Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 10 - Témoignages du 1er février 2012
OTTAWA, le mercredi 1er février 2012
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : l'état du processus des traités de la Colombie-Britannique).
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Pour respecter les règles de travail efficaces que se sont données les membres du comité, je déclare la séance ouverte.
Bonsoir. Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu'aux membres du grand public qui regardent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur la chaîne CPAC ou sur le web.
Je suis le sénateur St. Germain, de la Colombie-Britannique, et j'ai l'honneur de présider le présent comité qui a pour mandat d'examiner les mesures législatives et autres qui se rapportent aux peuples autochtones du Canada en général. Le 25 octobre 2011, le comité a eu une séance d'information de la Commission des traités de la Colombie- Britannique sur les questions liées à la mise en œuvre du processus des traités de la Colombie-Britannique. Le 1er novembre 2011, le comité a décidé de présenter un bref rapport sur l'état du processus. En vue de cet objectif, le comité s'est entendu pour tenir une ou deux séances additionnelles afin d'entendre le témoignage des trois parties responsables de la création de ce processus.
Aujourd'hui, nous commençons à entendre des témoignages visant à nous informer sur l'état du processus des traités de la Colombie-Britannique. Ce soir, nous allons entendre des représentants de deux de ces trois parties, le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord du Canada ainsi que le gouvernement de la Colombie-Britannique. Nous entendrons peut-être le sommet des Premières nations à une date ultérieure.
[Français]
Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité qui sont présents ici ce soir.
[Traduction]
Nous avons le sénateur Campbell, de la Colombie-Britannique, le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord- Ouest, le sénateur Raine, de la Colombie-Britannique et, le dernier mais non le moindre, le sénateur Demers, du Québec.
Je demande aux membres du comité de bien vouloir se joindre à moi pour souhaiter la bienvenue aux témoins du gouvernement provincial de la Colombie-Britannique, l'honorable Mary Polak, ministre des Relations et de la Réconciliation avec les Autochtones, ainsi que Steve Munro, sous-ministre, Relations et Réconciliation avec les Autochtones. Du ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord, nous accueillons Joëlle Montminy, sous-ministre adjointe principale par intérim, Traités et gouvernement autochtone, et Anita Boscariol, directrice générale, Négociations de l'Ouest.
Chers témoins, nous avons hâte d'entendre votre mise à jour sur le processus des traités, qui sera suivie des questions des sénateurs. Madame la ministre, voulez-vous commencer?
L'honorable Mary Polak, ministre, Relations et Réconciliation avec les Autochtones, gouvernement de la Colombie- Britannique : Certainement. C'est parfait.
Le président : Soyez la bienvenue à Ottawa.
Mme Polak : Bonsoir et merci. J'aimerais saluer mes concitoyens de la Colombie-Britannique, le sénateur Raine et le sénateur Campbell.
Honorables sénateurs, témoins du gouvernement du Canada, mesdames et messieurs, je suis accompagnée aujourd'hui, comme on l'a dit, au nom du gouvernement de la Colombie-Britannique, par mon sous-ministre, Steve Munro. Évidemment, nous représentons tous les deux le gouvernement de la Colombie-Britannique par l'intermédiaire du ministère des Relations et de la Réconciliation avec les Autochtones. La province est certainement reconnaissante de cette occasion qui lui est donnée de témoigner devant le présent comité.
Nous comparaissons devant vous à un moment important de la conclusion de traités en Colombie-Britannique, à l'aube du 20e anniversaire du processus des traités de la Colombie-Britannique.
En 1992, la Colombie-Britannique s'est engagée, en compagnie du Sommet des Premières nations et du gouvernement du Canada, à participer à un processus des traités conçu en Colombie-Britannique, un processus qui, de l'avis de chacune des parties, allait enfin aborder une question qui depuis longtemps a été un travail inachevé pour une nation, à savoir les traités avec les Premières nations de la Colombie-Britannique.
Dans les années qui ont suivi, nous avons, à plusieurs égards, réalisé les espoirs initialement suscités par le processus sous la forme de trois accords définitifs. L'accord définitif Nisga'a, finalisé en 2000, a été le premier traité moderne en Colombie-Britannique. Bien qu'il ait été conclu en dehors du processus de la Commission des traités de la Colombie- Britannique, il a inspiré une grande partie du modèle de traité utilisé dans la province aujourd'hui.
Il y a également le traité de la Première nation de Tsawwassen, premier traité touchant un milieu urbain en Colombie-Britannique et premier traité ratifié en vertu de ce processus, et, plus récemment, le traité des Premières nations Maa-nulth, premier traité en milieu rural et touchant plusieurs nations ratifié en vertu du processus actuel.
Ces Premières nations ont entrepris un périple remarquable et sans précédent vers l'indépendance dans notre province. Le Parlement aura bientôt l'occasion d'approuver le prochain traité, à savoir le traité de la Première nation Yale. L'Assemblée législative de la Colombie-Britannique l'a rectifié le printemps dernier.
Évidemment, le gouvernement de la Colombie-Britannique est très fier de ces accords. Chacun de ces traités représente ce qu'il est possible de faire en vertu du processus lorsque chacune des parties fait preuve de volonté et de détermination face à la réussite : des collectivités autonomes, jouissant de l'autonomie gouvernementale et ayant les mêmes occasions que les autres Canadiens de construire un avenir prospère.
Bien que nous ayons réalisé la promesse de traité, nous avons également vu cette promesse rester sans lendemain. Lheidli T'enneh en est un exemple. L'espoir demeure pour d'autres traités en Colombie-Britannique, comme dans le cas des Premières nations Yale, Tla'amin, K'ómoks et In-SHUCK-ch. Après presque 20 ans, la promesse du processus fait maintenant l'objet d'un examen très minutieux, ce qui est naturel.
J'ai souvent dit que le temps qu'il faut pour négocier un traité reflète la complexité des questions qu'un traité vise à régler, des questions qui remontent à des centaines d'années et que l'on a laissé traîner, en particulier, en Colombie- Britannique. Formaliser une nouvelle relation dans ces circonstances demande du temps, mais cela ne devrait pas prendre une génération.
Pendant beaucoup trop longtemps, les peuples autochtones de la Colombie-Britannique et, effectivement, de partout au pays, ont été aux prises avec des résultats intolérables en matière de santé, d'éducation et d'occasions économiques, une qualité de vie qui est très différente de celle des autres Canadiens.
En 2005, notre gouvernement provincial a procédé à un examen attentif de ces résultats. Nous nous sommes engagés à redéfinir notre relation avec les Premières nations en trouvant de meilleures façons de réaliser la réconciliation. Nous travaillons maintenant en partenariat avec les Premières nations et les peuples autochtones dans les domaines de l'éducation, des soins de santé et par le biais du partage des recettes et de la prise de décision.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique comprend et partage le désir d'insuffler un nouveau sentiment d'urgence et de détermination dans le processus des traités de la Colombie-Britannique de sorte que nous puissions continuer le processus de réconciliation avec les Premières nations.
La réconciliation passe par la négociation. Il ne fait aucun doute qu'un traité moderne est un triomphe de négociations. Les traités négociés définissent la propriété et l'utilisation des terres et des ressources du point de vue juridique. Les traités fournissent aux Premières nations les moyens nécessaires pour accéder à l'autonomie gouvernementale qui leur permettra de bâtir leur propre avenir comme ils l'entendent. Ils permettent également de concilier les droits et les titres des Autochtones. Ils donnent une réponse complète et définitive à cette question extrêmement difficile des terres. Tous ces éléments apportent de la prévisibilité pour les Premières nations, pour les gouvernements, pour les entreprises et les investisseurs et appuient le développement et la croissance économique continus partout dans la province.
Au cours des années, le gouvernement de la Colombie-Britannique a tenté de donner un nouvel élan aux négociations de traité en cherchant à conclure des accords progressifs avec les Premières nations pour accélérer le mouvement avant la conclusion d'un traité. La Colombie-Britannique a mis sur la table plus tôt dans le processus de négociations des occasions sous forme de terres et de gouvernance. Ces accords avant traité sont conçus pour être progressifs. Ils ne sont pas conçus comme une solution de remplacement aux traités, mais plutôt comme des éléments de base qui peuvent être utilisés pour élaborer un traité complet par étapes progressives. Ils fournissent des capacités et des effets économiques et stimulent l'appui des Premières nations pendant que nous entreprenons des négociations en vue de conclure des accords définitifs.
Ces accords permettent aux Premières nations de profiter des avantages des ententes économiques partagées avec la province. Nous croyons également que la capacité accrue au sein des collectivités qui résulte de ces accords permettra, en fin de compte, d'accélérer les négociations de traité avec la Première nation concernée.
Toutefois, il s'agit d'accords bilatéraux. La participation du Canada dans ces accords permettrait d'améliorer substantiellement notre capacité collective d'élaborer des accords définitifs à partir de ces accords, bien que nous reconnaissions que ce ne sont pas tous les accords progressifs qui aboutiront à un traité définitif. Le processus des traités est volontaire et certaines Premières nations de la Colombie-Britannique ont décidé de ne pas y participer.
Nous comprenons les préoccupations de nos collègues de la Commission des traités de la Colombie-Britannique en ce qui concerne certains de nos efforts de réconciliation. En même temps, la province et les Premières nations ne peuvent attendre indéfiniment les avantages économiques des traités définitifs. La province ne peut attendre indéfiniment que le Canada surmonte ses obstacles à la négociation de traités. On peut en dire autant des Premières nations et des autres citoyens de la Colombie-Britannique. Nous ne pouvons pas exclure les Premières nations qui ont choisi de ne pas participer au processus des traités.
Mes collègues du Cabinet et moi avons été chargés de nous assurer que les citoyens de la Colombie-Britannique ont accès aux occasions d'emploi et aux autres occasions économiques nécessaires pour subvenir aux besoins de leur famille. Nous travaillons avec les Premières nations à l'intérieur et à l'extérieur du processus des traités pour conclure des accords qui apporteront des avantages à leurs collectivités immédiatement ou, dans le cas des traités, plus tôt au cours du processus.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique a encouragé le Canada, et continue de le faire, à participer à ces accords et à établir un lien plus solide pour le succès des négociations de traités. Bien qu'il y ait actuellement des discussions avec le gouvernement fédéral, le Canada n'a pas de mandat pour participer en ce moment. Nous croyons qu'avec la participation entière du Canada, nous pourrions faire des progrès substantiels.
Les traités constituent le moyen le plus complet et définitif de parvenir à la réconciliation et de régler enfin la question des terres. Le gouvernement de la Colombie-Britannique demeure fermement engagé à poursuivre les négociations en vue de conclure des accords définitifs.
Les trois parties doivent travailler ensemble pour briser le difficile statu quo auquel nous faisons face après 20 ans de négociations. Nous devons faire tous les efforts nécessaires pour donner un nouveau souffle au processus des traités de la Colombie-Britannique. Nous devons également examiner des façons de revigorer notre propre participation dans le processus et éliminer les obstacles au succès. Les parties doivent travailler ensemble dans l'esprit dans lequel le processus est né, un esprit d'action. Nous avons une responsabilité à l'égard des Premières nations, de tous les citoyens de la Colombie-Britannique et, effectivement, des générations futures de Canadiens de persévérer dans cette voie de la réconciliation avec les Premières nations et de terminer le travail inachevé.
Le président : Merci, madame la ministre. C'est maintenant au tour du ministère.
Joëlle Montminy, sous-ministre adjointe principale par intérim, Traités et gouvernement autochtone, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Bonsoir, honorables sénateurs. Je suis accompagnée d'Anita Boscariol, directrice générale, Traités et gouvernement autochtone, Négociations de l'Ouest.
C'est un privilège d'être ici. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de prendre la parole devant un comité de législateurs fédéraux pour discuter de questions qui sont d'une importance capitale pour le Canada.
Les négociations de traités modernes constituent une pierre angulaire importante de la vision canadienne de l'avenir des Premières nations et de leur rôle au sein du Canada de demain. En Colombie-Britannique, l'approche canadienne en matière de revendications globales est apparente dans le processus des traités de la Colombie-Britannique. C'est dans le cadre du processus des traités de la Colombie-Britannique que le Canada s'efforce de régler ce que l'on appelle souvent les éléments en suspens de la conclusion des traités.
Dans la plupart des régions du Canada, les premiers gouvernements ont conclu des traités historiques avec les collectivités autochtones qui peuplaient les terres avant l'arrivée de nos ancêtres. Pour un certain nombre de raisons, la conclusion de traités n'a jamais été réellement populaire en Colombie-Britannique. Par conséquent, et comme les tribunaux l'ont confirmé à maintes reprises, la vaste majorité de la province fait l'objet de revendications de droits et de titres en suspens de la part de Premières nations. Il en résulte une grande incertitude au sujet de l'utilisation des terres et des ressources, et cette incertitude pèse lourdement sur l'économie provinciale.
En 1990, des représentants du Canada, de la Colombie-Britannique et des Premières nations ont établi le Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique, pour qu'il recommande un modèle de négociation tripartite des traités modernes. Dix-neuf recommandations figurant dans le rapport du Groupe de travail publié en 1991 sont devenues le plan directeur du processus des traités de la Colombie-Britannique.
Le président : Pourriez-vous ralentir un peu, s'il vous plaît? Les interprètes ont de la difficulté à vous suivre.
Mme Montminy : Les traités modernes que nous cherchons à conclure aujourd'hui dans le cadre du processus des traités de la Colombie-Britannique sont des accords globaux visant à assurer la clarté et la prévisibilité en ce qui concerne la propriété et l'utilisation des terres et des ressources, à soutenir la santé et la prospérité des collectivités des Premières nations, à favoriser la responsabilisation des gouvernements des Premières nations et à accueillir les peuples des Premières nations à titre de participants à part entière au sein du Canada d'aujourd'hui.
Nous y travaillons en Colombie-Britannique depuis près de 20 ans. Certaines personnes regardent l'historique des négociations de traités en Colombie-Britannique, le nombre limité de réalisations à ce jour, les défis qui subsistent, et elles se demandent si le processus des traités de la Colombie-Britannique en vaut la chandelle. Oui, nous avons nos défis, mais je crois que le processus des traités de la Colombie-Britannique constitue de loin la meilleure occasion de se réconcilier avec les Premières nations et d'établir de nouvelles relations durables fondées sur le respect et la confiance mutuels.
Le processus des traités de la Colombie-Britannique est une solution propre à la Colombie-Britannique à une situation propre à la Colombie-Britannique. À plusieurs égards, il est unique au Canada. Par exemple, le processus des traités de la Colombie-Britannique est ouvert à toutes les Premières nations. Il n'est pas nécessaire d'établir de prime abord une utilisation ou une occupation historique des terres désignées territoire ancestral. De plus, les négociations elles-mêmes sont fondées sur les intérêts et non sur les droits. Les intérêts des Premières nations relativement au processus sont représentés par le Sommet des Premières nations.
Pour sa part, le processus des traités lui-même est surveillé par la Commission des traités de la Colombie- Britannique, la gardienne du processus qui joue plusieurs rôles critiques, notamment celui d'affecter le financement de soutien aux négociations destiné aux Premières nations.
Nous avons obtenu certains résultats importants en Colombie-Britannique. En plus des Nisga'a, six autres Premières nations — la Première nation de Tsawwassen et les cinq membres des Premières nations maa-nulthes — vivent désormais dans le cadre de traités modernes et tracent leur propre voie en tant que collectivités autonomes.
Deux autres accords définitifs — conclus avec la Première nation de Yale et la Première nation Sliammon — sont sur le point d'être ratifiés, tandis que deux autres encore seront bientôt conclus. Un septième traité a été conclu avec les Lheidli T'enneh et a ultérieurement été rejeté à la suite d'un vote communautaire. Cependant, les dirigeants des Lheidli T'enneh songent maintenant à soumettre le projet de traité à un autre vote.
Des progrès importants ont été réalisés à huit autres tables de négociation des traités en vue de la conclusion d'ententes de principe.
[Français]
Comment les réalisations en Colombie-Britannique se comparent-elles aux réalisations ailleurs au Canada? Depuis 1973, 23 traités globaux ou accords sur des revendications territoriales, dont 16 incluent des ententes sur l'autonomie gouvernementale, ont été conclus dans l'ensemble du Canada.
Dans ce contexte, je crois que le processus des traités de la Colombie-Britannique a été raisonnablement fructueux, compte tenu surtout des circonstances extrêmement difficiles en Colombie-Britannique — de plus petites collectivités, de nombreux chevauchements de revendications, ainsi qu'une assise territoriale fortement peuplée et sous tenure.
Cependant, nous sommes tous d'accord que nous pouvons et devons faire mieux.
Comme toutes les parties, le Canada apporte à la table des négociations certains intérêts fondamentaux que nous considérons comme essentiels pour l'intérêt public.
L'intérêt déterminant du Canada est l'obtention d'une clarté et d'une prévisibilité durables en ce qui concerne la propriété et l'utilisation des terres et des ressources.
Les traités doivent être abordables et pouvoir être gérés à l'échelle nationale.
Ils doivent prévoir un accès équitable pour tous aux ressources limitées telles que les pêches.
L'autonomie gouvernementale doit être accompagnée de l'application des principes démocratiques et permettre d'assurer la gouvernance responsable et transparente des gouvernements de Premières nations.
Lorsque les Premières nations atteignent une certaine prospérité, elles doivent éponger une partie des coûts de leurs propres programmes et services.
Après une période de transition, les citoyens des Premières nations doivent payer des impôts afin de générer des recettes suffisantes pour soutenir les services communautaires et pour créer une responsabilisation valable entre les contribuables et leurs représentants élus. Voici les intérêts fédéraux qui façonnent les mandats délivrés aux négociateurs fédéraux.
La Colombie-Britannique et les Premières nations ne sont pas différentes. Chacune des parties a des intérêts fondamentaux auxquels il faut satisfaire.
L'art de la négociation consiste à formuler ces intérêts sous forme de dispositions de traités qui sont acceptables pour toutes les parties.
[Traduction]
Malgré les progrès obtenus aux tables de négociation des traités dans la province, nous faisons face à des défis dans le cadre du processus des traités de la Colombie-Britannique. Certains sont des défis auxquels on peut s'attendre lorsque les négociations sont difficiles. D'autres n'auraient pu être prévus.
Par exemple, certains ont récemment critiqué les mandats du Canada, en les qualifiant de trop étroits ou rigides. Cette perception — accompagnée de problèmes similaires avec les mandats provinciaux — explique en grande partie pourquoi certaines Premières nations participantes se sont rassemblées à une table commune pour demander que des modifications soient apportées aux mandats fédéraux et provinciaux. En 2008, les représentants à la table commune se sont réunis avec de hauts représentants fédéraux et provinciaux pour tenter de surmonter ce que les dirigeants des Premières nations appelaient les obstacles universels à l'avancement des négociations.
Par conséquent, en 2010, le Canada a présenté de nouveaux mandats concernant la reconnaissance des droits ancestraux préexistants, ainsi qu'une nouvelle technique visant à assurer la certitude tout en permettant la continuation des droits ancestraux dans la mesure où ils sont compatibles avec ceux issus de traités. C'est important étant donné que les Premières nations ont souvent dénoncé la politique du Canada comme une tentative pour faire disparaître leurs droits ancestraux. Il n'y a pas longtemps, de nouvelles clauses sur la reconnaissance ont été présentées avec succès à une table de négociation des traités, et nous comptons les présenter à d'autres tables en Colombie-Britannique et peut-être ailleurs au Canada.
Sur un autre front, un groupe de travail continue à collaborer avec la Colombie-Britannique et le Sommet des Premières nations dans le cadre d'une initiative tripartite pour examiner les améliorations possibles à apporter au financement de soutien aux négociations, la capacité des parties de mener des négociations, les possibilités de simplifier les négociations et le chevauchement des revendications, et pour passer en revue le rôle que joue la Commission des traités de la Colombie-Britannique dans les négociations. Toutes ces initiatives ont le potentiel de générer des avantages et des économies d'envergure dans le cadre du processus des traités de la Colombie-Britannique.
Le chevauchement des revendications constitue un autre défi qu'il est urgent de relever. Le Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique a bien reconnu que la question du chevauchement des revendications des Premières nations devrait être abordée dans le cadre des négociations de traités. L'une des 19 recommandations du groupe de travail traitait expressément de cette question. Il était recommandé que les Premières nations assument elles- mêmes la responsabilité de régler les chevauchements. Cette recommandation a été énoncée sous forme de mesures et de résultats visés prescrits dans le cadre du processus des traités de la Colombie-Britannique.
Malgré cette réflexion préalable, le chevauchement des revendications s'est avéré un obstacle fondamental dans le processus des traités de la Colombie-Britannique et est reconnu comme tel par toutes les parties aux négociations, ainsi que par la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Comme les revendications globales elles-mêmes, la résolution des chevauchements des revendications nécessite une collaboration et une participation tripartites. Le règlement de ces questions va au-delà des capacités du gouvernement fédéral seul.
Le Canada, la Colombie-Britannique et la Commission des traités de la Colombie-Britannique continuent à entreprendre des discussions et des projets pilotes visant à identifier des modèles efficients et efficaces qui pourraient faciliter le règlement des chevauchements de revendications. Comme on l'a dit plus tôt, un groupe de travail tripartite est en train d'élaborer des techniques et des pratiques potentielles pour encourager le règlement des chevauchements de revendications. Ce qui est peut-être encore plus prometteur, les Premières nations elles-mêmes reconnaissent la nécessité, et les avantages, des accords sur les territoires partagés. Et je suis heureuse de dire que nous consacrons des efforts renouvelés pour les conclure.
L'enquête Cohen sur le déclin du saumon rouge du fleuve Fraser a posé un autre obstacle imprévu et important aux négociations des traités. Compte tenu de l'incertitude concernant les pêches et les répercussions connexes sur la gestion des ressources, le Canada a annoncé le report des négociations sur les pêches portant sur le saumon aux tables de négociation des traités jusqu'à la fin de l'enquête Cohen et l'examen de ses conclusions. Le Canada a tenté d'atténuer les répercussions sur les négociations de traités en favorisant, dans la mesure du possible, la suspension des négociations sur les pêches jusqu'à l'étape de l'accord définitif du processus des traités. Cette solution n'a pas été jugée acceptable par toutes les tables et a entraîné certaines frictions.
Par ailleurs, nous continuons à étudier la possibilité de retrancher la question des pêches, ce qui permettrait aux tables de conclure des accords définitifs sans aborder cette question. Une telle mesure aurait plusieurs répercussions importantes, que nous devrons toutes examiner très attentivement avant de prendre une décision définitive sur la viabilité du retranchement de la question des pêches.
[Français]
Malgré ces défis et plusieurs autres, le processus des traités de la Colombie-Britannique produit des résultats. À notre avis, les négociations tripartites globales sont l'expression ultime de la collaboration et les accords qu'elles génèrent représentent la meilleure occasion existante d'obtenir une réconciliation durable et de créer des collectivités des Premières nations saines et prospères.
Toutefois, nous reconnaissons que dans un avenir prévisible, les négociations de traitéx ne sont pas possibles pour toutes les Premières nations. Bien que de nombreuses Premières nations participent activement aux négociations de traités en Colombie-Britannique, il y a encore plusieurs qui ne le font pas.
Par conséquent, alors que nous raffinons et améliorons le processus de traités de la Colombie-Britannique, nous travaillons aussi à élaborer de nouveaux outils pour gérer plus largement les droits garantis à l'article 35 de la Constitution. De tels outils sont nécessaires vu qu'à l'heure actuelle il est clair que nous ne conclurons pas des traités avec toutes les Premières nations en Colombie-Britannique.
Merci beaucoup. Ma collègue et moi serons heureuses de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci de vos excellents et constants exposés. Êtes-vous certaines de ne pas vous être concertées avant la séance?
À quel point la question des pêches est-elle un obstacle? Selon ce que j'en sais, cet enjeu est la pierre d'achoppement de plusieurs négociations. Pourriez-vous nous en dire davantage? Quand la Commission Cohen rédigera-t-elle son rapport? Le savons-nous? Y a-t-il un échéancier?
Mme Polak : Je vais répondre en premier à votre dernière question.
En ce qui concerne l'échéancier, nous aimerions avoir des précisions à ce sujet lorsque nous rencontrerons le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada et le ministre des Pêches et des Océans. Nous aimerions savoir quand la Commission Cohen prendra fin et connaître les attentes du Canada en ce qui a trait aux rapports et aux recommandations qu'ils contiendront peut-être. À ce moment-ci, nous ne savons pas avec certitude si le moratoire sur les discussions sur les pêches se terminera avec la fin de la commission ou s'il faudra attendre le rapport et les recommandations qu'il contiendra. Nous aimerions avoir des précisions à ce sujet.
À quel point est-ce une pierre d'achoppement? Évidemment, cela dépend si le traité en question est en lien avec le saumon. Je vais tenter de vous l'expliquer. Pour la plupart des traités en négociations, on parle d'un élément qui empêche la signature d'une entente définitive sous sa forme actuelle; voilà pourquoi nous voulons retrancher la question des pêches.
En fin de compte, la signature d'une entente définitive équivaut pour les Premières nations, le Canada et la Colombie-Britannique à dire que « nous avons terminé nos discussions, qu'il ne reste plus d'éléments à discuter et que nous avons complètement et définitivement réglé les enjeux ». Vous comprenez que le fait de demander à une Première nation de signer une entente, en dépit du fait que ses revendications sur les pêches n'ont pas été réglées, est un grave problème pour ses membres.
Voilà où entre en jeu la discussion sur le potentiel du retranchement de la question des pêches; cela nous permettrait de conclure une entente qui reconnaît qu'il reste des enjeux non réglés en lien avec les pêches. Nous pourrions adopter cette approche pour faire avancer les choses. En attendant, étant donné que nous ne pouvons pas négocier cet élément avec un grand nombre de Premières nations, cela veut dire essentiellement que nous ne négocions pas.
Le président : Honnêtement, le poisson est pour bon nombre de Premières nations de la côte Ouest ce que le bétail est aux gens du Texas ou du Montana. Vous ne tenez pas compte d'une partie importante de leur culture, de leur spiritualité, de leur histoire, de leur économie et de tout le reste. Avez-vous un bref commentaire?
Anita Boscariol, directrice générale, Négociations de l'Ouest, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : En ce qui concerne l'échéancier, la Commission Cohen devrait publier son rapport, s'il n'y a pas de retards, d'ici la fin juin.
Le président : Y aura-t-il aussi des recommandations ou seulement un rapport?
Mme Boscariol : Nous nous attendons à ce que le rapport contienne des recommandations. C'est ce que nous anticipons. En fin de compte, nous verrons si la commission suivra son calendrier, mais c'est ce qui est prévu.
Pour ce qui est des enjeux sur les pêches, nous savons que le poisson, particulièrement le saumon, a une signification particulière en Colombie-Britannique pour les Premières nations et de nombreux Britanno-Colombiens. Le poisson est important. Nous avons exempté du report de la question des pêches les trois tables de négociations qui étaient rendues à l'étape de l'entente définitive pour leur permettre de conclure les traités, parce que les négociations étaient très avancées, lorsque la Commission Cohen a été créée.
En ce qui a trait aux tables de négociations qui sont rendues à l'étape de l'entente de principe, nous avons reporté les négociations sur les pêches à l'étape de l'entente définitive.
Si les Premières nations peuvent et veulent conclure une entente de principe, en sachant que la question des pêches sera reportée, nous allons de l'avant et réalisons des progrès à ce sujet.
Le président : Dans une certaine mesure, cela effrite l'envie d'aller de l'avant.
Le sénateur Campbell : C'est important de souligner qu'il s'agit du 20e anniversaire d'un processus sans précédent au Canada. Je crois qu'on en apprend beaucoup, mais qu'en même temps la situation a beaucoup évolué du point de vue des Premières nations; il y a eu la reconnaissance, les excuses du premier ministre et la compréhension qu'il s'agit des premiers habitants de notre pays. Je vous félicite, de même que le gouvernement de la Colombie-Britannique. Je me rappelle qu'au début peu de gens sautaient de joie. Il y avait beaucoup d'opposants.
J'aimerais vous entendre, madame la ministre, au sujet de la nécessité de l'examiner et de voir où nous en sommes pour apprendre du passé. J'aimerais également entendre les représentantes du gouvernement fédéral sur ce qui pourrait être fait rapidement. Je siège au comité depuis six ans, et les changements dans tous les domaines concernant les peuples autochtones se produisent à pas de tortue.
Ma deuxième question s'adresse à tout le monde. J'ai rencontré Robert Hope, le chef de la Première nation de Yale. J'aimerais savoir quand les droits d'une minorité l'emportent sur les droits d'une majorité dans le processus. J'ai vu les revendications de la Première nation Stó:lo. S'il reste quelque chose de la Colombie-Britannique, je dois l'avoir manqué. Nous sommes, notamment, aux prises dans le processus de négociations avec un manque de réalisme de la part des Premières nations. On comprend qu'il y aura des chevauchements, mais ils doivent également faire preuve de réalisme dans leurs demandes.
Je suis extrêmement préoccupé par le traité de Yale, qui devrait déjà être conclu. La Première nation de Yale veut le conclure. Honnêtement, si les gouvernements provincial et fédéral mettaient des bâtons dans les roues de ce traité comme la Première nation de Stó :lo le fait, nous arrêterions de gazouiller, parce que ce serait d'une telle ampleur. Que faisons-nous lorsqu'un groupe refuse même de tenir compte d'un autre groupe?
En fait, je ne crois pas exagérer en disant que les Stó :lo pensent que les Yale leur sont inférieurs et qu'ils font partie de la Première nation de Stó :lo. Le processus comprend une auto-identification, et ces gens l'ont fait. J'aimerais savoir ce que nous comptons faire à ce sujet.
Ils sont prêts, mais ils ne peuvent pas conclure le traité, sans que ce soit de leur faute, mis à part du fait qu'ils habitent sur le territoire en cause. Ils sont prisonniers du processus. Ils veulent conclure le traité; ils y sont prêts. J'ai vu leurs plans. C'est assez extraordinaire. J'aimerais savoir ce qui se passera. Merci.
Mme Montminy : En ce qui concerne les éléments qui, selon nous, peuvent changer rapidement, comme je l'ai mentionné dans mon exposé, nous avons participé à la table commune et nous avons ainsi pu améliorer nos mandats, ce qui a permis au Canada d'introduire les clauses sur la reconnaissance, soit un élément extrêmement important pour accélérer les négociations. C'est un élément très important pour les Premières nations, et nous avons été en mesure de réaliser des progrès à cet égard. Nous l'avons proposé à une table de négociations. Les parties l'ont bien reçu, et nous espérons être capables d'en faire autant à d'autres tables de négociations. La clause en question nous permet d'aller au- delà de la simple reconnaissance des droits et des titres ancestraux qui ont peut-être existé pour conclure quelque chose propre à chaque Première nation. C'est extrêmement important pour les Premières nations. On nous critiquait depuis longtemps à ce sujet, et nous avons réussi à agir en conséquence.
Il y a un autre domaine dans lequel le Canada a été actif non seulement en Colombie-Britannique, mais aussi ailleurs au Canada. Nous avons répondu aux critiques des Premières nations, à savoir que notre méthode de certitude équivalait à l'élimination de leurs droits. Nous avons entendu les critiques à cet égard et nous réagissons en conséquence depuis des années. Le Canada a été en mesure de concevoir plusieurs autres moyens pour remplacer la méthode traditionnelle de cessation. Nous avons laissé tomber cette méthode et avons offert diverses approches partout au pays. Plus récemment, nous avons convenu d'une approche qui permet pour la première fois aux droits et aux titres ancestraux de continuer d'exister et d'être exercés dans le cadre du traité pourvu que ces droits soient cohérents avec ceux du traité. Selon moi, c'est révolutionnaire. C'est important que les Premières nations soient au courant des possibilités qui nous permettront peut-être de réaliser de grands progrès en ce qui concerne certains problèmes fondamentaux que les gens avaient avec le traité.
L'autre enjeu que vous avez abordé concernait les revendications qui se chevauchent, soit une autre difficulté avec laquelle nous sommes aux prises. Cet élément occasionne beaucoup de retards dans le processus, particulièrement en Colombie-Britannique en raison de l'importance du problème et du nombre de chevauchements sur un même territoire. Cela prend du temps. Nous avons choisi de discuter avec les collectivités qui lorgnent un même territoire, d'essayer de régler les enjeux et d'encourager les Premières nations à le faire par eux-mêmes, avec notre soutien, dans une certaine mesure. C'est difficile, et il arrive parfois que l'autre Première nation ne participe pas à la même table de négociations. La capacité ou le désir de participer au processus sont différents. De nombreux enjeux complexes en résultent. Il faut mieux encadrer les Premières nations et aborder ces enjeux dès le début du processus.
En ce qui a trait à la situation entre les Premières nations de Yale et de Stó :lo, je laisse Mme Boscariol vous répondre.
Mme Boscariol : Nous travaillons à la conclusion de l'entente définitive avec la Première nation de Yale. En même temps, nous souhaitons conclure une entente définitive qui a toutes les chances de fonctionner. Nous encourageons donc aussi les parties, les Premières nations de Yale et de Stó :lo, à essayer de trouver un moyen de régler les enjeux non résolus. Nous ne mettons pas un frein au traité pour cette raison, mais nous croyons qu'il est justifié de tenter de les régler maintenant pour donner au traité les meilleures chances de fonctionner à long terme.
Mme Polak : En ce qui concerne les Premières nations de Stó:lo et de Yale, je peux vous dire que nous avons récemment réalisé des progrès importants pour ce qui est de la tenue d'un dialogue par l'entremise de la médiation. J'ai maintenant davantage confiance que nous en arriverons à une résolution satisfaisante que je l'étais il y a quelques mois. On a vraiment réalisé des progrès de ce côté.
Comme on l'a déjà dit, le chevauchement est certainement l'un des éléments avec lesquels nous éprouvons de la difficulté en raison de la nature des revendications territoriales en Colombie-Britannique. Je crois que c'est un domaine qui demandera une maturation du processus des traités. C'est vrai que nous sommes en négociations par l'entremise de la commission des traités depuis 20 ans. Cependant, selon moi, les véritables possibilités en ce qui concerne les traités ont vu le jour à Tsawwassen avec la conclusion du premier traité de l'ère moderne sous la supervision de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Si on examine les traités qui ont été conclus depuis — Maa-nulth, Yale et Sliammon —, je crois qu'on peut se rendre compte que le processus depuis l'accord de Tsawwassen est sensiblement différent de celui qui prévalait avant cet accord. C'est logique, parce qu'avant cet accord nous pouvions nous reporter au traité conclu avec les Nisga'a, mais nous n'étions encore jamais passés par le processus de la Commission des traités de la Colombie-Britannique pour conclure un traité. Maintenant qu'on l'a fait une fois, la vaste majorité des enjeux discutés avec les Premières nations dans le cadre du processus des traités peuvent être repris d'une table de négociations à l'autre. Certains enjeux sont propres à une Première nation, mais les clauses complexes concernant les enjeux fondamentaux sont généralement déjà réglées. Même si je crois qu'il faut discuter de l'amélioration et de la dynamisation du processus des traités, je pense que nous avons raison de croire que nous pouvons y arriver et que nous progresserons plus rapidement que par le passé.
Je tenais simplement à faire un bref commentaire sur ce qui peut être fait pour concrétiser certains points tout de suite. C'est vrai que le gouvernement du Canada mérite des félicitations pour les modifications qu'il a apportées à son mandat. C'est certainement un progrès important. Par contre, je dirais que nous pourrions améliorer le mandat notamment en nous assurant que dans le cas d'éléments importants les négociateurs disposent d'une latitude suffisante pour éviter d'avoir à retourner à Ottawa pour demander une modification de leur mandat. Je crois qu'on peut encore faire des progrès de ce côté.
L'offre d'argent et de terres plus tôt dans le processus aiderait aussi. En ce qui concerne les endroits où nous avons lancé le processus en Colombie-Britannique, nous croyons que l'utilisation accrue d'une approche progressive serait également utile. Nous devons comprendre que les chefs et les conseils pleins de bonne volonté qui entrent dans le processus traînent souvent une collectivité réticente pour de nombreuses bonnes raisons, notamment parce que les gens n'ont pas vécu d'expériences positives. Ensuite, on leur demande d'attendre 10 ans, de mettre de l'énergie et d'assumer des dettes en leur faisant une promesse qui se concrétisera dans 10 ans; c'est très difficile. Ceux d'entre nous qui ont une vie publique savent à quel point c'est difficile de rallier leurs électeurs à un enjeu difficile. Imaginez ce que c'est lorsqu'il s'agit d'enjeux dans un domaine tendu comme les droits et les titres ancestraux; c'est difficile pour un chef ou un conseil. Nous croyons que l'utilisation plus fréquente d'une approche progressive aiderait les chefs et les conseils à présenter à leurs membres les avantages potentiels d'un traité, parce qu'on en verrait certains effets concrets sur le terrain.
Le sénateur Campbell : Au comité, je suis notamment reconnu pour ma patience. C'est une farce, monsieur le président. Je me réjouis des commentaires des témoins en ce qui concerne la situation de la Première nation de Yale. Je me réjouis également que vous sembliez tous les deux reconnaître le processus et les changements qui doivent être faits. Je suis d'accord avec vous, madame la ministre, en ce qui a trait au traité de Tsawwassen. Je crois que vous visez juste à ce sujet. J'ai hâte de vous revoir au comité, et ce, le plus tôt possible pour discuter, je l'espère, du traité de Yale.
Le sénateur Sibbeston : J'aurais quelques questions à poser aux témoins concernant les Dénés de Fort Liard. Je parle ici de la Première nation Acho Dene Koe. Elle se trouve au sud-ouest des Territoires du Nord-Ouest. Elle a des terres traditionnelles au Yukon et en Colombie-Britannique. Je peux le confirmer. Quand j'ai fait mes premières armes en politique dans les années 1970 en tant que député de l'Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest, je visitais Fort Liard, et beaucoup de gens étaient absents. Ils avaient des camps de chasse en Colombie-Britannique et au Yukon. Il y avait peu de gens en ville à cette époque.
Depuis, il y a eu une migration vers la ville. Les membres sont en négociations avec le gouvernement fédéral, et je crois comprendre que des progrès ont été réalisés. Cet automne, j'ai rencontré Harry Deneron, le chef actuel, lorsqu'il rencontrait des représentants fédéraux. Il semble y avoir des progrès de ce côté. Par contre, on me rapporte que la merveilleuse Colombie-Britannique ne coopère pas. Je crois comprendre qu'en 2002 la Commission des traités de la Colombie-Britannique a conclu que la Première nation Acho Dene Koe remplit tous les critères pour déposer une revendication en Colombie-Britannique, mais il n'y a pas de négociations.
J'aimerais demander à la ministre si elle est au courant de la situation et si elle peut donner un coup de main.
Mme Polak : Je suis au courant de la situation. Nous l'examinons attentivement et cherchons aussi bien entendu à obtenir de plus amples renseignements sur ce qui se déroule.
Notre position pour le moment est d'attendre la conclusion d'une entente de principe avant de déterminer la participation possible de la Colombie-Britannique. Nous croyons que nous serons en mesure d'avoir des discussions plus fructueuses sur la participation possible de la Colombie-Britannique lorsqu'une entente de principe sera conclue. C'est ainsi que nous le voyons actuellement.
Le sénateur Sibbeston : Parlez-vous d'une entente de principe entre la Première nation et le gouvernement fédéral?
Mme Polak : Oui.
Le sénateur Sibbeston : Je suis optimiste que la porte sera ouverte, une fois le tout concrétisé, pour le gouvernement de la Colombie-Britannique pour discuter des revendications territoriales de la Première nation Acho Dene Koe en Colombie- Britannique. Vous ne dites pas qu'un obstacle empêcherait un règlement en ce qui concerne les terres et les ressources en Colombie-Britannique; est-ce juste?
Mme Polak : Actuellement, nous ne portons aucun jugement à ce sujet. Pour le moment, nous croyons que sans une entente de principe nous n'avons pas suffisamment de renseignements pour véritablement répondre à la question. Nous appuyons le règlement des revendications territoriales et la conclusion des traités, tant en Colombie-Britannique qu'ailleurs. D'autres régions sont bien entendu aussi aux prises avec une telle situation.
En fait, les questions entourant la Première nation de Yale et la Première nation Kaska Dena à Liard émanent d'une même réalité; en tant que pays, nous avons décidé à une certaine époque de définir les limites sur une carte. Dans le cas de la Première nation de Yale, nous avons décidé qu'il y aurait une bande indienne Yale dans les réserves en question. Tout est artificiellement construit. Or, nous essayons de régler de vieux enjeux sur les droits et les titres ancestraux dans un contexte dont nous avons nous-mêmes dicté les limites.
Nous ne portons actuellement aucun jugement. Selon nous, lorsque l'entente de principe sera conclue entre Liard et le gouvernement fédéral, nous serons capables d'évaluer la situation et de déterminer notre participation dans le processus. Encore une fois, nous soutenons évidemment le règlement des revendications. Peu importe s'il s'agit d'un règlement transfrontalier ou s'il y a un règlement propre à chaque province ou territoire, il faudra évaluer la situation lorsque nous verrons l'entente de principe.
Le sénateur Sibbeston : Pourquoi est-ce si important qu'une entente de principe soit déjà conclue? Ne pourriez-vous pas simplement traiter ces gens comme des membres d'une Première nation qui ont déjà des revendications? Vous devrez le faire dans l'avenir de toute façon. Pourquoi ne pas le faire demain ou la semaine prochaine? Si j'encourageais le chef et son avocat à se rendre à Victoria la semaine prochaine ou la semaine suivante, serait-ce possible de vous rencontrer et de vous prier de vous asseoir à la table des négociations pour simplement faire avancer la situation?
Mme Polak : Je dois rectifier mes propos. Nous parlons de la Première nation Acho Dene Koe. Je suis certaine que vous comprenez qu'à titre de ministre j'ai des charges parallèles qui entrent parfois en conflit. Je dois parfois trouver un équilibre entre mes charges; même si j'ai comme charge principale, en tant que ministre des Relations autochtones, de conclure des ententes avec les Premières nations et de régler leurs revendications, j'ai aussi prêté serment de protéger les intérêts de l'État et de m'assurer d'agir de manière responsable en ce qui a trait aux intérêts de l'État et aux obligations que l'État pourrait encourir. Il faut vraiment que j'essaie de rester ouverte aux discussions, tout en me rappelant que j'ai la charge de protéger les intérêts de l'État.
Ce n'est pas comme si on n'en parlait pas. Le personnel discute certainement de ce qui se passe. Il y a aussi des échanges avec la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Il y a évidemment des interactions. Cependant, il faut faire preuve de prudence, dans la mesure où nous devons savoir ce qu'une entente pourrait inclure avant de déterminer ce que nous souhaitons faire. C'est un équilibre difficile. Je ne dis pas le contraire. L'un des défis de notre fonction est que nous souhaiterions, sur le plan humain, simplement nous asseoir à la table des négociations et régler le tout, mais certains éléments importants en cause créent des précédents dans d'autres domaines; il faut donc faire preuve de prudence.
Le président : Le problème inverse existe dans le Nord de la Saskatchewan; des gens de la Saskatchewan font des revendications aux Territoires du Nord-Ouest. Les intervenants ont d'énormes difficultés à gérer la situation.
Le sénateur Patterson : J'ai deux ou trois questions pour les représentantes du gouvernement fédéral. Ma première question concerne l'enjeu abordé par Mary Polak dans son exposé, soit d'accorder aux négociateurs un mandat suffisant pour leur permettre d'accepter une proposition, au lieu de devoir revenir à Ottawa. Je veux citer Sophie Pierre, la commissaire en chef de la Commission des traités de la Colombie-Britannique, qui a témoigné devant le comité le 25 octobre dernier. Voici comment elle décrivait le processus des traités :
[...] une véritable inertie bureaucratique s'installe et entraîne de longs délais. Les négociateurs fédéraux et l'ensemble des fonctionnaires semblent éprouver le besoin de revenir à Ottawa constamment pour obtenir des approbations, n'ayant pas le mandat de faire avancer les choses et de véritablement conclure des ententes. Nous avons besoin de négociateurs qui sont en mesure de conclure des ententes.
Elle a donné quelques exemples de retards très importants qui ont été causés, parce que le négociateur attendait des instructions de ses supérieurs à Ottawa.
J'aimerais demander aux représentantes du gouvernement fédéral s'il y a un problème avec le mandat limité accordé aux négociateurs fédéraux qui participent au processus des traités de la Colombie-Britannique. Ont-ils besoin d'un mandat élargi? Auriez-vous des commentaires sur les observations qui ont été faites, tant par la province que par la commissaire en chef de la Commission des traités?
Mme Montminy : C'est une très bonne question. Nous avons aussi entendu les commentaires de la commissaire en chef de la Commission des traités de la Colombie-Britannique en ce qui a trait aux retards causés, parce que les négociateurs doivent revenir consulter divers ministères, et ce, à de nombreuses reprises au cours des négociations.
Comme vous le savez, il n'existe pas de modèle unique pour les traités. Le Canada participe au processus de négociations en Colombie-Britannique, mais aussi partout au pays par l'entremise de conférences sur les revendications et d'ententes sur l'autonomie gouvernementale. Nous avons actuellement plus de 100 tables de négociations. C'est le nombre de négociations auxquelles le Canada participe actuellement. Je crois qu'il y en a 47 en Colombie-Britannique. C'est une part importante.
Les négociations menées partout au pays varient énormément d'une province ou d'un territoire à l'autre. Nous le faisons pour nous assurer de pouvoir représenter les différences et les réalités régionales au Canada. En Colombie- Britannique, nous avons des caractéristiques uniques, comme de petites Premières nations et des chevauchements importants dans les revendications. On y retrouve de nombreux défis qui n'existent pas nécessairement ailleurs au Canada, où il y a d'autres défis.
Nos négociateurs sont également sujets à un cadre juridique évolutif. Lorsque nous avons lancé les négociations il y a 20 ans, nous étions dans une certaine situation. Cette situation évolue, et nous continuons de surveiller nos mandats pour nous assurer qu'ils protègent encore adéquatement les intérêts fédéraux. Les négociateurs doivent revenir à Ottawa de temps à autre, et cela fait tout seulement partie de la nature du processus de négociations. Il s'agit d'un processus fondé sur les intérêts. Les ententes-cadres signées par les parties au début du processus établissent les divers éléments qui feront l'objet de négociations. Au fur et à mesure que les négociations progressent et qu'on entre davantage dans les détails, il faut nous assurer que les ententes négociées répondent toujours aux intérêts du gouvernement fédéral et de plusieurs ministères. Nous négocions au nom de ces ministères, jusqu'à 34 ministères, et de certains organismes centraux. C'est la nature du processus; c'est une façon de nous assurer que ce qui est négocié, qui sera ratifié et qui fera partie d'une entente protégée par la Constitution respecte les intérêts fédéraux en cause. Au fur et à mesure que les négociations progressent et qu'on entre davantage dans les détails, c'est important de nous assurer que les dispositions négociées sont encore celles que nous souhaitons retrouver dans une entente définitive protégée par la Constitution. Le processus pourrait être simplifié et plus rapide. Nous examinons évidemment des façons d'y arriver.
Le président : Si je ne m'abuse, nous avons entendu des critiques concernant le fait que les négociateurs fédéraux ne participaient pas aux négociations en tant que négociateurs. Ils présentent leur offre et disent pratiquement que c'est non négociable. Ce n'est pas ce que j'appelle des négociations. On ne négocie pas vraiment; c'est une offre à prendre ou à laisser. Je crois qu'on nous a fait part de cette pratique. Si je peux poser une question complémentaire, les représentantes du gouvernement fédéral auraient-elles des commentaires à cet égard?
Mme Montminy : C'est vrai dans certains domaines. Nous avons conclu 23 ententes partout au pays, dont 16 ententes qui incluaient des dispositions sur l'autonomie gouvernementale. Nous avons beaucoup d'expériences dans le domaine. Le gouvernement du Canada le fait depuis près de 40 ans, soit depuis le début du programme en 1973. Nous avons de l'expérience à cet égard. Nous mettons aussi en application des traités depuis bon nombre d'années. Nous avons compris que pour arriver à mettre en œuvre toutes les obligations qui découlent des ententes il faut des approches assez constantes dans certains domaines. Cela permet de nous assurer qu'après les négociations, la relation entre les parties demeure saine et solide. Cela permet aux parties de mettre en œuvre leurs obligations comme il avait été convenu à la signature du traité. C'est vrai dans certains domaines. Le gouvernement du Canada a défini ses intérêts très nettement. Cela veut peut-être dire qu'il semble y avoir moins de latitude dans certains domaines. Cependant, je dirais que c'est le cas dans toutes les négociations. Selon moi, les parties s'assoient à la table de négociations et ont déjà certains éléments en tête qu'ils souhaitent retrouver dans une entente définitive. Le Canada a défini plus précisément ses intérêts dans certains domaines au fil des ans. Nous faisons maintenant preuve d'ouverture et de transparence avec les Premières nations. Nous ne voulons pas qu'elles s'endettent en prétendant que nous sommes prêts à négocier dans des domaines où nous avons peut-être moins de latitude qu'avant. Nous présentons ces éléments et nous les expliquons. Selon nous, c'est une façon ouverte et transparente de mener des négociations.
Le président : Le sénateur Campbell aimerait poser une question complémentaire. Êtes-vous d'accord, sénateur Patterson?
Le sénateur Patterson : Absolument. J'ai peut-être moi aussi une autre question à poser.
Le sénateur Campbell : Je tiens à m'assurer de bien comprendre. Votre ministère souhaite maintenir une relation saine de manière ouverte et transparente; pour ce faire, c'est acceptable de dire que l'offre est à prendre ou à laisser. Est-ce exact?
Mme Montminy : Je n'en suis pas certaine.
Le sénateur Campbell : Un témoin a affirmé qu'un négociateur du gouvernement fédéral, précisément de votre ministère, a présenté aux gens des demandes et leur a dit que c'était à prendre ou à laisser et que c'était ainsi ou rien. Vous me dites que vous souhaitez établir une relation saine en négociant. Selon moi, faire preuve d'ouverture et de transparence ne semble pas rimer avec une offre « à prendre ou à laisser », et ce n'est certainement pas une approche typique dans les négociations d'après mon expérience. Cela ne peut pas être les deux à la fois. On ne peut pas dire d'un côté que l'offre est à prendre ou à laisser et prétendre de l'autre qu'il s'agit de négociations. Si on transpose cette situation dans le contexte de négociations syndicales et que vous me dites que c'est à prendre ou à laisser, je vais déclencher un lock-out ou une grève. Nous en avons entendu parler. En Colombie-Britannique, nous entendons les Premières nations dire qu'elles vont peut-être tout simplement prendre l'offre ou la refuser. Vous nous le confirmez. Auriez-vous une réponse à me donner?
Mme Montminy : Je ne sais pas personnellement ce que chaque négociateur peut avoir dit à chaque table de négociations. C'est évidemment impossible pour moi de le savoir. Cependant, je peux vous dire que dans certains domaines les intérêts fédéraux ont déjà été définis très nettement. Je reconnais que parfois c'est possible que nos négociateurs représentent nos intérêts d'une manière qui donne l'impression que c'est à prendre ou à laisser. Encore une fois, je ne le reconnais pas, parce que je ne le sais pas. Cependant, c'est possible que nous présentions des positions précises et des intérêts en lien avec ces positions. Selon moi, c'est très probable. Étant donné la vaste gamme d'enjeux en négociations, le Canada a défini dans sa politique qu'il exige la présence de certains éléments, comme la certitude, dans certains domaines. Les traités modernes contiendront toujours des dispositions sur la certitude. Le Canada participe aux négociations dans le but précis de s'assurer d'avoir un ensemble défini de droits à la fin des négociations. La certitude est l'un des domaines dans lesquels nous nous attendons à retrouver des dispositions qui traitent de cet aspect.
Le Canada a également dit que l'autonomie gouvernementale donnerait lieu à l'établissement d'une nouvelle relation financière entre les Premières nations et la Couronne. Nous avons différents régimes en place dans le cadre des négociations. C'est indiqué également dans notre politique. Le Canada doit, bien sûr, régler certaines questions.
Le sénateur Campbell : On n'appelle pas cela de la négociation. Pour qu'on puisse parler de négociation, il faut qu'il y ait des éléments sur la table et que l'on négocie jusqu'à ce que l'on parvienne à une entente. Ce n'est pas dire à quelqu'un : « Voici ce que tu vas faire et si ça ne t'intéresse pas, c'est terminé. » Ce n'est pas de la négociation. Je suis désolé.
Je vais retracer les témoins et je vais vous donner des exemples pour que vous me donniez des réponses. C'est tout à fait inacceptable. Cela s'applique à tout ce que nous voyons et dont nous entendons parler. Il s'agit de la survie de votre ministère tout entier dans ce contexte. Je ne compte plus les fois où j'ai entendu les mêmes arguments en six ans. Il y a une arrogance qui dépasse tout.
Je suis désolé. C'est tout à fait inacceptable. Je vais m'assurer de vous faire parvenir ces questions.
Le président : J'aimerais mentionner aux témoins que je ne sens pas d'arrogance du tout. Vous parlez de manière franche et ouverte et le comité vous en est reconnaissant.
Le sénateur Sibbeston : J'aimerais savoir si la Commission des traités a parlé d'un blocage bureaucratique.
Vous devez comprendre que le travail de gens comme nous, qui sommes de semi-politiciens, consiste à aider les gens qui se trouvent dans une situation difficile ou une impasse. Lorsque les gens du ministère comparaissent devant nous, je n'ai jamais l'impression qu'il y a de l'espoir. Je n'ai jamais l'impression que la situation va s'améliorer. Si c'est le cas, les progrès se font à pas de tortue. Il semble que votre horizon soit de 20, 30, 40 ans.
Vous êtes jeune et vous occupez un poste très important. Les Premières nations nous ont dit qu'il y avait des problèmes. Lorsque nous vous posons des questions à ce sujet, vous ne nous donnez pas espoir qu'il y aura des changements et cela me rend perplexe. Vous vous contentez de couvrir vos arrières. Vous faites ce qu'on attend de vous et vous donnez des réponses vagues. Nous savons que vous devez protéger les intérêts du gouvernement fédéral, mais là n'est pas le problème.
Le problème, ce sont les blocages, et c'est ce qui frustre les Premières nations. Que ferez-vous à ce sujet? C'est la grande question. Prendrez-vous des mesures concrètes ou vous contenterez-vous d'étirer la sauce jusqu'à votre retraite dans 30 ou 40 ans en oubliant le problème actuel?
Pouvez-vous nous donner un peu d'espoir?
Mme Montminy : Je dois vous dire que personnellement, j'ai bon espoir de voir les négociations aboutir en Colombie- Britannique et à nombre d'autres tables au pays où nous sommes présents à l'heure actuelle. Mes collègues et moi travaillons dans ce dossier depuis de nombreuses années et nous croyons fermement qu'une résolution est possible. Nous sommes également conscients qu'il s'agit de questions extrêmement complexes.
Le sénateur Sibbeston : C'est toujours l'excuse que vous nous servez. C'est un dossier complexe et vous devez protéger les intérêts du gouvernement fédéral. Là n'est pas la question.
Mme Montminy : Il faut être conscients que la négociation d'une entente protégée par la Constitution qui modifiera radicalement la situation actuelle, qui modifiera le régime de gouvernance des Premières nations qui ont été assujetties à la Loi sur les Indiens pendant des centaines d'années, qui mettra en place des gouvernements autochtones, qui transférera la propriété des ressources et leur accès, le tout en essayant de concilier les intérêts de nombreux gouvernements, cela s'appelle clairement un dossier complexe et cela ne peut pas être négocié du jour au lendemain. C'est la réalité. Nous aimerions que les progrès soient plus rapides. Je suis bien consciente que nous devons faire mieux, que nous devons faire plus vite, et que nous devons conclure des ententes qui satisferont tout le monde. C'est ce que nous essayons de faire.
Le sénateur Sibbeston : Vous êtes celle qui possède la clé. Vous êtes celle qui peut ouvrir la porte. Vous êtes celle qui peut procéder à ce changement important et nécessaire au pays, et vous devez donc être optimiste et ne pas vous réfugier derrière le fait qu'il s'agit d'un dossier complexe et porteur de changements profonds. C'est votre gagne-pain. Nous le savons tous. Vous devez assumer vos responsabilités. N'êtes-vous pas d'accord avec moi?
Mme Montminy : Tout à fait. Je répète que notre ministère négocie au nom du gouvernement du Canada, et qu'à la table des négociations, nous représentons les intérêts de tous les ministères fédéraux.
Le sénateur Sibbeston : Je le sais bien.
Mme Montminy : Je sais que vous le savez, mais c'est tout de même la réalité.
Le sénateur Sibbeston : Ce n'est pas une excuse.
Mme Montminy : Je ne cherche pas d'excuses. Le système est ainsi fait, et c'est une réalité avec laquelle nous devons vivre.
Le président : La frustration est bien réelle et vient du fait que seulement deux ou trois ententes ont été conclues en 20 ans. Le ministère est la cible de critiques. On ne critique pas des gens, à mon avis, mais la politique dans son ensemble. Il est important de reconnaître que ce ne sont pas les personnes qui sont en cause.
Le sénateur Sibbeston : Nous savons maintenant que c'est elle qui dit aux négociateurs : « Rentrez à Ottawa; ne prenez aucune décision. » Nous modifions les choses. C'est l'intérêt du gouvernement fédéral. Je peux comprendre cela.
Vous retardez les progrès avec votre attitude.
Le président : Je ne sais pas exactement le poste qu'occupe Mme Montminy, mais je sais qu'elle a plusieurs supérieurs.
Le sénateur Campbell : Je tiens à préciser que mes propos n'ont rien de personnel. Lorsque les libéraux étaient au pouvoir, je tenais exactement le même discours. Ce n'est rien de personnel. C'est l'éléphant que personne ne veut voir.
Mme Montminy : Je vous en sais gré.
Le sénateur Campbell : Je pense que vous faites simplement votre travail et que vous travaillez fort. Je pense que vous voulez réellement voir le dossier aboutir. Ce n'est pas vous, mais l'éléphant que personne ne veut voir. Je veux dire bien clairement que mes propos n'ont absolument rien de personnel.
Le président : C'est très gentil de votre part, sénateur Campbell.
Le sénateur Patterson : J'ai une autre question. Vous avez parlé des intérêts du gouvernement fédéral. Je crois comprendre que dans le cadre de négociations basées sur les intérêts, il faut que le négociateur prenne aussi en compte les intérêts de l'autre partie, et c'est pourquoi nous voulons tendre la main au lieu d'adopter une position ferme. La Commission des traités était clairement préoccupée par le fait que les négociateurs du gouvernement fédéral arrivaient à la table des négociations avec des positions qui reposaient, nul doute, sur l'intérêt du fédéral, mais sans tenir compte de l'intérêt de l'autre partie. Nous voulons délaisser le style de négociation conflictuelle des négociations collectives au profit de négociations qui sont basées véritablement sur les intérêts. Je suis tout à fait d'accord avec ce que mes collègues viennent de dire à ce sujet. Il faut opter pour une nouvelle approche.
La ministre de la Colombie-Britannique a mentionné que le gouvernement mise sur la négociation d'ententes progressives pour amener les Premières nations à prendre conscience des avantages que représentent les ententes économiques partagées et l'accroissement des moyens d'action. Il semble que cela ait un certain effet d'entraînement. La ministre a souligné que la participation du Canada à ces ententes améliorerait grandement notre capacité collective de conclure, à partir de ces ententes, des ententes définitives.
Est-ce que nos représentantes du gouvernement fédéral ont des commentaires à faire au sujet de l'approche progressive pour avancer et accélérer le processus? Quelle est la position du Canada à ce sujet?
Mme Boscariol : Le Canada appuie l'approche progressive de la Colombie-Britannique dans le dossier des traités. Nous n'avons pas participé à ces ententes; ce sont des ententes bilatérales. Toutefois, nous examinons tout projet d'entente progressive que la Colombie-Britannique nous soumet au cas par cas. Si nous estimons qu'elle est assortie d'étapes clés qui feront avancer le processus des traités, nous acceptons de partager à la fin le coût des premières terres assujetties à l'entente progressive. À la fin du processus, lorsque le traité sera en place, nous avons convenu de partager le coût des premières terres faisant partie de l'entente globale. Jusqu'à maintenant, nous avons examiné ces ententes progressives au cas par cas.
Le sénateur Patterson : Encore une petite question qui s'adresse à la ministre. Vous venez d'entendre la réponse. Lorsque vous avez dit que la participation du Canada améliorerait grandement notre capacité de faire des progrès, est- ce ce que vous aviez en tête? Est-ce suffisant?
Mme Polak : La réponse reflète la situation actuelle, et j'en félicite vivement le gouvernement fédéral. Les ententes progressives relatives aux traités sont une idée que nous avons lancée et qui est relativement nouvelle dans l'histoire de ces discussions, et le Canada s'est montré prêt à collaborer au partage des coûts à la fin lorsque cela concerne les traités.
Notre suggestion — et j'espère que cela sera perçu comme souhaité. La relation n'en est vraiment pas une de confrontation dans ce processus. Nous avons eu des discussions très positives avec le ministère fédéral sur notre façon de voir les choses dans ce dossier.
Pour vous donner un exemple des avancées que nous pourrions faire, une des ententes non liées à un traité que nous avons utilisée avec beaucoup de succès en Colombie-Britannique est ce qu'on appelle l'« entente d'engagement stratégique ». On y précise notamment les outils de consultation ou la nature des consultations. On y indique aussi les échéanciers pour différents éléments, notamment les permis. Il s'agit essentiellement d'établir le processus de prise de décision conjoint qui sera mis en place pour régler les questions liées à l'assise territoriale.
À titre d'exemple, s'il y avait un très gros projet pour lequel le gouvernement fédéral avait ses propres processus d'approbation, cela serait fait à la fin. La Colombie-Britannique utiliserait alors, dans le cas d'une Première nation, les processus que nous avons déjà mis en place dans le cadre de l'entente, qui sont bien définis et beaucoup plus simples, et qui permettent à la Première nation de participer directement à la prise de décision sur l'utilisation de son territoire.
Voilà donc un exemple de situation où nous pensons qu'une participation accrue du gouvernement du Canada serait utile et pourrait servir les intérêts de chacun.
Les nombreux outils non liés à des traités qui ont été mis au point par la Colombie-Britannique offrent, à mon avis, de nombreuses possibilités. La participation du gouvernement fédéral serait utile et avantageuse dans de nombreuses autres situations, non seulement pour les Premières nations de la Colombie-Britannique, mais aussi pour le Canada.
Le sénateur Raine : Merci. J'aimerais revenir à la question des revendications qui se chevauchent.
Bien que je sois consciente de la complexité des négociations compte tenu des différentes questions auxquelles touche un traité, il me semble que dans le cas des revendications qui se chevauchent, il faut traiter avec les deux parties concernées et mettre en place un système ou un processus qui leur permettrait de s'entendre entre elles. Je crois que c'est ce que le gouvernement de la Colombie-Britannique souhaite faire. Je me demande s'il existe une façon de mettre à profit notre expérience à cet égard.
J'ai remarqué que deux jours avant la date d'entrée en vigueur du traité Maa-nulth, un accord a été signé entre les Premières nations Tseshaht et Maa-nulth sur leurs droits respectifs dans le bassin de Barkley après qu'elles ont tenté sans succès d'obtenir une injonction contre le traité. Dans le cadre de ce processus, nous devons avoir appris quelque chose. Je suis convaincue qu'il y en a d'autres. Dans le cadre du traité Yale, nous apprenons aussi quelque chose.
Serait-il possible de mettre en place un centre d'expertise en Colombie-Britannique pour aider les Premières nations à négocier entre elles les revendications qui se chevauchent?
Mme Polak : C'est un des éléments dont nous discutons régulièrement, bien sûr, avec nos homologues fédéraux, de même qu'avec Sophie Pierre et la Commission des traités de la Colombie-Britannique.
En ce qui concerne le traité Maa-nulth, c'était quelques jours avant la mise en œuvre. Il est difficile de dire, en ce qui concerne les motifs présentés à la négociation, s'il sera possible de convaincre quelqu'un de renoncer à une position avant d'être très près de la conclusion du traité, et savoir comment faire pour travailler ensemble. Les négociations sont complexes, qu'il s'agisse de traités ou de conventions collectives. On attend de voir s'il est encore possible de faire des avancées ou d'amener les gens à changer de position.
Cela étant dit, comme nous avons passé à travers le processus à quelques reprises, nous nous sommes rendu compte qu'il faut s'occuper de la question des chevauchements au début. Nous en sommes encore à nous demander à qui la responsabilité de diriger le processus devrait échoir. Les trois parties, dont le Sommet des Premières nations, s'entendent toutefois pour dire qu'il revient aux Premières nations de régler elles-mêmes ces questions.
Le tout est d'autant plus complexe que nos notions européennes du territoire et de la propriété sont fondamentalement différentes de celles vers lesquelles la culture autochtone a évolué avec le temps. Ce sont donc nos exigences qui créent les chevauchements, car nous demandons qu'une ligne soit tracée pour déterminer où se termine un territoire et où commence un autre.
En demandant aux Premières nations de remonter avant la venue des Européens pour établir leur territoire traditionnel, on se rend compte qu'il est probablement très vrai que leurs terres se chevauchaient, car leur système était complètement différent du nôtre à la base.
Je pense que la solution est de s'en remettre aux Premières nations pour régler la question. Nous avons un rôle à jouer. Je ne pense pas que nous ayons encore trouvé le rôle que le Canada et la Colombie-Britannique sont le mieux à même de jouer, mais je crois que l'espoir réside dans le fait que tous sont empreints de bonne volonté. Lors des discussions, je ne sens pas d'animosité. Nous voulons tous trouver une solution. Le territoire est un élément des plus fondamentaux dans les discussions avec les Premières nations. Il n'y a rien qui soulève autant les passions pour eux.
Nous sommes conscients que nous devons jouer un rôle. Je ne pense pas que nous sachions encore la meilleure façon d'y arriver.
Le sénateur Raine : Est-il possible dans les traités modernes de désigner un territoire commun?
Mme Polak : C'est possible. Il faut bien sûr que toutes les parties soient d'accord. Il y a, en fait, différents types de territoires qui sont concernés par les traités. Il n'y a pas que les terres visées par le traité, il y a aussi des terres qui sont désignées à l'usage des Premières nations, c'est-à-dire où nous leur reconnaissons le droit d'y mener certaines activités indéfiniment.
Toutefois, le problème, encore une fois, est qu'on ne règle pas la question une fois pour toutes. Nous n'avons pas encore trouvé, à tout le moins, une formule qui confirmerait aux parties qu'il s'agit d'une solution définitive.
Les traités comportent actuellement des formules de non-dérogation. À titre d'exemple, dans l'entente définitive de Yale, la formule de non-dérogation précise que si à l'avenir la Première nation Stó:lo devait exercer ses droits traditionnels sur le territoire touché par l'entente, l'entente doit être interprétée comme n'empiétant pas sur ces droits. Les Premières nations qui sont préoccupées par la question pourraient souligner avec raison que cette formule n'a pas encore été éprouvée devant les tribunaux.
Sur bien des fronts, nous cherchons avec les Premières nations la voie à suivre. Ce qui est encourageant dans le dossier des chevauchements, c'est que nous visons tous le même but. Tout le monde s'entend sur le but ultime. Il faut toutefois définir les rôles de chacun. On s'entend pour dire que cette responsabilité revient aux Premières nations, mais le rôle que le Canada et la Colombie-Britannique seraient le mieux à même de jouer pour les aider est encore flou.
Le sénateur Demers : Madame Polak, au début de votre exposé, vous avez dit que ce ne sont pas toutes les parties concernées qui participent à un traité.
Si on veut qu'un traité fonctionne pour tous, mais que certains n'y participent pas, on ne réussira jamais à rassembler tout le monde autour d'un bon traité. On ne peut pas avoir une équipe au sein de laquelle 15 personnes travaillent pour atteindre un but commun et sept autres ne le font pas. Comment allez-vous faire pour rassembler tout le monde? Je constate que ce n'est pas très facile.
Mme Polak : Ce n'est pas facile. Il y a 203 Premières nations en Colombie-Britannique, et environ le tiers d'entre elles sont visées par un traité d'une façon ou d'une autre. Selon moi, il y a lieu d'encourager un grand nombre de Premières nations à conclure un traité, mais n'empêche qu'un certain nombre de Premières nations en Colombie-Britannique ne s'y intéresseront probablement jamais.
Comment s'y prendre? Tout d'abord, dans le cas des Premières nations qui participent à la négociation d'un traité, elles doivent bien entendu passer par un processus de ratification de la collectivité, c'est-à-dire que leur collectivité doit appuyer sans réserve le traité pour ensuite l'envoyer à la province et le faire ratifier par le Canada.
Dans le cas des traités qui sont conclus avec un pourcentage de vote très élevé, nous avons certainement l'appui de la collectivité et nous reconnaissons que cet aspect est essentiel à la viabilité du traité.
Je suis convaincue qu'à mesure que nous conclurons plus de traités, nous parviendrons à susciter davantage l'intérêt des Premières nations à l'égard du processus. De nombreuses Premières nations accumulent des dettes au fil des ans parce qu'elles empruntent de l'argent par l'entremise d'un processus préétabli. Cet argent est ensuite retiré du transfert de capital que le gouvernement fédéral verserait au terme de la convention définitive. Beaucoup de Premières nations craignent l'éventualité qu'aucun traité ne soit conclu au bout de plusieurs années de négociation; elles voient certains de leurs homologues atteindre des niveaux de dettes qui pourraient surpasser le transfert de capital éventuel ou, du moins, le réduire considérablement.
Bref, je crois que plus on aura de nouveaux cas de réussite, plus on suscitera l'intérêt des Premières nations parce que le succès engendre le succès.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue le besoin de s'entendre avec les Premières nations qui ne veulent pas conclure de traité. Il s'agit d'un processus volontaire. Cet aspect est nécessaire pour assurer l'équité et reconnaître le principe qui est énoncé dans notre Charte et qui fait partie intégrante de la fondation du Canada. En même temps, on ne peut pas se contenter de réagir à une telle position en faisant comme si elle n'existait pas. On doit trouver d'autres moyens de se réconcilier et de s'entendre.
Les options sont nombreuses. Il y a les nouveaux traités que nous essayons de conclure en Colombie-Britannique, ainsi que les accords d'autonomie gouvernementale que le gouvernement fédéral a négociés au fil des ans avec de nombreuses Premières nations. Il y a aussi certains accords bilatéraux et d'autres conventions auxquelles est partie la Colombie-Britannique.
Alors, continuons à négocier des traités. Faisons bouger les choses. Augmentons le nombre des cas de réussite. Cela suscitera, en retour, un plus grand intérêt chez les Premières nations. Mais, en même temps, soyons honnêtes et examinons de manière exhaustive la question de savoir comment nous allons nous y prendre avec les Premières nations qui ne concluront jamais de traité. Ne prétendons pas le contraire.
Le président : Chers collègues, nous avons entendu les témoignages des trois parties concernées : la commissaire Pierre, de la Commission des traités de la Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial.
La question à l'ordre du jour était la suivante : doit-on renouveler le mandat? Oui? Tout le monde hoche la tête.
Le sénateur Patterson : Je crois que oui.
Le président : Alors, tant mieux. J'ai parfois besoin qu'on m'aide, sénateur Patterson. Merci.
Je tiens à vous remercier tous les quatre d'avoir participé à la séance de ce soir. Nous avons eu droit à d'excellentes déclarations. Vous avez répondu aux questions de manière ouverte et sincère. Il est rafraîchissant de travailler de cette façon. On espère que le comité formulera une recommandation qui sera avantageuse pour les peuples autochtones de la Colombie-Britannique.
Chers collègues, à la prochaine réunion, nous aurons un compte rendu de l'acceptation de notre rapport sur l'éducation. Nous accueillerons des témoins qui nous feront le bilan de la situation depuis le dernier rapport afin de déterminer les mesures qui ont été prises pour les collectivités que nous essayons de servir.
Le sénateur Patterson : Est-ce que ce sera à huis clos?
Le président : Cette partie-là le sera fort probablement.
(La séance est levée.)