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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 5 décembre 2018

Le Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang), se réunit aujourd’hui, à 16 h 45, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue, tout le monde, à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Mon nom est Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec. C’est un grand plaisir pour moi de présider cette réunion.

[Traduction]

Avant de céder la parole à nos témoins, je voudrais que mes collègues aient l’obligeance de se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, Québec.

[Français]

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Josée Forest-Niesing, du Nord de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, Terre-Neuve-et-Labardor.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-François Mégie, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Fabian Mannin, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Munson : Jim Munson, Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

Le sénateur Wells : David Wells, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, Ontario.

[Français]

La présidente : Bienvenue à tous. Aujourd’hui, nous commençons notre étude du projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang).

[Traduction]

Je voudrais présenter notre témoin, l’honorable sénatrice Pamela Wallin, marraine du projet de loi.

Madame la sénatrice Wallin, je crois que vous avez une déclaration préliminaire à nous faire avant que nous passions aux questions.

L’honorable Pamela Wallin, marraine du projet de loi : Je vous remercie, madame la présidente et chers collègues, de me donner la possibilité de comparaître devant le comité aujourd’hui afin de discuter du projet de loi S-252 qui contient la Loi sur les dons de sang volontaires proposée.

L’objectif de ce projet de loi est clair : mettre fin à la rémunération des donneurs de sang, ainsi qu’à la vente et à l’exportation de ce sang à des acheteurs étrangers.

Le système selon lequel on paie les donneurs de sang compromet l’aspect volontaire de l’acte de donner, un acte généreux profondément ancré dans la société canadienne posé par des Canadiens soucieux de sauver la vie d’êtres chers et d’étrangers.

La présence de cliniques privées de collecte de plasma engendre d’autres problèmes. Elles sont situées dans des quartiers défavorisés où la population est vulnérable. Il s’agit assurément d’un problème éthique. Comme ces cliniques vendent leur produit — celui qu’elles recueillent en vue de faire du profit en le vendant à des acheteurs étrangers —, elles ne contribuent pas à répondre aux besoins des Canadiens. Ainsi, ce projet de loi n’aura aucune incidence sur les stocks de groupes sanguins rares.

À l’heure actuelle, de 80 à 85 p. 100 du plasma utilisé dans le système médical canadien vient des États-Unis.

La Société canadienne du sang, notre organisme national de collecte de sang et de plasma sans but lucratif, cherche à atteindre une autonomie de 50 p. 100, mais cet objectif ne sera pas atteint si l’on incite les donneurs à se tourner vers les cliniques à but lucratif.

Il n’est pas question ici de simples preuves empiriques. Nous disposons de renseignements obtenus au titre de la Loi sur l’accès à l’information, ainsi que tirés, bien entendu, des archives publiques. Canadian Plasma Resources, la seule entreprise privée à but lucratif de collecte de plasma au pays, affirme accueillir plus de 300 visiteurs par semaine à sa clinique de Moncton. Son but est d’en accueillir 1 000 par semaine. Cette même entreprise soutient avoir plus de 3 000 donneurs réguliers à sa clinique de Saskatoon. Il n’est donc pas surprenant de constater que la Société canadienne du sang a vu son nombre de donneurs diminuer, particulièrement chez les jeunes adultes. Pourquoi? Parce que la publicité traditionnelle et en ligne des cliniques à but lucratif cible la population âgée de 18 à 24 ans. On ira même jusqu’à afficher de la publicité promettant une rémunération dans les salles de bain d’universités.

Chers collègues, la rémunération pour du plasma encourage un mauvais comportement. Nous n’encourageons pas nos citoyens et citoyennes à faire preuve d’altruisme et nous ne formons pas une liste de donneurs durable. Les donneurs canadiens ne sont pas destinés à servir de source de revenus pour des entreprises privées qui cherchent à générer des profits. Les Canadiens n’ont jamais eu besoin de compensation financière pour trouver la volonté de faire des dons.

J’aimerais prendre un instant pour rappeler à mes collègues la raison pour laquelle nous tenons cette discussion.

Il y a près de 30 ans, plus de 30 000 Canadiens ont contracté le VIH ou le virus de l’hépatite C à cause de sang contaminé. On croit que 8 000 personnes de plus pourraient encore mourir des conséquences de cette contamination.

En 1993, le Canada a mis sur pied la Commission Krever. Le rapport qui en a découlé demandait que le système de don de sang canadien demeure une ressource publique protégée.

La Société canadienne du sang a été créée pour être la seule entité autorisée à recueillir du sang. Au cours des 20 dernières années, cet organisme a lutté pour rebâtir le système de don volontaire qui prospérait sous l’égide de la Croix-Rouge. Il a été difficile de regagner la confiance du public. La Société canadienne du sang n’a pas le degré de notoriété — ou, comme on dit aujourd’hui, la reconnaissance de marque — dont la Croix-Rouge jouissait jadis. Cela est d’autant plus difficile lorsque des entités s’efforcent activement d’ébranler le système de don volontaire.

Mais les gens ont la mémoire courte. En 2013, Santé Canada a pris la décision de permettre à des entreprises privées de prélever des dons de sang et a commencé à délivrer des permis à Canadian Plasma Resources, ou CPR. Personne au monde n’arrive à comprendre pourquoi ces permis ont été octroyés. Une réunion a été tenue avec certains intervenants. Aucune consultation publique n’a eu lieu, et rien ne montrait que le public avait besoin de ces services. Peu de temps après, l’Ontario, l’Alberta, puis la Colombie-Britannique ont déposé des projets de loi visant à mettre fin à ces exploitations privées.

Le projet de loi S-252 s’inspire de ces projets de loi et du fait que le Québec interdit — depuis plus de 20 ans — toute collecte de plasma privée.

Quand j’ai appris que l’une des deux entreprises de collecte de plasma privées menait ses activités dans ma province natale — la Saskatchewan —, j’ai su qu’il était de mon devoir de déposer ce projet de loi.

Bien que les médias affirment le contraire, 80 p. 100 des parties concernées, notamment la Société canadienne du sang, sont favorables à l’adoption d’un projet de loi visant à interdire la rémunération des donneurs de plasma. La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge, l’Organisation mondiale de la Santé, l’European Blood Alliance, l’International Society of Blood Transfusion et des professionnels de la santé des quatre coins du monde appuient cette interdiction, et, bien entendu, cet enjeu transcende toutes les lignes de parti.

Chers collègues, je crois qu’il est juste de nous assurer que le Canada possède un système de don de sang sécuritaire et volontaire.

L’objectif du projet de loi est de rétablir et de maintenir le nombre de donneurs au Canada, mais cet objectif ne sera pas atteint si nous permettons à des entreprises à but lucratif d’inciter les donneurs à s’éloigner du système public en leur offrant des cartes de crédit ou de l’argent.

L’octroi de permis à des cliniques privées pour leur permettre de recueillir du plasma au Canada dans le but d’en tirer profit contrevient à chacune des recommandations fondamentales de la Commission Krever. Il nous faut immédiatement imposer un moratoire sur tout nouveau permis jusqu’à ce que cette question soit soigneusement étudiée. Il s’agit d’un processus que nous avons commencé aujourd’hui.

Je vous remercie du temps que vous m’accordez et, en particulier, de cette occasion de m’adresser à vous.

Avant que nous passions aux questions, je vous informe que Kat Lanteigne m’accompagne aujourd’hui. Nous pourrions l’inviter à se joindre à nous à la table. Elle est la directrice générale et cofondatrice de BloodWatch. Il s’agit d’un groupe qui a décidé de défendre la cause des personnes infectées durant la crise du sang contaminé. Elle travaille là-dessus bénévolement depuis des années. Je l’ai rencontrée pour la première fois quand j’ai rédigé, en tant que journaliste, des articles sur certaines de ces histoires. Elle en sait beaucoup plus que moi, et sa contribution vient du cœur, pas seulement du cerveau.

Kat, voudriez-vous vous joindre à nous? J’essaierai de répondre aux questions, moi aussi.

La présidente : Je vous remercie, madame la sénatrice Wallin.

Nous allons passer aux questions. Je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour poser vos questions et entendre les réponses. J’espère que nous arriverons à tenir une deuxième série de questions.

Avant que nous commencions par notre vice-présidente, je veux entendre votre avis sur les raisons pour lesquelles le projet de loi propose de modifier le Règlement sur le sang et pas la Loi sur les aliments et drogues.

La sénatrice Wallin : Je crois savoir que c’est prévu dans le règlement. Je pense que c’est de là que cela vient. Je dirais qu’il faut mettre le doigt sur le bon bobo.

La présidente : Je vous remercie de cette réponse.

La sénatrice Seidman : Madame la sénatrice Wallin, je vous remercie infiniment de votre exposé sincère. Il est très apprécié.

Je voudrais vous poser deux ou trois questions, et la première porte sur la question de l’approvisionnement. Je crois savoir — et je crois que vous y avez fait allusion — que la Société canadienne du sang et Héma-Québec ont déjà répondu à la demande nationale en sang entier et en fractionnement du plasma. Toutefois, depuis 2016 environ, le volume combiné de plasma recueilli par ces deux organisations ne compte que pour près de 17 p. 100 du plasma requis pour répondre aux besoins des Canadiens. Vous y avez fait allusion.

La sénatrice Wallin : Oui, c’est de 80 à 85 p. 100.

La sénatrice Seidman : Voilà la lacune. Nous devons aller à l’étranger, et le produit est acheté aux États-Unis. Je pense qu’il est juste d’affirmer que nous devons reconnaître qu’aux États-Unis, on paie pour les dons de sang. Essentiellement, les Canadiens reçoivent encore du sang de donneurs rémunérés par l’entremise du plasma que nous importons ensuite et utilisons, n’est-ce pas? Le sang que nous recevons pour créer le plasma a été payé aux États-Unis.

La demande d’immunoglobuline continue d’augmenter de façon stable, soit d’environ 6 à 10 p. 100 par année. Le Canada est maintenant le deuxième utilisateur d’immunoglobulines par personne en importance au monde.

Si vous regardez le rapport final de Santé Canada, qui a été publié en mai 2018 — c’est le rapport du Comité d’experts sur l’approvisionnement en produits d’immunoglobuline et ses répercussions au Canada, et je dis que c’est le rapport de Santé Canada —, on a conclu qu’aucun pays au monde n’a été en mesure de répondre à ses besoins en plasma uniquement grâce à un modèle volontaire.

Quand on examine cet ensemble de faits, voici la question qui se pose : comment répondrons-nous à la demande de plasma canadienne sans payer pour les dons?

La sénatrice Wallin : Je pense que cette question comporte deux volets que je peux aborder.

Ce que nous voulons au pays, c’est voir les dons de sang remonter aux niveaux antérieurs. Nous le constatons dans des cas particuliers, comme lorsque les Broncos de Humboldt ont eu leur accident ou que la tornade s’est abattue sur cette région, par exemple. En tant que citoyens, nous devons recréer ce sentiment altruiste et cette responsabilité de participer à la création des stocks pour répondre à nos propres besoins.

En revanche, je ne pense pas que quiconque laisse entendre que nous devions passer à 100 p. 100. Cela s’explique par des raisons médicales. On ne veut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, si quelque chose se produit. En cas d’un autre problème de sang contaminé comme celui dont nous avons été témoins il y a 30 ans, nous ne voulons pas que nos propres stocks puissent être complètement compromis. Je pense que la Société canadienne du sang affirmerait qu’elle vise une autosuffisance d’environ 50 p. 100.

Oui, nous importerons d’autres produits, et les sciences et la technologie finiront par en créer d’autres qui nous aideront à composer avec cette situation. D’abord et avant tout, nous devons revenir à nos niveaux antérieurs.

J’ai mentionné dans ma déclaration que c’est très difficile pour la Société canadienne du sang. Elle s’est sortie d’une période difficile où les gens ne voulaient pas aller donner du sang parce qu’ils étaient inquiets pour leur sécurité, s’ils étaient dans une installation de la Croix-Rouge, quelque part.

Il a fallu beaucoup de temps pour créer cette entité. Elle ne possède pas la notoriété dont disposait la Croix-Rouge pour ramener les gens à la table. Le moment est bien choisi vu tous les inconvénients qui se sont produits; les gens ont la mémoire courte et oublient ce qui est arrivé à cette époque. Nous avons également une génération qui arrive et qui ne se souvient pas de cet événement, alors elle n’a pas peur. Nous devons également lui inculquer la bonne attitude. Nous commençons déjà à observer la confusion.

La sénatrice Seidman : Pourrais-je vous poser une question au sujet de la sécurité? J’admire ce que vous faites. L’altruisme ne nous fournira pas les stocks sanguins dont nous avons besoin au pays. Voilà ce qui me préoccupe.

Je comprends ce que vous faites. Je voudrais vous poser des questions au sujet du problème de sécurité.

Le rapport final de Santé Canada — encore une fois, je vous y renvoie parce qu’il vient tout juste d’être publié — porte exactement sur ces problèmes. Il a été publié en mai 2018 et s’intitule Protéger l’accès des Canadiens aux immunoglobulines. Les auteurs de ce rapport affirment qu’il n’y a eu aucun cas confirmé de maladie transmise par des produits dérivés du plasma depuis plus de deux décennies. Le Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares affirme ce qui suit :

Grâce au dépistage rigoureux des donateurs, à l’analyse des dons obtenus et aux méthodes de clairance virale utilisées, ces produits conservent une parfaite innocuité en ce qui a trait à la transmission des pathogènes depuis 25 ans.

Des problèmes touchent l’approvisionnement et la sécurité. Nous abordons maintenant la question de la sécurité et, oui, il y a eu la Commission Krever et, oui, une terrible tragédie est survenue au pays il y a des décennies, dont je me souviens malheureusement, moi aussi.

Le fait est que la science nous a permis de ne pas répéter cette tragédie pendant des décennies. Pourquoi présumeriez-vous qu’une telle tragédie se reproduira? N’êtes-vous pas convaincue qu’aucun cas n’est survenu depuis une trentaine d’années et que la science nous permet...

La sénatrice Wallin : Je ne présume pas qu’une tragédie se produira. Les normes sont élevées à cet égard. Nous avons tiré beaucoup de leçons. En ce qui me concerne, il ne s’agit pas principalement d’un problème de sécurité. Il s’agit de rétablir la confiance et de nous aider à faire un bout de chemin pour ce qui est de répondre à nos propres besoins.

Comme je l’ai dit plus tôt, nous ne viserions jamais 100 p. 100 pour toutes les raisons que nous connaissons. Il y aura toujours une partie des stocks qui sera importée. Avez-vous quelque chose à dire sur ces enjeux, madame Lanteigne?

Kat Lanteigne, directrice générale, BloodWatch : J’ai participé à tout le processus de la production de ce rapport d’experts. L’un des éléments qu’il n’abordait pas, c’est la situation des pays qui ont presque atteint l’autosuffisance. Par exemple, la Nouvelle-Zélande l’a presque entièrement atteinte. Les Néo-Zélandais n’importent qu’environ 10 p. 100 de leurs produits d’immunoglobine. L’Australie est sur le point d’atteindre 70 p. 100 d’autosuffisance. La Belgique atteindra une autosuffisance complète d’ici 2026.

Ce qu’ont découvert ces pays qui sont dotés de systèmes de don de sang semblables aux nôtres, c’est qu’une fois qu’on fait la promotion d’une stratégie relative au plasma et que l’on demande aux donneurs de se manifester davantage dans ces environnements, les gens effectuent des dons de sang.

Le problème ne tient pas à la volonté des Canadiens de donner du sang. Il ne s’agit pas du problème auquel nous avons affaire. La Société canadienne du sang ne recueillait pas le plasma aux fins des stocks d’immunoglobulines.

La sénatrice Seidman : Je ne veux pas vous interrompre. La présidente me dit qu’il ne me reste plus de temps.

Vous nous renvoyez au rapport. Vous ne souscrivez pas à ses conclusions parce qu’il indique ce qui suit :

En Europe, en Australie et en Amérique du Nord, les seules administrations qui ont atteint l’autosuffisance à 100 p. 100 pour la collecte du plasma sont celles qui ont autorisé la rémunération des donneurs de plasma.

Je lis un extrait du rapport. Désapprouvez-vous ces propos?

Mme Lanteigne : Je désapprouve beaucoup des propos tenus dans le rapport, mais ce n’est pas ce que je dis. J’affirme que, dans les pays où on déploie les efforts nécessaires dans le but de devenir autosuffisants, on obtient du succès, actuellement. C’est ce qui se passe.

La sénatrice Seidman : Sans payer?

Mme Lanteigne : Sans payer, au moyen d’un système volontaire.

La sénatrice Seidman : Merci.

Le sénateur Ravalia : Bienvenue à vous deux. Je m’adresse à vous du point de vue d’un médecin qui vient de commencer à exercer. Après mes discussions avec la sénatrice Wallin, j’ai longuement discuté avec des gens de la profession médicale, y compris des hématologistes, des spécialistes des maladies infectieuses, des patients qui ont reçu ces produits et des spécialistes en matière de transfusion.

À Terre-Neuve-et-Labrador, le problème tient au fait que nous avons un important groupe de patients qui présentent divers problèmes de santé et qui dépendent fortement du plasma. Il importe que les personnes ici présentes qui ne sont pas issues du milieu médical se rendent compte qu’il y a une énorme différence entre la façon dont le sang entier est recueilli et celle dont le plasma est recueilli.

On le recueille par un processus bien plus complexe qu’on appelle la plasmaphérèse. Il peut durer jusqu’à deux heures. La seringue est bien plus grosse, et le processus est plus ardu. En soi, il compte un certain nombre de vérifications importantes pour qu’on puisse s’assurer que le plasma est lavé, qu’il fait l’objet d’une recherche virologique et qu’il répond à la norme en matière de pureté.

Selon la rétroaction que j’ai obtenue de mes électeurs et des membres du milieu médical, il est peu probable que nous devenions un jour autosuffisants en matière de plasma au pays. C’est en raison de l’incidence des maladies dont nous parlons, dont le déficit immunitaire primaire — mais il y en a une foule d’autres, y compris la déficience en alpha 1 antitrypsine, qui est une maladie des poumons et du foie fréquente à Terre-Neuve-et-Labrador — l’utilisation de ces produits dans le cas des personnes qui présentent des troubles hémostatiques, comme l’hémophilie, qui est prévalente au Canada; son utilisation dans les unités de grands brûlés, où l’albumine est extraite du plasma; et les volumes importants de plasma requis pour traiter les patients.

Il faut 1 200 dons de plasma pour traiter un hémophile, par exemple. Il faut 130 dons de plasma pour traiter un patient atteint de déficit immunitaire primaire.

Dans le cadre des discussions que j’ai tenues, des gens pour qui j’éprouve beaucoup de respect ont formulé un certain nombre de suggestions; ils affirment que nous nous débrouillons bien en ce qui concerne le sang entier. Le service de transfusion sanguine donne de bons résultats dans cette situation.

C’est dans le cas du plasma que le bât blesse. La plupart des personnes que j’ai interrogées ne s’opposaient pas à une certaine forme de paiement. Il n’est pas nécessaire que ce soit un paiement en espèces. Ce pourrait être sous la forme d’un crédit d’impôt pour les étudiants fréquentant une université, d’un allégement fiscal accordé par Revenu Canada ou d’un crédit d’impôt pour l’alimentation.

Là où je veux en venir, c’est que nous, en tant que Canadiens, devons continuer à réapprovisionner ces stocks internationaux dont nous dépendons fortement.

Comme les besoins en plasma augmentent à l’échelle mondiale, si nous devions commencer à perdre une partie de cet approvisionnement, des gens commenceraient à mourir. Il s’agit d’une substance vitale au point qu’un grand nombre des intervenants du domaine pharmaceutique la considèrent non pas comme un produit sanguin, mais plutôt comme un agent permettant de sauver des vies, car elle est extraite d’une manière différente que dans le cas des globules rouges, des plaquettes et des autres composantes du sang. De nombreuses sociétés pharmaceutiques sont même en train de mener des études importantes afin de savoir s’il existe des moyens de produire certaines de ces protéines plasmatiques, comme on les appelle, en laboratoire, de manière à pouvoir créer des mesures permettant de sauver des vies. Compte tenu du vieillissement de la population, du plus grand afflux d’immigrants et des populations génétiquement vulnérables partout au Canada, nous devons nous montrer prudents au moment de prendre une décision à cet égard. Je vous félicite, Pamela. En tant que Canadien altruiste parlant avec son cœur, je dis : « Quoi? » La réalité et la science sous-jacentes sont quelque chose qu’il nous faut étudier avec soin.

La sénatrice Wallin : Je comprends exactement ce que vous dites. Le plasma qui est recueilli ici par cette entreprise privée est entièrement exporté. Nous ne réglons pas notre problème de cette manière.

Le sénateur Ravalia : Non, mais nous en rachetons une partie.

J’affirmerais que nous devons repenser ce genre d’interdiction générale et globale. Nous devons envisager des moyens créatifs, même s’ils supposent un certain paiement, afin de nous assurer que nous contribuons aux stocks mondiaux de plasma.

Mme Lanteigne : L’un des exemples, c’est qu’il s’agit en réalité d’un problème lié à la sécurité des stocks. Les courtiers privés en sang, comme Canadian Plasma Resources et ses homologues, n’assurent pas l’approvisionnement pour les patients canadiens.

Je veux vous donner un exemple d’un événement qui vient tout juste de se produire en Roumanie. On l’appelle la crise de l’immunoglobuline roumaine. Vous avez soulevé de bons arguments au sujet de l’importance de l’accès pour les patients.

Le gouvernement roumain s’est adressé aux sociétés pharmaceutiques qui fournissent les produits d’immunoglobuline et leur a dit : « Ils coûtent trop cher. Nous allons les taxer, de sorte que nous puissions réinvestir cet argent dans le système de soins de santé afin de contribuer au paiement des médicaments. ». Les sociétés pharmaceutiques ont répondu : « Non, vous ne le ferez pas. » Le gouvernement a répliqué : « Oui, nous allons le faire. » Les sociétés ont déclaré : « Non, vous ne le ferez pas. Si vous le faites, nous allons retirer ces médicaments du marché. » Le gouvernement a répondu : « D’accord, nous ne le ferons pas », et les sociétés les ont retirés de toute manière. La ministre de la Santé roumaine a fait appel à l’OTAN. C’est maintenant l’Autriche qui fournit ces traitements par immunoglobulines à la Roumanie.

L’une des pires choses que nous puissions faire, en tant que pays, c’est permettre à une société privée de contrôler le nombre de nos donneurs et nos stocks de sang publics, et c’est ce que font les entreprises qui recueillent le plasma.

Pour préciser : la Société canadienne du sang n’a pas conclu de contrat avec Canadian Plasma Resources. Cette entreprise jouit d’une pleine autonomie, et en tant que courtier, pour ce qui est de recueillir le plasma qu’elle achète aux donneurs, puis elle peut le vendre au plus offrant sur le marché sanguin international. Les traitements — le plasma canadien utilisé — ne reviendront pas ici.

Si je peux offrir quelque chose au comité — et je vous remercie infiniment de me permettre de comparaître aux côtés de la sénatrice Wallin —, il n’existe au pays aucune donnée ni aucun élément de preuve donnant à penser que, si la Société canadienne du sang dévoile sa stratégie de collecte de plasma, elle ne pourra pas atteindre ses objectifs. Rien de ce qui figure dans le rapport de Santé Canada ne porte à croire que ce serait le cas. Actuellement, seuls sept établissements au pays recueillent du plasma.

Nous tentons de formuler l’argument selon lequel ce n’était pas la faute des donneurs ni dû au fait que les Canadiens n’étaient pas disposés à donner du sang; c’est seulement qu’on ne recueille pas de plasma.

Le sénateur Munson : Je veux donner suite à ces questions dans une minute, mais je suis curieux à ce sujet : au pays, quatre provinces — le Québec, l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique — interdisent cette pratique. Avez-vous la moindre idée de la raison pour laquelle les autres ne le font pas? Avez-vous parlé à leurs représentants, dans le cadre de vos travaux de préparation du projet de loi, afin de savoir pourquoi elles ne le font pas et pourquoi elles estiment qu’il est important que des donneurs soient payés?

La sénatrice Wallin : J’ai tenu cette conversation en Saskatchewan. L’intérêt initial qu’on a fait valoir quand des représentants de Canadian Plasma Resources sont allés parler aux responsables du gouvernement, c’était qu’il s’agissait d’un plan de création d’emplois. Ces cliniques allaient prendre de l’expansion et créer des emplois locaux. Je ne suis pas certaine de ce qu’est le nombre actuellement, mais je pense que huit personnes sont employées en Saskatchewan.

Encore une fois, je ne pense pas qu’on ait beaucoup discuté de l’endroit où ces « cliniques » seraient situées. Nous voyons que la clinique en Saskatchewan a ouvert ses portes au centre d’un quartier où vivent des populations vulnérables.

Le sénateur Munson : Envisagez-vous une période de transition si votre projet de loi est promulgué? Vous avez parlé d’une autre époque, où les gens semblaient donner davantage de sang, et ainsi de suite. Toutefois, si vous avez écouté l’intervention faite par le sénateur il y a un instant, il y a des pendules à remettre à l’heure en ce qui a trait à l’idée de l’approvisionnement. Je prends peur lorsque j’entends dire : « Des gens pourraient mourir parce qu’ils ne reçoivent pas de sang. »

La sénatrice Wallin : Comme l’a expliqué Mme Lanteigne, le plasma qui est recueilli par ces entités privées, ne fait pas partie des stocks canadiens. Aucun Canadien dans le besoin ne peut accéder au produit qui est recueilli à la clinique privée à but lucratif. Il est vendu sur le marché international. Voilà pourquoi nous devons nous concentrer sur une stratégie de collecte de sang. Il faut que la Société canadienne du sang, l’organisation publique qui recueille le sang, soit beaucoup plus mobilisée et active. Il faut que les Canadiens — et peut-être en nombres de plus en plus importants — deviennent ou redeviennent des donneurs volontaires et ne pas créer un état d’esprit selon lequel ils devraient être payés pour le faire.

Le sénateur Munson : En ce qui concerne votre témoignage, je suppose que nous allons entendre le point de vue des deux côtés et que nous inviterons la personne qui fournit le sang également, n’est-ce pas?

La présidente : Oui, nous le ferons.

Le sénateur Munson : Quand vous utilisez le mot « contaminé », je pense à tous ceux d’entre nous ici, qui sont d’un certain âge... J’ai, tout comme vous, effectué des reportages sur ce sujet. C’était une histoire épouvantable et affreuse à suivre. Peut-être que Mme Lanteigne peut nous en parler. Quand vous en parlez aujourd’hui et que vous évoquez ces entreprises privées et les personnes qui s’y présentent, il existe la crainte que le sang ainsi recueilli ne soit peut-être pas étiqueté et examiné de façon adéquate, conformément aux normes en matière de santé. J’imagine que ces entreprises doivent appliquer des procédures strictes.

La sénatrice Wallin : Je tiens à préciser que je n’essayais pas de laisser entendre que, vu qu’une clinique mène des activités dans un endroit défavorisé, la qualité du sang est compromise de quelque façon que ce soit. C’est l’idée de s’adresser à des personnes vulnérables qui ont besoin d’argent et de leur demander de poser ce geste. Il ne s’agit pas d’une question de sûreté comme celle qui se posait il y a 30 ans.

Le sénateur Munson : Êtes-vous en train de dire que les personnes qui donnent du sang se font convaincre? On dirait presque qu’on leur dit : « Venez donner du sang. Nous vous donnerons 50 ou 100 $ en échange. » Quand vous parlez de gens vulnérables, voulez-vous dire des personnes qui vivent dans la pauvreté? Nous avons utilisé le mot « étudiants » ici. À quoi ressemblent les choses sur le terrain?

Mme Lanteigne : Il existe un excellent documentaire, que je suis certaine d’avoir fait parvenir au bureau de la présidente. Je vais m’assurer de vous le faire parvenir. Il est intitulé Le business du sang. Il a paru en avril et a été réalisé par un journaliste suisse. On y montre où sont situés ces centres de prélèvement de plasma, en particulier aux États-Unis. Ils se multiplient dans des villes comme Camden, au New Jersey; Youngstown, en Ohio; et Flint, au Michigan. Dans le documentaire, on interroge de nombreuses personnes qui viennent vendre leur plasma. Les personnes qui font cela aux États-Unis sont pour la plupart issues de populations démunies.

Ce dont il faut tenir compte dans ce modèle privé, et qui préoccupe grandement notre organisation, c’est l’attention que reçoit le donneur. Quand vous dirigez un système d’approvisionnement en sang, vous devez suivre la chaîne dans son entièreté.

Il est essentiel à cette chaîne de prendre soin des donneurs et de leur santé, et la même chose s’applique quand il s’agit de s’adresser au groupe que forment les étudiants. Les responsables de la Société canadienne du sang affirment qu’ils constatent des changements dans le nombre de donneurs âgés de 17 à 24 ans en Saskatchewan. À Moncton, les hommes ont, pour différentes raisons, le meilleur sang et le meilleur plasma. Il s’agit de notre nouvelle génération de donneurs. Nous avons besoin qu’ils participent au système canadien. Les patients dont a parlé le sénateur Ravalia — nous représentons beaucoup d’entre eux aussi par l’entremise de BloodWatch — ont aussi besoin d’avoir accès à ces dons.

Il existe différents enjeux sur le plan de l’éthique, ce qui constitue certainement un argument de taille. Nous faisons valoir que le juge Krever, l’European Blood Alliance et l’OMC, ainsi que des hématologues, des chercheurs et des médecins de partout dans le monde, ont examiné cette question de façon approfondie, en particulier au cours des six dernières années. Tout le monde est arrivé à la même conclusion que le juge Krever, soit que la manière la plus sécuritaire de gérer un système d’approvisionnement, de recueillir des dons, de fabriquer et de distribuer des médicaments à une population demeure la mise en place d’un système public qui recueille des dons faits de façon volontaire. L’autre question très importante à traiter concerne les coûts. Quand vous instituez des paiements dans le système, quels sont les coûts? Que se passe-t-il si une entreprise offre, disons, 50 $? Actuellement, l’entreprise Canadian Plasma Resources offre 250 $ aux personnes qui peuvent faire huit dons de plasma d’ici Noël. Vous créez ainsi un marché. Vous créez un marché concurrentiel pour des tissus humains.

Cela crée des forces dans le marché et de la concurrence pour obtenir une ressource qui devrait être protégée à titre de ressource publique. Selon nous, c’est la raison pour laquelle cette loi fédérale est si importante. Pour répondre à votre question, nous avons milité pour l’adoption de mesures législatives en ce sens dans toutes les provinces, et notre organisation était le moteur, avec les autres organismes militant pour la même cause, qui a mené à l’adoption de ces lois dans ces trois provinces. Nous devrions avoir un système national parce que nous partageons le sang et le plasma. Dans la situation actuelle, nous épuisons les ressources en Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick. Ces provinces ne contribuent pas à l’approvisionnement national.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup.

La présidente : Merci de vos réponses. Sénateur Munson, nous recevrons de nombreux autres témoins de différents horizons au cours de l’année qui vient. Ce projet de loi sera étudié en bonne et due forme.

La sénatrice Poirier : Merci de votre présence, madame la sénatrice. On m’a fait part de préoccupations, parce que cette situation existe au Nouveau-Brunswick depuis un moment. Je suis certaine que bon nombre des préoccupations dont on m’a fait part rejoignent les vôtres ou celles qu’on vous a communiquées et qui ont mené au dépôt de ce projet de loi. Une des inquiétudes qu’on m’a confiées au Nouveau-Brunswick — encore une fois, même récemment, depuis que vous avez présenté le projet de loi, il y a des personnes de ma province qui m’en ont parlé — concerne les répercussions que cela aura sur notre système de dons volontaires.

Est-il trop tôt pour évaluer s’il y a une incidence? Disposons-nous de données statistiques pour affirmer que cela aura un effet sur le système de dons volontaires? Avez-vous des renseignements à cet égard, ou est-ce trop tôt?

La sénatrice Wallin : Je vous remercie, madame la sénatrice. Nous avons certains chiffres qui montrent que si ces centres privent le système de 300, 500 ou 1 000 personnes, il y aura de toute évidence des répercussions.

Je crois qu’un des documents que nous avons — Kat est plus au courant de cela, mais il s’agit d’un document qui a été obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information — contient une lettre qui a été envoyée au gouvernement de la Saskatchewan par les responsables de la Société canadienne du sang. Ils faisaient valoir qu’ils constataient déjà, dans leur base de donneurs volontaires, des variations chez les donneurs âgés de 17 à 24 ans, de la confusion et une mauvaise compréhension quant à la distinction entre les activités menées par l’entreprise Canadian Plasma Resources et celles menées par la Société canadienne du sang. Au Nouveau-Brunswick, on nous a relaté des situations où des personnes se sont présentées à un centre de la Société canadienne du sang, l’organisme public, et ont demandé : « Puis-je encore faire un don? Je suis venu la semaine dernière. » Rien dans les registres ne montrait qu’elles avaient fait un don, parce qu’elles étaient allées à un centre de la Canadian Plasma Resources. Vu que la distinction n’est pas claire, la différence n’est pas encore comprise.

Cette situation a aussi un effet, comme les responsables de la Société canadienne du sang le soulignaient dans leur tentative d’explication au gouvernement de la Saskatchewan. Cela entraîne des coûts additionnels pour l’organisme public vu qu’on doit faire des efforts de recrutement et des campagnes publicitaires pour demander aux gens d’agir en bons citoyens et de donner du sang, vu que c’est la jeune génération qui est ciblée.

La sénatrice Poirier : Savons-nous, madame la sénatrice, si le chiffre de 300 personnes par semaine qui vous a été donné représente des personnes qui faisaient des dons de façon volontaire auparavant et qui maintenant ne fréquentent plus le centre de l’organisme public? Ou bien s’agit-il de 300 personnes qui ont soudainement commencé à donner du sang parce qu’elles peuvent obtenir une rémunération? Y a-t-il un effet sur le système de dons volontaires? C’est ce que j’essaie de savoir.

La sénatrice Wallin : Je ne sais pas si nous pouvons affirmer cela d’entrée de jeu. Kat a plus de données à ce sujet.

Mme Lanteigne : Ce sont les responsables de la Société canadienne du sang qui sont en mesure de répondre à cette question. Ils surveillent la situation du mieux qu’ils le peuvent. Leur accès aux données est limité. Ils ont compté environ 20 personnes par semaine qui se présentaient et disaient qu’elles y étaient allées et avaient déjà donné du sang, donc c’est un nombre important. Il est difficile d’effectuer une surveillance en se fondant sur un seul centre. Ce qu’ils ont affirmé, et qui revient dans le document que nous avons obtenu ainsi que dans nos échanges avec eux, c’est que le même comportement se produit maintenant au Nouveau-Brunswick. Ils perdent des donneurs.

Il y a un livre qui figure actuellement sur la liste du New York Times qui porte sur le sang et le système d’approvisionnement en sang et dont l’auteure s’est rendue dans des centres de l’entreprise Canadian Plasma Resources. Ce livre contient un chapitre entier sur la situation au Canada. L’auteure a interrogé un grand nombre de donneurs dans un centre de Canadian Plasma Resources. Ils donnaient auparavant du sang à la SCS. C’est assez fréquent. S’il y a un centre de la Société canadienne du sang et que vous vous y rendez pour faire un don, mais que quelqu’un d’autre vous offre 50 ou 80 $, la prochaine fois que vous vous y rendrez, il sera plutôt facile de décider d’accepter l’argent, en particulier si vous êtes un étudiant. Par la suite, cette entreprise obtiendra 400 $ sur le marché international pour le sac de sang ainsi recueilli et en retirera un bénéfice.

La sénatrice Poirier : Merci. Je veux aborder un autre point pour quelques instants. Ensuite, s’il me reste du temps, je reviendrai sur ce sujet.

D’après ce que je comprends, certaines provinces ont interdit la rémunération des donneurs de sang, alors que dans d’autres provinces, c’est permis. C’est le cas au Nouveau-Brunswick. Si le projet de loi C-252 est adopté, quelle incidence cela aura-t-il sur les lois provinciales? Cette loi empiétera-t-elle sur les compétences provinciales?

La sénatrice Wallin : Il ne s’agit pas vraiment d’une question de compétence, si je ne m’abuse. Par exemple, Santé Canada délivre une licence à une entreprise pour ouvrir des installations. En Saskatchewan, il y a une particularité — je crois qu’il y a eu un malentendu en ce qui concerne...

Mme Lanteigne : Ils doivent obtenir en plus...

La sénatrice Wallin : Oui. Utilisez simplement le micro.

La sénatrice Poirier : La province ne doit-elle pas... Santé Canada donne l’autorisation aux provinces de...

La sénatrice Wallin : Mener des activités avec une licence, oui.

La sénatrice Poirier : Les provinces ne doivent-elles pas adopter des mesures législatives pour que ces activités puissent être menées sur leur territoire?

La sénatrice Wallin : Elles ne sont pas tenues de le faire. C’était l’inverse, ce qui explique pourquoi ces autres provinces ont décidé d’agir. Cette entreprise a pu ouvrir ses portes et s’installer dans des villes comme Toronto, et partout ailleurs. Le gouvernement provincial de l’époque devait réagir, parce que les licences étaient délivrées par Ottawa, afin d’être en mesure de refuser qu’une telle entreprise mène des activités dans la province. C’est la situation inverse.

La sénatrice Poirier : Très bien. Si le projet de loi était adopté, alors les provinces n’auraient pas à se prononcer. Est-ce exact?

La sénatrice Wallin : La licence ne serait pas délivrée parce que cela relève du fédéral.

La sénatrice Poirier : Les entreprises qui existent actuellement perdraient-elles leur licence?

La sénatrice Wallin : On n’en délivrerait pas de nouvelles. Je ne sais pas s’il y aurait une clause grand-père, je ne sais pas quelle approche serait adoptée. Quoi qu’il en soit, nous souhaiterions qu’elles ferment, de toute évidence. Même en ce moment, il faudrait un moratoire sur l’octroi... je crois qu’il y a environ 18 demandes de licence dans le système actuellement.

Le sénateur Manning : Je vous remercie, madame la sénatrice. En ce qui concerne Canadian Plasma Resources, existe-t-il d’autres entreprises au pays qui recueillent des dons de plasma, ou est-elle la seule? Combien de centres cette entreprise possède-t-elle? Dans quelles provinces sont-ils situés? Est-ce très répandu?

Mme Lanteigne : Canadian Plasma Resources a deux centres, un à Moncton et un à Saskatoon. Il y avait une entreprise qui recueillait des dons à Winnipeg et qui s’appelait auparavant Cangene. Le nouveau nom est Prometic.

La Commission Krever a créé une clause grand-père pour cette entreprise, à titre de rare exception. Cette entreprise recueille de l’immunoglobuline anti-D, qui est contenue dans un type sanguin très rare. Elle fabrique un médicament qui aide à prévenir la naissance de bébés mort-nés. C’est ce que le juge Krever a qualifié de circonstance rare.

La différence entre ces installations, qui, selon nos recommandations, devraient être visées par des dispositions d’antériorité pour qu’elles puissent continuer leurs activités, et une entreprise comme Canadian Plasma Resources, c’est que Canadian Plasma Resources est un concurrent de la Société canadienne du sang en matière de collecte de dons, et que les critères de circonstance rare ne s’appliquent pas à cette entreprise. Elle recueille des dons de plasma à grande échelle. Elle doit vraiment multiplier ses centres pour demeurer en affaires. Elle doit avoir des milliers de donneurs pour dégager une marge bénéficiaire et vendre le plasma recueilli dans le marché du sang.

Le sénateur Manning : Si j’ai bien compris, nous n’utilisons pas le plasma de l’entreprise Canadian Plasma Resources au Canada; ce produit est entièrement vendu à l’étranger.

La sénatrice Wallin : Oui.

Le sénateur Manning : La Société canadienne du sang fournit-elle tout le plasma dont nous avons besoin? Avons-nous suffisamment de plasma au Canada pour répondre aux besoins de nos patients? Si ce n’est pas le cas, d’où vient-il?

La sénatrice Wallin : Non, nous n’avons pas suffisamment de plasma au Canada. Nous avons mentionné un peu plus tôt à propos de la Société canadienne du sang que, si ma mémoire est juste, nous n’avons que sept centres pour recueillir les dons de plasma. Nous devons augmenter ce nombre. Nous importons la plupart des produits dont nous avons besoin, pour lesquels nous n’arrivons pas à suffire à la demande, des États-Unis.

Mme Lanteigne : Juste une précision : le Canada est autosuffisant en ce qui concerne le sang et le plasma utilisés pour les transfusions, c’est-à-dire du donneur au receveur. Ensuite, nous fournissons entre 17 et 20 p. 100 — nous étions à 30 p. 100 récemment — de l’approvisionnement nécessaire pour les produits dérivés du plasma, ce qui correspond aux médicaments dont la fabrication requiert un très grand volume de plasma obtenu par la mise en commun d’un grand nombre de dons.

Une des principales préoccupations des responsables de la Société canadienne du sang, et c’est aussi pourquoi ils sont d’avis qu’il s’agit d’une question urgente — nous sommes des intervenants officiels auprès de la Société canadienne du sang —, tient au fait que la demande d’immunoglobuline, soit les produits pharmaceutiques dérivés du plasma, a augmenté. S’il survenait une interruption de l’approvisionnement venant des États-Unis, s’il y avait une éclosion d’un virus non enveloppé — une éclosion de la maladie de la vache folle aux États-Unis par exemple —, nous pourrions ne plus avoir accès à des produits pharmaceutiques dérivés du plasma.

Le fait que les patients dépendent autant d’une source d’approvisionnement de l’étranger n’est pas un bon modèle. Les responsables en Europe ont aussi réalisé cela. On importe aussi ces médicaments dérivés du plasma dans des pays européens. Ce qui se passe dans le monde, et ce que fait la Société canadienne du sang et les autorités en Nouvelle-Zélande, en Australie et dans des pays européens, c’est qu’on augmente l’approvisionnement national au moyen d’un système fondé sur les dons volontaires afin d’assurer l’approvisionnement pour les patients. Voilà ce qui se passe.

D’après les discussions que nous avons eues avec des responsables des gouvernements provinciaux, la raison pour laquelle ils ont empêché cette entreprise de s’installer — vu que Santé Canada ne refusait pas de délivrer des licences... Comme cette entreprise avait découvert cette faille dans notre réglementation relative au sang, la seule façon pour eux d’y arriver était d’adopter une loi pour la bloquer. C’était la seule façon de protéger le bassin de donneurs à l’échelle provinciale.

Le sénateur Manning : Si nous n’avons pas un approvisionnement national suffisant en plasma — vous dites que les États-Unis nous approvisionnent —, pourquoi ne l’achetons-nous pas de Canadian Plasma Resources?

Mme Lanteigne : La Société canadienne du sang n’achète pas directement du plasma sanguin. Elle n’y est pas autorisée, parce qu’elle ne surveille pas directement les épreuves sanguines, donc elle ne mettrait pas en commun cet approvisionnement avec le plasma qu’elle recueille au Canada. Il n’y a pas de transfusion de donneur à receveur. Ce que la Société achète, c’est un médicament prêt à utiliser. Elle achète un médicament et un produit pharmaceutique. Le plasma qui sert à sa fabrication provient des États-Unis, où il est recueilli auprès de donneurs volontaires et de donneurs rémunérés.

Le sénateur Manning : Les dons recueillis par Canadian Plasma Resources... Cette entreprise vend ses produits à l’étranger, et ils ne sont pas contrôlés par la Société canadienne du sang; est-ce exact? Il n’y a personne au Canada qui les contrôle?

La sénatrice Wallin : Il s’agit d’un produit exporté.

Mme Lanteigne : L’entreprise recueille le plasma et le vend à Biotest AG, qui est située en Allemagne. Ensuite, Biotest AG mélange notre plasma avec d’autres dons. Nous ne savons pas d’où proviennent ces autres dons. Ensuite, cette entreprise offre ce médicament sur le marché.

Je tiens à être très claire : ce produit ne revient jamais pour qu’on puisse soigner un patient canadien. Cette entreprise n’aidera jamais un patient canadien. Les responsables de la Société canadienne du sang pourront vous le confirmer.

La présidente : Merci.

Le sénateur Oh : Merci, sénatrice Wallin, d’avoir travaillé de façon diligente sur ce projet de loi. Je souhaite poursuivre sur un point soulevé précédemment. Actuellement, il y a quatre provinces, où vit environ 87 p. 100 de notre population, qui ont adopté des mesures législatives; autrement dit, la plupart des gens ne seront pas rémunérés pour un don de plasma.

Savez-vous si d’autres provinces se joindront aux quatre qui ont déjà adopté des lois à cet égard? La dernière à le faire était la Colombie-Britannique au mois de mai cette année.

La sénatrice Wallin : Nous espérons que, à la suite de cette discussion, le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan adopteront des mesures en ce sens, parce que, dans ces provinces, Canadian Plasma Resources est déjà bien établie et qu’elle demande la permission d’agrandir son réseau. Nous espérons que cette discussion permettra d’attirer l’attention sur cette situation.

Le sénateur Oh : Je ne suis pas tout à fait certain d’un point. Le projet de loi S-252 aura-t-il préséance sur les lois provinciales quand il sera adopté?

La sénatrice Wallin : Il ne s’agit pas d’une loi provinciale. Les licences sont délivrées par Santé Canada. Ce ne sont pas les provinces qui les délivrent. Il n’y a pas d’ingérence dans les compétences provinciales parce qu’il s’agit seulement de l’endroit où ces entreprises s’installent; c’est leur lieu d’affaires, à moins qu’il ne leur soit interdit de le faire de façon explicite. Les responsables des provinces — les quatre que vous avez nommées — ont dit : « Il n’en est pas question. Nous ne vous permettrons pas de faire cela, même si vous avez obtenu une licence pour le faire auparavant. » Maintenant, le problème qui se pose dans des endroits comme la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick, c’est que des licences ont déjà été délivrées. Nous voulons que Santé Canada cesse de délivrer ce type de licence, et cesse d’en délivrer de nouvelles.

Ensuite, il serait utile que d’autres provinces suivent l’exemple de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de l’Ontario et du Québec, et affirment qu’il s’agit d’une pratique qui devrait être interdite au Canada.

Le sénateur Oh : Très bien. Voici ma prochaine question : maintenant que nous savons que les dons rémunérés sont entièrement réservés à l’exportation et qu’ils sont vendus aux plus offrants, qui sont les acheteurs dans ce marché? Le savons-nous?

La sénatrice Wallin : Kat vient justement d’aborder un peu ce sujet. Faites donc un résumé.

Mme Lanteigne : Il s’agit principalement de très grandes sociétés pharmaceutiques qui fabriquent les médicaments dérivés du plasma. Il pourrait s’agir de Grifols, CSL Behring et d’autres sociétés semblables qui fabriquent ce type de médicaments. Une entreprise comme Canadian Plasma Resources est un intermédiaire. Elle recueille des dons. Elle fait des bénéfices en vendant ses produits à Biotest AG, une société pharmaceutique située en Allemagne. Voilà comment elle fait des revenus.

Canadian Plasma Resources détient une licence de société pharmaceutique, ce qui, à nos yeux, crée de la confusion, parce que cette entreprise ne fait que recueillir des dons.

Le sénateur Oh : Savons-nous s’il existe un marché noir pour ce produit?

La sénatrice Wallin : Un marché noir?

Mme Lanteigne : Il y avait un important marché noir pour le plasma. Nous n’en connaissons pas tous les détails. Il existe même des problèmes dans le marché légal quant aux pratiques en matière de collecte de dons, parce que, bien souvent, les dons de plasma rémunérés sont visés.

Le sénateur Oh : Il existe un marché clandestin?

Mme Lanteigne : Je ne suis pas au courant de l’existence d’un marché noir. Je suis désolée, sur quoi porte votre question?

Le sénateur Oh : Le commerce au noir.

Mme Lanteigne : Très bien. Cela a déjà existé, et c’est ce qui a mené, en partie, à la crise du sang contaminé. Il s’agit d’une très bonne question. Dans notre pays, la crise du sang contaminé a été causée non pas par le VIH ou l’hépatite C ni par de mauvaises pratiques scientifiques, mais plutôt par d’importantes motivations à réaliser des bénéfices grâce aux dons de sang et par le mépris de la réglementation qui était en vigueur.

Nous avons vu des vidéos de ce qui se passe de nos jours en Russie où on peut apercevoir des camions qui parcourent le pays et arrêtent dans de petites villes pauvres, et on offre aux gens de faire des dons de sang contre rémunération.

Le gouvernement russe permet ce genre d’activité. Nous ne savons pas du tout où ce plasma est acheminé ni qui l’achète.

Le sénateur Wells : Merci, Pamela et madame Lanteigne.

Je veux poser une question à propos de l’interdiction que vous proposez. Cela empêcherait toute entreprise privée ou organisation de recueillir des dons de plasma ou de sang contre rémunération. En conséquence, cela aurait-il pour effet d’éliminer les exportations à partir du Canada?

La sénatrice Wallin : Santé Canada ne pourrait plus délivrer de licences.

Le sénateur Wells : D’accord.

La sénatrice Wallin : Est-ce juste?

Mme Lanteigne : Oui.

Le sénateur Wells : Donc, le résultat serait...

La sénatrice Wallin : Ce serait en effet le résultat.

Le sénateur Wells : Croyez-vous que cela favoriserait un marché noir?

La sénatrice Wallin : Non, parce que je crois que nous tentons de mettre en lumière une situation et que, quand la Société canadienne du sang commencera à parler de façon beaucoup plus active de la nécessité de créer... Je crois que cette discussion mettra en lumière ce secteur et que, en conséquence, il sera plus difficile de mener ce genre d’activité dans un pays comme le nôtre.

Le sénateur Wells : Merci. Je constate que la mesure législative proposée offre à la Société canadienne du sang ce que je qualifierais de valve de secours, c’est-à-dire une exemption pour acheter du sang ou du plasma. Bien entendu, sur le site Web de la société, il est mentionné que les donneurs ne sont pas rémunérés. Quelles sont les raisons pour lesquelles la société offrirait une rémunération?

La sénatrice Wallin : Une situation d’urgence nationale, une crise ou le constat que l’approvisionnement en sang dans un endroit en particulier pose problème et que la Société a besoin de façon urgente de fournir du sang.

Le sénateur Wells : Très bien. J’ai compris. Cela rejoint un de vos commentaires précédents concernant le fait d’essayer de ranimer l’esprit de volontariat chez les Canadiens, ou du moins de l’accroître. Je crois que nous ne l’avons pas perdu.

Croyez-vous que, en cas d’urgence nationale ou locale, les Canadiens se rallieraient à la cause? C’est un peu ce que nous faisons de toute façon.

La sénatrice Wallin : Je le crois. Je pense que c’est ce que nous faisons. Je crois qu’il ne s’agit que d’une solution de dernier recours. Selon moi, cela touche aussi le besoin d’approvisionnement en type de sang spécifique. Vous savez, il existe une exemption concernant les pratiques en matière de collecte de dons de sang qui ont cours actuellement au Manitoba. Il faut que cela existe au cas où une situation complètement imprévue surviendrait.

Le sénateur Wells : D’après vous, si le versement d’une compensation financière est interdit, les personnes qui donnent actuellement du sang contre rémunération deviendraient-elles tout simplement des donneurs volontaires?

La sénatrice Wallin : Je crois que cela fait aussi partie de la discussion. D’après moi, quand les gens voient que ces gestes sont posés dans une situation — je suis très au courant de ce qui s’est passé à Humboldt, par exemple — et qu’ils constatent qu’ils peuvent contribuer et que leur propre geste change des choses, ils le font. Même s’ils ne savent pas où aller, ils appellent à l’hôpital et demandent ce qu’ils peuvent faire.

C’est ce que nous essayons de susciter. Si les membres de la jeune génération lisent des affiches placées au-dessus des urinoirs à l’université un vendredi et qu’on leur offre 50 $ qu’ils pourront dépenser pendant la fin de semaine... si nous pouvons échanger avec eux à propos du geste de donner et des droits, des rôles et des responsabilités d’un citoyen, je crois que ce serait un bon point de départ pour aborder ce sujet avec eux.

J’ai cette discussion avec mes trois jeunes nièces et neveux qui sont âgés de 17, 19 et 22 ans respectivement, parce que leur première réaction était de dire : « Pourquoi pas, si nous pouvons obtenir de l’argent en retour? » Voilà pourquoi il faut parler de ce sujet avec eux.

Le sénateur Wells : Je suis sensible à cette cause. Je donne du sang tous les 56 jours et, quand on fait appel à des donneurs de sang, les gens répondent et je participe aussi.

J’éprouve quelques difficultés à interdire à d’autres d’acheter et de vendre un produit aux fins d’exportation, s’il s’agit d’un produit destiné à l’exportation et qu’il n’est pas accessible au Canada ni destiné à être utilisé par des Canadiens. De façon générale, cela n’a pas d’incidence sur la quantité de dons volontaires.

La sénatrice Wallin : C’est ce dont nous ne sommes pas certains. Les responsables de la Société canadienne du sang mentionnent déjà que cela a une incidence. Ils ont constaté une diminution des dons par les personnes âgées de 17 à 24 ou 26 ans. Il s’agit d’une tranche très précise de la population. Les responsables ont remarqué une chute du nombre de dons. Avons-nous des données statistiques complètes...

Le sénateur Wells : Avons-nous des données corrélatives?

La sénatrice Wallin : Je ne crois pas que ce soit disponible, mais je crois qu’il y a des démarches en ce sens qui sont en cours. Je crois qu’on sera en mesure de tirer des conclusions. Avez-vous autre chose à ajouter?

[Français]

La sénatrice Mégie : Je vous remercie, sénatrice Wallin, de votre intervention et de l’idée d’apporter un tel projet de loi. On ne peut pas être contre la vertu. Cependant, j’ai un petit problème éthique lorsqu’on dit qu’on ne peut pas être contre le don altruiste de sang. C’est une valeur qu’on devrait conserver. D’un autre côté, l’augmentation des besoins en immunoglobulines est de plus en plus importante et on n’arrive pas à répondre à la demande.

En parlant à une collègue hématologue, j’ai appris qu’au Québec, où l’interdiction est faite, une clinique est en train d’être mise sur pied, non pas pour accepter des dons rémunérés, mais pour la transformation du plasma et de ce qui est reconnu pour fabriquer les immunoglobulines. Quand je lui ai indiqué que j’étais heureuse de cette nouvelle, elle a dit qu’on ne pourra répondre qu’à 10 ou 15 p. 100 des besoins.

Puisque cette clinique sera mise sur pied, en supposant que le projet de loi S-252 soit adopté, y a-t-il un plan qui est déjà prévu pour l’avenir? On va mobiliser les Canadiens. Y a-t-il un plan pour permettre l’augmentation du nombre de donneurs dans le but d’augmenter la production d’immunoglobulines? En admettant que l’on reste au Québec, on pourrait par la suite le transférer aux provinces qui l’interdisent. Supposons qu’on crée une clinique de fabrication d’immunoglobulines quelque part, comment va-t-on mobiliser les citoyens? Avez-vous un plan? Avez-vous envisagé cette possibilité?

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Je crois que c’est ce dont Kat a parlé à propos de la Société canadienne du sang. Comme pays, nous devons absolument discuter de l’établissement d’une stratégie de collecte de sang. Je crois que, pendant de nombreuses années, c’était quelque chose dont quelqu’un d’autre s’occupait. Vous n’étiez pas au courant à moins d’en avoir besoin. Je crois que c’est le moment, compte tenu de la situation actuelle, de tenir cette discussion, de faire preuve d’une grande transparence à propos de ce qui doit être fait et des mesures qui doivent être prises, parce que nous avons un retard considérable sur le plan de la collecte des dons de plasma.

Je vais demander à Kat de répondre aussi à cette question.

Mme Lanteigne : Le Québec est toujours un bon exemple. Il a lancé son programme Plasmavie en 2013 par l’entremise d’Héma-Québec. Il a connu beaucoup de succès dans l’une de ses installations. Déjà, le taux de retour des donneurs s’élève à 50 p. 100, ce qui est très élevé. Il faut de 60 à 75 minutes pour faire un don de plasma, et vous pouvez le faire plus souvent, parce que tout votre sang est réinjecté dans votre système.

La Société canadienne du sang a présenté une importante stratégie pancanadienne sur le plasma. Cette stratégie sera mise en œuvre l’année prochaine. Elle est essentielle pour assurer la sécurité de l’approvisionnement pour le Canada et les patients canadiens. Toute mesure prise à l’égard de ces cliniques privées de plasma offrant une rémunération compromet leur réussite. C’est en train d’arriver. Cela se déroule actuellement.

La gestion de l’offre relève de la Société canadienne du sang et des donneurs canadiens. Il s’agit vraiment de protéger la sécurité de l’approvisionnement. La seule façon pour nous de prévoir un règlement ou une loi pour que les fonctionnaires de Santé Canada ne délivrent pas ces permis qui bouleversent notre système, c’est de créer une loi fédérale qui élimine essentiellement le but lucratif de l’approvisionnement en sang.

De pair, ces deux choses sont la réponse à votre solution.

La présidente : Je sais qu’Héma-Québec a un plan stratégique. Il sera intéressant d’entendre ses représentants.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie, sénatrice Wallin, pour le dévouement avec lequel vous avez porté ce projet de loi à notre attention. J’essaie encore de démêler tout cela.

J’ai sous les yeux une lettre, et je suis certaine que tout le monde en a une copie — du Réseau d’associations vouées aux troubles sanguins rares. Je vais lire ce que j’estime être une déclaration provocatrice. Ce n’est pas que je souscris à la déclaration, mais j’aimerais voir comment vous y réagissez. Elle est rédigée ainsi :

Le plasma est utilisé par les sociétés pharmaceutiques à but lucratif pour créer des médicaments dérivés du plasma, comme les immunoglobulines, qu’elles vendent à leur tour.

La fabrication et la vente de produits plasmatiques sont presque entièrement des activités privées à but lucratif, le plasma étant le principal ingrédient brut. Dans ce scénario, on pourrait soutenir qu’il est contraire à l’éthique de ne pas donner de compensation pour le plasma.

La sénatrice Wallin : Je ne sais pas quoi répondre à cela. Je ne sais pas comment cet argument a pu être avancé.

Mme Lanteigne : Je tiens à vous faire savoir que notre organisme a été cofondé par des survivants du sang contaminé et un groupe d’avocats de la Commission Krever. C’est quelque chose qui est un mème — je pense que c’est le terme — qui tient lieu d’argument particulier.

La raison pour laquelle le juge Krever a recommandé ces principes, c’était pour que le plasma destiné au fractionnement, le contrôle de l’approvisionnement en sang au Canada, les méthodes de retraçage des donneurs au pays et les analyses auxquelles nous procédons par l’entremise de notre système d’approvisionnement en sang au Canada soient nationalisés et demeurent sous le contrôle du public, de sorte qu’il y ait une surveillance directe.

Les recommandations du juge Krever visaient essentiellement à ce que le fractionnement des médicaments se fasse de façon distincte et à ce que la Société canadienne du sang, le nouvel exploitant du système d’approvisionnement en sang, ne fasse pas de profit sur le sang canadien, pas plus que le gouvernement canadien. Le rôle de Santé Canada en tant qu’organisme de réglementation est devenu évident, et la Société canadienne du sang était la régie nationale du sang.

Pour ce qui est du fractionnement en particulier, la Société canadienne du sang était censée avoir un choix de centres de fractionnement dans le monde de la biotechnologie, n’importe où dans le monde. Si un nouveau centre de fractionnement ouvert en Norvège produisait un nouveau médicament qui était meilleur pour un patient, la Société canadienne du sang pourrait conclure un contrat de fractionnement de notre plasma là-bas et faire en sorte que ce fournisseur élabore un médicament différent.

Les rôles sont clairs et la chaîne est spécifique. Il y avait un modèle que nous étions censés suivre.

Aux Pays-Bas, il y a un modèle différent qui connaît un succès. Dans ce pays, les acteurs sont presque entièrement autosuffisants. Ils font tout le processus par l’entremise d’un modèle à but non lucratif, y compris l’installation de fractionnement. Il y a différents modèles qui connaissent un succès et qui n’utilisent pas le modèle que vous avez suggéré.

La sénatrice Omidvar : Je suis heureuse de votre réponse.

Je suis d’accord avec tous les sénateurs à la table. Je crois en l’altruisme et je crois que les Canadiens doivent contribuer à rendre, dans ce contexte, notre pays plus sain et plus sûr. Personne ne peut contester cela.

Toutefois, j’ai des difficultés avec ce qui suit. Vous parlez de gestion du changement et de changer le cœur et l’esprit des Canadiens pour qu’ils donnent plus de sang et, dans ce cas-ci, plus de plasma. En même temps, nous constatons une pénurie de 85 p. 100. J’en sais suffisamment pour la gestion du changement pour être consciente que c’est toujours une tâche difficile.

Si le projet de loi entre en vigueur, les pénuries augmenteront. Avez-vous pensé à un changement de stratégie?

La sénatrice Wallin : Le plasma recueilli par Canadian Plasma Resources n’a aucune incidence sur les besoins et les approvisionnements en plasma ou sur les sources de plasma au Canada. C’est un produit qui est envoyé hors du Canada et qui est exporté. Il ne fait aucune halte et il ne revient pas. Cela n’entraîne pas de pénuries plus importantes ou plus graves. Ce dont nous avons besoin — comme Kat et la SCS nous l’expliquerons lorsqu’ils viendront ici —, c’est une stratégie pour retourner là-bas et s’y établir en vue de recueillir plus de plasma dans ce pays. Comme elles l’ont dit, il n’y a que sept centres.

Nous avons un grand pays; il peut y en avoir plus. Il n’y a nulle part dans cette équation où le résultat doit être influencé par la rémunération. Cela se passe en ce moment. Cela a toujours été ainsi. Je pense que nous avons eu certains problèmes après les cas de sang contaminé et avec la Commission Krever, où il y avait des problèmes d’identité ou, comme je l’ai dit dans mes commentaires, de notoriété de marque. Je pense qu’une fois qu’on en aura parlé, nous serons sur la bonne voie.

Empêcher la délivrance de permis aux entreprises qui exportent et ne répondent à aucun besoin canadien n’aura pas d’incidence sur nos enjeux au pays, pas même de manière indirecte.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie, sénatrice Wallin et Mme Kat Lanteigne.

Ma présence ici est un peu fortuite, étant donné que je ne fais pas partie du comité. Cependant, je vis à Moncton. Samedi, je suis allée prendre un café avec mon mari au Starbucks et il y avait l’enseigne de Canadian Plasma Resources. J’ai pensé : « Ah! C’est là qu’elle est. On ne la voit pas bien. Les responsables doivent trouver d’autres moyens de faire de la publicité. »

Lorsque la société a vu le jour, des gens de chez moi protestaient à son sujet, mais nous n’avons pas entendu grand-chose dernièrement. Je pensais à l’endroit où elle était placée. Pour en revenir à ce que vous dites, ce n’est pas loin de l’université. C’est vraiment très loin du centre de la Croix-Rouge.

Savez-vous comment la société fait de la publicité à Moncton? Y a-t-il d’autres endroits au Nouveau-Brunswick qui attendent des permis? L’autre question est la suivante : quels sont les avantages pour Santé Canada?

La sénatrice Wallin : Pour mettre un terme à cela?

La sénatrice Hartling : Non, pour le faire.

La sénatrice Wallin : Parlez-vous de l’organisme de collecte privé que vous avez vu ou de l’organisme de collecte public?

La sénatrice Hartling : Non, le privé. C’est l’organisme de collecte privé.

La sénatrice Wallin : Vous voulez dire pourquoi Santé Canada fait-il cela?

La sénatrice Hartling : Oui. Il y a trois choses. Comment les cliniques privées font-elles de la publicité dans notre collectivité, parce que ce n’est pas évident pour moi? J’habite là, et ce n’est pas grand. Je ne savais pas où se trouvait la clinique. Comment ces cliniques font-elles pour attirer les gens?

Ensuite, y a-t-il d’autres endroits au Nouveau-Brunswick qui attendent des permis? Quel est l’intérêt pour Santé Canada de délivrer des permis?

La sénatrice Wallin : C’est la question à 64 millions de dollars. Nous ne savons pas pourquoi Santé Canada a fait cela, malgré tout ce que nous savons au Canada et la réaction de nos plus grandes provinces qui ont dit que ce n’est pas quelque chose que l’on veut voir dans notre pays. Nous ne savons pas pourquoi.

La sénatrice Hartling : Et pourquoi Moncton?

La sénatrice Wallin : Je pense que la société s’est implantée dans des marchés plus petits, après avoir été exclue des grandes villes. Elle va dans des endroits où l’emploi est toujours un problème et elle fait valoir ce point de vue.

Mme Lanteigne : Saint John est leur deuxième emplacement.

La sénatrice Hartling : Saint John, au Nouveau-Brunswick?

Mme Lanteigne : C’est exact. C’est là qu’elle se trouve.

Les demandes d’accès à l’information publiées dans l’article paru du Maclean intitulé « A bloody mess », écrit par Anne Kingston décrivent en détail l’histoire derrière le plasma rémunéré. Lorsqu’on examine ces documents et les communications avec les fonctionnaires de Santé Canada — parce que cela se passait avant et pendant la lutte en Ontario pour leur fermeture —, on constate que les permis ont été délivrés suivant la simple affirmation spécieuse que la prolifération des ressources canadiennes en plasma allait nous mener à l’autosuffisance; cela, essentiellement en accueillant le modèle rémunéré, comme aux États-Unis, allait créer un environnement dans lequel la Société canadienne du sang pourrait alors acheter de Canadian Plasma Resources. Elle procéderait au fractionnement, et ainsi de suite, et nous n’importerions plus autant de produits plasmatiques américains. Et ce n’était pas vrai. Dans les documents que nous avons examinés provenant de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick par l’entremise de demandes d’accès à l’information dans le cadre de leurs engagements avec les ministres de la Santé de ces provinces, c’était aussi ce qui était dit.

Ce qui est fascinant et incroyable pour notre organisme et les gens que nous représentons, c’est que tout cela compromet nos pratiques exemplaires en place depuis 20 ans. Nous n’avons pas besoin qu’un autre virus transmis par le sang soit introduit dans le système d’approvisionnement en sang pour savoir ce qu’il ne faut pas faire dans notre pays et comment recueillir le sang et le plasma.

La société dispose d’un deuxième emplacement. L’une des raisons pour lesquelles nous estimons qu’il est si urgent que les sénateurs se penchent sur ce projet de loi, c’est que, si nous ne pouvons pas empêcher cette société et Santé Canada de délivrer ces permis, nous commencerons à recueillir du plasma dans les provinces de l’Est, où même le climat fait en sorte qu’il est difficile pour les donneurs de se rendre dans nos cliniques. Un donneur qui n’est pas dans le système, s’il est un donneur admissible, reste un donneur de sang, et nous perdons le sang et le plasma de ce donneur.

La sénatrice Hartling : J’essaie de trouver où elle fait de la publicité.

La sénatrice Wallin : Facebook.

Mme Lanteigne : Elle a une campagne très dynamique sur Facebook.

La sénatrice Hartling : Je viens juste de la voir. C’était par accident. Ce n’est pas évident à voir.

Mme Lanteigne : La société mène une campagne Facebook dynamique. On retrouve des affiches au-dessus des urinoirs dans les universités, ce qui, je peux vous l’assurer, est extrêmement offensant pour les survivants du sang contaminé que nous représentons au Canada. Après 8 000 personnes, des milliards de dollars d’indemnisation, un tout nouveau système d’approvisionnement en sang à l’échelle nationale et fédérale et un nouveau système d’approvisionnement en sang, c’est là que nous en sommes arrivés.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup. Je serai à l’affût de ces affiches. Je ne pense pas que je vais aller voir les urinoirs, mais je vais regarder cela.

La présidente : Nous avons le temps pour une deuxième série de questions.

Mais avant, j’ai une question. Nous avons reçu beaucoup de lettres. J’aimerais savoir ce que vous pensez de certaines organisations qui disent que, quand on y pense, le fait est que, si les choses s’améliorent, cela prendra des années avant que l’on soit autosuffisant. Le projet de loi dirait que nous ne rémunérons pas les Canadiens pour le sang, mais que nous rémunérons d’autres personnes pour le sang aux États-Unis.

Certains ont dit qu’il y a là un problème d’éthique. C’est une philosophie du genre « nous ne faisons pas cela ici » ou « pas dans ma cour ».

Que pensez-vous de cette idée?

La sénatrice Wallin : Je demanderai à Mme Lanteigne de répondre également. Nous voulons garder la possibilité d’aller à différents endroits afin d’acheter le produit. Nous n’achetons pas le produit brut et ne payons pas les gens pour nous le donner. Ce que nous achetons au bout du compte, ce sont des médicaments fabriqués à partir de ce produit. Ce n’est pas vraiment une question de « ma cour » ou « pas dans ma cour ».

Nous devons également nous efforcer de répondre à notre propre demande au Canada. Il n’y a qu’une façon d’aider. Ça ne nous permettra pas d’atteindre 100 p. 100, mais c’est possible. C’est ce qui se passe dans de petits pays. Nous devons commencer à le faire pour toutes sortes de raisons. Nous parlons de sécurité de l’approvisionnement lorsque cela concerne l’énergie, l’eau et l’alimentation ainsi que tous nos besoins fondamentaux en tant que société. C’est certainement l’un d’entre eux.

La présidente : Je comprends, mais même si nous achetons le médicament et le traitement, quelqu’un, quelque part, sera rémunéré pour donner ce sang.

La sénatrice Wallin : Répondez si vous le pouvez, madame Lanteigne.

Mme Lanteigne : C’est une très bonne question. L’une des meilleures réponses que je peux donner à cette question a été donnée lorsque j’ai témoigné avec d’autres à Queen’s Park pour appuyer la mesure législative qui a été adoptée. Victoria Kinenberg siégeait autrefois à notre conseil d’administration et elle était mère de deux hémophiles, l’un qui prenait un produit synthétique et l’autre qui prenait encore un produit provenant directement du plasma. De toute évidence, les produits synthétiques n’utilisent pas de vrai plasma.

Cette question lui a été posée. Elle a répondu clairement comme suit : « Si on avait le choix, et si j’avais le choix pour mon fils, je ferais autrement. »

En ce qui concerne le groupe de personnes que nous représentons, la raison pour laquelle c’est si difficile, c’est parce que le choix ne revient pas au patient. Le patient n’a pas le choix. Il a besoin du médicament. Il n’a aucun contrôle sur la façon dont on se l’approvisionne actuellement.

Nous avons vivement critiqué la Société canadienne du sang pour ne pas avoir mis en œuvre une stratégie sur le plasma en 2009, ce qu’elle aurait dû faire. Si elle l’avait fait, nous aurions dépassé les 50 p. 100 d’autosuffisance, parce qu’il est tout à fait juste et adéquat de dire qu’il nous faudra des années pour y arriver. Il faut y arriver. Nous pouvons le faire. Nous ne pouvons pas le faire si nous sommes en conflit et nous ne pouvons pas le faire avec cette question qui nous tourne autour constamment parce qu’elle embrouille les donneurs et qu’elle ne garantit pas la sécurité de notre approvisionnement pour les patients canadiens. C’est la seule façon de répondre.

J’ai trouvé que c’était profond. Les patients ressentent de l’impuissance et de la peur. Nous faisons affaire avec des sociétés pharmaceutiques. Je fais nos déclarations lors de conférences dans le monde entier. Le président de la Société de l’hémophilie de la Colombie-Britannique s’oppose farouchement à cette prolifération du plasma rémunéré au Canada. Il partage également notre point de vue selon lequel nous aimerions faire les choses différemment et nous assurer la sécurité de l’approvisionnement pour les patients canadiens. C’est ce que nous essayons de faire.

La présidente : Je vous remercie. Je comprends.

La sénatrice Seidman : Mon cœur compatit à tout ce que vous dites. Je comprends vraiment bien le concept d’altruisme et le fait d’amener les Canadiens à faire ce qui est juste pour les autres Canadiens. Je suis d’accord avec vous pour dire que, lorsqu’il y a une urgence nationale, une crise ou une tragédie quelque part au pays, les Canadiens sont capables de se mobiliser.

Toutefois, ce qui me préoccupe, ce sont les besoins continus sans qu’il y ait de crises et d’urgences, simplement les besoins quotidiens toujours croissants des Canadiens ordinaires pour ces produits et la façon dont nous allons y répondre.

C’est intéressant, parmi toutes les lettres que nous avons reçues, et nous en avons reçu beaucoup; je suis certaine que c’est votre cas également, sénatrice Wallin. Par exemple, le Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares et l’Organisation canadienne des personnes immunodéficientes ont envoyé des lettres dans lesquelles ils exprimaient vivement leur désaccord avec cette mesure législative. Je trouve cela frappant, parce que ce sont des organisations qui représentent des patients qui ont quotidiennement besoin de ce type de plasma.

Ma question porte sur la consultation. Quel genre de consultation avez-vous faite lorsque vous avez essayé d’élaborer le projet de loi? Qui avez-vous consulté? Des préoccupations ont-elles été soulevées au cours de ces consultations?

La sénatrice Wallin : En premier lieu, il ne s’agirait pas de consultations officielles; je ne dispose pas de ce genre de ressources. J’ai tendu la main à tout le monde et à tous ceux à qui je pouvais penser. L’organisme de Kat était très bon. Il y a eu deux événements distincts ici, à Ottawa, où des intervenants de l’industrie des soins de santé, si je peux utiliser ce terme au sens le plus large, sont venus participer.

Moi aussi, j’ai reçu ces lettres, et Mme Lanteigne en parlera parce qu’elle a des discussions continues avec les gens à ce sujet. Nous avons essayé d’expliquer qu’il ne s’agit pas de quelque chose qui a une incidence sur leur approvisionnement, leur accès, leur utilisation ou leurs besoins parce qu’il s’agit de quelque chose qui est exporté.

Il y a parfois un peu de confusion à ce sujet. Je pense qu’il y a d’autres questions en jeu.

La sénatrice Seidman : Si vous pouviez préciser ceci : vous dites que nous continuerons d’importer le plasma nécessaire...

La sénatrice Wallin : En fait, les produits.

La sénatrice Seidman : Le produit qui est requis.

La sénatrice Wallin : La science aussi... nous avons également des produits synthétiques.

La sénatrice Seidman : Très bien. Je vous remercie.

Mme Lanteigne : Sénateur Wells, vous avez soulevé une bonne question à laquelle j’ai cru avoir répondu, mais je ne pense pas avoir très bien réussi. C’est la raison de l’exemption accordée à la Société canadienne du sang, si j’ai bien compris, parce que cela figurait également dans chaque projet de loi provincial.

La Société canadienne du sang ne faisait rien d’illégal en achetant des médicaments dérivés du plasma. Elle a conclu des contrats à long terme pour l’achat de ces médicaments. Il y avait deux raisons. C’était pour qu’il n’y ait pas d’obstacle à la circulation pour les patients pendant qu’on faisait la transition vers une norme beaucoup plus élevée d’autosuffisance. La Société canadienne du sang sera beaucoup mieux à même de l’expliquer.

Essentiellement, une autosuffisance de 50 p. 100 suffit. Cela signifie que les patients dont parlait le sénateur Ravalia recevraient leurs médicaments, c’est-à-dire que les patients au Canada qui ont besoin de produits dérivés du plasma les recevraient et que ceux-ci seraient sûrs. Bon nombre des produits à base d’Ig sont de nos jours utilisés à des fins prévues sur l’étiquette.

J’aimerais vous faire part d’un rapport récent de CATH, qui fait état du fait que, pour un grand nombre de produits à base d’Ig prescrits au Canada, il existe des médicaments de remplacement, mais ils ne sont pas utilisés conformément à l’étiquette. La Société canadienne du sang se penche sur cette question afin de gérer la quantité de sang que nous utilisons et d’établir la raison pour laquelle nous en utilisons autant. Elle s’occupe de ces deux questions. Elle gérera l’utilisation du sang et en recueillera davantage pour créer un équilibre.

J’espère que cela répond à la question.

La sénatrice Seidman : Lors des consultations, avez-vous exprimé ces préoccupations ont-elles été soulevées lorsque vous vous êtes adressée aux organisations? Ont-elles exprimé leurs préoccupations? De toute évidence, elles n’ont pas été rassurées, puisqu’elles nous ont écrit ces lettres.

La sénatrice Wallin : J’ai reçu les mêmes lettres, et nous avons engagé la communication, réagi et essayé de donner les réponses que nous avions. C’était loin dans nos pensées. Merci de nous l’avoir rappelé.

Il semble y avoir une crainte et une préoccupation de la part de ceux qui sont fortement dépendants. Je comprends que les gens veulent toutes les options possibles. Je ne sais pas si nous pouvons apaiser ces inquiétudes autrement qu’en leur disant que nous réussirons en travaillant en ce sens.

[Français]

La sénatrice Mégie : Supposons que le projet de loi S-252 est adopté. A-t-on déjà procédé à une étude de faisabilité pour savoir combien il peut en coûter de créer une clinique de transformation pour produire l’immunoglobuline?

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Nous n’avons pas procédé à cette étude et nous ne le ferons pas. C’est le travail de la Société canadienne du sang ou de ceux qui sont chargés de créer le produit dont vous avez besoin. Ce que j’essaie de faire ici, c’est de dire que nous devons mettre fin à la privatisation de la collecte de sang aux fins d’exportation, parce qu’il sera difficile de créer une situation où nous pourrons répondre au besoin si nous permettons que cela se poursuive simultanément, minant ainsi le bassin de donneurs volontaires et la question de l’approvisionnement en raison de cette pratique. Nous tentons de créer un milieu dans lequel la Société canadienne du sang, les sociétés pharmaceutiques et les autres intervenants du monde médical peuvent fonctionner sur un pied d’égalité.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je sais que ce n’est pas vous ni votre groupe. Je pensais à la Société canadienne du sang ou à d’autres organismes qui auraient pu faire cette étude de faisabilité. Ça n’a pas été fait du tout?

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Pour examiner quoi exactement?

[Français]

La sénatrice Mégie : Quels sont les coûts lorsqu’on achète de l’extérieur par rapport aux coûts liés à la fabrication sur place?

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Madame Lanteigne, avez-vous une réponse? Je n’ai rien lu du tout à ce sujet.

Mme Lanteigne : Je crois que c’est à Green Cross que vous faites allusion. Cette entreprise, qui ouvre ses portes au Québec, est un centre de fractionnement. Il est distinct de ce projet de loi, il s’agit de fractionnement du produit.

La Société canadienne du sang dispose d’un plan chiffré en détail de sa stratégie sur le plasma. Le gouvernement fédéral ne finance pas le système d’approvisionnement en sang de quelque façon que ce soit. Le système d’approvisionnement en sang du Canada est financé par les provinces et les territoires.

[Français]

La sénatrice Mégie : D’accord, merci.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie une fois de plus. Nous vous mettons vraiment dans l’embarras. Je suis heureuse que vous soyez toutes les deux disposées à répondre à nos questions.

J’essaie encore de démêler tout cela. Une façon de voir les choses, à mon avis, c’est que, à l’heure actuelle, la vente de plasma au Canada est une affaire commerciale. Ce projet de loi tente d’en faire une affaire de santé. Je crois comprendre que le Canada est l’un des plus grands utilisateurs de plasma au monde.

Si votre projet de loi est adopté, la vente de plasma serait interdite, la Société canadienne du sang n’en ferait pas la collecte. Imaginez que nous avons tout le plasma du monde. Nous sommes arrivés là. Le cœur et l’esprit des gens ont changé, et nous donnons autant que nous le pouvons. Avons-nous la capacité au Canada de concevoir et de fabriquer les produits de fractionnement? Ne pensez-vous pas?

Mme Lanteigne : Non.

La sénatrice Omidvar : Qu’arriverait-il alors?

Mme Lanteigne : Le processus de fractionnement est un processus distinct. À l’heure actuelle, la Société canadienne du sang conclut des contrats avec un petit nombre de centres de fractionnement différents qui fabriquent divers produits à base d’Ig. Ce processus de fractionnement est distinct de la gestion de l’approvisionnement national en sang et de la collecte à titre volontaire. C’est une tout autre question.

La sénatrice Omidvar : Nous avons besoin des produits. Comment les obtenir?

Mme Lanteigne : En effet, nous avons besoin des produits. Vous n’auriez qu’à conclure davantage de contrats avec des centres de fractionnement.

La sénatrice Omidvar : Au bout du compte, nous trouverions quelqu’un d’autre pour élaborer les produits et nous paierions pour ceux-ci?

Mme Lanteigne : Vous concluez des contrats, oui. La façon dont fonctionne la Société canadienne du sang en ce moment, c’est que la plupart des produits dérivés du plasma proviennent de dons de sang non traité. Elle le prend, le sépare et utilise le plasma afin de produire ces produits dérivés du plasma. Nous avons seulement sept cliniques d’ouvertes qui peuvent faire la collecte de plasma. Ces cliniques prennent notre plasma canadien et le fractionnent par lots. Elles font des commandes. Elles veulent le médicament et elles enverront ce plasma. Ce dernier est envoyé à l’installation de biotechnologie, qui est nettoyée. Il est produit et porte une mention selon laquelle il est destiné à la Société canadienne du sang seulement. Le produit revient à la Société canadienne du sang, qui le distribue dans les hôpitaux. Dans le cadre de son plan, la société tente de renforcer le processus afin que nous soyons en mesure d’obtenir le moins de sang possible en provenance des États-Unis, comme la sénatrice Petitclerc l’a souligné.

Cela ne fait qu’élargir le processus.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Le sénateur Ravalia : Merci. Vous avez été une témoin très convaincante. Je suis impressionné par vos connaissances et votre compassion.

Je me permets de vous adresser cette question, madame Lanteigne. Supposons que nous envisagions une stratégie canadienne sur le plasma qui prévoyait un paiement, mais qui ne faisait pas intervenir d’entreprises privées — car j’ai eu un certain nombre de patients qui prenaient part à des études sur de nouveaux agents pharmaceutiques. Ils sont rémunérés, et ils obtiennent bon nombre d’avantages. Parfois, ils obtiennent le traitement sans frais pour le reste de leur vie s’il s’avère efficace.

J’estime que, si nous ne dépendons que de l’altruisme, nous allons toujours être en retard, dans une certaine mesure. Si nous mettions en place un système dans le cadre duquel nous rémunérerions les gens qui donnent du plasma, mais qu’il s’agissait d’une solution canadienne, indépendante des entreprises privées, serait-ce quelque chose d’horrible pour votre groupe?

Mme Lanteigne : J’estime que ma réponse comporte deux volets. L’argument a été établi — et je fais affaire avec des établissements pharmaceutiques et des lobbyistes qui tentent de faire avancer ce dossier — en fonction de l’hypothèse que le problème tient au fait que les Canadiens ne font pas de dons de plasma. C’est essentiellement inexact sur le plan des faits. On ne le leur a jamais demandé.

Je m’adresse à des milliers de personnes dans des salles de conférence de l’ensemble du pays quant à cette question. Je suis submergée par des gens qui sont plus fâchés de ne pas pouvoir faire de dons que le fait de pouvoir en faire. Les gens se demandent pourquoi les hommes homosexuels ne peuvent pas faire de dons. Levez l’interdiction. Je ne peux pas faire de dons parce que je suis allée au Royaume-Uni à cette époque. J’ai eu un cancer, et ils ne me laissent pas le faire.

Les Canadiens sont vraiment en colère. Nous estimons que nous devrions aller de l’avant puisque, actuellement, un demi-million de Canadiens font des dons, soit seulement 4 p. 100 de la population, ce qui nous garde autosuffisants au chapitre du sang non traité et du plasma pour la transfusion. Nous avons une occasion fabuleuse. Il a été démontré, dans d’autres pays — qui ont, j’imagine, des valeurs et des systèmes similaires — que, lorsque le processus est mis en place, il fonctionne.

En revanche, on a découvert en Europe — puisqu’il y a eu un changement d’orientation de mission de ces cliniques de collecte de plasma à but lucratif, lesquelles n’existent que dans quelques pays en Europe — que, lorsque la rémunération a été introduite, il était très difficile d’amener les gens à faire des dons de façon volontaire; ainsi, le système change.

Ce qui se produit actuellement, sénatrice Omidvar, c’est que les entreprises privées de collecte de plasma tentent de faire basculer les cœurs et l’opinion des Canadiens en ce qui concerne les dons. Elles disent : « Regardez, nous allons vous donner de l’argent. Vraiment, vous n’avez pas besoin de faire cela. Votre temps est précieux. » Mais nous le faisons en réalité. Si nous avons la possibilité d’en faire plus, par l’entremise de la Société canadienne du sang, et que nous protégeons cette valeur et ce système, nous avons une excellente occasion.

Nous ne pouvons peut-être pas y arriver en 10 ans, et nous avons besoin d’une solution canadienne, par l’entremise de la Société canadienne du sang, qui ne soit pas de valeur monétaire, qui n’offre pas d’incitatif financier, qui ne transforme pas le sang et le tissu humain en activité commerciale, ce vers quoi bon nombre de pays se tournent, y compris le Japon — c’est ce à quoi les médecins de l’OMS et de l’European Blood Alliance font référence partout dans le monde. Nous devons mettre fin à la commercialisation de cette ressource qui est si nécessaire à l’intérêt public, et faire en sorte que la Société canadienne du sang puisse travailler avec les ministères de la Santé et trouver une solution.

Le sénateur Ravalia : Pourquoi, selon vous, cela n’a-t-il pas déjà été mis en place? Une organisation comme la Société canadienne du sang comprend que nous sommes en pénurie grave de plasma. Elle continue à faire la collecte de sang non traité. Pourquoi n’y a-t-il pas de campagne proactive afin de fournir du plasma? Que vous disent vos renseignements à cet égard?

Mme Lanteigne : Cela a été retardé. Il s’est passé un certain nombre de choses. L’une d’elles a été la demande rapide d’immunoglobuline et puis, en même temps, la prolifération de cliniques de collecte de plasma privées aux États-Unis. C’est en quelque sorte les conditions parfaites pour une crise. C’est un peu plus facile pour Héma-Québec, puisqu’elle ne fait affaire qu’au Québec. Elle fait affaire avec un seul ministère, et la Société canadienne du sang doit composer avec tous les ministres de la Santé. Chaque fois qu’un plan est présenté en vue de la prochaine étape, il faut énormément de bureaucratie pour faire avancer les choses.

Le sénateur Ravalia : Nous devrions tous déménager au Québec.

La sénatrice Wallin : Il s’agit d’un élément important, et j’estime que ce qu’a dit Mme Lanteigne est exact : allons de l’avant. D’autres pays qui répondent à leurs propres besoins se rapprochent beaucoup plus du but. Nous pouvons le faire, et il ne s’agit pas d’une mesure proactive de la Société canadienne du sang — si elle dévoile sa stratégie, si nous en parlons, si nous faisons participer les gens de nouveau et si nous leur montrons une façon de contribuer et de donner. Il est difficile de savoir comment procéder. C’était plus facile avant, lorsque vous voyiez la Croix-Rouge quelque part. Les gens doivent déployer des efforts.

Faisons-le. Allons de l’avant. Si cela ne fonctionne pas dans 10 ou 15 ans, il y a une solution de rechange.

La présidente : Merci beaucoup, madame Lanteigne et madame la sénatrice Wallin, de votre temps et de vos réponses utiles et réfléchies. Voilà qui prépare très bien le terrain, si je peux dire, pour l’étude du projet de loi, qui se poursuivra au cours de l’année à venir.

J’aimerais rappeler à mes collègues que nous poursuivrons demain avec le projet de loi C-243, Loi visant l’élaboration d’une stratégie relative au programme national d’aide à la maternité. Nous entendrons les syndicats des métiers de la construction du Canada, l’Université de l’Alberta et Ingénieurs Canada. Nous effectuerons un examen article par article de ce projet de loi.

(La séance est levée.)

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