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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 32 - Témoignages du 11 août 2018


ABBOTSFORD, le samedi 11 août 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 18 h 5, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des détenus dans le système correctionnel.

La sénatrice Salma Ataullahjan (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Je déclare la séance ouverte. Avant toute chose, j’ai une motion que nous devons adopter. Autorisez-vous les photographies et la captation vidéo durant la réunion?

La sénatrice Cordy : Oui.

La sénatrice Pate : Oui.

La vice-présidente : Merci.

Bonjour, mesdames les sénatrices, et mesdames et messieurs. Je vois que nous avons le quorum, donc nous commençons. Avant de le faire, j’aimerais demander aux sénatrices de se présenter, puis la vice-présidente sera la première.

La sénatrice Cordy : Bonjour, je m’appelle Jane Cordy et je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Pate : Je m’appelle Kim Pate et je suis d’Ottawa.

La vice-présidente : Et je m’appelle Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

Nous sommes honorées d’être ce soir à Abbotsford pour poursuivre notre étude sur les questions concernant les droits de la personne des détenus dans le système correctionnel. Plus tôt cette semaine, nous sommes allés à Edmonton, où nous avons visité des établissements et tenu une audience publique. Au cours des deux derniers jours à Abbotsford, nous avons visité le Village de guérison Kwìkwèxwelhp, l’Établissement de Kent, l’Établissement du Pacifique, le Centre régional de traitement et l’Établissement de la vallée du Fraser pour femmes, et nous visiterons demain l’Établissement de Mission. Nous avons visité beaucoup d’endroits au cours des deux derniers jours.

Pour notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous sommes ravis d’accueillir, à titre personnel, Mme Wendy Bariteau et Mme Renee Acoby; nous accueillons également Jennifer Metcalfe, Prisoners’ Legal Services, West Coast Prison Justice Society.

Madame Bariteau, c’est à vous de commencer; vous serez suivie par Mmes Acoby et Metcalfe. Nous entendrons vos exposés, puis nous vous poserons des questions.

Wendy Bariteau, à titre personnel : J’aimerais remercier le comité de bien vouloir nous écouter, du début à la fin, de la côte Est à la côte Ouest, et j’espère humblement que ma petite contribution pourra permettre d’apporter quelques changements dans le système.

J’ai 50 ans. Je purge actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle dans 10 ans, ce qui veut dire que je serai admissible à la libération conditionnelle de jour en janvier 2020. J’ai quitté l’Établissement de la vallée du Fraser en janvier 2018, il y a un peu plus de six mois. Je vis en ce moment à Columbia Place, qui est une maison de transition de la Société Elizabeth Fry du Grand Vancouver.

J’étudie actuellement pour devenir technicienne juridique, et mes études m’aideront donc également dans mon plaidoyer en faveur du changement dans le système carcéral. J’offre mes services bénévoles à l’organisme Joint Effort durant la Journée de la justice dans les prisons, et aussi pour d’autres associations, comme les Prisoners’ Legal Services et, je l’espère, la BCCLA en septembre.

Je tenais simplement à parler de Joint Effort en ce moment et des problèmes qu’ont les bénévoles pour entrer dans l’Établissement de la vallée du Fraser, en raison de la cote de fiabilité qui, pour autant qu’on sache, est seulement exigée des bénévoles à l’Établissement de la vallée du Fraser. La cote de fiabilité est une mesure d’accès sécurisée qui était habituellement exigée des employés des établissements, et on l’exige maintenant pour les bénévoles. Cela veut dire qu’on procède à des vérifications du crédit et qu’on demande des renseignements sur les conjoints et des renseignements très personnels qui peuvent être utilisés par le SCRS ou la GRC. Beaucoup de bénévoles ne veulent pas passer par là, en raison des vérifications de crédit, disons. Ce n’est pas parce que vous avez un mauvais crédit que vous ne devriez pas être bénévole.

Je suis nerveuse.

La vice-présidente : Ne le soyez pas.

Mme Bariteau : Je peux sentir la chaleur m’envahir.

La sénatrice Cordy : Le pire est maintenant passé. Vous avez déjà commencé, donc vous n’avez qu’à continuer.

Mme Bariteau : J’ai été condamnée à une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre en 2010. J’ai commencé ma peine, comme toute peine pour meurtre, dans un établissement à sécurité maximale. Je n’ai pas pu avoir de dérogation pour éviter l’unité à sécurité maximale, donc j’ai dû purger mes deux premières années complètes à l’Établissement Joliette, un établissement à sécurité maximale au Québec.

La sécurité maximale signifie essentiellement l’isolement cellulaire ou l’isolement. Vous êtes complètement isolé du reste de la population. À Joliette, tout est interne. Même si vous voulez aller, disons, au gymnase, on bloque en réalité les corridors. Cela veut dire que chaque détenu sur le terrain, que ce soit une unité à sécurité minimale ou moyenne, est exclu de cette section, donc vous pouvez aller, disons, au gymnase ou au parloir depuis votre unité à sécurité maximale. Les gens ne peuvent pas vous parler. Je veux dire, même s’ils vous regardent et vous font des signes, ils ne sont pas encouragés à le faire. Vous êtes complètement isolé du reste de la population carcérale.

Dans l’unité à sécurité maximale, vous êtes enfermé à 22 heures. La porte est fermée, et elle rouvre à 7 heures. C’est donc un système d’isolement, et vous êtes là, exclu, pendant deux ans.

On ne vous donne aucun renseignement sur vos droits. On vous dit seulement que les livres sont là. Donc quelqu’un comme moi, qui n’avait jamais connu le système carcéral... Je n’avais aucune idée de mes droits ni même du fait que j’en avais. Je l’ai appris en 2012, lorsque je suis partie et que j’ai commencé à travailler pour le comité de détenus. En réalité, j’ai découvert que le SCC a des directives du commissaire, qui sont des règles que le SCC doit suivre, ou devrait suivre, y compris des règles que les détenus doivent aussi suivre, qui n’étaient essentiellement pas respectées par le SCC à l’intérieur d’une unité à sécurité maximale.

Dans le contexte de la sécurité maximale, ce qui m’a sauvée, ce sont les études. Au Québec, nous avons un accès gratuit au cégep, et on me l’a donc offert au cours de ma deuxième année dans l’unité à sécurité maximale, et j’ai étudié jusqu’à mon transfèrement vers l’EVF, en 2016. Selon ce que je comprends, le SCC paie la moitié des frais, et le ministre de l’Éducation paie l’autre moitié, ce qui est malheureusement un avantage que les autres provinces n’ont pas, car puisque l’éducation est de compétence provinciale, l’EGV doit passer par Walls to Bridges, et l’EVF n’offre rien d’autre que les études secondaires. En somme, les études personnelles sont pratiquement inexistantes dans les établissements fédéraux si vous n’êtes pas au Québec ou si les universités ne sont pas prêtes à donner de l’argent.

L’éducation à distance n’est pas non plus offerte, habituellement, parce qu’avec la technologie aujourd’hui, toute éducation à distance se fait sur Internet. Puisque nous n’avons pas droit à Internet, il est très rare de pouvoir trouver un cours qui contient en réalité des livres. Donc, il y a 20 ans, vous pouviez probablement obtenir un doctorat dans un établissement fédéral et, en 2018, vous ne pouvez même plus obtenir un diplôme d’études secondaires à distance. Pour ce qui est de l’éducation dans le système du SCC, nous avons régressé, plutôt que d’aller de l’avant. Tout comme dans le cas de La Création de choix, au début des années 1990; c’était une excellente idée pour les établissements pour femmes, et nous avons régressé à cet égard également.

La question qui m’intéresse principalement — et j’en ai beaucoup, mais j’insisterai aujourd’hui sur une en particulier — c’est la liberté d’expression. Dans chaque établissement, je dirais que la liberté d’expression est pratiquement inexistante pour quoi que ce soit qui porte à conséquence. Vous pouvez parler de votre quotidien, mais vous ne pouvez pas vous plaindre. Si vous déposez un grief, vous en êtes tenu responsable. Même si on n’a pas le droit de le faire, on trouve des façons de vous faire payer, en quelque sorte, vos griefs. Dans un de mes rapports de sécurité, ceux sur lesquels je pouvais présenter un grief, dans 11 paragraphes, on m’a dit que mon grief faisait partie de mon cycle de criminalité, ce qui n’est en fait pas vrai, et que je retournais dans mon cycle de criminalité parce que je déposais un grief, et que je ne vivais pas le moment présent. En gros, vous ne pouvez pas vous plaindre. Vous pouvez faire appel aux enquêteurs correctionnels, vous pouvez formuler des griefs, mais vous finirez par en payer le prix, soit en restant plus longtemps, soit en étant placé en isolement, car on considère que vous représentez une menace perturbatrice pour la sécurité.

J’ai été nommé présidente pendant trois ans et j’ai été très active à Joliette, et mon agente de libération conditionnelle m’a dit que j’étais une personne agressive, même si aucun rapport n’indiquait que je l’étais. Aucun rapport d’observation n’indique que je suis agressive. Je n’ai jamais été placée en isolement. Je n’ai fait l’objet d’aucun rapport que ce soit, et j’ai été considérée comme une personne très agressive, qui n’acceptait pas de se faire dire non, qui ne voulait pas suivre les règles, et on m’a dit que je resterais essentiellement incarcérée jusqu’en 2021. Comme j’étais dans une unité à sécurité moyenne, elle n’a pas voulu changer ma classification pendant deux ans. Puis, lorsque j’ai changé pour une unité à sécurité moyenne, j’y suis restée pendant deux ans durant lesquels on me permettait de sortir avec escorte, et deux ans de plus sans escorte, jusqu’à ce que je puisse même demander la libération conditionnelle. Mes 10 ans se terminent en 2020. Elle demandait ma libération conditionnelle pour 2021. Et je n’ai aucun rapport, rien. Je suis les règles. Je fais ce qui doit être fait.

J’ai donc demandé un transfert à l’EVF. J’ai appris ma leçon. Je n’ai pratiquement pas fait valoir mes droits à l’EVF. Lorsque je trouvais que les choses devenaient tendues, je prenais du recul, et j’ai réussi à sortir en 2018. Mais j’ai dû quitter ma province pour le faire.

Lorsque vous vous battez, vous devenez une cible, et cela arrive aussi lorsque vous êtes dehors. En tant que condamnée à l’emprisonnement à perpétuité, je suis la propriété du SCC jusqu’à ma mort. Il peut me renvoyer en dedans n’importe quand. On doit me renvoyer parce que j’enfreins des conditions ou que je ne suis pas transparente. Il y a un mois, on a menacé de me renvoyer, parce que ma maison de transition allait me retirer son appui. La superviseure de l’agente de libération conditionnelle a dit que, si ma maison de transition ne veut plus de moi et qu’il n’y a pas de place, on devra me renvoyer en milieu carcéral, que c’était à elle de décider quand je sortirais et qu’elle allait me mettre au bas de la liste parce que d’autres personnes avaient préséance sur moi.

Je vais à l’école depuis avril. Je fonctionne très bien. J’ai demandé qu’on éteigne le chauffage en juin. J’ai demandé si on pourrait peut-être obtenir le réseau sans fil en 2018. La superviseure intérimaire n’a pas aimé le fait que je l’aie court-circuitée, parce qu’elle a dit non à toutes ces demandes. J’ai donc posé la question à la directrice de la Société Elizabeth Fry. Elle a décidé d’appeler la superviseure des agents de libération conditionnelle et m’a menacée de me renvoyer en prison à cause des demandes que j’avais faites. Parce que je voulais que ma vie soit meilleure dans une maison de transition. Donc, lorsque vous êtes en dedans, si vous vous battez, vous y restez; puis, lorsque vous êtes sorti et que vous vous battez, on vous renvoie en dedans.

Elle faisait son travail. Nous avons manqué de bols, et nous mangions donc dans des bols à crème sure. Personne ne s’est plaint. Eh bien, je pense que c’était l’objectif global, n’est-ce pas? Ils peuvent donc gérer ce qu’ils veulent, comme ils le veulent, sans que personne ne vienne défendre les intérêts de qui que ce soit d’autre.

Pour les détenus, la liberté d’expression n’existe pas. Peu importe ce que dit la LSCMLC. Peu importe ce que dit la DC ou qui que ce soit. Si vous exprimez vos opinions, vous en serez tenu responsable. Et c’était l’élément principal que je voulais faire valoir, car je crois que notre pays repose sur la liberté d’expression, et nous nous sommes battus longtemps et avec acharnement pour cela, mais, en tant que détenu, vous ne pouvez rien faire.

Même si vous déposez un grief, il faut attendre environ trois ans avant qu’il soit entendu. Donc, si vous avez un grief important, au moment où il est entendu et renvoyé, ce sur quoi vous avez présenté le grief est chose du passé. Et c’est ce qu’on vous dit à l’intérieur. On vous dit : « Vas-y, dépose un grief. » Mais ils savent que, quand il sera entendu ou qu’on conclura une entente avec vous, le grief datera de trois ans. Donc, tout ce sur quoi vous formulez des griefs a des répercussions sur votre peine, sur le temps que vous passerez à l’intérieur. Cela ne change rien. Vous demeurez... Au moment où il revient sur le tapis, trois ans se sont écoulés. Vous avez passé trois ans en dedans.

C’est tout pour moi. Merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Renee Acoby, c’est à vous.

Renee Acoby, à titre personnel : Je m’appelle Renee Acoby. En ce moment, je suis classée comme délinquante dangereuse. J’ai reçu la désignation de délinquante dangereuse en 2011. Je purge une peine de durée indéterminée, donc mon cas est examiné tous les deux ans. Au départ, j’ai reçu une peine de trois ans et demi pour trafic de cocaïne et d’autres accusations mineures, et on m’a condamnée à 18 ans d’incarcération pour diverses infractions contre des détenus et des employés, jusqu’à ce qu’on me désigne délinquante dangereuse en 2011. J’ai fait 18 ans avant de finalement obtenir la libération conditionnelle, en mai dernier.

On m’a laissée sortir en semi-liberté restreinte pendant deux mois, pour me permettre de me réadapter à la collectivité. On ne s’attendait pas à ce que je trouve un emploi. On voulait seulement voir si j’allais m’adapter à la collectivité sans problème, et ce, pour une période de deux mois, avec la possibilité que je retourne en milieu carcéral avant d’obtenir une semi-liberté plus longue.

En réalité, j’ai obtenu deux emplois la première semaine où je suis sortie. C’était de la rédaction et un emploi à contrat. Je me suis adaptée assez rapidement. J’ai commencé à travailler au Downtown Eastside Women’s Centre. Très vite, j’ai commencé à faire des quarts de nuit, pour 10 heures environ, mais comme j’avais été incarcérée pendant très longtemps et que j’avais l’habitude de me coucher vers 22 h 30, les quarts de nuit étaient très difficiles pour moi. C’était difficile, parce que c’était un emploi syndiqué. Et même si mon rôle était celui de pair intervenante à l’intérieur de l’établissement carcéral, je n’avais en fait pas le droit de donner mes coordonnées à aucune des femmes. Si je voulais déposer pour elles des plaintes concernant les droits de la personne, mes collègues me disaient que je n’avais pas le droit de le faire. J’ai trouvé l’emploi très contraignant et j’ai décidé de démissionner.

Mais pour revenir au milieu carcéral, lorsque j’y suis entrée pour la première fois, les unités pour femmes qu’on a maintenant n’existaient pas. En fait, on m’a envoyée dans un pénitencier pour hommes, en Saskatchewan, et j’étais enceinte. Pendant que j’étais là-bas, avant que j’arrive en réalité au Pénitencier de la Saskatchewan, il y avait eu neuf prises d’otage. Il y avait eu un suicide. Et l’environnement était très différent à l’époque. Nous ne parlions pas aux gardiens, sauf en cas de nécessité. Ils ne nous adressaient pas la parole. C’était très instable. Je pense qu’on a dit que c’était indigne des ours, essentiellement. L’environnement était vraiment chaotique, vraiment tendu.

J’ai dû me rendre dans un établissement carcéral provincial pour suivre un programme d’éducation parentale, parce qu’il n’y avait pas de programme de base dans l’unité des femmes du pénitencier pour hommes. Donc, chaque jour, je me rendais à l’établissement provincial et je suivais le programme d’éducation parentale, je revenais, on me fouillait, jusqu’à ce que finisse par être classée dans un établissement à sécurité moyenne et transférée au pavillon de ressourcement avec mon enfant, à sa naissance.

Je suis restée au pavillon de ressourcement pendant près d’un an, puis j’ai pris une mauvaise décision : j’ai fumé un joint et j’ai pris deux Valium. Par conséquent, on m’a retiré mon enfant. Mais je pense que tout le monde peut admettre qu’on ne l’a pas fait correctement. C’était ma responsabilité. Je n’aurais pas dû prendre de drogues, un point c’est tout. Mais il y a eu beaucoup d’erreurs. Lorsque le comité d’enquête a mené son enquête, il a conclu que beaucoup d’erreurs avaient été commises dans le système.

Pendant probablement les cinq premières années de ma peine, j’ai continué d’accumuler les accusations. Je me sentais vraiment désespérée; j’ai renoncé à moi-même et à la maternité. Je me suis donc construit une mentalité selon laquelle si quelqu’un me faisait du mal, j’allais lui faire du mal en premier.

Cela a duré pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’on m’inscrive au Protocole de gestion, qui est semblable à la routine des établissements à sécurité maximale pour les délinquants, voire plus contraignant. Nous étions en réalité sept au Canada à nous retrouver dans le Protocole de gestion. J’ai été la première inscrite et la dernière à en être retirée.

Le Protocole de gestion comportait trois étapes. J’ai passé huit ans dans le Protocole de gestion, et six d’entre eux supposaient un confinement de 23 heures. À l’époque où j’étais inscrite au protocole, c’était différent pour tout le monde. Il n’y avait vraiment aucune orientation. Donc, des choses simples... Par exemple, je devais mériter le droit de me brosser les dents. Je devais mériter la pâte dentifrice. Je devais mériter le papier de toilette. En fait, on me réservait 10 carrés de papier de toilette par jour. Je devais manger mes repas dans des tasses et des contenants en papier qu’on utilisait pour les frites et d’autres choses. Si on essaie de manger quelque chose comme un bol de céréales, le lait va couler. J’ai dû mériter qu’on ouvre mon robinet d’eau chaude dans ma cellule. Beaucoup de choses ont été mal faites.

C’est pourquoi j’ai déposé une plainte concernant les droits de la personne et une poursuite civile contre le SCC en ce moment, pour pratiquement l’ensemble de mon incarcération, mais principalement ce qui a trait au Protocole de gestion.

Le protocole n’a été abrogé que lorsqu’une autre femme qui y était soumise a intenté une poursuite contre le SCC. Quelques mois plus tard, j’en ai intenté une. Elle ne s’est jamais retrouvée devant les tribunaux, parce que le protocole a été abrogé. Mais comme le Service correctionnel du Canada m’a désignée comme étant la femme la plus dangereuse, il a en réalité continué de maintenir une routine pour moi où, vous savez, j’étais toujours maintenue; je devais mériter de sortir de ma cellule, même si cela avait été jugé illégal et avait été abrogé. Donc, il continuait de faire fi des politiques ou de toute autre déclaration des droits de la personne dont le Canada est signataire, de toutes ces choses.

Et il y avait d’autres choses qui n’allaient pas avec le protocole. Je pense que, parmi les sept personnes qui y ont été assujetties, six d’entre nous étaient Autochtones ou Afro-Américaines, et les femmes blanches qui y étaient inscrites en sont sorties en moins d’un an. Le reste d’entre nous ont passé des années en isolement, devant mériter des choses de base qu’il est inutile de se mériter. Nous ne pouvions même pas nous trouver dans le même établissement. Donc, si une femme était à Edmonton, et qu’il y avait là-bas une autre femme assujettie au protocole, nous n’avions pas le droit d’être transférées dans cet établissement, parce que la personne s’y trouvait.

On a commencé à construire des salles en plexiglas. On nous menottait et nous enchaînait, même si c’était pour aller d’ici à là-bas. On nous demandait de suivre tout un autre ensemble de procédures de sécurité. Je devais reculer jusqu’à la porte. On me menottait derrière le dos, puis je devais sortir de la cellule, et on me mettait des chaînes. On me déplaçait habituellement avec cinq ou six gardiens, et il devait toujours y avoir un gestionnaire correctionnel. En gros, le GC est responsable des gardiens. Donc, s’il n’y avait pas de gestionnaire correctionnel sur place ce jour-là, je ne sortais pas pour prendre ma douche ni pour faire quoi que ce soit de la routine habituelle, ce qui avait vraiment une influence sur les autres femmes qui suivaient des routines d’isolement normales, ou même dans l’unité à sécurité maximale, parce que cela exigeait un très grand nombre d’employés quand je devais me déplacer.

Donc, oui, une des choses principales que j’ai remarquées, c’est qu’il y a beaucoup de racisme à l’intérieur du Service correctionnel du Canada. Les femmes autochtones passent beaucoup plus de temps en isolement que les autres. Elles passent beaucoup plus de temps dans une unité à sécurité maximale. Elles ont plus de mal à mériter tout type de classification de sécurité inférieure, tout type de permission de sortir avec escorte, d’autorisation de travailler à l’extérieur du périmètre. Toutes ces choses sont très difficiles à obtenir en établissement si vous n’êtes pas un Blanc.

L’autre sujet que je voulais aborder, c’est que mon audience a été reportée au moins trois fois, même si mon cas est examiné tous les deux ans. J’ai fait l’objet d’un examen en novembre. Mon audience a été reportée deux ou trois fois après cela, et une des raisons pour lesquelles on avait ajourné mon audience, c’était qu’on avait reçu plus de 20 pages de renseignements d’un informateur confidentiel. Donc, c’était pratiquement 90 p. 100 de la population qui faisaient des allégations. Je n’avais aucune idée que toutes ces allégations étaient faites à mon sujet. Cependant, au final, la Commission des libérations conditionnelles a conclu que la plupart des allégations n’étaient pas fiables, pas étayées.

L’autre chose que je voulais aborder, c’est que je crois que le recours à des informateurs confidentiels à l’intérieur des établissements carcéraux ne devrait pas être autorisé. Il existe beaucoup de renseignements et de documents sur l’utilisation des informateurs confidentiels et des informateurs de police, et ils sont très peu fiables. Essentiellement, ils ne se fient pas à la parole des gens qui ont été incarcérés. Je crois que cela doit changer. Ce que le SCC utilise s’appelle « Gestion des sources humaines », et c’est une politique, donc ce n’est pas régi par quoi que ce soit en vertu d’une loi.

Ce que la DC lui permet de faire, c’est de payer des détenus pour qu’ils fournissent des renseignements au sujet de choses qui se passent dans la cour. Je pense que c’est vraiment lacunaire, parce qu’à l’intérieur d’un établissement pour femmes, il existe en quelque sorte le syndrome du panier de crabes, où les femmes ne s’aident pas vraiment les unes les autres. Elles essaient de se mettre mutuellement dans le pétrin. C’est vraiment différent du moment où je suis entrée pour la première fois. Donc, je pense qu’on doit réagir à cela, que ce soit au moyen d’une plainte concernant les droits de la personne ou d’autre chose, mais on doit éliminer cela.

Je crois que, compte tenu de ce qui s’est passé avec... Même dans l’enquête sur Ashley Smith. J’étais à côté d’Ashley Smith en 2007. Pendant que j’étais inscrite au protocole, je les ai vus, trois semaines avant qu’elle arrive, réaménager la cellule. Ils avaient environ cinq types de fenêtres différentes qu’ils pouvaient mettre sur la fenêtre ou enlever. Ils ont installé un genre de belvédère à l’arrière, pour que le personnel puisse s’asseoir, l’observer par la fenêtre arrière, enlever ces fenêtres à l’avant si elle les couvrait, ce qu’elle faisait habituellement avec ses propres selles, parce qu’elle n’avait rien dans la cellule et qu’elle portait un vêtement de sécurité. Quand elle était dans sa période de lune, ils ne lui donnaient aucun sous-vêtement ni aucune serviette. J’ai donc commencé à consigner tout cela dans un livre.

Et elle doit avoir été aspergée de poivre de Cayenne au moins trois ou quatre fois par jour, et normalement, vous êtes censé décontaminer la cellule pendant au moins 15 minutes. J’ai été aspergée moi-même de poivre de Cayenne. Il faut en réalité plus de 15 minutes. Ils n’ont pas vraiment fait cela avec elle. Ils ne sont pas allés décontaminer la cellule. Donc, elle retournait dans une cellule dont le plancher était recouvert de poivre de Cayenne. Ils la traitaient de façon horrible, et tout ce qu’elle essayait de faire, c’était de demander de l’aide.

J’ai appelé Kim un jour et je lui ai raconté ce qui se passait, et je lui ai dit que j’avais déposé sept griefs au nom d’Ashley, parce qu’elle n’avait pas droit à des stylos, à des crayons et à du papier. Ils lui faisaient la même chose... Ils la géraient comme si elle était une détenue visée par le Protocole de gestion, mais de façon non officielle. J’ai donc fini par déposer ces griefs pour elle. Cela m’a attiré des ennuis. J’ai reçu une accusation de manquement à la discipline. On a dit que j’incitais une autre détenue, et j’ai dit : « Je m’en fous. Je dépose les plaintes. » Et les plaintes n’ont en fait été retirées de la boîte qu’un mois après son décès.

Je crois que le système de plaintes en établissement doit être complètement éliminé, je ne veux pas dire complètement éliminé pour les femmes ou les hommes, mais il doit y avoir un mécanisme différent dans le cadre duquel, peut-être, une organisation indépendante examinerait les plaintes. Parce que si vous formulez une plainte contre un employé du SCC ou présentez un type de politique qui va à l’encontre du SCC... Les gens qui analysent ces plaintes sont des employés du SCC, donc, en général, ils ne retiennent pas les plaintes ou les griefs. Et si vous les présentez au troisième niveau, il faut habituellement attendre six mois. Quelque chose qui aurait donc pu être rectifié immédiatement par un comité indépendant ne l’est pas.

Je pense qu’on doit abolir la Loi sur les délinquants dangereux. À l’origine, elle a été conçue pour des délinquants sexuels en vertu de la vieille loi sur les repris de justice, et beaucoup des gars qui étaient visés par elle étaient des petits délinquants, qui ont passé environ 40 ans incarcérés avant d’être libérés, et ils ont dû demander la clémence royale. Donc, je crois que la Loi sur les délinquants dangereux doit être examinée.

C’est tout ce que je peux dire en ce moment.

La vice-présidente : Merci.

Mme Metcalfe est la suivante.

Jennifer Metcalfe, directrice générale, services juridiques aux prisonniers, West Coast Prison Justice Society : Merci beaucoup de me fournir l’occasion de comparaître devant le comité et d’entreprendre cette étude importante sur les droits de la personne des détenus au Canada.

Je suis directrice générale des services juridiques aux prisonniers, la seule clinique pour les détenus fédéraux et provinciaux en Colombie-Britannique qui fournit de l’aide juridique sur des questions qui touchent les droits à la liberté prévus par l’article 7 de la Charte, ainsi que les soins de santé et les questions liées aux droits de la personne. Au cours de la dernière année, nous avons aidé des détenus par rapport à plus de 2 500 questions juridiques.

Comme vous le savez, la grande majorité des détenus souffrent de problèmes de santé mentale, y compris de dépendances. On estime que 80 p. 100 des détenus au Canada souffrent de dépendances, et les liens entre les problèmes de santé mentale, les traumatismes, la dépendance et les démêlés avec la justice pénale sont largement reconnus.

Le Canada doit investir dans les services de santé mentale dans la collectivité, de sorte que les personnes atteintes de troubles mentaux puissent mener une vie productive à titre de membres de la société, plutôt que de croupir derrière les barreaux.

Notre système de justice et notre système correctionnel doivent être transformés pour qu’on puisse trouver des solutions de rechange communautaires aux établissements carcéraux et réagir aux besoins des personnes incarcérées. Ainsi, elles pourront guérir de leurs traumatismes, réintégrer la société et réussir.

Au lieu de s’attaquer à la crise de santé mentale qui touche nos établissements carcéraux, le Service correctionnel du Canada continue de mettre des gens en isolement cellulaire, pratique considérée par les Nations Unies comme de la torture ou un traitement cruel pour les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ou pour qui que ce soit après 15 jours. Les recherches révèlent que l’isolement cellulaire est dommageable sur le plan psychologique et augmente le risque de suicide.

L’an dernier, le gouvernement a présenté le projet de loi C-56, et les médias ont rapporté à tort qu’il avait plafonné l’isolement à 21 jours; mais, en fait, le projet de loi C-56 ne fait rien pour limiter le recours à l’isolement. Le directeur d’établissement a l’autorité de poursuivre indéfiniment l’isolement.

Dans sa lettre de mandat envoyée à la ministre de la Justice, le premier ministre Trudeau lui demandait de mettre en oeuvre la recommandation de l’enquête sur Ashley Smith consistant à limiter l’utilisation de l’isolement cellulaire et à « prendre des décisions quant à la conclusion d’appels ou aux prises de position qui ne cadrent pas avec les engagements, avec la Charte ou avec les valeurs canadiennes. » Toutefois, le gouvernement canadien interjette maintenant appel de la décision du juge Leask dans l’affaire touchant les libertés civiles de la Colombie-Britannique selon laquelle l’utilisation par le gouvernement de l’isolement cellulaire contrevient aux articles 7 et 15 dans le cas des détenus autochtones et des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Pourquoi le gouvernement se bat-il pour le droit de maintenir contre ses citoyens les plus vulnérables une pratique que les Nations Unies considèrent comme de la torture ou un traitement cruel?

J’aimerais parler d’un de mes clients qui m’a donné la permission de raconter son histoire. Joey Toutsaint a traditionnellement grandi comme membre de la nation dénée. Après le décès de sa mère et de son grand-père lorsqu’il était adolescent, il a eu des démêlés avec le système de justice pour les jeunes et est entré dans le système pour adultes à 18 ans.

Au même titre que de très nombreux autres détenus autochtones, Joey a été incarcéré pour des accusations relativement mineures, mais ses expériences en détention ont entraîné des accusations plus graves, y compris la violence grave. Il a maintenant 31 ans et estime avoir passé un total de 7 ou 8 ans en isolement cellulaire depuis 2005, où il est enfermé dans une petite cellule, seul pendant de 23 à 24 heures par jour, avec très peu de contacts humains enrichissants. Si on lui donne une heure pour sortir de sa cellule, il la passe seul, dans la cour ou la douche. Il a été victime de multiples situations de recours à la force par les agents correctionnels, y compris l’utilisation d’agents chimiques, souvent en réaction à des actes d’automutilation.

Joey a reçu le diagnostic de trouble de stress post-traumatique, de trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention et de trouble dépressif majeur.

Comme mécanisme d’adaptation, Joey s’automutile. Son corps est couvert de cicatrices. Trois fois, il s’est mordu le bras pour atteindre une artère. Il s’est récemment tranché la gorge et est presque mort au bout de son sang, et, au terme d’un bref séjour à l’hôpital communautaire, il a été envoyé en isolement cellulaire.

Lorsque Joey s’automutile, le Service correctionnel du Canada le place dans une cellule d’observation, où il est isolé et souvent encore plus privé de tous ses biens, y compris ses vêtements, n’ayant rien pour s’occuper l’esprit, comme la télévision, la radio, des livres ou de quoi dessiner. C’est un artiste. Il décrit son matelas qui est, selon lui, mince comme une couverture sur le plancher de béton. On ne lui donne à manger que des aliments qui se mangent avec les doigts qu’on appelle « aliments ensachés ». Les cellules sont souvent très froides ou très chaudes, et les lumières sont allumées 24 heures par jour. Il ne peut pas dormir, et son corps lui fait mal. Sa cellule est souvent sale et contaminée par des agents chimiques, donc la peau le brûle. Un agent s’assoit à l’extérieur de sa cellule avec une bombonne de poivre de Cayenne et ne lui adresse pas la parole.

Joey passe actuellement sa 18e journée dans une cellule d’observation en surveillance en cas de risque de suicide. Il décrit ses conditions comme de la torture. Le SCC a refusé de le transférer dans un établissement psychiatrique.

En observation ou en isolement, Joey a très peu de contacts humains dignes de ce nom. Les rencontres avec les professionnels de la santé se font généralement à travers la porte de la cellule et ne durent que quelques minutes. Il dit que les agents et les infirmières sont impolis. Ils refusent de répondre à ses préoccupations ou de lui donner leur nom. Il dit qu’ils le traitent comme un chien ou un enfant. Lorsqu’il demande à voir son plan de soins, tout ce qu’on lui dit, c’est qu’il doit avancer à petits pas. Il signale que les agents l’insultent, qu’ils rient de lui et qu’ils élèvent la voix. Il dit que tout ce que les agents et les infirmières font, c’est le menacer sans cesse avec du gaz et avec le système de contrainte Pinel. La plupart du temps, le seul moment où Joey parle au personnel, c’est pour demander des analgésiques ou pour appeler son avocat. Il ne fait pas confiance au personnel du SCC, y compris le personnel médical et les professionnels de la santé mentale.

Le psychiatre national principal du SCC nous a dit que, même s’il n’a pas rencontré Joey, il a déterminé que celui-ci ne satisfait pas à la définition de maladie mentale grave, qui permettrait d’interdire l’utilisation de l’isolement administratif. Il refuse de reconnaître que Joey a un TSPT. Il caractérise l’automutilation de Joey comme de la manipulation. Il nous informe également du fait qu’il n’a rien à voir avec la détermination du plan de traitement de Joey et qu’il ne répondra plus à nos courriels au sujet de Joey.

Prisoners’ Legal Services exhorte le gouvernement à s’associer avec les ministères provinciaux de la Santé pour fournir des services et soins de santé indépendants aux détenus fédéraux, de sorte qu’ils puissent établir la relation de confiance nécessaire pour assurer la prestation de soins efficaces. Des lignes directrices sur la confidentialité doivent également être établies.

On devrait évaluer les besoins en santé mentale de chaque détenu, y compris le besoin de services axés sur les traumatismes ou de services de toxicomanie dès l’admission. Chaque fois qu’un besoin est cerné, un plan de soins devrait être élaboré sans tarder, ce qui pourrait comprendre l’offre de counseling en traumatologie et en toxicomanie. Le SCC doit aider les gens à risque de problèmes de santé mentale avant qu’ils commencent à s’automutiler, en fournissant des unités résidentielles de traitement à tous ceux qui pourraient en profiter.

Les détenus à risque d’automutilation ou de suicide devraient être placés dans des hôpitaux psychiatriques communautaires ou des centres de traitement, où ils peuvent guérir de leurs traumatismes dans un environnement thérapeutique. Le processus d’admission à un centre de traitement devrait être juste et transparent sur le plan de la procédure.

Si des cellules d’observation doivent être utilisées pour prévenir l’automutilation ou le suicide, leur utilisation devrait être autorisée par des professionnels médicaux dans un contexte hospitalier et être assujettie à des limites de temps. Quiconque est à risque d’isolement devrait se voir offrir et accepter des contacts humains enrichissants, y compris de la thérapie, dans le but de prévenir l’isolement.

Les personnes qui ont des problèmes de santé mentale sont classées selon des niveaux de sécurité supérieurs en vertu des politiques et des règlements actuels. La classification de sécurité ne devrait pas reposer sur les problèmes de santé mentale d’une personne.

Le Canada devrait dialoguer d’égal à égal avec les Premières Nations afin de négocier l’autodétermination et les services correctionnels, de sorte qu’aucun Autochtone ne soit incarcéré dans un établissement colonial, qui perpétue le système génocidaire des pensionnats. Les détenus autochtones devraient avoir accès à des pavillons de ressourcement dirigés par des Autochtones, où ils peuvent se rétablir de leur traumatisme intergénérationnel.

L’isolement cellulaire devrait être aboli au Canada. Aucun détenu ne devrait être soumis à la torture ou à un traitement cruel au Canada. Le Canada devrait tendre la main à des experts et à des intervenants et concevoir des solutions de rechange à l’isolement cellulaire.

Merci.

La vice-présidente : Merci.

Nous passons maintenant aux sénatrices pour les questions.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup.

Si nous n’avions pas passé la dernière semaine dans des établissements carcéraux, je me demanderais d’où viennent ces histoires, mais nous avons certainement vu beaucoup de choses ici, ainsi qu’en Ontario, au Québec et dans le Canada atlantique. Je ne suis pas certaine de savoir comment faire connaître ces histoires et d’une façon telle que les gens puissent vraiment comprendre. On aurait pu penser qu’après Ashley Smith, l’isolement n’existerait plus, mais c’est l’histoire horrible d’une personne qui a été incarcérée pour quelque chose de très mineur. Je crois que c’est parce qu’elle avait lancé des pommettes à une personne, n’est-ce pas?

La sénatrice Pate : C’était pour manquement aux conditions de la probation.

La sénatrice Cordy : Manquement aux conditions de la probation, et elle a fini par mourir en prison, au Canada, rien de moins.

Je suis juste curieuse, Wendy, lorsque vous étiez... Désolée, madame Bariteau.

Mme Bariteau : Wendy, c’est bon.

La sénatrice Cordy : Vous avez dit que, en tant que détenue, la liberté d’expression n’existe pas. Et nous avons entendu marteler sans cesse qu’on va trouver une façon de se venger pour le processus de griefs. Donc, que recommandez-vous à une personne incarcérée? De juste se tenir tranquille jusqu’à ce que sa peine soit terminée?

Mme Bariteau : Je crois que les femmes se le recommandent à elles-mêmes. Elles voient ce qui se passe et elles restent tranquilles. Comme je l’ai dit, juste à la maison de transition, personne ne se plaint de la vaisselle. Personne ne veut le faire. On a réussi à vous museler. C’est comme couper la tête de la plus forte menace, n’est-ce pas? Tous les autres vont rentrer dans le rang. Et c’est ce qu’on fait en milieu carcéral.

Je pense que Renee a ressenti la même chose, en tant que défenseure, et je crois que chaque personne qui défend des intérêts en milieu carcéral, ou les détenus qui travaillent à améliorer le système et aident les autres, ont ressenti cela. Malheureusement, vous apprenez en observant le processus et en voyant ce qui arrive à d’autres.

De plus, le système fédéral, c’est un système de type deux plus un. Les femmes qui ont des peines courtes veulent sortir. Donc elles savent que si elles s’expriment, leur peine sera plus longue. Donc, elles ne le font pas. Elles veulent juste faire leur temps et retourner vers leur famille.

Je pense que la plupart des défenseurs, et c’est ce que je crois, ce sont surtout des délinquants à long terme, des gens qui sont là pendant une longue période et qui ont besoin de changement.

La sénatrice Cordy : Et, essentiellement, ils n’ont rien à perdre.

Mme Bariteau : Nous avons tout à perdre. Ma devise, c’est que si je ne peux pas défendre mes droits, je ne peux pas demander à qui que ce soit de défendre les siens. Par conséquent, mon attitude à l’Établissement Joliette — je l’admets — consistait à me dire que je me fous de ce qui m’arrivera. Si je dois être ici plus longtemps, soit, mais mes droits seront respectés.

C’en est venu à un point où, en fait, c’est ma famille qui m’a poussée et m’a dit : « Non, tu dois sortir. Tu seras plus utile en liberté qu’en dedans. » Cependant, j’avais dépassé le point de non-retour et j’ai dû être transférée et partir. Et c’est la raison pour laquelle j’ai dit que mon attitude a changé à l’EVF. J’étais moins contestataire.

La sénatrice Cordy : Madame Acoby, vous avez parlé du fait d’avoir enfin pu voir votre rapport, et vous avez été très surprise des renseignements confidentiels qui avaient été fournis. C’est quelque chose que nous avons déjà entendu, soit que des faits étaient tordus et intégrés dans les rapports des gens. On nous a aussi dit qu’on n’est pas la même personne à 30 ans qu’à 18 ans. Vous avez aussi parlé d’informateurs confidentiels rémunérés, des détenus. Vous ai-je bien compris? Est-ce ce que vous avez dit?

Mme Acoby : C’est une politique que j’ai découverte en 2013. Elle s’appelait Gestion des sources humaines. Je crois que la politique venait tout juste d’être mise en œuvre en 2012 ou 2013. Et la Directive du commissaire initiale — c’est ainsi qu’on appelle ces documents — prévoyait deux postes rémunérés devant être offerts à deux détenus dans la cour afin d’agir comme sources humaines et de fournir de l’information. Puis, lorsque j’ai regardé à nouveau le document, environ six ou huit mois plus tard, ce passage précis n’était plus là, parce que les politiques sont constamment révisées.

Cependant, même si on oublie cette politique, il y a une autre politique qui s’appelle Sécurité et surveillance actives. Je crois que son numéro est dans les 500. Et, en fait, le Service a utilisé cette politique aussi, avant la mise en œuvre de la politique sur la gestion des sources humaines, pour justifier le fait de parler à certains détenus qui aiment fournir de l’information ou fournir de faux renseignements, comme ça a été le cas dans ma situation, évidemment. Ce que les intervenants font, c’est qu’ils sollicitent des renseignements auprès de différents détenus, en disant tout simplement : « Hé, ça va? » Ils font comme s’il s’agissait de simples bavardages et demandent aux détenus comment se passent les choses dans la cour. J’ai souvent vu ce genre de situation en prison. Et, évidemment, certains détenus croient que le fait de fournir ce type d’information leur permettra d’être libérés plus rapidement. Je ne sais pas vraiment. Je ne veux pas m’avancer au sujet de la motivation des différents informateurs confidentiels.

Cependant, je sais que, dans le cas de beaucoup des renseignements qui figuraient dans mon rapport, lequel comptait plus de 20 pages... J’ai été étonnée parce que lorsque mes demandes de permission de sortir avec escorte et d’autorisation de travailler à l’extérieur du périmètre avaient été approuvées, aucun de ces renseignements n’était là. Lorsque j’en ai parlé à la Commission des libérations conditionnelles, j’ai dit : « Je suis tout simplement un peu étonnée qu’il y ait maintenant tous ces renseignements, parce que cette information aurait dû figurer dans mes autres rapports. Au contraire, on m’a préparé des rapports reluisants lorsqu’il était question d’autorisation de travailler à l’extérieur du périmètre — ce qui me permettait de sortir de la prison — et lorsqu’on m’a accordé des PSAE pour me rendre dans la collectivité. Je ne comprends donc pas pourquoi, un jour avant ma deuxième audience devant la Commission des libérations conditionnelles, l’agent du renseignement de sécurité vous fournit maintenant plus de 20 pages de renseignements venant d’un informateur confidentiel. »

Une bonne partie des renseignements qui figuraient dans le rapport ne pouvaient pas être corroborés. Je crois que l’informatrice confidentielle B a été jugée non fiable parce qu’elle s’adonnait à des activités subversives, et malgré tout, quatre pages plus loin, on disait avoir trouvé certains renseignements fiables. De plus, en grande partie, il s’agissait de choses ne pouvant pas être vraies.

Il est donc important selon moi de trouver une façon d’annuler ou de corriger tout ça, parce que cette situation pourrait vraiment miner les chances qu’une personne puisse obtenir quoi que ce soit. C’est beaucoup de calomnies lorsque ce n’est pas vrai, et ce n’était tout simplement pas nécessaire. Je crois donc qu’il faut faire quelque chose pour changer la situation.

La sénatrice Cordy : Vous avez toutes parlé des défis rencontrés lorsqu’on veut déposer une plainte ou un grief. Madame Acoby, je crois que vous avez dit qu’il devrait y avoir un autre processus — et c’est quelque chose qu’on a déjà entendu — pour éviter les ramifications, que l’information devait non pas être fournie au personnel de la prison, mais être communiquée — elles viennent de le dire — à un organisme externe; c’est bien ce que vous avez dit, madame Acoby?

Mme Acoby : Oui.

La sénatrice Cordy : C’est intéressant et c’est quelque chose qu’on a déjà entendu. Merci.

La sénatrice Pate : Merci à vous toutes et merci de tout le travail que vous avez fait en prison et à l’extérieur et du travail que vous continuez à faire.

J’ai des questions pour chacune de vous, mais je veux commencer par vous, madame Metcalfe. Lorsque vous avez parlé de l’élaboration de soins de santé externes, l’un des défis rencontrés dans certains des endroits lorsqu’on a procédé de cette façon, c’est l’incidence sur la culture institutionnelle des personnes qui arrivent, peu importe à qui elles réagissent initialement. Avez-vous envisagé les transfèrements au titre de l’article 29 en tant que solution de rechange à ce que vous proposez, de façon à ce qu’il puisse y avoir des soins de santé gérés à l’externe par les services de santé provinciaux et territoriaux, sans pour autant intégrer des unités de santé mentale directement dans les prisons? Je le demande parce que, comme nous l’avons entendu à nouveau aujourd’hui et comme nous l’avons aussi entendu dans d’autres régions du pays, la sécurité a tendance à l’emporter sur les problèmes de santé mentale, et ce, même dans ce type d’unité à vocation double d’hôpitaux, d’hôpitaux psychiatriques et de pénitenciers. Voilà donc pour une de mes questions.

De plus, lorsque nous avons rencontré des gens, l’une des choses qui ont été soulevées, c’est qu’il y a un peu de confusion au sujet des mandats. Une des choses qui seraient utiles pour nous aussi serait d’avoir une idée claire de votre mandat afin que nous sachions les genres de ressources accessibles lorsqu’il y a une de ces cliniques très rares, comme celles que vous dirigez et qui fournit des renseignements cruciaux.

Mme Metcalfe : Pour ce qui est de la question des fournisseurs de soins de santé qui adoptent la mentalité axée sur la sécurité, je crois que c’est une excellente idée de fournir certains services à l’extérieur des prisons, surtout pour les personnes qui devraient se trouver dans des hôpitaux psychiatriques et qui ont besoin de soins de longue durée. Cependant, si on pense au fait que 80 p. 100 des détenus ont des problèmes de toxicomanie, nous ne connaissons pas les taux de traumatisme qu’affichent les détenus de sexe masculin. Il y a des recherches réalisées sur les détenues montrant qu’on parle de 80 à 90 p. 100. Cependant, à la lumière de notre expérience et de nos interactions près de nos clients, je crois que les taux d’hommes victimes de traumatismes sont aussi très élevés. Par conséquent, si on tient compte du fait que la vaste majorité des détenus ont besoin d’unités thérapeutiques, alors il faudrait créer tout un système différent qui est sécurisé, parce qu’on est en prison, ou encore il faudrait régler certaines choses dans la collectivité avant que les gens ne se retrouvent en prison.

Cependant, le problème lorsqu’on envisage de fournir tous les services de santé à l’extérieur des prisons, tient à ce dont Renee a parlé, les fouilles à nu chaque fois qu’on sort et qu’on revient, et je pense qu’il y a beaucoup de personnes qui ne voudraient pas avoir à passer par là.

Je sais que la prison a de la difficulté à intégrer les gens, et c’est un problème, mais je crois qu’il y a une crainte parmi la population générale et qu’il y a beaucoup de préjugés contre les détenus. Lorsque certains de mes clients ont été transférés dans des installations de la collectivité, comme le GF Strong Rehabilitation Centre... J’avais un client qui était paraplégique et qui ne pouvait pas parler. Des membres du personnel infirmier se plaignaient du fait qu’il agissait de façon inappropriée, alors que ces plaintes ne semblaient pas fondées sur quelque chose qu’il avait fait.

Je crois donc que c’est un problème qu’il faudra régler, mais je ne suis pas sure que ce soit là toute la réponse. Ce n’est pas la solution complète.

Il y a deux jours, j’ai reçu une décision du Health Professions Review Board de la Colombie-Britannique, devant laquelle j’ai représenté un client dans le cadre d’une plainte contre un psychiatre du système provincial qui avait participé activement ou passivement à la décision de le placer en isolement en violation des Règles Mandela. Selon la décision, l’Ordre des médecins et chirurgiens n’avait pas réglé le problème et devait se pencher à nouveau sur la situation pour corriger le tir. On a suggéré d’élaborer des lignes directrices, et c’est là où nous avons entrepris le processus avec l’Ordre des médecins et chirurgiens, demandant à l’organisation d’élaborer des lignes directrices afin que ses membres respectent les Règles Mandela. Selon moi, ce pourrait être une façon de dissiper certaines de ces préoccupations au sujet de l’intégration de façon à s’assurer que les professionnels de la santé agissent dans l’intérêt supérieur de leurs patients, qu’ils respectent les règles en matière de confidentialité et qu’ils ne facilitent pas la torture et les mauvais traitements.

J’aurais dû apporter nos règlements internes. Eddie est là. Il est membre de notre conseil. Notre mandat consiste à fournir des services juridiques aux détenus sous responsabilité fédérale et provinciale de la Colombie-Britannique dans les domaines qui ont une incidence sur les droits et libertés des gens au titre de l’article 7 de la Charte ainsi que de promouvoir les droits de la personne en établissement et la primauté du droit. Il y en a quelques autres dans la même veine.

La sénatrice Pate : D’accord. Merci.

Lorsque vous avez parlé de mettre fin à l’isolement cellulaire et, d’après mon expérience, vu ce que je faisais avant de devenir sénatrice, on a vu dans les prisons pour femmes de partout au pays toutes les unités à sécurité maximale devenir des unités d’isolement, comme Mme Bariteau en a parlé. Et maintenant, après être allés à l’Établissement d’Edmonton, puis à l’Établissement de Kent, cette semaine, nous avons constaté qu’il est évident que la même chose est en train de se produire du côté des hommes maintenant.

J’ai trouvé frappant qu’un des problèmes — et Mme Acoby a soulevé la question —, c’est le fait qu’on encourage une culture où chacun lutte contre les autres, plutôt qu’une culture qui mise sur les droits de la personne.

De plus, nous avons entendu beaucoup de plaintes, particulièrement venant du personnel carcéral, au sujet du rôle que jouent directement les syndicats dans l’élaboration des politiques. Assurément dans le cas des femmes, nous savons que la toute première recommandation pour le Protocole de gestion a été en fait rédigée sur du papier à correspondance officielle du SACC à l’Établissement d’Edmonton à l’époque où Mme Acoby était là, et ce sont ces gens qui ont amorcé ce processus.

J’aimerais savoir si c’est quelque chose que vous avez constaté vous aussi, si vous croyez que nous avons vu une anomalie, parce que, à mes yeux, il faut non pas seulement mettre l’accent sur l’isolement cellulaire, mais, en fait, entraver tout ce processus de mise en place de structures qui encouragent les prisonniers à adopter un comportement antisocial et un comportement de lutte les uns contre les autres. C’est absolument l’antithèse de ce qu’est censée être la sécurité active.

Mme Metcalfe : Oui, je suis d’accord. Je ne sais pas si les membres du comité ont examiné le rapport de Mme Margo Rivera, paru il y a quelques années, qui parle du fait que la culture du personnel est un réel problème pour les prisonniers qui ont des déficiences mentales. Elle proposait l’élaboration d’unités thérapeutiques.

Récemment, je suis allée au Centre de Surrey où sont logés les détenus en attente de leur procès, un centre correctionnel provincial où la direction a ouvert une unité thérapeutique. Nous étions simplement là pour rencontrer le directeur. Ce n’était pas une visite prévue, mais nous avons demandé de voir l’unité. Il y avait un livre sur les soins adaptés au traumatisme sur le bureau, et ce livre n’avait pas été mis là pour nous, alors c’était impressionnant. Nous avons discuté avec la femme qui assure la prestation du programme, elle parlait du fait qu’ils accueillaient des personnes qui, habituellement, se retrouveraient en isolement volontairement — si c’est vraiment volontaire — ils leur offraient simplement des occasions de sortir et d’interagir avec les gens afin de les sortir de leur isolement.

Il y avait un autre agent près d’un ordinateur, un grand et solide gaillard, et il ne semblait pas très intéressé par notre conversation, mais à la toute fin, il est venu pour dire qu’il avait, dans le passé, travaillé dans une unité d’isolement. Il n’interagissait pas avec les détenus, se disant tout simplement qu’ils avaient ce qu’ils méritaient. On lui a demandé de travailler dans l’unité en question, et il se moquait un peu de ça, mais il est venu travailler. Il a affirmé avoir beaucoup appris. Il a appris que, si on traite les gens comme des humains, alors ils réagissent de façon humaine. Il a été très impressionné par le développement des gens au sein de l’unité. En outre, il parlait maintenant à ses amis qui ont encore son ancienne mentalité.

Mme Margo Rivera préconise l’embauche et l’avancement des gens en fonction de leur capacité d’être aimable avec les détenus et de traiter les gens avec dignité et respect, ajoutant qu’il faut promouvoir cette culture grâce à des promotions et en prenant des mesures disciplinaires contre les gens qui ne respectent pas la dignité des gens ni leurs droits de la personne.

Selon moi, si nous mettons sur pied ces genres d’unités thérapeutiques, on pourrait aider à changer la culture. Je crois que c’est l’approche prise par les services correctionnels de la Colombie-Britannique. Je crois que cette façon de faire a beaucoup plus de chances de réussir que celle que nous adoptons à l’échelon fédéral, où les employés contestent le programme des seringues qui a été mis en oeuvre dans les établissements et ce genre de choses. Si les gens peuvent constater les avantages qu’on peut en tirer et comprendre que traiter les gens avec dignité et respect réduit le risque de violence, les syndicats y adhéreront davantage.

La sénatrice Pate : Merci de la réponse.

Madame Acoby et madame Bariteau, pour revenir sur tout ça, une des choses que j’ai observées, mais je n’ai jamais été dans vos souliers, c’est que parfois, on peut avoir un chef qui dirige de façon très positive et qui peut avoir une certaine incidence. Mais bon nombre des unités dont Mme Metcalfe parle, les unités thérapeutiques, sont contrôlées par l’administration. L’une des recommandations formulées relativement aux services correctionnels pour femmes dans le passé, et on l’a formulé aussi souvent du côté des hommes ainsi que dans différents contextes lorsqu’il est question des jeunes, c’est le fait que ce genre d’intervention thérapeutique soit contrôlé par des intervenants de l’extérieur de l’établissement. Je sais que, dans certains cas, des gens ont eu accès à des thérapeutes de l’extérieur qui ne relèvent pas des services correctionnels et que cela a donné des résultats très positifs.

Cependant, en ce qui concerne une unité thérapeutique, durant nos visites, nous avons entendu un certain nombre de personnes nous dire, et même des gens haut placés, des directeurs, même, que, s’ils veulent faire quelque chose et n’ont pas l’accord du syndicat, ils ne peuvent en fait pas apporter les changements. Je me demande donc de quelle façon, selon vous, on peut s’attaquer aux problèmes particulièrement celui de la santé mentale, si vous avez eu des situations où les articles 81 et 84 ont été mis à contribution, tant pour des Autochtones que pour des non-Autochtones, et il y a les transfèrements au titre de l’article 29 aussi... Nous tenons à savoir ce que vous pensez de ce que j’ai mentionné.

On parle de sécurité active maintenant. Vous l’avez mentionné lorsque vous avez parlé, madame Acoby, pour décrire un processus qui, en fait, n’est pas représentatif de ce que la sécurité active devait être initialement. La sécurité active, lorsque le Groupe de travail sur les femmes purgeant une peine fédérale a commencé à en parler, était censée tenir à des groupes de l’extérieur, comme Joint Effort, la Société Elizabeth Fry et d’autres intervenants, notamment des centres de crise en cas de viol, vu le nombre de personnes, des femmes en particulier — particulièrement les femmes autochtones —, qui ont des antécédents de mauvais traitements, qui se joignaient à eux pour fournir du soutien et assurer la prestation de programmes. Et c’est seulement lorsque les femmes ne pouvaient pas elles-mêmes sortir pour participer à ces programmes qu’il y a eu des problèmes. En 2005, tous les sous-directeurs des prisons pour femmes ont demandé qu’on élimine les fouilles à nu de routine, parce qu’ils ont reconnu que de telles fouilles donnent rarement des résultats à part causer davantage de traumatismes aux femmes.

J’aimerais savoir ce que vous pensez de certaines de ces choses : envisage-t-on la sécurité active de la façon dont on l’envisageait initialement, par opposition à la sécurité active qui ne consiste qu’à encourager plus de personnes à fournir de l’information les uns sur les autres sans travailler à l’unisson dans l’intérêt du groupe? J’aimerais savoir si vous avez des recommandations à nous formuler relativement à ces choses.

Mme Bariteau : Oui, les syndicats sont forts. Je vais vous donner un exemple très simple pour vous montrer à quel point ils sont puissants.

En tant que présidente des détenues... Nous avons demandé que les notes de service qui nous sont envoyées, comme les laissez-passer pour aller voir le médecin, soient transmises à toutes les résidences de l’Établissement Joliette ou dans notre boîte aux lettres, plutôt que nous soyons constamment convoquées à la réception, parce qu’ils appellent à 6 heures ou 7 heures, lorsque certaines personnes dorment, et qu’il faut s’habiller et sortir; et quand il fait moins 30 à Montréal, parfois c’est...

Donc, à la réunion des femmes, tous les responsables de la sécurité ont donné leur accord, tout a été approuvé. J’ai même obtenu le procès-verbal dans lequel figure l’approbation, et les gardiens n’étaient pas d’accord, parce que la nouvelle procédure leur prendrait plus de temps. Ils seraient responsables de distribuer les notes de service. Ils devraient y consacrer de leur temps. Ils se sont tournés vers le syndicat, et la demande a été rejetée, même si tous les responsables de la sécurité l’avaient approuvée.

Par conséquent, si le syndicat des gardes décide que c’est quelque chose que les gardes ne veulent pas faire, ces derniers n’auront probablement pas à le faire. Et ce n’est qu’un exemple. C’est un exemple mineur. Il y a d’autres exemples, des situations plus importantes. Par conséquent, le syndicat possède beaucoup de poids, et les gardes aussi, d’ailleurs.

À l’Établissement Joliette, il y a six dénombrements par jour. Eh bien, il y en a maintenant huit. Avant, il y en avait six, y compris des vérifications aux deux heures, la nuit. Si les gardes ne croient pas que vous respirez, ils vous réveillent. Lorsqu’on se fait réveiller et qu’on se met en colère, ils disent : « Eh bien, nous devons nous assurer que vous respirez, que vous n’êtes pas morte. » Par conséquent, une des façons de nous faire payer, c’est de nous réveiller aux deux heures en affirmant ne pas être en mesure de nous voir respirer.

Je n’ai donc pas dormi pendant cinq jours. On me réveillait aux deux heures. C’était les mêmes gardes. Ils étaient en poste pendant cinq jours, alors ils ont fait ça ensemble, parce que j’avais déposé une plainte contre un autre garde. Et je deviens colérique et irritable lorsque je ne dors pas. Par conséquent, non seulement je ne dormais pas, mais ils me poussaient à bout puis...

La sénatrice Pate : Donc, les représailles.

Mme Bariteau : Les représailles.

La sénatrice Pate : Madame Acoby?

Mme Acoby : C’est une très bonne proposition pour ce qui est de la santé mentale ou de la thérapie, tout simplement vu que j’ai commencé à travailler en collaboration avec un thérapeute indépendant qui ne relève pas du SCC. J’ai commencé à travailler avec lui, je crois, en 2015 ou 2016, et c’est encore le cas aujourd’hui. En fait, c’est une des conditions de ma libération. Mais même si ce n’était pas une de mes conditions, j’aurais demandé de continuer à travailler avec lui, parce que, si j’avais pu commencer beaucoup plus tôt... Vous savez, si c’est quelque chose qui était offert, selon moi, aux gens en prison, on réglerait beaucoup de problèmes liés aux traumatismes.

La sénatrice Pate : Je suis désolée de vous interrompre, mais vous parlez d’une personne de l’extérieur des services correctionnels qui vient en prison fournir un soutien thérapeutique?

Mme Acoby : Oui. C’est un psychiatre indépendant. En fait, il n’a rien à dire au SCC. Par conséquent, tout ce dont je veux lui parler... C’est très différent du fait de travailler avec un psychologue ou un psychiatre du SCC. Ils peuvent rédiger des rapports d’évaluation des risques en utilisant un paquet d’outils d’évaluation et de prédiction du risque qui, en fait, sont périmés et ne sont ni valides ni fiables pour les femmes, surtout les femmes autochtones.

Je vais vous donner un exemple. Le PCL-R, l’échelle de psychopathie révisée, n’a été jugée ni fiable ni valide pour les femmes et les Autochtones, point final. Cependant, des responsables font encore référence à des choses qui sont liées à cette échelle. En fait, le SCC a même une politique, je crois que c’est la DC sur le profil criminel, qui précise qu’il ne faut pas utiliser cette échelle pour évaluer les femmes.

Dans mon cas, les responsables renvoyaient toujours à des évaluations auxquelles je n’avais pas participé, des évaluations réalisées par des intervenants du SCC qui avaient seulement lu mon dossier — je refusais de les rencontrer — qui ont utilisé l’évaluation du Dr Woodside, que je n’ai pas voulu voir non plus au moment de mon évaluation liée à la désignation de délinquante dangereuse, en 2006, et qui a dit que j’étais une psychopathe dans la fourchette du 90e percentile. Par conséquent, même s’il y a d’autres politiques au sein du SCC selon lesquelles seules les évaluations psychologiques ou psychiatriques qui ont été rédigées ou présentées au cours des deux dernières années sont valides, les responsables consultaient encore des rapports périmés, parce que ces rapports allaient dans le même sens que ce qu’ils voulaient dire à mon sujet. Et lorsque je déposais des plaintes, eh bien, essentiellement, elles étaient rejetées.

Par conséquent, je crois que, s’ils faisaient appel à des psychiatres et des psychologues indépendants pour les gens en prison... vous savez, il doit y avoir un financement quelconque, vous savez, pour qu’ils puissent le faire ou le permettre, parce que je crois que ce serait vraiment bénéfique pour les femmes en prison, et pour les hommes aussi s’ils acceptent de miser là-dessus et de saisir l’occasion.

L’avantage, ici, c’est que ce psychiatre indépendant a en fait réussi à contester ma désignation de psychopathe et il a souligné des raisons pour lesquelles ce n’est pas applicable à mon cas en tant que femme et en tant que femme autochtone, mais expliquant aussi que je n’affiche aucune de ces caractéristiques.

Pour ce qui est des articles 81 à 84, l’article 81 est vraiment sous-utilisé. Si on regarde la phase du contrat à laquelle s’appliquent les articles 81 à 84, c’est décourageant. C’est fastidieux. Il n’y a à peu près pas... Je ne crois pas qu’il y a beaucoup d’Autochtones ou de non-Autochtones qui empruntent le chemin rouge et qui ont réellement été libérés en vertu de l’article 81. Dans les deux cas, ces initiatives sont sous-utilisées.

Je crois qu’il y a peut-être aussi un peu de résistance affichée par les collectivités autochtones. Je ne dis pas que c’est le cas à 100 p. 100. C’est tout simplement quelque chose que j’ai entendu, soit que certaines collectivités ne veulent pas signer un contrat en vertu duquel des détenus sous responsabilité fédérale réintégreront la collectivité. Cependant, je crois aussi que, avant qu’on puisse ne serait-ce que se rendre à la présentation de demandes aux titres des articles 81 ou 84, il y a beaucoup de choses qu’il faut faire. Il y a des exigences. Parfois, les responsables demandent que le détenu participe aux Sentiers autochtones. En tout cas, ils peuvent être très stricts en prison quant à ce que vous devez faire, alors c’est quelque chose qui doit aussi changer.

Disons qu’une personne ne se trouve dans une unité des Sentiers autochtones. Il y a certaines conditions qu’il faut respecter dans une telle unité. Et beaucoup d’unités des Sentiers autochtones qui se trouvent dans l’enceinte des prisons sont... Il y a beaucoup de luttes intestines. Il n’y a pas un très grand consensus sur la façon dont l’unité doit être gérée. Il y a des enseignements différents, alors je crois que, sur ce plan, c’est un peu chaotique.

Je ne sais vraiment pas ce qu’il faut faire dans le cas des articles 81 et 84. Selon moi, ce qu’il faut faire, c’est essayer de regarder tout ce qu’il y a avant ça, et il faut que les collectivités autochtones soient beaucoup plus prêtes à signer des accords en vertu des articles 81 et 84 et accepter des détenus qui aimeraient procéder de cette façon.

Quelle était l’autre question? Il y avait celle sur les articles 81 et 84.

La sénatrice Pate : Et l’article 29, au sujet de la santé mentale, mais, en fait, vous avez répondu lorsque vous avez parlé du besoin d’avoir accès à des gens de l’extérieur.

Mme Acoby : D’accord.

La sénatrice Pate : Une des choses que vous avez mentionnées, c’est l’échelle en matière de psychopathie, en plus de ce qui a été fait, dans votre cas, relativement à votre mise en liberté sous condition. Je ne sais pas si vous savez que nous avons rencontré Lisa Neve il y a deux ou trois soirs à Edmonton; elle a été déclarée délinquante dangereuse en 1993. À ce moment-là, lorsque la Cour d’appel de l’Alberta a infirmé la décision, elle a dit que l’échelle en matière de psychopathie n’aurait pas dû être utilisée non plus. C’est donc un problème de longue date.

L’une des choses que nous avons entendues, c’est que les collectivités autochtones se font dire, essentiellement, qu’elles doivent ouvrir de nombreux établissements si elles veulent conclure des accords au titre de l’article 81. Il semble y avoir une certaine confusion en ce qui concerne les genres de renseignements qu’on leur fournit aussi. Je vous remercie donc de votre réponse.

La vice-présidente : Je pense que je préférerais plutôt que vous répondiez à la question. Je pense qu’elle est très importante, et nous aimerions que cela figure dans le compte rendu.

La sénatrice Pate : Avez-vous entendu parler des collectivités autochtones qui ne comprennent même pas ce que signifie conclure un accord en vertu de l’article 81 ou 84?

Mme Acoby : Je pense qu’il y a beaucoup de confusion à ce sujet, parce que, si vous jetez un coup d’œil à la politique concernant les articles 81 et 84, il y a tellement de sections différentes que cela peut devenir vraiment déroutant, car certaines des politiques sont très vagues.

La sénatrice Pate : Donc, il s’agit des politiques par rapport à la loi, laquelle est très claire.

Mme Acoby : Oui.

La sénatrice Pate : Le but est de permettre aux collectivités autochtones d’assumer la responsabilité à l’égard de détenus autochtones et non autochtones en vertu de l’article 81 ainsi que de libérés conditionnels, en vertu de l’article 84.

Mme Acoby : Oui.

La sénatrice Pate : Mais alors, ce sont les politiques qui compliquent la chose.

Mme Acoby : Oui.

La sénatrice Pate : Merci.

Mme Bariteau : Je veux simplement ajouter que, pour les problèmes de santé mentale, s’il faut s’en remettre à un système ou à une unité externe, et qu’un diagnostic ou un traitement s’impose également, indépendamment de ce qu’ils décident, le SCC doit respecter ce choix. Actuellement, vous pouvez obtenir un diagnostic ou un traitement externe, et le SCC n’a pas à le suivre.

J’ai séjourné à Philippe-Pinel pendant trois semaines en 2013, et ils m’ont diagnostiquée comme étant non bipolaire, mais le psychiatre à Joliette m’a donné des médicaments pour le trouble bipolaire qui ont provoqué chez moi une phase maniaque. On a donc recommandé au SCC de me retirer du traitement et de me surveiller, simplement, de veiller à ce que je ne fasse pas de dépression, car je suis allergique aux antidépresseurs et aux médicaments régulateurs de l’humeur.

Le SCC a fait fi du conseil de Pinel. On m’a demandé de continuer à prendre mes médicaments. J’ai refusé. Mon ALC a continué d’écrire dans mes rapports que je refusais de prendre mes médicaments et que, par conséquent, je pouvais toujours représenter un risque pour la société, même si en 2013, Pinel a remis le rapport.

C’est bien beau de dire que nous avons besoin de services externes, mais si le SCC ne suit pas ce qui est recommandé, il est sans intérêt de recourir à de tels services.

La sénatrice Pate : Merci pour cette précision.

Madame Acoby, êtes-vous sortie pour voir le psychiatre externe ou est-il venu sur place, et avez-vous eu de la difficulté à obtenir cet accès?

Mme Acoby : J’ai commencé à le voir quand j’étais encore au niveau de sécurité maximale, et, en fait, c’était l’ancien directeur qui l’a fait venir à l’établissement. Je pense que, comme j’ai été très peu coopérative avec les psychologues et les psychiatres par le passé, ils ont peut-être supposé que la même chose allait se produire. Mais une fois que j’ai appris qu’il n’avait rien à leur signaler, nous avons commencé à établir une relation de cette façon.

Mais au début, parce que j’étais à l’unité à sécurité maximale, il y a eu beaucoup de difficultés, qu’il a exposées dans son rapport, pour entrer en contact avec moi. Je me souviens d’un agent en particulier avec lequel j’avais un problème; c’était infaillible, il était là à 8 h 30. Je me préparais, et, vous savez, j’appuyais sur la sonnette au mur et disais : « Il devrait être ici maintenant, je peux y aller? » Il y avait toujours quelque chose qui arrivait, par exemple, les trois premières fois qu’il devait venir. Ils ont donc décidé de commencer à fouiller l’unité à 8 h 25, et je dis : « D’accord, mais je dois voir ce psychiatre à 8 h 30 », et ils répondent : « Eh bien, il peut attendre. »

Il s’est produit autre chose. Au bout du compte, j’ai déposé une plainte selon laquelle il y avait toujours quelque chose avec cet agent en particulier pour contrecarrer le traitement, et cela se reflétait aussi dans son rapport il y a un an, je pense.

Donc, il y avait plein de choses. Je ne peux pas vraiment me souvenir de tout. Je sais que, au début, peut-être pendant la première année, il a eu beaucoup de difficultés pour entrer ou pour avoir accès à moi et des choses comme ça.

Puis, j’ai obtenu une approbation pour bénéficier de PSAE. C’était ma première série de PSAE qui ont été approuvés afin que je puisse aller le voir à UBC, et j’ai dû y aller avec deux gardiens. Les trois visites se sont bien déroulées, et ils ont dit qu’ils allaient étudier la possibilité que je sois accompagnée par un seul gardien, parce qu’ils ne me laissaient pas sortir accompagnée de particuliers autorisés à agir en qualité d’escorte en ce temps-là. Mais à ce moment-là, j’y serais allée avec cinq, car je n’avais pas mis les pieds dans la collectivité depuis 2001 à l’occasion de PSAE.

Il n’y a jamais eu de problème à mon retour. Je pense que, après la troisième fois, je devais obtenir un renouvellement pour le revoir. Le directeur m’a amenée à l’écart pour me faire savoir que les PSAE étaient suspendues parce qu’ils devaient tout réévaluer.

Il y avait donc tout un tas de choses qui se passaient normalement dans le passé, il y a 10 ans, qui m’auraient réellement énervée, mais, peu importe, je n’allais pas faire quoi que ce soit pour compromettre mon traitement, ma PSAE, ce genre de choses. Je devrai simplement travailler avec ces types, même si je sais qu’ils — excusez mon langage — m’emmerdent.

Je pense qu’aux alentours de l’année suivante, surtout après qu’ils ont obtenu son rapport, ils ont effectivement tenté de faire en sorte que la situation soit plus harmonieuse, mais il y avait encore beaucoup de problèmes. Les PSAE qui étaient supposées se dérouler en présence d’un seul gardien n’ont jamais eu lieu, et cette décision était due en grande partie au syndicat.

Le SACC recommandait — il avait vraiment son mot à dire, ce qui n’avait pas vraiment de sens pour moi, car le SACC ne peut prévoir le risque. Ces gens ne sont pas qualifiés pour prévoir le risque. Cependant, étant donné l’importance du syndicat et le pouvoir qu’il a, ils disent : « Non, nous ne voulons pas qu’elle soit accompagnée d’un seul employé, parce que, si elle a une mauvaise journée lors de son traitement, l’un de nous doit la ramener, et nous ne savons pas comment elle va réagir. »

Et depuis que je n’étais plus au niveau de sécurité maximale, je n’étais pas du tout retournée en isolement une seule fois, pour quoi que ce soit. Je n’ai pas été mêlée à des perturbations majeures. J’ai peut-être fait l’objet de deux accusations mineures, et l’une d’entre elles était parce que ma femme était cachée dans ma chambre. C’était à peu près l’étendue de mes problèmes de comportement, ce qui était un changement énorme et radical. Mais beaucoup de ces choses n’ont pas été reconnues. J’ai découvert plus tard seulement que bien des choses tenaient au fait que le syndicat se faisait vraiment entendre au sujet de beaucoup de choses qui se passaient.

La vice-présidente : Désolée, mais nous devons terminer. Nous avons dépassé le temps alloué de presque 18 minutes, et je remercie donc tous les témoins.

Pour notre deuxième groupe de témoins ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir M. Sherman Chan, coprésident du Comité consultatif régional ethnoculturel du Service correctionnel du Canada; M. Dylan Cohen, du B.C. Child and Youth Advocacy Coalition; et, enfin, M. Rubinder Dhanu, de la South Asian Bar Association of B.C.

Monsieur Chan, vous avez la parole, et ensuite ce sera au tour de M. Cohen et de M. Dhanu.

Siu Man (Sherman) Chan, coprésident, Comité consultatif régional ethnoculturel du Service correctionnel du Canada : Bonsoir. Merci de m’avoir invité à participer à votre étude sur les questions concernant les droits de la personne des détenus dans le système correctionnel.

J’ai commencé à siéger au Comité consultatif régional ethnoculturel au moment de sa création en Colombie-Britannique en 2004. Actuellement, je suis le coprésident du CCRE du Pacifique, avec qui je travaille à titre bénévole.

Outre mon travail avec le CCRE, je suis directeur des services à la famille et à l’établissement chez MOSAIC, un organisme multilingue, sans but lucratif, qui aide les immigrants et les réfugiés à s’établir au pays et à s’intégrer à la société canadienne. Je suis titulaire d’une maîtrise ès sciences en études sociales appliquées du Royaume-Uni et je suis un travailleur social autorisé comptant plus de 30 années d’expérience au Canada, à Hong Kong, aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Le CCRE fait partie des efforts déployés par le SCC pour cerner les besoins particuliers et les intérêts culturels des délinquants ethnoculturels et y répondre grâce à la prestation de services et d’interventions efficaces qui contribueront à la réussite de la réinsertion sociale des délinquants membres de minorités ethnoculturelles et à une sécurité publique accrue. Le SCC définit un délinquant ethnoculturel comme tout délinquant ayant des besoins particuliers en raison de sa race, de sa langue ou de sa culture et souhaitant sauvegarder son identité et ses pratiques culturelles.

Le CCRE fournit des conseils au SCC au chapitre des programmes, des services et des interventions visant à répondre aux besoins des délinquants ethnoculturels. En particulier, le CCRE communique son expertise au personnel du SCC et aide à cerner les besoins et les intérêts culturels des délinquants ethnoculturels; établit et maintient des partenariats et des réseaux auprès des communautés ethnoculturelles et des organismes de services afin de favoriser la réinsertion sociale en toute sécurité des délinquants ethnoculturels; aide le SCC à accroître la sensibilisation aux questions liées au multiculturalisme, notamment l’équité en matière d’emploi et la discrimination en milieu de travail, ainsi qu’à offrir de la formation sur ces questions; et assure la liaison avec le personnel et les délinquants afin de faire la promotion des services ethnoculturels.

Les dispositions législatives qui guident le CCRE sont tirées de la Charte canadienne des droits et libertés, de la Loi sur le multiculturalisme canadien, de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et de la Directive du commissaire 767.

De mon point de vue, l’approche du CCRE en matière de droits de la personne est en voie de créer une politique adaptée à la culture selon une perspective ethnoculturelle. L’objectif est d’examiner les droits des délinquants ethnoculturels à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, de cerner les besoins et les intérêts culturels des délinquants, d’élaborer des directives d’orientation générale, des programmes et des pratiques en respectant les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu’entre les sexes, et de tenir dûment compte de la réalité multiculturelle du Canada.

Le CCRE du Pacifique se réunit au moins trois fois par exercice. Les réunions ont lieu dans les établissements et les bureaux de libération conditionnelle ou les installations résidentielles dans la collectivité. Nous rencontrons des détenus ethnoculturels, puis nous leur parlons en toute confiance, sans la présence du personnel de l’établissement. De nombreux problèmes qu’ils soulèvent ont trait au choix des aliments, au shampoing, aux produits d’hygiène personnelle et à l’accès aux ordinateurs.

La direction et le personnel organisent des forums communautaires. À titre d’exemple, en Colombie-Britannique, nous avons organisé un forum portant sur le bien-être culturel des délinquants ethniques et de leur famille, et un autre sur la réinsertion sociale par l’emploi pour présenter des solutions innovatrices aux problèmes des délinquants. Nous mettons également en œuvre des projets pilotes, allouons des financements modestes comme complément à des activités ou à des événements ethnoculturels — par exemple, des journaux publiés dans une langue particulière, des cours d’anglais langue seconde, des célébrations culturelles — et participons aux réunions du Comité consultatif national ethnoculturel et au dialogue sur les politiques internes avec le CCC, notamment sur la politique d’isolement.

Nos priorités sont alignées sur la priorité nationale du SCC visant à soutenir les délinquants dans trois domaines. Le premier est l’emploi, soit aider les délinquants ethnoculturels à trouver et à conserver un emploi après leur retour dans la collectivité; le deuxième est la santé mentale, c’est-à-dire trouver ou créer des environnements favorables au bien-être mental des délinquants dans la collectivité; le troisième domaine a trait à la recherche d’options de logement qui aident les délinquants ethnoculturels à faire la transition dans la collectivité.

Parmi nos réalisations récentes, avec le CCRE du Pacifique, mentionnons un projet pilote d’emploi pour l’autonomisation qui a permis d’accroître le nombre de délinquants ayant trouvé un emploi. À titre d’exemple, on a constaté une augmentation de 10 p. 100 de la durée de l’emploi des délinquants. Par ailleurs, 11 partenariats avec des employeurs ciblés ont permis de créer plus de 450 débouchés dans la région du Pacifique.

Un autre exemple est celui d’un projet pilote d’agent de liaison ethnoculturel qui a aidé les délinquants à établir des liens avec leur collectivité grâce à l’élaboration d’un guide de ressources; il a en outre démontré combien cela peut être utile de disposer d’un bureau de liaison ethnoculturel dans la collectivité.

Le CCRE du Pacifique et le CCNE ont récemment organisé un cours sur la compétence culturelle qui a été rendu obligatoire pour le personnel du SCC. La DC 767 a fait l’objet d’une révision visant à améliorer les interventions et les services aux délinquants, ce qui comprend la documentation des interventions ethnoculturelles. Il s’agit d’un processus d’intervention qui englobe les croyances culturelles et les facteurs liés aux antécédents sociaux qui peuvent avoir eu une incidence sur le vie du délinquant, dans le but de l’aider à retrouver la capacité de réintégrer la société.

Le CCRE, le CCNE et le SCC doivent poursuivre leurs travaux sur divers aspects : une consultation accrue avec le CCRE et le CCNE; un examen des politiques visant l’élimination des pratiques discriminatoires — et nous avons eu ce que nous appelions des causeries au coin du feu; par exemple, nous travaillons sur l’identité de genre, des projets d’innovation du SCC puis sur l’immigration et l’expulsion — de même, le recrutement accru de membres du personnel diversifiés sur le plan culturel au sein de tous les services du SCC; la création d’un poste ethnoculturel spécifique à chaque établissement et le renforcement des relations avec des collectivités et des groupes ethnoculturels; la participation à des recherches qui clarifieraient les répercussions culturelles et la prestation de programmes culturels améliorés dans la langue du délinquant, en milieu carcéral et à l’extérieur; et le travail avec des collectivités individuelles pour les aider à comprendre le mode de gestion du SCC, en les faisant participer à l’élaboration d’interventions bienveillantes pour les délinquants lorsqu’ils retournent dans la collectivité.

En conclusion, je suis heureux que le Comité sénatorial permanent sur les droits de la personne m’ait invité à présenter cette étude importante et je vous remercie de votre travail continu au Canada. Grâce aux travaux du CCRE et du CCNE, j’espère que nous apporterons un cadre stratégique renforcé et des pratiques visant à améliorer sans cesse le modèle de prestation de services pour les délinquants ethnoculturels du SCC.

Je répondrai aux questions avec plaisir. Merci.

La vice-présidente : Monsieur Cohen.

Dylan Cohen, B.C. Child and Youth Advocacy Coalition : Pour commencer, je suis reconnaissant aux Sto:lo de nous accueillir sur le territoire ancestral et non cédé où j’ai le privilège de prendre la parole aujourd’hui et où je suis une personne qui n’a pas été invitée.

Je m’appelle Dylan Cohen. Je suis Métis, ancien jeune pris en charge, visé par le traité no 1 au Manitoba. J’ai la chance de côtoyer des dizaines d’autres jeunes ayant fait l’expérience d’une prise en charge, afin de lutter contre l’injustice systémique. Je travaille maintenant pour First Call — la BC Child and Youth Advocacy Coalition — en tant qu’organisateur auprès des jeunes, faisant campagne pour encourager le changement. Ensemble, nous cherchons à ce que tous les jeunes pris en charge puissent profiter de mesures de soutien complètes et universelles après avoir cessé de bénéficier des services d’aide en raison de leur âge, ce qui nous amène à l’équité et à la participation avec nos pairs.

Avant de continuer, je tiens à reconnaître que de nombreux membres de la collectivité ayant fait l’expérience d’une prise en charge peuvent parler de leurs propres expériences personnelles en matière d’incarcération. Je n’ai jamais passé de temps dans un établissement correctionnel à quelque moment que ce soit dans ma vie, mais beaucoup de mes frères et de mes sœurs s’y sont retrouvés. Et pour comprendre le tableau complet des jeunes, je pense qu’il est essentiel que nous portions notre regard sur d’autres jeunes ayant vécu l’expérience du système en vue de réunions futures.

Le système doit comprendre que des solutions en amont de la justice pour les détenus font en sorte que des adultes vivent des expériences exemptes de préjudices et de traumatismes qui mènent à des démêlés avec la police et la justice pénale. Cela signifie que la justice pour les jeunes pris en charge est synonyme de justice pour les détenus. Ainsi, nous devons veiller à ce que les jeunes qui ne bénéficient plus de services d’aide soient soutenus, ce qui signifie qu’il faut mettre un terme au cheminement menant de la prise en charge au milieu carcéral.

Mon premier contact avec le système a été terrifiant, mais typique. Jeune juif de la banlieue de Winnipeg, j’ai été terrorisé, tenant fermement mon chandail et mon portefeuille, quand je me suis retrouvé dans un refuge du quartier nord de Winnipeg. J’étais dans le premier refuge qui allait caractériser mon expérience de jeune confié à la protection de l’enfance, mode de vie que j’ai adopté depuis.

Cette nuit-là, deux policiers sont venus dans ma chambre, chez moi, et m’ont interrogé sur le fait que j’avais poussé ma mère et jeté ses médicaments dans les toilettes. Les agents m’ont dit : « Si quelqu’un est le parent ici, c’est toi. » Puis, on m’a fait monter à l’arrière d’une voiture de police et emmené dans un refuge inconnu, où j’avais froid et j’étais seul, et c’était le début de mon expérience en tant que jeune pris en charge.

Durant cette période, j’ai rencontré beaucoup d’obstacles et de défis, comme bon nombre de mes pairs. J’ai fait l’expérience de placements inappropriés, j’ai croisé des intervenants oppressants et difficiles, j’ai évolué dans la bureaucratie pour des décisions de la vie courante qui me distinguaient constamment de mes pairs et j’ai subi une séparation traumatisante de ma famille.

C’est au moment le plus traumatisant et le plus délicat que le système pénal entre en jeu dans le cas des jeunes pris en charge. Ceux-ci sont constamment sous surveillance, y compris celle de la police. Nous sommes emmenés dans un système par la police, nous sommes placés par des intervenants chargés de l’application de la loi et guidés par des règlements découlant des lois provinciales et des normes de protection de l’enfance.

À 16 ans, j’ai fait ce que beaucoup d’entre nous ont peut-être fait : un trou dans le mur en donnant un coup de poing. Malgré les changements hormonaux subis durant mon adolescence, les relations houleuses avec des fournisseurs de soins violents et une bureaucratie complexe, ce comportement n’était pas acceptable.

Peu de temps après ma fuite, on m’a retrouvé dans une région rurale du Manitoba, dans un fossé, au plus fort de l’hiver, sans rien d’autre qu’une mince veste sur le dos. La police a encouragé mes parents de famille d’accueil à produire un rapport de police et à me mettre derrière les barreaux afin que je puisse dormir dans un endroit sûr cette nuit-là. C’est là une expérience courante pour bon nombre de jeunes pris en charge.

En 2015, le service de police de Winnipeg a déclaré que plus de 80 p. 100 des personnes disparues provenaient de fournisseurs de services à la famille. Cette surreprésentation stupéfiante témoigne de la nature constante du lien entre la protection de l’enfance et la police. Bien que les protocoles de sécurité veillent à ce que les parents de famille d’accueil et les intervenants protègent leurs arrières et évitent toute responsabilité en cas d’absence, on ne réfléchit guère aux conséquences de la présence de la police sur la vie des jeunes plus tard. De nombreux placements dans les services d’aide à l’enfance, qui font preuve de rigueur dans leur mandat et leur discipline, ont des politiques de tolérance zéro dans les foyers de groupe.

Selon Cora Morgan, défenseure des droits des enfants des Premières Nations pour l’Association des chefs du Manitoba, les enfants pris en charge se retrouveront avec des accusations pour avoir fait des trous dans le mur en donnant un coup de poing ou pour avoir lancé des bouteilles d’eau vides dans des foyers de groupe. Ces jeunes finissent par être accusés. Les juges ont du mal à les relâcher plus tard, car il n’y a pas de placement sûr en famille d’accueil pour eux.

Après le décès de la jeune Manitobaine Tina Fontaine et plusieurs scandales, le Manitoba a cessé de recourir à des placements dans des hôtels. Par conséquent, cette solution isolée a empêché certains juges de relâcher leurs enfants dans des endroits sûrs.

D’après le système, cette situation est imputable à un manque de familles d’accueil. Nous devons éliminer le recours à des installations de justice pénale pour les jeunes pris en charge. Un de mes frères dans le système dit que nous devons commencer à voir les jeunes comme des personnes perturbées plutôt que des personnes qui causent des perturbations. Je suis d’accord.

Les jeunes pris en charge font également face à des défis liés à la protection de la vie privée dans les lois qui régissent leurs expériences dans le système de justice pénale. Jane Kovarikova écrit que les jeunes contrevenants jouissent souvent de droits à la vie privée plus importants que les enfants pris en charge. Lorsqu’un jeune contrevenant atteint l’âge de la majorité, son dossier est scellé. Mais si vous êtes comme plus du tiers des jeunes pris en charge par le système de protection de l’enfance, qui quittent ce système avec un casier judiciaire, ces accusations sont souvent conservées dans les données et les dossiers des enfants ayant eu des démêlés avec le ministère. En Ontario, le dossier de tout enfant qui est passé par le système est librement accessible par toute société ou tout travailleur social, qui peut le consulter sans laisser d’empreinte numérique de son accès.

Ces dossiers, produits par des travailleurs sociaux, des fournisseurs de soins, du personnel des foyers de groupe et des jeunes travailleurs à tous les niveaux de leur carrière professionnelle, peuvent souvent mettre en évidence des détails intimes de la vie d’un enfant et de son interaction avec le système durant l’enfance. Cela le suit chaque jour dans sa vie future. Lorsque nous pensons aux droits des enfants au sein de la population des jeunes pris en charge, nous devons tenir compte de la vie privée et de l’incidence potentielle des notes et des dossiers lorsque nous les produisons.

Dans son article, Mme Kovarikova écrit que la protection de la vie privée en ce qui concerne les jeunes pris en charge doit inclure des registres d’accès susceptibles d’être obligatoirement scellés et vérifiables.

Bien que chaque administration dispose de son propre système pour la consultation des dossiers de la protection de l’enfance, nous devons veiller à ce que les jeunes, d’un bout à l’autre du pays, bénéficient d’une norme stricte applicable aux droits à la vie privée. Cela fait partie intégrante de la surveillance nationale d’un enjeu provincial qui touche les personnes vulnérables. La surveillance et la responsabilité nationales à l’égard des jeunes pris en charge signifient qu’il faut veiller à protéger les droits de tous les jeunes pris en charge, dans tout le pays. Si mon travailleur social est le parent, alors nos sénateurs sont des oncles et des tantes.

Le Bureau du protecteur des enfants du Manitoba a constaté que, dans un échantillon, un établissement correctionnel provincial a révélé que 88 p. 100 des détenus autochtones et 63 p. 100 des détenus non autochtones n’avaient pas vécu chez eux pendant leur adolescence, principalement en raison de leur placement en famille d’accueil. Cette surreprésentation sidérante pourrait vous étonner, mais les défenseurs et les collectivités autochtones ne s’en offusquent pas puisqu’ils observent une surreprésentation au chapitre de la santé mentale, de l’indigénéité, de la pauvreté et d’autres formes de marginalisation dans les solutions du système de protection de l’enfance. Les pénitenciers deviennent des établissements de santé mentale de facto pour bon nombre de nos obstacles non traités.

Je veux également souligner des cas comme celui d’Abdoul Abdi, le réfugié qui a été placé dans une famille d’accueil à l’adolescence, qui s’est retrouvé dans le système de justice pénale à l’âge adulte et qui, à sa mise en liberté, a fait face à l’expulsion. Ce cheminement n’est pas unique à Abdoul Abdi. Je connais d’autres de mes frères pris en charge, dont une personne en particulier en Colombie-Britannique, qui, en raison d’une mauvaise planification de cas, a été confrontée à l’expulsion à 19 ans. Compte tenu de la réalité selon laquelle plus du tiers des jeunes pris en charge ont des casiers judiciaires, si les travailleurs sociaux ne s’occupent pas suffisamment du cas et ne veillent pas à ce que nous présentions une demande de résidence permanente ou de citoyenneté pendant qu’ils sont les fournisseurs de soins, nous avons un véritable défi à relever.

Travaillant auprès d’adultes qui présentent des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale, nous relevons également une tendance prédominante. Les jeunes adultes issus de situations de vulnérabilité — les parents qui boivent — se retrouvent dans des systèmes de prise en charge chaotiques, soumis à des dizaines de placements sans terminer des études de niveau secondaire ou n’ayant pas de numéro où appeler. L’ETCAF a des effets sur le fonctionnement cognitif, d’où la capacité d’une personne de comprendre les conséquences.

En outre, le système ne comprend pas les conséquences d’un nombre élevé de services manquant de ressources, d’une discrimination systémique et d’une succession de tragédies. En ce qui concerne les jeunes atteints de l’ETCAF, qui présentent de telles difficultés cognitives, nous les emprisonnons. En ce qui concerne le système, nous ne voyons aucune intervention.

Comme l’ont écrit deux de mes semblables pris en charge, Melanie Doucet et Harrisson Pratt :

Les jeunes pris en charge qui présentent des problèmes de comportement devraient être considérés comme des personnes perturbées plutôt que d’être étiquetées comme des personnes qui causent des perturbations, car leur comportement est souvent un symptôme de problèmes sous-jacents complexes comme la victimisation, les traumatismes continus et le déplacement.

Pour ce qui est de la vie privée, il est essentiel que nous considérions que les droits des enfants et des jeunes pris en charge sont d’une importance capitale pour la justice des détenus. Nous devons protéger les expériences et les tragédies des jeunes vulnérables qui sont pris en charge, au sein d’un système qui connaît tellement d’échecs. Cela comprend l’obligation de faire respecter ces droits à la vie privée à l’échelle nationale et de tenir le système responsable des échecs.

Les jeunes pris en charge vivent des dizaines de placements. Les fournisseurs de soins et les travailleurs changent sans cesse. Tandis que nos vies s’inscrivent dans un contexte très structuré, selon l’horaire de travail de 9 à 17 heures de nos autorités, nous subissons les conséquences et les résultats chaque jour. À notre sortie du pénitencier, nous n’avons aucun numéro où appeler.

Ce que nous faisons pour la justice pénale exige des solutions en amont. Si l’on considère les piètres résultats qui touchent les jeunes pris en charge, le rapport Opportunities in Transition, publié par Fostering Change, indique trois domaines de coûts potentiels pour la société : faible niveau d’instruction, pauvreté et bien-être mental faible. Ces trois domaines sont étroitement liés aux démêlés avec la justice pénale, exacerbés par un déménagement de plus imposé au jeune, un travailleur de plus dans sa vie ou une expérience traumatisante de plus.

Une véritable solution vise à garantir la justice pour les jeunes pris en charge. Notre collectivité est en accord à cet égard. Nous avons besoin de mesures de soutien complètes et universelles pour tous ceux qui ont cessé de bénéficier des services d’aide en raison de leur âge. Merci.

La vice-présidente : Merci, monsieur Cohen.

Monsieur Dhanu, vous avez la parole.

Rubinder Dhanu, avocat, Dhanu Dhaliwal Law Group, South Asian Bar Association of British Columbia : Eh bien, j’avoue que c’est vraiment un plaisir d’être ici. Et ce n’est pas seulement parce que, en général, je serais à cette heure-ci en train de faire souper mes trois enfants.

Je remercie l’honorable présidente et les honorables sénatrices de me donner la possibilité de parler au nom de la South Asian Bar Association of British Columbia.

Le problème des droits de la personne dans les établissements carcéraux est peut-être l’enjeu dont on parle le plus dans le domaine public, et il est certain que c’est un enjeu très important et très pertinent pour la collectivité sud-asiatique, et aussi, à mon avis, pour l’ensemble de la société également. Je suis extrêmement fier d’être un Canadien et de pouvoir parler de ce sujet ici aujourd’hui. Car nous ne parlons pas seulement des droits de la personne. Nous parlons des droits de la personne dans les établissements carcéraux. Je crois sincèrement que toute société doit être jugée sur la façon dont elle traite non pas ses membres les plus privilégiés, mais les plus marginalisés; ce soir, nous donnons une voix à ceux qui n’en avaient pas, et je l’apprécie vraiment.

Je m’appelle Rob Dhanu et je suis un ancien procureur de la Couronne du ministère fédéral de la Justice. Quand j’occupais ce rôle, je m’occupais principalement de dossiers touchant le trafic de drogue et le crime organisé. À cette époque, j’avais beaucoup de cheveux sur la tête et beaucoup moins de poils sur le visage : j’étais un jeune homme idéaliste. Je voulais être du bon côté de la loi. Je pensais que, de manière générale, tout était noir ou blanc dans la société comme dans le droit, et mon objectif était de mettre les méchants en prison.

Mon bureau était situé au 222 de la rue Main, dans le Downtown Eastside, qui était à l’époque et qui est d’ailleurs encore aujourd’hui le plus vaste marché ouvert de la drogue de tout le Canada, je crois. Je me présentais devant les tribunaux avec en poche les instructions d’Ottawa, qui étaient de mettre derrière les barreaux tous les trafiquants, peu importe le volume de leur trafic ou leurs antécédents, en demandant au juge de les mettre derrière les barreaux. Et c’est ce que je faisais, avec fierté. Pour commencer, dans le cas d’une première infraction, je demandais une peine d’emprisonnement de trois mois; je voyais bien que les délinquants étaient de retour après deux mois, car ils avaient purgé les deux tiers de leur peine. La fois suivante, je demandais une peine de six mois, pour le même délinquant, et il ressurgissait après avoir purgé sa peine. Je demandais ensuite neuf mois, puis douze mois, et le reste à l’avenant.

J’ai peu à peu perdu mes illusions. Il me semblait que ma philosophie initiale était erronée; je suis donc passé du côté de la défense, ce que nous appelions à l’époque, dans le milieu de la Couronne, le côté sombre. Et, à mon agréable surprise, il ne m’a poussé ni cornes, ni queue. Ce travail était plutôt valorisant. Je pratique ici, à Abbotsford, en Colombie-Britannique, au sein du Dhanu Dhaliwal Law Group.

À mes yeux, les droits de la personne supposent l’égalité des droits. Mais ce n’est pas parce qu’on traite tout le monde de la même manière que l’on traite nécessairement tout le monde avec équité. Ce que j’essaie surtout de faire comprendre, aujourd’hui, c’est qu’il faut vraiment que le système correctionnel élabore des réponses et des programmes adaptés spécifiquement aux enjeux qui touchent la collectivité sud-asiatique et les détenus sud-asiatiques de façon qu’ils aient droit à un traitement équitable et efficace.

La collectivité sud-asiatique de la Colombie-Britannique est étendue, dynamique et prospère, mais cette croissance se double de défis. Les défis relatifs aux droits de la personne dont je veux vous parler aujourd’hui concernent deux segments particuliers de la population sud-asiatique.

Pour commencer, il y a les jeunes Sud-Asiatiques qui sont en général nés au Canada et se retrouvent emprisonnés parce qu’ils ont été pris dans le monde des gangs, de la drogue et de la violence; dans leur cas, le défi consiste à leur offrir des options efficaces, dans le système correctionnel, pour éviter qu’ils ne s’impliquent davantage dans ce monde du fait du temps qu’ils passent derrière les barreaux.

Il y a ensuite les Sud-Asiatiques de première génération; je veux parler ici aujourd’hui des Sud-Asiatiques qui ont immigré au Canada et se retrouvent derrière les barreaux; dans leur cas, le défi consiste à surmonter les obstacles linguistiques et culturels présents dans le milieu carcéral.

Je vais d’abord parler du problème des gangs, puisque c’est de ce problème que nos médias parlent le plus; il mérite certainement qu’on y accorde beaucoup d’attention.

Nous venons justement, cette semaine, de voir un autre grand titre dans les journaux locaux — je suis certain que les autres journaux de la province en parlent eux aussi — au sujet d’un jeune homme tué par balles qui était possiblement impliqué, selon la police, dans les activités d’un gang. Il était âgé de 19 ans. Il a été assassiné de sang-froid, dans son garage. Il a rendu l’âme sur le ciment froid, au milieu de sa famille, et tout le quartier a entendu leurs cris de douleur. Nous parlons ici de vraies personnes, de vraies vies.

Une épidémie de violence accable actuellement nos rues. Une nouvelle génération de jeunes garçons et de jeunes hommes pénètre dans le monde des gangs, alimenté par la drogue et la violence, mais cette nouvelle génération n’a pas encore, dans la plupart des cas, eu de véritables démêlés avec le système correctionnel. Il est donc encore temps d’agir.

Depuis l’arrêt R. c. Jordan, par lequel la Cour suprême du Canada imposait certains délais, la police ne porte pas d’accusations immédiatement pour ensuite préparer le dossier. Pour respecter ces délais, la police prépare d’abord le dossier, après quoi elle porte des accusations. Cela veut dire qu’il y a un écart entre le moment où la police pense avoir un suspect et celui où elle dépose concrètement des accusations contre cette personne.

Mais ce délai finira bien à un moment où un autre par arriver à échéance. Des accusations seront portées, des déclarations de culpabilité s’accumuleront, et cette nouvelle génération entrera dans le système correctionnel. À partir de là, notre système correctionnel sera soit un incubateur où ces jeunes apprendront à s’impliquer encore davantage dans les activités d’un gang, soit une bouée de sauvetage qui leur offrira des options et leur permettra d’abandonner ce mode de vie.

Je pense aujourd’hui que les droits de la personne fondamentaux, dans le milieu carcéral, doivent comprendre le droit véritable d’avoir accès à des programmes appropriés et à des débouchés réalistes et efficaces susceptibles d’entraîner le changement. Mes clients et les agents correctionnels avec lesquels j’ai parlé disent qu’à l’heure actuelle, le système correctionnel représente surtout une bonne occasion de réseautage pour les gens qui y entrent. En conséquence, ils adoptent encore davantage le mode de vie des gangs plutôt que d’y trouver des outils grâce auxquels ils pourront s’en détacher. Étant donné la possibilité de réseautage que le milieu carcéral leur offre, les jeunes qui entrent dans le système correctionnel sont, au moment où ils quittent ce milieu, plus intégrés et plus profondément enracinés dans le mode de vie des gangs.

Nous faisons face à deux grands problèmes. D’abord, dans la culture carcérale, il est interdit de demander de l’aide aux agents correctionnels, même si c’est pour chercher le moyen de couper les ponts avec ce mode de vie. Si d’autres détenus constatent que vous devenez trop familier avec le personnel correctionnel, votre sécurité, votre bien-être et même votre vie pourraient être en danger. Ce n’est pas que ces gens ne veulent pas se libérer. Souvent, ou parfois, du moins, ils craignent de recouvrer leur liberté. Au contraire, dans la culture carcérale qui prévaut, les détenus sont conditionnés à demander aux autres membres des gangs l’aide, le soutien et l’orientation dont ils ont besoin dans ce milieu, et, bien sûr, ce soutien ne vise pas à les aider à tourner le dos aux gangs.

L’autre problème qu’ont les jeunes hommes sud-asiatiques — et des jeunes hommes d’autres origines, j’en suis certain — c’est qu’ils ont beau, en tant que détenus, être disposés à suivre des programmes dans le milieu correctionnel, les programmes offerts sont en nombre très limité et ne sont pas spécifiquement adaptés aux enjeux auxquels font face la collectivité sud-asiatique ou les détenus issus de cette collectivité.

Actuellement, le Service correctionnel utilise le Modèle de programme correctionnel intégré, qu’on appelle le MPCI. Ce modèle offre le même type de programme à tous les délinquants, peu importe leur parcours ou leurs enjeux particuliers. Dans le cas des membres de gangs, le Service correctionnel leur proposera certaines cibles à atteindre, par exemple : « Vous devriez couper les ponts avec les gangs » ou « Vous devriez suivre une thérapie pour votre toxicomanie ou votre alcoolisme. » Toutefois, les options proposées et les cibles définies, les programmes offerts, sont très généraux et n’ont pas vraiment beaucoup d’utilité, selon ce que me disent mes clients.

Il faut reconnaître que les gangs sud-asiatiques ne présentent pas nécessairement les mêmes problèmes que les autres gangs. Les Sud-Asiatiques qui font partie d’un gang viennent généralement de la classe moyenne. Ils n’ont pas fait face aux mêmes difficultés matérielles, comme nous le voyons souvent, étant donné les liens établis entre la pauvreté et l’appartenance à un gang. En général, les membres d’un gang sud-asiatique ont une famille et des parents qui les aiment. Ils ne viennent pas souvent de foyers brisés, comme nous le voyons souvent chez les membres d’autres gangs. Plusieurs enjeux culturels et sociaux entrent en jeu ici.

Je crois qu’il faudrait vraiment que le Service correctionnel soit plus ouvert et qu’il essaie de nouer des relations avec les organismes externes qui s’attaquent sur le terrain à ces problèmes. S’il collabore avec les services de police et les organismes communautaires qui s’occupent déjà des problèmes des gangs sud-asiatiques, le Service correctionnel pourra réunir des connaissances précieuses au moment d’élaborer des programmes plus efficaces et mieux adaptés. En nouant des relations avec des organismes externes, il pourra également confier la prestation des programmes à des personnes qui ne porteront pas nécessairement l’uniforme des agents correctionnels ou des policiers, écartant ainsi le tabou lié aux échanges avec des agents correctionnels.

Cependant, ces relations et les connaissances acquises ne seront pas suffisantes en elles-mêmes. Si j’ai bien compris, le Service correctionnel entretient déjà des relations avec les services de police, entre autres avec le groupe spécial interpolices, le CFSEU de la Colombie-Britannique, qui s’occupe précisément des enjeux liés aux gangs sud-asiatiques. Les connaissances ainsi recueillies devraient en fait servir à élaborer des programmes spécifiques, adaptés aux détenus sud-asiatiques. Une approche générique universelle ne propose pas de solution ou de choix véritable qui permettrait de couper les ponts d’avec les gangs.

Cela m’amène au second enjeu, à l’autre partie de la population à laquelle je prierais les honorables sénatrices de réfléchir; je parle des Sud-Asiatiques de première génération qui se retrouvent derrière les barreaux. Ces personnes font souvent face à des obstacles culturels et linguistiques importants, et pourtant aucun programme ne leur est proposé dans une langue qu’ils peuvent comprendre. Mes clients me disent qu’ils ont suivi des programmes, dans le cadre de leur plan correctionnel, pour répondre aux exigences de ce plan, mais qu’ils n’avaient en fait rien retiré de ces programmes, puisqu’ils ne comprennent pas suffisamment l’anglais. Donc, contrairement aux autres détenus, ils ne tirent aucun profit des programmes qui doivent les aider à réussir leur réinsertion sociale, et la société est elle aussi perdante étant donné que les enjeux sous-jacents, ceux qui les ont menés derrière les barreaux au départ, n’ont pas été réglés. Il faut offrir des programmes en pendjabi et dans les langues des autres pays sud-asiatiques, et il faut aussi davantage d’agents qui parlent ces langues.

Les droits fondamentaux de la personne, à mon avis, vont au-delà des simples programmes. Un aspect important de la réinsertion sociale tient également à la spiritualité. J’ai eu de nombreux clients qui avaient réussi à briser le cycle de la délinquance grâce au pouvoir de la spiritualité. Le Service correctionnel le reconnaît lui aussi, c’est évident, puisque les détenus ont accès en tout temps, ce qui est magnifique, à un aumônier chrétien. Les Sud-Asiatiques de première génération sont souvent très dévots. Pourtant, ils n’ont qu’un accès très limité à des prêtres parlant le pendjabi ou d’autres langues de l’Asie du Sud-Est; cela se résume souvent à une ou deux heures, toutes les deux semaines.

C’est encore une fois deux poids, deux mesures dans le cas des célébrations des fêtes religieuses et culturelles, dans le milieu correctionnel. La célébration de ces événements donne un sentiment d’humanité aux détenus. Ces célébrations les aident dans leur réinsertion sociale; elles évoquent des temps meilleurs. À l’occasion de Noël ou du jour de l’Action de grâces, le Service correctionnel offre de la dinde, mais il ne tient pas vraiment compte des autres importantes traditions culturelles, par exemple les fêtes de la Vaisakhi et du Diwali ou encore du ramadan.

Je crois que les droits de la personne supposent un traitement juste et équitable, en particulier dans le processus de la réinsertion sociale. S’il veut favoriser la protection et le respect des droits de la personne, le Service correctionnel devra mettre en oeuvre des approches flexibles, créatives et adaptées. Je crois qu’au bout du compte, la protection des droits de la personne en milieu carcéral entraînera une amélioration de la protection et du mieux-être de la société en général. Mesdames les honorables sénatrices, je vous remercie.

La vice-présidente : Merci à vous tous de ces exposés.

En tant que présidente, je ne pose pas de questions, normalement; toutefois, maître Dhanu, vous avez soulevé des points très importants et, en tant que Sud-Asiatique, je m’en voudrais de ne pas profiter de l’occasion pour vous poser quelques questions.

Quand nous avons commencé notre étude, nous avons visité certains établissements. Ce qui m’a frappée, en tant que femme sud-asiatique, c’est de voir le si grand nombre de Sud-Asiatiques qui sont incarcérés, et cela comprend aussi quelques femmes. Tout ce que vous avez raconté, je l’ai ressenti, je l’ai entendu. Dans certains établissements, tout va très bien. Les responsables s’assurent que les détenus peuvent observer le ramadan. Les détenus ont accès à des conseillers spirituels. L’imam fait des visites. Les détenus peuvent prier. Dans quelques établissements, certains des détenus ont de la difficulté même à obtenir des livres de prières.

L’autre chose que j’ai apprise pendant cette étude, qui dure depuis un an et demi, c’est que lorsqu’une personne qui a des valeurs spirituelles peut rester en contact avec ces valeurs, elle semble y puiser beaucoup de force.

Comment pouvons-nous amener une collectivité à réaliser que c’est un problème, un problème qui ne fait que commencer, à mon avis, pour la collectivité sud-asiatique? Si on ne s’y attaque pas, cela deviendra un énorme problème.

M. Dhanu : C’est une très bonne question, étant donné que notre problème a trait à ces obstacles culturels. Il ne s’agit pas d’un simple problème entre détenus et représentants du Service correctionnel, c’est un problème qui touche la collectivité elle-même. Quand des individus sont incarcérés, ils sont une grande source de honte pour la collectivité, pour la famille. Il semble alors que la famille et la collectivité rompent automatiquement les liens avec cet individu, qui devient presque à leurs yeux un paria, sauf peut-être pour les membres de la famille immédiate.

Ce que je proposerais, le grand et vaste projet auquel j’ai toujours pensé, étant donné ce que j’ai observé dans le système de justice pénale, suppose nécessairement un financement qui permettra d’unifier les multiples organismes qui font ce travail afin de les regrouper et de les amener à se parler les uns les autres. À l’heure actuelle, il y a de nombreux organismes qui font du bon travail. Certaines personnes font cavalier seul, d’autres se joignent à un groupe, mais ils ne savent pas ce que font les autres. Mais si vous réunissez une masse critique d’intervenants qui pourront se parler, nous pourrons commencer à mobiliser plus sérieusement les temples, les mosquées, les gurdwaras, nous pourrons mobiliser la collectivité. Mais nous devons d’abord nous parler entre nous. Ceux qui ont de l’information doivent partager cette information et entamer un dialogue; nous pourrons ensuite aller plus loin, passer à l’étape suivante et mobiliser la collectivité. Pour le moment, nous ne nous parlons même pas, c’est un grave problème.

La vice-présidente : Je suis on ne peut plus d’accord. Je constate qu’il y a un grand fossé entre les parents et leurs enfants. Souvent, les parents ignorent ce que font leurs enfants, qui ils fréquentent et à quels gangs ils appartiennent. Alors, quand un enfant est accusé ou arrêté, les parents sont surpris. Et c’est pour cela que je vous remercie.

Je laisse maintenant la parole aux sénatrices.

La sénatrice Pate : Merci de vos suggestions en ce qui concerne, en particulier, les jeunes qui sont emprisonnés, monsieur Cohen. J’aimerais que vous nous fassiez parvenir certains des rapports dont vous avez parlé; ce nous serait vraiment utile. Je suis certaine que les analystes ont noté les titres, mais ce serait merveilleux d’avoir des liens vers ces rapports.

S’il y a une chose que nous savons — Me Dhanu et vous-même en avez parlé — c’est qu’il y a plusieurs perceptions erronées sur ce qui se passe dans le système carcéral. Par exemple, les dossiers des jeunes contrevenants ne disparaissent plus. C’était le cas il y a des années, mais cela fait plus de 35 ans qu’aucun dossier de jeune contrevenant n’a disparu.

De la même façon, quand vous parlez d’encourager les gens à parler de leurs problèmes avec des membres du personnel, si ce n’est pas encouragé, ce n’est pas seulement à cause des enjeux que vous avez soulevés; c’est souvent parce que cela n’aide pas nécessairement les gens à avancer. De plus, comme la sénatrice Ataullahjan l’a mentionné, si vous pouviez nous présenter des recommandations sur la façon d’amener les collectivités à vraiment soutenir les jeunes qui se retrouvent dans cette situation, de façon qu’ils disposent de réelles stratégies de sortie, cela serait utile.

Je n’ai qu’une expérience très limitée des enjeux dont vous avez parlés; souvent, quand une personne tourne mal, selon sa famille ou sa collectivité, elle se verra rejetée. Une partie du problème, c’est que les membres du gang ou du groupe considéré comme un gang seront les seuls à ouvrir quand même les bras à ce jeune, ce que les autres ne font pas. J’aimerais parler des approches qui pourraient se révéler utiles, et il serait utile que vous nous présentiez tous vos commentaires sur le type de soutien qui pourrait être mis en place plus tôt, de façon que les jeunes se sentent appuyés.

Monsieur Cohen, vous avez dit que vos propres parents d’accueil avaient été encouragés à porter des accusations contre vous et qu’ils croyaient que vous pourriez ainsi obtenir de l’aide ou qu’ils obtiendraient un répit; ce genre de situation ne se présente pas dans des familles solidaires. Et pourtant, un nombre élevé de jeunes se voient accusés en raison de problèmes qui se présentent lorsqu’ils se retrouvent en famille d’accueil. Si vous avez d’autres recommandations à nous soumettre, à ce sujet, cela nous serait utile; vous pouvez les présenter maintenant ou nous les communiquer plus tard.

M. Dhanu : Puisque nous parlons ici du système carcéral, je vais proposer, et j’en ai parlé également dans mon exposé, que le Service correctionnel établisse des liens et collabore vraiment avec les organismes qui ne sont pas des organismes d’exécution de la loi. Comme je l’ai expliqué, nous faisons affaire avec un grand nombre de personnes qui vont tout simplement refuser de s’adresser à des agents correctionnels pour discuter des enjeux liés aux gangs, ou à des agents de police.

Si le Service correctionnel parlait à des organismes civils et les invitait à participer au système correctionnel, s’il facilitait réellement leur accès à ce système et leur capacité de proposer des programmes, nous constaterions que les détenus en question seraient beaucoup plus enclins, c’est ce que je crois, à discuter. La discussion pourrait tout simplement commencer par une réponse à la question « racontez-moi votre vie », et le travail pourrait partir de là, une fois la confiance acquise.

Mais nous allons constater que la culture carcérale est si puissante, et les enjeux de sécurité si concrets, que nous devons adopter des approches tout à fait différentes de celles que nous avons aujourd’hui. Les approches fondées strictement sur le processus correctionnel ne sont pas susceptibles de fonctionner. C’est pourquoi nous avons besoin que des civils y participent. L’avantage, c’est que ces organismes possèdent des connaissances que le Service correctionnel ne possède pas nécessairement, et ils sont en mesure de communiquer ces connaissances et de proposer des programmes.

M. Chan : Mesdames les sénatrices, pour en revenir à toute cette question de la spiritualité, tout est lié au financement et aux ressources. À l’heure actuelle, ces dernières années, les contrats des services d’aumônerie ont été davantage centralisés. Ils sont octroyés à l’échelle nationale, ce qui empêche de retenir les services des aumôniers locaux, des églises locales, des mosquées ou des temples. En ce sens, il y a une coupure. Donc, si vous le pouvez, vous devriez examiner le processus qui a été centralisé pour des questions de financement. Je crois que le Service correctionnel pense réaliser de cette manière des économies, mais, selon moi, étant donné les conséquences, il devrait peut-être y réfléchir de nouveau.

Autre chose : je travaille pour un organisme communautaire, et nous constatons que les organismes qui s’occupent des détenus ont souvent de mauvais liens avec les collectivités ethnoculturelles. À l’heure actuelle, nous n’avons pas d’autres recours, exception faite des bénévoles — des représentants religieux font du bénévolat —, mais il n’y a pas à proprement dit de fournisseur de services pour les groupes ethnoculturels. Je crois que c’est un aspect que le Service correctionnel devrait examiner; il devrait embaucher des organismes précis qui feront le travail à l’échelon local.

M. Dhanu : Au sujet du commentaire de M. Chan touchant le financement, ce qu’il y a de magnifique quand on fait participer des organismes civils, c’est qu’ils sont la plupart du temps des organismes sans but lucratif. Donc, le Service correctionnel n’aura pas nécessairement à les payer pour qu’ils viennent animer des programmes. Ces organismes peuvent tenter d’obtenir des subventions ou de l’argent de leurs bailleurs de fonds, en leur disant : « Regardez! Le Service correctionnel nous ouvre ses portes. Pourrions-nous avoir un peu d’argent pour aller dans les établissements carcéraux? » Le Service correctionnel en tirerait lui aussi d’énormes avantages.

La sénatrice Pate : À ce sujet, comme j’ai travaillé dans des organismes sans but lucratif, j’imagine que c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais puisque vous en parlez — je m’excuse, monsieur Cohen, je sais que vous vous apprêtiez à répondre —, je pense qu’une chose serait utile, si vous voulez vraiment le faire. Il faudrait évaluer le coût pour le Service correctionnel de l’embauche, par exemple, de plusieurs employés qui s’occuperaient des interventions de sécurité par rapport au coût de l’embauche de personnes qui fourniraient du soutien ou à qui on ouvrirait les portes, des personnes de la collectivité qui auraient plus facilement accès aux détenus, et nous savons qu’ils font toutes sortes de choses. Premièrement, cela leur donne de quoi s’occuper, des choses constructives et gratifiantes, de façon qu’ils ne restent pas assis à ne rien faire, qu’ils ne soient pas isolés davantage, comme nous le constatons. Il est certain qu’il serait plus efficace et moins coûteux d’utiliser les ressources de cette façon que d’augmenter les interventions de sécurité, et de recourir à la sécurité passive plutôt qu’à des interventions dynamiques.

M. Cohen : En ce qui concerne les jeunes qui ont des démêlés avec le système de justice pénale, au Manitoba, 63 p. 100 des détenus autochtones d’un certain établissement ont déclaré que le nombre de prises en charge étaient à la hausse. Cela veut dire, pour mes pairs, que la vaste majorité d’entre nous n’ont plus de soutien après l’âge de 18 ou de 19 ans, selon l’âge de la majorité, et qu’ils étaient essentiellement laissés à eux-mêmes, sans accès aux mesures de soutien que reçoivent ceux qui, parmi nous, n’ont pas grandi en famille d’accueil.

La recherche souligne constamment qu’il faudrait l’équivalent d’un revenu annuel garanti pour les jeunes des familles d’accueil, et nous avons déjà constaté de très belles réussites, dans les collectivités qui ont accès à des mesures de soutien, surtout pour les jeunes qui peuvent poursuivre leurs études postsecondaires. Il y a beaucoup d’économies à faire, dans le domaine de la santé, de la justice pénale et de l’éducation, et dans toutes sortes d’autres domaines; il faut seulement aider les jeunes des familles d’accueil à vivre leur vie après l’âge de la majorité.

Les avantages dépassent, et de loin, les coûts. Et je suis perplexe quand je pense au fait que, en moyenne, les jeunes Canadiens habitent chez leurs parents jusqu’à l’âge de 25 ans environ, pendant que les jeunes les plus vulnérables sont complètement abandonnés par le système lorsqu’ils atteignent 19 ans. Donc, les jeunes qui ont des démêlés avec le système de justice pénale ne trouveront probablement aucun moyen de s’en sortir, arrivés à cet âge.

La sénatrice Pate : Merci.

La sénatrice Cordy : C’était vraiment de bons témoignages.

Je constate que le modèle habituel est un modèle universel. Je crois, monsieur Chan, que vous avez utilisé le mot « centralisés » en parlant des services d’aumônerie. Je vois que la plupart des choses sont centralisées, dans le système carcéral. Le modèle adopté est un modèle universel, et il est évident, à vous entendre, aujourd’hui, que ce n’est pas utile.

Maître Cohen, vous avez dit que vous aviez grandi en famille d’accueil. Je faisais partie du conseil d’administration de Phœnix House, à Halifax, et ce programme avait de très bons résultats. Alors, à quoi devez-vous votre réussite? Comment êtes-vous arrivé là, et que devons-nous faire? Je pense au nombre des détenus et aux détenus des collectivités minoritaires; nous voulons éviter la récidive. Nous ne voulons pas que les gens qui sont libérés soient réincarcérés de nouveau, mais, bien sûr, idéalement, nous aimerions qu’ils ne soient jamais incarcérés, pour commencer. Alors, quelle est la clé du succès? Étant donné votre expérience des familles d’accueil, qu’est-ce qui fonctionne et qu’est-ce qui ne fonctionne pas?

M. Cohen : Les chercheurs du Harvard Centre on the Developing Child ont effectué beaucoup de recherches sur la résilience et ce qui la soutient chez les enfants qui ont vécu des expériences négatives durant l’enfance. Ce qui ressort constamment de ces recherches, c’est que les enfants qui ont eu au moins une figure d’autorité ou un gardien adulte stable réussissent bien. Par contre, le système de prise en charge est caractérisé par des dizaines de placements. Beaucoup d’entre nous avons vécu plus de 30 placements pendant la prise en charge. De nombreux travailleurs et de nombreux fournisseurs de services différents, y compris des agents correctionnels, des agents de libération conditionnelle et tous ceux qui ont joué un rôle dans notre vie n’ont fait que passer. L’objectif du système vise à assurer un niveau de soutien de base qui nous aidera à traverser ces épreuves et les autres que nous devrons affronter plus tard. Parce que si nous attendons que le bon programme de mentorat soit mis en place ou que les placements familiaux ne dépassent pas un certain nombre, nous serons déçus.

La sénatrice Cordy : Merci.

Maître Dhanu, vous avez dit que la culture carcérale est très puissante et qu’elle fonctionne avec les organismes. Vous avez également parlé à juste titre des gangs sud-asiatiques qui diffèrent des gangs typiques. Les Sud-Asiatiques de première génération incarcérés vivent une expérience complètement différente en raison de leur langue et de leur culture. Comment pouvez-vous vous faire entendre afin que des changements soient apportés — et c’est certainement ce que nous allons tenter de faire dans notre rapport — pour les minorités au sein du système carcéral?

M. Dhanu : Je crois que nous devons commencer par comprendre la situation. Il s’agit d’une question réellement fascinante, et je pense que, lorsque les gens commencent en réalité à s’y intéresser plus en profondeur, ils découvrent des choses très révélatrices.

L’honorable présidente a indiqué qu’il s’agit souvent de familles aimantes. Elles essaient de faire ce de leur mieux pour leurs enfants, mais il y a une fracture en ce qui concerne leur engagement auprès de leurs enfants. Il y a un manque de communication dans ces familles.

Lorsque je parle aux policiers, aux agents correctionnels et à mes propres clients, et je comprends de mieux en mieux la raison pour laquelle ils font ce qu’ils font, je me sens davantage obligé d’agir et d’apporter de l’aide parce que je comprends le problème. Ce ne sont pas seulement des gangsters, ces voyous qui s’entretuent, même si on dit qu’un autre gangster mort est une excellente chose. Vous comprendrez qu’il s’agit de véritables personnes. Quand vous présentez le contexte et l’histoire de ces personnes, au lieu de vous en tenir à un autre grand titre, vous touchez le coeur des gens. Et quand on touche le coeur des gens, on les force à agir.

J’apprends à connaître ces familles et, lorsque je rencontre mes clients, ces durs gangsters assis dans mon bureau, je parle avec eux. Je vais les défendre. Je suis un avocat de la défense. Mais je leur donne également un choix : « Écoutez, voulez-vous continuer ce mode de vie? Avez-vous pensé à vos parents? »

C’est la même chose pour mes parents. Ils ont quitté un autre pays pour venir ici. Mon père travaillait dans une usine et ma mère dans une pouponnière. Lorsque j’établis un lien avec eux sur ce plan-là, ces mêmes gangsters qui sont si durs dans la rue pleurent et me racontent leur histoire. Ensuite, je sens qu’ils se sont humanisés et alors, je veux les aider. Je crois donc que nous devons humaniser la question. À mon avis, nous devons la comprendre plutôt que de la traiter de manière stéréotypée.

La sénatrice Cordy : Monsieur Chan, vous avez parlé de votre comité consultatif qui recommande des projets pilotes. À qui présentez-vous les projets pilotes? En parlez-vous au directeur d’établissement? Comment les réalisez-vous, et quelle est la participation aux projets pilotes que vous envisagez?

M. Chan : Merci de la question, madame la sénatrice.

Les projets pilotes sont principalement réalisés avec la collaboration du SCC et nous voulons savoir s’ils ont une incidence. J’ai donné comme exemple le projet De l’emploi à l’autonomisation. C’est dans le cadre de deux forums communautaires que les organismes communautaires, les bénévoles et les chefs de file, en collaboration avec le SCC en Colombie-Britannique, ont examiné la façon dont nous pouvions améliorer les résultats d’emploi de nombre des délinquants du SCC lorsqu’ils sont mis en liberté dans les collectivités.

De notre point de vue, parce que nous sommes dans la collectivité, nous constatons qu’il y a des moyens par lesquels nous pouvons contribuer aux résultats d’emploi. Par exemple, nous pensons aux centres de WorkBC, parce qu’ils sont financés par le gouvernement provincial. Ils ont tous le mandat d’aider quiconque en Colombie-Britannique à trouver un emploi. Nous les incitons à établir davantage de relations avec les employeurs de la collectivité, puisque le SCC cherche également à améliorer les résultats d’emploi. Il s’agit donc plus d’un avantage mutuel.

Il importe d’avoir une excellente équipe formée d’employés du SCC qui sont disposés à faire ce travail. Nous appelons « champions » les nombreux membres du personnel qui désirent faire du bon travail, non pas seulement observer ou surveiller les détenus. Ils veulent faire évoluer les choses. Nous avons donc d’excellents champions à l’interne. Ils défendent la cause et travaillent dans ce but parce qu’ils ont tous des contacts dans les établissements de la Colombie-Britannique. Ils communiquent donc avec les personnes qui veulent faire ce travail.

Nous tenons également des salons de l’emploi. Nous invitons les employeurs et les représentants de bureaux de placement dans les établissements et nous organisons des rencontres entre les détenus et les agents recruteurs, et cetera. Les détenus disent : «Oh, j’ai les compétences. Je peux faire ce travail. Je possède des compétences transférables. » Ils établissent ensuite un lien avec les employeurs. Nous constatons des résultats. Ce que nous voulons faire dans le cadre d’un projet pilote, c’est nous assurer que les détenus puissent continuer à travailler à la fin des deux années du projet. Concrètement, pour que ça se passe, il faut amener l’expertise dans l’établissement et dans la collectivité.

La sénatrice Cordy : Merci.

La vice-présidente : J’aimerais vous remercier tous. Nous avons dépassé 15 minutes avec trois sénatrices. Pouvez-vous vous imaginer ce qui ce serait passé si les neuf sénateurs avaient été présents? Mais je remercie chacun d’entre vous.

Pour notre troisième groupe de témoins ce soir, nous sommes heureux d’accueillir M. Aaron Devor, fondateur et premier titulaire d’une chaire de recherche en études transgenres, fondateur et directeur des Transgender Archives, professeur de sociologie à l’Université de Victoria, à titre personnel; M. Seamus Heffernan, gestionnaire, Bureau de Jati Sidhu, qui est député de Mission—Matsqui—Fraser Canyon, à titre personnel; Mme Alison Granger-Brown, cochercheuse indépendante du Centre collaboratif pour la santé et l’éducation en milieu carcéral; et, enfin, Mme Gillian Gough, représentante régionale de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry.

Monsieur Devor, vous avez la parole, et vous serez suivi par M. Heffernan, Mme Granger-Brown et Mme Gough.

Aaron Devor, fondateur et premier titulaire d’une chaire de recherche en études transgenres; fondateur et directeur des Transgender Archives; professeur de sociologie, Université de Victoria, à titre personnel : Merci beaucoup. J’apprécie l’occasion qui m’est donnée de m’adresser aux sénateurs et aux personnes réunies dans la salle.

J’aimerais commencer par expliquer un peu ce qui m’a amené ici aujourd’hui. J’étudie la diversité de genre et je publie des articles à ce sujet depuis plus de 30 ans, soit depuis le début des années 1980, c’est-à-dire avant que nous utilisions le terme « transgenre ». Parmi nombre d’autres activités liées aux études transgenres, j’ai travaillé comme chercheur universitaire en sciences sociales et, avec la World Professional Association for Transgender Health, j’ai rédigé plusieurs versions de ses normes de soins, les « Standards of Care for the Health of Transsexual, Transgender and Gender Nonconforming People ». J’entretiens également de solides relations avec les militants de la communauté transgenre depuis plusieurs décennies et j’ai reçu un certain nombre de prix pour mon travail, y compris des prix remis par la communauté transgenre.

J’ai fondé la première et la seule chaire en études transgenres au monde et j’en suis le tout premier titulaire. La chaire est un bureau de sensibilisation communautaire, de leadership et de recherche. J’ai conçu et j’organise une série de conférences internationales sur l’avancement du mouvement trans, appelées Moving Trans History Forward, qui regroupent un nombre presque égal de membres de la communauté transgenre et d’universitaires. J’ai également créé les plus grandes archives transgenres au monde, et j’en suis le directeur universitaire; elles contiennent des documents qui remontent à plus de 125 ans et qui proviennent de 20 pays et de cinq continents.

En ce qui concerne mon expérience du milieu carcéral, je crois que la raison pour laquelle vous m’avez invité ici aujourd’hui est le fait que, il y a 30 ans, j’ai donné plusieurs cours sur la condition féminine, l’égalité des sexes, la sexualité et le féminisme dans les Établissements de Mountain et de Matsqui dans le cadre du programme d’éducation offert aux délinquants sous responsabilité fédérale, et aussi parce que j’ai publié deux ou trois articles sur ces sujets; je crois comprendre que c’est ce qui a attiré l’attention de votre comité.

Plus récemment, en septembre 2016, le SCC m’a demandé d’offrir un atelier de formation d’une journée sur les détenus transgenres aux responsables fédéraux des services correctionnels du Sous-comité sur les femmes en tant que clientes correctionnelles. Des représentants d’établissements de partout au pays ont assisté à cet atelier d’une journée.

Depuis deux ans, je travaille avec B.C. Corrections et j’examine ses lignes directrices sur le travail avec les détenus transgenres; j’ai également une entente contractuelle avec le conseiller juridique de B.C. Corrections concernant une plainte pour atteinte aux droits de la personne déposée par un détenu transgenre.

Il y a relativement peu de temps, en réaction à l’adoption du projet de loi C-16, qui assure la protection des droits de la personne en englobant l’identité de genre et l’expression de genre, le Service correctionnel du Canada a adopté une politique provisoire en décembre 2017. Son élaboration s’est faite au cours de la dernière année, et je crois comprendre que sa mise en œuvre se poursuit. Je dois dire que je suis très heureux de cette politique provisoire. À peu près tout ce que j’aurais recommandé il y a un an se retrouve dans cette politique. Alors, permettez-moi de féliciter le SCC à cet égard.

J’aimerais parler brièvement de quelques dispositions de cette politique. Tout d’abord, elle prévoit que le SCC continuera d’éduquer et de sensibiliser le personnel et les délinquants et tâchera de s’assurer que la santé, la sécurité et la dignité de tous sont respectées en tout temps. Je n’aurais pas pu demander des énoncés plus clairs.

Les bonnes politiques ne suffisent pas. Une bonne mise en œuvre est nécessaire. Nous avons déjà entendu aujourd’hui beaucoup de témoignages, et je suis certain qu’on vous a dit, lors de vos déplacements partout au pays, que même s’il y a des politiques en place, bien souvent elles ne sont pas suivies et que nombre de membres du personnel et de détenus font des choses en marge de la politique. Je demande donc la mise en œuvre de ces bonnes politiques.

Pendant l’élaboration et la mise en œuvre, il faut consulter des personnes compétentes issues de la communauté transgenre et les consulter de façon régulière et répétée, au fil du temps, non pas seulement une fois.

Chaque établissement devrait mettre sur pied une équipe d’experts sur les personnes transgenres formée de personnes compétentes qui consacrent du temps et des efforts à apprendre et à comprendre les besoins des détenus et des personnes transgenres. Les membres de cette équipe devraient avoir accès à des personnes qui possèdent une expertise complémentaire à leur parce que, peu importe leur expertise, ils se buteront à des problèmes épineux qu’ils ne sauront résoudre.

Nous avons besoin d’une formation et d’une éducation approfondies si nous voulons que ces bonnes politiques soient appliquées dans les établissements et qu’elles portent leurs fruits. Les membres du personnel à tous les échelons doivent connaître les politiques, mais ce n’est pas suffisant. Il s’agit de la première étape de l’éducation. Tous les membres du personnel doivent suivre une formation de sensibilisation continue. Sur le plan théorique, c’est très facile à comprendre. Rien de plus simple que de s’asseoir dans une salle de classe et de recevoir des directives, sans comprendre ce qu’elles signifient dans la vraie vie. C’est à cet égard, je le répète, qu’il faut mobiliser les personnes transgenres afin qu’elles participent à ce processus d’éducation en vue de sensibiliser les gens qui travaillent auprès d’elles et de leur faire comprendre avec leur cœur et avec leur esprit les réalités de la vie des personnes transgenres.

En outre, nous avons constaté que certains détenus font bien des choses aux détenus transgenres, alors cela ne concerne pas seulement le personnel. Le personnel doit surveiller ce qui se passe pendant les interactions entre les détenus et savoir ce que signifient la dignité et la sécurité pour les détenus transgenres.

Le respect des politiques doit être consigné. Comment fonctionnent la bonne formation, les bonnes politiques et la mise en œuvre? Nous devons savoir ce qui se passe si nous voulons faire un suivi, et cette information doit être rendue publique de façon que d’autres mesures suivent, parce qu’il s’agit d’une cible mouvante. Cela n’arrivera pas tout d’un coup. Alors, il faut faire un suivi et en faire état si l’on veut obtenir de meilleurs résultats.

Une autre disposition de cette excellente politique prévoit de placer les délinquants dans un établissement pour hommes ou pour femmes selon leur identité de genre, si c’est leur préférence, peu importe leur anatomie ou le genre indiqué sur leurs pièces d’identité. Il s’agit ici aussi d’une très bonne disposition qui, je crois que nous le savons tous, n’est pas respectée de manière cohérente; elle doit donc être renforcée.

De plus, j’aimerais souligner que les détenus peuvent changer leur identité de genre après leur incarcération. En général, le meilleur moment pour effectuer ce changement, c’est dès l’entrée dans le système. J’ai effectivement entendu dire, et je suppose que vous en avez déjà également entendu parler, que les détenus qui ont compris que leur genre n’est pas celui avec lequel ils s’identifiaient et qui ont finalement le courage de l’annoncer ne sont pas pris au sérieux. On les ridiculise et on refuse de s’occuper d’eux de manière sérieuse et digne. L’identité de genre doit être prise au sérieux. Cela nous ramène encore une fois à la formation sur la sensibilisation et aux connaissances manquantes.

Je vais vous signaler quelque chose qui s’annonce et dont la politique ne tient pas compte : nous constatons — et nous venons tout juste d’entendre parler des jeunes — une tendance très marquée chez les jeunes à revendiquer une identité non binaire. Le système carcéral est composé en grande partie d’établissements pour hommes et d’établissements pour femmes. Une minorité croissante de jeunes — elle n’est pas encore importante, mais elle le sera dans l’avenir — ne s’identifient pas comme hommes ou femmes. Je ne sais pas comment le système carcéral composera avec cette minorité, mais elle s’en vient. Je ne fais que le mentionner.

Une autre disposition de cette politique, qui est excellente à mon avis, suit la déclaration précédente selon laquelle les délinquants sont placés selon leur identité de genre. Elle dit ceci « [...] à moins qu’il n’y ait des préoccupations primordiales en matière de santé ou de sécurité qui ne peuvent être résolues ». Cette disposition a été, et je suis certain qu’elle continuera de l’être pendant un certain temps, invoquée pour des motifs assez faibles. Le personnel du SCC, qui ne désire pas prendre des mesures d’adaptation pour les délinquants transgenres, peut invoquer presque tout comme préoccupation en matière de santé ou de sécurité.

La sécurité des femmes trans doit être prise au sérieux. Nous disposons de données selon lesquelles les détenus trans dans les établissements pour hommes — et il peut s’agir de femmes ou d’hommes trans, mais il s’agit le plus souvent de femmes trans dans les établissements pour hommes — sont très susceptibles d’être violés brutalement et à répétition. Leur sécurité et leur vie sont en danger s’ils sont placés dans des établissements pour hommes.

Certaines données provenant des États-Unis... Je n’ai pas de données pour le Canada parce que nous ne faisons pas officiellement le suivi des détenus trans. C’est peut-être une chose qui découlera de cette nouvelle politique. La collecte de ces données n’en fait pas encore partie. Aux États-Unis, 34 p. 100 des détenus des établissements fédéraux américains ont déclaré avoir été agressés sexuellement au cours de l’année précédant l’étude. De ce nombre, 24 p. 100 affirment que ce sont d’autres détenus qui ont commis l’agression sexuelle et 17 p. 100, que l’agression a été commise par le personnel. Ces deux chiffres ensemble indiquent que de nombreux détenus sont agressés à la fois par le personnel et par d’autres détenus. En comparaison, dans la même population, 4 p. 100 des cisgenres — qui sont des détenus non transgenres — disait avoir subi une agression sexuelle ; 34 p. 100 par rapport à 4 p. 100. Alors, lorsque nous parlons de la sécurité de tous les détenus, nous devons tenir compte sérieusement de la sécurité des détenus trans, en particulier celle des femmes trans.

D’après ce que j’ai entendu dire, nous devons protéger les femmes dans les établissements — les femmes cisgenres et les autres détenues —, et bon nombre d’entre elles ont été violentées et agressées sexuellement par des hommes, et elles craindront l’arrivée d’un détenu qui leur semble être un homme dans leur établissement. Je reconnais tout à fait que nous devons prendre cela très au sérieux, et il est possible de le faire sans incarcérer des femmes trans dans un établissement où elles seront violées et agressées physiquement. Les détenus transgenres ne sont pas plus susceptibles que toute autre personne de violer des femmes cisgenres dans les établissements pour femmes , et nous avons des procédures en place pour composer avec les personnes qui commettent des viols.

J’aimerais mentionner deux ou trois autres choses. La politique prévoit également ce qui suit :

De tels renseignements ne seront communiqués qu’aux personnes qui s’occupent directement du délinquant et uniquement lorsque cela est pertinent.

Il s’agit également d’une excellente politique. Je l’appuie entièrement.

Je voulais souligner que la vie privée et la dignité doivent être protégées. Il est très courant dans les établissements que des membres du personnel, et certainement d’autres détenus aussi, divulguent le statut de détenus trans, parlent de leur apparence physique et de leur genre, ce qui les place dans une situation dangereuse. Les noms et les pronoms doivent être scrupuleusement respectés verbalement comme dans les documents écrits. Un seul faux pas peut compromettre la sécurité d’un détenu.

L’information ne doit pas être communiquée sans motif valable comme s’il s’agissait d’un commérage juteux, mais c’est ce qui se produit à l’heure actuelle. « Cette information est juteuse; il faudrait la faire circuler. » Les personnes transgenres ne devraient pas être la cible des plaisanteries grivoises du personnel et des détenus. C’est une question de dignité.

Ces éléments font partie de la nouvelle politique. Je les appuie et je vous dis seulement comment, à mon avis, il faudrait la mettre en oeuvre.

En outre, j’aimerais également mentionner que les soins de santé pour les détenus transgenres peuvent être assez compliqués.

La vice-présidente : Si vous pouviez...

M. Devor : C’est mon dernier point.

La vice-présidente : Merci.

M. Devor : Être transgenre en soi ne devrait pas être considéré comme un problème de santé mentale. Nous avons peut-être besoin de connaissances spécialisées pour ce qui est des soins de santé de transition et des soins de santé habituels.

Je vais terminer en citant les normes de soins que j’ai mentionnées plus tôt.

Les NS [normes de soins] dans leur intégralité s’appliquent aux établissements [...] Les soins de santé [...] devraient refléter les soins qui leur seraient offerts s’ils vivaient dans un milieu non institutionnel au sein de la même collectivité [...]

Il s’agit d’une politique internationale. Merci beaucoup.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

J’aimerais demander aux témoins de s’en tenir à un court exposé. Nous voulons du temps pour les questions.

Monsieur Heffernan, c’est votre tour.

Seamus Heffernan, gestionnaire, bureau de Jati Sidhu, député de Mission—Matsqui—Fraser Canyon, à titre personnel : Je tiens d’abord à remercier le comité de m’avoir invité aujourd’hui et de me recevoir à si court préavis.

Je m’appelle Seamus Heffernan. Je travaille pour Jati Sidhu, député de Mission—Matsqui—Fraser Canyon. Je tiens à préciser deux choses dès le départ. Je ne parle pas au nom de M. Sidhu ni du gouvernement de quelque façon que ce soit. Contrairement aux autres personnes ici présentes, je ne suis pas un expert. Je n’ai pas de formation en criminologie. J’ai une maîtrise en justice pénale de l’Université Fraser Valley. Mon sujet d’étude ne concernait pas les problèmes des détenus.

Je travaille dans un bureau de circonscription et je soutiens les services offerts à notre collectivité. Comme vous pouvez l’imaginer, nous recevons un certain nombre d’appels de la part de détenus. Les détenus ont beaucoup de temps libre, et nombre d’entre eux se prennent à l’occasion pour des avocats en milieu carcéral. Nous devons donc faire le tri afin de nous occuper de ceux qui ont des préoccupations légitimes.

Toutefois, j’aimerais porter à l’attention de votre comité un cas sur lequel je travaille, et je suis certain qu’il ne vous surprendra pas. Vous avez parlé à des gens de toutes les régions du pays. Cela concerne la nourriture. Un détenu a communiqué avec moi après avoir constaté qu’on avait changé son régime alimentaire spécial, pour une colite, approuvé par un médecin avec un préavis ridiculement court et sans explication.

Après avoir enquêté sur l’allégation et parlé au détenu en personne, je me suis rendu à l’établissement afin de le rencontrer et j’ai également pu accéder à ses rapports médicaux et obtenir davantage de renseignements généraux. Je crois que, même si ce détenu est bien connu parce qu’il est problématique et que cela est bien documenté, il a raison à cet égard.

J’ai abordé la question avec mon patron qui m’a simplement dit : « Je vous fais confiance; enquêtez sur cette affaire et allez au fond des choses. » Mon patron a communiqué avec le bureau de M. Goodale, qui nous a dit que le régime alimentaire ne serait pas rétabli. J’ai même communiqué avec l’archevêque de Vancouver, qui, je le savais, avait rencontré le détenu. J’ai dit à l’assistant de l’archevêque : « J’ai grandi à St. John’s, à Terre-Neuve. J’ai fréquenté une école catholique pendant 12 ans. Il est peut-être temps que je récolte les fruits de cette éducation d’une certaine manière. » L’archevêque a rédigé une lettre au nom du détenu, mais l’établissement n’y a pas encore répondu.

Également, je collabore étroitement avec des représentants du fonds de défense des détenus, un groupe de défense de Vancouver qui travaille au nom des détenus.

Il n’est pas étonnant, après avoir fait avancer ce dossier, que j’aie commencé à recevoir de plus en plus d’appels provenant de l’établissement, et nous recevons un nombre croissant de plaintes liées à la nourriture. Encore une fois, comme je l’ai dit plus tôt, il faut faire preuve d’une grande prudence et de diligence appropriée en ce qui concerne ces appels, car il faut déterminer ce qui est légitime et ce qui constitue simplement une perte de temps.

Toutefois, un certain nombre de personnes dans l’établissement, y compris des chefs religieux, ont dit que la nourriture était un aspect de plus en plus instable et problématique pour les détenus, particulièrement pour les détenus juifs et musulmans dont les formules de repas ne sont pas respectées; c’est ce qui nous a amené à la situation actuelle.

Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle la politique ou les normes en matière de nourriture ont changé si radicalement dans ce domaine. Je n’ai pas réussi à obtenir des réponses directes à ce sujet, car nos efforts sont contrecarrés.

Ce que je voulais dire à votre comité, c’est que nous allons poursuivre nos démarches. Nous allons demeurer en contact permanent avec le ministre responsable. Mon patron, comme je l’ai dit, me fait confiance pour aller au fond des choses. Il est tout à fait déterminé à servir tous les gens de sa circonscription, non pas seulement ceux qui vivent à l’extérieur du système de justice pénale.

Je serais heureux de tenir ce comité au courant des progrès de notre travail, à l’avenir, parce qu’il y a de plus en plus de cas comme celui dont j’ai parlé. Merci beaucoup.

La vice-présidente : Merci de votre exposé.

C’est maintenant au tour de Mme Granger-Brown.

Alison Granger-Brown, cochercheuse indépendante, Centre collaboratif pour la santé et l’éducation en milieu carcéral : Bonsoir et merci de m’offrir l’occasion de prendre la parole. Je suis reconnaissante de me trouver sur le territoire non cédé de la nation Sto:lo.

Je travaille depuis presque 20 ans au sein du système carcéral, presque toujours à contrat. En tant que personne indépendante, je rends visite aux détenus, jour après jour, de l’autre côté de la clôture, dans les milieux correctionnels fédéral et provinciaux. Même si je peux dire que mon parcours a été fascinant et incroyable, il a également été extrêmement difficile parce que, souvent, les agents correctionnels et certains organismes communautaires avec lesquels j’aimerais collaborer me voient comme leur ennemie. Mon point de vue général, c’est que nous devons trouver une façon d’humaniser l’ensemble du système.

Mon plaidoyer aujourd’hui s’attache à la pratique axée sur les traumatismes. J’ai élaboré un programme de formation que j’ai offert ici en Colombie-Britannique et également dans l’établissement pour femmes de la Nouvelle-Écosse. Récemment, un responsable du Centre régional de traitement de la région de l’Atlantique a communiqué avec moi afin de m’inviter à offrir cette formation sur la pratique axée sur les traumatismes.

Je crois que l’idée du traumatisme est ressortie. M. Dylan a fait mention de l’étude sur les ENCE, l’étude sur les expériences négatives au cours de l’enfance. C’est une étude importante. Nous devons nous pencher sérieusement sur l’idée de la pratique tenant compte des traumatismes et ne pas nous contenter d’en parler. Et parce que je crois que les gens en font souvent fi — lorsque je parle de traumatismes, et des taux de traumatismes parmi les personnes incarcérées, j’aimerais lire très rapidement une petite définition des traumatismes provenant d’un ouvrage sur le traumatisme et le rétablissement :

Les événements traumatiques [...] la rupture des liens familiaux, amicaux, amoureux et communautaires. Ils ébranlent la construction du soi qui se constitue et se maintient dans le cadre des relations avec les autres. Ils nuisent aux systèmes de croyances qui donnent une signification à l’expérience humaine. Ils portent atteinte à la foi de la victime en un ordre naturel ou divin et plongent la victime dans un état de crise existentielle.

Donc, lorsque nous parlons de pratique tenant compte des traumatismes — et j’ai préconisé cette pratique dans de nombreux domaines — , les gens ont tendance à nier l’idée du traumatisme. Je souhaite reconnaître que cela modifie profondément la vie des gens ainsi que leur épanouissement, à un point tel que nous savons qu’au moins 90 p. 100 des femmes qui purgent une peine d’emprisonnement ont subi de la violence sexuelle.

Il est vrai que lorsqu’une jeune femme ou une jeune fille est agressée sexuellement, cela change en fait son développement physiologique. Il y a des changements des points de vue neurochimique et neurobiologique. Cela accélérera le développement durant la petite enfance, ce qui changera l’âge auquel elle atteindra la puberté, en plus de lui occasionner d’importantes interruptions de son développement normal sur le plan social. Alors, lorsque nous parlons de traumatismes, nous ne parlons pas uniquement de mauvaises expériences vécues. Nous parlons d’événements qui changent le cours de la vie entière de nombreuses personnes avec qui nous travaillons.

Je n’ai pas beaucoup travaillé avec des hommes, mais j’ai travaillé durant un an en tant que responsable de clinique d’une unité spécialisée pour les hommes de partout au pays présentant des comportements importants d’automutilation. Je peux dire, d’après mon expérience là-bas avec certains hommes en liberté conditionnelle, qu’ils ont vécu des expériences traumatiques et une enfance destructrice semblables. Je ne détiens pas de statistiques en ce qui concerne les hommes, mais elles sont très similaires.

Lorsqu’il est question d’une pratique tenant compte des traumatismes, j’aimerais que les gens comprennent à quel point ces expériences vécues durant l’enfance sont extrêmement destructrices. Tout récemment, l’Organisation mondiale de la Santé a accordé de la crédibilité au diagnostic d’un trouble de stress post-traumatique complexe. Je dirais que les personnes avec qui nous travaillons dans le système carcéral souffrent non pas seulement d’un TSPT, et nous savons que le taux est élevé, mais plutôt d’un TSPT complexe, lequel découle de nombreux événements ayant un effet dévastateur sur le développement des enfants. Comme vous le savez, si on se fie à la définition des traumatismes, cela les plonge dans un état de crise existentielle, dans un endroit où elles ne comprennent pas qui elles sont et quelle est leur relation avec la société.

Nous savons que plus de 80 p. 100 des gens en milieu carcéral souffrent de problèmes de dépendance qu’ils tentent de combattre. Nous savons que la toxicomanie n’est pas le problème. La toxicomanie est une solution nuisible aux expériences de vie destructrices antérieures, à une suite d’événements traumatiques qui font en sorte que les premières années de vie sont chaotiques, ingérables et imprévisibles.

Les soins tenant compte des traumatismes peuvent aider de nombreuses manières à réorganiser notre compréhension de la façon d’assister les gens qui purgent une peine afin d’aboutir à la guérison et au progrès. Cela est important des deux côtés. C’est important afin de sensibiliser davantage le personnel. Je me suis rendu compte lorsque je forme des employés au sujet des traumatismes de développement que cela les aide à ne pas se sentir personnellement visés par certains comportements difficiles avec lesquels ils doivent parfois composer. Cela nous aide à gérer les traumatismes indirects découlant de ce que nous entendons ou de ce à quoi nous faisons face dans le cadre de notre travail.

Nous savons que 36 p. 100 de nos agents correctionnels ont reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique. Nous savons que 50 p. 100 de ces troubles découlent d’interactions entre des collègues. Ces traumatismes, ces troubles de stress post-traumatique ne découlent pas d’interactions avec des personnes incarcérées.

Au cours de la dernière décennie environ, j’ai vu ce système changer de façon très négative par rapport à lorsque j’ai commencé à travailler en 1999. Je sais qu’à mesure que l’idée des peines plus longues et plus pénibles ainsi que des programmes de répression de la criminalité a été préconisée et renforcée, cela a changé de façon significative la dynamique à l’intérieur de l’organisation et a accru les comportements nocifs entre les membres du personnel, ainsi qu’entre les employés et les personnes incarcérées.

Nous savons que si nous avons une meilleure compréhension des traumatismes, étant donné que ceux-ci modifient de façon significative la capacité d’une personne à apprendre et certains aspects de son cerveau en ce qui concerne la mémoire, et que nous adoptons une approche tenant compte des traumatismes lors de nos interventions dans le système carcéral, nous serons en mesure d’être à la hauteur du modèle RBR, le modèle fondé sur les principes du risque, du besoin et de la réceptivité, qui est censé diriger toutes les interventions dans le système carcéral, alors que ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous sommes censés mettre sur pied et assurer des interventions de sorte qu’elles correspondent et s’adaptent aux styles et aux capacités d’apprentissage des personnes avec lesquelles nous travaillons. Nous sommes très loin d’en être là.

Dans le cadre d’une pratique tenant compte des traumatismes, bien comprendre la nature destructrice de ces expériences accroîtra notre capacité d’adopter une approche de sécurité active. Par sécurité active, je ne parle pas de la façon dont le concept a été présenté précédemment, et je comprends complètement l’importance de ces questions. J’entends, par sécurité active, le fait de construire des relations entre toutes les personnes derrière la clôture et d’essayer de créer un environnement plus sécuritaire pour chacun.

Je crois que c’était en 2008 qu’un autre montant de 121 millions de dollars avait été accordé au Service correctionnel du Canada pour la sécurité. Aucun montant n’a été dépensé pour la sécurité active et pour la mise en place d’environnements plus sécuritaires. Chaque cent a servi à la sécurité passive, c’est-à-dire l’installation de plus de caméras et d’autres équipements de détection.

Une pratique tenant compte des traumatismes atténuera de façon importante la honte que ressentent de nombreuses personnes incarcérées au quotidien, qui découle non seulement peut-être du crime qu’elles ont commis, mais aussi de leur enfance. Et nous savons qu’il y a une forte corrélation entre le sentiment de honte et les actes de violence. Si nous pouvons réduire cela, je sais que nous pourrions créer des environnements plus sécuritaires pour permettre aux personnes de travailler à leur guérison.

En fin de compte, je pense qu’une pratique tenant compte des traumatismes servira d’assises pour la mise en place d’un système plus humain et peut-être de nouvelles stratégies de réforme, dont nous avons grandement besoin. Ce système fonctionne très mal. Et si nous ne réalisons pas d’importants changements, nous ne ferons que régler des problèmes de manière temporaire, sans acheminer les gens vers une guérison.

Tout ce dont je parle n’est pas uniquement mon idée. J’ai consacré 13 ans de mes études — ma maîtrise et mon doctorat — à étudier la manière dont nous pouvons aider des personnes à guérir des effets dévastateurs des premières années de leur vie et des activités criminelles qu’elles ont menées en conséquence. Pour promouvoir la mise en place d’un système correctionnel tenant réellement compte des traumatismes, nous devons nous fonder sur des recherches importantes réalisées au moyen de données probantes, et cela est pris très au sérieux ailleurs dans le monde.

Merci de m’avoir permis de présenter mon exposé.

La vice-présidente : Merci beaucoup de votre témoignage.

Je vous cède la parole, madame Gough.

Gillian Gough, représentante régionale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Je vous remercie, mesdames, d’accomplir ce travail très important et cette tâche extraordinaire en tant que membres de ce comité et de m’inviter à présenter mon exposé.

Je me présente à vous à titre de représentante régionale pour l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry. Je me rends régulièrement au Centre psychiatrique régional à Saskatoon, au Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci sur le territoire de la Première Nation de Nekaneet, à l’Établissement d’Edmonton pour femmes et, de temps en temps, ici, à l’Établissement de la vallée du Fraser.

En tant qu’avocate exerçant à Saskatoon, en Saskatchewan, qui a eu l’honneur de représenter l’ACSEF et la Elizabeth Fry Society of Saskatchewan dans le cadre de l’enquête sur le décès de Kinew James en mai 2017, je suis ici principalement pour aborder l’histoire de Ke She Ba Nudin Nuke Kinew James, ce qui veut dire « aigle dans la tempête », une femme anichinabé du Manitoba, et son expérience dans les pénitenciers fédéraux au Canada, ainsi que son décès prématuré dans un établissement du Service correctionnel du Canada.

Selon le récit admis du décès de Kinew, alors qu’elle était incarcérée dans un établissement du SCC, elle est morte d’une crise cardiaque en raison d’une hyperglycémie, une complication associée au diabète.

Kinew souffrait de diabète de type 2. Elle a reçu ce diagnostic en prison. Durant bon nombre d’années, elle soignait son diabète au moyen de médicaments administrés par voie orale. En janvier 2013, peu de temps après son arrivée au CPR, on lui a prescrit de l’insuline. Une semaine plus tard, son taux de glycémie était si élevé qu’elle a fait une crise cardiaque et est décédée. Voilà la version courte de ce qui s’est produit. Il y a une version plus longue.

L’ACSEF et la Elizabeth Fry Society of Saskatchewan croient fermement que les conditions d’isolement de Kinew James — elle a passé plus de six ans enfermée dans une cellule d’isolement 23 heures par jour, et elle a passé presque le reste de sa peine dans des conditions de sécurité maximale semblables à l’isolement, tout en ayant un contrôle limité sur son régime alimentaire et ses problèmes de santé mentale — ont fait en sorte qu’elle n’était pas en mesure de gérer son diabète, ce qui a causé sa mort.

La triste histoire des premières années de la vie de Kinew n’est pas si différente de celle d’autres femmes autochtones qui sont incarcérées. Ces histoires sont remplies de traumatismes. Kinew a commencé à purger sa peine dans un établissement fédéral la veille de ses 21 ans. Sa peine initiale était d’une durée de six ans. Le système carcéral n’a pas épargné Kinew James. Près de 15 ans plus tard, à l’âge de 35 ans, Kinew est décédée alors qu’elle était sous les soins et la garde du Service correctionnel du Canada.

Kinew souffrait de problèmes de santé mentale. Ses problèmes médicaux étaient bien documentés, plus particulièrement dans son dossier provenant du système carcéral. Les rapports initiaux au moment de son admission établissent clairement que l’isolement était contre-indiqué en raison de ses problèmes de santé mentale. Malgré cette mise en garde, les isolements cellulaires de longue durée étaient habituels pour Kinew, et en l’espace de huit mois d’emprisonnement, elle présentait des symptômes de santé mentale accrus, lesquels étaient directement attribuables à des périodes d’isolement de longue durée. En raison de ses problèmes de santé mentale, Kinew faisait l’objet de longues périodes d’isolement. Elle était souvent transférée d’un pénitencier à un autre, ce qui posait d’autres problèmes.

Pour vous mettre en contexte, Kinew a subi environ 50 placements en isolement et a passé un total d’environ six ans en isolement, soit 40 p. 100 de sa peine. À une occasion, elle a été isolée durant 21 mois consécutifs. Évidemment, cela a engendré des difficultés pour Kinew, et elle a souvent été soumise à l’usage de la force, notamment au moyen du vaporisateur de poivre utilisé par les agents correctionnels. La dernière fois qu’une telle situation s’est produite, c’était seulement six semaines avant son décès.

Durant sa peine d’emprisonnement, Kinew faisait l’objet du Protocole de gestion. Bien évidemment, un expert était présent pour parler de cette question plus tôt. Bien entendu, le protocole était encore plus contraignant que l’Échelle de niveau de classement par niveau de sécurité et s’appliquait uniquement aux femmes. Les femmes visées par le protocole étaient automatiquement isolées et elles devaient mériter leur sortie.

Kinew était soumise au protocole d’octobre 2006 à mai 2011, et a cessé d’en faire l’objet au moment de son abolition. Lorsqu’elle ne faisait pas l’objet du protocole, les conditions de détention de Kinew étaient incroyablement contraignantes. Mise à part deux petites périodes passées en tant que détenue à sécurité moyenne, Kinew a passé presque la totalité de sa peine en établissement fédéral en tant que détenue à sécurité maximale. À l’exception de permissions de sortir avec escorte pour des raisons médicales, Kinew n’a jamais obtenu de mise en liberté sous condition de quelque type que ce soit.

Kinew est décédée le 20 janvier 2013. Elle se trouvait au centre psychiatrique régional à Saskatoon au moment de son décès. Des femmes ont déclaré qu’elle avait demandé de l’aide à maintes reprises, notamment en appuyant sur son dispositif d’alarme fixe, et elles ont appelé des secours de sa part, mais elle n’a pas obtenu les soins médicaux dont elle avait besoin jusqu’à ce qu’elle soit inconsciente dans sa cellule des heures plus tard.

Kinew est décédée à l’endroit même que le SCC considère comme son établissement de traitement, qui sert à la fois d’hôpital et de pénitencier. Je ne peux concevoir un exemple plus concret illustrant la différence marquée entre traitement et emprisonnement.

Une enquête publique a été menée en mai 2017. Malheureusement, le coroner responsable a limité la portée de l’enquête, malgré de nombreuses tentatives de la part de l’ACSEF et de la Elizabeth Fry Society d’élargir la portée, d’obtenir davantage de renseignements et de permettre un examen adéquat des problèmes systémiques. On a uniquement tenu compte de la cause la plus immédiate du décès.

L’expérience de Kinew dans un pénitencier fédéral demeure pertinente en raison de la menace persistante que représentent certains problèmes courants. Bon nombre de ces problèmes survenus dans le cas de Kinew sont les mêmes qui ont été soulevés par des groupes de travail et des responsables d’enquêtes, de commissions d’enquête et ainsi de suite. De plus, les femmes d’aujourd’hui continuent de faire face à ces problèmes, et si les choses ne changent pas, ces mêmes problèmes surviendront sans cesse et entraîneront le décès de bon nombre d’autres détenues.

Hier, bien sûr, avait lieu la Journée de la justice dans les prisons, une journée où les détenus canadiens se remémorent leurs frères et soeurs qui ont perdu la vie derrière les barreaux, et expriment leur solidarité à leur égard. Nous avons passé la journée à l’Établissement de la vallée du Fraser pour femmes où s’est tenu un rassemblement solidaire. Des femmes ont exprimé la douleur d’avoir été témoins de la mort de leurs soeurs autrefois à la Prison des femmes, et tout récemment à l’Établissement Nova et à l’Établissement Grand Valley. Il est ironique de constater que, malgré le fait que bon nombre de ces détenues qui sont décédées dans un pénitencier étaient en isolement ou en situation de sécurité maximale, les femmes incarcérées dans ces deux endroits n’ont pas eu la permission de se joindre au rassemblement. Le fait qu’elles aient été exclues de l’événement qui a eu lieu hier est représentatif des expériences que vivent les femmes incarcérées dans les unités d’isolement à sécurité maximale à l’Établissement de la vallée du Fraser et dans d’autres pénitenciers que je visite régulièrement.

Je souhaite mettre en lumière deux problèmes systémiques qui ressortent du cas de Kinew et qui sont encore très pertinents à ce jour : les unités d’isolement à sécurité maximale et le manque de mise en liberté sous condition.

En ce qui concerne l’isolement à sécurité maximale, les femmes détenues dans les établissements à sécurité maximale se voient régulièrement refuser l’accès à l’éducation, aux programmes, au gymnase ou à la bibliothèque. Elles sont enchaînées lorsqu’elles quittent le secteur à sécurité maximale pour toute raison, même lorsqu’elles reçoivent des soins médicaux. Selon les femmes, les rares occasions où elles peuvent quitter l’unité sont dégradantes. Très souvent, les femmes font l’objet de fouilles à nu et sont enchaînées.

Kinew faisait l’objet du Protocole de gestion. Les femmes détenues dans les établissements à sécurité maximale font maintenant l’objet du système à niveaux, un système que l’agent chargé de l’établissement a qualifié d’équivalent du Protocole de gestion illégal. Tout comme le protocole, le système à niveaux s’applique uniquement aux femmes. Les femmes sont incarcérées dans des cellules à sécurité maximale, lesquelles sont pratiquement indifférenciables des cellules d’isolement, et elles doivent mériter leur sortie.

Kinew a passé pratiquement six ans en isolement. Malgré de récents changements apportés aux Directives du commissaire visant à réduire le recours à l’isolement, des femmes continuent de faire l’expérience de l’isolement. Il existe à l’heure actuelle des exemples de femmes en isolement. Tout récemment, lorsque j’étais à l’EEF, il y avait une femme qui était détenue en isolement depuis plus de cinq mois.

En plus des cellules d’isolement en tant que telles, les détenues à sécurité maximale vivent dans des conditions restrictives similaires. Selon le point de vue de l’ACSEF, et selon mon expérience, le SCC utilise en fait la sécurité maximale comme moyen d’isolement alors qu’il annonce publiquement que le recours à l’isolement a diminué. J’estime que pour les femmes qui ont perdu leur liberté, il leur importe peu qu’il s’agisse de « sécurité maximale » plutôt que d’« isolement ».

Cela s’applique également à la surveillance de la santé mentale. Les femmes qui ont vécu une crise de santé mentale ont décrit leur expérience à cet égard comme indifférenciable de celle vécue en isolement. La surveillance de la santé mentale a lieu dans les cellules d’isolement. Les femmes font l’expérience de ces placements de la même manière. Une femme raconte avoir passé quatre nuits sur un plancher en béton couchée sur un petit matelas dans une cellule d’isolement alors qu’elle faisait l’objet d’une surveillance de la santé mentale après un incident d’automutilation.

En ce qui concerne le manque de mise en liberté sous condition, il est clair que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit de nombreux types de mise en liberté sous condition, de permissions de sortir avec escorte et de permissions de sortir sans escorte, et comprend notamment des mises en liberté particulières pour les détenus autochtones. Nous avons entendu parler des articles 81 et 84, et des placements dans des établissements de santé mentale pour les détenus ayant des besoins complexes en matière de santé mentale, conformément à l’article 29. Kinew James n’a bénéficié d’aucune de ces mises en liberté, essentiellement en raison de sa cote de sécurité élevée.

Les dispositions de la loi qui avaient pour but d’aborder la question de la surreprésentation des personnes autochtones dans les pénitenciers sont inaccessibles à bon nombre de détenus autochtones en raison de politiques et de pratiques telles que le recours à l’Échelle de classement par niveau de sécurité, ce qui fait souvent en sorte que les détenus autochtones se voient attribuer des cotes de sécurité trop élevées.

Selon l’expérience que j’ai acquise en me rendant régulièrement dans des pénitenciers fédéraux pour femmes au cours des sept dernières années, il m’est apparu évident que le système carcéral est incapable d’assurer la réhabilitation et le traitement des détenus et, à mon avis, d’améliorer la sécurité au sein de nos collectivités.

Le démantèlement intégral de ce système inefficace est nécessaire. Une des premières mesures concrètes à prendre serait d’abolir toutes les sortes d’isolement, y compris l’isolement visant la surveillance de la santé mentale et les secteurs à sécurité maximale. Il pourrait également s’agir de donner un second souffle aux articles sous-utilisés de la LSCMLC, notamment les articles 29, 81 et 84, afin de réintégrer les femmes au sein de la collectivité le plus tôt possible en leur offrant le soutien adéquat, et de mettre fin à l’utilisation de l’Échelle de classement par niveau de sécurité pour les femmes, tout particulièrement pour les femmes racisées.

Si Kinew avait été réintégrée au sein de la collectivité et qu’elle avait reçu le soutien adéquat, je suis fermement convaincue qu’elle serait en vie aujourd’hui. Merci.

La vice-présidente : Merci.

Nous allons commencer par la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à tous pour vos exposés, lesquels étaient tous différents mais avaient beaucoup de points en commun. L’une des choses qui m’ont marquée, lorsque nous avons visité un certain nombre de pénitenciers, c’est le commentaire suivant : « Nous ne sommes pas traités comme des humains. » Je crois que Mme Granger-Brown a formulé un commentaire selon lequel les pratiques tenant compte des traumatismes aideraient à humaniser la population carcérale.

Monsieur Devor, je souscris entièrement à votre commentaire selon lequel les politiques ne sont pas suffisantes. Nous devons mettre en place les politiques de façon adéquate et rigoureuse de sorte que chacun soit bien informé à ce sujet. Nous savons, cependant, que bon nombre de femmes dans les pénitenciers ont subi des traumatismes sexuels avant et peut-être même pendant leur incarcération. Elles craignent donc qu’une personne trans vienne dans leur unité, et cette peur est bien réelle. Ce n’est pas parce qu’elles se disent que cette personne est différente, mais parce qu’elles ont été traumatisées.

Comment pouvons-nous dissiper ces craintes, qui sont réelles? Ces personnes sont emprisonnées. Ce n’est pas comme si elles pouvaient aller vivre ailleurs. Il s’agit d’une véritable peur. Pourtant, nous devons reconnaître qu’il s’agit de l’endroit où doit se trouver une personne qui est en processus de transition d’homme à femme.

M. Devor : En effet. Il s’agit d’une question très difficile, et c’est ce que je m’attendais à entendre, ce sur quoi je m’attendais à être questionné.

Il y a certaines choses que nous pouvons faire, mais pas nécessairement atténuer cette peur, car je ne crois pas qu’elle peut disparaître. Elle est profonde et réelle. Elle découle de réels traumatismes, et nous commençons à peine à entendre parler des répercussions de ces expériences sur la vie entière d’une personne. Donc, je ne crois pas que nous pouvons dissiper cette peur, mais nous pouvons peut-être faire en sorte qu’elle soit plus facile à gérer en plus de veiller à la sécurité de tous. Comme je l’ai déjà dit, nous ne pouvons pas vraiment envoyer les femmes trans dans les pénitenciers pour hommes, car des choses terribles leur arriveront là-bas.

Il y a certaines choses qui ont été abordées dans cette nouvelle politique et qui en font partie, et qui se trouvent dans les politiques appliquées ailleurs. D’abord, nous n’exigeons pas qu’une personne partage une cellule avec une personne qui l’effraie, qui suscite chez elle des émotions fortes, qui lui fait revivre des traumatismes. Généralement, les détenues trans devraient être installées dans une unité en occupation simple. Elles devraient avoir droit à de l’intimité dans toute situation où elles doivent se dévêtir, et ne pas être exposées aux femmes cisgenres détenues dans le système carcéral.

Pour ce qui est de prendre les repas et de participer à des programmes ensemble, tout ce que je peux dire, c’est qu’il y a probablement des femmes cisgenres dans le système qui font peur à d’autres femmes cisgenres. C’est une situation que nous devons gérer avec beaucoup de sensibilité et de dignité. Mais je crois qu’il est essentiel de se pencher sur les questions relatives à l’intimité et de s’assurer de ne pas forcer quiconque à se trouver dans une situation intime avec une femme trans, de ne pas forcer une femme trans à se trouver dans une situation intime avec quiconque ne désirant pas se retrouver avec elle.

La sénatrice Cordy : Merci.

Monsieur Heffernan, nous avons entendu parler à maintes reprises de la nourriture dans le système. Lorsque je pense à toutes les choses dont on s’occupe maintenant à l’échelle nationale, je pense à la nourriture dans tous les pénitenciers. Il s’agit en fait d’aliments transformés. Pour ce qui est du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, les aliments sont transformés à l’établissement de Springhill et sont ensuite envoyés aux différents pénitenciers. Je n’ai pas vu la nourriture, mais je crois comprendre qu’elle arrive dans de grands sacs.

Avez-vous effectué des recherches sur les coûts des aliments cuisinés en établissement carcéral, lesquels étaient excellents? En cuisinant les aliments sur place, on pouvait enseigner aux personnes à devenir des cuisiniers et des commis de cuisine, et elles pouvaient se trouver un emploi lorsqu’elles quittaient le pénitencier. Avez-vous effectué une analyse des coûts lorsque les repas étaient préparés dans les pénitenciers, pour les comparer aux coûts relatifs à la préparation alimentaire centralisée et à l’envoi d’aliments dans des paquets?

M. Heffernan : Eh bien, ma première réaction, lorsque cette question a été portée à l’attention de notre bureau, a été simplement de l’envisager en fonction des coûts et du fait que cela aurait été une mesure de réduction des coûts.

La sénatrice Cordy : Oui.

M. Heffernan : Cependant, personne ne pouvait le confirmer ou le nier lorsque j’ai posé cette question et fait part de mes réflexions.

C’est ce que je crois, en me fondant sur mes échanges... Et je parle uniquement d’un détenu en particulier. Il s’agit du cas que je connais le mieux, mais nous examinons tous d’autres cas relatifs à la nourriture. Je crois qu’il est question en partie des coûts, mais en ce qui concerne directement ce détenu en particulier, je crois qu’il s’agit également d’une mesure disciplinaire. Je pense qu’on utilise la nourriture comme moyen de le punir. Et une professionnelle de la santé, qui a interrogé le détenu, me l’a confirmé. Elle croit fermement qu’il dit la vérité. Tout ça pour dire que, non, je ne connais pas exactement la différence de prix.

La sénatrice Cordy : J’espérais avoir une réponse. J’avais l’intention de faire des recherches à ce sujet à mon retour, mais je me disais que si vous aviez la réponse, ça serait parfait.

M. Heffernan : Je serais heureux de vous aider à effectuer des recherches à ce sujet, madame la sénatrice.

La sénatrice Cordy : Ou aimeriez-vous connaître la différence si j’obtiens la réponse?

M. Heffernan : Oui, madame.

La sénatrice Cordy : Merci.

La vice-présidente : Madame la sénatrice Pate.

La sénatrice Pate : Je vous remercie tous; la soirée avance. J’ai beaucoup d’autres questions à aborder en ce qui concerne la nourriture, nous devrons alors peut-être vous en envoyer quelques-unes.

M. Heffernan : N’hésitez pas à le faire.

La sénatrice Pate : Madame Gough, je vous remercie de tout le travail que vous avez effectué, non pas uniquement en ce qui concerne le cas de Kinew, mais aussi à l’égard de bon nombre d’autres cas.

Selon vous, quels mécanismes de responsabilisation seraient efficaces pour promouvoir certains changements dont vous avez parlé, lesquels serviraient à démanteler une bonne partie du système en place? Vous avez mentionné les articles 29, 81 et 84 de la loi. Mais au cours de ce processus, y a-t-il des mécanismes de responsabilisation que vous nous suggérez d’examiner?

Souhaitez-vous que je pose toutes mes questions?

La vice-présidente : Oui, si vous pouviez poser toutes les questions, car nous avons, en quelque sorte, épuisé le temps dont nous disposions.

La sénatrice Pate : D’accord.

La vice-présidente : Et si vous pouviez donner de courtes réponses.

Mme Gough : Bien sûr.

La sénatrice Pate : Madame Granger-Brown, je vous remercie pour tout le travail que vous avez fait. Je sais personnellement que vous avez offert un soutien exceptionnel à de très nombreuses femmes. C’est louable.

L’une des choses que nous savons — toutefois —, c’est que l’inégalité importante vécue, en particulier par les femmes, est à la source de... Même si on adopte une approche axée sur les traumatismes, si on ne modifie pas vraiment les services de soutien offerts ou qu’on ne change pas fondamentalement ceux auxquels les femmes ont accès dans la collectivité, bien franchement, on n’apportera aucun changement. Et dans le système carcéral, nous avons beaucoup entendu les femmes parler du manque de confiance envers les personnes qui sont censées prodiguer les soins et assurer le contrôle. On craint réellement que l’adoption de ce genre d’approche ne fera que rendre ces personnes encore plus vulnérables. Alors, avez-vous étudié des façons dont ce pourrait être fait dans la collectivité au lieu du milieu carcéral et dont on pourrait faciliter cette initiative au moyen de mécanismes qui existent actuellement et qui pourraient faire sortir des gens de prison?

Monsieur Davor, merci beaucoup. Étant moi-même diplômée de l’Université de Victoria, je m’intéresse beaucoup au travail que vous faites. L’un des problèmes qui sont apparus, que vous n’avez pas abordés et dont on ne parle pas — d’après mon expérience —, c’est le fait que beaucoup des réactions transphobiques dont vous parlez étaient en fait d’abord des réactions homophobes qui n’ont jamais été réglées. Ainsi, nous n’avons jamais été en mesure d’obtenir de bons services de soutien pour les femmes qui s’identifient comme lesbiennes, ou quoi que ce soit d’autre, et pour les hommes qui s’identifient comme gais dans les prisons.

À ma connaissance, aucun homme trans ne veut être dans une prison pour hommes. Un grand nombre de femmes trans veulent être dans une prison pour femmes. Bien entendu, je comprends que les gens ont une identité de genre fluide, mais l’un des problèmes dont nous entendons parler tient au fait qu’un certain nombre d’hommes qui ne s’identifiaient comme rien d’autre qu’hétérosexuels avant leur incarcération et qui ont été reconnus coupables d’actes de violence importants contre des femmes — et parfois des enfants — prétendent ensuite s’identifier maintenant en tant que femmes trans. Et certaines de ces personnes ont ensuite perpétré des actes de violence une fois transférées.

Vous avez tout à fait raison : il existe des hommes et des femmes cisgenres qui sont considérés comme posant des risques pour les autres hommes et femmes cisgenres, des lesbiennes ou gais et des hommes et femmes qui sont trans. Toutefois, il s’agit d’un problème très réel, et, actuellement, la politique ne semble tenir compte de rien de tout cela.

D’après les renseignements que vous avez présentés, on dirait que vous avez réfléchi à cela. Alors, quelles recommandations auriez-vous à formuler afin de tenter de prévenir les abus de la politique dans un certain nombre de contextes, en ce qui concerne le fait d’exposer les personnes à des risques dans l’une ou l’autre de ces situations?

M. Devor : Vous avez mentionné deux ou trois excellents problèmes et points. L’une des choses que nous voyons se produire très fréquemment, ce sont des gens qui s’imaginent que les personnes trans sont simplement gaies au plus haut degré. Ainsi, nous poussons la notion de « gai » à l’extrême et nous disons que c’est cela, une personne trans. En fait, ce n’est pas le cas.

Toutefois, il y a un thème qui ressort. C’est que nous vivons dans une société — pas seulement dans les prisons, mais dans l’ensemble de la société — fondée sur des divisions binaires, et quiconque sort du cadre attendu de la représentation de son sexe est puni d’une manière ou d’une autre, socialement ou autrement. Voilà ce que les gais et les lesbiennes ont en commun avec les personnes trans.

La sénatrice Pate : Et les bispirituels.

M. Devor : Bispirituels et non binaires, et nous pourrions ajouter à cela une très longue liste.

Ce que toutes ces personnes ont en commun, c’est qu’elles enfreignent les normes de genre, alors le fait d’être gai ou lesbienne contrevient à une telle norme. Le fait de ne pas être binaire, d’être bispirituel, d’être trans, contrevient à une norme de genre. Il s’agit là d’un point de vue courant.

Et, oui, je souscrirais à votre opinion selon laquelle une grande part de la crainte à l’égard des personnes trans est ancrée dans ce qui était de l’homophobie, mais ce qui se trouve réellement à la source tant de l’homophobie que de la transphobie, c’est cette crainte à l’égard des personnes qui sortent du cadre du rôle associé à leur sexe, alors, je pense que vous avez mis le doigt sur quelque chose de très vrai et que cela ne disparaîtra pas. Cette réalité existe depuis longtemps et continuera d’exister pendant longtemps.

Vous avez également mentionné une lacune très réelle dans la façon dont cette politique et la société en général aborde la question trans. Ainsi, les gens — à cette époque, dans la société — comprennent qu’il y a des personnes qui passent d’un genre à un autre, mais ils ont de la difficulté avec l’idée que des personnes puissent alterner entre les genres, de façon fluide. Alors, certaines personnes sont nées de sexe masculin, vivent comme des hommes, et sont en quelque sorte temporairement, à temps partiel... parfois, elles se sentent comme une femme. Certaines de ces personnes arrivent en prison et disent : « Vous savez, je me suis présenté comme un homme pendant tout ce temps, mais, en fait, je me sens comme une femme », et elles demandent à être dans la prison pour femmes. Dans leur cas, le fait qu’elles s’identifient en tant que femmes pourrait ne pas être très convaincant aux yeux des observateurs, car elles ont vécu complètement en tant qu’hommes. Certaines de ces personnes sont très sincères.

En outre, nous avons affaire dans le système carcéral à de nombreuses personnes qui sont là à cause de malchances de la vie, ainsi qu’à certaines personnes qui se retrouvent là parce qu’elles ne sont pas très gentilles. Il existe également des personnes qui profitent du système et qui arrivent en se disant : « J’aime bien profiter des femmes; je vais simplement faire semblant d’en être une. » L’affaire d’un homme, en Alberta, vient tout juste de faire les manchettes; il a tout simplement déclaré s’identifier comme étant une femme parce qu’il pourrait obtenir de meilleures primes d’assurance. Et il n’a jamais fait semblant d’être transgenre. Il s’est simplement dit : « Je pourrai ainsi obtenir de meilleures primes d’assurance », et il a fait modifier ses documents d’identité.

Des gens qui ne sont pas très gentils arrivent en prison exactement comme vous l’avez décrit, et, selon le libellé actuel de la politique, c’est votre identité déclarée qui compte. Et c’est ainsi qu’on interprète le projet de loi C-16, et il s’agit de l’interprétation juridique. Je ne suis pas avocat, alors je ne peux pas vous dire comment on pourrait se sortir de cette impasse. Toutefois, je peux vous affirmer que, d’après la façon dont la loi a été interprétée jusqu’ici, dans toutes les provinces et dans de nombreux pays, nous avons adopté un système selon lequel le genre autodéclaré devient le genre reconnu sur le plan juridique. Ainsi, selon votre description, une personne pourrait tout aussi facilement aller faire changer son genre reconnu par l’État et se présenter munie de documents juridiques indiquant qu’il s’agit d’une femme, et ces documents lui donneraient accès à une situation où elle pourrait devenir un prédateur.

La seule réponse que j’ai à ce sujet, c’est qu’il faut sévir contre ces personnes. Si une personne doit être un prédateur sexuel, il y a des conséquences, et il faudrait les appliquer vigoureusement.

La sénatrice Pate : Je ne veux pas vous prêter des propos, mais les suggestions qu’a faites Mme Gough au sujet du démantèlement de certains de ces processus seraient une autre option. Je pense qu’elles ressemblaient à une partie de ce que vous proposiez également. Lorsque j’ai rencontré des gens qui militaient pour les droits des détenus trans, je les exhortais fortement à recourir à des éléments comme les articles 29 et 81 afin de créer des options communautaires précises pour ces personnes.

M. Devor : Si ces options étaient offertes, oui. Sortez-les du système carcéral et intégrez-les dans un genre de processus qui contribuera à réhabiliter les personnes qui ont ces comportements. Toutefois, ce que je sais, c’est qu’il est extrêmement difficile de réhabiliter ces personnes.

La sénatrice Pate : Merci.

Mme Granger-Brown : Je voudrais seulement répondre à votre question et établir la distinction entre la pratique axée sur les traumatismes et la participation à un traitement des traumatismes. Je souscris tout à fait à votre opinion, selon laquelle, si on se penche sur les causes profondes des traumatismes subis dans le passé, ce devrait être fait avec un thérapeute de l’extérieur, si possible.

Je sais aussi que, quand nous faisons venir des gens, c’est très difficile.

Je voulais seulement mentionner le fait qu’il y a une différence entre les soins adaptés aux traumatismes et la pratique axée sur les traumatismes — en faveur de laquelle je milite —, qui va changer une partie de l’environnement, et qui permet de reconnaître que nous pouvons effectuer un certain travail sur les traumatismes sans fouiller dans le passé, et renforcer les compétences et les aptitudes des gens afin qu’ils aient la capacité de faire le travail plus tard.

La sénatrice Pate : Je pense savoir ce que vous allez dire, mais juste avant, l’une des difficultés que nous connaissons également tient à la façon dont nous gérons les répercussions du syndicat dans le système carcéral fédéral, et — je dirais — dans le système provincial également. Nous avons entendu les propos de nombreuses personnes à tous les échelons, et je pense que vous m’avez entendue poser des questions à d’autres témoins, plus tôt, au sujet de la capacité de changer les choses, alors qu’on ne peut même pas apporter de modifications ou prendre tout le personnel qui, on le sait, fait du très bon travail, et qui veut faire le genre de travail que vous faites, et affecter ces employés aux bons endroits. Comment peut-on faire cela, en plus d’offrir la formation? Vous donnez la formation. Comment pouvez-vous vous assurer qu’elle est mise en place?

Mme Granger-Brown : Eh bien, il y a deux choses. Il faut un changement transformationnel de la culture au sein du système, ce qui représente un défi énorme, et je le reconnais. Toutefois, selon mon expérience de la prestation de la formation sur les soins, la pratique et la formation tenant compte des traumatismes, nous avons observé un changement chez un grand nombre des employés, et, ce que nous devons faire, c’est renforcer les capacités et créer un point de bascule.

Comme je l’ai dit, pendant que je regardais le système changer de façon très importante au fil des ans, quand nous mettions en œuvre le programme de répression de la criminalité, nous avons constaté que les employés qui étaient particulièrement difficiles et problématiques sentaient que leur comportement était jusitifé davantage par cette approche; ils se faisaient donc entendre plus fort et rendaient l’environnement encore plus toxique. Ainsi, si un changement de culture a lieu, et que nous commençons à reconnaître que les traumatismes sont le problème sous-jacent, je pense que nous pourrons créer un point de bascule qui nous permettra d’y arriver.

Il y a environ un an, le Dr Gabor Maté et moi avons présenté un exposé. Nous avons passé une journée à l’Université de la vallée du Fraser, et nous avons maintenant dans la bibliothèque de cette université une section consacrée aux soins tenant compte des traumatismes. Elle est utilisée dans les programmes de criminologie, de psychologie et de soins infirmiers et dans les programmes d’étude autochtone et d’étude féminine. On apporte une compréhension de la pratique axée sur les traumatismes à une multitude de programmes offerts à cet établissement d’enseignement. Ainsi, il faut que cela commence non seulement à l’intérieur du système, mais aussi là où nous formons les futurs agents correctionnels, afin que cette notion soit comprise plutôt que seulement quelque chose de marginalisé, dont on ne tient souvent pas compte. Quand nous avons offert la formation dans les centres correctionnels, nous avons obtenu une rétroaction importante et très positive de la part des agents, et elle change leur compréhension.

Enfin, ce que je voulais dire d’autre, c’est que c’est bon pour les agents aussi. Le fait de comprendre que le comportement des détenus ne leur est pas personnellement destiné, de comprendre les origines de certains des comportements difficiles, en particulier l’automutilation, qui est très difficile à comprendre et à voir pour tout le monde, est bon pour la santé et le bien-être des agents. Alors, il faut un changement transformationnel de la culture, et j’en suis consciente, mais ce changement vient avec l’éducation.

La sénatrice Pate : Merci.

Mme Gough : Votre question portait sur la responsabilisation. Plus tôt, nous avons entendu le témoignage de Mme Acoby et d’autres personnes au sujet du manque de responsabilisation à l’intérieur des murs des prisons en ce qui a trait au système de griefs, et c’est ce que nous observons en ce qui concerne la plupart de ces systèmes.

J’affirmerais que la responsabilisation ne peut pas avoir lieu à l’intérieur du SCC. Elle doit se produire à l’externe. Mme la juge Arbour a recommandé que la responsabilisation en ce qui a trait à l’isolement — si elle doit avoir lieu — prenne la forme d’une surveillance judiciaire, et rien de moins.

Alors que nous nous affairons à démanteler ces systèmes, j’insisterais fortement sur le fait qu’une surveillance judiciaire extérieure est essentielle. Le seul exemple que je connaisse d’une libération en vertu de l’article 29 a eu lieu en conséquence d’une recommandation faite par un juge. Les psychiatres, les psychologues qui travaillent à l’intérieur des prisons... comme je n’en suis pas une, je ne peux certainement pas vous dire comment ils se sentent. Je peux seulement imaginer qu’ils composent régulièrement avec un conflit professionnel interne, qu’ils se retrouvent entre leur employeur et leur patient, lesquels sont souvent en situation d’opposition. Je peux seulement imaginer à quel point cette situation doit être difficile à gérer.

Je n’ai certes vu aucune recommandation fondée sur l’article 29 venir de l’intérieur des murs d’une prison. Toutes celles que j’ai observées provenaient de l’extérieur. Alors, en ce qui concerne la responsabilisation, je pense qu’elle doit avoir lieu à l’extérieur du SCC.

La vice-présidente : Merci à tous les témoins.

La prochaine partie de notre séance est une discussion ouverte. Je pense qu’une seule personne s’est inscrite, alors, si qui que ce soit dans le public veut prendre part à la discussion, veuillez vous inscrire. C’est très facile. Ce ne sont que des gens qui se parlent entre eux. Je sais que, si vous n’avez jamais fait ce genre de choses, cela peut paraître intimidant, mais croyez-moi, ce n’est pas le cas. Nous serons très gentils avec vous.

Sans plus attendre, je cède la parole à M. Peterson.

Kenneth Peterson, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la sénatrice.

Je m’appelle Ken Peterson, et j’ai travaillé dans le milieu correctionnel pendant environ 40 ans. Je dirais que j’ai 40 ans d’expérience, mais certaines personnes affirment que j’ai 40 fois une année d’expérience.

J’ai commencé en tant qu’enseignant au Pénitencier de la Colombie-Britannique et, plus tard, j’ai été directeur adjoint, sous-directeur et directeur par intérim de l’établissement pendant plusieurs années. Ensuite, je suis passé à l’Établissement de Kent, où j’ai été sous-directeur et directeur par intérim, puis à l’Établissement de Mission, dont j’ai été le directeur. J’ai pris ma retraite en 2000. Depuis 10 ans, je siège au sénat de Kwìkwèxwelhp. Vous étiez là-bas hier.

J’ai une question à vous poser, mesdames les sénatrices. Qu’avez-vous vu de différent, hier? Peut-être que je peux y répondre pour vous. Vous étiez assises parmi les résidants dans la maison longue. J’aurais tendance à penser que, pendant que vous étiez là, il était très difficile de distinguer les agents des résidants, sauf si on vous avait présentées précisément aux agents et que vous saviez qui était qui.

L’une des raisons pour lesquelles je pense que Kwìkwèxwelhp fonctionne si bien, c’est que l’on comprend que, si on veut que quelqu’un se comporte comme une personne, il faut le traiter comme telle. Il faut traiter les gens comme des personnes si on veut qu’ils se comportent comme telles, et il faut adopter une approche personnalisée, savoir leur nom, connaître leur histoire. Et plus vous en savez à leur sujet, plus ils en savent à votre sujet, car vous commencez à vous intéresser à eux.

Au fil des ans, je me suis forgé l’opinion selon laquelle si on traite les gens avec respect, qu’on leur témoigne de la reconnaissance et de l’appréciation et qu’on fait preuve d’acceptation à leur égard, ils ont un sentiment d’appartenance. Je pense que c’est ce que nous voulons tous, un sentiment d’appartenance.

Et des situations les plus difficiles... eh bien, si vous songez aux Bloods et aux Crips, à Los Angeles, si on leur demande : « Pourquoi avez-vous assassiné la personne? », ils vont dire : « Elle ne me montrait aucun respect. » Vous savez, c’est une question de respect, de reconnaissance, d’appréciation et d’acceptation. C’est exactement ce que tout le monde veut. Ainsi, il est très facile d’interagir avec les gens dans une situation où ces éléments existent.

L’un des problèmes majeurs auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, selon moi, comme l’a mentionné l’un des témoins qui a comparu plus tôt, tient au fait que nous dépensons une quantité exceptionnelle d’argent — je ne sais pas si c’est 3 ou 4 milliards de dollars, mais peu importe — pour faire fonctionner le système, mais combien de temps passons-nous à enseigner aux gens comment interagir avec les autres? Parce que c’est un domaine axé sur les gens et que certaines personnes dans le domaine qui n’aiment pas les gens, et cela pose problème. Certaines personnes ne savent pas comment vivre dans le respect des règles, et cela pose problème.

Dans la plupart des cas, selon mon expérience — et j’ai occupé le poste de directeur d’établissement pendant un certain nombre d’années —, une fois que l’on connaît une personne en tant que telle, il est très difficile de la traiter d’une manière négative. Au fil des ans, j’ai connu la famille, les enfants, les petits-enfants des détenus. Et certains des plus grands fauteurs de trouble n’en sont pas vraiment, en réalité, une fois qu’on connaît leur histoire. Ils ont créé de nombreux problèmes et ont été dangereux, mais, une fois que l’on comprend leur histoire, on peut commencer à comprendre.

Le traumatisme qu’ils ont subi a été mentionné, et c’est ce qui semble être à la source même de tout ce à quoi nous avons affaire dans le système carcéral. Il s’agit de la cause profonde. Le défi tient au fait qu’il est difficile de gérer des aspects comme cela dans une salle de classe, car les gens ne veulent pas parler de leurs problèmes. Ils refusent de plonger en eux-mêmes si c’est dans une salle de classe.

Toutefois, je donnerais un exemple de situation où cela fonctionne. Mon épouse est thérapeute spécialisée dans le traitement des traumatismes. Elle a travaillé dans des prisons. Elle a un gros cabinet et se rend également dans les établissements. Des gens sortent de prison pour participer à un programme relatif aux traumatismes, offert à son cabinet, et ils se mélangent à des personnes vivant dans la rue, à des personnes exerçant une profession médicale et à divers autres professionnels, et cela fonctionne très bien. Les gens sont traités avec respect. Ils sont traités comme des personnes. Et je pense que nous obtenons de meilleurs résultats. Quand vous étiez à Kwìkwèxwelhp... on obtient de meilleurs résultats, là-bas, et c’est parce qu’on traite les gens comme des personnes. Merci.

La vice-présidente : Merci.

La prochaine intervenante est Alia Pierini.

Alia Pierini, à titre personnel : Tout d’abord, merci. En fait, j’ai comparu devant vous il y a probablement un an et demi, à Ottawa, parmi les premières personnes appelées à témoigner. Je voulais seulement vous remercier toutes de travailler de façon acharnée et de tenir vos promesses en parcourant le Canada et en prenant le temps dont vous disposez et en déployant des efforts pour venir dans nos prisons. Vous écoutez vraiment nos paroles et voyez la situation en personne. Alors, premièrement, je voudrais vraiment vous remercier.

Deuxièmement, je vais tenter de rester brève, car je sais qu’il se fait tard et que vous avez fait beaucoup de chemin aujourd’hui. Je veux seulement aborder quelque chose.

Je suis une représentante régionale de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, et, à ce titre, en tant que personne ayant une expérience directe, je veux simplement revenir à tout ce dont nous avons parlé, ce soir, à l’accès aux services et à la collectivité et au fait de ramener les femmes et les hommes dans les collectivités pour qu’ils puissent être productifs.

Je veux aborder brièvement le nouveau problème que nous connaissons sous le régime de la DC 564-5 relativement à l’accès au CIPC. Et, maintenant, pour être brève, on m’a demandé... On m’a essentiellement mise à la porte de l’établissement à cause d’allégations, et on ne veut même pas me dire quelles sont ces allégations. Chaque fois que je suis allée dans l’établissement, c’était en compagnie de la sénatrice Pate. Alors, il est impossible que j’aie pu faire quoi que ce soit de mal. Toutefois, on m’a demandé de ne pas revenir. On refuse de me donner les réponses. Nous avons eu de nombreuses conversations téléphoniques avec le directeur précédent et le nouveau directeur de l’établissement pour tenter de me procurer un accès.

Ce que je vois dans le cas d’autres représentantes, des femmes qui n’ont même pas d’expérience directe et qui vont dans les établissements, c’est qu’à cause de cette situation, on demande une cote de fiabilité. Cette exigence cause beaucoup de problèmes à nos représentantes régionales, car on ne leur donne même plus accès aux maisons, puisqu’elles ne possèdent pas cette cote.

Alors, c’est quelque chose que nous avons trouvé vraiment problématique et qui... Comme je l’ai dit, je sais que, partout au Canada, nous avons encore de la difficulté à obtenir l’accès à ces femmes, et je pense qu’il s’agit d’une régression.

L’autre sujet que je veux aborder, et c’est celui dont personne ne veut parler, encore une fois, c’est le problème des personnes trans que nous avons soulevé plus tôt en ce qui a trait aux nouvelles politiques et je ne sais quoi. D’après mon expérience à titre de représentante des femmes et les conversations que j’ai eues avec des femmes dans l’établissement, ici... Deux femmes trans qui n’ont pas encore subi l’intervention chirurgicale y vivent. Et il est encore question d’envoyer ces personnes qui s’identifient comme des femmes... Et je crois savoir que c’est également très important, mais nous les envoyons vers un établissement où — nous l’avons entendu dire plus tôt — 90 p. 100 de ces femmes ont subi des agressions sexuelles perpétrées par des hommes. Alors, quand j’ai parlé aux femmes de cet endroit au sujet de leur expérience personnelle, je les ai entendues me parler de la peur dans laquelle elles vivent et des éléments déclencheurs auxquels elles sont exposées.

Dans le cas qui nous occupe actuellement, un homme s’identifie en tant que femme et entre dans la prison; il a maintenant une petite amie, et ils se désignent l’un l’autre par les termes « blonde » et « chum » dans la prison. Voilà une situation qui, j’en ai l’impression, présente un risque vraiment élevé. Et d’autres femmes nous disent qu’elles ne se sentent pas en sécurité parce que cet homme a la permission de se promener en nuisette et que ses organes génitaux masculins pendouillent à l’extérieur.

Comme je l’ai dit, je sais qu’il s’agit d’un sujet très délicat. Toutefois, je pense que ces politiques comportent des lacunes très importantes qu’il faut examiner avant que ces femmes ne subissent des agressions, sans quoi elles exerceront des représailles contre ces hommes — ou, désolée, personnes trans — et commettront des actes de violence à leur endroit, parce qu’elles ont peur. Or, un grand nombre des femmes qui ont commis des crimes violents les ont commis contre leur agresseur, et je suis vraiment inquiète de la possibilité que nous commencions à observer ce phénomène à l’intérieur de nos prisons également, si nous continuons à ne pas renforcer cette politique.

Je n’ai aucune suggestion découlant d’études universitaires à faire concernant la façon dont nous pourrons protéger ces deux groupes, car je souscris à l’opinion selon laquelle ces femmes doivent être logées en fonction de leur identité. Toutefois, comme je l’ai dit, en tant que représentante des femmes, je dois venir ici et aborder ces préoccupations dont des femmes m’ont fait part dans les établissements et à l’égard desquelles les gardiens leur ont dit de ne même pas s’en faire, puisqu’il s’agit d’un pénis de femme. De mon point de vue — comme je l’ai dit —, lorsqu’il s’agit de femmes qui sont traumatisées, c’est inacceptable. Alors, je voulais simplement me présenter ici et soulever cette question du point de vue d’une représentante qui a entendu parler directement de ce qui se passe à l’intérieur de l’établissement, du moins, dans celui de la vallée du Fraser.

Mon dernier petit argument concerne toute la question des traumatismes. Je suis entièrement d’accord. Nous avons tous subi un traumatisme, et il y a les soins qui en tiennent compte, tout cela. Cependant, je veux simplement vous rappeler que les prisons ne sont pas un lieu de guérison. On ne peut pas guérir à un endroit où on nous fait constamment du mal. Alors, que nous instaurions ou non les soins tenant compte des traumatismes dans ces prisons, j’estime vraiment que ces soins doivent être offerts dans la collectivité. Et je veux tout de même communiquer l’importance du fait que les femmes devraient purger leur peine dans la collectivité, pas dans une prison, car elles ne guérissent pas. On leur fait seulement encore plus de mal.

Alors, mesdames, je vous remercie de votre temps, et merci encore d’avoir fait tout le trajet jusqu’ici.

La vice-présidente : Merci à vous d’avoir pris le temps de venir témoigner.

Le prochain intervenant est M. Rouse. Merci de vous être inscrit.

Eddie Rouse, à titre personnel : Je m’appelle Eddie Rouse, je travaille avec des détenus depuis 35 ou peut-être 40 ans, et je suis d’accord avec Ken Peterson pour dire qu’il faut traiter les détenus comme des personnes et rétablir cela.

J’ai été incarcéré au pénitencier de la Colombie-Britannique en 1975 alors que j’étais âgé de 22 ans. Je suis un condamné à perpétuité. J’ai travaillé pour la Vancouver Eastside Educational Enrichment Society lorsque j’ai été libéré; je travaillais avec les détenus qui sortaient du système carcéral, sous l’égide de ce qui était à l’époque le People Facing Barriers to Employment, et je travaille dans ce domaine depuis.

J’ai aussi travaillé au sein de MOSAIC. Et M. Chan a parlé des CCRE et des programmes culturels communautaires.

Au milieu des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980, le SCC a connu ce que j’appelle l’ère des lumières, car il a mis en place plus de programmes en établissement destinés à l’éducation. Je crois que Ken Peterson serait d’accord avec moi pour dire que le programme d’enseignement en milieu carcéral, qui a fini par devenir un modèle mondial, était un excellent programme, puisqu’il donnait aux gens la possibilité de s’instruire, ce qu’ils n’avaient pas eu la chance de faire auparavant. Cela a aussi permis de diminuer de façon très importante le taux de récidive chez les gens qui y prenaient part, pour le porter à environ 16 p. 100. Mais de ce pourcentage, la majorité des gens qui étaient réincarcérés ne l’étaient pas en raison d’autres actes criminels. Ils étaient réincarcérés en raison de violations techniques de leur libération conditionnelle, comme le fait de se trouver à l’extérieur de la zone ou d’être en communication avec une personne qui pourrait participer à des actes criminels.

En 1981, il y a eu des émeutes en raison des changements apportés aux dispositions législatives en matière de surveillance obligatoire. Les gens se faisaient avoir à l’occasion des examens, donc des émeutes ont éclaté. Après cela, le programme a commencé à faire l’objet de réductions. On a parlé beaucoup du manque de soins médicaux ou de soins médicaux adéquats au sein du système, et je peux certainement vous en donner plusieurs exemples, mais cela prendrait un petit moment.

Au SCC, la politique isolationniste semble s’intensifier auprès des groupes externes qui se rendent dans les établissements carcéraux, comme Books to Prisoners, organisme qui se rendait traditionnellement à l’Établissement de Matsqui, au pénitencier de la Colombie-Britannique, à l’Établissement de Mission, pour aider les gens incarcérés à socialiser.

D’après ce que je comprends, on ne prépare pas non plus les détenus purgeant une peine d’emprisonnement à long terme, qui ne sont pas sortis des établissements à sécurité maximale, en vue de leur éventuelle libération. Voici un exemple : un homme a été emprisonné pendant 30 ans. Il a été escorté jusqu’à la maison Belkin à Vancouver et déposé là-bas, et les gardiens lui ont dit : « Débrouille-toi. » Comme il avait fini de purger sa peine, il ne pouvait pas obtenir d’aide de la part de la Société John Howard ni d’autres organismes. Mais il souffrait également d’un ESPT, car il a vécu des choses horribles au sein du système carcéral américain avant qu’on lui accorde finalement un transfert ici.

Il y a constamment eu un manque d’uniformité à l’échelle du pays en ce qui a trait à l’application des règles du SCC ou de la LSCMLC. Les directives du commissaire, parce qu’elles sont rédigées à Ottawa, sont très vagues. Elles sont transmises aux régions, qui les interprètent, puis on en fait part à chacun des établissements. Tout le monde peut les interpréter à sa manière, et il n’y a aucune uniformité d’un établissement à un autre.

Je crois que l’un des programmes les plus novateurs était le programme de justice réparatrice. Je ne sais même pas s’il est en place dans de nombreux établissements carcéraux. Il a vu le jour en Colombie-Britannique, et à l’heure actuelle, certaines activités liées à la justice réparatrice se déroulent à l’Université Simon Fraser.

J’ai pris ma retraite au début d’avril, et je consacre mon temps à d’autres travaux. Merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Marian Zadra, c’est à vous.

Marian Zadra, à titre personnel : Vous êtes impatientes que je finisse. D’accord, je promets d’être brève. Je sais que je ne suis pas connue pour cela généralement.

Je m’appelle Marian Zadra et je suis la tutrice de mon frère schizophrène. Je suis ici ce soir tout à fait par hasard. Eddie m’a invitée. Je ne sais absolument rien au sujet du système de justice, mais j’en entends beaucoup parler dans le domaine que je connais, soit le système de soins de santé mentale.

Mon frère a eu plusieurs altercations avec la police avant que nous réussissions à le faire hospitaliser contre son gré il y a environ quatre ans. Pour la première fois de sa vie, il était médicamenté; il était probablement malade depuis sa puberté. En fait, le système de soins de santé encourage presque les jeunes ayant des démêlés avec le système de justice pénale à obtenir l’aide de quelqu’un.

Un événement triste est survenu : mes parents sont décédés à deux mois d’intervalle, laissant mon frère, qui n’avait jamais vécu par lui-même, à la maison. Ses symptômes se sont aggravés. Il s’est retrouvé seul, puis il y a eu un incident où il m’a essentiellement... Disons qu’il m’a agressée, oui. Je sais que ce n’était pas réellement une agression. Il m’a poussée. J’ai profité de l’occasion pour appeler la police et lui obtenir de l’aide.

Il a été placé sous probation pendant un an. L’agent de probation ne s’occupait pas du dossier, et mon frère n’a jamais obtenu d’aide. Il m’appelait à la maison et me disait que s’il avait un médecin... J’étais certaine que je pouvais le faire voir ce médecin pour obtenir de l’aide. Ce qui m’avait échappé, c’était la condition de sa comparution devant le juge selon laquelle il devait obtenir une évaluation, mais cette évaluation dépendait entièrement de son agent de probation qui devait en faire la demande, ce qu’il n’a jamais fait.

Donc, il y a quatre ans, j’ai décidé que c’en était assez. Mon frère vivait dans une maison où il y avait des infiltrations d’eau. Il risquait de passer au feu, c’était une maison d’entasseur compulsif. Je devais faire d’importantes recherches de mon côté, je me suis donc tournée vers loi sur la santé mentale, que j’ai lue en long et en large, et je me suis rendu compte qu’il satisfaisait aux critères pour l’institutionnalisation involontaire, mais les différentes équipes d’intervenants en santé mentale nous ont toutes laissés tomber. J’ai donc embauché deux médecins indépendants pour qu’ils procèdent à une évaluation et j’ai emmené mon frère dans un hôpital et présenté les deux signatures, mais on voulait tout de même le mettre à la porte et le renvoyer.

Notre loi sur la santé mentale autorise l’institutionnalisation involontaire. De plus, je ne sais pas comment on appelle cela, mais à ce titre, mon frère bénéficie maintenant d’un congé prolongé. Une fois que vous êtes allé à l’hôpital, admis de manière involontaire, vous avez habituellement droit à un congé prolongé, qui s’inscrit dans le champ d’application de la loi sur la santé mentale. Mais ce que je n’avais pas compris, dans le processus, c’est que je suis devenue sa tutrice légale pour la somme de 20 000 $ environ. Je n’avais jamais si bien investi mon argent, mais ce dont je ne me rendais pas compte, c’est que la loi sur la santé mentale était aussi souple. Actuellement, les autorités sanitaires disent que, parce qu’il est toujours en congé prolongé, cela a préséance sur ma capacité de prendre des décisions touchant ses soins de santé en tant que tutrice légale, alors que lui-même est incapable de le faire. Je sais que si je me présente à nouveau devant un juge, pour environ 5 000 $ de plus, je peux mettre fin à son congé prolongé et gérer ses soins de santé, mais c’est une mauvaise idée. Tout cela est complètement faussé.

Pour terminer, j’aimerais vous donner matière à réflexion. Ce que je trouve absolument fascinant ce soir, c’est que, même s’il s’agit d’un système gouvernemental entièrement différent — le système judiciaire, le système carcéral — de celui que je connais, les points communs sont absolument surréels. Comment cela se fait-il? Cela m’attriste de voir que, essentiellement, il semble y avoir un manque d’humanité ou de reconnaissance. Je trouve cela triste. Je crois que ce sont des gens comme vous qui peuvent élever les normes.

L’un des aspects avec lesquels j’ai réellement de la difficulté, et nous en avons entendu parler ce soir, c’est l’interaction entre les médecins et les patients. Les médecins exercent leur profession en vertu d’une loi qui, essentiellement, les oblige à traiter le patient sans parti pris et à fournir une opinion professionnelle. Mais d’après ce que j’ai entendu ce soir, qu’il s’agisse du système judiciaire ou du système de soins de santé, les médecins sont pris dans un conflit d’intérêts, car les pressions exercées par le système semblent les toucher. C’est très mauvais, et quelqu’un doit assurer la responsabilisation absolue de ces professionnels. Si cela suppose de les retirer du système pour qu’ils soient entièrement indépendants, ainsi soit-il. Mais les choses ne fonctionnent pas. C’est le plus grand problème à mes yeux : les pressions exercées par le système de santé mentale empiètent sur la capacité d’un médecin à examiner un patient de manière indépendante, à l’évaluer et à rédiger une ordonnance en conséquence.

Enfin, je ne sais pas comment les gens en sont venus à se rencontrer ici. Je crois comprendre que c’est par invitation. J’aimerais dire qu’il existe un groupe formidable qui s’appelle Parents Forever. Il s’agit d’un groupe de parents qui représentent les enfants adultes qui souffrent de troubles concomitants et défendent leurs droits, et je pense qu’ils cherchent toujours à se faire entendre. Ils sont très déçus de n’avoir jamais pu prendre la parole, et je vous encourage à communiquer avec eux. Merci.

La vice-présidente : Merci pour cet exposé.

Avant de donner la parole à la sénatrice Cordy et à la sénatrice Pate pour entendre leurs questions, j’aimerais simplement dire que ce qu’a dit M. Peterson est l’une des choses que nous avons entendues à maintes reprises. Tous les détenus à qui nous avons parlé, que ce soit des hommes ou des femmes, disent vouloir être traités comme des humains et avec respect. On ne croirait pas que c’est difficile à faire, mais il semble que ce soit la plus grande difficulté.

M. Peterson : Madame la sénatrice, l’autre jour j’ai discuté avec un groupe. J’ai dit : « Si vous prenez la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et que vous y ajoutez les directives venant des commissaires ainsi que les instructions et les ordres permanents, vous avez une pile de documents haute comme ça et vous n’y trouverez nulle part le mot amour. » Pourtant, d’après mon expérience, je vais au cinéma, et les films portent sur l’amour. J’ai lu d’excellents romans. Les romans portent sur l’amour. Shakespeare parle d’amour. Tout dans la vie concerne l’amour. Mais c’est la seule chose dont nous n’entendons pas parler. Et pourtant, le fait de donner à quelqu’un un sentiment d’appartenance en lui montrant ce respect, c’est de l’amour. Ce n’est pas de l’amour à l’eau de rose; c’est du véritable amour. C’est l’amour de l’humanité, de la vie et du don de la vie que nous avons tous.

La vice-présidente : Merci.

Je vous remercie, madame Zadra, de nous avoir fait part de votre histoire. Il faut beaucoup de courage pour le faire.

Je vais vous céder la parole, sénatrice Cordy, si vous avez des commentaires ou des questions.

La sénatrice Cordy : Je n’ai pas vraiment de question.

Je tiens à vous remercier. Vous avez confirmé beaucoup de choses que nous avons entendues lors de nos déplacements à l’échelle du pays. Pour ma part, je n’étais jamais allée dans un établissement carcéral avant que nous commencions cette étude. Cela m’a ouvert les yeux. Comme l’a dit la sénatrice Ataullahjan, je crois que le commentaire que je me rappelle avoir entendu à Edmonton au Centre de guérison Stan Daniels était le suivant : « Ici, on nous traite comme des humains. » C’était formidable à entendre, mais c’était aussi très malheureux de savoir que dans tous les établissements que nous avions visités et parmi toutes les choses que nous avions vues et entendues, c’était l’aspect le plus important pour les hommes qui s’y trouvaient. Dans de nombreux autres établissements, on nous a dit que les gens avaient besoin d’être traités avec dignité et comme des humains pour pouvoir guérir.

Il y a un certain nombre d’années, j’ai réalisé une étude du Sénat avec Mike Kirby sur la santé mentale, la maladie mentale et les dépendances. J’ai entendu tant d’histoires comme celles que vous avez racontées. Nous savons que le système carcéral déborde de gens qui ne devraient pas être incarcérés. Ces gens devraient être placés dans un établissement médical. Ils ont une santé mentale fragile, et le système de santé n’est pas particulièrement bien adapté pour traiter la maladie mentale. J’ai parlé de santé mentale et de maladie mentale à l’échelle du pays, et on m’a raconté ce que des familles avaient traversé pour essayer de demander de l’aide. Je vous remercie donc de nous en avoir fait part.

Mme Zadra : J’aimerais dire une petite chose, s’il vous plaît. Je crois qu’il est important que vous sachiez que les responsables du système de soins de santé mentale disent encore à ce jour : « Il n’y a rien à faire. Laissez la personne que vous aimez s’enfoncer. Laissez-la faire quelque chose de mal de sorte que vous puissiez recourir au système de justice. » Et on se demande pour quelle raison ces gens finissent emprisonnés. Ce n’est vraiment pas correct. Et aujourd’hui, je continue de me battre pour mon frère. Mon frère n’est pas un criminel.

Cette grosse crise qu’il a vécue lorsqu’il m’a poussée et qu’il a fini par passer la nuit incarcéré, je ne pouvais pas l’aider, car j’étais l’ennemie à ce moment-là. J’ai envoyé notre frère. J’ai dit : « Va le chercher. Ramène-le à la maison. Il aura faim. Sois le plus calme possible. Offre-lui à déjeuner. Essaie de lui faire comprendre que nous sommes de son côté d’une certaine manière. »

C’était un gâchis qui n’a abouti à rien, et aujourd’hui, mon frère en parle. « Tu sais, Marian, si je n’avais pas eu cela... », car il croit avoir un dossier criminel; ce n’est pas le cas. Mais l’événement a été très traumatisant. Il s’agit donc d’une personne malade qui a été maltraitée. C’était véritablement un cas de maltraitance.

De nos jours, les policiers ont certainement été sensibilisés davantage au fil des ans, et ils traitent mieux les gens, je crois. Même si nous avons beaucoup entendu le contraire, c’était pire auparavant.

Alors que ma mère était toujours vivante, il y a eu une intervention policière à la maison. Mon frère était très effrayé de l’autorité, et il suait littéralement. La sueur dégoulinait sur le sol, et mon frère était debout, figé. L’agent de police lui a dit d’aller en haut et de faire son sac, puis il l’a fait entrer dans sa voiture et lui a dit de s’en aller.

Ma mère était furieuse. Mon autre frère et moi avons passé la nuit entière au poste de police. Nous craignions qu’il se tue ou qu’il tue quelqu’un d’autre. Le policier l’a fait monter dans sa voiture pour qu’il s’en aille, et il s’est rendu dans un motel quelque part. Le matin, ma mère pleurait. Elle a dit : « Je l’ai trouvé, je l’ai trouvé. » C’est cette histoire qui a fait en sorte que mon frère obtienne des soins, uniquement parce que j’avais embauché deux médecins pour l’examiner.

La sénatrice Cordy : Ce que nous avons entendu dire à l’époque, c’est que lorsqu’on a fermé ce qu’on appelait les asiles à ce moment-là, aucune ressource communautaire n’a été mise en place; les rues et les établissements carcéraux sont donc devenus les asiles psychiatriques des années passées, comme vous venez tout juste de le dire.

Mme Zadra : C’est très vrai. Il a été question de rouvrir Riverview, et il faut le faire. Nous devons traiter ces gens avant qu’ils deviennent des criminels.

Il faut du temps pour évaluer la santé mentale, ce que personne n’a d’après ce que nous avons entendu ce soir. Il n’existe pas de test sanguin pour établir un diagnostic de trouble de santé mentale chez une personne. Il n’y en a pas. Il faut du temps. Il faut gagner la confiance de la personne, assurer son confort et obtenir ses confidences, et encore à ce jour, même les meilleurs psychiatres n’arrivent pas à établir un diagnostic en une heure.

La sénatrice Pate : J’aimerais aussi tous vous remercier de votre présence et de vos témoignages.

Madame Zadra, si le groupe Parents Forever souhaite présenter un mémoire, il pourrait l’envoyer par écrit. Notre greffière allait probablement vous le dire de toute manière. Mais je vous remercie d’avoir attiré l’attention sur les normes nationales nécessaires dans ce domaine de même que sur le manque de ressources communautaires.

Comme vous l’avez souligné, monsieur Peterson, une meilleure utilisation de l’argent permettrait certainement de placer ces gens dans la collectivité plutôt que dans d’autres établissements carcéraux. Merci de cette remarque.

Madame Acoby, je ne vous ai pas posé la question plus tôt en raison de son caractère délicat. Nous avons très peu parlé du Programme mère-enfant en établissement et des conséquences pour les parents. Peut-être que vous pourriez nous parler un peu de ce que vous avez vécu en tant que mère. Vous avez abordé le sujet. Votre fille était incarcérée, mais à ma connaissance, vous n’avez pu la visiter qu’une seule fois. On vous faisait toujours des promesses à cet égard. Je ne sais pas si vous êtes à l’aise de nous dire quelque chose à ce sujet, madame Acoby.

Mme Acoby : Oui.

La sénatrice Pate : Bien des gens savent que 90 p. 100 des femmes qui sont incarcérées perdent la garde de leurs enfants. Les enfants finissent par être placés sous la garde de l’État. Le pourcentage est d’environ 10 p. 100 pour les enfants dont le père se retrouve incarcéré, habituellement car il y a une mère, une tante ou quelqu’un d’autre à l’extérieur.

Mme Acoby : De quoi vouliez-vous que je parle?

La sénatrice Pate : Eh bien, quel genre de soutien vous a-t-on offert en tant que mère? Votre fille vous a été prise après l’incident dont vous avez parlé. Quelles mesures de soutien ont été mises en place pour que vous puissiez entretenir un rapport avec elle?

Mme Acoby : Il n’y avait pas réellement de mesures mises en place, car on m’a retiré la garde de ma fille lorsqu’il y a eu un confinement cellulaire au pavillon de guérison. Quelques jours ont passé. Six gardes sont venus dans ma chambre avec une caméra alors que nous nous préparions à aller au lit, et ils m’ont dit qu’ils allaient prendre ma fille, car ils avaient reçu une information selon laquelle 14 d’entre nous étaient dans un état autre que normal. En fait, je les ai empêchés de me prendre ma fille pendant environ 20 minutes.

Puis, on m’a dit qu’on me laisserait la voir le jour suivant, car je l’allaitais. Le matin suivant, lorsque j’ai demandé si je pouvais la voir, on m’a dit que je devais d’abord assister au cercle du matin à 10 heures. Lorsque je me suis présentée au cercle du matin, je ne suis restée que pendant cinq minutes, et l’un des membres du personnel a demandé à me voir. Lorsque je suis allée au service de garde où on m’a laissée voir ma fille, on m’a dit en chemin que j’avais cinq minutes avec elle, car elle serait envoyée chez ma sœur. Les autres mères qui étaient là, qui avaient rechuté, se sont vu offrir différentes options, comme un cercle de guérison, un cercle de discussion ou quelque chose du genre. On ne leur a pas enlevé leurs enfants.

C’est ce qu’ils m’ont fait, et j’étais en état de choc. Nous étions toujours en confinement cellulaire lorsqu’ils ont fait sortir ma fille du pavillon pour l’envoyer chez ma soeur à Winnipeg, mais personne ne m’a dit que je pourrais la récupérer. Personne n’a réellement essayé de me parler. On nous a tout simplement laissées en confinement cellulaire.

Je n’avais jamais réellement été séparée de mon enfant, sauf dans les cas de permission de sortir avec escorte, et je ne voulais même pas aller à la maison au cours de ma prochaine permission, car je devais aller au centre de détention provisoire pour la nuit lorsque j’étais séparée d’elle. Et mon enfant dormait à mes côtés. Je n’aurais jamais pu la mettre dans un berceau avec des barreaux, elle était donc dans mon lit avec moi toutes les nuits. Je ne la laissais pas dormir dans le berceau.

C’était réellement difficile, et j’ai, en quelque sorte, décidé que j’allais partir de là, mais les choses ne se sont pas passées ainsi. J’ai séquestré trois ou quatre agents, j’en ai blessé un pour m’échapper, et ce n’était pas ce que je voulais faire à l’origine. Mais à ce moment-là, je me disais que personne n’allait m’empêcher de voir mon enfant.

Il n’y avait donc pas de mesure de soutien en place à cet égard. Et par la suite, je crois que c’est jusqu’à ce que vous m’offriez d’amener ma fille pour que je puisse la voir, personne n’a tenté de m’aider à maintenir ce lien. Et on me faisait du chantage à cet égard pour que je modifie mon comportement, on me disait que si je voulais voir mon enfant, je devais faire telle, telle et telle chose. Et je n’avais pas perdu mes droits parentaux, pas plus que je n’y avais renoncé.

Ce que j’avais remarqué à l’intérieur, même lorsque j’étais à l’Établissement de la vallée du Fraser, c’est que quelques mères avaient... Eh bien, l’une d’elles avait son enfant avec elle. Les mères n’ont pas la possibilité de choisir la personne responsable des soins. C’est le personnel du SCC qui choisit. Il y avait une femme dont la personne responsable des soins de l’enfant était très agressive, et même les employés étaient au courant de la situation; ils ont retourné la situation contre la mère et dit que si elle déposait une plainte, elle finirait par être suspendue du Programme mère-enfant et perdrait son enfant.

J’ai donc tenté d’agir à titre d’intervenante paire, car pour moi, c’était très difficile de ne pas être touchée émotionnellement et j’étais réellement en colère. Mais on se retrouve dans une situation sans issue où on essaie de faire la bonne chose, mais on ne veut pas non plus faire courir le risque à la mère d’être séparée du bébé.

Il n’y a donc pas beaucoup de vraies bonnes mesures de soutien en place pour les mères incarcérées. On peut présenter des rapports du comité d’enquête aussi souvent qu’on le souhaite, mais il y a de réelles limites quant à ce qu’il est possible de faire et d’offrir.

Maintenant, avec la question des transgenres, avec les hommes qui veulent venir à l’établissement carcéral, que ce soit bien ou mal, certains d’entre eux viennent dans les établissements pour femmes pour la mauvaise raison. Et ce n’est pas pour s’éloigner du mauvais climat qui règne dans les établissements pour hommes. C’est pour venir dans les établissements et avoir des relations sexuelles avec les femmes. Je ne dis pas qu’ils sont tous comme ça; mais certains d’entre eux le sont. Il s’agit d’une situation dangereuse, car certains des hommes qui viennent dans les établissements... Il y a des enfants là-bas, ainsi que des mères. Je ne pense pas que les mères avec des enfants devraient être incarcérées. Je pense qu’elles devraient être dans la collectivité, et il faut faire quelque chose à cet égard.

La sénatrice Pate : Merci. Je crois comprendre qu’il y a finalement eu, un peu trop tard, une excuse de la part du directeur du pavillon de guérison quant à l’approche adoptée envers vous.

Mme Acoby : Oui, c’était cinq ou six ans après les faits. Les responsables ont admis ne pas avoir bien géré la situation.

Je crois que trois semaines après cela, ils sont venus au pénitencier de la Saskatchewan alors que j’étais dans une unité de sécurité améliorée. On m’avait placée en isolement, manifestement pour les actes que j’avais commis, mais j’étais en quelque sorte heureuse qu’il y ait des barreaux. J’étais vraiment en colère qu’ils viennent me voir et qu’ils essaient de m’en parler. Je ne voulais rien savoir d’eux.

Et plus tard, je crois que c’est lorsque j’ai reçu le rapport du comité d’enquête, j’ai constaté que l’une des employées au service de garde avec qui je m’entendais bien s’était proposée pour obtenir la garde temporaire de ma fille — et elle vivait sur la réserve — afin que je puisse continuer de l’allaiter et que je puisse lui rendre visite tous les jours. Mais le directeur et les autres employés ont décidé que cette option n’était pas envisageable. Mais ils ne m’ont pas parlé de cela non plus. Ils ne m’ont pas demandé si j’étais d’accord pour que ma fille vive avec une employée du service de garde sur la réserve. Ils ont simplement décidé, alors que j’étais au cercle, qu’ils allaient envoyer ma fille chez ma sœur.

La sénatrice Pate : Merci.

La vice-présidente : Sénatrice Pate, avez-vous d’autres questions?

La sénatrice Pate : Non. J’aimerais simplement souligner le fait que vous et d’autres avez beaucoup écrit à propos de ce que vous avez vécu et du fait que c’est vraiment à ce moment que vous avez semblé perdre espoir et qu’il n’y avait eu aucun investissement dans le système pour vous aider depuis de nombreuses années. Je ne sais pas s’il s’agit d’une évaluation juste.

Mme Acoby : Oui.

La sénatrice Pate : Merci.

La vice-présidente : J’aimerais prendre l’occasion pour remercier le groupe de témoins, mais aussi pour remercier chaque personne du public toujours présente, quelques âmes courageuses qui sont restées avec nous. Comme nous arrivons à la fin d’une journée de travail de plus de 14 heures, je vous remercie d’être restés et de nous avoir écoutés. Il s’agit d’un sujet très important.

Il s’agit d’un thème récurrent; nous avons voyagé d’un océan à l’autre et nous avons entendu des choses très semblables. Lorsque nous parlons aux détenus, nous restons assises et nous opinons de la tête, car nous entendons les mêmes choses.

Encore une fois, je vous remercie d’avoir fait part de vos histoires personnelles. Elles sont très difficiles à raconter.

Bonne nuit.

(La séance est levée.)

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