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VEAC

Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des
Anciens combattants

Fascicule no 20 - Témoignages du 24 octobre 2018


OTTAWA, le mercredi 24 octobre 2018

Le Sous-comité des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 11 h 59, afin de poursuivre son étude sur les services et les prestations dispensés aux membres des Forces canadiennes; aux anciens combattants; aux membres et anciens membres de la Gendarmerie royale du Canada et à leurs familles (sujet : l’étude sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales par les anciens combattants canadiens).

Le sénateur Jean-Guy Dagenais (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue au Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. J’aimerais donner l’occasion à mes collègues de se présenter, en commençant à ma droite.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le président : Je suis le sénateur Jean-Guy Dagenais, président du Sous-comité des anciens combattants. Je remercie nos témoins, soit M. Gregg Battersby, Mme Sarah Dobbin ainsi que M. Philippe Lucas, pour leur comparution devant le comité.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales chez les anciens combattants canadiens. Nous commencerons avec M. Lucas. Par la suite, il y aura une période de questions avec les sénateurs. Monsieur Lucas, nous vous écoutons.

Philippe Lucas, vice-président, Recherche et accès pour les patients à l’échelle mondiale, Tilray : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs.

[Traduction]

Je vais présenter mon allocution en anglais, mais je me ferai un plaisir de répondre aux questions que l’on m’aura posées en français, car je suis un Canadien bilingue.

Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre excellent travail. Cet enjeu est important. Nous voyons tellement de patients, agents de police et vétérans, qui souffrent du trouble de stress post-traumatique, le TSPT, et d’autres problèmes. Le cannabis médicinal semble leur apporter un grand soulagement. Je vais faire référence aux diapositives dont on vous a distribué des copies. Vous en avez aussi la traduction française, mais malheureusement sans les images. Que vous les ayez devant vous ou non, leurs données proviennent de la recherche que nous menons sur le TSPT ainsi qu’auprès de patients.

La société Tilray est une pionnière mondiale de la recherche et de l’accès au cannabis médicinal. Nos produits sont actuellement en vente sur 5 continents et dans 11 pays. Nos installations ont été les premières certifiées conformes aux bonnes pratiques de fabrication, ou BPF.

Dès le départ, nous nous sommes efforcés d’améliorer la vie des vétérans en produisant pour eux du cannabis médicinal. À l’heure actuelle, Tilray sert plus de 500 anciens combattants inscrits à Anciens Combattants Canada, ou ACC. Nous sommes le commanditaire principal des courses à pied et en vélo Highway of Heroes Bike Ride de l’organisme Wounded Warrior, en Colombie-Britannique. Nous collaborons étroitement avec cet organisme et avec d’autres groupes de vétérans pour améliorer la vie de ces patients.

Nous offrons un certain nombre de services liés à ACC. Nous vendons notre cannabis au prix réduit de 8,50 $ par gramme aux vétérans canadiens afin qu’ils aient accès à tous les produits de cannabis de notre magasin Tilray. Le Bridge Program d’ACC leur permet aussi de commander du cannabis sans frais en attendant que le ministère approuve leur demande. Notre personnel comprend également des agents de liaison avec ACC qui nous aident à traiter les approbations, les refus et les remboursements.

Nous menons actuellement, à l’Université de la Colombie-Britannique, la deuxième phase d’un essai clinique sur l’usage du cannabis médicinal et le trouble de stress post-traumatique. C’est l’étude la plus importante menée à ce sujet au Canada au cours de ces 40 dernières années. De toute l’histoire de notre pays, c’est aussi la toute première étude menée sur l’utilisation du cannabis médicinal pour traiter des troubles de santé mentale. Au cours des semaines à venir, nous allons commencer à mener aussi cet essai au centre-ville de Vancouver. Nous avons hâte de transmettre les résultats obtenus au Comité et aux Canadiens de tout le pays.

Nous menons également un certain nombre d’observations. En 2017, nous avons mené un sondage auprès des patients, et nous avons reçu 2 032 réponses. C’est le plus vaste sondage mené auprès de patients canadiens à ce jour. J’aimerais vous faire part de certaines données tirées de cette enquête. Il s’agit de données générales sur les tendances et les points de vue des patients ainsi que de données propres à notre population souffrant du TSPT. Vous verrez ainsi les différences d’utilisation entre ces deux populations.

Nous avons envoyé le questionnaire à plus de 16 000 patients de Tilray. Dès que nous avons reçu 2 032 réponses complètes, nous avons mis fin au sondage. L’âge moyen des patients de Tilray est d’environ 40 ans, mais la moyenne d’âge des patients qui souffrent du TSPT est de 43 ans. Dans l’ensemble, le principal trouble de santé, ou symptôme, que mentionnent les patients qui consomment du cannabis médicinal au Canada est la douleur, suivie de près par des troubles de santé mentale comme le stress, l’anxiété, la dépression et l’insomnie.

D’après nos données, environ 80 p. 100 des patients canadiens consomment du cannabis à des fins médicinales pour atténuer des douleurs ou des troubles de santé mentale. Soulignons que le premier symptôme que les patients qui affirment que le TSPT est leur problème principal ne citent pas la douleur; environ 80 p. 100 d’entre eux citent l’anxiété, 69 p. 100 le stress et 68 p. 100 l’insomnie. Nous constatons donc que les patients atteints du TSPT cherchent non pas à soulager de la douleur, mais des troubles de santé mentale comme l’anxiété, le stress, la dépression et l’insomnie.

Quant à leurs habitudes de consommation, 75 p. 100 des patients de Tilray consomment du cannabis chaque jour. La douleur et les problèmes de santé mentale sont des problèmes quotidiens qu’il faut traiter quotidiennement. Rien de très surprenant, mais 85 p. 100 des patients souffrant du TSPT consomment chaque jour du cannabis.

Pour vous donner quelques moyennes, la population générale de nos patients consomme 1,5 gramme par jour sous forme de fleurs et non d’extrait de cannabis. Nos patients de la sous-population du TSPT en consomment plus, c’est-à-dire 2,1 grammes par jour. Cela s’explique probablement par la comorbidité d’un grand nombre de troubles supplémentaires comme le stress, l’anxiété, la dépression et, dans certains cas, des douleurs chroniques.

Pour ce qui est de la principale méthode de consommation, nous constatons qu’à l’heure actuelle, 50 p. 100 des patients qui souffrent du TSPT ingèrent le cannabis sans le fumer. C’est excellent, et cela confirme le virage que nous observons dans le cadre du programme fédéral, qui incite les consommateurs à ne plus fumer les produits à forte teneur en THC pour ingérer par voie buccale des produits qui contiennent plutôt du cannabidiol, ou CBD qui est, comme vous le savez, l’un des principaux composants de la plante de cannabis, mais il n’affaiblit pas les facultés. Nous observons un virage vers l’ingestion buccale de produits à plus forte teneur en CBD.

Dans ma recherche à Tilray et au Canadian Institute for Substance Abuse Research, je me penche principalement sur la possibilité de remplacer non seulement des médicaments d’ordonnance, mais aussi la consommation d’alcool, de tabac et autres par le cannabis. Je vais vous présenter ces données, parce qu’à mon avis, il serait utile que vous n’étudiiez pas la consommation de cannabis de façon isolée. Il serait bon d’examiner la situation dans son ensemble et les effets qu’aura la consommation de cannabis sur celle de ces autres drogues, qui s’avèrent souvent bien plus dangereuses.

Nul besoin de rappeler au Comité que le Canada traverse une crise de surdose d’opioïdes. En réduisant l’usage des opioïdes pour traiter la douleur et d’autres troubles, nous atténuerons les torts que ces médicaments infligent à la santé et à la sécurité du public.

Quand nous demandons à notre population générale de patients si leur consommation de cannabis remplace celle de médicaments d’ordonnance, 69 p. 100 répondent par l’affirmative, 44 p. 100 nous disent qu’elle remplace leur consommation d’alcool, et 31 p. 100 répondent qu’ils fument moins de tabac. De leur côté, 75 p. 100 de nos patients atteints du TSPT délaissent leurs médicaments d’ordonnance pour le cannabis.

En fait, 35 p. 100 de la population générale des patients délaissent les opioïdes. Ce pourcentage est suivi de près par les antidépresseurs, à 21 p. 100. Dans le cas des opioïdes, sur les 610 mentions de médicaments dans cette étude, 60 p. 100 des patients ont dit qu’ils les avaient complètement abandonnés. Ils ne se contentent pas de réduire leur usage d’opioïdes, ils l’abandonnent complètement.

Nous avons constaté avec intérêt que, plus que tous les autres patients, ceux qui souffrent du TSPT remplacent toutes les catégories de médicaments d’ordonnance en santé mentale — antidépresseurs, relaxants musculaires et somnifères, benzodiazépines et antipsychotiques. Nous voyons un plus grand nombre de substitutions chez ceux qui souffrent du TSPT que chez les autres patients. Comme ils souffrent du TSPT et de troubles de santé mentale, cela paraît peut-être évident, mais il est intéressant de constater ce fait dans nos données.

Dans le cas de l’alcoolisme, nous savons que le TSPT ne produit que trop souvent une comorbidité de toxicomanie, notamment d’alcoolisme. Ainsi, 44 p. 100 des patients souffrant du TSPT nous disent qu’ils ont complètement cessé de boire de l’alcool depuis qu’ils se soignent au cannabis médicinal.

En conclusion, le cannabis médicinal sert principalement à atténuer des douleurs chroniques et des troubles de santé mentale. Comparativement aux autres patients, ceux qui ont le TSPT sont souvent aussi handicapés. Ils sont donc plus susceptibles de consommer pour contrer leur anxiété, leur stress et la dépression. Ils sont plus susceptibles de consommer du cannabis chaque jour, et ils en consomment plus que les patients de la population générale. Ils sont également plus susceptibles d’utiliser des produits dérivés du cannabis pour réduire leur consommation d’opioïdes, d’antidépresseurs et de benzodiazépines.

Selon les données d’Anciens Combattants Canada, depuis quelque temps, le nombre de vétérans qui consomment du cannabis médicinal augmente beaucoup, et l’on constate une diminution correspondante de 43 p. 100 des vétérans qui consomment des benzodiazépines et de 31 p. 100 de ceux qui consomment des opioïdes.

La société Tilray a mis en place des services liés à ACC pour aider les anciens combattants canadiens. Nous menons des recherches cliniques et observationnelles pour mieux comprendre les torts et les avantages du cannabis dans le traitement du TSPT. Nous sommes très heureux de collaborer avec le Comité ainsi qu’avec les vétérans pour améliorer leur santé.

En terminant, avant de venir ici, j’ai demandé à quelques patients vétérans, amis ou collègues, ce qu’ils aimeraient que je transmette de leur part au Comité. Ils craignent beaucoup qu’on cesse de les aider à assumer les coûts de ce traitement, car comme vous le savez, la couverture offerte à la plupart des vétérans au Canada a été considérablement réduite. Ils aimeraient que la taxe sur le cannabis à des fins médicinales soit supprimée au Canada et que l’on maintienne la couverture des coûts actuelle, ou même qu’on l’augmente suffisamment pour aider tous les vétérans au pays.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Lucas. Avant de donner la parole à M. Battersby, j’aimerais souligner la présence de la sénatrice Wallin et du sénateur Richards, qui se sont joints à nous.

La parole est à vous, monsieur Battersby.

[Traduction]

Gregg Battersby, vice-président, Stratégie commerciale, Aphria : Je vous remercie, honorables sénateurs, de m’avoir invité à vous présenter une brève allocution. Je suis vice-président de la stratégie commerciale à la société Aphria. Je me suis joint à cette entreprise en mars 2015 et j’ai travaillé aux côtés de notre personnel de Leamington pour superviser les aspects des opérations après récolte, le traitement des commandes des clients et la chaîne d’approvisionnement. À l’heure actuelle, je suis responsable de certains aspects de la stratégie commerciale de l’entreprise, tant à l’échelle nationale qu’internationale, ainsi que du développement interentreprises et du fonctionnement continu de la chaîne d’approvisionnement.

Je suis accompagné aujourd’hui de ma collègue, Sarah Dobbin, directrice de la Division des soins médicaux aux patients. Elle s’est jointe à Aphria en septembre 2014. Elle supervise directement les services de soins aux patients et ceux qui traitent directement avec les vétérans. Malheureusement, le Dr Jonathan Simone, directeur de la recherche clinique à Aphria, qui aurait aimé nous accompagner, se trouve à l’étranger, donc il ne peut pas se joindre à nous.

Aphria est une société mondiale de premier plan dans le domaine du cannabis, motivée par un engagement irrévocable envers les gens qu’elle sert, la qualité de ses produits et l’innovation. Son siège social se trouve à Leamington, en Ontario, la capitale des cultures de serre au Canada. Fondée en 2013 et grâce à la vaste expérience de son personnel dans les domaines de l’agriculture, de l’innovation et de la réglementation, elle a établi une norme de production à grande échelle et à faible coût d’un cannabis de qualité pharmaceutique sûr, propre et pur. Nous nous concentrons sur les occasions inexploitées et nous utilisons les toutes dernières technologies. Nous apportons ainsi des innovations révolutionnaires sur le marché mondial du cannabis, ce qui place notre société à la tête de ce domaine au Canada.

Je tiens à féliciter et à remercier les membres du comité et du Sénat du Canada pour l’examen approfondi et les consultations qu’ils mènent sur l’adoption et sur la mise en œuvre de la Loi sur le cannabis.

Tout comme le gouvernement, Aphria croit et préconise fortement que la création d’un accès sûr au cannabis médical et récréatif sur le marché nécessite également une approche responsable.

Au moment où le marché récréatif a été lancé, nous devons reconnaître la diversité des opinions sur la façon de manipuler le cannabis au Canada. Le débat sur la meilleure façon de procéder est naturel et bienvenu. Les décisions qui vont être prises sont essentielles à la réussite, à la durabilité et à la sûreté du marché du cannabis.

Le régime canadien sur le cannabis à des fins médicinales est considéré comme un modèle mondial, et nos actions sont observées de près. La force de ce marché est sa capacité de légitimer le cannabis pour un vaste éventail de consommateurs tout en offrant une justification solide à de nouvelles recherches et études cliniques. Des organismes comme l’Association des infirmières et infirmiers du Canada demandent depuis des années que l’on crée des systèmes distincts, soulignant que l’on met trop d’accent sur l’utilisation récréative plutôt que sur les bienfaits médicaux du cannabis. La société Aphria soutient la nécessité de maintenir une surveillance clinique continuelle afin d’assurer la sûreté et l’efficacité du système tout entier. Bien que nous comprenions le défi que le cannabis médicinal peut représenter pour certains médecins, notre industrie a besoin de pousser la recherche afin d’obtenir des données scientifiques plus solides sur ses répercussions et sur ses effets.

Nous savons que le travail s’intensifiera avec l’avènement du marché récréatif, et Aphria continuera d’appuyer la recherche indépendante sur les avantages et sur les risques du cannabis à des fins médicinales.

Environ un Canadien sur 10 souffrira du trouble de stress post-traumatique pendant sa vie. La prévalence de ce phénomène est deux fois plus élevée chez les anciens combattants canadiens. Au cours de ces 20 dernières années, de nombreuses recherches précliniques ont démontré que le système endogène de cannabinoïdes contribue à la régulation du stress, de l’anxiété et du TSPT. On a également constaté que les cannabinoïdes comme le THC calment l’anxiété et modulent les réactions au stress hormonal, qui joue un rôle essentiel dans la plasticité cérébrale et dans l’encodage des souvenirs émotionnels qui causent le TSPT. Nous avons besoin de mener de la recherche de qualité ainsi qu’un plus grand nombre d’essais cliniques contrôlés.

Aphria s’est toujours engagée à fournir des soins de grande qualité aux patients. Notre équipe dépasse constamment toutes les attentes pour que les patients soient à l’aise à chaque étape du processus d’accès au cannabis. En promettant une qualité en 509 étapes, « de la semence à la vente », nous nous engageons à protéger la santé et la sécurité des patients, car nous ne vendons que des produits de cannabis purs et propres en tout temps.

La semaine dernière, Aphria a annoncé, tout comme la société Tilray, qu’elle absorbera à moyen terme le coût de la taxe d’accise sur tous ses produits médicaux. Cette décision vise avant tout à assurer aux patients un accès continu au cannabis jusqu’à sa légalisation complète.

Aphria travaille en toute transparence avec Santé Canada. Nous sommes déterminés à collaborer avec le gouvernement et avec les organismes de réglementation pour veiller à ce que tous les patients, quelle que soit leur couverture médicale, reçoivent les meilleurs traitements possible. Nous continuerons d’appuyer les Canadiens pour qu’ils aient un accès équitable à la marijuana médicinale. Nous appuierons l’élimination de toutes les taxes sur le cannabis médicinal, tant la taxe d’accise que la taxe de vente.

On ne légalise pas le cannabis médicinal au Canada pour simplement étendre la légalisation. Ses objectifs médicinaux viseront toujours les patients qui en auront besoin. Nous comptons bien protéger ce marché avec vigilance.

En établissant un marché médical distinct, le Canada demeurera en tête de file de ce domaine. Il est crucial de protéger l’accès au cannabis pour les patients qui désirent déterminer les bienfaits qu’il pourrait avoir sur leurs troubles de santé. Il faut que la communauté des soins de santé continue à les aider à le faire.

Je tiens à remercier le Comité de nous avoir invités à représenter la société Aphria aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

[Français]

Le président : Merci à nos témoins. Sans plus tarder, nous allons passer à la période des questions.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Je vais aborder cela sous un angle un peu différent, puis nous poserons d’autres questions plus tard s’il nous reste du temps.

Vous connaissez tous trois évidemment très bien les effets du cannabis. Nous nous concentrons sur les vétérans et sur les militaires, parce qu’un grand nombre de leurs troubles sont liés à la transition et aux blessures subies en milieu de travail. Pensez-vous qu’une fois le cannabis récréatif légalisé, ses effets risquent de causer des problèmes? Pourrait-il causer des problèmes aux membres actifs qui occupent des emplois à risque élevé? D’un autre côté, pensez-vous que s’ils consomment de la marijuana pendant leur période de service, ils en auront peut-être moins besoin plus tard et, par conséquent, deviendraient-ils un nouveau groupe éventuel de consommateurs? Voyez-vous où je veux en venir?

M. Lucas : Les employeurs canadiens, dans les milieux militaires et autres, s’inquiètent beaucoup de l’effet qu’il aura sur les employés qui occupent des postes critiques pour la sécurité.

Soulignons cependant qu’ils auront la possibilité de se procurer des produits à forte teneur en CBD et à faible teneur en THC. Leur consommation risque donc moins d’affaiblir leurs facultés.

Il est fascinant de voir les façons dont les organismes policiers et militaires gèrent actuellement la légalisation. Nous avons été témoins d’un véritable schisme dans leurs façons le faire. Certains services de police permettent à leurs agents de consommer, mais pas dans les 28 jours qui précèdent une période de service. En réalité, ces agents ne pourront jamais consommer. À mon avis, nous avons là une incompréhension générale des données selon laquelle le cannabis peut être détectable dans différentes parties du corps, cheveux ou autres, pendant 28 jours. Ces gens ne comprennent pas du tout les données très claires sur les facultés affaiblies. Les données sur l’affaiblissement des facultés indiquent clairement que si l’on fume ou vaporise du cannabis, cette consommation sera détectable de deux à quatre heures, ou même six heures au début. La société Tilray en avertit régulièrement ses patients.

Pour ce qui est de l’ingestion par voie buccale, l’effet dure habituellement de quatre à huit heures. Après cela, selon les données et les résultats de recherche que nous avons, les patients n’ont généralement plus les facultés affaiblies.

D’autres services de police, comme celui de Vancouver, ont choisi de dire : « Vous devez vous présenter au travail le jour suivant et montrer que vous êtes en état de travailler. » Ils ont adopté une politique semblable à celle qu’ils appliquent dans le cas de l’alcool, c’est-à-dire, essentiellement, demander aux gens de faire preuve de jugement et d’être capables de se présenter au travail le lendemain.

À l’heure actuelle, les politiques discriminatoires à l’égard du cannabis par rapport à l’alcool et à d’autres drogues potentiellement plus dangereuses favorisent la consommation de ces drogues plus dangereuses. Je m’inquiète de tout ce qui encourage la consommation d’alcool ou, dans certains cas, de drogues dures; les policiers et les militaires savent qu’on peut consommer une drogue dure le vendredi soir et subir un test d’urine qui sera négatif le lundi matin. Ils sont également au courant de ces données, à savoir que cela peut mener à des comportements de consommation plus dangereux. Je ne suis pas particulièrement inquiet, en tant que Canadien, du fait que nos militaires adoptent une politique permettant la consommation d’une substance assez bénigne comme le cannabis, dans un contexte autre que pour s’intoxiquer à l’alcool, qui est la substance la plus criminogène et dangereuse qui existe en Amérique du Nord à l’heure actuelle.

Ce matin, dans le Globe and Mail, j’ai vu des données selon lesquelles il y a plus d’hospitalisations associées à la consommation d’alcool qu’à toutes les substances illicites combinées. Il est certain que nous voulons décourager la consommation d’opioïdes et d’autres drogues, ce qui fait que le cannabis pourrait représenter une solution de rechange plus sécuritaire dans le contexte de votre question.

La sénatrice Wallin : Pour ce qui est des membres actifs, vous dites que vous les cibleriez, mais pas en ce qui concerne l’utilisation à des fins récréatives?

M. Lucas : Soyons clairs, nous ne ciblons personne. Nous sommes très limités par le gouvernement fédéral en ce qui concerne la commercialisation du cannabis à des fins récréatives et médicinales. Nous ne faisons pas de marketing; nous fournissons de l’information sur demande, mais nous ne faisons certainement pas de promotion délibérée auprès des militaires en service, et rien de tout cela ne changera avec la légalisation. Nous aidons des groupes comme Wounded Warrior Canada à leur fournir de l’information, à les sensibiliser et à les éduquer sur demande.

La sénatrice Wallin : Merci.

Monsieur Battersby?

M. Battersby : Très bien répondu, monsieur Lucas. Vous avez abordé à peu près tous les points.

Je répète qu’il s’agit de comprendre le cannabis, ses effets sur l’organisme, ainsi que le temps qu’il est présent dans le système, et de trouver d’autres façons de mesurer les facultés affaiblies. De tout temps, l’alcool a été mesuré par le taux d’alcoolémie. On peut le faire parce que l’alcool n’est présent dans le système que pendant 24 heures, alors que pour le cannabis, c’est 28 jours, sans que les facultés soient affaiblies.

Comme l’a dit M. Lucas, les facultés ne sont affaiblies que pendant quatre à huit heures. Cette évolution de la perception du cannabis vers laquelle nous devons tendre repose sur cette compréhension et sur la recherche d’autres façons d’aborder ce domaine.

Pour ce qui est de la deuxième partie de la question, Aphria ne cherche pas non plus à cibler une communauté ou un segment particulier de la population canadienne. Le cannabis est un produit qui fonctionne pour beaucoup de gens et pas du tout pour d’autres. Nous sommes heureux de servir n’importe quel segment de la population canadienne qui bénéficiera du cannabis à des fins médicinales, mais nous ne soutenons en aucun cas l’idée de se présenter au travail avec les facultés affaiblies.

La sénatrice Wallin : Vous travaillez plus étroitement avec les anciens combattants. Je sais qu’il s’agit d’une question hypothétique, mais étant donné les avantages que l’on constate chez les personnes atteintes de TSPT qui consomment de la marijuana à des fins médicinales, il serait logique, dans certaines situations, que vous suggériez cela aux membres en service qui souffrent d’anxiété et de stress au travail. C’est sur cela que j’aimerais mettre l’accent.

Sarah Dobbin, directrice, Division médicale, Aphria : Comme Gregg l’a mentionné, nous ne ciblons pas précisément...

La sénatrice Wallin : Non. Je comprends que le mot « cibler » peut être péjoratif. Voyez-vous les possibilités qui s’offrent, non seulement du point de vue de votre entreprise, mais aussi pour les membres actifs?

Mme Dobbin : Pour cette population?

La sénatrice Wallin : Oui.

Mme Dobbin : Potentiellement. Je pense que des recherches sont nécessaires.

En ce qui concerne les facultés affaiblies, les anciens combattants et beaucoup de patients d’Aphria nous disent souvent qu’ils ne veulent pas se retrouver dans cette situation. Ils téléphonent souvent à notre centre d’appels et demandent : « Qu’est-ce que je peux prendre qui n’affaiblira pas mes facultés? Je veux pouvoir aller travailler, sortir de la maison et bien fonctionner dans la société. » C’est pourquoi notre huile de CBD est un produit extrêmement populaire, de même que d’autres types de produits qui n’ont pas pour effet d’affaiblir les facultés.

M. Lucas : La seule chose que j’ajouterais à cela, c’est que nous voyons de plus en plus de militaires actifs au Canada et aux États-Unis qui doivent quitter le service en raison d’un TSPT et d’autres problèmes de santé mentale. Si la consommation de cannabis à des fins médicinales pendant qu’ils sont encore en service contribuait à réduire le risque qu’ils quittent le service actif, cela pourrait être bénéfique dans l’ensemble.

Évidemment, notre objectif est de garder les gens sur le marché du travail, qu’il s’agisse des militaires ou d’autres personnes. Nous constatons qu’environ 60 p. 100 de nos patients chez Tilray continuent de travailler à temps plein ou à temps partiel et nous mentionnent régulièrement que le cannabis, plutôt que de les forcer à rester à la maison, leur permet de mener une vie plus active.

Si nous pouvions voir la même chose se produire dans la culture militaire, et si cela permettait à ceux qui veulent s’engager, à ceux qui ont consacré leur vie à travailler dans l’armée, d’y rester plus longtemps plutôt que d’avoir à partir pour aller se faire soigner, ce serait un résultat positif globalement.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup. C’est un sujet qui m’intéresse pour plusieurs raisons.

Monsieur Lucas, l’étude que vous faites m’intéresse. Je m’inquiète un peu des entreprises qui font des études et des recherches indépendantes parce que, comme vous le savez, on ne sait toujours pas dans quelle mesure elles sont efficaces. Nous savons ce que les gens en pensent, mais qu’en est-il pour la santé à long terme? Peu de recherches ont été menées parce qu’il s’agissait d’une entreprise illégale depuis très longtemps. Je sais que vous menez une étude à ce sujet, mais je m’intéresse aussi à la façon dont vous réalisez une étude qui, d’une façon ou d’une autre, sert les intérêts de votre entreprise — et c’est tout à fait valable —, mais qui, en même temps, est d’intérêt public. Je ne voudrais pas confondre les deux.

M. Lucas : Je suis tout à fait d’accord. C’est l’un de nos objectifs.

Je m’intéresse au cannabis à des fins médicinales depuis plus de 20 ans. J’ai commencé comme patient, puis comme défenseur des droits des patients, et au cours des 15 dernières années, j’ai fait de la recherche médicale sur le cannabis en mettant vraiment l’accent sur les habitudes de consommation des patients et l’effet de substitution du cannabis.

Une grande partie de ce que nous savons au sujet du cannabis à des fins médicinales à l’heure actuelle, qu’il s’agisse de son utilisation dans le traitement de l’épilepsie pédiatrique, de la douleur chronique ou du TSPT, par exemple, nous en avons d’abord entendu parler dans le cadre de l’expérience des patients, puis des recherches scientifiques accélérées qui ont servi à rattraper le temps perdu.

Tilray a récemment conclu une étude fructueuse au Sick Kids Hospital sur l’épilepsie pédiatrique. Nous n’aurions pas su que les extraits à forte concentration de CBD étaient utiles dans le cas de l’épilepsie pédiatrique si les patients ne nous avaient pas d’abord fait part de leur expérience, et nous avons conçu une étude pour la vérifier de façon plus objective.

Cela a certainement été le cas pour le TSPT. Dans le cadre de mon travail de longue date à titre de fournisseur et de défenseur des droits des patients, j’ai commencé à entendre parler de l’utilisation du cannabis à des fins médicinales et pour le traitement du TSPT à la fin des années 1990, vers l’an 2000, lorsque les populations des Premières Nations ont commencé à consommer du cannabis à des fins médicinales et à déclarer qu’elles le trouvaient utile pour le traitement du TSPT.

Notre étude avec l’Université de la Colombie-Britannique, je dois le souligner, est un essai clinique de phase II. Elle a fait l’objet d’un examen et d’une approbation déontologiques de Santé Canada, ainsi que de l’Université de la Colombie-Britannique, afin de garantir qu’il ne s’agit pas seulement d’une étude sécuritaire ou relativement sécuritaire pour les participants et de l’annonce qu’un nouveau traitement voit le jour, mais aussi que cette étude répond à des considérations éthiques en matière d’indépendance.

L’étude se déroule à l’Université de la Colombie-Britannique Okanagan. Aucun membre du personnel de Tilray ne participe directement à l’administration de cette étude. Nous produisons et fournissons trois préparations différentes qui sont utilisées dans cette étude — une préparation de cannabis contenant 10 p. 100 de THC; une préparation de cannabis contenant 10 p. 100 de THC et 10 p. 100 de CBD; et une préparation placebo — pour voir si l’ajout du CBD modifie la réponse au traitement de ces patients. Nous faisons un suivi détaillé des résultats, comme le score CAPS, qui est la principale façon d’évaluer la gravité du TSPT, ainsi que des mesures du sommeil et de la qualité de vie, afin de voir s’ils s’améliorent ou non.

Nous ne connaissons pas encore les résultats de cette étude, qui est toujours en cours. Mais comme pour toute étude, il y a autant de risques qu’elle ne soit pas utile que de chances qu’elle soit utile. Nous sommes tout simplement impatients de recueillir les données et de les diffuser dans des revues universitaires.

Nous faisons de notre mieux, parce que nous savons qu’il y a des préoccupations, non seulement au sujet des compagnies de cannabis, mais aussi des compagnies pharmaceutiques qui participent à ce genre de recherche. Le fait est que nous aimerions beaucoup que le gouvernement fédéral prenne en charge cette recherche. Nous serions très satisfaits si ce genre de recherche était entreprise par Anciens Combattants Canada. À l’heure actuelle, ils ne financent pas ce genre d’étude — ou ils ne le faisaient certainement pas il y a trois ans, lorsque nous avons commencé la nôtre. Nous avons donc senti le besoin d’aller de l’avant parce que cette question méritait d’être étudiée, à savoir si le cannabis est utile dans le traitement du TSPT.

Je crois comprendre maintenant qu’une étude dirigée par le gouvernement est en cours de conception et qu’elle est très semblable à la nôtre. Les membres de ce comité en savent peut-être plus que moi à ce sujet. Mais je peux vous assurer que notre objectif en ce moment est simplement de recueillir ces données et de les communiquer, afin de mieux éclairer les options de traitement pour les médecins et les patients qui pourraient envisager d’y avoir recours.

La sénatrice Boniface : Je veux faire un suivi et m’assurer que j’ai bien compris certains des renseignements que vous avez fournis. Je crois que vous avez parlé de 1,5 gramme par jour pour vos patients réguliers, et de 2,1 grammes pour les personnes souffrant de TSPT. Je suppose qu’il s’agit d’anciens combattants et d’autres personnes pouvant en souffrir.

M. Lucas : C’est exact.

La sénatrice Boniface : Comme vous le savez sans doute, le ministère des Anciens Combattants a suivi une démarche dans le cadre de laquelle 1,1 gramme était permis, puis 3 grammes. Nous avons entendu pas mal de témoignages sur la question de savoir si cela était suffisant ou non. Mais selon votre expérience, 3 grammes devraient suffire en général?

M. Lucas : Environ 80 p. 100 de nos patients, y compris ceux qui souffrent de TSPT, consomment 3 grammes ou moins par jour. Un peu moins de 20 p. 100 en consomment plus.

Il y a là une aberration. Il y a un pourcentage de personnes qui ne sont pas couvertes par le programme des Anciens Combattants. Il y a un processus d’exemption avec Anciens Combattants Canada. Les anciens combattants ont signalé qu’il peut parfois être difficile de trouver un psychiatre ou un spécialiste de la douleur capable de témoigner et de rédiger une demande d’exemption. Mais nous constatons que ces 3 grammes par jour couvrent environ 80 p. 100 des anciens combattants au Canada qui consomment du cannabis à des fins médicinales. Ce qui nous préoccupe, bien sûr, c’est toujours les 20 p. 100 qui ne sont pas visés.

La sénatrice Boniface : J’aimerais apporter une petite précision. Je reviens à la référence de M. Battersby aux facultés affaiblies, une question que je connais assez bien pour avoir parrainé le projet de loi C-46. Si vous prenez 3 grammes par rapport à 10 grammes par jour, il y a une différence dans le niveau d’intoxication potentiel.

M. Lucas : Je pense qu’il ne fait aucun doute qu’il y a une grande différence dans les taux de THC dans le plasma sanguin, lorsque des produits à base de THC sont utilisés. Dans le cas des produits à base de CBD, cela est peut-être moins pertinent en ce qui concerne le dosage proprement dit.

[Français]

Le président : Comme vous le savez bien, la semaine dernière, le cannabis récréatif a été légalisé; quelle pourrait être l’incidence de l’utilisation du cannabis récréatif sur le cannabis médicinal? La légalisation du cannabis récréatif pourrait-elle avoir une incidence sur le prix du cannabis médicinal?

[Traduction]

M. Battersby : Encore une fois, seulement sept jours se sont écoulés depuis la légalisation, et nous n’avons pas encore constaté de changement important des niveaux de consommation chez nos patients.

Sarah peut probablement parler un peu plus du côté de l’intégration des patients et nous dire si nous avons constaté un changement à cet égard, mais une grande partie de notre population de patients utilise l’huile, et notre produit phare est un produit à forte teneur en CBD. À ce jour, nous n’avons pas constaté de baisse du niveau de consommation chez les patients pour les produits à base de CBD, de même que ceux à base de THC. Cela nous donne donc une certitude relative que les patients inscrits à Aphria consomment du cannabis pour de véritables raisons médicinales et préfèrent le faire sous la supervision de leur médecin plutôt que d’aller dans un magasin qui vend des produits pour usage récréatif et l’acheter là.

Y a-t-il eu des changements dans le nombre de personnes inscrites?

Mme Dobbin : Vous avez raison, nous n’en avons pas vu. Mais il est important de souligner que si nous n’avions pas pris la décision, comme Tilray et d’autres producteurs autorisés, d’absorber la taxe d’accise, nous aurions constaté cette différence du point de vue de l’accès uniquement. Si un patient peut aller dans la rue et acheter un produit qui, dans son esprit, est semblable à quelque chose qu’il va commander chez nous, ce qui représente des étapes de plus dans ce processus, la livraison sera peut-être plus rapide. Mais comme nous absorbons cette taxe d’accise pour le moment, nous n’avons pas vu cela se produire. Des patients nous ont dit que ce facteur était extrêmement important pour eux dans leur décision d’opter pour le volet médicinal ou le volet récréatif.

M. Lucas : J’ajouterais qu’environ 300 000 Canadiens se sont inscrits au programme fédéral sur l’accès au cannabis à des fins médicinales. Lorsque vous sondez les Canadiens pour savoir s’ils consomment du cannabis thérapeutique, environ un million de Canadiens disent le faire. Cela signifie qu’environ un tiers de ces personnes sont inscrites au programme fédéral et que les deux tiers obtiennent leur cannabis en dehors du programme fédéral.

Selon le sondage effectué au cours des 6 derniers mois, de 10 à 20 p. 100 des Canadiens consomment régulièrement du cannabis à des fins récréatives. On passe donc de 2 p. 100 à 4 p. 100 de la population adulte qui l’utilise à des fins médicinales, comparativement à 10 ou 20 p. 100 de la population qui l’utilise à des fins récréatives. Il y a donc beaucoup plus de gens qui l’utilisent à des fins récréatives qu’à des fins médicinales, bien sûr.

Cependant, je pense que lorsque nous parlons des patients couverts par Anciens Combattants Canada, il y a manifestement un grand facteur qui les dissuade de se tourner vers le marché récréatif, à savoir qu’ils n’auront pas droit à la couverture de leurs coûts s’ils passent par la LCBO, la Liquor Distribution Branch en Colombie-Britannique ou d’autres points de vente. Je ne pense donc pas que nous allons assister à une migration importante du volet médicinal vers le volet récréatif pour ceux qui sont couverts par Anciens Combattants Canada, parce qu’ils ne bénéficieraient pas de ces rabais.

Je pense aussi que lorsque nous avons fait un sondage auprès de ces anciens combattants, 97 p. 100 d’entre eux ont dit qu’ils continueraient de participer au programme fédéral sur l’accès au cannabis à des fins médicinales, en vertu du RACFM.

Je pense que cela indique un niveau de satisfaction général assez élevé à l’égard du programme fédéral actuel. Je ne suis pas sûr que nous réussirions à amener 97 p. 100 des Canadiens à s’entendre sur l’utilité du programme Fund a Dog ou sur la vertu d’un cornet de crème glacée par une journée chaude. Il s’agit donc d’un niveau élevé de soutien pour le programme fédéral actuel au sein de cette population.

[Français]

Le président : Avant de céder la parole à mes collègues, si vous aviez une recommandation à nous faire en ce qui a trait à notre rapport, quelle serait-elle? Quelles actions le gouvernement fédéral devrait-il privilégier concernant l’utilisation du cannabis médicinal chez les vétérans? Auriez-vous une recommandation à nous faire?

[Traduction]

M. Battersby : Je pense que nous ne sommes pas ici aujourd’hui pour parler des politiques du gouvernement ou d’ACC sur la consommation de cannabis et de la couverture d’Anciens Combattants Canada.

S’il y a une chose que nous voudrions examiner en ce qui a trait aux politiques mises en place et aux restrictions imposées en matière de couverture, c’est de nous assurer que nous ne limitons pas l’achat de certains produits par les anciens combattants. Il y a à la fois un plafond de 3 grammes par jour et un plafond de 8,50 $ par gramme pour le coût. De nombreux produits vendus sur le marché coûtent plus de 8,50 $ le gramme, surtout les huiles et certaines gélules, et je pense que M. Lucas serait d’accord pour dire qu’ils permettent davantage de contrôler la dose. Le prix de bon nombre de ces produits est légèrement supérieur à 8,50 $. Je vous conseillerais au moins d’examiner cette question. Ce serait la recommandation que je vous ferais.

M. Lucas : Merci beaucoup de me donner l’occasion de vous faire part de mes commentaires.

Je suis tout à fait en faveur d’une recherche plus poussée sur l’utilisation du cannabis à des fins médicinales, non seulement pour le TSPT, mais pour d’autres problèmes de santé mentale. Nous voyons un niveau élevé de consommation pour traiter l’anxiété, la dépression et l’insomnie, et pourtant, nous avons un contre-discours qui laisse entendre que le cannabis peut poser des problèmes pour les personnes qui ont des psychoses ou de la schizophrénie. C’est un domaine de recherche vraiment important auquel nous devons consacrer plus de temps et d’énergie.

Tilray travaille actuellement sur l’anxiété, et nous annoncerons d’autres études à ce sujet.

Je dirais aussi que depuis 20 ans que je travaille avec des patients qui consomment du cannabis à des fins médicinales, le coût a toujours été un obstacle à l’accès. Je tiens à féliciter le gouvernement fédéral, le ministère des Anciens Combattants, d’avoir assuré la couverture des coûts pour les anciens combattants, policiers, militaires et anciens des services correctionnels; mais je dirais aussi que pour ceux qui font toujours face à un obstacle, que ce soit pour avoir accès à des extraits, comme M. Battersby l’a laissé entendre, ou autrement, nous voulons nous assurer de ne pas imposer de limites aussi importantes et de réduire ainsi l’accès des anciens combattants au Canada à des remèdes qui pourraient leur être utiles.

Enfin, en ce qui concerne la discussion que nous avons eue plus tôt, pour ceux qui sont encore actifs — et je ne dis pas cela pour les policiers et les militaires qui ne sont plus en service —, je pense que nous ne devrions objectivement pas avoir de politiques qui traitent le cannabis plus sévèrement que l’alcool, que ce soit dans le cas de crimes violents, de violence familiale, d’homicides ou de suicides. L’alcool est beaucoup plus problématique que le cannabis.

Je m’inquiète lorsque nous commençons à traiter le cannabis différemment de l’alcool pour les militaires en service actif. Si nous voulons mettre en place des politiques sur la consommation récréative de cannabis, je dirais qu’elles devraient refléter celles sur l’alcool, ne pas encourager la consommation d’alcool et dissuader la consommation de cannabis en remplacement. Je ne pense pas que cela soit conforme aux données probantes ou aux objectifs de santé publique pour les militaires ou l’ensemble de la population canadienne.

Le sénateur Doyle : Vers qui un ancien combattant se tourne-t-il pour obtenir des conseils sur le produit qu’il devrait utiliser et sur la façon de l’utiliser? Je suis sûr qu’il y a différentes façons de consommer ces produits. Premièrement, la personne doit-elle aller voir un médecin pour en parler? Doit-elle parler à un producteur? Quelles étapes doit-elle suivre?

M. Battersby : Le médecin devrait toujours être en première ligne et être la première personne à consulter pour tout patient, ancien combattant ou civil. Je dirais que c’est le médecin qui a le plus d’influence sur un patient et un ancien combattant et sur sa façon de consommer.

Cela dit, lorsque le patient s’inscrit auprès d’un producteur autorisé, des services de soins aux patients sont également offerts — et Sarah pourra en parler davantage —, qui prennent la forme de conseils et de réponses aux questions qu’ils pourraient avoir et auxquelles le médecin n’aurait pas répondu autrement. Il arrive aussi que ce soient les médecins qui dirigent les patients vers ces équipes de soins aux patients.

Mme Dobbin : Une question pourrait être : « Mon médecin m’a prescrit un maximum de 6 p. 100 de THC; quels sont les produits qui répondent à cette exigence? » Nous appelons tous les patients d’Aphria, qu’ils soient anciens combattants ou non, et nous nous assurons qu’ils comprennent ce qui leur a été prescrit et ce à quoi cela ressemble. Étant donné qu’il y a tant de producteurs autorisés différents, notre huile à forte teneur en CBD aura probablement un autre nom que l’huile à forte teneur en CBD de Tilray. Nous voulons nous assurer qu’ils comprennent exactement ce qui leur a été prescrit.

Le sénateur Doyle : Selon vous, la communauté médicale a-t-elle beaucoup d’expertise dans ce domaine? C’est assez nouveau. À la faculté de médecine, je ne crois pas qu’on enseigne tout ce qu’il faut savoir sur le type de cannabis à utiliser. Quel genre de processus le milieu médical a-t-il suivi pour avoir accès à toute l’expertise dont il a manifestement besoin?

M. Lucas : Je suis extrêmement heureux de dire que, au cours des 10 ou 15 dernières années, nous avons vu de plus en plus de membres de la communauté médicale s’informer au sujet de la consommation de cannabis à des fins médicinales. L’impulsion vient habituellement des patients qui souhaitent avoir accès au cannabis et qui ont l’impression qu’ils doivent s’informer à ce sujet.

Il y a maintenant de grandes facultés de médecine au Canada qui intègrent dans leurs cours de l’information sur le système endocannabinoïde, sur la consommation de cannabis et de cannabinoïdes. L’Université de la Colombie-Britannique en est un bon exemple.

De plus en plus, des organisations comme Tilray et Aphria offrent aussi des programmes de formation médicale continue, enseignés par des médecins à des médecins, afin de les guider au sujet de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamique du cannabis thérapeutique et de certaines des options de traitement.

Je tiens également à vous dire qu’au cours des dernières années, j’ai été invité à faire des présentations à la conférence de l’ICRSMV, l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, afin de mettre en commun certaines de nos conclusions sur l’utilisation du cannabis dans le traitement des problèmes de santé mentale et du TSPT, avec d’autres universitaires au Canada. Des groupes d’anciens policiers et militaires cherchent activement à obtenir ce genre d’information, et nous serons heureux de leur fournir dans la mesure du possible.

En terminant, il est clair qu’il reste encore beaucoup à faire et que les médecins doivent être mieux informés. À peu près à la même époque l’an dernier, selon Santé Canada, le nombre de patients inscrits au programme augmentait de 10 p. 100 d’un mois à l’autre, mais le nombre de médecins prescripteurs augmentait de 12 p. 100 d’un mois à l’autre. Il y a donc plus de médecins qui emboîtent le pas et qui s’informent, mais il y a encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine.

Le sénateur Doyle : Merci.

La sénatrice Wallin : Je voudrais vérifier un point. Vous avez dit que dans votre étude, monsieur Lucas, vous utilisez trois produits, dont un placebo. Y a-t-il un produit à base de CBD seulement?

M. Lucas : Il n’y a pas de produits uniquement à base de CBD, pour la simple raison qu’au moment où nous avons commencé cette étude, il y a environ trois ans, Tilray n’avait pas ce genre de produits. La raison pour laquelle nous utilisons des fleurs de cannabis entières plutôt que des extraits, c’est que lorsque nous avons commencé l’étude, Santé Canada ne nous avait pas autorisés à fournir ou à fabriquer des huiles. Cela s’est produit au cours des dernières années.

Si nous lancions l’étude aujourd’hui, nous utiliserions probablement un extrait à base d’huile de CBD pur.

Dans notre récente étude sur l’épilepsie pédiatrique, nous avons utilisé un extrait à très faible teneur en THC et à teneur très élevée en CBD, soit 2 milligrammes de THC et 100 milligrammes de CBD.

Ces produits sont maintenant disponibles et constituent habituellement un point de départ pour les patients qui commencent à consommer du cannabis à des fins médicinales. C’est certainement le produit que nous recommandons lorsque des patients appellent et disent qu’ils sont des nouveaux consommateurs.

La sénatrice Wallin : Est-ce que quelqu’un fait une étude sur le CBD quelque part?

M. Lucas : Il y a une étude américaine semblable à celle que nous menons actuellement, qui a lieu dans deux ou trois administrations et qui est financée grâce à une subvention de l’État du Colorado. Je crois que dans le cadre de cette étude, ils ont un produit à forte teneur en CBD et à faible teneur en THC. La teneur en THC est très faible. Il y a un peu de THC parce qu’il s’agit d’une étude sur le cannabis fumé. Notre étude porte sur le cannabis vaporisé.

C’est ce qui existe actuellement. Je ne connais personne qui s’intéresse uniquement au CBD pour le traitement du TSPT.

La sénatrice Wallin : Je suis arrivée en retard, alors je m’excuse. Vous l’avez peut-être expliqué ou peut-être que ma question n’est pas pertinente du tout.

Vous avez dit, monsieur Lucas, que vous avez déjà été un patient. Vous avez vécu toute la gamme des expériences. Pourriez-vous nous en parler?

M. Lucas : Je suis absolument heureux de le faire.

En 1995, on m’a diagnostiqué l’hépatite C, que j’avais contractée à l’âge de 12 ans, en raison du système du sang contaminé en Ontario, par suite d’une splénectomie. À l’époque, il n’y avait pas d’options de traitement. Même les options de traitement expérimentales n’étaient pas disponibles.

J’ai d’abord consommé du cannabis à des fins médicinales pour réduire puis pour arrêter ma consommation d’alcool et de tabac. C’est la seule chose que mon médecin pouvait me prescrire à l’époque parce qu’il n’y avait pas de traitement disponible.

J’ai trouvé que cela m’aidait, mais j’ai aussi constaté que cela allégeait mes symptômes de l’hépatite C, y compris la douleur localisée, l’inflammation. Cela stimulait mon appétit et réduisait mes nausées.

Je suis heureux de dire qu’il y a environ quatre ans, j’ai suivi ce qui était à l’époque un traitement expérimental contre l’hépatite C, un traitement combiné, et j’ai été guéri de l’hépatite C.

J’en ai des frissons.

Il est remarquable de pouvoir trouver un remède à une maladie comme celle-là. Pour tous les patients atteints de l’hépatite C au Canada et dans le monde, ce fut un développement remarquable.

La sénatrice Wallin : Oui. Je m’occupe également d’un projet de loi sur le don de sang, alors je suis tout à fait au courant. Je vous remercie.

La sénatrice Boniface : Comme vous venez de la Colombie-Britannique, vous avez soulevé la crise des opioïdes qui sévit partout au pays. L’une de mes préoccupations à cet égard est le manque de recherche et de connaissances des médecins, de même que la prescription excessive d’opioïdes, qui est à l’origine du problème.

Ma question porte sur l’accès pour les anciens combattants et les autres. Vous avez parlé de 2,5 grammes par jour pour le TSPT. Y a-t-il des études qui nous disent combien de temps il faut pour que cela agisse et à quel moment les gens cessent d’en consommer?

M. Lucas : Quelle excellente question. J’ai mentionné que les patients utilisaient 2,1 grammes par jour et que la moyenne était de 1,5 gramme.

Deux ou trois choses sont vraiment intéressantes dans le cas du cannabis thérapeutique. Les patients tendent à développer une tolérance aux effets secondaires du cannabis thérapeutique, y compris en ce qui a trait aux facultés affaiblies, soit dit en passant. Donc, même à des doses beaucoup plus élevées que celles qui sont habituellement utilisées à des fins récréatives, les patients déclarent ne pas avoir les facultés affaiblies. Cependant, pour ce qui est de la rougeur des yeux, de la tachycardie, ils semblent développer une tolérance avec le temps, mais pas pour les effets thérapeutiques réels.

J’ai des données pour appuyer mes dires. Je suis le chercheur principal de la plus grande étude longitudinale sur les patients qui consomment du cannabis à des fins médicinales à ce jour. Nous avons 1 900 patients dans 20 cliniques de 5 provinces du Canada. Ce que nous constatons au cours des six premiers mois d’utilisation, du point de départ à six mois plus tard — parce que nous recueillons des données au point de départ, après un mois, après trois mois et après six mois —, c’est que la consommation moyenne n’augmente pas, surtout chez les patients qui n’ont jamais consommé. Une fois qu’ils ont trouvé le bon dosage, ils ne semblent pas augmenter la dose comme c’est le cas pour les opioïdes, ce qui est certainement un signe encourageant.

Le moment où ils peuvent cesser de consommer représente une autre question, parce que, au bout du compte, le cannabis à des fins médicinales ne guérit pas le TSPT ou d’autres problèmes de santé mentale. Il tend à réduire les symptômes, et notre espoir et notre but sont qu’en réduisant les symptômes et en augmentant la capacité de fonctionner et la qualité de vie de ces patients, ceux-ci puissent alors demander des traitements, que ce soit la psychothérapie traditionnelle ou peut-être d’autres traitements comportementaux ou même pharmaceutiques, qui peuvent ensuite mener à une guérison plus durable.

En réalité, lorsqu’on parle de consommation de cannabis thérapeutique et de TSPT, on parle de réduire les symptômes, comme l’hypervigilance, l’insomnie, de même que les horribles cauchemars qui accompagnent le TSPT pour beaucoup trop de personnes, et de passer à une vie plus régulière et de plus grande qualité.

La sénatrice Boniface : J’ai un bref commentaire. Les symptômes que vous venez de décrire ressemblent également à ceux invoqués par les gens pour se faire prescrire des opioïdes initialement. L’étude longitudinale m’intéresse beaucoup. Au bout du compte, nous voulons tous que les gens soient en bonne santé. Pour ce qui est de la façon dont ils y arrivent, nous ne devrions pas créer de difficultés secondaires pour eux dans le processus.

Je vous remercie de vos commentaires.

[Français]

Le président : Avant de clore notre discussion, j’aurais trois questions à poser. On sait que ceux qui ont investi depuis un an dans les nouvelles compagnies de production de cannabis semblent avoir fait fortune à la bourse. Les prix sont très à la hausse, alors que le prix des actions de Tilray a chuté de 300 $ à 115 $ sur le NASDAQ.

Faut-il voir dans cette situation un mouvement qui pourrait faire en sorte que les usagers de cannabis médical pourraient se tourner vers le cannabis récréatif?

[Traduction]

M. Battersby : Comme je l’ai dit plus tôt, nous n’avons pas vu cette tendance jusqu’à maintenant, mais c’est évidemment un sujet dont on a discuté et que nous surveillerons de près, tout comme les tendances et ce qui se passera au cours du prochain mois, des trois prochains mois, des douze prochains mois.

C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, mais je pense que les patients qui décident de passer du volet médicinal au volet plus récréatif le font peut-être en raison de l’accessibilité des médecins. Il se peut qu’ils le fassent simplement parce que cela simplifie les choses pour eux s’ils n’ont plus accès à un médecin, alors ils essaient de s’en procurer par des voies plus simples.

Comme je l’ai dit plus tôt, environ 300 000 Canadiens à qui on en prescrit optent pour cette solution parce qu’ils préfèrent être traités sous la supervision de leur médecin. D’un point de vue économique, je ne pense pas qu’une réduction de la consommation à des fins médicinales pose un risque énorme pour nos entreprises. Nous nous réjouissons évidemment de la légalisation du cannabis.

M. Lucas : Bien dit. Ce que j’ajouterais, c’est que nous ne savons pas vraiment ce qui va se passer au Canada, mais nous avons de bonnes indications en examinant l’expérience américaine. Ce que nous constatons dans les États américains qui utilisaient le cannabis à des fins médicinales et qui, depuis, sont devenus des États qui utilisent le cannabis à des fins récréatives — je pense au Colorado, à Washington et à l’Oregon, principalement — et nous en apprendrons davantage sur la Californie parce que la légalisation est nouvelle là-bas, c’est qu’il y a eu une baisse initiale de la consommation de cannabis à des fins médicinales qui a duré quelques mois, lorsque les gens ont exploré l’accès libre au cannabis à des fins récréatives, puis une augmentation marquée du nombre d’inscriptions aux programmes de vente de cannabis à des fins médicinales. On attribue cela à la déstigmatisation qui se produit lorsque nous légalisons cette substance globalement, et non pas seulement pour un sous-ensemble de patients.

Je pense que dans quelques mois, lorsque les médecins verront un patient au sujet du cannabis à des fins médicinales, le fait que cette substance soit disponible au coin de la rue, dans les LCBO ou dans les sociétés des alcools signifiera que le médecin pourra avoir davantage confiance que ce patient est vraiment un patient qui consomme du cannabis à des fins médicinales, parce qu’il y a d’autres options d’accès légales.

Je pense que nous allons voir une augmentation maintenant que nous avons éliminé une partie de la stigmatisation entourant la consommation de cannabis à des fins médicinales, grâce à la légalisation du cannabis à des fins récréatives.

J’ajouterais également que l’accès au cannabis à des fins médicinales dans les pharmacies augmentera vraisemblablement en 2019, et rien ne fera plus pour déstigmatiser et normaliser l’accès au cannabis à des fins médicinales que lorsque nous commencerons à le traiter comme tous les autres médicaments d’ordonnance. Cela va vraiment accroître la confiance des pharmaciens, des médecins et des patients à l’endroit de cette option de traitement, parce que cette substance sera traitée comme n’importe quel autre médicament.

Enfin, je dirais que nous allons penser à 2018 comme à l’année où la couverture du cannabis thérapeutique par les assureurs privés a vraiment commencé à devenir plus accessible à l’extérieur du programme d’ACC. Nous voyons maintenant la Sun Life, la Great-West et Green Shield offrir une couverture du cannabis thérapeutique dans le cadre de grands régimes collectifs. Même si ce n’est qu’un faible pourcentage de la population de patients au Canada, soit moins de 10 p. 100, ce pourcentage augmente rapidement.

Je vois cela comme un signe précurseur de la couverture par les provinces au cours des cinq ou six prochaines années, lorsqu’elles auront fait une analyse économique et constaté qu’il y a en fait des économies à réaliser en assurant la couverture du cannabis thérapeutique par rapport à d’autres médicaments d’ordonnance, particulièrement en ce qui a trait à la réduction du nombre de visites chez le médecin, de visites à l’urgence et d’hospitalisations des patients traités grâce au cannabis par rapport aux autres patients.

Je pense donc que nous verrons un élargissement du programme de cannabis à des fins médicinales à mesure qu’il prendra de l’ampleur, non seulement au Canada, mais aussi à l’échelle internationale.

[Français]

Le président : Avant de partir, monsieur Lucas, êtes-vous en mesure de nous dire quelle proportion de patients trouvera un soulagement suffisant lorsqu’ils consommeront du cannabis sans avoir un effet euphorisant sur leurs facultés?

[Traduction]

M. Lucas : L’objectif est de trouver un dosage qui permet de soulager les symptômes et les problèmes de santé sans affaiblir les facultés.

Les patients qui continuent de consommer du cannabis à des fins médicinales — ceux qui font partie de nos programmes, par opposition à ceux qui les ont abandonnés — ont été capables de le faire. Ils ont été en mesure de trouver une posologie qui améliore leur qualité de vie et leur fonctionnalité, sans que les facultés affaiblies fassent partie de l’équation.

Comme M. Battersby l’a souligné, il ne s’agit pas d’une option de traitement pour tous les patients et pour tous les problèmes de santé au Canada. Je ne dirais jamais cela. Mais pour les patients qui en bénéficient, cela peut vraiment changer leur vie. À certains égards, cela peut changer la vie de façon graduelle. Cela peut améliorer le sommeil et la capacité de manger et de digérer des aliments dans les cas de problèmes gastro-intestinaux, comme la maladie de Crohn, la colite, le syndrome de l’intestin irritable et la maladie inflammatoire chronique de l’intestin. Dans d’autres cas, cela change complètement la vie, comme pour les patients en pédiatrie qui, après avoir souffert de cent crises par jour, tombent à zéro ou quelques crises par mois. Dans ces cas, cela est tout un changement.

Nos patients atteints de TSPT nous font part de la tragédie qu’ils vivaient avant de consommer du cannabis à des fins médicinales et de l’amélioration importante de leur fonctionnement et de leur qualité de vie en général qui en découle. C’est tout à fait renversant, surtout pour les patients qui souffrent de TSPT. Non seulement cela aide-t-il le patient, mais cela aide aussi le conjoint, l’enfant ou la mère ou le père du patient, parce que le TSPT ne se vit pas de façon isolée et affecte tout l’entourage. Si cela contribue à améliorer leur état de santé, nous nous attendons à ce que les patients continuent à en consommer. Si leur état ne s’améliore pas, on devrait s’attendre à ce qu’ils passent à autre chose et essaient d’autres traitements.

[Français]

Le président : Dans quelle mesure la réduction des quantités de cannabis remboursées aux vétérans a-t-elle changé les habitudes de consommation chez les vétérans?

M. Lucas : Je vous demande pardon. Pouvez-vous répéter votre question?

Le président : En fait, les quantités de cannabis qui sont remboursées aux vétérans ont été réduites. Est-ce que cela a entraîné une réduction de la consommation?

M. Lucas : Il y a eu une réduction de la consommation pour un groupe de patients. Comme vous le savez, des patients atteints du syndrome de stress post-traumatique consommaient entre 7 à 10 grammes par jour. Nous ne sommes pas certains si c’était la quantité qu’ils consommaient, mais c’est la quantité qu’ils commandaient. Avec les changements, pour la plupart, cela a réduit la quantité qu’ils pouvaient commander. Nous ne pouvons pas savoir si cela va vraiment changer la quantité consommée. Il se peut que certains se voient obligés d’acheter leur cannabis d’autres sources ou de payer de leur poche pour du cannabis d’autres sources. Nous ne savons pas exactement s’ils consomment du cannabis autre que celui qu’ils commandent de producteurs licenciés comme Tilray et Aphria. Comme je l’ai mentionné plus tôt, environ 80 p. 100 des patients au Canada, y compris les vétérans, semblent consommer trois grammes ou moins. Cependant, pour les 20 p. 100 qui ont besoin d’une quantité supplémentaire, nous ne sommes pas en mesure de savoir où ils se procurent leur cannabis ainsi que la quantité utilisée.

Le président : Personne n’a d’autres questions à poser. Alors, je tiens à remercier tous les témoins de leur témoignage.

(La séance est levée.)

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