Délibérations du Sous-comité des
Anciens combattants
Fascicule no 16 - Témoignages du 23 mai 2018
OTTAWA, le mercredi 23 mai 2018
Le Sous-comité des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 12 h 2, afin de poursuivre son étude sur les services et les prestations dispensés aux membres des Forces canadiennes; aux anciens combattants; aux membres et anciens membres de la Gendarmerie royale du Canada et à leurs familles (sujet : Étude sur l’utilisation du cannabis à des finsmédicales par les anciens combattants canadiens).
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, bienvenue au Sous-comité des anciens combattants. Avant de passer à notre sujet, j’aimerais vous donner l’occasion de vous présenter, en commençant par ma droite.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
Le président : Je suis le sénateur Dagenais, président du sous-comité. J’aimerais remercier nos deux invités, M. James MacKillop et le Dr Albert Wong, d’avoir accepté notre invitation. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales par les anciens combattants canadiens.
M. James MacKillop est directeur du Michael G. DeGroote Centre for Medical Cannabis Research, à l’Université McMaster. Le Dr Wong est neuroscientifique et psychiatre au Centre de toxicomanie et de santé mentale. Messieurs, je vous souhaite encore une fois la bienvenue. Nous allons écouter vos présentations, puis nous passerons à la période des questions. Merci, messieurs, nous vous écoutons.
[Traduction]
James MacKillop, directeur, Michael G. DeGroote Centre for Medical Cannabis Research, Université McMaster, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner devant le comité.
À l’Université McMaster et au Centre de soins de santé St-Joseph de Hamilton, je suis directeur du Centre Peter Boris pour la recherche sur la toxicomanie et du Michael G. DeGroote Centre for Medical Cannabis Research. En ce qui concerne le Centre de recherche sur le cannabis médicinal, les principales activités sont financées par la philanthropie et non par l’industrie, et la mission du centre est d’en arriver à une compréhension du cannabis qui se fonde sur des données probantes, relativement aux effets thérapeutiques positifs et aux effets secondaires négatifs.
Nous avons trois stratégies pour ce faire : la création d’un portail web qui diffuse des renseignements scientifiques fiables sur le cannabis; la réalisation de nouvelles études de recherche pour recueillir de précieuses données et la création d’un réseau qui regroupe des partenaires internes et externes, comme le Dr David Pedlar, le directeur scientifique de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans.
Notre priorité est l’étude objective du cannabis médicinal, à l’instar de ce qui prévaut pour tout autre médicament. Fait important, l’existence du centre ne repose pas sur notre ferme croyance que le cannabis est un médicament efficace ou non; notre centre existe, parce que nous sommes persuadés que des recherches plus rigoureuses sont nécessaires. Notre objectif est de suivre les données, quelles qu’elles soient.
En guise de préambule à mes commentaires sur les données scientifiques sur le cannabis, je mentionne être conscient des sacrifices des vétérans. J’ai réalisé une partie de ma formation aux États-Unis à l’hôpital du département des Anciens combattants de Providence, et j’y ai côtoyé directement des vétérans. Je suis tout à fait conscient que de nombreux états de santé pour lesquels des vétérans souhaitent obtenir du cannabis, notamment la douleur chronique et l’état de stress post-traumatique, sont la conséquence directe de leur service.
Qui plus est, plus de 7 000 vétérans peuvent actuellement consommer du cannabis à des fins médicinales au Canada. Je sais que les décisions concernant ces politiques ne sont pas hypothétiques et qu’elles auront des effets sur de vraies personnes. Mon témoignage se fonde sur le recours aux meilleures données probantes possible pour améliorer la santé et le mieux-être des vétérans au Canada.
Venons-en aux questions à l’étude. Premièrement, il y a les données probantes sur lesquelles se fonde Anciens Combattants Canada pour justifier ses politiques concernant le remboursement d’un maximum de 3 grammes de cannabis en général et de 10 grammes de cannabis avec une autorisation dans des cas exceptionnels. Malheureusement, les recherches actuelles sur le cannabis médicinal ne permettent pas d’établir une posologie précise. Voilà l’une des différences qui existent entre le cannabis médicinal et les médicaments traditionnels.
C’est le produit lui-même qui explique cette imprécision quant à la posologie. C’est une plante, et non un comprimé, et c’est une plante qui contient des dizaines de composés qui agissent sur le système endocannabionoïde du corps. Par ailleurs, selon les hypothèses, l’interaction de ces divers composés procure des bienfaits thérapeutiques. Ce qui vient ajouter à la complexité du médicament, c’est que la plante peut être consommée de diverses façons. Cela influe sur la quantité d’ingrédients actifs qui sont consommés et le décours temporel de la consommation.
Toutefois, je vais vous illustrer les quantités dont il est question. Pour une personne qui consomme du cannabis à des fins non médicinales, une consommation de 3 grammes par jour serait considérée comme élevée, tandis qu’une consommation de 10 grammes par jour serait considérée comme extrêmement élevée. Dans le milieu de la recherche, la norme est de considérer qu’un gramme représente quatre joints ou cigarettes de cannabis. Les autorisations actuelles permettent donc la consommation de 12 ou de 40 cigarettes de cannabis par jour.
Fait important, la pharmacologie ne fait pas la distinction entre la consommation à des fins médicinales et la consommation à des fins non médicinales. Plus la quantité consommée est élevée, plus le risque d’effets secondaires est élevé. Par exemple, la probabilité qu’une personne qui consomme 10 grammes de cannabis par jour développe une dépendance physique serait très élevée, et ce serait la même chose pour une personne qui consommerait des doses élevées d’opioïdes ou de médicaments anxiolytiques. Par conséquent, les patients qui consomment des doses élevées sont plus susceptibles de ressentir des symptômes de privation et d’autres effets secondaires, comme une déficience motrice, des troubles cognitifs et un risque de développer une dépendance.
Il convient de souligner que les politiques d’Anciens Combattants Canada ne sont pas excessivement conservatrices comparativement au remboursement dans d’autres pays, comme en Israël et aux Pays-Bas, et qu’elles se fondaient sur les recommandations du Collège des médecins de famille du Canada. Dans l’ensemble, je crois que la politique d’Anciens Combattants Canada a suivi un processus décisionnel raisonnable et qu’elle tend généralement vers un accès accru plutôt que restreint.
Le deuxième enjeu dont j’aimerais parler concerne la quantité de données probantes à l’appui de la consommation de cannabis médicinal. Malheureusement, le consensus est que les applications médicales ont largement dépassé les données probantes. Il faut rappeler que le cannabis médicinal est arrivé sur le marché par le système juridique. Ce médicament n’a pas dû se plier au lourd processus normal des essais cliniques pour des indications précises que doivent suivre d’autres médicaments. Ce produit n’a pas de numéro d’identification du médicament, à l’instar des autres produits pharmaceutiques. C’est autorisé, ce qui signifie qu’une permission est accordée, mais ce n’est pas prescrit. Comme nous l’avons vu plus tôt, sa posologie est considérablement moins précise que d’autres médicaments, où une dose exacte est prescrite à intervalles précis.
Il y a certaines applications que les données probantes tendent moyennement à appuyer, comme la réduction des nausées chimio-induites, la douleur chronique et la spasticité liée à la sclérose en plaques. Cependant, en général, il n’y a pas suffisamment de données probantes pour juger de l’efficacité du cannabis pour le traitement d’autres états de santé, et cela inclut l’état de stress post-traumatique. Nous avons des conclusions d’observation intrigantes, mais il faudrait des essais cliniques aléatoires.
Pour les vétérans, il y a des données probantes en ce qui concerne le traitement de la douleur, mais les données probantes sont insuffisantes pour ce qui est de l’état de stress post-traumatique et d’autres états de santé.
Dans une telle situation, je crois qu’il faut faire preuve de prudence et de compassion dans le cas des vétérans qui consomment actuellement du cannabis médicinal. La réduction abrupte de l’accès ou l’adoption de modifications à la politique qui font grimper considérablement les coûts pourraient avoir de graves conséquences néfastes. Je crois plutôt qu’il sera important de consulter les vétérans qui consomment du cannabis par l’entremise de leurs fournisseurs de traitement, de surveiller de près leurs progrès et les effets secondaires et d’apporter des changements de manière graduelle et délibérée pour éviter des conséquences imprévues.
Quel effet la légalisation aura-t-elle sur le cannabis médicinal pour les vétérans? Je m’attends à ce que le cannabis légal et réglementé présente dans l’ensemble des avantages et des risques. Pour les vétérans qui consomment du cannabis médicinal, l’un des risques est que des patients continueront d’en consommer à des fins médicinales sans consulter un médecin ou qu’ils augmenteront la quantité autorisée en consommant des produits légaux à des fins récréatives.
La réalité demeure que le cannabis est une drogue psychoactive qui présente des risques établis, et plus les gens en consomment et plus les risques sont élevés. La consommation à des fins médicinales devrait toujours se faire en consultation avec un professionnel de la santé. Il faudra pleinement mettre en œuvre et appuyer le double système de Santé Canada pour le cannabis à des fins médicinales et le cannabis à des fins récréatives.
Certains ont fait valoir que la légalisation réduira les préjugés et qu’elle encouragera les vétérans à envisager la consommation de cannabis médicinal. Je n’en suis pas certain, parce que ce sont des données probantes équivoques. Si l’efficacité d’un traitement n’a pas été démontrée, est-il logique d’encourager des patients à demander un tel traitement?
J’espère que les cliniciens et les patients se fieront aux données probantes.
Dans le cas en question, les données probantes justifient la consommation de cannabis pour le traitement de la douleur, mais les données probantes sont insuffisantes pour le traitement de l’état de stress post-traumatique. Qui plus est, des études ont établi un lien entre la consommation de cannabis et l’automutilation et le suicide chez les vétérans américains. La prudence est donc de mise. Un optimisme exagéré peut mener à de graves conséquences.
Quelle est la suite des choses? Nous devons mener d’autres essais cliniques aléatoires, parce que les études d’observation ne peuvent tout simplement pas démontrer l’efficacité d’un traitement comparativement à un état placebo. J’ai personnellement soigné des vétérans qui avaient des troubles concomitants liés à l’état de stress post-traumatique et à la consommation d’alcool. Selon les dires des patients, l’alcool contribuait à réduire les symptômes. Or, nous savons que l’alcool n’est pas la réponse. L’alcool offre une solution à court terme, qui entraîne des problèmes à long terme. Nous devons nous assurer que ce n’est pas la même chose pour le cannabis. Toutefois, la tenue d’essais cliniques aléatoires prend du temps, et nous devons déterminer ce que nous devons faire entre-temps.
Nous avons besoin de plus de recherches longitudinales dans un contexte réel. Nous devons recruter des vétérans et d’autres consommateurs de cannabis à des fins médicinales pour former des cohortes, en vue de surveiller et d’évaluer l’évolution positive et négative des changements. Nous avons besoin d’accroître la transmission active du savoir et d’élaborer des lignes directrices pour nous assurer que les vétérans sont conscients des possibles applications et de la réalité des risques et donner aux cliniciens une orientation claire qui se fonde sur les meilleures données probantes disponibles.
Je souligne que le Canada et le monde dépendent souvent des recherches réalisées aux États-Unis relativement à la conception de produits pharmaceutiques. Cependant, en raison des contradictions réglementaires aux États-Unis, ce pays n’a pas joué un rôle de chef de file. Par conséquent, la situation actuelle au Canada nous donne l’occasion d’être un chef de file mondial dans la recherche sur le cannabis. Il faudra, pour ce faire, des investissements massifs, mais il s’agit d’un enjeu important pour l’ensemble de la société canadienne. Je reconnais que cela peut vous apparaître comme un commentaire intéressé; la réalité concrète demeure que le financement est essentiel à la réalisation d’excellentes études et surtout d’essais cliniques de qualité.
L’aspect le plus important pour la suite des choses sera peut-être de consulter les vétérans et les autres consommateurs de cannabis à des fins médicinales dans le système de santé avant et après la légalisation. Ce sera essentiel de le faire pour éviter de créer un système auxiliaire qui permet de contourner les fournisseurs de soins de santé et qui se fonde sur des mythes et des légendes, plutôt que sur des données probantes.
Merci de me donner l’occasion de témoigner devant votre comité.
[Français]
Le président : Merci de votre présentation. Nous allons maintenant entendre le témoignage du Dr Albert Wong.
[Traduction]
Dr Albert Wong, neuroscientifique et psychiatre, Centre de toxicomanie et de santé mentale, à titre personnel : Merci de votre invitation. Je pensais commencer mon exposé par un résumé de mes antécédents pour que vous soyez au fait de mon champ d’expertise et de ce qui n’en fait pas partie.
Comme vous l’avez entendu, je suis neuroscientifique et professeur titulaire au Département de psychiatrie, au Département de pharmacologie et de toxicologie ainsi qu’à l’Institut des sciences médicales de l’Université de Toronto. C’est à cet endroit que se déroulent environ 75 p. 100 de mes recherches.
Quant à l’autre 25 p. 100 du temps, je suis psychiatre au Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui est le plus grand hôpital psychiatrique au Canada. Dans le cadre de mon travail clinique, je travaille principalement au service des urgences. C’est le plus grand service des urgences en psychiatrie au Canada. Nous avons environ 10 000 visites uniques par année.
Je travaille également à la clinique de stimulation cérébrale, où nous offrons de l’électroconvulsothérapie et de la stimulation magnétique transcrânienne. Je fais également des consultations en psychopharmacologie.
Mes recherches sont en général très éclectiques. J’utilise des modèles mutants de gènes pour comprendre le rôle que jouent les gènes dans les troubles psychiatriques qui touchent le développement du cerveau, les comportements, la formation des circuits et l’anatomie du cerveau. Je mène également des recherches cliniques et j’utilise la réalité virtuelle comme environnement, ce qui nous permet d’examiner les fonctions cognitives de manière plus réaliste.
En ce qui concerne mes travaux concernant l’état de stress post-traumatique et les vétérans, j’ai réalisé une étude il y a longtemps sur le suicide chez les troupes de maintien de la paix du Canada, et j’ai participé plus récemment à plusieurs projets liés à l’état de stress post-traumatique. Le premier est très pertinent à vos travaux, et le projet a été réalisé de concert avec Lakshmi Kotra, qui est un chimiste des médicaments de l’Université de Toronto. Notre étude portait sur une simple question : qu’est-ce qui se trouve dans le cannabis que les gens aux prises avec un état de stress post-traumatique affirment être utile? Nous avons recruté des patients aux prises avec un état de stress post-traumatique — principalement des civils — à Toronto et nous leur avons demandé de répondre à des questionnaires pour décrire les symptômes de leur état de stress post-traumatique et leur gravité. Nous avons ensuite prélevé un échantillon de leur cannabis et un échantillon sanguin pour essayer de déterminer ce qui se trouve dans leur corps et le cannabis qu’ils consomment.
Brièvement, il y a deux autres études liées à l’état de stress post-traumatique. La première est une étude atypique qui se penche sur la perturbation de la reconsolidation de la mémoire chez les patients aux prises avec un état de stress post-traumatique. Il s’agit d’un essai clinique aléatoire. Si vous avez déjà vu le film Du soleil plein la tête, dans le film, Jim Carrey joue le rôle d’une personne qui a une mauvaise relation et qui souhaite effacer ces souvenirs de sa mémoire. Il rencontre une personne qui peut le faire pour lui. C’est un peu une comédie et un film de science-fiction.
L’idée derrière notre étude est que l’électroconvulsothérapie, ou l’ECT, déclenche des crises d’épilepsie et que cela sert à traiter la dépression. C’est un traitement très efficace contre la dépression, mais ce traitement entraîne évidemment comme effet secondaire des troubles de la mémoire qui prennent la forme d’amnésie à court terme au moment de l’ECT. C’est parce que le traitement perturbe la formation de souvenirs et que cela perturbe aussi la reconsolidation de la mémoire. Lorsque vous vous rappelez quelque chose, vous devez réactiver chaque fois le souvenir. L’idée est de choisir au hasard des gens pour réactiver leur souvenir traumatisant ou un souvenir neutre avant chaque traitement, et notre hypothèse est qu’en réactivant le souvenir traumatisant cela permettra à la crise d’épilepsie de perturber ce souvenir chaque fois. Nous exploitons l’effet secondaire de l’ECT pour en tirer un effet thérapeutique.
La dernière étude dont je veux vous parler est celle que je réalise de concert avec Fang Liu, un autre collègue scientifique de l’Université de Toronto. Nous avons découvert un complexe protéique, et nous croyons que ce complexe protéique joue un rôle dans l’état de stress post-traumatique. Nous avons un peptide thérapeutique qui cible ce complexe. Nous pensons que cela peut prévenir et traiter l’état de stress post-traumatique, du moins dans les modèles animaux. C’est un paradigme intéressant, parce que cela signifierait qu’après avoir été exposée à un traumatisme, une personne pourrait prendre le peptide et que cela préviendrait l’apparition d’un état de stress post-traumatique. Ce sont des premiers soins en santé mentale un antidote, pour ainsi dire.
Dans un autre ordre d’idées, je dois dire que je suis d’accord avec les commentaires de James. Je crois que nous avons besoin de beaucoup plus de connaissances sur le cannabis, en ce qui concerne les notions scientifiques de base et la pharmacologie. Les deux récepteurs endocannabinoïdes connus ont été découverts il y a moins de 20 ans. Nous en sommes qu’au début de notre compréhension du fonctionnement de ce médicament et de son effet sur le cerveau. Nous ne comprenons pas très bien le système endocannabionoïde. Nous pensons que ces récepteurs dans le cerveau, à l’instar des récepteurs opioïdes, ne sont pas là principalement pour être activés par un médicament, mais bien parce que le corps a son propre système. Ce n’est pas bien compris.
Je suis également d’accord avec James pour dire qu’il n’y a aucun essai clinique aléatoire ou à double insu clair, qui démontre l’efficacité du cannabis. Je suis également d’accord avec James sur un point très important. Nous pouvons voir le cannabis comme du vin. Chaque vin est différent, et c’est très difficile de dire qu’un vin ou un autre se marie mieux avec du poisson ou du bœuf. C’est la même chose avec le cannabis. Il y a de nombreuses variétés et des dizaines de substances chimiques psychoactives dans chaque plant de cannabis. Il est très difficile de tirer des conclusions générales au sujet du cannabis comme si c’était une chose. Ce n’en est pas une. Sur le plan pharmacologique, c’est un ensemble de nombreux composés psychoactifs différents.
Nous avons certaines données probantes. Nous n’en avons évidemment pas provenant d’essais cliniques aléatoires qui sont la référence dans le milieu, mais il y a des preuves cliniques qui démontrent que le cannabis peut être efficace pour traiter l’état de stress post-traumatique. Je présume que des essais cliniques aléatoires démontreront que le cannabis procure un certain avantage, mais je doute que le cannabis ait un effet curatif.
Mon dernier point est que, même si je crois que nous devrions examiner la façon dont nous utilisons le cannabis pour traiter l’état de stress post-traumatique, c’est probablement semblable aux autres médicaments que nous utilisons en psychiatrie. Ce n’est pas différent de l’alcool ou des benzodiazépines. Toutes ces drogues et tous ces médicaments ont des composés psychoactifs qui modifient la façon dont la personne se sent, pense et se comporte. Dans certains cas, ce traitement peut être thérapeutique; dans d’autres cas, ce traitement peut être problématique.
Nous avons beaucoup à apprendre avant d’en arriver à des traitements curatifs, au lieu de tout simplement atténuer les symptômes que ressent une personne et de peut-être contrer ce qu’elle considère comme un problème. Je crois que c’est une démarche de base raisonnable. C’est là où nous en sommes. C’est le niveau technologique que nous avons en psychiatrie. Je crois qu’il faut vraiment nous tourner vers l’avenir et déterminer les endroits où nous pouvons nous améliorer. J’en profite pour vous encourager à soutenir la recherche fondamentale, et la recherche sur le cannabis pourrait occuper une place importante dans ce milieu, parce que les récepteurs cannabinoïdes ont manifestement un grand effet sur les symptômes de l’état de stress post-traumatique. Je crois que c’est un point d’entrée utile sur le plan neurobiologique, mais ce n’est que le début. Merci.
[Français]
Le président : Merci, docteur Wong. Nous allons poursuivre avec la période des questions.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Messieurs, je vous remercie de vos excellents exposés et des connaissances dont vous nous avez fait part sur l’état des recherches sur la consommation de cannabis à des fins médicinales chez les vétérans.
Ma première question vise les différences entre les sexes en ce qui concerne la consommation de cannabis médicinal. Y a-t-il des considérations liées au sexe dont nous devons tenir compte concernant la consommation de cannabis médicinal? Par exemple, y a-t-il quelque chose qui indique que le cannabis affecterait les hommes et les femmes différemment?
M. MacKillop : Pour ce qui est du cannabis médicinal, nos connaissances sont moindres que les connaissances provenant de recherches précliniques fondamentales sur des modèles de rongeurs mâles et femelles, par exemple. Dans ces recherches, nous voyons clairement qu’il y a des différences entre les sexes. Ce sera probablement un aspect important dont il faudra tenir compte dans les applications médicales. Je souligne en particulier que dans certaines recherches actuellement à l’Université McMaster nous étudions de nouveaux cannabinoïdes pour traiter la douleur dans des modèles animaux et nous constatons des réactions très différentes entre les rats et les rates avec un modèle animal utilisant le rat.
Nous savons que c’est le cas dans des paradigmes expérimentaux où nous avons un grand contrôle. Nous savons moins ce qu’il en retourne en fonction de la consommation réelle des gens. C’est un aspect important dont il faut tenir compte, et c’est l’une des questions qui restent sans réponse.
Le sénateur McIntyre : Les hommes et les femmes doivent surmonter des obstacles différents, en ce qui a trait à la consommation de cannabis médicinal.
M. MacKillop : Je ne dirais pas que ce sont des « obstacles ». Je dirais plutôt que la drogue a un effet différent dans le corps selon le sexe et qu’elle peut être néfaste ou utile, mais nous ne comprenons pas encore pleinement la façon dont cela se produit.
Dr Wong : Je suis d’accord avec James. Nous n’avons pas suffisamment de données provenant d’essais cliniques avec des humains, mais il y a des différences marquées entre les sexes dans les modèles animaux. C’est vrai pour pratiquement l’ensemble des médicaments qui influent sur le cerveau. Les effets sur les animaux mâles et femelles sont différents. Il y a d’importantes interactions gène-environnement et gène-gène à l’origine de l’état de stress post-traumatique et de tous les troubles psychiatriques de même que tous les phénotypes cérébraux et comportementaux. Il n’y a pas suffisamment de connaissances.
Un aspect connexe et important lié au sexe est que la nature, de l’état de stress post-traumatique que vivent les hommes et les femmes, est souvent très différente. Je côtoie normalement des patients civils aux prises avec un état de stress post-traumatique, et ce sont très majoritairement des femmes. L’histoire et l’origine de leur état de stress post-traumatique sont très différentes de ce que nous constatons chez les vétérans.
Les femmes, aux prises avec un état de stress post-traumatique dans la population civile, ont normalement été victimes de violence et de négligence durant l’enfance et souvent de traumatismes sexuels sur une longue période durant l’enfance. Ces antécédents interagissent avec d’autres traumatismes à l’âge adulte qui prennent souvent encore la forme de violence sexuelle ou d’agression sexuelle.
C’est différent de l’état de stress post-traumatique des militaires ou des premiers répondants. Dans ce milieu, ce sont majoritairement des hommes, qui font l’objet d’un examen pour s’assurer que leur santé mentale et psychologique est aussi bonne que possible avant d’être exposés à des traumatismes de combat. Ces traumatismes sont très faiblement liés à des expériences vécues durant l’enfance ou ils ne le sont pas du tout.
Ce sont deux situations différentes du point de vue du tableau clinique et de la neurobiologie. Des données probantes démontrent clairement que les traumatismes vécus durant la petite enfance modifient la manière dont le cerveau perçoit et traite les traumatismes à l’âge adulte. Ce sont des considérations importantes.
Ce n’est peut-être pas directement lié à des différences entre les sexes; il peut s’agir d’interactions d’un sexe dans l’environnement ou la société qui mènent à des cheminements cliniques différents. C’est important, parce que vous ne pouvez pas les dissocier en réalité. Nous pouvions le faire en laboratoire avec des animaux. La réalité clinique avec des patients adultes est que vous ne pouvez pas dissocier tous ces facteurs cumulatifs qui sont associés à un sexe, mais qui peuvent ne pas découler directement de la biologie. Certains découlent du sexe biologique, alors que ce n’est pas le cas pour d’autres.
Le sénateur McIntyre : Selon vous, le gouvernement fédéral devrait-il jouer un rôle plus important en vue de faire progresser nos connaissances sur la consommation de cannabis à des fins médicinales concernant expressément les vétérans?
Dr Wong : La réponse simple est oui. Le gouvernement pourrait collaborer avec des intérêts commerciaux pour offrir du financement en vue d’approfondir la recherche. Nos connaissances accusent de grandes lacunes. Il s’agit d’une situation où la consommation et la culture populaire sont nettement en avance sur les connaissances scientifiques et l’expertise clinique. Les lacunes sont importantes.
De nombreux domaines scientifiques peuvent être intéressants et être une priorité du point de vue des connaissances, mais ce n’est peut-être pas vraiment un besoin sur le plan pratique pour la population. Dans le cas présent, les gens consomment du cannabis, et la légalisation s’en vient. Par ailleurs, les vétérans aux prises avec un état de stress post-traumatique consomment du cannabis. Je crois que cela renforce la nécessité d’en apprendre davantage sur la question, de déterminer si cela fonctionne et de cerner les éléments qui fonctionnent et les fins auxquelles ils fonctionnent.
Le sénateur McIntyre : Aimeriez-vous formuler des recommandations précises au gouvernement du Canada?
Dr Wong : J’aimerais réitérer ce que j’ai dit plus tôt. Il est évident que nous devons réaliser des essais cliniques pour étudier l’efficacité du cannabis et des différents types de cannabinoïdes. C’est une question évidente et pratique. Je suis d’avis que nous avons également besoin de beaucoup de connaissances en amont au sujet de la biologie de base du cannabis et de l’état de stress post-traumatique. Ces deux éléments sont importants. Autrement, c’est un mystère, et nous essayons de déterminer si cela fonctionne. C’est la question ultime. D’un point de vue pratique, c’est important, mais ce n’est pas suffisant.
Le sénateur McIntyre : Merci.
M. MacKillop : Je suis aussi d’avis que ce serait tout à fait adéquat pour le gouvernement fédéral d’investir dans la recherche dans ce domaine, parce que la consommation à des fins récréatives et médicinales est un enjeu qui a vraiment une portée nationale.
En ce qui a trait aux domaines prioritaires, à certains égards, le mal est déjà fait. Il faut réaliser des recherches sur ce qui se passe maintenant parmi les gens qui consomment déjà du cannabis à des fins médicinales : les vétérans et les autres.
C’est important qu’au moment de la légalisation et après il y ait une surveillance et une évaluation des effets sur la vie des Canadiens. Cela ne nous empêche pas d’intensifier la recherche fondamentale ou de réaliser d’autres essais à pleine échelle qui nous permettront de dire sans équivoque si c’est un possible traitement efficace.
La sénatrice Griffin : Je vous remercie tous les deux de votre présence ici aujourd’hui. C’est vraiment intéressant.
J’ai dans ma main quelque chose qui vous semblera familier. Ce document a été produit par le centre de recherche sur le cannabis médicinal Michael G. DeGroote de l’Université McMaster. C’est un article qui mentionne qu’en 2014 le Collège des médecins de famille du Canada a conseillé aux médecins de ne pas prescrire de cannabis médicinal aux patients âgés de moins de 25 ans.
Nous avons beaucoup de vétérans au pays qui sont âgés de moins de 25 ans. Que pensez-vous de ce conseil et de l’effet qu’il aurait sur les jeunes vétérans?
M. MacKillop : C’est l’un de nos produits de connaissance. Je suis ravi que vous l’ayez vu. Il nous arrive parfois de nous demander le nombre de gens qui lisent nos produits de connaissance. C’est merveilleux de voir une personne en consulter un.
Le point que vous faites valoir illustre parfaitement le dilemme de nombreux médecins. Le conseil est nébuleux; il y a des zones grises, et les décisions sont difficiles à prendre quand cela concerne des personnes auxquelles les recommandations claires ne s’appliquent pas.
Si nous ne pouvons pas dire que c’est un traitement vraiment efficace et que la personne est peut-être à haut risque, compte tenu de ses antécédents, il devient difficile de rendre une décision clinique et de dire si le cannabis est adéquat. Il serait difficile de déclarer qu’en aucun cas ce ne serait approprié, mais la prudence serait de mise.
Cela illustre les défis auxquels font face les fournisseurs de soins de santé lorsqu’un traitement existe, mais sans avoir été approuvé comme nous approuvons habituellement les soins médicaux.
Dr Wong : Le principal point neurobiologique ici est que le cerveau humain ne finit pas de se développer avant au moins l’âge de 30 ans. Peut-être que certains d’entre vous avez des enfants en âge d’aller à l’université. La raison pour laquelle un jeune de 18 ans ou de 21 ans ne peut pas louer une automobile ou doit payer cinq fois plus cher que les autres son assurance est que son cerveau n’est pas mature. Les lobes frontaux sont les derniers à arriver à maturité. Ce sont les parties qui prennent les décisions éclairées, par exemple, lorsqu’on conduit.
Là où je veux en venir est que toute substance psychoactive peut influer sur le développement du cerveau. C’est particulièrement problématique au début du développement, surtout in utero, et ensuite à l’enfance et à l’adolescence. Ce l’est moins au fur et à mesure que la personne vieillit; c’est une courbe asymptote. Le cerveau se développe de moins en moins au fur et à mesure que la personne vieillit.
Voilà d’où cela vient.
Je suis d’accord avec James pour dire que nous n’en savons vraiment pas assez. Ce qui nous préoccupe en ce qui concerne la consommation du cannabis chez les adolescents, c’est le risque de maladies psychotiques, comme la schizophrénie. C’est une question pour laquelle nous n’avons toujours pas de réponse; nous ne savons toujours pas s’il y a un lien de cause à effet ou si les personnes plus susceptibles de souffrir de maladies psychotiques sont plus portées à en consommer, ou s’il s’agit d’une forme d’automédication : une relation de cause à effet ou d’héritage biologique. Nous n’avons toujours pas répondu à de simples questions comme celles-là.
Sans savoir ces choses, comme James l’a dit, il est difficile de formuler une recommandation clinique concrète. La première phrase du serment d’Hippocrate est de ne causer aucun tort. Lorsqu’ils ne savent pas, les médecins ont tendance, à juste titre, à être prudents et à ne pas recommander un médicament sans vraiment savoir s’il fera plus de bien que de mal. En revanche, les gens consomment du cannabis de toute manière, et quand il sera légalisé, et il est clair que les adultes et les moins de 25 ans y auront pleinement accès.
Par exemple, aucun des médicaments que je prescris n’a reçu l’approbation du fabricant pour être consommé avec de l’alcool. En réalité, la plupart des patients boivent de l’alcool, et ils demandent souvent s’ils peuvent boire en prenant leurs médicaments. Je leur réponds toujours quelque chose comme : « Officiellement, non, vous ne pouvez pas. Je sais que vous allez probablement boire quand même, alors essayez de ne pas boire avec excès. Essayez de faire attention. » C’est le message réaliste. Si je dis au patient moyen qu’il ne peut pas boire lorsqu’il prend des antidépresseurs, il est plus probable qu’il arrête de prendre des antidépresseurs que de l’alcool.
M. MacKillop : J’abonde dans le même sens qu’Albert, et ils soulignent aussi le paradoxe que les gens qui consomment le plus de cannabis sont les personnes à la fin de l’adolescence et au début de la vingtaine. Les cliniciens font un choix pragmatique lorsqu’ils font des recommandations qui tiennent compte de la neurobiologie, ce qui est tout à fait exact, tout en reconnaissant qu’on y aura accès, et que bien des patients consomment déjà du cannabis. Serait-il préférable de le faire sous supervision médicale?
La sénatrice Griffin : D’accord, merci.
La sénatrice Wallin : J’ai une question en deux parties, monsieur MacKillop. Vous parlez du besoin de mener des essais cliniques et des tests adéquats. N’avez-vous pas d’entente avec Anciens Combattants Canada pour utiliser cette base de 7 000 personnes comme point de départ? Se préoccupe-t-on des questions de protection de la vie privée? À mon sens, cela me semble l’endroit tout indiqué.
M. MacKillop : Nous discutons activement de collaborations avec Anciens Combattants Canada et l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. Il s’agit là de ressources essentielles. C’est la circonscription la plus touchée, c’est clair.
C’est difficile de songer à ce groupe en ce qui concerne les essais en cours car, de bien des façons, un essai doit être équilibré sur le plan expérimental et il nécessiterait la participation de personnes qui n’ont pas déjà fait l’expérience de cette drogue, par exemple, et qui répondraient à certains critères d’admissibilité. En outre, devrions-nous essayer de comprendre les habitudes de consommation et les abus potentiels parmi les consommateurs actuels? Absolument. C’est ce à quoi je faisais vraiment allusion lorsque je parlais du besoin de faire maintenant de la recherche en temps réel dans le vrai monde pour comprendre les conséquences positives et négatives et reconnaître qu’un essai n’est peut-être pas la meilleure façon de procéder dans le cas des utilisateurs de cannabis à des fins médicales.
La sénatrice Wallin : Une des questions que nous traitons aujourd’hui — elle s’applique à la marijuana à des fins médicinales, mais elle sera bien réelle une fois que la marijuana aura été légalisée — est celle des tests de déficience fonctionnelle. Comment faire pour les mettre en place? Je vais demander au Dr Wong : je pense que nous avons dit la semaine dernière que la marijuana compte 87 composantes chimiques ou éléments. Est-ce différent dans le cas de la marijuana à des fins récréatives dans laquelle les taux de THC et de CBD sont plus élevés, et cetera?
D’abord cette autre question : que faire à ce stade pour ce qui concerne les tests de déficience fonctionnelle dans la communauté et après la légalisation de la marijuana?
M. MacKillop : Les résultats fonctionnels sont essentiels pour évaluer le cannabis à des fins médicinales. Ce n’est pas qu’une question de réduction des symptômes; c’en est aussi une de rétablissement du fonctionnement. Un de mes collègues à Saint Joseph’s Health Care London, Don Richardson, qui a déjà témoigné devant le comité, a vu dans certains de ses patients que, bien qu’il puisse y avoir une réduction des symptômes, cela ne signifie pas que les gens recouvrent la santé. Ils ne prennent pas nécessairement du mieux; certains symptômes pourraient être dissimulés.
Nous avons besoin d’utiliser des canaux multiples. Dans les essais pilotes que nous sommes en train d’élaborer, nous nous penchons sur les symptômes, les résultats fonctionnels, les essais neuropsychologiques et les biomarqueurs pour pouvoir employer une approche à canaux multiples afin de déterminer s’il y a des incidences positives et, le cas échéant, quels sont les mécanismes qui les sous-tendent.
Au sein de la collectivité des anciens combattants qui utilisent du cannabis à des fins médicinales, nous devons élargir notre examen au-delà des simples symptômes pour tenir aussi compte du rétablissement fonctionnel et d’autres domaines comme celui de la cognition pour comprendre ce qui se passe.
La sénatrice Wallin : Cela revient à la question que vous avez posée, c’est-à-dire celle de savoir s’ils devraient être autorisés à travailler ou à conduire lorsqu’on leur en prescrit déjà — comme vous le dites, on ignore ce qu’on leur prescrit, mais c’est ce qu’on leur prescrit.
M. MacKillop : Exactement.
Dr Wong : Pour reprendre ce point, j’élargirais la question pour y inclure toutes les substances psychoactives que nous prescrivons et utilisons à des fins récréatives.
Les déficiences et les résultats fonctionnels sont des questions différentes, mais connexes. Nous avons déjà un problème actuel avec nombre d’autres substances psychoactives que nous utilisons — antipsychotiques, antidépresseurs, psychorégulateurs, anticonvulsivants — chacun a un effet sédatif et peut toucher le temps de réaction moteur, la perception — des éléments importants qui peuvent rendre la conduite dangereuse. Je ne pense pas que nous ayons une bonne réponse à cela.
L’alcool est pratique parce qu’il existe un alcootest. Comme nous le savons tous, le taux d’alcoolémie et le fonctionnement d’une personne varient grandement. Il arrive qu’aux urgences, je vois quelqu’un dont les facultés semblent légèrement affaiblies et je suis choqué de voir que son taux d’alcoolémie est quatre ou cinq fois supérieur à la limite légale pour conduire, mais qu’il est capable de tenir une conversation cohérente. Si j’étais à une fête ou si j’étais barman, je ne remettrais jamais en question sa capacité de conduire. D’autres personnes peuvent devenir complètement incohérentes après une seule consommation.
C’est une chose importante — les tests fonctionnels pour déterminer si une personne peut opérer une machine ou conduire de façon sécuritaire. Nous ne les avons pas. Je ne suis pas certain que nous le ferons. C’est une question difficile. Il n’est pas seulement question du cannabis et des dizaines de produits chimiques qui entrent dans sa composition.
La sénatrice Wallin : Pour clarifier cet autre point, en ce qui concerne les effets chimiques ou psychotropes, vous ne voyez pas grand différence entre la marijuana à des fins médicinales et la marijuana à des fins récréatives?
Dr Wong : Dans un sens, il n’y a aucune différence, car chaque plant diffère d’un lot à l’autre ou d’un plant à l’autre. Certains raisins qui ont donné du bon vin une année pourraient ne pas le faire l’année suivante; c’est pour ces mêmes raisons qu’il y a tant de variables qui touchent les composantes chimiques de tout plant.
Toute souche assortie d’une combinaison de composantes pourrait être prise à des fins récréatives ou prescrites. Simplement pour vous fournir des données préliminaires de notre étude, ce que nous avons observé était déjà surprenant en quelque sorte. Nous avons présumé, comme je pense que les gens le font dans les articles scientifiques, qu’il existe deux cannabinoïdes bien connus : le delta-9-tétrahydrocannabinol, le THC, et le cannabidiol, le CBD. Il y en a bien d’autres, mais ce sont les deux qui ont été les mieux étudiés. Le THC est celui qui semble faire en sorte que les personnes qui l’utilisent à des fins récréatives se mettent à planer. C’est aussi ce qui, à plus fortes doses, peut cause de l’anxiété sociale et parfois de la paranoïa flagrante. Le CBD a des propriétés plus sédatives et calmantes.
Dans les articles scientifiques, les gens croient qu’il serait préférable que le taux de CBD soit meilleur pour traiter quelque chose comme le SSPT. Ce n’est pas ce que nous avons constaté à ce jour. Nous cherchons à recruter une cinquantaine ou une soixantaine de sujets. Nous sommes à mi-chemin. Nous n’avons mené une analyse préliminaire que sur du THC et du CBD. Il s’agit de patients souffrant du SSPT qui consomment du cannabis et qui disent que cela les aide. Ils utilisent des souches à teneur de THC beaucoup plus élevée que ce à quoi nous nous attendions.
Pour ce qui est des résultats fonctionnels du traitement des personnes souffrant de SSPT avec du cannabis, je ne saurais dire dans quelle mesure cela va changer, j’en conviens. Je pense que les gens font état d’une réduction des symptômes, et c’est probablement ce que l’essai clinique va révéler. Je ne sais pas.
Cependant, j’aimerais aussi dire que c’est le cas d’à peu près tous les médicaments que nous utilisons en psychiatrie. La société doit traiter un gros problème collectivement — les antipsychotiques sont très bons pour traiter les symptômes antipsychotiques; 90 p. 100 des patients rapportent que leurs symptômes diminuent considérablement ou qu’ils disparaissent. Cependant, cela ne change pas leurs résultats dans la vie. Comme Freud l’a dit, les marqueurs du fonctionnement sont l’amour et le travail. Cela signifie les relations sociales, familiales et intimes, et la capacité de fonctionner, d’avoir un travail rémunéré, du succès professionnel, et cetera. Les schizophrènes n’y arrivent pas.
Nous devrions avoir des normes élevées pour évaluer le traitement des maladies, y compris le cannabis pour le SSPT. N’oubliez pas que la norme n’est pas vraiment respectée pour les maladies psychiatriques à ce jour. Nous sommes réalistes tout en restant ambitieux.
La sénatrice Wallin : Merci.
J’ai 1 000 questions de plus. Je vais attendre la seconde série.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d’être ici. Je trouve la discussion fascinante.
Une des choses qu’on nous dit depuis un certain temps est que le cannabis à des fins médicinales réduirait l’utilisation d’opioïdes contre la douleur, ainsi que d’autres médicaments contre l’insomnie et l’anxiété. Les responsables d’Anciens Combattants Canada ont affirmé ne pas encore avoir observé cette corrélation parmi leurs clients, puisque pareilles tendances pourraient prendre des années à émerger.
Pensez-vous que l’utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques pourrait entraîner une baisse de l’utilisation des opioïdes ou d’autres médicaments? Observez-vous déjà une tendance?
M. MacKillop : On vient juste de publier deux études dans la revue JAMA Internal Medicine qui portent sur les régions desservies aux États-Unis et qui fournissent d’autres outils pour réduire les prescriptions, du moins, d’opioïdes, dans les États où le cannabis a été légalisé à des fins médicinales. Il semble y avoir, de plus en plus, d’articles sur le sujet, mais d’une perspective très exaltée. Il s’agit d’études de très haut niveau qui ne peuvent pas dire s’il y a substitution réelle et qui ne peuvent justifier tous les changements aux pratiques de prescription globales, en raison de la hausse du danger entourant les opioïdes et de leurs propriétés qui créent une dépendance.
Nous n’avons pas de données qui en parlent. Il se pourrait qu’il faille beaucoup de temps au sein d’ACC pour les détecter, parce qu’il s’agit d’effets légers seulement détectables dans les grandes séries de données, et je pense qu’il s’agit aussi simplement d’associations d’observation. On ne peut affirmer que le cannabis à des fins médicinales est en cause. Je suis à la fois, convaincu par les données accumulées et prudent, car je reconnais qu’il s’agit de corrélations et non de liens de cause à effet.
Dr Wong : Je suis d’accord avec James, et j’ajouterais quelques points.
La première chose est que si notre but est d’apaiser la douleur… Ce n’est pas principalement ce que je traite. Ce n’est pas mon domaine de spécialisation, mais sans égard aux cibles en matière de symptômes, il est possible que le cannabis augmente, par exemple, les propriétés analgésiques des opiacés. Une façon d’analyser le résultat est une réduction possible de la prescription ou de l’utilisation d’opiacés. Il pourrait aussi y avoir un scénario dans lequel la dose d’opiacés ne change pas, mais le patient bénéficie d’un meilleur soulagement de la douleur. C’est important de le garder à l’esprit. C’est compliqué.
Par ailleurs, laissez-moi vous donner un exemple de patiente que j’ai vue il y a quelques semaines. Elle est arrivée avec un début de THADA à l’âge adulte, que je ne crois pas être réel lorsqu’une personne n’a jamais eu ce problème à l’enfance. Elle avait beaucoup lu sur le sujet et était convaincue qu’elle souffrait d’un THADA en fonction de toutes sortes de choses qu’elle avait lues sur Internet.
Le début de son THADA a coïncidé avec la période où elle a commencé à fumer de grandes quantités de cannabis. C’est l’autre effet. Chaque médicament a des effets secondaires, en plus d’avoir des effets bénéfiques. Dans ce cas, je pense que l’attention de la personne avait été affaiblie par la quantité élevée de cannabis qu’elle utilisait. Je ne crois pas que la réponse soit d’ajouter des amphétamines à ce cocktail. Je suggérerais plutôt qu’on réduise la quantité de cannabis, ce que la patiente ne cherchait pas à faire.
Gardons à l’esprit que ce type de choses peut se produire et que les médicaments ont des effets synergiques. Il peut aussi arriver que les gens essaient de chasser les effets secondaires avec d’autres médicaments, qui causent d’autres effets secondaires. Nous le voyons constamment dans le monde médical en général. Il est clair qu’en psychiatrie, les patients se présentent parfois avec des listes incroyablement longues de médicaments qui ont vraisemblablement été ajoutées petit à petit par différents docteurs pour traiter de nouveaux symptômes qui apparaissent et qui auraient pu être mieux traités en réduisant la dose d’un autre médicament.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup d’être venus. On a déjà répondu à nombre de mes questions. Je pose généralement la même question à tous les témoins.
Ce n’est pas une cure. C’est un masque. C’est une couverture. D’une certaine façon, c’est comme l’alcool. La marijuana a toujours été la drogue qui accompagnait l’alcool dans le milieu où j’ai grandi. C’est ce que les jeunes faisaient et ce qu’ils continuent de faire. Je m’inquiète de la marijuana à des fins médicales, de l’effet de fumer 12 joints par jour. Si vous fumez 40 joints par jour, vous êtes dans un état comateux, du moins la plupart des personnes que je connais, le seraient. Si vous fumez 12 joints par jour, vous avez probablement une dépendance.
Quel est l’avantage de le permettre dans un traitement? Je ne suis pas naïf au point de penser qu’il n’y a pas de toxicomanes et qu’on n’utilisera pas l’alcool et la marijuana ensemble. Je m’interroge simplement sur le traitement prodigué en même temps. Y a-t-il une façon d’essayer de sevrer les gens au fil du temps pour qu’ils mettent de l’ordre dans leurs vies afin de pouvoir fonctionner sans cette quantité de marijuana dans leurs veines?
L’idée qu’ils ne consomment que de la marijuana est assez naïve elle aussi, car nous savons que c’est une drogue qui accompagne l’alcool et peut-être aussi les opiacés. Je suis compatissant. Je me préoccupe de la possibilité que ces jeunes rentrent chez eux et ressentent cette souffrance. J’ai grandi avec des anciens combattants de la Première Guerre mondiale qui avaient de graves problèmes d’alcool parce qu’ils avaient été intoxiqués au gaz. Lorsque j’étais petit et que je les regardais sur leurs sièges, c’était différent, mais pas en nature. Ce l’est peut-être en degré, mais cela n’a pas le même type d’effet. Avez-vous des réponses ou des idées à ce sujet?
Dr Wong : James et moi abordions ce sujet plus tôt. Je pense que toutes les drogues que les humains en général connaissent, qui altèrent les fonctions cérébrales, qui modifient la façon dont, entre autres, nous nous sentons, nous pensons et nous nous comportons, ne présentent aucune différence entre elles. Si quelqu’un se sent anxieux et qu’il prend un comprimé de Valium ou d’Ativan ou un martini, toutes ces substances auront des effets très similaires. Les drogues que nous utilisons en psychiatrie sont très simples. Les gens blaguent en disant que la psychiatrie ressemble à la dermatologie parce qu’il y a des milliers d’éruptions cutanées, mais seulement trois onguents.
La psychiatrie est parfois simple. Je plaisante évidemment. Si vous êtes dépressif, nous vous soignons au moyen d’un antidépresseur; si vous êtes atteint d’une psychose, nous vous soignons au moyen d’un antipsychotique. Ce sont tous des traitements symptomatiques, tout comme le cannabis pourrait l’être pour les symptômes du trouble de stress post-traumatique. Je ne vois aucune différence. Je crois que c’est un point important, et une bonne question, mais c’est un point que nous devrions aussi considérer comme généralement applicable à tous les traitements que nous utilisons en ce moment en psychiatrie, et non uniquement dans le présent contexte.
M. MacKillop : Je partage le point de vue d’Albert. Je pense que les questions que vous soulevez sont au cœur même de cet enjeu : aidons-nous vraiment les gens en leur donnant un meilleur accès à cette drogue?
Le corps ne fait pas la distinction entre des drogues légales et illégales, des drogues prescrites par un médecin ou achetées dans la rue. J’estime qu’il est essentiel que des fournisseurs de soins de santé interviennent, car un clinicien compétent peut aider une personne à avoir accès à des drogues psychoactives qui pourraient lui être utiles, mais il espère que, tôt ou tard, la personne n’aura plus besoin de les utiliser et que, d’un point de vue fonctionnel, elle se rétablira complètement. La grande question est de savoir si le cannabis devrait faire partie de cette panoplie d’outils qui aident les gens souffrant d’un trouble de stress post-traumatique, de douleurs ou d’autres affections. J’estime qu’il est crucial de répondre à cette question.
Personnellement, j’aborde cette question premièrement en ma qualité de chercheur sur les dépendances et, plus récemment, en ma qualité de chercheur sur le cannabis à des fins médicinales. Je suis très conscient des effets nocifs associés à cette substance.
Je suis aussi encouragé par le fait que les modèles animaux ne peuvent nous tromper. Les rats ne savent pas s’il s’agit d’une drogue pour s’intoxiquer ou pour traiter leurs douleurs ou les autres maladies que nous simulons. Les données nous convainquent qu’un signal thérapeutique semble être déclenché. La question est donc la suivante : cette substance peut-elle être administrée à des patients humains dans un monde réel de manière à maximiser ses avantages et à minimiser ses effets néfastes? À mon avis, c’est dans ce secteur que le travail acharné doit être effectué.
Le sénateur Richards : Je vais brièvement donner suite à vos propos. Une bonne journée de consommation de cannabis peut être suivie d’une mauvaise journée de consommation de cannabis, tout comme une bonne journée de consommation d’alcool peut être suivie d’une horrible journée de consommation d’alcool. Le consommateur peut être le même, et cette journée peut survenir un jour plus tard. C’est un aspect dont nous devons également prendre conscience, et je suis sûr que vous savez cela. Merci.
[Français]
Le président : Avant de passer à la deuxième ronde de questions, j’aimerais moi-même poser quelques questions. Monsieur MacKillop, y a-t-il des études plus avancées qui ont été menées sur la consommation de cannabis chez les anciens combattants dans d’autres pays?
[Traduction]
M. MacKillop : Malheureusement, la majeure partie de ces recherches n’ont pas été menées. Cela est dû en partie au fait que la majorité des recherches sur les résultats en matière de santé des anciens combattants sont effectuées aux États-Unis par l’intermédiaire du système coordonné des anciens combattants. En raison du conflit qui existe entre les lois fédérales et les lois étatiques, un nombre relativement faible d’études sont menées sur le cannabis en tant que traitement médicinal.
À ma connaissance, il y a aussi très peu de données provenant d’autres pays. Dans une grande mesure, il s’agit vraiment d’un territoire inexploré.
[Français]
Le président : Lors de vos études, avez-vous constaté des effets néfastes, sur le plan personnel ou sur le plan familial, liés à l’usage de la marijuana?
[Traduction]
M. MacKillop : Nous avons certes entendu dire que ses effets positifs ont un effet domino très puissant à l’échelle familiale.
Si une personne peut contrôler ses douleurs ou ses symptômes psychiatriques, cela a d’incroyables conséquences positives en aval. Ce qui est moins clair, c’est la mesure dans laquelle il s’agit simplement d’anecdotes plutôt que de véritables effets fondés sur la drogue elle-même, par opposition aux attentes et aux tendances généralement positives que vivent souvent les gens une fois qu’ils ont entrepris un traitement.
[Français]
Le président : Merci, monsieur MacKillop.
J’ai deux questions à poser au Dr Wong. Quelle relation pourriez-vous faire entre le suicide et l’usage du cannabis? Est-ce que l’usage du cannabis, dans certains cas, peut conduire au suicide?
[Traduction]
Dr. Wong : Si j’ai bien compris votre question, elle a trait au lien entre le suicide et la consommation de cannabis et à la question de savoir s’il s’agit d’un lien de causalité. En général, c’est un sujet de documentation, lié aux traitements psychiatriques et à leurs éventuelles relations avec le suicide, qui est difficile à cerner.
Vous savez probablement qu’il y a 10 ans peut-être, ce sujet a fait l’objet de controverses dans les médias qui concernaient des adolescents à qui on avait prescrit des antidépresseurs. En effet, un lien avait parfois été observé entre la prescription d’antidépresseurs, la prise d’antidépresseurs et des suicides ultérieurs.
J’aimerais expliquer la raison pour laquelle il est difficile de répondre à cette question. Premièrement, si vous étudiiez des patients qui prennent du Propranolol, un bêtabloquant et un ancien médicament pour le cœur, vous remarqueriez qu’ils sont beaucoup plus susceptibles de subir des crises cardiaques que le grand public. C’est probablement parce qu’on leur prescrit ce médicament pour protéger leur cœur qui est déjà endommagé par une maladie cardiaque. Ils sont plus susceptibles d’être victimes d’incidents cardiaques, mais non en raison du médicament.
Je crois que c’est probablement ce qui explique le mieux ce qui peut se produire au cours du traitement d’une maladie psychiatrique dont les résultats négatifs peuvent être le suicide. Manifestement, comme c’est la principale cause de décès pour la plupart des troubles psychiatriques, on verra des patients se suicider. Cependant, il est difficile de dire si le traitement a causé le suicide.
Je tiens à faire valoir à quel point la situation est compliquée parce que, par exemple, dans le cas d’antidépresseurs, cela est lié à la question que James a soulevée plus tôt à propos de l’amélioration fonctionnelle, comparativement à l’amélioration des symptômes.
Les antidépresseurs peuvent améliorer certains des symptômes de la dépression. Il y a une période de transition entre le moment où une personne est dépressive et celui où elle se rétablit, une période pendant laquelle les symptômes ne réagissent pas tous en même temps. Il est possible qu’une personne ait plus d’énergie et de motivation et soit plus en mesure d’entreprendre des activités bien que son humeur demeure dépressive. Son humeur pourrait s’améliorer plus tard, mais il pourrait varier d’une semaine à l’autre, comme le sénateur Richards le disait. Il y aura de bons jours et de mauvais jours. L’amélioration n’est pas simplement monotone, et chaque symptôme ne suit pas la même trajectoire.
Dans le cas d’une dépression et de l’utilisation d’antidépresseurs, les patients peuvent parfois retrouver d’abord un surcroît d’énergie, avant que leur humeur ne s’améliore, et les tentatives de suicide qu’ils planifiaient se produisent non pas parce que l’antidépresseur n’est pas efficace, mais parce qu’il y a une période pendant laquelle ils vont mieux et leurs symptômes évoluent. C’est peut-être ce qui se produit.
Il y a une relation, mais je ne dirais pas que c’est une relation de cause à effet. Ce qui importe, c’est le résultat général. Le suicide est, bien entendu, un aboutissement négatif possible de tous les troubles psychiatriques, y compris le trouble de stress post-traumatique. Il est difficile de démêler la relation de cause à effet entre ce résultat et tout traitement ou utilisation récréative de n’importe quelle substance à titre de traitement d’appoint.
[Français]
Le président : Voici ma dernière question pour vous, docteur Wong. Lors de vos recherches, est-ce que vous avez évalué le danger potentiel pour un ancien combattant de mélanger le cannabis à des fins médicales avec le cannabis qui sera légalisé si le projet de loi C-45 est adopté? J’imagine que, entre le cannabis à des fins médicales et le cannabis à des fins récréatives, il y a toutes sortes de cannabis qu’on peut retrouver. Est-ce que vous avez évalué le danger entre l’usage de l’un et de l’autre?
[Traduction]
Dr Wong : Notre étude aborde cette question parce que, comme vous l’avez dit, si quelqu’un utilise plus d’une souche de cannabis, différentes sources ou même différentes récoltes de cannabis, qui modifient les produits chimiques et les drogues qu’il consomme, il devient difficile de déterminer ce qui est thérapeutique ou non.
Oui, c’est problématique et c’est un facteur que nous devons tenter de démêler. Les patients prennent leurs propres décisions et ne suivent pas toujours nos conseils. Il est important de prendre en considération le fait que, peu importe ce qu’on leur prescrit, ils peuvent trouver d’autres produits moins chers et plus pratiques. Ils peuvent préférer les effets qu’entraîne le mélange de différentes souches. D’un point de vue neurobiologique, cela embrouille les cartes.
La sénatrice Wallin : Je tiens à faire la distinction entre la recherche sur les gens et l’incidence du cannabis que nous nous entendons tous pour trouver cruciales, puis la recherche sur les drogues et son statut actuel. D’après les témoignages que nous avons entendus ici, en comité, le seul moyen d’administrer cette substance de façon sécuritaire et d’évaluer également son incidence consiste à utiliser une forme ou une autre de marijuana pharmaceutique qui vous permet d’administrer des quantités uniformes de THC, CBD ou de cannabinoïde, quel qu’il soit.
Tant que vous l’achèterez dans la rue ou dans un magasin et que les souches seront différentes, nous ne serons jamais en mesure de mener des essais. Comme vous venez de le dire, il y a trop de variables. Cette recherche est-elle raisonnablement en bonne voie, afin que nous disposions d’une forme de marijuana pharmaceutique qui pourrait alors être utilisée et surveillée avec plus d’exactitude?
M. MacKillop : De nombreux progrès ont été réalisés dans ce domaine. Vous avez tout à fait raison de dire que la plante, en particulier lorsqu’elle est prise par inhalation, est incroyablement difficile à mesurer parce que les gens peuvent prendre un nombre plus ou moins grand d’inhalations et peuvent les retenir plus ou moins longtemps. La question de la composition est l’un des enjeux dont nous avons longuement parlé.
Maintenant qu’il existe des huiles et des formulations qui peuvent comprendre l’encapsulage d’huiles, par exemple, la drogue peut être administrée sous des formes plus normalisées. L’industrie semble vouloir élaborer des dispositifs qui permettraient une administration plus normalisée et qui se prêteraient à une évaluation plus rigoureuse.
Cette question de normalisation est l’élément central qui a prévenu le financement de bon nombre de recherches. La recherche sur le cannabis a été stigmatisée parce qu’il est difficile de distinguer une souche optimale ou une souche comparative. Cela ne signifie pas que c’est une tâche impossible à accomplir; cela veut simplement dire que vous devez disposer des ressources nécessaires pour caractériser systématiquement plusieurs souches et utiliser quelques-unes des nouvelles formulations qui sont de plus en plus faciles d’accès afin de vous rapprocher d’un médicament moins métaphorique et plus traditionnel.
Dr Wong : Je suis d’accord. Je pense que certaines de ces nouvelles formulations, comme les huiles, peuvent assurément améliorer la normalisation de la dose utilisée par le patient. Je crois qu’il est aussi possible de le faire avec la plante en entier. Cela s’apparente à une sorte spéciale de tomates qui provient d’une certaine région de l’Italie à un certain moment de l’année. Les tomates ne sont pas toujours parfaitement identiques, mais elles sont meilleures que les autres tomates.
Il est possible de réaliser une normalisation raisonnable. J’ignore si de légères variations auront d’importants effets thérapeutiques. C’est une chose que nous ne savons pas encore. Il est important de déterminer si le niveau de normalisation qui peut être atteint d’une façon réaliste par une exploitation de culture est suffisant. Il pourrait bien l’être. Comme James l’a indiqué, le problème, c’est que les produits disponibles sont un fouillis, et nous avons du mal, même en ce moment, à savoir quelles composantes — ou quelle combinaison de composantes — sont importantes et thérapeutiques, compte tenu de leurs soi-disant répercussions sur leur entourage.
La sénatrice Wallin : Je reviens sur la question de la recherche sur les gens, par opposition à la recherche sur une substance. Si vous aviez accès, entre autres, à des groupes témoins et des groupes d’utilisateurs, pensez-vous que vous pourriez isoler, parmi les 87 composantes, celle qui a une incidence sur le trouble de stress post-traumatique, sur les migraines ou sur une maladie, quelle qu’elle soit?
Dr Wong : C’est une question qu’on se pose aussi en général lorsqu’il est question de traitements pour des maladies fondés sur des végétaux. Je pense que l’histoire a fluctué en ce qui concerne les autres traitements. Toutefois, il arrive souvent que plus d’un ingrédient d’une plante puissent avoir des effets thérapeutiques. J’estime que le cannabis pourrait fort bien être le végétal qui nous permettra, tôt ou tard, de tirer cette conclusion. Nous pourrions arriver à une conclusion différente en ce qui concerne, par exemple, l’artémisinine, un médicament antipaludéen d’origine végétale qui a remporté le prix Nobel il y a un an ou deux.
Dans ce cas-là, il s’agissait probablement d’un seul produit chimique. Dans le cas du cannabis, je soupçonne que l’effet thérapeutique n’est pas engendré par un seul produit chimique. D’un point de vue pharmaceutique et scientifique, il est préférable d’administrer un seul composé, qui fait l’objet d’essais cliniques et d’essais neurobiologiques.
Compte tenu de la longue utilisation culturelle du cannabis, ses composantes ont probablement des répercussions sur leur entourage. Cette étude est plus compliquée parce qu’elle porte sur un mélange de produits chimiques qui ont certains rapports entre eux. Il y a probablement une combinaison optimale. Pour compliquer davantage cette analyse, il est probable que cette combinaison optimale varie grandement d’une personne à l’autre. Ce qui est optimal pour une personne diffère pour une autre personne. Je pense qu’avec un peu de chance, le champ d’études mettra l’accent sur la médecine en général; c’est-à-dire la combinaison qui fonctionne pour la chimiothérapie et la gestion de l’hypertension ou du diabète. Chaque personne a ses propres particularités biologiques, et cela aura une incidence sur la combinaison de drogues et le rapport entre les différentes composantes qui entreront en jeu dans son traitement — comme il se doit. Toutefois, nous n’en sommes pas encore là.
Pour des raisons pragmatiques et pour nous simplifier la tâche, nous voulons commencer par étudier un seul composé. Je ne sais pas comment cela se produirait dans le monde réel.
M. MacKillop : J’approuve tous ces points. En ce qui concerne votre question, vous demandez fondamentalement si nous devrions baisser les bras et déclarer que cette entreprise est impossible, ou pourrions-nous essentiellement identifier les ingrédients ou les combinaisons d’ingrédients? Je pense que nous pouvons y arriver. C’est une question de ressources et de méthodes expérimentales rigoureuses qui sont utilisées pour commencer à analyser les composés que nous jugeons les plus prometteurs, compte tenu des données probantes dont nous disposons. Commençons par le THC et le CBD, puis passons aux cannabinoïdes, comme les CBG, CBN, CBC, pour lesquelles nous disposons de quelques données, même si elles sont moins nombreuses. C’est une liste d’acronymes, une liste d’épicerie, faute d’un meilleur terme, mais elle n’est pas illimitée. Bien que les répercussions sur l’entourage reposent sur une hypothèse, et non sur une certitude, nous pouvons mener des essais à cet égard. Il faut commencer par poser des questions simples, puis en ajouter de nouvelles. D’un point de vue expérimental, il est possible de faire un suivi. Il s’agit d’une grande initiative.
La sénatrice Wallin : Permettez-moi de poser une question plus générale au nom de l’ensemble de la population. La légalisation de la marijuana contribue-t-elle à vos recherches, ou les embrouille-t-elle encore plus?
M. MacKillop : Dans le cadre de la légalisation du cannabis, nous amorçons une expérience qui se déroulera dans des conditions naturelles dans l’ensemble du pays. Nous aurons la capacité de poser des questions que bon nombre d’autres pays n’ont pas été en mesure de poser. Nous serons ainsi en mesure de faire progresser les connaissances sur le cannabis — médicinal, récréatif et autre — de nombreuses différentes façons. C’est une occasion dont nous pourrons tirer parti pendant une période limitée, en raison de l’énorme transition en cours. À mon avis, il nous faut mobiliser toutes les ressources disponibles afin de tirer parti de cette occasion.
Dr Wong : Je conviens que cette légalisation imminente sera une merveilleuse expérience qui se déroulera dans des conditions naturelles. Ce n’était probablement pas sa raison d’être, mais elle nous offre une occasion en or. Dans le domaine des sciences et de la médecine, c’est souvent quand une occasion imprévue se présente que les choses progressent.
Je crois, comme James, que les choses changeront radicalement. Il se peut que l’approche expérimentale n’ait pas été adoptée délibérément. L’une de nos variables changera, et nous aurons alors l’occasion de voir comment toutes les autres variables changeront, dans ce contexte particulier où des anciens combattants et des soldats consommeront du cannabis pour soigner leurs troubles de stress post-traumatique. Comme leur accès et leurs tendances en matière de consommation pourraient changer, nous devrions nous prévaloir des connaissances que cela pourrait engendrer.
La sénatrice Wallin : Merci beaucoup, messieurs.
Le sénateur McIntyre : Ma question fait suite à celle que le sénateur Dagenais a posée à propos de la corrélation entre l’utilisation du cannabis et le suicide.
Pendant 25 ans, j’ai présidé le Comité de révision en vertu du Code criminel du Nouveau-Brunswick. Le comité est régi par l’article 672 du Code criminel, ayant trait au « verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ». La disposition traite des personnes qui ont commis un acte criminel et qui, par la suite, ont été déclarées soit inaptes à subir leur procès, soit non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux.
Dans la majorité des cas, le comité a observé une corrélation directe entre les troubles mentaux et l’utilisation de drogues illicites, en particulier le cannabis.
Vous avez peut-être déjà répondu à la question suivante : comment pouvons-nous lutter contre les troubles mentaux en général et la consommation excessive de cannabis?
Dr Wong : Au cours de ma déclaration préliminaire, j’ai mentionné l’une des études que j’ai menées, à savoir une étude sur le suicide de Casques bleus canadiens. Je le souligne, parce que l’étude a été déclenchée par les tristes incidents mettant en cause des Casques bleus canadiens, qui sont survenus en Somalie, qui ont été liés au décès d’un prisonnier somalien et qui ont été suivis de quelques suicides de premier plan parmi le personnel militaire canadien, qui ont été très médiatisés.
L’approche que nous avons adoptée était appelée une autopsie psychologique, dans le cadre de laquelle nous avons examiné les rapports du médecin légiste, les antécédents médicaux, qui comprenaient des rapports des Forces canadiennes, des Nations Unies et, parfois, des services de police locaux. Il s’agissait parfois d’énormes dossiers dans lesquels figuraient de nombreux renseignements. Nous les utilisions afin de tenter de retracer, dans la mesure du possible, les événements ayant entraîné le suicide, afin de pouvoir répondre à la question suivante : qu’est-ce qui a incité le patient à se suicider?
Il est habituellement difficile de trouver une réponse unique. Je tiens à mentionner que les taux de suicide varient énormément à l’échelle planétaire. Ils sont très élevés dans certains pays et faibles dans des pays voisins qui superficiellement leur ressemblent. De nombreux facteurs contribuent au suicide. Il est difficile d’en extraire un, en particulier.
Je reconnais que l’usage de substances et les maladies mentales sont tous deux d’importants facteurs de risques liés au suicide, mais c’est également le cas de facteurs comme des contestations judiciaires, par exemple, si des accusations sont sur le point d’être portées; la perte d’une entreprise; un divorce; ou la perte d’un conjoint. Dans certaines cultures, on s’attend à ce que les personnes qui vivent certains types de déshonneur se suicident. Il s’agit en fait d’une attente plutôt que du résultat d’un problème de santé mentale, comme des Occidentaux pourraient l’expliquer.
Je ne crois pas qu’il y ait de réponse claire. Les toxicomanies et les maladies mentales accroissent assurément le risque de suicide. Toutefois, il est difficile de dire s’il y a un lien de cause à effet. Il est possible que ces trois comportements aient la même origine, c’est-à-dire que la personne consomme des substances en raison de sa maladie mentale, et ce qui a provoqué la maladie mentale l’incite aussi au suicide. Il ne s’agit pas d’un cheminement progressif, mais plutôt de comportements qui se développent en parallèle.
Le sénateur McIntyre : L’une des leçons que j’ai apprises en siégeant au sein du comité, c’est que la combinaison d’un trouble mental et de l’utilisation de drogues illicites crée un étrange cocktail. Lorsque cela explose, c’est la fin.
Dr Wong : Selon mon expérience de la salle d’urgence du CAMH, qui se trouve en plein centre-ville, entre le quartier des affaires, le quartier chinois et le quartier universitaire, ce que vous avez décrit cause la plupart des problèmes. Le patient, atteint d’une maladie mentale qui existait déjà, que ce soit un trouble bipolaire ou la schizophrénie, consomme une grande quantité de drogues illicites — c’est habituellement une substance comme de la méthamphétamine en cristaux, de la méthamphétamine fumée, du crack ou de la cocaïne, des drogues injectées ou des hallucinogènes. Les patients qui consomment ces drogues arrivent à l’urgence. Ils sont souvent violents et incontrôlables, et les agents de police les amènent à l’urgence. Ce sont les cas les plus difficiles et les plus dramatiques que nous gérons à l’urgence. C’est une mauvaise combinaison, j’en conviens. Bien que cela occupe mon temps, chaque fois que je suis là-bas, il s’agit d’événements rares, dans l’ensemble. Il s’agit de la minuscule pointe de l’iceberg.
M. MacKillop : J’ajouterais que ce sont exactement les mêmes préoccupations que nous partageons au service de psychiatrie légale de St. Joe, car bon nombre des personnes que nous hébergeons sont là en partie en raison des gestes qu’elles ont posés alors qu’elles souffraient de troubles mentaux et consommaient aussi du cannabis.
Je suis très troublé par les liens qui existent entre l’utilisation du cannabis et le suicide. Même si ces liens sont corrélatifs, nous observons chez certaines personnes des comportements violents contre elles-mêmes ou d’autres personnes. Je partage le point de vue d’Albert. Nous devons creuser afin de déterminer s’il s’agit simplement d’un vestige d’autres événements et d’un symptôme de comportement psychiatrique extrêmement complexe et grave, ou s’il y a un lien de cause à effet.
Si nous pensions que le cannabis a un effet thérapeutique positif et unilatéral, nous ne nous attendrions pas à observer cette association. Je suis perturbé, mais c’est la raison pour laquelle nous devons étudier le cannabis plus attentivement, et ne pas nous contenter de l’examiner étroitement en relation, par exemple, avec le trouble de stress post-traumatique ou les douleurs, mais aussi avec le suicide, la dépression, l’anxiété et, de façon plus générale, dans le contexte de la santé des anciens combattants.
[Français]
Le président : Monsieur MacKillop, docteur Wong, je tiens à vous remercier de vos témoignages. Je suis certain qu’ils vont grandement nous aider dans la rédaction de notre rapport.
Cela met fin à cette réunion de notre comité. Merci, honorables sénateurs.
(La séance est levée.)