Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 6 - Témoignages du 30 mai 2016
TORONTO, lundi 30 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s'est réuni aujourd'hui, à 9 h 3, pour étudier les mesures prises pour faciliter l'intégration des réfugiés syriens nouvellement arrivés et les aider à surmonter les difficultés qu'ils vivent, notamment par les divers ordres de gouvernement, les répondants du secteur privé et les organismes non gouvernementaux.
Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bonjour à tous. Nous voilà, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, dans cette grande salle à Toronto. Je vois que M. Calla est arrivé, ce qui tombe très bien car nous avons une journée bien chargée.
Nous sommes très heureux d'être à Toronto. Notre comité a tenu un certain nombre de réunions à Ottawa sur l'adaptation des réfugiés syriens au Canada et nous poursuivons notre étude sur les mesures qui sont prises pour faciliter l'intégration des réfugiés syriens nouvellement arrivés et les aider à surmonter les difficultés qu'ils vivent.
J'aimerais d'abord que mes collègues se présentent. Dans notre comité, nous aimons avoir une conversation. Ce n'est pas une interrogation, c'est une conversation. Nous essayons d'obtenir de l'information et de comprendre la bonne situation dans laquelle nous sommes dans notre pays.
Je vais commencer par la vice-présidente.
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l'Ontario.
Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, d'Ottawa, en Ontario.
La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le président : Je m'appelle Jim Munson. Je préside le comité depuis plusieurs mois et c'est un honneur et un privilège pour moi d'être membre du comité.
Nous avons quatre témoins dans le premier groupe ce matin. Notre premier témoin est Mario J. Calla, directeur général de COSTI Immigrant Services. Nous avons également Malaz Sebai, membre du conseil de Lifeline Syria, Alexander Vadala, coordonnateur principal, Politique et recherche du Conseil ontarien des agences servant les immigrants, et Muhammad Rehan, directeur général du Muslim Welfare Centre de Toronto.
Je donne la parole à celui ou celle qui est prêt à parler et nous passerons ensuite aux questions pendant l'heure suivante.
Monsieur Calla, allez-y.
Le président : Excusez-moi. La sénatrice Omidvar vient d'arriver. Elle fait partie de nos nouveaux estimés collègues, les sénateurs indépendants.
Veuillez-vous présenter, s'il vous plaît.
La sénatrice Omidvar : Et une sénatrice indépendante en retard. Il est toujours plus facile d'être à l'heure aux réunions du comité à Ottawa que dans ma propre ville. Je vous prie de m'excuser.
Le président : Merci d'être avec nous ce matin.
Nous sommes un comité de neuf membres, mais le Sénat peut être un endroit très occupé, croyez-le ou non.
Monsieur Calla.
Mario J. Calla, directeur général, COSTI Immigrant Services : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis ravi d'être ici ce matin pour parler de la question du projet des réfugiés syriens. Je crois comprendre que nous allons surtout avoir une discussion, c'est pourquoi je vais me contenter d'une courte déclaration liminaire et je participerai ensuite avec plaisir à la discussion et répondrai aux questions.
Comme le sénateur Munson m'a déjà présenté, je m'appelle Mario Calla et je suis directeur général de COSTI Immigrant Services. COSTI participe au projet depuis le début. COSTI est un organisme de bienfaisance qui offre des services d'installation et d'intégration aux immigrants dans la région de Toronto. Notre organisme existe depuis 1952.
Nous desservons environ 39 000 immigrants par an. Nous avons 17 bureaux à Toronto, dans la région de York et Peel et nous offrons un large éventail de services d'installation aux nouveaux arrivants, notamment des cours de langue anglaise, du counselling en emploi, des logements pour les réfugiés, du counselling familial et en santé mentale et des programmes de counselling en établissement.
COSTI est l'agent de prestation de services du gouvernement fédéral à Toronto pour la réinstallation des réfugiés syriens pris en charge par le gouvernement. Nous avons réinstallé plus de 1 800 réfugiés syriens en décembre dernier. La dernière famille qui faisait partie de cette cohorte de réfugiés a quitté son logement temporaire il y a juste une semaine.
Nous avons beaucoup appris de cette intense initiative, mais j'aimerais profiter de cette occasion pour parler brièvement de deux choses en particulier. Premièrement, la grande difficulté a été de trouver des logements abordables pour les nouveaux arrivants. Il a fallu en moyenne cinq semaines et demie pour que les nouveaux arrivants passent de leur logement temporaire à leur nouvelle demeure. Surtout, les coûts de location dépassent 50 p. 100 de leur revenu. Il est généralement reconnu que pour qu'un logement soit abordable, il devrait représenter moins de 30 p. 100 du revenu.
D'après les services de logement de COSTI en général, il ressort que tous les Canadiens ayant de faibles revenus ont de la difficulté à trouver des logements abordables. Le projet des réfugiés syriens a mis en lumière à quel point ce problème est grave. Nous demandons instamment au gouvernement canadien de formuler une stratégie nationale du logement pour remédier au problème du manque de logements abordables dans les grands centres du Canada.
Deuxièmement, le projet des réfugiés syriens a suscité chez les Canadiens un niveau de générosité et de bénévolat rarement vu. COSTI a travaillé avec 13 mosquées, deux églises et trois groupes communautaires qui se sont liés d'amitié avec 150 familles syriennes et les ont aidées en leur fournissant des trousses de démarrage pour leur logement et un soutien constant. Trente autres organismes communautaires ont organisé des programmes pour enfants dans les cinq hôtels. Les dons de vêtements et de jouets ont été gérés par une autre organisation qui a été formée spontanément par un groupe de bénévoles. Plus de 300 bénévoles ont également servi d'interprètes, ont accompagné des personnes aux rendez-vous médicaux et les ont aidées à trouver un logement.
COSTI n'aurait pas réussi à réinstaller ces 1 800 nouveaux arrivants sans ce niveau de soutien de la communauté. Il est clair qu'une communauté qui se soucie collectivement de ses membres vulnérable est une communauté plus saine et plus cohésive. Le gouvernement devrait prendre soin de promouvoir par ses politiques l'implication et la participation de la société civile.
Le défi va consister maintenant à soutenir ce niveau de participation communautaire tant pour les réfugiés pris en charge par le gouvernement que ceux parrainés par le secteur privé. Nous exhortons le gouvernement à soutenir les initiatives de réinstallation auxquelles participent directement la société civile et nous recommandons le traitement rapide des demandes de parrainage privé afin de promouvoir davantage la participation des parrains privés.
Je vous remercie à nouveau de m'avoir donné l'occasion de vous parler ce matin et je participerai avec plaisir à notre discussion.
Le président : Je vous remercie beaucoup de votre témoignage intéressant. Je suis sûr qu'il y aura des questions sur une stratégie nationale du logement pour voir quel pourrait être son fonctionnement.
Nous passons à Malaz Sebai de Lifeline Syria. Merci monsieur de votre présence.
Malaz Sebai, membre du conseil, Lifeline Syria : Merci beaucoup. Tout comme le comité sénatorial, nous sommes à Lifeline Syria assez décontractés, c'est pourquoi je vais parler à bâtons rompus.
Lifeline Syria a été formé il y a un peu plus d'un an et demi par un groupe de personnes engagées qui ont estimé devoir répondre à la plus grande crise humanitaire que le monde ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce groupe était composé de leaders d'opinion de toute la société, de personnes du secteur sans but lucratif, du monde des affaires, des universitaires, des personnalités politiques, des gens de tous les horizons qui voulaient vraiment répondre à ce problème.
Nous avons décidé d'agir selon deux axes principaux : premièrement, se concentrer sur le parrainage des réfugiés syriens et, deuxièmement, rendre le parrainage privé plus accessible aux Canadiens. Le Canada étant le seul pays où le parrainage privé est possible, c'est une grande opportunité mais aussi une grande responsabilité.
C'est également un processus très complexe. Voilà pourquoi, nous nous sommes tournés vers tous les services disponibles dans la communauté. Lifeline Syria a été spécialement créé pour être un nouveau type d'organisation, qui peut espérer changer le fonctionnement du parrainage privé dans notre pays, non seulement pour cette crise, mais pour les crises à venir.
Le parrainage privé fait intervenir de nombreux acteurs et parties prenantes. Il y a le gouvernement, la communauté de parrainage et la communauté de l'établissement. Il manquait une organisation relais, susceptible de rassembler toutes ces parties et de donner aux Canadiens les moyens, le soutien et les ressources nécessaires pour faciliter le parrainage.
Notre création ayant précédé le soutien des Canadiens à ce projet national, nous avions un défi à relever. Mais quelque chose est arrivé qui a tout changé, et comme Mario l'a dit, la vague de soutien a été tout simplement extraordinaire.
Au cours des premiers mois, nous avons été un peu plus lents que d'autres, mais je pense qu'avec le recul, cela a été pour le mieux. Nous avions établi une toute nouvelle organisation en essayant de faire ce qui n'avait jamais été fait auparavant pour combler cette lacune. Contrairement aux gens du côté des parrainages ou de l'établissement qui ne s'occupaient que d'un aspect, nous avons essayé de faire les deux simultanément.
Au cours des mois, nos efforts ont été couronnés de succès. Nous avions au départ l'objectif modeste de faire venir un millier de réfugiés au Canada, un peu comme Opération Survie de 1979 à 1982 pour la crise indochinoise, qui avait également un objectif modeste mais qui, après quatre ans, a vu arriver plus de 60 000 personnes au Canada. Nous suivons le même parcours avec un objectif modeste initial de 1 000 personnes alors que nous nous attendons à recevoir près de 40 000 Syriens au Canada d'ici la fin de l'année. À ce jour, nous avons contribué à faciliter l'arrivée de plus de 850 réfugiés qui font maintenant partie du système et nous en avons plus de 2 000 qui sont toujours en attente.
Nous sommes actuellement confrontés à de grandes difficultés. Le gouvernement canadien a fait énormément — on peut dire que c'est sans précédent dans notre histoire — en prenant en charge cette entreprise considérable, mais il y a eu un ralentissement. Ce ralentissement nous permettra, inévitablement, de nous réajuster, de tirer les leçons pour voir comment nous pouvons avancer.
Mais ce ralentissement nous a touchés de deux façons. D'abord, malheureusement, le principal moyen de fournir le parrainage consiste à utiliser les signataires d'ententes de parrainage et leur nombre a été plafonné jusqu'à la fin de l'année. Notre message au gouvernement a toujours été clair : ne plafonnez pas la compassion des Canadiens. Si les Canadiens veulent agir, facilitez-leur la tâche. S'ils sont prêts à assumer ce fardeau, la responsabilité et la possibilité, faisons en sorte que ce soit facile.
Ce plafond a limité notre capacité à traiter les nouvelles demandes en 2016. Mais nous sommes assez certains que cela fait partie d'une stratégie à long terme et que les portes s'ouvriront un peu plus largement à nouveau. Deuxièmement, il n'y a pas seulement un plafonnement de l'accès aux nouvelles demandes, mais aussi un ralentissement du nombre de réfugiés qui arrivent. Il devient donc plus difficile de trouver de nouveaux parrains potentiels.
Après la première vague de gens qui voulaient participer, je pense que nous sommes à l'aube d'une deuxième vague lorsque de nouveaux réfugiés vont arriver. Les gens verront alors à quel point ils sont remarquables, à quel point ils nous ressemblent et quels malheurs ils ont connus. Nous pensons que cela va galvaniser les Canadiens pour se présenter en plus grand nombre.
Espérons que ces deux questions seront réglées. Je dis toujours qu'effectivement, nous avons eu cet effort massif — 25 000 personnes en seulement quelques mois — mais croyez-moi, ce n'est que le début et il y a encore de grandes choses à venir.
Merci.
Le président : Merci, Malaz.
Notre troisième témoin ce matin est Alexander Vadala, du Conseil ontarien des agences servant les immigrants. Bienvenue.
Alexander Vadala, coordonnateur principal, Politique et recherche, Conseil ontarien des agences servant les immigrants : Bonjour, honorables sénateurs.
Le Conseil ontarien des agences servant les immigrants représente la voix collective des organismes qui desservent les immigrants et les réfugiés en Ontario et nous avons plus de 213 agences membres dans la province. OCASI appuie la décision du gouvernement de réinstaller 25 000 réfugiés syriens au Canada. Nous nous sommes d'ailleurs joints à nos 10 organisations-cadres du Canada pour publier un communiqué en décembre 2015 afin d'exprimer le soutien du secteur national servant les immigrants et les réfugiés pour cette initiative.
Nous sommes fiers de la façon dont notre secteur a relevé le défi, parfois à un coût personnel pour de nombreux travailleurs de première ligne qui sont allés bien au-delà de ce qui leur était demandé. OCASI reconnaît qu'il y a eu des problèmes, y compris dans notre secteur et que certains aspects de nos programmes, de la prestation des services et de notre structure doivent être renforcés.
Malgré toutes les difficultés, nous croyons que cette expérience a fait la preuve de notre force. Elle a montré la valeur que nous offrons par nos services et nos programmes, par le renforcement des capacités communautaires et le leadership, et en aidant des personnes et des familles à devenir Canadiens, à construire une nation.
En septembre 2015, nous avons collectivement publié un ensemble de recommandations sur la façon dont le Canada devrait répondre à la crise des réfugiés syriens. Nous croyons que ces recommandations sont toujours valables, voire encore plus aujourd'hui. Je vais en mentionner quelques-unes.
La première est d'améliorer l'admission des membres de la famille. Des mesures assouplies, comme des permis de résidence temporaire, devraient être adoptées pour les Syriens ayant de la famille au Canada.
La deuxième concerne les 10 000 réfugiés pris en charge par le gouvernement qui étaient censés être admis avant la fin de 2015. Nous avions recommandé que 10 000 réfugiés pris en charge par le gouvernement soient admis avant la fin de 2015 et nous sommes heureux de voir que le gouvernement a dépassé ce chiffre. Mais le fait que le gouvernement ait fermé l'infrastructure après avoir atteint la cible de 25 000 laisse un goût amer et a mis en péril la bonne volonté manifestée par les Canadiens. Nous sommes heureux de savoir que ces ressources seront rétablies.
S'agissant de faciliter le parrainage privé des Syriens, le gouvernement a soutenu les efforts des parrains privés, notamment en rétablissant l'assurance-santé de l'Ontario et du fédéral pour les réfugiés parrainés par le secteur privé. Le risque des coûts médicaux élevés ne dissuade plus les parrains. Mais on peut faire encore plus, en particulier réduire le fardeau administratif pour les demandes de parrainage et accélérer le traitement des demandes, comme il a été dit tout à l'heure.
Concernant la nécessité d'augmenter considérablement les ressources, le gouvernement doit allouer davantage de ressources — humaines, financières et logistiques — pour appliquer ces recommandations. Il devrait notamment allouer davantage de ressources pour le traitement, pour la surveillance des bureaux des visas à l'étranger afin que les réfugiés puissant arriver plus rapidement, alléger la charge de travail des bureaux des visas en transférant une partie du traitement de l'étranger au Canada et il devrait continuer de fournir régulièrement de l'information sur les sites Internet du gouvernement et créer une permanence téléphonique pour répondre aux questions et faciliter le traitement. Pour le moment, ce sont les organisations communautaires et des groupes qui n'ont pas les ressources pour faire ce travail qui assument le gros du fardeau de fournir l'information.
Sur l'importance de continuer de répondre aux autres réfugiés, nous exhortons le comité de répondre aux besoins des autres réfugiés, y compris les nombreux réfugiés en provenance d'Afrique sub-saharienne qui sont dans une situation précaire au Moyen-Orient et en Europe. Ils devraient recevoir les mêmes avantages que les réfugiés syriens.
En plus de la réinstallation des réfugiés, il est urgent d'accélérer le regroupement familial pour les réfugiés syriens et les réfugiés d'autres pays.
OCASI estime qu'il y a d'autres priorités qui doivent être prises en considération pour l'avenir. Les Canadiens ont ouvert leur cœur, leur esprit, leur maison, leur communauté pour créer un espace pour tous les gens participant à la réinstallation des réfugiés. Cela devrait être pris en charge par le gouvernement.
L'expérience de réinstallation a mis en évidence pour le secteur servant les immigrants et les réfugiés de nombreux problèmes qui restent à résoudre et des lacunes que nous devons combler, comme le manque de systèmes officiels de coordination, y compris pour la prestation des services et la gestion des cas.
Nous voyons des possibilités d'améliorations, notamment la nécessité d'augmenter et d'accélérer le financement, la nécessité d'augmenter les ressources et l'information pour appuyer le travail et la nécessité d'améliorer la communication entre le gouvernement et le secteur à tous les niveaux.
En Ontario, nous sommes reconnaissants au gouvernement provincial d'avoir exprimé son engagement financier plusieurs mois avant le gouvernement fédéral, ce qui a permis à de nombreux organismes de prestation de services de se préparer. Six années de compressions budgétaires fédérales dans le domaine de l'installation ont eu des effets négatifs, notamment en matière de capacité et en particulier au niveau du personnel qualifié et expérimenté. Les organisations ont dû se réorganiser, et il a fallu du temps.
L'initiative de réinstallation des réfugiés syriens a mis en lumière la nécessité critique d'investissements dans les logements sociaux et la nécessité d'une stratégie et d'une action nationale du logement, comme Mario l'a dit tout à l'heure. Elle a également mis en lumière la nécessité d'une stratégie de réduction de la pauvreté, y compris l'augmentation des taux d'aide sociale, du revenu mensuel qui est donné aux réfugiés pris en charge par le gouvernement. Elle a enfin mis en évidence la nécessité de subventions locatives.
Nous vous demandons de recommander au gouvernement de mettre fin dès maintenant au plan de prêts aux réfugiés pour le transport, qui ne fait qu'appauvrir encore plus un groupe qui est déjà confronté à des problèmes financiers importants.
L'initiative de réinstallation des réfugiés syriens a mis en lumière la nécessité de services de garde d'enfants abordables et appropriés, d'une augmentation des cours de langue pour les différents niveaux d'apprenants et des heures différentes de cours en dehors des heures de jour habituelles dans beaucoup plus d'endroits.
Enfin, cette expérience a mis en lumière la nécessité d'une sensibilisation de la population sur l'islamophobie, la xénophobie et le racisme. Nous nous réjouissons du fait que la Ville de Toronto et la province, ainsi que des intervenants comme la Croix-Rouge ont pris des mesures pour contrer les discours d'exclusion. Le gouvernement fédéral doit également agir en organisant une campagne de sensibilisation sur les réfugiés au Canada et les programmes humanitaires, ainsi que sur les questions de racisme et de discrimination.
Je vous remercie beaucoup de votre attention.
Le président : Merci, monsieur Vadala.
Nous passons maintenant à Muhammad Rehan, directeur général du Muslim Welfare Centre of Toronto. Bienvenue, monsieur.
Muhammad Rehan, directeur général, Muslim Welfare Centre of Toronto : Merci.
Le Muslim Welfare Centre a été créé en 1993 et est un organisme de bienfaisance depuis 23 ans, essentiellement à Toronto. Deux personnes âgées ont lancé l'organisation avec une petite banque alimentaire. Aujourd'hui, la banque alimentaire dessert 13 000 clients et notre service est fondé sur l'humanité et notre service à Allah/Dieu. Nous servons tous ceux qui sont dans le besoin, sans distinction de religion, de nationalité, de caste ou de croyance. Nous servons tous ceux qui se présentent.
Nous avons également des services très diversifiés. Nous avons la banque alimentaire, nous avons un refuge et nous avons une clinique médicale gratuite pour ceux qui ne sont pas couverts par le RAMO, tels que les réfugiés, ainsi que les nouveaux immigrants, les visiteurs et les étudiants. Nous avons également des projets à l'étranger et nous travaillons maintenant à créer des résidences pour personnes âgées en particulier pour les gens d'origine musulmane.
En ce qui concerne les réfugiés syriens, nous les soutenons avec les banques alimentaires. Nous avons deux banques alimentaires halal à Scarborough, ainsi qu'à Mississauga. Certains réfugiés veulent aussi aller à notre clinique médicale gratuite et ils obtiennent de l'aide là également.
Avant les réfugiés syriens, nous avions 30 clients par jour et servions environ 11 000 clients par an. Depuis quatre ou cinq mois, ce sont les réfugiés syriens qui viennent surtout à nos banques alimentaires. Ils dépendent de nos banques alimentaires.
Jusqu'à présent, nous avions inscrit 364 familles. Je dirais que plus de 1 500 membres des familles sont inscrits auprès de nos banques alimentaires, alors qu'avant, nous avions 30 clients par jour. Maintenant, 90 clients visitent nos banques alimentaires chaque jour, ce qui crée d'énormes pressions sur nos activités. Nous devons acheter des produits alimentaires parce que nous ne sommes pas financés par des organismes gouvernementaux, en particulier notre banque alimentaire. Nous ne sommes financés par aucun organisme gouvernemental. Tous les dons proviennent de petits donateurs locaux et sont de nature communautaire.
Auparavant, je dirais que pour gérer la banque alimentaire, nous avions un budget d'environ 750 000 $, mais maintenant, depuis le début, nous avons une aide accrue et nous avons budgétisé plus de 1,1 million de dollars pour faire face à cette pression car notre banque alimentaire offre de la viande et de l'épicerie halal.
Ainsi, ce sont pour la plupart des réfugiés syriens qui recherchent des produits halal et ce sont des réfugiés de parrainage privé ou pris en charge par le gouvernement. Ils essaient d'obtenir leur nourriture sur une base mensuelle aux banques alimentaires du Muslim Welfare Centre.
En plus, les dons desquels nous dépendons normalement diminuent dans cette situation car beaucoup d'organisations travaillent à différents projets. Nous sommes donc à la recherche de fonds. Nous cherchons à élargir nos banques alimentaires parce que leur coût est en hausse.
Pour le dernier Ramadan, nous avons préparé 2 000 sacs de nourriture pour le mois sacré du Ramadan, mais cette année, notre objectif est de 4 000 sacs. L'an dernier, cela nous a coûté environ 100 000 $, mais cette année, ce sera 250 000 $, et ces sacs de nourriture ne sont pas distribués à Toronto. Nous allons les distribuer à Hamilton, dans la région de Niagara Falls, à Oshawa, à Mississauga, à Etobicoke, tous ces endroits. C'est l'aide que le Muslim Welfare Centre offre dans le cadre de ses projets de services sociaux.
Merci.
Le président : Merci beaucoup.
Nous avons déjà entendu certains des arguments, mais nous avons entendu de nouvelles choses ce matin qui, j'en suis sûr, susciteront la discussion. Nous allons commencer par la vice-présidente, la sénatrice Ataullahjan.
Si vous ne voulez pas répondre, ce n'est pas grave, mais si vous répondez, ce serait très bien.
La sénatrice Ataullahjan : Merci à vous tous de vos exposés ce matin.
Monsieur Rehan, vous avez dit que vous serviez 90 clients par jour alors que vous en serviez 30 auparavant. Cette augmentation est-elle attribuable aux réfugiés syriens?
M. Rehan : Oui, surtout des réfugiés syriens. Avant, nous avions des clients à faible revenu qui venaient régulièrement, des familles monoparentales, mais les réfugiés syriens sont arrivés à Toronto, à Mississauga ou dans la région de Hamilton. Avant, nous n'étions ouverts que cinq jours par semaine. Maintenant, nous sommes ouverts six jours par semaine, la différence de 30 à 45 et de 10 ou 15 clients par jour est due aux réfugiés syriens.
La sénatrice Ataullahjan : Ma question s'adresse à vous tous. Je ne sais pas si vous avez vu le témoignage précédent devant le comité. Les journaux disaient que les réfugiés se rendaient dans les banques alimentaires parce qu'ils n'avaient pas assez à manger. J'ai posé la question au ministre de l'Immigration, qui a répondu qu'il y avait là un aspect culturel, qu'ils étaient habitués à recevoir de la nourriture gratuitement dans les camps et que cela expliquait pourquoi beaucoup de réfugiés se rendaient dans les banques alimentaires. Y a-t-il une part de vérité dans cette déclaration? J'aimerais que vous répondiez tous, s'il vous plaît.
M. Calla : Pas d'après mon expérience avec ce groupe. Il faut préciser un élément, et je ne sais pas si cela a été mentionné au comité. Nous savons que l'allocation, le revenu que les réfugiés reçoivent est minime et qu'ils doivent survivre avec cette somme pendant 12 mois.
Lorsque nous travaillons avec eux pour trouver un logement abordable, sachant à quel point il est difficile de trouver un logement abordable, nous tenons compte de la prestation fiscale pour enfants qu'ils recevront et cette prestation peut être très élevée. Elle a beaucoup aidé ceux qui ont un revenu limité. Le problème est que la prestation fiscale pour enfants n'est pas versée avant trois mois suivant la demande. Étant donné que leur revenu est englouti par le loyer, il n'est pas surprenant qu'il y ait une hausse des visites aux banques alimentaires. Bon nombre des 15 groupes religieux avec lesquels COSTI travaille préparent des paniers de nourriture, des trousses de démarrage et d'autres formes de soutien pour qu'ils survivent pendant ces trois premiers mois. Je pense que ce que nous voyons en ce moment dans les banques alimentaires va s'atténuer à mesure que les réfugiés s'installent, reçoivent la prestation fiscale pour enfants et, bien entendu, trouvent un emploi.
M. Sebai : Mario a très bien expliqué les raisons, et je pense que cette question est particulièrement évidente dans les grands centres urbains comme Toronto, Montréal et Vancouver. L'allocation est la même dans l'ensemble du pays alors que la vie coûte plus cher dans des villes comme Toronto sans que cela soit pris en compte. Si le logement représente une énorme part de votre revenu, il y aura inévitablement moins de revenu disponible pour la nourriture. Une certaine flexibilité pour tenir compte de la situation dans les grands centres urbains contribuerait à alléger quelque peu la pression.
M. Vadala : Je me fais l'écho de ce qu'ont dit mes collègues. Je crois que cela a plus à voir avec l'aide donnée aux réfugiés pris en charge par le gouvernement, en particulier dans les grands centres urbains. Le coût du loyer, du logement est si élevé qu'il ne reste pas grand-chose aux réfugiés pris en charge par le gouvernement et c'est donc lié à l'aide donnée aux réfugiés pris en charge par le gouvernement.
Cela exige également une stratégie de réduction de la pauvreté au niveau national. Cela va dans les sens des arguments en faveur d'une hausse du salaire minimum. Nous savons que les réfugiés et les membres des Premières Nations sont touchés de façon disproportionnée par la pauvreté et il convient donc de tenir compte de ces questions.
M. Rehan : Les réfugiés syriens sont pour la plupart musulmans. Ils ont le choix de la nourriture halal, mais la nourriture halal est très chère dans la grande région de Toronto. Leur allocation n'est pas suffisante. J'ai parlé avec des réfugiés syriens, ce sont des travailleurs. Ils cherchent des emplois. Les emplois, en raison de la barrière linguistique, ne sont pas faciles à obtenir. Ils recherchent également les banques alimentaires ou la nourriture halal.
Le président : Monsieur le sénateur Ngo.
Le sénateur Ngo : Nous savons que les enfants et les jeunes ont des besoins différents pour s'intégrer dans les systèmes canadiens. Beaucoup d'enfants ont manqué l'école pendant des années et ont des problèmes de santé mentale en raison de la guerre et de leur expérience de réfugié.
Quelles sont les difficultés particulières que ces réfugiés, les jeunes et les enfants, connaissent au Canada? Connaissez-vous des programmes efficaces qui contribuent à l'intégration des enfants et des jeunes?
M. Calla : Je pourrais répondre à cette question car elle nous préoccupe et nous avons vu des cas dans les hôtels. Nous avons vécu avec les réfugiés dans les hôtels au cours des trois à cinq derniers mois. Ma réponse doit être nuancée car la grande majorité de ces enfants sont bien adaptés, résilients et s'en sortent bien.
Nous avons organisé un pique-nique samedi pour les réfugiés syriens — Malaz y était — et j'ai vu une famille qui était dans un des hôtels et je suis allé leur dire bonjour. Quatre enfants — une très belle histoire — qui parlaient un peu anglais et étaient donc un peu mieux préparés. Ils sont à Scarborough. La plus âgée, qui a 19 ans, vient d'être acceptée à l'Université de Toronto dans le programme des sciences de la santé. Elle veut devenir médecin et ils ne sont là que depuis deux mois et demi. J'ai demandé à celui qui a 14 ans et qui est en 9e année comment il s'adapte et il m'a dit qu'il avait déjà des amis, beaucoup d'amis. Il m'a dit : « La plupart de mes amis sont Chinois, et je prends des cours de chinois. » Très canadien. C'est ce que nous commençons à voir.
Mais quand vous avez en même temps une génération d'enfants qui sortent de conflits, qui ont passé deux à trois ans dans l'attente, sans école, dans un deuxième pays, des problèmes surgissent. Nous avons vu dans nos hôtels, dans nos cliniques, des cas d'incontinence nocturne chez de grands enfants, des enfants qui, par peur, couchent sous les lits. Nous avons vu les signes d'un stress post-traumatique.
Voici ce que nous faisons à ce sujet : la plupart de ces aspects — santé mentale, services à l'enfance — sont de compétence provinciale et la province a un groupe spécial pour les réfugiés syriens, coprésidé par le ministre de la Santé et le ministre de l'Immigration. Je siège à ce groupe et j'y ai soulevé ces questions. Ils donnent suite par le biais des différents ministères et des conseils scolaires.
Nous avons des programmes comme le programme d'art thérapeutique pour les enfants qui donne de très bons résultats. À Toronto, nous avons la chance d'avoir le Centre canadien pour les victimes de torture qui offre différents services : psychiatrie, travail social, counselling et interventions. Nous travaillons avec les conseils scolaires et les différents établissements de santé mentale pour veiller à répondre aux besoins de cette génération d'enfants et à ce que les problèmes soient décelés.
M. Sebai : Je vais faire quelques brefs commentaires en ma qualité de Canado-Syrien qui a participé aux secours internationaux et à l'installation et au parrainage de réfugiés. Il faut se rappeler que les gens qui arrivent ont connu des expériences diverses. Certains sont sortis du conflit il n'y a que quelques mois, alors que d'autres sont sortis après avoir passé plusieurs années dans des camps.
Il y a toute une gamme de questions. Je pense que Mario a parlé de bon nombre d'entre elles. Je voudrais surtout faire une mise en garde. Normalement, lorsqu'ils arrivent, il y a toujours une période d'ajustement. Ils ont vécu dans l'attente. Ils viennent ici, se retrouvent à l'hôtel, dans un nouvel environnement. Il se passe tellement de choses que les gens essaient encore de se stabiliser.
Les vrais problèmes surgissent vraiment quelques mois plus tard. Après que la vie commence à redevenir normale, c'est généralement à ce moment-là que commencent les problèmes de santé mentale et bien d'autres. Si ces services sont disponibles immédiatement dès qu'ils arrivent, ils contribueront probablement à atténuer les problèmes qui surgiront quelques mois plus tard, une fois que les choses se seront un peu normalisées.
Le sénateur Ngo : Dans ce cas, votre organisme reçoit-il suffisamment de fonds pour offrir ces services?
M. Sebai : Je vais répondre très brièvement. Lifeline Syria occupe une position particulière. Nous sommes une organisation relais; nous ne nous occupons pas des services d'installation. Mes collègues seraient probablement mieux à même de répondre à cette question. Nous comprenons ces problèmes et nous apportons un soutien à nos parrains. Nous leur faisons savoir que ces questions devraient les préoccuper. Voilà les ressources disponibles. Veillez à ce que les familles que vous soutenez y aient accès.
Ensuite, nous les renvoyons à des organismes tels que COSTI, qui est aussi un organisme d'établissement, au Muslim Welfare Centre et d'autres. Nous cernons les problèmes et nous les envoyons là où les ressources existent, mais nous ne fournissons pas les services nous-mêmes.
M. Vadala : OCASI est reconnaissant du soutien offert pas la province pour la formation avec la Hong Fook Mental Health Association et CCVT, le Centre canadien pour victimes de torture. En ce moment même, nous avons une formation pour les travailleurs de première ligne sur les traumatismes et les services en santé mentale pour les réfugiés. Nous les formons sur les questions de santé mentale et les migrations, les premiers signes et symptômes de maladies mentales; vous savez, ce que les travailleurs chargés de l'installation peuvent faire avec des clients qui ont des problèmes de santé mentale. Cela fait partie de ce que nous faisons en collaboration avec nos agences.
M. Rehan : Nous ne recevons aucun financement et nous utilisons nos propres ressources pour faire face à cette énorme pression des banques alimentaires. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le coût de fonctionnement représente 20 à 30 p. 100 du coût de la banque alimentaire. Il a augmenté, et nous recherchons un financement pour couvrir ce coût.
Ce n'est pas seulement un service d'un jour. Il va se poursuivre après cet accord entre COSTI et les réfugiés syriens, qui dure seulement un an. Après un an, que va-t-il se passer? Nous ne le savons pas. Nous savons qu'après un an, ils se tourneront de plus en plus vers les banques alimentaires et c'est pourquoi nous sommes à la recherche d'un soutien quelconque.
Le sénateur Ngo : Vous venez de parler d'une question que je voulais soulever. Le parrainage du secteur privé ou le programme de prise en charge par le gouvernement prend fin après un an.
M. Rehan : Un an, oui.
Le sénateur Ngo : Que va-t-il se passer dans 13 mois? Allez-vous abandonner ou continuer par vous-mêmes ou quoi?
M. Rehan : Nous constatons déjà les pressions après 3 mois. Après 13 mois, nous verrons beaucoup de pressions.
Le président : Cela ne peut pas se terminer au bout d'un an. Ce devrait être le début, à mon avis, mais nous y reviendrons.
La sénatrice Omidvar.
La sénatrice Omidvar : J'ai deux ou trois questions qui n'ont rien à voir. En accepterez-vous deux ou seulement une à la fois?
Le président : Deux
La sénatrice Omidvar : Merci.
Ma question s'adresse à Mario et à Alexander. Pour la ville de Toronto comme pour vos agences, la venue des réfugiés syriens n'était pas une première expérience avec les réfugiés. Nous avons accueilli des Kosovars dans les années 1990. Avant cela, nous avons accueilli des Somaliens et d'autres vagues de réfugiés. Outre les délais serrés et le grand nombre des nouveaux venus, voyez-vous une différence importante entre l'intégration des réfugiés syriens et celle des autres réfugiés par le passé?
M. Calla : Non, pas vraiment. Les réfugiés syriens devront surmonter les mêmes défis que les autres, apprendre l'anglais, trouver un emploi et s'établir; le processus est déjà commencé, il est le même pour la majorité des réfugiés.
Nous voyons cependant des différences entre les divers groupes de réfugiés. Ces différences sont liées à l'accès qu'ils ont pu avoir, antérieurement, à l'apprentissage de l'anglais, par exemple. Dans ce groupe, nous voyons aussi des différences entre les réfugiés parrainés par le secteur privé et ceux pris en charge par le gouvernement.
Les réfugiés pris en charge par le gouvernement sont sélectionnés essentiellement en fonction de leur vulnérabilité, et moins de 10 p. 100 d'entre eux parlent l'une ou l'autre des langues officielles. Du côté des réfugiés parrainés par le secteur privé, plus de 60 p. 100 parlent l'anglais et ont fait des études supérieures. Il existe donc des distinctions de ce genre.
Cela signifie que certains atteindront leur vitesse de croisière avant les autres. Quant aux différences entre les cohortes de réfugiés précédentes et celle des réfugiés syriens, elles sont plutôt rares. Tous peuvent recevoir des cours d'anglais. Vous savez, ils commencent déjà à se chercher un emploi, les services nécessaires sont en place.
M. Vadala : Le COASI ne fournit pas de services directement aux réfugiés, mais nos agences disent que, premièrement, il est trop tôt pour se prononcer, et deuxièmement, il ne semble pas exister de différence jusqu'à maintenant entre les réfugiés syriens et les cohortes précédentes.
Nous devrions peut-être nous concentrer un peu plus sur l'éducation, compte tenu des difficultés linguistiques et du fait que la plupart ne parle ni anglais ni français, voire même sur l'alphabétisation en général. Nous nous adapterons à mesure que nous avançons.
J'aimerais soulever une autre question au sujet du financement. L'intégration commence dès maintenant. Le vrai travail, c'est maintenant qu'il s'amorce et il se poursuivra pendant très longtemps. C'est peut-être aussi le bon moment de songer au financement fédéral. Comme vous le savez, la formule nationale de financement des programmes d'établissement est fondée sur une moyenne mobile sur trois ans du nombre d'immigrants reçus. La crise des réfugiés syriens nous a appris que la formule ne reflète pas les réalités sur le terrain. Elle doit être modifiée. Cette année, en dépit du fait que l'Ontario a accueilli plus de 10 000 réfugiés, elle a subi des réductions de financement. C'est une question sur laquelle nous pourrions revenir plus tard.
La sénatrice Omidvar : Ma prochaine question porte sur un tout autre sujet, n'importe qui peut y répondre.
Comme notre ministre l'a déclaré la semaine dernière, je crois aussi que l'accueil des réfugiés syriens au Canada restera comme un moment déterminant de cette décennie dans l'édification de notre nation, mais une partie de l'édification de la nation consiste justement à préserver l'appui des Canadiens et non à appliquer un traitement différentiel.
Vous avez tous affirmé que le coût du logement et de la nourriture dans les centres urbains ou ruraux était trop élevé par rapport à l'allocation que reçoivent les réfugiés parrainés par le gouvernement, dont le montant est fonction des taux d'aide sociale en vigueur dans la province. Il y a inégalité de traitement. Je vous ai tous entendu dire que cet argent n'était pas suffisant et qu'ils ont besoin de plus.
Seriez-vous en train d'insinuer que les réfugiés devraient recevoir un traitement différentiel? Que faites-vous des Canadiens démunis, qui vivent dans des logements sociaux ou qui n'ont pas accès au logement social, qui doivent s'adresser aux banques alimentaires? Qu'en est-il de ceux-là? Proposez-vous de relever la barre pour tout le monde ou juste pour les réfugiés syriens? Je suis curieuse d'entendre ce que vous avez à dire à ce sujet.
M. Calla : C'est une question importante. Je ne suis pas du tout en train de proposer une approche différente à l'égard des réfugiés syriens. Je crois que les Canadiens, bien qu'ils aient appuyé cette initiative avec vraiment beaucoup d'enthousiasme, ont également un sens aigu de l'équité et ne voudraient pas qu'un groupe soit avantagé par rapport à un autre. C'est pour cette raison que lorsque j'évoque la question du logement, ma recommandation n'est pas d'augmenter l'allocation aux réfugiés alors que les niveaux de l'assurance sociale des autres Canadiens restent le même, mais bien de soulever la question dans l'intérêt de tous les Canadiens.
Si on examine la situation du logement social en Ontario, la liste d'attente compte 168 000 personnes. Dans la région de York juste au nord de Toronto, une des régions dont la croissance est la plus rapide au Canada, seuls 2 p. 100 des mises en chantier de ces 10 dernières années visaient des logements locatifs. Autre retour en arrière à Mississauga, où les mises en chantier visent principalement la construction de condos, remplaçant ainsi 75 unités de logement par année. Il s'agit d'un problème pancanadien, pas d'un problème de réfugiés.
L'approche que je propose est la suivante : commençons par régler quelques-uns des problèmes systémiques de fond qui touchent l'ensemble des Canadiens et, comme dit le proverbe, « quand la marée monte, les bateaux montent avec elle ».
La sénatrice Hubley : Merci beaucoup et bienvenue à tous. J'ai une question de suivi sur les questions du sénateur Ngo, mais j'y reviendrai peut-être plus tard.
Pour ce qui est des problèmes de santé mentale et des ressources disponibles pour y répondre, dans la plupart des cas nous entendons dire que les questions liées à la santé mentale sont assorties d'un échéancier. Il y a une première période d'attente pour passer l'entrevue, et une deuxième, avant la consultation psychologique.
Monsieur Calla, vous avez parlé d'un comité spécial sur la santé mentale qui s'adresse aux réfugiés syriens en particulier, c'est exact?
M. Calla : C'est-à-dire qu'il ne porte pas exclusivement sur la santé mentale. Le gouvernement provincial a créé une table qui se penche expressément sur toutes les questions concernant les réfugiés syriens et à laquelle sont représentés les différents ministères concernés. Le ministère de l'Éducation, par exemple, assurera un suivi des problèmes relatifs à l'éducation des enfants.
Le ministère de la Santé a effectué le suivi des questions de santé mentale, le problème étant que le système ontarien de santé mentale est débordé, même dans les circonstances les plus favorables. Nous avons essayé de nous attaquer à ce problème, précisément pour nous assurer de donner aux enfants d'abord, puis aux adultes, un bon départ dans leur nouvelle vie au Canada.
Il se passe des choses. La province vient de lancer un appel de propositions aux organismes d'établissement relativement à chacun des problèmes recensés.
La sénatrice Hubley : Au sujet des défis liés à l'éducation, l'entrée des jeunes enfants à la prématernelle, la garde de jour ou la maternelle pose-t-elle un problème?
M. Calla : Non. Nous n'avons pas de problème à cet égard. Tout s'est plutôt bien déroulé. Les commissions scolaires étaient plus que prêtes à accueillir ces jeunes enfants. En fait, les commissions scolaires se sont manifestées d'elles-mêmes et ont offert le transport scolaire aux enfants qui vivaient à l'hôtel. Cette aide a été extrêmement précieuse pour tout le monde. Les enfants vont à l'école.
La sénatrice Hubley : Monsieur le président, si vous le permettez, j'aurais quelques questions rapides qui découlent, en quelque sorte, de questions qui ont été posées.
Quelqu'un a parlé du prêt de transport. Les réfugiés ont-ils d'autres dettes que celle-là à rembourser? Doivent-ils rembourser les examens de santé? Pouvez-vous m'expliquer comment ça fonctionne, s'il vous plaît?
M. Vadala : Je ne connais pas les détails concernant les modalités du prêt de transport, mais à ce que je sache, beaucoup de réfugiés doivent payer des intérêts. Le Canada est un des rares pays qui facture ces frais. Il serait peut-être temps de cesser d'accroître le niveau de pauvreté des réfugiés au Canada et leur donner un meilleur départ.
Certains de mes collègues peuvent peut-être vous en dire davantage.
M. Sebai : Oui, les réfugiés ont deux sources de dette à rembourser : le transport et les examens médicaux qu'ils doivent passer avant le contrôle préalable à leur venue au Canada. Cela me rappelle une blague qui circule dans les milieux du parrainage et qui va comme suit : « Comment accueillons-nous les réfugiés au Canada? Avec des dettes. »
Beaucoup de ces personnes viennent de milieux très pauvres et, comme vous le savez, elles ont vécu les pires situations. Je pense que le prêt ne porte pas intérêt pendant la première année, après quoi il faut vraiment commencer à rembourser. Toutes les personnes à qui j'ai parlé sont très inquiètes à ce sujet. Leur revenu est déjà serré. Nous avons beau leur dire : « Commencez par vous intégrer avant de chercher un emploi », le fait de savoir qu'ils ont cette obligation imminente à remplir leur cause beaucoup de stress.
Nous nous réjouissons du fait que le gouvernement a renoncé brièvement au remboursement de cette dette pour les réfugiés syriens seulement, et nous serions heureux qu'il l'abolisse de façon permanente, non seulement pour les réfugiés syriens, mais pour tous les réfugiés.
Le prêt de transport, je crois, est plafonné à 10 000 $, ce qui peut représenter une dépense considérable pour des réfugiés.
La sénatrice Hubley : Je pense qu'ils ont quelque chose comme six mois avant de commencer à être obligés de rembourser? Est-ce exact ou est-ce plutôt un an?
M. Sebai : Je crois que c'est un an.
La sénatrice Hubley : C'est tout même une grosse somme à réunir.
J'ai une autre question, rapidement.
Il est bien évident que la formule de financement fondée sur la moyenne mobile sur trois ans ne répond aucunement aux pics et aux creux de notre système d'immigration. Quel effet cela a-t-il sur le travail que vous essayez d'accomplir auprès des réfugiés?
M. Vadala : Prenons l'exemple de cette année. L'Ontario a subi, je crois, une réduction des fonds alloués à l'établissement des immigrants. N'eût été des 10 ou 15 millions de dollars supplémentaires destinés aux réfugiés syriens, la situation aurait été très problématique.
Même avec environ 10 000 clients de plus, le montant que nous avons reçu, incluant celui destiné à l'aide aux réfugiés syriens, n'a pas augmenté par rapport à celui de l'année dernière. Comme vous pouvez voir, la formule se tourne plutôt vers le passé. Elle est fondée sur les trois dernières années et ne tient pas compte de la nouvelle vague de réfugiés ni des questions d'établissement, comme c'est le cas actuellement avec les réfugiés syriens. Il serait temps de changer cela.
L'an dernier, de nombreuses agences membres ont dû réduire leur personnel à cause des réductions du financement. En Ontario, ces compressions ont eu des répercussions énormes sur le secteur ces cinq dernières années. Nous avons perdu beaucoup d'employés expérimentés; lorsque quelque chose comme cela se produit, les agences ont du mal à recruter du personnel et à se remettre sur pied pour fournir les services urgents nécessaires. C'est une des raisons pour lesquelles il faudrait changer cette formule.
La sénatrice Hubley : Je vous remercie.
Le président : Vous avez évoqué l'idée de l'apprentissage de l'anglais langue seconde. J'ai, moi aussi, comme bien d'autres ménages d'Ottawa, parrainé une famille. Eh bien, je suis heureux vous dire que les premiers mots d'anglais que Nahim, Mohammed, Faras et Abudi, âgés de 10, 9, 7 et 5 ans ont prononcé — je leur ai montré à patiner et à jouer au hockey — sont « He shoots. He scores. » Je tenais à le faire savoir officiellement.
M. Calla : J'aurais espéré que ce soit « Go Leafs Go », sénateur Munson.
Le président : Ça viendra, mais ça va prendre un peu plus de temps.
J'ai deux questions importantes pour notre étude, dans la perspective des droits de la personne.
Nous avons dit qu'il était plus difficile pour les femmes de suivre une formation ou de trouver du travail, parce qu'elles devaient s'occuper des enfants. Cette situation est fréquente. Dans certaines familles, les hommes disent : « C'est la responsabilité de la mère » — ils ne voient pas l'éducation des enfants comme étant une tâche partagée. C'est une attitude que l'on voit beaucoup dans certaines familles de réfugiés à Ottawa.
J'aimerais connaître votre opinion sur la question. Qu'est-ce qui pourrait être fait pour améliorer l'intégration des femmes syriennes dans la société?
J'ai une autre question à laquelle j'aimerais que vous réfléchissiez, également pertinente pour notre étude. À plusieurs reprises, des recommandations ont été formulées pour accroître la communication entre le gouvernement et les organismes. On en a beaucoup entendu parler. Quels seraient les mécanismes précis à mettre en place?
Vous n'avez pas à répondre tous les quatre, mais si vous êtes à l'aise pour répondre à l'une d'elles, allez-y.
M. Calla : Pour ce qui est de l'accessibilité des femmes aux services offerts, il est difficile pour elles de suivre les cours d'anglais. Dans la région de Toronto, nous avons eu la chance d'avoir pu gérer les listes d'attente pour les cours d'anglais, mais là où ça a été plus difficile, c'est pour le LINK, le programme fédéral de garde d'enfants, qui est habituellement complet. Les programmes provinciaux n'incluent pas les services de garde d'enfants dans le cadre des cours d'anglais langue seconde, l'ESL. Les programmes fédéraux, oui, et la plupart des familles qui ont des enfants d'âge préscolaire fréquenteront ces classes. Malheureusement, le problème est qu'il est beaucoup plus difficile d'obtenir une place dans ces cours.
M. Sebai : J'ajouterais la nécessité d'offrir une formation sur notre culture : éducation et sensibilisation. Il va sans dire que notre société est bien différente de leur société d'origine.
Sur le marché du travail, les hommes sont beaucoup plus nombreux que les femmes. Cependant, la répartition est tout de même un peu plus égale ici au Canada comparativement à la situation dans leur pays. La sensibilisation culturelle et la formation aideraient ces hommes à comprendre que la réalité dans laquelle ils vivent n'est désormais plus la même et qu'ici, il est nécessaire de pouvoir compter sur deux revenus. Ils doivent comprendre que les femmes doivent participer aux différents niveaux de la société, autant que les hommes. Je pense que c'est un aspect dans lequel il vaudrait la peine d'investir plus de ressources.
M. Vadala : En ce qui concerne l'accroissement de la communication, surtout la communication avec le gouvernement, reportons-nous à l'époque de la crise au Kosovo pendant laquelle le gouvernement avait mis en place une ligne d'assistance. Ce pourrait être un bon moyen de faciliter la circulation du flux d'information, de répondre aux questions et de faciliter le traitement. Pour le moment, ce genre de tâches est pris en charge par les organismes et les groupes communautaires qui ne bénéficient, je le répète, d'aucun financement à cette fin particulière.
M. Rehan : Mon collègue et ami, Firaaz Azeez, aurait quelques mots à dire là-dessus.
Mohammad Firaaz Azeez, gestionnaire de projets spéciaux, Muslim Welfare Centre of Toronto : Tout d'abord, estimés sénateurs, je vous remercie de donner au Muslim Welfare Centre cette occasion de témoigner devant vous. Je vous présente mes excuses. J'avais inscrit dans mon agenda que notre rencontre avait lieu mardi et non lundi, alors je suis parti en toute hâte de l'est de la ville — vous connaissez à quoi ressemble la circulation à Toronto — et sur ma route, je suis tombé sur tous les petits accidents mineurs possibles.
Quelques commentaires. Je voudrais d'abord souligner le travail de mes collègues présents à cette table, et remercier Rehan de nous avoir présenté un aperçu général du Muslim Welfare Centre et de son implication auprès des réfugiés syriens.
J'aimerais vous rappeler que nous voulons offrir aux réfugiés syriens, comme à tous les réfugiés, les meilleures chances de succès possible. Il y a de cela très longtemps, j'ai moi-même été réfugié d'un petit pays d'Amérique du Sud, la Guyane. En général, quand je dis : « Guyane », les gens disent : « En Afrique? » Je réponds : « Non, pas le Ghana, la Guyane. » Vous avez mentionné le Brésil, alors vous savez de quoi je parle.
Notre but est d'offrir une chance de réussir à nos collègues, nos amis et nos voisins, et en ce sens, le travail du Muslim Welfare Centre est plutôt unique en son genre, car ce sont les personnes qui viennent à nous pour combler des besoins essentiels de nourriture. Un des défis que nous avons dû surmonter est, bien sûr, la barrière de la langue, et il concerne les femmes. Les réfugiés qui font appel à notre banque alimentaire sont surtout les femmes et leurs enfants. Les hommes ne viennent pas.
Nous discutons ensemble de leurs besoins et je vous assure que ces besoins sont très complexes. Vous avez parlé plus tôt des services en santé mentale. Je voudrais seulement insister sur ce que Rahan a déjà mentionné : ce sont 400 familles qui, dans une très brève période, ont eu recours au Muslim Welfare Centre. C'est un nombre considérable pour un petit organisme de bienfaisance comme le nôtre, même si l'année dernière, nous avons pu accueillir 12 000 visiteurs à Mississauga et à Scarborough.
J'aimerais que nous réfléchissions — je ne suis pas en train de suggérer, sénatrice Omidvar, la mise en place d'accommodements spéciaux concernant les allocations aux réfugiés syriens — et que nous comprenions, comme l'ont fait remarquer Alexander et mon collègue Malaz, que ces gens arrivent de pays où les mentalités sont complètement différentes et ils sont tout à coup plongés, si je puis dire, dans la mentalité canadienne. En plus, ils doivent venir faire la file ou prendre un rendez-vous à une banque alimentaire pour répondre à leurs besoins de base.
Pour être honnête avec vous, c'est pour moi une leçon d'humilité que de les voir agir ainsi. Je suis père de famille, moi aussi. J'ai deux garçons et je vis dans un quartier de Malvern dans l'est de la ville, un quartier prioritaire. Nous avons beaucoup de programmes en place là-bas, et après avoir dit à ces gens : « Bienvenue au Canada », ils doivent faire la queue pour nous expliquer leurs besoins dans les quelques mots d'anglais qu'ils connaissent ou par l'intermédiaire d'un interprète. Ensuite, nous devons, si l'on peut dire, leur remplir les bras des provisions dont ils ont besoin pour vivre. Je me demande jusqu'à quel point nous leur offrons des chances de réussir en tant que Canadiens.
C'était notre point de vue actuel. Nous voulions vous donner un aperçu de la façon dont les choses se passent sur le terrain. Nous serions honorés d'accueillir la visite de nos distingués et estimés sénateurs à nos banques alimentaires afin qu'ils puissent interagir en personne avec quelques-uns de nos voisins que le Canada a accueillis et avoir l'occasion d'acquérir une perspective de première main des difficultés que ces personnes doivent surmonter. Leur vie n'est vraiment pas facile et je me demande comment ils arrivent à vaincre tous les obstacles.
Bien sûr, une des choses les plus extraordinaires — pour faire allusion à ce qu'a dit Mario tout à l'heure — est leur immense résilience. Je suis probablement assez vieux pour avoir connu d'autres vagues de réfugiés au Canada par le passé — j'en suis un —, mais j'ai rarement vu un groupe aussi résilient et aussi confiant dans l'avenir. C'est merveilleux de les entendre parler du soutien qu'ils ont reçu dans les hôtels où ils ont été logés.
J'aimerais faire une dernière observation à ce propos. Les gens du Muslim Welfare Centre, en particulier ceux qui travaillent à nos banques alimentaires de Mississauga et de Scarborough, ont été très étonnés de voir certaines familles communiquer avec nous pour offrir de l'aide aux réfugiés syriens pris en charge par le gouvernement, qui vivaient à l'hôtel. Très honnêtement, ce n'est pas quelque chose que nous avions prévu au budget. Par exemple, la mosquée située dans l'est de la ville, le Taric Islamic Centre, se trouve à côté de l'hôtel ou étaient logés 200 réfugiés syriens. Les réfugiés venaient à la mosquée pour la prière, ils ont lié conversation avec les autres, puis nous avons commencé à recevoir des appels de connaissances et de gens de la communauté disant : « J'ai été là-bas et j'ai vu des Syriens qui n'avaient pas de manteau. » Vous savez comme moi que le Canada a répondu de façon remarquable au problème des réfugiés syriens et qu'il a fait tout son possible pour les aider, mais avec le temps, c'est devenu : « Laissons-les recourir aux banques alimentaires. » C'est ce que nous voyons tous les jours, et comme l'a indiqué Rehan, c'est plus de 400 familles, soit 1 700 personnes, qui s'adressent à nous quotidiennement.
Je dois faire remarquer que ce groupe de réfugiés bénéficie, bien sûr, d'une couverture médicale. Comme ils sont couverts par la RAMO depuis le premier jour, ils ne viennent pas à notre clinique médicale gratuite. Mais ils nous demandent des recommandations pour voir un médecin, car vous savez comme moi qu'il est souvent compliqué de prendre un rendez-vous. Il faut laisser plusieurs messages et il faut des mois avant d'obtenir un rendez-vous. Voilà un autre aspect que les organismes de charité doivent prendre en charge : donner des recommandations médicales. Lifeline Syria, qui est un réseau plus vaste, a la capacité d'établir le lien avec ces services.
J'aimerais inciter les estimés sénateurs à aller visiter certaines des agences qui interviennent auprès des réfugiés syriens et obtenir une vue d'ensemble de la situation.
Je vous remercie très cordialement.
Le président : Merci beaucoup.
Il nous reste cinq minutes. Je demanderais à la sénatrice Ataullahjan et à la sénatrice Omidvar de poser leurs questions, en gardant à l'esprit la question du sénateur Ngo au sujet de la situation, 12 mois plus tard. On ne peut pas fixer un seuil arbitraire, c'est comme ça. J'ai noté un commentaire qui m'a semblé très pertinent de la part de Malouz quand il a dit : « N'imposez pas un plafond à la compassion canadienne. » Je pense que cette affirmation reflète ce que nous ressentons tous.
Passons donc aux deux questions, puis nous allons conclure de quelques réponses rapides.
La sénatrice Ataullahjan : Ma question s'adresse à vous, Alexander. Vous avez brièvement abordé les questions de discrimination. Dans quels domaines y a-t-il eu des actes de discrimination? Dans les services, l'emploi, le logement?
M. Vadala : En ce qui concerne une campagne de sensibilisation du public, nous avons reçu du financement de la province et de la municipalité pour sensibiliser le public à la xénophobie et au racisme en général. C'est très important, le public doit comprendre qu'il s'agit d'une attitude inacceptable.
Nous savons que les Canadiens sont un peuple très compatissant en général, mais nous savons aussi qu'il y a eu dans certaines villes et certains endroits des cas où des attaques ont été commises contre des réfugiés. Ces incidents sont peut-être le fait d'un très petit nombre de personnes, mais nous devons quand même éduquer le public et lui faire comprendre qu'il est normal d'accueillir des réfugiés, que nous le faisons depuis un grand nombre d'années, et ce, dans l'intérêt du Canada et que nous avons même reçu un Prix Nansen. C'est en tant que peuple que les Canadiens ont reçu la distinction Nansen dans les années 1980, et nous devons nous montrer à la hauteur.
La sénatrice Ataullahjan : Sommes-nous en train de créer deux catégories de réfugiés? Nous avons entendu dans le témoignage que les réfugiés parrainés par le secteur privé s'en tirent beaucoup mieux que ceux pris en charge par le gouvernement. Pouvez-vous m'expliquer rapidement pourquoi?
M. Calla : Il s'agit d'une histoire qui s'est créée autour de ce projet et qui est très troublante, parce qu'il y a eu ce mouvement des répondants du secteur privé voulant que les réfugiés pris en charge par le gouvernement soient redéfinis comme réfugiés parrainés par le privé, soi-disant parce que les réfugiés parrainés par le privé réussissaient mieux, comme vous l'avez indiqué.
C'est une question très complexe en ce sens que les études montrent que les réfugiés parrainés par le secteur public s'en tirent mieux au début, mais qu'à long terme, les deux groupes réussissent bien. Ce qu'on ne comprend pas, c'est ce que je disais précédemment à propos des réfugiés pris en charge par le gouvernement : il s'agit d'une catégorie de réfugiés vulnérables. L'étude que le gouvernement fédéral nous a transmise sur cette cohorte en particulier rend compte des niveaux d'éducation ainsi que d'une foule d'autres paramètres qui distinguent les réfugiés pris en charge par le gouvernement des réfugiés parrainés par le secteur privé. Les différences sont remarquables : parmi les réfugiés pris en charge par le gouvernement, comme je l'ai déjà précisé, 1 sur 10 parle une des langues officielles, alors que du côté des réfugiés parrainés par le secteur privé, 6 sur 10 ont reçu une éducation supérieure. Une proportion de 52 p. 100 des parrainés par le privé sont des célibataires. En comparaison, 53 p. 100 des réfugiés parrainés par le gouvernement font partie de familles de cinq à huit enfants, dont les défis à relever sont beaucoup plus grands. Ces distinctions sont donc bel et bien réelles. Il va de soi que le réfugié parrainé par le privé, une personne célibataire qui parle déjà l'anglais, sera en mesure de trouver un emploi et de prendre son envol beaucoup plus rapidement que celui pris en charge par le gouvernement.
Ce que nous faisons pour les réfugiés pris en charge par le gouvernement et ce que faisons pour ceux qui sont parrainés par le secteur privé, la valeur de ces deux flux de réfugiés parle d'elle-même. Il n'est pas question de dénigrer l'un ou l'autre, comme cela s'est malheureusement produit dans la communauté. Je tenais à préciser ce point.
Le président : Je vous remercie.
Je vais demander à la sénatrice Omidvar de poser sa question; Malaz, vous pourrez y répondre aussi dès qu'elle aura terminé.
M. Sebai : J'ai une petite observation à faire. Je sais que Mario n'avait pas de mauvaises intentions en disant cela, mais en effet, les réfugiés pris en charge par le gouvernement sont vulnérables, ils sont même plus vulnérables. N'oublions pas que même les réfugiés parrainés par le secteur privé — et vous savez, j'ai travaillé avec un grand nombre d'entre eux — traversent une période extrêmement difficile. C'est une crise terrible. Il n'y a personne qui n'en soit pas touché, et comme l'a dit Mario, ne les opposons pas les uns aux autres. Ils sont tous aussi vulnérables, et certains le sont même plus que les autres.
Le président : Merci.
Madame la sénatrice, et ensuite nous terminerons.
La sénatrice Omidvar : J'adore votre anecdote sur le hockey à Ottawa, monsieur le président, alors je vais vous la voler.
Je parraine aussi une famille avec d'autres gens. C'est une famille de 12 personnes. Le cadeau le plus réussi que je leur ai fait est de négocier un gros rabais pour une adhésion de famille au YMCA du quartier. Tous les membres de cette famille vont maintenant se baigner, ils jouent au hockey, et les filles suivent des cours de taekwondo.
Ma question s'adresse au représentant de l'organisme d'établissement qui est ici, la société COSTI. Serait-il possible d'officialiser les relations comme celle que j'ai établie avec le YMCA, puisque les programmes de parcs et loisirs de la Ville de Toronto sont tous pleins avant même que les activités ne commencent? Les réfugiés n'ont aucune chance d'accéder aux cours de natation et de hockey gratuits dont les résidants de la ville jouissent.
M. Calla : Il y a moyen de le faire, c'est sûr, et je crois que certains groupes ou organismes en font déjà leur priorité. En fait, pendant l'hiver, CultureLink allait chercher les familles à leur hôtel pour leur faire goûter notre vie en hiver en les emmenant par exemple faire du patin à Harbourfront et autres.
Le service des parcs et loisirs de Toronto s'est heurté à des difficultés pour les raisons que vous venez de décrire, mais nous en discutons avec eux. Ils sont très ouverts, ils organisent des activités pour les enfants dans les hôtels et autres. J'espère qu'ils trouveront une solution à cela, parce que la meilleure façon d'intégrer les enfants est de les faire participer à des activités de loisirs avec d'autres Canadiens. Oui, nous nous occupons de cela avec les divers organismes qui fournissent ces programmes.
Le président : Nous vous remercions beaucoup. Nous en avons beaucoup appris ce matin, et votre témoignage enrichira considérablement notre rapport. Nous divulguerons certains aspects tout au long de cette étude. Nous espérons que les médias porteront attention à ce que vous dites aussi, et bien sûr nous publierons notre rapport cet été au sujet de cet aspect particulier des droits de la personne dont jouissent ces réfugiés, nos nouveaux Canadiens.
Je vous présente maintenant les témoins du deuxième groupe d'experts : de l'Arab Community Centre of Toronto, Zena Al Hamdan, gestionnaire de programmes; nous avons aussi, à titre personnel, le Dr Meb Rashid, directeur médical, clinique Crossroads, hôpital Women's College et professeur adjoint à l'Université de Toronto; ensuite, de la Syrian Canadian Foundation, Bayan Khatib, membre du Conseil et responsable du Comité social.
Bienvenue à notre comité. Zena; si vous êtes prête, je vous laisse la parole.
Zena Al Hamdan, gestionnaire de programmes, Arab Community Centre of Toronto : Bonjour. Merci de m'avoir invitée.
Pour vous donner une idée démographique des nouveaux arrivants que nous servons, l'Arab Community Centre of Toronto sert environ 5 000 nouveaux arrivants par année. En général et jusqu'à la fin du deuxième trimestre de l'exercice de 2015-2016, les réfugiés syriens nouvellement arrivés constituaient 10 p. 100 de nos clients. Ce pourcentage s'est multiplié de façon exponentielle depuis septembre 2015 : en avril 2016, ils constituaient 49 p. 100 de toute notre clientèle. De ces réfugiés syriens, 40 p. 100 sont pris en charge par le gouvernement, 35 p. 100 sont parrainés par le secteur privé, et 25 p. 100 représentent divers types de réfugiés recommandés par un bureau des visas. Nous collaborons aussi avec plus de 125 groupes de parrainage.
En travaillant auprès des réfugiés syriens nouvellement arrivés, nous avons cerné les problèmes suivants, et je suis sûre que le premier groupe de témoins en a aussi parlé. Le premier problème est leur taux d'alphabétisation bien moins élevé que prévu. Certains clients sont presque analphabètes dans leur langue maternelle. Cela pose un problème dans deux domaines : ils ne peuvent pas suivre les activités d'une classe ordinaire, et ils ne réussissent pas à apprendre l'anglais, car ils ne comprennent pas son contexte conceptuel. Les familles de plus de 4 enfants qui ont moins de 12 ans, surtout celles que le gouvernement a prises en charge, ont de la peine à trouver du logement. Certaines de ces familles qui devraient s'installer dans le Grand Toronto se sont retrouvées près de London, où les logements sont moins chers. De plus, les parents ne peuvent pas toujours suivre de cours d'anglais à cause du manque de places dans les garderies. Ces problèmes soulignent aussi le manque de programmes pour les enfants de moins de 12 ans. La plupart des bailleurs de fonds visent la catégorie des enfants de 13 ans et plus.
En général, les réfugiés ont de la peine à comprendre leurs rôles et leurs responsabilités, surtout s'ils sont parrainés par le secteur privé. Cela s'expliquerait de deux façons : d'une part, les renseignements qu'ils ont reçus avant leur arrivée ne sont plus pertinents et d'autre part, ils doivent emmagasiner un volume énorme d'information alors qu'ils font face à une nouvelle langue et à un nouveau système. Soulignons aussi le problème de leur santé mentale et des traumatismes qu'ils ont subis avant d'immigrer.
L'un des aspects les plus frappants de cette crise des réfugiés syriens est le soutien extraordinaire qu'ils reçoivent de la population. Elle a déclenché la création de partenaires inusités comme des groupes de parrainage privé, des entreprises et un nombre incroyable de bénévoles. L'administration et l'intégration de ces groupes constituent tout un défi, car ces groupes s'éloignent beaucoup des modèles traditionnels de services d'établissement et ils se sont créés en une période extrêmement brève. Le modèle de recommandation des réfugiés par des contractuels engagés à l'étranger ne semble pas être des plus efficaces pour cette population particulière.
Chaque catégorie de réfugiés syriens fait face à des difficultés considérables. Les réfugiés parrainés par le secteur privé qui s'installent dans des régions éloignées comme le comté de Grey/Bruce, par exemple, devraient faire 45 minutes de route pour atteindre le bureau le plus proche de Service Ontario; de plus, on ne donne pas de cours d'anglais pour débutants dans cette région. Quant aux réfugiés pris en charge par le gouvernement, bien que le soutien ne soit pas continu, ils peuvent recevoir du soutien des réseaux sociaux qu'ils forment au sein de leurs groupes dans les maisons d'accueil.
On a souligné plus tôt le problème que représente la période de 90 jours que les réfugiés doivent attendre avant de recevoir la Prestation fiscale pour enfants du gouvernement fédéral une fois qu'ils sont installés dans un logement permanent.
Cette population de réfugiés syriens nouvellement arrivés comprend une démographie très dominante, celle de jeunes parents âgés de moins de 24 ans qui ont déjà plus d'un enfant. Ces jeunes font face à une multitude de problèmes : ils sont jeunes, ils ont des enfants, ce sont de nouveaux arrivants, et ils ont perdu le soutien traditionnel de leur famille, de leurs voisins et de leurs amis.
Nous avons deux ou trois recommandations importantes à présenter. Les réfugiés parrainés par le secteur privé réussissent généralement mieux et plus rapidement à s'intégrer. Les groupes de parrainage situés dans des régions éloignées auraient besoin de plus d'attention et de soutien. De plus, il serait important d'intégrer les groupes de parrainage privé dans les contrats de contribution que nous concluons avec les organismes d'établissement.
Nous voyons un besoin urgent d'offrir des programmes pour les bébés et pour les enfants âgés de 6 à 12 ans, et aussi d'établir un modèle de gestion de cas au lieu du modèle de recommandation suivi à l'heure actuelle.
Le président : Merci beaucoup. À la fin de cette réunion, voudriez-vous s'il vous plaît remettre ces recommandations à notre greffier?
Mme Al Hamdan : Bien sûr.
Le président : Elles seront très importantes pour notre étude.
Docteur Rashid.
Dr Meb Rashid, directeur médical, clinique Crossroads, hôpital Women's College et professeur adjoint, DMFC, Université de Toronto, à titre personnel : Merci. Je vous remercie de m'avoir offert l'occasion de comparaître devant votre comité.
D'abord, quelques sur mes antécédents : je suis médecin de famille et j'ai le privilège de servir des réfugiés depuis 15 ans. Je suis directeur médical de la clinique Crossroads à l'hôpital Women's College. Notre clinique sert les réfugiés nouvellement arrivés ici à Toronto. Je participe à des activités universitaires comme l'élaboration de lignes directrices fondées sur des données probantes en vue d'évaluer les nouveaux arrivants et les réfugiés. J'ai eu le privilège de travailler avec des personnes qui demandaient le statut de réfugié et avec des réfugiés pris en charge par le gouvernement. J'ai aussi beaucoup travaillé avec d'autres groupes d'immigrés comme les Birmans, qui sont arrivés il y a quelques années.
Je vais commencer par vous présenter deux de mes convictions profondes, car je pense qu'il est important que vous en teniez compte. La première est confirmée dans la majorité de la documentation. La plupart des réfugiés sont en bonne santé, et si nous les aidons à le faire, ils resteront en bonne santé. C'est pourquoi je suis convaincu qu'il est crucial de donner des soins primaires à tous les réfugiés dès leur arrivée afin qu'ils se maintiennent en bonne santé.
Deuxièmement, je suis convaincu que leur bonne santé dépend avant tout de cliniciens de soins primaires, alors en affectant aux réfugiés des médecins et des infirmières praticiennes, nous pourrons faire de la prévention, dépister et traiter leurs maladies chroniques et établir avec eux des relations de confiance. Cette relation est cruciale pour soigner cette population. La plupart des réfugiés, par exemple, ne dévoileront pas leurs symptômes de maladie mentale tant qu'ils ne se trouveront pas dans un milieu qui les met en confiance et dans lequel ils se sentent en sécurité.
Dans le cadre de l'immigration syrienne, outre mon rôle clinique, j'ai aidé à créer un réseau d'organismes de soins de santé qui acceptent de fournir des soins primaires à cette population. Nous avions en fait commencé à planifier ce réseau bien avant la dernière élection fédérale. Au tout début de septembre, nous avons réuni les représentants de quatre organismes de soins de santé ici à Toronto pour organiser le temps nécessaire à consacrer à une pointe éventuelle d'immigration de réfugiés syriens.
À la suite de l'élection, lorsque le gouvernement libéral a réitéré son engagement d'amener 25 000 personnes avant la fin de l'année, nous avons compris que nos quatre cliniques ne feraient pas l'affaire. Nous avons appelé des collègues, et quelques semaines plus tard, 31 organismes de soins de santé planifiaient leur temps pour soigner la communauté syrienne à son arrivée. Cet exemple, selon moi, est typique de l'esprit dans lequel notre pays accueille cette immigration; il illustre en tout cas tout ce que nous avons observé dans le secteur de la santé. Un grand nombre de ressources, particuliers et organismes, offrent de consacrer de leur temps pour contribuer au succès de cette immigration.
Qu'avons-nous observé jusqu'à présent à l'arrivée de la communauté syrienne? De bien des façons, c'est exactement ce à quoi nous nous attendions. L'immigration syrienne n'est pas différente des autres. Les Érythréens, les Afghans, les Soudanais et bien d'autres ont souffert de la guerre et de la torture et d'autres traumatismes. Certains d'entre eux avaient passé des dizaines d'années dans des camps de réfugiés. Ce qui rend cette immigration particulière du point de vue de la santé, selon moi, est la multitude de gens qui arrivent chez nous; cette multitude risque assurément de submerger les organismes qui les aident à s'établir.
En ce qui concerne les troubles de santé, nous en traitons et compilons encore les données. Nous en avons discuté de façon informelle avec de nombreux collègues ici à Toronto et ailleurs au pays, et nous commençons à distinguer des tendances certaines.
Comme nous nous y attendions, nous n'avons dépisté que très peu de maladies infectieuses. Nous avons vu quelques cas de leishmaniose cutanée, mais ce n'est définitivement pas une maladie mortelle. Nous n'avons pas vu de cas de malaria, de tuberculose, de VIH, de syphilis, ni même de nombreux cas d'hépatite C et B, et ce sont des troubles de santé que l'on trouve en assez grand nombre dans les autres populations de réfugiés.
Nous avons décelé de nombreux cas de maladies chroniques que nous connaissons bien dans le contexte canadien, comme l'hypertension et le diabète. Nous avons trouvé plusieurs enfants atteints d'un trouble du développement et de très nombreuses personnes souffrant de blessures résultant de la guerre et de la torture. Malheureusement, ce sont des troubles très fréquents dans les populations de réfugiés.
Je vais m'étendre un peu maintenant sur les problèmes de santé mentale. D'abord, je tiens à vous rappeler que malgré les atrocités que ces gens ont subies, la grande majorité d'entre eux n'ont pas perdu leur santé mentale. La plupart d'entre vont très bien. Ensuite — et quelqu'un a mentionné cela tout à l'heure —, il faut souvent un certain temps pour que les troubles mentaux se manifestent. Juste après leur arrivée, les immigrants sont souvent au comble du bonheur, et les troubles mentaux ne se déclarent que plusieurs mois plus tard. Il faut que nous nous préparions à les soigner.
Enfin, même si certains souffrent de dépression ou du trouble de stress post-traumatique, leur intégration constitue un élément important de leur traitement. La santé mentale des gens fait un bond énorme lorsqu'ils trouvent un emploi, qu'ils terminent leurs études, qu'ils maîtrisent le français ou l'anglais, qu'ils retrouvent leur identité personnelle; ne sous-estimons pas ces éléments en traitant les troubles mentaux de cette population.
Cependant, nous avons vu plusieurs cas de maladie mentale grave parmi les réfugiés syriens. Je crois que Mario a parlé tout à l'heure de quelques-uns de ces cas observés dans les hôtels. Comme dans toutes les populations de réfugiés, nous n'en avons décelé qu'un petit nombre par rapport au nombre réel de cas, et nous trouverons de nombreuses autres personnes qui souffrent de santé mentale au cours de l'année ou de l'année et demie à venir.
Enfin, je tiens à parler de la réponse du secteur des soins de santé aux besoins des nouveaux arrivants syriens. J'exerce cette profession depuis de nombreuses années, et je n'ai jamais vu un tel élan de soutien. En automne 2015, j'ai reçu tous les jours des appels de médecins, d'infirmières praticiennes et même de chirurgiens plasticiens et de spécialistes en pédiatrie désireux de donner de leur temps pour aider ces immigrants. C'était extrêmement encourageant. Je ne soulignerai jamais assez le dévouement et la générosité de nos collègues de l'aide à l'établissement et le travail qu'ils ont accompli pour assurer le succès de cette immigration.
Cela dit, nous aurions pu en faire beaucoup plus en soins de santé. À mon avis, l'indicateur clé du succès est le nombre de personnes auxquelles nous avons pu fournir des soins primaires. J'ai l'impression que nous n'y sommes pas vraiment parvenus ici à Toronto — et les résultats sont peut-être meilleurs dans d'autres régions du pays —, malgré l'énorme soutien que nous avons reçu des fournisseurs de soins de santé. Pourquoi? J'ai l'impression que nous avons trop souligné la gravité de nos préoccupations sans les relier aux soins primaires à fournir aux nouveaux arrivants.
Je pense aussi que très souvent, les soins de santé primaires ne font pas partie des priorités de l'aide à l'établissement. Lorsqu'une personne se plaint d'un symptôme, tant qu'elle ne saigne pas ou ne se plaint pas d'un organe en particulier, nous ne pensons pas à lui donner des soins primaires si tôt après son arrivée au pays, mais je pense que nous faisons là une erreur. Nous avons examiné les arrivants très rapidement et je crois, vous savez, que nous avons accompli énormément avec les ressources dont nous disposions, mais nous en avons encore beaucoup à apprendre.
Je suis d'accord avec ce que Ratna suggérait tout à l'heure. Selon moi, cette immigration de réfugiés syriens est un événement sans précédent; elle a démontré ce que notre pays peut offrir. Je me sens privilégié d'avoir pu contribuer même un tout petit peu à cet événement historique.
Je vous remercie encore de m'avoir permis de faire part de mes observations à votre comité.
Le président : Merci, Docteur.
Nous passons maintenant la parole à Bayan Khatib.
Bayan Khatib, membre du conseil et responsable du Comité social, Syrian Canadian Foundation : Merci de m'avoir invité aujourd'hui et de tenir ce panel.
À mon avis, après avoir accompli tant de travail et maintenant qu'un tel nombre de Canadiens se sont unis pour résoudre cette crise, c'est une excellente idée que de regarder en arrière et d'examiner ce que nous avons accompli et comment améliorer nos interventions.
Je représente la Syrian Canadian Foundation. La plupart des membres de cette fondation sont militants et défendent la cause des Syriens depuis plus de cinq ans. Nous avons vraiment été heureux lorsque le gouvernement a annoncé que le Canada allait enfin amener des réfugiés syriens, et quand ils sont arrivés, nous sommes allés dans les hôtels pour les aider. Nous étions convaincus qu'à titre de Canadiens d'origine syrienne, nous pouvions jouer un rôle important en établissant un lien entre les cultures syrienne et canadienne et en défendant la cause des Syriens qui ne savent pas exprimer leurs besoins et qui ne connaissent pas leurs droits. Nous savions que nous pourrions les aider à s'intégrer à la culture canadienne, car nous comprenions ce qu'ils avaient vécu et ce que leur immigration dans ce pays signifie pour eux.
Nous nous sommes unis. Nous avons créé cinq comités, dont un comité médical qui est très important. Nous avons découvert que les besoins les plus urgents des réfugiés étaient les soins médicaux. De nombreuses familles sont arrivées avec de gros troubles de santé et ne savaient pas à qui s'adresser. L'organisme COSTI faisait un excellent travail, mais il était souvent très difficile de servir un aussi grand nombre de personnes, alors nous avons décidé d'assumer ce rôle.
Dans le hall d'entrée des hôtels, les gens nous ont indiqué qui avait un besoin urgent de soins médicaux. Alors nous avons tout de suite créé ce comité médical. Nous avons organisé un atelier pour informer les gens des droits qu'ils ont ici et d'autres choses, et nous avons amené deux ou trois médecins syriens qui ont pu leur parler de manière à ce qu'ils comprennent et ainsi de suite.
Les autres comités étaient le comité des enfants, le comité social, le comité du logement et le comité de la formation et de l'emploi. Selon nous, ces enjeux représentaient les principaux besoins des réfugiés à leur arrivée.
Je le répète, à titre de Canadiens d'origine syrienne, nous pensions que nous avions une grande responsabilité dans cette situation. Je crois que nous avons fait de l'excellent travail en nous présentant pour aider. Ensuite, les services COSTI ont embauché quelques-uns d'entre nous, et j'en suis du nombre; je viens de terminer un contrat de trois mois chez eux. Ils ont aussi embauché notre comité social.
À mon avis, le gouvernement devrait penser sérieusement au rôle important que peuvent jouer les Canadiens d'origine syrienne. En effet, nous pouvons combler l'écart entre les réfugiés et les Canadiens et, comme je l'ai dit, nous pouvons signaler les besoins des réfugiés parce que nous les comprenons bien, et nous pouvons aussi les aider un peu à s'intégrer.
Avant de travailler auprès des réfugiés pris en charge par le gouvernement, j'ai participé à l'initiative Lifeline Syria et j'ai aussi travaillé auprès de réfugiés parrainés par le secteur privé. Je sais que nous avons ici des représentants de Lifeline Syria. Je voulais juste ajouter que les gens qui y participent étaient extrêmement heureux quand cette initiative a été créée, car elle leur offrait une occasion d'amener au Canada des proches et des membres de leurs familles.
Je voulais simplement vous dire que nous avons été extrêmement déçus quand le gouvernement a décidé de ralentir le traitement des réfugiés. Cette énorme déception nous a frappés très soudainement.
Je participe aux activités de plus d'un groupe de parrainage, et un bon nombre d'entre nous étaient prêts. Nous avions loué des maisons. Je sais que plusieurs groupes parrainés par le secteur privé avaient des maisons qui les attendaient, avec les meubles et un bail, et nous attendions ces familles. Les familles arrivaient très rapidement, et soudainement tout s'est arrêté, et nous avons gaspillé de nombreuses ressources. Nous avons payé des loyers pour rien, nous avons dû retourner les meubles que nous avions achetés. Les Canadiens désiraient tellement aider, et ce ralentissement a éteint leur motivation, en un sens, et ils étaient fâchés et frustrés. Selon moi, c'était une mauvaise décision, et j'espère qu'on pourra la renverser. Je ne crois pas que ce soit très difficile à faire.
L'autre amélioration que j'apporterais au parrainage du gouvernement et du secteur privé est la réunification des familles. De nombreuses familles ont dû laisser, disons, des parents âgés ou encore des frères et sœurs qui vivaient avec eux, mais qui étaient considérés comme des familles séparées, ou encore d'autres proches et des fiancés.
Cette réunification comblerait le bonheur des familles qui sont ici. Ces familles sont déjà extrêmement reconnaissantes d'être ici. Elles me répètent constamment qu'il fait si bon se sentir en sécurité. La sécurité n'est pas un privilège à tenir pour acquis. Ces familles reconnaissent chaque jour ce bonheur, sachant que les membres de leurs familles qui sont restés là-bas souffrent de toutes sortes de manières. Comme vous le savez tous, le sang continue à couler en Syrie; ces atrocités n'ont pas diminué et elles ne vont pas diminuer de sitôt. Je crois qu'il est très important de réunir les membres des familles pour que nos réfugiés soient parfaitement heureux, comme je l'ai dit, et que leurs proches puissent se joindre à eux. C'est extrêmement important.
Au cours de ces trois derniers mois, en travaillant de très près avec des familles prises en charge par le gouvernement, j'ai observé quelques graves problèmes. Le premier est que ces familles n'ont pas assez d'argent pendant les premiers mois de leur présence ici. Pourquoi? Parce qu'ils ne reçoivent la Prestation fiscale pour enfants que trois mois après leur arrivée. Alors pendant les trois premiers mois, ils doivent survivre avec 800 $ par adulte, ce qui leur suffit à peine pour payer leur loyer.
Nous les bénévoles avons dû faire des pieds et des mains pour trouver de l'argent afin d'aider les gens à payer leur loyer. Une telle situation ne devrait pas exister. Les bénévoles ne devraient pas devoir assumer ce fardeau, parce qu'ils ne peuvent pas aider tous les réfugiés. Je ne dis pas que les fonds affectés globalement ne suffisent pas, mais la Prestation fiscale pour enfants ne devrait pas arriver trois mois plus tard. Cela cause vraiment un problème énorme. J'ai vu des familles obligées de donner tout leur argent pour payer le loyer, et il ne leur restait rien pour acheter de la nourriture. J'en ai envoyé un trop grand nombre à des banques alimentaires.
La population a été extraordinaire. Plusieurs banques alimentaires ont apparu pour aider ces familles, mais je ne veux pas qu'elles soient forcées de dépendre de ce type d'aide. Il devrait y avoir moyen de répondre à leurs besoins fondamentaux sans qu'elles doivent courir à des banques alimentaires et à de l'aide de ce genre. C'était le problème le plus grave.
L'autre problème concerne les meubles. Je sais que le gouvernement a octroyé un contrat à une entreprise qui fournit l'ameublement de base, et c'est vraiment fantastique. Mais j'appelle chaque famille qui quitte l'hôtel, et un nombre incroyable d'entre elles se plaignent de la qualité des meubles, et pas parce qu'elles sont difficiles. J'ai observé ce problème personnellement. J'ai rendu visite à certaines de ces familles.
Quand je suis entré chez la dernière de ces familles, leur fille de 10 ans pleurait. Je lui ai demandé pourquoi, et elle m'a répondu que quand elle s'est assise sur la chaise, elle est tombée à travers. Le siège de la chaise glisse complètement. Le cadre est en bois, et le siège glisse au travers. Vous tombez carrément à travers la chaise. Son dos était tout rouge et en sang parce qu'elle s'était écorchée contre le bois. Un nombre incroyable de familles m'ont raconté la même chose quand je les appelais au téléphone, mais ce jour-là, je l'ai vu en personne.
Ces meubles ne sont vraiment pas de bonne qualité, surtout les chaises de la salle à manger. Je ne sais pas si je vous présente trop de détails. Certains matelas sont de mauvaise qualité. Ils conviennent à la plupart des familles, mais pas aux couples très âgés. Une vieille dame m'appelle tous les jours en me disant qu'elle souffre terriblement du dos à cause de ce matelas et qu'il lui faudrait un matelas médical. J'ai essayé de l'aiguiller vers une personne de sa région, mais elle doit attendre, je ne sais pas. Elle doit attendre longtemps et elle souffre à longueur de journée. Elle souffre d'un grave trouble d'arthrite. Elle a vraiment besoin d'un bon matelas.
Je crois qu'on aurait dû penser un peu plus à l'ameublement des familles qui ont des handicaps. De plus, ces chaises de salle à manger sont dangereuses. Un grand nombre de personnes ont subi des blessures, je ne plaisante pas, juste à cause de chaises de salle à manger.
Je tenais à vous dire cela parce que je parle chaque jour à ces familles, et ce sont les plaintes qu'elles me confient.
Je voudrais mentionner brièvement le programme de jumelage de familles, dont je suis responsable en vertu de mon contrat actuel. Nous essayons de faire cela pour les réfugiés pris en charge par le gouvernement. Comme l'ont dit d'autres témoins, les réfugiés parrainés par le secteur privé jouissent souvent d'un système de soutien plus solide. Nous nous efforçons de jumeler chaque famille prise en charge par le gouvernement à une famille canadienne pour qu'elles se fréquentent amicalement pendant deux ou trois mois et que la famille canadienne soutienne la famille syrienne non pas financièrement, mais socialement.
Ce projet a beaucoup de succès, et je pense qu'il ajoute au soutien que reçoivent les familles prises en charge par le gouvernement. Mais mon contrat se termine, et j'en suis en fait à ma dernière journée. Je crois que le gouvernement devrait envisager d'ajouter des ressources pour des programmes comme celui-ci et pour soutenir les bénévoles qui font un travail extraordinaire, mais qui ont besoin de plus de ressources pour le poursuivre.
Et finalement, je voulais juste vous dire que presque tous les nouveaux arrivants auxquels j'ai parlé font face à des défis. Il leur est très difficile de s'adapter, mais ils sont tous profondément reconnaissants. Ils sont extrêmement heureux d'être ici en sécurité, et j'ai remarqué que les enfants sont les plus heureux. Dès qu'ils vont à l'école, ils sont tellement heureux! Les écoles ici ont vraiment bien traité les enfants. Les parents aussi sont heureux en voyant le bonheur de leurs enfants et en pensant au bel avenir qu'ils ont maintenant.
Je crois que c'était le dernier message que je voulais vous transmettre. Merci.
Le président : Merci beaucoup pour ce témoignage. Je trouve qu'il est vraiment important d'entendre ces expériences personnelles, de la chaise de salle à manger au matelas. Ce matin, les témoins nous ont présenté la situation globale, mais nous ne voyons pas toujours ce qui se passe en coulisse. Certains d'entre nous parrainent des réfugiés et ont vu ces choses.
Si ces situations ne sont pas acceptables pour les Canadiens, elles ne devraient pas l'être pour les Néo-Canadiens. Il est important que nous recevions cette information.
Nous allons demander à notre vice-présidente, l'estimée sénatrice Salma Ataullahjan, de la région de Toronto, de poser les premières questions.
La sénatrice Ataullahjan : J'ai deux questions.
La première s'adresse au Dr Rashid. Vous parlez de troubles de santé mentale et du fait que les réfugiés ne veulent pas en parler. Vous dites aussi que nous allons faire face à une forte augmentation de cas de troubles mentaux et que nous devrions nous y préparer. Êtes-vous prêts à y faire face? En discutez-vous avec le gouvernement et avec les professionnels de la santé qui aident les réfugiés?
Dr Rashid : En bref, oui. Quand je parle de troubles de santé mentale, je commence toujours par dire que la grande majorité des gens se porteront bien malgré les traumatismes terribles qu'ils ont subis. On a tendance à associer le traumatisme à une pathologie, mais ce n'est pas toujours le cas. Je crois que nous nous efforçons de comprendre pourquoi, de toutes les personnes qui endurent les atrocités de la guerre et de la torture, certaines s'en sortent parfaitement bien et d'autres non.
Donc des populations de réfugiés que nous avons vues, ce qui comprend les réfugiés du Rwanda, du Cambodge, du Congo et du Vietnam, nous nous attendons à ce que 80 à 90 p. 100 s'en sortent bien. Quant au 10 p. 100 qui reste, comme ces gens hésitent à parler de leurs problèmes, nous devrons créer un milieu où ils se sentiront à l'aise et en sécurité pour en parler.
C'est pourquoi le modèle ordinaire de soins de santé où l'on examine une fois les douleurs thoraciques, les saignements ou l'épaule douloureuse des patients puis on les renvoie chez eux, ne s'appliquera pas bien. Il faudra que nous reliions ces patients à des fournisseurs de soins qui les suivront continuellement. Ils pourront ainsi cultiver des relations positives.
Sommes-nous prêts? Nous savons qu'il est nécessaire d'accroître les ressources en santé mentale pour les réfugiés et pour les Canadiens, mais de dire que je suis convaincu que nous avons de bons réseaux dans tout le pays qui seront en mesure de traiter les populations de réfugiés... Ici à Toronto, le CAMH, ou Centre de toxicomanie et de santé mentale, est un très grand établissement qui traite les troubles mentaux. Il a ouvert une clinique pour les réfugiés nouvellement arrivés, qu'ils viennent de Syrie ou d'ailleurs. Nous avons le Canadian Centre for Victims of Torture. Nous avons des experts extraordinaires dans notre ville.
Selon moi, notre grand problème ne nous frappera pas quand ces troubles se manifesteront. Je pense que nous devons surtout trouver des moyens d'accueillir ces gens dans notre système de soins primaires. Une fois qu'ils s'y trouveront — oui, nous avons parfois des problèmes, il y a les listes d'attente —, mais une fois que ces gens sont inscrits dans le système, ils vont bien. Il faut les y introduire.
Il faut que je mentionne une autre chose très importante : les gens s'intéressent beaucoup à la santé mentale des réfugiés, et parfois ils ont raison, mais parfois aussi cet intérêt est exagéré.
Toutefois, je ne soulignerai jamais assez l'importance de l'intégration pour la santé mentale. Dans bien des cas, les solutions comme de trouver un logement, d'obtenir de bons meubles et d'inscrire les enfants au YMCA sont aussi thérapeutiques que bien des traitements médicaux. J'ai travaillé avec des gens qui avaient consulté des psychiatres, qui avaient suivi des séances de counseling ou de thérapie par l'art, mais ce qui les a vraiment aidés était de trouver un emploi, d'être réunis avec des membres de leur famille ou de trouver une équipe de soccer s'ils avaient l'habitude d'y jouer quand ils étaient dans leur pays. Ces solutions influent vraiment sur la santé mentale des gens. C'est un phénomène que j'observe constamment, je le rappelle toujours à mes collègues et je crois qu'il est important de vous le dire ici.
La sénatrice Ataullahjan : L'autre question que je voulais vous poser a trait à un reportage que la Société Radio- Canada a diffusé la semaine dernière. Ils ont parlé d'un organisme sans but lucratif qui collabore avec la communauté arabe. Chaque semaine, une Syrienne avoue que son mari la maltraite. Existe-t-il des services qui aident les réfugiées qui se trouvent dans une relation violente et abusive? Quelles mesures pourrions- nous prendre pour que les réfugiées sachent qu'il existe des services pour les aider?
En travaillant avec les réfugiés, avez-vous remarqué de la violence familiale systématique dans les foyers? Acceptent- elles d'en parler? Je voudrais que nous parlions de ce problème à cause du reportage qui le dénonçait.
Mme Khatib : Je vous dirai que j'ai vu plusieurs cas de violence familiale. Cette immigration cause du stress dans les familles, et aussi la culture est différente. Dans les cas que l'on signale, il est important que ces dames reçoivent le soutien dont elles ont besoin, et il est aussi important d'éduquer les gens. C'est une chose que j'ai essayé de faire, mais j'ai manqué de ressources. Nous avons organisé entre autres un atelier juste pour les hommes, et l'un des médecins leur a parlé des mauvais traitements en leur disant qu'ils n'ont pas le droit de frapper leur femme et leurs enfants, sinon voici ce qu'il leur arrivera.
Nous devons donner d'autres ateliers. Il faut éduquer les hommes. Il faut aussi montrer aux femmes comment aborder ce problème, quels sont leurs droits, ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, quelles sont les différences culturelles. Cet aspect de l'intégration est très important.
Je ne sais pas vraiment quelles mesures ont été prises dans les cas signalés. Je sais que certaines personnes essaient d'aider ces familles, mais personnellement, je voudrais qu'on insiste plus sur l'éducation.
Dr Rashid : Il est évident que nous observons ces situations dans toutes les populations de réfugiés et d'immigrants et dans toutes les collectivités. Malheureusement, ce phénomène ne se manifeste pas dans un groupe culturel en particulier. Je crois que les meilleures observations indiquent que le taux de violence familiale est moins élevé dans les populations d'immigrants, bien que l'on puisse douter de la valeur de la méthodologie utilisée pour obtenir ces résultats. Il est difficile de dire s'il y a plus ou moins de ces situations, mais elles constituent un problème dans toutes les populations.
Dans bien des cas, qu'il s'agisse de réfugiés ou de Canadiens de souche, les cliniciens qui doivent soigner une femme qui se trouve dans cette situation ressentent beaucoup d'insatisfaction parce que bien souvent ils manquent de ressources et il est difficile de faire des choix. La situation se complique quand les patientes parlent mal l'anglais ou le français, quand elles viennent d'arriver au pays, quand elles ont des enfants à élever.
Nous collaborons avec un groupe de Ryerson pour créer un site web qui offre des ressources aux femmes arabes. Nous savons que les réfugiées subissent de la violence sexuelle, même avant d'avoir immigré, une violence pas nécessairement infligée par un partenaire intime, mais parfois utilisée dans le contexte de la guerre. Nous savons qu'il faudra du temps jusqu'à ce que ces problèmes remontent à la surface. Il est certain que nous nous intéressons à ce problème et que des gens essaient d'en discuter avec les membres de la communauté. Ce travail est en cours à l'heure actuelle.
Mme Al Hamdan : Le Dr Rashid et Bayan ont traité de la plupart des enjeux. Je suis d'accord qu'il est nécessaire de fournir tout de suite de l'éducation. La violence familiale dans le contexte canadien est complètement différente de la façon dont on l'interprète à l'étranger. Dans la culture arabe, la violence familiale est simplement un mauvais traitement physique, mais en réalité elle prend de nombreuses formes : financière, psychologique, émotionnelle, et plus encore.
Il faut donner plus d'éducation et le plus tôt possible, non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes. Il ne s'agit pas de diffuser simplement de l'information, mais de transmettre l'éducation de manière interactive. Ne vous attendez pas à des résultats après avoir donné un atelier. C'est un processus continuel qui a besoin d'un plus grand soutien.
Je conviens que la violence familiale ne se manifeste pas uniquement dans la population des réfugiés. Les taux sont élevés à cause du grand volume d'immigration que nous avons reçu ces trois derniers mois.
La sénatrice Ataullahjan : Nous avons entendu dire que les jeunes hommes ne sont pas autorisés à venir comme réfugiés. Ne plaçons-nous pas les jeunes femmes dans une situation vulnérable, ne les mettons-nous pas en danger à cause des mariages de complaisance étant donné que les familles peuvent immigrer plus facilement? Cette question a-t- elle déjà été soulevée?
Mme Khatib : Ce genre de chose se produit, mais cela n'a rien à voir avec les Canadiens qui parrainent des réfugiés. C'est déjà arrivé dans les populations de réfugiés du Liban, de Jordanie et de Turquie. C'est terrible de voir qu'on marie beaucoup de très jeunes filles pour une raison ou pour une autre, pour des raisons financières, pour leur sécurité, ce genre de motifs. Néanmoins, c'est sans aucun rapport, je pense, avec le fait que le Canada accueille des réfugiés ou autorise certaines catégories de personnes à venir.
La sénatrice Ataullahjan : Ce que vous dites, Bayan, c'est que même si nous ne laissons pas venir les jeunes hommes, ils ne se marient pas précipitamment pour pouvoir venir en tant que famille. Comme nous l'avons entendu dire, dans les camps de réfugiés, on marie des jeunes filles dès l'âge de 13 et 14 ans, à des hommes plus âgés, parce que les parents ne veulent pas assumer la responsabilité des jeunes femmes. Nous avons entendu parler d'abus sexuels. Est-ce ce dont vous voulez parler?
Mme Khatib : Je ne dirais pas que les parents veulent se décharger de cette responsabilité. Je dis qu'ils n'ont aucun moyen de faire vivre leurs enfants. La situation est si désespérée qu'ils n'ont pas d'autre choix, pas d'autres moyens de faire vivre leurs enfants, et c'est pourquoi ils en arrivent là. Je ne pense pas que ce soit le cas des réfugiés qui viennent ici.
La sénatrice Ataullahjan : Merci.
Le président : Zena, un article dans lequel vous êtes citée, mentionne Zahra Dhanani, avocate et activiste, qui défend, dans notre pays, les droits des femmes qui sont maltraitées par leurs maris, une fois arrivées ici, dans certaines familles, parce qu'elles dépendent trop longtemps d'eux. Selon cet article, elles ne connaissent pas les réalités juridiques et un grand nombre d'entre elles ne connaissent pas non plus les mesures de soutien social à leur disposition. Mme Dhanani dit qu'il leur est impossible d'envisager de vivre seules dans un nouveau pays et énumère les nombreux risques auxquelles les Syriennes sont confrontées de la part de leur partenaire qui les menace d'expulsion si elles divorcent. C'est difficile pour elles, car elles sont pratiquement dans une situation inextricable.
Que pouvons-nous faire de plus, en tant que parlementaires ou citoyens, pour faire en sorte que leurs droits soient respectés dans notre pays et qu'elles soient des partenaires à part entière au sein de leur famille?
Mme Al Hamdan : Je pense que cet article date de la semaine dernière.
Une des principales questions dont j'ai parlé était la nécessité d'informer les gens dès leur arrivée et de bien leur répéter que même s'ils sont venus en tant que famille, cela ne veut pas dire qu'un divorce aura des répercussions sur leur statut dans le pays. Ce n'est pas seulement un problème pour les femmes réfugiées. Le problème de la violence touche les femmes immigrantes et réfugiées, surtout suite aux récents changements concernant le parrainage du conjoint.
Il s'agit de bien expliquer que leur statut dans le pays ne dépend pas du maintien de la cellule familiale, même s'ils sont venus en tant que famille. Voilà une première chose. D'autre part, quels sont vos droits et responsabilités? Vous n'êtes plus en mode de survie comme lorsque vous étiez dans le deuxième pays, par exemple en Jordanie, et vous dépendiez de votre mari pour votre protection, votre argent et tout le reste. Toute perturbation dans la famille risquait d'entraîner l'expulsion de la femme, celle de ses enfants et celle de son époux.
Par conséquent, quand les femmes arrivent au Canada, il faut leur faire comprendre qu'elles sont en sécurité, qu'elles ont des droits et qu'il y a toujours la médiation familiale. Il y a toujours le counseling. Il y a toujours des groupes de soutien. Il faut voir les choses dans le contexte non seulement de la violence familiale, mais également du traumatisme de la migration et de l'établissement et de tout le stress que cela cause à la famille.
Dr Rashid : Je dirais, en tant que membre du personnel médical, que lorsque les femmes se trouvent dans une situation où elles peuvent dénoncer la violence dont elles sont victimes, des mécanismes peuvent entrer en jeu. Nous avons alors la possibilité de les informer, mais il est également important d'avoir des gens qui vont leur apporter l'information et les renseigner sur les normes et les droits en vigueur dans le système de soins de santé. Mes collègues, des deux côtés, constatent sans doute que c'est une partie importante de leur travail.
Les personnes qui m'inquiètent le plus sont celles qui n'ont pas accès à des médecins ou à des travailleurs sociaux, les personnes isolées. Je crois qu'il est vraiment difficile d'entrer en contact avec elles. Une fois qu'elles sont en contact avec le système, il devient possible de leur fournir ces renseignements. Encore une fois, c'est dans le contexte des soins de santé. Si vous mettez les gens en contact avec la communauté des soins de santé, cela nous fournit aussi l'occasion de leur parler de leurs droits.
Ces derniers temps, nous avons eu un certain nombre de femmes, surtout des Syriennes, qui ont soulevé la question de la violence de leur conjoint et nous pouvons leur parler de plans de sécurité. Nous pouvons leur parler des refuges. Nous pouvons leur parler de contacter des amis chez qui elles peuvent se réfugier en cas d'urgence. Nous pouvons leur parler du service 911. Encore une fois, je m'inquiète davantage des personnes qui ne viennent pas dans nos bureaux. Leur mise en contact avec le système en place devrait être un élément essentiel de ce que nous cherchons à faire.
Mme Khatib : Je n'ai sans doute pas grand-chose à ajouter, mais le Canada est un pays qui offre énormément de ressources et beaucoup d'appui aux femmes, aux personnes maltraitées, sur bien des plans. Le plus important est de rejoindre les nouveaux arrivants, de les informer et de les relier aux ressources.
Nous le faisons, mais il faut faire encore plus, et plus rapidement. Je m'inquiète beaucoup au sujet des familles qui risquent d'être oubliées, que nous n'avons pas rejointes parce qu'elles ne disaient rien ou n'ont pas demandé d'aide. Mon travail précédent consistait, en partie, à veiller à rejoindre chaque famille et à associer chacune d'elles à un ami qui pouvait la soutenir pendant les premiers temps. Je pense qu'il s'agit simplement de relier ces personnes aux ressources disponibles.
Le président : Merci.
Sénatrice Omidvar.
La sénatrice Omidvar : Je vais également parler des droits des femmes étant donné que ces droits sont des droits de la personne et que nous sommes le Comité des droits de la personne, mais je désire m'écarter du sujet de la violence familiale.
Au Canada, les femmes jouissent de toutes les libertés dont disposent les hommes, la liberté financière, la liberté d'association, la liberté de mouvement, et cetera. À quel moment les femmes sont-elles informées de tous leurs droits au cours du counseling en établissement ou du processus d'orientation? Je me pose la question, même pour des choses comme l'argent. Je sais que les femmes ont également un compte bancaire, qu'elles soient parrainées par le secteur privé ou par le gouvernement, et qu'elles ont accès à plus d'argent. Néanmoins, je les ai vues remettre leurs cartes bancaires aux hommes et quand je leur dis : « Vous devez apprendre comment utiliser votre NIP », elles répondent : « Non, non, non. Je ne m'occupe pas de l'argent. »
Ce sont des questions culturelles complexes et vous ne pouvez tout simplement pas imposer d'autres valeurs culturelles à quelqu'un. Cela doit venir de la communauté. Cela doit venir de l'intérieur de la communauté, mais il faut une approche systématique et je me demande ce que vous faites sur ce plan et ce que nous-mêmes pouvons faire?
Mme Khatib : Nous n'avons pas fait grand-chose jusqu'ici parce que nous devons nous occuper des questions urgentes — c'est du moins ce que je pense — comme les problèmes médicaux, le logement et ce genre de choses, mais je pense qu'il est temps de commencer à s'y intéresser davantage. Il faudrait davantage d'ateliers, de séances d'information et de travail d'intégration.
Comme je l'ai dit plus tôt, je crois que la communauté canado-syrienne a une responsabilité importante et un rôle à jouer, et nous espérons que nous pourrons faire plus dans ce domaine avec le soutien de l'ensemble de la société et du gouvernement. Il y a beaucoup à faire sur ce plan-là.
Vous avez demandé ce que nous avons fait jusqu'ici, nous n'avons pas fait grand-chose, mais c'est simplement parce que nous avons dû nous occuper des questions urgentes ou plus urgentes, mais il y a beaucoup à faire dans ce domaine.
La sénatrice Omidvar : Toujours pour ce qui est d'aider les femmes syriennes à comprendre leurs droits et leurs responsabilités, je m'inquiète du fait que l'interaction entre la famille et le système scolaire est toujours négociée entre l'école et le chef de famille, qui est un homme. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
Mme Al Hamdan : C'est strictement un modèle d'accueil et d'évaluation qui permet d'examiner certains droits et responsabilités ainsi que d'autres questions avec tous les nouveaux arrivants, qu'ils soient seuls ou en tant que famille.
Il y a des besoins auxquels il faut répondre. Par exemple, une fois que vous avez réglé la question du logement, des pièces d'identité, de la scolarisation des enfants et que vous avez mis une famille en contact avec un médecin, il y a, comme vous l'avez dit, les questions bancaires et financières, comment s'en occuper; faire comprendre que même si vous êtes au sein d'une famille, vous avez des responsabilités à titre personnel et pas seulement en tant que cellule familiale.
Telle est notre approche en tant qu'organisme d'établissement dans lequel tous les fournisseurs de services parlent l'arabe, reflètent tous les pays arabes et comprennent les nuances. Je dirais que nous sommes mieux en mesure d'aborder ces questions en tenant compte des particularités culturelles.
Lorsque nous avons une famille qui vient de Damas avec des diplômes universitaires, des parents qui sont d'éminents médecins ou avocats, par exemple, la conversation n'est pas la même que lorsque vous parlez à quelqu'un qui vient d'une région rurale. Nous comprenons ces nuances, mais en même temps, nous essayons de transmettre le même message aux familles en ce qui concerne leurs droits et responsabilités.
Si vous avez une famille avec des adolescents, nous allons demander : Comment allez-vous préserver votre identité sans isoler vos enfants? Comment interagissez-vous avec le système scolaire? Les deux parents sont responsables et en tant que mère, vous serez tenue responsable même si, dans votre contexte, c'est le père qui est le chef de famille. Vous êtes quand même un partenaire à part entière. Cela ne se limite pas à un rendez-vous. C'est un processus permanent.
Nous avons certainement fait beaucoup de travail pour relier les gens à la collectivité. C'est ce qui se passe actuellement dans les hôtels où l'on relie, dans les trois mois, les réfugiés à une famille canadienne établie. Il y a aussi ceux d'entre nous qui ont fait l'expérience de Culture Link, le programme d'accueil mis sur pied pour les réfugiés de la mer. C'est un programme très important. Il n'est plus financé par le gouvernement fédéral, mais la méthodologie de ce programme a été mise en œuvre grâce à la participation de bénévoles parce qu'il fournit des services et favorise des résultats et un établissement beaucoup plus positif.
Le président : Nous avons beaucoup parlé de faire en sorte que les gens participent aux ateliers et aux cours de langue. Comment pouvons-nous apporter notre aide? Je vais vous donner un exemple : À Ottawa, tout le monde se réunit à l'aéroport, il y a des enfants, des drapeaux canadiens, l'accueil habituel, nous sommes tous enthousiastes et nous chantons « Ô Canada ». La famille arrive et dit : « Bonjour. Comment allez-vous? Nous sommes heureux d'être ici. »
Vous avez donc une mère et deux enfants, un jeune de 21 ou 22 ans, de Damas, qui parle anglais, qui est bien instruit et tout le monde dit : « Maintenant, qu'allons-nous faire? » Nous avons ceci, nous avons cela, nous avons tout et un instant plus tard, une autre famille débarque — quand vous parrainez une famille, vous ne savez pas qui va arriver et peu vous importe. Vous savez que ce sont des êtres humains et vous les accueillez.
Puis une nouvelle famille arrive, une famille de sept personnes, de la campagne syrienne, avec un faible niveau d'instruction. Votre groupe doit travailler plus fort pour s'occuper de cette famille alors que l'autre famille est en mesure de se débrouiller. Avons-nous des leçons à en tirer pour s'adapter à la réalité différente de chaque personne? Comme chacun sait, cela exige de la compassion et beaucoup de patience.
Mme Al Hamdan : C'est certainement ce qu'ont constaté de nombreux groupes de parrainage à qui nous avons eu affaire. Le principal conseil que nous leur donnons est de contacter l'organisme d'établissement le plus proche. Les organismes d'établissement sont là pour vous aider dans votre démarche de parrainage. Non seulement ils vous mettent en contact avec les ressources et les services disponibles, mais ils vous apportent leur soutien, vous informent du contexte culturel des personnes dont vous vous occupez, et vous disent quelles sont les meilleures approches.
De nombreux groupes de parrainage s'adressent à nous ou à un conseiller en établissement arabophone pour poser des questions qui ne figurent pas dans un manuel : Puis-je leur serrer la main? Je ne dois pas leur serrer la main? Dois-je les rencontrer? Combien d'aide dois-je fournir? Est-ce que je renforce leurs capacités? Est-ce que je renforce leur autonomie? Toutes ces questions.
Ma principale recommandation serait de considérer les groupes de parrainage comme des partenaires pour le financement de l'établissement. Ils doivent participer à l'établissement des objectifs fixés pour les organismes d'établissement et la fourniture de services de première ligne parce que s'ils travaillent avec les conseillers en établissement ou les personnes sur le terrain, cela améliorera grandement l'interaction entre les groupes de parrainage et les familles parrainées.
Le président : Sénatrice Hubley?
La sénatrice Hubley : Merci beaucoup.
Sur le même thème, vous avez mentionné votre programme de jumelage de familles. Je viens d'une petite collectivité, l'Île-du-Prince-Édouard où nous partageons le même enthousiasme et la joie de faire venir des gens, le sens de l'hospitalité et de notre identité.
J'ai entendu parler de ce qu'on appelle « le mur invisible ». Les Canadiens se sont montrés très accueillants, mais à un moment donné, il ne s'agit plus d'être simplement amical, mais de se faire des amis. À ce moment-là, la situation peut être difficile des deux côtés. Je me demande si vous avez constaté ce problème? Il peut être encore trop tôt.
Deuxièmement, les êtres humains ont naturellement tendance à s'accorder avec des gens qui ont les mêmes affinités. Par conséquent, je suppose que la communauté syrienne à Toronto serait très intéressée et prête à soutenir les immigrants qui arrivent et que l'intérêt serait des deux côtés, en ce qui concerne les arts et la culture. Les arts ne semblent pas être une priorité pour le moment, mais ils le deviendront, car ces personnes ont été élevées avec certaines habitudes alimentaires et certaines traditions dont elles conservent un certain nombre. Je pense que le Canada est un merveilleux pays pour cela. Je me demande simplement comment les choses se passent sur ce plan-là.
Tout d'abord, les Canadiens doivent-ils être prêts à faire plus et ce mur invisible est-il une illusion?
Mme Khatib : Puis-je vous demander de préciser ce que vous entendez par la difficulté de ne pas être simplement amical, mais de se faire des amis? Vous avez dit que cela entraîne une situation difficile.
La sénatrice Hubley : Compte tenu de l'élan de solidarité que nous avons manifesté, dans quelle mesure cela nous aidera-t-il à aider les Syriens à s'établir? Nous sommes accueillants. Nous voulons les aider. Nous les emmenons dans nos communautés, mais la vie continue. Autrement dit, d'ici cinq ans, que sera devenue la communauté syrienne au sein de nos collectivités? Sera-t-elle intégrée ou n'y aura-t-il plus grand-chose après ce grand élan de solidarité? Les réfugiés retourneront voir vos organismes, peut-être pendant des années, s'ils ont des difficultés et je me demande si nous sommes prêts à faire face à cette situation?
Mme Khatib : C'est une question complexe.
La sénatrice Hubley : Dans ce cas, vous pourriez simplement y réfléchir.
Mme Khatib : Nous avons centré nos efforts sur les problèmes à très court terme et n'avons pas eu un seul instant pour réfléchir aux problèmes à long terme, mais c'est quelque chose à considérer. Un très large éventail de familles sont arrivées. Certaines d'entre elles s'intégreront probablement en quelques mois ou un an tandis que d'autres auront besoin de cinq ans pour s'établir parce qu'elles sont complètement illettrées et ne savent rien, n'ont jamais quitté leur ville d'origine avant la guerre, par exemple.
Je pense que nous devons être prêts à aider de nombreuses familles pendant une longue période. Oui, nous avons vu des élans de générosité qui sont retombés et des bénévoles disparaître. C'est certainement arrivé, mais pas dans tous les cas. De nombreuses personnes sont restées avec nous pendant longtemps. C'est probablement le cas pour toute cause quelle qu'elle soit, mais vous avez raison de le souligner. Nous devons penser un peu plus à long terme.
Je pense que l'emploi est une chose à laquelle nous devons penser à long terme. De nombreux Syriens que je rencontre désirent vivement travailler dans leur domaine. Certains d'entre eux travaillaient dans le domaine des soins infirmiers, de l'enseignement ou dans d'autres professions. Au Canada, il est vraiment regrettable qu'à votre arrivée ici vos études ne valent plus rien. Votre expérience ne compte pas. Il faudrait des programmes d'accréditation plus rapides ou ce genre de choses, car vous ne pouvez pas redémarrer à partir de zéro. Cela pose un énorme problème au Canada, pas seulement pour ces nouveaux arrivants, car mes parents y ont été confrontés en tant qu'immigrants. Ma mère était médecin et mon père était ingénieur, mais leurs diplômes ne valaient plus rien. Ils ont dû repartir à zéro, et si nous voulons donc aider les gens à long terme, c'est une chose dont il faut tenir compte.
La sénatrice Hubley : Les emplois que les immigrants réussissent à trouver sont-ils dans le domaine dans lequel ils ont reçu leur formation ou, comme vous l'avez dit, il n'y a pas de programmes d'accréditation pour eux? Quels sont les emplois auxquels ils ont accès?
Mme Al Hamdan : Comme l'a dit Bayan, au cours des six derniers mois, nous avons vu arriver des nouveaux réfugiés. Les obstacles auxquels ils se sont heurtés n'étaient pas bien différents de ceux auxquels se heurtent la plupart de nos immigrants dont les diplômes et l'expérience ne sont pas reconnus, surtout dans certaines professions régies par un organisme d'accréditation ou un ordre professionnel selon une procédure très rigoureuse. Les nouveaux réfugiés qui arrivent ont de moins en moins de chances de travailler dans leur domaine.
Je vais vous donner un exemple. World Education Services, WES, exige que votre université remplisse un formulaire attestant de votre scolarité. Prenez une ville comme celle où je suis allée à l'école, Alep, par exemple. Les routes sont impraticables. Il n'y a personne là-bas. Il vous est impossible d'y aller ou d'y envoyer quelqu'un, un parent ou quelqu'un d'autre, pour contacter l'université — s'il y a encore des gens à l'université.
C'est une chose dont il faut tenir compte, non seulement pour les réfugiés syriens, mais pour les autres vagues de nouveaux arrivants et de réfugiés, les gens qui ont fui des situations dans lesquelles il est pratiquement impossible de travailler. Quand vous arrivez ici et que vous pensez être enfin en sécurité, vous vous rendez compte qu'à moins que votre université ou votre établissement scolaire ne vous fournisse une attestation, vous ne pouvez pas travailler. Je comprends le point de vue des organismes de réglementation, mais en même temps, cela oblige des gens hautement qualifiés, qui représentent un capital humain pour l'économie canadienne, à occuper des emplois où leurs compétences sont gaspillées. Il n'y a pas de sots métiers, mais c'est un gaspillage de talents.
Il y a un grand nombre de bonnes initiatives au sein de la communauté. Il y a beaucoup de programmes d'intégration, mais les personnes hautement qualifiées ont très peu de chances de réintégrer leur profession.
Il y a autre chose : un grand nombre de réfugiés syriens que nous voyons sont des travailleurs spécialisés. Au Canada, les métiers sont un secteur florissant, mais en réalité, vous devez bien parler l'anglais pour pouvoir exercer un métier au Canada. En général, au Moyen-Orient, les gens de métier ne parlent pas une deuxième langue et c'est donc un autre obstacle. Il faut tenir compte de tous ces aspects.
La sénatrice Hubley : Merci beaucoup.
Le président : Je voudrais aborder de nouveau la question de la santé mentale et du stress post-traumatique, le moment où les interventions peuvent avoir lieu et avec qui, dans le cadre des programmes d'établissement, et comment cela fonctionne. Je vais vous donner deux exemples : à Ottawa, un petit garçon a reçu tous les jouets possibles à son arrivée, mais une semaine plus tard, personne ne pouvait trouver les jouets en question. Finalement, après beaucoup d'exhortations, il a emmené quelqu'un dans sa chambre, mais les jouets n'y étaient pas visibles. Il avait l'air très nerveux. Il a fini par montrer que tous les jouets étaient alignés sous son lit. Pourquoi les jouets étaient-ils là? Parce qu'il ne voulait pas que les soldats ou quelqu'un d'autre viennent les lui voler. Cela le rendait très nerveux. Pouvez-vous imaginer une chose pareille? Maintenant il vit ici. Voilà à quoi ressemble son trouble de santé mentale et de stress post- traumatique.
Également, une mère est allée à l'école chercher son enfant après la classe, mais elle avait oublié qu'une des personnes du programme de parrainage devait conduire l'enfant chez le dentiste pour y recevoir beaucoup de soins. Elle était complètement paniquée. Qu'a-t-elle pensé? Qu'il était kidnappé; qu'il avait été enlevé. La famille n'était là que depuis deux ou trois mois.
Comment intervient-on dans ce genre de situations? Comment cela fonctionne-t-il, car je pense que c'est un gros problème, tout comme les problèmes d'ordre médical. Un enfant déverse sa colère sur les autres dans la cour d'école parce qu'il essaie d'apprendre l'anglais, il souffre et a tous ces problèmes. À quel moment intervient-on et qui s'en charge? Il ne faut pas laisser traîner les choses.
Dr Rashid : Il faut les diriger vers les soins primaires et je ne cesse de le répéter, car je pense que c'est vraiment un bon exemple. Nous voyons des comportements qui peuvent être très inquiétants et qui sont parfois symptomatiques d'un profond traumatisme, mais pas toujours. Il existe des moyens de dépister ces problèmes.
Pour beaucoup de gens, les choses s'arrangent avec le temps. Il se peut que dans un an, l'enfant en question aille très bien, qu'il soit bien adapté ou que ce ne soit pas le cas. Si ces personnes ont besoin d'interventions plus spécialisées ou de services de counseling ou encore de médicaments, c'est vraiment aux fournisseurs de soins primaires qu'incombe la responsabilité de le déterminer.
Des gens de la communauté m'ont demandé de parler aux groupes de parrainage privés des symptômes de troubles mentaux et voici ce que je dis aux gens : il est vraiment important que vous soyez conscients des problèmes potentiels, mais orientez ces personnes vers les soins primaires parce que c'est vraiment là qu'on déterminera ce qui est grave et ce qui ne l'est pas, s'il est important de faire appel à des spécialistes de l'extérieur qui pourront s'en occuper avec un peu de temps et de soutien.
Mme Al Hamdan : Pour ce qui est des enfants qui vont à l'école, si la famille n'a pas été mise en relation avec des organismes d'établissement par l'entremise du groupe de parrainage, il y a aussi des agents d'établissement dans les écoles. Il y a donc un système en place. Les nouveaux arrivants sont parfois laissés de côté à cause de leur grand nombre, mais il existe des moyens d'y remédier. Par exemple, ils entreront en contact avec le professeur d'anglais langue seconde parce que jusqu'à la troisième année, les enfants sont dans le système général, mais ensuite, ils vont dans les classes spéciales d'anglais langue seconde.
Il faut favoriser la mise en relation, par l'entremise des cours d'anglais, avec le travailleur social, l'organisme d'établissement ou le fournisseur de soins de santé primaires. Comme l'a dit le Dr Rashid, tout le monde ne réagit pas de la même façon à un traumatisme et ne subira pas, toute sa vie, les effets d'un incident. Il est important d'établir une relation, de s'assurer qu'il y a un réseau de soutien, par l'entremise des agences d'établissement, ou des fournisseurs de soins de santé qui ont d'ailleurs fait un excellent travail sur ce plan-là. Les infirmières de la santé publique ont également joué un rôle très utile sur le plan de la santé mentale.
Dr Rashid : Je peux vous citer un exemple. Ce n'était pas un réfugié syrien, mais je suis sûr que vous rencontrerez d'autres cas de ce genre. C'est un homme que j'ai vu il y a quelques années et que j'ai dû voir une dizaine de fois au cours de sa première année au Canada. Il avait six enfants. Je connaissais très bien sa famille, mais il lui a fallu environ 18 mois pour nous dire qu'il se réveillait toutes les deux heures en criant, après un cauchemar, et cela depuis 20 ans.
Et ce n'est pas parce que nous ne lui avons pas posé la question, mais encore une fois, je crois qu'il lui a fallu tout ce temps pour se sentir en sécurité. Il lui a fallu tout ce temps pour s'assurer que ses enfants étaient à l'école et il avait d'autres priorités à régler à son arrivée.
Sa femme a mis environ deux ans et demi à nous avouer qu'il la maltraitait, et cela, depuis 20 ans. Un jour, elle nous a appelés du viaduc Bloor parce qu'elle avait envie de sauter. Néanmoins, elle a appelé et je pense que c'était parce que nous avions une bonne relation.
Encore une fois, ce n'est pas faute de lui avoir posé la question à son arrivée et au cours des trois ou six premiers mois, mais c'est parce que notre relation était d'une importance cruciale pour que ces personnes se sentent en sécurité et sachent qu'elles pouvaient appeler quelqu'un si les choses tournaient mal.
Quant à l'enfant qui cachait ses jouets, c'est merveilleux d'avoir pu s'en rendre compte, mais combien d'enfants cachent leurs jouets sans qu'on le sache et combien d'entre eux auront des problèmes plus graves d'ici six mois? Les enseignants disent qu'ils n'écoutent pas en classe. Quelqu'un dira qu'ils souffrent d'un trouble déficitaire de l'attention ou d'autre chose. S'il y a un endroit sûr et un visage familier auquel ils peuvent s'adresser, ce sera beaucoup plus facile. Une relation s'établit et on n'a pas à chercher loin quand on constate que quelqu'un ne va pas bien. Voilà un besoin de plus à combler, je pense.
Le président : Merci.
Le sénateur Ngo : Le gouvernement dit qu'il a atteint le nombre de 25 000. Nous savons que les 25 000 Syriens qui sont arrivés au Canada ont de nombreux problèmes. En ce qui concerne le logement, nous entendons dire qu'ils vont d'un hôtel à l'autre.
Récemment, le gouvernement a annoncé qu'il allait accepter 10 000 ou 15 000 nouveaux réfugiés. D'après votre expérience, quels changements recommandez-vous d'apporter pour l'établissement des prochains 10 000 ou 15 000 réfugiés afin que nous n'ayons pas les problèmes auxquels nous sommes déjà confrontés?
Mme Khatib : Nous avons déjà eu l'occasion de mettre de nombreux systèmes en place. Nous avons eu des difficultés, il y a quelques mois, en décembre, quand les réfugiés sont arrivés tout d'un coup, mais nous sommes maintenant beaucoup plus prêts et je pense donc que ce ne sera pas aussi difficile cette fois-ci.
Beaucoup de gens ont déjà formé des groupes. COSTI a beaucoup appris. La communauté syrienne a beaucoup appris. Tous les groupes d'aide ont mis en place des systèmes et une organisation. Je crois donc que les choses iront beaucoup mieux cette fois.
Je pense que le Canada peut absorber beaucoup plus de réfugiés syriens. La crise en Syrie continue et la crise humanitaire s'aggrave. La meilleure chose que nous puissions faire est d'accueillir davantage de réfugiés syriens, et surtout d'aider à réunir certaines familles.
Le sénateur Ngo : Vous ne recommandez donc aucun changement?
Mme Khatib : Si nous entrons dans les détails, la meilleure chose à faire, selon moi, est d'essayer d'accorder plus tôt aux familles la Prestation fiscale pour enfants et non pas trois mois plus tard. C'est trop long. C'est important pour elles. Comme je l'ai dit, il faut améliorer le mobilier afin qu'il soit sécuritaire. Continuez de soutenir le travail qui est fait dans la communauté. Le programme de jumelage des familles est vraiment excellent. Il y a tellement de bons programmes, tellement d'excellentes choses qui se passent dans la collectivité. Si le gouvernement continue de soutenir ce travail, je pense que tout sera bien.
Le sénateur Ngo : Avez-vous quelque chose à dire?
Dr Rashid : Je dirais qu'il faut faire venir les réfugiés. Nous sommes prêts. En ce qui concerne les soins de santé, je pense que le problème n'était pas nécessairement un manque de ressources. Nous avons peut-être eu une semaine à 10 jours de retard, ce qui a créé des problèmes en cascade. Si nous avions eu 7 à 10 jours supplémentaires, nous aurions été prêts. Je pense que souvent, on a dépensé beaucoup d'énergie à colmater les brèches au lieu de planifier les programmes.
Dans une ville comme Toronto, nous accueillons chaque année entre 80 000 et 120 000 nouveaux immigrants. Nous avons accueilli 4 500 réfugiés syriens en deux mois. Nous parlons d'en accueillir à peu près le même nombre au cours d'une année. Nous pouvons y faire face. Les chiffres n'ont rien d'écrasant.
Vous avez demandé comment nous pourrions améliorer les choses. Dans le domaine des soins de santé, nous laissons le système fonctionner et je pense que les joueurs étaient tous là. La coordination est devenue un peu plus problématique lorsque nous n'avons pas reçu les messages aussi vite qu'il aurait fallu. Cela aiderait certainement à améliorer les choses.
J'ai toujours pensé que le système de soins de santé avait la capacité de s'occuper de beaucoup plus de réfugiés et je ne pense pas que c'est le manque des ressources humaines qui a posé un problème lors de l'arrivée de Syriens. Les ressources humaines étaient en place. Elles attendaient. Les gens avaient hâte d'apporter leur contribution. Il s'agissait seulement d'assurer une coordination pour que ces personnes reçoivent des soins.
Le sénateur Ngo : Avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Al Hamdan : Je voudrais seulement ajouter quelque chose à ce qu'ont dit le Dr Rashid et Bayan. La structure est déjà là et nous avons beaucoup appris. En l'espace de trois mois, nous avons pu absorber 25 000 personnes. La leçon à retenir, je pense, est que des petites choses font une grosse différence. Il s'agit des liens entre les réseaux de soutien, par exemple, avec le secteur de l'établissement, avec le système des soins de santé. Il y a aussi des éléments clés comme la stimulation et le renforcement de l'intérêt du public pour le parrainage des réfugiés afin de favoriser ces initiatives. Il faut aussi améliorer le soutien dans les petites communautés. Chacun sait que la plupart des nouveaux arrivants sont venus à Toronto, mais il y a au Canada d'autres villes qui ont besoin d'une aide plus importante pour bien accueillir les réfugiés.
Pour ce qui est de notre recommandation, la structure est là, l'élan est là, de même que la générosité du public. Tous les éléments sont réunis. Le système a été revitalisé, mais il a besoin d'un peu plus d'améliorations et de soutien. Nous allons certainement pouvoir absorber plus de réfugiés et la crise des réfugiés syriens nous a montré que nous pouvions répondre aux crises mondiales des réfugiés. Le Canada pourra absorber ces réfugiés, vague après vague.
Le sénateur Ngo : Le comité a soulevé cette question avec le ministre lorsque nous avons discuté avec lui, la semaine dernière, du parrainage privé. Les groupes de parrainage attendent et sont découragés de n'avoir reçu aucun réfugié. Le gouvernement dit qu'il y travaille.
J'ai une autre question à vous poser, madame Khatib. Vous avez mentionné que vous aviez organisé un atelier sur les différences entre les Canadiens et les réfugiés. Vous avez dit que vous aviez un atelier pour les hommes et les femmes. Les hommes ont-ils eu des réactions négatives à cause de ces différences ou les ont-ils acceptées en disant : « Nous sommes maintenant au Canada. C'est la culture du Canada et les traditions canadiennes. Voilà ce qu'il faut accepter. » Ont-ils eu des réactions négatives?
Mme Khatib : Non, les réactions ont été bonnes. Je n'ai remarqué aucune réaction négative. Je pense qu'ils comprennent qu'ils arrivent dans un environnement différent et une culture différente. Je crois qu'ils savent qu'ils doivent s'intégrer.
Nous avons eu deux ateliers distincts, un pour les femmes et un pour les hommes. Nous voulions qu'ils puissent s'exprimer librement et nous ne voulions pas aborder certains sujets. Je n'ai pas assisté complètement à l'atelier pour les hommes parce que je ne voulais pas les mettre mal à l'aise. Je pense que ceux qui savaient qu'ils devaient changer sont restés silencieux et ont baissé les yeux. Ils savent qu'ils doivent le faire et je pense qu'il faut continuer à travailler auprès de ces familles. Ils savent que les choses doivent changer. Là-bas, ils pouvaient se permettre certaines choses, ici, ils ne le peuvent pas.
Nous avons parlé de ce qui a été fait. Je pense que certaines choses positives ont eu lieu parce qu'au moins deux ou trois femmes que je connais ont défendu leurs droits. Elles ont exigé qu'on mette fin à une relation abusive. Elles sont maintenant autonomes. Elles savent qu'elles peuvent réussir leur vie seules. Elles se sentent plus fortes. Nous devons travailler davantage sur ce plan-là, mais nous avons déjà eu des bons résultats.
Le sénateur Ngo : Merci.
Le président : Il nous reste seulement quelques minutes et ce témoignage a été très convaincant, surtout à propos des droits des femmes.
COSTI a témoigné avant vous. Son représentant a parlé du logement et une des choses qui m'ont frappé dans sa déclaration était ces paroles : « Nous exhortons le gouvernement canadien à élaborer une stratégie nationale de logement pour remédier à la pénurie des logements abordables dans les grands centres comme Toronto parce que le logement absorbe plus de 50 p. 100 du revenu. » C'est censé être environ 30 p. 100.
Avez-vous une idée de la façon dont cela pourrait fonctionner? Je sais qu'à Montréal il y a ROMEL qui participe à la création de logements sociaux et de garderies. Avez-vous une opinion à ce sujet et sur la façon dont on pourrait le faire sans créer des ghettos et dicter aux gens où ils doivent vivre au lieu que nous vivions tous ensemble?
Mme Al Hamdan : Je ne pense pas que ce soit le cas dans l'ensemble du pays, mais en réalité, dans les centres urbains comme Toronto, le logement est vraiment coûteux. Ce n'est pas seulement pour les réfugiés ou les familles à faible revenu, mais pour tout le monde. Il faut une approche globale et nous devons nous demander si nous avons un parc de logements suffisant. Y a-t-il suffisamment de logements? Je ne pense pas qu'il y en ait suffisamment pour le grand nombre de gens qui s'installent dans le Grand Toronto.
Je crois que des initiatives ont été prises, dans l'Ouest, pour construire davantage de logements à l'intention des nouveaux arrivants. Pour ce qui est de Toronto, nous nous occupons uniquement des besoins immédiats, sans avoir de stratégie.
Mme Khatib : La solution serait peut-être en partie d'inciter les nouveaux arrivants à ne pas rester à Toronto, mais à s'installer également dans les régions voisines et de leur apporter de l'aide dans ces régions afin qu'ils puissent y vivre confortablement.
Le président : Avant de conclure, nous aimerions que vous nous fassiez tous les trois des recommandations au sujet de ce que vous voudriez que nous recommandions au gouvernement fédéral actuel. C'est ce que nous faisons au Sénat. C'est ce que fait notre comité. Parfois, le gouvernement écoute, parfois il n'écoute pas, mais nous avons des idées assez progressistes et nous poussons les idées qui viennent de vous. Auriez-vous une recommandation que vous jugez extrêmement importante?
Zena, je sais que vous en aviez une, au départ, qui vaut la peine d'être répétée.
Mme Al Hamdan : Il y a trois principales recommandations : soutenez davantage les groupes de parrainage, surtout dans les endroits éloignés, les endroits non urbains où il n'y a pas d'aide à l'établissement et à l'intégration, desservez et soutenez les groupes de parrainage dans des ententes de contribution des organismes d'établissement. C'est une première recommandation.
D'autre part, nous manquons sérieusement de programmes pour les enfants âgés de 6 à 12 ans alors que, plus l'intervention est précoce, meilleurs sont les résultats. Également, le modèle des services d'établissement laisse parfois à désirer sur le plan de l'information et de l'aiguillage. Nous recommandons vivement un modèle de services basé sur la gestion des cas, surtout pour les personnes vulnérables ou ayant des problèmes de mobilité qui désirent avoir accès à des services, un modèle de gestion des cas mobile.
Dr Rashid : En ce qui me concerne, la difficulté a toujours été d'inclure la santé dans les programmes d'établissement. Nous savons tous diriger les gens vers les services de santé lorsqu'ils se plaignent d'un problème médical, mais nous avons toujours fait valoir qu'il faudrait mettre les réfugiés en relation avec les soins de santé primaires au cours des premières semaines, même lorsqu'ils sont bien portants.
Je ne sais pas si le gouvernement doit mettre en place ce genre de système. Je sais que certaines provinces, par exemple, le Québec, ont adopté une approche plus ciblée. Je pense qu'il serait très utile de faire cette suggestion.
Mme Khatib : Pour ce qui est des réfugiés parrainés par le secteur privé, il faudrait accélérer au moins le traitement des demandes qui ont déjà été faites. Nous savons déjà combien de groupes de parrainage qui attendent sont frustrés. La réunification des familles est très importante.
Pour ce qui est des réfugiés parrainés par le gouvernement, il faudrait des logements subventionnés — car ce n'est pas très abordable pour eux — et reconnaître qu'au cours des trois premiers mois, il leur est impossible de joindre les deux bouts sans la prestation fiscale pour enfants. Cela a été très mal pensé. De nombreuses familles que je connais n'ont pas d'argent pour la nourriture et c'est donc vraiment un grave problème. Il faut verser la prestation fiscale pour enfants dès le début.
Enfin, comme je l'ai déjà mentionné, il faut se servir de l'aide de la communauté canado-syrienne. Nous estimons que nous sommes un lien important dans tout ce merveilleux travail qui est fait. C'est tout.
Merci.
Le président : Merci beaucoup. C'est un témoignage très convaincant et très important pour nous. Je tiens à vous remercier de votre présence ici.
Nous allons faire une pause de 15 minutes. Il nous reste seulement un autre groupe à entendre cet après-midi. Cette réunion aura lieu à huis clos avec des familles qui ont décidé de nous parler.
(La séance est levée.)