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VEAC

Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des
Anciens combattants

Fascicule no 15 - Témoignages du 9 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 9 mai 2018

Le Sous-comité des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 12 h 5, pour poursuivre son étude sur les services et les prestations dispensés aux membres des Forces canadiennes; aux anciens combattants; aux membres et anciens membres de la Gendarmerie royale du Canada et à leurs familles (sujet : l’utilisation du cannabis à des fins médicales par les anciens combattants canadiens).

Le sénateur Jean-Guy Dagenais (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sous-comité des anciens combattants. Avant de commencer la séance, je vais demander à mes collègues de bien vouloir se présenter en commençant par ma droite.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : La sénatrice Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

Le sénateur McIntyre : Le sénateur Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Richards : Le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Griffin : La sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Jaffer : La sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : Je suis Jean-Guy Dagenais, du Québec, président du sous-comité.

Je remercie mes collègues. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales par les anciens combattants canadiens. Nos témoins sont M. Zachary Walsh, professeur agrégé, Département de psychologie, Université de la Colombie-Britannique, et M. David Pedlar, directeur scientifique, Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. Il est accompagné du Dr J.D. Richardson, consultant en psychiatrie, médecin-chef, Parkwood Operational Stress Injury Clinic.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous allons commencer par la présentation de M. Walsh.

[Traduction]

Zachary Walsh, professeur agrégé, Département de psychologie, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. Merci de m’avoir invité. J’estime que c’est un privilège.

Je suis un chercheur en matière de cannabis et de santé mentale, ainsi qu’un professeur titulaire en psychologie à l’Université de la Colombie-Britannique. J’ai fait des études sur la consommation de substances, dont l’alcool, le tabac et les drogues illicites. Depuis plusieurs années, je me concentre sur la consommation de cannabis médicinal et non médicinal et sur ses effets sur la santé mentale.

Les Instituts de recherche en santé du Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada me financent actuellement afin que j’examine les conséquences de la consommation de cannabis et de la légalisation du cannabis pour la santé et le bien-être des adultes. J’ai antérieurement réalisé certaines des plus importantes enquêtes sur les consommateurs de cannabis médicinal au Canada ainsi qu’un examen approfondi des effets de la consommation de cannabis médicinal sur la santé mentale. Je dirige également un essai clinique randomisé en cours sur l’utilisation du cannabis pour le trouble de stress post-traumatique, le TSPT. Cette étude et une étude menée parallèlement aux États-Unis sont parmi les premières à évaluer ce traitement.

En tant que psychologue clinicien, j’ai eu diverses occasions de travailler avec des particuliers qui souffrent des séquelles d’un traumatisme. J’ai reçu de la formation au sein du réseau des hôpitaux pour anciens combattants aux États-Unis, et je fais maintenant la supervision clinique de stagiaires diplômés concernant l’évaluation du TSPT. Mon témoignage d’aujourd’hui s’appuie principalement sur ma propre recherche et mes propres connaissances de la littérature empirique portant sur le cannabis et le TSPT, mais également sur l’expérience que j’ai directement acquise à travailler avec des personnes qui consomment du cannabis pour traiter le TSPT.

[Français]

Le président : Monsieur Walsh, je vous demanderais de bien vouloir ralentir votre débit. Cela aiderait nos interprètes.

[Traduction]

M. Walsh : Aujourd’hui, j’aimerais me concentrer sur l’utilisation du cannabis pour le TSPT et pour les conditions coexistantes qu’on retrouve particulièrement chez les anciens combattants, ainsi que vous faire part de certaines réflexions au sujet des incidences possibles de la légalisation imminente de la consommation de cannabis non médical sur les anciens combattants.

On signale parfois que les données relatives à l’efficacité du cannabis pour traiter le TSPT ne sont pas solides. C’est habituellement à cause du manque d’essais cliniques randomisés — les ECR — qui portent sur l’utilisation du cannabis pour traiter le TSPT. De tels essais nous donneraient certainement une plus grande certitude quant à la meilleure utilisation du cannabis pour le TSPT ou à sa non-utilisation, et c’est la raison pour laquelle nous menons en ce moment ce type d’essais. Cependant, malgré le manque de données probantes émanant d’ECR, je suis d’avis que nous avons de bonnes raisons d’espérer que le cannabis médicinal a le potentiel de contribuer à améliorer la vie des personnes souffrant de TSPT.

Les études réalisées sur les humains qui ne sont pas des ECR méritent qu’on s’y attarde. Par exemple, des études montrent des différences dans le système cannabinoïde présent naturellement — le système endocannabinoïde — des personnes souffrant de TSPT, et cela semble indiquer que la dysfonction de ce système peut expliquer les taux élevés de consommation de cannabis parmi les patients atteints de TSPT.

Nous devons absolument suivre les pistes que nous donnent les comportements des patients, en particulier pour les aspects au sujet desquels il n’y a peut-être pas suffisamment de données probantes. Les enquêtes sur les consommateurs de cannabis médicinal font ressortir une utilisation fréquente pour le traitement des TSPT, et une étude rétrospective de patients utilisant le cannabis médicinal aux États-Unis a fait état de réductions importantes des symptômes de TSPT après la consommation de cannabis médicinal.

Ces études soulignent le recours au cannabis pour aider à dormir et composer avec l’anxiété et la dépression qui sont des symptômes du TSPT.

Les troubles du sommeil ressortent souvent comme étant l’un des symptômes du TSPT les plus débilitants, mais aussi ceux pour lesquels la thérapie par le cannabis a le plus d’effet. Un sommeil réparateur est essentiel à la santé et au bien-être, et s’il est perturbé, d’autres aspects de la santé se détériorent rapidement.

J’ai parlé à de nombreuses personnes qui consomment du cannabis pour leur TSPT. Après avoir souffert d’un sommeil souvent interrompu et entrecoupé de terribles cauchemars, elles affirment avoir eu leur première nuit de sommeil complète après avoir entrepris une thérapie au cannabis. La recherche clinique confirme également les bienfaits du cannabis concernant les troubles du sommeil causés par le TSPT. Les cannabinoïdes synthétiques se sont révélés efficaces pour ce qui est de réduire les cauchemars et d’améliorer le sommeil des patients souffrant de TSPT.

Selon notre expérience des quelques dernières années au Canada, le cannabis a un potentiel thérapeutique pour le traitement du TSPT. Même si l’augmentation spectaculaire des inscriptions d’anciens combattants en vertu du RACFM cause des préoccupations dans certains milieux, c’est le résultat auquel nous pouvons nous attendre avec l’avènement d’un traitement efficace, mais non conventionnel, pour un trouble difficile à traiter. Une augmentation lente et constante au début, jusqu’au moment décisif où le bouche-à-oreille fait son œuvre, et vous vous retrouvez devant une croissance exponentielle.

L’auto-efficacité proclamée par les patients et l’adoption d’un traitement ne sont pas un moyen reconnu d’établir l’efficacité d’un médicament. Cependant, en raison des conséquences dévastatrices d’un TSPT non traité et de l’inefficacité des traitements existants pour de nombreuses personnes atteintes, il est essentiel d’explorer toutes les avenues prometteuses. Le cannabis devrait être comparé aux options existantes, et ne pas être vu comme l’idéal hypothétique.

Les quantités de cannabis consommées par certains anciens combattants peuvent sembler excessives, mais elles ne le sont peut-être pas plus que les longues listes de médicaments sur ordonnance souvent utilisés pour traiter le TSPT et les troubles coexistants. Pour beaucoup, les effets secondaires du cannabis sont bien tolérés, par comparaison avec ceux des antidépresseurs, sédatifs et autres médicaments qui s’accompagnent d’effets secondaires comme la prise de poids, la dysfonction sexuelle et la léthargie, ce qui diminue considérablement la qualité de vie. Par contraste, même à fortes doses, le cannabis peut être un médicament relativement doux et à faible toxicité.

La plus grande préoccupation est peut-être le développement d’une dépendance au cannabis. Cependant, on ne peut pas conclure à l’incohérence de l’utilisation efficace d’un médicament pour traiter les symptômes d’une affection chronique, et le symptôme de sevrage du cannabis est de courte durée en plus d’être relativement léger par comparaison avec ceux de certains des autres médicaments sur ordonnance qui sont très utilisés.

L’un des avantages des thérapies qui misent sur le cannabis est d’avoir le potentiel de traiter les troubles coexistants et de remplacer plusieurs médicaments. Plus précisément, un examen approfondi réalisé récemment par les National Academies of Sciences, Engineering and Medicine a conclu que le cannabis traite efficacement la douleur chronique chez les adultes, ce qui est particulièrement important, étant donné les forts taux de trouble de l’usage des opioïdes chez les personnes souffrant de TSPT. En fait, de plus en plus de données probantes confirment que le cannabis est de plus en plus utilisé pour remplacer les opioïdes, ce qui peut réduire les décès par surdose d’opioïdes.

Pas plus tard que cette semaine, on pouvait lire dans le Globe and Mail un reportage portant précisément sur les anciens combattants canadiens qui étayait la conclusion selon laquelle le cannabis peut être utilisé au lieu d’autres médicaments, plutôt qu’en plus d’autres médicaments.

Les travaux de recherche réalisés par notre groupe ont révélé que le cannabis ne fait pas que diminuer la douleur, mais qu’il aide les patients à être plus actifs malgré la douleur chronique. Compte tenu des effets négatifs de l’isolement qui afflige trop d’anciens combattants souffrant de douleur chronique et de TSPT, le potentiel du cannabis pour ce qui est de faciliter l’activité et l’intégration sociale est important.

Selon les conclusions de notre examen du cannabis médicinal et de la santé mentale, les patients qui consomment du cannabis médicinal sont très nombreux à signaler qu’ils le font pour réduire l’anxiété et la dépression, en plus d’enrayer leur douleur, qui est la principale raison. Le potentiel de traitement de la douleur et de l’anxiété du cannabis est particulièrement important dans le contexte du TSPT, étant donné le risque d’entraîner la mort que présente la combinaison de benzodiazépines comme sédatifs, et d’opioïdes comme antidouleur, les deux étant très souvent utilisés par les anciens combattants.

Le cannabis peut aussi remplacer l’alcool, et les effets calmants du cannabis peuvent contrer la violence familiale, également un risque accru préoccupant.

En ce qui concerne l’incidence de la légalisation imminente du cannabis sur les anciens combattants, je crois que l’approche en matière de santé publique du gouvernement actuel produira un effet positif sur les vies des anciens combattants et qu’il ne faut pas retarder les choses.

D’après notre recherche, la crainte d’un jugement négatif fait partie des obstacles à une communication ouverte avec les fournisseurs de soins au sujet de la consommation de cannabis. Les anciens combattants qui souffrent de troubles de santé mentale et qui consomment du cannabis portent le fardeau d’une double stigmatisation, et cela peut représenter un obstacle important à l’accès à des soins médicaux convenables et à une conversation franche avec les fournisseurs de soins. Si elle réduit la stigmatisation, la légalisation aura un effet positif sur la santé des anciens combattants.

La légalisation produira aussi un effet positif en favorisant la recherche sur le développement de meilleures pratiques pour l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques.

J’ai une préoccupation au sujet de la légalisation telle qu’elle est prévue en ce moment, et c’est concernant les limites pour la conduite automobile. Les anciens combattants qui consomment du cannabis à des fins thérapeutiques pourraient constamment dépasser la limite proposée en nanogrammes, même sans intoxication aiguë au cannabis. Personne ne doit conduire avec les facultés affaiblies, mais les anciens combattants qui consomment leur médicament de façon responsable ne devraient pas être obligés de renoncer complètement à conduire.

Merci beaucoup.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, monsieur Walsh, pour votre présentation. Nous passons maintenant à M. David Pedlar.

[Traduction]

David Pedlar, directeur scientifique, Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans : Merci de me donner l’occasion de prendre la parole devant les membres du Sénat et de ce comité à propos de cet important sujet.

Je m’appelle David Pedlar. Je suis professeur titulaire à la School of Rehabilitation Therapy de l’Université Queen’s, ainsi que directeur scientifique de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. Nous réunissons en un réseau 43 universités canadiennes, ainsi que 10 organismes affiliés et partenaires industriels, de manière à offrir une perspective indépendante, sans lien de dépendance, visant à comprendre et à résoudre les problèmes de santé auxquels font face les membres des Forces canadiennes, les anciens combattants et leurs familles. Plus de 1 700 chercheurs ont contribué à notre mission. L’ICRSMV est une communauté florissante qui va chercher la contribution de chercheurs, de praticiens, de représentants gouvernementaux et de parties intéressées. Notre priorité est de travailler ensemble à résoudre ces problèmes.

Premièrement, je compatis avec les anciens combattants au Canada qui optent pour le cannabis médicinal comme traitement de remplacement. J’en connais plusieurs personnellement, et j’ai aussi rencontré des membres des Forces armées américaines et des vétérans ayant vécu le 11 septembre 2001, quand je vivais à Los Angeles en 2016, alors que j’étais titulaire invité de la chaire de recherche Fulbright sur la santé des militaires, à l’Université de Californie. Leurs histoires se ressemblent toutes : problèmes de santé physique et mentale qu’ils attribuent au service militaire; problèmes de santé mentale communs, comme le TSPT et la dépression, de même que la douleur chronique causée par un traumatisme physique ou par l’usure associée aux rigueurs du service militaire. Je souligne que les problèmes de santé des militaires sont souvent des problèmes de santé physique et de douleur chronique, lesquels peuvent entraver le fonctionnement. Par exemple, j’ai souvent entendu qu’à cause de leurs problèmes de santé mentale ou physique, ils avaient de la difficulté à s’acquitter de leurs rôles dans la vie. Bon nombre des anciens combattants que j’ai connus se tourmentaient à propos de choses comme la façon dont leurs problèmes de santé les empêchaient d’être le parent et le conjoint qu’ils voulaient être.

Leur cheminement vers une amélioration de leur état s’est généralement amorcé par des traitements conventionnels. Ils ont gravi l’échelle des médicaments, essayant un vaste éventail d’antidépresseurs et de médicaments anxiolytiques sur ordonnance, ainsi qu’un vaste éventail d’autres traitements et thérapies traditionnels et non traditionnels, sans cependant être satisfaits des résultats. Enfin, ils se sont tournés vers le cannabis comme moyen de trouver un soulagement. Certains ont affirmé que le cannabis les a énormément aidés, alors que d’autres ont souffert d’effets secondaires indésirables et ont cessé d’en consommer.

Au sujet de la politique sur le cannabis médicinal qui fait l’objet de la discussion en ce moment, il y a une leçon importante à tirer, et c’est l’importance de respecter les principes de l’adoption de politiques et de la prise de décisions fondées sur des données probantes, surtout si nous devons financer à l’aide des deniers publics les traitements de soins de santé. La politique gouvernementale dont nous discutons est peut-être l’exemple d’un cas où l’on a commencé par la fin. La politique initiale sur le cannabis pour les anciens combattants ne se fondait pas sur des données scientifiques de grande qualité au sujet de la sécurité et de l’efficacité. Par conséquent, le défi auquel le gouvernement fait face depuis un an ou deux est d’introduire un aspect de rationalité dans une politique qui ne s’est pas initialement fondée sur des données probantes. Nous en sommes là, alors il est essentiel de trouver un équilibre entre la compassion et la prudence, et de reconnaître que de nombreux anciens combattants consomment déjà du cannabis ou pourraient subir des conséquences négatives si la politique était considérablement modifiée.

L’ICRSMV propose deux priorités. La première, selon notre point de vue, est l’investissement dans de nouveaux travaux de recherche sur la sécurité, l’efficacité et la rentabilité du cannabis médicinal. Dans l’ensemble, les données tirées de recherche sur la sécurité et l’efficacité du cannabis médicinal sont de piètre qualité. Il existe des données encourageantes selon lesquelles le cannabis a une bonne valeur thérapeutique. D’un autre côté, le cannabis peut causer la dépendance et s’accompagner de divers autres effets négatifs. Le cannabis est une combinaison extrêmement complexe de produits chimiques, il a des propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques, et il s’accompagne d’effets aigus et chroniques positifs et négatifs qui ne sont pas bien compris. Les concentrations de THC dans le cannabis ont augmenté avec le temps, et une surdose est possible. En plus des risques de surdose, le cannabis peut causer une déficience motrice qui peut mener à des accidents de la route et à d’autres types d’accidents.

Il faut une recherche de grande qualité. Le but est généralement d’améliorer la qualité des données relatives à la sécurité et à l’efficacité du cannabis médicinal. Un champ de recherche important serait la sécurité et l’efficacité, à savoir les effets du cannabis sur le système endocannabinoïde du corps humain. Nous devrions aussi nous concentrer là-dessus comme pour n’importe quelle autre drogue, reconnaissant que pratiquement tous les médicaments ont un effet thérapeutique cible et des effets secondaires hors cible. Un autre champ de recherche important viserait le cannabis du point de vue de la santé publique — les effets sur la santé physique et mentale, mais pour tous les domaines de fonctionnement : à la maison, au travail et au sein de la collectivité. Quelles sont en réalité les répercussions sur le bien-être des anciens combattants?

La deuxième priorité, c’est que l’ICRSMV a un important rôle à jouer dans la diffusion des connaissances, et c’est très important. Les anciens combattants ont désespérément besoin d’information supplémentaire sur les bienfaits potentiels de même que sur les effets néfastes de la consommation de cannabis à des fins médicales. Il y a énormément de renseignements erronés qui circulent, ce qui fait qu’il y a un besoin encore plus grand d’information de qualité faisant autorité. Cela deviendra encore plus crucial quand le cannabis pourra être consommé à des fins récréatives.

Les professionnels de la santé bénéficieraient aussi de renseignements supplémentaires. L’ICRSMV peut jouer un rôle clé en collaborant à cela avec les associations médicales provinciales et nationales. Une collaboration plus efficace serait aussi possible avec un réseau de cliniques pour traumatismes liés au stress opérationnel, ou cliniques TSO, financées par Anciens Combattants Canada, y compris les cliniques qui autorisent la consommation de cannabis médicinal. L’ICRSMC est bien positionné pour combler ces écarts.

En conclusion, je veux souligner que l’ICRSMV travaille actuellement à établir un partenariat avec le DeGroote Centre for Medicinal Cannabis de l’Université McMaster et avec la Clinique TSO Parkwood afin de soutenir la recherche et la diffusion des connaissances concernant le recours au cannabis médicinal pour les anciens combattants. Je recommande fortement que vous invitiez l’équipe du DeGroote Centre de McMaster à venir témoigner. Il s’agit de James MacKillop, Jason Busse et Ramesh Zacharias, avec qui nous travaillons dernièrement et espérons assumer un rôle de leadership dans ce domaine, à l’avenir. Merci.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, monsieur Pedlar. Docteur Richardson, avez-vous une présentation à nous faire?

[Traduction]

Dr J.D. Richardson, consultant en psychiatrie, médecin-chef, Parkwood Operational Stress Injury Clinic, Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans : Oui, monsieur le président. Je tiens à remercier le comité sénatorial de me donner l’occasion de lui parler de ce sujet important, soit l’utilisation du cannabis à des fins médicales pour les anciens combattants.

Je suis un consultant en psychiatrie et le médecin-chef de la Parkwood Operational Stress Injury Clinic, la clinique de traitement des blessures liées au stress opérationnel de Parkwood. Je suis aussi un associé de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, l’ICRSMV, et un professeur agrégé à l’Université Western. Au cours des 20 dernières années, mon travail en clinique et ma recherche ont porté principalement sur les anciens combattants et les membres des Forces canadiennes souffrant de TSPT et d’autres blessures de stress opérationnel.

Je vais m’en tenir à une brève déclaration liminaire, car M. David Pedlar a déjà mis en évidence les enjeux relatifs à la consommation de cannabis à des fins médicales concernant en particulier la sécurité et l’efficacité à court et à long terme du cannabis à des fins médicales.

Je suis d’accord avec les priorités de l’ICRSMV concernant la recherche et la diffusion des connaissances. Il n’y a pas de données de recherche de grande qualité sur le cannabis à des fins médicales, et il faut absolument une bonne recherche clinique englobant non seulement les anciens combattants, mais aussi leurs familles. Cette recherche doit couvrir non seulement la diminution des symptômes, mais aussi la qualité de vie des anciens combattants et des membres de leurs familles.

Nous sommes impatients de collaborer avec l’ICRSMV et le Michael G. DeGroote Centre for Medicinal Cannabis de l’Université McMaster à leur recherche. Ce type de recherche est extrêmement important, car le TSPT lié au service militaire ne répond pas aussi bien au traitement pharmacologique, à la pharmacothérapie et à la psychothérapie — une thérapie axée sur la communication — que dans les cas de TSPT chez les civils.

Comme on l’a déjà signalé, il est essentiel de fournir de l’information juste aux anciens combattants et à leurs familles, ainsi qu’aux fournisseurs de soins des collectivités. Forts de ces connaissances, les anciens combattants et leurs fournisseurs de soins pourront prendre des décisions plus éclairées, sachant les bienfaits potentiels et les effets négatifs de la consommation de cannabis à des fins médicales.

Merci.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, docteur Richardson. Nous allons commencer la période des questions. J’inviterais la sénatrice Jaffer à vous poser la première question.

La sénatrice Jaffer : Merci de votre présence ici aujourd’hui.

[Traduction]

Pour commencer, j’ai une question sur la quantité de cannabis qui est maintenant fournie. Je pense que c’est 3 nanogrammes par jour, et si j’ai bien compris, des gens en veulent davantage. Est-ce que l’un d’entre vous peut me parler de cela? Certains ont besoin de plus, si vous me permettez de l’exprimer ainsi.

M. Walsh : Des recherches sont actuellement menées pour tenter de déterminer la dose idéale. Dans le cadre d’observations en milieu naturel sur les effets du cannabis thérapeutique sur les patients en général et sur les anciens combattants qui souffrent d’un TSPT en particulier, il semble que ce serait suffisant pour la plupart, mais pas tous, car certaines personnes indiquent qu’elles utilisent des doses plus élevées qui sont efficaces, mais que des doses moins élevées fonctionnent moins bien. En l’absence d’essais cliniques sur des doses précises, les renseignements fournis par les patients représentent les meilleures données que nous pouvons recueillir.

Un très petit nombre d’utilisateurs récréatifs consomment plus de quelques grammes par jour, et la plupart d’entre eux en consomment moins. Il est rare d’observer des niveaux élevés dans le cadre d’une utilisation récréative. Selon moi, les niveaux les plus élevés répondent probablement à un besoin médical, car ces taux ne correspondent pas à l’usage récréatif général.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Vous savez que notre comité est une autre voix pour les anciens combattants. Nous tentons de déterminer comment nous pouvons soutenir les anciens combattants et améliorer leur vie, car ils ont fait de grands sacrifices pour notre pays. Nous leur devons beaucoup. J’aimerais que vous nous parliez des obstacles. Vous avez abordé certains d’entre eux, mais pourriez-vous les énumérer? Quels sont les obstacles à l’accès au cannabis à des fins médicales? Vous avez abordé ce sujet, mais j’aimerais obtenir une réponse sous forme de liste.

M. Walsh : L’un des gros obstacles que nous avons cernés dans le cadre de nos recherches générales sur le cannabis thérapeutique concerne la stigmatisation et la communication avec les fournisseurs de soins. En effet, les gens craignent que leur consommation de cannabis fasse l’objet d’une stigmatisation et ils hésitent donc à en parler avec leurs fournisseurs de soins. Ils doivent donc déterminer eux-mêmes, ou sans l’aide de la communauté médicale, la meilleure façon d’utiliser le cannabis. Dans de nombreux cas, ils font affaire avec des fournisseurs improvisés ou des centres de distribution pour obtenir les meilleurs renseignements. Toutefois, comme mes collègues l’ont souligné, il peut être difficile d’obtenir des renseignements faisant autorité et les opinions divergent tellement qu’un utilisateur de cannabis thérapeutique peut avoir beaucoup de difficulté à déterminer la meilleure dose et le meilleur type de cannabis.

Comme mes collègues l’ont aussi souligné, le cannabis contient plusieurs ingrédients actifs potentiels. En ce qui concerne votre commentaire sur les doses élevées, il se pourrait que certains patients recherchent des cannabinoïdes particuliers ou trouvent certains cannabinoïdes efficaces, mais qu’ils sont seulement présents en petites doses dans le cannabis. Cela pourrait expliquer pourquoi ils utilisent des doses plus élevées. Toutefois, il faut mener d’autres recherches pour confirmer cela.

La sénatrice Jaffer : De plus, lorsqu’on achète des produits sans aide, il faut connaître les différences et les différentes doses dans les biscuits ou d’autres produits vendus.

J’espérais que vous parleriez de la stigmatisation, car j’aimerais savoir s’il s’agit d’un obstacle. La légalisation fera-t-elle une différence sur ce plan pour les anciens combattants? Permettra-t-elle d’ouvrir l’accès à ce produit à des fins médicales?

Dr Richardson : J’aimerais répondre à l’une des questions précédentes. L’un des défis auxquels fait face la profession médicale et qui concernent les anciens combattants qui tentent d’obtenir du cannabis pour des raisons médicales, c’est le manque de données probantes liées au traitement médical, car ces données probantes permettraient de fournir ou d’autoriser ce type de traitement. Il y a énormément de lacunes dans ce domaine.

Comme vous le savez probablement, de nombreux anciens combattants font également face à des défis liés à l’accès aux soins primaires et à des traitements spécialisés. Les anciens combattants savent-ils qu’il existe des traitements efficaces contre le TSPT et la dépression et savent-ils comment y avoir accès? C’est une situation complexe.

M. Pedlar : Je ne crois pas qu’on dispose de données scientifiques claires pour trancher entre la dose de 3 grammes ou de 10 grammes. Ces mesures se fondent sur l’avis des praticiens, mais il n’existe aucun fondement scientifique clair à cet égard. Dans un sens, je dirais qu’il s’agit de mesures arbitraires. Toutefois, nous savons que l’augmentation de la consommation entraîne un risque plus élevé, notamment dans le cas de la dépendance. Je crois qu’on considérerait que des quantités de 3 grammes et de 10 grammes sont des quantités élevées, même si dans certaines circonstances, cette quantité peut être justifiée. Je crois qu’on considérerait qu’une dose de 10 grammes est extrêmement élevée, mais lorsqu’une personne utilise une dose de 10 grammes, il y a ensuite des problèmes de sevrage et d’autres problèmes qui pourraient rendre la transition de 10 à 3 grammes difficile.

La sénatrice Jaffer : Y a-t-il des différences entre les sexes?

Dr Richardson : C’est une bonne question, et je ne suis pas sûr qu’il existe des études sur le sujet. Toutefois, la grande partie des recherches sur la plupart des médicaments approuvés, c’est-à-dire les médicaments avec un numéro d’identification, ont été effectuées sur des hommes. Il y a certainement un manque de données probantes et de recherches sur les différences entre les sexes. C’est un bon point à soulever au début de nos recherches, car les résultats pourraient être très différents. Nous savons que l’alcool a des répercussions très différentes sur les femmes comparativement aux hommes, mais à ma connaissance, nous n’avons pas recueilli ce type de données pour le cannabis.

M. Walsh : Je crois qu’il peut aussi exister des différences entre les sexes dans les problèmes de stigmatisation que vous avez soulevés, car les femmes font peut-être l’objet d’une stigmatisation particulière lorsqu’elles consomment du cannabis, surtout lorsqu’il s’agit du rôle parental. Certaines recherches menées par notre groupe ont démontré l’existence d’attitudes particulières à l’égard du rôle parental et du cannabis qui pourraient représenter un obstacle supplémentaire à l’accès du cannabis thérapeutique.

Pour poursuivre avec la stigmatisation, nos recherches sur les patients qui utilisent du cannabis thérapeutique — ces recherches datent de quelques années, et je pense que c’est une situation qui évolue rapidement — démontrent que la stigmatisation touche également les médecins. En effet, certains d’entre eux hésitent à aller à l’encontre de certains organismes de réglementation provinciaux, car ils craignent qu’on considère qu’ils approuvent un médicament qui n’a pas le type de soutien souhaité. Nous avons observé, du moins de façon anecdotique, que certains médecins recommandent cette substance, mais qu’ils hésitent à la recommander officiellement. Ils la recommandent donc moins sérieusement ou comptent sur le marché illégal pour combler cette lacune.

La sénatrice Jaffer : Vous avez une bonne occasion, docteur Richardson, surtout en ce qui concerne le TSPT. Notre comité s’est penché sur la question et cela nous préoccupe. Peut-être pas directement, mais nous entendons tous des histoires très tristes. Croyez-vous que cela aidera? Vous avez dit que cela pourrait aider, mais j’aimerais que vous approfondissiez la question de savoir si la légalisation du cannabis fera une différence pour les anciens combattants qui souffrent d’un TSPT.

Dr Richardson : Je crois que c’est une question très intéressante, car il est difficile de savoir si la légalisation aidera nécessairement des personnes qui souffrent d’un TSPT. Par exemple, on a démontré que le Cesamet ou le nabilone, un médicament qui a des effets sur le système endocannabinoïde dans le cerveau, diminuait la fréquence et l’intensité des cauchemars traumatisants. Nous savons que d’autres médicaments légaux peuvent aider à calmer une personne, par exemple l’alcool. Nous savons que boire un verre peut aider des personnes qui souffrent d’anxiété sociale, mais nous ne recommandons pas ce traitement. Il y a des produits qui peuvent aider à soulager les symptômes, mais ce n’est pas nécessairement un traitement à long terme. Je ne suis pas encore convaincu qu’il y ait suffisamment de preuves liées aux effets de la plante de cannabis, mais de bonnes preuves émergentes indiquent qu’elle contient un ingrédient qui existe depuis longtemps. Cela signifie que le cerveau humain a des récepteurs pour cette substance et qu’elle a de bons et de mauvais effets sur le cerveau.

[Français]

Le président : Docteur Richardson, vous avez aiguisé ma curiosité. Pour avoir travaillé un certain temps dans le milieu des assurances, je connais bien le système de numéros d’identification d’un médicament (DIN). N’avez-vous pas dit que le système et la recherche sont faits en fonction uniquement du sexe masculin?

[Traduction]

Dr Richardson : Je crois que c’est une très bonne question. Un grand nombre des médicaments qui sont actuellement approuvés par la FDA sont souvent étudiés initialement sur les hommes, et cela vise donc un homme moyen de 70 kilogrammes, mais il y a un manque de recherche sur les effets des médicaments sur les femmes. Actuellement, selon ce que je comprends, si vous tentez de faire publier des études ou d’obtenir de nouveaux médicaments, vous devez également étudier les différences entre les sexes. Cela répond-il à votre question?

[Français]

Le président : Oui. Pour avoir travaillé dans le milieu des médicaments, je connais bien le système de DIN. Toutefois, je ne savais pas que le DIN était uniquement en fonction des recherches du côté masculin, d’où ma surprise. Merci de votre réponse.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Messieurs, je vous remercie de communiquer au sous-comité vos connaissances sur l’état de la recherche et des connaissances sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales. Votre exposé est très intéressant.

C’est la deuxième réunion. À la première réunion, les représentants d’Anciens Combattants Canada ont comparu devant nous pour expliquer la politique de remboursement pour le cannabis à des fins médicales. Les représentants d’Anciens Combattants Canada nous ont dit, si je me souviens bien, que le remboursement maximal de 3 grammes par jour se fonde sur des études qui démontrent que le Canadien moyen qui utilise du cannabis à des fins médicales consomme moins de 3 grammes par jour. À votre avis, les blessures physiques et mentales subies par les anciens combattants nécessitent-elles plus de cannabis thérapeutique ou du cannabis thérapeutique plus concentré que le cannabis utilisé par la population en général?

Dr Richardson : Je crois que c’est une question très importante, et je ne crois pas que nous ayons une réponse précise relativement à la quantité nécessaire pour calculer la dose appropriée. Et la façon de consommer le cannabis, par exemple en le fumant ou en le mangeant dans des produits comestibles, aura également des répercussions sur le nombre de grammes nécessaires.

À mon avis, en tant que spécialiste, le défi qui se pose, c’est que nous n’observons pas les patients qui se rétablissent complètement utiliser du cannabis, car les patients qui se rétablissent complètement ne consultent pas un spécialiste dans notre système de cliniques. Il est donc difficile de savoir si 3 grammes ou moins de 3 grammes représentent la dose idéale. Les cliniciens voient des gens qui utilisent des doses moins élevées de 1 à 2 grammes pour les aider à dormir, et ces patients affirment que cela les aide. Nous n’avons pas de données sur les patients qui utilisent des doses plus élevées et si cela les aide ou non. Certains anciens combattants signalent manifestement que des doses plus élevées les aident ou que c’est ce dont ils ont besoin.

Le sénateur McIntyre : Avez-vous des données sur la quantité de cannabis habituellement utilisée pour soulager certains troubles médicaux, et si oui, quelles sont-elles?

Dr Richardson : Je n’en ai pas en main. Je n’ai pas ce type de données.

Le sénateur McIntyre : Les producteurs de cannabis participent-ils aux études sur les effets du cannabis à des fins médicales?

M. Walsh : L’étude en cours, que je dirige et qui est menée par l’Université de la Colombie-Britannique, est parrainée par Tilray, un producteur autorisé de cannabis. D’autres producteurs autorisés participent aussi à différentes recherches.

Le sénateur McIntyre : Leur participation ne présente-t-elle pas un risque de parti pris ou de conflit d’intérêts?

M. Walsh : L’industrie participe habituellement à l’élaboration d’un produit pharmaceutique. Je ne crois pas que le cannabis soit différent d’autres médicaments dont les essais sont parrainés par l’industrie pharmaceutique.

Le sénateur McIntyre : Avez-vous d’autres commentaires à formuler sur cette question?

Dr Richardson : Je crois qu’il y a un risque de parti pris, mais cela ne signifie pas nécessairement que ce sera le cas. Si les recherches sont parrainées, ce sera indiqué au moment de la publication.

Le sénateur McIntyre : À votre avis, comment la légalisation de la marijuana à des fins récréatives affectera-t-elle l’utilisation de la marijuana thérapeutique chez les anciens combattants?

Dr Richardson : Nous ne le savons pas. Toutefois, je présume que comme la plupart des substances, une fois qu’elle sera légale, son utilisation augmentera. Que les anciens combattants l’utilisent à des fins médicales pour traiter des symptômes ou non, ils pourraient également l’utiliser, comme un grand nombre de Canadiens, à des fins récréatives. Certains d’entre eux trouveront cette substance utile et d’autres non.

Le sénateur McIntyre : J’aimerais reformuler ma question. Pensez-vous que les gens pourraient s’automédicamenter avec du cannabis à des fins récréatives sans se prévaloir d’un suivi médical approprié? Si oui, quelles pourraient être les conséquences de ce phénomène, selon vous?

Dr Richardson : En tant que cliniciens, nous utiliserions une approche similaire à celle utilisée pour l’alcool. Nous savons que de nombreuses personnes s’automédicamentent avec l’alcool pour les aider à dormir ou à contrôler leur anxiété ou leurs émotions. Je présume qu’on utilisera une approche très similaire pour le cannabis à des fins récréatives légalisé. Le plus important, c’est probablement de sensibiliser la population et de diffuser des renseignements sur l’utilisation sécuritaire et sur les risques liés à l’utilisation continue.

M. Walsh : Je crois que la légalisation, dans la mesure où elle réduit la stigmatisation, permettra à des gens qui s’automédicamentent actuellement, mais qui craignent peut-être de divulguer cette information à leur médecin, d’avoir une meilleure communication avec ce dernier. En effet, il sera un peu plus facile de parler de cette substance à un médecin lorsqu’elle sera légale.

La sénatrice Wallin : J’aimerais aborder des enjeux semblables à ceux dont on a discuté aujourd’hui. La semaine dernière, lors de notre première évaluation, nous avons tenté de déterminer comment ACC avait décidé de passer de 10 grammes à 3 grammes, et vous avez tous semblé indiquer qu’il n’y avait toujours pas de recherches adéquates sur la question. On a cité un producteur autorisé qui affirme qu’un patient moyen qui n’est pas un ancien combattant utilise 1,5 gramme de marijuana médicale, alors qu’un ancien combattant utilise 4,6 grammes. Je ne sais pas dans quelle mesure ces statistiques sont pertinentes. Elles ont été citées, et vous souhaitez donc peut-être formuler des commentaires sur la question.

Il y a une énorme différence entre 3 grammes et 10 grammes. Pouvez-vous nous donner une idée de l’état dans lequel — et je sais que cela varie selon les personnes — une personne peut se trouver sur le plan émotionnel ou physique si elle consomme 10 grammes plutôt que 3 grammes, et quelle sera sa capacité de fonctionner? Je soulève ce point en partie parce que cela revient à votre question sur la conduite et d’autres activités, car c’est un point extrêmement important de la légalisation de la marijuana à des fins récréatives. Si nous pouvons aborder la question sous l’angle de l’ancien combattant, cela pourrait nous donner une idée de l’autre cas.

M. Pedlar : Je m’abstiendrai de fixer une limite de 3 grammes ou de 10 grammes. Quelques idées générales peuvent peut-être orienter la discussion. L’une d’entre elles, c’est qu’une utilisation plus élevée est liée à un risque plus élevé. Ainsi, je présume qu’on pense à la prudence et à la compassion. Même si je ne peux pas affirmer que 3 grammes sont préférables à 10 grammes, vous pourriez dire qu’étant donné ces enjeux, il pourrait être justifié, sur le plan scientifique, de faire appel à un spécialiste pour fixer des limites, peu importe lesquelles. Il serait justifié de faire cela, du moins en ce qui concerne les paramètres de réduction.

La sénatrice Wallin : Une quantité de 3 grammes est-elle trop faible pour le seuil de remboursement?

M. Pedlar : Étant donné que les niveaux sont arbitraires, je peux seulement donner une idée générale pour la décision. La décision peut être justifiée. Pour la plupart des gens, 10 grammes représentent une grande quantité, et pour d’autres, 3 grammes représentent toujours une quantité assez élevée comparativement à la moyenne. Nous sommes donc dans cette situation probablement peu enviable dans laquelle il faut tenter de fixer des limites lorsqu’il n’y a aucun fondement précis sur la façon de fixer ces limites. Il y avait donc un problème de politique évident, et c’est à ce moment-là que la question a été soulevée.

Dr Richardson : Pour rester dans l’idée de la compassion et de la prudence, il est très difficile de préciser une dose maximale. En général, lorsque nous prescrivons un médicament, qu’il s’agisse d’un antidépresseur ou d’un médicament pour la pression artérielle, il y a ce que nous appelons une marge thérapeutique, ce qui signifie qu’il existe une certaine dose qui fonctionnera pour une personne moyenne qui souffre d’un problème de santé donné. Toutefois, certaines personnes pourraient avoir besoin d’une dose plus élevée en raison de la façon dont leur foie métabolise le médicament ou en raison de la gravité de leurs symptômes ou de la configuration de leur cerveau, mais d’autres personnes n’ont besoin que d’une très petite dose, car elles métabolisent mal un médicament.

Le défi, dans le cas du cannabis, consiste à fixer une quantité précise en grammes, car c’est un médicament complexe qui provient d’une plante, comparativement à un produit formé d’un mélange très précis de substances. Je crois que, comme M. Pedlar l’a dit, si on augmente la limite de toute substance, il y aura un effet de plafonnement, ce qui signifie qu’on n’obtient plus de bienfaits potentiels, mais qu’on court un risque plus élevé de développer des effets secondaires. C’est un phénomène très commun en pharmacologie. Il faut toujours atteindre un équilibre. En effet, si on dépasse la limite fixée, il y aura davantage d’effets secondaires, et il faudra alors se demander si ces effets l’emportent sur les risques. C’est toujours un défi. Comme on l’a déjà dit, on espère que la personne qui utilise la substance ne craint pas d’en parler avec son fournisseur de soins, afin que les deux parties puissent prendre une décision éclairée.

La sénatrice Wallin : Voilà pourquoi je pose la question : je l’ai dit et je tiens à connaître votre opinion, mais, après la légalisation, peut-être que des consommateurs se procureront-ils, pour leur automédication, les 3 grammes financés, mais qu’ils achèteront d’autres produits, sur le marché noir ou dans un débit autorisé par la loi, à la composition complètement différente. L’automédication et le mélange de produits ont des conséquences. Je ne suis pas certaine de vouloir croiser un conducteur qui aura ingéré, sous une forme ou une autre, 10 grammes de marijuana.

M. Walsh : Très juste. Il faut se rappeler que la consommation de cannabis thérapeutique crée rapidement une forte tolérance, qui disparaît rapidement aussi, ce qui est une caractéristique du produit. Les effets de 10 grammes ressentis par l’ancien combattant qui en consomme régulièrement beaucoup différeront beaucoup de ceux que ressentira la personne qui en consomme pour la première fois ou qui n’est pas un consommateur invétéré de 10 grammes par jour.

À ma connaissance, l’usage diffère beaucoup, même chez les personnes qui combattent le même état pathologique, le syndrome de stress post-traumatique. L’ancien combattant qui tire quelques touches avant d’aller dormir pour prévenir les cauchemars peut en absorber moins d’un gramme ou d’un demi-gramme par jour. Quelqu’un qui éprouve des douleurs chroniques pourra rechercher un effet qui dure toute la journée, grâce à une dose plus forte, qui peut lui faire acquérir une tolérance exigeant de plus fortes doses pour favoriser le sommeil. La tolérance est un enjeu important, et 10 grammes ou même 2 ou 3 grammes peuvent produire chez le consommateur invétéré le même effet que quelques touches chez le consommateur non habitué. Les motifs pour lesquels on en consomme et la tolérance peuvent être d’importants facteurs.

Ensuite, la limite journalière peut varier d’une journée à l’autre. Pendant une journée particulièrement mauvaise, la consommation peut être beaucoup plus forte que pendant une journée relativement bonne, et la personne peut ne pas vouloir se trouver dans une situation dans laquelle elle ne veut pas consommer sa quantité hebdomadaire de cannabis en une seule journée, si elle traverse une mauvaise journée. La limite quotidienne de 10 grammes n’équivaut pas nécessairement à cette consommation tous les jours. Il arrive souvent à des consommateurs de consommer la quantité de cannabis qui leur fera ressentir les effets recherchés pour maîtriser les symptômes dont ils souffrent.

J’espère que cela répond au moins en partie à votre question.

La sénatrice Wallin : Cela touche l’autre débat auquel nous participons tous, sur les projets de loi C-45 et C-46. Étant donné les troubles moteurs qui se manifestent et les dépendances, comment décider si le consommateur de cannabis thérapeutique, l’ancien combattant notamment, ne devrait pas se faire refuser le droit de conduire ou de participer à d’autres activités? D’accord : il y a déjà assez de punitions. Comment décidons-nous? Que ferons-nous? À la police qui l’arrête à un contrôle routier, il avouera avoir les facultés affaiblies, mais en ajoutant qu’il est un ancien combattant. Quelle est la solution réaliste pour que cela fonctionne?

M. Walsh : Des procédures sont déjà en place pour les médicaments comme les antihistaminiques, les benzodiazépines et les opioïdes, qui affaiblissent tous les capacités à un degré semblable à celui du cannabis chez les consommateurs du produit thérapeutique.

À noter aussi que la recherche a montré que les consommateurs de la bonne dose de cannabis thérapeutique s’acquittent mieux de tâches qui exigent des opérations mentales complexes que lorsqu’ils leurs symptômes les font souffrir. La comparaison ne porte pas sur une situation parfaite, mais sur une situation où leurs symptômes, faute du médicament, pourraient les handicaper.

Il existe des façons éprouvées de combattre la perte des capacités causée par les médicaments, et je pense que le cannabis peut s’y prêter. L’affaiblissement des capacités des conducteurs, même important, ne se compare pas à celui que cause l’alcool. Pour la sécurité routière, nos comparaisons devraient porter sur d’autres médicaments plutôt que sur l’alcool.

La sénatrice Wallin : Nous le savons vraiment?

M. Walsh : D’après les meilleures études, l’affaiblissement des capacités par le cannabis, chez les conducteurs, ressemble davantage aux effets de substances comme les antihistaminiques, les benzodiazépines et les opioïdes — peut-être moins que les benzodiazépines comme le Valium — qu’à ceux de substances comme l’alcool.

Dr Richardson : Les problèmes que pourrait présenter le cannabis à fortes doses sont qu’il est difficile de savoir exactement ce qu’ils consomment, en raison de la multitude des marques et des souches…

La sénatrice Wallin : Particulièrement si on les mélange.

Dr Richardson : … ce qui présente une situation qui risque d’être différente de celle des opiacés ou des analgésiques, des antihistaminiques ou des benzodiazépines. Si quelqu’un dit prendre telle quantité de telle substance, nous savons que c’est en grande partie la quantité effectivement absorbée et nous pouvons en étudier l’effet sur l’organisme humain. C’est plus difficile avec le cannabis, consommé ou non à des fins récréatives.

M. Pedlar : Je n’ai pas grand-chose à ajouter, si ce n’est que, si nous ne nous limitons pas aux anciens combattants, nous pourrions englober plus de personnes âgées qui sont des anciens combattants et des consommateurs de cannabis à des fins médicales et récréatives. Comme cette clientèle prend beaucoup de médicaments différents, nous pouvons aussi vouloir viser les problèmes posés par le cannabis dans le contexte de la polypharmacie. Je tenais à le signaler.

[Français]

Le président : J’aimerais, monsieur Pedlar, vous poser une question complémentaire. Les anciens combattants pourraient-ils être tentés, après l’adoption du projet de loi, d’utiliser une combinaison de leur cannabis prescrit et de celui qui sera disponible sur le marché illicite? Est-ce que ce ne serait pas dangereux?

[Traduction]

M. Pedlar : Je pense ne pas être assez renseigné pour bien répondre. J’ignore si mes collègues pourront répondre à la question.

[Français]

Le président : Docteur Richardson ou monsieur Walsh, ne pensez-vous pas que, après l’adoption du projet de loi, le fait de combiner les deux sortes de cannabis pourrait être dangereux? Un ancien combattant pourrait être tenté d’ajouter aux 3 grammes auxquels il a droit quelques grammes trouvés sur le marché illégal. Est-ce que ce ne serait pas dangereux d’utiliser deux sortes de cannabis différents? Ce n’est peut-être pas la même chose.

[Traduction]

Dr Richardson : La possibilité existe toujours de mélanger les produits et d’augmenter les doses — si, normalement, quelqu’un consomme 3 grammes, puis décide d’en prendre plus et de s’en procurer dans la rue, je suppose qu’on peut étudier ce phénomène et qu’on le devrait. Le phénomène pourrait déjà se produire, et il mérite d’être étudié plus en profondeur.

M. Walsh : L’un des avantages possibles de la légalisation est qu’il sera plus facile de se procurer du cannabis aux caractéristiques bien établies, ce qui permettra aux anciens combattants qui s’en procurent à l’extérieur du programme de savoir exactement ce qu’ils obtiennent. Actuellement, comme vous dites, ils se fournissent sur le marché illégal, et il est difficile de savoir ce qu’on y trouve. La légalisation pourrait réduire certains de ces risques liés au cannabis du marché noir.

[Français]

Le président : Tout cela en autant qu’ils l’achètent à des points de vente autorisés, car il y aura toujours du cannabis à vendre dans la rue et qui sera sûrement moins cher et exempt de taxe.

Docteur Richardson, à votre connaissance, est-ce que des anciens combattants ont cessé d’utiliser du cannabis afin d’utiliser plutôt des antidépresseurs?

[Traduction]

Dr Richardson : Dans mon expérience clinique, beaucoup d’anciens combattants ont cessé de consommer le cannabis, que ce soit à des fins médicales ou récréatives, et ils ont pu bien réagir à la pharmacothérapie, notamment aux antidépresseurs. Mes collègues et moi avons beaucoup d’exemples d’anciens combattants qui ont réussi à diminuer leur consommation de cannabis, en améliorant leur état, mais qui ont continué d’en consommer à des doses beaucoup plus faibles tout en traitant leur dépression et leur syndrome de stress post-traumatique par des médicaments et par une thérapie axée sur la conversation.

[Français]

Le président : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Monsieur Walsh, qu’en est-il de l’utilisation à long terme de la marijuana thérapeutique? Devient-elle moins efficace au fil du temps?

M. Walsh : Autant que nous sachions, du moins, la tolérance qui influe sur l’efficacité du cannabis s’acquiert très rapidement. À ma connaissance, la plupart des patients trouvent la dose qui leur convient et peuvent s’y tenir. Ils veulent notamment rester à cette dose et trouver la souche efficace, ce qui a été une difficulté. Une fois le point idéal trouvé, la plupart sont capables d’y rester.

L’espoir est que, à long terme, le cannabis réduira les symptômes, ce qui aidera les anciens combattants à entreprendre des thérapies axées sur la conversation et des thérapies comportementales associées à un traitement du syndrome de stress post-traumatique, par opposition au soulagement des symptômes que procure le cannabis.

Certains des plus grands espoirs sont que le cannabis puisse favoriser la qualité du sommeil et la résorption de certains des facteurs qui rendent difficiles les thérapies comportementales. Ces thérapies exigent souvent de revivre le traumatisme et elles peuvent aggraver un peu l’état avant de l’améliorer. Bénéficier des appuis nécessaires à la guérison à long terme est l’une des possibilités. Toutefois, pour certains, pour soulager les symptômes, il faudra utiliser le produit longtemps.

La sénatrice Griffin : La marijuana consommée à des fins récréatives donnerait-elle les mêmes résultats que la marijuana thérapeutique dans l’apaisement des symptômes et l’aide à d’autres traitements?

M. Walsh : Le cannabis, en soi, ne varie habituellement pas. On caractérise la marijuana thérapeutique avec plus de soins. Elle devrait être plus pure et répondre à diverses caractéristiques, mais la substance, en soi, est en général semblable. La consommation à des fins médicales plutôt que récréatives peut correspondre aux autorisations de consommation et aux motivations des consommateurs, mais elle ne concerne pas nécessairement la qualité ou les caractéristiques du cannabis.

La sénatrice Griffin : Monsieur Pedlar, vous avez parlé du risque de surdose. Vouliez-vous dire que le cannabis consommé seul pourrait la causer ou la cause actuellement ou qu’il la cause plus généralement quand on consomme avec lui de l’alcool et d’autres médicaments?

M. Pedlar : Je laisserai à mes collègues cliniciens le soin de répondre à une partie de la question. Mes connaissances du domaine proviennent de mes lectures et de mes contacts avec des urgentistes. Ils en traitent régulièrement, peut-être quotidiennement, des cas. Les comptes rendus dont j’ai pris connaissance mettent souvent en cause la voie d’administration. Par exemple, la voie orale rend beaucoup plus difficile le suivi des conséquences de la dose sur la santé du patient. J’ai entendu un certain nombre d’histoires d’horreur sur des surdoses subies par des consommateurs qui expérimentaient innocemment la substance ou qui utilisaient du cannabis thérapeutique.

M. Walsh : Il faut préciser ce qu’on entend par surdose de cannabis : une expérience déplaisante qui dure plusieurs heures et qui se caractérise par de l’anxiété parfois accompagnée de nausées, mais qui ne cause pas de dégâts à long terme, comme les surdoses d’autres médicaments. Heureusement, les parties du cerveau commandant la respiration sont dépourvues de récepteurs des cannabinoïdes, ce qui nous épargne le problème que nous constatons avec l’épidémie d’opioïdes et le nombre effarant de surdoses. La surdose de cannabis, même si elle est déplaisante, n’a pas de conséquences négatives à long terme.

Le sénateur Richards : Ce que je vais dire pourra ressembler à une déclaration, mais ce n’en est pas une : j’ai grandi dans une culture de la drogue. Il s’est imposé une idée selon laquelle tout sera uniforme, y compris la réaction. Chacun réagit différemment à ces drogues. Certains peuvent en prendre et se sentir bien, en pleine forme; d’autres vont ensuite s’isoler et devenir paranoïdes. Je suis sûr que vous le savez tous, l’ayant tous vécu.

Je ne crains absolument rien pour les consommateurs de cannabis qui en consomment avant d’aller se coucher pour prévenir les cauchemars et combattre l’horreur du stress post-traumatique. Qui s’y opposerait? Par contre, je m’inquiète pour les effets à long terme et la consommation avec l’alcool. Je sais comment une fête débute et comment elle se termine. Souvent, cela se termine mal. Au début, on pense prendre quelques bouffées et quelques autres produits, mais, trois jours plus tard, on est encore ivre et défoncé. Je l’ai vécu, et beaucoup de mes amis aussi.

Est-ce que, à long terme, cela aidera ces patients? Ou bien est-ce que nous créons simplement un autre problème? Certains prendront 3 grammes de marijuana, puis voyant l’absence d’effet, iront s’en procurer 3 ou 4 autres grammes chez le revendeur local, pour poursuivre la fête.

Nous avons un ensemble de critères et de règles. Je ne suis pas sûr que tous les suivront. C’est tout. Je ne dis pas que cela ne donnera pas de résultats pour certains. Je me demande seulement si ce sera efficace pour l’immense majorité des consommateurs.

Dr Richardson : En général, je pense que c’est ainsi que nous voudrions aborder le problème. Aujourd’hui, nous disposons de traitements efficaces pour le syndrome de stress post-traumatique, notamment celui des militaires, la dépression, l’anxiété et d’autres traumatismes liés au stress opérationnel, qui ne font pas appel au cannabis. Je pense qu’il faut communiquer ce message. Cependant, nous savons que le syndrome de stress post-traumatique des militaires ou des combats réagit mal au traitement, comme je l’ai dit, que ce soit la thérapie axée sur la conversation, la psychothérapie ou la liste d’autres médicaments. Le besoin de traitements plus efficaces est extrême.

Toutefois, dans une démarche clinique pour les vétérans, leurs familles et leurs aidants, je trouverais quelqu’un qui leur inspire confiance, avec qui ils peuvent discuter. Quelles sont les options? Ai-je essayé les traitements que je sais efficaces? Les bienfaits de l’exercice contre la dépression et l’anxiété, qui a des effets secondaires minimes, ont défrayé la manchette. Ensuite, il y a la thérapie axée sur la conversation. Il y a des médicaments. Si vous avez essayé quelque chose dont l’efficacité est démontrée, mais pas pour vous, quelle peut être la suite pour vous? J’essaierais cette démarche.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup. Je ne critique pas. Je suis seulement inquiet. C’est tout. L’idée qu’il s’agit seulement d’une drogue isolée est fausse. Elle accompagne toutes les autres qui circulent. Cela a toujours été sa nature. J’ai grandi avec depuis mes 14 ans. La marijuana et l’alcool étaient consommés dans toutes les fêtes auxquelles j’ai participé, et on les mélange toujours. Je pense seulement qu’il serait agréable que cette idée et vos théories soient vraies, et je le souhaite, mais je prévois seulement des problèmes, dans les prochaines années. C’est tout.

M. Walsh : Si je peux parler de ce qu’on dit sur la consommation de cannabis et d’alcool ensemble, je suis d’accord pour dire que cela peut causer des problèmes. Dans notre recherche, du moins avec les étudiants de l’Université de la Colombie-Britannique que nous avons interrogés sur cette consommation, beaucoup ont dit que le cannabis les aidait à boire moins d’alcool et à le boire plus lentement, qu’il ne motivait pas la consommation accrue d’alcool. Dans des comparaisons établies entre les États américains qui se sont donné des lois sur le cannabis thérapeutique et ceux sans de telles lois, on a observé, dans les premiers, une réduction du nombre d’accidents de la route, attribuable à la réduction de la consommation d’alcool au volant. De premières constations faites au Colorado montrent une diminution des ventes d’alcool en même temps qu’une augmentation de celles de cannabis.

D’accord, si le cannabis s’ajoute à d’autres substances, cela pose un problème. S’il remplace ces substances, cela permet ensuite de comparer les avantages et les inconvénients relatifs. Peut-être voyons-nous des économies sur le plan de la santé publique. Nous l’avons certainement constaté dans les États américains où le nombre de surdoses causées par les opioïdes a diminué, les États autorisant le cannabis thérapeutique.

Le sénateur Richards : Merci.

[Français]

Le président : Avant de passer à la deuxième ronde, j’aurais une question pour nos trois invités. Êtes-vous en mesure de nous dire si l’usage du cannabis chez les anciens combattants a entraîné son usage par d’autres membres de la famille qui les côtoient?

[Traduction]

Dr Richardson : C’est une question fascinante. Je ne suis pas sûr de savoir si d’autres membres de la famille en consomment aussi, mais ce pourrait être inquiétant. Cependant, la consommation pourrait remonter au couple, ce qui n’est pas si rare. Je ne crois pas que de la recherche ait porté sur ce sujet. Je pense avoir mentionné les avantages de ne pas seulement faire de la recherche sur l’individu, mais de l’étendre à la famille pour discerner les avantages et les conséquences possibles.

[Français]

Le président : Vous savez comme moi que, s’il y a du cannabis à la maison, les adolescents, les conjoints ou conjointes pourraient être tentés de dire que papa ou maman en prend, donc je peux en prendre moi aussi.

[Traduction]

M. Walsh : Il importera beaucoup d’élaborer de la documentation pour favoriser la discussion avec les enfants sur la consommation de cannabis, particulièrement le cannabis thérapeutique. Il y en a déjà de publiée. Nous voyons des gens consommer de l’alcool en présence de leurs enfants. Il est sûr qu’ils ne voudraient pas que leurs enfants en consomment. C’est la même chose avec les opioïdes qu’on consomme pour combattre la douleur. Je pense que nous pouvons faire clairement savoir que ces produits sont destinés aux adultes et non aux enfants.

Encore une fois, je pense que cette réduction de la honte conduit à une discussion plus franche. Beaucoup de parents font erreur en cachant à leurs enfants leur consommation de cannabis. Ils leur font ainsi croire qu’il est mieux de la taire que d’en discuter ouvertement avec les parents. J’espère que cette discussion franche nous conduira à des situations comme celles que nous avons avec l’alcool et d’autres drogues.

La sénatrice Jaffer : Ce que vous avez dit est très intéressant. Je vais maintenant vous demander de sortir votre boule de cristal parce que la plupart d’entre nous sont en territoire assez nouveau.

J’aurais tellement de questions à vous poser sur les facultés affaiblies. On entend parler du cannabis non seulement à ce comité, mais aussi au Comité des finances et au Comité des affaires juridiques. Partout, on entend différents témoins qui présentent des points de vue différents. J’aimerais vous demander à tous s’il existe, à votre connaissance, un test qui nous permette d’établir si une personne a les facultés affaiblies. D’après ce que nous avons entendu, cela dépend. Les facultés de la personne qui consomme du cannabis depuis longtemps seront affaiblies de manière très différente de celles de la personne qui commence à peine à en consommer. Avez-vous une opinion sur la façon d’évaluer les facultés de la personne?

M. Walsh : En raison de la façon dont il est métabolisé, le cannabis présente un casse-tête particulier pour ce qui est d’évaluer comment il modifie les facultés d’une personne. Si elle présente un certain nombre de nanogrammes dans le sang, cela peut signifier qu’elle a consommé beaucoup de cannabis hier, qu’elle vient d’en ingérer, mais n’en ressent pas encore les effets ou qu’elle a les facultés affaiblies. Je pense que nous aurons beaucoup de mal à établir une limite de cannabis dans le sang qui voudra vraiment dire quelque chose.

Notre meilleur outil restera peut-être les tests de sobriété administrés sur le terrain, comme ceux qu’on administre aux contrôles routiers. Les analyses qui permettent d’approfondir ces évaluations pour déterminer si les facultés d’une personne sont affaiblies au moment où on la fait sortir de sa voiture seront plus éclairantes et plus justes qu’une limite fixe, compte tenu de la façon dont on métabolise le cannabis.

La sénatrice Jaffer : Pouvez-vous répéter cela?

M. Walsh : Pour évaluer les facultés de conduite, si nous pouvons évaluer les capacités des gens, comme leur temps de réaction, leurs fonctions exécutives et leur attention en contexte réel, toutes les choses qui peuvent être altérées, ce sera plus utile que de mesurer la quantité de cannabis dans le sang, surtout si ces observations s’ajoutent à une mesure du cannabis dans le sang. Il sera difficile d’évaluer les facultés d’une personne à la lumière de la quantité de cannabis dans son sang seulement. Il nous faut des critères comportementaux nous indiquant à quel point ses facultés sont affaiblies. Malheureusement, je ne crois pas qu’on puisse avoir accès à un test comme l’alcootest, qui nous donne une bonne indication, compte tenu de la façon dont l’alcool se métabolise. Je doute fort de voir apparaître des tests comparables pour le cannabis bientôt. D’ici là, je pense que l’idéal restera d’administrer des tests de sobriété.

La sénatrice Jaffer : Cela me pose problème, parce que dans ma carrière antérieure, j’étais avocate — je le suis toujours, d’ailleurs —, et j’ai plaidé bien des causes à la défense de clients accusés de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool. Ces appareils posaient beaucoup de problèmes; la mesure dépendait du moment où le test était administré — il y a 15 minutes ou dans les 2 heures —, de l’environnement et de la température, soit s’il faisait froid ou non. Il y a tellement de problèmes.

Je pense au fardeau que cela imposera aux policiers. Comment pourront-ils évaluer chaque personne et comment les tribunaux pourront-ils trouver qui que ce soit coupable de conduite avec les facultés affaiblies? Pour notre part, à titre de parlementaires et de législateurs, nous ne pourrons pas donner d’orientation claire, comme nous pouvons le faire à l’égard de l’alcool. Je ne sais trop. Je suis très inquiète et j’aimerais connaître votre opinion.

M. Walsh : Le problème n’est pas nouveau. À l’heure actuelle, il y a des gens consomment du cannabis en grande quantité. Je ne crois pas que ce sera si nouveau après l’entrée en vigueur de la loi, mais je conviens avec vous que c’est un vrai casse-tête, sur lequel les chercheurs devront se pencher.

La sénatrice Jaffer : J’ai une question à vous poser sur les prescriptions. Croyez-vous qu’un jour les médecins prescriront le cannabis à des fins médicales? Je sais qu’il y a des médecins qui le font déjà, mais pourrait-il être prescrit plus largement?

Dr Richardson : C’est très difficile à dire. Il ne fait probablement pas partie de mes talents de prédire l’avenir.

S’il y a suffisamment de preuves et d’indications en ce sens, que ce soit recommandé par Santé Canada ou la FDA, aux États-Unis, ou que ce soit une utilisation non conforme, je m’attendrais à ce que les médecins le prescrivent, comme tout autre traitement bénéfique. Je ne crois pas que nous en soyons déjà là, mais quand il aura reçu toutes les approbations réglementaires nécessaires, je serais porté à croire qu’il sera prescrit si c’est indiqué.

M. Pedlar : Dans une perspective à plus long terme, on peut regarder le cheminement de beaucoup d’autres médicaments. Par exemple, la digitale a longtemps été une plante crainte, et il a fallu beaucoup de temps pour qu’on fasse la distinction entre ses propriétés bénéfiques et ses côtés nocifs.

Selon mon expérience, les médecins aiment connaître ce qu’ils prescrivent. Il est difficile pour eux de se faire une bonne idée d’un produit qui renferme 87 substances chimiques. De manière générale, ils aiment prescrire des choses conçues à partir d’une molécule. Je pense que plus nous en apprendrons sur ses propriétés bénéfiques, le mieux nous serons placés pour concevoir des médicaments naturels ou synthétiques qui ressembleront davantage aux médicaments qu’on connaît, pour lesquels on sait exactement ce qu’on donne et quels sont les avantages et les effets indésirables.

La sénatrice Jaffer : Merci.

[Français]

Le président : Avant de céder la parole au sénateur McIntyre, j’aimerais revenir sur un point soulevé par la sénatrice Jaffer, qui faisait référence aux tests de dépistage de l’alcool dans le sang. J’ai été policier et aussi technicien d’ivressomètre pendant au moins une vingtaine d’années. J’étais opérateur et technicien qualifié. Bien que nos appareils aient été homologués depuis plusieurs années, il était très difficile, en cour, de gagner une cause avec un ivressomètre, et malgré le calcul des délais de deux heures.

Or, pour la drogue, on dit que les policiers pourront effectuer des tests cognitifs et recueillir un échantillon de sang dans un délai de deux heures. Souvent, les alcootests se font la nuit. Je vous mets au défi de trouver un hôpital, dans un délai de deux heures, alors que vous êtes en Abitibi, et d’avoir des médecins disponibles à l’unité d’urgence pour les administrer. À l’urgence, ces cas sont loin d’être la priorité. Je souhaite donc bonne chance aux policiers lorsqu’ils devront effectuer ces tests de dépistage pour la drogue — et je parle en connaissance de cause.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : La semaine dernière, nous avons entendu la Dre Courchesne, médecin en chef à Anciens Combattants Canada. Selon elle, la marijuana demeure une substance désignée, et pour cette raison, les chercheurs ont du mal à soumettre des propositions de recherche qui répondent aux critères du comité d’éthique. Vous connaissez tous l’état de la recherche à ce sujet. Avez-vous été confrontés à ce problème?

M. Walsh : Selon mon expérience du Comité d’éthique de la recherche, il y a tellement d’intérêt depuis quelques années pour les recherches sur le cannabis et tellement d’incitatifs à mener ces recherches que ce n’est pas le comité d’éthique qui constitue le principal obstacle.

Je pense que la principale difficulté est plutôt de trouver du financement pour la recherche sur le cannabis. La perception du milieu scientifique sur le cannabis, qui est d’abord considéré comme une drogue douce, lui confère une moins grande priorité de recherche que d’autres questions de santé. Ainsi, je pense qu’il y a surtout un manque d’intérêt et trop de stigmatisation.

De même, le grand problème à l’échelle internationale, c’est l’accès au cannabis dans les milieux de recherche, pour qu’on puisse en administrer à des fins de recherche. C’est un véritable casse-tête que d’avoir accès à du cannabis de la qualité requise pour mener des recherches fiables.

Les comités d’éthique de la recherche varient d’un endroit à l’autre, mais je ne pourrais vraiment pas dire que le comité d’éthique de la recherche que je connais ne nous aide pas.

Le sénateur McIntyre : Vous dites pourtant que le manque de financement, par exemple, nuit à l’avancement des connaissances dans ce domaine.

M. Walsh : Absolument. Le manque de financement et la stigmatisation générale dans le milieu scientifique, qui se dissipe un peu, je l’espère.

Le sénateur McIntyre : Le financement et la stigmatisation. Merci.

La sénatrice Wallin : J’ai deux petites questions complémentaires à poser, et je dois prévenir le sénateur Richards qu’il ferait mieux de ne pas se rendre aux États-Unis, compte tenu de toutes les confessions qu’il vient de faire aujourd’hui.

Le sénateur Richards : Je n’en ai pas pris depuis mes 16 ans, mais ils me jetteraient quand même en prison.

La sénatrice Jaffer : Pas en prison, mais vous seriez interdit d’entrée à vie.

La sénatrice Wallin : Docteur Richardson, je crois vous avoir entendu dire, en réponse au sénateur Richards ou au sénateur Dagenais, que vous avez vu des gens arrêter volontairement d’utiliser le cannabis pour essayer d’autres solutions. Les raisons à cela sont-elles toujours sensiblement les mêmes?

Dr Richardson : Nous sommes justement en train d’étudier les cas des personnes qui utilisent le cannabis ou l’ont utilisé. Quels seraient les avantages potentiels ou les raisons d’en diminuer la consommation? Pour certaines personnes, comme on l’a déjà dit, ce peut être en raison de la stigmatisation ou parce que certains de leurs proches ne voulaient pas qu’ils fument. D’autres n’aimaient pas le fait de fumer ou souffraient d’effets secondaires indésirables, comme d’une sensation d’insensibilité émotionnelle, d’anxiété, d’être gelés ou de ne pas se sentir eux-mêmes. Les raisons sont diverses.

La sénatrice Wallin : Cela m’amène à mon autre question complémentaire. Je pense que c’est M. Walsh qui a dit, en réponse à la sénatrice Griffin, qu’il n’y avait pas de différence marquée entre la marijuana médicale et la marijuana récréative. Nous serions assurément portés à croire qu’il y a moins de THC et plus de CBD dans la marijuana médicale, pour qu’on puisse profiter des effets bénéfiques sans se sentir drogué, n’est-ce pas?

M. Walsh : Certains consommateurs à des fins médicales préfèrent ou utilisent du cannabis contenant des doses plus élevées de THC. La distinction que j’essayais de faire, c’est que ce n’est pas le cannabis en soi qui soit médical ou récréatif, mais plutôt les raisons pour lesquelles il est utilisé et autorisé. Les personnes qui en consomment à des fins récréatives peuvent lui préférer diverses qualités. Cependant, il est vrai qu’il est plus probable que du cannabis à haute teneur en CBD soit utilisé à des fins médicales.

La sénatrice Wallin : Merci.

[Français]

Le président : Avant de clore notre séance, j’aimerais poser une dernière question à M. Walsh. Avez-vous entendu parler d’une combinaison de médicaments qui pourraient être utilisés avec le cannabis et qui feraient en sorte de permettre de réduire la quantité de cannabis à consommer?

[Traduction]

M. Walsh : C’est une excellente question. Si j’essaie d’imaginer la thérapie idéale à base de cannabis, je vois le cannabis comme un complément, qui s’ajouterait à une thérapie comportementale. Les professionnels de la santé aimeraient tous voir les gens affranchis des médicaments et être capables de faire de l’exercice ou de suivre une psychothérapie, selon leurs symptômes, afin de réduire la somme des médicaments qu’ils prennent, ainsi que leurs effets secondaires. Donc, s’il y a des médicaments qui ont moins d’effets secondaires indésirables que le cannabis, je pense que nous voudrons les préférer au cannabis. En revanche, il y a des médicaments susceptibles de causer du tort, comme les opioïdes chez les personnes sensibles à un usage abusif d’opioïdes, donc il pourrait être indiqué dans ces cas d’augmenter la dose relative de cannabis par rapport à celle des opioïdes. Selon le cas, il pourrait être plus ou moins efficace d’utiliser plus ou moins de cannabis qu’un autre traitement.

[Français]

Le président : Merci.

Cela conclut notre séance. Docteur Richardson, monsieur Walsh, monsieur Pedlar, merci de vos présentations et de vos témoignages, qui seront très utiles pour la production de notre rapport.

(La séance est levée.)

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