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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 54 - Témoignages du 11 avril 2019


OTTAWA, le jeudi 11 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, afin d’examiner, pour en faire rapport, les avantages et les défis éventuels inhérents au système bancaire ouvert pour les consommateurs canadiens de services financiers, en mettant l’accent sur le rôle réglementaire du gouvernement fédéral.

La sénatrice Carolyn Stewart Olsen (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour et bienvenue à mes collègues sénateurs, à nos distingués invités ainsi qu’à tous ceux qui assistent à nos délibérations ici même ou via le Web.

Je m’appelle Carolyn Stewart Olsen. Je suis vice-présidente du comité et je remplace aujourd’hui notre président, le sénateur Doug Black, qui ne pouvait pas être des nôtres.

C’est la huitième séance que nous consacrons à notre étude des avantages et des défis éventuels inhérents au système bancaire ouvert pour les consommateurs canadiens de services financiers, en mettant l’accent sur le rôle réglementaire du gouvernement fédéral.

Pour la première portion de notre réunion d’aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir M. Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, faculté de droit, Université d’Ottawa.

Monsieur Geist, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Je vous cède maintenant la parole pour vos observations préliminaires après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.

Michael A. Geist, chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup. Bonjour à tous. Comme on vient de vous le dire, je suis professeur de droit à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique. Je suis également membre du Centre de recherche en droit, technologie et société. Mes domaines de spécialité sont la politique numérique, la propriété intellectuelle, la protection de la vie privée et l’Internet. Je comparais devant vous à titre personnel et les points de vue que je vais exprimer reflètent uniquement mes propres opinions.

L’étude de votre comité sur le système bancaire ouvert est particulièrement intéressante et révélatrice. Si on la compare à la consultation menée par le ministère des Finances à ce sujet, votre étude nous donne accès en toute transparence à une compréhension mieux ciblée, plus nuancée et davantage éclairée de ces enjeux. Reste quand même que cet effort d’examen me laisse un peu perplexe. Aussi bien lors des délibérations de votre comité que dans le cadre des consultations gouvernementales de même que dans les médias, on parle du système bancaire ouvert en se demandant si on va en arriver là un jour ou, parfois, à quel moment ce sera le cas. Autrement dit, pendant que certains débattent de la nécessité d’un tel système, d’autres font valoir que c’est simplement une question de temps.

Tout me semble pourtant indiquer que le système bancaire ouvert existe effectivement d’ores et déjà. Bien que la plupart des banques n’offrent pas la transférabilité des données à leurs clients, des millions de Canadiens transmettent déjà leurs données bancaires à des tiers qui ont fréquemment recours à l’extraction à l’écran pour avoir accès aux renseignements bancaires. On présume que ces renseignements sont fournis avec le consentement du client, car c’est lui qui détient les coordonnées de connexion. Il est généralement reconnu que l’extraction à l’écran est une méthode comportant certains risques étant donné les questions qu’elle soulève relativement à la sécurité des données confidentielles, y compris les coordonnées de connexion, l’identité des tiers et l’absence de normes de l’industrie.

Le fait que les consommateurs soient disposés à avoir recours aux services de tiers malgré les difficultés associées à l’absence de mécanismes facilitant la transférabilité des données témoigne du risque véritable pouvant découler des décisions gouvernementales. À mon avis, on s’expose vraiment à des risques si l’on demeure inactif, plutôt que le contraire.

Il est parfois nécessaire de s’adresser à un fournisseur externe pour avoir accès à des produits et des services différents comme le regroupement de comptes et le recours à l’intelligence artificielle. Le Canada doit agir sans tarder pour faciliter le développement d’un marché répondant aux exigences des consommateurs, favorisant l’innovation et soulageant les frustrations ressenties depuis longtemps à l’égard d’un système bancaire qui considère invariablement qu’il est plus sage de renoncer à des coûts concurrentiels au profit de la stabilité.

Si nous examinons la question dans une perspective axée sur les consommateurs, il faut reconnaître que ceux-ci ont démontré leur intérêt envers un système bancaire ouvert, mais se sont ainsi retrouvés dans une situation périlleuse du fait que les banques ont rendu difficile le transfert de leurs données en négligeant d’adopter les politiques nécessaires et de mettre en place des mesures efficaces pour la protection de la vie privée.

En prenant connaissance des comptes rendus de vos délibérations, j’ai constaté que plusieurs sénateurs demandaient aux témoins ce qu’il conviendrait de faire à leur avis. J’aimerais donc vous soumettre trois recommandations.

Premièrement, il convient de mettre à jour la législation canadienne sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Disons simplement que cette loi a été rédigée il y a plus de 20 ans et n’est plus adéquate. Il y a d’importants débats qui ont cours quant aux précautions juridiques à prendre à l’égard des données, mais il faut d’abord et avant tout faire le nécessaire relativement à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), la seule à assurer la protection des Canadiens en la matière. Cette loi n’est pas assortie d’un mécanisme d’application à proprement parler. Ainsi, les recours possibles sont limités en cas d’utilisation frauduleuse des données aussi bien par une grande banque que par un fournisseur externe.

En outre, les normes législatives visant la protection de la vie privée que l’on retrouve de plus en plus couramment ailleurs dans le monde sont tout simplement absentes du paysage canadien. De fait, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a récemment pris l’initiative de réinterpréter la loi afin d’en étendre la portée et la pertinence. À titre d’exemple, son commissariat a rendu public il y a quelques jours à peine un nouveau document de consultation dans lequel il expose notamment sa prise de position préliminaire suivant laquelle il estime maintenant que la communication transfrontalière de renseignements personnels exige un consentement préalable. La nouvelle approche proposée est une véritable volte-face par rapport à la politique bien ancrée voulant que de tels transferts soient régis par le principe de responsabilité. Selon ce principe, les organisations transférant des renseignements personnels à des tiers sont en fin de compte responsables de la protection de ces renseignements.

La nouvelle approche proposée pourrait avoir de lourdes conséquences pour le commerce électronique, la circulation des données et peut-être même le système bancaire ouvert. C’est un élément de plus témoignant de la nécessité de procéder à un examen et à une réforme de la loi, plutôt que de s’en remettre à des directives du Commissariat à la protection de la vie privée qui, si elles sont adoptées, risquent fort d’être contestées devant les tribunaux canadiens.

Deuxièmement, le gouvernement doit rendre obligatoire la transférabilité des données bancaires pour les consommateurs et les petites entreprises. Les grandes banques peuvent bien se targuer de vouloir éventuellement appuyer le système bancaire ouvert mais, pas plus tard qu’en 2017, l’Association des banquiers canadiens émettait des mises en garde quant aux risques associés à un tel système pour les consommateurs et l’économie dans son ensemble.

Les tiers fournisseurs existent justement parce qu’ils sont en mesure d’offrir des produits et des services qui ne sont pas accessibles auprès des grandes banques. Pour que les consommateurs canadiens exposés aux risques bien concrets découlant de l’extraction à l’écran puissent de nouveau se sentir en sécurité, il faut obliger les banques à communiquer ouvertement leurs données lorsqu’un client leur signifie son consentement éclairé en ce sens. Il faudra bien évidemment établir les protocoles et les normes de sécurité nécessaires. mais il convient d’abord d’appuyer par voie réglementaire la mise en place d’un régime axé sur le consommateur de telle sorte que ce soit lui qui décide du moment où ses données seront rendues accessibles à sa demande.

Troisièmement, le comité devra, lorsqu’il se penchera sur les mesures de protection à mettre en place pour les consommateurs et les autres intervenants, être conscient du fait que la ligne de démarcation entre les grandes banques et les tiers fournisseurs de services financiers est de moins en moins claire pour bien des Canadiens. C’est un phénomène que l’on constate déjà dans d’autres secteurs. Vous n’avez qu’à penser aux fournisseurs en place pour les télécommunications qui côtoient des tiers comme Skype ou WhatsApp en offrant des applications autrefois limitées aux seuls titulaires.

Je crois que l’on pourra un jour observer le même phénomène alors que les consommateurs se tourneront vers de nouveaux fournisseurs offrant leurs services parallèlement à ceux des grandes banques. Il en ressort qu’il convient d’adopter une perspective d’ensemble pour cerner les risques et prendre les mesures nécessaires pour la protection des consommateurs. Dans un reportage publié hier, CBC indiquait que l’on avait révisé un rapport de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada au sujet des techniques de vente agressives utilisées par les grandes banques. Parmi les changements apportés, on avait supprimé les mesures de protection des consommateurs proposées dans les premières ébauches déjà fournies au gouvernement et au secteur bancaire. Autrement dit, on ne devrait pas prétendre que les risques auxquels s’exposent les consommateurs viennent uniquement des nouvelles technologies et des tierces parties.

Je serai ravi de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Geist. Je cède la parole au sénateur Klyne, qui sera le premier à vous poser ses questions.

Le sénateur Klyne : Bonjour et merci d’être des nôtres ce matin.

J’allais vous demander ce que vous pensiez des mesures prises en Australie et au Royaume-Uni dans le sens de notre LPRPDE. Vous y avez, en quelque sorte, fait allusion. Je ne crois pas que vous vouliez laisser entendre que nous devrions nous débarrasser de la LPRPDE. Vous souhaiteriez plutôt que l’on donne plus de mordant à cette loi. Est-ce aussi simple que cela ou y a-t-il d’autres éléments qui manquent à l’équation? J’ai une deuxième question à vous poser, mais je vais d’abord vous laisser répondre à celle-ci.

M. Geist : Je n’étais surtout pas en train de dire que l’on devrait reléguer aux oubliettes la LPRPDE. J’essayais simplement de faire valoir que nous sommes en présence d’une loi dont la rédaction remonte à deux décennies. Si on la compare aux mesures adoptées par d’autres gouvernements, et notamment par l’Union européenne, il est généralement reconnu que la loi canadienne ne suffit plus à la tâche. En toute franchise, je crois que c’est également l’avis du commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

Certaines interprétations émanant du Commissariat à la protection de la vie privée depuis environ un an me posent problème du fait qu’elles me semblent se heurter aux limites d’une loi qui n’est plus adéquate. Je viens de vous parler du changement annoncé il y a environ 48 heures concernant la communication transfrontalière de données. Le commissariat a adopté une approche assez similaire pour ce qui est du droit à l’oubli en concluant que la loi prévoit un droit de déréférencement. Cette dernière conclusion fait d’ailleurs actuellement l’objet de contestations devant les tribunaux. Selon moi, cela témoigne bien du fait que notre loi ne satisfait plus aux normes adoptées ailleurs dans le monde. Si l’on veut qu’il soit possible pour les gens de rendre leurs données bancaires plus facilement accessibles pour les besoins d’un système bancaire ouvert, il faut pouvoir compter sur des mesures de protection de la vie privée, ce que n’offre pas la loi actuelle.

Le sénateur Klyne : Merci, je suppose que la LPRPDE 2.0 nous permettra d’en arriver à un cadre réglementaire qui rendra cela possible.

M. Geist : On peut l’espérer. La LPRPDE prévoit un examen quinquennal obligatoire. Les plus récents changements, dont certains sont entrés en vigueur seulement l’an dernier, font suite aux audiences tenues en 2006.

Depuis le début de ces audiences en 2006-2007, il a donc fallu compter plus d’une décennie pour que les recommandations formulées se concrétisent dans le cadre du processus législatif avec l’adoption d’une loi, la mise en place des cadres réglementaires requis et, finalement, l’entrée en vigueur de toutes ces mesures. C’est tout un contraste avec la façon dont les choses se sont déroulées dans d’autres pays qui sont rapidement passés à l’action relativement au système bancaire ouvert. Je dirais donc qu’il y a un décalage important entre le temps que nous prenons pour mettre en place les dispositifs nécessaires afin d’assurer la protection de la vie privée et la vitesse à laquelle les choses se déroulent par ailleurs dans le secteur.

Le sénateur Klyne : J’aurais un commentaire concernant la dernière portion de votre réponse. Avec le système bancaire ouvert qui se pointe à l’horizon, j’ose espérer que quelqu’un va réagir dès maintenant de manière à ce qu’il soit possible d’accélérer les choses. C’est l’avenir qui nous le dira.

Le 4 avril dernier, nous avons entendu le témoignage de votre collègue, Teresa Scassa. Elle nous a communiqué des renseignements très importants quant à savoir non seulement à qui appartiennent les données fournies par les consommateurs, mais aussi qui détient et contrôle l’information dérivée de ces données.

D’après vous, à qui appartient l’information découlant de l’analyse des données communiquées par les consommateurs?

M. Geist : Mme Scassa vous a présenté un excellent exposé en plus de fournir des réponses très éclairées aux questions qui ont suivi.

Je sais que le sujet a été abordé dans vos délibérations. À mes yeux, la question qui se pose à ce moment-ci n’est pas tellement de savoir à qui appartient l’information, mais plutôt qui la contrôle ou détient les moyens de contrôler son utilisation et sa destination finale. En fait, c’est un peu ce que le commissaire à la protection de la vie privée essaie de faire actuellement relativement à la communication transfrontalière de données. Cette décision nous amène à penser que le précédent principe voulant qu’une organisation soit responsable de ces données, sans égard à leur destination et aux entités qui les détiennent, n’offrait pas un niveau de contrôle suffisant ou nécessitait l’imposition d’exigences plus élevées en matière de consentement.

Je pense que c’est, en grande partie, une question de contrôle.

Il y a de nombreux intervenants qui vont vouloir tirer profit de cet accès aux données. Il est bien certain que les consommateurs vont en bénéficier à un moment ou à un autre. Il ne faut surtout pas croire que les entreprises qui se servent de cette information pour réaliser des bénéfices sont toujours de mauvaise foi. Elles donnent plutôt accès à des produits et services pouvant être novateurs tout en offrant plus de choix aux consommateurs. Il faut simplement que les consommateurs soient suffisamment renseignés au sujet de l’utilisation de leurs données et comprennent assez bien ce qui arrive pour pouvoir donner proactivement un consentement éclairé, plutôt qu’un consentement implicite découlant de la présomption qu’ils ont lu tous les petits caractères. Dans un tel contexte, les consommateurs pourraient bénéficier d’avantages véritables en ayant accès sur le marché à une variété de solutions et d’options nouvelles dans un mode plus concurrentiel.

Le sénateur Klyne : Le fait que l’on prenne les données des consommateurs pour les analyser ou les traiter pour une raison ou une autre ne signifie pas nécessairement qu’il y ait perte de contrôle. C’est simplement que ces données sont reformatées ou agencées différemment.

M. Geist : Je dois admettre que les choses peuvent rapidement se compliquer. Je préside le Comité consultatif sur la stratégie de numérisation du secteur riverain de Toronto. On nous a confié le mandat d’examiner le projet de ville intelligente mettant à contribution Sidewalk Labs, une entreprise de Google. Nous devons nous pencher sur des questions fort intéressantes et épineuses relativement aux données recueillies. Quelles sont les données permettant d’identifier une personne et relevant donc de la loi en vigueur? Quelles informations ne sont pas visées par cette loi, mais peuvent tout de même soulever certaines préoccupations? Comment peut-on utiliser ces données?

Il faudrait être naïf pour croire qu’une personne va simplement faire défiler à l’écran mon relevé bancaire, par exemple, sans faire quoi que ce soit des renseignements qu’elle y trouve. Dès que l’on commence à utiliser l’intelligence artificielle et toutes sortes d’autres outils, il devient bien évident que ces données vont pouvoir servir à bien d’autres usages.

Il faut essentiellement veiller à communiquer suffisamment d’information et à mettre en place les mesures de protection nécessaires en cas d’utilisation frauduleuse des données.

J’ajouterais qu’il faut également s’assurer que l’on met bel et bien en application les autres lois en vigueur, comme celles touchant les droits de la personne et celles visant à contrer différentes formes de discrimination. Nous avons eu droit à un aperçu de cette problématique avec certaines publicités en ligne qui ciblent ou cherchent à éviter des communautés bien précises, ce qui soulève toutes sortes de préoccupations liées aux droits de la personne et à la discrimination. On pourrait devoir composer avec des problèmes semblables dans le cas des données bancaires.

Le sénateur Klyne : Merci.

La vice-présidente : J’ai complètement oublié d’inviter mes collègues sénateurs à se présenter au début de la séance. Nous allons le faire maintenant.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.

La sénatrice Duncan : Pat Duncan, Yukon.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.

[Traduction]

La vice-présidente : Merci. Nous poursuivons avec les questions.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup, monsieur Geist, pour l’exposé très limpide que vous nous avez présenté. À ce stade-ci de notre étude, il nous est très utile de pouvoir compter sur des recommandations très précises.

J’aimerais que nous poussions l’analyse un peu plus loin. Je partage votre sentiment d’urgence. Il est plus que temps que nous passions à l’action. Les Canadiens s’exposent à de plus en plus de risques, et c’est le cas également de nos institutions financières qui pourraient voir des tiers fournisseurs étrangers s’accaparer de leurs gammes de produits si nous ne faisons pas le nécessaire dès maintenant au Canada. Je suis donc aussi conscient que vous l’êtes des risques que nous fait courir notre inaction.

Je voudrais que l’on parle surtout de l’approche adoptée en Australie relativement aux droits sur les données des consommateurs, car c’est une option qui m’interpelle vraiment. Cette façon de faire me plaît pour plusieurs raisons, y compris le fait qu’elle ne vise pas expressément le système bancaire ouvert. Elle est transférable à tous les secteurs où des services ou des activités sont numérisés. Je pense à ce qui se passe au gouvernement. À cette période-ci de l’année, des millions de Canadiens transmettent des renseignements très personnels à l’Agence du revenu du Canada via TurboTax et d’autres outils semblables. Il y a aussi nos données sur la santé. D’après ce que j’ai pu apprendre, ce droit sur les données des consommateurs m’apparaît une option intéressante.

J’aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de cette façon de voir les choses et des recommandations formulées en ce sens.

M. Geist : Je pourrais vous dire une ou deux choses à ce sujet. Je vais d’abord vous entretenir des expériences relatives au système bancaire ouvert au Royaume-Uni et en Australie dont votre comité a déjà amplement entendu parler. Je vais ensuite aborder plus précisément la question des droits sur les données.

J’ai la chance de pouvoir comparaître devant un grand nombre de comités et il arrive très fréquemment que l’on me demande — comme le font également les décideurs — de parler de ce qui se fait ailleurs. Nous voulons en quelque sorte nous fonder sur les expériences d’autres gouvernements pour mettre à l’essai nos propositions. Bien que je reconnaisse qu’il puisse être difficile et peut-être un peu malaisant d’adopter des approches exclusives au Canada et qu’il puisse donc être quelque peu rassurant de s’en remettre à des approches similaires à ce que l’on peut observer, par exemple, en Australie et au Royaume-Uni, il faut savoir que ces approches sont totalement nouvelles et, à certains égards, pas nécessairement arrivées à maturation même si elles sont mises en œuvre à grande échelle.

Je vous dirais bien franchement que ces approches n’ont pas une grande utilité pour le Canada à des fins de comparaison. Bref, il ne faut pas craindre de dire que nous ferions fausse route en essayant de suivre un modèle étranger qui n’a pas encore fait ses preuves, même s’il peut s’agir d’expériences fort intéressantes, lorsqu’on tient compte de l’infrastructure de notre système bancaire, de nos priorités, de notre proximité avec les États-Unis, de notre Loi sur la protection des renseignements personnels et d’une myriade d’autres considérations qui entrent en jeu. J’aimerais en fait voir le Canada se montrer un peu plus ambitieux en affirmant être capable de mettre en place les normes qu’il estime appropriées relativement à certains de ces enjeux sans avoir à s’en remettre directement à l’expérience d’autres pays.

Pour ce qui est plus précisément des droits sur les données, je faisais référence tout à l’heure à mon expérience personnelle dans le cadre de l’initiative sur le secteur riverain de Toronto. Le gouvernement a lancé ses propres consultations sur une stratégie nationale relative aux données. On peut raisonnablement s’attendre à avoir, d’ici l’été, une idée de ce que le gouvernement a pu apprendre grâce à cet exercice. Il ne fait aucun doute que les questions relatives à nos modes de gestion des données seront encore à l’ordre du jour sur nos tribunes publiques et stratégiques à l’automne.

On peut présumer qu’un prochain gouvernement, quel que soit le parti qui le formera, comprendra que c’est l’un des enjeux importants auxquels s’attaquer. Il ne suffit pas de reconnaître son importance économique, il faut aussi tenir compte de la perspective des consommateurs et des pressions auxquelles nous faisons face, pour trouver un équilibre dans le contexte du RGPD en Europe et ailleurs.

Il y a beaucoup de facteurs qui entrent en ligne de compte ici.

Pour l’instant, pour revenir à la discussion que nous venons d’avoir, compte tenu de tout le temps qu’il nous a fallu pour trouver le moyen de faire une simple révision de base de la LPRPDE, je n’ai pas trop d’espoir que nous réussirons à agir rapidement dans ce cas-ci.

Je préférerais qu’on commence par améliorer la LPRPDE, parce que cela me semble bien plus facile que d’élaborer une nouvelle stratégie nationale en matière de données qui proposerait une toute nouvelle façon de gérer nos données.

Cela dit, l’idée qu’il ne faut pas réfléchir à ce genre de chose qu’à travers le prisme de l’information bancaire, comme vous venez de le mentionner, me semble une observation très juste qu’il faudra garder en tête pour la suite des choses.

La LPRPDE a été adoptée parce qu’on avait besoin d’une loi générale sur la protection des renseignements personnels qui s’appliquerait de la même manière dans tous les secteurs économiques. En matière de données, je pense que ce serait une erreur de privilégier une approche conçue exclusivement pour le secteur financier.

Le sénateur C. Deacon : Pour résumer un peu, si nous devions formuler des recommandations à court et à long terme, vous croyez qu’il conviendrait de recommander une simple révision de la LPRPDE à court terme, mais qu’il faudrait, à long terme, envisager d’adopter une stratégie sur les droits des consommateurs en matière de données?

M. Geist : Exactement. À mon sens, ce serait une erreur que d’envisager une stratégie nationale en matière de données qui ne tiendrait pas compte de l’aspect consommateur de l’équation. Je ne dis pas que je crois que c’est le but que poursuit le gouvernement actuel à l’égard d’une stratégie nationale en matière de données.

Les questions qui se posent, ici, sont lourdes de conséquences sur les affaires et l’économie. Il y a lieu de se questionner sur la souveraineté des données, sur les endroits où elles aboutissent et sur les droits des consommateurs. Nous avons besoin d’une stratégie robuste, qui pourrait peut-être même comprendre une nouvelle loi, pour régir toutes ces questions.

Le sénateur C. Deacon : Dans la foulée de la série de questions que le sénateur Klyne vient de vous poser, y a-t-il moyen de trouver un équilibre grâce à l’anonymisation des données quand des données personnelles sont communiquées à une organisation, qui les utilise ensuite sous forme de données anonymes? Nous sommes ici en eaux troubles, je le sais. L’une des entreprises que j’ai contribué à fonder a été confrontée à ce genre de problème avec ses clients.

M. Geist : Oui, je pense que les eaux se troublent parfois. Cela dépend en partie de l’entité qui a recueilli les données et des circonstances de départ. Encore une fois, je réfléchis depuis tellement longtemps à la question pour le secteur riverain de Toronto que je trouve que cette distinction selon laquelle des données ne permettraient pas d’identifier une personne est un peu douteuse, si je puis dire.

Le sénateur C. Deacon : Une simple signature, et le tour est joué.

M. Geist : Pas seulement une signature. Pensons aux données qui pourraient être recueillies pour calculer combien de personnes traversent une rue ou d’autres données qui ne permettraient peut-être pas d’identifier une personne. Nous nous trouvons dans le nouvel édifice du Sénat, et ceux qui se stationnent au Centre Rideau doivent passer par le passage inférieur qui y mène, donc quelqu’un à la ville pourrait vouloir déterminer combien de personnes l’utilisent dans un objectif de planification urbaine. Ces données ne permettraient peut-être pas d’identifier les personnes, mais si l’on installe des caméras pour effectuer ce genre de surveillance, beaucoup de personnes se poseront des questions.

Selon moi, ce n’est pas tout à fait comme quand quelqu’un se dit d’accord pour que tel ou tel service utilise ses données pour faire des recommandations très précises, même si elles pourraient peut-être aussi être utilisées autrement, parce que le compromis lui semble acceptable. Je pense que très souvent, selon notre expérience des dernières années, les gens ne sont pas pleinement conscients des compromis qu’ils font, et il n’y a pas de protections en place qui nous offre des recours tangibles en cas de mauvaise utilisation de données. À mon sens, c’est là où la ligne de démarcation ne tient pas toujours.

Le sénateur Wetston : Je vous souhaite de nouveau la bienvenue parmi nous.

J’aimerais vous interroger un peu sur les trottoirs, puisque je vis à Toronto, mais je ne le ferai pas. Je ne pense pas que la présidente me le permettrait.

Je dois dire que je trouve votre appel à l’action très pertinent et important. Je vais vous donner quelques exemples d’appels à l’action qui ont mis du temps à susciter une réaction. Il y a celui de la crise financière. Nous savions très bien, avant qu’elle ne frappe, que l’interconnexion entre les divers instruments dérivés négociés de gré à gré créerait une mégacrise mondiale. Il nous a fallu beaucoup de temps pour passer à l’action.

Nous savions très bien que la monnaie numérique poserait problème et qu’il fallait la réglementer. Nous n’avons pourtant rien fait à ce chapitre, bien que les choses bougent un peu.

La seule raison pour laquelle je mentionne votre appel à l’action, c’est que nous aurions mieux fait de nous en occuper avant, parce que les difficultés qui nous guettent sont de taille. Où se poseront-elles? Notre comité a beaucoup entendu parler de la protection de la vie privée, des données et de leur importance, et ce n’est pas la première fois qu’on nous demande de moderniser la LPRPDE et de conférer plus de pouvoirs au commissaire à la protection de la vie privée.

Bref, vous travaillez dans le domaine de la protection de la vie privée et connaissez la LPRPDE depuis longtemps; je connais bien vos travaux. Comment interprétez-vous le fait que nous n’ayons toujours pas réussi à modifier la LPRPDE ou les autres lois de protection de la vie privée comme vous le recommandez? Nous avons entendu cette année des témoins d’ISDE, entre autres. Avez-vous des pistes de réflexion pour nous à ce sujet?

M. Geist : Certainement, j’en ai plusieurs. Jusqu’à il y a 12 ou 18 mois, avant le scandale de Cambridge Analytica et Facebook, il était difficile d’attirer vraiment l’attention du public sur cette question. Il y a beaucoup de personnes qui s’inquiètent de la protection de leur vie privée, mais de là à ce que ce soit élevé au rang de véritable priorité stratégique, il reste un pas, et les divers gouvernements qui se sont succédé l’ont toujours reléguée plus au bas de l’échelle de priorités. Je ne pense pas que ce soit vraiment une question partisane. Cela a été la même chose chez les conservateurs que chez les libéraux. Les gens en parlent, mais ce n’est pas considéré comme une priorité.

Je parlais avec un fonctionnaire, récemment, qui se plaignait du fait que quand il est arrivé au gouvernement, il y a plusieurs années, la fonction publique ne semblait pas vraiment comprendre que tout se joue, législativement, dans les 12 à 18 premiers mois, après quoi il devient de plus en plus difficile d’adopter de nouvelles politiques et de consulter la population.

Le problème vient probablement en partie du calendrier législatif et de la difficulté à faire adopter des lois. Il vient aussi en partie du fait qu’il est difficile de reconnaître que c’est un enjeu cher au public, mais il faut aussi dire, en toute franchise, si l’on regarde ce qui s’est passé dans certains projets, que c’est un domaine dans lequel il y a de plus en plus de lobbying et que c’est très facile de dire qu’il nous faut renforcer la protection des renseignements personnels, puisque tout le monde le dit.

Par contre, il y a tous les détails. Et en tout respect pour l’Association des banquiers canadiens, qui se dit maintenant favorable à un système bancaire ouvert, même s’il y a 18 mois, elle nous disait que le ciel allait nous tomber sur la tête, il ne fait aucun doute que quelle que soit la loi ou la stratégie proposée, cette association et les autres associations du genre seront très lentes à adopter les changements proposés et qu’elles retarderont sans cesse le processus réglementaire ou qu’elles réclameront des exemptions.

Si l’on examine un peu les dispositions législatives qui existent sur les télécommunications non sollicitées et les mesures antipourriel, il y a des exceptions pour les journaux, parce que leurs propriétaires prétendent que la liberté d’expression et la liberté de la presse sont en jeu si l’Ottawa Sun ne peut pas vous appeler à 19 heures le soir.

On accorde des exceptions à tous les partis politiques, même s’il est largement admis qu’il y a de véritables problèmes quant à la façon dont ils utilisent l’information. Il y a une exception pour les entreprises qui ont une relation d’affaires avec un client depuis un certain temps. Ils sont très sollicités, et il faudra encore plus de temps avant que ces dispositions s’appliquent à tous. Même quand on réussit à adopter des lois, comme la Loi antipourriel, qui garantit le droit privé d’action, leur application est constamment retardée.

Donc, si nous sommes frustrés que les choses n’avancent pas plus vite, c’est que, dès qu’un projet de loi entre dans la machine à saucisses, les voix des citoyens et des consommateurs sont étouffées par celles des grands lobbyistes, qui réclament à grands cris une exception, un examen approfondi ou un délai.

Le sénateur Wetston : Je pense que c’était justement le sens des questions du sénateur Deacon. Nous devons préparer un rapport. Je pense que ces séances sont très utiles pour nous aider à comprendre les enjeux. Quand nous préparerons notre rapport, il est évident que la protection des renseignements personnels sera un aspect très important des discussions du comité. Ce n’est peut-être qu’une observation personnelle de ma part, mais le Canada semble vraiment aimer être le deuxième. Nous aimons beaucoup observer ce que l’autre fait, puis dire que nous adopterons notre propre cadre stratégique, que nous avons observé ce qui se fait ailleurs et que nous en avons tiré des leçons, ce qui fait que nous pouvons maintenant mettre le nôtre en place. C’est peut-être ce que je retiens de mon expérience dans le secteur des valeurs mobilières, madame la présidente, parce que c’est vraiment l’attitude du Canada dans ce domaine.

Si c’est notre culture, notre façon de procéder, parce que vous avez dit qu’il fallait mettre en place des protocoles et des normes, croyez-vous sérieusement, à la lumière de votre propre expérience, que nos gouvernements seraient prêts à envisager de se doter d’un cadre sur les captures d’écran et la protection des renseignements personnels avant d’avoir une bonne idée de la forme que prendront les normes et les protocoles à mettre en place, non seulement pour assurer l’interopérabilité de tout cela, mais pour nous garantir de bonnes protections de la vie privée? Je vous demande simplement votre opinion.

M. Geist : Je pense que c’est souvent ainsi. Vous avez raison : nous avons tendance à regarder d’abord ailleurs pour obtenir une validation de principe ou avoir la certitude que nous ne nous trompons pas dans notre approche. Je ne crois pas que nous soyons très différents des autres à cet égard. Je pense qu’on peut dire la même chose de beaucoup de pays de puissance moyenne, qui ont parfois du mal à établir la norme internationale. On adopte un peu plus la réglementation des autres qu’on ne crée notre propre réglementation.

Ce n’est toutefois pas toujours le cas. La Loi sur le droit d’auteur en serait un bon exemple. La sénatrice Verner a été très proactive dans le dossier du droit d’auteur il y a quelques années. Si l’on jette un coup d’œil aux réformes adoptées en 2012, elles ont été les premières du genre sur certaines questions. Je crois que nous ne sommes pas totalement incapables d’innover, mais vous avez raison de dire qu’instinctivement, nous avons tendance à faire preuve de prudence. Je pense que c’est ce qui risque d’arriver dans le secteur bancaire, puisque la perception générale, c’est que la stabilité de notre système est ce que nous avons de plus précieux. Nous n’avons pas connu l’effondrement que d’autres pays ont connu, et d’une certaine façon, c’est jugé préférable à un secteur novateur, où le choix serait plus grand. Si c’est notre position, vous avez tout à fait raison, il est peu probable que nous passions rapidement à l’action dans ce cas-ci, parce que la stabilité aura préséance sur les avantages que les consommateurs pourraient tirer de l’innovation, qui pourrait s’accompagner de quelques perturbations.

Le sénateur Wetston : Merci.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie d’être ici ce matin. Je pense que la partie la plus intéressante de votre déclaration préliminaire est celle sur le reportage d’hier, à CBC, et les modifications apportées à l’ébauche de rapport. Nous mettons beaucoup l’accent sur la protection de la vie privée et la sécurité. Certaines personnes font très confiance au gouvernement pour s’occuper de notre sécurité et de la protection de nos renseignements personnels, et je suis certaine que beaucoup de personnes pensent qu’on peut en dire autant des banques. À quel point leur faites-vous confiance? Le ministère des Finances lance actuellement ses consultations sur le système bancaire ouvert. À quel point faites-vous confiance au gouvernement et aux grandes banques pour protéger nos intérêts, compte tenu de la façon dont ils ont modifié ce rapport et du fait que la protection des consommateurs ne semble pas les préoccuper plus qu’il ne le faut. Qu’en pensez-vous?

M. Geist : Le reportage de CBC était profondément troublant. C’est la raison pour laquelle j’en ai parlé dans ma déclaration préliminaire. Je pense qu’il y a de quoi s’inquiéter du fait que la perspective du consommateur se perde sur ces enjeux, et pas seulement dans l’exemple donné dans le reportage de CBC.

Regardons un peu le comité que le ministère des Finances a formé pour étudier le système bancaire ouvert — et je souligne que certains de ses membres semblent exceptionnels —, je trouve renversant qu’on dise vouloir mettre l’accent sur les consommateurs dans notre façon d’aborder ces enjeux et qu’il n’y ait pas un seul représentant des consommateurs qui siège à ce comité. J’ai du mal à comprendre comment le gouvernement ou le ministère peuvent prétendre mettre le consommateur en avant-plan dans les services bancaires et la gestion de données, puis établir un comité auquel ne siège aucun représentant des consommateurs. Cela me porte à croire que je ne peux pas pleinement faire confiance exclusivement aux grandes banques et aux gouvernements pour veiller aux intérêts des consommateurs.

Il y a, au Canada, d’excellents groupes de défense des consommateurs, comme le Centre pour la défense de l’intérêt public, dont le directeur général comparaîtra devant vous après moi. Ce centre est gravement sous-financé. Nous n’avons pas la structure nécessaire pour que les groupes qui suivent ces questions de près aient les moyens de tenir tête aux grandes banques dans ce pays, loin de là.

La sénatrice Marshall : Je dois dire que je n’ai entendu aucun témoin jusqu’ici qui m’ait convaincue que le gouvernement et les banques veilleront à nos intérêts. Quand on voit un reportage comme celui qui a été diffusé à CBC, on voit que c’était déjà un peu précaire, mais que c’est encore pire maintenant. Le système bancaire ouvert s’en vient. C’est ce vers quoi nous nous dirigeons. Il y aura une loi, des règles et des politiques le régissant, et il nous faudra certaines garanties. Qui se chargera de l’application de la loi? On adopte des règles sur la destruction de données, par exemple. On affirme que les données ne pourront être utilisées qu’à certaines fins. Comment saurons-nous si l’organisation détruira vraiment les données? Qui vérifiera? Qui fera appliquer la loi?

M. Geist : La LPRPDE prévoit un cadre d’application, mais comme je l’ai mentionné, il est assez faible. Nous avons, en théorie, un commissaire à la protection de la vie privée qui jouit de pouvoirs de vérification et qui est habilité à surveiller les organisations et à veiller à ce qu’elles respectent la loi, puis à traiter les plaintes. Cela dit, pour qu’il y ait des plaintes, encore faut-il que les consommateurs sachent qu’il y a eu malversation, et souvent, ils n’en savent rien, ils ne sont pas au courant de ce qui se passe.

En outre, le commissaire n’a pas le pouvoir de rendre des ordonnances, donc l’application de la loi ne passera pas par une ordonnance du commissaire, mais plutôt par un constat de sa part puis, si un cas de non-conformité est soumis à une Cour fédérale, il devra demander une ordonnance judiciaire pour assurer l’application de la loi. Ce n’est pas très robuste. Même les provinces ont un pouvoir d’ordonnance. Un peu partout ailleurs, il y a incontestablement un pouvoir d’ordonnance.

Puis il y a une autre chose dont on ne tient pas compte, c’est-à-dire que beaucoup de fournisseurs, dans ce domaine, ne seront pas Canadiens. Si nous n’ouvrons la porte qu’à l’innovation canadienne dans le système bancaire ouvert, il ne sera pas si ouvert. Nous ne ferons qu’ériger un autre mur autour de ce secteur. Donc si l’on présume que certains acteurs, dans ce système, seront des acteurs étrangers, il y a lieu de se questionner sur le pouvoir des autorités canadiennes de leur faire respecter la loi. La philosophie est depuis longtemps que celui qui recueille les données en est responsable, où que ces données aboutissent. Or, le commissaire à la protection de la vie privée nous dit maintenant que ce n’est peut-être pas ce qui arrivera, dans les faits.

La sénatrice Marshall : Je sais que le système bancaire ouvert s’en vient, mais je pense que les consommateurs sont vulnérables. Personne n’a encore réussi à nous garantir que toutes les mesures de protection nécessaires seront bien en place.

M. Geist : C’est vrai. Permettez-moi de réitérer le principal point que je voulais soulever plus tôt. Le système bancaire ne s’en vient pas. Il existe déjà. Les consommateurs sont vulnérables parce que bon nombre d’entre eux ont déjà recours à ces services et utilisent un système qui comporte de plus grands risques pour pouvoir participer à ces services, parce que les banques créent des tensions quant à la capacité de prendre ces données et de s’assurer qu’elles sont utilisées de façon plus sécuritaire.

La sénatrice Marshall : Le consommateur est en quête des services et il est vulnérable.

La sénatrice Moncion : Ma question porte sur l’idée de permettre les fusions bancaires. C’est qu’on a toujours tenté de le faire à un moment donné et le gouvernement a empêché cela.

En quoi les fusions bancaires contribueraient-elles à la création d’un système bancaire ouvert ou permettraient-elles d’instaurer ce système au pays?

M. Geist : Nous nous dirigeons de plus en plus vers un domaine dans lequel je ne suis pas spécialiste. La compétitivité du secteur bancaire, les fusions et les acquisitions ne constituent pas un volet sur lequel je me concentre. Toutefois, nous devrions comprendre qu’essentiellement, le système bancaire ouvert — et c’est la raison pour laquelle, en 2017, l’Association des banquiers canadiens cherchait à susciter une certaine crainte au sujet du processus — est fondamentalement perturbateur. Je crois qu’on en a parlé un peu dans notre discussion il y a quelques instants. Au bout du compte, il y a un choix à faire. Soit on accorde la priorité à la stabilité dans le secteur bancaire, ce qui signifie que nous dépendons de cette poignée de grandes banques, ou un peu plus qu’une poignée, pour la majorité des activités bancaires des Canadiens — bien qu’il y ait d’autres joueurs sur le marché. Soit nous sommes arrivés à un point où nous sommes favorables à plus de perturbations, compte tenu du fait que si nous pouvons trouver des moyens d’élaborer des mesures de protection qui conviennent, les avantages tirés de ce milieu perturbateur peuvent être que plus de choix sont offerts aux consommateurs, qu’il y a une plus grande concurrence et que l’expérience est meilleure pour tous, dont les petites entreprises.

Ce même débat a eu lieu dans d’autres secteurs. Je connais davantage le secteur des télécommunications. Si nous remontions à un certain nombre de décennies, le secteur des télécommunications vous aurait dit que vous ne voulez pas apporter ces changements quant à savoir qui contrôle les frais d’interurbain ou, plus tard, la capacité d’accepter de nouveaux fournisseurs de faire leur entrée. Nous dépendons d’un bon service fiable. Les Canadiens veulent s’assurer que lorsqu’ils décrochent le téléphone, ils sont capables de faire un appel. Oui, il y a un prix à payer, mais il vaut la peine de le payer. En fait, nous entendons encore ces mêmes arguments actuellement lorsque les grands fournisseurs de services de télécommunications font des mises en garde contre l’arrivée de nouveaux concurrents étrangers, ou les efforts déployés pour permettre à des fournisseurs tiers indépendants, par exemple d’entrer dans le marché. Ils disent qu’on a vraiment besoin de concurrence fondée sur les installations. Autrement dit, on a besoin d’eux comme base pour la concurrence.

Je crois que l’expérience qu’a eue le consommateur jusqu’à maintenant dans le secteur des télécommunications est utile pour ce que cela signifie lorsqu’on amène de nouveaux éléments perturbateurs. Cela signifie qu’il y a beaucoup plus de choix, beaucoup plus d’avantages pour le consommateur et une amélioration du bien-être du consommateur. Nous devons avoir le courage de nos convictions et dire que nous pouvons avoir un secteur bancaire fiable. Bon nombre de Canadiens continueront de vouloir que leurs grandes banques soient tant leurs principales banques que leurs banques exclusives. Bien évidemment, on ne devrait forcer personne à recourir à des solutions de système bancaire ouvert. Il s’agit ici du choix du consommateur. Une fois que nous ouvrons la porte à ce type de choix, les perturbations, par définition, compliquent un peu les choses. À bien des égards, je crois que c’est une caractéristique, et non un défaut.

La sénatrice Moncion : Il y a toujours la question de la protection des données par l’institution financière; on ne veut pas les fournir à d’autres par crainte de perdre de gros déposants. Je crois que le système bancaire ouvert est plutôt destiné aux personnes à revenu élevé qui comprennent le système financier. Je crois que nous parlons d’environ peut-être 10 p. 100 de la population qui utiliserait le système bancaire ouvert, comparativement à peut-être 90 p. 100 qui n’y songerait même pas faute d’avoir les connaissances nécessaires — c’est-à-dire qu’ils n’ont pas l’information, qu’ils ne savent pas comment le système fonctionne et n’ont pas assez d’argent pour même aller vers un système bancaire ouvert.

M. Geist : Les banques diront qu’elles se soucient des données de leurs consommateurs et de la sécurité qui y est associée. Au bout du compte, ce sont les données des consommateurs. C’est beaucoup là-dessus que le débat repose. Si vous regardez les premières plaintes en vertu de la LPRPDE et les conclusions, de 2001 à 2004, cela ne s’appliquait qu’aux organismes sous réglementation fédérale et c’étaient surtout les entreprises de télécommunications et les banques qui étaient visées par ces plaintes. Malgré leurs préoccupations déclarées quant à la protection des renseignements personnels, elles étaient souvent la cible de diverses plaintes concernant l’utilisation abusive des données.

Je dois avouer que je ne suis pas convaincu que lorsque nous parlons du système bancaire ouvert, nous parlons des riches ou de la première tranche de 10 p. 100. Je crois, en fait, qu’à bien des égards, des solutions peuvent offrir de meilleurs avantages à des Canadiens à faible revenu et à d’autres.

La sénatrice Moncion : Mais ils doivent comprendre comment cela fonctionne.

M. Geist : Bien entendu. Je crois qu’il y aura une jeune génération qui est habituée aux solutions à base de logiciel ou en nuage pour toutes sortes d’activités dans leur vie, dont les opérations de paiement. Je prends toujours l’exemple de mes enfants. Deux sont à l’université et l’autre, au secondaire. Mes enfants n’ont à peu près jamais mis les pieds dans une succursale bancaire. À vrai dire, leurs seuls liens avec elle, c’est lorsqu’ils font un paiement Interac ou lorsqu’ils prennent une photo d’un chèque afin de le télécharger. Ils préfèrent souvent Venmo, ou PayPal, ou toutes sortes d’autres fournisseurs de services de paiement qui n’ont rien à voir avec ces banques. Les gens de cette génération, qui ne devraient pas faire partie de la tranche de 10 p. 100 des revenus les plus élevés d’entrée de jeu — bien que je serais heureux si mes enfants réussissaient bien —, seront rapidement attirés par ce système, car ils sont beaucoup plus à l’aise avec ce type de services et, contrairement à d’autres Canadiens, ils ne font pas nécessairement ce lien positif avec la stabilité des banques. Ils considèrent simplement que ce n’est pas une raison suffisante pour rester avec les banques.

Je pense que nous essayons de créer de la concurrence ici dont profitera une grande partie de la société et non seulement les gens qui sont aux hauts échelons qui peuvent trouver des façons d’obtenir de meilleurs rendements sur leurs investissements.

La vice-présidente : Nous passons maintenant au deuxième tour.

Le sénateur C. Deacon : C’est fascinant et très utile pour nous. J’aimerais poursuivre dans la foulée de la question qu’a soulevée la sénatrice Moncion, car je crois qu’une occasion est offerte aux Canadiens qui n’ont actuellement pas accès à des services traditionnels d’obtenir des produits conçus sur mesure qui pourraient leur être grandement utiles. Cela change notre façon de voir les choses et les types de mesures de protection qui doivent être mis en place parce que dans bien des cas, il pourrait s’agir de Canadiens vulnérables ou de Canadiens qui vivent dans une région rurale ou éloignée et qui n’ont actuellement pas accès à des services traditionnels.

Avez-vous des conseils précis à cet égard? Encore une fois, nous essayons de trouver des recommandations que nous pouvons formuler pour le court terme et le long terme, car comme vous l’avez dit à très juste titre, cela existe déjà. Les Canadiens ne sont pas protégés. Il faut donc que des mesures soient prises maintenant, immédiatement, et à long terme, pour nous assurer que nous protégeons bel et bien ces Canadiens qui n’ont peut-être pas les connaissances financières voulues et qui ne sont pas bien conscients des risques pour la protection des renseignements personnels. Je crois que cela pourrait exclure toute une génération.

Avez-vous des conseils à donner à cet égard? Il y a l’occasion extraordinaire qu’offrent le système bancaire ouvert ou les services bancaires axés sur le consommateur, mais il y a aussi les risques pour le consommateur.

M. Geist : Tout d’abord, et je crois que le comité le sait, je pense qu’il est important de comprendre que le système bancaire ouvert correspond à un choix du consommateur et non à une obligation.

Le sénateur C. Deacon : Exactement.

M. Geist : S’il y a une réserve à émettre, c’est qu’à mesure que nous nous tournons vers ce type de solutions, il est à craindre que le recours à certains de ces services, même ceux offerts par les grandes banques, devienne obligatoire. La facturation électronique en est un bon exemple. Avant l’adoption de la mesure, nous avons vu des entreprises exiger l’utilisation de la facturation électronique. Que ce soit juste ou non dans un environnement dans lequel l’accès n’est pas encore universel, ou dans lequel des gens préfèrent utiliser des factures papier, cela me semble être une mise en garde à faire quant au risque que ce qui est d’abord optionnel finisse par devenir obligatoire.

Au départ, j’ai été étonné de voir le CRTC comparaître devant votre comité, mais la question de l’accès universel est importante, surtout pour les Canadiens qui vivent en milieu rural et leur utilisation de ces services. Je pense que c’était un volet qu’il était important d’intégrer à l’étude et que cela montre pourquoi notre échec à assurer un accès universel abordable aux services de communications est monumental. Nous en payons le prix actuellement et nous continuerons à en payer le prix jusqu’à ce que ce soit réglé, soit en 2030 d’après ce qu’on nous dit maintenant, mais cela dure depuis trop longtemps.

Pour l’essentiel, il y a d’abord l’accès, et on n’est pas obligé d’utiliser ces choses. En ce qui concerne les recommandations, je crois que c’est Wealthsimple qui a parlé de certains de ses services. L’un des fournisseurs a parlé d’un mécanisme visant à intégrer les gens, ce qui montre que nous ne parlons pas des gens fortunés. Nous parlons de gens qui peuvent avoir accès à ces services. Cela requiert un apprentissage, l’utilisation d’un langage clair et le choix de participer à ces systèmes. Il ne s’agit pas de présumer que puisqu’une personne a fait ceci ou cela, elle accepte les différentes utilisations des renseignements. Il nous faut être beaucoup plus francs au sujet de ces choses et nous assurer que les gens les comprennent.

Cela passe entre autres par des programmes d’information, offerts par l’organisme de réglementation ou le gouvernement, mais aussi par le secteur. L’un des avantages concernant ces fournisseurs — selon le principe du verre à moitié plein —, c’est que dans de nombreux cas, il faut convaincre les gens de faire un changement important. Des millions de Canadiens disent qu’ils sont disposés à fournir leurs renseignements de connexion à leur banque. Je suis étonné que des gens soient disposés à le faire.

De toute évidence, des gens veulent avoir accès à certains de ces services à tout prix. Cela montre, du moins en partie, que les services doivent expliquer la proposition qu’ils font. Personne ne dit simplement : « Bien sûr, je vais fournir mes renseignements de connexion à ma banque. »

Des entreprises ont pris le temps de dire : « Voici les choses que nous sommes en mesure de vous offrir et dont vous ne bénéficiez pas actuellement; en fait, elles valent tellement la peine, que nous pensons même que vous devriez nous fournir vos renseignements bancaires personnels, mais voici ce que nous ferons pour les protéger. » Je me sentirais mieux s’il y avait des mesures de protection claires à cet égard et des dispositions législatives contre l’utilisation abusive.

L’innovation et les nouveaux compétiteurs qui arrivent sur le marché amènent également de nouveaux niveaux d’éducation et des avantages liés à la littératie financière. Ces entreprises n’ont pas un siècle ou plus d’existence à leur actif et n’ont pas des succursales à chaque coin de rue au pays, du moins dans les régions urbaines. Les nouveaux joueurs doivent se présenter dans le marché, faire connaître leurs atouts, et informer toute une population des raisons pour lesquelles elle devrait leur faire confiance et des avantages qu’ils apportent.

Ouvrir la porte à cette innovation permet d’espérer une amélioration de la littératie financière et de la vigilance dans le marché, en partie parce que pour réussir, le marché a besoin de cela.

La sénatrice Duncan : Je vous remercie beaucoup de votre exposé. Pour ma question, je reprends le même thème que le sénateur Deacon, et je remercie mes collègues de leur aide. Vous avez parlé de la concurrence, et d’autres types de services offerts. Vous avez parlé de la nécessité d’apporter des modifications aux dispositions sur la protection des renseignements personnels. Qu’en est-il du cadre réglementaire pour les institutions financières? Devrions-nous nous pencher là-dessus également? À quoi cela ressemblerait-il? Je pense à deux choses — l’obligation de fournir des services et, comme vous l’avez formulé, l’éducation et les services en tant que tels. De plus, dans l’exemple du Royaume-Uni, le financement à cet égard provient des institutions financières plutôt que des contribuables.

M. Geist : La question du financement pour de possibles nouvelles mesures d’application ou de nouveaux programmes d’éducation, un genre de principe de l’utilisateur-payeur — non pas l’utilisateur en tant que consommateur, mais en tant qu’institution — est censée. C’est ce que nous voyons dans d’autres secteurs également. Celui des télécommunications est un bon exemple. Parfois, nous voyons les contributions des télécommunications ou la participation de groupes de la société civile à des audiences pour veiller à ce que ces points de vue soient pris en compte. En définitive, ce sont les bénéficiaires d’un système bien géré et on leur demande donc de payer. Certains diront qu’au bout du compte, les consommateurs payent, que ce soit par les taxes ou par les frais bancaires qui semblent ne jamais cesser d’augmenter, que tôt ou tard, nous payerons tous pour ces services.

L’un des avantages qu’apporte un environnement plus concurrentiel, c’est qu’il permet d’espérer de pouvoir dire qu’il n’est pas si facile d’augmenter continuellement les coûts parce qu’à un moment donné, bien qu’il soit difficile pour les consommateurs de quitter les banques — il s’agit d’un lien solide, bien sûr —, dans bien des cas, il peut y avoir un point de rupture où l’on croit qu’on obtient peu par rapport à ce que l’on paye à la banque. Si le nombre de choix augmente, les consommateurs peuvent bien être prêts à aller voir ailleurs. Cela fait ressortir en partie le volet utilisateur-payeur.

En ce qui concerne le cadre réglementaire que j’ai mentionné au début, cela revient à un mécanisme de réglementation qui impose une approche axée sur les données ouvertes sans les tensions que nous observons actuellement et qui découlent vraisemblablement de la réglementation existante. Pour revenir à la discussion sur le reportage de CBC et aux commentaires que j’ai formulés, lorsqu’il s’agit des protections liées aux consommateurs et des mesures de sécurité dont nous avons besoin dans ce milieu, c’est une erreur d’aborder la question de façon cloisonnée, par exemple en précisant qu’il faut faire ceci pour les tiers fournisseurs de services bancaires ouverts et qu’il faut faire cela pour les institutions financières. La bonne approche consiste à examiner les données dans un contexte plus vaste qui ne se limite pas aux institutions financières.

En présumant que cela continuera de se produire, et étant donné les nombres qui existent sans qu’un cadre soit établi, tout porte à croire que nous continuerons d’observer une croissance dans ce milieu à mesure qu’on introduira l’intelligence artificielle et d’autres technologies et que de nouveaux fournisseurs constateront que les Canadiens ne sont pas bien servis et leur proposeront des solutions plus intéressantes.

Il sera de plus en plus difficile de faire la distinction entre ces différents intervenants. Nous avons besoin de mesures de protection des consommateurs qui sont liées aux services bancaires et financiers, et non au système bancaire ouvert.

Le sénateur Wetston : Je suis un consommateur. Je ne suis pas confronté à un problème de consentement; j’autorise quelqu’un à utiliser mes données. Comme nous le savons, mes données ou les vôtres sont vendues parce que leur utilisation offre une grande viabilité sur le plan commercial. Quel avantage devrais-je retirer de l’utilisation et de la vente de mes données par Google ou une autre entreprise?

M. Geist : La première réponse que l’on donne à cette question, c’est que vous pouvez utiliser gratuitement des services que vous jugez importants. Nous pouvons tenter de déterminer s’il s’agit d’une compensation adéquate. J’utilise Google Maps tous les jours, j’utilise Gmail presque chaque minute et je fais des recherches sur Google plusieurs fois par jour. Cela représente une certaine valeur. Toutefois, oui, dans un sens, une transaction est effectuée même si elle n’est pas bien reconnue.

Dans certains cas, nous pourrions profiter d’une approche transactionnelle plus explicite. Par exemple, la société Bell exploite un programme de publicité pertinente qui lui permet de suivre l’utilisation que vous faites de ses nombreux services et de vous envoyer ensuite des publicités plus ciblées. Cela ne me semble pas représenter une très bonne compensation pour l’usage de mes renseignements personnels. En fait, il y a quelques années, la société avait décidé de faire cela sans obtenir la permission de ses clients, mais ces derniers pouvaient refuser s’ils n’étaient pas d’accord. Cette pratique a suscité des plaintes. Le commissaire à la protection de la vie privée a déclaré que cela allait à l’encontre de la loi. La société a maintenant adopté une approche fondée sur la participation volontaire. Nous pouvons comparer cette situation à celle des fournisseurs américains, qui ont déterminé le prix de la participation à un programme de surveillance par les entreprises de télécommunications. Par exemple, certaines entreprises donneront 5 $ à leurs clients qui acceptent de participer. Certains clients peuvent se demander si leur vie privée vaut seulement 5 $.

Le sénateur Wetston : Cela semble être un avantage.

M. Geist : Mais d’autres clients pensent que l’entreprise reconnaît qu’ils lui donnent quelque chose qui a une certaine valeur et qu’il est juste qu’ils reçoivent une compensation. Actuellement, un grand nombre de ces entreprises offrent une compensation sous la forme de services, et on est en droit de se demander s’il s’agit d’un échange équitable.

La vice-présidente : Monsieur Geist, nous vous remercions chaleureusement d’avoir comparu devant le comité aujourd’hui. Vous avez apporté de nombreuses précisions.

Le comité se concentre sur la protection des consommateurs. Je vous remercie d’avoir soulevé la question préoccupante de la modification d’un rapport qui a été signalée dans un reportage de CBC. Les témoins qui font cela nous aident beaucoup. Nous vous remercions encore une fois.

Sénateurs et invités, je vous souhaite à nouveau la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous poursuivons notre étude sur les avantages et les défis éventuels inhérents au système bancaire ouvert pour les consommateurs canadiens de services financiers, en mettant l’accent sur le rôle réglementaire du gouvernement fédéral.

Pour cette deuxième partie de la réunion, je suis heureuse d’accueillir John Lawford, directeur général et conseiller juridique général du Centre pour la défense de l’intérêt public.

Bienvenue, monsieur Lawford, et merci d’être ici aujourd’hui. Veuillez faire votre déclaration, et nous passerons ensuite aux questions.

John Lawford, directeur général et conseiller juridique général, Centre pour la défense de l’intérêt public : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. Je m’appelle John Lawford. Je suis directeur général et conseiller juridique général au Centre pour la défense de l’intérêt public, ou le CDIP, qui est situé ici, à Ottawa. Le CDIP est actif dans le domaine de la protection des consommateurs et des services offerts par les banques de détail depuis quelques années déjà, mais le système bancaire ouvert représente un sujet difficile pour les organismes de défense des consommateurs.

D’un côté, le système bancaire ouvert promet aux consommateurs qu’ils auront la possibilité de transférer plus facilement d’une institution bancaire à l’autre, ou du moins d’utiliser leurs renseignements financiers personnels, dont la grande partie est actuellement verrouillée dans des dossiers appartenant aux banques, afin de profiter de nouveaux services financiers innovateurs. D’un autre côté, le système bancaire ouvert présente des risques d’atteinte à la vie privée, de fraude, de perte financière et de perte de contrôle sur les renseignements financiers des Canadiens.

Le document de consultation sur le système bancaire ouvert du ministre des Finances a été publié et il indique en grande partie la même chose, c’est-à-dire qu’il y a des avantages et des inconvénients. Il semble toutefois laisser entendre que l’adoption d’un système bancaire ouvert sera inévitable, comme on l’a dit dans le groupe précédent, et qu’au bout du compte, c’est une bonne chose pour les consommateurs et les banques. Cependant, pour plusieurs raisons, nous ne partageons pas cet optimisme et nous ne croyons pas que la réalisation de cette vision, dans sa forme actuelle, soit nécessairement inévitable.

Tout d’abord, le fondement sous-jacent de la protection des consommateurs dans le système bancaire canadien est encore fortement sous-développé, et nous croyons qu’il n’est pas suffisant pour fournir des droits de base aux clients des banques de détail. Même si le projet de loi C-86 nous rapproche d’un état de protection des consommateurs, il reste beaucoup de travail à faire pour appuyer les innovations comme le système bancaire ouvert.

Permettez-moi de vous fournir quelques détails. La loi ne prévoit aucune protection en matière de responsabilité pour les consommateurs dans les systèmes de paiement ou les services bancaires généraux au Canada. En revanche, la Directive révisée sur les services de paiement dans l’Union européenne, qui a été mise en œuvre avant l’arrivée du système bancaire ouvert au Royaume-Uni, limite la responsabilité des consommateurs, sauf dans les cas de négligence grave, à 50 €. Les Canadiens doivent profiter d’une protection en matière de responsabilité qui atteint un niveau semblable dans un système bancaire ouvert s’ils souhaitent profiter de cette technologie.

De plus, les services bancaires ne sont pas un droit pour les Canadiens. En effet, il n’existe aucune obligation de leur fournir ces services, et les banques peuvent donc « congédier » leurs clients en tout temps. Il s’ensuit que toute initiative en matière de système bancaire ouvert devrait offrir une protection contre les représailles de leur banque à tous les clients qui choisissent d’utiliser des applications non bancaires, qu’il s’agisse de vente liée à leur banque ou à d’autres institutions ou d’autres mesures coercitives.

Deuxièmement — et c’est peut-être plus important à long terme —, l’utilisation d’un système bancaire ouvert entraîne de grandes et vastes répercussions sur la sécurité et la protection de la vie privée. En effet, les intervenants du CDIP sont d’avis que la plus grande partie de la valeur obtenue par les fournisseurs d’applications de services bancaires ouverts réside dans les activités de suivi des comportements, la publicité ciblée et, peut-être même un jour, la manipulation du comportement des consommateurs.

Les services financiers représentent l’un des domaines les plus importants qui n’ont pas encore été complètement intégrés dans les plateformes en ligne et les opérations de mégadonnées menées par des entreprises comme Google, Microsoft, Amazon et Facebook. L’utilisation d’applications de services bancaires ouverts exposera probablement les consommateurs canadiens à des conditions de service qui présumeront que leur utilisation de l’application signifie qu’ils consentent au suivi de leurs activités financières, c’est-à-dire le moment, l’endroit et la façon dont ils ont accès à leur argent. Les sociétés de données utiliseront ensuite ces renseignements pour tenter d’influencer les habitudes des Canadiens en matière de dépenses et d’autres comportements.

Un tel capitalisme de surveillance, pour utiliser les mots de Shoshana Zuboff, une universitaire américaine, a « des impératifs économiques qui entraîneront le besoin insatiable d’extraire et de conserver de l’information ».

Cet impératif économique signifie que la vie privée et l’autonomie des Canadiens devraient être protégées dans le milieu des renseignements financiers très délicats par l’entremise de règlements spéciaux en matière de protection de la vie privée qui vont au-delà des mesures exigées par la loi que le Commissariat à la protection de la vie privée a déjà mentionnées.

Oui, dans le cadre du système bancaire ouvert, on exigera d’obtenir le consentement explicite. Toutefois, on devrait également exiger la transparence algorithmique, afin que les Canadiens puissent voir comment leurs finances sont jugées.

Deuxièmement, il faudra assurer le suivi des données pour permettre aux Canadiens de vérifier où sont envoyées leurs données financières, idéalement presque en temps réel.

Enfin, il faudra accorder des droits de suppression des données financières lorsque le consentement lié à leur utilisation est retiré ou lorsque les données sont anciennes ou trompeuses.

J’aimerais préciser que ces règlements devraient viser spécifiquement les banques ou le secteur financier, et ne pas nécessairement relever de la LPRPDE.

D’autres pays, par exemple le Royaume-Uni, ont promis de créer des registres de demandes autorisées afin de régler des préoccupations liées à la sécurité. Étant donné la valeur des données financières, nous doutons que cette mesure soit à toute épreuve sans une étude plus approfondie et d’autres garanties.

J’aimerais aborder un dernier point, à savoir la question des recours offerts aux consommateurs dans un système bancaire ouvert. Qui s’en occupera? L’ACFC? Paiements Canada? L’Ombudsman des services bancaires et d’investissement/ADR Chambers - Bureau de l’Ombudsman des services? Cela dépendra-t-il de ce que mon fournisseur de services bancaires ouverts me « vend » réellement, par exemple des investissements à distance ou virtuels, des produits bancaires purs ou des services de paiement?

Nous sommes aux premières étapes de la mise en œuvre d’un système bancaire ouvert, mais les nouveaux problèmes ne sont pas inévitables.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous parler aujourd’hui et je serai heureux de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Merci, monsieur Lawford.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Lawford. C’est une conversation très importante, et je suis heurex du degré de précision que vous avez fourni dans les points que vous avez fait valoir.

Je tiens à me concentrer sur les mesures raisonnables qui peuvent être prises au Canada pour composer avec le fait que ce processus est déjà enclenché, et que le nombre de concurrents internationaux qui arrivent au Canada, tout comme le nombre d’entreprises canadiennes, est constamment à la hausse dans ce milieu, et que cela représente un risque qui doit être géré dès maintenant.

J’ai retenu de votre déclaration une série de recommandations urgentes, ainsi que des recommandations à moyen et à long terme. J’aimerais que vous nous indiquiez le plus précisément possible comment nous devrions échelonner ces recommandations.

M. Lawford : J’utiliserai le point que fait valoir M. Geist au début de son mémoire, à savoir que de nombreux Canadiens utilisent déjà des services qui ressemblent à ceux offerts dans un système bancaire ouvert.

Le sénateur C. Deacon : Je pense qu’on nous a dit qu’il s’agissait d’environ 3,5 millions de Canadiens ces jours-ci.

M. Lawford : La situation actuelle est complètement absurde, car les gens doivent fournir le mot de passe qu’ils utilisent pour leurs opérations bancaires. C’est un risque énorme sur le plan de la sécurité, et cela devrait être remplacé par ce que le ministère des Finances tente de faire, selon moi, dans ce cas-ci, c’est-à-dire exiger que les banques offrent une série d’applications ouvertes auxquelles d’autres fournisseurs peuvent avoir accès après avoir obtenu le consentement approprié, afin d’éviter que les gens communiquent leurs renseignements bancaires à des tierces parties.

Le sénateur C. Deacon : Est-ce un accord sur l’IPA?

M. Lawford : C’est un accord relatif à l’interface de programmation d’applications. Je pense que le ministère des Finances doit négocier un tel accord avec les banques et terminer les travaux techniques rapidement. Cela devrait permettre d’offrir une structure dans laquelle les gens n’auraient pas à fournir leurs renseignements bancaires. Une fois cette étape terminée, nous pourrions profiter d’un système bancaire ouvert. Je crois que vous avez raison; nous devons agir, car ces activités sont déjà en cours, et elles ne sont pas du tout sécuritaires actuellement.

Les banques n’aiment pas le système bancaire ouvert. Je crois que ce qu’a dit M. Geist est un peu injuste, car les banques n’aiment pas le système bancaire ouvert parce que les entreprises leur demandent de leur communiquer les renseignements financiers de leurs clients, et même si elles ont leur consentement, les banques sont tenues de respecter la confidentialité, et les accords qu’elles ont signés indiquent qu’elles ne doivent pas divulguer ces renseignements en raison de cette obligation.

La situation actuelle est délicate, car les consommateurs affirment qu’ils veulent utiliser leurs renseignements personnels pour d’autres services, mais les banques répondent que leur rôle consiste à protéger la confidentialité des renseignements financiers de ses clients. Il y a donc un manque de cohérence qu’il faut régler.

Il faudrait rapidement adopter des règlements et mettre en œuvre un processus qui permettrait de regrouper ces quatre millions de personnes dans un nouveau système. Une fois cela accompli, nous ferons face aux problèmes que j’ai mentionnés, c’est-à-dire qu’il faudra déterminer le niveau de confidentialité qui sera attribué à ces renseignements. Il faudra aussi déterminer les éléments pour lesquels il sera nécessaire d’obtenir le consentement et la mesure dans laquelle les gens devront connaître les utilisations secondaires qu’on fera de leurs renseignements avant de pouvoir donner leur consentement.

Le sénateur C. Deacon : Comment obtient-on le consentement véritable et éclairé?

M. Lawford : Comment obtient-on le consentement éclairé? Cela cause des difficultés au commissaire à la protection de la vie privée. Il y a quelques années, il a tenté d’ajouter un nouvel article à la LPRPDE — l’article 6.1 — qui décrit le consentement éclairé tout en insistant sur le fait qu’il faut expliquer aux consommateurs toutes les conséquences de ce processus.

Le problème avec tous les programmes fondés sur des applications que j’ai vus dans d’autres secteurs, c’est que la plus grande partie de la valeur ne réside même pas dans ce qu’offre l’application au consommateur. En effet, pour le fournisseur, la valeur de l’application réside dans les données et l’analyse secondaire, qui permettent de déterminer des tendances liées au comportement — et je crois que Mme Scassa en a parlé — et de vendre ensuite ces renseignements à Google ou à d’autres milieux où l’on peut faire des prédictions liées au comportement.

C’est un enjeu un peu plus vaste qui dépasse peut-être ce dont nous avons besoin dans ce cas-ci, mais c’est l’enjeu suivant dans cette situation. Je parle beaucoup, mais je tenais à vous donner une réponse complète.

Donc, à moyen et à long terme, nous devons mettre en œuvre des systèmes de contrôle et des systèmes de protection des droits des consommateurs en matière de données. À moyen terme, si vous souhaitez offrir un système bancaire ouvert aux consommateurs à très court terme, vous devez prendre des règlements en matière de confidentialité qui visent spécifiquement le secteur bancaire, car les mesures du commissaire à la protection de la vie privée ne seront pas mises en œuvre assez rapidement. Michael a raison. Cela prendra une éternité.

Ajoutez des mesures de contrôle dans la Loi sur les banques ou dans cette structure. Je serais donc en désaccord avec eux et je dirais qu’il faut que ce soit dans cette structure à moyen terme et nous devrons ensuite, à plus long terme, résoudre ce problème pour le reste de l’économie.

Le sénateur C. Deacon : Plus précisément, la notion des droits des consommateurs en matière de données est certainement un enjeu qui devra attendre un peu plus longtemps.

M. Lawford : Oui, parce qu’harmoniser nos lois au nouveau Règlement général sur la protection des données de l’Union européenne et établir des principes applicables dans divers secteurs, pas seulement dans le secteur bancaire, est extrêmement complexe. C’est un travail plus difficile, en effet, et nous devons y consacrer plus d’efforts que nous l’avons fait jusqu’à maintenant. Toutefois, je pense qu’à court terme, il n’est pas mauvais d’avoir des règles propres à l’industrie bancaire relativement aux renseignements financiers personnels, car il faut mettre en place un système bancaire ouvert maintenant.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Lawford.

Le sénateur Klyne : Merci, monsieur Lawford. Ce sont de bonnes informations, quelque peu... Je ne dirais pas qu’elles sont théoriques, mais c’est très fondamental. Dans votre rôle de défenseur des droits, ce message se rend-il au gouvernement et à d’autres acteurs qui devraient porter attention aux droits des consommateurs? Examine-t-on certains aspects que vous avez soulevés? J’ai retenu les trois derniers parce que je pense que vous avez tout à fait raison.

Outre le comité, avec qui avez-vous discuté? Ces gens vous écoutent-ils? Parvenez-vous à vous faire entendre?

M. Lawford : Je suis ravi d’être ici et je vous remercie de me donner l’occasion d’en parler ici. Je n’ai pas eu beaucoup d’occasions de discuter avec d’autres décideurs. Comme le professeur Geist l’a souligné, il n’y a aucun représentant des consommateurs au comité consultatif des Finances.

Nous avons été invités à présenter nos observations sur le document du ministère, ce que j’ai fait il y a un mois, environ. De plus, il a raison de dire que les ressources des groupes comme le nôtre, comme le CCC à Toronto et l’Union des consommateurs au Québec, sont très limitées. Il est difficile de consacrer du temps à ces questions et ce travail n’est pas financé.

Pour être honnête, nous avons dû faire, en toute hâte, une synthèse de nos connaissances générales du système bancaire et des enjeux des consommateurs liés au commerce électronique pour trouver les idées à ce sujet.

En outre, il manque de recherches sur cet enjeu du point de vue des consommateurs. Selon un sondage réalisé par Accenture, les désavantages du système bancaire ouvert suscitent d’importantes préoccupations chez les consommateurs. Je ne sais pas si le sondage a été publié, mais j’ai vu qu’on y a fait référence dans un blogue d’Accenture. J’ai aussi vu des sondages du Royaume-Uni. Avant la mise en place du système bancaire ouvert, les consommateurs étaient très préoccupés par les questions de confidentialité et de sécurité.

Je pense que c’est toujours le cas. Pour être honnête, je ne pense pas que la majorité de la clientèle bancaire est prête à tout pour que cela se concrétise. Il y a peut-être des avantages cachés qui pourraient leur être utiles, mais cela reste à voir, ce qui dépendra de la mise œuvre. Cela dit, comme les consommateurs ne le réclament pas à cor et à cri, il y a peu de recherche de ce côté et nous n’avons pas de financement à cette fin. Pour nous, c’est comme le paradoxe de la poule et de l’œuf.

Je fais de mon mieux avec les ressources que nous avons. De plus, je ne pense pas que beaucoup de groupes s’intéressent à cet enjeu. Je pense qu’il faut un peu d’aide. Donc, si le gouvernement pouvait financer la recherche dans ce domaine ou s’il y avait un moyen de sonder l’opinion des consommateurs, ce serait utile. Je pense qu’il faut les consulter davantage.

Le sénateur Klyne : Sans vouloir être trop présomptueux, je dirais que cela figurera certainement dans notre rapport, du moins en partie.

Les banques dépensent beaucoup d’argent pour attirer la clientèle et elles savent qu’elles devraient probablement faire tout leur possible pour la conserver. Donc, la perspective de perdre des données doit les préoccuper. Elles pourraient faire valoir qu’elles sont tenues de protéger ces données.

M. Lawford : Absolument.

Le sénateur Klyne : Je pense que ce sera avantageux pour les consommateurs d’une façon ou d’une autre, parce que les banques sont prêtes à tout pour conserver leurs clients actuels. Elles chercheront probablement à être très concurrentielles. En même temps, si elles devaient perdre des clients, vous pouvez être assuré qu’elles auront un centre d’appels dont le rôle sera de tout faire pour les récupérer.

Cette parenthèse m’amenait à ma question, qui portait sur les anciennes façons de faire du secteur bancaire, mais j’ai oublié ce que je voulais dire. J’y reviendrai. Désolé.

M. Lawford : Vous voulez savoir comment les banques composeront avec cela, sur le plan économique, ce qu’elles feront pour être concurrentielles et quelle sera l’incidence sur les consommateurs?

Le sénateur Klyne : Je pensais aux informations qu’elles reçoivent, à ce que vous avez appelé le suivi du comportement, la publicité ciblée et, éventuellement, la modification du comportement. Pour moi, ce sont des données psychodémographiques qui leur permettront de connaître les préférences et les aversions des gens, ainsi que leurs comportements.

M. Lawford : D’accord.

Le sénateur Klyne : Lorsqu’on y pense, à moyen terme, les données s’accumulent et ils en savent beaucoup sur la personnalité des gens, notamment ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, leurs comportements, puis ils peuvent vendre ces informations à des entités non bancaires.

M. Lawford : Exactement.

Le sénateur Klyne : Donc, si vous aimez le Chivas et que vous conduisez une BMW, vous savez où aboutiront ces messages.

M. Lawford : Absolument. Vous recevrez ensuite des publicités ciblées sur le Chivas, les BMW et le mode de vie et les tendances connexes. Voilà le problème à long terme.

À long terme, le problème est que tout le monde dit avoir une application formidable pour vous simplifier la vie grâce à une fonction précise. Ensuite, même si vous ne voyez pas l’utilité de l’application, vous acceptez de divulguer des renseignements. Dès que vous avez donné votre consentement — qui peut être très précis, comme accepter explicitement toutes les conditions d’une politique de confidentialité —, ils ont accès aux systèmes de Google, Microsoft ou Facebook, qui font des efforts considérables sur le plan de la publicité ciblée.

Les consommateurs comprendront-ils vraiment ce qu’ils font, alors qu’ils veulent simplement avoir accès à un robot, disons un robot-conseiller, par exemple?

Le sénateur Klyne : Certains diront que cela existe déjà, mais que ce sera amplifié.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. Merci de votre exposé. J’ai trouvé qu’il était quelque peu différent des autres présentations qui ont été faites. Personnellement, j’hésite à me prononcer, mais la plupart des témoins semblaient dire que cela existe déjà ou que ce sera bientôt une réalité, mais j’ai l’impression que vous nous conseillez de ne pas aller dans cette direction. Ai-je mal compris votre présentation? Vous recommandez de ne pas aller de l’avant, mais vous nous donnez des conseils au cas où nous décidions de le faire quand même.

M. Lawford : Je suppose que je n’ai pas l’illusion de croire que cela n’arrivera pas, et ce n’est pas nécessairement mauvais en soi. Cela dépend du genre de monde que l’on veut, en fin de compte.

Je ne veux pas que les législateurs renoncent à l’idée de mettre en place une réglementation sensée, simplement parce que certains disent que c’est inévitable, que c’est pour bientôt et qu’il faut se dépêcher parce que c’est urgent. Je ne vois qu’un groupe de consultants qui souhaitent s’enrichir rapidement et un groupe de fournisseurs de nouvelles applications dont le but ultime est de fournir des données à de tierces parties.

Oui, je pense qu’il est possible d’aider les consommateurs à changer de banque, car nous n’avons pas tendance à changer souvent, comme vous l’avez indiqué, mais dans les discussions sur le système bancaire ouvert, on n’évoque pas souvent la possibilité de passer rapidement et facilement de la Banque Scotia à la CIBC. Toutefois, on parle beaucoup d’ajouter 10 nouveaux services à mon compte de CIBC, où je resterai toujours. Donc, au début, je pensais que c’était le principal objectif d’un système bancaire ouvert, mais lorsque j’ai commencé à étudier la question, j’ai constaté qu’il s’agissait plutôt d’ajouter un paquet de services à mes services bancaires.

Est-ce à l’avantage des consommateurs? Oui, pour certains d’entre eux, mais le principal enjeu — la concurrence entre les banques — ne semble pas être au centre des discussions.

La sénatrice Marshall : Le train s’en vient. Je ne sais pas à quoi il ressemble ou ce qu’il contient, mais quelque chose s’en vient.

J’ai posé la question au témoin précédent. À quel point avez-vous confiance? Vous parlez de règles et vous avez fait référence à la destruction de données qui ne sont plus requises ou utiles. À quel point avez-vous confiance que les règles seront mises en place? Les témoins disent que c’est imminent, mais on ne semble pas avoir confiance que des règles seront mises en place ou, s’il y en a, qu’elles seront assez étoffées pour être efficaces.

M. Lawford : Exactement. À mon avis, il faut d’abord se concentrer sur les règles essentielles pour éviter les pires désavantages. Je pense que vous devez commencer par des règles propres au secteur. Le Comité des banques a tout à fait raison de dire, même s’il reconnaît l’existence d’une législation sur la protection des renseignements personnels, que cette technologie soulève des enjeux propres au secteur bancaire et qu’il faut agir rapidement. Il est possible d’agir très rapidement dans ce secteur. En fin de compte, ce sont plus des enjeux liés au secteur bancaire qu’à la protection de la vie privée.

La sénatrice Marshall : Donc, qui se soucie des intérêts des consommateurs?

M. Lawford : Le ministère des Finances, je suppose, mais en consultation avec nous. Toutefois, c’est plutôt calme en ce moment.

La sénatrice Marshall : Le témoin précédent a mentionné un reportage diffusé sur les ondes de CBC hier soir et qui a été rediffusé plusieurs fois ce matin. Il portait sur un rapport qui a été modifié par les institutions bancaires et le ministère des Finances, semble-t-il. Ce qu’on n’aimait pas, apparemment, c’était que le consommateur n’était pas vraiment protégé. Donc, en fin de compte, il y aura bientôt un grand changement qu’on ne peut empêcher. Les consommateurs doivent être protégés, et il semble que les organismes qui devraient défendre leurs intérêts les laissent tomber. Il y a un problème important actuellement, mais il semble qu’il y aura un problème encore plus grave à l’avenir.

M. Lawford : Certains organismes du secteur pourraient faire un meilleur travail de consultations auprès du public. Le rôle de l’ACFC est de diffuser les connaissances financières, mais elle pourrait aussi sonder les Canadiens afin de connaître leurs besoins, notamment par rapport au système bancaire ouvert et à l’aide qu’on pourrait leur apporter.

Au comité, on a cherché à savoir si le système bancaire ouvert favoriserait la bancarisation des personnes à faible revenu ou leur permettrait d’avoir plus de services. Voilà le genre de question qu’il faut poser, car je ne sais pas comment cela fonctionnerait. L’organisme pourrait avoir de meilleurs moyens de communication et plus de budget pour le faire, et ensuite informer le ministère des Finances des mesures à prendre pour aider les Canadiens défavorisés si un système bancaire ouvert était mis en place. Autrement, le résultat sera que les consommateurs à faible revenu auront accès à une ou deux applications semi-fonctionnelles pour accéder au système bancaire, mais peut-être d’autres applications visant uniquement à recueillir leurs données et à leur envoyer des offres de prêts sur salaire.

Le sénateur Wetston : Je vais trahir mon âge. En 1982, j’ai travaillé pour l’Association des consommateurs du Canada, comme vous le savez peut-être, monsieur Lawford. À l’époque, les associations de consommateurs étaient très actives. Elles étaient appuyées et financées. Leurs activités étaient surtout axées sur la privatisation, la déréglementation, les nouveaux services de télécommunications et la compétitivité accrue des marchés de l’énergie. C’était une époque très intéressante, à mon avis.

Ce que je veux dire, c’est que notre organisme était financé. Je me demande s’il conviendrait d’envisager cette solution pour la suite des choses. Le gouvernement nous offrait un financement de base de 1 million de dollars en appui à nos activités, ce qui nous a permis, à mon avis, d’intervenir dans divers secteurs d’activité importants. Nous avons aussi reçu du financement du public, mais pas des entreprises.

D’une certaine façon, la sénatrice Duncan a évoqué cette idée lorsqu’elle a parlé du financement de certains éléments du système britannique. C’était peut-être moins lié aux consommateurs, mais il y avait peut-être aussi un lien. Selon vous, où en sommes-nous aujourd’hui pour le financement d’activités axées sur les consommateurs dans des domaines importants comme le système bancaire ouvert? Je dois ajouter que je suis très favorable à l’innovation, aux services concurrentiels, aux possibilités de croissance et à l’offre de tels services au public, mais il manque peut-être une voix importante.

Comment peut-on s’assurer que les gouvernements et les grandes organisations entendent cette voix? L’enjeu du système bancaire ouvert n’est pas uniquement lié au secteur bancaire, et j’ai l’impression que l’on tombe dans le piège et que c’est perçu ainsi, alors que ce n’est pas le cas. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Lawford : Les temps sont durs pour les groupes de consommateurs. Notre organisme est au bord de la faillite et plusieurs autres groupes ont réduit leur effectif. Nous nous concentrons tous sur les activités qui sont financées. Comme vous l’avez souligné, il n’y a pas de financement de base et le fédéral n’offre aucun financement depuis 1989. Certaines provinces offrent un léger financement, notamment le Québec.

En général, on intervient là où il y a des fonds, ce qui n’est pas très évident. Nous pouvons travailler dans certains organismes de réglementation, mais dans des domaines comme les services financiers, la protection de la vie privée, le droit de la concurrence, il n’y a pas de financement pour les groupes de consommateurs, ce qui signifie que nous devons nous débrouiller. Nous faisons notre possible. Il n’est pas facile d’être impartial, comme vous l’avez indiqué, car il y aura certaines tentations, comme des dons d’entreprises ou une prise de position. Souvent, nous ne pouvons intervenir de façon aussi sentie qu’on le souhaiterait. Donc, nous sommes plutôt en fâcheuse posture.

Il me semble logique que le gouvernement offre un financement minimal pour accroître les connaissances dans ce domaine et connaître l’opinion des consommateurs, car demander l’avis des gens dans le cadre d’une consultation publique donne des résultats mitigés. Les commentaires sont peu nombreux. Il faut des observations pertinentes et étayées, et c’est ce que nous faisons. C’est quelque chose qui manque au Canada. Malheureusement, les fondations n’ont pas l’habitude d’appuyer de telles activités; ce n’est pas dans leur culture. Il serait tout à fait légitime que le gouvernement reconsidère la décision de ne pas financer les groupes de consommateurs. Cela nous aiderait à vous aider. Les industries embauchent des consultants, mais il n’y a aucun contrepoids.

Le sénateur Wetston : Pour revenir au point soulevé par la sénatrice Marshall, je pense, sans vouloir vous prêter des propos, que vous vous préoccupez de la capacité du gouvernement de protéger les consommateurs. Étant donné ce qui se passe aujourd’hui ce que vous avez dit... Beaucoup de témoins viennent ici pour en vanter la valeur et le mérite. Je ne soutiens pas que ce n’est pas vrai, et je pense que nous devons y être favorables, en grande partie. On ne peut arrêter la technologie et le progrès.

Je pourrais aller un peu plus loin, si ce que nous entendons est vrai et que le sous-financement empêche les consommateurs d’être entendus et d’être bien représentés. Je ne sais pas si vous avez entendu la question de la sénatrice Duncan sur la situation au Royaume-Uni et la mise en œuvre, avec un fiduciaire pour le système bancaire ouvert. C’est d’ailleurs ce qu’a soutenu notre témoin, ici. Selon vous, pourriez-vous représenter adéquatement les consommateurs et faire connaître leur point de vue sur les enjeux que vous avez soulevés aujourd’hui si vous aviez du financement? Ce financement ne proviendrait pas nécessairement du gouvernement; il pourrait provenir de participants souhaitant faire connaître le point de vue des consommateurs sur cet enjeu très important.

M. Lawford : Oui. Il y a quelques exemples du côté des recours. Par exemple, l’industrie finance le mécanisme de recours comme l’OSBI et l’ombudsman des télécommunications. Toutefois, l’industrie ne sera jamais très favorable à l’idée de financer ses opposants. Il faudrait au moins que le gouvernement intervienne en disant qu’il agit ainsi parce qu’il n’entend qu’un point de vue et qu’il veut que l’industrie — et non les contribuables — finance les activités pour obtenir l’autre point de vue.

Le sénateur Wetston : Mais ce n’est pas seulement une question d’être contre; l’idée est de veiller à ce que le cadre adopté tienne compte de toutes les problématiques et à ce qu’elles y soient bien représentées.

M. Lawford : Je suis d’accord, mais je vous dirais, sénateur, que les banques vont le voir de cette façon, d’où les inévitables tensions. Toutefois, je suis d’accord avec vous : plus il y a de gens qui s’expriment, mieux ce sera. Souvent, ce qui nous manque, c’est l’avis du consommateur.

La sénatrice Duncan : Merci beaucoup pour votre exposé. Vos commentaires sur les services bancaires et l’absence d’obligation pour les banques de servir leur clientèle me réconfortent. Pour poursuivre dans la même veine que le sénateur Deacon, la relation entre le consommateur et les banques me préoccupe. Le système bancaire ouvert est déjà une réalité, avec la mine de renseignements sur mon relevé VISA, relevé que la CIBC possède et qui indique chaque achat effectué par ma famille, ce que nous achetons et son prix exact. Donc, de mon point de vue, la banque est assise sur une mine d’or. Et cette mine de renseignements n’est associée à aucune obligation, par exemple celle d’offrir des services en région rurale.

Prenons le secteur des télécommunications, dans lequel le Canada investit énormément d’argent pour assurer l’accessibilité des services en milieu rural. Nous déployons l’accès Internet au nord du 60e parallèle. Je ne vois pas le secteur des télécommunications investir autant dans ces efforts.

Ma question portait davantage sur ce commentaire général, mais envisageriez-vous un cadre de réglementation pour remédier au problème des services et, le cas échéant, à quoi ressemblerait-il pour les nouveaux venus du secteur des services financiers? Quelle serait l’interopérabilité du cadre de réglementation?

M. Lawford : Je crois que vous pourriez exiger que les institutions régies par la Loi sur les banques aient l’obligation d’offrir des services. On ne leur a jamais demandé et il n’y a pas de raison qui pourrait s’y opposer. Il y a un examen des banques tous les cinq ans. On pourrait le demander en contrepartie des renseignements qu’elles détiennent et qui ont pris de la valeur. Vous pourriez justifier votre demande de cette façon, ou simplement pour l’émission des permis spéciaux dont les banques ont besoin. Parce que, du point de vue des tiers, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de préciser qu’elles ont l’obligation de vous offrir des services.

Il y a deux façons d’interpréter mes propos. D’une part, la banque peut vous dire que vous utilisez une application de services bancaires ouverts dont vous tirez beaucoup de valeur, tandis que vous avez recours à un tiers pour un produit semblable. Et donc, parce que vous faites affaire avec un concurrent, la banque ne veut plus de vous comme client. C’est une possibilité. D’autre part, la banque pourrait vous forcer à adopter sa propre version selon le principe de la vente jumelée, par exemple, ce qui veut dire qu’elle viendrait avec votre produit. On ne sait pas comment tout va se passer. Tout dépend de la volonté des banques de se prêter au jeu, d’accepter la situation et de s’associer à ces tiers pour tirer profit du système bancaire ouvert.

Je ne sais trop de quelle façon elles vont essayer d’en tirer profit, si elles vont accepter de jouer le jeu et avec qui elles vont s’associer. Il est tout à fait convenable pour les législateurs et les organismes de réglementation de souligner aux banques que, peu importe leur décision, la charte bancaire leur confère un statut privilégié, ce qui vient avec son lot de responsabilités.

Je sais qu’il y a une source intarissable de mécontentement chez les clients : supposons qu’ils ont un différend avec leur banque, puis qu’elle les mette à la porte. Ils ont ensuite encore plus de difficultés à résoudre leur problème, puisqu’ils ne sont plus des clients de la banque. En revanche, il est très difficile de passer de la Banque Royale à la TD. Si un aspect du système bancaire ouvert permettait de changer de fournisseur du jour au lendemain, en emportant tous ses comptes, tout son dossier — ce qui pourrait être possible avec ce truc —, ce serait super.

L’obligation d’offrir des services serait utile ici, car elle empêcherait la deuxième banque d’avoir des exigences démesurées en vous interdisant de faire affaire avec toute autre banque sous prétexte que vous changez d’institution. Je m’égare un peu, mais je vois ce que vous voulez dire.

Vous avez assurément le pouvoir d’en faire une exigence ou d’obliger les banques à réinvestir dans la collectivité, comme c’est le cas aux États-Unis, où une telle mesure bénéficie aux personnes à faible revenu qui ont besoin d’un prêt et qui estiment ne pas l’avoir obtenu en raison de leur lieu de résidence, de leurs origines ethniques, ou peu importe. Nous n’avons pas ces exigences au Canada, mais nous pourrions les avoir.

La sénatrice Moncion : J’estime que le système bancaire ouvert pourrait être avantageux pour les consommateurs et les institutions financières, de même que pour le gouvernement. Prenons l’agrégation des renseignements financiers; je crois que le système bancaire ouvert aura accès à ces renseignements. Ce qui me préoccupe, c’est la façon dont nous allons établir le cadre.

J’ai vu quelques exemples d’opérations faites avec ce système ou de données transmises par les clients à, entre autres, leur conseiller financier, afin qu’il puisse leur donner un meilleur aperçu des possibilités qui s’offrent à eux. L’une des préoccupations du gouvernement fédéral — et c’est pourquoi il s’intéresse à l’agrégation des données financières, j’imagine — est de pouvoir aussi se pencher sur l’endettement des ménages. À l’heure actuelle, quand on consulte les renseignements sur le client, même quand on est banquier, on jette un coup d’œil aux investissements, on regarde les emprunts, mais on n’a aucune idée de ce qui se passe avec le prêt que lui a accordé Brick ou qu’il a obtenu ailleurs.

Je vois le système bancaire ouvert comme l’agrégation de tous les renseignements financiers à partir desquels on obtient un meilleur aperçu des renseignements financiers d’un client. J’aimerais vous entendre là-dessus. Je suis préoccupée par la façon dont nous allons établir un cadre qui tienne compte de ces aspects, mais j’aimerais obtenir vos commentaires sur ce que j’avance.

M. Lawford : C’est une question intéressante, parce que, je le répète, je suis ambivalent par rapport à tous les aspects du système bancaire ouvert. D’un côté, si des données comportementales et des données financières très ciblées sont facilement extraites des renseignements concernant des millions de clients, puis utilisées par le gouvernement pour concevoir des politiques proactives, bref que le gouvernement est davantage au fait des décisions de la population, de sa santé financière et de l’utilisation qu’elle fait de son argent, il s’agit là de renseignements qui pourraient servir à adopter des lois mieux avisées.

La sénatrice Moncion : Tant que la personne qui souhaite utiliser la plateforme y consent.

M. Lawford : C’est l’idée. Reste à savoir si quelqu’un qui accepte les conditions du système bancaire ouvert accepte également que les décideurs gouvernementaux se servent de sa version agrégée à des fins législatives. Si c’est le cas, on pourrait s’en servir.

La sénatrice Moncion : Le gouvernement détient déjà ces renseignements sur beaucoup de Canadiens, parce qu’ils permettent de mieux cerner l’endettement des ménages. Ce sont des données connues. Ce qui nous manque, ce sont les données sur les activités en dehors du système réglementé actuel, c’est-à-dire celles des tiers qui prêtent de l’argent. Donc, c’est sur cet aspect que le gouvernement n’obtient pas de renseignements.

M. Lawford : Bref, la question serait la suivante : est-ce qu’un tiers qui offre des services non bancaires doit, dans une certaine mesure, fournir des renseignements pertinents au gouvernement pour l’aider à mieux évaluer la situation?

La sénatrice Moncion : Je crois que le système bancaire ouvert devrait être accessible à toutes les entreprises qui offrent des prêts ou des services d’investissement aux Canadiens. Il ne serait pas limité aux banques.

M. Lawford : Non. Je suis d’accord avec vous. Ce ne devrait pas être le cas. Je ne veux pas induire le comité en erreur en disant que, même si le système bancaire ouvert peut avoir bien des conséquences néfastes, l’adoption de mécanismes de protection et une mise en œuvre adéquate de ce système ne présentent pas beaucoup d’avantages pour les consommateurs et ne favorisent pas vraiment la concurrence. Peut-être que je donne l’impression de pencher d’un côté, mais j’essaie de démontrer qu’il y a deux avenues possibles. Dans d’autres secteurs, je constate que le gouvernement n’intervient pratiquement pas dans l’établissement du flux des données des entreprises. C’est pourquoi je trouve ce comité si intéressant : c’est un secteur réglementé où vous avez la capacité de restreindre les activités — on parle des banques ici —, alors voyons ce que vous allez faire avec les entreprises de traitement de données. Dans beaucoup d’autres secteurs, comme avec les moniteurs d’activité physique et les systèmes de domotique, il n’y a pas de comité de surveillance qui se penche là-dessus.

La sénatrice Moncion : Non. Cela nous ramène à ce que le sénateur Deacon vous demandait plus tôt.

L’autre question que je voulais poser porte sur un aspect de votre déclaration. Je vais vous fournir les détails. Les consommateurs ne bénéficient d’aucun régime de responsabilité dans les systèmes de paiement ou bancaires généraux au Canada. Pourriez-vous expliquer pourquoi, s’il vous plaît?

M. Lawford : S’il y a un différend par rapport à un paiement que vous avez fait par carte de crédit, carte de débit ou prélèvement préautorisé, Paiements Canada dispose d’un mélimélo de règles et on en trouve également dans les politiques d’utilisation des cartes de crédit, mais rien de tout cela ne figure dans la Loi sur les banques ou la Loi canadienne sur les paiements. Il y a des règles volontaires auxquelles les consommateurs peuvent recourir, dans une certaine mesure. Nous n’en sommes pas encore à la protection légale offerte en Europe, où il est établi qu’un client qui utilise un système de paiement s’expose à des pertes de 50 euros, tant qu’il ne se sert pas du système à des fins frauduleuses et qu’il ne fait pas preuve de négligence grave. C’est tout ce qu’il perd. Au Canada, il n’y a pas de limite. Vous pouvez donc perdre beaucoup plus.

La sénatrice Moncion : Je pense que c’est pour les cartes de crédit, mais pas pour les cartes de débit.

M. Lawford : Oui, je suis d’accord avec vous, mais vous êtes protégé tant que VISA veut bien vous accorder sa protection. Quand VISA décidera que vous n’êtes plus un bon client, elle vous retirera sa protection. Tout est sur une base volontaire. Il n’y a rien dans les lois. Si nous voulons que les consommateurs soient toujours protégés, il serait utile de l’inclure dans la Loi sur les banques. Le système bancaire ouvert est une bonne occasion d’introduire cette notion, car nous élargissons le groupe des acteurs concernés.

La sénatrice Moncion : Merci.

Le sénateur C. Deacon : Je tiens à ce que nous profitions de la question du système bancaire ouvert ou du système bancaire axé sur les clients pour remédier à beaucoup de choses. Je songe à Air Miles et à la quantité de données que nous fournissons. Les deux tiers des ménages canadiens utilisent Air Miles. Air Miles sait tout ce qu’ils font. L’entreprise ne connaît pas seulement certains aspects de leur vie, mais bien la quantité d’alcool qu’ils consomment, et tout le reste. Je n’ai pas de carte Air Miles. Il me reste donc un ou deux secrets.

Aujourd’hui, 10 p. 100 des Canadiens sont victimes de grattage d’écran. De ce que je sais, 90 p. 100 des Canadiens devraient soumettre leur déclaration de revenus sous forme électronique ou à l’aide d’un système nuagique en ligne cette année. Nous en sommes là : 100 p. 100. Je reçois vos arguments sous cet angle. J’estime que nous devons faire des recommandations sur la façon d’aller de l’avant en tenant compte de cette réalité.

J’ai entendu beaucoup de mises en garde qui, selon moi, sont fort importantes, mais je veux m’attarder aux points que vous avez à peine abordés, où nous pouvons améliorer grandement la vie des Canadiens si nous empruntons cette voie. Il y a des façons de créer des possibilités majeures pour les consommateurs.

J’aimerais vraiment que vous nous donniez votre liste de ces possibilités. Nous avons bien compris vos réticences, et je crois qu’elles sont importantes, mais je veux maintenant connaître les aspects positifs.

M. Lawford : Je suis du genre pessimiste, mais je veux bien essayer de vous répondre.

Le sénateur C. Deacon : J’avais cru remarquer, oui.

M. Lawford : Je suis probablement fort ennuyeux alors.

La première, pour le système bancaire ouvert, doit être la possibilité de passer d’une banque canadienne à l’autre de façon transparente. Je devrais être en mesure de changer de banque cinq jours par semaine si j’en ai envie. Ce serait perturbateur, mais ce devrait être possible. Partant de là, il y a d’autres avantages évidents pour les consommateurs. Je pense qu’on vous a déjà entendu parler des robots-conseillers, ces programmes électroniques qui tentent dans une certaine mesure de reproduire les conseils financiers que vous fournirait un conseiller. Je crois que, comme les conseillers financiers sont coincés dans un système où il y a beaucoup de frais administratifs, les robots-conseillers peuvent être plus abordables pour les consommateurs. C’est une bonne chose.

Ensuite, c’est moins clair, car la plupart des progrès dans le domaine sont tout récents. Le Royaume-Uni vient de s’y mettre et l’Australie entre dans la ronde, et on ne sait pas encore quelle forme cela prendra. Je soupçonne que la majorité des applications vont gérer une partie précise de vos besoins financiers, mais mèneront essentiellement à d’autres renseignements, et que ce sera au bout du compte leur réelle fonction. Peut-être que je ne réponds pas à votre question.

Le sénateur C. Deacon : Voyons si je peux être plus clair. Nous avons l’occasion d’ajouter des protections pour les consommateurs. Pouvez-vous nous donner une liste des protections qui, à votre avis, seraient naturellement compatibles avec l’adoption d’un système bancaire ouvert et qui répondraient à vos préoccupations? Je n’essaie aucunement de nier vos réticences. Ce que je veux dire, c’est que nous avons aujourd’hui l’occasion de rectifier bien des choses, en prévision de l’avenir.

Cela va se produire, que le gouvernement y participe ou non, qu’il réglemente ou non. Donc, concentrons-nous sur la liste des points dont nous devons absolument traiter afin de vraiment profiter de cette occasion pour mieux protéger les consommateurs canadiens.

M. Lawford : Je crois que j’aurais comme principe fondamental l’autonomie et le contrôle des consommateurs. Partant de là, les points plus précis se confirment d’eux-mêmes, comme la gestion de la responsabilité pour éviter une dérive financière. Au bout du compte, on parle finances. Les Canadiens veulent s’assurer de ne pas perdre les économies de toute une vie à cause d’une application. C’est la première possibilité. Ensuite, il y a le droit de choisir son fournisseur plutôt que d’être limité à celui que l’on a déjà ou d’être pénalisé quand on a recours à un fournisseur en particulier. Ainsi, on peut vraiment profiter de la diversité du marché et avoir la liberté de changer de fournisseur.

Le sénateur C. Deacon : On laisserait donc tomber le concept du droit à l’oubli.

M. Lawford : Oui. Dans ce que j’ai cité plus tôt, je n’ai pas parlé de la suppression des données, c’est-à-dire qu’il doit y avoir un contrôle des données supérieur à ce qui est actuellement en vigueur. C’est un concept qui donne du fil à retordre aux Européens, comme à nous tous d’ailleurs. Les membres du comité ont posé des questions sur la propriété des données plus tôt au cours des audiences. La propriété ne s’applique pas aux données. C’est strictement une question de contrôle. Vous devez donner aux consommateurs une plus grande latitude afin qu’ils puissent dire : « Très bien, madame la banque ou monsieur le fournisseur tiers du système bancaire ouvert, vous ne pouvez plus utiliser mes données et je veux des garanties que vous ne le ferez plus. »

La seule façon d’appliquer cela serait l’imposition d’amendes en cas d’utilisation. Ce devrait être aussi précis que cela, peut-être même des amendes aux hauts dirigeants de l’entreprise s’ils ne respectent pas la volonté du consommateur. Je ne sais pas si vous devez offrir ce type de protection supplémentaire ou pas.

Encore une fois, du point de vue de la transparence et de la circulation des données, il est possible d’écrire au commissaire à la protection de la vie privée et de demander à l’entreprise où se trouvent maintenant vos données, et elle doit vous répondre, mais ce recours ne peut être utilisé qu’une fois. Vous pourriez avoir un outil qui permettrait de voir en toute transparence la chaîne de transmission des données.

Le sénateur C. Deacon : Ainsi que les personnes qui la consultent.

M. Lawford : S’il est possible d’avoir un système bancaire ouvert, pourquoi cela serait-il impossible?

Le sénateur C. Deacon : Merci. Je pense simplement que c’était un point important à soulever. Si nous en arrivons là et nous constatons que des mesures sont prises en ce sens, croyez-vous que cela serait positif en fin de compte?

M. Lawford : Oui. La technologie est neutre. Elle peut avoir des effets positifs si nous exigeons certaines choses en faveur des consommateurs et nous n’oublions pas pour qui nous le faisons.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Lawford. Vous nous avez beaucoup appris sur le sujet. Comme je l’ai dit, nous nous concentrons sur la protection des consommateurs, et votre contribution sur le sujet a été très grande. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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