de la société de gestion consisterait à tenter de percevoir des redevances auprès de cet utilisateur lorsque le tarif serait finalement approuvé, mais cela n’est guère utile si un service, entretemps, a quitté le marché canadien, a fait faillite ou manque de moyens pour payer lorsque le tarif est finalement approuvé, ce qui, on le sait, peut survenir des années plus tard.

La solution simple consiste à supprimer l’alinéa c) de l’article proposé 73.3, en maintenant effectivement le statu quo et en permettant aux sociétés de gestion et aux utilisateurs de négocier entre eux les arrangements provisoires qui permettront aux utilisateurs d’entrer sur le marché canadien tout en assurant une indemnisation raisonnable aux titulaires de droits.

Je pense à d’autres parties du projet de loi, mais mon temps est écoulé. Je serai heureux de répondre à vos questions au cours de la période prévue à cette fin.

Le président : Vos commentaires ont été très utiles. Merci beaucoup, monsieur Chisick.

La sénatrice Wallin : Le comité permanent de la Chambre des communes a-t-il soulevé la question des amendements qui ont été apportés au cours des 24 dernières heures?

M. Chisick : J’ai cru comprendre, sénatrice Wallin, que cela avait peut-être été abordé officieusement avec le ministère de l’Industrie. Je ne sais pas si la question a été soulevée devant le comité, mais je ne l’ai pas fait, de toute façon.

Le président : Merci beaucoup.

Jeremy de Beer, professeur titulaire, faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Je suis originaire de la Saskatchewan, même si je suis professeur titulaire au Centre de recherche en droit, technologie et société de l’Université d’Ottawa, situé à la faculté de droit de l’université.

Bien que je comparaisse ici à titre personnel, mon témoignage d’aujourd’hui repose sur mon expérience au sein de la commission, d’abord en tant que conseiller juridique de la commission, puis en tant que conseiller sur les réformes politiques possibles, ainsi que sur les conclusions de mon étude empirique largement citée sur le processus de tarification du droit d’auteur parrainée par le ministère du Patrimoine canadien et celui qui s’appelle maintenant Innovation, Sciences et Développement économique Canada.

Merci beaucoup de me donner l’occasion de comparaître à nouveau devant le comité. Cela fait presque deux ans depuis ma dernière comparution, lorsque la question de la Commission du droit d’auteur a été mise à l’ordre du jour et désignée comme une question urgente.

Aujourd’hui, je vais organiser mes remarques en réponse à plusieurs des points contenus dans le sommaire du gouvernement dans le projet de loi C-86. Si vous regardez le sommaire, vous entendrez mes remarques sur chaque point particulier.

Premièrement, d’une manière générale, je félicite le gouvernement d’avoir fourni les ressources humaines d’une commission dotée de tout son personnel et les ressources financières du budget afin que la commission puisse s’acquitter de sa tâche. On l’attendait depuis longtemps, mais mieux vaut tard que jamais. C’est quelque chose que moi-même et pratiquement tous les autres intervenants, à quelques exceptions près, préconisons depuis longtemps, alors c’est formidable.

Deuxièmement, j’appuie fermement les réformes procédurales qui mettraient en œuvre des pratiques de gestion de cas. Cela aurait pu être fait plus tôt et mieux par la commission en vertu de ses pouvoirs de réglementation existants, mais si le projet de loi et le gouvernement ont le mérite de régler le problème, je pense que c’est bien.

Je suis toutefois préoccupé par le fait qu’accorder au gouverneur en conseil un nouveau pouvoir incompatible avec celui de la commission qui permet d’établir des délais relativement aux « étapes procédurales » d’une affaire dont elle est saisie est inopportun et inutile. Cela risque de compromettre l’autonomie de ce tribunal quasi judiciaire d’une manière sans précédent, d’augmenter la probabilité qu’un lobbying important s’infiltre apparemment dans un règlement en matière de procédure et suppose que des bureaucrates savent mieux que la commission et le juge qui la préside actuellement comment gérer des cas. Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je recommande que l’article 295 du projet de loi, qui modifierait le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil prévu à l’article 66.91, soit simplement supprimé.

Le mandat et les critères décisionnels que le projet de loi C-86 codifierait sont un mélange de compromis qui aggravent la situation plutôt que de l’améliorer. Il est bon que le projet de loi C-86 maintienne les considérations importantes d’intérêt public dans les décisions de la commission. Toutefois, même si le vœu de certains groupes, en particulier, a été exaucé en ce qui concerne un critère relatif à l’établissement d’un tarif entre un acheteur et un vendeur consentants, ce facteur a toujours été pris en considération dans les décisions de la commission et confirmé par la Cour d’appel fédérale. De nombreux intervenants avaient fait une mise en garde pendant le processus de consultation sur le projet de loi : la codification des critères décisionnels aura peu d’effets, si ce n’est qu’elle décevra les attentes, donnera lieu à de nouveaux arguments créatifs et entraînera des années, voire des décennies, de litiges devant la commission et les tribunaux afin que l’on puisse comprendre ce que ces nouveaux critères sont censés signifier et s’ils sont identiques ou différents par rapport aux critères précédemment appliqués. Je ne pense pas que le compromis vaut le prix, alors je recommanderais également de supprimer l’article 292 du projet de loi C-86.

Je ressens le besoin d’avertir le comité que la réduction du nombre d’affaires dont la commission pourrait être saisie laissera certains intervenants vulnérables. Les petites et moyennes entreprises, en particulier, seront vulnérables aux abus de pouvoir de marché de la part de certaines sociétés de gestion occupant une position dominante sur le marché. Il s’agit d’un changement radical de la structure de la Commission du droit d’auteur, telle qu’elle fonctionnait et qui était recommandée depuis les années 1930. Il est problématique de le faire sans les modifications correspondantes des garanties et des procédures réglementaires qui permettent à la commission et/ou au commissaire de la concurrence d’examiner les accords négociés sur le marché sans surveillance réglementaire en ce qui concerne d’éventuels effets anticoncurrentiels. Je pense également que, à moins que la commission ne dispose d’information sur les tarifs négociés sur le marché, il lui sera difficile d’appliquer le critère relatif à l’acheteur et au vendeur consentants. Enfin, cette façon de faire pourrait avoir l’effet inverse en déplaçant la charge de travail de la commission d’un régime à un autre. Le travail que la commission évite en ne disposant pas de projets de tarif obligatoires dans un domaine pourrait être plus que compensé par le travail supplémentaire lié à ce que l’on appelle le régime d’arbitrage traitant des affaires particulières, qu’elle ne pourrait traiter par lots.

Globalement, il s’agit d’une question complexe qui, selon moi, ne devrait pas être résolue dans un projet de loi budgétaire; elle devrait plutôt être dûment étudiée dans le contexte de l’examen de l’article 92 du comité INDU. Cependant, je suis pragmatique. Étant donné que cette question est profondément ancrée dans toute la structure du projet de loi C-86, je prie instamment le comité de recommander au moins une étude minutieuse des mesures visant à contrebalancer les effets anticoncurrentiels potentiels. Cela pourrait être justifié.

Mon dernier commentaire concerne les dispositions modifiées relatives à l’application. Le fait que le projet de loi C-86 ne permette pas à toutes les sociétés de gestion, essentiellement, d’intimider les utilisateurs en les obligeant à accepter ce qu’elles pensent être des licences générales inutiles en les menaçant de dommages-intérêts préétablis est un soulagement. C’est une mauvaise idée en général, mais surtout, prématurée. Les tribunaux se penchent toujours sur ces questions, sur la nature de certains tarifs, en particulier dans le secteur de l’éducation, et pour établir si les tarifs sont obligatoires ou non. Il est prématuré de modifier l’équilibre des politiques à ce stade. Je pense que nous devons attendre que les tribunaux se prononcent sur cette question.

Sur ce, mesdames et messieurs les sénateurs, merci beaucoup de m’avoir permis de présenter ces remarques.

Le sénateur Wetston : Excusez-moi, de quel article s’agissait-il?

M. de Beer : Les révisions des modifications sur les dommages-intérêts préétablis constitueront la disposition modifiée 4.1, qui se rattache au nouveau paragraphe 38(4.1).

Le sénateur Wetston : Merci.

M. de Beer : Oui, 38.1 serait remplacé par la disposition 4.1. C’est l’article 287 du projet de loi C-86. C’est important, aux fins du compte rendu, et 4.1 est une disposition importante.

Le président : Merci beaucoup, monsieur.

Howard P. Knopf, avocat, Macera & Jarzyna LLP, Moffat & Co, and Patent TM Agents, à titre personnel : Bon après-midi et je vous remercie, mesdames et messieurs, de l’invitation et de la possibilité de réduire à cinq minutes ou moins mon expérience de près de 40 ans.

J’ai été au gouvernement au sein du prédécesseur de l’ISDE, le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique. À un moment donné, j’ai travaillé avec le commissaire Wetston, tel était alors son titre, dans l’une de ses nombreuses incarnations précédentes. J’ai exercé à titre privé et j’ai souvent comparu devant la commission et devant les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada.

Franchement, à mon avis, l’adoption d’un projet de loi omnibus pour régler toutes ces questions complexes et controversées en matière de propriété intellectuelle n’est absolument pas la façon de procéder ici. C’est inutile et, franchement, inacceptable. Ce projet de loi soulève de nombreux problèmes et questions graves avec près de 100 pages de contenu sur la propriété intellectuelle. Je n’ai été invité que pour parler de la Commission du droit d’auteur. À certains égards, il s’agit du changement le plus spectaculaire et le plus radical survenu au sein de la commission depuis 1936, et seulement une heure environ lui est consacrée ici devant le comité, et encore moins à l’autre endroit.

La clarification des critères, dont mes amis ont parlé, y compris l’inclusion de la terminologie « intérêt public » et « un acheteur et un vendeur consentants dans un marché concurrentiel » peut avoir l’effet inverse. Cela officialisera, de manière non prouvée et sans précédent ce qui a été un exercice non officiel qui a souvent abouti, pour le meilleur ou pour le pire, au calcul d’une moyenne de deux séries de chiffres extrêmes et qui entraînera presque certainement des coûts encore plus élevés, un processus plus chronophage et un prétendu témoignage d’experts sur quelque chose qui, au mieux, est circulaire et, au pire, paradoxalement impossible, soit la détermination d’un tarif dans un marché concurrentiel. Il n’existe pas de marché concurrentiel dans un monde où des tarifs obligatoires peuvent être fixés légalement au profit de puissants monopoles qui seraient autrement assimilés à des complots criminels s’ils existaient sans le consentement du Parlement, de la Commission du droit d’auteur et des tribunaux. Qui plus est, la notion d’intérêt public peut potentiellement entrer en conflit avec celle de marché concurrentiel. Comme d’autres l’ont dit, nous pouvons nous attendre à des audiences plus longues et plus coûteuses et à un plus grand contrôle judiciaire afin que l’on puisse établir ce que tout cela signifierait, le cas échéant.

Pour ce qui est de l’idée louable d’encourager la participation publique sans avoir à payer le prix d’une pleine participation, comme il est indiqué dans la fiche d’information du gouvernement, cela ressemble plus à des paroles qu’à des actions. Si le gouvernement entend rembourser les coûts liésà la participation des intérêts publics, cette mesure nécessiterait une loi habilitante, comme cela a été le cas avec le CRTC, mais cette loi habilitante ne figure tout simplement pas dans le projet de loi.

En ce qui concerne des délais rationalisés, le projet de loi ne tient tout simplement pas ses promesses. La disposition prévoyant que le dépôt d’un projet de tarif s’effectue cinq mois et demi plus tôt et que les tarifs s’appliquent pour une durée de trois ans plutôt qu’un an ne changera rien au fait qu’il faut habituellement quatre ans environ pour qu’une audience ait lieu, et il y a peu d’exemples d’audiences annuelles sur le même tarif, voire aucun. Après l’audience, il faut habituellement trois ans de plus pour que la commission rende une décision, laquelle est alors très rétroactive et donne souvent lieu à un contrôle judiciaire et même à une nouvelle audience. Contrairement à ce que vous avez entendu plus tôt aujourd’hui de la part de la commission et, sauf votre respect, contrairement à l’étude de mon ami Jeremy de Beer, la commission certifie, en moyenne, moins de 5 tarifs par année, et non 49 ou 50, résultat obtenu par une analyse artificielle de paragraphes chaque année. Mon calcul était inférieur à 4,9, chiffre que j’ai donné au comité il y a deux ou trois ans lors de mon témoignage et que j’ai documenté.

La législation habilitante en matière de réglementation visant à préciser les délais existe déjà depuis plus de trois décennies et elle n’a toujours pas été utilisée. La fixation des délais et des échéanciers a toujours été reportée et repoussée une fois de plus. Ce projet de loi ne fait rien pour imposer des délais nécessaires comme ceux que nous avons pour les autres tribunaux et les cours fédérales, tels que définis par le gouverneur en conseil. Par exemple, dans le cas des tribunaux fédéraux et du Tribunal de la concurrence, les délais et toutes les règles détaillées sont fixés par le gouverneur en conseil, par règlement. Lorsque j’étais en poste, j’avais entendu certaines choses à propos de la façon dont la commission s’opposait à cette incursion dans son autonomie. Si la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et le Tribunal de la concurrence ne sont pas des organismes autonomes importants, je ne sais pas ce qu’ils sont. Ils ne semblent pas s’inquiéter des règlements du gouverneur en conseil qui fixe des délais et d’autres détails. Cela devrait donc fonctionner ici si le gouvernement a seulement la volonté d’agir, ce qu’il n’a pas démontré jusqu’à présent.

Le projet de loi éliminera l’obligation pour les sociétés de gestion de l’industrie de la musique de déposer des tarifs qui exigent la surveillance de la commission, même en l’absence d’opposition. Cette exigence existe depuis 1936, à la suite du rapport monumental de la commission Parker. Cela signifie que l’industrie de la musique disposera d’un pouvoir de monopole encore plus efficace et non contrôlé sur des organisations, comme des stades de hockey, des cinémas et des centres commerciaux, d’une part, et des salons de coiffure pour hommes et des salons de beauté, d’autre part. Pas étonnant que la SOCAN et Ré:Sonne aient été si prompts à accueillir ce projet de loi.

Le dernier point concerne l’éléphant dans la pièce, qui est la question primordiale de savoir si les tarifs de la Commission du droit d’auteur sont ou non obligatoires pour les utilisateurs. Il y a trois ans, j’ai réussi à faire valoir devant la Cour suprême du Canada que ce n’était pas le cas. C’est une chose pour le gouvernement de proposer, comme il le faisait par le passé, une grille tarifaire pour le train ou l’avion qui fixe les tarifs entre Ottawa et Toronto, par exemple, ce qu’il a déjà fait, mais le gouvernement n’a jamais forcé personne à dire que, si vous voulez aller à Toronto, vous devez prendre l’avion ou le train. Vous êtes toujours libres de prendre l’autobus, de conduire votre voiture, de faire de l’autostop ou d’enfourcher votre vélo. Il y avait différentes façons de s’y rendre, dont la plupart n’étaient pas réglementées.

Dans l’affaire Access Copyright c. York University, dont, avec un peu de chance, vous avez tous entendu parler, l’Université York n’a malheureusement pas abordé la question de savoir si les tarifs homologués définitifs sont obligatoires. Espérons que la Cour d’appel fédérale y arrivera. Cela aboutira probablement devant la Cour suprême du Canada. Il est presque certain que cela se produira également lors des audiences relatives à l’article 92 du comité INDU. Je crains que ce projet de loi n’aborde par inadvertance cette question dans le nouvel article proposé 73.1, lequel importe un libellé du régime d’imposition obligatoire dans la partie VIII de la loi concernant l’application des modalités.

J’ai eu un professeur extraordinaire à la faculté de droit, Harry Glasbeek, qui est récemment rentré en Australie. Il a déclaré que, si vous voyez une nouvelle décision de la Cour suprême du Canada ou un nouveau projet de loi, vous devriez essayer de déterminer quelle pourrait être la pire conséquence imprévue que cela pourrait entraîner puis aller dormir le soir, convaincu qu’elle se réalisera dans les plus brefs délais.

Sur cette pensée joyeuse, je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Wetston : Franchement, je ne sais pas par où commencer.

J’ai dit à chaque groupe de témoins que nous en sommes à l’étude préalable du projet de loi. Nous venons de le recevoir. C’est un projet de loi important et complexe. Il fait partie d’un projet de loi omnibus. Il aurait facilement pu constituer un projet de loi à lui seul, auquel cas il aurait peut-être été traité d’une manière quelque peu différente. Cela dit, je voudrais aborder quelques questions avec vous, si vous le permettez.

Il y a d’abord la notion d’intérêt public. À maintes reprises, on se demande s’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, s’il permet à une commission, un organisme quasi judiciaire, de pouvoir définir des critères dans l’application de l’intérêt public, et ce n’est pas rare. Chaque avocat ou participant qui se trouve face à la compétence en matière d’intérêt public dit la même chose. De manière générale, la plupart des tribunaux s’efforceront de fournir une orientation stratégique pour l’application de l’intérêt public. Vous avez vu cela maintes et maintes fois. Qu’y a-t-il de mal à ce que la commission puisse le faire dans ce cas? L’intérêt public vous offre la marge de manœuvre qui vous permet de vous adapter à un environnement changeant, en particulier au type d’environnement dans lequel nous évoluons chaque jour dans notre pays et dans le monde. Pouvez-vous donner un peu plus d’indications à ce sujet, par opposition à l’inquiétude qui pourrait découler d’une disposition comme celle-ci dans la loi?

M. Chisick : Que l’on me comprenne bien : je pense que la prise en considération de l’intérêt public dans le processus d’établissement tarifaire est tout à fait appropriée. Même si les opinions peuvent diverger quant au fait qu’il soit approprié ou souhaitable d’instaurer tout critère obligatoire d’établissement des tarifs, s’il doit y en avoir, il est tout à fait approprié que l’on inclut, comme le fait le projet de loi, les considérations relatives à l’intérêt public. Bien entendu, il incombera à la commission de déterminer comment appliquer ce principe en pratique, et les avis différeront sans doute à ce sujet également, mais la commission a toujours — pour autant que je sache, dans le cadre des instances auxquelles j’ai participé — appliqué les considérations relatives à l’intérêt public, et elle comprend le rôle qu’elle joue, en tant que tribunal économique d’établissement des tarifs, à titre de gardienne de l’intérêt public. Il s’agit là d’une considération qui imprègne toutes les décisions que prend la commission, à mon avis. À mes yeux, ce sont les enjeux sur la table et le statu quo.

Si on codifie des critères s’ajoutant à ceux qui sont appropriés, selon la commission, ma crainte, et mon inquiétude — comme vous le dites, monsieur le sénateur —, concerne la prévisibilité et le coût du processus. Il s’agit d’une considération entièrement distincte de l’intérêt public, qui a toujours été là et qui, je présume, continuera d’être examiné quoi qu’il advienne.

M. de Beer : Je suis tout à fait d’accord, et je pense que l’intérêt public est un élément indispensable des mandats de la commission.

J’affirmerais qu’aucun élément de l’article 66.501 n’est nécessaire et qu’essentiellement, il vaut mieux et il est moins risqué que l’on maintienne le statu quo, c’est-à-dire que ce sont les critères implicites que la commission a toujours appliqués. Je ne partage pas la crainte que soulève M. Chisick dans la même mesure que lui. Je comprends le problème de la prévisibilité. J’espère que la commission pourra atténuer ce problème grâce à la gestion de cas. Elle pourrait, au moyen des nouvelles procédures et règles — si c’est bien fait —, réduire le genre de données probantes qui sont acceptables et demandées. J’espère que l’alinéa 66.50d) fonctionnera parallèlement à la gestion de cas afin d’assurer la prévisibilité.

M. Knopf : Voici un exemple de situation où cette disposition pourrait causer des problèmes d’une manière différente de ce qu’ont dit mes amis.

Supposons qu’un soi-disant expert formulait un argument selon lequel l’intérêt public exige que les auteurs touchent beaucoup plus d’argent qu’ils n’en reçoivent actuellement. Ils ne gagnent pas assez d’argent — nous n’arrêtons pas de l’entendre répéter sans cesse —, et il est dans l’intérêt public que nos auteurs conduisent tous de belles voitures et je ne sais quoi. Il pourrait s’agir d’un argument en faveur de l’intérêt public, puis toutes sortes d’experts se prononceraient quant à la nature de l’intérêt public en ce qui a trait au droit d’auteur, et ce sera un film d’horreur, bien franchement, qui coûtera très cher et durera très longtemps. La commission y consacrera des ressources. Elle reçoit un autre million de dollars par année. Pourquoi? Je ne le sais pas, mais il ne fait aucun doute que l’argent sera englouti dans le gouffre de la recherche.

En passant, monsieur le sénateur Wetston, je pense que vous souhaiterez probablement savoir que le budget de la commission est déjà considérablement supérieur — d’environ 400 000 $ — à celui du Tribunal de la concurrence, que vous connaissez intimement, et qu’il est sur le point de devenir supérieur de 1,5 million de dollars à celui de ce tribunal, ce qui est un peu bizarre, compte tenu des mandats différents et de l’importance relative de ces deux entités ainsi que du volume et de la complexité des cas dont elles s’occupent.

Le sénateur Tannas : Pour commencer, est-ce que qui que ce soit, ici présent, a participé à des consultations auprès de la Commission du droit d’auteur ou été payé en tant que consultant auprès d’elle au cours des cinq dernières années?

M. de Beer : Oui, moi.

Le sénateur Tannas : D’accord. Voilà qui répond à la question. Merci.

Vous avez mentionné brièvement le fait que la nouvelle vice-présidente de la Commission du droit d’auteur a répliqué et a affirmé que nous ne pouvons pas comparer la Commission du droit d’auteur du Canada et le produit de ses travaux à ce qui se fait aux États-Unis, car elle a certifié 50 tarifs, et les Américains n’en ont certifié que 5. À présent, vous me dites qu’elle en a en fait certifié cinq, elle aussi. Qu’entendez-vous par là?

Je suppose que ma question de suivi est la suivante : sommes-nous en train de nous faire berner en nous laissant convaincre que ce problème est réglé? Nous souhaitions le voir corriger. Nous avons formulé des recommandations à cette fin. Cette intervention est censée le régler. Adressez-nous vos commentaires sur ce que vous pensez.

M. Knopf : Merci, monsieur le sénateur Tannas. Mon ami Jeremy, que je tiens en très haute estime, a mené une étude il y a quelques années — et je suis certain qu’il l’expliquera lui-même — où il a analysé tous les tarifs certifiés par la Commission du droit d’auteur et les a répartis par année, alors, si le tarif s’étendait sur trois ans, automatiquement, trois nouveaux tarifs étaient en cause, et il en a divisé un grand nombre en morceaux. Le tarif de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la SOCAN, comportait un élément relatif aux fanfares, un élément relatif aux amuseurs de rue et un autre, aux restaurants. Il est arrivé à ce chiffre que je considère, honnêtement, inadmissible, c’est-à-dire, je crois, 49 tarifs par année.

J’ai utilisé la méthode précédente de la commission et publié des documents visant à établir une étude que je viens tout juste d’effectuer sur mon blogue, et je pense que je vous l’ai fournie il y a deux ou trois ans, et pour laquelle je n’ai pas reçu un sou. J’ai conclu qu’il y avait 4,9 tarifs par année et, en passant, la commission rend rarement, voire jamais, plus de trois décisions importantes par année. Elle rend d’innombrables petites décisions procédurales qui donnent deux semaines de plus pour présenter ceci et cela, mais seulement trois décisions importantes par année.

Je pense que le témoignage que vous avez entendu ce matin était tout simplement inexact. Il est certainement utile à la commission d’affirmer qu’elle certifie 50 tarifs par année, mais ce n’est pas le cas. Absolument pas. Un tarif comporte diverses parties, et il ne devrait pas être divisé par paragraphe ou par phrase.

M. Chisick : Je n’ai pas cette information. Contrairement à mes amis, je n’ai mené aucune étude au sujet du nombre de décisions que rend la commission chaque année, alors je ne prétendrais pas pouvoir me prononcer là-dessus, mais je pense que M. de Beer aura probablement quelque chose à dire à ce sujet.

Laissez-moi aborder — je crois — la grande question que je crois que vous avez posée, monsieur le sénateur, c’est-à-dire : le projet de loi permettra-t-il de régler le problème? Voici ma réponse : de mon point de vue, je n’en suis pas certain, mais je suis certes encouragé par ce que je vois. Le problème est là. Il est réel. Le processus présente des problèmes, de même que les procédures. Il y a des problèmes fondamentaux. Ce que je vois dans le projet de loi, c’est un effort déployé de bonne foi et prometteur visant à régler ces problèmes.

En pratique, il s’agira d’un effort déployé conjointement par la commission, par les parties qui comparaissent devant elle et, possiblement, par le gouvernement de l’heure, à l’aide de son pouvoir de réglementation, afin qu’on puisse voir comment tout cela fonctionne dans la pratique. Pour ma part, je suis extrêmement optimiste quant au fait qu’une fois que toutes ces mesures auront été mises en œuvre, notre processus sera plus efficient et plus prévisible, sous réserve de ce que j’ai dit, et, certainement, les étapes seront plus rapides dans le cadre des diverses instances.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le sénateur C. Deacon : Je suis concentré sur la question touchant la productivité. Concernant les détails du projet de loi, je dois me fier aux experts. J’entends certaines préoccupations, et j’ai hâte de les approfondir, mais, à mes yeux, je les considère comme des modifications systématiques qui sont apportées à la loi dans le but de permettre que l’on change légèrement le processus. Une augmentation budgétaire de 30 p. 100 ne veut vraiment rien dire si on ne sait pas si les ressources allouées auparavant étaient excessives ou insuffisantes. Nous présumons qu’elles étaient insuffisantes, alors le budget est plus élevé de 30 p. 100. Les changements systémiques maintiennent-ils les processus tels quels, ou bien les améliorent-ils un peu, en ce qui concerne les instances qui pourraient s’adresser à vous, celles qui le font effectivement et dont vous vous occupez ensuite? Je veux seulement que vous me parliez de la mesure dans laquelle les changements systémiques permettent d’améliorer le processus décisionnel à l’égard du vaste éventail d’ententes qui sont conclues en dehors des travaux du tribunal, le rendent plus transparent et plus facile et motivent les parties à conclure des accords, au lieu d’avoir recours aux tribunaux.

Je suis vraiment perplexe au sujet des questions touchant la productivité, et il est à espérer que le projet de loi améliorera et facilitera vraiment le processus décisionnel qui permet aux marchés de fonctionner de façon indépendante et de s’autoréglementer, au lieu que nous ayons à intervenir et à établir un système qui ralentit tout. Peut-être que chacun d’entre vous pourrait simplement m’aider, en quelque sorte, car cette question me laisse perplexe.

M. de Beer : Je serais heureux de commencer en ce qui concerne la question de la productivité.

Dans le cadre de l’étude que j’ai menée pour Patrimoine canadien, ISED et la Commission du droit d’auteur — cette étude tripartite que j’ai mentionnée lors de notre dernière séance —, j’ai tenté de me rendre un peu en coulisses afin de comprendre ce que fait la commission toute la journée et ce que les gens qui y travaillent font de leur temps.

Même si M. Knopf a raison d’affirmer qu’il n’y a qu’une poignée de décisions d’envergure qui sont rendues chaque année et qui se rendent à la Cour d’appel fédérale et à la Cour suprême, le fait est que le projet de loi obligera la commission à s’occuper de toutes les affaires de tarifs et de sous-tarifs qui lui sont proposées. Au Canada, plus que dans tout autre pays, nous avons des sociétés de gestion qui proposent des tarifs dont la composition varie grandement. La seule façon de mesurer empiriquement ce qui se passe, puis de pouvoir mesurer les progrès par rapport à ce point de repère consiste à trouver une méthode qui tient compte de toutes les nuances. Cela ne fait pas de bonnes manchettes et, parfois, les chiffres sont consternants, mais il faut vraiment regarder le tableau dans son ensemble. La commission est une institution super achalandée qui assume beaucoup de responsabilités très importantes à l’égard de centaines de millions de dollars de tarifs par année.

Je pense que, dans l’ensemble, le projet de loi, ainsi que — fait plus important encore — sa place dans le budget et les ressources qui s’y rattachent, sera exceptionnellement utile. Je crois que, tout compte fait, le projet de loi amorcera un mouvement vers une solution au problème. S’agit-il d’une panacée? Non. Comme vous l’avez entendu pendant ma déclaration préliminaire, je pense qu’il y a des préoccupations et un risque que certaines dispositions puissent se retourner contre nous, mais, tout compte fait, il s’attaque certainement à un problème qui est réel, et il va certainement dans la bonne direction.

M. Knopf : Monsieur le sénateur, comme Jeremy y a fait allusion, nombre des tarifs ne sont pas contestés. Ils sont classés. Ils ne sont pas contestés. Il faut tout de même des années à la commission avant qu’elle approuve un tarif non contesté. Elle ne fait que rester là à faire je ne sais quoi, mais il lui faut des années avant de l’approuver. On vient tout juste de prendre une décision, la semaine dernière. Je ne l’ai pas lu en détail. Il lui a fallu cinq ans pour décider qu’il était inutile de fixer un tarif sur une question que la Cour fédérale avait tranchée bien des années auparavant, selon laquelle...

Le sénateur C. Deacon : Une précision. C’est quelque chose qui a été réglé au sein du marché, en tant que tel, et qui devait faire l’objet d’une certification.

M. Knopf : Peut-être que cela n’a pas du tout été réglé. Peut-être que le tarif a seulement été classé, et personne ne s’en est assez soucié, ou il était bien et plaisait aux gens, et ils n’ont pas jugé bon de s’y opposer. Les coûts associés à une opposition sont énormes, alors, parfois, les gens doivent se contenter de sourire et de le supporter. Même lorsqu’il n’y a aucun problème, il faut tout de même à la commission de nombreuses années avant de donner son approbation et d’utiliser son timbre en caoutchouc.

M. de Beer : Ce que veut dire M. Knopf, essentiellement, c’est que la commission éteint des feux. Elle réagit à des crises.

M. Knopf : L’autre chose, avant que j’oublie, et c’est un peu un suivi de la question posée par le sénateur Tannas, mais c’est aussi pertinent par rapport à la vôtre, c’est que le système américain doit être examiné parce que nous sommes pratiquement sur le même marché auquel participent un grand nombre des mêmes parties. Vous savez pourquoi il fonctionne? C’est parce qu’il exige que l’on rende une décision en 11 mois. C’est la loi. La personne qui s’est présentée, il y a deux ou trois ans, à la conférence que nous avions tenue et qui est membre de cette commission a affirmé qu’elle fonctionne parce qu’elle le doit. La loi prévoit qu’elle doit faire son travail en 11 mois, alors elle le fait. Ici, la loi prévoit que le travail doit être fait, eh bien, peut-être quand ça vous adonnera.

Oh, et une autre chose — ou problème —, à la commission, c’est que, si une personne prend sa retraite, elle peut continuer de délibérer sur des affaires qu’elle avait entamées, dans certains cas, pendant des années. Je ne sais pas combien ces personnes sont payées, et ce n’est vraiment pas le problème, mais il ne s’agit certainement pas d’un incitatif à un règlement rapide. Nous avons vu des commissaires retraités — je ne vais pas les nommer — attendre jusqu’à trois ans après leur départ à la retraite pour rendre une décision.

M. Chisick : Je pense qu’il est important que l’on mette ces choses en perspective. Le système américain, par exemple, est gravement limité du point de vue du nombre de tarifs qui peuvent être proposés et de leur durée, et ainsi de suite. En définitive, bien sûr, les juges du Copyright Royalty Board ont un échéancier fixe à respecter pour la prise de décisions, mais ils ont également une charge de travail fixe, et elle est très différente de celle des juges de notre commission, comme l’a déjà expliqué M. de Beer.

En ce qui concerne les gains au chapitre de la productivité, voici une autre raison qui explique mon optimisme : quelle que soit la façon dont vous comptez le nombre de tarifs qui sont certifiés, incidemment, vous découvrirez que la grande majorité du travail que fait la commission est consacré à l’examen et à la certification de droits d’exécution et de tarifs de rémunération équitable proposés par la SOCAN et par Ré:Sonne, et, comme l’a affirmé M. de Beer, ces organismes ont proposé ces tarifs sous le système actuel parce qu’ils n’ont aucune autre possibilité. Ils doivent le faire, ou on peut affirmer qu’ils n’ont pas le droit de toucher cette rémunération. Le projet de loi corrige cette situation en leur permettant d’aller sur le marché et de négocier des ententes avec les utilisateurs, lorsqu’il est possible de négocier des ententes.

Je dis cela parce que, d’un point de vue réaliste, il est très peu probable, à mon avis, que les ressources leur permettent d’aller négocier chaque entente auprès de chaque bar, restaurant et salon de coiffure du pays ou, d’ailleurs, auprès de chaque amuseur de rue et fanfare. Je m’attends à ce qu’ils continuent de proposer des tarifs à ces fins, car les frais de transaction associés à la prise de toute autre mesure seraient énormes.

Je crois que, là où ce pouvoir sera utile, c’est dans le cas des grands utilisateurs institutionnels, comme Google et Spotify, et d’autres services qui mènent des activités au Canada et au sujet desquels il est très difficile de faire valoir qu’il existe une relation anticoncurrentielle entre la société de gestion et les utilisateurs ou qu’ils ne sont pas sur un pied d’égalité.

En pratique, ce qui se passe déjà, c’est que ces ententes sont négociées sur le marché et qu’il y a des problèmes liés à la capacité de les faire appliquer. Elles sont négociées parce que l’échéancier pour la certification de ces tarifs est tellement long que, en réalité, jusqu’à ce moment-là, il n’y a eu aucune autre solution de rechange pratique que de permettre aux acteurs du marché de conclure des ententes ou de s’assurer que des ententes sont conclues de manière à permettre aux services d’être instaurés en attendant que les tarifs soient certifiés. Le fait de permettre à ces services d’être offerts et à ces sociétés de négocier des ententes qui sont clairement contraignantes et exécutoires et qui sont conclues entre un acheteur et un vendeur consentants, si on veut, devrait réduire la charge de travail de la Commission du droit d’auteur dans la mesure où les commissaires sont actuellement forcés d’examiner, en tentant compte de l’intérêt public, un tas de tarifs qui ne constituent peut-être pas le moyen le plus efficace pour ces marchés d’évoluer au pays.

Le président : Je crois que le sénateur Wetston a une courte question complémentaire à poser.

Le sénateur Wetston : Je pense que je peux attendre, car ma question portera notamment sur le rôle du gouverneur en conseil dans l’établissement des échéanciers pour un tribunal administratif qui doit maintenir son indépendance et son emprise sur ces procédures. On ne peut pas mettre en place un processus de gestion des cas, puis demander au gouverneur en conseil d’établir les échéanciers. De mon point de vue, il s’agit d’une considération importante.

La sénatrice Wallin : J’ai posé de nombreuses questions et obtenu bien des réponses, mais, maintenant, j’en ai une nouvelle qui m’est inspirée des propos de M. Knopf. Vous avez affirmé que les coûts liés au dépôt d’une opposition sont outrageusement élevés. Pouvez-vous expliquer cette partie du processus?

M. Knopf : Eh bien, pour déposer une opposition — à moins que vous vous représentiez vous-même, ce qui est une chose terrible à envisager à la commission —, vous devez retenir les services d’un avocat et, habituellement, le coût de l’ouverture de ce genre de dossier s’élève à des centaines de milliers de dollars, si ce n’est plus. Vous devez embaucher des experts. Vous devez répondre à des interrogatoires qui sont honteusement dénués de pertinence, mais la commission ne rappelle jamais les interrogateurs à l’ordre. Ils veulent connaître toutes sortes de détails non pertinents. Vous vous retrouvez liés par toutes sortes de motions au sujet de ce qui est confidentiel et de ce qui ne l’est pas, et presque tout cela ne voit jamais la lumière du jour. Si on était conspirationniste ou paranoïaque, on penserait que c’est peut-être fait dans le but de décourager le dépôt d’oppositions. Quoi qu’il en soit, la commission n’y met pas vraiment un frein. Les questions qui ne seraient jamais permises devant un tribunal, par exemple, sont courantes.

La sénatrice Wallin : S’agit-il d’un coût individuel? Il n’existe aucune subvention?

M. Knopf : À l’exception de deux ou trois personnes étranges qui ont fait un passe-temps du fait de s’opposer devant la Commission du droit d’auteur, il s’agit habituellement d’opposants institutionnels. Certains d’entre eux sont très bien dotés en ressources, comme l’Association canadienne des radiodiffuseurs, même si elle a cessé ses activités en tant qu’entité à temps plein. Vous connaissez très bien ce secteur d’activité. L’ACR n’existe plus, mais elle participe aux audiences de la commission à grands frais, j’en suis certain.

Les coûts sont asymétriques. Les sociétés de gestion reçoivent, dans le cas de la SOCAN, plus de 300 millions de dollars par année et, dans le cas de Ré:Sonne, je crois que c’est bien plus de 100 millions de dollars. Dans le cas d’Access Copyright, autrefois, c’était 50 ou 60 millions de dollars. Les revenus de cet organisme ont baissé, pour des raisons que nous n’aborderons pas. Quoi qu’il en soit, la société dépense l’argent de ses membres, essentiellement, pour demander toujours plus de tarifs, et elle le dépense à la Commission du droit d’auteur.

M. de Beer : Les difficultés liées à l’opposition sont l’une des raisons pour lesquelles la participation du public est très importante. Si on regarde la fiche de renseignements du gouvernement qui a été publiée relativement à la Loi d’exécution du budget, il est question d’établir un mécanisme permettant une plus grande participation du public. C’est crucial.

L’un des défis auxquels la commission fait face tient au fait qu’elle doit essentiellement représenter l’intérêt public à elle seule. Aucune procédure ne prévoit que des intervenants se présentent devant elle pour dire que ceci est dans l’intérêt du public, comme c’est le cas au CRTC, par exemple. Si nous pouvions fournir un modèle comme celui du CRTC pour le financement de la représentation de l’intérêt public à la commission, cela entraînerait de meilleures décisions et soulagerait la commission de la tension associée au fait de faire ce travail à l’interne.

M. Chisick : Les coûts liés aux instances devant la commission sont une source de préoccupation des deux côtés, n’est-ce pas? Je ne commencerai pas à ergoter sur tout ce qu’a dit mon ami, M. Knopf, au sujet des pratiques des sociétés, des grandes associations commerciales ou de n’importe quelle entité. Le fait est que, comme je l’ai affirmé dans ma déclaration préliminaire, le coût est élevé, et je tiens à m’assurer que les coûts sont maintenus ou réduits par le projet de loi et qu’il n’a pas pour conséquence imprévue de les faire gonfler.

Le sénateur Duffy : Vous avez mentionné l’ABC et le CRTC. Pendant que j’écoutais les discussions, y compris le témoignage que nous avons entendu plus tôt aujourd’hui, cela m’a rappelé le CRTC d’il y a 40 et 50 ans et l’opération relative aux aliments et drogues, où tous les radiodiffuseurs de toutes les petites chaînes devaient envoyer par télécopieur ou télex le script d’une annonce publicitaire pour la pharmacie locale à une personne qui se trouvait à Ottawa afin qu’elle y appose un timbre en caoutchouc et fournisse un numéro, et on se rendait à Kamloops et à Corner Brook faire la queue à un comptoir afin de pouvoir diffuser l’annonce pour le Shopper’s Drug Mart local. C’était incroyablement rétrograde, et le processus a été modifié de façon radicale. Selon vous, la commission a-t-elle le moindre intérêt quant au déploiement d’efforts sincères dans le but de tenter de suivre l’exemple du CRTC, ou bien est-elle trop absorbée par son statut quasi judiciaire pour le faire? Autrefois, le CRTC tenait des audiences sur tout, et, maintenant, il en tient relativement rarement comparativement au nombre de décisions qui sont rendues parce que, en fait, elles concernent des questions de routine.

M. Knopf : Comme je l’ai mentionné plus tôt, et comme en a convenu mon ami Jeremy, il serait bien que l’on dispose d’un mécanisme comme celui du CRTC, qui permettrait à des groupes d’intérêt public de comparaître et de s’opposer à des tarifs de Bell ou de certains des autres gros joueurs et de se faire rembourser une somme raisonnable pour le coût que cela a entraîné. J’ai cru entendre des représentants du gouvernement du Canada, lors d’une téléconférence, affirmer que c’est ce qu’ils proposent, et c’est sous-entendu dans leur document. Toutefois, c’est franchement trompeur parce que cela ne figure pas dans le projet de loi et que, comme vous le savez, cela doit y figurer. Si certains groupes se font rembourser pour leurs interventions devant le CRTC, c’est parce que la loi prévoit que ce doit être le cas.

M. de Beer : Le projet de loi contient certaines mesures, monsieur le sénateur Duffy. Par exemple, la disposition selon laquelle il faut publier les tarifs proposés dans la Gazette du Canada sera éliminée, alors la commission pourra procéder comme bon lui semble, car elle sera mieux connectée aux utilisateurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’affectation budgétaire est très importante. Elle permettra à la commission de moderniser ses systèmes, pas seulement son site web, comme le mentionne le communiqué de presse du gouvernement, mais tous ses systèmes permettant de gérer les cas de façon plus efficiente.

M. Chisick : L’autre élément que nous n’avons pas encore mentionné aujourd’hui, c’est que, le projet de loi donne à la commission le mandat de tenir toutes ses instances le plus informellement et rapidement possible, en fonction des considérations relatives à l’équité. Il s’agit d’une disposition extrêmement importante qu’il ne faudrait pas sous-estimer parce que, d’après mon expérience auprès des commissaires — qui sont des personnes bien intentionnées qui triment dur —, ils sont eux-mêmes conscients du fait que la nature quasi judiciaire de leur processus est fondamentale pour l’équité. Le projet de loi prévoit que l’on peut et que l’on doit emprunter des voies pour tenir ses instances de façon informelle et rapide, si possible.

L’autre chose qui doit simplement être dite, c’est que notre président est relativement nouveau. Nous avons une toute nouvelle vice-présidente, que je tiens personnellement en très haute estime. Trois nouveaux commissaires ont été nommés au cours des dernières semaines ou des deux ou trois derniers mois. Je pense qu’un nouveau jour se lève à la Commission du droit d’auteur et que, en plus des réformes prévues dans le projet de loi, c’est une partie importante de ce qui me rend optimiste.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Knopf, je suis perplexe devant les dispositions qui traitent de la Loi sur le droit d’auteur dans le projet de loi C-86. Je crois que les très longues procédures qui peuvent durer des années peuvent entraîner des litiges très onéreux pour les auteurs. J’ai l’impression que les honoraires de tout le monde sont plus élevés que les droits qui seront perçus par les auteurs. Cela dit, évidemment, comme je vous le disais, je suis perplexe. Ceux qui peuvent réclamer des droits d’auteur ne sont pas toujours des géants de l’industrie qui ont des moyens financiers infinis et qui peuvent se payer des avocats aussi qualifiés que vous. D’ailleurs, je connaissais personnellement un avocat qui travaillait pour la Sartec, à Montréal. Diriez-vous que les nouvelles dispositions du projet de loi vont contribuer à rendre les recours encore moins accessibles aux plus petits qui voudraient faire respecter leurs droits?

[Traduction]

M. Knopf : C’est une excellente question, bien qu’elle soit complexe. Ce que je vais vous dire est anecdotique, mais j’ai tenté en vain de convaincre la commission d’examiner les mécanismes internes des sociétés de gestion pour déterminer, par exemple, de simples faits, comme les versements annuels moyens et médians aux membres. La Commission n’osera pas y toucher. Elle dit que cela ne la regarde pas. Évidemment, tout est là, car c’est au profit des auteurs, des créateurs et des musiciens. Ce n’est ni au profit des avocats qui font généralement partie du personnel de ces sociétés de gestion, ni au profit des cabinets d’avocats qui les représentent, mais ce sont eux qui font le plus d’argent.

Voici une statistique qui va vous choquer. C’est anecdotique, mais j’ai de très bonnes raisons de croire que c’est exact. Le membre moyen de la SOCAN est chanceux si la SOCAN lui verse 200 ou 300 $ par année. Le membre moyen d’Access Copyright... Il se trouve que j’en suis membre, et je suis au-dessus de la moyenne, selon mon étude empirique. Je viens de recevoir un chèque de 84,10 $. C’est plus que ce que reçoivent d’autres personnes que je connais.

La plupart des membres ne bénéficient pas de ce système. Les créateurs individuels qui s’enrichissent grâce aux droits d’auteurs perçus ou même qui vivent décemment sont des personnes comme Margaret Atwood ou ce professeur de l’Université de Toronto, Jordon Peterson, qui vient d’écrire un livre sur les 12 étapes. Ces personnes s’en sortent très bien dans le système de droits d’auteur. La plupart des créateurs ne gagnent presque rien avec ce système et feraient mieux de garder leur emploi.

Les avocats et les cadres concernés par...

Le président : Merci, Monsieur Knopf, nous avons compris votre point de vue.

M. Chisick : J’ai bien peur que les preuves empiriques avancées par M. Knopf, si on peut les appeler ainsi, occultent certains faits importants concernant la confiance des auteurs et des autres intéressés envers le travail des sociétés de gestion, un travail qu’eux-mêmes étaient incapables de faire autrement. Il y a une poignée de gens dans notre pays qui soulèvent constamment des préoccupations sur les activités des sociétés de gestion et sur l’argent versé aux membres, et ainsi de suite. Bien sûr, ils ont le droit de le faire. Ils ont le droit de soulever ces préoccupations. La réalité, pour les artistes et les auteurs — il se trouve que mon épouse est une artiste —, c’est qu’il leur serait pratiquement impossible de percevoir des droits d’auteur pour toute utilisation de leur travail, sans l’intervention des sociétés de gestion, il leur serait absolument impossible de le faire. Le simple fait d’accuser sans aucune preuve les sociétés de gestion et les personnes qui les gèrent de se donner des salaires exorbitants, et ainsi de suite, est une allégation inquiétante. Je pense qu’il faudra également envisager une mesure qui contrebalance tout cela.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je n’aime pas ce que je vais dire, mais je vais le dire quand même. Est-ce qu’on ne devrait pas recommander la création d’un comité de révision de façon à mieux gérer les droits d’auteur et afin d’entendre les personnes réellement concernées, qui sont les auteurs?

[Traduction]

M. Knopf : Je n’ai pas eu l’occasion de réfléchir à cela. C’est une bonne question. Actuellement, nous avons une commission dysfonctionnelle. Je ne suis pas certain que nous en avons besoin d’une autre. Je pense que nous devons pousser celle-ci à faire son travail.

Le président : Pourrait-on répondre à cette question par oui ou par non?

M. Knopf : Je pense que la réponse serait non, laissons la commission faire son travail correctement.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

Le sénateur Tkachuk : Avant de poser ma question, j’aimerais simplement demander quelque chose à M. de Beer, à titre d’information : avez-vous dit que vous avez fait du travail de consultation pour la commission ou du travail concernant la commission? Pourriez-vous nous dire si vous travaillez à titre de consultant pour la commission de temps en temps?

M. de Beer : Oui, de temps en temps. Auparavant, j’étais conseiller juridique pour la commission. C’était mon premier emploi après celui de greffier à la Cour d’appel fédérale. Pendant un certain nombre d’années, je conseillais occasionnellement la commission sur des affaires touchant le régime des titulaires de droits d’auteur introuvables, par exemple, ou sur certaines questions de politique. J’ai aidé la commission à évaluer les répercussions d’éventuelles réformes de politiques et de procédures dans le cadre des enjeux dont nous discutons actuellement, justement, ces projets de loi en particulier. Toutefois, je ne suis plus...

Le sénateur Tkachuk : Vous auriez donc travaillé pour la commission en lui proposant peut-être certaines des mesures législatives que nous avons sous les yeux?

M. de Beer : Oui, précisément, en aidant la commission à comprendre quelles seraient les répercussions possibles, en me basant sur ma précédente étude sur le patrimoine que j’ai menée pour ISDE, Patrimoine canadien et la commission.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Chisick, votre entreprise représente-t-elle les sociétés de gestion? Représentez-vous les sociétés de gestion?

M. Chisick : Nous représentons certaines sociétés de gestion. Nous représentons également un grand nombre d’utilisateurs. Comme je l’ai dit au début, notre pratique couvre la collectivité des utilisateurs, la collectivité des titulaires de droits d’auteur et toutes les différentes permutations et combinaisons. Cependant, quand j’ai comparu devant la commission, c’était généralement au nom des sociétés de gestion. J’ai également participé aux travaux de la commission au nom des utilisateurs.

Le sénateur Tkachuk : Quand nous avons examiné cela, avec le Comité des banques, il y avait de nombreuses inquiétudes quant au temps que prend la commission pour arriver à des décisions, et au fait qu’elle prend trop de temps. À cette époque, selon nous tous, tout cela n’avait rien à voir avec les mesures législatives, cela concernait la commission elle-même. La plupart d’entre nous, y compris moi, ont conclu que les membres de la commission étaient incompétents et que c’était la cause majeure du problème. Il ne s’agissait pas d’imposer une mesure législative pour la forcer à réaliser certains travaux. Est-ce que ce sont les dispositions législatives qui ont causé le problème précédent ou c’est la commission elle-même?

M. de Beer : Je crois fermement que c’était le cadre législatif. Vous vous rappelez peut-être mon témoignage il y a deux ans, où j’expliquais la complexité des dispositions législatives que la commission était essentiellement chargée d’administrer.

La loi a été considérablement modifiée à la fin des années 1980, puis une fois de plus à la fin des années 1990 et encore en 2012, mais on n’a pas tenu compte du problème de la mise en œuvre. La loi a simplement été changée et modifiée à plusieurs reprises, et la commission avait toujours plus de travail. Personne n’y a pensé jusqu’à ce qu’une crise survienne. C’était une crise telle que les gens se sont dit soudainement : « Nous aurions peut-être dû planifier cela et régler le problème. »

Je pense qu’il est important de préciser que la commission fait face à un manque d’effectifs chronique. Jusqu’à très récemment, comme l’a souligné M. Chisick, la plupart des sièges de la commission étaient vides, en raison de la complexité des questions à traiter. Il ne s’agit pas seulement des décisions, comme l’a souligné M. Knopf. Cela concerne tous les éléments de preuve et ce qu’on appelle les interrogatoires, la phase de prolongation. Pour traiter cette question, il faut énormément d’appui du personnel. Je le sais, car j’ai travaillé temporairement au sein de la commission.

C’est vraiment une solution qui nécessite certainement une modification réglementaire, si ce n’est pas une modification législative.

Le sénateur Tkachuk : Avons-nous une solution législative ou réglementaire dans ce projet de loi?

M. de Beer : J’aurais personnellement préféré que ce travail soit fait davantage par voie de règlement et moins par voie législative, de sorte que les questions les plus difficiles que j’ai mentionnées tout à l’heure seraient traitées par le Comité de l’industrie, dans le rapport sur l’article 92. Je pense que cela aurait été mieux, mais ce n’est pas si terrible que ça .

Le sénateur Tkachuk : En tant que membres du comité, nous ne nous intéressons pas réellement à la commission elle-même. Notre intérêt, c’est que les artistes, les gens qui écrivent des livres et les gens qui enregistrent de la musique soient payés aussi vite que possible, et que les utilisateurs de toute cette musique règlent leurs problèmes aussi vite que possible. C’est tout ce que nous voulons, car c’est ça, le travail du commerce. Si ce travail n’est pas accompli, alors personne ne fait son travail. La loi ne fait pas son travail, et la Commission du droit d’auteur non plus. J’aimerais avoir votre avis à ce sujet, savoir s’il y a eu des améliorations au bout d’une année et savoir ce que nous pourrions faire après cela.

M. Chisick : Nous avons tous aujourd’hui, à des degrés différents, exprimé certaines inquiétudes sur des points précis du projet de loi que nous avons sous les yeux. J’ai dit, et je le répète, je pense que dans l’ensemble ce que vous avez sous les yeux est une mesure législative très constructive qui donne en effet à la commission beaucoup des outils dont elle a besoin pour régler les problèmes. Je suis d’accord avec M. de Beer pour dire que la commission a été limitée à la fois par les régimes législatifs existants et par des problèmes de ressources. Actuellement, nous réglons les deux problèmes. En tant que personne qui comparaît régulièrement devant la commission et dont les clients se fient à l’efficacité de ses processus, je pense que c’est une étape constructive et un pas dans la bonne direction, malgré certaines inquiétudes que d’autres personnes et moi avons soulevées. Je crois que nous faisons de grands progrès.

M. Knopf : Je pense que la commission n’a absolument aucun problème de ressources. Comme ma défunte mère avait l’habitude de dire — qu’elle repose en paix — : « Si tu veux qu’une chose soit faite rapidement, confie-la à une personne occupée. »

La commission a peu de choses à faire, mais elle prend beaucoup de temps pour les faire. Pourquoi la Commission du droit d’auteur a-t-elle besoin de beaucoup plus de ressources que le Tribunal de la concurrence, par exemple? La commission a déjà près de 10 p. 100 du budget de la Cour suprême du Canada, qui s’occupe de 600 ou 800 autorisations d’appel et qui rend 80 arrêts complexes par année. Ce pourcentage passera à 15 ou 10 p. 100 du budget de la Cour suprême du Canada parce qu’elle aura rendu trois décisions par année. Ce n’est donc pas un problème de ressources. La loi est assez simple pour quiconque a passé un tant soit peu de temps à étudier la Loi sur le droit d’auteur. Franchement, le problème, c’est que les membres de la commission n’ont pas beaucoup de travail et prennent beaucoup trop de temps pour le faire, et la situation ne fera qu’empirer.

Autre chose : si nous utilisons ces ressources supplémentaires, nous ne saurons plus qui prend les décisions. Comme le savent tous ceux d’entre vous qui sont avocats — nous avons avec nous un ancien juge très distingué —, la personne qui prend les décisions est la personne qui décide. Vous ne pouvez pas demander au personnel de faire des recherches et de les utiliser pour rendre une décision. C’est la personne qui entend les témoignages qui devra rendre une décision en se fondant sur les témoignages qu’elle a entendus. Ce ne sera plus possible.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur de Beer, avez-vous autre chose à ajouter?

M. de Beer : J’aimerais reconnaître l’importance du travail qu’a réalisé ce comité il y a deux ans en publiant le rapport qui a mis le feu aux poudres et qui a mené à cela. Tout le monde croit que ce travail peut être fait en moins de deux ans, mais en réalité, il s’agit d’un processus complexe, et il n’est pas si mauvais. C’est donc une bonne chose.

Le sénateur Tkachuk : Merci.

Le président : Merci beaucoup aux témoins. C’était un débat animé. J’ai dû intervenir un peu plus que d’habitude, mais je sens certaines pressions à ma gauche pour faire avancer les choses. Cela a été très utile. Je vous remercie également pour vos commentaires sur le travail que nous avons fait il y a deux ans.

Nous continuons l’étude du projet de loi C-86, de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, en particulier la section 7 de la partie 4. Avec ce groupe de témoins, nous examinons les sous-sections A, la Loi sur les brevets; B, les marques de commerce; C, les avis de prétendue violation; E, le maintien des droits d’utilisation; et, enfin, G, la Loi sur le Conseil national de recherches.

J’ai le plaisir d’accueillir, dans notre deuxième groupe de témoins, M. Patrick Smith, président de l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada; à titre personnel, M. Richard Gold, professeur à l’Université McGill, qui témoignera par vidéoconférence; Mme Teresa Scassa, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’information, de l’Université d’Ottawa; M. Michael A. Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa; et, enfin, M. Scott Smith, directeur principal, Propriété intellectuelle et politique d’innovation, Chambre de commerce du Canada, du Conseil canadien de la propriété intellectuelle.

Je vous remercie tous d’être venus. Nous avons hâte d’entendre vos déclarations préliminaires; et nous passerons ensuite aux questions.

Patrick Smith, président, Institut de la propriété intellectuelle du Canada : Avant tout, j’aimerais remercier le comité d’avoir invité l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada, qu’on appelle aussi l’IPIC, à présenter ses principales réflexions sur les modifications législatives proposées dans le projet de loi C-86 et à répondre à toutes vos questions. Comme vous le savez probablement déjà, l’IPIC est l’association professionnelle canadienne des agents de brevets, des agents de marques de commerce et des avocats spécialisés en propriété intellectuelle.

Pour commencer, je tiens à vous dire que l’IPIC est d’accord avec les objectifs et les besoins énoncés par le gouvernement dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie nationale en matière de propriété intellectuelle qui aidera les entreprises canadiennes à être concurrentielles sur la scène internationale. Cependant, pour un grand nombre des modifications législatives proposées aux sous-sections A, B, C, F, G et H de la section 7, les consultations ont porté sur le principe, et il n’a pas été question de la transition, de la mise en œuvre ou du libellé du projet de loi. Par conséquent, nous croyons qu’il serait possible d’améliorer ces modifications si les professionnels de la propriété intellectuelle et les entreprises innovatrices du Canada étaient consultés davantage.

En préparation à mon témoignage d’aujourd’hui, nous avons demandé aux experts en la matière de l’IPIC de formuler un petit nombre de recommandations clés à propos des problèmes qu’ils avaient cernés dans les modifications proposées de la législation relative à la propriété intellectuelle. Puisque nos comités n’ont toujours pas terminé leur examen des lois, nous vous ferons parvenir la semaine prochaine un document exhaustif comprenant nos recommandations détaillées. Mon témoignage d’aujourd’hui ne sert que de préambule.

Le premier problème est le manque de clarté en ce qui a trait à la période de transition appropriée. Je parle ici de l’article 52.1, de l’article 55.3 et tout particulièrement de l’article 53.1, qui prévoit de modifier les règles touchant l’irrecevabilité fondée sur le dossier de la demande. Essentiellement, les antécédents judiciaires seraient désormais admissibles en preuve dans le cadre d’une procédure. Cela va à l’encontre de la jurisprudence, et la disposition de transition proposée à l’article 201 ne prévoit pas d’exemptions pour les poursuites judiciaires actives, les demandes de brevets en cours et les brevets en vigueur qui ont été octroyés selon l’ancien régime. De façon générale, sauf si des raisons stratégiques le justifient, il est inapproprié d’imposer rétroactivement aux titulaires de droits des règles qui modifieraient substantiellement leurs droits.

Le deuxième problème concerne le remplacement de l’article 56 de la Loi sur les brevets par les paragraphes 56(1) à (11) proposés dans le projet de loi. Lorsque l’objet d’un brevet a précédemment été utilisé par une autre personne ou une autre entreprise, l’utilisateur antérieur peut, en vertu de la loi en vigueur, continuer d’utiliser le contenu qu’il a déjà produit et, une fois que le brevet est octroyé, il lui est interdit de produire davantage de contenu puisque cela constituerait une contrefaçon. Les modifications proposées à l’article 56 élargissent considérablement les droits des utilisateurs antérieurs. Advenant la mise en œuvre de ces modifications, un utilisateur antérieur pourrait transférer ses droits à un tiers, ce qui empiéterait considérablement sur les droits du titulaire subséquent du brevet. Le système de brevets est censé encourager les inventeurs non pas à garder secrètes leurs inventions, mais bien à les révéler, et la modification proposée à l’article 56 va à l’encontre de cet objectif, puisqu’elle favorise les utilisations secrètes.

Je vais maintenant aborder le sujet des marques de commerce. Nos membres voient d’un bon œil la politique prévue à la sous-section B visant à prévenir le dépôt de marques de commerce de mauvaise foi. Selon les nouvelles dispositions, la marque de commerce doit être utilisée au cours des trois premières années suivant l’enregistrement pour que le titulaire ait accès à des recours. La position de l’IPIC est qu’il s’agit d’une solution superficielle au problème que le projet de loi C-31 de 2014 avait créé en supprimant l’exigence selon laquelle les déposants d’une marque de commerce devaient démontrer que la marque était employée antérieurement à la demande d’enregistrement.

Nos membres croient fermement que les modifications proposées à la Loi sur les marques de commerce dans le projet de loi C-86 seraient plus efficaces si elles exigeaient simplement de démontrer que la marque de commerce était employée au moment où la demande d’enregistrement est présentée. Le retrait de l’exigence relative à la déclaration d’emploi antérieure à l’enregistrement de la marque de commerce a favorisé les spéculateurs de marques de commerce, c’est-à-dire les entités qui revendiquent une marque de commerce sans avoir réellement l’intention de l’employer au Canada. Sous ce régime, les enregistrements demeurent inscrits au registre même si la marque de commerce n’est pas utilisée, et ce, à moins qu’une autre partie qui cherche à employer la marque de commerce ne dépose une contestation à ses frais. Cela défavorise énormément les entreprises canadiennes qui utilisaient ou qui ont l’intention véritable d’employer une marque similaire. Les PME du Canada sont particulièrement désavantagées face à ce genre de coûts supplémentaires.

J’en viens maintenant au droit d’auteur. Nos membres souhaitent féliciter le gouvernement des modifications proposées des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur visant à reconnaître le rôle déterminant de la Commission du droit d’auteur dans l’évolution des dispositions législatives sur le droit d’auteur dans l’économie numérique moderne. Les nouvelles dispositions ont comme objectif la mise en place d’un processus décisionnel plus efficace, et, aux fins de ces objectifs, nous fournirons au comité des observations écrites sur d’importantes questions de nature technique.

Par exemple, l’intention sous-jacente du paragraphe 68.3(1) proposé est de rendre explicite le fait qu’une société de gestion collective peut présenter une demande à la commission en vue de suspendre un tarif ou d’exempter une loi d’un tarif proposé. Cependant, le libellé actuel risque de limiter la capacité de ces sociétés de modifier ses tarifs pendant une instance tarifaire. Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles un groupe voudrait modifier ses tarifs dans le cadre habituel des instances tarifaires. Par exemple, il arrive souvent qu’une société de gestion collective demande un taux tarifaire différent une fois que tous les interrogatoires par écrit sont terminés et que les preuves sont déposées. Elle pourrait aussi réagir aux diverses oppositions en modifiant le libellé de son tarif.

Nous tenons pour acquis que le but de la modification était de renforcer la capacité des sociétés de modifier leur dossier avec l’autorisation de la commission, et non de la restreindre, et c’est pourquoi l’IPIC vous proposera une modification technique pertinente.

C’étaient là tous nos commentaires. Comme vous l’avez constaté, certaines modifications sont très importantes et auront une incidence très grande sur les entreprises canadiennes, en particulier les PME. C’est pourquoi nous recommandons fortement au gouvernement de mettre sur pied des groupes de travail qui s’assureront que les modifications soient analysées, en collaboration avec des professionnels du milieu de la PI, en vue de leurs applications concrètes.

Le président : Nous vous saurions gré de nous faire parvenir aussi tôt que possible les documents que vous avez mentionnés.

M. P. Smith : Merci, monsieur le président.

Le président : Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous allons passer tout de suite à M. Gold. Nous voulons éviter de perdre la liaison vidéo, parce que nous voulons entendre tout ce que vous avez à nous dire. Allez-y.

Richard Gold, professeur, Université McGill, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui. Je vous suis reconnaissant de me permettre de témoigner par vidéoconférence. De cette façon, je n’aurai pas à manquer ma rencontre parents-enseignants de ce soir.

Je suis professeur aux facultés de droit et de médecine de l’Université McGill. Comme d’autres de mes collègues qui sont venus témoigner, je suis agrégé supérieur au Centre for International Governance and Innovation, soit le centre d’innovation et de gouvernance international. La propriété intellectuelle et l’innovation sont mes domaines de spécialité, et je m’intéresse tout particulièrement au droit des brevets. Au cours de ma carrière, j’ai fourni du soutien à titre d’expert au gouvernement fédéral et à certains gouvernements provinciaux ainsi qu’à l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, à l’Organisation mondiale de la Santé et à l’Organisation de coopération et de développement économiques. J’ai aussi témoigné devant des comités législatifs au Canada et aux États-Unis et au regard de certains dossiers devant la Cour suprême du Canada. Je crois pouvoir dire avec suffisamment de certitude que je suis un des principaux experts indépendants en matière de droit des brevets au Canada comme à l’étranger.

Dans l’ensemble, je félicite le gouvernement d’apporter ces modifications aux lois touchant la propriété intellectuelle et en particulier la Loi sur les brevets. Selon moi, ces modifications sont avant tout des changements d’ordre administratif. Par exemple, l’une des dispositions concerne l’octroi de brevets essentiels à une norme, une pratique de plus en plus importante. Si nous voulons préserver l’intégrité de ces normes, nous devons veiller à ce que les brevets qui les sous-tendent soient facilement accessibles.

Un autre exemple touche l’article 193 du projet de loi, qui prévoit l’ajout de l’article 55.3 à la Loi sur les brevets, ce qui aurait pour effet d’harmoniser les lois du Canada avec celles de l’Europe. Cela a d’autant plus de pertinence depuis la conclusion de l’Accord économique et commercial global. La nouvelle disposition rend explicite le fait que même les expérimentations commerciales avec une invention brevetée sont permises.

Je salue également les dispositions relatives aux demandes écrites qui sont prévues à l’article 195, mais j’attends tout de même de voir les détails du règlement avant d’en dire plus.

En 2000, j’ai publié un article sur les problèmes qui surviennent relativement aux licences d’utilisation d’un logiciel en cas de faillite de la partie concédante. Dans ce contexte, le syndic autorisé peut revendre le droit d’auteur, et le nouveau titulaire n’a pas à honorer les licences octroyées en vertu du droit canadien. La situation est toute autre aux États-Unis, et par conséquent, les détenteurs de licences au Canada sont exposés à un risque tout particulier. Le problème est résolu grâce à l’article 266 du projet de loi, et les Canadiens seront sur un pied d’égalité avec leurs voisins du sud.

Pendant le temps qu’il me reste, je vais aborder l’article 191 du projet de loi, qui prévoit l’ajout de l’article 53.1 à la Loi sur les brevets. En vertu de ce nouvel article, les tribunaux pourront examiner les communications écrites entre le représentant d’un titulaire de brevet et le Bureau des brevets relativement à une revendication. Cette modification de la loi canadienne sur les brevets s’aligne sur ce qui se fait aux États-Unis. Cela aura pour effet d’empêcher que les titulaires potentiels disent une chose à l’examinateur pour obtenir un brevet, puis l’inverse devant le tribunal pendant une poursuite contre une tierce partie pour contrefaçon. En l’absence d’une telle disposition, le titulaire d’un brevet pourrait, très franchement, ne pas être tenu de dire la vérité. Cette situation peut facilement mener à des abus.

Présentement, il semble que les tribunaux canadiens penchent en faveur de l’assouplissement des normes relatives au droit des brevets; il est plus facile de les obtenir et de les conserver, alors que les tribunaux des États-Unis font exactement l’inverse. Au cours des 10 dernières années environ, les tribunaux américains, grâce à la disposition habilitante, ont resserré les critères relatifs à l’objet du brevet, à la non-évidence et à l’utilité. Les tribunaux canadiens, comme je l’ai dit, on fait l’inverse. Ils ont assoupli les restrictions relatives à l’objet du brevet, bien au-delà de ce qui se fait aux États-Unis ou en Europe. Le critère de « l’essai allant de soi » en vigueur aux États-Unis est devenu le critère de « la réussite allant de soi ». Ainsi, n’importe quelle utilisation, même si elle est très banale, peut justifier l’octroi d’un brevet. Le résultat est que la Loi sur les brevets au Canada favorise nettement les titulaires de brevets, par rapport aux lois adoptées par nos partenaires commerciaux. Les nouvelles règles en matière de preuve ne permettent pas de renverser la vapeur; elles serviront plutôt à prévenir une érosion encore plus poussée des normes canadiennes en matière de brevet.

Même si je soutiens la disposition, il y a deux lacunes dans l’article 53.1 que j’aimerais mettre en relief, puisqu’elles peuvent être facilement corrigées. Premièrement, l’article ne s’attaque qu’à une moitié du problème : la détermination de l’objet de la revendication. On fait fi de la deuxième moitié, c’est-à-dire la nécessité d’établir la raison d’être ou l’utilité de l’invention. L’année dernière, dans l’arrêt AstraZeneca c. Apotex, la Cour suprême du Canada a statué clairement aux paragraphes 54 et 55 que les tribunaux doivent d’abord cerner l’objet de l’invention suivant le libellé, puis, deuxièmement, cerner « une seule utilisation liée à la nature de l’objet » de la revendication, c’est-à-dire son utilité.

Pour que ce processus en deux étapes fonctionne, cependant, il faut cerner autant l’objet que l’utilité du brevet à la lumière de la même preuve documentaire. Il serait incohérent d’examiner les communications écrites pour cerner l’objet de la revendication, mais pas pour en cerner l’utilité. Dans cette optique, je recommande de modifier le paragraphe 53.1(1) qui est proposé de la façon suivante : ajouter « ou à son utilité » après « l’interprétation des revendications se rapportant au brevet ».

La seconde lacune tient au fait que la disposition n’inclut pas les communications de vive voix. Il s’agit d’une omission importante, étant donné que les titulaires de brevets ou leurs représentants téléphonent souvent au Bureau des brevets, et leurs engagements relatifs à l’interprétation des revendications ne sont donc pas consignés. Je propose donc que le nouvel article concerne aussi les « communications consignées par écrit » en plus des « communications écrites ». Nous devons aussi demander au Bureau des brevets de consigner par écrit les communications de vive voix.

Merci beaucoup de votre attention. Je répondrai maintenant à vos questions avec plaisir.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Gold. Je vous souhaite bonne chance pour votre réunion parents-enseignants de ce soir. Je me rappelle que cela m’angoissait toujours.

Teresa Scassa, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’information, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup de m’avoir invitée à prendre la parole devant le comité aujourd’hui. Je suis professeure à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’information.

Je limiterai mes observations préliminaires d’aujourd’hui aux modifications apportées aux articles 215 et 216 du projet de loi C-86, qui portent sur les marques officielles.

Le régime canadien des marques officielles a longtemps été critiqué par les avocats, les universitaires et la Cour fédérale. En fait, c’est la Cour fédérale qui, au fil des ans, a établi des limites grandement nécessaires pour ce qui est essentiellement des super marques. Les problèmes liés aux marques officielles sont bien connus, mais ils ont été largement laissés de côté par le Parlement. Il est donc rafraîchissant de voir les amendements proposés aux articles 215 et 216.

Ces articles ne traitent que d’un seul des problèmes posés par le régime des marques officielles. Bien qu’il s’agisse d’un problème important, il convient de souligner qu’on pourrait en faire davantage. L’objectif de mon intervention sera de décrire ce que je considère comme deux lacunes dans ces deux dispositions particulières, bien que je sois heureuse de parler de certains des autres problèmes ou questions que ces amendements n’abordent pas.

Les marques officielles sont une sous-catégorie de marques interdites qui ne peuvent pas être adoptées, utilisées ou enregistrées sans consentement. Elles sont accessibles aux autorités publiques. Une autorité publique n’a qu’à demander au registraire des marques de commerce de donner un avis public de son adoption et de son utilisation d’une marque officielle pour que celle-ci soit protégée. Il n’y a pas de limite au nombre de marques qui peuvent être adoptées. Il n’y a pas de formalité d’enregistrement, pas d’examen ni de procédure d’opposition.

Jusqu’à la décision rendue récemment par la Cour fédérale dans l’affaire Quality Program Services Inc c. Canada, il semblait que rien n’empêchait une autorité publique d’obtenir une marque officielle identique à une marque de commerce déjà enregistrée ou portant à confusion avec celle-ci. Bien que la décision Quality Program Services prévoit, à tout le moins, des conséquences quant à l’adoption d’une marque officielle qui prête à confusion, elle est actuellement en appel, et il n’est pas certain que la décision sera maintenue. Il s’agit d’un autre cas où la Cour fédérale tente d’établir, pour les marques officielles, des limites qui n’ont tout simplement pas été prévues dans le projet de loi.

Les marques officielles ont, en théorie, une durée infinie. Elles restent inscrites au registre jusqu’à ce qu’elles soient retirées volontairement par le propriétaire — et les propriétaires pensent rarement à le faire — ou jusqu’à ce qu’une demande de contrôle judiciaire coûteuse soit accueillie et entraîne leur radiation du registre. Jusqu’à ce que la décision Ordre des architectes de l’Ontario en 2002 précise le sens du terme « autorité publique », des marques officielles étaient distribuées comme des bonbons d’Halloween, et de nombreuses entités qui n’étaient pas des autorités publiques ont pu en obtenir. Un grand nombre de ces marques officielles émises par erreur existent encore aujourd’hui. En fait, le registre des marques de commerce est devenu encombré de marques officielles qui ne sont plus valables ou qui ne sont plus utilisées.

Les articles 215 et 216 règlent au moins en partie ce dernier problème. Ils prévoient une procédure administrative au moyen de laquelle le registraire ou toute personne disposée à payer les droits prescrits peut faire invalider une marque officielle si l’entité qui a obtenu la marque n’est pas une autorité publique ou n’existe plus. C’est une bonne chose.

Toutefois, je proposerais une modification du nouveau paragraphe 9(4) proposé de la Loi sur les marques de commerce. Lorsque, selon le nouveau paragraphe 9(3), l’entité qui a obtenu la marque officielle n’était pas une autorité publique ou a cessé d’exister, le paragraphe 9(4) permet au registraire de donner un avis public indiquant que le sous-alinéa 1n)(iii) ne s’applique pas à l’insigne, à l’écusson, à la marque ou à l’emblème.

Sa formulation actuelle est permissive : « peut » faire l’objet d’un avis public de non-application par le registraire. À mon avis, ce devrait être obligatoire. Vous avez réussi à démontrer que l’autorité publique n’existe plus, et le registraire « donne » un avis public de l’invalidité de la marque. C’est ce que j’ai à dire, et je vous ai remis le texte de l’amendement proposé. Il n’y a aucune raison pour laquelle une personne qui a payé le droit, essentiellement, ne devrait pas voir sa marque invalidée.

Je propose également que le processus d’invalidation des marques officielles s’étende à celles qui n’ont pas été utilisées au cours des trois années précédentes ou, en d’autres termes, qu’il soit parallèle à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, qui prévoit une procédure administrative pour retirer du registre les marques de commerce enregistrées et non utilisées.

Il y a des centaines d’autorités publiques aux échelles fédérale et provinciale partout au Canada, et elles adoptent des marques officielles pour toutes sortes de programmes et d’initiatives, dont un grand nombre sont relativement passagers. Il devrait y avoir un moyen par lequel les marques officielles peuvent simplement être effacées du registre lorsqu’elles ne sont plus utilisées. Par conséquent, je recommanderais d’ajouter les nouveaux paragraphes 9(5) et (6) et je vous en ai fourni le libellé — je ne vais pas les lire maintenant —; cela vise à proposer un moyen de l’appliquer à l’article 45 de la loi afin de retirer du registre les marques officielles non utilisées.

Voilà ce que j’ai à dire sur les modifications au régime des marques officielles qui sont le plus étroitement liées aux amendements qui figurent dans le projet de loi C-86, mais, comme je l’ai dit, le régime comporte d’autres lacunes dont je serais heureuse de discuter. Je terminerai là-dessus. Merci de m’avoir écoutée.

Le président : Je vous remercie, madame.

Michael A. Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Bonjour. Je suis également professeur de droit à l’Université d’Ottawa — nous sommes bien représentés aujourd’hui —, où je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique. Je suis également membre du Centre de recherche en droit, technologie et société, mais je comparais aujourd’hui à titre personnel et je représente mes propres opinions.

Je suis heureux d’avoir l’occasion de discuter des dispositions du projet de loi C-86 sur la PI. Comme vous le savez, le budget de 2018 a donné la priorité à la stratégie nationale en matière de PI et, bien que certains aspects de cette stratégie supposaient des investissements dans des questions comme l’éducation sur la PI, plusieurs engagements juridiques et politiques nécessitaient une réforme législative.

De nombreux aspects des dispositions du projet de loi C-86 relatives à la PI sont attendus depuis longtemps et sont les bienvenus. Étant donné que la violation des droits de propriété intellectuelle peut empêcher les entreprises d’innover ou décourager les Canadiens de tirer profit du marché numérique, les règles qui abordent la mauvaise utilisation peuvent être aussi importantes que celles qui assurent une protection efficace.

Il y a un certain nombre d’exemples de la façon dont le projet de loi C-86 tente de régler le problème de l’utilisation abusive de la PI. M. Smith vous a parlé tout à l’heure du dépôt de marque de mauvaise foi. Je me concentrerai un instant sur le droit d’auteur et en particulier, sur le régime d’avis et avis, qui a été officialisé en 2012 comme mécanisme permettant aux titulaires de droit de transmettre des allégations de violation du droit d’auteur en ligne aux utilisateurs d’Internet par l’intermédiaire de leur fournisseur de services Internet. Ce régime a été établi avec les meilleures intentions du monde. L’idée était que les titulaires de droit, lorsqu’ils relevaient ce qu’ils croyaient être une violation, pouvaient aviser un fournisseur de services Internet qu’ils pensaient avoir un abonné qui violait leurs droits d’auteur. Le fournisseur d’accès Internet était tenu de transmettre cet avis à l’utilisateur final. Cela avait pour but d’éduquer les utilisateurs finaux, pour qu’ils comprennent mieux le droit d’auteur, et de mettre en place un mécanisme permettant aux titulaires de droit d’essayer de faire part de leurs préoccupations. Il protégeait la vie privée de ces utilisateurs individuels, et il a joué un rôle important pour les intermédiaires, les entreprises de télécommunications ou les fournisseurs de services Internet, afin qu’ils puissent tenter de résoudre certains de ces problèmes.

Presque immédiatement après l’établissement du régime, nous avons constaté que les entreprises de lutte contre le piratage envoyaient des centaines de milliers de ces avis, non seulement pour alléguer des violations, mais également pour exiger que ces utilisateurs finaux paient. Ceux-ci cliquaient sur un lien, et on leur disait que, s’ils voulaient régler le litige, ils devaient régler cela.

Le projet de loi C-86 modifie la Loi sur le droit d’auteur pour faire en sorte que les demandes de règlement soient exclues du processus d’avis et avis, rétablissant ainsi, selon moi, l’intention initiale du régime.

En ce moment, on a aussi mis en place des éléments pour tenter de régler le problème de l’utilisation abusive des brevets — vous en avez entendu parler un peu par M. Gold —, par exemple, on essaie de s’attaquer aux chasseurs de brevets en luttant contre eux au moyen de nouvelles exigences minimales dans les lettres de demande de brevet, ce qui devrait décourager l’envoi de lettres trompeuses et donner à un destinataire le droit de demander des dommages-intérêts ou des injonctions à la Cour fédérale. M. Gold a abordé d’autres questions qui, à mon avis, visent à rétablir un meilleur équilibre entre le soutien à l’innovation et le système des brevets lui-même.

Ce sont là les aspects positifs du projet de loi, mais on pourrait faire mieux. Hier, le Comité permanent des finances de la Chambre des communes n’a adopté que quelques amendements mineurs. J’aimerais faire trois autres recommandations.

Tout d’abord, la mise en œuvre de certaines des réformes, y compris certaines des réformes relatives aux brevets mentionnées par M. Gold, risque d’être retardée pendant des années, puisqu’elles sont structurées de façon à exiger que les règlements définissent des questions comme les exigences à inclure dans les lettres de demande de brevet. Cette question a été soulevée lors d’un appel auquel des fonctionnaires ont participé, et ils ont indiqué qu’ils savaient dans l’ensemble ce qu’ils aimeraient voir inclus dans la définition de ce qu’une lettre de demande de brevet devrait inclure. Pourtant, en retardant ce processus et en l’inscrivant dans la réglementation, on nuit, à mon avis, au succès probable de la stratégie du gouvernement en matière de PI parce qu’il risque d’y avoir des retards pendant des années. Il n’y a pas de raison pour laquelle l’exigence pour les lettres de demande de brevet n’aurait pas pu et n’aurait pas dû être incluse dans le projet de loi lui-même, plutôt que de relever du processus de réglementation.

Deuxièmement, les correctifs apportés au régime d’avis et aux avis de droits d’auteur dont je viens de parler sont bons, mais nous pouvons faire encore mieux. Il doit y avoir des pénalités pour l’envoi d’avis abusifs, et des normes communes devraient être établies pour permettre aux fournisseurs d’accès Internet de repérer plus facilement les avis qui sont conformes à la loi et ceux qui ne le sont pas et, par conséquent, ils ne sont pas tenus de les transmettre à leurs abonnés.

Troisièmement, le budget de 2018 comprend plusieurs références à l’intelligence artificielle, l’IA, qui est devenu l’un des secteurs novateurs les plus importants au Canada. Pourtant, malgré la priorité accordée à l’IA et à la PI, un obstacle majeur aux droits d’auteur sur l’IA subsiste dans cette section. Certaines des grandes entreprises d’IA dans le monde, dont Element AI au Canada, Microsoft et des membres de la Business Software Alliance, ont souligné la nécessité d’une exception d’utilisation équitable pour l’exploration de textes et de données ou l’analyse de l’information. En l’absence d’une telle exception, le Canada accusera un sérieux retard par rapport à des administrations concurrentes comme les États-Unis, l’Europe et le Japon, qui cherchent à régler ce problème particulier. Je ne pense pas que nous puissions attendre des années avant de nous attaquer à ce qui pourrait constituer un obstacle important à la commercialisation et, étant donné que le budget est axé sur l’IA et la PI, le projet de loi C-86 permettait de régler ce problème.

J’attends vos questions avec impatience.

Le président : C’était très utile. Merci beaucoup, monsieur.

M. P. Smith : Merci de me donner l’occasion de prendre la parole devant le comité. Contrairement à mes collègues ici à la table, je ne suis pas avocat et je voulais que vous le sachiez. En guise de brève présentation, le Conseil canadien de la propriété intellectuelle, le CCPI, est un conseil spécial au sein de la Chambre de commerce du Canada, qui est la porte-parole nationale des entreprises et représente plus de 200 000 entreprises au Canada. Le mandat du conseil est de promouvoir un meilleur environnement au Canada pour les entreprises qui s’intéressent à l’innovation et à la propriété intellectuelle en rehaussant le profil des droits de propriété intellectuelle auprès des principaux décideurs au sein du gouvernement et du grand public.

J’aimerais tout d’abord remercier le gouvernement des efforts qu’il déploie pour reconnaître le lien entre l’innovation et les droits de propriété intellectuelle dans sa stratégie en matière de propriété intellectuelle. Cela se reflète dans de nombreuses mesures contenues dans le budget, et certaines d’entre elles répondent à des préoccupations de longue date de l’industrie, comme les modifications proposées à la Commission du droit d’auteur, que nous appuyons. Pour aujourd’hui, je limiterai mes observations aux sous-sections A et B.

Le projet de loi C-86 modifie un certain nombre d’articles de la Loi sur les brevets. En particulier, j’aimerais attirer votre attention sur l’article 191, qui ajoute, après l’article 53 de la Loi sur les brevets, un article qui décrit les éléments d’une demande de brevet qui doivent être admissibles en preuve dans toute action ou procédure concernant un brevet, s’il a été utilisé par son titulaire dans l’interprétation de la demande de brevet.

L’interprétation des revendications de brevet est le processus d’une demande de brevet qui décrit ce que le brevet tente de protéger. La revendication des droits de brevets nécessite une preuve de violation des droits de brevets. Il y a deux étapes pour prouver que quelqu’un a volé votre idée : premièrement, la revendication de brevet, qui explique l’utilisation et la composition du produit; et deuxièmement, l’analyse de la violation, qui doit démontrer qu’il y a eu violation d’une revendication. La deuxième partie ne peut être déterminée sans une revendication solide. L’interprétation des revendications de brevet joue un rôle primordial dans presque toutes les affaires de brevet. Elle est au cœur de l’évaluation de la violation et de la validité et peut influer sur l’issue ou déterminer l’issue d’autres questions importantes telles que la non-appréciabilité, le caractère réalisable et les recours.

L’article 191 du projet de loi C-86 élargit la portée de l’admissibilité afin d’inclure ce qu’on appelle le dossier de la demande de brevet. Il s’agit d’un dossier électronique ou papier qui contient un registre complet de la demande de brevet, y compris tous les documents relatifs au brevet, comme les diagrammes, les dessins, les communications entre l’Office de la propriété intellectuelle du Canada et le demandeur, les déclarations faites par le demandeur et les dossiers des mesures officielles prises par l’OPIC. Il peut également contenir des comptes rendus d’entrevues menées par l’OPIC auprès du demandeur.

Cela pose problème pour quatre raisons. Premièrement, cela pourrait modifier des années de précédents de la Cour suprême du Canada sur l’interprétation des revendications fondées sur l’objet du brevet en permettant aux tribunaux de lire les revendications et l’historique extrinsèques des poursuites. Deuxièmement, cela crée une incertitude juridique pour les titulaires de brevets lorsque l’interprétation des revendications ne se limite pas aux revendications elles-mêmes, ce qui accroît le risque d’interprétations judiciaires subjectives. Troisièmement, les dispositions transitoires s’appliquent aux procédures en cours, ce qui présente des risques supplémentaires d’incertitude en permettant aux tribunaux d’appliquer l’admissibilité du dossier de demande de façon rétroactive aux brevets qui ont déjà été interprétés par les tribunaux et qui ont été rédigés et approuvés de nombreuses années avant la présentation du projet de loi. Quatrièmement, la disposition a une portée indûment large, étendant l’admissibilité du dossier de demande à l’historique de la poursuite d’une demande divisionnaire, même si de telles demandes visent à délivrer des brevets distincts pour des inventions distinctes.

Nous craignons que ces mesures n’aient été introduites sans consultation de l’industrie et qu’il n’y ait plus d’autres occasions de régler ces questions. Nous exhortons le comité à envisager un amendement qui supprimerait l’article 191 du projet de loi en attendant de plus amples délibérations avec l’industrie sur cette question.

En ce qui concerne la sous-section B et les marques de commerce, nous constatons que bon nombre des dispositions du projet de loi traitent de questions problématiques de longue date, comme le traitement des titulaires de licences dans les cas de faillite, l’imposition de limites à la protection des marques officielles par les autorités publiques et l’obligation d’obtenir une autorisation de la Cour fédérale de demander pour déposer une nouvelle preuve dans un appel de toute décision du registraire. Nous appuyons ces modifications.

Pour aujourd’hui, je concentrerai mon attention sur l’article 225, qui modifie l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce en y ajoutant une disposition sur la mauvaise foi qui exigera l’usage, ou du moins une excuse importante pour le non-usage d’une marque au Canada, afin que l’on puisse demander réparation. Cette disposition vise à répondre à une préoccupation en suspens soulevée en 2014, que j’ai abordée devant le comité à l’époque, au sujet des dispositions de la Loi sur les marques de commerce concernant l’usage. Bien que nous comprenions que cette mesure constitue une tentative d’atténuer les préoccupations relatives aux abus, nous avertissons que l’on ne sait pas encore clairement ce qui satisfera à l’exigence et si l’utilisation d’un ou de plusieurs biens ou services, mais pas de tous, sera suffisante.

Voilà qui conclut mes observations. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Smith. En me fondant sur vos observations, j’aurais pensé que vous étiez professeur de droit. Tout cela a été très utile.

Passons maintenant aux questions.

Le sénateur Duffy : Monsieur Geist, nous sommes préoccupés par le droit d’auteur, les marques de commerce et la protection de la propriété intellectuelle. Ce qui me préoccupe, c’est qu’il y a des groupes et des organisations — Google, Facebook et d’autres — qui ont fait les manchettes la semaine dernière et qui se retrouvent, avec l’accord du gouvernement du Canada, dans une situation où les lois canadiennes ne s’appliquent pas à eux. Je fais référence à un article du récent accord de libre-échange, qui est, je crois, l’article 19.17, lequel dit essentiellement que les lois canadiennes en matière de diffamation ne s’appliqueraient pas à des entreprises comme Google et Facebook, entre autres. Autrement dit, ils prétendent être des fournisseurs de services Internet, FSI, et non des créateurs de contenu, et ils ne sont donc que la courroie de transmission.

Dans votre témoignage, vous mentionnez qu’une partie de notre régime de violation des droits d’auteurs vise à permettre aux titulaires de droits d’auteurs de poursuivre les FSI. Comment cela fonctionnera-t-il? Le nouvel accord de libre-échange en suspens minera-t-il la capacité des Canadiens de bénéficier des types de protections que nous envisageons dans le projet de loi?

M. Geist : Je vous remercie de la question.

Je crois que, lorsque vous parlez de l’article 19.17 et de l’Accord États-Unis—Mexique—Canada, l’AEUMC, vous parlez de la disposition d’exonération pour de nombreux intermédiaires différents, y compris des entreprises comme Google et d’autres. Je devrais souligner que la propriété intellectuelle est explicitement exclue de cette disposition. Dans la mesure où nous nous concentrons sur les préoccupations liées à la propriété intellectuelle, la PI, celle-ci est exclue de cet article. Si la préoccupation concerne la diffamation...

Le sénateur Duffy : Mais où commence la PI, et où finit-elle?

M. Geist : Eh bien, ce groupe de témoins s’est concentré sur le droit d’auteur et les brevets de marques de commerce, et c’est un bon point de départ.

Si vous parlez de diffamation, et c’est dans ce contexte que vous l’avez soulevé, ce n’est pas une question de PI en soi. C’est de la diffamation. Ce que fait l’exonération — et je pense qu’il s’agit d’une disposition importante qui a représenté pour le Canada un véritable problème, à savoir que nous n’avons pas mis en place ce genre de protection —, c’est qu’elle garantit que ce sont les tribunaux qui décident si quelque chose est diffamatoire ou non et devrait être retiré. Il y a une différence importante dans la façon dont certaines de ces entreprises s’occupent des allégations de diffamation sur leurs plateformes entre le Canada et les États-Unis. Aux États-Unis, on vous répondra : « Apportez-moi une ordonnance du tribunal, et je la retirerai. » Au Canada, sur le fondement d’une simple allégation, bon nombre de ces entreprises retireront simplement le contenu sansaucune preuve qu’il est réellement diffamatoire; je pense donc que cette disposition exclut la PI et a pour effet de mieux protéger la liberté d’expression.

Le sénateur Duffy : Donc, cela ne touche pas le droit d’auteur.

M. Geist : Pas cette disposition.

Le sénateur Duffy : Et vous seriez toujours en mesure de poursuivre les FSI pour violation du droit d’auteur? Cela ne serait pas modifié?

M. Geist : Eh bien, la question de la responsabilité d’un fournisseur d’accès Internet ou d’une plateforme Internet pour les activités qui se déroulent sur son système ou ses plateformes soulève toute une série d’enjeux différents. Toutefois, si la question précise est de savoir si le Canada a exclu la responsabilité d’une plateforme Internet en ce qui concerne la violation du droit d’auteur sur cette plateforme, la réponse est non, il ne l’a pas exclue.

Le sénateur Wetston : J’ai une question générale, puis une question plus précise.

Nous avons reçu des fonctionnaires ce matin. Nous sommes en étude préliminaire, et vous avez tous beaucoup d’expertise dans ce domaine. Comme Patrick Smith le sait, j’ai eu un certain engagement dans ce domaine, mais cela fait un certain temps.

Comment ces amendements appuient-ils ce que nous tentons de réaliser au Canada, qui est davantage une économie axée sur l’innovation? Comment appuient-ils cela, que ce soit du point de vue des marques de commerce, du droit d’auteur ou de la propriété intellectuelle? Vous avez abordé certains aspects de cette question collectivement. Je pense qu’il est vraiment essentiel que nous ayons cela à l’esprit alors que nous allons de plus en plus vers une économie de services, et je sais que bon nombre d’entre vous ont fait du travail dans ce domaine. C’est ma question générale, et je pourrais vous en poser une précise. Je serais heureux que quelqu’un réponde, ou vous tous, si vous le pouvez. Le président souhaiterait que ce soit bref.

M. S. Smith : Je peux commencer. Le monde des affaires recherche toujours l’équilibre dans le système, et il y a un compromis à faire entre le droit accordé aux titulaires de droits d’auteur ou de brevets. En échange de la création, il y a une exclusivité qui va de pair. Trouver cet équilibre dans le système et permettre au créateur de tirer profit de cette création pendant un certain temps, c’est ce que je pense que le projet de loi tente de réaliser.

Je pense que nous essayons également d’atteindre un équilibre au sein de la communauté mondiale. Nous vivons à l’ère du numérique, et l’information et les idées peuvent voyager rapidement dans le monde entier. Comment pouvons-nous nous intégrer dans cette communauté mondiale et veiller à ce que ces protections soient en place pour toutes les entreprises canadiennes, tout en encourageant les entreprises internationales à investir au Canada?

M. Geist : Je voudrais revenir à la notion d’utilisation abusive du droit d’auteur et à la nécessité de mieux encourager et faciliter l’innovation. On doit s’assurer qu’il existe des protections adéquates, mais on doit également nous attaquer au problème de l’utilisation abusive. Les lettres de demande de brevet et les chasseurs de brevets en sont un parfait exemple : il est possible d’avoir des entreprises novatrices, en particulier des petites et moyennes entreprises, qui pourraient se retrouver au point mort en raison d’activités liées à la chasse aux brevets. Il s’agit d’essayer de mettre fin à certaines de ces activités, pour faire en sorte que les gens puissent exercer leurs droits, mais pas de manière abusive.

Le sénateur Wetston : Je comprends cela. Je parle d’une économie numérique, car nous nous dirigeons de plus en plus vers cela. En quoi cela favorise-t-il le progrès? Nous nous en occupons beaucoup, comme vous tous. Je veux que ce soit plus précis. Je comprends le rôle de la propriété intellectuelle, mais aidez-moi. Comment ce projet de loi fera-t-il progresser la notion d’économie numérique à mesure qu’elle évolue au Canada et dans le monde? Ou s’agit-il simplement de mesures disparates?

Mme Scassa : Je pense qu’il y a la question de savoir si ce ne devrait pas être plus que des mesures disparates. Il aborde un certain nombre de problèmes différents qui ont été soulevés, discutés et débattus par le passé et qu’il tente de régler. Toutefois, il s’agit d’un projet de loi omnibus sur le budget, et il n’y a pas beaucoup de temps ou de possibilités pour débattre de choses plus importantes, plus récentes ou plus novatrices. C’est l’endroit idéal pour aborder la question de l’innovation numérique, mais c’est peut-être un endroit où il faut commencer à régler certains des problèmes qui ont été lancinants et qui n’ont pas été réglés.

M. P. Smith : Je pense que c’est probablement exact. L’une des choses que nous avons faites, pas nécessairement en ce qui concerne ce projet de loi, mais à d’autres égards, c’est de faire des représentations sur la façon d’inciter les gens à le faire. Nous avons fait des recommandations, dont certaines se sont retrouvées dans des documents gouvernementaux — pas encore le budget, mais nous l’espérons —, qui inciteront les gens à innover. C’est probablement là où cela doit être.

M. Gold : Je suis d’accord avec les autres témoins. Cela ne règle pas le problème.

Le sénateur Wetston : C’est une question que plusieurs d’entre vous ont abordée, l’article 53.1 de la Loi sur les brevets. Je veux comprendre cela un peu plus. L’interprétation des revendications. Nous réalisons que c’est compliqué et que vous faites face à des questions d’utilité, d’évidence et d’objets susceptibles d’être brevetés. Pouvez-vous me dire quel est le lien entre cette disposition, avec laquelle, je pense, certains d’entre vous sont d’accord — vous ne l’êtes pas, Scott Smith —, et l’utilisation de cette preuve dans les procédures, principalement devant le tribunal, et comment le tribunal va l’utiliser dans l’interprétation de la revendication d’un brevet? Cela s’applique-t-il à la validité, ou seulement à l’interprétation de la revendication dans le cadre d’une affaire de violation? Cela s’applique-t-il aux deux?

M. P. Smith : Cela concerne effectivement les deux aspects. Je suis probablement la meilleure personne pour répondre à cette question.

Commençons par le début. Comme vous le savez, il y a une série de paragraphes numérotés à la fin d’un brevet. Il s’agit des revendications qui définissent le monopole précis. En 2000, la Cour suprême du Canada a rendu deux décisions en même temps, et il s’agit essentiellement encore à ce jour de la norme juridique en ce qui a trait à l’interprétation de ces revendications. On est censé donner une interprétation du point de vue d’une personne du métier.

Une des questions que la cour s’est posées est la suivante : peut-on examiner ce que les gens ont affirmé auparavant dans le cadre du dossier de la demande ou des relations avec le Bureau des brevets ou d’autres bureaux des brevets ailleurs dans le monde? La Cour suprême du Canada a déclaré qu’il s’agissait d’un facteur qui complique les choses parce que le public devrait être en mesure de consulter un brevet, de lire la revendication et de savoir la portée des droits exclusifs qui ont été accordés au titulaire du brevet. Par conséquent, on ne devrait pas devoir consulter le dossier de la demande pour comprendre ce que précise le brevet. Comme vous le savez, l’interprétation du brevet sera pertinente aux questions de validité ainsi qu’aux questions de contrefaçon. C’est une activité importante qui est menée en premier. C’était la justification politique de la décision de la Cour suprême.

Ce qui s’est passé en réalité, c’est que les juges de la Cour fédérale se sont tournés vers la Cour suprême en disant qu’ils ne pouvaient pas utiliser les déclarations qu’a faites le titulaire de brevet au Bureau des brevets à des fins d’interprétation. Pour contourner le problème, ils ont dit qu’ils pouvaient les examiner pour voir si le titulaire de brevet avait reconnu certaines choses. Donc, à cette fin pratique, les tribunaux vont parfois examiner le dossier de la demande même si la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il ne faut pas le faire.

Au bout du compte, là où le bât blesse à mon avis, c’est que, s’il y a une raison pour laquelle un titulaire de brevet a admis certaines choses dans le dossier de la demande, probablement dans le cadre du processus judiciaire, où l’on examine évidemment toutes les revendications de brevet de manière très intensive et très attentive, cet aveu sera connu de toute façon. Alors, sur le plan pratique, cela ne change peut-être pas grand-chose. C’est mon opinion personnelle.

La question de l’utilité n’est pas du tout soulevée relativement au dossier de la demande. J’imagine que ce que disait M. Gold était essentiellement une tentative de renverser ce qu’a dit la Cour suprême sur l’utilité, qui concerne un tout autre article. Cela n’a rien à voir avec le dossier de la demande en soi.

Le sénateur Wetston : Merci.

Le président : Quelqu’un d’autre veut-il s’exprimer sur cette question, y compris vous, monsieur Gold?

M. Gold : Oui, si vous me le permettez. C’est une question préliminaire qui touche la validité et la contrefaçon, et, par conséquent, c’est important.

Le monde a changé depuis que la Cour suprême, au début des années 2000, a affirmé que nous ne devrions pas examiner le dossier de la demande parce que la plupart des gens n’y ont pas accès. Tout est accessible maintenant. Les règles de l’interprétation de la revendication de brevet ont changé au Royaume-Uni. Elles ont évolué ailleurs. Ces documents sont accessibles au public. D’autres personnes sont en mesure de les examiner et de prendre des décisions. Nous sommes en décalage en ne reconnaissant pas que ces documents publics peuvent être un outil utile pour déterminer l’interprétation de la revendication de brevet.

Cette disposition ne change pas le droit substantiel. Nous interprétons encore les revendications de la même façon que nous l’avons toujours fait. La question est la suivante : qu’avons-nous le droit d’examiner? À l’heure actuelle, nous limitons de manière artificielle ce que les tribunaux peuvent examiner, et c’était logique au début des années 2000, mais ce n’est pas cohérent à l’heure actuelle d’empêcher l’examen de documents écrits facilement accessibles à tous.

Il en va de même pour l’utilité. Nous ne modifions pas les règles relatives à l’utilité, mais nous devons nous demander sur quel fondement les tribunaux pourront rendre une décision. Vont-ils faire fi de la grande majorité des communications au dossier ou vont-ils pouvoir les examiner?

Alors, à mon avis, c’est une règle de preuve, non pas une règle de fond, et honnêtement, elle est nécessaire.

La sénatrice Wallin : J’ai peut-être une question impossible, mais comme nous en sommes à la fin, ou presque, du jour deux et que nous avons une autre série de questions sur ce sujet... Je n’ai pas tenu le compte, mais, de tous nos groupes de témoins des deux derniers jours, je crois qu’il y a peut-être une vingtaine d’amendements proposés; certains sont simples, d’autres sont assez exhaustifs, selon moi. Où croyez-vous que nous en sommes? Comme vous l’avez mentionné, il s’agit d’un projet de loi omnibus qui fait partie d’autre chose. Est-ce que ce devrait être retiré? Devrions-nous nous arrêter ici? Croyez-vous, en général, que c’est mieux que le statu quo? J’aimerais avoir votre évaluation d’où nous en sommes avec le projet de loi parce qu’il est complexe d’essayer de modifier une partie d’un projet de loi omnibus.

M. S. Smith : Je dirais que c’est inhabituel d’avoir ce degré de détail dans un projet de loi omnibus sur le budget. Cela dit, un certain nombre de choses qui sont réglées jouissent, comme vous l’avez entendu aujourd’hui, d’un soutien important de divers secteurs, non seulement de l’industrie, mais également de l’intérêt public. Je ne voudrais pas que ces éléments soient annulés simplement parce qu’il y a quelques divergences d’opinions. C’est un défi difficile pour le comité, mais il devrait choisir d’examiner certains aspects en particulier.

La sénatrice Wallin : Tout à fait.

M. Geist : Dans un monde idéal, nous ne ferions pas cela au moyen d’un projet de loi omnibus. En même temps, bien sûr, la Commission du droit d’auteur subit des pressions énormes pour essayer de régler certains des problèmes de PI avec le comité. Quant à la question du système d’avis de droit d’auteur, littéralement dès la première semaine de son entrée en vigueur, les gens ont demandé des modifications. Je dirais que certaines de ces questions ont fait l’objet d’importantes consultations et que ce que le gouvernement essaie de faire ne surprendra pas beaucoup de gens. Même si je crois que l’intégration de toutes ces questions dans ce vaste projet de loi omnibus pose problème, si vous choisissez de tout retirer et d’arrêter le processus, vous n’aurez qu’à regarder le calendrier politique et vous verrez que ce qui fait l’objet d’un large consensus sera retardé de nombreuses années.

La sénatrice Wallin : D’accord.

Mme Scassa : Je suis d’accord avec vous. Il y a beaucoup d’éléments du projet de loi qui sont bons et utiles, avec les mêmes...

La sénatrice Wallin : Réserves.

Mme Scassa : ... préoccupations pour ce qui est d’introduire ce type de dispositions dans un projet de loi omnibus. Quant à la marque de commerce, des amendements visent assurément à atténuer certaines inquiétudes ou préoccupations par rapport au nouveau régime qui entrera en vigueur en juin 2019. Il y a également une certaine urgence à cet égard.

M. P. Smith : Je n’ai rien d’autre à ajouter.

M. Gold : Je conviens qu’il est préférable d’aller de l’avant avec le projet de loi. Nombre d’amendements sont de nature assez technique, beaucoup d’entre eux sont nécessaires et, peu importe les autres problèmes qui se posent, si le comité peut trouver une autre façon de les régler, ce serait excellent.

La sénatrice Wallin : Merci à tous.

Le sénateur C. Deacon : Merci aux témoins. Ce fut une séance très agréable. Votre participation était importante, je dois dire, et c’est encourageant après certaines des séances que nous avons tenues. Alors voilà.

J’ai remarqué, monsieur Geist, qu’un de vos commentaires portait sur nos accords de libre-échange qui américanisaient nombre de nos dispositions sur la PI. J’ai dépensé beaucoup d’argent sur des brevets et des protections de la PI dans des entreprises en démarrage et je crois qu’il n’y a pratiquement aucune entreprise dans les secteurs technologique ou numérique au pays qui ne se concentre pas sur les marchés mondiaux. L’américanisation ou certainement la mondialisation des normes sont essentielles à la réussite.

Cependant, j’aimerais entendre les préoccupations que vous pourriez avoir quant à notre respect des normes, ou aux risques que cela peut poser pour le marché canadien, risques que nous n’avons pas relevés dans les modifications qui ont été proposées dans ces dispositions. Je m’adresse à chacun d’entre vous. C’est la proue du navire qu’est notre économie. C’est la direction que nous prenons. Nous devons nous assurer de protéger notre économie. Je crois que c’est ce que disait le sénateur Wetston plus tôt, à savoir que nous devons assurer la protection de l’exploitation de la PI pour les 25 prochaines années grâce aux mesures que nous prenons aujourd’hui.

M. S. Smith : Demandez-vous s’il manque des choses?

Le sénateur C. Deacon : Personnellement, je ne crois pas que ce soit une mauvaise idée pour nous d’américaniser ou de mondialiser nos normes, mais y a-t-il des choses qui ne sont pas dans le projet de loi et dont nous n’avons pas tenu compte dans ces modifications et qui sont des risques ou des aspects que nous avons manqués, ou y a-t-il des éléments qui ne nous permettent pas nécessairement de nous protéger assez bien au sein du cadre mondial? Il ne s’agit pas de protéger la PI au Canada; cela concerne notre place dans le marché mondial et notre exploitation des actifs à l’échelle internationale.

M. S. Smith : C’est une bonne question. J’ai comparu devant le comité INDU il y a quelques semaines pour parler du droit d’auteur et des questions concernant particulièrement le piratage et la façon de lutter contre celui-ci. Il existe un certain nombre d’outils. À mon avis, nous pourrions résoudre ces problèmes en mettant en œuvre les outils — des choses comme des intermédiaires ou le blocage de sites, par exemple. C’est un aspect que nous avons hâte de suivre dans les prochains mois ou peut-être au cours de la prochaine année après le dépôt du rapport du comité INDU. Il est probablement trop tôt pour le faire ici.

Nous aurions pu probablement examiner certains autres éléments prévus par la Loi sur les brevets, mais nous ne l’avons pas fait. Par exemple, les conditions de la protection des données dans les sciences de la vie n’ont pas été abordées, et c’est toujours en suspens.

M. Geist : J’ai trois petits points. D’abord, l’américanisation et la mondialisation ne sont pas la même chose, avec tout le respect que je vous dois.

Le sénateur C. Deacon : Très bien, merci.

M. Geist : Ce sont deux choses complètement différentes. Un des défis auxquels nous faisons face dans l’AEUMC, par exemple, c’est l’extrême pression pour que nous américanisions nos règles, parfois en créant un décalage par rapport aux normes mondiales. Cela confère aux entreprises et aux entités américaines un grand avantage commercial sur nous. Nous devrions favoriser la mondialisation et respecter les normes internationales, non pas accepter les normes américaines à la suite de pressions, ce qui est exactement ce que nous avons fait dans l’AEUMC sur des questions comme la prolongation de la durée du droit d’auteur, qui est allée bien au-delà de la norme internationale prévue dans la Convention de Berne.

Le sénateur C. Deacon : Merci de cette précision. Je vous en suis reconnaissant.

M. Geist : Il s’agit d’une question importante parce que nous subissons régulièrement des pressions de la part des États-Unis, qui décrivent cela comme le respect d’une norme internationale, mais, souvent, ce n’est pas le cas.

Quant aux grands enjeux, il y en a beaucoup. J’en ai mentionné un dès le départ concernant l’intelligence artificielle, l’IA. C’est un secteur où, à mon avis, nous sommes en décalage au chapitre de la création des exceptions nécessaires prévues dans d’autres administrations — non pas seulement aux États-Unis, mais au Japon et dans l’Union européenne —, ce qui peut ériger un obstacle important à la commercialisation pour les entités d’IA canadiennes. Nous investissons massivement dans ce secteur, et je crois que c’est un problème considérable.

Le sénateur C. Deacon : Y a-t-il des recommandations précises que vous pourriez envoyer à notre greffière à ce sujet?

M. Geist : Oui. Je serais heureux de vous les transmettre.

D’autres secteurs font l’objet de discussions, comme vous l’avez entendu avec d’autres groupes de témoins. Par exemple, dans le contexte du blocage de sites, je dirais que la proposition présentée au CRTC nous aurait placés dans une situation de non-conformité avec nombre de normes mondiales. Plusieurs entreprises militent en faveur du blocage de sites au Canada sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une ordonnance d’un tribunal, ce qui nous marginaliserait par rapport à pratiquement tous les pays dans le monde qui sont allés de l’avant avec quelque forme que ce soit de blocage de sites et qui exigent presque invariablement une ordonnance d’une cour.

Il s’agit certainement de problèmes difficiles. Toutefois, comme la sénatrice Wallin, je ne suis pas sûr qu’un projet de loi omnibus est la façon de régler certains d’entre eux.

Mme Scassa : J’adhère aux commentaires de Michael. Je crois que l’innovation en IA exercera une pression sur les dispositions législatives en matière de droit d’auteur, certainement par rapport à l’exploration de textes et de données, mais des problèmes liés à la législation peuvent se poser dans d’autres secteurs. Nous avons tenu des discussions à savoir s’il faut changer notre défense de l’utilisation équitable pour adopter celle des États-Unis — non pas seulement en raison de l’IA et de l’exploration de données, mais parce que nous avons besoin de davantage de souplesse. La rapidité de l’évolution de la technologie et la structure actuelle de la défense font en sorte que la défense n’a pas la réactivité nécessaire dans un environnement où les technologies numériques causent beaucoup de changements. Je mentionnerais cela également.

M. P. Smith : Du côté des brevets, il est probablement un peu tard pour ce qui est de l’américanisation. Les États-Unis ont adopté leur loi sur le brevet en 1793, grâce à Thomas Jefferson. Le Haut-Canada et le Bas-Canada ont emprunté certains articles. Le libellé d’aujourd’hui remonte à cette loi américaine de 1793. La définition d’invention est pratiquement identique à celle proposée par Thomas Jefferson à l’époque.

Voilà d’abord ce que nous devons nous demander : quel type de système avons-nous et pouvons-nous l’améliorer? Essentiellement, il s’agit d’amendements relatifs à cet enjeu.

Ensuite, comment pouvons-nous encourager les entreprises à utiliser davantage le système et à en profiter? C’est une question plus large qui, à mon avis, ne découle pas vraiment de ce que vous examinez ici aujourd’hui. Nous essayons de la promouvoir sur d’autres tribunes. C’est la grande question pour le gouvernement.

M. Gold : J’espère que je ne suis pas en train de disparaître. Je conviens que le problème pour les entreprises canadiennes...

Le président : Restez avec nous, monsieur Gold. Nous espérons pouvoir vous redonner la parole plus tard.

Le sénateur Duffy : Le projet de loi omnibus porte sur des sujets précis, mais, dans l’avenir et de façon générale, pour les téléspectateurs qui nous regardent, le projet de loi règle-t-il des problèmes ou avons-nous besoin d’un autre projet de loi pour atténuer les préoccupations des gens à propos de leur vie privée, du commerce virtuel et de tous ces aspects de sécurité? Le New York Times a publié un excellent article la semaine dernière sur Facebook et la façon dont il fonctionne. S’agit-il d’un vide juridique? Selon vous, ces questions sont-elles réglées dans ce projet de loi?

M. Geist : Non, mais ce n’est pas l’objectif du projet de loi, n’est-ce pas? Il ne porte pas sur la PI.

Le sénateur Duffy : Avons-nous besoin d’un projet de loi distinct pour assurer cette protection aux consommateurs?

M. Geist : Nous devons absolument mettre à jour nos règles sur la protection de la vie privée. Nos partis politiques devraient être assujettis à la législation relative à la protection de la vie privée. Cambridge Analytica est directement liée à ce type de question. Il y a certainement des secteurs où nous avons besoin d’une réforme législative, oui.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à l’ensemble de nos témoins et sera une question de néophyte. Je vous ai entendu traiter des imperfections de ce projet de loi qu’on ne peut malheureusement pas étudier en profondeur. Je comprends qu’il y a tout de même des solutions à certains problèmes, mais si j’ai besoin d’un brevet en 2018 pour un produit, est-ce que je ne ferais pas mieux d’aller le chercher aux États-Unis ou ailleurs pour que ce soit plus simple et que je sois bien protégé?

[Traduction]

M. S. Smith : Je serais heureux d’être le premier à répondre à la question. Je crois que le choix du marché dépend du produit que l’on conçoit et de la stratégie de commercialisation. Je ne crois pas qu’il y a une énorme différence concernant la simplicité d’obtenir un brevet au Canada en comparaison des États-Unis. Toutefois, ce peut être plus long ici. Le processus prend un peu plus de temps, mais certaines des modifications proposées relativement aux règles de brevet résoudront ce problème. Je pense que l’intention de l’OPIC était de réduire le temps d’attente pour obtenir un brevet ainsi que de diminuer les casse-têtes et certains des coûts engagés. Je crois que nous allons dans la bonne direction de ce point de vue.

M. P. Smith : Une des choses concernant les brevets, c’est qu’ils ont une portée nationale. Si on veut faire respecter un brevet aux États-Unis, il faut un brevet américain. Si on veut le faire respecter au Canada, il faut un brevet canadien. C’est la nature des droits de brevet.

Le Canada a signé et a mis en œuvre le Traité de coopération en matière de brevets. En vertu de ce traité, pour chaque pays signataire, si on présente une demande de brevet, elle doit respecter le formulaire de la convention. Les exigences relatives à la demande pour ce qui doit être divulgué seront les mêmes dans tous les pays, et la plupart des pays les plus industrialisés y sont assujettis, y compris le Canada. Si une personne a un formulaire de demande de brevet qui respecte celui du Traité de coopération en matière de brevets, elle peut présenter sa demande dans n’importe quel pays. Le traité permet aux gens de présenter une demande et de cocher les pays pour lesquels ils veulent faire une demande qui sera traitée dans leurs systèmes de brevets. Une demande de brevet déposée au Canada en vertu du traité peut mener à l’obtention d’un brevet américain ou européen ou d’un autre pays si la personne a coché ces administrations. Un traité qui a été adopté et mis en œuvre par le Canada simplifie le processus d’obtention de brevets.

Le sénateur C. Deacon : Je m’adresse aux représentants de l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Hier, j’ai lu votre document d’information. Vous vous inquiétiez de la façon dont votre groupe serait limité en ce qui concerne le nombre de membres qui pourraient être disponibles en raison des restrictions ajoutées à l’alinéa 14d). Je crois comprendre qu’une modification a été apportée et qu’un amendement a été proposé à la Chambre ce matin. Est-ce que cela répond à votre préoccupation? Il m’a semblé qu’elle était d’ordre pratique.

M. P. Smith : Oui. Nous avons une organisation très active. Nous comptons 1 700 membres, et environ 400 d’entre eux participent activement aux travaux du comité. Je crois que votre comité a profité d’une partie de leur travail. Si on limite la participation de ces personnes aux comités...

Le sénateur C. Deacon : Le fait de passer à un comité directeur était-il suffisant?

M. P. Smith : Oui.

Le sénateur C. Deacon : Cela semblait être une proposition d’ordre pratique.

M. P. Smith : Nous vous en sommes reconnaissants.

Le président : Mesdames et messieurs les témoins, j’ai le privilège de vous remercier tous. Nous avons tenu une excellente séance. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de nous faire part de votre expertise. Nous avons appris beaucoup de choses. Les analystes ont dressé toute une liste parce que je vois ici qu’elle s’allonge. J’espère que, dans l’avenir, nous pourrons compter sur vous pour d’autres sujets. Je vous remercie tous infiniment.

Nous poursuivons notre étude portant sur le projet de loi C-86, Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, en particulier la section 7 de la partie 4. Plus précisément, pour ce groupe de témoins, nous examinons les sous-sections D, Loi sur le Collège des agents de brevets et des agents de marques de commerce, et F, Renseignements protégés.

Je suis ravi d’accueillir les témoins de ce groupe. Patrick Smith, président de l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada, est déjà avec nous, et il est accompagné d’Adam Kingsley, directeur général. Merci d’être avec nous aujourd’hui.

M. P. Smith : J’aimerais remercier le comité encore une fois d’inviter l’IPIC à lui présenter ses réflexions aujourd’hui sur la section 7 du projet de loi C-86. En particulier, pour les prochaines minutes, je vais vous faire part de nos recommandations sur la loi habilitante relative au Collège des agents de brevets et des agents de marques de commerce à la sous-section D de la section 7. Je suis également heureux de répondre à toutes vos questions.

Comme je l’ai mentionné lors du groupe de témoins précédent, l’IPIC est l’association professionnelle canadienne d’agents de brevets, d’agents de marques de commerce et d’avocats spécialisés en droit de la propriété intellectuelle. Non seulement nous représentons l’avis des professionnels de la PI canadiens dans nombre de nos mémoires présentés au gouvernement, mais nos activités comportent également l’éducation et le perfectionnement professionnel continu, la sensibilisation à la PI dans le milieu des affaires, et, depuis les dernières années, la création d’un code de déontologie volontaire que les professionnels doivent respecter pour être membres de l’IPIC.

Nous sommes heureux de voir que le gouvernement va de l’avant avec la loi habilitante sur le collège dans le projet de loi C-86. L’IPIC, comme nombre d’entre vous le savent peut-être, plaide en faveur de l’établissement d’un organisme de gouvernance d’autoréglementation structuré comme ceux de la plupart des professions qui existent depuis longtemps au Canada, et nous le faisons depuis plus de 23 ans. Il importe de mentionner que nous ne demandons pas une réglementation en raison de problèmes importants et que les membres de notre profession font l’objet de beaucoup de plaintes.

Les agents de brevets et les agents de marques de commerce forment une profession qui perpétue une tradition d’excellence, et l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada, avec l’aide de la profession, fait passer des examens de qualification rigoureux. Toutefois, le cadre réglementaire est incomplet. Même si l’IPIC offre nombre des éléments nécessaires à une profession réglementée de façon volontaire, il n’y a pas de code de déontologie obligatoire, d’exigence de formation continue ni de processus disciplinaire.

Nous souhaitons que la profession de la propriété intellectuelle canadienne soit reconnue et qu’on lui fasse confiance, à l’instar d’autres professionnels comme les ingénieurs, les comptables et les avocats, qui sont régis par un organisme d’autoréglementation. Ce degré accru de confiance encouragera plus de petites entreprises canadiennes à prendre les mesures nécessaires pour protéger leur propriété intellectuelle et en faire un élément important de leur planification. Nous croyons que la création d’un collège est essentielle pour y arriver.

Le comité sur la réglementation professionnelle de l’IPIC examine en détail le projet de loi depuis son dépôt le 29 octobre. Nous allons présenter un mémoire complet la semaine prochaine sur des améliorations proposées du projet de loi, mais nous avons cerné quelques questions qui, à notre avis, méritaient que nous en discutions avec vous aujourd’hui.

Je suppose que « la semaine prochaine » veut dire dès que possible?

Adam Kingsley, directeur général, Institut de la propriété intellectuelle du Canada : Oui.

M. P. Smith : La première question concerne les articles 70 et 71. Ces articles établissent qui peut représenter des personnes devant le Bureau des brevets et le bureau du registraire des marques de commerce. ISDE et l’IPIC conviennent que le statu quo devrait être maintenu.

La seule référence à « conseiller juridique » aux paragraphes 70(2) et 71(2) peut donner à penser que l’intention était que les avocats qui ne sont pas qualifiés pour être des agents de brevets ou des agents de marques de commerce puissent néanmoins représenter des personnes devant le Bureau des brevets et le bureau du registraire des marques de commerce. C’est interdit par la Loi sur les brevets actuelle et les règles connexes sur les brevets, qui prévoient que seuls des agents de brevets qualifiés peuvent représenter des personnes devant le Bureau des brevets. C’est la même chose pour les agents de marques de commerce. Ce projet de loi abroge également les articles de la loi qui exigent à quiconque d’être un agent de brevets ou un agent de marques de commerce pour représenter des requérants dans la présentation et la poursuite d’une demande.

Même si nous comprenons que le gouvernement n’a pas l’intention de permettre aux avocats qui ne sont pas des agents de brevets ou des agents de marques de commerce qualifiés de faire des représentations devant le Bureau des brevets ou le bureau du registraire des marques de commerce, nous croyons que le libellé actuel de ces articles, ou celui proposé, pose problème parce qu’il s’appuie sur le retrait de l’exigence législative selon laquelle il faut être un agent de brevets ou un agent de marques de commerce pour représenter un client dans la poursuite d’une demande au lieu de s’en remettre seulement aux exigences de la réglementation. Nous croyons que cela peut exposer le collège et le gouvernement à des contestations futures de professionnels qui ne sont pas des agents et que cela affaiblit également la protection publique des entreprises canadiennes, selon laquelle leur représentant doit être un agent qualifié afin de poursuivre leur demande pour des droits de PI.

Compte tenu de la confusion potentielle que le libellé actuel peut semer, de même que de l’affaiblissement de l’exigence législative, il est recommandé que les articles 70 et 71 soient modifiés afin de dissiper tout malentendu potentiel.

La deuxième question concerne le paragraphe 33(1) de la loi sur le collège, qui exige l’établissement, par règlement, du code de déontologie.

Nous voyons le code de déontologie comme un document évolutif et, compte tenu de l’évolution rapide des industries novatrices et par le fait même de la profession de la PI, nous croyons qu’il est très problématique que le code soit établi par règlement. Même si ce n’est pas sans précédent, il est extrêmement rare que les règles de conduite professionnelle ou le code de déontologie d’une profession soient inscrits dans la réglementation. Dans la plupart des cas au Canada, lorsque le code est très complexe parce qu’il reflète la nature multidimensionnelle du travail effectué dans une profession, il est créé au moyen des règlements administratifs du collège, approuvés par son conseil d’administration.

Permettez-moi de rappeler au comité qu’il existe des dispositions qui exigent que les changements apportés au code soient approuvés par le ministre et qui établissent également une majorité de sièges publics au conseil d’administration du collège qui sont nommés par le ministre lui-même.

Notre recommandation est que l’on intègre le code par renvoi dans la réglementation, mais en lui permettant d’exister à l’extérieur de celle-ci. Le code peut être considéré comme un règlement sous le régime de la Loi sur les textes réglementaires, mais cette loi lui permet d’exister en tant que règlement administratif ou sous toute autre forme, à l’extérieur du cadre réglementaire, qui serait considérée, aux fins de cette loi, comme un règlement. Cette structure permettra au collège de modifier efficacement le code et d’être une organisation qui s’adapte aux tendances et aux changements des industries novatrices, et ce, dans l’intérêt public.

Pour donner un point de comparaison au comité, nous avons examiné ce que le Barreau de l’Ontario a fait concernant son code de déontologie. Les règles de conduite professionnelle ne sont pas inscrites dans un règlement sous le régime de la Loi sur le Barreau. Les conseillers et le conseil d’administration du Barreau de l’Ontario surveillent et approuvent les règles de conduite professionnelle, mais ces règles ne sont pas établies dans la réglementation en vertu de la Loi sur le Barreau. Le pouvoir d’établir les règles et les règlements administratifs est plutôt accordé par délégation législative en vertu de la Loi sur le Barreau.

Merci d’avoir invité l’IPIC à vous présenter aujourd’hui ses observations. Si vous avez des questions, nous serons heureux d’y répondre.

Le sénateur Wetston : J’aimerais obtenir une précision. Vous voulez être un OAR?

M. P. Smith : Oui, une profession.

Le sénateur Wetston : Vous avez dit un organisme d’autoréglementation. Je crois que vous avez utilisé le terme « OAR », n’est-ce pas?

M. P. Smith : Une profession autoréglementée.

Le sénateur Wetston : Oh, une profession autoréglementée?

M. P. Smith : Oui.

Le sénateur Wetston : Vous dites que c’est la même chose que le Barreau, par exemple?

M. P. Smith : Un organisme similaire, oui.

Le sénateur Wetston : J’essayais de suivre l’amendement que vous proposez, monsieur Smith, et c’est difficile parfois. C’est technique. Il semble que vous voulez être davantage un ordre professionnel plutôt qu’une profession autoréglementée.

M. P. Smith : Il s’agit de savoir si les agents de brevets et les agents de marques de commerce devraient être réglementés d’une façon quelconque. Voilà la question préliminaire. La réponse est oui, ils devraient l’être. Une autre question s’ensuit : comment devraient-ils être réglementés? Devraient-ils être autoréglementés, devraient-ils seulement être réglementés par le gouvernement, ou devraient-ils être assujettis à une réglementation hybride? La proposition dans le projet de loi est une réglementation hybride. La plupart des personnes du collège seraient nommées par le ministre et ne seraient pas issues de la profession elle-même. La majorité ne vient pas de la profession.

Le sénateur Wetston : Pourquoi le ministre devrait-il s’occuper d’un organisme qui est, à mon avis, plutôt un organisme d’autoréglementation? Le ministre ne nomme pas les membres du Barreau.

M. P. Smith : C’est exact.

Le sénateur Wetston : Le gouvernement ne nomme pas les membres des organismes d’autoréglementation. Je ne crois pas que le ministre nomme les ingénieurs. Je ne vois pas pourquoi c’est nécessaire. Je ne m’oppose pas nécessairement à cela. J’essaie seulement de comprendre pourquoi vous avez besoin de cette intervention politique?

M. P. Smith : Il y a deux enjeux ici. Le premier, c’est que l’IPIC ne représente pas tous les agents de brevets ou tous les agents de marques de commerce au Canada. Ce n’est pas une question de réglementer notre organisation. Ce n’est pas ce que nous demandons et ce dont on parle. La question est de savoir si tous les agents de marques de commerce et tous les agents de brevets au Canada devraient être réglementés. Est-ce dans l’intérêt public? La réponse, c’est que, à l’heure actuelle, il n’y a aucune règle relative aux procédures disciplinaires. Contrairement aux barreaux, aucune règle n’exige que les gens poursuivent leur formation. L’IPIC recommande la mise en place de ces types de dispositions qui prévoient qu’il faut être membre de cette profession, c’est-à-dire un agent de brevets ou un agent de marques de commerce.

Le sénateur Wetston : Je crois que nous recevons beaucoup d’orientation et d’information du Royaume-Uni. Les représentants britanniques viennent souvent au Canada, comme vous le savez. Le Royaume-Uni possède un appareil judiciaire spécialisé en droit des brevets. Je crois qu’il a une cour des brevets, si je me souviens bien. Elle n’existe peut-être plus, mais il y en avait une. Au Royaume-Uni, les organismes sont-ils accrédités et réglementés, à titre d’exemple?

M. Kingsley : Beaucoup de choses qui se trouvent dans ce projet de loi suivent en réalité une structure similaire à celle en place au Royaume-Uni. C’est une organisation appelée IPReg. Il s’agit essentiellement d’un collège d’agents de brevets et d’agents de marques de commerce au Royaume-Uni. Pour ce qui est de la gouvernance de l’organisation, c’est une structure quatre-trois similaire à ce qui est proposé ici, où il y a quatre postes publics ou non-juristes. Ces postes comportent une description d’emploi très précise des types de personnes qu’on recherche; il ne s’agit pas seulement de trouver quatre personnes dans l’intérêt public, mais de nommer des gens qui possèdent une expérience qui serait utile au conseil d’administration du collège pour réglementer la profession. Il y a ensuite trois membres de la profession au conseil d’administration qui sont essentiellement des experts des activités quotidiennes de la profession.

Le sénateur Wetston : Et diriez-vous que c’est une profession autoréglementée?

M. Kingsley : Oui, nous dirions que c’est encore le cas. Nous espérions, initialement, qu’une majorité de membres de la profession siègent au conseil, mais nous avons compris que, dans l’intérêt public, des membres du public siégeraient au conseil. Ce que nous avons ici dans le projet de loi est une majorité de postes publics.

Le sénateur Wetston : Je comprends. Merci.

Le président : Je vois qu’il n’y a pas d’autres questions. Vous avez été clair et concis, comme vous l’avez été dans le groupe de témoins précédent. Nous avons pris en note ce que vous nous avez dit. Merci à vous deux de vous être libérés pour comparaître.

Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.

(La séance est levée.)

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