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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 49 - Témoignages du 22 novembre 2018


OTTAWA, le jeudi 22 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui à huis clos, à 10 h 31, pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international (sujet : La collecte des informations financières par Statistique Canada — Étude d’une ébauche de rapport); et pour examiner la teneur des éléments des sections 3, 4, 6, 7 et 10 de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le président : Bienvenue à ceux et celles qui assistent aux réunions du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, soit ici, dans la salle, ou par l’entremise du Web. Je m’appelle Doug Black. Je suis un sénateur de l’Alberta et je suis président de ce comité. Je vais demander à mes collègues de se présenter aux témoins, en commençant par la sénatrice Wallin.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.

Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Klyne : Bonjour. Marty Klyne, de la Saskatchewan.

Le président : Aujourd’hui nous poursuivons notre examen de la teneur de différents éléments de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget. Au cours de la première partie de notre réunion d’aujourd’hui, nous porterons notre attention sur la section 3 de la partie 4, qui concerne le secteur financier.

Je suis très heureux d’accueillir un groupe distingué de témoins, dont un certain nombre ont déjà comparu devant ce comité. Je reconnais des visages familiers et amicaux. Je suis heureux de présenter Justin Brown, directeur, Stabilité financière, Division des marchés des capitaux, Direction de la politique du secteur financier; et Manuel Dussault, directeur principal, Politique d’encadrement, Direction de la politique du secteur financier, tous deux du ministère des Finances du Canada. Je crois que nous accueillons un remplaçant pour Yuki Bourdeau. Pourriez-vous vous présenter vous-même, monsieur?

Olivier Paradis-Béland, économiste principal, Cadre politique du secteur financier, Division des institutions financières, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : Olivier Paradis-Béland, économiste principal, de Finances Canada.

Le président : Merci beaucoup.

Nous recevons Theresa Hinz, directrice générale, Législation, interprétation des politiques et conformités, Division des affaires réglementaires, du Bureau du surintendant des institutions financières. Nous accueillons Gregory Cowper, directeur général, Politiques, Assurance et Nouveaux risques, de la Société d’assurance-dépôts du Canada.

Je vous remercie tous de votre présence aujourd’hui. Nous allons commencer, comme vous le savez tous, par les déclarations liminaires, notamment par celles des représentants du ministère des Finances.

[Français]

Manuel Dussault, directeur principal, Politique d’encadrement, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : Je vais commencer avec la sous-section A et je vais ensuite passer la parole à mon collègue, M. Justin Brown, qui abordera les sous-sections subséquentes.

Alors la sous-section A propose quatre modifications aux lois sur les institutions financières. Les deux premières sont substantielles, mais ciblées, et les deux dernières visent des corrections.

[Traduction]

Le premier ensemble de modifications, soit les articles 130 à 134, permettrait de réduire le fardeau administratif inutile, à la fois pour le Bureau du surintendant des institutions financières et les institutions financières.

L’approbation du surintendant est requise pour les investissements importants dans des entités qui se livrent à des activités d’intermédiation financière, lesquelles les exposent à des risques du marché ou du crédit, par exemple un prêteur non réglementé. En pratique, puisque le cadre de supervision du BSIF met l’accent sur le risque important, l’approbation du surintendant est accordée systématiquement lorsque les investissements sont relativement petits.

Les modifications proposées permettraient d’exempter les institutions financières de demander l’approbation du surintendant lorsque la valeur de l’investissement proposé, compte tenu de la valeur de l’institution acquéreuse, est inférieure à un seul d’importance relative. Dans le cas des grandes institutions financières, le seuil serait établi à 1 p. 100 dans les cas de l’acquisition du contrôle d’une entité, et à 0,5 p. 100 dans le cas d’importants investissements n’entraînant pas le contrôle d’une entité. Les seuils correspondants seraient deux fois plus élevés dans le cas des petites institutions et des institutions de taille moyenne. L’établissement du seuil plus bas pour les grandes institutions financières, et des seuils plus stricts, vise à garantir que les investissements considérables faits par ces institutions restent assujettis à l’approbation prudentielle du surintendant.

Le deuxième ensemble de modifications, soit les articles 135 à 151, permettrait aux institutions financières de maintenir indéfiniment un important investissement dans le Fonds de croissance de sociétés canadiennes.

Le fonds a été établi par les plus grandes institutions financières canadiennes suivant une recommandation du Conseil consultatif en matière de croissance économique. Le fonds fera des investissements minoritaires, patients et à long terme dans de petites et moyennes entreprises qui ont une clientèle établie et un potentiel de croissance intéressant. Les lois régissant les institutions financières interdisent habituellement aux institutions de faire l’acquisition d’intérêts importants dans des entités commerciales non liées aux finances. Les modifications créeraient une exception à cette interdiction générale.

Les modifications comprendraient un certain nombre de restrictions pour que l’on puisse s’assurer que cette nouvelle marge de manœuvre est circonscrite. Premièrement, pour qu’on ne puisse pas évincer les capitaux d’autres sources, le montant de capital que chaque institution financière serait autorisée à investir serait limité à 200 millions de dollars. Deuxièmement, afin de se conformer aux règles actuelles sur le capital de risque et de maintenir la distinction entre services financiers et services commerciaux, les institutions financières ne pourront pas investir par l’intermédiaire du fonds dans des institutions financières réglementées et dans des entités principalement engagées dans des activités de crédit-bail ou qui agissent à titre de courtiers ou d’agents d’assurance. Troisièmement, pour qu’on puisse s’assurer que le fonds demeure axé sur les petites et moyennes entreprises, l’exposition totale à une seule entreprise serait limitée à 100 millions de dollars. Ces restrictions sont conformes au plan d’affaires du fonds.

Le troisième ensemble de modifications proposées, qui sont de nature technique, soit les articles 152 à 154, harmoniserait la loi avec l’intention stratégique de permettre aux institutions financières de fournir de l’information à leurs clients ou à leurs actionnaires par voie électronique. Ces modifications préciseraient de façon explicite que le consentement des clients ou des actionnaires peut être donné par voie électronique.

Pour terminer, le quatrième ensemble de modifications, qui concerne les articles 155 et 156, vise à corriger un renvoi erroné dans la version anglaise de la précédente Loi d’exécution du budget.

Merci.

Le président : Pourriez-vous répéter le dernier point? Qu’avez-vous dit?

M. Dussault : Le quatrième ensemble de modifications vise à corriger un renvoi erroné dans la version anglaise de la précédente Loi d’exécution du budget.

Le président : Merci beaucoup.

Justin Brown, directeur, Stabilité financière, Division des marchés des capitaux, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : Merci, Manuel. Je suis ici pour parler des sous-sections B et C de la section 3 de la partie 4. Je vais donner un aperçu de chacune des sous-sections et ensuite, bien entendu, je serai heureux de répondre aux questions et de recevoir les commentaires.

La sous-section B est liée aux modifications apportées à la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, la LSADC. Il y a trois types de modifications. Je vais les passer en revue un à la fois.

Le premier type de modifications sont de nature technique. Le gouvernement propose d’apporter des modifications techniques à la LSADC afin de préciser le libellé ambigu et de faire en sorte que le texte législatif demeure clair et représentatif de l’intention stratégique sous-jacente. L’article 163 viendrait préciser la disposition sur le calcul des dépôts assurés en limitant celui-ci à une méthode de calcul dont l’utilisation a été approuvée pour cet exercice comptable de primes. Les articles 157, 162 et 164 auraient pour effet d’abroger des références périmées au Fonds d’assurance-dépôts et aux bénéfices nets accumulés, puisqu’elles renvoient à des pratiques comptables désuètes. Les articles 165 et 166 auraient pour effet d’abroger des modifications non en vigueur qui se rapportent à la prime annuelle minimale que doivent payer les institutions membres de la SADC. Enfin, les articles 159 et 160 auraient pour effet de préciser les règles quant à la couverture prolongée de l’assurance-dépôts à la suite de la fusion de deux institutions membres de la SADC, ou plus, ou de la création d’une coopérative de crédit fédérale. Voilà donc le premier type de modifications apportées à la LSADC.

Le deuxième type de modification est lié à la compensation. Les modifications qu’on propose d’apporter à la LSADC visent à préciser que le liquidateur d’une institution membre de la SADC ne peut appliquer les règles de la compensation dans le cas de réclamations touchant des dépôts assurés. Cette modification protégerait la SADC en garantissant qu’elle peut réclamer le paiement intégral des dépôts assurés faits aux déposants. Il s’agit ici de l’article 161.

Le dernier type de modification contenu dans la sous-section B, à l’article 158, est lié au pouvoir d’emprunt de la SADC. La modification proposée de la LSADC vise à exclure du calcul de la limite d’emprunt de la SADC les emprunts effectués par la société au titre de l’article 60.2 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Cette modification soutiendrait la capacité du gouvernement de prêter de l’argent à la SADC rapidement pour promouvoir la stabilité et l’efficacité du système financier.

Pour terminer, je vais parler de la sous-section C de la section 3 de la partie 4. Il s’agit des articles 167 à 173, et il s’agit de modifications qui concernent les renseignements juridiquement protégés fournis au Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF. Les modifications qu’on propose d’apporter aux lois du secteur financier — je serai heureux de les détailler pour vous, si vous le souhaitez — permettraient de préciser que, quand l’institution financière fournit des renseignements protégés au BSIF, elle ne renonce à aucun privilège relatif à ces renseignements. Ces modifications permettraient au BISF d’avoir un accès continu à des renseignements d’institutions financières, ce qui est important s’il veut s’acquitter de son mandat de surveillance.

Theresa Hinz, directrice générale, Législation, interprétation des politiques et conformité, Division des affaires réglementaires, Bureau du surintendant des institutions financières : Bonjour à tous. Je vous remercie, monsieur le président, d’inviter des représentants du Bureau du surintendant des institutions financières à venir témoigner devant ce comité aujourd’hui. Je m’appelle Theresa Hinz et je suis directrice générale de l’équipe de la législation, de l’interprétation des politiques et de la conformité. Mon collègue, Ryan Cassidy, m’accompagne aujourd’hui. Il est gestionnaire principal, Interprétation législative.

Comme vous le savez, notre organisation est responsable du soutien de la sûreté et de la solidité des banques et des sociétés de fiducie, de prêt et d’assurance assujetties à la réglementation fédérale au moyen d’activités de réglementation et de surveillance de ces institutions.

Lors de son récent témoignage devant ce comité, le surintendant a mis l’accent sur les besoins en matière de réglementation pour éviter tout excès de confiance. Nous devons continuer à chercher à obtenir l’équilibre entre la protection des déposants, des titulaires de police d’assurance et d’autres créditeurs d’institutions financières et le fait de permettre aux institutions d’être concurrentielles et de prendre des risques raisonnables.

[Français]

Les modifications proposées aux lois régissant les institutions financières fédérales dans les articles du projet de loi sur lesquels vous vous penchez aujourd’hui ont été formulées avec le souci d’assurer cet équilibre.

Le BSIF estime très utile l’examen périodique des lois régissant les institutions financières fédérales. Cette démarche lui permet de proposer des modifications qui renforcent sa capacité de réglementer et de surveiller les institutions. De plus, elle assure la pertinence des lois dans un contexte d’évolution rapide.

[Traduction]

Les modifications proposées qui vous sont présentées aujourd’hui méritent d’être examinées. Sur ce, je serai heureuse de répondre à vos questions.

Gregory Cowper, directeur général, Politiques, Assurance et Nouveaux risques, Société d’assurance-dépôts du Canada : Monsieur le président, nous sommes heureux de témoigner aujourd’hui. Dans l’ensemble, nous appuyons les modifications qu’on propose d’apporter à la LSADC qui amélioreront notre souplesse, notre rapidité d’action et notre capacité d’adaptation, ainsi que notre capacité à exécuter notre mandat et à protéger les déposants canadiens.

Actuellement, la SADC a accumulé un fonds de prévoyance de plus de 4 milliards de dollars qui est disponible pour nous aider en cas de faillite d’une de nos institutions membres, sans qu’on doive emprunter de l’argent. De plus, nous avons actuellement une capacité d’emprunt d’environ 23 milliards de dollars sur des marchés ou auprès du gouvernement, ce qui, selon nous, serait suffisant pour satisfaire aux besoins financiers auxquels il faut répondre pour assurer la solvabilité d’institutions financières membres de petite ou de moyenne taille.

Les modifications proposées permettraient à la SADC, à titre d’autorité de règlement pour le Canada, d’avoir accès à des fonds suffisants et en temps opportun afin de soutenir la stabilité financière dans des circonstances extraordinaires, comme la faillite simultanée de plusieurs institutions membres de petite et de moyenne taille ou le règlement en cas de faillite d’une banque systémique. Cela permettrait à la SADC d’exécuter de façon plus efficace son mandat qui consiste à protéger la stabilité du système financier.

Les modifications aideraient aussi à s’assurer que les coûts liés à la faillite de banques sont payés par l’industrie bancaire canadienne, et non par les contribuables, puisque nous sommes en mesure de récupérer les coûts et les pertes grâce aux primes qui seront versées par la suite. Le projet de loi contient aussi des modifications importantes relativement à la protection de la capacité de la SADC de récupérer des montants à partir des biens appartenant à une institution membre qui a fait faillite. Le projet de loi comprend aussi plusieurs mesures administratives que nous considérons comme importantes pour l’exercice de nos activités courantes.

Merci beaucoup.

Le président : Je vous remercie. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Wetston : J’ai deux brèves questions à poser.

Monsieur Dussault, c’est véritablement la question de l’importance de la valeur qui me préoccupe. Je reconnais qu’il y a beaucoup d’information contenue dans les modifications concernant les efforts consentis pour réduire la nécessité de soumettre à l’examen du Bureau du surintendant des institutions financières des transactions d’une certaine importance, tout en conservant l’obligation d’examen des transactions d’une autre importance. Je sais que cela fait partie des modifications. À mon avis, toute votre approche est quantitative. Il s’agit de chiffres. Cela ne tient pas vraiment compte des répercussions. La faillite ou l’acquisition d’une institution financière qui a peut-être des problèmes de crédit, d’endettement, de liquidité ou autres échapperait alors à l’examen du Bureau du surintendant des institutions financières. Cela pourrait créer des problèmes, parce que ces institutions ont des clients, et les incidences pourraient être assez importantes pour eux. Je comprends qu’il s’agit d’une acquisition, mais des acquisitions peuvent entraîner, de toute évidence, des problèmes. Vous soumettez cette question à une norme fondée sur l’importance, et je ne sais pas comment vous définissez cette norme autrement que par la valeur. Habituellement, dans les marchés financiers, on établit les normes fondées sur l’importance en fonction des incidences, les moins graves étant un changement lié au prix ou à d’autres conditions du marché. Je ne dis pas que cette approche est inadéquate. Je n’arrive tout simplement pas à saisir complètement à quoi elle tient à l’exception du chiffre.

M. Dussault : Monsieur le sénateur Wetston, je vous remercie de votre question. Cette mesure a été élaborée en collaboration avec le BSIF. Le bureau applique des mesures semblables dans le cas des transactions qui ne requièrent pas nécessairement une approbation, alors cette approche a été mise à l’épreuve de ce point de vue. Je peux peut-être laisser mes collègues du BSIF vous l’expliquer.

Le sénateur Wetston : Il me manque peut-être simplement de l’information.

Mme Hinz : J’ajouterais qu’il s’agit d’une approche numérique et empirique permettant d’évaluer si l’acquisition est importante ou non. Ce qui arriverait, c’est qu’en raison de notre régime de supervision et de notre capacité de réglementation, une fois que l’investissement ferait vraiment partie de l’institution, cet aspect serait examiné afin que l’on puisse déterminer si quoi que ce soit d’autre devrait être fait du point de vue du cadre réglementaire et de toute autre mesure que l’institution financière pourrait devoir prendre.

Le sénateur Wetston : Ainsi, vous affirmez que le contrôle prudentiel continu se poursuivrait.

Mme Hinz : Exactement.

Le sénateur Wetston : Il est difficile de débrouiller des œufs, toutefois.

En ce qui concerne la SADC, je comprends votre approche et la somme de 4 milliards de dollars que vous avez mentionnée. Vous vous considérez comme une autorité en matière de règlement, ce qui est nécessaire, évidemment. Comment composez-vous avec la Banque du Canada, qui est le prêteur de dernier recours dans certaines situations malheureuses? Vous semblez assumer ce rôle dans d’autres circonstances. Je reconnais que vous voulez éviter le plus possible les aléas de moralité, ce qui, selon moi, est un but louable, mais comment conciliez-vous votre rôle avec celui de la Banque du Canada dans ce genre de situation, si elle se produisait?

M. Cowper : Nos mandats sont distincts. Le rôle de la Banque du Canada consiste notamment à octroyer des liquidités d’urgence, et nous avons le pouvoir et la capacité d’en octroyer, nous aussi, dans certaines circonstances. Le gouverneur de la Banque du Canada siège à notre conseil d’administration, de même qu’un sous-gouverneur, alors nous coordonnons très efficacement nos activités et nos points de vue directement avec les dirigeants de la Banque du Canada. Nous siégeons également au CSIF, aux côtés des chefs d’autres organismes du filet de sécurité. Un peu comme dans le cas de notre relation avec les gens du BSIF et du ministère des Finances, nous disposons d’un système bien coordonné, fondé sur les comités permanents. Ce système garantit que les décisions qui sont prises le sont dans l’intérêt du système financier et d’une manière qui entraîne les résultats les plus efficients et les plus efficaces possible.

Le sénateur Wetston : Je voulais comprendre dans quelles situations vous ou la banque pourriez agir.

M. Cowper : Le recours, par exemple, à l’octroi de liquidités d’urgence dans le cas d’une petite ou moyenne banque aurait lieu dans des circonstances extraordinaires et sous réserve de conditions particulières, et la Banque du Canada a établi une politique à cet égard. Dans quelles circonstances agirions-nous? Ce serait lié à la résolution des défaillances d’une institution financière particulière. Il faudrait que la résolution donne un résultat qui réduit au minimum notre exposition à la perte, protège les déposants et maintient la stabilité financière. Chacun de nous possède les pouvoirs, et il faudrait que les décisions soient prises au bon moment.

Le sénateur C. Deacon : Je vais poser une question au sujet du fonds de croissance des sociétés. Tout cela, c’est de l’investissement bancaire. Aucun investissement gouvernemental n’est effectué en parallèle, à ce que je crois savoir. Vous permettez un investissement bancaire. J’ai eu de la difficulté à comprendre pourquoi les banques considèrent comme une priorité le fait d’investir à la dernière étape du marché parce que, au cours des dernières années, au Canada, cette étape d’investissement de capital de risque a fait l’objet d’une croissance importante, alors que les capitaux investis au cours des phases d’amorçage et préalables à l’amorçage ont diminué, en termes absolus. Il faut cette base de bons investissements. Nos investissements aux étapes ultérieures attirent des investisseurs de partout dans le monde, et c’est ce que nous voulons faire. Nous voulons disposer d’un niveau d’investissement concurrentiel à l’échelle mondiale. Je me demande simplement pourquoi c’était considéré comme une priorité. Aidez-moi un peu à comprendre. La genèse de la mesure me laisse perplexe.

M. Dussault : Les modifications touchent la dernière étape de l’établissement du fonds de croissance des sociétés. Ce fonds a été établi pour donner suite à la recommandation du conseil de la croissance. Les intervenants se sont adressés à nous et ont indiqué qu’il existe des limites et des lois régissant les institutions financières qui restreignent la capacité des banques d’investir à long terme. Les institutions financières ont la capacité d’investir pendant 13 ans dans des entreprises commerciales, mais cette limite est de 13 ans. Ce dont nous avions besoin, c’était que les capitaux puissent être mis à la disposition des PME aux fins de leur investissement et de leur croissance à long terme. Cette période de 13 ans était perçue comme étant trop limitée pour l’intention du fonds de croissance des sociétés, vu le créneau qu’elles occupent dans le marché.

Le sénateur C. Deacon : Je crois comprendre que vous proposez des modifications législatives visant à permettre cette fonction, alors je comprends cela. Toutefois, j’ai encore de la difficulté à comprendre sur quoi on se concentre et pourquoi l’accent a été mis sur cette mesure à l’étape tardive du cycle d’investissement, car il ne s’agit pas d’une étape où il y a une grande lacune, au Canada. Je ne comprends pas non plus pourquoi nous ne permettons pas davantage d’investissements à des étapes précoces et ne nous concentrons pas là-dessus. Les phases préalables à l’amorçage et d’amorçage sont celles qui, au bout du compte, nécessiteront ces investissements. L’ampleur de l’investissement minimal et la taille des entreprises l’exigent. Il s’agit d’un investissement tardif. Peut-être êtes-vous incapable de répondre à cette question. Je le comprends.

Le sénateur Tannas : Je veux poser une question à M. Dussault. Je suis en train d’examiner le calcul du seuil d’importance relative. Dans le cas des institutions dont les capitaux propres sont supérieurs à 12 milliards de dollars, c’est la moitié de 1 p. 100. La Banque Royale possède des actifs d’environ 1,4 billion de dollars, alors il serait question d’un seuil d’environ 700 millions de dollars. Toutefois, j’ai cru vous entendre dire qu’il y a un plafond de 100 millions de dollars. Ai-je mal compris?

M. Dussault : C’était un peu différent. Le plafond de 100 millions de dollars concernait le fonds de croissance des sociétés. Il s’agit de la capacité d’investir dans une PME. C’est une limite sur l’investissement total du fonds de croissance des sociétés dans une PME.

Le sénateur Tannas : Pas en ce qui concerne l’acquisition. La RBC pourrait payer 700 millions de dollars pour une entité admissible sans avoir besoin d’obtenir des approbations auprès de l’organisme de réglementation. Est-ce exact?

M. Dussault : En réalité, les modifications concernent l’approbation du surintendant. Des approbations ministérielles sont encore requises pour l’acquisition d’une institution financière, par exemple.

Le sénateur Tannas : Je parle de l’achat d’une entreprise de technologie financière. Au Canada, de nos jours, on peut acheter une entreprise de technologie financière florissante pour 700 millions de dollars — pour revenir à la question du sénateur Wetston —, laquelle pourrait refaçonner les services financiers offerts au pays et avoir une énorme incidence sur eux. Est-il juste de l’affirmer, selon vous?

M. Dussault : Il s’agit d’un investissement appréciable. Voilà pourquoi la modification prévoit un seuil moins élevé pour les grandes institutions financières. Comme l’a mentionné mon collègue du BSIF, il existe d’autres outils de supervision, bien entendu.

Le sénateur Tannas : Cela nous ramène au climat dont le Canada profite, tout comme les institutions. Il y a cinq ou six très gros joueurs, et ils peuvent mettre la main sur certains segments complets du marché, s’ils le veulent. Nous avons observé de telles situations au fil des ans, dans le cas de sociétés de fiducie, de banques d’investissement, et ainsi de suite. Ce climat crée-t-il, d’une certaine façon, une situation où un secteur entier pourrait être accaparé rapidement, à une étape précoce, par deux ou trois banques qui s’unissent pour l’acheter? Ne s’agit-il pas de quelque chose que vous voudriez au moins examiner avant de donner votre approbation?

M. Dussault : Les approbations visées par ces modifications sont celles du surintendant, qui concernent, en réalité, la sûreté et la solidité. Voilà le mandat du surintendant.

Le sénateur Tannas : Le Bureau de la concurrence?

M. Dussault : Oui.

Le sénateur Tannas : Je comprends ce que vous dites. Merci.

Mme Hinz : En outre, s’il s’agissait d’une mesure de contrôle, si on achetait une entité dans le but de la contrôler, il y aurait eu une approbation ministérielle. Le surintendant n’aurait à l’approuver qu’en présence de certains types de risques. J’affirmerais qu’il existe encore un cadre permettant de surveiller et de comprendre la nature des investissements.

Le sénateur Tannas : D’accord. Bien. Merci.

Le président : Très intéressant.

La sénatrice Stewart Olsen : Monsieur Brown, j’ai peut-être moi aussi mal compris votre exposé. Vous avez affirmé qu’il y avait une modification technique de nature administrative touchant la SADC et la capacité du gouvernement de prêter de l’argent. Augmentez-vous ce seuil? Quelle était cette modification? J’ai probablement manqué vos propos.

M. Brown : Aucun problème. Nous ne classions pas nécessairement cette modification dans la catégorie des modifications administratives ou techniques.

La sénatrice Stewart Olsen : C’était dans votre exposé.

M. Brown : Oui. Je tiens à préciser qu’elle est importante pour ce qui est de donner au gouvernement la capacité de prêter de l’argent à la SADC. Cette proposition ne changera pas cette situation. La limite d’emprunt de la SADC est plafonnée sous le régime de la Loi sur la SADC. Elle est indexée à la somme des dépôts assurés. Actuellement, elle s’élève à environ 23 milliards de dollars, comme l’a mentionné Greg.

Le ministre a également la capacité, au titre de l’article 60.2 de la Loi sur la gestion des finances publiques, de prêter de l’argent dans le but de promouvoir la stabilité financière ou de maintenir l’efficience du secteur financier.

La sénatrice Stewart Olsen : Oui.

M. Brown : Dans ces situations extraordinaires, les modifications permettraient au gouvernement de prêter de l’argent à la SADC, et les changements liés à cet argent ne seraient pas pris en compte relativement à l’atteinte de la limite d’emprunt de la société.

Comme l’a mentionné Greg, dans la plupart des situations prévisibles, on dispose de fonds suffisants. Les autres autorités à l’intérieur du cadre établi pour le secteur financier disposent d’assez de financement, de pouvoirs et d’outils pour gérer les situations probables. Dans un scénario extrême, la SADC pourrait avoir plusieurs paiements à verser, ou bien une grande banque pourrait éprouver des difficultés, et les besoins pourraient dépasser cette limite de 23 milliards de dollars. Cette modification permettra au gouvernement de prêter, en temps opportun et de manière efficiente, des fonds supplémentaires à la SADC.

La sénatrice Stewart Olsen : Je trouve que c’est étrange. Nous avons traversé de nombreuses années de récession mondiale et nous nous sommes débrouillés pour respecter la limite de 23 milliards de dollars, c’est-à-dire ce plafond. Pourquoi le gouvernement envisage-t-il la nécessité de prévoir ces sommes d’argent supplémentaires dont il semble ne pas avoir besoin actuellement?

M. Brown : Je conviens du fait qu’il n’en a pas besoin actuellement. Nous réfléchissons beaucoup aux pires des scénarios et au fait de nous y préparer.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vais vous arrêter là. Envisagez-vous actuellement un des pires scénarios? Manifestement, ce doit être le cas, si c’est évoqué. Pour ma part, je mettrais cela en lumière, en fait. Cette modification a été évoquée dans votre exposé sous la rubrique des modifications administratives ou techniques, mais ce n’en est pas une. Il s’agit d’un changement très important en prévision d’une situation que nous n’observons peut-être pas actuellement. Votre explication me convient. J’avais bien entendu, mais je voulais m’en assurer. Merci.

Le sénateur Klyne : Ma première question comporte deux volets. Les modifications du seuil d’importance relative sont logiques. Je me demande pourquoi on prend cette mesure maintenant. Quels sont les résultats escomptés pour le secteur bancaire en conséquence de cette modification? Le seuil est logique, mais pourquoi maintenant et quelle est l’incidence sur le résultat pour les banques?

M. Dussault : Pourquoi maintenant? Cela fait partie de l’examen de 2019 des institutions financières, que nous effectuons environ tous les cinq ans. Il s’agit de la deuxième phase de modifications. C’est une proposition qui a été désignée en tant que priorité par nos intervenants, et c’est pourquoi nous le faisons maintenant.

Le sénateur Klyne : Venons-en à l’autre volet et tentons de comprendre la portée de la modification. Quelle proportion des transactions serait inférieure aux seuils proposés?

M. Dussault : Le BSIF est retourné consulter ses cas précédents afin de voir combien de transactions se retrouveraient sous le seuil. Je vais passer le micro à mon collègue du BSIF.

Mme Hinz : Oui, je peux répondre à cette question. Nous avons des statistiques.

Si les propositions étaient adoptées, cela signifierait que, entre 2015 et 2016, 40 p. 100 des transactions reçues par le BSIF pour ce type d’approbation n’auraient pas eu à passer par le BSIF. Cela concernerait 13 des 31 investissements pertinents.

L’autre aspect important, quant à la réduction du fardeau, c’est qu’obtenir une approbation prend du temps. Il faut seulement de quatre à six semaines pour traiter une demande, mais la préparation des documents et la recherche de tous les renseignements peuvent parfois prendre trois, six, sept mois. Si une institution est dans un contexte d’investissement et que le facteur temps est important, le chemin paraîtra long. Il y a un énorme allégement du fardeau pour les institutions financières, quant à ces seuils, ainsi que pour le BSIF, car cela nous permet de redéployer les ressources dans des domaines qui requièrent notre attention, où le risque matériel est plus important.

Le sénateur Klyne : Je comprends l’objectif touchant le fardeau administratif. Pouvez-vous me donner le montant en dollars de ces 40 p. 100, ou ces 13 investissements sur 31?

Mme Hinz : Je vais devoir vous revenir là-dessus.

Le sénateur Klyne : C’est un nombre élevé.

Mme Hinz : Nous n’avons pas envisagé les choses en termes de montants en dollars, mais si vous voulez cette information, je peux voir si nous pouvons faire le calcul.

Le sénateur Klyne : Oui. Je suis curieux.

Je pense que l’observation du sénateur Deacon sur la présence aux dernières étapes, par rapport à l’absence aux étapes de préparation, là où c’est vraiment nécessaire, est une importante observation.

Quel rôle le gouvernement fédéral a-t-il joué dans la mise sur pied du Fonds de croissance de sociétés canadiennes? Quelle a été sa participation dans le cadre de la création de ce fonds?

M. Dussault : Je peux seulement parler de mon rôle, qui consiste en réalité à examiner les institutions financières; je suis donc incapable de répondre à votre question aujourd’hui.

Le sénateur Klyne : Le gouvernement fédéral a-t-il fait des plans pour soutenir le Fonds de croissance de sociétés canadiennes dans l’avenir?

M. Dussault : Ma participation s’arrête à ces modifications. Selon nous, tout suivait les investissements des institutions financières.

Le sénateur Klyne : Merci.

Le président : Je remercie les témoins non seulement d’être venus ici aujourd’hui, mais aussi pour le travail qu’ils font pour nous. Nous sommes de toute évidence chanceux d’avoir des gens qui ont votre intelligence pour servir notre pays. Merci beaucoup.

Nous poursuivons notre étude sur le projet de loi C-86, Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, et en particulier la section 4 de la partie 4, qui porte sur les produits de la criminalité.

Pour notre prochain groupe de témoins, j’ai le plaisir d’accueillir les représentants du ministère des Finances Canada : Mme Lynn Hemmings, directrice générale par intérim, Division des systèmes financiers, Direction de la politique du secteur financier; et, enfin, M. Maxime Beaupré, directeur, Politique crimes financiers, Division des systèmes financiers, Direction de la politique du secteur financier. Bienvenue à vous deux. Nous aimerions entendre vos déclarations préliminaires, s’il vous plaît.

Lynn Hemmings, directrice générale par intérim, Division des systèmes financiers, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : Merci. La partie 2 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes est administrée par l’Agence des services frontaliers du Canada. Elle exige que les gens déclarent l’importation de devises ou d’instruments monétaires — nous entendons par là des actions, des obligations, des traites bancaires et des mandats — d’une valeur de 10 000 $ ou plus. La partie 2 permet également à l’ASFC d’effectuer une fouille lorsqu’elle a des motifs raisonnables de soupçonner une personne ou une entité de transporter des devises ou des instruments monétaires non déclarés.

Lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’il s’agit de produits de la criminalité ou de fonds pour le financement du terrorisme, l’ASFC peut saisir ou confisquer les fonds. L’ASFC recueille les déclarations sur les mouvements transfrontaliers de devises ainsi que les rapports de saisie et de confiscation aux frontières et les envoie au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE.

Dans la partie 2, il est proposé de supprimer une disposition concernant la possibilité de ne pas poursuivre l’importation ou l’exportation de devises. Cette disposition concernant la déclaration de devises ne concorde pas avec des dispositions similaires de la Loi sur les douanes qui concernent la déclaration de biens. L’expérience opérationnelle de l’application de cette disposition a montré que ce pourrait être une lacune empêchant les agents des services frontaliers de saisir des fonds qui traversent la frontière et qu’ils pensent être liés à des activités illicites.

On a établi que la façon dont la loi était rédigée a créé une lacune imprévue qui permettrait à des individus ou à des entités de renoncer à passer la frontière avec des devises quand il y a une possibilité que ces devises soient confisquées, en application de la loi. Ce n’est pas conforme à la façon dont sont gérés les mouvements transfrontaliers de marchandises, en application de la loi. Cette lacune menace l’intégrité du régime canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

Un cadre de travail efficace et solide de déclaration des mouvements transfrontaliers de devises est essentiel pour soutenir l’engagement du Canada dans la lutte contre la criminalité transnationale et le terrorisme et pour contribuer à la sécurité des Canadiens. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions.

Le sénateur Tkachuk : Bienvenue à vous deux. On a beaucoup parlé du blanchiment d’argent au Canada. Il y a eu beaucoup d’articles de journaux à propos du casino de Vancouver. L’Institut C.D. Howe, je crois, a justement réalisé une étude sur cette question. Pourquoi les gens semblent-ils tous croire que nous sommes le paradis mondial du blanchiment d’argent?

Mme Hemmings : Les criminels disposent de moyens extrêmement perfectionnés. Ils innovent constamment et trouvent toujours de nouvelles façons de mener leurs activités illicites. Nous avons toujours de nouveaux défis à relever et il nous faut trouver de nouvelles façons d’améliorer l’intégrité du régime. C’est une lutte permanente contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Le sénateur Tkachuk : C’était l’étude de l’Institut C.D. Howe, intitulée Hidden Beneficial Ownership and Control: Canada as a Pawn in the Global Game of Money Laundering, titre que l’on pourrait traduire par : la propriété effective cachée et le contrôle : le Canada, un pion sur l’échiquier mondial du blanchiment d’argent.

Je sais que nous avons ce système de déclaration aux banques de tout montant de 10 000 $, mais, à chaque fois que des fonctionnaires ont témoigné devant le comité, nous avons eu l’impression qu’ils avaient beaucoup d’informations, mais que rien ne se faisait à cet égard. Les poursuites sont rares; personne n’est jamais allé en prison. En fait, cela semble une perte de temps.

Ce que les banques font, au lieu de faire preuve de bon sens et de signaler les choses suspectes qu’elles voient, elles laissent simplement passer. Chaque fois qu’elles reçoivent un certain montant d’argent, elles n’y pensent plus. Elles font passer car on leur demande de le faire.

Je crois réellement que nous avons un problème dans notre pays. J’aimerais savoir si nous envisageons des nouvelles façons d’arrêter cela.

Mme Hemmings : Le Comité des finances de la Chambre a entrepris un examen. L’administration de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes fait l’objet d’un examen quinquennal. Il a publié tout récemment son rapport et une série de recommandations, que nous examinons, et nous irons de l’avant en apportant des changements supplémentaires au régime.

Le sénateur Tkachuk : J’aimerais que vous me donniez un indice de ce que vous pourriez examiner. Y a-t-il quelqu’un au gouvernement qui dirait : « Eh, il y a un problème à Vancouver »? L’entreprise la plus importante de Vancouver est Starbucks... Par ailleurs, les maisons de 200 ou 300 pieds carrés au centre-ville de Vancouver coûtent 2 millions de dollars. Y a-t-il quelqu’un qui dirait : « Je crois qu’il y a un problème ici »? Qui achète ces maisons? Pourquoi cela arrive-t-il dans une aussi grande ville?

Mme Hemmings : Il y a un groupe de défense des logements sociaux qui examine ce qui se passe sur le marché, sous l’angle de l’abordabilité. On a récemment annoncé qu’un groupe de travail collaborera avec la Colombie-Britannique pour étudier le secteur de l’immobilier de cette province afin de cerner les tendances et les types de mesures que les gouvernements peuvent prendre pour gérer les risques.

Le sénateur Tkachuk : Je crois que nous devrions faire cela au Comité des banques. Il s’agit simplement d’une proposition.

Le président : Nous l’avons déjà fait. Peut-être que c’est le moment de faire une mise à jour.

Le sénateur Wetston : Au Comité des banques, je crois que nous avons parlé de la propriété effective. J’ai justement présenté une requête au Sénat sur cette question, la propriété effective. Certaines modifications de la Loi d’exécution du budget traitent en partie de la propriété effective, et j’en suis ravi. Je crois que nous recevons des fonctionnaires qui parleront de ce sujet.

Mme Hemmings : Oui.

Le sénateur Wetston : Pour en revenir à la question du sénateur Tkachuk, en quoi cela est-il lié aux responsabilités du CANAFE? Évidemment, je sais que nous parlons des institutions et non pas de ce dont vous vous occupez ici, mais y a-t-il une quelconque relation?

Ensuite, je crois que l’enjeu auquel le sénateur Tkachuk veut en venir est un enjeu très sérieux que l’on a déjà abordé et qui est complexe. Ma question cible les sujets suivants : nous parlons de crime organisé ici. Nous parlons d’individus disposant de moyens perfectionnés qui utilisent des sociétés privées et d’autres outils et véhicules pour blanchir de l’argent. Vous parlez ici du cas d’une personne qui passe la frontière en disant : « J’ai 10 000 $ dans les poches. » Cela n’arrivera pas. Vous n’atteindrez pas la véritable source du problème avec cela. C’est peut-être une modification valable. Elle sera à mon avis utile pour des fins statistiques, mais pas du point de vue de la lutte contre la criminalité. Vous pourriez peut-être m’aider à comprendre.

Maxime Beaupré, directeur, Politique crimes financiers, Division des systèmes financiers, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : Je vous remercie pour vos questions. Concernant les liens avec l’autorité du CANAFE, cette petite modification n’affectera pas l’autorité du Centre. L’ASFC recueille les déclarations des voyageurs qui reconnaissent transporter des devises ou d’autres instruments monétaires. Ces déclarations sont soumises au CANAFE et contribuent au travail d’analyse que fait ce dernier pour élaborer des renseignements financiers qui peuvent être divulgués aux organismes d’application de la loi quand ils soupçonnent que des infractions en matière des financements du terrorisme ou de blanchiment d’argent ont été commises. Si vous voulez, je peux approfondir cette question.

Quant à l’autre point, vous avez raison. Les groupes de criminels organisés sont très perfectionnés, en particulier les groupes de criminels organisés transnationaux. Les mouvements transfrontaliers d’espèces sont une typologie claire de blanchiment d’argent. Cela facilite la vie des criminels quand l’argent passe par différentes régions, car il est plus difficile pour les organismes d’application de la loi d’enquêter et d’obtenir des mandats. Le passage illicite d’argent par les frontières est une pratique courante dans le processus de blanchiment d’argent. Pour des raisons de dissuasion et de détection, il est très important d’avoir un solide régime de déclaration des mouvements de devises aux frontières, mais il ne s’agit évidemment pas de la solution miracle au problème. Il s’agit d’un outil parmi d’autres.

Le président : J’aimerais continuer là-dessus. J’ai lu récemment — je crois que c’était dans The Economist, mais je ne me rappelle pas bien — que, si vous êtes un malfaiteur, il n’y a pas de problème. Si vous transportez de l’argent, que vous êtes un terroriste ou que vous blanchissez de l’argent, que vous êtes impliqués dans des activités criminelles, le Canada est pour vous un endroit très intéressant pour faire passer de l’argent. En fait, je crois que j’ai vu un débat. J’aimerais me rappeler où c’était, mais je n’y arrive pas. L’avez-vous vu? Seriez-vous d’accord avec cette déclaration?

M. Beaupré : C’est vrai que le Canada est un endroit vulnérable en matière de blanchiment d’argent, comme beaucoup d’économies avancées. Nous avons une économie stable et en croissance, des institutions financières solides, un processus politique ouvert et une vie socio-économique dynamique. Toutes ces caractéristiques que nous valorisons dans notre société sont en fait des aspects que les criminels pourraient exploiter pour blanchir de l’argent.

Pour être honnête, les criminels s’y intéressent car leur argent est en sécurité. Notre système financier solide et résilient, c’est une chose que les criminels cherchent également à exploiter. Pour cette raison, le Canada, comme beaucoup d’autres économies avancées, est vulnérable face au blanchiment d’argent. C’est pour cela que nous devons mettre sur pied un système solide pour à la fois dissuader et détecter toutes les occurrences.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai deux questions. Tout d’abord, combien de personnes ont tenté de traverser la frontière avec plus de 10 000 $ pour ensuite être accusées au criminel, et dans combien de cas pouvez-vous dire que ces personnes étaient reliées à des groupes criminels ou terroristes?

M. Beaupré : Merci pour la question. Nous avons ces statistiques et nous pourrons vous les fournir. Nous avons aussi les données sur les personnes qui ont tenté de traverser la frontière et qui ont été interceptées par l’Agence des services frontaliers pour ne pas avoir déclaré les sommes dont elles disposaient. Nous pourrons sûrement vous fournir des renseignements à ce sujet.

Le sénateur Dagenais : J’aimerais revenir sur les propos du sénateur Tkachuk en ce qui concerne certaines entités étrangères qui font parfois des acquisitions immobilières « douteuses ». Avez-vous les mêmes préoccupations en ce qui a trait à l’argent qui arrive au Canada, mais par les voies bancaires traditionnelles?

M. Beaupré : Je ne suis pas certain de comprendre votre question.

Le sénateur Dagenais : Corrigez-moi si je me trompe. Par exemple, j’ai un compte bancaire. Du jour au lendemain, je dépose 450 000 $ dans un compte bancaire. Est-ce que cela attirerait votre attention?

M. Beaupré : Vous avez parlé de la question des paiements transfrontaliers qui transitent au moyen du système bancaire traditionnel. Parmi les obligations qui sont établies dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, il y a celles que doivent respecter les institutions financières lorsqu’elles reçoivent un transfert électronique international de plus de 10 000 $. Toute transaction transfrontalière électronique de plus de 10 000 $, qu’elle soit entrante ou sortante, doit être déclarée au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE). Ce n’est pas parce que la transaction laisse planer un doute. Il faut déclarer à l’agence toute transaction qui dépasse ce seuil.

Vous avez mentionné le cas d’un dépôt fait dans votre compte de banque, mais pas de façon internationale. S’il s’agit d’un dépôt en argent comptant de 450 000 $, cela déclencherait aussi la transmission automatique d’un rapport au CANAFE. Cette transaction est faite sous forme électronique, mais à l’échelon national. Il n’y a pas d’obligation de déclaration obligatoire pour les institutions financières à moins qu’il y ait un soupçon à cet égard. C’est l’institution qui doit faire cette analyse, et cela pourrait être déclaré au CANAFE.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup à tous les témoins. Vous nous avez donné matière à réflexion. Nous allons passer au prochain groupe de témoins.

Nous poursuivons notre étude sur la teneur des éléments du projet de loi C-86, la Loi no 2 d’exécution du budget 2018, tout particulièrement la section 6 de la partie 4, qui porte sur la propriété effective.

C’est avec plaisir que nous accueillons notre troisième groupe de témoins, qui viennent eux aussi du ministère des Finances. Nous accueillons Mme Lynn Hemmings, directrice générale par intérim, Division des systèmes financiers, Direction de la politique du secteur financier, et Mme Safeena Alarakhia, conseillère principale, Division des systèmes financiers, Direction de la politique du secteur financier. Nous avons aussi avec nous le représentant d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, M. Mark Schaan, directeur général, Direction générale des politiques-cadres du marché, Secteur des stratégies et politiques d’innovation. Merci d’être parmi nous. Vous pouvez commencer votre déclaration préliminaire.

Mark Schaan, directeur général, Direction générale des politiques-cadres du marché, Secteur des stratégies et politiques d’innovation, Innovation, Sciences et Développement économique Canada : Bonjour. Comme vous l’avez dit, je m’appelle Mark Schaan et je suis directeur général de la Direction générale des politiques-cadres du marché à Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Parmi le grand nombre des responsabilités de ma direction générale figure la gérance de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la LCSA.

[Français]

Dans presque tous les cas, les sociétés incorporées servent les objectifs commerciaux légitimes de leurs propriétaires et de notre économie, notamment le libre-échange commercial, l’innovation, l’emploi et la prospérité.

[Traduction]

Malheureusement, il arrive que les structures d’entreprise soient utilisées à des fins illicites. Des rapports publiés récemment à l’échelle nationale et mondiale ont indiqué la nécessité d’une plus grande transparence en ce qui a trait à l’entité qui détient ou contrôle en fin de compte des entreprises au Canada. C’est ce qu’on appelle la propriété effective. Des renseignements de ce type permettent de lutter, à l’échelle mondiale, contre l’évasion et l’évitement fiscaux, le blanchiment d’argent et d’autres activités criminelles perpétrées par l’usage abusif des structures sociétaires.

[Français]

De tels abus nuisent à la réputation de notre pays en tant que milieu sécuritaire, juste et compétitif où exploiter une entreprise, en plus de mettre injustement sous les projecteurs un nombre encore plus grand d’entreprises canadiennes légitimes.

[Traduction]

La LCSA, la Loi canadienne sur les sociétés par actions, couvre environ 10 p. 100 des sociétés canadiennes, tandis que les autres sociétés sont constituées en personne morale sous le régime de lois provinciales ou territoriales. Actuellement, aucune de ces lois n’exige que les sociétés obtiennent ou tiennent à jour de l’information au sujet de leurs propriétaires effectifs. Dans le budget de 2017, le gouvernement a appelé à la collaboration entre les ordres de gouvernement en vue d’élaborer une stratégie nationale pour corriger cette lacune. Un groupe de travail fédéral-provincial-territorial a formulé des recommandations qui ont débouché sur un accord de principe conclu en décembre 2017 entre les ministres des Finances du Canada, et ce, dans le but d’apporter des modifications aux lois sur les sociétés d’ici l’été 2019.

Le projet de loi C-86 met en application des éléments clés de cet engagement au niveau fédéral. Il exige que les sociétés fermées constituées en personne sous le régime de la LCSA prennent des mesures raisonnables afin d’obtenir de l’information pertinente au sujet des particuliers qui exercent un contrôle important sur leur entreprise, et tiennent à jour cette information dans un registre qui sera actualisé au moins une fois par an. Le projet de loi énonce des critères permettant d’établir qui peut être considéré comme un particulier ayant un contrôle important, principalement au moyen de seuils relatifs au nombre et aux types d’actions que ce particulier contrôle. Les actionnaires seront tenus de coopérer du mieux qu’ils peuvent lorsqu’ils se verront demander de l’information pour contribuer à la tenue du registre. Les sociétés stockeront cette information, notamment les données démographiques et les détails concernant la manière dont le contrôle est exercé, dans leurs registres d’entreprise. Les autorités d’enquête dûment autorisées y auront accès, ce qui renforcera notre capacité à lutter contre des activités illégales comme celles que j’ai mentionnées plus tôt.

Pour terminer, je souligne que les représentants du ministère ont lu avec intérêt le rapport du Comité permanent des finances, intitulé Lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes : Faire progresser le Canada, et ont porté une attention particulière aux recommandations du comité concernant la propriété effective, appelée bénéficiaires effectifs dans le rapport, et à la transparence des sociétés. Nous continuerons d’examiner d’autres moyens de protéger le milieu canadien des affaires contre les abus, mais nous sommes convaincus que ces premiers changements permettront d’améliorer la transparence des sociétés et de rehausser la réputation du Canada.

Le sénateur Wetston : Je tiens à remercier le gouvernement et vous-même, monsieur Schaan, pour le travail que vous avez accompli dans ce dossier important. Il semble qu’on commence à reconnaître que les sociétés fermées, tout particulièrement, peuvent être utilisées pour blanchir de l’argent et financer le terrorisme. Selon moi, c’est vraiment un pas dans la bonne direction. Encore une fois, je vous félicite, le ministre, le gouvernement et vous d’être allés de l’avant dans ce dossier.

Je sais que vous avez dit que vous représentiez, sous le régime de la LCSA, environ 10 p. 100 des sociétés canadiennes constituées en personne morale. Est-ce que cela comprend les fiducies?

M. Schaan : Les structures de fiducie relèvent de la compétence provinciale. Nous estimons représenter environ 10 p. 100 des sociétés.

Le sénateur Wetston : De combien de sociétés parlons-nous? Avez-vous une idée du nombre de sociétés fermées dont il est question?

M. Schaan : Plus de 400 000 entités, environ, sont constituées en personne morale sous le régime de la LCSA. Parmi elles, je crois qu’il y a moins de 2 000 sociétés cotées en bourse. Je dois me fier à ma mémoire, alors les chiffres sont peut-être approximatifs. La très grande majorité sont des sociétés fermées. Si nous représentons 10 p. 100 d’entre elles, cela veut dire qu’il y a environ quatre millions de sociétés dans tout le Canada.

Le sénateur Wetston : J’aimerais un peu d’information sur votre situation actuelle. Je sais que vous travaillez — que le gouvernement travaille — en collaboration avec les provinces. Avez-vous une idée de la situation actuelle des provinces relativement à leur engagement concernant la propriété effective?

M. Schaan : Une chaîne n’est jamais plus forte que son maillon le plus faible. Par rapport à la propriété effective, il était important d’éviter de créer de nouvelles exigences en vertu de la LCSA qui ne seraient pas reflétées dans les lois provinciales sur les sociétés par actions, étant donné que cela ne ferait qu’encourager les sociétés à se constituer en personne morale sous le régime d’une loi provinciale pour pouvoir passer entre les mailles du filet. C’est pour cette raison que nous avons mis sur pied le groupe de travail fédéral-provincial-territorial et avons attendu qu’il en arrive à un consensus avant de procéder.

L’entente conclue par les ministres des Finances en décembre 2017 tient toujours. Le processus est déjà entamé en Colombie-Britannique, étant donné que la province s’intéresse de près à la question de la propriété effective. Le gouvernement fédéral serait le premier à adopter ces obligations relativement à la tenue des registres d’entreprise, mais nous avons bon espoir que les provinces vont tenir leur engagement d’ici 2019. Il y a eu quelques changements, dans les provinces, mais la réunion des ministres des Finances qui aura lieu dans quelques semaines nous permettra de réitérer notre engagement par rapport à ce dossier important.

Le sénateur Wetston : Bon, tout est toujours difficile au début.

Je crois que l’idée de tenir un registre est venue du Royaume-Uni. Pouvez-vous nous donner votre opinion sur ce qui s’est fait au Royaume-Uni? Est-ce que cela a été une réussite ou un échec? J’ai remarqué que vous avez dit, au début de votre déclaration préliminaire, que vous n’aviez pas l’intention de rendre l’information publique. D’après ce que j’en sais, c’est aussi ce que le Royaume-Uni faisait, au début, jusqu’à ce qu’il constate que ce n’était pas la meilleure façon de procéder. Maintenant, l’information est publique, et, d’après ce que j’ai compris, il y a des milliards de... Je cherche mes mots.

M. Schaan : De dépôts.

Le sénateur Wetston : Oui, de dépôts. Merci. Pouvez-vous nous en parler et nous dire si vous avez tiré des leçons de cette expérience et si vous les appliquez à notre propre processus?

M. Schaan : Dans les provinces et les territoires, ce travail s’est fait en deux phases. Durant la première phase, toutes les sociétés devaient colliger l’information concernant leurs actionnaires possédant 25 p. 100 des actions de la société ou exerçant un contrôle important. La deuxième phase concerne les personnes qui y ont accès. Nous entamons présentement le travail d’élaboration des politiques avec nos collègues des provinces et des territoires; nous allons essayer d’examiner les problèmes de nature stratégique et technique. Évidemment, nous avons examiné ce qui a été fait par nos collègues à l’étranger qui ont lancé des initiatives dans ce domaine et en avons tiré des leçons.

Le registre des sociétés du Royaume-Uni est un exemple intéressant. Là-bas aussi, les détenteurs doivent indiquer l’identité du propriétaire dans les registres de l’entreprise ainsi que dans un registre des sociétés accessible au public. Cependant, ces sociétés, contrairement à nous, ne sont pas tenues de divulguer l’identité de la personne physique au bout de la chaîne. Au Royaume-Uni, il suffit de divulguer l’identité de la société mère qui détient 25 p. 100 des actions, et cette société va ensuite, dans son registre d’entreprise, indiquer qui est la société mère qui détient 25 p. 100 de ses actions. Vous pouvez chercher longtemps la personne physique qui se trouve au bout de la chaîne. Nous avons réglé ce problème en exigeant que les sociétés divulguent l’identité de la personne physique — et non seulement de la personne morale — qui, au bout de la chaîne, exerce le contrôle.

Il y a eu des discussions au sujet des avantages et des inconvénients de l’initiative du Royaume-Uni, parmi d’autres. Il y a énormément de soutien en ce qui a trait à une transparence accrue, mais, évidemment, il reste des difficultés. Une difficulté importante, par exemple, concerne la vérification; c’est quelque chose dont nous tenons vraiment compte dans le contexte canadien. Avec quatre millions d’entreprises et une foule d’actionnaires, il y a énormément d’information, et il faut veiller à ce qu’elle soit exacte.

Pour terminer, je dirais que les efforts du gouvernement ne se résument pas à cet outil uniquement. Des fonds supplémentaires ont été affectés à l’Agence du revenu du Canada pour renforcer ses capacités concernant l’impôt et, comme mes collègues l’ont mentionné, les institutions financières et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Nous espérons créer un certain nombre de leviers qui permettront de régler ces problèmes.

Le sénateur C. Deacon : À dire vrai, j’ai une certaine expérience personnelle dans ce domaine, à titre d’investisseur institutionnel en Europe. Là-bas, on exigeait que l’identité du propriétaire effectif d’une entreprise — une entreprise dont je possédais des parts — soit divulguée. On voulait aussi connaître la provenance des fonds. L’Europe a vraiment déployé énormément d’efforts pour cela. Je me demande donc où nous nous situons par rapport aux Européens.

Notre comité a entendu beaucoup de choses à propos des activités illicites et des activités novatrices. On nous a dit qu’il fallait éviter de nuire aux activités novatrices qui ajoutent de la valeur à notre économie, mais qu’il ne fallait pas non plus nous nuire à nous-mêmes en autorisant les activités illicites qui compromettent la création de valeur dans notre économie.

Pourriez-vous nous parler davantage des initiatives menées en Europe et ailleurs? Je sais que cela a exigé énormément d’efforts, et je dois dire que j’ai été personnellement impressionné, mais aussi frustré. Il aurait été plus simple de ne rien avoir à faire. Vous vous êtes engagés à divulguer de l’information et à fournir des preuves au besoin.

M. Schaan : Pour l’instant, les modifications de la LCSA obligeront les sociétés à colliger l’information dans leurs registres d’entreprise et à faire de leur mieux pour la mettre à jour au moins une fois par année en consignant l’identité de la personne physique au bout de la chaîne. Cela sera obligatoire pour quiconque contrôle 25 p. 100 d’une société fermée ou exerce dans les faits le contrôle. Nous avons choisi ce terme dans les décisions pertinentes de la jurisprudence, pour éviter les cas où des gens, en théorie, possèdent 1 p. 100 d’une société, mais, en réalité, la contrôlent entièrement.

Le volume des renseignements demandés aidera les organismes d’application de la loi et les autorités compétentes du Canada, mais nous avons aussi veillé à ce que tout cela ne représente pas un fardeau administratif indu.

La très grande majorité des PME constituées en personne morale sous le régime de la loi ont organisé très simplement le capital social. En ce qui concerne les sociétés non cotées en bourse — il peut s’agir d’un mécanicien qui travaille à son compte ou d’un service d’entretien ménager, par exemple —, leur organisation du capital social compte littéralement un seul propriétaire ou une seule entité.

Certaines structures d’entreprise plus complexes ont délibérément cherché à innover, et nous ne cherchons pas à les cibler avec l’obligation de divulguer l’information. Tout ce que nous exigeons, c’est que l’identité de la personne qui, au bout de la chaîne, contrôle la société soit indiquée.

Nous avons essayé d’atteindre un juste équilibre : nous demandons aux gens d’être rigoureux et de fournir toute l’information demandée, et nous imposons des pénalités à ceux qui cherchent délibérément à contourner le système, mais nous ne visons aucun type de structure d’entreprise en particulier.

Le sénateur Tkachuk : Je veux aussi féliciter le gouvernement des efforts déployés dans ce dossier. La deuxième question du sénateur Wetston était celle que je voulais poser en premier. Je vais donc me contenter de vous demander quelques précisions. D’après ce que j’ai retenu, neuf provinces n’ont toujours pris aucune mesure. Il n’y a que la Colombie-Britannique qui a entamé le processus, n’est-ce pas?

M. Schaan : C’est exact, du moins jusqu’ici.

Le sénateur Tkachuk : Les chiffres du fédéral englobent-ils les territoires?

M. Schaan : Les territoires ont leurs propres registres des sociétés. Elles participent aussi à l’effort.

Le sénateur Tkachuk : Donc, cela fait neuf provinces plus les territoires. D’accord. Je ne sais pas si on a prévu des pénalités, mais qu’arrivera-t-il si les choses n’ont toujours pas bougé après quelques années?

M. Schaan : Les provinces et les territoires ont jusqu’à juillet 2019. Ils se sont engagés à faire tout leur possible. Bien évidemment, leurs régimes de constitution en société ne relèvent pas de notre compétence. L’accord a été énoncé dans un communiqué de tous les ministres provinciaux et territoriaux. Puisque cela a été communiqué publiquement, c’est au public qu’ils devront rendre des comptes. Le rôle du gouvernement fédéral est donc seulement de favoriser un consensus et de montrer l’exemple.

Le sénateur Tkachuk : C’est une bonne chose que tout cela soit consigné au compte rendu. Il sera indiqué dans le compte rendu que 12 provinces ou territoires n’ont toujours rien fait.

M. Schaan : Jusqu’ici.

Le sénateur Tkachuk : Peut être que si le public, les entrepreneurs ou d’autres intervenants mettaient un peu de pression sur les gouvernements provinciaux, les choses iraient un peu plus vite. Il reste peu de temps avant 2019.

M. Schaan : Comme cela arrive souvent lorsqu’il est question des lois sur la constitution en société, une partie pourrait invoquer de nouvelles obligations — dans ce cas-ci, comme cela arrive souvent, il s’agit de la LCSA. Cette partie doit ensuite prouver que cela est faisable et ne constituera pas un fardeau administratif. Cela va peut-être faire en sorte que les sociétés enregistrées sous le régime d’une loi provinciale ou territoriale trouveront cela normal, et c’est ce que nous espérons.

Le sénateur Tkachuk : J’espère que vous avez raison, monsieur Schaan.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Schaan. Dans votre présentation, vous mentionnez que des structures d’entreprise utilisent parfois des moyens à des fins illicites. Un peu plus loin, vous mentionnez la nécessité de favoriser une plus grande transparence en ce qui concerne l’entité qui détient ou contrôle les comptes des entreprises au Canada.

Pourriez-vous nous donner un exemple ou deux de moyens qui favoriseraient une plus grande transparence afin de nous aider à comprendre ce que ces entreprises font avec leurs fonds?

M. Schaan : Dans le cas des entreprises privées, c’est leur responsabilité de s’incorporer en mentionnant leurs objectifs et d’en informer les investisseurs. Il est nécessaire de promouvoir les objectifs, par exemple dans le document d’incorporation des entreprises.

[Traduction]

Essentiellement, ce que nous disons présentement, c’est que vous devez nous dire qui est le propriétaire. Dans bon nombre de cas, la très grande majorité des sociétés ont une structure d’entreprise simple dans laquelle l’identité du propriétaire est très claire. Même lorsqu’il s’agit d’une société à numéro... Prenez par exemple 495468 Canada Inc. : il est indiqué, dans la raison sociale, qu’il s’agit d’une société de portefeuille qui fait des investissements dans la transformation alimentaire. Ce que l’entreprise fait est parfaitement clair.

De nos jours, un actionnaire qui exerce un contrôle important pourrait aussi bien être l’avocat de quelqu’un, l’avocat de l’avocat de quelqu’un ou l’avocat de l’avocat de l’avocat de quelqu’un, et ce dernier est probablement là pour faire écran à l’investisseur final. Lorsqu’on commence à creuser un peu dans les dossiers d’impôt et les autres instruments, on se rend compte que cette personne a obtenu les fonds nécessaires à ses investissements de façon illicite ou par des activités de ce genre, et qu’elle a trouvé de bons véhicules pour cacher son argent. La transparence nous permettrait de faire les liens. Nous espérons que les autorités compétentes pourront, grâce à cette initiative, tirer parti au maximum des nouveaux renseignements pour établir des liens avec d’autres sources et ainsi mettre un terme aux activités illicites.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Schaan.

[Traduction]

Le président : Je veux remercier chaleureusement les témoins pour leur contribution. Vous nous avez appris des choses intéressantes et utiles. Nous nous reverrons.

Mesdames et messieurs, nous poursuivons notre étude sur la teneur des éléments du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution du budget de 2018, tout particulièrement la section 6 de la partie 4, qui porte sur la propriété effective.

Nous accueillons M. James Cohen, directeur général de Transparency International Canada. Nous attendons également Me Mora Johnson, avocate-procureure, qui témoigne à titre personnel. D’après ce qu’on m’a dit, elle a pris un taxi et elle est en route. Nous allons tout de même continuer. C’est ce que nous avons convenu, et je crois que Me Johnson est d’accord elle aussi. Vous pouvez commencer votre déclaration préliminaire, monsieur Cohen. Nous allons ensuite vous poser des questions, s’il y en a.

James Cohen, directeur général, Transparency International Canada : Merci. Monsieur le président, mesdames et messieurs et les membres du comité, bonjour. Je vous remercie de votre invitation à témoigner devant nous aujourd’hui.

TI Canada fait partie de la plus importante organisation de lutte contre la corruption au monde, laquelle possède plus de 100 sections partout dans le monde ainsi qu’un secrétariat international à Berlin. TI Canada travaille auprès de la société civile, du secteur privé et du gouvernement afin de promouvoir la lutte contre la corruption et la transparence au Canada.

TI Canada accueille favorablement les modifications de la LCSA que prévoit le projet de loi C-86 pour obliger les sociétés à tenir un registre des personnes qui ont un contrôle important. Cependant, nous recommandons des modifications supplémentaires à celles prévues dans le projet de loi C-86 pour faire en sorte que l’information contenue dans ces registres des sociétés puisse être utilisée comme il se doit dans le registre pancanadien de la propriété effective dont le Comité permanent des finances de la Chambre des communes vient de recommander la création dans son récent rapport, intitulé Lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes : À faire progresser le Canada .

J’ai fait parvenir les modifications recommandées à la greffière. Les recommandations ont été élaborées à la lumière des consultations tenues avec des experts du secteur des services financiers, des experts des enquêtes sur les crimes financiers et des avocats. Si vous ne les avez pas encore reçues, je peux aider la greffière à vous les distribuer.

Le président : Nous les avons.

M. Cohen : Génial. On peut regrouper les modifications proposées sous des thèmes généraux que je veux mettre en relief aujourd’hui. Les modifications doivent mettre en place des systèmes plus efficaces de vérification de l’information, donner aux autorités un accès élargi à l’information sur la propriété effective et créer davantage de mesures dissuasives touchant la falsification des renseignements.

Pour l’instant, aucune des modifications proposées dans le projet de loi C-86 ne prévoit de procédure de vérification de l’exactitude de l’information sur l’identité des actionnaires et des propriétaires. Même si les systèmes de vérification numérique promettent d’être utiles, à long terme, nous recommandons pour maintenant d’exiger des propriétaires effectifs qu’ils présentent un affidavit portant leur signature. Il faudrait, en outre, raccourcir le délai dans lequel les actionnaires doivent répondre aux demandes d’information sur l’entreprise. Nous recommandons un délai de 15 jours.

Il faudrait également modifier la loi de façon que les organismes d’application de la loi puissent avoir accès à l’information sur la propriété effective. À cette fin, TI Canada recommande l’ajout d’une disposition supplémentaire qui préciserait clairement que les renseignements consignés dans les registres d’entreprise peuvent être communiqués à d’autres entités, y compris des entités déclarantes autorisées, des organismes d’application de la loi et des organismes publics désignés par règlement.

Pour terminer, nous ne croyons pas que, dans l’état actuel des choses, l’amende maximale proposée dissuadera les criminels qui sont déterminés à se jouer du système. C’est pourquoi nous recommandons d’imposer, sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, une amende maximale de 500 000 $.

L’information comprise dans chaque registre de société servira à constituer un registre pancanadien de la propriété effective, et c’est pourquoi il est essentiel que l’information soit fiable et de haute qualité. Les mesures prises par le gouvernement fédéral à cet égard serviront de modèle pour les provinces et les territoires.

TI Canada espère que les membres du comité accepteront d’incorporer les améliorations au projet de loi de façon que l’information recueillie puisse servir à la constitution d’un registre pancanadien de la propriété effective.

Merci, monsieur le président; je répondrai avec plaisir à vos questions ou à celles de vos collègues.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Cohen. Dans votre présentation, vous dites qu’il faut renforcer les exigences liées aux méthodes de vérification concernant les sociétés. Vous dites qu’il serait peut-être bon de créer un registre. Pouvez-vous apporter des précisions en ce qui concerne la création d’un registre et les méthodes de vérification? Pourriez-vous donner un exemple?

[Traduction]

M. Cohen : Le registre pancanadien?

Le sénateur Dagenais : Oui.

M. Cohen : Le Comité permanent des finances a recommandé la création d’un registre pancanadien fermé pour les organismes d’application de la loi et les entités déclarantes autorisées. TI Canada soutient vivement la plupart des recommandations présentées dans le rapport.

Nous croyons cependant qu’il faut aller un peu plus loin et créer un registre public, comme cela a été fait au Royaume-Uni et est recommandé dans la cinquième directive antiblanchiment de l’Union européenne. Un registre public permettrait aux organismes d’application de la loi de faire des liens lorsqu’elles n’ont pas suffisamment de ressources pour suivre une piste dans un registre. Cela ouvre les livres aux organisations comme la nôtre et aux journalistes d’enquête.

C’est quelque chose qui a porté des fruits au Royaume-Uni. La société civile a examiné le registre du Royaume-Uni et cerné les problèmes émergents, par exemple le fait qu’il n’existe pas de forme fixe de déclaration de la nationalité, de sorte que les gens écrivent R.-U., Cornouailles, Angleterre, Royaume-Uni. C’est la société civile qui a relevé cela. Le fait que plus de personnes surveillent le système a un effet dissuasif.

Les Panama Papers seraient un autre exemple. Les journalistes du monde entier — des journalistes internationaux — ne pouvaient pas utiliser ce qui était indiqué pour identifier qui que ce soit, mais à l’échelle locale, il est plus facile pour les gens d’associer un numéro à un nom. C’est pourquoi il est important que la société civile et les journalistes d’enquête aient un accès.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Dois-je comprendre qu’il existe actuellement un registre, mais que les forces de l’ordre n’y ont pas accès?

[Traduction]

M. Cohen : Présentement, il n’existe aucun registre pancanadien. C’est quelque chose que le Comité des finances a recommandé.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Cohen.

[Traduction]

Le président : Monsieur Cohen, je suis sûr d’avoir mal compris, mais avez-vous proposé d’ajouter une modification supplémentaire pour obliger le propriétaire effectif d’une organisation, au bout de la chaîne, à présenter un affidavit attestant qu’il est bien la personne que la personne qui le représente prétend qu’il est. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Cohen : C’est le propriétaire effectif au bout de la chaîne qui doit signer l’affidavit. C’est comme lorsque vous avez un reçu à des fins fiscales, vous devez signer un affidavit pour confirmer que tout ce que vous déclarez est exact.

Le président : Disons que j’avais l’intention de blanchir de l’argent ou d’échapper à la vigilance des organismes d’application de la loi. Dans ce cas, un affidavit ne serait-il pas inutile?

M. Cohen : La personne qui doit signer un affidavit devient effectivement responsable et est pénalisée si elle essaie de cacher l’identité du propriétaire effectif. C’est une mesure de dissuasion.

Le président : Il y a manifestement quelque chose que je ne comprends pas.

Le sénateur Tkachuk : Peut-être que vous y repenseriez à deux fois, parce que votre identité sera publique.

La sénatrice Wallin : Ou vous cachez quelque chose.

Le président : D’accord. Nous gardons espoir.

Le sénateur Tkachuk : Je suis d’accord avec ce que vous dites. Une société fermée ne doit pas servir à cacher de l’information à propos de ses actionnaires. Une société fermée sert à limiter votre responsabilité et vous permet de vous présenter comme entité distincte, afin de faire des affaires commerciales et tout le reste.

Je ne sais pas combien de modifications nous pouvons recommander, en réalité, mais les témoins précédents ne m’ont pas donné l’impression que c’était aussi fermé que vous, mais je comprends.

Le sénateur C. Deacon : Tout ce que vous avez dit me réconforte et me donne espoir. J’aime l’orientation que vous proposez, et tout le reste. Il faudra voir en pratique qui sera ouvert aux modifications.

Pouvez-vous nous dire si le milieu serait réceptif ou pas, de votre point de vue, aux modifications proposées? Nous devons être bien renseignés sur ce que nous pouvons faire, concrètement. Vous en connaissez davantage que nous — que moi, du moins —, je crois, sur le climat qui règne dans votre milieu.

M. Cohen : Étant donné que nous sommes une organisation de la société civile qui veut ce qu’il y a de mieux pour le Canada en matière de transparence, nous allons proposer autant d’améliorations que possible, tout en étant parfaitement conscients que ces modifications devront être adoptées et que nous devons également consulter les intervenants pour déterminer ce qui est acceptable. Nous ne voulons pas créer de fardeau inutile pour personne. Nous voulons simplement créer un registre vérifiable, fiable et transparent.

Dans le cas qui nous occupe, certaines des modifications que nous proposons sont assez directes de nature. Il y en a qui concernent le libellé, par exemple avec l’ajout du mot accessible. Quant aux modifications qui auraient pour effet de rendre l’information accessible aux organismes d’application de la loi et aux entités déclarantes autorisées, je suis sûr que ces organismes veulent ce genre de pouvoir. C’est quelque chose de nécessaire, selon moi. Autrement, comme je l’ai dit, nous jetons les bases d’un registre pancanadien, mais nous créons en même temps un obstacle.

Le sénateur C. Deacon : Il n’existe pas encore, ce n’est pas comme si on pouvait l’utiliser.

M. Cohen : Oui. Au moment de formuler ces modifications, nous avons cherché à déterminer ce qu’il serait possible de faire dans le cycle actuel. Nous avions d’autres recommandations potentiellement plus complexes. Par exemple, une de nos recommandations était de fixer le seuil relatif au contrôle important à 10 p. 100, mais nous avons réalisé qu’il aurait fallu débattre longtemps la question, et nous ne savions pas s’il aurait été possible d’adopter la modification cette fois-ci. Malgré tout, nous proposons au Sénat de la prendre en considération. En ce qui concerne les autres modifications que nous avons proposées, je crois qu’elles tiennent la route.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Cohen, et merci de faire ce que vous faites. Votre travail est important.

Bienvenue, maître Johnson. Merci beaucoup. Avez-vous besoin de reprendre votre souffle?

Mora Johnson, avocate-procureure, à titre personnel : Oui. Je suis désolée de vous avoir fait attendre.

Le président : Nul besoin de vous excuser. On croirait que nous avons orchestré votre entrée. Vous arrivez au bon moment, et nous sommes impatients d’écouter votre déclaration préliminaire. Ensuite, nous passerons aux questions.

Mme Johnson : Je regrette de ne pas avoir pu écouter la déclaration préliminaire de James. Je suis sûr qu’il a été excellent.

Je m’appelle Mora Johnson. Je suis avocate spécialisée dans la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. J’ai rédigé un certain nombre de rapports sur la transparence relative à la propriété effective. Je vais les faire parvenir à la greffière et aux recherchistes.

Le président : Merci.

Mme Johnson : Pour commencer, je veux dire que je suis en faveur des modifications proposées. Il est très important que le gouvernement les mette en œuvre.

Je voulais également féliciter le Comité des finances de l’autre endroit pour le rapport extrêmement bien documenté qu’il a présenté au Parlement. On y proposait des modifications, dont 32 qui ont une vaste portée, de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Je sais toutefois que le gouvernement n’a pas pu s’appuyer sur cette étude pour la rédaction du projet de loi.

J’ai deux brefs commentaires à faire sur le projet de loi C-86. Pour commencer, le nouveau paragraphe 21.3(2) — il se peut que je répète quelque chose qui a déjà été dit, et je m’en excuse — restreint l’accès au registre d’une entreprise comprenant de l’information sur l’identité du propriétaire effectif aux seuls actionnaires et créanciers de la société, sur présentation d’un affidavit, comme le précise le paragraphe 3. Même si ces restrictions sont très similaires à celles contenues dans les autres dispositions législatives relatives aux sociétés, on est en droit de se demander pourquoi l’accès devrait être si limité. Comment peut-on justifier de protéger ainsi les registres des actionnaires et des propriétaires effectifs des sociétés fermées?

Les sociétés constituées sous le régime d’une loi fédérale, de la LCSA, perturbent par leur nature même le marché libre, et nous, de notre côté, nous transférons le risque auquel s’exposent les actionnaires et les propriétaires à d’autres acteurs de l’économie. Pourquoi les avantages et la responsabilité devraient-ils s’appliquer en premier lieu aux propriétaires effectifs? Même s’il y a des motifs valables, est-il justifié de transférer ce risque à d’autres acteurs de l’économie et de permettre ensuite aux propriétaires effectifs de demeurer invisibles aux yeux de tous ceux qui doivent assumer ce risque?

Un vaste éventail d’organisations et d’entités pourraient tirer parti d’un accès aux registres de propriété effective. J’ai écrit quelque chose à ce sujet sur mon blogue ce matin, mais je vais vous donner des exemples d’organisations qui pourraient trouver avantage à cet accès.

Les responsables des élections aux niveaux provincial et fédéral souhaiteraient peut-être pouvoir vérifier l’identité des propriétaires effectifs pour s’assurer que personne n’essaie de passer outre les limites de dons en utilisant des coquilles vides anonymes. Les organismes de protection du consommateur aimeraient peut-être savoir qui possède les entreprises qui s’attirent un grand nombre de plaintes. Les agents d’approvisionnement du gouvernement, des établissements d’enseignement supérieur ou des hôpitaux voudraient probablement que les gens qui ont déjà été reconnus coupables de fraudes ou d’infractions ou de corruption ne puissent pas soumissionner des contrats en utilisant pour écran une société fermée, en violation des règlements en matière d’approvisionnement. Les entreprises canadiennes aimeraient peut-être aussi, dans le cadre de leur devoir de diligence raisonnable, effectuer une vérification sur leurs nouveaux clients ou fournisseurs avant d’acquérir une créance. Cela leur permettrait de gérer les risques. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le risque qui incombe aux propriétaires effectifs, qui continuent de jouir d’une responsabilité limitée, est en majeure partie transféré aux autres entreprises.

Mon deuxième commentaire touche les nouvelles infractions énoncées à l’article 21.4, soit l’inscription ou la fourniture de renseignements faux ou trompeurs. J’ai remarqué, dans le libellé, que ces infractions ne concernent que les administrateurs ou les dirigeants d’une société. Le fait est qu’il se peut que des gens qui ne sont ni dirigeants ni administrateurs soient impliqués dans une fraude à des fins de blanchiment d’argent; cela comprend les propriétaires effectifs et peut-être aussi les employés de la société qui ne sont ni dirigeants ni administrateurs ainsi que les fournisseurs de services comme des avocats, des entreprises ou des notaires publics. Dans cette optique, pourquoi restreindre les infractions aux administrateurs et aux dirigeants?

Voilà les deux commentaires que j’avais à faire. Merci beaucoup de votre attention.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Tkachuk : Je me répète, mais je suis d’accord avec tout ce qu’elle a dit. Vous aviez raison. Elle est intelligente.

Le président : Merci beaucoup. Vous êtes allée droit au but. Nous avons parfaitement compris ce que vous aviez à dire. Ces considérations devront être examinées sérieusement, du moins c’est mon impression.

Mme Johnson : Excellent.

Le président : Merci beaucoup à vous deux.

(La séance est levée.)

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