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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 11 juin 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 16 h 30, à huis clos, afin d'étudier un projet d'ordre du jour (travaux futurs), et en séance publique, afin de poursuivre son étude sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, nous reprenons la séance en public.

Bonsoir, je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

Puis-je demander à ce qu’un membre du comité propose la motion suivante :

Que des caméras de télévision soient autorisées dans la salle du comité afin d’en prendre des images d’une manière qui perturbe le moins possible les travaux.

La sénatrice Gagné : Je propose la motion.

Le président : La motion est proposée par la sénatrice Gagné. Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le président : Je vous remercie beaucoup.

Alors, le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit le troisième volet de son étude qui porte sur la perspective des personnes ayant vécu l’évolution de la loi. Nous avons le plaisir d’accueillir ce soir Mme Katherine d’Entremont, commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, M. François Boileau, commissaire aux services en français de l’Ontario et M. Joseph Morin, conseiller juridique au Commissariat aux services en français de l’Ontario.

Avant de vous passer la parole, chers témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick. Bonsoir et bienvenue.

Le sénateur Maltais : Bonsoir, sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Gagné : Sénatrice Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Moncion : Sénatrice Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Monsieur Boileau et madame d’Entremont, permettez-moi d’abord de vous souhaiter la bienvenue et de vous dire à quel point nous apprécions le travail que vous faites dans vos provinces respectives. Nous sommes très heureux que vous ayez pris le temps de venir nous rencontrer ce soir pour nous faire part de vos réflexions et de vos commentaires concernant la modernisation de la Loi sur les langues officielles. La parole est à vous, madame d’Entremont.

Katherine d’Entremont, commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick : Bonsoir à tous. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, j’aimerais commencer par vous remercier de m’avoir invitée à présenter les grandes lignes de la position du commissariat au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous présenterons dans quelques mois un document plus détaillé qui énonce notre position à ce sujet. C’est réellement un honneur et un privilège pour moi de témoigner dans le cadre de votre importante étude.

La commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick est une agente indépendante de l’assemblée législative. Mon rôle est d’enquêter, de présenter des rapports, de faire des recommandations visant le respect de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick et de promouvoir l’avancement des deux langues officielles dans la province.

En guise d’introduction, nous sommes d’avis que la Loi sur les langues officielles doit être modernisée en général pour être adaptée aux changements sociolinguistiques, démographiques, technologiques et jurisprudentiels survenus au Canada depuis sa refonte en 1988. Rappelons que depuis cette date, la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick a été modernisée à deux reprises, soit en 2002 et en 2013.

La Loi sur les langues officielles doit également être modernisée spécifiquement pour deux raisons qui sont propres au Nouveau-Brunswick. Premièrement, la modernisation de la LLO doit corriger le manque de considération historique de la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick par le Parlement. Depuis sa refonte en 1988, la LLO aurait dû refléter la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick qui a été consacrée en 1982 par les paragraphes 16(2), 17(2), 18(2), 19(2) et 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Deuxièmement, la LLO doit être modernisée afin de refléter le statut et les droits et privilèges égaux de la communauté linguistique française et de la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick, lesquels ont été consacrés par le Parlement de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick par le truchement de la modification constitutionnelle de 1993, qui a amendé la Charte afin d’y ajouter l’article 16.1.

Je vous présenterai maintenant un bref contexte historique et les lacunes de la Loi sur les langues officielles fédérale en ce qui a trait au Nouveau-Brunswick. En ce qui concerne la spécificité juridique du Nouveau-Brunswick, nous avons la Loi sur les langues officielles et la Loi reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques officielles du Nouveau-Brunswick, lesquelles consacrent le statut et les droits et privilèges égaux des communautés linguistiques françaises et anglaises du Nouveau-Brunswick, notamment leur droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

La modernisation de la LLO doit corriger le manque de considération historique de la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick par le Parlement. Depuis sa refonte en 1988, la LLO aurait dû refléter cette spécificité constitutionnelle. Notre commissariat invite donc le Parlement à reconnaître dans la loi fédérale modernisée l’unicité du Nouveau-Brunswick et à harmoniser, lorsque cela s’avère possible, les régimes linguistiques fédéral et néo-brunswickois.

Le Nouveau-Brunswick bénéficie d’un régime constitutionnel et législatif unique en matière de droits linguistiques qui, à l’heure actuelle, ne voit toujours pas son reflet dans la loi fédérale. L’étude lancée par votre comité est l'occasion de remédier à cette discordance et de tenter d’harmoniser les régimes législatifs fédéral et néo-brunswickois en matière de langues officielles afin de mettre en œuvre ou de mieux mettre en œuvre les droits constitutionnels des Néo-Brunswickois et des Néo-Brunswickoises.

Nous recommandons donc que la loi fédérale soit modernisée afin d’harmoniser les obligations du gouvernement fédéral et celles du Nouveau-Brunswick en matière de prestation de services et de communication avec le public dans les deux langues officielles, et de faire en sorte que le gouvernement fédéral tienne compte et appuie l’égalité du statut et des droits et privilèges des communautés linguistiques françaises et anglaises du Nouveau-Brunswick, y compris les institutions distinctes auxquelles elles ont droit.

Le commissariat recommande que la loi fédérale prévoie l’obligation du gouvernement fédéral d’offrir ses services et de communiquer dans les deux langues officielles partout au Nouveau-Brunswick. Comme vous le savez, à l'échelon fédéral, le public a le droit d'utiliser le français ou l’anglais pour communiquer avec les bureaux des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services, là où l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante ou se justifie par la vocation du bureau. Au Nouveau-Brunswick, par contre, le public a droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement provincial ou pour en recevoir les services sans condition.

Au Nouveau-Brunswick, la loi fédérale permet à plusieurs bureaux d’institutions fédérales de pratiquer l’unilinguisme. D’après le site web Burolis du gouvernement fédéral, à l’heure actuelle, au moins deux bureaux fédéraux offrent leurs services uniquement en français et au moins 51 bureaux fédéraux offrent leurs services uniquement en anglais. Des exemples de ces bureaux fédéraux n’offrant leurs services qu’en anglais incluent 21 bureaux de la Gendarmerie royale du Canada, 15 bureaux de l’Agence des services frontaliers du Canada, le Service correctionnel du Canada situé à Saint-Jean, et l’aéroport de Saint-Jean.

Le Parlement devrait donc ajuster la formulation de l’article 22 de la Loi sur les langues officielles pour refléter le cadre constitutionnel dans lequel évolue le Nouveau-Brunswick, de sorte que le régime fédéral concorde avec ce cadre et évite de s’y opposer, et qu'il concorde avec le bilinguisme institutionnel complet du Nouveau-Brunswick. Le commissariat recommande que le Parlement modernise la partie IV de la loi fédérale pour qu’elle oblige expressément le gouvernement fédéral à offrir ses services et à communiquer dans les deux langues officielles partout au Nouveau-Brunswick. Il lui suffit, pour atteindre cet objectif, d'indiquer que les obligations prévues à l’article 22 de la loi valent pour tous les bureaux des institutions fédérales au Nouveau-Brunswick.

Nous recommandons aussi que la loi fédérale oblige le gouvernement à tenir compte et à appuyer l’égalité du statut et des droits et privilèges des communautés linguistiques françaises et anglaises du Nouveau-Brunswick, y compris les institutions distinctes auxquelles elles ont droit. Le Parlement devrait moderniser la loi fédérale, à la lumière de l’ajout de l’article 16.1 à la Charte en 1993, afin que celle-ci prévoie et encadre une obligation du gouvernement fédéral de tenir compte des droits et privilèges égaux des communautés linguistiques anglaises et françaises du Nouveau-Brunswick. Une telle modernisation pourrait être atteinte en prévoyant, à la partie VII de la loi fédérale, un engagement additionnel -- accompagné d’une obligation de prendre des mesures positives afin de mettre en œuvre cet engagement -- du gouvernement fédéral de reconnaître et de promouvoir le statut et les droits et privilèges égaux des communautés linguistiques françaises et anglaises du Nouveau-Brunswick, notamment le droit de celles-ci aux institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

Un tel régime encadrerait le pouvoir du gouvernement fédéral de dépenser. Par exemple, le ministère du Patrimoine canadien a conclu des ententes avec les gouvernements provinciaux et territoriaux dans le cadre de son Programme des langues officielles dans l’enseignement depuis 1970. Celles-ci régissent les modalités de transfert de fonds fédéraux qui visent à financer les coûts supplémentaires de l’enseignement dans la langue de la minorité et de l’enseignement de la langue seconde. La modification à la loi fédérale que recommande le commissariat obligerait le ministère du Patrimoine canadien à adopter une lentille néo-brunswickoise et à tenir compte du droit des communautés anglaises et françaises du Nouveau-Brunswick à des institutions d'enseignement et culturelles distinctes lorsqu’il négocie de telles ententes.

Le Parlement pourrait même songer à exiger que la négociation de telles ententes inclue la participation des usagers et des commissions scolaires, par exemple. Le Parlement devrait s’inspirer de l’expérience néo-brunswickoise en matière de langues officielles dans son étude sur la modernisation de la loi fédérale.

Le Nouveau-Brunswick bénéficie d’une longue et riche expérience en matière de langues officielles qui pourrait aider le comité dans le cadre de son étude de la modernisation de la loi. En effet, depuis que la province a adopté la première loi sur les langues officielles au pays, en avril 1969, soit quelques mois avant l’adoption de la loi fédérale, elle a connu de nombreux développements en matière de droits linguistiques et a su mettre à l’épreuve différentes propositions pour l’avancement des droits de sa minorité francophone. Le Nouveau-Brunswick constitue une sorte de terrain d’étude pour le comité qui pourrait le guider quant aux changements législatifs nécessaires ou prometteurs.

Notre commissariat formule donc certaines suggestions qui s’inspirent de la riche expérience néo-brunswickoise en matière de langues officielles. On pourrait apprendre du modèle de mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. Alors que la première loi sur les langues officielles du pays, la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick de 1969, ne chargeait aucune autorité spécifique de sa mise en œuvre, en 2002, le Nouveau-Brunswick a prévu, à l'article 2 de la loi modifiée, que le premier ministre serait responsable de son application.

Dès 2004, un an après son entrée en fonction, le commissaire aux langues officielles insistait sur l’importance d'élaborer un plan directeur de mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick et des stratégies de mise en œuvre pour chaque institution assujettie à la LLO du Nouveau-Brunswick et de créer une agence coordonnatrice de cette mise en œuvre afin d’atteindre les objectifs du nouveau régime linguistique. Le commissariat répétera cette recommandation à plusieurs reprises. Ce n’est qu’en 2011 que le gouvernement du Nouveau-Brunswick adopte un premier plan de mise œuvre de la loi provinciale.

En 2013, le comité spécial de révision de la loi du Nouveau-Brunswick exprimait l’importance pour le gouvernement d'avoir l’obligation de se doter d’un plan global de mise en œuvre de la loi. En réponse à cette recommandation et lors de la refonte de la loi provinciale en 2013, la législature prévoit un nouvel article 5.1 qui crée l’obligation légale pour le gouvernement du Nouveau-Brunswick de se doter d’un plan de mise en œuvre, ainsi que d’élaborer les paramètres d’un tel plan. L’article confère au premier ministre la responsabilité ultime de coordonner et de mettre en application ce plan global, tandis qu’il charge les différents éléments des services publics d'élaborer leur propre plan d’action devant contribuer au plan global.

En comparaison avec le plan fédéral, la LLO ne confère à aucune entité gouvernementale l’autorité ou la responsabilité de veiller à sa mise en œuvre. Deux institutions fédérales sont plutôt nommées dans la LLO pour assumer la responsabilité de mettre en œuvre certaines parties de celle-ci, soit le Conseil du Trésor et le ministère du Patrimoine canadien.

L’expérience néo-brunswickoise suggère que la LLO devrait conférer à une entité gouvernementale la responsabilité ultime de sa mise en œuvre. En particulier, notre commissariat recommande que l’entité chargée de la mise en œuvre de la loi fédérale soit une agence centrale ayant les pouvoirs horizontaux nécessaires pour mener à bien ce rôle, notamment, le pouvoir de prendre l’initiative en matière réglementaire, un accès à des fonds pangouvernementaux et des pouvoirs statutaires clairs encadrant son rôle face aux différents éléments du gouvernement. En l'absence d'une agence centrale pour exercer un rôle de surveillance accrue, la mise en œuvre par les institutions risque de s’avérer déficiente. C’est bien ce que révèle l’évaluation du plan sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick commandé par le bureau du conseil exécutif de la province en 2014.

Vous pourriez aussi vous inspirer d’obligations spécifiques prévues dans la loi du Nouveau-Brunswick.

Le président : Madame la commissaire, je ne veux pas vous interrompre, mais étant donné le temps accordé aux témoignages, je vous demanderais de conclure votre présentation.

Mme d’Entremont : Dans la loi du Nouveau-Brunswick, il y a une disposition qui exige la révision périodique de la loi, ce qui est utile. La dernière fois que la loi a été révisée, la période était d’environ huit ans. La loi doit être révisée, et un comité a été constitué pour ce faire. La dernière révision remonte à 2013 et, depuis 2013, on a donné au commissaire le pouvoir de publier des rapports d’enquête. C'est un élément que je vous suggère d'envisager. La commissaire du Nouveau-Brunswick peut publier des rapports d’enquête lorsqu’elle juge qu'il est dans l’intérêt public de le faire. Depuis que nous avons ce pouvoir, nous avons publié environ une vingtaine de rapports d’enquête.

Je vais m’arrêter ici. Je vous remercie de m’avoir permis de présenter les grandes lignes de la position du commissariat, et c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le président : Rassurez-vous, vous aurez l'occasion d’ajouter d’autres détails à votre témoignage dans le cadre de la période des questions.

Monsieur le commissaire Boileau, vous avez la parole.

François Boileau, commissaire aux services en français, Commissariat aux services en français de l’Ontario : Sénateurs et sénatrices, bonsoir. Je voudrais vous remercier de m’avoir permis de comparaître aujourd’hui afin de vous présenter un mémoire sur les enjeux importants qui devraient être pris en considération dans le cadre d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles. Je suis accompagné de Me Joseph Morin, notre conseiller juridique au Commissariat aux services en français de l’Ontario.

Nous étions tous agréablement surpris lorsque le premier ministre a annoncé, il y a quelques jours, qu’il s’engageait à moderniser la loi. Cette déclaration honore le mandat que vous vous êtes donné. Nous devons vous féliciter pour votre perspicacité, votre approche en amont et votre vision.

La Loi sur les langues officielles peut et doit être un phare dans le domaine de la coopération entre le gouvernement fédéral et les provinces et les territoires. Toutefois, pour ce faire, elle doit être modernisée à plusieurs égards. Les acteurs n’ont peut-être pas changé depuis 50 ans, mais leurs rôles et responsabilités en matière de langues officielles ont beaucoup évolué.

[Traduction]

L'Ontario tient le même débat. Il y a deux ans, j'ai recommandé au gouvernement de moderniser la Loi sur les services en français car, à l'instar de la Loi sur les langues officielles, elle ne répond plus aux réalités de notre société.

[Français]

Premièrement, j’argumenterai que la Loi sur les langues officielles et son règlement n’incluent pas tous les utilisateurs potentiels des services dans la langue de la minorité. Deuxièmement, je vous recommanderai de renforcer les dispositions qui traitent de l’offre active des services. Troisièmement, je discuterai de l’importance d’un renouvellement du fédéralisme coopératif en matière de langues officielles. Nous abordons également en détail la question de l’harmonisation dans le mémoire que nous vous avons soumis en complémentarité avec la position de ma collègue du Nouveau-Brunswick.

Le Canada d’aujourd’hui n’est pas celui des années 1980. La population francophone est riche par sa diversité grâce à l’immigration et aux jeunes issus des familles exogames et francophiles.

Dans mon tout premier rapport annuel, je recommandais à la ministre des Affaires francophones de l’Ontario de revoir la définition de la population francophone afin de s’assurer de refléter adéquatement la nouvelle réalité de cette population. La méthode utilisée à l’époque tenait compte seulement de la langue maternelle, ce qui excluait plus de 50 000 Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens. Par exemple, une famille immigrante ayant l’arabe comme première langue et dont les membres communiquent entre eux à la maison soit en arabe ou en français n’était pas considérée par le gouvernement comme faisant partie de la population francophone de l’Ontario. Je suis donc très satisfait et fier que le gouvernement de l’Ontario ait adopté, en 2009, la définition inclusive de francophonie (DIF).

[Traduction]

Cette nouvelle méthode tient maintenant compte des personnes dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais mais qui ont une bonne connaissance de la langue française et l'utilisent à la maison, comme notre famille, dont la langue maternelle est l'arabe.

[Français]

J’ai aussi exprimé le souhait qu’une définition inclusive de la francophonie soit adoptée dans d’autres provinces et auprès du gouvernement fédéral. Je crois sincèrement qu’une définition plus inclusive de la francophonie doit être une composante du fédéralisme coopératif renouvelé axé sur les intérêts et les besoins propres aux communautés francophones.

La définition de la minorité francophone ou anglophone retenue par le Règlement sur les langues officielles, qui se fonde sur l’estimation de la première langue parlée, ignore, elle aussi, les nouvelles réalités des communautés de langue française en situation minoritaire. Plus encore, le gouvernement fédéral ne retient que des critères numériques pour décider s’il y existe une demande importante de services. Le gouvernement ne tient pas compte de la vitalité des communautés de langue officielle vivant en situation minoritaire, qui est confirmée par l'existence d'écoles ou de centres communautaires, critère pourtant énoncé à l’article 32 de la loi.

Autrement dit, puisque leur méthode de calcul est trop restrictive et qu’ils ne tiennent pas compte de la vitalité des communautés, la loi et son règlement actuel excluent plusieurs personnes nécessitant des services dans la langue de la minorité. Il importe, dès lors, de s’assurer de calculer le nombre d’utilisateurs potentiels des services offerts dans la langue officielle minoritaire et, pour favoriser cette détermination, d'abandonner le seul modèle de calcul qui est axé sur une notion dépassée du point de vue identitaire en se rapprochant davantage d’une notion de vitalité des communautés.

À la lumière de l’expérience ontarienne, je recommande au Parlement de modifier les paramètres de calcul de la demande importante et de valoriser le nombre de personnes qui peuvent communiquer dans la langue de la population de la minorité francophone ou anglophone, ainsi que la vitalité institutionnelle de la population de la minorité francophone ou anglophone de la région desservie, confirmée par la présence d’institutions, comme une école ou un centre communautaire.

Comme la définition inclusive de la francophonie, l’offre active a été l’une de mes priorités en tant que commissaire. En 2016, j’ai déposé un rapport spécial auprès de l’Assemblée législative de l’Ontario sur l’offre active et son importance pour atteindre les objectifs de la Loi sur les services en français. Vous noterez avec intérêt qu’il n’y a aucun article dans la Loi sur les services en français qui traite de l’offre active. Déjà, la Loi sur les langues officielles fait mieux.

[Traduction]

L'offre active est particulièrement essentielle lorsque la population est vulnérable. J'ai entendu plusieurs témoignages sur l'importance de l'offre active, notamment dans le secteur de la santé.

[Français]

Je me souviens d’un exemple dans un bureau du gouvernement. Les employés se parlaient en français, les clients conversaient en français et l’affichage était dans les deux langues. Pourtant, l’employé ne parlait qu’en anglais à la cliente. Le tout se déroulait dans la langue de Shakespeare. Cette situation se répète toujours.

L’offre active est essentielle dans la prestation des services dans la langue de la minorité. Vous en conviendrez, ce n’est probablement pas en pleine procédure médicale qu’un francophone exigera qu’on respecte ses droits linguistiques, ni lorsqu’une adolescente, accablée de dépendances et qui vient d’accoucher, demandera à la Société d’aide à l’enfance locale, qui cogne à sa porte, d’obtenir une évaluation psychosociale en français.

[Traduction]

Or, cette obligation semble toujours être mal comprise parmi les institutions fédérales. Le Parlement doit donc moderniser la Loi sur les langues officielles pour clarifier ces obligations et fournir un régime plus robuste concernant l'offre active relativement à ce dont nous discutons pour notre propre Loi sur les services en français renouvelée.

[Français]

Je recommande que le Parlement modifie la Loi sur les langues officielles de manière à prévoir l'obligation d’adopter un règlement sur l’offre active. Le Parlement pourra inclure dans ce règlement une définition explicite de l’offre active, de même que des critères clairs à respecter qui pourraient inclure les éléments suivants : 1) veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public de la disponibilité des services; 2) effectuer l’offre de services dans les deux langues dès le premier contact; 3) assurer au citoyen qu’il peut choisir l’une ou l’autre langue de service; 4) veiller à ce que le service octroyé le soit de façon culturellement appropriée; 5) veiller à ce que le citoyen se sente à l’aise dans la prestation de services; et 6) s’assurer que le service offert est de qualité égale ou équivalente au service offert en anglais.

Le paragraphe 16(3) de la Charte codifie un principe important : les dispositions constitutionnelles sur les droits linguistiques ne sont qu’un seuil, et le gouvernement fédéral, comme les provinces et les territoires, peut adopter de nouvelles lois pour faire progresser ces droits.

Pour le gouvernement fédéral, l’application de ce principe se retrouve de manière plus explicite à la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Il est obligé de poser des gestes pour favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Malheureusement, la partie VII semble n’être réduite à presque rien à la suite du récent jugement de la Cour fédérale dans l’affaire Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c. Canada, où la cour concluait que la partie VII n’impose pas d’obligations précises et particulières au gouvernement fédéral. Voilà bien une raison, s’il en est une, de moderniser la Loi sur les langues officielles.

Le gouvernement fédéral a l’autorité morale, le savoir-faire, et les moyens pour amorcer une nouvelle ère de fédéralisme coopératif en matière de langues officielles en vue de réaliser les aspirations de l’article 16 de la Charte, tout en respectant les priorités des gouvernements provinciaux et territoriaux. Pour ce faire, je recommande que le Parlement adopte de nouveaux articles dans la partie VII, lesquels préciseraient et encadreraient les obligations du gouvernement fédéral afin d’encourager un régime d’adoption volontaire de droits et d'obligations linguistiques en fonction des priorités des provinces, notamment dans les domaines de la santé, de la justice et de l'immigration.

Le gouvernement fédéral, pour sa part, serait tenu, en vertu de cette nouvelle section de la loi, de garantir un appui financier et logistique aux provinces qui adoptent de telles avancées linguistiques. Aussi, toujours dans l’esprit d’un fédéralisme coopératif renouvelé, je recommande que le Parlement ajoute de nouveaux articles, toujours dans la partie VII, afin d'encadrer le rôle du gouvernement fédéral en matière d’ententes fédérales-provinciales-territoriales.

[Traduction]

Plus concrètement, cette nouvelle disposition inclurait les éléments nécessaires pour définir de façon explicite le rôle du gouvernement fédéral dans des questions concernant l'adoption et la mise en oeuvre d'ententes fédérales-provinciales-territoriales, y compris l'ajout obligatoire de clauses linguistiques détaillées dans ces ententes, les consultations préalables des collectivités et l'obligation de rendre des comptes.

[Français]

Enfin, par le passé, le leadership en matière de langue officielle était la chasse gardée du gouvernement fédéral. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les provinces bougent, avancent, innovent et méritent d’être considérées comme de vraies partenaires dans un nouveau fédéralisme coopératif. Cela dit, le gouvernement fédéral doit absolument demeurer l’agent catalyseur en matière de langues officielles, et appuyer et encourager des avancées partout au Canada. Pour arriver à cette nouvelle vision, le Parlement doit moderniser la Loi sur les langues officielles pour qu’elle s'inscrive dans ce nouveau fédéralisme coopératif.

Je vous ai proposé trois modifications, et je vous ai soumis un mémoire plus complet et détaillé que vous pourrez consulter à votre guise.

Je vous remercie de nouveau de m’avoir écouté. Je suis disposé à répondre à vos questions dans la langue officielle de votre choix.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Boileau et madame d’Entremont. Nous allons commencer la période des questions.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie d’être parmi nous. Tout d’abord, j’aimerais vous remercier, madame d’Entremont, de toutes vos années de dévouement à l’égard de la province du Nouveau-Brunswick et à titre de commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick. J’ai appris que vous prenez votre retraite sous peu. Je tiens donc à vous remercier et à vous exprimer toute ma reconnaissance pour votre travail.

Madame d’Entremont, vous avez mentionné dans votre discours que la loi fédérale ne reflète pas les principes qui rendent le Nouveau-Brunswick unique. Pouvez-vous préciser votre pensée? Si cette lacune était corrigée, qu’est-ce que cela signifierait pour le Nouveau-Brunswick et le reste du Canada?

Mme d’Entremont : Notre recommandation vise à ce que vous teniez compte de la spécificité du Nouveau-Brunswick. Le Nouveau-Brunswick est la seule province mentionnée dans la Charte. Au Nouveau-Brunswick, nous avons non seulement la Loi sur les langues officielles, mais aussi une loi qui reconnaît l’égalité des deux communautés linguistiques. Cette dualité existe aussi, comme vous le savez, dans le domaine de l’éducation, dans les écoles publiques et postsecondaires. Le Nouveau-Brunswick représente une situation unique au pays.

Lorsque le gouvernement fédéral travaille avec les provinces, par exemple, dans le domaine de l’immigration, nos deux communautés au Nouveau-Brunswick ont un statut égal en vertu de la Charte. Lorsque nous entendons les instances fédérales parler d’une cible de 4 ou de 5 p. 100 pour le Nouveau-Brunswick, cela ne veut pas dire grand-chose, car nous voulons maintenir le poids démographique de nos deux communautés linguistiques. Il est important que la loi fédérale tienne compte du fait que le Nouveau-Brunswick est mentionné dans la Charte canadienne des droits et libertés en raison de sa spécificité. Il faudrait que la loi reflète cette situation.

Comme je l’ai dit plus tôt, les Néo-Brunswickois sont un peu confus. Comme plusieurs d’entre vous le savent, au Nouveau-Brunswick, nous avons droit à des services dans la langue de notre choix partout sur le territoire. Cependant, nous avons parfois de la difficulté à savoir où obtenir des services fédéraux dans la langue de la minorité ou de la majorité. Pourtant, ce serait assez facile à régler. Il faudrait que la loi fédérale oblige les bureaux du gouvernement fédéral d’offrir leurs services sur tout le territoire du Nouveau-Brunswick. C’est le cas de notre loi provinciale. Que ce soit dans la région du nord-est, où la majorité est francophone, ou du sud-ouest, où la majorité est anglophone, il faudrait que nous puissions être servis par les bureaux du gouvernement fédéral dans la langue de notre choix.

Il s’agit de moderniser la loi pour faire en sorte que le critère « là où la demande le justifie » ne s'applique pas au Nouveau-Brunswick. Ce serait un premier pas logique. Il est temps d’agencer les deux lois pour faire en sorte que les gens puissent être servis partout au Nouveau-Brunswick par les bureaux du gouvernement fédéral.

Le président : Je vais permettre à M. Boileau de prendre la parole.

Comme j’avais donné la consigne à mes chers collègues, je vous invite également à être le plus succinct et précis possible dans vos réponses, puisque le temps nous est compté.

M. Boileau : Je pense qu’une harmonisation serait possible pour le Nouveau-Brunswick, car c'est très clair sur le plan constitutionnel. Dans le cas où les provinces devraient être encore plus inclusives ou voudraient aller plus loin, il serait utile de prévoir aussi une harmonisation avec les provinces. Par exemple, en Ontario, on a recommandé, il y a quelques années, qu’au lieu de passer à 27 régions désignées le 1er juillet, on en ait qu’une seule. Si le gouvernement Ford devait aller dans cette direction, cela voudrait dire que l’ensemble du territoire de l’Ontario serait couvert. Nous aimerions avoir une harmonisation, c’est-à-dire cette flexibilité et cette souplesse de la part du gouvernement fédéral.

La sénatrice Gagné : Merci infiniment pour vos présentations, que j’ai trouvées excellentes.

Monsieur le commissaire Boileau, je voulais vous dire que j’ai trouvé intéressante votre proposition concernant un régime d’adoption volontaire pour les programmes en matière de langues officielles.

L'une des questions que je me suis posées est à savoir si on court le risque que le gouvernement fédéral investisse davantage là où les provinces s’impliquent déjà. Y a-t-il un risque que des communautés de langue officielle en situation minoritaire soient désavantagées et laissées pour compte par le gouvernement fédéral?

M. Boileau : Le gouvernement fédéral aura toujours un devoir d’être présent partout au pays. Les langues officielles concernent tout le monde. Nous souhaitons tout simplement qu’il y ait une reconnaissance des priorités gouvernementales lorsque l’Ontario, dans notre cas, s'engage dans cette direction. S’il y a un besoin d’harmonisation en matière de santé ou d’accès à la justice, les initiatives provinciales doivent être encouragées et suivies par le gouvernement fédéral. Il ne faut pas que le gouvernement et les provinces continuent de travailler en vase clos. Il faut encourager une harmonisation et une intégration pour qu’ils puissent se parler librement. Quand la province décide de piétiner, la nature ayant horreur du vide, le gouvernement fédéral doit combler ce vide et continuer d’agir en ce sens.

La sénatrice Gagné : Je ne vous ai pas entendu commenter la question de la mise en œuvre. À quelle institution devrait-on confier la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles?

M. Boileau : J’appuie entièrement les propos de ma collègue du Nouveau-Brunswick. Il faut une agence centrale. À l’époque de ce qu’on appelait le « plan Dion », ça fonctionnait, car M. Dion était président du Conseil privé. Tout ce qui entrait au Cabinet passait par le Conseil privé, donc tout projet ou initiative devait avoir cette lentille. Sinon, le projet était retourné avant d'être inséré au cartable présenté au Cabinet.

Il faut que cette responsabilité se retrouve au sein d’une agence centrale. Il est clair que c’est important. C’est pour cela que l’Ontario a recommandé ce que nous appelons « la lentille francophone ». C’est un outil élaboré par le ministère des Affaires francophones de l’Ontario. Nous recommandons que cette lentille soit maintenant imposée par le Cabinet à toute initiative et à tout règlement ou projet de loi présenté au Cabinet. On n’y est pas encore tout à fait, mais on travaille dans cette direction.

Le sénateur McIntyre : Merci pour vos présentations.

Je vais commencer par féliciter Mme d’Entremont pour ses interventions récentes dans le cadre de la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick. D’abord, nous apprenions au mois de mai, grâce à votre rapport d’enquête, que l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick a enfreint la Loi sur les langues officielles en adoptant un examen d’admission qui défavorise grandement les candidats francophones. En second lieu, je comprends que vous voulez intervenir dans la cause des travailleurs paramédicaux. Autrement dit, vous demandez le statut d’intervenant dans cette affaire judiciaire qui oppose les travailleurs paramédicaux à leur employeur quant aux obligations linguistiques dans les ambulances du Nouveau-Brunswick. Félicitations!

Récemment, le président intérimaire de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick et deux de ses collègues ont témoigné devant notre comité. La SANB propose que le caractère unique du Nouveau-Brunswick en matière linguistique soit inscrit noir sur blanc dans la Loi sur les langues officielles. Comme vous le savez, à l’heure actuelle, le cadre réglementaire encourage les institutions à négocier leurs obligations linguistiques à la baisse. Il y a toute la question de la demande importante. D’ailleurs, vous avez touché à ce sujet tout à l’heure.

Il y a un autre point important : celui de l’immigration et son impact sur l’immigration linguistique au Nouveau-Brunswick. Toujours selon la SANB, et je cite :

La communauté francophone du Nouveau-Brunswick n’a pas autant profité de l’immigration que la communauté anglophone.

De quelle façon la Loi sur les langues officielles fédérale pourrait-elle permettre de corriger le tir?

Mme d’Entremont : Je pense que, dans tous les programmes du gouvernement fédéral et dans toutes les lois, il s’agit de reconnaître la spécificité du Nouveau-Brunswick qui est liée à l’égalité des deux communautés linguistiques. En ce qui a trait à l’immigration, notre commissariat croit qu'elle doit profiter de façon égale à chaque communauté linguistique. Au Nouveau-Brunswick, depuis des décennies, environ un tiers de la population est francophone, pour deux tiers d’anglophones. Depuis plusieurs années, on réussit à attirer des immigrants francophones ou des immigrants qui vont s’intégrer à la communauté francophone, et ce, dans une proportion d'environ 12 p. 100. Vous pouvez imaginer que, pour une province dont la population n’augmente pas, en raison du faible taux de natalité, la seule façon d’augmenter la population, c'est par l’immigration. Pour maintenir notre taux de 33 p. 100, il faut attirer probablement plus de 33 p. 100 d’immigrants qui voudront s’intégrer à la communauté francophone, parce qu’on en perd, tant du côté francophone qu’anglophone.

Le gouvernement provincial s’est engagé à respecter le poids démographique des communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick. Ce n’est pas 4 ou 5 p. 100, c’est vraiment 33 p. 100 et, pour maintenir ces 33 p. 100, il faut en attirer davantage. Quel est le chiffre? Je ne le sais pas, car nous ne sommes pas spécialistes en immigration. Cependant, quand on examine les questions à l'aide d'une lentille néo-brunswickoise, y compris les lois et les politiques en matière de langues officielles dont nous disposons à l'échelon fédéral, c’est le genre de choses sur lesquelles on s’interroge par rapport au Nouveau-Brunswick, en se posant la question suivante : est-ce que cette pratique, cette politique, cette loi va nous permettre de respecter la spécificité qui existe au Nouveau-Brunswick, soit l’égalité des deux communautés linguistiques? Donc, l’immigration en est un exemple assez concret.

Ce serait la même chose pour tous les autres programmes pour lesquels il y a un champ de compétences partagé entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial, là où les politiques au niveau fédéral ont une influence sur ce qui se passe sur le terrain au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur McIntyre : Comme le disait si bien la SANB, le problème, c’est l’équilibre linguistique. En 2016, par exemple, seuls 17 p. 100 des immigrants au Nouveau-Brunswick étaient des francophones, alors que la minorité francophone représentait 32 p. 100 de la population. C’est là le problème.

Mme d’Entremont : Nous allons publier notre rapport annuel la semaine prochaine, et nous faisons état de ces chiffres chaque année. C’est à peu près ça. Nous n’avons pas encore atteint les 33 p. 100, mais c’est ce que le gouvernement actuel s'est fixé comme objectif.

La sénatrice Jaffer : Merci de votre présence parmi nous.

[Traduction]

Monsieur Boileau, j'ai été ravie d'entendre ce que vous avez dit au sujet de la définition de la francophonie. Cela peut vous sembler un peu exagéré, mais c'est ce que je pense parfois.

J'ai un passé colonial, où les enfants de parents anglophones fréquentaient des écoles anglophones, où les enfants de parents indiens fréquentaient des écoles indiennes et où les enfants africains fréquentaient des écoles africaines. Lorsque je suis arrivée ici, je voulais inscrire mon fils à une école française. Je n'ai pas pu le faire parce que je ne suis pas francophone. Cela m'a ennuyée car je n'étais ni anglophone ni francophone. Alors pourquoi je ne pouvais pas choisir d'envoyer mon fils à l'école de mon choix? Pourquoi étais-je considérée comme anglophone? L'anglais n'est pas ma langue maternelle non plus.

Mes collègues ont déjà entendu mes histoires alors ils sont fatigués de les entendre.

Lorsque vous dites qu'il faut « élargir la définition », je sais que vous dites qu'il y a une définition en Ontario. J'aimerais que vous me disiez à nouveau ce que vous entendez par là. Je suis d'accord avec vous pour dire que ce ne devrait pas être votre langue maternelle, votre première langue. Si votre première langue n'est pas l'anglais ou le français, vous êtes considéré comme étant un anglophone, à tout le moins dans ma province. Si ce n'est pas la langue maternelle, que voulez-vous dire? Voulez-vous voir la nouvelle définition?

M. Boileau : Merci de la question.

Je veux simplement m'assurer que nous nous comprenons. Je ne veux pas contester l'application de l'article 23 dans la province.

La sénatrice Jaffer : Tout le monde en parle. Vous avez dit qu'il faut « élargir la définition ». Expliquez-moi ce que vous entendez par « élargir la définition ».

M. Boileau : Absolument.

Il y a trois questions que l'on pose à l'heure actuelle dans le recensement national. Une question porte sur votre connaissance du français ou de l'anglais. La deuxième question est votre langue maternelle. Et la troisième est la langue que vous parlez ou que vous parlez le plus souvent à la maison.

À l'heure actuelle, la réglementation utilise la méthodologie de Statistique Canada, qui prévoit que votre première langue officielle est votre langue maternelle, votre connaissance de la langue, un point c'est tout. Ce n'est pas celle que vous utilisez à la maison.

Si vous utilisez le français à la maison mais que votre langue maternelle est l'arabe, comme je l'ai déjà dit, et que vous comprenez ou connaissez le français, cela ne fait pas de vous un francophone. Notre définition en Ontario est que si vous utilisez la langue française le plus souvent à la maison, alors vous êtes considéré comme étant un francophone en Ontario et non pas un anglophone.

La sénatrice Jaffer : Mon fils n'utilisait ni l'une ni l'autre. Nous sommes indiens. Nous parlions le gujarati. Il ne parlait ni l'anglais ni le français. Je ne veux pas me lancer dans cet argument, mais vous ne précisez pas la définition pour moi. Dites-moi ce que vous entendez par « élargir la définition ». Vous avez dit que si vous connaissez mieux le français ou l'anglais, alors c'est ainsi que vous déterminez si une personne est francophone ou anglophone, mais quelle définition voulez-vous?

M. Boileau : Il y a différentes façons d'examiner la question. Au Manitoba, par exemple, on a choisi d'élargir la définition de francophone. C'est quiconque a une affinité avec la langue française, ce qui est très vaste. Mais pouvons-nous offrir de véritables services? Comment pouvons-nous savoir que nous serons obligés d'offrir ces services?

C'est une bonne politique, mais se traduit-elle vraiment en mesures concrètes prises par le gouvernement qui veut connaître nos obligations? Par conséquent, en Ontario, nous avons élargi la définition en incluant ceux qui parlent le français à la maison également. Environ 50 000 francophones qui étaient déjà dans la province de l'Ontario sont maintenant visés par la définition de francophone en Ontario.

La définition est très simple. C'est une méthodologie. Nous utilisons la question du recensement, et nous avons tout simplement utilisé une autre méthode et la même question du recensement.

Ce que nous proposons également, c'est d'utiliser non seulement une définition fondée sur les chiffres mais aussi sur la vitalité. Si vous avez un centre de soins à domicile et qu'il y a des francophones dans le village, ce serait peut-être un indicateur de vitalité. Si nous avons une école ou un centre communautaire, un centre de santé, c'est un autre indicateur de vitalité de ce groupe minoritaire dans cette région précise.

S'il n'y a aucun indicateur de vitalité, alors on ne serait pas obligé d'offrir des services à cette population dans cette région.

[Français]

La sénatrice Moncion : Merci de vos témoignages. Pourriez-vous nous parler de vos pouvoirs en matière de plaintes, et du pouvoir juridique de la province comparativement à celui qui est prévu dans le cadre de la Loi sur les langues officielles?

M. Boileau : Pour ma part, ce sera bref. J’ai un énorme pouvoir. Comme ma collègue, nous avons un pouvoir moral. Nous avons un pouvoir de recommandation. Cela dit, c’est comme l’actuel commissaire aux langues officielles, à la différence près que, chez nous, en Ontario, nous n’avons pas le pouvoir d’ester en justice. Ce n’est pas écrit dans la loi. Il ne faut pas oublier que notre Loi sur les services en français ne compte que 14 articles. On fait ce qu’on peut. La Loi sur les langues officielles, quant à elle, en comporte plus de 100. Nous n’avons pas ce pouvoir d’ester en justice en Ontario.

Joseph Morin, conseiller juridique, Commissariat aux services en français de l'Ontario : Depuis les 10 dernières années, le Commissariat aux services en français a fait beaucoup de progrès, même sans le pouvoir d’ester en justice. Le pouvoir de la plume, d’aller parler aux gens, de parler aux communautés, de parler aux médias peut nous amener loin, sans qu'on ait besoin de poursuivre le gouvernement.

Mme d’Entremont : Le pouvoir de publier des rapports d’enquête est un pouvoir intéressant. On l’utilise judicieusement au Nouveau-Brunswick. Par exemple, le jour où on a remis le rapport d’enquête sur l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick, ce dernier a été rendu public. D'ailleurs, vous pouvez consulter ce rapport sur notre site web. C’est un pouvoir qui a été conféré au commissaire lors de la dernière révision de la loi. Cela nous permet de parler de nos enquêtes et de sensibiliser la population. On l’utilise lorsque c’est indiqué.

Il y a un autre élément qui est intéressant dans le cadre de notre loi. Étant donné que le premier ministre est responsable de l’application de la loi, tous les rapports d’enquête du commissariat — pas seulement ceux qui sont publiés — lui sont acheminés et il doit en accuser réception, ce qui n'est pas le cas à l'échelon fédéral. Cette façon de faire démontre tout le sérieux du législateur lorsque l’article 2, en 2002, a été ajouté à la loi provinciale. On a donné au premier ministre la responsabilité d'appliquer la loi. Alors, le premier ministre est mon interlocuteur. À titre de commissaire, c’est au premier ministre que je dois m’adresser. Il reçoit tous les rapports d’enquête du commissariat.

M. Boileau : Le pouvoir d’écrire les rapports d’enquête est également inclus et on s’en est servi souvent.

La sénatrice Moncion : Merci.

La sénatrice Mégie : Merci de vos présentations. J’ai cru comprendre qu’au Nouveau-Brunswick le bilinguisme institutionnel est complet. Par contre, deux bureaux fédéraux offrent des services en français et 51 bureaux fédéraux offrent des services en anglais. Ai-je manqué une information?

Mme d’Entremont : C’est l’information dont je dispose, et elle provient du site web Burolis, donc uniquement dans chacune de ces langues.

La sénatrice Mégie : Ces bureaux offrent des services uniquement dans une langue pour le moment, et tous les autres bureaux offrent des services dans les deux langues. Non?

Mme d’Entremont : La liste que je vous ai donnée concernait les bureaux fédéraux. Tous les bureaux provinciaux du Nouveau-Brunswick doivent offrir des services en français. Je faisais un parallèle avec la loi provinciale. Il n’y a pas le concept de la demande importante dans la loi provinciale. Donc, partout sur le territoire de la province, on peut être servi dans la langue de son choix à l’échelon provincial, mais pas à l’échelon fédéral.

La sénatrice Mégie : Ce n’était pas clair. Merci beaucoup de m’avoir éclairée.

Le sénateur Maltais : Dans tous les témoignages qu’on a entendus, la loi ne vous donne pas de pouvoir punitif. À titre d’exemple, les commissaires fédéraux suivent de près Air Canada depuis 30 ans. Pourtant, rien n’a changé. Seule la taille du verre d’eau rapetisse. Tant et aussi longtemps que des gens comme vous, qui sont près des situations, n’auront pas de pouvoir punitif, il faut oublier ça. Vous avez dit, madame d’Entremont, qu’on devrait suivre l’exemple du Nouveau-Brunswick en matière de langues officielles. Oui, on devrait le faire du point de vue de la loi, mais non du point de vue de l’application. Je reprends vos propos, monsieur Boileau : « vous manquez de poignée ». Graham Fraser, qui comparaissait tous les trois mois devant notre comité, nous disait souvent que le problème existe toujours. La situation n’a pas changé ni évolué. Lorsqu'une loi n'accorde pas de pouvoir punitif, comment peut-on la faire respecter?

M. Boileau : En ce qui concerne le pouvoir punitif, il faut d’abord savoir qui l'appliquerait. Si, dans la loi, une agence centrale est chargée de s’assurer que tout fonctionne, que tout baigne dans l’huile, déjà en partant, il y aurait un pouvoir punitif à l’interne. Ce pouvoir ne serait pas nécessairement public, mais il y aurait au moins cette vision au premier chef. Il ne faut pas minimiser l’importance de ce facteur.

Pour ce qui est du pouvoir punitif des commissaires aux langues officielles, il faut faire attention à ce que l’on souhaite. On ne peut pas être juge et partie. Je ne peux pas dire à une institution qu’il y a des règles d’équité procédurales qui sont importantes. Je ne peux pas simplement donner une pénalité à quelqu’un sans avoir une approche « confrontationnelle », comme on l'appelle en jargon juridique. En écoutant les deux parties, je deviens un tribunal et je perds le rôle de médiateur que j’ai en ce moment comme ombudsman. Ce rôle est très important. J’ai une énorme flexibilité à l’heure actuelle. Ne me donnez pas, tout de suite, en Ontario, le pouvoir de punir, car à ce moment-là je deviens un tribunal, et là, c’est autre chose.

Si vous voulez créer un nouveau tribunal sur les langues officielles, c’est une chose, mais il ne faut pas confondre le tout avec le pouvoir des commissaires. Il faut faire attention à ce qu’on souhaite.

Mme d’Entremont : On a créé des commissariats pour donner une option aux citoyens, une option qui ne coûte rien. Si on n’existait pas, à quelle porte iraient frapper les plaignants? Le tribunal serait la seule option. On est censé mener des enquêtes et formuler des recommandations. Pour ce qui est des recommandations qu’on formule, en ce qui me concerne, j’ai toujours privilégié une approche systémique. Les recommandations visent à assurer la conformité de la loi. Si le gouvernement ne met pas en œuvre les recommandations des commissaires, que ce soit M. Boileau ou moi... C’est notre rôle. Comme M. Boileau l’a mentionné, je ne suis pas sûre qu’il faut créer un pouvoir punitif, mais il faut assurer une meilleure application de la loi et une meilleure sensibilisation du rôle du commissaire auprès des élus. Depuis cinq ans, j’essaie de sensibiliser nos élus au rôle du commissaire. Si le système fonctionnait tel qu'il a été conçu, les recommandations qu’on formule seraient mises en œuvre. À ce moment-là, on n’aurait peut-être pas besoin d’autres moyens. Si nos recommandations ne sont pas mises en œuvre, le citoyen n’aura pas le choix. Il devra se tourner vers les tribunaux.

Le sénateur Maltais : C’est exactement la conclusion qu'a rendue le sénateur Joyal en disant que « les gardiens des langues officielles sont les tribunaux ». Le citoyen n’a pas d’autre choix.

Le président : Sur ce, madame d’Entremont et monsieur Boileau, je vous remercie beaucoup de vos présentations. Nous aurions pu passer plusieurs heures avec vous. Nous allons lire et relire avec beaucoup d’attention vos mémoires. Madame d’Entremont, nous attendrons avec impatience votre mémoire. Mille mercis encore une fois pour votre excellent travail. Vous êtes une source d’inspiration pour moi et certainement pour d’autres.

(La séance est levée.)

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