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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 25 - Témoignages du 14 février 2018


OTTAWA, le mercredi 14 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 34, pour poursuivre son étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour.

Avant de commencer, autorisez-vous les Communications à prendre des photos pendant la séance de ce matin?

Des voix : Oui.

La présidente : Merci.

Je vous remercie d’être ici aujourd’hui, honorables sénateurs, mesdames et messieurs, ainsi que tous ceux qui nous écoutent en direct sur Facebook, dans le cadre de notre discussion sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

Pour souligner le mois de l’histoire des Noirs, la réunion d’aujourd’hui portera sur l’expérience des personnes de race noire dans les prisons fédérales. Avant de commencer, je demanderais à tous les sénateurs de se présenter à tour de rôle. Nous allons commencer par ma droite.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de Toronto, Ontario.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse. Soyez les bienvenus.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

C’est aujourd’hui le jour de la Saint-Valentin. J’aimerais profiter de l’occasion pour dire que c’est apparemment un prisonnier qui a envoyé la toute première carte de Saint-Valentin à un prêtre ou un gardien de prison. Je pense que c’est pertinent de le mentionner, étant donné que nous étudions les droits de la personne des prisonniers le jour de la Saint-Valentin.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick. Je vous souhaite la bienvenue à tous.

La présidente : Je suis Wanda Thomas Bernard, la présidente du comité, et je viens de la Nouvelle-Écosse.

Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir par vidéoconférence Mme Theresa Halfkenny, du Comité consultatif régional ethnoculturel. Elle est présidente du Service correctionnel du Canada pour la région de l’Atlantique.

Je tiens à dire qu’il se peut que nous éprouvions des difficultés techniques. Il y a actuellement des problèmes avec le son. Nous ferons de notre mieux. Nous allons commencer par vous, madame Halfkenny, puis nous allons ensuite entendre Mme Natalie Charles. Si nous ne sommes pas en mesure de recueillir votre témoignage aujourd’hui, nous allons vous fixer une autre rencontre. Commençons sans plus tarder. La parole est à vous.

Theresa Halfkenny, présidente, région de l’Atlantique, Service correctionnel du Canada, Comité consultatif régional ethnoculturel : Merci. Je vous remercie de me donner cette occasion de comparaître devant le comité aujourd’hui.

Je suis la présidente du Comité consultatif régional ethnoculturel dans la région de l’Atlantique, et au sein du comité…

La présidente : Je suis vraiment désolée, madame Halfkenny, mais les interprètes ne peuvent pas faire l’interprétation, alors nous ne pourrons pas recueillir votre témoignage aujourd’hui. Je suis profondément désolée.

Mme Halfkenny : Je comprends. C’est la technologie.

La présidente : C’est merveilleux lorsque cela fonctionne. Il y a un problème avec l’interprétation. Nous ne pouvons pas continuer si les interprètes ne vous entendent pas. Nous allons donc recommuniquer avec vous pour organiser une autre séance.

Mme Halfkenny : Excellent.

La présidente : Si vous le souhaitez et si vous avez le temps, nous vous invitons à demeurer à l’écran puis à écouter le témoignage de Mme Charles.

Mme Halfkenny : D’accord. C’est ce que je vais faire.

La présidente : Merci.

Nous sommes ravis que notre deuxième témoin soit arrivé plus tôt puisqu’elle pourra prendre la parole tout de suite.

Cela dit, nous sommes heureux d’accueillir Mme Natalie Charles ici à Ottawa. Elle va nous parler de son expérience alors qu’elle était détenue dans le système fédéral. Elle reçoit l’appui de Mme Sophia Brown Ramsay, que nous avons rencontrée la semaine dernière à Kitchener. Elle fait également partie du Comité consultatif ethnoculturel de la région de l’Ontario.

Madame Charles, nous vous invitons maintenant à prendre la parole. Je sais que vous voulez nous raconter votre histoire, votre expérience, après quoi les sénateurs vous poseront des questions. Merci beaucoup.

Natalie Charles, ex-détenue fédérale, à titre personnel : Merci infiniment de m’avoir invitée à témoigner. Je m’appelle Natalie Charles et je viens de Toronto. Je veux tout simplement vous raconter mon histoire qui est unique, puisque j’ai été en contact avec de jeunes contrevenants. J’étais moi-même une jeune contrevenante qui a été inculpée en tant qu’adulte, alors mon histoire est légèrement différente.

Pour vous parler un peu de moi, sachez que — je suis désolée, je suis nerveuse, alors ma voix tremble un peu. J’étais très jeune lorsque j’ai eu mes premiers démêlés avec la justice. J’avais peut-être 13 ou 14 ans, et cela s’est poursuivi jusqu’au milieu de la vingtaine.

J’ai commis beaucoup de bêtises pendant ma jeunesse. Mon petit ami de l’époque a fait en sorte que je me suis attiré des ennuis, car je me battais et j’étais tout simplement désobéissante. En tant qu’adulte, je me suis retrouvée mêlée à toutes sortes d’histoires, et j’ai fait des choses que je n’aurais pas dû faire, ce qui a mené à mon incarcération.

Mon incarcération m’a permis de tirer des leçons positives, mais aussi négatives. Tout d’abord, évidemment, on ne veut pas retourner en prison. On ne veut pas décevoir sa famille ni se décevoir soi-même. L’aspect négatif, c’est qu’on rencontre d’autres personnes qui sont mêlées au type d’activités auxquelles on s’adonnait ou pire, et on se trouve à créer des liens à l’intérieur de la prison, ce qui n’est pas une bonne chose.

J’ai trouvé que le racisme était très présent. Il y a un climat de violence et de tromperie qui règne au sein du système carcéral. Si les gardiens savent qu’on vient d’une certaine région, par exemple, ou qu’ils ne nous aiment pas, ils vont nous mettre dans une certaine cellule pour qu’on nous attaque. Il y a beaucoup de choses qui se passent.

Il y a tant à dire.

Ce que j’ai appris de plus important, c’est que mener une vie de délinquant, ce n’est clairement pas la chose à faire. Il ne faut jamais avoir de démêlés avec la justice. J’ai 39 ans aujourd’hui et j’ai du mal à faire mon chemin. Mon casier judiciaire est comme un nuage qui plane au-dessus de ma tête et qui ne veut pas se dissiper.

Je fais tout ce que je peux. Je suis actuellement inscrite à un programme de techniques juridiques que je vais terminer en avril. J’ai demandé le pardon une première fois, et il a fallu cinq ans avant que j’aie des nouvelles. Lorsque j’en ai eu, malheureusement, ce n’était pas de bonnes nouvelles. Cela ne m’a toutefois pas arrêtée. J’ai présenté une autre demande et, en août prochain, cela fera un an, alors j’espère pouvoir obtenir ma réhabilitation.

Je suis très stressée en ce moment. J’ai un stage qui s’en vient. Mon casier judiciaire me nuit énormément, parce que tous les stages qui m’intéressent sont administrés par le gouvernement et ils procèdent tous à une vérification du casier judiciaire.

Je me sens comme si j’étais au point mort. Cependant, je me dis que quand on veut, on peut. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour me défaire de mon passé, car mes antécédents sont en train de compromettre mon avenir. Lorsque les gens croient s’en être sortis, il y a toujours leur casier judiciaire qui leur rappelle leur passé et qui constitue un obstacle énorme dans leur vie. J’aimerais qu’il y ait des programmes qui soient offerts, par exemple, aux jeunes contrevenants.

Lorsque j’étais plus jeune, je me souviens qu’il y avait un travailleur social auprès des tribunaux qui venait nous rencontrer. Il était d’origine africaine, et son approche était très différente de l’approche adoptée par les Sociétés John Howard ou Elizabeth Fry. Il s’occupait des gens de ma culture, et son aide était beaucoup plus utile que l’aide offerte par les gens de la Société John Howard, par exemple, qui avait 30 cas à gérer et donc 30 personnes à qui parler. Notre travailleur social afro-canadien s’occupait uniquement de notre communauté. Nous avions donc beaucoup plus de temps pour discuter avec lui. Il nous expliquait le fonctionnement et il nous aidait à trouver une caution, un avocat, et cetera.

C’est énorme. Lorsque j’étais incarcérée, ma sœur était âgée de deux ans à l’époque, et c’est grâce à elle si j’ai repris ma vie en main. Je ne voulais pas qu’elle me voie dans ce milieu, derrière les barreaux, pendant cette période sombre de ma vie. J’ai beaucoup appris. J’arrive à vous sourire aujourd’hui, parce que j’ai parcouru énormément de chemin et que je veux maintenant profiter de la vie. J’espère sincèrement que des mesures seront mises en place à l’intention des Canadiens de race noire, ne serait-ce qu’un peu de soutien dans les différentes régions. Il serait même bon d’expliquer aux jeunes dans les écoles l’incidence que peut avoir un casier judiciaire sur leur avenir.

Nous faisons déjà l’objet de profilage racial dans la vie de tous les jours, que ce soit par la mode du pantalon descendu ou d’autre chose. On est déjà placé dans une catégorie où l’on est victime de préjugés, alors il serait bien que quelqu’un éduque notre communauté sur ce que nous devrions faire et sur les objectifs que nous devrions nous fixer.

Par ailleurs, lorsque j’ai commencé à être impliquée dans des activités criminelles, j’ai rencontré un conseiller en orientation. Je lui ai dit que je voulais devenir avocate. Il m’a tout de suite répondu que j’étais peut-être un peu trop vieille et que comme j’étais enceinte, je devrais plutôt opter pour l’éducation de la petite enfance. Cela m’avait complètement bouleversée, car je n’avais plus de but. Je ne savais plus ce que je voulais faire dans la vie. J’étais perdue et j’ai eu encore plus de démêlés avec la justice, parce que je n’aspirais plus à rien.

Par conséquent, selon moi, il est très important d’avoir en place un système de soutien destiné aux jeunes. Pour les adultes, je crois qu’il faudrait offrir une sorte de programme de réhabilitation. En ce qui me concerne, cela fait au moins 15 ans que je n’ai pas eu de problèmes. Mon fils est aujourd’hui âgé de 11 ans. J’aimerais tellement qu’on me considère aujourd’hui comme étant réhabilitée, mais ce n’est pas le cas. Je suis encore dans l’attente et l’incertitude.

Mon avenir en dépend. Ma mère est décédée il y a près de 10 ans. Je suis le seul soutien de ma famille, et ma sœur — je m’en occupe depuis qu’elle a 15 ans. Mon fils avait un an et demi, et ma fille, 10 ans.

Lorsque ma mère est décédée, j’ai pris les choses en main et j’ai assumé mes responsabilités, non pas parce que j’étais obligée de le faire, mais parce que c’était très important pour moi et que ma famille avait besoin de moi.

Je ne suis plus la même personne que j’étais il y a 2 ans, 5 ans, 10, 15 ou 20 ans. Je suis une personne complètement différente. J’aimerais pouvoir démontrer tout ce que j’ai accompli au sein de ma collectivité pour enfin être considérée comme étant réhabilitée et une bonne citoyenne.

La présidente : Je vous remercie infiniment, madame Charles, de votre témoignage. Les sénateurs vont maintenant vous poser quelques questions.

La sénatrice Ataullahjan : Merci, madame Charles, de nous avoir raconté votre histoire. Je pense que vous avez très bien réussi. En fait, cela fait déjà 15 ans.

Dès le début de cette étude, nous avons réalisé qu’il fallait que les choses changent. Nous devons offrir plus d’aide et de soutien aux jeunes contrevenants, surtout lorsqu’ils quittent la prison.

La semaine dernière, lorsque nous avons visité une prison pour femmes, nous avons entendu des histoires horribles de racisme et d’insultes de la part du personnel, des choses que je ne peux même pas répéter. Est-ce quelque chose que vous avez subi également?

Mme Charles : Si vous faites des choses que les gardiens n’aiment pas, ou si vous parlez fort ou que vous faites valoir votre point de vue, on considère que vous défiez l’autorité, et cette réputation vous suit partout. S’ils ne vous traitent pas de tous les noms, ils se mettent tous ensemble pour vous battre, que ce soit dans les toilettes ou dans votre cellule. Cela se passe principalement dans les cellules; ils vont littéralement se mettre à deux, trois ou quatre pour vous battre. Ensuite, on vous accuse de faire entrave à la justice et on vous place en isolement. Vous êtes laissé à vous-même. Cela m’est arrivé à quelques reprises. Je ne faisais que me défendre et je n’avais rien fait de mal. J’essayais de raconter ma version de l’histoire, mais je suppose que parce que je parlais fort ou qu’on me percevait comme étant provocante, je finissais toujours en isolement.

La sénatrice Ataullahjan : On nous a également dit que les prisonniers pouvaient subir des représailles à la suite du dépôt d’une plainte.

Mme Charles : Absolument.

La sénatrice Ataullahjan : En effet, personne ne veut se plaindre.

Mme Charles : On ne se plaint pas. Lorsqu’on se plaint, cela ne donne absolument rien. On peut comparer cela à la police. Lorsqu’on dépose une plainte, on l’adresse essentiellement au sergent. Le sergent va ensuite transmettre le dossier à ses supérieurs, mais il reste que c’est toujours la police qui s’occupe de votre dossier. Comment puis-je me sentir en sécurité alors?

Il faudrait donc qu’il y ait un organisme indépendant, en dehors du système judiciaire ou carcéral, qui n’a rien à voir avec eux, et à ce moment-là, je peux vous garantir qu’il y aurait des tonnes de plaintes. Il ne faut pas oublier qu’ils sont responsables de vous. Votre vie est entre leurs mains, alors vous devez vous conformer. Vous ne pouvez pas vous plaindre.

La sénatrice Ataullahjan : Y a-t-il au moins des services de soutien sur place? Lorsque vous aviez l’impression d’être seule au monde, y avait-il quelqu’un sur qui vous pouviez compter? Y avait-il un groupe ou une aide quelconque à votre disposition?

Mme Charles : Non, il n’y avait rien du tout — aucun service de soutien ou de counseling. Supposons que vous êtes blessé et que vous devez rencontrer un médecin ou une infirmière — désolée, mais vous allez rencontrer une infirmière. L’infirmière arrive, mais ce qu’elle peut faire est très limité. Si vous avez été battue, elle va soigner vos blessures, mais il n’y a rien d’autre qu’elle puisse faire. Il n’y a aucun système de soutien. Il n’y a personne à qui vous pouvez raconter ce qui s’est passé. Personne ne vous demande comment vous vous sentez. Il faudrait qu’un organisme de l’extérieur fasse des visites aléatoires dans les prisons pour voir comment se portent les détenus. C’est ce qu’il faut faire.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez dit que lorsque des représentants ethnoculturels sont venus vous parler, vous aviez l’impression d’être appuyée et de pouvoir vous inspirer d’eux. Participez-vous à des conférences? Est-ce que vous prenez la parole au sein de votre collectivité afin de raconter votre expérience aux jeunes et de leur expliquer à quel point vous auriez fait les choses différemment? Comme vous l’avez dit, vous avez commis des bêtises. Vous avez eu des démêlés avec la justice dès l’âge de 13 ou 14 ans. Les jeunes ont besoin d’entendre cette histoire. Cela dit, si ce n’est pas déjà quelque chose que vous faites, je vous proposerais de le faire.

Mme Charles : Pour être honnête, j’y ai déjà réfléchi. En fait, cela fait un bon moment que j’y pense. Cependant, les ressources au sein de notre collectivité sont très limitées. J’ai eu un incident — sans trop entrer dans les détails de ma vie personnelle — où j’ai dû me tourner vers les gens de ma collectivité, et personne n’était là pour m’aider. Alors j’ai ressenti une profonde colère.

J’aimerais que nous puissions avoir un endroit où trouver des avocats, des conseillers ou des intervenants qui pourraient nous dire ce qui se passe dans notre collectivité, que ce soit dans le système carcéral, dans la SAE ou dans le système scolaire, vous comprenez? N’oubliez pas que nous sommes ciblés à un très jeune âge. Notre cible vient de l’école. On devient un adolescent à l’école secondaire. Lorsqu’on commence à porter des pantalons toujours plus bas, on appartient à un groupe différent, n’est-ce pas? Et si on a des démêlés avec la justice à ce moment-là, c’est fini.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup, madame Charles, de nous raconter votre histoire. C’est lorsque nous entendons des histoires personnelles que nous savons que nous devons formuler des recommandations qui feront une différence. Nous vous sommes donc très reconnaissants. Madame Brown Ramsay, nous sommes heureux de vous revoir après la semaine dernière.

La semaine dernière, c’était la première fois que j’allais dans une prison pour femmes ou dans une prison pour hommes. Lorsque je suis allée dans le quartier d’isolement cellulaire, j’ai ressenti un immense désespoir pour toutes les personnes qu’on y enferme. Est-ce ce que ressent un prisonnier enfermé dans une telle cellule? Je quittais les lieux ce jour-là. Que se passe-t-il lorsque vous êtes mis en isolement cellulaire?

Mme Charles : Tout d’abord, on enlève le matelas. Je suis enfermée dans cette pièce. Pourquoi m’enlève-t-on mon matelas, alors que je dois m’étendre? Je dois donc m’étendre sur un plancher dur en béton, et il y a une petite fenêtre. La pièce est minuscule. Si je ne marche pas de long en large, j’ai l’impression de devenir folle.

Si vous êtes une personne qui cause des problèmes, par exemple si vous faites du bruit, vous n’aurez pas le droit de prendre une douche. On vous enlèvera cela. Mais si vous êtes tranquille et que vous n’avez rien à dire, vous pourrez prendre votre douche. C’est littéralement comme si vous deveniez fou. C’est comme si vous deveniez fou, car vous êtes enfermé et vous ne pouvez aller nulle part. J’ai dû passer deux semaines en isolement. Je croyais que j’allais devenir folle.

La sénatrice Cordy : Parce que la pièce n’était pas très grande?

Mme Charles : Elle n’était pas très grande, et il n’y avait pas de matelas. Et je ne pouvais parler à personne. Même lorsque je voulais plaider ma cause et préciser comment la situation s’était déroulée, je ne pouvais même pas parler à la personne responsable. On vous fait taire. Les gardiens ne vous permettent pas de vous adresser à leurs supérieurs lorsque vous êtes en isolement, et vous n’avez donc aucun espoir. Il n’y a pas d’humanité, il n’y a pas d’espoir. Il n’y a rien. Vous ne pouvez rien faire.

La sénatrice Cordy : Nous avons entendu des histoires similaires à la vôtre relativement au racisme qui existe dans le système. Nous avons rencontré différents groupes, et nous avons entendu dire qu’ils avaient souvent l’impression qu’un groupe racial ou un groupe ethnique était monté contre un autre groupe racial ou un autre groupe ethnique. Est-ce votre expérience?

Mme Charles : Cela s’applique également à la région d’où vous venez. Comme je l’ai dit plus tôt, à votre arrivée dans le système, si vous venez par exemple d’une certaine région de Toronto et que les prisonniers d’une autre section viennent d’une certaine région de Toronto, ils savent que vous êtes venue ici auparavant et que vous causez des problèmes. Ils vont donc vous mettre dans la même section. Vous vous faites donc battre par les autres prisonniers qui sont là, soit parce que vous n’êtes pas de la même région, soit parce que vous avez eu des problèmes avec eux auparavant. Ils savent tout cela, mais ils le font de façon délibérée.

La sénatrice Cordy : J’ai été frappée par l’un de vos commentaires selon lequel vous avez besoin qu’on vous donne une chance. Je suis sûre qu’il y a d’autres gens dans votre situation. Quelqu’un doit vous donner une chance. Le pardon est un exemple qui permettrait de vous donner une chance. Que ne faisons-nous pas et que devrions-nous faire pour les gens qui n’ont causé aucun problème pendant 15 ans, par exemple dans votre cas? Combien faut-il de temps pour prouver votre bonne volonté?

Mme Charles : S’agit-il des pardons de la Commission des libérations conditionnelles? Avec la Commission des libérations conditionnelles, dans le cas d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire — et on a récemment modifié cela —, je crois que c’est maintenant cinq ans. Les actes criminels prennent de 8 à 10 ans, je crois. Mais c’est le temps de réadaptation nécessaire pour faire une demande.

Une autre chose qui n’est pas mentionnée, c’est que si on vous a imposé une suramende compensatoire et que vous ne l’avez pas payée, c’est-à-dire qu’au moment de faire une demande de pardon, vous apprenez qu’on vous avait imposé cette suramende et que vous la payez, le jour du paiement devient le premier jour. Il se peut que vous n’ayez eu aucun contact avec le système judiciaire pendant 10 ans et que vous ne saviez pas que vous deviez payer une suramende compensatoire ou que personne ne vous l’a expliqué. Lorsque vous faites une demande de pardon, vous apprenez que vous devez payer cette suramende.

Je le précise, car c’est ce qui m’est arrivé, et on voulait commencer la période d’attente le jour où j’ai payé ma suramende. Je me suis adressée aux échelons plus élevés et j’ai dû présenter une plainte, et c’est à ce moment-là qu’ils ont accepté, car je n’avais aucune intention d’arrêter. Lorsqu’on m’a répondu qu’on ne pouvait rien faire, j’ai poussé plus loin. J’ai dit que je n’étais pas au courant de ma suramende et j’ai voulu savoir ce que je pouvais faire à cet égard. Toutefois, si une autre personne n’est pas aussi forte que moi et qu’elle cesse ses efforts, elle devra attendre une année, vous comprenez?

Je ne sais pas ce qui serait une période raisonnable pour envisager la réadaptation d’une personne, mais je sais que si nous sommes actifs dans la collectivité, dans les écoles et dans ce type d’activités, et que nous travaillons, il devrait exister un autre processus, même s’il faut créer une différente catégorie, dans lequel nous admettons que nous avons eu des démêlés avec la justice, mais dans lequel on nous considère comme étant partiellement réadaptés. Cela permettrait aux employeurs d’être réassurés et de comprendre qu’une personne a eu des problèmes, mais que la situation est maintenant différente.

La sénatrice Pate : Vous devriez en fait attendre cinq ans après une déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Mme Charles : Oui.

La sénatrice Pate : Avez-vous dit qu’on avait fait une exception? On vous a donné un an d’attente après le paiement de la suramende compensatoire?

Mme Charles : Non. Je devais payer une suramende. Lorsqu’on paie la suramende, l’année d’attente commence le jour du paiement. Donc, l’année pendant laquelle vous devez attendre pour présenter une demande débute le jour où vous payez la suramende.

Mais dans mon cas, ces années étaient déjà écoulées. Donc, lorsque j’ai tenté de faire une demande de réadaptation, on ne l’a pas acceptée, car je devais payer une suramende. Toutefois, mon année d’attente aurait débuté le jour du paiement, alors qu’elle aurait pu commencer avant.

La sénatrice Pate : Lorsque vous dites une année, vous parlez des cinq années.

Mme Charles : Oui.

La sénatrice Andreychuck : Nous pourrions aborder tellement de sujets. Je vois votre force. Vous dites que cela vous aurait aidée si vous aviez reçu des informations plus tôt dans le processus, c’est-à-dire que cela vous aurait aidée de connaître les conséquences d’un dossier criminel lorsque vous avez commencé à adopter un comportement négatif.

J’ai de la difficulté avec cela. Des parents m’ont dit que lorsque des jeunes s’engageaient dans une voie négative, ces jeunes ne les écoutaient pas, ils ne voulaient pas savoir comment cela allait les affecter. J’ai participé à des programmes de dissuasion par la peur, dans le cadre desquels des condamnés à perpétuité venaient parler à des jeunes pour leur dire de ne pas s’engager dans la même voie qu’eux, car ils allaient finir comme eux. Cela a fonctionné pendant un certain temps, et cela a ensuite cessé de fonctionner.

Vous avez repris votre vie en main, et vous tentez de suivre le droit chemin. Quels types de programmes fonctionneraient dans les écoles? Il semble que des conseillers, des parents et quelques ONG qui travaillent dans le domaine correctionnel disent aux jeunes qui commencent à causer des problèmes de cesser d’adopter ce comportement, mais leurs paroles n’ont pas plus d’effet que lorsque les mères de ces jeunes leur disent de ne pas faire quelque chose.

Mme Charles : J’allais justement dire la même chose. Au début, lorsque ma mère me disait : « Natalie, tu ne peux pas faire cela, car il y aura des conséquences plus tard », je lui disais simplement de me laisser tranquille. Lorsque vos parents vous disent ces choses, vous pensez que vous pouvez juste les balayer sous le tapis.

Lorsque vous commencez à entendre des choses d’autres personnes, vous êtes toujours pris dans la vie et dans le milieu dans lesquels vous vivez. Ce que d’autres personnes tentent de vous dire ne vous fait rien. S’il y avait des interventions appropriées, par exemple — je ne veux pas vous mettre sur la sellette. Je suis désolée. Puis-je vous parler de Sophia et de moi? J’ai rencontré Sophia lorsque j’ai été incarcérée. J’avais peut-être 15 ans, et j’avais été placée sous garde en milieu ouvert. Lorsque j’ai commencé ma garde en milieu ouvert, j’ai rencontré Sophia, et à ce moment-là, comme je vous l’ai dit, ma sœur était également très jeune. Toutefois, les renseignements et le soutien que j’ai reçus de Sophia à ce moment-là m’ont convaincue que je ne voulais plus m’attirer d’ennuis. J’ai découvert qu’il y avait de meilleures choses pour moi, car elle me l’a dit. Elle m’a montré des choses à mon sujet que j’ignorais. Elle fait encore la même chose aujourd’hui.

Je lui ai téléphoné l’autre jour pour lui demander si je devais faire une demande pour un placement au sein du gouvernement. Je lui ai demandé quoi faire. Et elle me donne toujours plus de soutien. S’il y avait davantage d’organismes ou de systèmes de soutien qui lui ressemblaient ou qui offraient la même chose qu’elle, je crois que ce serait beaucoup plus efficace, car on ne parlerait pas sans cesse de nos mauvais comportements. C’est la chose importante. Les gens nous disent que nous nous attirons des problèmes et que nous faisons ceci ou cela de travers. Mais on ne me dit pas à quel point je suis fabuleuse. On ne me dit pas que je pourrais être formidable. On ne parle pas du fait que je suis une personne phénoménale, et que je pourrais devenir cette personne si je choisissais de changer ma vie. On ne me dit pas ces choses. On me dit que je m’attire des ennuis. On me dit que je dois changer, et que je dois faire certaines choses. Mais je ne veux pas faire ces choses parce qu’on me dit que je dois les faire. Toutefois, si vous me parlez un peu de moi et que vous me dites… C’est comme lorsque la conseillère m’a dit que je ne pouvais pas être avocate, et que Sophia m’a affirmé que je pouvais être avocate, et que je pouvais faire tout ce que je souhaitais.

Je dis ces choses à mon fils tous les jours. Je fais écouter Les Brown à mon fils tous les jours. Mon fils a 10 ans, et je lui dis qu’il pourrait probablement même devenir président des États-Unis, et qu’il peut être tout ce qu’il souhaite. C’est ce que j’essaie de lui faire comprendre dès son jeune âge, car on ne m’a pas fait comprendre ces choses, et mes problèmes ont commencé lorsque ma mère a rencontré mon beau-père, qui ne lui convenait pas. C’est à ce moment-là que mes problèmes ont commencé, et que j’ai commencé à me rebeller. Lorsque ma mère tentait de me parler, je ne voulais pas l’entendre. Ensuite, comme je l’ai dit, lorsque j’ai rencontré Sophia, elle me parlait d’autres choses, elle me parlait de moi. Il s’agissait de moi. C’était la différence. Je pouvais faire une différence dans ma vie. C’est ce qui m’a poussée à changer ma vie. C’est le type de services communautaires ou de systèmes de soutien dont on a besoin. Il faut que ce soit davantage comme cela, c’est-à-dire que les intervenants doivent se soucier sincèrement de notre communauté et des gens, et que ce ne soit pas seulement une question d’argent ou d’apparences. Ce n’est pas seulement une façade. C’est réel.

La sénatrice Martin : J’ai seulement une question à poser à Mme Charles, car je suis arrivée un peu en retard. Je suis désolée. J’ai manqué votre exposé, mais je me demandais qui était la personne à vos côtés, celle qui vous encourage réellement. J’ai manqué ce bout, mais votre explication apporte des éclaircissements.

Mais je me demandais également, lorsque vous parliez de devenir vous-même cette intervenante — vous parlez très bien, et votre honnêteté et votre sincérité sont très apparentes —, si vous pouviez avoir l’occasion de devenir cette personne, dans le cadre de travaux d’intervention, dans un organisme ou dans un organisme à but non lucratif.

Vous avez mentionné que vous y aviez réfléchi, mais vous présentez cela tellement bien et vous avez une expérience directe de ce type de situation. Je crois que vous seriez tellement convaincante.

Comme je l’ai dit, j’ai appris beaucoup pendant que vous parliez, et j’ai compris qu’il fallait simplement vous encourager. Ce n’est pas tellement une question, mais plutôt une observation et des encouragements. Et je tiens également à remercier Sophia pour son bon travail.

La sénatrice Andreychuk : Je suis intervenue auprès de nombreux jeunes. Ils subissaient souvent l’influence de leur partenaire, et leurs parents éprouvaient des difficultés. Il était donc plus difficile d’atteindre votre bon côté.

Est-ce qu’une partie de votre réussite avec votre mentor repose sur le fait que vous aviez déjà vécu une incarcération et que cette expérience vous était familière, et que vous avez ensuite rencontré la bonne personne pour vous aider à sortir du système? Nous tentons notamment de déterminer comment nous pouvons réintégrer dans la société, de façon positive, des personnes qui ont été incarcérées. Est-ce que c’était le bon moment pour vous? Cela fait-il partie de la solution? L’auriez-vous écoutée lorsque vous avez commencé à adopter un mauvais comportement?

Mme Charles : Lorsque j’ai rencontré Sophia, j’étais déjà très enfoncée dans les problèmes, car j’avais 15 ans, et la période vraiment difficile de ma vie s’est déroulée entre l’âge de 14 et 15 ans. Toutefois, vous devez arriver à un moment où vous vous rendez compte que vous voulez davantage et que vous voulez de meilleures choses dans la vie. Si vous ne pouvez pas analyser cela et vous en rendre compte par vous-même, vous aurez des problèmes. Ce n’est donc pas seulement parce que j’ai obtenu le soutien nécessaire. J’ai également dû me rendre compte que ce genre de vie n’était pas pour moi. Je n’aimais pas que les gens me disent d’aller dormir. Je n’aimais pas que les gens me disent quoi faire et me dictent le moment d’aller dormir, de manger, et de retourner au lit.

Il y avait tout simplement autre chose dans la vie. Ma mère était un parent célibataire. Elle a travaillé plus de 20 ans à Revenu Canada, et même si elle était une mère célibataire, ma mère était une femme formidable qui avait un très bon emploi. Et elle a mené des études. J’ai grandi en observant tout cela. J’ai grandi dans un très bon foyer, car elle m’a donné de l’amour et toutes ces choses qu’une mère donne toujours à ses enfants. Toutefois, j’ai dû me rendre compte que je ne tolérais plus mon propre comportement. Autrefois, je voyais souvent ma mère pleurer, car mon comportement lui faisait du mal.

Encore une fois, vous devez vous rendre compte que vous pouvez continuer de faire ces choses et de vous faire du tort à vous-même ou à vos proches, comme je faisais du tort à ma mère, ou vous pouvez décider qu’il est temps de changer. Lorsqu’une personne vous dit que vous n’êtes pas seulement une criminelle, que vous n’êtes pas seulement une personne qui s’attire constamment des ennuis, mais que vous pourriez faire beaucoup mieux et que vous êtes une meilleure personne que vous le pensez… C’est à ce moment-là que j’ai commencé à observer ma mère, qui étudiait tous les jours et qui allait travailler chaque jour, bien vêtue, avec sa petite mallette, et je l’ai trouvée formidable. Je me suis demandé si je deviendrais comme elle, c’est-à-dire une femme noire qui a réussi sa vie, ou si je deviendrais comme mes amies, qui ne vont nulle part et qui s’engagent dans la mauvaise voie. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré la bonne personne, c’est-à-dire lorsque j’ai été mise sous garde en milieu ouvert, et que je me suis dit qu’il était temps de choisir la voie dans laquelle j’allais m’engager. C’est à ce moment-là que j’ai dû peser le pour et le contre.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Je suis ravie de vous revoir. Je suis ravie de vous accueillir ici.

Madame Charles, j’aimerais seulement vérifier quelque chose. Avez-vous été détenue dans des établissements fédéraux et provinciaux?

Mme Charles : Oui.

La sénatrice Pate : Était-ce à l’Établissement Grand Valley?

Mme Charles : À l’établissement Maplehurst. J’ai été en premier à l’établissement Vanier, quand c’était ainsi qu’il s’appelait, puis à l’établissement Maplehurst.

La sénatrice Pate : Ce serait donc les services correctionnels provinciaux?

Mme Charles : Oui.

La sénatrice Pate : Est-ce que des gens du bureau de l’ombudsman s’y rendent parfois? Dans les établissements provinciaux, le bureau de l’ombudsman de chaque province et territoire est censé surveiller ce qui se passe dans les établissements.

Mme Charles : Je n’en ai jamais vu. C’est en fait la première fois que j’entends parler de l’existence d’un ombudsman. Si j’avais su, même à l’époque, j’aurais probablement déposé des plaintes.

La sénatrice Pate : En ce qui concerne les enjeux que nous examinons, nous nous penchons principalement sur les établissements fédéraux, alors dans le système fédéral, par exemple, il y a un enquêteur correctionnel qui se rend régulièrement dans les établissements. En ce qui concerne les prisons pour femmes, il y a des équipes de défense régionales qui s’y rendent, et des femmes en prison sont engagées pour travailler comme porte-parole, mais on dirait qu’il n’y avait rien de cela et, à ma connaissance, qu’il n’y a toujours rien de cela à l’établissement Vanier, à la prison Lindsay ou à Milton — Maplehurst.

Mme Charles : Maplehurst est Milton.

La sénatrice Pate : Oui, désolée. Il n’y avait rien de tout cela à cet endroit?

Mme Charles : Non.

La sénatrice Pate : Quels types de recommandations feriez-vous pour empêcher que des jeunes se retrouvent dans votre situation? Je crois que vous en avez dit un peu. Je veux ensuite vous interroger un peu sur le processus de traitement du dossier, si vous me le permettez.

Mme Charles : D’accord.

Ils ferment beaucoup de centres communautaires. Comme moyens de préventions, je dirais des activités, des programmes parascolaires avec les enfants, et même des activités dans le cadre des programmes scolaires. Je me souviens que j’allais nager. Je me souviens d’avoir appris beaucoup de choses différentes, quand je fréquentais l’école élémentaire. Ils n’ont plus cela, maintenant. S’il y avait des activités, même quand vous arrivez à un certain âge, même au secondaire, vous voulez savoir ce que vous voudrez devenir. S’il y avait des choses en place qui vous aideraient en ce sens, ce serait bien. Si vous voulez devenir infirmière, il pourrait y avoir des cours qui vous aideraient à atteindre ce but.

Je crois que les conseillers, par exemple, doivent intervenir et faire réfléchir les enfants, quand ils sont très jeunes. Que veux-tu faire? Que veux-tu être? Qu’est-ce que tu aimerais? Quels sports aimes-tu? Ce n’est pas tout le monde qui aime l’école. On ne parle de rien de tout cela. D’accord, je sais que tu n’aimes pas l’école. As-tu pensé à un métier? Si tu ne vas pas à l’école maintenant, tu es vu comme un idiot. Donc, c’est l’école, l’école, encore l’école. Quel choix ai-je ensuite? Eh bien, si tu ne vas pas à l’école, tu es un décrocheur.

Rien ne dit que si tu ne vas pas à l’école, tu peux avoir une formation et devenir un travailleur qualifié sans problème. S’il y a des choses en place, surtout pour les jeunes qui n’aiment pas l’école, pour les hommes noirs, surtout, les garçons noirs, ils peuvent se dire : « Je n’aime pas l’école, alors je vais travailler avec mes mains. »

Je dis la même chose à mon fils. Je constate que mon fils n’aime pas lire. J’essaie de lui montrer autre chose, lui parler d’ingénierie, par exemple. Il adore les jeux vidéo, et je lui dis qu’il pourrait créer un jeu vidéo et devenir concepteur de jeux vidéo. Il y a autres choses à faire, à part être médecin ou avocat. Je pense que s’il y avait cela, ils pourraient savoir qu’il existe des options et qu’il y a des activités parascolaires — pas seulement du basketball ou du soccer, mais d’autres choses, puisqu’ils ne connaissent pas leurs talents. Vous ne savez pas à quoi vous êtes le meilleur.

La sénatrice Pate : Des choses pour encourager les jeunes?

Mme Charles : Oui.

La sénatrice Pate : Madame la présidente, je vais faire à votre guise. Ma question porte sur le pardon, alors ce n’est pas vraiment une question supplémentaire. Voulez-vous que j’attende au deuxième tour?

La présidente : Oui. Je ne sais pas vraiment si nous aurons un deuxième tour, parce qu’il y a un deuxième groupe. Nous allons vous inviter toutes les deux à rester au cas où nous aurions d’autres problèmes techniques. S’il reste du temps à la fin, nous ferons le deuxième tour à la fin.

La sénatrice Hartling : Merci, et bienvenue, madame Charles. Vous vous exprimez magnifiquement et il est très motivant de vous écouter avec toute votre énergie. Je vois Sophia en vous. Je suis sûre que vous ferez un excellent mentor pour les gens.

J’essaie de suivre votre histoire. Étiez-vous une maman quand vous avez été incarcérée?

Mme Charles : J’ai été incarcérée en tant que jeune contrevenante. J’ai été incarcérée quand ma fille est née, oui, parce que j’avais 18 ans.

La sénatrice Hartling : Parlez-moi de cela. Comment avez-vous maintenu votre relation? Comment était-ce?

Mme Charles : C’était difficile, car je n’y ai pas passé beaucoup de temps, et j’en remercie le ciel, parce que la période où je me suis mise dans le trouble est un peu floue. Comme je l’ai dit, quand j’ai rencontré Sophia, j’ai arrêté de m’attirer des ennuis pendant un certain temps, puis j’ai recommencé. Quand ils ont regardé la période pendant laquelle je n’ai rien fait de mal, ma période d’incarcération n’a pas été longue. Ils m’ont donné les fins de semaine, alors j’ai purgé mes 90 jours les fins de semaine, et juste à cause de cela, je me suis dit que je ne la verrais pas. Je ne pouvais pas la voir le vendredi soir, et je revenais le lundi matin. Mes fins de semaine qui étaient censées lui être destinées m’étaient enlevées parce que je devais aller à Milton.

La sénatrice Hartling : Cela a dû être difficile pour vous comme pour les autres mères qui sont là. Comment vous arrangiez-vous?

Mme Charles : C’est à ce moment-là que vous vous tournez vers la religion. Comme je l’ai dit, il y a du bon et du mauvais. Je l’ai dit tout à l’heure. C’est un des aspects positifs. Vous vous tournez vers la religion. Vous vous mettez à prier. Vous vous mettez à chercher Dieu et à demander de la force et la voie à suivre. Je ne sais pas ce qui serait arrivé si je n’avais pas fait cela, car c’est la seule chose à laquelle je peux honnêtement penser qui m’a donné la force de passer au travers. C’était la chose la plus dure à vivre. Je devais partir, me séparer d’elle, sachant que je m’en allais me faire enfermer sans pouvoir téléphoner de toute la fin de semaine parce qu’il fallait appeler à frais virés, des appels qui duraient de 15 à 20 minutes, après quoi on vous coupait. Je ne voulais pas qu’elle entende cela. C’était brutal. Vraiment brutal.

La sénatrice Hartling : Je peux dire que nous avons appris, lors de visites d’établissements, que vous ne pouvez même pas utiliser un ordinateur, alors qu’aujourd’hui, quand nous sommes loin de notre famille, nous pouvons utiliser FaceTime et d’autres applications de ce genre. Vous n’aviez pas cela ni aucun autre moyen de garder le contact. Je suis sûre que c’était difficile, mais vous êtes maintenant avec eux. Quel âge a votre fille?

Mme Charles : Elle a 21 ans, et mon fils a 10 ans, bientôt 11 ans.

La sénatrice Hartling : Merci encore. Je vous suis vraiment reconnaissante d’être venue.

Mme Charles : Merci beaucoup de m’avoir accueillie.

La présidente : J’ai en fait une question complémentaire à la question de la sénatrice Hartling. Vous dites que c’est alors que vous vous tournez vers la religion et la spiritualité. Nous avons entendu que dans certains cas, des groupes religieux se rendent dans les prisons pour offrir cela aux détenus. Avez-vous vécu cela?

Mme Charles : Oui.

La présidente : Pouvez-vous nous en parler?

Mme Charles : Ils viennent nous parler; vous pouvez étudier la bible, et il y a une chapelle où vous pouvez aller prier. Avant que Vanier soit transféré à Milton, ils avaient un petit endroit à Brampton. J’étais là, à Brampton, et c’est là que j’ai passé tant de temps en isolement cellulaire. C’est à ce moment-là que vous essayez. Chaque jour, je priais parce que, comme je l’ai dit, vous êtes dans cette petite pièce, enfermée là, et cela peut vous rendre folle. Vous vous mettez à parler toute seule. Je ne sais pas.

J’ai commencé à fréquenter l’église qu’il y avait là, parce qu’il y avait l’église et tout cela. J’ai trouvé que cela m’aidait un peu plus. Car, comme je l’ai dit, quand vous entendez la parole de Dieu, cela vous donne le pouvoir de continuer pendant la semaine jusqu’à ce que vous l’entendiez encore, et que cela vous redonne de nouveau du pouvoir. Cela me donnait de la force pour la semaine. C’est là que j’ai compris que je devais aller à cette église et que j’y trouverais de la force.

La sénatrice Martin : Mes questions sont liées à cela. J’allais dire que je sens la même chose, semaine après semaine, en allant me faire rassurer par le Très-Haut.

Ma question porte sur ce que vous dites à votre fils — les messages positifs que vous lui transmettez. On dirait que vous avez des relations positives. Je suis curieuse de connaître l’effet sur les enfants, peut-être à long terme. Malheureusement, nous voyons comment le cycle se répète. C’est très difficile.

Vous avez dit qu’il serait bien qu’il y ait plus de programmes dans les collectivités et les écoles pour vraiment soutenir les enfants, en particulier les enfants dont les parents ont des dossiers et qui ont été séparés d’eux. Je me demandais quel genre de soutien peut être offert à vos enfants ou à d’autres enfants pendant que leurs parents sont incarcérés. Est-ce qu’il y a des organisations communautaires? Est-ce qu’il y a du counseling axé sur les enfants d’ex-détenus? Car je crois que c’est un volet très spécialisé.

Mme Charles : C’est extrêmement important. À ma connaissance, il n’y a rien. Je vais vous raconter une petite histoire. La mère d’une amie de ma sœur transportait de la drogue aux États-Unis et a été arrêtée aux États-Unis. Quand elle a été arrêtée, tout était ici au Canada : sa maison et les quatre ou cinq enfants qu’elle avait alors. Rien n’a été fait pour ses enfants. On ne leur a même pas dit, voilà, votre mère a laissé ce montant d’argent et vous devez payer les factures.

Bref, elle a reçu une peine de cinq ans à peu près, puis elle est revenue au Canada et a tout perdu, dont sa maison, parce que les enfants étaient jeunes et ne savaient pas comment la gérer. Elle a tout perdu. Et il n’y a pas que cela. Une de ses filles a été très bouleversée par cela. Je lui disais : « Chantal, tu peux faire tout ce que tu veux : retourner à l’école, t’instruire, faire ce que tu as à faire. » Rien n’y faisait, peu importe ce que je lui disais. Cette séparation l’a affectée — elle était la plus jeune alors, et avait 15 ans, je pense. Elle a maintenant 25 ans, et elle n’arrive toujours pas à s’orienter.

S’il existait quelque chose pour soutenir les jeunes, ou peut-être même des aidants, ce serait bien, car les enfants n’iront pas d’eux-mêmes chercher de l’aide. Il faut un aidant qui peut venir à la maison, superviser ce qui se passe avec les enfants, faire certaines choses pour eux, payer des factures, afin de veiller à ce que les enfants aient un toit au-dessus de la tête et de la nourriture dans le frigo, entre autres.

Ce pourrait même être des programmes dans le cadre desquels les enfants seraient emmenés voir leur parent — peut-être pas quand le parent est derrière les barreaux, ou derrière une vitre, pour une visite où ils peuvent se toucher. L’effet est énorme. Je prie Dieu pour que mon fils ne vive pas le même cycle que moi. Mon Dieu, je vous en prie.

La présidente : J’ai une brève question, et c’est seulement pour essayer d’éclaircir quelque chose.

Dans votre témoignage, madame Charles, vous avez parlé d’un programme qui existait quand vous étiez une jeune contrevenante et qui visait en particulier les Afro-Canadiens. Est-ce que le programme était géré par l’African Canadian Legal Clinic? Vous en souvenez-vous?

Mme Charles : Très honnêtement, j’étais jeune, alors je ne connais pas ce programme. Je crois que c’était le Lawrence West Community Centre. Il y avait un centre communautaire dans Flemingdon Park, et il y avait une dame qui s’appelait Janet. Je ne me souviens pas de son nom de famille. Si je pouvais la trouver, elle aussi. Elle était une autre Sophia. Si je pouvais la trouver… car il a fallu que je cherche Sophia. Je l’ai cherchée pendant des années. J’avais besoin de Sophia parce que je vivais tellement de choses. Je me demandais où elle était. Je l’ai finalement trouvée. C’est parfait, tout simplement.

La présidente : Nous vous en savons gré.

Madame Halfkenny, je sais que vous êtes toujours là, mais je pense que nous allons vous perdre quand nous allons passer au deuxième groupe. Nous allons communiquer avec vous pour aussi obtenir votre témoignage. Merci.

Merci, madame Edwards, d’être venue aujourd’hui. Dans la pièce, nous avons Sophia Brown Ramsay, que vous connaissez, je pense, et Natalie Charles. Natalie vient de présenter son témoignage. Vous êtes la prochaine que nous allons écouter. Nous allons vous donner l’occasion de présenter votre histoire, ce que vous voulez nous faire savoir, puis les sénateurs auront des questions à vous poser. La parole est à vous.

Denise Edwards, ex-détenue fédérale, à titre personnel : Vous parlez de mon témoignage?

La présidente : Oui. Nous allons entendre votre témoignage en premier, puis vous poser des questions.

Mme Edwards : Je l’ai envoyé à Sophia. Je pensais qu’elle allait le présenter, mais je peux le faire.

Mon nom est Denise Edwards, et je suis une libérée conditionnelle sous responsabilité fédérale condamnée à 10 ans pour complot en vue d’importer une substance contrôlée. On m’a accordé la semi-liberté après quatre années à l’Établissement pour femmes Grand Valley, où j’ai eu le privilège de purger le reste de ma peine dans la communauté.

Pendant mon incarcération, j’ai eu l’occasion, malheureusement — bien que cela m’ait ouvert les yeux — de constater l’existence du plus haut niveau de racisme systémique. Je dis qu’il s’agit du plus haut niveau de racisme, car on fait comprendre aux femmes noires et autochtones qu’elles sont tout au bas de la hiérarchie politique, sociale et économique.

Deux organisations m’ont lancé des bouées de sauvetage, quand j’étais à l’établissement. L’une s’appelait Walls to Bridges et offrait, par l’intermédiaire de l’Université Wilfrid Laurier, des cours universitaires qui donnaient des crédits. L’autre, Audmax, était une organisation de soutien ethnoculturelle qui était ouverte à tous, mais qui se concentrait principalement sur l’acquisition de compétences et le renforcement de l’estime de soi des femmes noires.

Je suis en ce moment étudiante à temps partiel à l’Université de Toronto, et j’ai récemment reçu un prix de la Banque de Montréal pour une réalisation exceptionnelle, celle d’avoir terminé avec succès le programme de transition avec d’excellentes notes.

C’est mon témoignage.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions des sénateurs, à commencer par la sénatrice Cordy, qui est vice-présidente.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Il est toujours agréable d’entendre quelqu’un qui est passé au travers et qui comprend parfaitement la situation, plutôt que de simplement lire un ouvrage. Nous vous savons gré de ce que vous dites.

Vous avez dit que les bouées de sauvetage ont été Walls to Bridges et Audmax. Premièrement, j’aimerais que vous nous expliquiez Walls to Bridges — nous en avons entendu parler la semaine passée, quand nous étions à Kitchener. Comment cela vous a-t-il aidé? Et en ce qui concerne Audmax, comment ont-ils fait pour que ce soit un tournant pour vous? Comment en êtes-vous venue à vous dire que vous deviez faire quelque chose? Que vous deviez changer? Comment tout cela s’est-il produit?

Mme Edwards : Walls to Bridges saisit l’occasion d’approfondir notre éducation. Comme je l’ai dit, il donne des crédits universitaires. C’est un modèle axé sur la pédagogie, sur la pédagogie convergente, et c’est très interactif.

Ce n’est pas un modèle traditionnel où il y a des bureaux, car j’ai grandi dans un environnement où l’on apprenait dans des salles de classe. Dans les années 1970, lorsque j’étais dans le système d’écoles publiques, on plaçait les enfants comme moi à l’arrière de la classe. Même si vous étiez brillant, vous étiez assis à l’arrière de la classe. Quand vous leviez la main, l’enseignant s’en fichait. Il répondait généralement à la question d’un autre élève.

Cette pédagogie convergente repose sur le mode de vie et l’apprentissage des Autochtones. On réenseigne et on réapprend; on enseigne tout en apprenant. Il n’y a pas de hiérarchie. Tout le monde est sur un même pied d’égalité et a l’occasion de se faire entendre. C’était Walls to Bridges. Je peux vous en parler plus en détail plus tard.

Je veux parler d’Audmax maintenant. Mme Maxine Telford est arrivée à l’établissement et elle ne voulait pas seulement aider les femmes appartenant à des minorités, car le programme était ouvert à tous. Nous étions plus ciblées cependant, car nos besoins sont différents. Elle a participé à notre programme ethnoculturel et a découvert que nos demandes, nos désirs et nos besoins n’étaient pas satisfaits. Je ne sais pas si je peux dire qu’ils étaient ignorés, mais nous perdions nos cheveux parce que nous ne recevions pas les soins capillaires appropriés.

Dans les programmes, nous faisions parfois des bruits de bouche. Les enseignants voyaient cela comme étant un manque de respect. Nous appelions certaines femmes « mademoiselle », car c’est ainsi que nous avons été élevés. Si nous appelions des intervenantes ou agentes « mademoiselle », certains considéraient que c’était un manque de respect. Mais ce n’était pas un manque de respect. D’autres faisaient parfois preuve de plus d’humanisme à notre égard, si bien que nous les traitions avec plus de respect. Nous ne manquions pas de respect, mais certains le voyaient ainsi parce que nous ne voulions pas communiquer un élément d’information avec eux. Toutefois, parce que nos expériences sont totalement différentes, notre monde est différent et ils ne voulaient pas entendre parler de notre monde. Nous n’avions aucun soutien, autrement dit.

En ce qui concerne les agents de libération conditionnelle, 99 p. 100 d’entre eux sont blancs. Les intervenants et les agents sont la même chose.

Si nous avons un problème, il est difficile de s’adresser à une personne qui ne comprend pas notre problème, car elle vous donnera une explication qu’elle a tirée d’un livre, une solution quelconque qui ne fonctionnera pas pour nous. Nous avons appris cela, si bien que nous sommes devenues des sœurs. Nous sommes devenues une communauté au sein d’une communauté. Audmax a permis de créer une communauté sans cette autre communauté.

La sénatrice Cordy : La semaine dernière, lorsque nous étions à Kitchener, nous avons entendu parler des produits capillaires appropriés et du manque de compréhension entourant l’importance de ces produits pour les prisonnières. Merci d’avoir soulevé ce point à nouveau.

Vous avez parlé du racisme dans le système carcéral et du manque de personnes noires à qui s’adresser pour obtenir de l’aide. Les agents étaient blancs pour la plupart. Qu’avez-vous pensé lorsque vous avez dit, « Je veux sortir de là, je veux m’améliorer et je veux une éducation »? Quelqu’un vous a-t-il aidé? Avez-vous eu un mentor en cours de route ou était-ce seulement une motivation personnelle?

Mme Edwards : Beaucoup de gens m’ont aidée. Remarquez que je dois dire que bon nombre d’entre eux étaient blancs. Un grand nombre des personnes formidables et compréhensives que j’ai rencontrées dans ce cheminement étaient des Blancs, mais la majorité d’entre elles ne l’étaient pas.

J’ai un dicton. Il ne s’applique pas qu’à moi, mais je me le suis un peu approprié. Vous marchez un mille dans mes souliers, c’est correct. Imaginez vivre ma vie pendant un an? Le monde vous paraîtrait différent, et vous regarderiez le monde différemment. C’est ce qu’ils ne comprennent pas. Je n’aime pas quand les gens jouent la carte raciale. Je ne comprends vraiment pas, car je pense qu’on évoque la race lorsqu’il n’est pas justifié de le faire. Mais il y a des occasions où c’est justifié. C’est facile pour les gens de dire que c’est la carte raciale. Je ne veux pas en entendre parler, blablabla. Les gens ne veulent parfois pas régler le problème quand ils savent que c’est la réalité et ils optent pour la facilité en disant, « Taisez-vous ». Et ils nous feront taire pour cette raison.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup du travail que vous faites, madame Edwards, et félicitations pour tous vos succès. C’est la réussite de bon nombre d’entre vous qui ont participé au programme Walls to Bridges. Cette réussite témoigne de l’importance de ce programme et du fait que l’Établissement pour femmes Grand Valley est la seule prison, parmi toutes les prisons pour femmes ou hommes, qui offre ce programme.

J’aimerais vous demander de recommander — et je pense connaître la réponse — que le programme Walls to Bridges soit élargi pour qu’il soit offert partout au pays afin que d’autres femmes et d’autres hommes qui sont détenus dans des pénitenciers fédéraux puissent avoir accès au même type d’éducation universitaire.

Pour vous donner un peu de contexte, c’est depuis 1992 qu’une éducation universitaire n’a pas été offerte dans le système fédéral. Il a été aboli à l’époque. Habituellement, Grand Valley, de Joliette et d’autres prisons doivent payer leurs propres cours. Cette initiative, lancée par Mme Shoshana Pollack, est encore la seule au pays de ce genre, et je pense que la réussite de Mme Edwards est le fruit de ce programme, de même que de ses compétences et qualités personnelles. Je suis impatiente de voir où vous serez rendue dans quelques années, madame Edwards.

La présidente : Avant que vous répondiez, madame Edwards, la sénatrice Pate a une question complémentaire à poser. Les crédits que vous avez obtenus dans le cadre du programme Walls to Bridges sont-ils acceptés par l’Université de Toronto dans le programme que vous suivez actuellement? Pourriez-vous parler de cette transition également, s’il vous plaît?

Mme Edwards : Premièrement, en ce qui concerne les crédits, la réponse est non. L’Université de Toronto a ses propres critères, si bien que je dois suivre ce programme de transition.

Ma mère est âgée, et nous vivons au centre-ville de Toronto, et je voulais me rapprocher d’elle. Si je voulais utiliser ces crédits de l’Université Wilfrid Laurier, j’aurais dû suivre le programme à cette université. J’aurais probablement pu le faire à Ryerson, mais Mme Simone Davis m’a suggéré de suivre le programme de transition et d’aller à l’Université de Toronto par la suite, et c’est ce que j’ai fait.

Je recommanderais ce programme à n’importe qui. Parfois, je raconte mon passé ouvertement, car je préfère raconter mon histoire plutôt que quelqu’un d’autre le fasse pour moi. Je dis aux gens où j’ai été, où je suis et où je veux aller. Les choses changent, mais je sais ce que je ne veux pas.

Lorsque je raconte mon histoire aux gens, ils disent, « Je trouve épouvantable que les prisonniers puissent s’instruire ». Mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que les risques de récidivisme sont tellement faibles qu’ils sont quasi nuls, car cette éducation renforce l’estime de soi. Elle vous donne une orientation. Je ne dis pas que nous manquons de moralité, mais la chance joue tellement contre nous que nous décidons de commettre des actes illégaux.

Je viens d’avoir une rencontre avec mon agente de libération conditionnelle. Je la vois une fois par mois. J’ai apporté le certificat pour lui montrer, que j’ai dans mon sac. J’étais très heureuse. J’ai reçu cette récompense. Elle n’a montré aucune émotion. Elle m’a dit : « Tu sembles être une personne très attentionnée. As-tu déjà envisagé de devenir une préposée aux services de soutien à la personne? »

Lorsque je lui ai fait savoir qu’elle a un problème avec bon nombre de personnes qui arrivent au pays, elle a dit que ces gens bénéficient de l’aide sociale et touchent des prestations du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, et je suis bénéficiaire de ce programme. Je lui ai dit que bon nombre de ces étrangers qui arrivent au pays sont plus éduqués qu’elle. C’est tout simplement une culture différente et ces gens ont parfois vécu des expériences très traumatisantes. Ils ont été approuvés avant de venir ici. Le gouvernement ne leur versera pas des prestations du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées simplement parce qu’il veut dépenser de l’argent. Il y a ce préjugé également.

La présidente : Pourriez-vous clarifier ce qu’est le POSPH pour ceux qui ne connaissent peut-être pas ce programme?

Mme Edwards : Le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées.

J’étais en assez bonne santé lorsque je suis arrivée à l’EGV. J’en suis sortie avec la maladie de Graves. Je suis allée consulter le médecin à maintes reprises et on m’a enfin pris en charge. Quand on sort de prison, on n’a habituellement aucune pièce d’identité. Imaginez obtenir une pièce d’identité sans pièce d’identité. C’est la chose la plus difficile, mais nous avons réussi et nous avons un sentiment de force à la fin, car il faut le faire. Vous devez tenter le tout pour le tout, car vous vous battez pour vous en sortir.

J’allais continuellement à la clinique, et on m’a enfin envoyée consulter un spécialiste à Sunnybrook. J’ai vu le médecin à deux reprises. Il était très professionnel. Il n’a jamais établi de contact visuel avec moi. Il me communiquait mes numérotations globulaires. Il m’a regardée un jour. Il a déposé sa plume. Il a dit, « Pourquoi avez-vous laissé les choses se rendre jusque-là? ». J’ai demandé au médecin ce qu’il voulait dire. Il a répondu : « Pourquoi avez-vous enduré cette souffrance? Vous avez la maladie de Graves. C’est une maladie évolutive. Vous n’attrapez pas la maladie de Graves du jour au lendemain. »

J’avais une forme extrême d’hyperthyroïdie. C’est arrivé à l’EGV. Je disais au personnel médical que je ne me sentais pas bien. Je ne sentais pas mon corps. On me répondait que c’était psychologique, que c’était parce que j’étais au centre. Je répondais que ce n’était pas le cas et que je sentais que quelque chose se passait dans mon corps. Mon père ne dormait que quatre heures par jour. J’ai grandi avec une mère qui avait trois emplois. Mon père est un musicien professionnel qui a fait ses études à McGill et à Berkeley. Je connais ma famille. Nous sommes hyperactifs, alors ce n’était pas normal que je me sente de la sorte, et le personnel médical me rabrouait. Ces gens ont fini par me faire croire que rien ne clochait chez moi.

Le médecin a suggéré un programme spécial. Je l’ai suivi. On a établi que j’étais admissible au POSPH. C’est ainsi que je suis devenue bénéficiaire du POSPH. Donc, lorsque l’agente de libération conditionnelle a remis en question l’intégrité d’un professionnel de la santé, j’ai éclaté en sanglots, et elle m’a dit, « Tout est de ta faute ». Je lui ai demandé d’avoir du cœur; c’est dégradant pour moi.

J’ai 52 ans et j’ai touché deux chèques d’aide sociale dans ma vie, et c’est parce que j’ai quitté la maison de transition pour aller vivre dans la maison de ma mère. Le premier chèque s’élevait à 180 $. Le deuxième était de 220 $. J’ai acheté un laissez-passer pour le métro et de la nourriture. Je ne voulais plus bénéficier de l’aide sociale. Je ne m’attendais même pas bénéficier du POSPH, mais j’ai pris conscience que j’étais malade.

Je répète que le fait qu’une agente dans le système pénal ne m’écoute pas et fasse fi de ce que j’ai à dire était, pour moi, très irrespectueux. Sachant que j’étais au bas de l’échelle, j’ai choisi de me pas argumenter avec cette femme, car c’aurait été une histoire sans fin et je ne pouvais pas la convaincre. En fait, j’ai encore un dossier. Tout comme à l’EGV, votre dossier vous suit. Je fais attention à ce que je dis à cette femme. Je dois faire très attention. Elle a remis en question le programme Walls to Bridges plus tôt ce matin lorsque je lui en ai parlé. Je ne lui ai même pas parlé de cette rencontre, car j’aurais ouvert une boîte de Pandore. Elle est censée être là pour m’appuyer. Je suis censée pouvoir avoir une relation avec cette femme, mais je ne suis pas à l’aise de le faire.

La sénatrice Hartling : Merci, madame Edwards, et félicitations. Malgré tout ce que vous traversez, vous allez de l’avant, mais la question du racisme semble être un problème de taille. Dans le cas de l’agente dont vous parlez, était-ce une question de racisme ou une façon dont les gens sont traités dans les prisons?

Mme Edwards : Les deux. Je pense qu’ils doivent tous suivre des cours. Ils doivent tous suivre des programmes. Ils doivent être rééduqués. Des compétences doivent être acquises.

La sénatrice Hartling : Et si vous étiez l’enseignant, que leur apprendriez-vous?

Mme Edwards : Puisque le Canada est censé être multiculturel et inclusif, je suggérerais que les agents doivent comprendre cet état de fait, surtout certains des plus anciens. Ils ne comprennent pas ce que le Canada est censé être. Ils ne saisissent pas.

Les populations noires et autochtones sont des minorités dans la population générale. Or, nous sommes incroyablement surreprésentés dans le système carcéral, et il y a des raisons qui expliquent cette situation. Nous ne nous réveillons pas un matin et voulons commettre un crime. Je ne parle pas au nom de la communauté autochtone en ce moment, je parle pour la communauté noire. Il y a des problèmes.

Voici seulement un exemple personnel : Ma mère n’avait à peine qu’une éducation secondaire. Elle peut toujours trouver un emploi, mais pensez au type d’emploi qu’elle peut trouver? Mon père avait une meilleure éducation, mais il était le dernier à être embauché et le premier à être congédié. Cette situation a brisé ma famille. Mon père a quitté le pays en disant, « On n’a pas de répit ici ».

Je suis la seule personne de ma famille qui a des antécédents criminels. Pensez-vous que j’aurais pu arriver à la maison et donner à ma mère un dollar volé que je ne pouvais pas expliquer ou arriver avec de la drogue, par exemple? Elle m’aurait expulsée. Mes parents n’auraient jamais accepté cela. Toutefois, je voulais ce que mes pairs voulaient. Mes meilleures amies étaient Yuna Hermatsu, Rosa Novakowski, Kira-Lynn Grescoviak. Nous sommes toutes allées le même jour pour trouver des emplois. Nous étions à l’école secondaire. Nous y sommes toutes allées. Elles ont toutes trouvé des emplois, mais pas moi.

Rosa arrivait en retard. Yuna ne se présentait pas au travail. Elles conservaient leur emploi quand même. On ne me donnait pas de chances dès le départ. Je ne dis pas que c’est le cas tout le temps et que cela arrive à tout le monde, mais c’est la réalité pour un grand nombre d’entre nous cependant.

La sénatrice Hartling : Ce n’est donc pas seulement dans le système pénal. Vous venez de parler dans la société en général. Nous ne semblons pas avoir évolués beaucoup, et nous célébrons le Mois de l’histoire des Noirs. Nous devons réfléchir aux mesures que nous pouvons prendre pour faire progresser les choses en 2018.

Mme Edwards : Il y a même des programmes, des émissions de télévision comme « Kim’s Convenience ». J’aime cette émission. C’est une belle émission, si on regarde la situation dans son ensemble, la façon dont ma communauté a beaucoup d’influence. Cependant, j’ai eu une discussion téléphonique avec l’auteure de l’émission « Da Kink in My Hair ». Elle est partie à l’étranger et a dit que c’était trop difficile.

L’Office national du film ne veut pas entendre nos histoires. Nous en avons. Il y a tellement de héros méconnus qui sont décédés, des gens qui ont apporté une contribution toute leur vie, et on ne leur donne même pas une petite tape sur l’épaule. S’ils vivent jusqu’à l’âge de 80 ans, ils peuvent recevoir une lettre de Kathleen Wynne ou de Justin Trudeau dans laquelle ils peuvent lire, « Félicitations à l’occasion de cet anniversaire important ». C’est tout. On ne reconnaît pas ce qu’ils ont fait. Ces jeunes garçons n’ont parfois pas de modèle. Donc, on sait comment les choses vont se gâter pour eux. Leurs pères ont été malmenés. Alors ils partent, et les mères ont la vie dure. Vous êtes une mère et un père pour un grand nombre de ces personnes. Je veux parfois demander à ces jeunes filles ceci : Pourquoi êtes-vous tombées enceintes? Pourquoi avez-vous choisi de tomber enceinte? » Elles disent, « Je veux un être à aimer, et je veux qu’il m’aime en retour ». Parce que la société ne vous aime pas.

J’ai 52 ans. Je ne me rappelle pas quand je suis arrivée ici. Je n’ai aucun souvenir de Trinidad. À mon arrivée ici, mon frère et moi étions sur le même passeport. Je ne connais rien de mon pays d’origine. J’y suis retournée en visite. J’ai des membres de ma famille là-bas, et ils ne me considèrent pas comment faisant partie de la famille. Ils m’ont traitée comme si j’étais une étrangère. Cela m’a frappée lorsque je suis retournée là-bas…

La présidente : Oh, non. Nous éprouvons des difficultés techniques. Notre technicien tentera de rétablir la connexion.

Pendant ce temps, nous allons amorcer la deuxième série de questions avec Mme Charles. Pour le moment, madame Charles, c’est vous qui êtes sous les projecteurs.

La sénatrice Cordy : Vous dites avoir besoin que l’on vous donne une chance, lorsque vous êtes libérés et réhabilités et que vous souhaitez passer à la prochaine étape de votre vie. Vous avez été libérée il y a 15 ans, et n’avez eu aucun démêlé avec la justice. Vous avez une famille. Vous faites des études et souhaitez commencer une carrière.

En tant que comité, quelles recommandations pourrions-nous formuler pour vous donner, à vous et aux gens comme vous, la chance d’améliorer votre sort?

Mme Charles : En fait, c’est une question que je vous poserais à vous : qu’auriez-vous à offrir à quelqu’un comme moi?

Je comprends que certaines personnes ont des pouvoirs, mais jusqu’où seraient-elles disposées à aller pour utiliser ces pouvoirs ou pour les élargir? Encore une fois, beaucoup de gens désirent aider, mais, à un certain moment, on les en empêche.

Pour moi, la question est de savoir si vous êtes en mesure de nous aider, de m’aider. Honnêtement, c’est la question que je vous poserais.

La sénatrice Cordy : Que peut-on faire pour avoir une Sophia dans chaque communauté?

Mme Charles : Il faudrait rencontrer les gens comme elle. Il faudrait peut-être soutenir son organisation afin qu’elle puisse élargir ses activités, peut-être créer des genres de franchises. Vous voyez ce que je veux dire? L’aider à accroître ses activités et à embaucher des gens de la communauté, des gens qui sont là pour aider les autres. Si elle recommande quelqu’un, priez pour que cette personne soit aussi authentique qu’elle et qu’elle soit en mesure d’aider. C’est la seule chose qui me vient à l’esprit.

La sénatrice Pate : Vous avez parlé du processus de pardon. Si vous êtes à l’aise avec cela, j’aimerais parler des dépenses que vous avez engagées dans ce processus, car ils sont nombreux à ne pas avoir réalisé que nous n’accordons plus de pardon — on parle d’une suspension du casier judiciaire —, que le processus prend deux fois plus de temps qu’avant lorsque nous avions un processus de pardon et que les coûts ont quintuplé. Je crois que nous devrions suivre l’exemple d’autres pays et mettre en place un processus selon lequel un certain temps après avoir été libéré, si le nom d’une personne n’est pas signalé à la police et ne figure pas sur les listes du CIPC, le dossier criminel de cette personne devrait être suspendu.

Beaucoup de gens s’imaginent que ça ne coûte que 631 $. Mais, 631 $, c’est plus que le revenu annuel disponible de la plupart de ceux qui ont un casier judiciaire. Ensuite, il faut présenter une demande pour faire prendre ses empreintes digitales, notamment. Au bout du compte, savez-vous combien vous avez dû débourser et combien de temps vous avez passé à préparer votre demande?

Mme Charles : D’abord, le processus a été modifié il y a deux ou trois ans, si je ne m’abuse. Auparavant, le processus coûtait 150 $ et les autorités n’avaient aucune limite de temps pour nous répondre. Donc, on pouvait présenter une demande et attendre cinq, voire six ans avant d’obtenir une réponse, en raison de l’arriéré dans les demandes. Aujourd’hui, comme vous l’avez souligné, les coûts s’élèvent à 631 $, si je ne m’abuse. Mais, c’est seulement pour présenter une demande. Il y a de nombreuses autres étapes. Vous devez d’abord faire prendre vos empreintes digitales. Cet exercice se fait au poste de police local, mais vos empreintes doivent être ensuite acheminées à la GRC. Il y a des frais rattachés à cela. Vous devez aussi obtenir une vérification des antécédents judiciaires. Deux vérifications sont nécessaires : l’une au poste de police local, et l’autre en fonction de ce qui est précisé pour la suspension du casier judiciaire. On parle d’un autre 80 $ pour obtenir la vérification relative à la suspension du casier judiciaire.

Ensuite — et je crois que c’est la partie qui a été la plus intense pour moi —, vous devez vous souvenir de tous les endroits où vous avez eu des démêlés avec la justice, vous rendre dans cette région et demander une copie de votre dossier. Donc, si vous avez eu des démêlés à Peel, à Toronto ou à Halton, vous devez vous rendre dans chacune de ces régions et demander une copie de votre dossier. Pour ce faire, vous devez donner un dépôt de 50 $. Le coût varie, mais vous devez payer pour obtenir une copie de vos dossiers. Il peut s’écouler de nombreux mois avant que vous obteniez les dossiers en question.

Je dirais qu’il faut amorcer le processus six mois ou un an avant d’être admissible, car il peut s’écouler un mois et demi ou plus avant que la GRC ne vous retourne vos empreintes digitales et photos signalétiques et encore quelques mois avant que vous obteniez les copies de vos dossiers. Vous courez partout.

Il y a ce que l’on appelle Pardons Canada, mais, croyez-le ou non, ce n’est qu’un organisme. Il n’y a personne pour vous aider. Vous devez faire le travail vous-même. Vous ne payez que pour le nom de l’organisme, si vous voyez ce que je veux dire. Vous n’obtenez aucune aide concrète de Pardons Canada. Vous devez faire tout le travail vous-même.

La sénatrice Pate : Les gens s’imaginent que Pardons Canada est une organisation qui donne les pardons et ils déboursent plus de 1 000 $ pour leurs services.

Mme Charles : C’est très trompeur. Le nom de l’organisme est très trompeur, car c’est Pardons Canada — le terme utilisé autrefois, pardons —, donc on s’imagine que l’organisme fait partie du processus. Si vous faites une recherche Google avec le mot pardons, le premier résultat sera l’organisme.

Ensuite, vous devez payer plus de 500 $ pour présenter votre demande, pour obtenir l’aide de l’organisme, et celui-ci vous fait croire qu’il peut vous aider à accélérer le processus, mais ce n’est pas le cas.

J’ai communiqué avec la GRC au sujet de mes empreintes digitales afin de savoir pourquoi le processus prenait si longtemps. Cela faisait trois mois que mes empreintes digitales leur avaient été envoyées. J’ai demandé à parler au supérieur de la personne qui m’a répondu afin de savoir pourquoi le processus prenait si longtemps. À ce moment, j’avais l’intention de communiquer avec Pardons Canada, mais la dame au bout du fil m’a dit : « Vous savez quoi? Il serait préférable pour vous de faire le travail vous-même. Vous allez économiser un montant d’argent X. »

J’ai fait tout le travail moi-même. Même lorsque j’aurai amorcé ma carrière, je prendrai le temps d’aider d’autres personnes avec leur processus de pardon.

La sénatrice Pate : Concernant l’importance d’un pardon, et j’ignore si cela s’applique à vous — et, si c’est trop personnel, ne vous sentez pas obligée de me répondre —, mais, de nombreuses mères ne peuvent pas se porter volontaires pour les activités de leurs enfants, les excursions scolaires, si elles n’ont pas obtenu un pardon.

Mme Charles : C’est exact.

La sénatrice Pate : Donc, pendant cinq ou dix ans, on leur interdit de faire quoi que ce soit avec leur enfant. Elles ne peuvent pas participer aux excursions scolaires. C’est une chose que beaucoup de gens ignorent.

Aussi, pour certains emplois — par exemple, travailleur social et de nombreuses autres professions où l’on aide les gens, comme préposé aux services de soutien à la personne —, il est impossible de participer au programme si l’on n’a pas déjà eu un pardon ou une suspension de son casier judiciaire. En fait, la plupart des écoles ne se sont pas encore ajustées : elles demandent un pardon alors qu’il est maintenant question d’une suspension du casier judiciaire. Donc, même si l’on obtient une suspension du casier judiciaire, on ne peut pas présenter une demande. Avez-vous vécu ce genre de situations?

Mme Charles : Oui. Ma fille a maintenant 21 ans. Je n’ai fait aucun voyage avec l’école. Chaque fois que je me porte volontaire, je dois me rendre par mes propres moyens. On vous permet de participer à l’excursion scolaire, mais vous devez vous rendre par vos propres moyens. Si vous souhaitez prendre l’autobus avec votre enfant, vous devez d’abord fournir une vérification des antécédents judiciaires. Vous devez fournir l’information volontairement et leur dire que vous n’avez pas de casier judiciaire. C’est ainsi que j’ai réussi à participer aux excursions scolaires avec ma fille.

Ma fille jouait au rugby, et mon garçon fait de l’athlétisme. Pour son rugby, ma fille devait se rendre un peu partout en Ontario. Donc, je pouvais l’accompagner.

Mon garçon a été invité à participer à une compétition aux États-Unis. Il avait 7 ans et est très rapide. Il n’a pas pu y participer, car je ne pouvais pas franchir la frontière en raison de mon casier judiciaire. J’étais inadmissible. Ce sont des situations très, très difficiles.

Au niveau de l’emploi, c’est un cauchemar, car sur toutes les demandes d’emploi, on vous demande si vous êtes cautionnable. Toutes les demandes d’emploi vous demandent si vous avez été reconnus coupables d’une infraction criminelle. Doit-on mentir? Pour être bien honnête avec vous, c’est ce que je fais. C’est ainsi que j’obtiens la moitié de mes emplois. Si je ne mens pas sur ma demande d’emploi, je n’obtiendrai pas le poste. Donc, je mens.

J’obtiens ces emplois, car, heureusement, les employeurs ne font pas de vérification de casier judiciaire. Mais, pour les emplois que je souhaite obtenir, on effectue une vérification approfondie des antécédents judiciaires. Donc, je suis coincée. Maintenant, dans quelle direction dois-je aller? Je ne laisserai plus mon casier judiciaire m’arrêter, me nuire ou me définir. Je ne suis plus cette personne. Donc, je vais soumettre ma candidature pour ces emplois et je vais être honnête et leur dire que j’ai un casier judiciaire. Toutefois, je me considère comme étant cautionnable.

Maintenant, je suis d’accord avec vous concernant ce qui se fait dans d’autres pays où il y a des programmes qui permettent aux gens de voir leur casier judiciaire suspendu s’ils n’ont plus de démêlés avec la justice ou s’ils ne figurent pas sur les listes du CIPC. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Disons que… puisqu’elle reçoit des prestations du POSPH, outre mettre de côté une partie de ces prestations, comment peut-elle se permettre de débourser 631 $? Avant de payer les 631 $ en question, il faut payer pour toutes ces autres choses.

La sénatrice Pate : De plus, dans bon nombre de provinces et territoires, c’est peut-être plus que ce que les gens paient pour leur loyer. D’ailleurs, vous a-t-on déjà demandé une vérification des antécédents judiciaires pour vous louer un appartement? L’an dernier, j’ai accompagné mon fils pour aller louer un appartement et on lui a demandé une vérification des antécédents judiciaires. Je me suis demandé s’ils avaient le droit de lui demander cela.

Mme Charles : Ils peuvent vous demander toutes ces choses, mais je n’ai pas vécu cette situation.

La sénatrice Pate : En Ontario?

Mme Charles : Oui. Honnêtement, je n’ai jamais passé par là. Je ne suis pas locataire; je suis propriétaire. Donc, Dieu merci, je n’ai pas vécu cette situation.

Mais, du côté de l’emploi, c’est un obstacle avec lequel j’ai dû composer. J’ai eu le même problème avec les excursions scolaires de mes enfants. On a honte d’en parler.

Je dors mal depuis quelques semaines, en raison de mon placement. Je me demande si je devrais révéler à mon agent de placement ce qui se passe. Encore une fois, pour revenir à ce qu’elle disait en matière de soutien et à se sentir à l’aise, si je lui dis ce qui se passe, va-t-elle me regarder d’un air étrange ou va-t-elle m’aider à obtenir ces emplois ou à soumettre ma candidature pour ces emplois?

Pour être bien honnête avec vous, je suis coincée et je ne sais plus quoi faire. J’aurai terminé en avril et mon placement prendra fin en mai. Je n’ai eu aucune nouvelle de la Commission des libérations conditionnelles — elle a jusqu’au mois d’août, au plus tard, pour me répondre. Tout ce que je fais, c’est que je prie pour que quelque chose débloque pour que j’obtienne un placement et mon pardon pour que je puisse réintégrer la société.

La présidente : Vous avez raconté votre histoire publiquement et êtes assise à côté du mentor et de la personne de confiance la plus incroyable que vous auriez pu trouver.

Mme Charles : Définitivement.

La présidente : Ceci met fin à notre liste de questions.

Madame Edwards, nous sommes heureux d’avoir pu rétablir la communication avec vous. Auriez-vous un dernier commentaire à formuler? Je crois que vous étiez au milieu de votre intervention lorsque la communication a été interrompue.

Mme Edwards : Il y a tellement de choses que j’aimerais dire, mais je vais poursuivre sur ce que disait Nathalie au sujet des emplois.

J’ai présenté une demande d’inscription d’entreprise. Je m’étais juré que je ne ferais pas le ménage pour d’autres, mais c’est ce que je fais. Donc, j’ai ouvert une entreprise et j’ai obtenu quelques contrats. J’ai décidé d’être totalement honnête avec mes clients. Dès que je les rencontrais, je leur disais : « J’ignore si vous allez accepter de faire affaire avec moi, mais j’ai été reconnue coupable de tel et tel crime. »

J’ai été reconnue coupable d’importation. Je me fous de ce que les gens ont dans leur maison — bijoux, cartes de crédit —; cela ne m’intéresse pas. Ce n’est pas ce qui m’attire. Je faisais de l’importation, mais plus maintenant.

Donc, j’ai rencontré un type pour un contrat de nettoyage et il m’a dit : « D’accord. Pouvez-vous venir entre 11 heures et 14 heures? » C’est ce que j’ai fait, avec plaisir. Maintenant, je savais que… Je me suis dit qu’après quatre visites, je devrais commencer à payer mes impôts. Le type a dit qu’il allait me payer en argent comptant. Pour les premières visites, pas de problème, mais je voulais payer mes impôts et développer mon entreprise afin que d’autres femmes puissent avoir un emploi après leur libération, car il est difficile pour nous de trouver des emplois.

Après quelques visites chez ce client, je me suis rendu compte qu’il ne me payait pas le plein montant. Je lui ai demandé à maintes reprises de me payer ce qu’il me devait, mais il a refusé. Un jour, j’ai fait preuve d’audace, tout en restant gentille. Je lui ai dit : « Peut-être que vous m’avez mal entendu, mais nous avons convenu d’un certain prix. » Vous savez ce qu’il m’a répondu? « Vous savez quoi? Je vais vous payer après la visite d’aujourd’hui. »

J’ai travaillé de 11 heures à 18 heures, environ, cette journée-là. Au moment de quitter, mon client m’a dit : « Je n’ai pas d’argent à vous donner. » Je lui ai demandé pourquoi il faisait cela. Il m’a dit : « Voulez-vous que j’appelle votre agent de libération conditionnelle? » Je lui ai répondu : « Voulez-vous que j’appelle Revenu Canada? » Il croyait m’avoir, mais j’aurais pu tout aussi bien lui rendre la monnaie de sa pièce. C’est la position dans laquelle nous nous retrouvons parfois. On est honnête, et on se fait avoir. Nous n’avons aucun répit.

J’ai été tout à fait honnête avec lui. Il avait des caméras partout. Lorsque j’arrivais sur place, il les allumait et me laissait faire mon travail. Mais, à la fin de la journée, il se disait : « Je peux profiter de cette détenue fédérale, de cette détenue en liberté conditionnelle, car elle ne peut rien faire. »

Je voulais simplement renchérir sur ce que disait Nathalie. Nous sommes coincées entre l’arbre et l’écorce. Mon agent de libération conditionnelle m’a dit : « Vous n’êtes pas vraiment tenue de leur dire que vous avez un casier judiciaire. » Je lui ai répondu : « Vous me dites que je devrais mentir? »

Sachez toutefois que le gouvernement offre également des programmes aux personnes ayant de 17 ou 18 ans jusqu’à 29 ans. C’est tout. C’est le public cible. Si on est plus âgé, on est dans de beaux draps, surtout si on est une femme ayant mon apparence. On est alors victime d’âgisme, de sexisme et de toutes les autres formes d’« isme » qui vont de pair avec notre statut. Voilà qui met à mal l’estime de soi.

Je sais que je parle un peu fort, mais je suis ainsi. C’est un autre point que je dois soulever à l’Établissement Grand Valley. Les femmes de couleur parlent habituellement haut et fort, sont animées et gesticulent.

Dans le cadre des programmes, c’est considéré comme irrespectueux, mais ce ne l’est pas. Si je téléphone à Ottawa, par exemple, ou à un centre d’appels, je peux deviner le type de la personne qui répond à son ton de voix; je ne peux connaître sa personnalité, mais je peux deviner s’il s’agit d’une femme noire, car elle n’a vraiment pas une voix comme cela. Pour cette raison, nous nous faisons constamment rabrouer. Je vous le dis : vivez un an à notre place et vous verrez.

Je ne veux pas être irrespectueuse, mais je ne me souviens pas du nom de la sénatrice, de la femme noire qui parle au nom du groupe. Pardonnez-moi si je me trompe, mais je suis certaine que vous devez être doublement intelligente, terriblement tenace et extrêmement résistante pour être là où vous êtes. Aucune femme ordinaire ayant votre apparence ne parviendra où vous êtes, madame. J’éprouve le plus grand respect envers les membres du comité, les sénatrices et toutes les femmes ici présentes, car je sais que votre parcours n’a pas été de tout repos. Mais, issue d’une « autre ethnie », vous avez dû déployer des efforts supplémentaires pour être ici. Vous ne voulez peut-être pas le révéler à vos pairs, mais vous avez dû vous battre et vous le savez.

La présidente : Que puis-je répondre à cela, autrement qu’en disant que j’ai certainement été à votre place et passé ma vie à me colleter avec tous les problèmes que vous avez énumérés? Vous avez donc tout à fait raison.

Je m’appelle Wanda Thomas Bernard, sénatrice de Nouvelle-Écosse.

Mme Edwards : Je veux ajouter autre chose. Est-ce que je crois à l’abolition des prisons? Absolument pas. J’ai mérité de me retrouver où j’étais. J’étais une criminelle, oui, et je pense que je devais être retirée de la société, mais peut-être pas aussi longtemps que je l’ai été. C’est un autre problème.

Je crois qu’il faut faire abstraction de l’aspect religieux de la Charte des droits et libertés, car tous les programmes sont fondés sur la confession chrétienne. J’ai constaté que les gens qui prient le plus sont habituellement les plus pauvres. La reconnaissance que nous éprouvons pour tout ce que nous recevons est telle que nous remercierons allègrement Jésus pour tout, ce qui a du bon. Mais un grand nombre de personnes qui n’ont pas ouvert leur cœur au Tout-puissant se retrouvent en prison.

Ce que je veux dire, c’est que je pense que nos droits sont parfois violés. Est-ce que je considère que je devrais être incarcérée? Une fois encore, oui. J’assume la responsabilité de mes actes. Mais parfois, il faut s’intéresser à la personne qui prononce la sentence, et il y a là un problème systémique. Les juges tiennent-ils compte de certains problèmes? Non, car cela leur est impossible. Ils viennent de Mars et nous, de Vénus. Alors, évidemment, cela va jouer en notre défaveur. Que devons-nous faire? Nous devons accepter la situation, attendre que les choses passent et nous appuyer sur notre foi et nos sources de soutien.

Le soutien s’apparente parfois à des portes tournantes, car il vient parfois de nos enfants. Ces derniers nous soutiennent, alors qu’à d’autres moments, c’est nous qui les soutenons. Si nous ne sommes pas là, ils prennent eux aussi le mauvais chemin. Ils n’ont nulle part où aller.

La présidente : Au nom du comité, je tiens à vous remercier sincèrement, madame Edwards et madame Charles, de votre témoignage d’aujourd’hui. C’était exceptionnel de vous entendre. C’est le Mois de l’histoire des Noirs, dont le thème est « Femmes noires canadiennes : des histoires de force, de courage et de vision ». Vous avez toutes les deux fait montre d’une force et d’un courage extraordinaires aujourd’hui, car il faut avoir du courage pour raconter votre histoire. Je sais que chaque fois que vous le faites, vous revivez certains traumatismes que vous avez subis. Je sais également que le racisme, auquel s’ajoutent le sexisme, l’âgisme et les handicaps, sont des réalités quotidiennes qui peuvent vous mettre dans une situation difficile.

Vous vous en sortez extrêmement bien. Je voudrais que tout le monde bénéficie d’un mentor comme celui que vous avez eu.

Madame Edwards, j’ignore si vous pouvez me voir, mais si c’est le cas, vous pouvez constater que je m’exprime avec mes mains également.

Je vous remercie toutes les deux d’avoir témoigné. Vous avez contribué à nous sensibiliser aux réalités des prisonniers noirs et aux obstacles que vous devez surmonter, non seulement en prison, mais aussi quand vous tentez de réintégrer la communauté, la société.

Je ne pense pas que c’est la dernière fois que nous vous voyons. J’espère vous rencontrer en personne un jour, madame Edwards.

Mme Edwards : Certainement. Merci beaucoup à tous et à toutes.

La présidente : Merci d’avoir accepté de témoigner.

Mme Edwards : De rien. Merci d’avoir écouté ma vérité.

La présidente : Merci de nous l’avoir révélée.

Mesdames et messieurs, avant de lever la séance, nous devons examiner un budget en vue du prochain exercice. Vous savez que nous espérons nous rendre à Edmonton et à Vancouver dans la semaine du 23 avril.

J’ai une proposition à faire. Le comité convient-il d’adopter la demande d’autorisation budgétaire pour les séances publiques et la mission d’étude prévues à Edmonton, Vancouver et Abbotsford dans le cadre de l’étude spéciale sur les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel fédéral au cours de l’exercice se terminant le 31 mars 2019?

La sénatrice Andreychuk : Je pense que six sénateurs doivent participer au voyage. Je pose peut-être la question pour d’autres comités, mais on nous a toujours indiqué d’inclure tous les membres du comité.

Mark Palmer, greffier du comité : Cette directive a changé récemment.

La sénatrice Andreychuk : Quelle est donc la règle?

M. Palmer : Il n’y a pas de règle officielle; il s’agit simplement d’être réaliste.

La sénatrice Andreychuk : D’accord. Donc, le comité de direction est réaliste…

La sénatrice Cordy : Nous ne voulons exclure personne. À titre de membre du comité, vous savez bien que si le nombre passait de six à sept, il suffirait de demander des fonds supplémentaires et le Sénat les accorderait.

La sénatrice Martin : Ne faut-il pas le faire à la Chambre?

La sénatrice Cordy : La demande pourrait y aboutir, mais je n’en suis pas certaine. Je sais que si on demandait d’inscrire tous les membres à un voyage par le passé, c’est parce que certains comités disaient qu’ils voulaient que seulement quatre membres voyagent, mais qui choisit?

Dans le cas présent, six membres voyagent. Quatre ont été à Toronto. J’ignore combien se rendront en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Andreychuk : C’est très difficile.

La sénatrice Cordy : En effet.

La sénatrice Andreychuk : Quand nous devions inclure tous les membres, je déplorais le fait que la presse mette souvent la main sur notre budget global, sans examiner les dépenses réelles, c’est-à-dire le montant réaliste. Je n’ai aucune objection à ce que nous fonctionnions ainsi, dans la mesure où il ne faudra pas accomplir des actes héroïques pour ajouter des membres. Merci de ces précisions.

La présidente : Le comité convient-il d’adopter le budget ou y a-t-il d’autres questions? Le budget est adopté?

Des voix : Oui.

La présidente : D’accord. Est-il également convenu que le Sous-comité du programme et de la procédure soit autorisé à approuver la version finale du budget et que la présidence soit autorisée à la présenter au Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration?

Des voix : Oui.

La présidente : D’accord. Merci beaucoup à tous.

(La séance est levée.)

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