Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 21 novembre 2011
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour étudier le projet de loi S-2, Loi concernant les foyers familiaux situés dans les réserves des premières nations et les droits ou intérêts matrimoniaux sur les constructions et terres situées dans ces réserves.
Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, nous en sommes à notre quatrième réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Le Sénat lui a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.
Mon nom est Mobina Jaffer et je vous souhaite la bienvenue à cette réunion.
Aujourd'hui, nous commençons notre étude du projet de loi S-2, Loi concernant les foyers familiaux situés dans les réserves des premières nations et les droits ou intérêts matrimoniaux sur les constructions et terres situées dans ces réserves.
[Traduction]
Bienvenue à tous. Je vous présente le sénateur Brazeau, qui est vice-président du comité, le sénateur Andreychuk, le sénateur Dyck et le sénateur Hubley. M. Charbonneau est le greffier du comité. Mme Tiedemann et M. Walker sont nos attachés de recherche.
La plupart des Canadiens qui doivent faire face à une séparation ou un divorce, ou à la disparition d'un époux ou d'un conjoint de fait, peuvent se prévaloir des mesures de protection juridiques qui sont en vigueur afin que les biens immobiliers matrimoniaux, les BIM, soient répartis de façon équitable. Malheureusement, ce n'est pas le cas de ceux qui habitent dans des réserves, car ils sont assujettis à la Loi sur les Indiens. Lorsqu'ils doivent faire face à la mort d'un conjoint ou à un divorce, ils se retrouvent souvent sans foyer et sans ressources financières.
[Français]
Notre comité connaît fort bien la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. En effet, en 2003, il a étudié les droits de propriété des femmes vivant dans les réserves. Dans un rapport intitulé Un toit précaire le comité abordait la nécessité d'adopter une loi pour faire en sorte que les femmes autochtones jouissent des mêmes droits que le reste des femmes canadiennes en cas de rupture d'un mariage ou d'une union de fait.
En 2004, le comité a publié un rapport de suivi intitulé Biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves : toujours en attente, qui insistait davantage sur la nécessité d'adopter et de mettre en œuvre une loi.
[Traduction]
Dans ces deux rapports, notre comité a notamment souligné la situation extrêmement vulnérable dans laquelle les femmes se retrouvent et a, dans cette optique, proposé toute une série de recommandations. Je suis contente de voir que le projet de loi en reprend un certain nombre.
J'aimerais souhaiter la bienvenue au chef régional Wilson-Raybould, de la Colombie-Britannique, et à Karen Campbell, attachée de recherche auprès de l'Assemblée des Premières Nations.
Je crois que vous avez une déclaration liminaire à faire avant que nous ne vous posions des questions. La dernière fois que nous avons examiné le projet de loi S-4, nous avons trouvé vos commentaires extrêmement pertinents, et nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire.
Jody Wilson-Raybould, chef régional, Colombie-Britannique, Assemblée des Premières Nations : Je suis heureuse de me retrouver parmi vous pour parler du projet de loi S-2. Je m'appelle Jody Wilson-Raybould, et mon nom traditionnel est Puglaas. Je suis issue de la nation Musgamagw-Tsawateneuk, du nord de l'île de Vancouver, où je vis dans ma communauté natale de Cape Mudge, avec mon mari. Je suis aussi membre du conseil de la communauté.
Je comparais devant vous aujourd'hui en qualité de chef régional pour la Colombie-Britannique, mais aussi au nom de l'Assemblée des Premières Nations où je détiens le portefeuille national en matière de gouvernance des Premières nations.
Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner au sujet du projet de loi S-2. Ce que je vais vous dire est l'écho de ce que je vous ai déjà dit au sujet du projet de loi qui a précédé celui-ci.
Premièrement, sur un plan personnel — je suis une femme autochtone, mariée, qui vit sur la réserve et qui a des intérêts sur des biens immobiliers —, c'est un dossier que j'aimerais voir réglé, comme beaucoup de femmes et d'hommes autochtones. C'est l'un des nombreux aspects de la vie sur la réserve qui sont mieux gérés en dehors de la réserve. En effet, pour toutes sortes de raisons, le dossier des droits sur les biens matrimoniaux n'a jamais été réglé au niveau de la réserve.
C'est pourtant un dossier qui pose de graves problèmes, qu'il va nous falloir résoudre avec des mécanismes juridiques appropriés. Par exemple, nous devons protéger les droits de propriété des époux. Mais nous devons aussi examiner le problème de la violence conjugale, car une femme a le droit de vivre dans le foyer familial sans avoir à craindre des actes de violence.
Dans ma communauté, nous avons pris l'initiative d'élaborer nos propres lois sur les biens immobiliers matrimoniaux, conformément à l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations. Je fais partie du comité de notre communauté qui est chargé d'élaborer ces dispositions et qui, comme vous, examine les questions connexes à ce dossier.
Le projet de loi S-2 donnera certainement l'occasion à d'autres Premières nations d'élaborer leurs propres lois en matière de biens matrimoniaux. Reste que l'Assemblée des Premières Nations a des réserves quant à l'approche retenue dans ce projet de loi, notamment l'imposition de règles provisoires sur les BIM jusqu'à ce que la Première nation ait adopté ses propres lois.
Avant de vous parler des préoccupations que nous avons, je dois vous dire que nous nous réjouissons que le projet de loi S-2 comporte certains changements par rapport aux versions précédentes.
Il n'est aujourd'hui plus question de nommer un vérificateur à la tête d'un bureau de vérification, ce qui était à la fois insultant et inutile. Dorénavant, l'adoption d'une loi se fera à la majorité simple des membres de la Première nation. Autre nouveauté, le projet de loi prévoit une période de transition de 12 mois entre son adoption et son application aux Premières nations. C'est un changement positif, même si nous estimons qu'avec l'accord-cadre, une période de transition de 36 mois serait plus réaliste.
Mais malgré ces améliorations, les Premières nations ont toujours les mêmes réserves de fonds que celles dont je vous ai parlé la dernière fois que j'ai comparu devant votre comité. En 2006, l'Assemblée des Premières Nations a coordonné une série de dialogues avec nos différentes nations, ce qui a permis de faire la liste des principaux enjeux : la reconnaissance de la compétence des Premières nations, l'accès à la justice, le règlement des conflits et les recours, et les problèmes sociaux comme la pénurie de logements et de refuges temporaires. Nos chefs ont confirmé et réitéré tous ces problèmes sous forme de résolutions, au cours de leurs assemblées.
S'agissant de la compétence, la promesse que contient le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle au sujet de la reconnaissance et de la confirmation des droits existants devrait s'accompagner, par souci de clarté, d'une reconnaissance explicite du droit inhérent des Premières nations à l'autonomie gouvernementale, dans tous les cas où la loi ne prévoit pas la délégation de tels pouvoirs.
Cela comprend la reconnaissance de tous les pouvoirs nécessaires à l'administration efficace des biens matrimoniaux. Concrètement, le projet de loi S-2 tente de définir une compétence en matière de droits sur les biens matrimoniaux à partir d'autres domaines. Cette question touche à plusieurs sphères de compétence, et un gouvernement qui veut légiférer dans ce domaine doit aussi tenir compte des répercussions que cela aura sur la gestion des terres, la justice, les enfants et les relations familiales, les propriétaires et les locataires, les testaments et les successions, entre autres. Si l'on veut régler définitivement la question des droits matrimoniaux, au-delà des règles provisoires, il va falloir adopter, eu égard aux questions de gouvernance des Premières nations, une approche plus globale que celle qu'énonce le projet de loi S-2.
Le deuxième enjeu qui est ressorti clairement de notre série de dialogues était l'accès à la justice. Les règles provisoires ne contiennent pas de mécanismes de résolution des conflits ni de recours appropriés.
Il sera difficile, pour les juristes, d'appliquer à la fois les règles provisoires et les autres lois connexes, comme la Loi sur les Indiens et les lois provinciales qui traitent des relations familiales, lorsqu'ils devront régler des cas relatifs aux droits de propriété sur les réserves.
Il en coûtera plus cher aux habitants des réserves qu'à ceux qui habitent hors réserves d'essayer d'obtenir un recours en vertu du projet de loi S-2. Étant donné que les habitants des réserves ont des niveaux de revenus nettement inférieurs, il leur sera encore plus difficile de se prévaloir des nouveaux recours prévus.
Au Canada, les services d'aide juridique n'ont déjà pas les ressources suffisantes pour répondre aux besoins actuels, alors ils pourront encore moins répondre aux nouveaux besoins qu'entraînera l'adoption éventuelle de ce projet de loi. De plus, le projet de loi exige la remise à l'époux d'une certaine partie de la valeur des biens matrimoniaux, ce qui risque d'aggraver les difficultés économiques de certains membres de nos Premières nations.
Les recours prévus par les règles provisoires dépendent beaucoup de l'accès à des tribunaux provinciaux. Or, dans bon nombre de nos communautés, il est pratiquement impossible d'avoir accès à des tribunaux provinciaux. C'est à partir de nos communautés que nous pourrons élaborer des politiques efficaces en matière de droits sur les biens matrimoniaux, car c'est la seule façon de tenir compte des circonstances particulières qui sont les nôtres, eu égard au règlement des conflits et aux recours possibles.
L'APN recommande vivement la création de mécanismes appropriés pour favoriser l'accès aux tribunaux et à des recours fondés sur les traditions juridiques des Premières nations. C'est en établissant des recours fondés sur nos traditions juridiques et en tenant compte à la fois des intérêts collectifs et des intérêts particuliers, au niveau communautaire, qu'on pourra améliorer l'accès aux tribunaux et réduire les coûts. On peut envisager, notamment, la création de tribunaux des Premières nations et le renforcement des mécanismes de résolution des conflits qui existent actuellement au niveau communautaire.
Il convient également de remarquer que, même si le projet de loi S-2 énonce clairement le pouvoir des tribunaux de statuer en cas de conflit, il n'énonce pas clairement les pouvoirs de règlement des conflits que les Premières nations détiennent en vertu des lois sur les BIM qu'elles adopteront en vertu des règles provisoires, à la fois en ce qui concerne la compétence des Premières nations et la mesure dans laquelle une Première nation peut compter sur les tribunaux provinciaux et fédéraux pour faire appliquer ses propres lois, si elle le désire.
Ce qu'il faut, c'est déterminer comment les lois des Premières nations peuvent être appliquées de façon efficace.
Le troisième enjeu identifié lors de notre série de dialogues est la nécessité de s'attaquer aux causes mêmes des conflits qui se produisent. Il faudrait ainsi prévoir de meilleurs mécanismes de prévention, ainsi que des logements d'urgence et de transition, ce qui nous ramène à la nécessité d'adopter une approche holistique communautaire, pour que les recours soient efficaces. Une réforme législative ne peut pas, en soi, améliorer la vie de nos communautés et de leurs habitants; il faut prêter attention à sa mise en œuvre et à la façon dont elle peut sécuriser et renforcer nos communautés.
J'aimerais maintenant passer à la question plus générale de la refondation des gouvernements des Premières nations. Il y a quelques semaines, j'ai comparu avec le chef national Atleo devant le Comité permanent de la Chambre des communes des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, pour discuter de la meilleure façon de faire avancer les priorités des Premières nations. Nous avons parlé de certaines initiatives législatives fédérales qui ne respectaient pas les approches, les priorités et les aspirations des Premières nations. Il est important de replacer le projet de loi S-2 dans le processus de décolonisation que nos nations sont en train de vivre.
En étudiant ce projet de loi, ou d'autres lois qui concernent des aspects de la gouvernance des Premières nations, vous devriez vous poser la question suivante : quelle serait la meilleure façon d'aller plus loin que ne l'a fait la Loi sur les Indiens dans le but d'établir un cadre de gouvernance plus fort et mieux approprié pour les Premières nations? En d'autres termes, comment mettre fin au système colonial de gouvernance qui a été créé par l'intermédiare de la Loi sur les Indiens et le remplacer par un système de gouvernance approprié?
Faute de trouver une solution globale à cette question, pour toutes sortes de raisons politiques et juridiques, le gouvernement fédéral a pris unilatéralement la décision de s'attaquer à certaines des lacunes les plus flagrantes du système de gouvernance de la Loi sur les Indiens, à cause duquel des personnes vivant sur les réserves se retrouvent dans une situation plus précaire que d'autres Canadiens. Ce projet de loi en est un exemple, comme ceux qui portent sur l'application de la Loi canadienne des droits de la personne et la détermination du statut d'Indien inscrit, ou encore les projets de loi sur la qualité de l'eau, la responsabilité financière, et cetera. Les intentions sont peut-être fort louables, mais ce n'est pas en bidouillant la Loi sur les Indiens qu'on concrétisera l'objectif de la gouvernance des Premières nations, et qu'on respectera la promesse inscrite à l'article 35 et les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En fait, c'est un exercice politique et juridique qui, à bien des égards, suscite toutes sortes de problèmes et de controverses, sans parler des risques de contestations par ceux qui en pâtissent.
L'Assemblée des Premières Nations prône depuis longtemps la création d'un partenariat de principe pour l'élaboration de tout projet de loi visant à modifier la situation des Premières nations, y compris des discussions sur la portée du projet de loi et ses intentions, ainsi que le partage des informations, la rédaction conjointe et l'élaboration du texte. C'est ce qu'on devrait faire pour ce projet de loi.
Nous nous réjouissons que le projet de loi S-2 comporte des changements par rapport au projet de loi S-4, mais il nous pose encore des problèmes en ce sens qu'il ne fait rien pour favoriser la construction de notre nation. Le projet de loi S-2 n'est qu'un palliatif qui, malheureusement, n'aura pratiquement aucune retombée positive sur nos communautés tant que les questions de la fondation de notre nation n'auront pas été résolues.
Les règles provisoires ne sont pas les nôtres. Il sera difficile pour nos nations d'adopter des lois sur les BIM en l'absence d'une réforme plus globale des institutions de gouvernance, au-delà de la Loi sur les Indiens. Nous verrons si le gouvernement fédéral et les Premières nations ont sérieusement l'intention de mettre en place une initiative d'autonomie gouvernementale qui donnera à la déclaration onusienne tout son sens. Si cette volonté politique existe, il faut en profiter pour consacrer nos énergies et nos ressources à la réforme de la gouvernance, car c'est de cette façon qu'on pourra avoir le plus d'impact sur les communautés et qu'on pourra améliorer la vie des gens.
Nous espérons que, s'il est adopté, le projet de loi S-2 n'aura qu'une durée de vie limitée car il est absolument urgent que nous trouvions une solution à long terme à toutes ces questions, et ce, dans le cadre d'une réforme globale de la gouvernance des Premières nations, au-delà de la Loi sur les Indiens. En attendant, le Canada doit se montrer très prudent lorsqu'il impose une réforme de gouvernance dans ce domaine et dans d'autres.
La présidente : Merci beaucoup, chef Wilson-Raybould. Mme Campbell a-t-elle quelque chose à ajouter? Sinon, je vais poser la première question.
Je voudrais parler de la pénurie de logements sur les réserves. Prenons le cas d'un conjoint qui sera obligé de quitter la réserve à cause du projet de loi : quel impact cela aura-t-il sur la pénurie de logements?
Mme Wilson-Raybould : Dans ma communauté et dans d'autres, il y a, comme vous dites, une pénurie chronique de logements. Il est bien évident que si un conjoint est prié de partir, il lui faudra trouver un autre logement. La pénurie concerne non seulement les logements temporaires, mais aussi les logements pour des personnes seules. En fait, la liste d'attente est très longue dans un grand nombre de communautés.
Le projet de loi prévoit une période de 90 jours pour rendre une ordonnance, et cette période peut être prolongée d'encore 90 jours. À ce moment-là, le problème est de trouver un logement pour la personne qui doit quitter le foyer familial. Étant donné la situation dans nos communautés, cette personne se retrouvera dans une situation difficile.
La présidente : Je sais que les crédits relatifs au logement des Autochtones ont été diminués de 127 millions de dollars depuis 2008. Quel impact cela a-t-il sur le logement dans vos communautés?
Mme Wilson-Raybould : Les réductions budgétaires dans le logement et dans d'autres domaines ont nettement aggravé la situation du logement pour les membres des Premières nations, aussi bien sur les réserves qu'à l'extérieur. Nombre de nos membres n'ont pas pu revenir sur les réserves faute de pouvoir y trouver un logement adéquat. Les communautés ont aujourd'hui moins d'argent pour construire des logements, ce qui a un impact considérable sur les habitants de nos réserves.
La présidente : Vous avez parlé des services d'aide juridique, en disant qu'ils n'avaient jamais les ressources suffisantes. Ce projet de loi va accroître les besoins en matière d'aide juridique.
J'aimerais que vous nous disiez ce qui va se passer pour les femmes qui habitent dans des régions très éloignées et qui n'ont pas accès aux tribunaux. Comment vont-elles pouvoir se prévaloir des dispositions de ce projet de loi?
Mme Wilson-Raybould : À l'heure actuelle, les services d'aide juridique manquent déjà de ressources dans l'ensemble du pays. En permettant à des membres des Premières nations de s'adresser aux tribunaux pour régler des problèmes de biens matrimoniaux, la pénurie de ressources ne fera qu'empirer. À l'heure actuelle, il n'y a déjà pas assez de services d'aide juridique, et comme les besoins vont certainement augmenter avec l'application du projet de loi, la situation ne fera qu'empirer.
Le sénateur Brazeau : Vous avez beaucoup parlé des réserves que vous continuez d'avoir à l'égard du projet de loi S-2. Vous avez aussi fait allusion au projet de loi S-4. Notre comité, ainsi que le gouvernement, a entendu beaucoup de recommandations et de suggestions sur la façon d'améliorer l'ancien projet de loi S-4. Pensez-vous que ce projet de loi réponde à certaines préoccupations qu'on nous avait mentionnées au sujet du projet de loi S-4?
Mme Wilson-Raybould : Comme je l'ai dit tout à l'heure, je reconnais que le projet de loi S-2 comporte des améliorations. Par exemple, il ne sera plus nécessaire d'avoir un vérificateur, les Premières nations auront plus de temps pour mettre en place les règles provisoires, et l'approbation d'une loi sur les biens matrimoniaux ne nécessite plus qu'une majorité simple. Ce sont des changements positifs.
Ce qui nous préoccupe, par contre, et je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, c'est qu'on ne reconnaît toujours pas la compétence des Premières nations dans ce domaine, qu'il est nécessaire d'adopter une approche plus globale face à toute la question de la gouvernance des Premières nations, et qu'enfin il ne faut pas cloisonner les compétences mais plutôt essayer de voir comment on peut aider les Premières nations à établir leur régime et leurs institutions de gouvernance pendant la période de transition.
Le sénateur Brazeau : Je suis tout à fait d'accord avec vous en ce qui concerne les grandes questions que soulève la Loi sur les Indiens, mais si l'on s'en tient pour l'instant au projet de loi S-2, ne pensez-vous pas que c'est au moins un bon point de départ en ce sens qu'il offre une certaine protection aux femmes autochtones qui doivent divorcer, par exemple? À l'heure actuelle, les femmes qui vivent sur les réserves et qui se retrouvent dans ce genre de situation n'ont aucun recours devant les tribunaux et n'ont accès à aucun mécanisme de résolution des conflits. Si ce projet de loi est adopté, elles auront droit à un minimum de protection, ce qu'elles méritent amplement. N'êtes-vous pas d'accord avec moi là-dessus?
Mme Wilson-Raybould : Je suis d'accord avec vous pour dire que les femmes des Premières nations méritent tout à fait un minimum de protection. Par contre, j'estime que le projet de loi S-2 ne règle pas les problèmes d'accès à la justice et aux tribunaux, étant donné l'éloignement des communautés et la situation financière des femmes des Premières nations qui pourront difficilement se prévaloir de ses dispositions. Le projet de loi S-2 ne règle pas ces problèmes, ils seront encore là après son adoption.
Le sénateur Brazeau : Vous avez dit que beaucoup de chefs des Premières nations avaient des réserves à l'égard de la version actuelle du projet de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux et qu'un grand nombre de modifications proposées par les chefs avaient été adoptées au niveau de l'APN.
Je voudrais quand même faire remarquer que rien n'empêchait jusque-là une communauté des Premières nations d'élaborer son propre régime de droits immobiliers matrimoniaux. Y en a-t-il qui l'ont fait?
Mme Wilson-Raybould : En réponse à la deuxième partie de votre question, je dirai qu'il y a en effet des Premières nations qui ont élaboré leur propre législation en matière de droits immobiliers matrimoniaux. Dans le cadre de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, 17 communautés ont élaboré leurs propres lois sur les BIM, et d'autres sont en train de leur emboîter le pas, sans parler des Premières nations qui ont signé des accords d'autonomie gouvernementale et des ententes définitives où est définie toute cette question des biens immobiliers matrimoniaux.
Le sénateur Brazeau : Autrement dit, rien n'empêchait une communauté des Premières nations d'adopter son propre régime, mais je prends bien note des réserves que peuvent avoir certaines Premières nations à l'égard du projet de loi S- 2 et du projet de loi S-4. Bref, rien n'empêchait une communauté des Premières nations d'élaborer son propre régime des BIM avant l'élaboration ou l'adoption d'un projet de loi fédéral.
Mme Wilson-Raybould : Les communautés des Premières nations sont dans une période de transition et de construction d'une nation, et en même temps, elles sont assujetties à la Loi sur les Indiens et aux règles imposées par cette loi. Tant qu'un tribunal n'a pas décrété que la Loi sur les Indiens ne s'applique plus aux Premières nations, celles- ci doivent collaborer avec le gouvernement pour faire avancer la réforme de la gouvernance, ce qu'elles font à des degrés divers, dans le cadre d'ententes sectorielles ou bien dans le cadre d'accords de gouvernance.
Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais poursuivre sur le même sujet. Certaines bandes et certaines réserves se démènent pour le faire, mais les autres n'en sont pas encore là. Le projet de loi S-2, en soi, n'interdit pas ce qui se fait déjà, n'est-ce pas? Je ne vois pas comment il pourrait le faire, mais si c'est le cas, expliquez-moi.
Mme Wilson-Raybould : Les Premières nations peuvent élaborer leurs propres lois dans certains domaines, mais la question est de savoir comment ces lois seront appliquées. Dans le cas des Premières nations qui ont signé des ententes sectorielles, celles-ci prévoient l'application de ces lois.
Dans le cas des autres Premières nations, si elles décident d'élaborer leur propre loi sur les biens matrimoniaux, la question qui se pose est de savoir comment cette loi sera appliquée.
Le sénateur Nancy Ruth : Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il n'y a pas assez de logements, pas assez de services d'aide juridique, et qu'il va y avoir des problèmes d'accès à la justice. Tous ces problèmes sont bien réels, et le projet de loi en tant que tel n'apporte pas de solutions.
Mme Wilson-Raybould : En effet.
Le sénateur Nancy Ruth : Pendant l'année de transition, dans les centres d'excellence dont parle le ministère, comment allez-vous aider les bandes à accepter le projet de loi sur les BIM, sachant très bien qu'il ne règle pas les problèmes relatifs aux services d'aide juridique et à la pénurie de logements et qu'il ne prévoit aucuns fonds supplémentaires? C'est un fait : il n'y aura pas d'argent supplémentaire.
Cette année de transition va-t-elle vous aider, vous et tous ceux qui veulent faire avancer le dossier des BIM, de sorte que vous n'aurez peut-être même pas à appliquer les règles provinciales?
Mme Wilson-Raybould : Plutôt que de nous concentrer sur la question des biens immobiliers matrimoniaux, essayons de voir comment nous pouvons aider les Premières nations pendant cette période de transition, au-delà de la période d'un an prévue dans le projet de loi. Comment pouvons-nous aider nos communautés à élaborer leurs propres institutions de gouvernance? S'agissant des BIM, il y a des exemples qu'on peut tirer de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations.
Toutefois, il faut adopter une approche plus globale pour que les Premières nations puissent régler elles-mêmes leurs problèmes dans leurs communautés et qu'elles puissent décider de leurs propres institutions de gouvernance, au-delà de la Loi sur les Indiens, lesquelles seront élaborées et légitimées par les citoyens de la communauté.
Le sénateur Nancy Ruth : Je comprends, mais toute la question de la réforme de la gouvernance, de la collaboration nécessaire avec ceux qui administrent la Loi sur les Indiens, et cetera, tout ça va prendre des années de travail.
En attendant, ne vaut-il pas mieux faire avancer ce dossier et combler ainsi une lacune qui est la source d'une discrimination considérable contre beaucoup de femmes?
Mme Wilson-Raybould : Nous croyons que l'adoption de ce projet de loi ne permettra pas de régler le problème de la violence contre les femmes et celui de l'accès à la justice. Il y aura peut-être des aspects des règles provisoires que les Premières nations voudront intégrer dans leur propre loi sur les biens immobiliers matrimoniaux, mais si l'année passe et que les règles provisoires continuent de s'appliquer, ça deviendra alors un système de règles et de lois qui sera imposé à la plupart des communautés... et je pense à ma communauté en particulier. Pour élaborer notre propre loi en matière de biens matrimoniaux, nous avons fait participer les membres de notre communauté pour tenir compte de nos expériences culturelles, de nos besoins et de nos priorités. Pour nous, c'est comme ça qu'il faut procéder pour élaborer une loi en matière de biens matrimoniaux, et c'est de cette façon que nous légitimons notre loi. En revanche, si les règles provisoires continuent de s'appliquer au-delà d'un an, nous ne voyons vraiment pas comment ces règles pourront être appliquées à notre communauté.
Comment pouvons-nous aider les Premières nations à élaborer leurs propres lois, afin de leur permettre d'arrêter, au niveau de leurs communautés, les priorités qui reflètent les réalités et la culture de leurs citoyens? Comment pouvons- nous mieux reconnaître la compétence des Premières nations en matière d'élaboration de leurs propres lois?
Le sénateur Nancy Ruth : Si l'APN appuyait cela, combien de temps vous faudrait-il pour les 500 bandes qui n'ont pas de régime sur les BIM?
Mme Wilson-Raybould : L'APN ne fait rien pour les communautés des Premières nations si ce n'est de les aider à avoir accès aux informations et aux outils dont elles ont besoin. Comme je l'ai dit, les communautés doivent pouvoir élaborer leurs règles et leurs lois en consultation avec leurs membres afin de tenir compte de leurs priorités.
À en juger par l'expérience de ma communauté et celle des communautés qui se sont prévalues des dispositions de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, j'estime qu'il est beaucoup trop optimiste de penser que les communautés pourront élaborer une loi sur les BIM en l'espace d'un an.
Lorsque ma communauté a commencé à être opérationnelle, nous pensions que nous pourrions le faire en un an, mais ça fait déjà un an et demi. Nous entamons maintenant la seconde lecture de notre projet de loi sur les BIM. Peut- être que le dépôt de votre projet de loi va accélérer les choses, mais je pense que nous allons passer à la troisième lecture, et ensuite à la ratification par la communauté, au plus tard en janvier 2012. Autrement dit, dans notre cas, il nous aura fallu près de deux ans.
Le sénateur Nancy Ruth : Je suis contente de vous entendre dire que le projet de loi va peut-être accélérer les choses.
Le sénateur Dyck : Je vous remercie de votre déclaration liminaire. Quand je suis devenu sénateur, j'ai été renversée d'apprendre que les femmes des Premières nations n'avaient pas les mêmes droits que les autres femmes d'une province ou d'un territoire. Cela m'a vraiment surprise; je me suis donc intéressée à ce dossier et j'ai assisté à plusieurs réunions sur des rapports antérieurs du Sénat. J'approuve donc entièrement le concept, mais ce qui me surprend à propos de ce projet de loi, c'est qu'un partenaire qui n'est pas membre des Premières nations — un mari, un époux ou un conjoint de fait — se voit conférer à peu près les mêmes droits qu'un partenaire qui est membre des Premières nations. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Est-il justifié d'accorder à un partenaire qui n'est pas une Première nation les mêmes droits qu'à celui qui l'est, lorsque tous les deux habitent sur une réserve? Pourquoi celui qui n'est pas une Première nation a-t-il les mêmes droits?
Mme Wilson-Raybould : C'est assurément une question qui se pose aux Premières nations du pays à propos des biens matrimoniaux. Il est important de reconnaître la compétence des Premières nations dans l'élaboration de lois dans ce domaine. C'est un droit important qu'il faut défendre, et vous soulevez des questions qu'il faut se poser au sujet de la situation des femmes des Premières nations et des citoyens de nos communautés, qu'ils vivent sur les réserves ou en dehors. Il est important de respecter et de reconnaître notre capacité d'élaborer des lois, et il faut que celles-ci le soient de façon à être acceptées par nos communautés.
Le sénateur Dyck : Toujours sur le même sujet, je voudrais dire qu'une étude a été faite par Stewart Clatworthy sur la fréquence des mariages mixtes, entre Indiens et non-Indiens. Elle a été publiée en 2007, elle est donc assez récente. Elle se fonde sans doute sur les données de 2006 de Statistique Canada.
Elle indique un taux élevé de couples mixtes avec enfants puisqu'en fait, sur environ les deux tiers des réserves, plus de 50 p. 100 des couples avec enfants sont des couples mixtes. Ce qui est vraiment surprenant, c'est que cela est beaucoup plus fréquent chez les femmes; autrement dit, il est beaucoup plus fréquent qu'une femme des Premières nations — et nous parlons de la protection des femmes — soit mariée à un non-Indien. Dans ce cas-là, si le couple qui vit sur la réserve se sépare, l'homme qui est non-Indien devrait-il avoir les mêmes droits que la femme des Premières nations?
Mme Wilson-Raybould : J'en reviens à ce que je disais tout à l'heure sur la nécessité de reconnaître la capacité des Premières nations de définir elles-mêmes leurs politiques dans ce genre de domaine. Que vous soyez Indiens ou non- Indiens, que vous soyez inscrits ou non, la question de la citoyenneté relève fondamentalement de la Première nation. Une fois que la Première nation a défini le statut de ses citoyens, c'est à elle de déterminer les règles ou les lois qui s'appliquent aux biens matrimoniaux dont vous parlez.
Le sénateur Dyck : Vous dites fondamentalement, si je peux reformuler votre réponse, que ce projet de loi empêche la Première nation d'exercer son droit de définir le statut et les droits de ses citoyens. Vous dites que ce projet de loi revient à imposer à une Première nation un système qui n'est pas le sien. C'est bien cela?
Mme Wilson-Raybould : Si la Première nation n'a pas adopté sa propre loi pendant les 12 mois prévus, les règles provisoires sur les biens matrimoniaux continuent de s'appliquer à elle. Comme je l'ai dit, la question des BIM recoupe beaucoup de sphères de compétence. Dans notre système de gouvernement, cela recoupe la question de la citoyenneté, la définition de citoyen, comment nous prenons des décisions au sein de nos communautés et en fonction de quels principes. Pendant cette période, les Premières nations doivent se choisir des institutions gouvernementales fondamentales qui tiennent compte des différentes sphères de compétence et déterminer comment elles peuvent adopter des lois dans certains domaines comme les biens matrimoniaux.
Le sénateur Brazeau : Vous parlez toujours d'« imposition de règles provinciales ». Que je sache, il y a eu des années de dialogues et de consultations au sujet des BIM. En fait, je crois même que bon nombre de ces discussions ont commencé en 2001, avec le projet de loi sur la gouvernance des Premières nations, à l'élaboration duquel j'ai directement participé. Depuis — en tout cas depuis 2007 ou 2008 — je sais que l'APN, comme d'autres organisations d'ailleurs, a reçu près de 3 millions de dollars pour organiser des consultations dans les communautés des Premières nations du pays. Ce projet de loi reflète une grande partie des suggestions qui ont été faites au cours de ces consultations. Alors pouvez-vous m'expliquer pourquoi vous estimez que ces règles vous sont « imposées »? À mon avis, bon nombre des recommandations qui ont été faites lors de ces consultations ont été prises en compte dans ce projet de loi. Il n'est peut-être pas parfait, mais voulez-vous dire que rien de ce que l'Assemblée des Premières Nations a recommandé dans le passé ne se retrouve dans ce projet de loi?
Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie de votre question, sénateur. J'ai parlé d'« imposition de règles provisoires », et non pas provinciales. Je pense au rapport de la représentante ministérielle il y a quelques années, je pense aux discussions que nous avons eues au sein de nos assemblées sur la façon de faire avancer le dossier de la gouvernance des Premières nations, et je pense surtout aux discussions que nous avons eues au sein de nos communautés sur la façon de faire avancer, au niveau communautaire, la réforme de la gouvernance, et je dois dire que nous avons parcouru beaucoup de chemin. Vous avez parlé des problèmes qui se sont posés eu égard à la loi sur la gouvernance. À l'heure actuelle, les Premières nations sont engagées dans un processus pour définir leurs priorités et les mettre en oeuvre, que ce soit dans le cadre d'ententes sectorielles ou d'ententes de gouvernance plus globales. La question qu'il faut se poser, c'est de savoir comment nous pouvons aider ces communautés concrètement. S'agissant de la question des biens matrimoniaux, il ne faut pas oublier que l'un des cas qui est à l'origine du problème est la cause Derrickson c. Derrickson. Il s'agissait d'une contestation judiciaire par la Westbank First Nation, au sujet d'une lacune législative pour ce qui est des réserves indiennes. À l'époque, cette communauté avait beaucoup de problèmes. Aujourd'hui, c'est l'une de celles qui a réussi à faire avancer la réforme de la gouvernance sur son territoire. Il est important d'appuyer les Premières nations qui s'engagent dans la réforme de la gouvernance — la définition de leurs besoins —, et comment les sénateurs ou les parlementaires peuvent aider les Premières nations qui s'engagent dans ce processus.
Le sénateur Brazeau : Comme je l'ai dit tout à l'heure, je ne suis pas du tout en désaccord avec cela. J'ai eu l'occasion, dans le passé, de participer à un grand nombre de tables rondes sur la réforme de la gouvernance. Nous pouvons certes parler de la Loi sur les Indiens et de la réforme de la gouvernance — et je suis sans doute tout à fait d'accord avec vous sur ce point —, mais nous parlons ici de la protection des droits des femmes autochtones et de leurs enfants en cas de séparation des conjoints. Je vais donc vous poser une question fort simple : ce projet de loi est-il nécessaire? Nous pourrions parler de gouvernance, je pourrais vous demander combien de temps il vous faudrait pour mener à bien cette réforme ou pour que les communautés des Premières nations aient le temps d'élaborer leurs propres lois afin que tout se passe sans heurts. Pour le moment, j'aimerais savoir si ce projet de loi en particulier est une bonne solution en attendant que la réforme de la gouvernance ait été menée à bien, ou que les Premières nations se soient dotées d'un vrai régime sur les BIM et qu'elles soient en mesure de s'engager dans la réforme de la gouvernance et de la Loi sur les Indiens.
Mme Wilson-Raybould : J'estime que s'il veut s'attaquer sérieusement au problème de la violence envers les femmes, s'il veut vraiment protéger les droits des femmes et les mettre à l'abri des problèmes connexes qui se sont posés à cause de ce projet de loi — et je ne les sous-estime pas, loin de là —, le gouvernement de ce pays doit rechercher une solution holistique au défi de la décolonisation, et être prêt à reconnaître qu'au-delà de la Loi sur les Indiens, la réforme de la gouvernance doit être menée par les Premières nations, au niveau de la communauté. Lorsque les communautés seront prêtes et disposées à réformer leur gouvernance, le Canada ne devrait pas empêcher les Premières nations qui le veulent de s'engager dans ce processus.
Le projet de loi S-2 est plein de bonnes intentions, mais il recoupe beaucoup de sphères de compétence et beaucoup de secteurs de gouvernance que les Premières nations vont devoir définir elles-mêmes, concrètement, au sein de leurs communautés. Le projet de loi S-2 ne va pas permettre de résoudre les problèmes dont vous parlez. Ce n'est qu'en aidant les Premières nations à réformer leur gouvernance qu'on pourra les régler.
Le sénateur Hubley : Dans le projet de loi S-2, le mot « collectif » est absent des clauses « il est entendu que » relatives aux intérêts sur des terres des Premières nations, mais il est par contre inclus dans la Loi sur la gestion des terres des premières nations.
À votre avis, l'absence du mot « collectif » modifie-t-elle la portée du titre? Devrait-on l'ajouter? Si oui, pourquoi?
Mme Wilson-Raybould : Vous avez parlé du régime de gestion des terres des Premières nations et des intérêts fonciers qui avaient été créés en vertu de ce régime. Les membres de la communauté ont le droit de détenir des intérêts fonciers, mais il a été décidé que, pour les Premières nations assujetties à la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, et pour les Premières nations qui ont négocié des ententes de gouvernance, les membres de la communauté ne peuvent pas céder les terres qu'ils possèdent sur les réserves.
Le sénateur Dyck : Quand vous dites qu'il a été décidé que les terres ne pourraient pas être cédées, que voulez-vous dire exactement? Pensez-vous que le projet de loi S-2 contient des dispositions comme celles de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations qui empêcheraient la cession de ces terres?
Le sénateur Andreychuk : À l'article 5 de la loi.
Le sénateur Dyck : Merci.
Mme Wilson-Raybould : Le projet de loi S-2 porte expressément sur les questions liées aux biens matrimoniaux, et pas sur la gestion des terres des réserves. À l'heure actuelle, le projet de loi est arrimé à un système défectueux, la Loi sur les Indiens, qui prévoit qu'on ne peut pas détenir des intérêts sur des terres des réserves sauf si la Première nation a signé une entente définitive ou un accord sectoriel qui crée de tels intérêts.
Le sénateur Andreychuk : Toujours sur le même sujet, je crois savoir que tout bien ou droit créé par le mariage ou l'union de fait serait assujetti à cette loi, mais l'article 5 indique très clairement — et quand le ministre comparaîtra, je lui poserai la question — que les titres détenus sur des terres de la réserve ne sont pas touchés par cette loi. Il est uniquement question ici des biens accumulés pendant que le couple vivait ensemble. Il n'est pas question des droits consacrés dans un autre texte, et il faudrait peut-être le préciser. C'est bien ça? Il y a des mariages entre deux Autochtones et des mariages mixtes. Les deux membres du couple décident un jour de vivre ensemble, mais il arrive, pour toutes sortes de raisons, que le couple se brise. Comme dans toutes les familles, lorsque les parents se séparent, il y a de bonnes et de mauvaises raisons. Ce qu'on veut ici, c'est que la séparation soit équitable, n'est-ce pas? Vous parlez des droits des Premières nations, des lois et des régimes, pour lesquels j'ai beaucoup de respect. Par contre, je m'inquiète pour les enfants, dont je n'ai pas beaucoup entendu parler jusqu'à présent. Quand les parents se séparent, les enfants en souffrent généralement beaucoup. Nous voulons faire quelque chose pour les aider à traverser cette phase difficile, et c'est pour ça que nous prévoyons, dans ce projet de loi, un mécanisme pour régler la situation, que la séparation ait lieu sur la réserve ou en dehors, ainsi que des services de counselling. Ce n'est peut-être pas la meilleure solution, mais étant donné que, pour l'instant, c'est le vide total, c'est quand même une façon d'aider les familles à traverser cette période difficile, et notamment les enfants. N'êtes-vous pas d'accord avec moi? Il est dit précisément ici que « la loi a pour objet l'adoption par les Premières nations de textes législatifs », et cetera. Il est question, partout dans la loi, des intérêts des enfants, et c'est ça mon objectif : veiller à ce que les enfants se sortent du mieux possible de la situation vraiment regrettable dans laquelle ils se retrouvent.
Mme Wilson-Raybould : À l'heure actuelle, les lois que les Premières nations ont adoptées sur les biens matrimoniaux prévoient généralement que l'enfant reste dans la maison. C'est très clair dans la loi des Premières nations Muskoday, et ça l'est aussi pour d'autres communautés des Premières nations qui ont légiféré dans ce domaine. Cela n'a rien à voir avec le régime foncier ou la gestion des terres. Il s'agit plutôt de définir la résidence et d'assurer l'équité. Tous les enjeux que j'ai mentionnés existent encore, mais celui-ci s'inscrit dans un objectif plus global que les communautés des Premières nations poursuivent pendant cette période de transition. Cela fait partie de la gouvernance des Premières nations. C'est dans ce contexte plus large que nous devons le replacer, c'est-à-dire la façon dont nous allons choisir de prendre des décisions au sein de la communauté, à partir de nos priorités et de nos objectifs, dans le meilleur intérêt des enfants, et la façon dont nous allons élaborer nos lois pour assurer la protection des membres de la communauté. Nous voulons agir en fonction des besoins de la communauté, et pas nous faire imposer des systèmes de gouvernance et des lois, comme dans ce cas, qui ne reflètent pas nécessairement les valeurs des Premières nations. Ce que nous voulons, c'est qu'on reconnaisse la compétence des Premières nations dans ce domaine-là. Nous avons adopté des lois dans ce domaine qui visent précisément, comme vous le préconisez, à protéger les intérêts des enfants.
Le sénateur Andreychuk : Si notre comité a entrepris ces études, c'est parce que des femmes autochtones nous ont dit que les choses n'avançaient pas et qu'elles et leurs enfants étaient plus vulnérables. Elles sont souvent obligées d'aller vivre à la ville où elles n'ont aucune ressource, et elles se retrouvent dans des situations encore plus précaires qui vulnérabilisent encore plus les enfants.
J'estime que notre priorité à tous est d'aider ces familles. Au cours de nos études, les femmes autochtones sont venues nous dire que les choses avaient très peu changé. Pourquoi? Maintenant vous nous dites que vous avez besoin de plus de temps pour mettre en œuvre ces dispositions. Mais vous avez eu des discussions avec le gouvernement du Canada? Je crois que je suis bien placée pour savoir ce qui s'est passé. Dans les communautés, parlait-on, avant que le Sénat n'entame ses études, des problèmes causés par la séparation ou le divorce? Parlait-on de la division des biens et de la protection des intérêts des enfants? Aviez-vous trouvé des solutions qui sont différentes de celles que nous avons ici — au sujet de la division des biens et de la protection des enfants?
Mme Wilson-Raybould : Cela fait des années que nous avons ce genre de discussions dans nos communautés, et pour beaucoup de communautés des Premières nations, ces discussions ont abouti à la nécessité de jouir d'une plus grande autonomie pour pouvoir être en mesure de régler les problèmes fondamentaux qui se posent aux membres de nos communautés, sur les réserves et en dehors. Les communautés doivent examiner ces problèmes non pas séparément mais dans un contexte plus global, afin de pouvoir trouver des solutions définitives qui refléteront les valeurs et les aspirations de leurs membres. C'est ce qui a amené des Premières nations comme la Première nation Westbank vers l'autonomie gouvernementale. Les communautés s'attaquent à ces problèmes de façon sectorielle ou progressive, et cela fonctionne plutôt bien. Dans la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, par exemple, il y a je crois 56 Premières nations, et il y en a d'autres en attente, qui veulent régler progressivement la question de la gouvernance. Lorsque des Premières nations sont prêtes et disposées à faire avancer la réforme de la gouvernance, comment le gouvernement du Canada peut-il les aider, comment peut-il contribuer à la déconstruction de la réalité de la Loi sur les Indiens, comment peut-il aider les communautés des Premières nations à se reconstruire? Comment peut-on s'assurer que, lorsque ces communautés seront prêtes à faire cela, le gouvernement ne se réinterposera pas pour les empêcher de progresser?
Le sénateur Martin : C'est une période qui arrive à sa fin, et je tiens à exprimer tout mon respect aux Premières nations de notre pays. Je viens de la Colombie- Britannique, comme vous, et à ce titre, je vous souhaite la bienvenue. Je suis heureuse de participer à cette discussion très importante. En tant que femme et mère, je comprends tout à fait les sentiments qui viennent d'être exprimés. Quand je vois deux personnes qui se mettent en couple et qui font face ensuite à une séparation, je me demande comment je réagirais si c'était ma fille qui était tombée amoureuse d'un Autochtone et qui était allée vivre avec lui sur une réserve? Le texte que nous proposons prévoit le partage des responsabilités et offre un filet de sécurité dans un premier temps. Si j'ai bien compris, la période de transition d'un an n'empêche pas une Première nation d'appliquer ses propres lois et d'adopter un régime sur les BIM. C'est un exercice qui peut prendre deux ou trois ans, et en attendant, quel filet de sécurité y a-t-il? S'il n'y en a pas, ce projet de loi, au moins, en offre un et prévoit le partage des responsabilités. Nous sommes ici pour essayer de trouver des solutions. J'ai examiné ce texte très attentivement, et j'estime que c'est une bonne solution pour assurer le partage des responsabilités entre les gouvernement fédéral, provinciaux et territoriaux, ainsi que les petites communautés de notre grande mosaïque canadienne. Si je comprends bien, c'est un exercice qui risque de prendre un certain temps, mais au moins, en attendant, il y aura un filet de sécurité pour les femmes et les enfants qui ont besoin de protection.
Vous avez parlé des problèmes d'accès à la justice, et je pense qu'il faudrait en parler plus longuement. Quels sont les obstacles?
Comment le gouvernement du Canada peut-il améliorer l'accès à la justice? Je pense que c'est quelque chose qu'on pourrait faire, dans une prochaine étape, une fois que le projet de loi S2 aura été adopté, c'est-à-dire une fois qu'on aura mis en place un filet de sécurité.
J'ai fait un long commentaire auquel j'ai intégré une question, et je vous invite, afin de ne pas prendre trop de temps, à me répondre brièvement ou à le faire par écrit, si cela vous convient.
Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie de votre question. Je suis parfaitement consciente de tous les enjeux que soulève ce projet de loi — la pénurie de logements, la violence conjugale, les difficultés économiques de nos communautés — et qu'il va falloir régler. Mais ce n'est pas l'adoption de ce projet de loi qui va les régler. J'estime que c'est au gouvernement qu'il appartient de veiller à ce que les financements soient suffisants pour enrayer la pénurie de logements, pour régler les problèmes auxquels font face les femmes dans nos communautés, pour assurer à ces femmes un règlement équitable et pour offrir à tous un accès raisonnable à la justice. L'adoption de ce projet de loi ne va pas résoudre nécessairement tous ces problèmes.
Vous me demandez ce que le gouvernement du Canada peut faire pour aider les Premières nations à régler elles-mêmes ces questions; je vous répondrai que le gouvernement du Canada peut appuyer nos efforts pendant cette période de transition, cette période de décolonisation, et nous aider à mener à bien la réforme de la gouvernance. Quand une Première nation est prête et disposée à le faire, il faut que le gouvernement sache se mettre en retrait et reconnaître notre droit inhérent à nous gouverner nous-mêmes. Le type de gouvernance que nous adopterons sera déterminé par nos communautés et sera légitimé par nos citoyens; c'est, pour les Premières nations, la seule façon de progresser.
Pour le moment, nous sommes en train de reconstruire nos communautés, mais nous pouvons en même temps nous occuper des problèmes dont vous parlez.
La présidente : Je vous remercie d'être venues, chef régional Wilson-Raybould et madame Campbell. Ce que vous nous avez dit est matière à réflexion et va nous aider dans notre étude. Merci d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est le projet de loi S-2, qui est mort au Feuilleton avec la dissolution du Parlement en mars 2011. Trois changements importants ont été apportés à la version antérieure, pour tenir compte des réserves soulevées par certains membres du comité et par des témoins, au cours de notre étude du projet de loi S-4. Le premier changement est la suppression du mécanisme de vérification, y compris le rôle du vérificateur. Plusieurs témoins et membres du comité estimaient que la création d'un tel mécanisme était paternaliste. Je me réjouis que notre gouvernement ait tenu compte de ces critiques et qu'il ait décidé de supprimer complètement ce mécanisme dans le nouveau projet de loi.
Le deuxième changement est l'abaissement du seuil de ratification lors d'une consultation populaire. Au cours de nos réunions, plusieurs de mes collègues et moi-même estimions que le seuil de ratification était trop élevé, et qu'il semblait déraisonnable. En effet, il aurait alors été extrêmement difficile pour les communautés des Premières nations d'adopter leurs propres lois sur les biens immobiliers dans les réserves.
Le projet de loi que nous avons aujourd'hui abaisse ce seuil de ratification à la majorité simple, avec un taux de participation au vote d'au moins 25 p. 100 des personnes habilitées à voter.
Le troisième changement porte sur la période de transition. Le projet de loi S-4 ne prévoyait aucune période de transition; il était censé entrer en vigueur le jour fixé par décret. Le projet de loi S-2, lui, prévoit une période de transition de 12 mois, afin de permettre aux Premières nations de mener à bien le processus d'élaboration de leurs propres lois dans lequel elles se sont engagées.
Monsieur le ministre, nous savons que vous prendrez en compte les autres suggestions que nous vous ferons. Nous vous souhaitons à nouveau la bienvenue parmi nous et avons hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire. Vous êtes accompagné de Line Paré, directrice générale des relations extérieures et problématiques hommes-femmes, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, et de Karl Jacques, avocat-conseil, opérations et programmes, Justice Canada. Nous vous écoutons.
L'honorable John Duncan, C.P., député, ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien : Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous. Permettez-moi de faire quelques remarques au sujet du projet de loi, après quoi, je serai heureux de répondre à vos questions.
L'an dernier, votre comité a examiné le projet de loi S-4 sur les biens immobiliers matrimoniaux, et a adopté toute une série d'amendements. Le projet de loi S-2 incorpore non seulement ces amendements mais aussi, comme vous l'avez dit, trois autres modifications qui répondent à des critiques formulées lors des audiences.
J'estime que le projet de loi dont vous êtes maintenant saisis représente un ensemble de solutions justes et équilibrées, et qu'il constitue le meilleur moyen, pour le gouvernement du Canada, de réparer une injustice qui est à la source de nombreuses souffrances.
Au cours de votre examen du projet de loi S-2, je vous invite tous à bien peser toutes les conséquences du projet de loi, en particulier pour les femmes autochtones et leurs enfants qui se trouvent aujourd'hui dans des situations très précaires parce qu'ils n'ont pas accès aux droits et aux protections offerts par le projet de loi.
Je n'arrive toujours pas à comprendre comment on peut s'opposer au projet de loi, mais je suis convaincu qu'une fois que le comité aura bien analysé tous mes arguments, ce texte ralliera tout le monde.
Il y a trois critiques qui ont été faites et sur lesquelles j'aimerais plus particulièrement m'attarder. La première est que le projet de loi S-2 permet à un non-Autochtone de devenir propriétaire de terres d'une réserve. C'est complètement faux. Même si un juge accorde à un non-Autochtone le droit d'occuper temporairement un logement situé sur la réserve, cela ne donne aucunement à cette personne un titre sur des terres de la réserve. Rien dans ce projet de loi n'autorise un juge à modifier en quoi que ce soit le statut de propriété en commun des terres des Premières nations.
La deuxième critique est que le projet de loi S-2 accorde aux juges des tribunaux provinciaux des pouvoirs de décision sans précédents dans les cas de séparation ou de divorce de couples vivant sur la réserve. Encore une fois, ce n'est pas du tout la vérité. Depuis longtemps, les juges provinciaux ont le pouvoir de statuer dans bien des cas liés au mariage ou à la séparation d'un couple vivant sur la réserve. Par exemple, la loi leur donne le pouvoir de régler des conflits comme la garde des enfants et la répartition des biens, par exemple une voiture et d'autres biens personnels. Le projet de loi S-2 élargit simplement le pouvoir des juges provinciaux aux conflits liés à des biens immobiliers matrimoniaux situés sur des réserves.
La troisième critique souvent proférée à l'égard du projet de loi est que certaines Premières nations ont déjà adopté leurs propres lois pour régler ce genre de conflits, ce qui sous-entend que le projet de loi S-2 est inutile. Certaines lois existent peut-être dans certaines communautés, mais il n'y a pas de mécanismes juridiques qui permettent l'application de ces lois. À l'heure actuelle, les seules lois adoptées par une Première nation qu'un tribunal peut faire appliquer sont celles qui ont été élaborées dans le cadre d'une entente d'autonomie gouvernementale ou dans le cadre de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations.
Madame la présidente, j'aimerais tout particulièrement vous présenter, aujourd'hui, les principales caractéristiques du projet de loi S-2. Premièrement, c'est un mécanisme que les Premières nations pourront utiliser pour élaborer, mettre en oeuvre et appliquer leurs propres lois sur les droits et intérêts matrimoniaux. Ce projet de loi donne à une Première nation la possibilité de codifier son mécanisme traditionnel de résolution des conflits, et les recours pertinents, afin de leur donner force de loi.
Deuxièmement, une fois qu'elles seront en vigueur, les règles provisoires fédérales accorderont aux personnes qui vivent sur les réserves des droits et des protections semblables à ceux dont jouissent les personnes qui vivent à l'extérieur des réserves, à moins que les Premières nations n'aient adopté leurs propres lois. Pour l'application des règles provisoires fédérales, le projet de loi S-2 oblige les tribunaux à tenir compte des intérêts des Premières nations lorsqu'ils doivent statuer sur des cas liés à des terres situées sur des réserves.
J'avais l'intention de vous décrire les trois changements qui ont été apportés au projet de loi S-2 par rapport aux versions antérieures de ce texte, mais vous en avez fait un excellent résumé dans votre introduction. Permettez-moi toutefois de les mentionner encore une fois. Le projet de loi dont vous êtes saisis prévoit une période de transition de 12 mois pour donner aux Premières nations le temps d'élaborer et de ratifier leurs propres lois avant l'entrée en vigueur des règles fédérales. De plus, deux autres changements importants ont été apportés au processus de ratification des lois élaborées par les Premières nations. Nous avons supprimé le mécanisme de vérification et le poste de vérificateur, et nous avons abaissé le seuil de ratification. Ces deux changements faciliteront la tâche aux Premières nations qui veulent adopter leurs propres lois, sans nuire à l'intégrité du projet de loi puisqu'il faudra faire tous les efforts raisonnables pour informer les membres, sur les réserves et hors réserves, du contenu des lois élaborées par une Première nation et sur lesquelles ils sont appelés à voter. Ces changements permettent en même temps de supprimer les obstacles qui auraient pu empêcher des Premières nations de ratifier leurs propres lois. Notre gouvernement reconnaît que les Premières nations sont les mieux placées pour élaborer leurs propres lois dans ce domaine, et ces changements les aideront à le faire.
Il est temps de régler cette question une fois pour toutes. Nous reconnaissons tous que le statu quo est inacceptable. Il est inacceptable depuis 25 ans, et pourtant, il dure. Faute d'un projet de loi, cette lacune législative continuera d'avoir des effets délétères sur certaines personnes. Ces personnes sont le plus souvent des femmes et des enfants — qui comptent déjà parmi les personnes les plus vulnérables de toute la population canadienne —, et, à l'heure actuelle, aucun tribunal ne peut leur venir en aide. Contrairement à la plupart des autres Canadiens, ces personnes ne peuvent pas demander à un tribunal de délivrer une ordonnance de protection d'urgence ou de leur offrir d'autres recours.
Le projet de loi S-2 vise à faire respecter les droits de ces personnes-là et de leur donner la protection nécessaire. Il vise aussi à aider les Premières nations à se doter de mécanismes juridiques efficaces pour élaborer et faire appliquer dans leurs communautés des lois relatives aux biens immobiliers matrimoniaux. Enfin, le projet de loi est la réponse à de nombreux appels qui ont été faits en vue d'une intervention législative et constitue, au final, la décision qu'il fallait prendre au nom de tous les Canadiens.
Votre comité étudie cette question depuis longtemps et a eu l'occasion d'entendre un grand nombre de témoins l'an dernier. C'est une question qui a aussi fait l'objet d'un grand nombre d'études qui concluaient pratiquement toutes qu'il fallait adopter un projet de loi pour mettre fin à cette injustice.
J'espère que vous saurez mener rapidement votre étude et que je serai bientôt en mesure de dire à ceux qui habitent dans les réserves qu'ils ont les mêmes droits et les mêmes protections que les Canadiens qui habitent en dehors des réserves.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Vous avez dit, à juste titre, que nous étudions ce projet de loi, et ses versions antérieures, depuis un certain temps déjà. Bon nombre des femmes et des enfants qui habitent sur les réserves comptent parmi les personnes les plus vulnérables de la population canadienne, vous avez raison de le dire, et ils n'ont pratiquement pas accès aux tribunaux. La période de 90 jours me préoccupe beaucoup. Le paragraphe 16(1) du projet de loi S-2 porte que :
Sur demande ex parte de l'époux ou conjoint de fait, le juge désigné de la province où est situé le foyer familial peut, aux conditions qu'il précise, rendre une ordonnance — dont la durée maximale est de quatre-vingt-dix jours [...]
Plus loin, le paragraphe 17(8) prévoit que l'époux ou conjoint de fait peut demander un autre délai de 90 jours, ce qui fait au total six mois pour une ordonnance de protection d'urgence.
Monsieur le ministre, est-ce au cours des consultations que les communautés des Premières nations vous ont dit qu'elles ne voulaient qu'une période de 90 jours? Comment en est-on arrivé à fixer cette période de 90 jours?
Karl Jacques, avocat-conseil, Opérations et programmes, ministère de la Justice Canada : Je vais vous répondre, madame la présidente.
M. Duncan : Je vous en prie, monsieur Jacques.
M. Jacques : C'est calqué sur la loi provinciale. Comme vous le savez, les règles fédérales s'inspirent généralement des dispositions correspondantes des lois provinciales. Ce n'est pas la même période dans toutes les provinces. Nous avons retenu celle de 90 jours parce que c'est ce que prévoient certaines provinces. D'autres prévoient une période plus longue. Mais nous avons estimé que, étant donné que c'est un sujet sensible et qu'il s'agit d'intérêts sur des terres, il était suffisant d'avoir une période de 90 jours, quitte à la prolonger d'une deuxième période de 90 jours le cas échéant. Bref, nous nous sommes inspirés de la période en vigueur dans certaines provinces, parce que si nous avions prévu une période plus longue, il aurait peut-être été difficile de la faire accepter.
La présidente : Cela me préoccupe. L'Ontario n'a pas fixé de période de 90 jours, c'est le juge qui décide. C'est la même chose en Colombie-Britannique. Il n'y a qu'à Terre-Neuve-et-Labrador que cette période est fixée à 90 jours, mais le juge peut la prolonger de la durée qu'il estime nécessaire. Aucune province ne fixe une période de 90 jours qui peut être prolongée d'une autre période de 90 jours, soit un total de 180 jours, et pas plus.
Je suis d'accord avec le ministre pour dire que ce sont les femmes les plus vulnérables du monde. Des témoins nous ont dit qu'elles n'avaient pratiquement pas accès aux services d'aide juridique. Dans ce cas, on oblige les femmes à s'adresser une première fois à un juge, et ensuite une deuxième fois, puis après six mois, c'est fini. Pourquoi imposer une telle limite? Pourquoi ne pas laisser le juge décider de la période la plus appropriée dans chaque cas particulier?
M. Jacques : Il ne faut pas oublier que ce sont des dispositions d'urgence. Fixer une période plus longue reviendrait à présumer que la situation d'urgence est encore une situation d'urgence. Or, la protection d'urgence n'est valable que pendant un certain temps. Si le couple se sépare, vous pouvez alors demander une ordonnance d'occupation exclusive pendant une période plus longue. Après un an, il est difficile de prétendre qu'une situation est toujours une situation d'urgence.
La présidente : Cela, nous l'ignorons. Les circonstances varient. L'Ontario n'a pas de période fixe, c'est au juge de décider. La Colombie-Britannique n'a pas de période fixe non plus. La seule province qui fixe une période de 90 jours, c'est Terre- Neuve-et- Labrador, et encore, le juge peut la prolonger de la période qu'il estime nécessaire. Nous prétendons que notre loi offre une protection identique à toutes les femmes du Canada, mais ce n'est pas vrai. Vous limitez cette condition aux femmes des réserves. Pourquoi?
M. Duncan : Si je vous comprends bien, madame le présidente, vous préféreriez qu'en cas de prolongation de la première période, c'est le juge qui décide de la durée de cette prolongation.
La présidente : Oui, car c'est de cette façon qu'on accordera la même protection à toutes les femmes. Merci, monsieur le ministre.
Le sénateur Brazeau : Bonjour, monsieur le ministre. Certains détracteurs de la version antérieure du projet de loi S-2, le projet de loi S-4, et du projet de loi actuel, y compris le témoin qui vous a précédé, ont dit que ce projet de loi serait imposé aux communautés des Premières nations si elles n'élaboraient pas leur propre régime sur les BIM pendant la période de transition de 12 mois.
Je reste convaincu que ce projet de loi et sa version antérieure ont été élaborés à partir des résultats des nombreuses consultations qui ont été organisées dans tout le pays pendant des années. En fait, on a dépensé environ 8 millions de dollars en consultations avant d'élaborer un projet de loi.
Il ne faut pas oublier que le projet de loi S-2 prend en compte des recommandations que nous ont faites des témoins lorsqu'ils ont comparu au sujet du projet de loi S-4. Vous avez mentionné les trois principaux changements que nous avons introduits. Les détracteurs de l'ancien projet de loi nous ont fait maintes suggestions pour l'améliorer; vous avez su les écouter et maintenant nous avons ce nouveau projet de loi.
Ce projet de loi a-t-il été élaboré à la suite des consultations qui se sont déroulées dans tout le pays au cours des dernières années, ou bien est-il vraiment imposé aux communautés des Premières nations?
M. Duncan : Permettez-moi de remonter avant le début des consultations. Il y a eu deux décisions judiciaires, Derrickson c. Derrickson et Paul c. Paul, qui ont mis au jour une lacune de la loi pour ce qui est des intérêts sur les biens immobiliers matrimoniaux situés sur des réserves.
En 1999, soit 13 ans après la première décision judiciaire, l'Association des femmes autochtones du Canada a intenté une poursuite contre le gouvernement du Canada au motif que nous n'avions pas pris les mesures nécessaires pour combler cette lacune. Cette poursuite est en attente. Et en 2012, ça fera 13 ans qu'elle est en attente de mesures législatives appropriées.
Pendant toute cette période, il y a eu des discussions. C'est la quatrième fois que nous présentons un projet de loi. Vous avez raison. Nous avons dépensé des millions de dollars — à l'extérieur du ministère — en consultations. De plus, nous avons été très réceptifs vis-à-vis des recommandations qui nous ont été faites, et nous ne fermons pas nécessairement la porte à d'autres changements. Les questions posées par la présidente sont un bon exemple.
Je n'arrive pas à comprendre qu'on en soit toujours là sur cette question des droits de la personne, alors que c'est une injustice qui est à l'origine de tellement de souffrances — et j'ai des exemples qui vous feraient dresser les cheveux sur la tête — de souffrances, dis-je, de morts, de misère, d'exclusion du foyer familial, et cetera, qu'on aurait peut-être pu éviter si une loi avait été en vigueur. Je constate qu'il n'y avait pas une volonté réelle de régler ce problème et que les obstacles qui se sont dressés participaient à davantage de motifs politiques.
Oui, j'estime que nous avons démontré que nos consultations ont été exhaustives et que nous avons su tenir compte des suggestions qui nous ont été faites, mais maintenant, il est temps de passer à l'action. Je vous remercie de votre question, car j'ai l'impression que nous sommes sur la même longueur d'onde.
Le sénateur Brazeau : Je vous remercie de votre réponse. Permettez-moi de vous parler un peu de mon expérience. Moi aussi je travaille sur ce dossier depuis près de 10 ans. Bon nombre des femmes autochtones qui ont souffert de l'absence d'un régime sur les BIM dans les réserves et auxquelles j'ai eu l'occasion de parler pendant cette période se sont montrées généralement favorables à l'adoption d'un projet de loi pour combler cette lacune. Pourtant, quand vous parlez à des chefs autochtones, certains — pas tous — s'opposent à toute tentative visant à protéger les droits des femmes autochtones et de leurs enfants. Je le dis peut-être un peu trop crûment, mais on a vraiment l'impression que ceux qui reçoivent les fonds nécessaires pour organiser des consultations dans certaines communautés sont complètement déconnectés de la situation des femmes autochtones qui souffrent de l'absence d'un tel projet de loi. On dirait qu'ils ne sont pas d'accord sur ce qu'il faudrait faire.
Pourriez-vous nous faire part des expériences et des témoignages que vous ont confiés des femmes autochtones au cours des dernières années?
M. Duncan : Je peux vous dire que j'ai entendu parler de certains cas très personnels. Pendant les consultations qui ont précédé ce projet de loi, l'Association des femmes autochtones du Canada a dit que beaucoup de femmes des Premières nations « craignaient pour leur sécurité si elles participaient aux consultations, et en conséquence, elles se sont abstenues ». Je suis convaincu que c'est vrai.
Il y a quelqu'un que j'ai recommandé à votre comité, et vous lui avez peut-être déjà parlé, il s'agit de l'ancien chef Judith Sayers, de l'île de Vancouver. C'est un excellent porte-parole des Premières nations, et elle est avocate. Elle a eu à connaître d'un grand nombre de dossiers de séparation de couple et de garde des enfants, et elle sait combien ce projet de loi est nécessaire et urgent, mais elle ne comprend pas pourquoi il se heurte à autant de résistance depuis toutes ces années. Si vous n'avez pas eu l'occasion de lui parler, je vous encourage à mettre son nom sur votre liste.
Le sénateur Brazeau : Merci.
Le sénateur Dyck : Je vous remercie de vos remarques liminaires, monsieur le ministre. Elles étaient très claires.
Je voudrais vous poser une question au sujet de l'occupation exclusive du foyer familial. Je n'ai absolument rien contre les dispositions du projet de loi qui concernent les ordonnances d'occupation exclusive. Il est évident que nous voulons tous protéger les femmes et les enfants, que ce soit ou non des membres des Premières nations. Il faut protéger l'unité familiale et surtout, ceux qui sont les plus vulnérables. Ce qui me préoccupe, c'est que les dispositions relatives à l'occupation exclusive du foyer familial sont les mêmes, que l'on soit ou non membre des Premières nations.
Dans votre déclaration, vous avez dit très clairement qu'il est impossible qu'un non-Autochtone puisse acquérir des titres sur des terres des réserves, mais lorsque nous examinions le projet de loi antérieur, des représentants de l'Association du Barreau autochtone et de l'Association du Barreau canadien nous avaient dit — je ne me souviens pas en quels termes exactement — qu'il y avait quand même une possibilité. Comment peut-on concilier ces deux affirmations?
M. Duncan : Je vais demander à mon ami avocat de vous répondre.
M. Jacques : Je ne comprends pas comment ils peuvent affirmer cela. La loi stipule très clairement qu'il n'y a pas de titres sur les terres. Il n'y a pas de transfert de titres, et tout ce qui est accordé à l'époux, c'est le droit d'occuper le foyer familial à titre temporaire. Ce n'est pas un droit qui peut être transféré à quelqu'un d'autre.
Le projet de loi prévoit toute une série de critères, qui devront pour la plupart être pris en compte par le juge, notamment un critère qui a été ajouté lors de la dernière législature, à savoir les liens que l'époux a avec la communauté. C'est un facteur qui sera pris en compte par le juge, lequel tiendra compte aussi des enfants, s'il y a lieu.
Lorsque la situation est à peu près semblable à celle d'une personne qui vit en dehors de la réserve, on ne fixera pas une période plus longue, à moins qu'il y ait une raison de le faire.
Le sénateur Dyck : Vous venez de dire qu'un juge pouvait prendre une ordonnance d'occupation temporaire du foyer familial, mais je ne pense pas qu'il y ait le mot « temporaire » à l'article 20. Il faudrait peut-être préciser que l'ordonnance s'applique pendant un certain nombre d'années.
M. Jacques : On dit à l'article 20 : « aux conditions et pour la période qu'il précise ».
Le sénateur Dyck : Oui, mais on ne dit pas « temporaire ». Je crois qu'ils disaient que ça pourrait être 20 ans ou quelque chose du genre.
Line Paré, directrice générale, Relations extérieures et problématiques hommes-femmes, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Le juge devra prendre en compte un certain nombre de considérations. La première concerne les enfants. Par exemple, prenons le cas d'une mère avec trois enfants — c'est un exemple, mais nous avons entendu des histoires de ce genre —, les enfants sont à l'école primaire, ils vivent dans leur communauté, et les grands- parents sont présents. Le juge tiendra compte de tout cela, ainsi que d'autres facteurs. Il pourra par exemple décider que les enfants doivent pouvoir terminer leur année scolaire et que par conséquent il faut plus de temps pour la mère — n'oublions pas que ces enfants sont membres de la communauté. Le juge pourra donc décider que les enfants finiront leur année scolaire ou même qu'ils resteront dans la communauté plus longtemps, jusqu'à la fin de l'école primaire, jusqu'au moment où ils iront à l'école secondaire.
S'agissant d'une ordonnance d'occupation exclusive, le juge devra prendre en compte un certain nombre de considérations. Comme l'a dit mon collègue, ce projet de loi ne change rien au titre sur les terres des réserves; un non- Autochtone ne pourra pas posséder une maison ou des terres de la réserve dans la communauté. C'est bien précisé dans le projet de loi.
Le sénateur Dyck : Vous dites que le juge devra tenir compte du fait que les enfants auront peut-être besoin de finir leur année scolaire. Mais si les enfants ne sont pas membres de la bande, pourront-ils fréquenter l'école de la bande? S'ils ne sont pas membres de la bande, celle-ci sera-t-elle obligée de leur fournir les services qu'elle offre aux autres enfants? Autrement dit, il se peut qu'ils habitent dans le foyer familial mais qu'ils ne puissent pas fréquenter l'école de la communauté.
Mme Paré : Si les enfants habitent dans la communauté, il faudra prendre des dispositions pour qu'ils puissent aller à l'école de la communauté ou dans une école hors de la réserve. Tous ces facteurs seront pris en considération par le juge.
Le sénateur Dyck : Permettez-moi de poursuivre sur ce sujet, car l'idée qu'un non-Autochtone puisse avoir accès à des terres des Premières nations est une grande source de préoccupation dans les communautés. Je me souviens que, la première fois que j'ai entendu parler de ce projet de loi, j'en ai parlé avec un chef de l'Ontario qui m'a dit qu'il en appuyait le principe, mais que par contre il craignait qu'on se retrouve avec un ensemble disparate où, dans certaines réserves, des terres finiraient par appartenir, avec les titres fonciers applicables, à des non-Autochtones. Ce n'est peut- être pas justifié, mais c'est ce que les gens craignent.
Le paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens stipule que l'occupation d'une terre de la réserve par une personne qui n'est pas membre de la bande nécessite l'approbation du conseil de bande au bout d'un an. Est-il possible que ce projet de loi aille à l'encontre de la Loi sur les Indiens et qu'on ne dise rien?
M. Jacques : À ce moment-là, il s'agirait d'une personne qui habite déjà sur la réserve. Ce n'est pas comme si quelqu'un de l'extérieur décidait de venir construire une maison sur une terre de la réserve. Il s'agirait donc d'une personne qui habite déjà sur la réserve et dont il faut protéger les droits.
Le sénateur Dyck : Oui, mais dans certains cas, l'époux en question n'est pas un membre des Premières nations, et c'est ça qui me préoccupe. Je crois que toutes les Premières nations croient à l'autonomie gouvernementale, et qu'une personne qui n'est pas membre des Premières nations ne devrait pas avoir nécessairement les mêmes droits. Pour moi, c'est un peu ça le problème.
M. Jacques : Ce sont des facteurs que le juge devra prendre en considération. Sans compter que la Première nation pourra comparaître devant le juge pour expliquer tout le contexte social. Par conséquent, le juge prendra une décision en fonction de tous ces facteurs.
Le sénateur Dyck : Vous avez parlé, dans votre déclaration liminaire, de la Loi sur la gestion des terres des premières nations et de la Loi sur l'autonomie gouvernementale des premières nations. Envisage-t-on, dans ces deux lois, la possibilité qu'une maison puisse être attribuée à une personne qui n'est pas membre des Premières nations? Que dit-on à cet effet?
M. Duncan : Que je sache, elles disent la même chose que ce projet de loi.
Je sais que certaines communautés sur les réserves sont très intégrées avec la communauté adjacente, de sorte que le chef et le conseil doivent composer avec la présence, sur la réserve, d'un grand nombre de non-membres qui ont épousé un membre. Les enfants issus de ces mariages ne sont pas toujours des Indiens. De façon générale, je crois que les enfants des Premières nations fréquentent souvent des écoles hors réserve parce qu'il n'y a pas d'école sur la réserve même, et vice versa.
C'est tout simplement la réalité. Je ne pense pas qu'il soit très utile de tracer une ligne de démarcation très nette quand on parle de droits de la personne.
Le sénateur Dyck : Je suis tombée sur un rapport, que j'ai évoqué avec les témoins précédents, qui portait sur les couples mixtes, entre un membre de la Première nation et un non-membre, qui vivent sur une réserve. Dans plus de deux tiers des réserves, il y a plus de 50 p. 100 de couples mixtes, ce qui montre bien qu'il faut protéger les deux conjoints, qu'ils soient Premières nations ou non. La question est de savoir si cette protection doit être la même pour les deux. Ce qui est intéressant, toutefois, c'est que nous parlons de protéger les femmes et les enfants. Or, dans la plupart de ces couples mixtes, c'est la femme de la Première nation qui a épousé un non-membre de la Première nation. Est-ce un facteur important quand on parle de protéger les femmes et les enfants? Parce qu'à ce moment-là, ce sont les hommes qui n'auraient pas les mêmes droits. Ce sont eux qui seraient priés de partir, pas les femmes.
M. Duncan : Le projet de loi n'est pas sexospécifique, il s'applique également aux deux sexes. Tout ce que nous disons, c'est que les femmes et les enfants sont, en général, les plus vulnérables. Si c'est l'homme qui est victime de maltraitance, ce qui n'est pas impossible, il peut lui aussi se prévaloir de la protection offerte par le projet de loi.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur le ministre, je ne sais pas si je dois adresser ma question à vous ou à votre conseiller juridique. Nous employons l'expression « non-membre de la Première nation », mais n'y a-t-il pas d'autres membres de la bande qui sont dans la même situation, sur une réserve donnée? Autrement dit, les droits qu'accorde la réserve, elle les accorde aux membres de la bande. En cas de mariage mixte ou en cas d'union de fait entre deux Autochtones, si le couple décide de vivre sur une propriété de la bande, l'autre conjoint est considéré comme un non- Autochtone, n'est-ce pas? Les droits en question sont accordés à ceux qui sont des membres reconnus de la bande, et tous les autres — Autochtones, Métis ou autres — sont dans une autre catégorie. Qu'on soit Autochtone ou pas, les droits sont accordés aux membres de la réserve.
M. Jacques : Vous avez raison. Le projet de loi utilise l'expression « non-membre » et, par conséquent, un Autochtone d'une autre communauté serait considéré comme un non-membre de la réserve, sous réserve bien sûr de la décision de la communauté.
Le sénateur Andreychuk : En effet, ce sont les membres de la communauté qui décident qui peut vivre sur la réserve et qui peut jouir des droits et autres avantages accordés. C'est bien cela?
M. Jacques : En effet.
Le sénateur Andreychuk : Je voulais être sûre de bien comprendre.
Le sénateur Dyck : L'article 20 dit précisément « l'époux ou conjoint de fait, qu'il soit ou non membre d'une première nation ou Indien », comme vous l'avez dit. Ces deux termes sont très différents.
M. Jacques : Il pourrait arriver qu'un Indien non inscrit soit membre d'une bande. L'emploi de ces deux termes signifie qu'être membre est une chose, et être Indien inscrit en est une autre. Mais au final, c'est aux membres de la bande de décider.
Le sénateur Dyck : Je me trompe peut-être, mais j'en conclus que si vous êtes le conjoint et que vous n'êtes ni membre de la Première nation ni un Indien, vous avez le même statut que le membre de la bande qui est Première nation et qui peut être un Indien. C'est ça?
M. Jacques : Je pensais que nous discutions des droits que le projet de loi accorde aux non-membres, en comparaison de ceux qu'il accorde aux membres.
Le sénateur Dyck : Le projet de loi dit membre ou Indien.
Le sénateur Andreychuk : Comment doit-on interpréter le paragraphe 20(1)?
M. Jacques : Il dit que je le conjoint peut être un Indien ou un membre de la bande. Vous pouvez être un Indien sans être membre de la bande.
Le sénateur Dyck : Il dit précisément : « l'époux ou conjoint de fait, qu'il soit ou non membre d'une première nation ou Indien ».
M. Jacques : Le paragraphe accorde ce droit à quiconque est un époux ou conjoint de fait.
Le sénateur Dyck : Précisément, et c'est ce qui me préoccupe puisqu'il s'agit d'accorder ce droit à quiconque, qu'il soit ou non membre d'une Première nation ou Indien.
M. Jacques : Excusez-moi, mais je ne saisis pas la distinction.
Le sénateur Dyck : C'est un peu confus.
J'aimerais vous poser une autre question. Êtes-vous au courant des dispositions adoptées par la bande indienne du Lac La Ronge au sujet des biens matrimoniaux? Dans leur code, ils font la distinction entre partenaire indien et partenaire non indien.
M. Duncan : Je ne suis pas au courant de ce cas précis, mais je sais qu'un grand nombre de conseils de bande prennent des initiatives dans ce domaine. Je suppose que les textes adoptés varient d'une bande à l'autre.
Le sénateur Dyck : Ils demandent aux conjoints non membres de signer une déclaration dans laquelle ils s'engagent à ne pas revendiquer d'intérêt sur des terres. C'est on ne peut plus clair. Reste à savoir si la situation est aussi claire que vous le dites dans votre résumé, compte tenu de ce que nous disent d'autres témoins. Nous allons sans doute devoir décider dans quelle mesure nous voulons que le texte soit clair. Pensez-vous qu'on pourrait ajouter une ligne ou un énoncé, dans le projet de loi, indiquant clairement notre intention? Pour que tout soit parfaitement clair?
Le sénateur Hubley : Je vous remercie de venir nous rencontrer pour nous aider dans notre tâche.
J'aimerais parler de ce qui va se passer après, et vous demander si des fonds vont être mis à la disposition des communautés des Premières nations pour les aider à élaborer leurs propres lois sur les foyers familiaux, les intérêts matrimoniaux et les droits afférents?
M. Duncan : Non, ce n'est pas le scénario que nous avons prévu. Nous envisageons de créer un centre d'excellence. Une organisation nationale de Premières nations, apolitique, pourrait donner des conseils non contraignants sur les orientations du centre, dans des domaines comme la recherche et les initiatives de mise en oeuvre. On prévoit que le comité consultatif sera composé des principaux acteurs, notamment des organisations autochtones, des ONG, du personnel du centre d'excellence et le gouvernement du Canada.
On cible également une représentation de 50 p. 100 des femmes parmi le personnel, dans un rôle consultatif, afin que les problèmes des femmes soient bien pris en compte.
Nous pensons que c'est la solution. Cela reprend le modèle que nous avons utilisé dans d'autres domaines.
Le sénateur Hubley : Où sera-t-il situé?
M. Duncan : L'édifice lui-même?
Le sénateur Hubley : Oui.
M. Duncan : Ce n'est pas encore décidé.
Le sénateur Hubley : Y aura-t-il un seul centre d'excellence, ou pourra-t-il y en avoir plusieurs dans le pays?
Mme Paré : Selon le scénario dont a parlé le ministre Duncan, on prévoit de créer un centre d'excellence national qui proposera aux Premières nations des conseils non contraignants, des outils et peut-être des modèles pour les aider à élaborer leurs propres lois et à en informer les habitants de leurs communautés.
En plus du centre d'excellence, on prévoit de lancer une campagne pour informer le public sur le contenu du projet de loi et sur sa mise en oeuvre. Des crédits seront débloqués pour assurer la formation des juges et des agents de police, afin de faciliter la mise en oeuvre du projet de loi.
La présidente : Où sera-t-il situé, et quel sera son budget?
Mme Paré : Le lieu d'implantation de ce centre n'a pas encore été décidé. Le ministre Duncan en parlera à ses collègues du Conseil du Trésor dès que le projet de loi aura été adopté.
M. Duncan : Peut-être à Campbell River, en Colombie-Britannique, ce serait un bon choix.
Le sénateur Hubley : Combien de temps après la sanction royale du projet de loi ce centre sera-t-il créé? Les communautés des Premières nations peuvent-elles commencer à se préparer?
Mme Paré : Il faut d'abord que le ministre Duncan obtienne l'approbation du Conseil du Trésor.
Le sénateur Hubley : Vous n'avez pas de budget pour ça, monsieur le ministre?
Mme Paré : Il faut qu'il soit confirmé.
M. Duncan : Il n'y a pas de budget déterminé. Il faut compter à peu près trois mois pour le faire approuver par le Conseil du Trésor, et ensuite, on verra bien.
Le sénateur Brazeau : J'aimerais revenir sur l'article 20 du projet de loi. J'ai suivi toute cette discussion à propos de non-Autochtone, membre d'une Première nation et non-membre d'une Première nation. C'est vraiment malheureux de discuter de cela dans le contexte des droits de la personne et de l'objectif de ce projet de loi, qui est de protéger notamment les droits des femmes autochtones et de leurs enfants, mais il pourrait aussi s'agir d'hommes autochtones. Un Indien inscrit membre d'une Première nation pourrait fort bien épouser une femme non autochtone et avoir avec elle des enfants. À ce moment-là, les enfants seraient des Indiens inscrits. S'il y a un problème de violence conjugale, la femme, qui est non autochtone, pourrait vouloir la séparation et demander à un tribunal de délivrer une ordonnance d'occupation exclusive du foyer familial.
Si je comprends bien, cet article vise à protéger les droits des femmes et de leurs enfants, en cas de violence familiale?
M. Jacques : C'est exact.
M. Jacques : Le droit d'occupation exclusive n'est pas systématique. Vous devez plaider votre cause pour l'obtenir. Je sais que cela soulève des inquiétudes, mais ce sont des questions dont les tribunaux ont à connaître de façon régulière lorsqu'il est question de protéger quelqu'un. Lorsque le conjoint non membre est une femme, le fait qu'elle ait la garde des enfants est un élément que le juge prend en considération, parmi bien d'autres. Ce n'est pas parce que quelqu'un n'a ni titre de propriété ni intérêt sur le foyer familial qu'il a nécessairement le droit d'y rester.
Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais poser une question au sujet du processus de ratification. Depuis des décennies, on sait que les femmes demandent une certaine protection, et le seuil a été abaissé de 50 à 25 p. 100. Monsieur le ministre, je suis peut-être une bonne vieille féministe de la deuxième vague, mais je frémis à l'idée que ces 25 p. 100 de membres pourraient être uniquement des hommes. C'est hypothétique, mais j'aimerais quand même mieux qu'on exige qu'au moins la moitié des personnes qui participent au vote sur les BIM soient des femmes. Cela est-il possible?
M. Duncan : Ce serait certainement un précédent. Il faudrait alors interdire à des gens d'exercer leur droit de vote. C'est un sujet qui va mobiliser avant tout les femmes, car ce sont elles qui sont le plus touchées. Quand on sait qu'elles représentent à peu près 50 p. 100 de la population, il suffirait que la moitié d'entre elles votent oui pour que le texte soit ratifié, si personne d'autre votait. Le seuil de 25 p. 100 me paraît tout à fait raisonnable.
C'est un seuil satisfaisant. Nous avons eu des cas, pour des votes sur des questions économiques, par exemple, où le taux de participation ne dépassait pas 9 p. 100 au second tour. Était-ce 50 p. 100 avant?
Mme Paré : À la majorité double.
M. Duncan : C'était trop élevé. Je remercie le comité d'avoir lutté pour obtenir ce changement, mais je ne pense pas que votre proposition soit applicable. Si vous empêchez des gens de voter en raison de leur sexe, ça va à l'encontre de la Charte des droits.
Le sénateur Nancy Ruth : Je propose seulement de faire de la promotion sociale avec le paragraphe 15(2) de la Charte.
Le sénateur Andreychuk : Ce qui me préoccupe, ce sont les enfants. Les adultes se retrouvent dans toutes sortes de situations, et ce sont les enfants qui trinquent. C'est ce qu'on dit toujours, mais c'est vrai. Les principes qui figurent dans le préambule sont bons, et vous dites bien qu'il faut prendre en compte les meilleurs intérêts des enfants, notamment, dans le cas d'un enfant d'une Première nation, la nécessité pour lui de conserver des liens avec cette Première nation, et le droit d'être informé par la Première nation des aspects culturels, sociaux et juridiques de la situation en cause.
Je vous félicite d'avoir mis tout ça dans le projet de loi, mais je me demande pourquoi vous n'avez pas inscrit, dans le préambule, que le projet de loi souscrivait à la Convention sur les droits de l'enfant. Pourquoi pas? Notre comité répète depuis des années que c'est la référence internationale en matière de protection des enfants. La moindre des choses serait d'y souscrire et de l'appliquer; je suis sûre que c'est le cas, mais il serait bon de l'indiquer dans le préambule.
M. Duncan : Je vous mets au défi de trouver une seule loi fédérale ou provinciale qui y fait référence.
Le sénateur Andreychuk : Oui, la Loi sur les jeunes contrevenants.
M. Duncan : Elle fait référence à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant?
Le sénateur Andreychuk : Oui, elle tient compte de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Il serait bon que nous y souscrivions entièrement, que nous la ratifions et que, au moins, nous en fassions l'un des piliers de notre politique.
Le sénateur Martin : Je voudrais revenir sur les commentaires du témoin de la séance précédente qui a parlé des problèmes d'accès à la justice. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, le centre d'excellence va offrir des moyens d'améliorer l'accès à la justice. On peut donc dire que ce projet de loi est la solution pour améliorer l'accès à la justice, n'est-ce pas? Qu'en pensez-vous?
M. Duncan : Pour l'instant, les résolutions adoptées par des conseils de bande dans ce domaine ne sont pas applicables, à moins qu'elles aient été adoptées dans le cadre de la LGTPN ou d'une entente d'autonomie gouvernementale. Une fois que ce projet de loi aura été adopté, toutes les décisions qu'ils prendront — au sujet des biens matrimoniaux situés sur la réserve ou au moyen d'une résolution ratifiée par la bande — seront applicables. Pour l'instant, elles ne le sont pas.
Le sénateur Dyck : Permettez-moi de revenir sur la question de l'occupation exclusive du foyer familial. Dans son rapport à votre prédécesseur, le ministre Prentice, Wendy Grant-John disait qu'il ne fallait pas nécessairement opposer les droits des femmes et des enfants, d'un côté, et les droits des membres de la Première nation. Elle recommandait plutôt que la possession exclusive du foyer matrimonial soit temporaire. Pourrions-nous ajouter l'adjectif « temporaire » à l'expression « ordonnance d'occupation exclusive », pour bien montrer que cela ne s'applique que pendant une période limitée? L'Association du Barreau canadien avait recommandé de modifier l'article 25 du projet de loi S-4 — le prédécesseur de ce projet de loi — afin d'obliger le tribunal à tenir compte du principe de l'atteinte minimale lorsqu'il accorde à un non-membre de la bande une ordonnance à long terme d'occupation du foyer familial sur la réserve.
En faisant cela, nous ne changeons rien au fond, nous rendons simplement les choses plus claires. De cette façon, les gens ne craindront plus que des non-membres de la bande ou des non-Indiens acquièrent des droits sur des terres de la réserve. Je pense que les gens veulent que ce soit le plus clair possible. Personne, je pense, ne veut retarder le projet de loi indûment, nous voulons simplement que cette disposition soit claire afin qu'elle ne déclenche pas des poursuites une fois le projet de loi adopté. Cela est-il possible?
M. Duncan : Nous y réfléchirons. Nous avons donc trois suggestions qui nous ont été faites au cours de cette réunion, et que nous allons prendre le temps d'examiner de plus près, comme nous l'avons toujours fait dans le passé.
La présidente : Merci, monsieur le ministre. Nous vous remercions de nous avoir accordé autant de temps. Nous espérons vous revoir bientôt.
La présidente : Je vais maintenant souhaiter la bienvenue au chef national, Betty Ann Lavallée, du Congrès des Peuples Autochtones.
Ce n'est pas la première fois que vous comparaissez. Nous vous souhaitons à nouveau la bienvenue et nous allons écouter ce que vous avez à nous dire au sujet de cette nouvelle version du projet de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux. Je crois que vous avez une déclaration liminaire.
Betty Ann Lavallée, chef national, Congrès des Peuples Autochtones : Bonsoir, sénateur Jaffer, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. C'est un honneur pour moi de m'adresser à vous aujourd'hui, en ce lieu situé sur les terres ancestrales traditionnelles des peuples Algonquins.
Je suis une femme micmac et j'ai toujours vécu sur ma terre ancestrale traditionnelle de Mi'kma'ki, dans la région qu'on appelle aujourd'hui le Nouveau-Brunswick. Je suis également une Indienne inscrite, au sens de la Loi sur les Indiens, et mon statut est lié à une bande de la Loi sur les Indiens. Même si je vis en dehors de la réserve, je suis membre à vie du conseil de bande, je suis reconnue comme une Micmac, et je respecte notre grand conseil micmac traditionnel qui nous gouverne, conformément à nos droits issus des traités, à nos droits ancestraux et à nos lois traditionnelles.
Par ailleurs, je suis l'une des rares Autochtones à pouvoir au moins invoquer la législation en vigueur en dehors des réserves, si mon mariage devait cesser. Sur les réserves, mes frères et mes sœurs qui se retrouvent dans cette situation n'ont aucun recours à part la Loi sur les Indiens, laquelle, nous le savons bien, n'accorde aucune protection en matière de droits fondamentaux de la personne. C'était jusqu'à récemment.
Depuis 1971, le Congrès des Peuples Autochtones défend les droits et les intérêts des Indiens inscrits et non inscrits et des peuples autochtones métis qui vivent en dehors des réserves, dans des villes ou dans des communautés rurales isolées, partout au Canada.
Le CPA a toujours eu un attachement profond pour les femmes autochtones car ce sont les femmes qui donnent la vie et qui sont l'épine dorsale de nos communautés.
Les femmes micmacs ont toujours été celles qui prenaient les décisions en matière de vie sociale et culturelle et pour tout ce qui concerne le bien-être de la famille. C'est encore le cas aujourd'hui, même si la Loi sur les Indiens continue de promouvoir et d'encourager une approche patrilinéraire.
Emma LaRocque, une éminente érudite autochtone, a dit que la colonisation avait laissé des traces sur tous les peuples autochtones, mais surtout sur les femmes.
Nous assistons, peu à peu, au démantèlement de la Loi sur les Indiens et à la disparition des problèmes associés à cette loi désuète, qui permet des violations des droits de la personne.
En effet, à cause de cette loi, des femmes, des hommes et des enfants continuent d'être victimes de discrimination, et leurs droits fondamentaux sont bafoués. Le seul objectif de cette loi était et est toujours de définir qui est un Indien et où il doit vivre.
Grâce aux initiatives courageuses de femmes comme Sharon McIvor, Sandra Lovelace Nicholas et Jeannette Corbiere Lavell, pour n'en nommer que quelques-unes, nous avons entrepris de mener l'assaut contre la Loi sur les Indiens et de la faire disparaître, morceau par morceau, parce que c'est une source de violations des droits fondamentaux de la personne.
Nous n'avons jamais accepté la Loi sur les Indiens. Nous avons résisté et nous avons continué de vivre sur nos terres ancestrales traditionnelles. Nous sommes des peuples indigènes qui continuent de vivre sur leurs terres traditionnelles, avec leurs cultures et leurs traditions qui remontent bien souvent à des dizaines de milliers d'années.
Le CPA se réjouit que le gouvernement fédéral ait décidé de prendre des mesures pour protéger les droits des peuples autochtones du Canada, et qu'il propose toute une série de stratégies, de plans, d'initiatives et de lois qui encourageront le respect et renforceront la dignité et l'amour propre de tous les peuples autochtones du Canada.
Parlons un peu des changements qui visent à renforcer la dignité et l'amour-propre des peuples autochtones au Canada, autrement dit à considérer ces gens-là comme des êtres humains.
Le gouvernement nous accorde des appuis politiques et financiers, ainsi qu'un programme complet d'indemnisation pour la majorité des survivants des pensionnats. Le gouvernement a réitéré son appui, et il a organisé une célébration avec la gouverneure générale de l'époque au moment de la création de la Commission de vérité et de réconciliation, à l'automne 2009.
En juin 2009, il a annoncé et mis en œuvre un instrument moderne, le Cadre fédéral pour le développement économique des Autochtones, avec ses quatre piliers. Ce cadre général s'accompagne d'une nouvelle Stratégie de formation pour les compétences et l'emploi destinée aux Autochtones. La SFCEA sert également de tremplin pour des partenariats avec l'industrie et avec des entreprises, et inclut des hommes et des femmes qui vivent sur les réserves et en dehors.
En mai 2009, nous avons obtenu l'abrogation de l'article 67 de la Loi sur les droits de la personne, qui interdisait de déposer des plaintes de discrimination à la suite d'actions ou de décisions prises en vertu de la Loi sur les Indiens. L'abrogation de cet article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, au moyen du projet de loi C-21, et les travaux qui se poursuivent pour aider les Autochtones qui vivent sur les réserves et en dehors à bien comprendre les enjeux que représente l'abrogation d'un article qui interdisait tout recours en matière de violations des droits de la personne, toutes ces initiatives, donc, sont pour nous une grande source de satisfaction.
Il y a aussi le projet de loi C-3, qui est une première réponse à une décision juridique dénonçant le système d'inscription prévu par la Loi sur les Indiens, et en parallèle, l'organisation de groupes de travail sérieux pour examiner toute la question de l'inscription, de l'appartenance à une bande et de la citoyenneté — bref, des questions qui définissent les êtres humains.
Le gouvernement est en train de mettre en place un processus distinct pour examiner la question de l'appartenance à une bande, de l'inscription et de la citoyenneté. Toutes les organisations autochtones nationales, les OAN, ont reconnu que ces processus d'examen étaient des facteurs clés en vue de la réconciliation.
Le gouvernement a annoncé l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En adoptant ce texte international sur les droits de la personne, le Canada se retrouve encore une fois à l'avant-garde de la défense des droits fondamentaux de la personne et, surtout, des droits des peuples autochtones du Canada et du monde entier.
Il y a aussi l'invitation que le premier ministre a adressée aux organisations autochtones nationales de venir discuter avec lui de nos objectifs, de nos aspirations et de nos priorités. Ce ne sera pas un événement isolé, mais plutôt le début d'une série de rencontres entre le premier ministre et les dirigeants des OAN.
Il y a aussi l'annonce qu'a faite le gouvernement du Canada au sujet de son intention de commémorer l'héritage des pensionnats indiens par l'installation permanente d'un vitrail, dans l'édifice du Centre de la Colline du Parlement.
Il y a enfin le projet de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux, que le CPA appuie vivement car c'est une mesure législative importante. Dans ce dossier des BIM, l'objectif est de protéger la dignité et l'amour-propre des époux et de leurs enfants qui vivent sur la réserve et qui doivent faire face à l'éclatement de l'unité familiale.
Toutes ces mesures que je viens d'énumérer et qui ont été prises en l'espace de peu de temps sont importantes pour les peuples autochtones du Canada et pour le Canada dans son ensemble. Il est clair que le gouvernement reconnaît que les hommes et les femmes autochtones sont des êtres humains.
La loi sur les BIM est plus importante qu'elle ne paraît à première vue, car elle touche directement à la dignité de la personne.
Le projet de loi traite la personne autochtone comme un être humain, ce que d'autres Canadiens tiennent souvent pour acquis. Dans un couple autochtone, un conjoint ne devrait pas être privé de ses droits ou jeté à la rue sans aucun recours, à cause d'une rupture de la relation conjugale ou familiale. Au Canada, ça fait trop longtemps que ça dure.
Depuis des années, nous réclamons l'instauration d'un régime efficace sur les biens immobiliers matrimoniaux, afin de protéger les conjoints qui sont forcés de quitter la réserve. Nous avons eu la CRPA, trois comités parlementaires, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et le processus du CPA sur les biens immobiliers matrimoniaux.
En plus, divers organismes des Nations Unies ont souligné la nécessité d'examiner la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, et ont fait savoir au Canada que les violations des droits qui s'y produisaient n'étaient pas compatibles avec ces obligations internationales.
Les hommes et les femmes autochtones qui vivent sur les réserves sont victimes d'une discrimination illégale lorsqu'on les empêche de revendiquer leur juste part des biens immobiliers matrimoniaux, après un divorce ou une séparation.
Il en résulte souvent que le conjoint et les enfants doivent quitter la réserve pour commencer une nouvelle vie dans un environnement non autochtone, sans aucune aide de l'extérieur ou d'un organisme de la Loi sur les Indiens.
Ces hommes et ces femmes s'adressent souvent aux affiliés provinciaux du CPA pour demander de l'aide et des services, alors que nous n'en avons guère les ressources. Cela place le CPA dans une position délicate, car ces femmes et ces hommes sont alors obligés d'aller dans des refuges, lorsqu'il y en a dans leur région. Face à une perspective aussi hostile, bon nombre d'entre eux se résignent à réintégrer le foyer familial et à reprendre une relation malheureuse et violente, de sorte que le cycle se répète, souvent à la génération suivante.
À l'heure actuelle, en cas de divorce ou de séparation, le mari peut obliger sa femme et ses enfants à quitter le foyer familial, ou vice versa. Il n'existe aucun recours juridique pour ces hommes et ces femmes. Ils n'ont plus de toit et ils sont souvent obligés de quitter la réserve, perdant ainsi toute source de soutien; s'ils ont un peu de chance, ils peuvent trouver de la place dans un refuge, là où il y en a. Il est malheureux que ce soient les victimes de maltraitance qui soient obligées de quitter le foyer familial, étant donné qu'il n'existe aucun recours en matière d'application de la loi, de counselling, de protection contre le conjoint violent, ou de détermination des droits sur les biens immobiliers matrimoniaux.
Pour le CPA, le projet de loi S-2 est une étape positive et importante vers la reconnaissance de la dignité et de l'amour-propre de la personne autochtone. C'est un aspect important du projet de loi S-2, qu'on néglige souvent. Nous avons enfin un gouvernement qui prend une initiative hardie en voulant s'assurer que le conjoint autochtone et ses enfants qui vivent sur la réserve puissent avoir un recours juridique et obtenir une répartition équitable des biens immobiliers matrimoniaux, en cas de divorce, de séparation, de violence familiale ou de décès.
Sans foyer familial, un conjoint et ses enfants n'ont plus rien. Le foyer est la condition indispensable à une vie saine et équilibrée.
Il arrive qu'un époux n'ose pas divulguer sa situation. Cela exige beaucoup de courage, surtout dans les petites réserves où tout le monde fait partie de la famille élargie. Nous comptons plus de 633 conseils de bande et plus de 1 000 réserves et établissements indiens dans tout le Canada, qui regroupent parfois moins de 50 familles. Ce type de discrimination flagrante, qui s'attaque à la dignité de la personne autochtone, doit absolument cesser. Depuis des années, des hommes et des femmes autochtones réclament la reconnaissance de leur dignité et de leurs droits. Ayons enfin le courage d'adopter les outils législatifs nécessaires pour que les conjoints autochtones puissent se prévaloir, sur les réserves, des mêmes garanties juridiques dont jouissent leurs frères et soeurs en dehors des réserves.
En adoptant une approche nationale, nous faisons en sorte que la protection accordée sera immédiate et uniforme dans tout le Canada. Les conseils de bande de la Loi sur les Indiens auront le droit d'élaborer et d'appliquer dans leurs réserves des lois sur les biens immobiliers matrimoniaux qui tiennent compte de leurs traditions culturelles et sociales, et qui répondent aux critères d'équité de la loi. Le projet de loi S-2 reconnaît que les communautés sont les mieux placées pour prendre des décisions au sujet des biens immobiliers matrimoniaux.
Le processus de mise en oeuvre commencera dès l'adoption du projet de loi, et de lui dépendra en grande partie le succès de la loi sur les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves assujetties à la Loi sur les Indiens.
Sur le plan pratique, nous sommes heureux d'apprendre que le gouvernement a l'intention de créer des centres qui organiseront des séances de formation et d'information à l'intention des policiers et des juges.
Le Congrès des Peuples Autochtones espère pouvoir participer à cette formation. Nous voulons en effet nous assurer que le régime sur les BIM prend en compte les vrais problèmes qui se posent aux femmes, aux hommes et aux enfants qui doivent quitter la réserve à la suite d'un divorce ou d'une séparation. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les besoins des êtres humains.
Le CPA tient à s'assurer que les femmes et les hommes qui quittent la réserve ont les moyens de revendiquer leur juste part des biens matrimoniaux et qu'ils peuvent commencer une nouvelle vie. Le CPA tient à s'assurer que les femmes et les hommes qui quittent la réserve ne se retrouvent pas complètement démunis, sans aucune ressource et sans aucun recours.
Le CPA milite pour que les époux autochtones qui divorcent ou se séparent puissent, comme les autres Canadiens, invoquer une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux qui reflète leur amour-propre et leur dignité, qu'on tient souvent pour acquis.
Les problèmes dont nous parlons ne sont pas simples; ils ne le sont jamais quand il est question de la dignité humaine d'une personne et d'une famille, surtout quand il y a de la souffrance, de la violence et de la trahison. Ils nécessiteront la mise en œuvre de mesures et de plans d'action efficaces, mais tout ce qui peut conduire à améliorer la vie des femmes, hommes et enfants autochtones, et qui contribue à protéger leurs droits et leur dignité d'êtres humains mérite notre appui et celui des deux Chambres du Parlement du Canada. La promotion de la dignité d'une personne n'empiète sur les droits issus des traités ou les droits ancestraux.
Pour relever ce défi, le CPA et ses affiliés sont prêts à collaborer avec le gouvernement pour offrir toute l'aide nécessaire aux époux et aux enfants autochtones qui sont obligés de quitter la réserve à la suite d'un divorce ou d'une séparation.
La présidente : Merci beaucoup de votre exposé. La dernière fois que vous avez comparu, au sujet du projet de loi S- 4, vous avez dit que le mécanisme de vérification était nécessaire. Comme vous le savez, les dispositions relatives à ce mécanisme n'ont pas été reconduites dans le projet de loi S-2. Cela vous pose-t-il un problème?
Mme Lavallée : Cela m'a un peu surprise, mais j'espère qu'un délai sera fixé. Il faut avoir confiance. Avec ce projet de loi, c'est du donnant-donnant. Il faut espérer que les chefs et les conseils appliqueront ces dispositions. Je sais que certains d'entre eux ont déjà commencé à voir avec le centre canadien des droits de la personne s'ils pouvaient prendre de l'avance et mettre en place certaines choses, afin d'accélérer la mise en œuvre du projet de loi, une fois que celui-ci sera adopté.
Dans ce genre de situation, j'aurais préféré qu'il y ait un mécanisme de vérification, mais encore une fois, c'est donnant-donnant. Comme je l'ai dit dans mon exposé, ce sont des problèmes difficiles à régler, et il faut parfois donner un peu pour obtenir un peu. Tout est une question de compromis, mais au bout du compte, l'essentiel, ce sont les époux et les enfants qui seront touchés par ce projet de loi.
La présidente : Merci.
Le sénateur Nancy Ruth : Merci de nous donner votre appui.
Tout le monde dit que le projet de loi ne fait rien pour régler les nombreux problèmes qui sévissent sur les réserves, comme la violence, la pénurie de logements ou la mauvaise qualité de l'eau.
Si vous deviez nous faire une recommandation, laquelle feriez-vous pour renforcer ce projet de loi afin qu'il réponde mieux aux besoins des femmes qui vivent sur les réserves et qui doivent faire face à un divorce ou à la mort d'un époux?
Mme Lavallée : Je me suis moi-même trouvée face à un cas, sénateur, où c'est l'homme qui a eu la garde des deux enfants. Ce problème n'est donc pas propre aux femmes. Ce n'est pas un problème sexospécifique. Malheureusement, et je regrette de devoir le dire, certaines femmes autochtones deviennent aussi violentes que les hommes. C'est souvent à cause de problèmes intergénérationnels de drogue, d'alcool et de maltraitance. C'est la réalité de tous les jours. J'espère que ces familles pourront avoir accès à des logements d'urgence où elles seront en sécurité, surtout les enfants.
Comme nous le savons, il arrive que le conjoint maltraité soit obligé de retourner dans son foyer, ce qui n'est pas toujours très agréable. J'aimerais bien qu'on prévoie des installations d'urgence où les victimes pourraient être accueillies.
Le sénateur Nancy Ruth : Pensez-vous qu'on devrait le prévoir dans ce projet de loi?
Mme Lavallée : J'aimerais bien. Je voudrais surtout qu'on fixe un délai pour la mise en place de ces dispositions.
Le sénateur Nancy Ruth : Quand les bandes avaient leurs BIM...
Mme Lavallée : Comme vous l'avez fait quand vous avez aboli l'article 67 de la Loi sur les droits de la personne. Vous leur aviez donné un délai de deux ou trois ans. Personnellement, j'aimerais que ça soit mis en place le plus rapidement possible.
Le sénateur Nancy Ruth : Quel devrait être ce délai?
Mme Lavallée : Dans ce genre de situation, où la sécurité de certaines personnes est menacée, surtout les enfants, j'aimerais que ces dispositions soient mises en place en 12 mois au minimum.
Le sénateur Nancy Ruth : Compte tenu de ce que le sénateur Jaffer a dit au sujet du vérificateur, j'ai proposé au ministre que, s'agissant du seuil de participation de 25 p. 100 pour une consultation sur les BIM d'une Première nation, on exige qu'au moins la moitié soit des femmes. Pensez-vous que ce soit une bonne idée? Faudrait-il fixer la barre plus haut ou plus bas?
Mme Lavallée : Étant donné que la population des communautés autochtones est composée d'une majorité de femmes, il y en a un certain nombre qui seront d'accord avec ça. Je ne sais pas si elles le seront toutes. Toute cette question va provoquer des peurs, comme ça arrive toujours quand on essaie de mettre en place quelque chose de nouveau. Des campagnes seront même orchestrées pour attiser ces peurs. C'est déjà arrivé. Je suis donc plutôt d'accord avec le ministre là-dessus, ça va déjà être difficile d'obtenir un taux de participation de 25 p. 100.
Le sénateur Nancy Ruth : J'ignorais que la population des réserves était composée en majorité de femmes.
Mme Lavallée : Je ne parle pas seulement des réserves, mais du nombre total de femmes, qui est important.
Le sénateur Nancy Ruth : Dans les organisations qui gouvernent les réserves où vivent ces femmes, les dirigeants sont-ils en majorité des hommes, des femmes ou est-ce à peu près équivalent?
Mme Lavallée : Je dirai que la majorité sont encore des hommes.
Le sénateur Martin : J'aimerais parler du rôle du CPA et d'autres organisations nationales comme l'APN. Quel rôle allez-vous jouer dans ce nouveau partenariat avec le gouvernement? Le témoin précédent a parlé des problèmes d'accès à l'information dans les communautés éloignées, problèmes qui risquent de persister même après l'entrée en vigueur du projet de loi.
Vous avez conclu votre déclaration en parlant du rôle que vous allez jouer. Pourriez-vous nous parler de votre partenariat avec le gouvernement, avec d'autres organisations nationales et les conseils de bande, afin que tous les groupes puissent avoir l'appui nécessaire pour atteindre les objectifs fixés?
Mme Lavallée : Je crois savoir que AADNC, le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord du Canada, va collaborer avec cinq organisations autochtones nationales, celles qui sont touchées par le projet de loi, pour créer un centre d'excellence. Nous pourrons participer à ce processus afin de faire connaître les réactions de nos communautés, dont certaines ont des revendications territoriales. Nous serons en mesure de travailler avec le Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne et d'avoir accès aux ressources mises à la disposition des conseils de bande qui voudront élaborer un projet de loi à faire ratifier par leur communauté, et aussi à la disposition des personnes qui veulent en savoir davantage sur leurs droits.
Le sénateur Martin : Il y a toujours des critiques pour dénoncer un manque de consultation, surtout auprès des communautés touchées. Pensez-vous que votre organisation a été suffisamment consultée, que vous avez eu la possibilité de vous exprimer et que ça va continuer?
Mme Lavallée : Nous avons eu la possibilité de nous exprimer dès le début. En fait, ça a commencé quand j'étais chef et présidente du Conseil des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick, car je me souviens que la première session a eu lieu au Nouveau-Brunswick et que nous avons parcouru la province pour connaître les réactions des différentes communautés. À l'époque, l'APN en faisait autant avec ses propres communautés et avec ses conseils tribaux. Oui, j'estime qu'il y a eu suffisamment de consultation auprès de ceux qui voulaient participer.
Le sénateur Martin : C'est l'heure. Merci de votre témoignage.
Le sénateur Dyck : Je n'ai pas compris ce que vous avez dit au sujet du pourcentage de femmes qui habitent sur les réserves et hors des réserves. Qu'avez-vous dit exactement?
Mme Lavallée : J'ai dit que les femmes étaient en supériorité numérique dans la population autochtone globale, pas nécessairement au niveau des réserves ou en dehors.
Ceux d'entre nous qui ont la possibilité de participer à un référendum d'une communauté — comme je l'ai dit, je suis une Indienne inscrite dans une bande qui, pour certains dossiers, organise de temps à autre un référendum. Il y a donc des chances que je participe à ce genre d'exercice.
Le sénateur Dyck : Comme j'adore les chiffres, j'ai devant moi des statistiques sur le nombre d'hommes et de femmes qui vivent dans les réserves du Canada et à l'extérieur. La répartition est à peu près égale entre les hommes et les femmes. Dans les réserves, il y a 51 p. 100 d'hommes et 49 p. 100 de femmes, et hors des réserves, il y a 47 p. 100 d'hommes et 53 p. 100 de femmes. Il y a donc légèrement plus de femmes hors des réserves, ce qui est peut-être dû au fait que les femmes ont quitté la réserve parce qu'elles ont perdu leur statut ou pour poursuivre des études. La différence n'est pas grande, c'est à peu près équivalent.
J'aimerais vous poser une question au sujet des logements et des refuges. En tant que présidente du CPA, êtes-vous au courant de la situation du logement dans les réserves? Combien manque-t-il de logements?
Mme Lavallée : Je n'ai pas les chiffres exacts, mais je peux vous dire que c'est un problème dont on parle régulièrement dans nos discussions avec le chef national Atleo. Nous savons que c'est un problème énorme, aussi bien dans les réserves qu'en dehors. C'est un grave problème, et c'est la raison pour laquelle il y a très peu de refuges, si bien que la personne n'a pas d'autre solution que de réintégrer le foyer familial. C'est la raison pour laquelle j'aimerais qu'on désigne des installations ou des bâtiments à cette fin.
Le sénateur Dyck : Quand vous dites que la personne « n'a d'autre solution que de réintégrer le foyer familial », quand il y a une pénurie de logements et que le couple se sépare, il faut deux maisons au lieu d'une.
Mme Lavallée : Absolument.
Le sénateur Dyck : Par conséquent, ça ne fait qu'aggraver la situation. S'il y a déjà une pénurie de logements, ce sera encore pire. Y a-t-il des refuges sur les réserves?
Mme Lavallée : Non, pas à ma connaissance.
Le sénateur Dyck : Ne pensez-vous pas que ce serait utile, que ça atténuerait le problème au quotidien, plus qu'un projet de loi? Avons-nous besoin de refuges sur les réserves?
Mme Lavallée : Je pense que nous avons besoin de refuges sur les réserves et en dehors, car c'est le même problème en dehors des réserves. La plupart des femmes autochtones n'oseront pas aller dans un refuge non autochtone. Nous savons tous que c'est quelque chose qu'il faut faire.
Le sénateur Hubley : Je voudrais simplement vous poser une question supplémentaire au sujet du logement. Quand vous avez parlé des logements d'urgence qui seraient nécessaires, était-ce sur les réserves ou en dehors? Les séparations ne s'accompagnent pas toutes de violence, et il y a sans doute des cas où l'un des conjoints pourrait rester avec les enfants tandis que l'autre irait s'installer ailleurs, mais pas nécessairement en dehors de la réserve. Est-ce que cela se produit?
Mme Lavallée : Oui.
Le sénateur Hubley : Vous avez donc besoin de logements d'urgence?
Mme Lavallée : Oui. Dans certains cas, quand la séparation se passe bien — si l'on peut dire —, certains membres de la famille vont aller vivre avec leur famille. S'ils se sont entendus pour mettre un terme à leur relation, il arrive que l'un des conjoints retourne vivre dans sa famille jusqu'à ce qu'un logement soit disponible. J'ai vu des cas où des femmes âgées avaient laissé leur maison à leur belle-fille et à leurs petits-enfants autochtones pour qu'ils puissent rester sur la réserve.
À propos de logements d'urgence, je peux vous dire que nous avions un partenariat avec certains de nos collègues sur les réserves — des chefs et des conseils au Nouveau-Brunswick — car nous avions des unités de logements sociaux dans toute la province. Dans certains cas, nous avons réussi à collaborer pour replacer des familles dans ces logements. Avec la dernière série de financements qui nous ont été donnés pour le logement, nous avons pu améliorer le refuge pour femmes. Nous avons pu également organiser ce que nous appelons des logements de transition pour les familles qui étaient touchées. Dans ces cas-là, nous faisons fi de nos divergences pour nous préoccuper uniquement des enfants car, au bout du compte, ce sont eux qui ont besoin d'être protégés.
Le sénateur Hubley : Merci.
La présidente : Nous vous remercions infiniment d'avoir accepté de comparaître devant nous aujourd'hui. Vous êtes d'une grande disponibilité. Nous allons prendre en compte ce que vous nous avez dit. Merci.
Mme Lavallée : Merci, sénateur.
(La séance est levée.)