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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 6 - Témoignages du 12 décembre 2011


OTTAWA, le lundi 12 décembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 3, pour étudier la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous en sommes à la septième réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la 41e législature. Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.

Mon nom est Mobina Jaffer et je vous souhaite la bienvenue à cette réunion.

[Français]

Le 15 mars 2001, le Sénat a modifié son Règlement afin de créer un nouveau comité permanent, soit celui des droits de la personne. Ce comité assume plusieurs fonctions, notamment celle de sensibiliser le public, de veiller à la bonne mise en application et au respect des lois et principes internationaux des droits de la personne, et de s'assurer que les lois et politiques canadiennes sont bien mises en application, et ce, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[Traduction]

Le 23 novembre, notre comité a déposé un rapport sur l'exploitation sexuelle des enfants. Au cours de notre étude, nous nous sommes attachés aux causes de l'exploitation sexuelle des enfants et nous avons souligné le rôle d'Internet. On a en effet attiré notre attention sur le fait qu'Internet avait élargi la portée de l'exploitation sexuelle en facilitant un contact direct et anonyme.

Après avoir établi le rôle joué par l'Internet dans l'exploitation sexuelle des enfants, notre comité a décidé d'examiner les autres façons dont l'Internet nuit à la sécurité de nos enfants. Le 30 novembre 2011, le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et d'en faire rapport.

On nous a signalé que le visage de l'intimidation avait changé, Internet ayant permis sa migration, de l'école et de la cour d'école au foyer. Outre l'intimidation sociale, verbale et physique, de nombreux enfants aujourd'hui sont contraints de supporter une cyberintimidation qui constitue un défi de plus.

Le Service de police de la ville de Montréal définit la cyberintimidation comme l'affichage de messages menaçants, blessants ou avilissants à propos de quelqu'un par l'entremise de mots ou d'images; cela inclut également le harcèlement. La cyberintimidation se produit par les courriers électroniques, les bavardoirs, les groupes de discussion, les sites web et la messagerie instantanée.

C'est un problème que doivent affronter une bonne part de nos jeunes. De fait, des études récentes indiquent que 25 p. 100 des jeunes internautes affirment avoir reçu par courriel des messages de haine à propos d'autres personnes. Trente-quatre pour cent des jeunes de neuf à 17 ans disent avoir été victimes d'intimidation durant l'année scolaire. Sur ce nombre, 27 p. 100 ont été victimes de cyberintimidation.

Sans protection ni aide, de nombreux enfants victimes de cyberintimidation doivent affronter seuls ces nouveaux défis. Notre comité compte examiner des façons dont on peut à la fois protéger et aider nos enfants.

C'est notre première réunion dans le cadre de notre étude sur la cyberintimidation. Notre premier témoin, M. Bill Belsey, président et fondateur de Bullying.org, est aussi le créateur de www.cyberbullying.org, premier site web au monde portant sur la question de la cyberintimidation. On en parle souvent comme de la personne qui a fait du terme un terme courant. Enfin, M. Belsey est un enseignant albertain dont le travail a été couronné par des prix. Il enseigne à l'heure actuelle la 5e année à l'école intermédiaire Springbank.

Nous sommes heureux que vous ayez fait le long voyage pour venir de l'Alberta, monsieur Belsey, et nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire.

Bill Belsey, président, Bullying.org : C'est moi qui vous remercie de me faire l'honneur de m'accueillir. Quand j'ai dit à mes élèves d'études sociales de 5e année, qui étudient le Canada, que j'allais venir ici, ils m'ont demandé s'ils pouvaient me confier des messages pour vous. Je vous en ferai part un peu plus tard, si vous le permettez.

Il est difficile de distiller des décennies de travail en l'espace de 20 minutes. Comme vous avez l'exposé que j'ai créé sous les yeux, je n'en aborderai pas tous les points. Il y en a trop pour les couvrir tous en 20 minutes.

Je dois ajouter qu'en plus d'être enseignant dans une école intermédiaire, j'ai des enfants; j'ai un garçon et une adolescente. Je suis donc à même de comprendre l'enjeu de la cyberintimidation de bien des façons — en tant qu'enseignant qui utilise de manière intensive les technologies dans la salle de classe, en tant que père d'adolescents et en tant qu'enseignant dans une école intermédiaire, où la nouvelle génération utilise la technologie comme elle respire.

Il y a quatre éléments derrière le travail de Bullying.org; notre site web, www.cyberbullying.org, est le site web sur l'intimidation le plus visité et le plus cité en référence dans le monde. Je vous dis cela, parce que je veux que vous compreniez l'origine du terme « cyberintimidation ».

Bullying.org est un endroit sécuritaire où les jeunes peuvent trouver de l'aide, du soutien et de l'information. Il y a environ une dizaine d'années, des jeunes d'un peu partout dans le monde, de la Scandinavie, de l'Asie et de l'Europe, ont commencé à raconter leurs histoires. J'ai compris que leurs histoires étaient très uniques et qu'à l'époque, on n'avait pas encore vraiment compris ce que c'était. J'ai compris qu'il s'agissait d'intimidation, mais qu'elle s'était maintenant transportée dans le cyberespace.

Le terme « cyberespace » a été créé par William Gibson, un auteur canadien de science-fiction. Je ne suis pas très créatif; je lui ai emprunté le terme « cyberespace » et je l'ai combiné au terme « intimidation », parce que j'avais l'impression qu'il s'agissait d'intimidation qui se déroulait dans le cyberespace, d'où le nom. Le terme ne prend pas de trait d'union; il est soudé. C'est « cyberintimidation ».

Dans ma salle de classe, si vous cherchez dans Google « Canada's coolest class » et que vous cliquez sur « J'ai de la chance », vous tomberez sur le site web de ma classe.

Sur le site web de ma classe, mes élèves font de l'écriture créatrice sous forme de blogues. Il y a quelques semaines, nous avons diffusé des messages sur Twitter concernant l'importance du jour du Souvenir. Le destin a voulu que le Globe and Mail ait vent de notre initiative, et le quotidien a publié un article sur mes élèves de huitième année qui utilisent Twitter dans le cadre du cours sur les arts du langage, où ils doivent rédiger de manière concise, ce qui est une tâche ardue, sur l'importance du jour du Souvenir. Mes élèves ont aussi accès à un studio de télévision dans la salle de classe pour créer des émissions de télévision; nous avons même un écran vert. Notre chaîne s'appelle CHN, soit le Canadian History News. Mes élèves utilisent de manière intensive les technologies. J'ai une compréhension approfondie des bienfaits incroyables associés à l'utilisation des technologies dans l'enseignement.

J'aimerais vous poser trois questions. Je les ai déjà posées à des jeunes, à des adultes, à des PDG de sociétés au Canada et partout dans le monde. L'année dernière, j'étais le conférencier principal à Melbourne, en Australie, où j'ai fait un exposé devant 5 000 éducateurs, y compris le premier ministre australien. Je leur ai posé les trois mêmes questions. Je vous demanderais de répondre aux questions en levant la main.

Le président : En comité, nous ne le ferons pas.

M. Belsey : Je m'excuse; je voulais ainsi démontrer l'ampleur de l'intimidation. Chaque fois que j'ai posé ces trois questions, tout le monde a levé la main.

Voici la première définition que j'ai donnée de la « cyberintimidation » pour expliquer vraiment ce que c'était : la cyberintimidation est l'utilisation des technologies de l'information et des communications en vue de soutenir le comportement délibéré, répété et hostile d'une personne ou d'un groupe dans l'intention de faire du mal à d'autres. Les éléments clés sont que les gestes sont délibérés, répétés et destinés à blesser les autres. Voilà les caractéristiques fondamentales de l'intimidation. Que l'intimidation soit physique, psychologique ou sociale, voilà les trois éléments clés sur lesquels la plupart des chercheurs et des universitaires réputées dans le monde s'entendent. Je suis aussi très fier et très heureux de constater que certains de mes mentors, Debra Pepler et Wendy Craig, discuteront avec vous aujourd'hui. Elles font partie des gens qui m'ont aidé énormément à comprendre l'enjeu.

Je vais essayer de distiller 10 ans de travail pour vous aider à comprendre l'enjeu. Actuellement, les familles canadiennes sont aux prises avec l'enjeu beaucoup plus souvent que vous l'imaginez. Un fort pourcentage de jeunes canadiens, soit 99 p. 100, ont accès à Internet à la maison, à l'école ou sur leur téléphone cellulaire. Comme vous l'avez entendu il y a un certain temps, les recherches démontrent qu'entre 30 et 50 p.100 des jeunes ont déjà été victimes de cyberintimidation, y compris de menaces de mort. L'année dernière, en Nouvelle-Écosse, deux jeunes filles se sont suicidées, parce qu'elles étaient victimes de cyberintimidation. Même si la jeune génération utilise le cyberespace pour communiquer et se divertir, leurs actions et leurs comportements en ligne ont des conséquences dans le monde réel. J'ai fait un exposé un peu partout au Canada intitulé « Virtual World — Real Consequences ». Les jeunes n'ont qu'une compréhension superficielle des technologies. Ils connaissent les boutons sur lesquels ils doivent cliquer pour faire une vidéo et la téléverser sur YouTube, mais ils sont encore vraiment loin d'être conscients des conséquences dans le monde réel que leurs actions en ligne ont sur eux-mêmes et les autres.

Dans mes 30 ans dans l'enseignement, j'ai dû consacrer beaucoup de temps à un apprentissage en profondeur pour comprendre les jeunes et comprendre comment ils apprennent et ce qui se passe vraiment. Cela comprend des recherches sur le cerveau et le bon sens. Ceux parmi vous qui deviendront des mères, des pères ou des grands-parents comprendront très rapidement que les préadolescents et les adolescents vivent dans le présent, et les recherches sur le cerveau corroborent cette observation. Les jeunes vivent vraiment dans le présent et ne font pas les liens de cause à effet. Quels sont les principaux types de technologies dont les jeunes raffolent? Ils affectionnent la messagerie instantanée et les messages textes. Le cerveau des adolescents met l'accent sur le moment présent; les jeunes se servent de technologies instantanées qui ont un curseur clignotant qui crie « Envoyer, envoyer, envoyer ». C'est sans surprise que parfois des jeunes diront et feront des choses qu'ils n'auraient peut-être jamais faites dans le monde réel.

Examinons cela du point de vue du gouvernement; est-ce que l'adoption d'une loi ferait une différence dans l'esprit d'une fille de 14 ans qui est frustrée que son copain l'ait laissée pour une autre? Lorsqu'elle est sur le point d'envoyer un message texte de menace, s'arrêtera-t-elle pour se dire qu'elle ne devrait peut-être pas le faire, parce qu'un projet de loi a été adopté par la Chambre des communes? C'est peu probable. Voilà la réalité. C'est un peu comme un crime passionnel; ce l'est au moment de faire le geste. J'essaye sans relâche de faire comprendre aux jeunes qu'ils doivent réfléchir avant de cliquer. D'un côté, cela semble anodin, mais d'un autre, c'est très important que les jeunes pensent avant de cliquer. C'est important que les jeunes comprennent que ce qu'ils disent et font en ligne a des répercussions pour eux et les autres et ne peut être effacé.

Un jeune à Toronto est venu me voir en pleurant. Je lui ai demandé ce qui n'allait pas. Il m'a répondu : « Monsieur Belsey, je ne fête normalement pas, mais je l'ai fait une fois. Monsieur Belsey, je ne consomme jamais vraiment d'alcool, mais je l'ai fait à cette occasion. J'ai bu beaucoup trop, j'ai fait la fête et j'ai été malade. Tout le monde a pris des photos et des vidéos et les a publiées en ligne. Monsieur Belsey, je vous ai entendu dire dans votre exposé que les collèges et les universités regardent non seulement nos notes, mais aussi nos profils et nos agissements en ligne. Monsieur Belsey, je souhaite devenir oncologiste, et je suis inquiet de ne pas être accepté à l'université, en dépit de mes notes supérieures à 90 p. 100. Monsieur Belsey, ma mère est décédée il y a quelques années du cancer, et c'est mon rêve de devenir un jour docteur pour aider à combattre cette maladie. Je crains maintenant que mon rêve se soit envolé, en raison d'une fin de semaine, d'une erreur de parcours. » Nos jeunes grandissent dans une tout autre époque. C'est différent de notre époque, et nous devons en être conscients.

L'autre réalité est la famille. Disons que vous êtes un jeune et que vous recevez une menace de mort par message texte; vous avez peur. Vous vous sentez seul, même si votre famille vous aime et vous soutient. D'un côté, vous voulez le dire à vos parents, parce que vous avez peur, mais de l'autre, vous ne voulez pas leur en parler, parce que si vous le faites la situation pourrait s'empirer. Si vous le leur dites, ils vous sermonneront et vous menaceront peut-être de vous retirer votre téléphone cellulaire, et cetera. Cela ne viendrait qu'accentuer le problème, parce que pour les adolescents d'aujourd'hui, Internet ne se veut pas simplement un moyen facile et efficace d'envoyer des messages factuels; c'est en fait l'essence même de leur vie sociale. Le téléphone cellulaire n'est pas qu'un simple téléphone; c'est un outil de communications puissant. Le téléphone que je tiens dans la main est plus puissant que toute la puissance informatique qu'il a fallu pour envoyer une fusée sur la lune. Pour ainsi dire, ce n'est pas vraiment un téléphone cellulaire, parce que les jeunes ne s'en servent que très peu pour effectuer ou recevoir des appels. C'est un ordinateur portatif multimédia qui permet d'aller sur Internet.

Un tel appareil et Internet sont les deux outils de communications les plus puissants de l'histoire de l'humanité. Pour ceux qui prennent cela avec un grain de sel, regardez ce qui s'est passé du côté du printemps arabe. En tant qu'enseignant d'études sociales, je discute avec mes élèves du rôle de Twitter et des messages textes, et des régimes qui se croyaient autrefois intouchables et tout-puissants et qui sont tombés à cause des réseaux sociaux. Si les adultes perçoivent cela comme un logiciel de clavardage pour les préadolescents et les adolescents, ils se méprennent quant à sa puissance.

Je vais parler en tant que parent. Au Centre Rideau, on voit des parents qui achètent des téléphones cellulaires et des forfaits pour les offrir à Noël à leurs enfants. À l'époque, à l'achat d'un téléphone cellulaire, on nous remettait une page et demie pour nous expliquer quoi faire si nous recevions un appel importun ou indésirable. De nos jours, à l'achat d'un téléphone cellulaire, on nous remet un petit manuel pour nous expliquer comment faire une vidéo et la téléverser sur YouTube. Nous ne retrouvons nulle part l'information dont nous avons besoin en tant que parents pour expliquer à nos enfants les effets positifs, ainsi que les effets négatifs de posséder un appareil aussi puissant. Nous ne remettrions pas les clés de notre voiture avant l'âge à nos enfants en leur disant d'aller se promener sur la 417 ou la 401. Pourquoi alors leur donnons-nous de tels appareils de communications, étant donné que nous ne savons aucunement où ils sont allés, ce qu'ils ont vu ou ce qu'ils ont rencontré?

À l'époque, si un enfant avait un copain ou une copine, il ou elle appelait à la maison, et le père interceptait l'appel. On savait que l'enfant recevait un appel, à moins que ce ne soit fait en cachette. De nos jours, il y a une connexion directe qui relie les jeunes entre eux et qui court-circuite complètement l'intermédiaire qu'étaient les parents. Je suggère fortement aux parents d'avoir recours à ce que j'appelle des béquilles pour le cyberespace. Il existe de nombreux outils qu'on peut installer sur les ordinateurs et les téléphones cellulaires. L'objectif n'est pas d'espionner nos enfants, mais de leur donner des outils; de cette façon, si quelque chose de négatif se produit, et ce sera malheureusement le cas, vous pourrez vous en servir comme argument dans vos discussions. L'important est d'établir une relation de confiance.

Il y a quatre éléments dont j'aimerais vous faire part aujourd'hui. Tout d'abord, il faut que les parents soient plus présents. Je vais maintenant mettre mon chapeau d'enseignant. J'enseigne depuis plus de 30 ans. J'ai grandi à Ottawa. J'ai vécu et enseigné au Nunavut à Arviat et à Kangiqliniq, aussi connu sous le nom de Rankin Inlet. J'enseigne actuellement dans l'Ouest canadien. J'ai enseigné bon nombre de différentes matières à divers niveaux scolaires. J'ai l'occasion de côtoyer des jeunes depuis extrêmement longtemps. J'ai fréquenté l'Université Queens il y a des années et j'y ai suivi le programme double de formation des enseignants. C'était unique à l'époque, parce qu'au lieu d'avoir une année pour me demander si je voulais vraiment enseigner dans une salle de classe, j'en ai eu quatre. Durant ces quatre années, je n'ai pas vu de cours axés sur la recherche, encore moins une leçon, sur l'intimidation, et encore moins sur la cyberintimidation.

C'est effrayant. Voilà le principal enjeu non lié à l'enseignement avec lequel les enseignants sont aux prises. Or, la majorité des enseignants ne reçoivent aucune formation universitaire à ce sujet. Ce serait l'équivalent d'avoir des infirmières et des docteurs qui ne savent pas comment traiter les gens qui ont la grippe. Voilà l'état de la formation des enseignants au Canada. J'ai récemment eu l'honneur d'être le conférencier principal dans une université qui offre un programme d'enseignement fort réputé. Voici ce que j'ai demandé aux étudiants en enseignement : « Vous obtiendrez votre diplôme cette année. Combien parmi vous ont-ils reçu une formation ou acquis des connaissances sur la façon de traiter de ces enjeux? » Aucun des étudiants en enseignement sur le point d'obtenir leur diplôme en 2011-2012 — des étudiants très brillants qui, j'en suis certain, feront d'excellents enseignants — n'a reçu de formations pour traiter de l'enjeu. Il faut que cela change.

L'autre élément, le troisième pilier parmi les quatre si vous voulez est la responsabilité des entreprises. À l'heure actuelle, les fournisseurs de services Internet et de téléphonie mobile au Canada brassent de bonnes affaires. Je ne leur en veux pas pour cela. Toutefois, une publicité nationale a été faite par l'un de ces fournisseurs de services de téléphone cellulaire. Dans cette publicité, il y a avait des enfants dans une minifourgonnette. Ces jeunes s'en allaient à la montagne pour faire du ski et de la planche à neige. La jeune fille dans la publicité, qui a été diffusée d'un bout à l'autre du Canada, a braqué son nouveau téléphone caméra sur le conducteur qui a été suffisamment gentil pour l'amener à la montagne et l'a pris en photo sous un angle très peu flatteur. Il lui a demandé ce qu'elle allait faire de la photo. Elle lui a répondu qu'elle allait l'afficher en ligne pour permettre à quiconque de faire des observations. Le jeune homme a dit : « Tu veux rire de moi? » et la jeune fille dans cette publicité nationale lui répond avec dédain : « Non, nous rions avec toi. » Cette publicité qui a été diffusée à l'échelle nationale pendant une bonne période utilisait la cyberintimidation comme modèle de ce qui était considéré cool.

Les gens qui vont faire de la publicité pour les téléphones cellulaires à l'intention des jeunes — et c'est là où se situe le marché — doivent être beaucoup plus conscients du type de publicité qu'ils présentent. Ils ne devraient certainement pas présenter un modèle de cyberintimidation dans leur publicité.

Si vous êtes un parent ou un grand-parent et que votre fille ou votre petite-fille rentre à la maison et laisse son téléphone sur la table de la cuisine — vous ne l'espionnez pas, mais on ne peut pas le nier, les téléphones cellulaires s'allument, vibrent et essentiellement dansent sur la table —, si vous voyez un message menaçant, essayez d'aller voir sur le site web d'un des principaux fournisseurs pour essayer de trouver quelle est sa politique d'utilisation acceptable. Essayez de trouver un lien sur lequel vous pouvez cliquer ou bien quelqu'un à qui parler pour obtenir de l'aide sur des questions comme la cyberintimidation. Essayez de trouver un numéro de téléphone ou une adresse courriel, et c'est presque impossible, et espérez qu'ensuite, peut-être, quelqu'un dans quelques jours vous répondra.

Pendant ces quelques jours, peut-être que votre enfant ou que votre petit-enfant, la nuit se mutile et le cache avec des vêtements. Peut-être que la nuit lui ou elle songe à se suicider ou même qu'en fait, comme nous en avons été trop souvent témoins dans la région d'Ottawa et ailleurs au Canada, il ou elle passe à l'acte. Vingt-quatre heures, c'est 24 heures de trop pour attendre d'obtenir une réponse, pour obtenir un numéro de téléphone différent pour votre cellulaire sans qu'il ne vous en coûte rien, pour savoir que des méfaits se sont produits et que peut-être vous pourriez déterminer d'où viennent les appels. Je pense que la responsabilité des entreprises est très claire. Il n'est peut-être pas nécessaire d'adopter de nouvelles lois, mais voici ce qu'il faut faire : nous devrions demander aux fournisseurs de services de rédiger de façon claire des politiques d'utilisation acceptable qui soient facilement accessibles. Ensuite, il faut trouver un endroit très facile d'accès pour que le parent moyen, qui n'est peut-être pas très futé en matière de technologie, puisse rapporter des évènements comme la cyberintimidation. Nous devons demander aux fournisseurs de services de répondre en temps opportun. Encore une fois, 24 heures c'est peut-être une attente trop longue pour un jeune ayant des idées suicidaires. Les fournisseurs doivent affecter du personnel pour appuyer les parents qui doivent faire face à ce genre de problème et à des problèmes connexes dont nous n'aurons pas le temps de parler aujourd'hui.

Il faut également être en mesure d'offrir des services aux familles afin que l'enfant ou la famille ayant besoin d'obtenir un nouveau compte de téléphone cellulaire puisse l'avoir sans coût additionnel. En obtenant un nouveau compte, les personnes qui les intimidaient ne pourront plus le faire.

C'est un des volets que les adultes ne comprennent pas. Autrefois, si l'on était victime d'abus physique, verbal, psychologique ou social, au moins une fois rentré à la maison, vous pouviez écouter de la musique, sortir le chien et être en paix chez vous. Ce que les adultes ne comprennent pas, c'est qu'aujourd'hui, pour ce qui est de la cyberintimidation, les personnes qui vous veulent du tort peuvent communiquer avec vous partout où il y a un accès Internet. On ne peut pas se prémunir contre cela à la maison, et c'est ce que les adultes ont beaucoup de peine à comprendre. Ils disent des choses ridicules à leurs jeunes comme : « Eh bien, il suffit de l'éteindre. » Mais c'est impossible à faire, parce que tous les jeunes savent, au fond d'eux-mêmes, qui verra telle photo, tel article de discussion sur Facebook ou tel autre élément. Ils savent tous que les gens de la collectivité et que leurs pairs verront ces messages, et non seulement leurs pairs, mais une population beaucoup plus vaste.

Un jeune garçon qui s'appelle Ghislain, à Québec, a créé une petite vidéo de lui-même en train de faire semblant de lutter contre Darth Vader dans Star Wars. C'est une vidéo qu'il a faite privément dans son école secondaire, et il l'a laissée dans la caméra vidéo. D'autres élèves l'ont trouvée et l'ont affichée en ligne. Rapidement, il a été connu sous le nom du Star Wars kid. Alors, ce qui a vu le jour comme étant une initiative personnelle, privée et fantaisiste, soit un petit moment d'amusement, est devenu très rapidement un objet d'humiliation publique.

Les jeunes vivent maintenant dans un monde très différent.

J'ai mentionné brièvement le rôle des parents et le genre d'outils dont ils ont besoin. Je n'ai que très peu touché le genre de choses que les éducateurs doivent savoir. Je ne suis pas avocat et ne prétend pas l'être et je ne travaille pas non plus dans le domaine de la criminologie, mais il y a certains aspects du Code criminel du Canada comme l'article 264.1, extorsion à la suite de menace, l'article 265, voie de fait, et l'article 266, harcèlement et fausse représentation criminelle. De nos jours, les cyberintimidateurs sont accusés en lien avec certaines de ces dispositions. Encore une fois, je ne suis pas un expert en droit. Toutefois, je pense que les gouvernements devraient tenir les entreprises responsables et leur dire « Vous engrangez des milliards de dollars en faisant de la publicité à l'intention des jeunes, et quelquefois de façon très inappropriée. » Encore une fois, je n'en veux pas aux entreprises de faire de l'argent, mais si elles ciblent surtout les jeunes, étant donné que c'est là où se trouve la plus grande part de marché, elles doivent faire en sorte de présenter de façon accessible et facile à comprendre leurs politiques d'utilisation acceptable. Il faut également qu'il y ait des façons de rapporter certaines choses comme la cyberintimidation qui soient faciles d'utilisation pour le consommateur moyen, et les fournisseurs doivent aussi affecter du personnel pour aider les gens à trouver qui a envoyé ces messages et les réprimander ou bien aider les victimes à établir de nouveaux comptes.

Les entreprises sont responsables envers les consommateurs et les Canadiens de faire respecter leurs propres politiques qui, pour la plupart, ont déjà été établies. C'est tout ce qu'on leur demande de faire, et de soutenir les familles lorsqu'elles font face à de la cyberintimidation.

J'aimerais que le gouvernement reconnaisse officiellement quelque chose qui se produit depuis 10 ans déjà parmi la population d'un bout à l'autre du pays. Il y a 10 ans, j'ai eu l'idée de la création de la semaine nationale de sensibilisation à l'intimidation. Il ne s'agissait pas d'une idée qui devait provenir d'Ottawa : c'était une initiative provenant de la base. Je suis fier de vous dire que le gouvernement de l'Ontario, le gouvernement de l'Alberta, la Ville de Calgary, le maire d'Ottawa, M. Watson, et la Ville d'Ottawa ont reconnu l'importance de cette initiative. Les collectivités d'un bout à l'autre du pays ont reconnu l'importance de cette activité et y ont participé. Je serais honoré et enthousiasmé si le gouvernement du Canada faisait de même.

La présidente : Monsieur Belsey, vous avez dépassé les 20 minutes.

M. Belsey : Je vais terminer. C'est difficile de résumer 10 ans en 20 minutes.

Ce que les gouvernements doivent faire — en plus de mettre de la pression sur les fournisseurs de services Internet et de reconnaître l'importance de la semaine de sensibilisation à l'intimidation — c'est de faire un examen de conscience quant à leurs propres comportements. À titre d'enseignant qui essaie de faire comprendre aux jeunes ce qui se passe dans les rouages du gouvernement, je me demande quelquefois pourquoi les jeunes ne vont plus voter et pourquoi ils semblent être déconnectés du processus démocratique. Voici une anecdote : je parlais du gouvernement dans ma classe d'études sociales de cinquième année — à ce moment-là il y avait une course à la direction —, et un élève a demandé à prendre la parole. Nous avons allumé le projecteur et il nous a montré une animation. Il s'agissait de l'image du chef bien connu et respecté de l'un des partis qui était affichée sur le site web d'un parti adverse. Dans cette animation, un oiseau passait et déféquait sur ce chef de parti. L'élève a demandé : « Pourquoi les partis agissent-ils ainsi à Ottawa? » Pour la première fois en 30 ans d'enseignement, je ne savais pas quoi répondre. Les jeunes se souviennent de ce qu'on leur dit. Ils se rappellent ce que nous faisons, ainsi que notre comportement. C'est très important.

Je vais finir par ces quelques points. Quelques fois, les gens aiment parler de la cyberintimidation sur Facebook ou sur les téléphones cellulaires. J'aimerais utiliser l'analogie d'un marteau. On peut s'en servir pour faire du mal à quelqu'un ou bien pour construire de beaux édifices, comme celui dans lequel nous nous trouvons maintenant. Peu importe que vous utilisiez un marteau Black & Decker ou Stanley. Ce sont les personnes qui comptent. La cyberintimidation n'est pas une question uniquement de technologie, même si elle joue un rôle important. Ce qui compte davantage, ce sont les personnes, les relations et les choix. La mauvaise nouvelle, c'est également la bonne nouvelle, c'est-à-dire que l'intimidation et la cyberintimidation portent sur les personnes, les relations, le pouvoir et le contrôle, ainsi que l'abus de ces derniers dans les relations. La bonne nouvelle, c'est que les parents, les éducateurs, le secteur des affaires, le gouvernement et ceux d'entre nous qui entraînent une équipe de hockey ou qui font du volontariat dans les collectivités peuvent jouer un rôle pour changer ces comportements, présenter des modèles de comportement positifs et faire en sorte que les jeunes comprennent les éléments de base : tout le monde a le droit d'être respecté et a pour responsabilité de respecter les autres, tant en personne qu'en ligne.

La présidente : Merci monsieur Belsey. Avant que les sénateurs puissent poser des questions, puis-je obtenir une motion pour que l'exposé de M. Belsey soit déposé comme document d'information?

Le sénateur Ataullahjan : Je le propose.

La présidente : Proposé par le sénateur Ataullahjan.

Le sénateur Ataullahjan : Merci d'être venu. J'aimerais savoir comment faire pour que les parents surveillent leurs enfants pour voir ce qu'ils font sur Internet? Je ne pense pas que les choses vont changer tant et aussi longtemps que les parents d'intimidateurs ne sauront pas ce que font leurs enfants.

M. Belsey : C'est exact. L'image que j'ai utilisée, c'est celle des petites roues stabilisatrices numériques. Les jeunes demandent d'avoir accès à Internet, à des ordinateurs et à des téléphones cellulaires de plus en plus jeunes. En tant que parents, nous avons une responsabilité. Plutôt que de tout simplement leur donner les clés de la voiture et de leur dire « Tiens, va faire un tour de voiture sur l'autoroute », nous devons leur donner des roues stabilisatrices en matière d'Internet. Je vais mentionner un outil, mais il y en a beaucoup d'autres. L'un d'entre eux s'appelle PureSight. C'est un outil que l'on peut installer sur le téléphone cellulaire et l'ordinateur de son enfant. Je ne recommande pas que les parents le fassent subrepticement sans que leurs jeunes ne le sachent. Il sert d'outil pour permettre les discussions. Ce que l'on vise avec les jeunes, c'est d'établir une relation de confiance. Les jeunes étant ce qu'ils sont, ils peuvent dire malheureusement des choses, poser des gestes ou voir des choses en ligne que nous aimerions plutôt qu'ils ne voient pas. Grâce à ces outils installés sur l'ordinateur ou le téléphone, les parents recevront un avertissement lorsque des actions ou des comportements inappropriés ont lieu en ligne.

Lorsque les événements surviennent, je m'en servirais pour entamer des conversations. Voici un exemple. Mon fils était en septième année. Il était à l'ordinateur et il m'a dit : « Papa, je pense que ceci n'est pas bien. » Je lui ai demandé ce qui n'allait pas et il m'a dit : « Je ne voulais pas te le montrer, mais tu dois venir voir ce qui se passe sur ce site web. » C'était à l'adresse MartinLutherKing.org. Nous nous sommes rapidement rendu compte que ce site web était rempli d'injures racistes. Je lui ai montré comment faire une recherche pour voir qui était réellement le propriétaire du site web. Il s'est avéré que le propriétaire était un groupe néo-nazi aux États-Unis. Nous avons communiqué avec le véritable centre Martin Luther-King pour l'informer de ce que nous avons trouvé. Je ne me souviens pas quelle note mon fils a reçu sur son projet, mais je me souviens que quelques semaines plus tard, nous avons reçu une lettre par la poste disant ce qui suit :

Merci de ce que vous avez fait. Merci d'avoir signalé ce que vous avez trouvé. Notre contentieux essaie de se réapproprier les droits ayant trait au nom de M. King.

La lettre était signée par feue Coretta Scott King.

J'ai agi en tant que parent et non en tant qu'enseignant. Il est donc possible d'utiliser des outils comme celui que j'ai mentionné. Toutefois, lorsque survient quelque chose de négatif — plutôt que de fermer les ordinateurs, les bannir ou les bloquer — il faut tenir des conversations avec les jeunes sur la façon dont ils doivent se comporter. Les jeunes feront face à ce genre de choses, que ce soit à la maison ou chez un ami, et nous pouvons utiliser ce qui pourrait être une situation négative pour en faire une possibilité d'enseignement. Chaque parent peut agir ainsi.

Le sénateur Ataullahjan : Nous avons discuté du rôle des parents. En tant que parent, je comprends ce que vous dites. De nos jours, lorsqu'on s'assoit avec nos enfants, on constate que chaque enfant a un ordinateur devant lui. Ils s'assoient ensemble, mais ils ne discutent pas entre eux parce qu'ils sont en train de parler à d'autres amis en ligne. Je sais que la responsabilité incombe aux parents. On peut adopter des lois, faire des sondages et des études, mais rien ne changera tant et aussi longtemps que les parents ne joueront pas un rôle plus actif.

D'autre part, est-ce qu'une partie de la responsabilité ne devrait pas incomber aux enseignants et aux écoles? Ne devrait-il pas y avoir de classe où on enseigne aux jeunes les conséquences de ce qu'ils publient dans les médias sociaux? Existe-t-il un logiciel de surveillance que les parents peuvent utiliser?

M. Belsey : Pour répondre à votre dernière question d'abord, je pense avoir mentionné le logiciel PureSight. Il a été créé par des parents et je n'ai aucun intérêt à en faire la promotion, mais il s'agit d'un des nombreux outils disponibles.

Pour ce qui est du genre de choses devant être faites, au début de l'année scolaire, chaque parent canadien reçoit habituellement une pile de papiers qu'il doit signer, y compris pour des excursions scolaires, et ils doivent également signer divers formulaires. L'un des formulaires que les parents canadiens reçoivent habituellement au début de l'année s'appelle le formulaire sur l'utilisation acceptable d'Internet. Avant que l'on demande aux parents de signer ces formulaires, il faut tenir des séances d'information. J'en donne une qui s'appelle Cyberparents 101. Il s'agit d'information provenant du Réseau Éducation-Médias par exemple qui offre de l'excellente information en français et en anglais. Le réseau dispose de ressources et de permis que les écoles peuvent utiliser avant que les parents ne signent pour donner leur permission. C'est quelque chose de concret que l'on peut faire.

Vous avez mentionné le rôle des écoles. Je suis heureux de vous rappeler — même si je n'en suis pas fier — que la grande majorité des élèves-maîtres ne reçoivent aucun cours axé sur de la recherche concernant l'intimidation à l'intention des enseignants ou des parents.

Cet été, j'ai communiqué par courriel avec la plupart des facultés d'éducation du Canada. Aucune d'entre elles ne m'a répondu. Deux écoles ont exprimé un intérêt : l'Institut de technologie de l'Université de l'Ontario et l'Université Mount Royal à Calgary. Il s'agit de deux universités parmi tant d'autres.

L'intimidation, et de nos jours la cyberintimidation, est le principal problème non pédagogique auquel les enseignants devront faire face dans les salles de classe, et malgré cela, la majorité d'entre eux ne reçoivent pas de formation à cet égard. C'est comme si des infirmiers et des médecins ne savaient pas comment soigner la grippe, et cela doit changer. Les enseignants et les professeurs qui ont suivi mes cours ou qui en ont pris connaissance les ont aimés.

Lors d'une conversation plut tôt aujourd'hui, j'ai mentionné que j'ai eu l'honneur d'aller en Colombie, en Amérique du Sud, l'an dernier, où j'ai fait un exposé à l'Université de Medellin. La faculté de psychologie m'avait demandé de présenter le cours que j'avais créé pour les enseignants. Ils en ont pris connaissance et l'ont beaucoup aimé, et maintenant ils affectent des ressources à la traduction de ce cours vers l'espagnol. Il sera bientôt rendu accessible aux éducateurs latinos et espagnols de partout dans le monde. Dans mon propre pays, l'un de mes rêves serait que ce cours soit donné en français.

C'est ironique. Je ne sais pas si c'est propre aux Canadiens ou pas — qu'il faille aller à l'étranger pour être reconnu; je ne sais pas de quoi cela tient —, mais il existe une ressource ici qui peut répondre directement à votre question, à savoir ce que les écoles doivent faire. Manifestement, il est évident que les éducateurs doivent s'informer davantage, surtout en ce qui a trait au problème de l'intimidation et de la cyberintimidation.

Le fait est que de nombreux enseignants, moi y compris, ont fait beaucoup d'erreurs. Par exemple, il ne faut pas que l'intimidateur et que la victime se retrouvent dans la même pièce. Cela ne fait qu'empirer les choses. On ne règle pas les problèmes d'intimidation avec les techniques de résolution de conflit.

J'ai fait toutes ces choses. S'il faut plaider coupable, je serai le premier à le faire. J'ai commis toutes ces erreurs au cours de ma carrière de 30 ans, et je ne veux pas que les nouveaux enseignants les répètent. Des jeunes comptent sur eux.

Des gens comme moi vont dans des écoles et demandent aux jeunes de nous aviser si de l'intimidation a lieu, et de ne pas garder le secret. Toutefois, nous savons très bien que si un jeune décide de divulguer ce qui se passe et de parler à un enseignant, si ce dernier n'a pas reçu de formation, il peut en fait empirer les choses.

La bonne nouvelle, c'est que nous pouvons changer les choses. Ce n'est pas très complexe; c'est une question de comportement et d'apprentissage. C'est quelque chose que l'on peut régler rapidement.

Le sénateur Zimmer : Monsieur Belsey, je m'excuse de porter des verres fumés. J'ai appris samedi qu'à mon âge, je ne devais pas nettoyer les gouttières. J'ai glissé en descendant l'échelle et je me suis servi de ma tête comme d'un ballon de basketball, de sorte que je me suis fait un œil au beurre noir.

C'est un sujet très intéressant; et j'en ai beaucoup parlé à mon personnel. Je suis d'accord pour dire que les fournisseurs de services ont une immense responsabilité; ils ont oublié la raison pour laquelle les premiers téléphones cellulaires avaient été inventés, c'est-à-dire pour la communication. On en fait maintenant un mauvais usage avec Facebook et Twitter et tout ce genre de choses. Bon, ça c'est une autre histoire, mais je suis heureux que vous ayez soulevé cette question.

La cyberintimidation existe depuis combien de temps, et selon vous, les programmes comme Instant Messenger, Facebook, les jeux en ligne et ainsi de suite constituent-ils l'une des raisons principales de ce problème?

M. Belsey : J'ai défini le terme de cyberintimidation pour la première fois il y a environ 10 ans. Mais il existait sans doute sous d'autres formes parce qu'Internet existait de façon différente d'aujourd'hui sous la forme de la grande toile. La cyberintimidation existe depuis l'époque de arpen.net aux États-Unis, lorsque des chercheurs échangeaient de l'information. Il se peut fort bien qu'un professeur se soit mis en colère contre un entrepreneur militaire de l'époque et qu'il y ait eu une forme de cyberintimidation. Toutefois, pour ce qui est de l'utilisation courante de ce mot, je dirais que j'en ai pris connaissance il y a environ 10 ans.

Une des analogies que j'ai utilisées plus tôt était celle d'un marteau. Je vais vous donner un exemple de la façon dont je permets l'utilisation des téléphones cellulaires dans ma propre division scolaire qui est celle de Rockyview School Division aux abords de Calgary. Il s'agit d'une école publique dans un secteur rural qui est très progressive. Elle a une vision relativement aux méthodes pédagogiques du XXIe siècle. Le conseil scolaire a convenu — non pas avec moi particulièrement, même si je considère qu'il s'agit d'ordinateurs. Mes élèves me donnent de la rétroaction sur mes leçons par l'entremise de leur téléphone cellulaire. Mes élèves peuvent au moyen de leur téléphone cellulaire m'envoyer un gazouillis sur leurs impressions personnelles concernant l'importance du Jour du Souvenir. On peut utiliser ces ordinateurs de poche de la même façon que d'autres ordinateurs de taille et de forme différentes, mais le secret, c'est ce que l'on fait avec les jeunes et la façon dont on suscite leur adhésion.

Comme je l'ai dit, dans ma classe, tous mes élèves utilisent des ordinateurs — y compris des ordinateurs de poche — de toutes sortes de façons. Mes élèves viennent de lancer un blog, qui se trouve aux adresses DearCanada.ca ou ShareCanada.ca, où ils peuvent écrire des lettres décrivant leur amour pour le Canada. Certains de mes élèves font leurs devoirs sur leur téléphone cellulaire. Ma fille Julia, qui vient de rentrer de sa première année à l'Université Acadia, a dit qu'elle a récemment écrit un article sur son BlackBerry, qu'elle l'a soumis à son professeur et qu'elle a heureusement reçu une note de 92 pour ce devoir.

Il s'agit d'ordinateurs de poche, qui nous permettent de faire tout ce que l'on veut, tant et aussi longtemps que l'on demande aux gens de s'en servir de façon judicieuse. Également, dans ma classe, mes élèves ont recours à des jeux électroniques éducatifs. L'un d'entre eux qui s'appelle Food Force a été créé par l'UNICEF et découle du programme alimentaire mondial de l'ONU.

C'est bien de parler de la faim, de la distribution des denrées alimentaires et de la pauvreté aux enfants, mais c'est encore mieux, en termes d'apprentissage, de demander à des jeunes de 12 ou 13 ans de participer à un jeu de simulation dont le but est de prendre des décisions quant à la distribution des aliments en ayant recours à des données scientifiques et des statistiques; donc il faut faire attention. Il est évident que dans certains jeux vidéo, les personnages ont des comportements un peu bêtes ou carrément négatifs, mais il faut que vous compreniez que dans le cadre de mon enseignement, je fais appel au jeu, je montre aux jeunes comment il faut faire pour créer ses propres jeux, notamment comment créer une application téléphonique. Quand on a à sa disposition de bons outils créatifs, on peut montrer aux jeunes comment s'en servir à bon escient.

Permettez-moi de donner un autre exemple relativement à l'autre question portant sur l'éducation et le rôle des écoles. Il y a un terme que j'ai inventé il y a quelques années la « Netizenship »; on entend des fois parler également de citoyenneté numérique. J'ai tenté de comprendre ce que ça voulait dire pour les jeunes d'aujourd'hui d'être citoyens. Étant donné le rôle important d'Internet dans les modes d'apprentissage du XXIe siècle, je me suis demandé pourquoi, au lieu de faire des projets sur l'Afrique, on n'organiserait pas des projets en collaboration avec les enfants africains.

Mes élèves ont créé un site web, netsfornet.net. Avec un ami à moi, qui est également enseignant, nous avons lancé un projet avec des élèves du secondaire au Botswana. Grâce à Twitter, Skype, aux forums de discussion, aux blogues et aux vidéos, les élèves botswanais ont pu expliquer à mes élèves de 10 ans, en pleine campagne albertaine, dans quel point le paludisme est une maladie grave.

En classe, mes élèves sont en liaison directe avec ces jeunes Africains. Ils ont appris que tous les jours, de nombreux enfants meurent du paludisme, l'équivalent de sept avions gros porteurs. Ce sont des enfants qui font face à cette réalité qui le leur disent. Mes élèves ont créé un projet qui leur a permis de recueillir plus de 700 $ et ainsi d'acheter 70 moustiquaires. Nous avons viré l'argent au Botswana, et les élèves ont pu acheter leurs moustiquaires de lit et les distribuer. Des photos ont été prises du processus tout entier. Voilà ce que veut dire Netizenship, à savoir tirer profit d'Internet pour inciter les jeunes à faire de bonnes actions.

Tout ceci a un lien avec les discussions portant sur la cyberintimidation, parce qu'il est important qu'on offre des modèles à nos enfants, c'est-à-dire qu'on ne se contente pas toujours d'interdire ceci ou de bloquer cela. Il faut instaurer une culture de planification, d'enseignement et d'apprentissage, dans le cadre de laquelle on se demande comment procéder pour utiliser Skype à bon escient, par exemple. On sait, par exemple, que Skype nous permet de dialoguer avec les jeunes Africains. Pourquoi se contenter de projets portant sur l'Afrique alors qu'il est possible de collaborer avec les Africains?

La jeunesse d'aujourd'hui grandit dans un monde merveilleux. Pour revenir à la question qui a été posée précédemment — quel est le rôle des éducateurs et des écoles? —, je dirais que nous pouvons montrer aux jeunes comment se servir des nouvelles technologies à des fins positives. Ainsi, lorsque nos jeunes se retrouvent dans une situation difficile, ils pourront penser à ces paradigmes positifs. Voilà donc un exemple de ce que nous pouvons faire; en tout cas, c'est ce que j'essaie de faire avec mes propres élèves.

Le sénateur Zimmer : Je suppose que tout peut être utilisé à bon et à mauvais escient. Dans un des graphiques sur l'intimidation que vous nous avez donnés, je constate que les garçons ont toujours plus intimidé les autres que les filles. Pourquoi, à votre avis?

M. Belsey : Attention. En ce qui a trait à la cyberintimidation, par exemple, nous savons que les filles sont plus portées que les garçons à s'adonner aux formes dites sociales d'intimidation. De façon générale, les garçons sont plus physiques que sociaux. Parce que la cyberintimidation se fait par l'entremise de technologies de communication propres aux médias sociaux, c'est un phénomène qui touche les filles plus que les garçons. Les filles qui sont victimes de cyberintimidation le sont en général en raison de leurs attributs physiques, alors que pour les garçons, c'est souvent une question de sexualité. Au secondaire, les jeunes disent des autres : « Il est gai ». Il s'agit d'une menace ou d'un moyen d'intimidation. Les jeunes créent des bureaux de vote virtuels où les élèves peuvent voter anonymement pour élire la fille la plus moche de l'école ou encore le garçon qui fait le plus gai. Ça existe, ce genre de choses. Il y a deux choses qui encouragent ce type de comportement. D'abord, l'anonymat. Les élèves ont l'impression que tout se fait dans l'anonymat en ligne. Par contre, quand je leur montre Virtual World — Real Consequences, ils se rendent compte qu'il s'agit d'une fausse idée.

La cyberintimidation s'explique également par ce que les psychologues appellent la désinhibition. Ainsi, le jeune ne voit pas la personne qu'il blesse. Et c'est ainsi que les jeunes qui sont très gentils, en temps normal, tiennent des propos en ligne qu'ils ne tiendraient pas dans la vie de tous les jours. Je le répète, en ligne, on n'a pas de contacts physiques avec la personne qu'on intimide. Cette distance donne la fausse impression qu'il est acceptable de dire sur Internet tout ce qui nous passe par la tête. Les jeunes ont du mal à comprendre que s'il s'agit d'un monde virtuel, les conséquences sont bien réelles pour eux et pour les autres. De plus, comme je l'ai dit précédemment, les adolescents vivent dans le présent et ont du mal à comprendre les liens de cause à effet. Je n'essaie pas de banaliser leur comportement parce qu'il faut qu'ils assument leur responsabilité, mais en même temps il est important que nous comprenions la dynamique des adolescents en ligne.

Le sénateur Hubley : Je suppose que nous sommes tous autour de la table en train de digérer vos propos. Le système en ligne dont les enfants et les jeunes se servent de nos jours fait partie intégrante de notre culture, n'est-ce pas?

M. Belsey : C'est comme de l'éther. Moi je dis de la génération d'aujourd'hui qu'elle est toujours branchée.

Le sénateur Hubley : Quand de nouveaux éléments intègrent notre culture, il y a toujours certains aspects qui nous font très très peur. De façon générale, pensez-vous que les jeunes finiront par trouver des réponses à leurs questions et comprendront qu'il est effectivement possible d'éviter des pièges et qu'il ne faut pas endurer l'intimidation, si vraiment ils ont le sentiment d'être intimidés? Où en sommes-nous dans ce processus évolutif?

M. Belsey : Les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises : d'après certains rapports, en dépit de ce qu'en disent les médias, les différentes formes d'intimidation tendent à diminuer progressivement. Pour ce qui est de la cyberintimidation, il y a quelque chose qui m'inquiète à titre de père et d'enseignant auprès d'élèves dont je me soucie beaucoup et qui ne peuvent pas trouver tout seuls des solutions à leurs problèmes. Comme je l'ai dit précédemment, je suis tombé dans tous les panneaux possibles et imaginables quand il a fallu que je gère cette situation. J'ai commis toutes les erreurs possibles. Il faudrait que les enseignants soient beaucoup mieux formés et que cette formation commence aussi rapidement que possible parce que quand les jeunes souffrent et font appel à un adulte pour les aider, il faut que cette personne ait été bien formée. Mes élèves ont un prof qui comprend la technologie et la problématique. Je suis donc relativement bien placé pour les aider. Mes collègues pourraient faire de même s'ils étaient formés. Les jeunes qui sont victimes d'intimidation se sentent souvent seuls même s'ils ne manquent pas d'amour à la maison, et ça m'inquiète. Souvenez-vous du jeune à Ottawa qui a affiché son homosexualité. Je me souviens avoir écouté en Alberta son père qui passait à la télévision et disait qu'il aimait son fils, qu'il l'avait accepté, qu'il l'avait accepté à titre de jeune homosexuel, qu'il l'aimait ainsi et qu'il avait fait tout ce qu'il avait pu faire. Il a enchaîné en disant qu'il n'en avait pas fait suffisamment. Nous ne sommes pas au bout de notre peine.

Comme je l'ai dit plus tôt, en dépit du fait que la cyberintimidation soit troublante, je reste optimiste. Pensez aux progrès qui ont été faits au cours des dernières années pour contrer le tabagisme et inciter les gens à recycler. Il s'agit dans les deux cas de comportements. Lentement mais sûrement, ces comportements ont évolué positivement au Canada. Le truc, c'est qu'on ne peut pas tout simplement dire à nos jeunes de patienter pendant qu'on trouve une solution. Et puis, c'est l'entourage des jeunes qu'on doit viser, c'est très important : Il faut aider et comprendre les parents et s'engager à les appuyer; il faut former les éducateurs; il faut pousser les entreprises à assumer une part plus importante de responsabilités et il faut exhorter le gouvernement à faire évoluer les choses. Moi, mes élèves ont 12 ou 13 ans et on me dit que je suis fou de vouloir enseigner à ce niveau-là, car c'est à cet âge que c'est le plus difficile. Je n'en suis pas convaincu; j'adore mon métier. Les jeunes d'aujourd'hui sont tellement intelligents et capables; ils font des choses merveilleuses.

Il y a deux jeunes filles au secondaire qui ont fait des recherches de calibre universitaire. Elles m'ont dit qu'il avait fallu qu'elles effectuent leur recherche sur le cancer du sein chez elles parce que quand elles avaient essayé de saisir « cancer du sein » aux ordinateurs de l'école, les filtres informatiques les avaient empêchées d'avoir accès au site pertinent. Il faut qu'on tourne le dos à cette culture d'interdiction et de blocage. On doit appuyer nos professeurs pour qu'ils soient en mesure de bien réagir aux différentes situations qui se présentent. Vous savez, les jeunes sont gentils en général. Voilà donc la vue d'ensemble.

Il y a aussi des recherches qui ont été effectuées sur la sécurité sur Internet, qui démontrent que les adolescents sont de plus en plus conscients des dangers et le sont beaucoup plus que les adultes. Sommes-nous au bout de nos peines? Non. Pour s'en convaincre, il suffit de s'attarder à certaines décisions prises par les leaders politiques relativement aux technologies. Je pense que beaucoup de nos jeunes sont en fait des modèles. Même si la question dont nous discutons revêt une importance capitale, je garde mon optimisme.

Cela fait plus de 30 ans que j'enseigne. Demain, je vais retrouver mes élèves adolescents, ainsi que mes propres enfants qui sont également adolescents. C'est ça, ma réalité à moi. De façon générale, les jeunes sont super, mais il faut que les adultes répondent présents quand ils ont besoin d'aide. Le comité pourrait peut-être jouer le rôle suivant : déterminer ce que la société canadienne peut faire pour s'assurer d'avoir en place les bonnes mesures d'appui dans le contexte scolaire et familial, sans oublier les entreprises, pour que nous soyons à l'écoute lorsque les jeunes ont besoin d'aide.

Quand on contacte le fournisseur de service, des fois on obtient de l'aide, mais pas toujours. Il y a la police, et les policiers font tout leur possible, mais croulent souvent sous le travail. Certains font des recherches sur Google en utilisant comme mot-clé intimidation ou cyberintimidation. L'an dernier, plus de 3,5 millions de personnes ont visité le site, bullying.org et ont raconté leurs histoires. Nous passons au travers de tous les témoignages et de toutes les réponses. On prend souvent contact avec moi. J'ai pourtant ma famille et mon travail, mais je suis devenu, par la force des choses, disons, un ombudsman. Les parents, eux sont complètement frustrés. Ils veulent faire quelque chose, venir en aide à leurs enfants, mais ils ne savent pas vers qui se tourner. Cette situation doit changer.

Voilà donc ce dont nous avons besoin. De façon générale, je crois en la bonté de nos jeunes. C'est pour ça que je suis devenu professeur. Et à ce titre, ma responsabilité première, c'est de créer un environnement propice à l'épanouissement des jeunes. La logique est simple : les jeunes qui ont peur d'aller à l'école parce qu'ils s'y font intimider ou qu'ils sont intimidés sur le web ne peuvent pas s'épanouir pleinement.

Le sénateur Nancy Ruth : Je m'intéresse aux différences entre les sexes et je suis sûre que cette analyse figure parmi toutes les informations que vous nous avez données. Pourriez-vous nous parler des différences qui existent entre les filles et les garçons, qui intimide, qui est victime d'intimidation, quelles en sont les répercussions, qui demande de l'aide et qui ne veut rien savoir? J'aimerais aussi savoir pourquoi les adolescents voudraient faire du tort aux autres.

M. Belsey : Je suis père de famille, j'enseigne au secondaire et je m'occupe de mon site Bullying.org quand j'ai le temps, quand j'ai fini de préparer tous mes cours. Pour répondre à votre question, je dirais que je ne suis ni chercheur ni universitaire. Mais je peux vous dire ceci : en général, les filles s'adonnent plus que les garçons à la cyberintimidation, mais ça ne veut pas dire que les garçons ne sont pas concernés.

Ce sont plutôt les formes sociales d'intimidation qui intéressent les filles. Vous vouliez savoir pourquoi le phénomène existe, et je vous dirais que l'intimidation, c'est fondamentalement une question de relations interpersonnelles. C'est une façon d'exercer un certain pouvoir et un certain contrôle sur les autres. On fait du tort aux autres lorsqu'on essaie d'établir cette relation de pouvoir et de contrôler les autres. Maintenant ça peut se faire verbalement, psychologiquement, socialement ou encore par le biais de la cyberintimidation, mais que ça se fasse sur Internet ou pas, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une question de relations interpersonnelles et qu'à la base c'est une question de pouvoir et de contrôle. Pourquoi l'intimidation existe-t-elle? C'est sûr qu'il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte, mais fondamentalement c'est une question de pouvoir et de contrôle.

Le sénateur Nancy Ruth : Si ce sont les filles qui sont à l'origine des formes sociales d'intimidation, que font les garçons?

M. Belsey : Les garçons s'adonnent à toutes les formes d'intimidation. Il n'existe pas de démarcation claire. Les garçons sont également la source des formes sociales d'intimidation.

Le sénateur Nancy Ruth : Y a-t-il des analyses qui ont été faites sur le rôle des pairs, ou peut-on dire que de façon générale il n'y a pas vraiment de distinction entre le comportement des filles et des garçons?

M. Belsey : Je n'ai pas apporté ces rapports-là, mais je pourrais vous les faire parvenir par courriel. Je sais ce à quoi vous faites référence, mais je suis incapable de me souvenir des détails. Je ne parle pas non plus de cette question précise dans mon exposé. En fait, l'intimidation et la cyberintimidation sont comme une pièce de théâtre. Comme vous le savez, j'enseigne au secondaire et dans la cour de récréation il n'est pas rare de voir un jeune passer de la position de victime à celui d'agresseur et enfin à celui de spectateur en l'espace de quelques minutes. Le même phénomène se produit en ligne. Les jeunes peuvent être tantôt l'agresseur, tantôt la victime, tantôt le spectateur. Pour ma part, j'encourage mes élèves à surveiller de près ce qui se passe sur la Toile. Je leur dis que quand ils détectent quelque chose qui ne va pas il faut le dire et venir en aide aux personnes qui en ont besoin. Il faut également faire attention de ne pas apposer l'étiquette de taxeur de façon trop précipitée. L'intimidation, après tout, c'est un comportement. On ne voudrait pas qu'en traitant un enfant de taxeur on le pousse à le devenir pour concrétiser l'idée qu'on se fait de lui. Cet enfant pratique peut-être l'intimidation, mais il faut être vigilant. Le même enfant, dans le courant de la récréation, sans parler de la journée scolaire, peut être victime, agresseur et spectateur dans un très court laps de temps. Il faut qu'on comprenne qu'il s'agit d'un phénomène fluide. C'est vrai que c'est tentant d'établir des catégories perméables lorsqu'on tente de définir les différents comportements ou les différentes choses, mais il faut comprendre que l'intimidation c'est un phénomène complexe parce qu'il relève de relations interpersonnelles.

Quand j'entends parler de politiques de tolérance zéro, ça déclenche des sonnettes d'alarme. Le terme tolérance zéro a été inventé à l'époque des guerres antidrogue aux États-Unis. C'est là que le terme a vu le jour. Dans le cadre de politiques tolérance zéro, en général ça veut dire qu'après un incident d'intimidation, le jeune est expulsé, mais pour un jeune qui vit à Rankin Inlet, au Nunavut ou encore à Cochrane, en Alberta, on l'expulse pour l'envoyer où? Tout supporteur de hockey canadien qui se respecte sait que c'est l'instigateur qui est pénalisé, mais c'est aussi celui qui riposte. Mais ce système n'a pas vraiment d'effet dissuasif. Que ce soit de l'intimidation traditionnelle ou de la cyberintimidation, ce qui est important c'est qu'il y ait des conséquences. Elles ne sont pas nécessairement différentes en fonction du sexe, mais il faut qu'elles soient formatrices.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez abordé beaucoup de questions différentes et j'essaie de vous suivre dans votre raisonnement. Ce que vous dites, en deux mots, c'est que nous avons un nouvel outil. Les enfants, pour leur part, n'ont pas vraiment changé, ils ont les mêmes problèmes interpersonnels, les mêmes problèmes de maturation, les mêmes problèmes à l'école, dans leur collectivité et chez eux, mais il faut tenir compte du fait que les jeunes d'aujourd'hui ne grandissent pas tous dans le même type de foyer ou de communauté et ne vont pas tous au même type d'école.

Vous dites qu'il faudrait qu'il y ait plus de sensibilisation et qu'il faudrait que les parents comprennent mieux ce nouvel outil qui est le cyberespace. Par contre, si j'ai bien compris, vous ne croyez pas que les jeunes aient changé au cours des 10 à 20 dernières années. Ils font face aux mêmes types de difficultés auxquels se heurtaient les jeunes qui les ont précédés.

Je le précise par rapport aux changements que nous avons apportés à nos lois. Lorsque les adultes ont décidé de changer leur société, par le biais de l'adoption de textes sur la garde partagée, de la Loi sur le divorce sans parler de l'obtention de nouvelles libertés, ce sont les enfants qui en ont subi les conséquences. Ils ont dû s'adapter au nouveau monde qu'on était en train de créer. Mais je ne crois pas que ce soit ce qui se produit actuellement. En effet, les adultes et les enfants semblent bien s'adapter aux nouvelles technologies. Technologies dont on se sert à bon et mauvais escient. Si j'ai bien compris, nous nous concentrons aujourd'hui sur l'une des utilisations négatives des nouvelles technologies. Est-ce exact?

M. Belsey : Oui. À certains égards, il est vrai que l'intimidation d'aujourd'hui n'est pas bien différente de celle d'autrefois, mais permettez-moi de vous parler de la portée de la cyberintimidation. La cyberintimidation, ça se fait en un clic de la souris. Autrefois, les témoins d'un acte d'intimidation étaient les élèves dans la cour de récréation, mais aujourd'hui quand il y a cyberintimidation, c'est tous les internautes qui en sont témoins.

La cybersocialisation, c'est quelque chose qui commence très tôt. Souvent ce sont les grands frères ou grandes soeurs qui montrent aux autres enfants de la famille comment ouvrir un compte Facebook. Attendez, il faut avoir 13 ans. Je vais te montrer ce qu'il faut que tu fasses. Ça fait un peu l'aveugle conduisant l'aveugle des fois. Les jeunes s'abonnent à ces services puis affichent toutes sortes d'informations personnelles qui ne regardent personne. Les parents ne sont même pas au courant. Certains vous diraient que les choses changent. Récemment, j'ai pris connaissance de recherches faites sur le multitasking c'est-à-dire des jeunes qui font toute une série de choses en même temps. D'après les recherches effectuées, le multitasking ne permet pas aux jeunes de se concentrer sur l'acquisition de connaissances.

Pour ce qui est de ce qui a changé, ma femme a assisté à une conférence sur la recherche sur le cerveau à San Francisco l'an dernier. Il y aurait des résultats préliminaires qui démontreraient que les synapses du cerveau fonctionnent différemment du fait de l'interaction des jeunes avec les écrans. De plus, il apparaîtrait que les enfants commençant la maternelle n'interpréteraient pas les expressions faciales ou les indices visuels aussi bien que les générations précédentes. Ce sont des choses comme le contact visuel, la poignée de main et les autres choses que font les adultes par automatisme qui ont été mesurées et il semblerait que les jeunes d'aujourd'hui ont du mal à adapter leur comportement en fonction des expressions faciales de leurs interlocuteurs.

D'aucuns vous diraient qu'il existe aujourd'hui chez les jeunes un sentiment du « tout m'est dû », qui n'existait pas auparavant.

Certaines choses n'ont pas du tout changé, mais d'autres ont beaucoup évolué. Les technologies dont profitent les enfants pour communiquer, pour s'amuser et pour apprendre changent les choses. Il y a quelqu'un qui a dit qu'il n'y a pas si longtemps il avait vu un groupe de jeunes qui communiquaient entre eux sans se regarder par l'entremise d'ordinateurs portatifs et de téléphones cellulaires. Ça c'est quelque chose de nouveau

Le sénateur Andreychuk : Dites-vous qu'il s'agit d'un autre outil — très complexe, certes — que le cyberespace génère les mêmes comportements que ceux qui existaient déjà? Par conséquent, on devrait s'intéresser aux répercussions de cette technologie sur les différentes expériences de vie des jeunes.

M Belsey : Permettez-moi de clarifier quelque chose. Me faites-vous dire que la cyberintimidation c'est un nouvel outil?

Le sénateur Andreychuk : C'est le cyberespace qui est le nouvel outil. Je vous ai écouté parler de problèmes interpersonnels, du rôle de l'école, de la famille et de la collectivité. Vous avez parlé des expériences qui font partie de la vie de tous les enfants, pour le meilleur et pour le pire. Il y a 40 ans, 30 ans pour vous, j'essayais d'élever mon enfant de façon responsable et j'avais l'école, mes parents et ma collectivité. Aujourd'hui, il y a un autre facteur qui s'ajoute à tout cela, à savoir tout l'équipement qui permet aux jeunes d'avoir accès à toute une panoplie de choses instantanément.

À l'époque, un enfant s'éloignait de chez lui d'un pâté de maisons, puis traversait la ville et enfin parcourait le continent. Maintenant les jeunes peuvent aller n'importe où, mais leur niveau de maturation est le même. Croyez-vous que le cyberespace et les outils qu'ont les jeunes aujourd'hui — et justement vous commenciez à aborder ce sujet-là — ont un impact sur leur cerveau, sur leurs capacités? Dans l'affirmative ce serait le seul nouveau phénomène. Autrement, il s'agit tout simplement d'un nouvel outil au sujet duquel les parents devraient s'informer et auquel nous devrions adapter notre cursus et nos modes de communication, et cetera. Tous les 10 ans, quand il y a de nouvelles percées technologiques, c'est ce qu'on fait. Dites-vous que cette fois-ci il y a quelque chose qui fait en sorte que les enfants changent fondamentalement?

M. Belsey : Oui. J'ai récemment pris connaissance de ces recherches qui sont très préliminaires. Je répète que je ne suis pas universitaire et que je ne peux pas consacrer tout mon temps à ce genre de choses. Par contre, je suis l'évolution des recherches dans le domaine. Je m'intéresse aux liens qui existent entre le multitasking et le développement du cerveau. On commence à constater que le fonctionnement du cerveau commence à changer en raison de l'utilisation de ces diverses technologies.

Les changements sont énormes. Les jeunes ont maintenant une différente façon d'apprendre, mais également une différente façon de penser. Comme je l'ai dit précédemment, quand mes élèves sont en cours, ils ont le monde à portée de main. Grâce à Google Earth, il nous suffit d'un clic pour établir une vidéoconférence avec des jeunes à l'autre bout du monde. Les jeunes d'aujourd'hui ont une façon de penser qu'on retrouve partout dans le monde et qui est propre à la génération dite toujours branchée. D'après certaines recherches préliminaires, les nouvelles technologies changent les modes d'apprentissage et les façons de penser.

Suis-je expert en la matière? Non. Par contre, j'ai constaté qu'il faut changer nos méthodes d'enseignement pour tirer profit de ces outils afin d'optimiser le processus d'apprentissage. Dans diverses divisions scolaires, dont la mienne, nous parlons de méthodes d'apprentissage du XXIe siècle. Les choses ont changé. J'ai des élèves de 10 ans qui ont déjà un domaine d'expertise. C'est remarquable. Autrefois, il fallait obtenir une maîtrise ou un doctorat puis publier un article pour se faire vénérer par ses étudiants venus se faire former par la sommité. De nos jours, les jeunes font des choses extraordinaires et en parlent par le biais d'Internet. Ça, c'est un véritable changement. Les internautes ne savent pas nécessairement que ce sont des plus jeunes qu'eux qui ont publié des informations sur Internet qui, en dépit de leur âge, sont des sommités dans certains domaines. C'est vraiment remarquable.

Le sénateur Andreychuk : Ça en dit peut-être plus long sur vous et moi que sur les jeunes. Quand on parle de recherche, j'estime qu'il est important qu'on nous fasse parvenir les documents sur le projet de recherche à proprement parler, c'est capital. J'aimerais que quelqu'un qui connaît intimement ces projets de recherche nous dise si on fait simplement du rattrapage en essayant de déterminer comment on devrait gérer le cyberespace et par conséquent l'intimidation, ou si vraiment on assiste à un véritable phénomène de changement des activités du cerveau, d'adaptation, et cetera. Ça ce serait quelque chose d'entièrement nouveau. Très franchement, ce n'est pas la première fois que j'entends parler de ça et je ne peux pas dire que tout ce que j'ai entendu soit crédible. Pourriez-vous envoyer vos sources au greffier?

M. Belsey : Je serais heureux de faire le nécessaire lorsque je rentrerai chez moi. Je dirais également qu'en ce qui a trait aux choses qui ont changé, nous nous intéressons à l'heure actuelle au concept de la désinhibition, quand les internautes discutent entre eux sans se voir. Il s'agit de quelque chose de relativement nouveau. Certains jeunes ne se comporteraient jamais dans la vraie vie comme ils se comportent sur Internet. J'ai été invité à passer quelque temps dans une école privée bien connue, ici en Ontario. Une des enseignantes était victime de cyberintimidation. Le coupable, c'était l'un des meilleurs élèves, un des plus calmes, un très bon élève qui était toujours tranquille en classe, et pourtant il tenait sur Internet des propos blessants et haineux.

Nous sommes dans une ère nouvelle, et des choses changent. Les jeunes se retrouvent dans des situations complètement nouvelles et ont accès à des ressources et à des outils pour la première fois de notre histoire. C'est nouveau ça aussi.

Le sénateur Andreychuk : La nouveauté, c'est peut-être la multitude ou les médias. Par contre, autrefois, même les enfants les plus dociles laissaient des messages anonymes. Les jeunes cognaient à la porte des gens pour aussitôt partir en courant. Le pourquoi de ces comportements n'a pas changé avec le temps. La différence, c'est que les jeunes ont à leur disposition un outil très dynamique qui leur fait peut-être aussi peur qu'à nous, mais qui sera sans doute positif à long terme.

M. Belsey : Comme j'espère vous l'avoir fait comprendre il y a quelques minutes, je suis une personne très positive. Les activités que j'organise dans ma salle de classe sont, je l'espère, fascinantes et intéressantes. J'essaie de reproduire aussi souvent que possible les utilisations positives des technologies formidables qui sont maintenant à notre disposition.

Le sénateur Zimmer : Sénateur, vous touchez au coeur de la question. Vous écoutez probablement John Tesh à la station de radio américaine 98,5.

Le sénateur Andreychuk : En fait, je ne l'ai jamais écouté.

Le sénateur Zimmer : Il a parlé de cela. La recherche médicale a démontré que les jeunes, de nos jours, se rappellent seulement 20 p. 100 de ce qu'ils lisent à l'ordinateur et avec d'autres outils du genre. Ça s'explique parce qu'ils ne font que parcourir les textes. Cela cause le trouble déficitaire de l'attention. La meilleure façon d'entraîner son cerveau est en lisant des livres. Les jeunes ne lisent jamais le message en entier. En fait, ils prennent de mauvais plis en n'étant pas attentifs et en ne se concentrant pas. D'ailleurs, ça fait en sorte qu'ils ne sont pas concentrés. C'est ce que la recherche médicale étudie en ce moment, et John Tesh en parle depuis des mois. Je voulais ajouter cela.

Le sénateur Baker : Sénateur Zimmer, c'est une remarque très pertinente. Je pense que la raison pour laquelle le sénateur Andreychuk a soulevé la question de cette façon, c'est parce qu'elle est une ancienne juge et qu'elle a écouté le témoin très attentivement.

J'aimerais féliciter le témoin pour le travail extraordinaire qu'il a fait au fil des ans. Je pense que vous avez été le premier à employer le mot « cyberintimidation ». Comme vous le savez probablement, au cours des derniers temps, le mot a été employé dans la jurisprudence et dans des affaires civiles et criminelles relatives à des écoliers. Dans les affaires civiles, des accusations de diffamation ont été portées, et des parents ont lancé des poursuites contre d'autres enfants qui prenaient part à la cyberintimidation. Dans les affaires criminelles, la cyberintimidation peut être définie comme une agression. Dans d'autres cas, une personne qui en a agressé une autre peut invoquer la cyberintimidation parce qu'elle a été intimidée sur le web et qu'elle sait qui est l'intimidateur.

En vous fiant à votre vaste connaissance du sujet, recommanderiez-vous au comité d'étudier des changements dans la loi, de nature criminelle ou civile, pour faciliter l'atteinte de l'objectif auquel vous avez travaillé au fil des ans et pour rendre justice à certains enfants?

M. Belsey : Merci pour votre question. Je répondrai en disant que je suis très à l'aise de travailler dans mon propre domaine, l'éducation. Je crois toujours que la meilleure façon de traiter de telles questions est de miser sur la prévention par le biais de l'éducation et de la sensibilisation. J'ai peut-être déjà mentionné que, selon moi, la cyberintimidation est en quelque sorte un crime passionnel parce qu'il survient dans le feu de l'action. Les adolescents réfléchissent et vivent dans l'instant présent et leurs comportements en ligne sont impulsifs. Je doute que des lois puissent changer ces comportements. Ai-je l'expertise ou l'expérience juridique nécessaire pour commenter là-dessus? Je ne pense pas, mais je vous dirai que, à titre d'éducateur qui travaille avec des adolescents chaque jour et à titre de parent d'adolescents, c'est un sujet avec lequel je suis extrêmement à l'aise. Je dirais que nous devons entre autres aider les jeunes à développer leur empathie. J'ai parlé d'un projet permettant à mes élèves d'entrer en communication avec un groupe d'enfants africains.

Nous avons aussi le projet seeingpeace.net où mes élèves communiquent avec un groupe d'enfants palestiniens à Jérusalem et avec des soldats canadiens en Afghanistan. Nous avons lancé la question : « Quelle est votre conception de la paix? » Nous avons eu des discussions à ce sujet.

J'essaie, à différents niveaux et de différentes façons, d'amener mes élèves à utiliser l'informatique et à leur faire créer un modèle pour utiliser ces technologies de façon positive pour toujours aspirer aux meilleures pratiques. Je ne sais pas si je me sens vraiment qualifié pour déterminer si des lois pourront bien traiter de ce problème. Selon mon expérience avec les adolescents et la technologie ainsi que la façon dont ils utilisent cette dernière, je ne sais vraiment pas si c'est la meilleure voie à suivre.

Par exemple, dans les écoles, il y a souvent des filtres et des outils pour bloquer l'accès. En installant ces mesures, le message qu'on envoie aux enfants, c'est qu'on ne leur fait pas confiance. Je crois que parfois ça devient un cercle vicieux. On obtient ce à quoi on s'attendait.

Mes élèves m'ont toujours agréablement surpris quand nous avons fait des projets collaboratifs intéressants ayant recours à la technologie. Ils sont allés au-delà de ce à quoi je m'attendais. J'imagine que c'est mon expérience d'éducateur qui me dit qu'il faut miser sur la prévention par le biais de l'éducation et de la sensibilisation.

Il serait probablement difficile de trouver une école au Canada qui ne s'est pas dotée d'une politique pour traiter de l'intimidation sous quelque forme que ce soit, y compris probablement la cyberintimidation dans le contexte actuel. Par contre, ce qui est problématique avec les politiques, les lois et autres mesures, c'est qu'elles ont tendance à être réactives et punitives. Les chercheurs de renommée mondiale qui ont eu la gentillesse de me superviser me disent que oui, il doit y avoir des conséquences à ces actions, mais ces conséquences doivent être formatives parce que c'est ainsi qu'on apprend.

En tant qu'éducateur, si je devais concentrer mes efforts dans un domaine en particulier, c'est sur cela que je miserais. Si je pense à la mentalité des adolescents et à l'endroit où ils vivent, je me demande si une loi parviendra à dissuader une jeune fille de 15 ans qui vient d'être abandonnée par son ancien petit ami d'envoyer un texto. Elle ne prendra probablement pas le temps de réfléchir aux lois d'Ottawa.

C'est la réalité de la plupart des adolescents quant à cette question, et je ne sais pas si une loi sera vraiment efficace. Je pense que l'éducation et la sensibilisation le seraient davantage.

Je vais vous donner un exemple spécifique. Mes étudiants rédigent régulièrement des blogues, et l'autre jour un de mes élèves s'apprêtait à afficher son texte. Les élèves me remettent leurs textes pour que je les révise et que je les aide à corriger leurs erreurs de grammaire et d'orthographe, mais aussi pour que je corrige un peu le contenu. Quand j'ai vu son commentaire, je lui ai demandé de venir me voir et de repasser en revue son texte.

Je lui ai demandé d'y jeter un coup d'oeil et de me dire ce qu'il en pensait avant que je ne l'affiche au monde entier. Qu'est-ce que tu penses que tes camarades de classe ou tes parents diraient si j'affichais ce commentaire sur-le-champ?

Il était absolument horrifié par ce qu'il avait écrit. Il ne l'avait écrit que 30 minutes auparavant et il avait oublié ce qui s'y trouvait. Je lui ai demandé d'y réfléchir et il m'a dit : « Monsieur Belsey, je suis désolé je n'ai pas réfléchi. » J'ai répondu : « D'accord, que devrions-nous faire? Pourrais-tu le supprimer? »

Je pense que les solutions à ce problème reposent sur l'éducation, la sensibilisation et la prévention. Le fait d'avoir un animateur exceptionnel ou un cours qui sort de l'ordinaire pourra un peu aider, mais lorsque j'enseigne des notions de technologie, de blogue et de Twitter à mes élèves du niveau intermédiaire, je recentre mon enseignement dans le contexte de ce que nous faisons et j'en discute avec les élèves. Au bout du compte, c'est beaucoup plus efficace que les mesures réactives et punitives.

À titre d'éducateur et d'enseignant à l'école intermédiaire, je dirais que si je devais concentrer ma passion, mon énergie, mon temps et mon talent à une solution, ce serait celle-là. Je remets vraiment en question l'efficacité des politiques et des lois à tolérance zéro. Je pense qu'il s'agit d'un processus ardu au quotidien, soit de développer des relations, d'apprendre à établir des relations saines en personne et en ligne. C'est à ce niveau que le vrai travail se fait et que les comportements peuvent changer. C'est ce que j'ai à dire dans mon rôle d'enseignant à l'école intermédiaire.

Le sénateur Baker : Je croyais que votre association d'enseignants avait recommandé d'apporter un changement au Code criminel.

M. Belsey : Oui. Je sais que la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants m'a demandé des renseignements à propos de la cyberintimidation, et je leur ai dit ce qui, selon moi, est approprié. Je répète que je ne peux pas parler au nom de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants ou de l'Association des enseignants de l'Alberta, même si je suis fier d'être membre de ces deux associations.

En tant qu'éducateur, si je devais consacrer mon âme et mes tripes à un aspect de la solution, je miserais sur l'éducation. Je pense que ce qui fait une véritable différence, c'est d'aider les jeunes à apprendre à établir, conserver, appuyer et inciter des comportements empathiques. Il faut les aider à établir des relations saines en personne et en ligne à tout le moins quotidiennement chez moi avec mes propres adolescents et à l'école avec mes élèves de niveau intermédiaire.

Nous vivons dans un monde où nous voulons avaler une pilule pour maigrir et où nous voulons des solutions rapides à nos problèmes. Toutefois, je crois fermement que l'intimidation et/ou la cyberintimidation se rapporte aux relations, et celles-ci sont complexes et difficiles. Nous avons davantage besoin de solutions bien réfléchies et bien élaborées que de notions simplistes de tolérance zéro ou de loi miracle.

Je ne suis pas un avocat et je ne prétends pas du tout en être un. Je n'ai pas de formation juridique et je ne prétends pas le contraire. Je me fie à ce que je vois chaque jour chez les jeunes à l'école et dans ma famille, aux changements que j'ai constatés et aux leçons que nous avons tirées en tant que famille, en tant que classe ou dans le cadre d'une relation entre l'élève et l'enseignant.

Je suis vraiment chanceux : j'ai de solides notions en technologie et une assez bonne connaissance des enfants et de l'apprentissage. Si on retraçait toutes les personnes qui se sont trompées en essayant de résoudre ce problème, je figurerais au haut de la liste : j'ai commis toutes les erreurs que j'aurais pu commettre à cet égard. J'ai appris de mes erreurs.

J'aimerais que mes collègues n'aient pas à répéter les erreurs que j'ai commises pendant ma carrière pour arriver au stade où j'en suis, c'est-à-dire de comprendre petit à petit comment mieux faire les choses. Je serai vraiment satisfait si les autres enseignants s'inspiraient du volet éducatif de la solution.

Le sénateur Baker : J'ai récemment lu un jugement rendu dans votre province à propos d'une fillette qui a révélé à ses parents un cas incroyable de cyberintimidation par des personnes inconnues. Les parents se sont adressés aux tribunaux; bien entendu, ils ont d'abord cherché à identifier les personnes qui envoyaient l'information en retraçant les adresses IP, notamment.

La jeune écolière désirait conservait l'anonymat dans le litige. Le tribunal a rejeté sa demande et a accordé des dommages et intérêts aux fournisseurs de services Internet. C'est là que le bât blesse avec le droit civil : si on perd après avoir intenté une poursuite, on risque de devoir essuyer les coûts.

Avez-vous des commentaires par rapport à cela? Quand l'intimidation devient aussi étouffante et a des effets aussi dévastateurs sur un élève, pensez-vous que nous devrions changer la loi pour permettre la divulgation de ce genre de renseignements — comme l'identité de l'intimidateur — pour les personnes qui désirent lancer des poursuites pour diffamation au nom de leurs enfants?

M. Belsey : Je vais réitérer ce que j'ai dit à propos des piliers; j'ai parlé des parents, des enseignants, du milieu des affaires et du gouvernement. J'ai l'impression que le milieu des affaires n'a pas été à la hauteur dans certains domaines.

Le milieu des affaires doit se doter de politiques claires quant à l'utilisation acceptable des services ou de modalités de service facilement accessibles sur leurs sites web.

Les entreprises doivent offrir des moyens simples pour le parent moyen de signaler un non-respect de leurs politiques comme dans le cas de la cyberintimidation. Les entreprises doivent avoir des employés à temps plein. Ce serait le rôle de ces employés. Si les entreprises misaient vraiment là-dessus, ces employés pourraient appuyer les familles dont les parents sont craintifs et mécontents parce que leurs enfants sont victimes de cyberintidimation. Les parents essaient de trouver un endroit sur le site web du fournisseur où signaler les incidents mais ne peuvent trouver la politique d'utilisation acceptable. S'ils trouvent de l'information, ils ne peuvent la comprendre parce qu'elle est rédigée pour les avocats et les bureaucrates.

Les parents essaient de trouver un endroit où signaler les cas de cyberintidimation. Mais, c'est pratiquement impossible à trouver parce que les fournisseurs préfèrent montrer comment créer une nouvelle vidéo qui fera tout un tabac et comment la télécharger sur YouTube. Bien entendu, cela nécessite beaucoup de bandes passantes et plus vous en utilisez sur votre réseau, plus la facture est salée sur votre compte de téléphone cellulaire. Leur priorité est de vous inciter à utiliser plus de données, mais l'information dont nous avons parlé ne se trouve nulle part. Les parents doivent savoir ce que leurs enfants font en ligne. Les parents doivent savoir quels sujets aborder avec leurs enfants pour que ceux-ci prennent de bonnes décisions quand ils vivront des expériences négatives. Et ils en vivront.

Pour ce qui est des fournisseurs, je suis vraiment hésitant. Je ne veux pas me détourner de votre question, mais je suis qui je suis. Je suis un enseignant à l'école intermédiaire qui se soucie des enfants et j'ai un peu de connaissance sur la question. Je n'ai pas d'expertise juridique. Lors d'une journée de travail, je reçois souvent 100 courriels de parents canadiens ou de parents d'autres pays qui me disent que leur enfant est victime de cyberintimidation. Ils essaient de communiquer avec les services de police qui leur disent qu'ils ont besoin de preuves et qu'ils doivent d'abord faire certaines choses.

Les parents sont très bouleversés et ne savent pas par où commencer. Ils essaient de contacter le fournisseur de téléphonie cellulaire mais celui-ci ne répond pas. Il leur faut 30 minutes pour trouver une personne avec qui communiquer et celle-ci ne leur répond pas rapidement. Les fournisseurs de services ne semblent pas s'en préoccuper. En gros, les parents sont plongés dans l'incertitude et leur enfant est peut-être suicidaire. Entre-temps, les fournisseurs se font un plaisir de facturer des centaines de dollars mensuellement à la carte de crédit du consommateur. Parfois, comme je l'ai montré plus tôt, leur technique de commercialisation cible les enfants de façon très inappropriée.

Les parents ont un rôle à jouer, nous, en tant qu'enseignants, avons un énorme rôle à jouer et le gouvernement doit aussi y mettre du sien à de nombreux égards. Il devrait peut-être y avoir une politique énonçant que si les consommateurs veulent utiliser leurs outils et leurs réseaux, ils devront bien se comporter dans l'univers numérique de l'entreprise, sinon il y aura certaines conséquences. Dans l'état actuel des choses, les parents canadiens sont dans l'incertitude si leur enfant vit ce genre d'expérience, est mécontent, craintif ou ne veut pas aller à l'école.

J'aurais préféré ne pas parler de ceci et je ne veux pas en faire la promotion — et je voudrais que cela ne se fasse même pas —, mais des gens tapent « cyberintimidation » dans Google et atterrissent sur le site cyber-bullying.org ou un autre site du genre, et finissent par nous envoyer un courriel. De nombreuses personnes essaient d'obtenir de l'appui de sites qu'on croirait appropriés. Les fournisseurs doivent renforcer et appliquer leurs propres politiques.

Nous avons besoin de politiques écrites pour aider les familles canadiennes qui paient leur compte de téléphone cellulaire à temps chaque mois. Quand les familles sont aux prises avec des problèmes comme la cyberintimidation — et il existe d'autres problèmes dont nous n'avons même pas commencé à parler — et qu'elles ont besoin d'aide, quelqu'un devrait être là pour les aider. À tout le moins, on devrait les aider à ouvrir un nouveau compte afin de mettre fin aux textos menaçants sans devoir payer ce service. Comme je l'ai dit plus tôt, l'adresse IP devrait peut-être être divulguée pour que la source du message menaçant puisse être déterminée. On pourrait ensuite demander au détenteur du compte d'arrêter d'agir de la sorte, sinon son compte sera fermé. Ce genre de mesures peuvent aider les parents canadiens qui se sentent vraiment, pour la plupart, impuissants.

Je ne pense pas être qualifié pour commenter l'aspect législatif mais je peux vous dire, si je me fie aux courriels que j'envoie chaque soir aux parents, que cet aspect peut changer. Cela me semble logique. Si une politique est en place, pourquoi ne pas simplement la renforcer et ensuite fournir un appui qui semble logique? Cela ferait partie d'un bon service à la clientèle. N'est-ce pas ce qu'on doit espérer des entreprises?

La présidente : Quand j'ai fait des recherches sur la question, je suis tombée sur certains sites web qui facilitent la cyberintimidation. Serait-il possible de fermer ces sites web? Sinon, quels choix s'offrent à nous? Qu'est-ce que notre comité devrait recommander? Je parle spécifiquement des sites web qui s'en prennent aux enfants.

M. Belsey : C'est difficile. Je crée des sites web depuis 1992 année où j'ai créé le site web de l'école, il y a fort longtemps, — et j'en ai créé de nombreux depuis — et je me perçois comme un propriétaire. Ce que les gens ne savent pas à propos du site bullying.org, c'est qu'au cours des 10 dernières années, nous avons passé en revue tous les affichages de chacun des poèmes, histoires, dessins, vidéo et réponses. Nous passons tout en revue avant l'affichage en ligne. Cela exige énormément de temps. Quand les enfants, les parents ou d'autres personnes écrivent sur le site, nous prenons leur confiance au sérieux pour leur permettre de partager leur récit avec assurance. Toutefois, dans la vraie vie, les personnes installent des bardeaux et créent des immeubles anciens en quelque sorte. Cela ne les dérange pas que quelqu'un vende de la marijuana au logement 201 ou que l'appartement 302 ait mauvaise réputation. En gros, ils se fichent de ce qui se passe dans leur immeuble. Je me considère comme une personne qui bâtit des sites web et qui prend cette confiance au sérieux. J'essaie d'être conscient de ce qui se passe dans cet immeuble ou cyberespace dans le cas qui nous occupe.

De nos jours, il est facile de créer un site web. Quand j'ai commencé à en créer, il fallait connaître le HTML et d'autres notions techniques du genre. Maintenant, quelques clics suffisent à bâtir un site sur Internet.

La présidente : Est-il facile d'en fermer un?

M. Belsey : C'est très difficile. J'ai passé six mois aux États-Unis à travailler avec un directeur d'école pour fermer un site web. J'y ai consacré six mois de ma vie. Je remplissais des bulletins scolaires, je faisais de la planification, je m'occupais de ma famille et je n'avais pas de temps à y consacrer, mais nous l'avons fait. Le même site web est réapparu sous un nom légèrement différent environ 10 jours plus tard; son contenu était très similaire et personne ne semblait se soucier de ce qui s'y retrouvait. Parfois, plus le contenu est controversé et plus la situation est favorable pour les créateurs parce qu'ils peuvent tirer des recettes de publicité. Ils sont satisfaits pour peu qu'ils tirent des recettes de publicité. Comme le site web se trouve sur le serveur d'un tiers parti qui se trouve au Canada ou pas, les lois ne s'appliquent pas nécessairement. Le serveur peut se trouver partout dans le monde. Son emplacement n'a pas d'importance pour la création du site. Un site pourrait être créé sur un serveur qui se trouve n'importe où, et cela a des répercussions.

Je répète que j'hésite à m'aventurer en territoire juridique, mais ça entraîne des conséquences. Ce qui pourrait s'appliquer pour le fournisseur de services Internet canadien pourrait ne pas s'appliquer du tout si le serveur se trouve à la Grenade, ou à tout autre endroit. Cela peut se produire. On peut créer un serveur partout dans le monde et je doute fort que les lois canadiennes ne s'appliquent.

Ce qui est central, c'est qu'il n'y a pas de responsabilisation. Pour revenir aux enfants, il y a un autre problème entourant la cyberintimidation. Quand les gens pensent qu'ils sont anonymes en ligne ou qu'il n'y a aucun sens de responsabilité, ils sont libres de faire tout ce qu'ils veulent avec impunité, qu'il s'agisse d'afficher des messages ou de gérer un site web.

Le sénateur Ataullahjan : Pensez-vous que des conseils de parents ont un rôle à jouer? La plupart des écoles comptent des conseils de parents. J'ai siégé à un conseil de parents pendant environ 16 ans, et nous organisions des ateliers où nous invitions les parents et nous incitions les enfants à faire participer leurs parents. Les conseils de parents pourraient peut-être se pencher sur la question et jouer un rôle actif pour offrir leur appui. De nombreux parents participent aux événements organisés par le conseil de parents.

M. Belsey : Les conseils de parents sont primordiaux, surtout pour des questions comme la cyberintimidation. Comme nous l'avons dit auparavant, la plupart des cas de cyberintimidation surviennent à l'extérieur de l'école sur des ordinateurs personnels et des téléphones cellulaires. Il est absolument indispensable que les parents jouent un rôle important.

Le Réseau Éducation-Média se trouve ici à Ottawa. Leur site web est media-awareness.ca/français/index.cfm. Le site compte des ressources en ligne formidables, comme les programmes passeport pour Internet et d'autres rubriques pour les élèves, les enseignants et les parents. J'ai un petit site web qui s'appelle bullyingcourse.com où on trouve un cours pour parents. Ce site regorge d'autres ressources. Je donne souvent une formation intitulée Compétence parentale cybernétique 101. C'est très important parce que, très souvent, les parents n'ont pas les connaissances adéquates. Ils aiment leurs enfants, veulent qu'ils soient en sécurité, heureux et que tout aille pour le mieux, mais ils ne savent pas toujours ce qui se passe vraiment dans la vie de leur progéniture. Les parents se réfèrent à leur propre enfance qui, bien souvent, ne correspond pas au monde virtuel dans lequel nos enfants vivent présentement. Les parents veulent savoir quel est le cadre de référence parce qu'ils n'ont pas grandi dans ce contexte. Les parents ne comprennent pas que, dans le monde virtuel, il est très important pour les jeunes de répondre à son correspondant rapidement. On commet un impair quand on ne répond pas rapidement à un texto.

Comment les parents s'identifient-ils à cette réalité? Comme Marc Prensky l'a dit, nous sommes des immigrants numériques. C'est maintenant la réalité, et nous nous sommes adaptés à cette technologie. Les enfants, comme Marc Prensky l'écrit — c'est un chercheur américain qui écrit à propos de la technologie, des jeux vidéo et des enfants —, sont les Autochtones numériques. J'ai moi-même une fille et un fils adolescents, et je suis un enseignant en science technologique, mais parfois j'ai encore de la difficulté à comprendre la réalité et à m'y identifier.

Je suis tout à fait d'accord avec vous; plus nous offrirons de soutien aux parents, et plus ce sera favorable pour eux. Le Réseau Éducation-Média et d'autres excellentes ressources canadiennes sont en place. Deux formidables mentors se trouvent ici, Mme Pepler et Mme Craig, qui m'ont formé au cours des ans. Il existe aussi PREVNet, un organisme national qui coordonne les gens. Ce réseau offre aussi des ressources.

Il est important de faire participer les parents. Quand des problèmes comme la cyberintimidation surviennent, les écoles ne peuvent faire qu'une partie du travail. Avec la participation des parents, on est plus susceptible de trouver des solutions.

La présidente : Nous apprécions le temps que vous avez consacré pour vous déplacer et partager avec nous votre expérience sur la cyberintimidation.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à Wendy Craig, de l'Université Queen's. Nous sommes très heureux de l'avoir parmi nous. Elle représente le réseau PREVNet, la promotion des relations et l'élimination de la violence, une coalition de Canadiens préoccupés par l'intimidation. L'objectif principal de PREVNet est de traduire et d'échanger des connaissances quant à l'intimidation, d'accroître la sensibilisation, de fournir des outils d'évaluation et d'intervention et de promouvoir la politique liée aux problèmes d'intimidation. Le mandat de PREVNet est d'élaborer une stratégie nationale pour réduire les problèmes d'intimidation et de victimisation partout au Canada. Madame Craig, nous sommes heureux que vous soyez venue aujourd'hui.

Se trouve aussi avec nous Debra Pepler, professeure titulaire de psychologie à l'Université York et membre principale en chef du LaMarsh Centre for Research on violence and Conflict Resolution. Elle mène des recherches sur les enfants à risque. Son programme de recherche principal étudie le comportement antisocial des enfants et des adultes, particulièrement à l'école et entre pairs.

Je comprends que vous avez toutes deux des déclarations préliminaires et nous allons avoir un grand nombre de questions.

Wendy Craig, codirectrice scientifique, Réseau de la promotion des relations et de l'élimination de la violence, Université Queen's : Merci de votre invitation. Nous sommes très heureuses d'être ici. Nous comparaissons à titre de codirectrices scientifiques de PREVNet, le réseau de la promotion des relations et l'élimination de la violence. Nous voulons vous faire part du point de vue des chercheurs.

Il y a 11 ans, Mme Pepler et moi-même avons fait une demande de subvention auprès de trois agences différentes, demandes qui ont été rejetées. Habituellement, je n'aime pas faire part de renseignements concernant ma vie privée ou notre histoire, sauf que cela concernait la cyberintimidation. On nous a répondu : « En quoi est-ce un gros problème et en quoi la cyberintimidation est-elle différente de l'intimidation téléphonique? Cela fait 30 ans que l'on étudie le sujet. » Il existe une différence considérable entre ces deux types d'intimidation, ce qui nous donne un contexte unique pour mieux comprendre cette question. Nous désirons profiter des prochaines minutes pour vous expliquer un peu les points communs et les différences qui existent entre la cyberintimidation et l'intimidation en personne, et afin de vous proposer des pistes de solution.

La première chose consiste à définir ce concept. Je sais que nous avons pu entendre un autre témoignage, mais nous préférons employer le terme « cyberintimidation », car il englobe plus que le cyberespace et qu'il fait référence aux différents moyens de communication électroniques que nous utilisons. Cette définition comporte des éléments clés. Tout d'abord, la cyberintimidation consiste à viser quelqu'un dans le but délibéré de lui porter atteinte. L'un des effets de la cyberintimidation est que celle-ci porte préjudice à la victime.

Un autre aspect de ce type d'intimidation est son caractère répétitif, ou la forte probabilité ou crainte que celle-ci se répète. L'enfant qui en est victime subit un préjudice et vit dans la crainte que cela se répète. L'aspect électronique est associé au fait de transmettre un lien ou d'échanger une vidéo, il y a donc répétition chaque fois que quelqu'un se connecte à ce lien.

Dans le cas de la cyberintimidation, par opposition à l'intimidation en personne — ou ce que j'appelle « l'intimidation traditionnelle » — ce type d'intimidation suppose d'avoir recours à des appareils électroniques, qu'il s'agisse de téléphones cellulaires ou d'ordinateurs sous toutes leurs formes. Par exemple, il existe des sondages Internet du type « Combien d'entre vous n'aiment pas ce que Wendy portait aujourd'hui? ». On peut ainsi s'inscrire pour répondre à ce sondage électronique. Cela est effectué de manière électronique.

Je travaille sur l'étude sur les comportements de santé des jeunes d'âge scolaire, une étude nationale portant sur les enfants canadiens financée par l'Agence de la santé publique du Canada. Ce graphique vous présente les données et les tendances les plus récentes. En abscisse figurent les années. L'étude porte sur des enfants de 6e, 7e, 8e, 9e et 10e année. Le graphique indique la proportion d'enfants, pour chaque année, ayant déclaré avoir été victimes de cyberintimidation.

Les lignes rouges représentent les filles et les lignes bleues, les garçons. Les lignes en pointillé sont les données de 2010 alors que les lignes pleines représentent les données de 2006. Quelle conclusion peut-on tirer de ce graphique? Tout d'abord, que les filles ont plus de chance d'être victimes de cyberintimidation et de faire de la cyberintimidation que les garçons. Cela est plus répandu chez les filles. Le graphique nous montre aussi que la tendance est à la hausse chez les garçons.

Si l'on compare la ligne bleue pleine à la ligne bleue en pointillé, on observe que la prévalence de la cyberintimidation augmente avec les années, chez les garçons. On s'aperçoit aussi que la ligne en pointillé correspondant aux filles est relativement horizontale. La prévalence de la cyberintimidation ne change pas vraiment de la 6e à la 10e année. Si on la compare avec la ligne correspondant aux garçons, cette prévalence augmente selon l'âge ou l'année, chez les garçons. La principale conclusion à tirer de cela, c'est que les garçons sont en train de rattraper les filles pour ce qui est d'être victimes de cyberintimidation. Par contre, pour les filles, la tendance reste stable. La ligne reste horizontale pour les différents âges. Auparavant, celle-ci avait tendance à diminuer avec l'âge. Chez les garçons, il y a une augmentation de la victimisation numérique. C'est un problème dont nous devons nous préoccuper, au Canada.

Un autre point que j'aimerais souligner aujourd'hui est le fait que les jeunes se comportent de façon similaire dans différents contextes. Seulement 1 p. 100 des élèves qui font l'objet d'intimidation font uniquement l'objet de cyberintimidation. L'intimidation en personne et la cyberintimidation vont donc de pair. Ce type d'intimidation n'est pas privilégié par un groupe d'élèves en particulier. Seulement 1 p. 100 font exclusivement de la cyberintimidation. Les autres sont impliqués dans les deux types d'intimidation. Nous devons donc nous préoccuper de ce groupe d'enfants et de jeunes à risque. Il en va de même pour la victimisation. Les enfants font à la fois l'objet de cyberintimidation et d'intimidation en personne. Seulement 1 p. 100 d'entre eux sont exclusivement victimes de cyberintimidation. Il y a donc un chevauchement considérable entre l'intimidation en personne et la cyberintimidation.

Nous avons aussi demandé aux enfants quelle était la portée du préjudice causé par ce comportement. Les enfants nous ont souvent indiqué qu'ils ne le signalaient pas aux adultes, car « ils le font juste pour s'amuser » ou « ils ne voulaient pas faire de mal. » On voit donc les différentes façons dont les enfants s'intimident. Il y a l'intimidation physique, verbale, sociale — c'est-à-dire en personne — et par voie électronique. Les colonnes rouges représentent les filles et les colonnes bleues, les garçons.

Ce qu'il faut retirer de ce graphique, c'est que les filles perçoivent toutes les formes d'intimidation, à l'exception de l'intimidation physique, comme causant davantage de dommages que celles dont sont victimes les garçons.

L'autre conclusion, c'est qu'il n'y a pas de différence entre le degré de perception des dommages chez les garçons et les filles pour ce qui est de l'intimidation verbale, sociale ou électronique. Tous les types d'intimidation sont perçus comme néfastes et également néfastes. Le type d'intimidation qui est perçu comme le moins dommageable est l'intimidation physique. Cela permet de mettre en perspective le fait que cela est perçu comme extrêmement dommageable. Le niveau le plus élevé de l'échelle est cinq, ce qui est plus dommageable que l'intimidation physique.

Debra Pepler, codirectrice scientifique, Réseau de la promotion des relations et de l'élimination de la violence, Université York : Je vais vous parler brièvement des raisons pour lesquelles nous devons nous préoccuper de cyberintimidation. L'une des façons d'envisager le problème consiste à comprendre qu'il existe des similarités, mais aussi des différences, entre la cyberintimidation et les autres formes traditionnelles d'intimidation. Des analyses statistiques nous permettent de voir plus loin que les effets signalés par les enfants lorsqu'ils sont victimes d'intimidation traditionnelle. Quels sont les effets de la cyberintimidation? En examinant des jeunes victimes d'intimidation sur une période d'un an, on s'est aperçu qu'un an après le début de l'intimidation, celle-ci pouvait être corrélée de manière positive à une augmentation des problèmes physiques, mentaux et de santé sociale, ainsi que d'une mauvaise qualité de vie.

Plus que toute autre forme traditionnelle d'intimidation, on observait, un an plus tard, la cyberintimidation. On s'est aperçu que les jeunes qui faisaient de l'intimidation fumaient beaucoup de cigarettes et consommaient beaucoup d'alcool et de drogue. C'est ce que révèlent nos travaux de recherche sur les enfants intimidateurs; ils ont tendance à suivre une trajectoire qui leur amène beaucoup de problèmes.

Un autre message important que nous aimerions que vous compreniez — parce qu'il a trait à la manière dont il faut aborder le problème pour le résoudre — est qu'il s'agit d'un comportement très connu des pairs mais très peu connu par les adultes. Cela est vrai pour les formes d'intimidation traditionnelle, mais cela est d'autant plus vrai lorsque l'on passe dans le domaine électronique. Les pairs, tout comme dans le cas d'intimidation traditionnelle, sont présents. Ils sont au courant. Une forte proportion de pairs indique avoir été témoins de cyberintimidation. Tout comme dans le cas des formes d'intimidation traditionnelle, ils peuvent faire partie du problème et faire partie de la solution. Si on leur demande de faire partie de la solution, il leur faut énormément d'appui afin de les inciter à intervenir et à aider leurs amis victimes d'intimidation. Lorsque l'on est victime de cyberintimidation ou que l'on en est témoin, on se trouve déconnecté des signaux concrets que l'on observe dans le cadre d'interactions humaines normales en personne, comme les signes visibles de tristesse et de détresse. Dans le cas d'interactions en personne, bien des signaux peuvent révéler que quelque chose ne va pas et que quelqu'un est en détresse.

Les adultes comprennent mal la technologie et à quel point les jeunes sont connectés à ces situations virtuelles. Ils sont très présents sur les réseaux sociaux, ce qui n'est pas le cas des adultes. Au Canada, nous avons vu des cas de profonde détresse causée par de la cyberintimidation. Bien que ces jeunes aient rédigé des blogues et envoyé un grand nombre de messages à ce sujet, les adultes présents dans leur vie n'étaient pas au courant. Tout comme dans le cas des formes traditionnelles d'intimidation, les jeunes sont réticents à l'idée d'informer les adultes qui leur sont proches de ce qui se passe. Ils craignent les répercussions possibles. Ils ne s'attendent pas à ce que cela soit efficace. Il y a bien des obstacles à ce que nous pensons être la solution, qui consiste à favoriser la communication.

L'obstacle auquel nous nous heurtons lorsque l'on souhaite aborder la cyberintimidation est que la forme de socialisation que constituent les réseaux sociaux, les messages textes et d'autres formes d'interaction virtuelle, tels que nous les concevons, est un phénomène qui va continuer d'exister. Tel est le monde de nos jeunes. Ils sont connectés et cela leur réussit. Cela est très gratifiant pour eux, mais présente certains problèmes. Nous avons une compréhension limitée de l'influence de cette forme d'activité électronique, qu'elle soit positive ou négative, sur le développement social et affectif des jeunes, et c'est la raison pour laquelle il faut faire davantage de recherche sur ce phénomène nouveau et émergent. La plupart du temps, les jeunes comprennent mieux la technologie que les adultes de leur entourage, que ce soit leurs enseignants ou leurs parents. Il existe un fossé. Dans la plupart des contextes où les enfants et les jeunes socialisent, les adultes sont les experts et ont la capacité de les aider dans le processus de socialisation, mais les règles du jeu ont changé. La technologie évolue constamment, et c'est là que nous pensons que la recherche a un rôle essentiel à jouer pour nous aider à mieux comprendre ce phénomène.

Nous voulions aussi aborder le sujet du point de vue des droits. Une bonne partie du travail effectué dans le cadre de PREVNet en collaboration avec nos partenaires a rapport aux droits, et plus particulièrement la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Les enfants et les jeunes ont le droit de vivre dans un environnement sécuritaire sans violence. Les adultes responsables de ces jeunes et de ces enfants, non seulement chez eux et à l'école mais partout où ils se trouvent, ont le devoir de favoriser leur développement sain dans un environnement sécuritaire. Il ne fait aucun doute que la cyberintimidation constitue une violation des droits des enfants; et de ce point de vue, nous devons trouver des pratiques et des politiques efficaces. Il doit y avoir des changements généralisés.

Ce n'est pas un problème qui est propre à un enfant, qu'il soit intimidateur ou victime d'intimidation, pas dans le cadre de cette relation; c'est un changement plus général dont nous devons tenir compte. À bien des égards, ce phénomène est similaire à d'autres processus développementaux que nous étudions, ce qui nous permet de mettre cela à profit afin de déterminer les préjudices possibles, les effets et quelles stratégies permettraient d'identifier et de prévenir ce phénomène avec les pairs et les adultes. C'est un phénomène qui se manifeste par voie électronique, par opposition aux relations en personne. Pour les jeunes de notre monde, ce type de relations est de plus en plus important par rapport aux relations en personne.

Nous souhaitons vous remercier de nous avoir donné l'occasion de présenter le travail du PREVNet, qui est le résultat de la collaboration de 58 chercheurs et chercheuses et 51 organisations nationales qui se sont rassemblées afin de tenter de promouvoir des relations saines et d'éliminer la violence.

La présidente : Puis-je avoir une motion pour proposer le témoignage en preuve?

Le sénateur Nancy Ruth : J'en fais la proposition.

La présidente : Je vais commencer par une question sur l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, qui exige que les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger les enfants contre toute forme de violence physique ou mentale, y compris l'intimidation perpétrée par un enfant ou plus ainsi que la cyberintimidation. Selon vous, le Canada remplit-il ses obligations en vertu de cet article?

Mme Craig : Je commencerais en disant que le Canada peut en faire plus pour répondre aux besoins des enfants. Il y a un certain nombre de choses que nous pouvons faire de manière plus efficace. Je ne pense pas que nous comprenions, que nous surveillions et que nous étudions le problème de manière suffisamment complète.

La présidente : Que devrions-nous faire dans le domaine de la surveillance?

Mme Craig : Il nous faut effectuer de la surveillance et des évaluations régulières afin de mieux connaître la portée du problème. Il y a deux aspects : l'un consiste à effectuer davantage de recherche afin que la surveillance nous permette de mieux connaître la portée, la gravité et, peut-être, les caractéristiques géographiques du problème. Par exemple, des zones sont-elles plus à risque que d'autres, comme les zones urbaines par opposition aux zones rurales, où nous devons concentrer davantage nos efforts? La surveillance peut venir appuyer la recherche en nous informant davantage sur les préjudices, les effets, les corrélats du problème ainsi que les facteurs précoces de risque et de protection, afin d'être en mesure d'élaborer des programmes de prévention fondés sur des données scientifiques.

Mme Pepler : Cela relève de l'éducation et donc des provinces. J'ai été membre de la Safe Schools Action Team en Ontario, un groupe de travail sur la sécurité à l'école, et je connais donc bien ce type de loi. On a bien fait d'identifier la cyberintimidation et de dire qu'il importe peu que cela ait lieu à la maison. En effet, des dirigeants d'établissements d'enseignement ont dit que si le phénomène se produisait à la maison, et non au sein de l'établissement d'enseignement, ils n'étaient donc pas responsables. Où que cela se produise, c'est une question d'une importance capitale si ce phénomène a des répercussions sur l'apprentissage.

Même si cette politique existe dans le milieu de l'éducation, il existe un profond fossé entre ce qu'exige la politique et ce qui se passe en pratique. Nous devons aider les adultes responsables d'assurer la sécurité des enfants à suivre des stratégies efficaces qui nous aideront à mieux protéger les enfants. Cela suppose probablement la participation d'autres acteurs que les parents et les enseignants. Cela exige probablement la participation de certaines sociétés et autres.

La présidente : Certaines provinces ont-elles des pratiques plus efficaces que d'autres? Quelles provinces font figure de modèles pour ce qui est de respecter l'article 19?

Mme Craig : En réalité, la plupart des politiques provinciales en matière d'éducation abordent ce phénomène, mais ce fossé entre la politique et la pratique est considérable. Par exemple, la Nouvelle-Écosse est en train de remanier sa politique. Le fossé est considérable. En fait, c'est là que le bât blesse. Le problème est qu'il nous faut une définition commune du problème et une manière uniforme de le surveiller. En outre, tous les adultes responsables de la socialisation des enfants doivent faire partie de la solution. Ce n'est pas qu'un problème d'ordre éducatif. Cela nous ramène à une initiative fédérale car il s'agit d'une initiative en matière de santé publique destinée à faire la promotion de la santé.

La présidente : Vous avez parlé d'une définition commune et d'une surveillance uniforme. Pensez-vous que cela devrait relever du gouvernement fédéral?

Mme Pepler : S'il s'agit d'une question de promotion de la santé, le gouvernement fédéral peut intervenir afin de se rendre compte que ce phénomène expose les jeunes intimidateurs ainsi que les jeunes victimes à des risques accrus pour ce qui est de toute une série de problèmes de santé ou liés à la santé.

Un autre aspect du problème est que, bien souvent, on n'identifie pas les jeunes à risque, notamment ceux qui intimident les autres. Pourtant, on en sait beaucoup à leur sujet, et on sait que s'ils intimident régulièrement d'autres enfants; il y a de fortes chances qu'ils proviennent de familles où les relations avec leurs parents ou entre leurs parents sont tendues. Ces jeunes ont appris à faire preuve d'agressivité et de violence dans les différents contextes de leur vie. Tous les jeunes ont besoin de protection.

Mme Craig : Je pense que l'un des autres leviers au niveau fédéral est lié à la prévention de la criminalité. Nous savons, par exemple, que les enfants qui intimident régulièrement d'autres enfants à l'école primaire présentent un risque élevé de délinquance modérée ou grave lorsqu'ils arrivent à l'école secondaire. Si l'on souhaite prévenir la criminalité, il faut faire de l'intimidation une priorité à l'école primaire.

La présidente : Y a-t-il des pays qui s'acquittent de leurs obligations en vertu de l'article 19 et dont nous pourrions tirer des leçons?

Mme Pepler : Je crois que les pays scandinaves, comme la Finlande, ont bien de l'avance sur nous dans tous les domaines qui ont trait à la détermination de stratégies afin de s'assurer que tout le monde les comprend. Lorsque l'on regarde des études d'autres pays, on s'aperçoit que les taux d'intimidation et de cyberintimidation signalés par les jeunes dans ces pays sont bien plus faibles qu'au Canada. Nous nous trouvons dans le deuxième tiers du classement des pays développés qui effectuent ce type d'études.

Il y a beaucoup de pain sur la planche. Je pense que c'est un petit peu plus difficile au Canada, car dans les pays scandinaves, l'éducation est un champ de compétence fédérale et les pays sont beaucoup plus petits. La Finlande, par exemple, a environ la même taille que la région du Grand Toronto. Lorsque l'on parle d'apporter des changements à un pays qui fait la taille de Toronto, les choses sont un peu plus faciles. Ils y parviennent au moyen du système d'éducation et cela est bien plus ancré dans la culture qu'ici.

Il y a des années, j'ai assisté à une conférence lors de laquelle le premier ministre de la Norvège a parlé de l'importance de cette question, pas seulement du point de vue de l'éducation, mais aussi du milieu de travail, en reconnaissant le coût de ce type de comportement intimidateur pour le pays.

Le sénateur Nancy Ruth : C'est un grand plaisir de vous avoir ici. Vous êtes le couronnement de ma journée.

J'ai toute une série de questions. Étant donné que je ne les ai pas classées dans un ordre particulier, je vous suggère de prendre un papier et un crayon et je vous laisserai le soin de déterminer comment vous souhaitez y répondre.

J'aimerais commencer par votre diapositive intitulée « Pourquoi s'inquiéter ». Parlez-moi plus en détail de vos recherches et du fait que l'intimidation nuit à la santé mentale, à la qualité de vie, favorise les problèmes sociaux, et cetera. Pouvez-vous me parler davantage de vos recherches et de la manière dont vous êtes parvenu à ces conclusions?

Je souhaite aussi vous remercier d'avoir souligné les différences entre les deux sexes pour ce qui est des victimes. Pouvez-vous nous parler des différences entre les sexes pour ce qui est des intimidateurs? Sont-ils tous semblables?

Je voulais aussi simplement mentionner la Loi sur les droits de la personne. L'article 13 traite des communications téléphoniques et des propos haineux. Le Parlement est actuellement saisi d'un projet de loi d'initiative parlementaire, qui, je crois, recevra l'appui du gouvernement, et qui vise à supprimer cette disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Seulement 2 p. 100 des cas entendus par la Commission des droits de la personne concernent l'article 13 de la loi, mais pour ce qui est de l'intimidation, lorsque j'ai lu une partie de la documentation, je me suis dit que cela pourrait être une erreur. Il ne nous reste que le Code criminel, et il y a trois groupes qui ne sont pas pris en compte dans les dispositions du Code criminel relatives aux propos haineux, à savoir, les femmes, les personnes handicapées et la discrimination fondée sur l'âge. Que pensez-vous de cela? J'espère que mon bon ami avocat là-bas fera quelque chose à propos de cette question dans son parti.

Madame Pepler, je me demande quel lien vous entretenez avec l'Hôpital pour enfants malades et en quoi cette problématique a trait aux hôpitaux de l'ensemble du pays.

Vous avez mentionné que votre réseau comprenait 51 organisations. Pouvez-vous nous dire de quel type d'organisations il s'agit et nous parler de leur emplacement géographique?

Ma dernière question en est une que j'ai particulièrement à coeur, il s'agit des préjudices. Quel est le lien, selon vous, entre l'intimidation électronique et la pornographie?

Mme Pepler : Voulez-vous que nous alternions?

Mme Craig : Je commence et tu termines.

Je vais vous donner un peu le contexte. La diapositive intitulée « Pourquoi s'inquiéter » est fondée sur quelques études que nous avons effectuées. L'une d'entre elles consistait à suivre un groupe d'élèves sur une période d'un an. Au cours de l'automne de la première année, on leur a posé plusieurs questions sur leur santé et leur bien-être, de même que sur leur implication dans différents types d'intimidation.

L'une des conclusions à laquelle nous sommes parvenus et dont Mme Pepler a parlé tout à l'heure était que les enfants qui ont indiqué avoir été impliqués dans de l'intimidation en plus des effets de l'intimidation en personne, qui présentent un grand nombre d'effets négatifs, ont indiqué que la cyberintimidation présentait des effets uniques. En d'autres termes, le fait d'être l'objet de cyberintimidation rend les choses plus difficiles que lorsque l'on est simplement intimidé en personne ou de manière plus traditionnelle. Il s'agissait d'une étude longitudinale portant sur des enfants pendant une période d'un an.

Une autre étude a été effectuée. Voulez-vous en parler?

Mme Pepler : Encore une fois, nous avons suivi un groupe de jeunes sur une période d'un an. Statistiquement, pour vous donner une idée de la méthode que nous avons employée, cela consistait à évaluer les effets des formes traditionnelles d'intimidation et à déterminer s'il y avait une certaine prévisibilité — ce que l'on appelle variance — lorsqu'on ajoutait la cyberintimidation, ce qui s'est avéré toujours être le cas. En plus des préjudices causés par les formes traditionnelles d'intimidation, des formes différentes de préjudice sont causées lorsqu'il y a cyberintimidation. Il se peut que cela soit en lien avec son aspect invasif, du fait que les enfants ne sont pas à l'abri de ce type d'intimidation lorsqu'ils sont à la maison ou la nuit, lorsqu'ils dorment. Bien des enfants vont au lit avec leurs téléphones cellulaires, qui se mettent à vibrer au milieu de la nuit pour leur transmettre des messages textes d'intimidation. Ce type d'intimidation comporte certaines différences et cause des préjudices supplémentaires.

Le sénateur Nancy Ruth : D'après vos recherches, vous avez indiqué qu'il y avait davantage de menaces pour la santé physique, la santé mentale et la qualité de vie. Y a-t-il différents degrés de cela entre l'intimidation physique ou l'intimidation en personne ou autres?

Mme Craig : C'est exact. La cyberintimidation rend les choses encore pires. La cyberintimidation, en plus de l'intimidation traditionnelle, accentue les effets de cette dernière. Nous avons mesuré l'intimidation verbale, l'intimidation physique, l'intimidation sociale et l'intimidation en personne et nous avons établi des prévisions relatives aux effets négatifs sur la vie. On a ensuite ajouté la cyberintimidation, qui était associée à la prévisibilité de problèmes encore plus graves.

Le sénateur Nancy Ruth : Quelle est la différence de qualité de vie entre les victimes de cyberintimidation et les victimes d'autres formes d'intimidation? Y a-t-il un moyen de mesurer cela?

Mme Craig : Je ne peux pas vous dire exactement ce qu'il en est, mais je peux chercher ces renseignements et vous les transmettre.

Le sénateur Nancy Ruth : Il existe un outil de mesure?

Mme Craig : Oui, cela fait l'objet d'évaluations. Nous avons interrogé les enfants au sujet de leur qualité de vie au moyen de différents types de questions, et les enfants qui ont déclaré avoir fait l'objet de cyberintimidation ont indiqué que leur qualité de vie était moindre. Ils avaient moins d'intérêt dans la vie. Ils ne se sentaient pas appréciés ou aimés des autres. Ils avaient le sentiment que la vie n'a pas d'intérêt. Il s'agissait de questions permettant de relever des marqueurs comportementaux.

Le sénateur Nancy Ruth : A-t-on mesuré leur estime d'eux-mêmes avant l'étude?

Mme Craig : Absolument. Cela nous a permis de déterminer quelle était leur estime d'eux-mêmes à un moment donné, et de nous apercevoir, en effectuant des mesures plus tard, que celle-ci s'était dégradée.

Mme Pepler : Je vais répondre à la question suivante, si vous me le permettez, concernant les filles. C'est un domaine qui m'intéresse particulièrement.

Les jeunes filles agressives se distinguent des jeunes hommes agressifs dans la mesure où les comportements agressifs ne sont pas communs chez les filles. Les jeunes filles qui font preuve d'agressivité se démarquent déjà de la norme.

Les enfants intimidateurs ne correspondent pas à un seul profil type. C'est un autre aspect important. Il y a certains enfants intimidateurs qui sont en général assez agressifs et indisciplinés, et il y a d'autres enfants, garçons et filles, qui sont très intelligents et très éveillés socialement.

Ils sont capables de repérer les enfants vulnérables et savent exactement comment mettre cet enfant en détresse ou le contrôler. Il s'agit de deux types d'enfants intimidateurs.

Les jeunes filles qui font de l'intimidation le font de manière fréquente et régulière au cours de l'école primaire et de l'école secondaire. Nous sommes au courant de cela, car Mme Craig et moi-même avons effectué une étude dans le cadre de laquelle nous avons sélectionné des enfants de 5e, 6e et 7e année, que nous avons suivi pendant sept ans. Lorsque nous avons terminé notre étude, ils étaient en 11e, 12e et 13e année en Ontario. Les jeunes filles qui font de l'intimidation de façon fréquente et même modérée présentent un risque élevé d'être physiquement agressives envers leur petit ami. Les jeunes filles sont très soucieuses de leurs relations, et si elles n'ont pas les compétences nécessaires pour établir des relations, cette forme d'agression et les moyens qu'elles ont appris pour mettre quelqu'un en détresse, attirer l'attention ou contrôler quelqu'un tendent à influencer ces autres relations qui deviennent importantes à l'adolescence. À bien des égards, les jeunes filles présentent un risque similaire, voire plus élevé, que les garçons qui adoptent ce type de comportement.

Mme Craig : Si l'on examine la cyberintimidation, celle-ci est inhabituelle comparativement à l'intimidation traditionnelle. Les jeunes filles sont bien plus à risque de faire de l'intimidation que les garçons dans un contexte électronique. Pour ce qui est de l'intimidation en personne, on s'aperçoit lorsqu'on leur pose la question, que les garçons ont davantage tendance à adopter ce genre de comportement que les filles. Cependant, lorsque l'on place des microphones sur les enfants, que nous les filmons au terrain de jeu et que nous les observons, les garçons et les filles ont la même tendance à faire de l'intimidation. Lorsque l'on interroge les enfants ou les jeunes, les jeunes filles indiquent faire moins d'intimidation que les garçons. Cependant, lorsqu'on leur pose la question concernant exclusivement la cyberintimidation, les jeunes filles indiquent faire plus d'intimidation que les garçons.

Le sénateur Nancy Ruth : Lorsque vous avez posé des questions aux jeunes filles et qu'elles ont répondu, leur réponse était-elle conforme à ce que vous aviez appris grâce aux microphones dissimulés? Les données étaient-elles exactes?

Mme Craig : Il s'agissait de deux études différentes. Il ne s'agissait pas des mêmes enfants.

Mme Pepler : Toutefois, les données étaient les mêmes, puisque les filles en faisaient plus que ce qu'elles indiquaient de façon traditionnelle.

Mme Craig : Du point de vue de la prévention ou de la promotion, il est également important d'indiquer que les filles ne définissent pas leurs agissements comme de l'intimidation aussi facilement que les garçons. En ce qui concerne certaines formes d'intimidation en ligne, comme le fait de répandre une rumeur au sujet de quelqu'un ou de partager un lien, l'équivalent serait de répandre une rumeur ou de parler contre quelqu'un derrière son dos. Les filles définissent ces comportements comme étant extrêmement néfastes, mais pas comme de l'intimidation, contrairement à lorsque nous parlons d'intimidation, qui est une forme ou une façon pour les enfants d'intimider d'autres enfants. Par conséquent, il faut éduquer tous les jeunes au sujet de l'intimidation, et c'est pour cette raison qu'il est important d'établir une définition uniforme. Qu'est-ce que l'intimidation et comment elle se manifeste, c'est essentiel.

Mme Pepler : La question suivante portait sur les téléphones et le crime de haine. Je pense que notre monde a changé. La plupart des jeunes aujourd'hui n'ont pas de ligne terrestre, et d'ailleurs je suis certaine que c'est ce dont ils parlaient lorsqu'ils ont mentionné un téléphone. Une grande partie de l'intimidation électronique se fait sous forme de messagerie texte, chose que les jeunes utilisent constamment. Je pense que la moyenne du nombre de messages textes envoyés chaque jour par les jeunes est de 50. Je pense que cet aspect de la Loi sur les droits de la personne doit être revu du point de vue actuel, parce que le monde a grandement changé depuis la mise en oeuvre de la Charte.

En ce qui concerne les femmes, les personnes handicapées et l'âge, je pense que ce sont des questions très importantes. Dans nos propres recherches, nous avons constaté un haut niveau de harcèlement sexuel des garçons envers les filles, mais vice versa également, et beaucoup de harcèlement homophobe. Je pense que la question du sexe est importante. Dans le cadre du travail que nous faisons et de celui que nous avons fait avec l'équipe d'action pour les écoles sécuritaires, nous avons examiné l'intimidation envers les enfants handicapés, et il y a beaucoup de travail à faire pour s'assurer que ces enfants sont protégés de toutes les formes de violence, parce qu'ils sont beaucoup plus vulnérables.

Mme Craig : Au sujet de cette question, nous avons posé quelques questions sur le sujet de l'intimidation, que ce soit les handicaps, la race ou le harcèlement sexuel. Bien qu'elles soient moins répandues qu'une menace, ce sont les formes d'intimidation les plus répandues. Il est important de le reconnaître.

J'aimerais également souligner, au sujet de la Loi sur les droits de la personne et de la question de la haine, c'est lorsqu'on parle d'intimidation, nous traitons avec des enfants et des jeunes êtres en développement. Les conséquences que nous mettons en place doivent être éducatives. Comme Mme Pepler le dit souvent, lorsque les jeunes apprennent les mathématiques, il existe une façon de leur enseigner les mathématiques, étape par étape. S'ils ont de la difficulté en mathématiques, nous ne les expulsons pas de l'école. Nous les aidons à acquérir les compétences en mathématiques dont ils ont besoin pour réussir. Pourquoi? Parce qu'il s'agit de jeunes êtres en développement qui doivent comprendre le processus.

Nous pensons la même chose au sujet des enfants et des jeunes lorsque la question de l'intimidation est soulevée; ce sont de jeunes enfants qui apprennent comment établir des relations. En tant qu'adulte, je peux vous dire que les relations sont compliquées. Ce n'est pas facile. Lorsqu'on a du mal à établir des relations — fondamentalement, l'intimidation est un problème de relations, soit le type de relations le plus irrespectueux que l'on puisse imaginer —, pour régler ce problème, il faut renforcer les capacités de ces personnes, enfants et jeunes pour ce qui est des relations. Lorsqu'on traite avec des enfants et des jeunes, nous pensons toujours leur fournir les compétences, les capacités et les habiletés dont ils ont besoin pour établir des relations respectueuses, et non des relations irrespectueuses comme celles qui découlent de l'intimidation.

Mme Pepler : Je pense que je pourrais maintenant passer à la question de l'Hôpital pour enfants malades. La vision de l'hôpital pour enfants malades est : « Un enfant en santé, un monde meilleur ». Cela s'inscrit avec l'idée que nous avons, à savoir que ce problème peut être abordé du point de vue de la promotion de la santé. L'un des partenaires de PREVNet est l'Agence de la santé publique du Canada, et nous avons fait du travail avec ses représentants pour examiner les programmes de prévention de la violence et créer des messages concernant les droits des enfants, la sécurité et l'intimidation. À l'échelle mondiale, les hôpitaux considèrent que leur travail consiste à agir comme éducateurs importants en ce qui concerne les problèmes touchant la santé des enfants.

Encore une fois, l'hôpital est l'un des partenaires de PREVNet, et nous avons travaillé avec lui pour créer un site intitulé « AboutKidsHealth ». Il s'agit d'un site d'information pour les parents, les enseignants et les autres personnes qui travaillent avec des enfants; nous y avons publié des documents sur l'intimidation. Récemment, nous avons recommencé à obtenir du financement — et nous en sommes très heureux — du Réseau des centres d'excellence, un mécanisme de financement pour la recherche du gouvernement fédéral. Nous avons reçu du financement pour faire les travaux supplémentaires avec l'Agence de la santé publique du Canada, l'hôpital et les autres organisations au sein de PREVNet.

Mme Craig : La vision originale de PREVNet découle de la prise de conscience que de nombreuses personnes travaillent à résoudre la question de l'intimidation. Tout le monde semblait travailler en vase clos et, partout au pays, les gens réinventaient la roue. Notre vision originale consistait à réunir les organisations nationales qui travaillent avec des enfants et des jeunes partout au pays, afin d'assurer une éducation et une formation uniformes sur l'intimidation, les évaluations de l'intimidation, la prévention, les interventions et les politiques. Selon notre philosophie, tous les adultes qui travaillent avec des enfants et des jeunes, partout au pays, doivent savoir ce qu'est l'intimidation et quelles sont les pratiques factuelles, les stratégies et les programmes qui permettent de s'y attaquer efficacement.

Nous avons réuni des organisations nationales qui travaillent avec les enfants et les jeunes, là où ils apprennent, vivent, travaillent et jouent. Lorsque nous avons commencé, l'idée était qu'en travaillant avec les organisations nationales, elles auraient les moyens de communiquer avec toutes les communautés locales du pays, afin que nous puissions transmettre de l'information de cette façon.

Nous nous préoccupions de joindre autant d'adultes que possible, tous les adultes qui socialisent les enfants et les jeunes partout au pays, grâce à des pratiques factuelles.

Grâce à la recherche, nous savons que de nombreux programmes différents ont de bonnes intentions, mais ne peuvent pas être évalués et peuvent même avoir des effets négatifs. Environ un programme de prévention de l'intimidation sur sept aggrave le problème. Pour nous, il était absolument essentiel de veiller à ce que les gens adoptent des pratiques factuelles, et pour y arriver, nous avons créé cette organisation nationale qui réunit des chercheurs et des organisations nationales.

Le sénateur Nancy Ruth : Pouvez-vous nous en donner des exemples?

Mme Pepler : Nous avons le Respect Group qui s'occupe du respect dans les sports. Nous avons la Croix-Rouge qui fait un travail de prévention de la violence de la plus haute qualité partout au Canada, en particulier dans les collectivités autochtones. Ils ont un programme de mobilisation communautaire appelé le Cercle bénéfique de la prévention. Nous avons le Conseil canadien de la sécurité, parce que cette organisation s'intéresse à la sécurité au Canada, et nous avons récemment fait un projet avec elle sur la cyberintimidation. Nous avons l'Association des parcs et loisirs, nous avons la Fédération des enseignants ainsi que l'Association canadienne des directeurs d'école. Nous avons également le Family Chanel, qui nous permet de transmettre nos messages dans six millions de familles pendant la semaine de la sensibilisation à l'intimidation. Nous tentons de rejoindre tous les secteurs.

Le sénateur Nancy Ruth : Y a-t-il des commissions scolaires?

Mme Pepler : Nous avons l'Association canadienne des commissions/conseils scolaires. Nous avons décidé de commencer. Lorsque nous avons obtenu la subvention, les petits caractères disaient que cette subvention devait servir à apporter des changements sociaux et culturels au Canada. Pour être honnête, c'était un peu écrasant. Nous avons travaillé très fort.

Nous nous sommes demandé : « Comment changer les choses pour tous les jeunes et les enfants au Canada »? Nous avions une stratégie solide : nous sommes partis du niveau national, puis nous avons demandé aux organisations de transmettre les connaissances et la formation aux gens.

Le sénateur Nancy Ruth : Avez-vous des groupes comme les guides et les scouts?

Mme Pepler : Oui.

Le sénateur Nancy Ruth : Avez-vous différents groupes religieux à l'échelle nationale?

Mme Pepler : Pas encore. Nous avons en parlé et avons demandé conseil à ce sujet. Nous n'avons jamais vraiment su où nous adresser, mais nous nous devons de continuer de chercher. Il faudra probablement nous adresser à 10 endroits différents. Nous avons deux employés à temps plein, alors, c'est un peu difficile pour nous. Toutefois, nous tendons la main à ces groupes, et ils ont communiqué avec nous à plusieurs reprises.

Mme Craig : Pendant ces premières années, PREVNet a travaillé avec chacune de nos organisations. En cinq ans, nous avons réalisé 82 projets différents avec nos organisations. Les guides, par exemple, se préoccupaient des agressions parmi les filles, de sorte que nous avons travaillé avec l'organisation pour créer une formation électronique pour les 22 000 chefs guides partout au pays. Nous avons réuni des chercheurs avec les guides, et il s'agissait d'une cocréation. C'est ainsi que nous abordons les choses.

Les chercheurs ont présenté un excellent exposé magistral sur les pratiques factuelles pour travailler avec des filles, et les guides leur ont demandé ce qu'ils voulaient dire. Ils l'ont reformulé en un langage accessible et en des termes reconnus par leur organisation. Les chercheurs ont vérifié que c'était correct. Ensuite, nous sommes allés voir, et ils avaient formé leurs chefs et nous avons évalué cette formation pour nous assurer que les connaissances étaient transmises et quelles connaissances et formation étaient adoptées.

La prochaine étape, qui n'a pas encore été franchie, consistera à voir si, en changeant les connaissances des chefs guides, nous améliorons les comportements des filles et réduisons les agressions dans les troupes de guides. Toutes les organisations avec lesquelles nous avons travaillé ont lancé des projets semblables au cours des cinq dernières années.

Le sénateur Nancy Ruth : Pouvez-vous répondre à ma question sur la pornographie?

Mme Pepler : Je serai brève. Nous définissons l'intimidation comme étant une utilisation du rapport de force et de l'agression pour contrôler quelqu'un ou susciter une détresse psychologique. Lorsque les jeunes entrent dans l'adolescence et deviennent des êtres sexuels, la sexualité est très importante. Il y a de nombreux exemples de filles et de garçons que l'on force à prendre des photos ou à se faire prendre en photo, et les photos en question sont ensuite affichées sur Internet. Il s'agit d'une préoccupation, sans aucun doute.

Si on s'arrête et qu'on réfléchit à l'intimidation de façon plus générique comme étant un rapport de force et une agression, le leurre d'enfants, sans aucun doute, les gens qui commettent des actes criminels en matière de pornographie et qui s'approchent des enfants et des jeunes utilisent le rapport de force de façon horriblement agressive pour leur faire du tort. Il faut se pencher sur cette question du point de vue criminel, mais également du point de vue du développement. Qu'est-ce que vous pouvez divulguer et qu'est-ce que les autres peuvent vous demander?

Il se fait beaucoup de travail pour aider les enfants et les jeunes à savoir où sont ces limites et comment se tenir debout, avoir confiance et dire non.

Mme Craig : Mme Faye Mishna, de l'Université de Toronto, a fait du travail dans ce domaine et a cherché des façons dont les enfants se disent avoir été victimes par voie électronique. L'une de ces façons consiste à montrer des images sexuelles, par exemple, qui ont été envoyées. Elle pourra vous parler de la fréquence de ce problème; je ne m'en souviens pas pour l'instant.

Ce qui est intéressant au sujet de cette recherche, c'est que les enfants indiquent que la plupart des formes de victimisation électronique proviennent d'un ami ou de quelqu'un qu'ils connaissent. Elle provient moins d'un étranger. Il pourrait s'agir d'une fonction du développement, mais les enfants ne savent pas vraiment que c'est ce qu'ils affirment savoir.

Le sénateur Andreychuk : J'ai malheureusement un conflit d'horaire, de sorte que je vais vous poser quelques questions.

Vous avez parlé de préjudices supplémentaires provenant de la cyberintimidation. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire? Parlez-vous du point de vue quantitatif, ou existe-t-il une qualité différente aux préjudices causés?

Mme Pepler : Je ne pense pas que nous puissions vraiment parler de qualité pour l'instant, mais je peux formuler des hypothèses. Permettez-moi de revenir en arrière pour vous expliquer qu'il existe des préjudices supplémentaires statistiquement significatifs.

Lorsque nous examinons statistiquement la situation, nous étudions le rapport entre deux facteurs. Les victimes d'intimidation au sens traditionnel du terme subissent déjà un certain préjudice et si elles sont en plus victimes de cyberintimidation, ce préjudice s'amplifie considérablement.

Nous devons examiner les façons dont la cyberintimidation envahit la vie des jeunes victimes; nous devons aussi mener de plus amples recherches sur le sujet. C'est évidemment inacceptable de fermer son téléphone cellulaire lorsqu'on reçoit un message texte, parce que l'autre personne saura ainsi instantanément que ses messages ne se rendent plus au destinataire, ce qui jettera de l'huile sur le feu.

Si des photos circulent, c'est très difficile pour les jeunes de le savoir. C'est beaucoup moins tangible. J'ai parlé avec un jeune qui a été victime de cyberintimidation; un site web avait été créé à son sujet. Pratiquement tous ses camarades de classe avaient ajouté des choses horribles sur ce site. Il m'a confié qu'à l'école il ne savait pas si les gens lui souriaient, parce qu'ils étaient contents de le voir et qu'ils voulaient être gentils ou qu'ils riaient de ce qu'ils avaient vu sur le site web. C'était très troublant pour lui. Je crois que nous devons mener davantage de recherches pour comprendre l'aspect qualitatif d'une telle expérience.

Le sénateur Andreychuk : J'essaye de tracer un parallèle avec les agressions sexuelles, qui causent des préjudices aux jeunes victimes, mais lorsque ces victimes sont agressées par un proche, étant donné les liens de sang, c'est sur l'aspect qualitatif des préjudices que nous mettons l'accent. Voilà pourquoi je voulais savoir ce que vous entendiez par « préjudices supplémentaires ».

Mme Craig : C'est un point très important. Il s'agit du caractère envahissant de la cyberintimidation et de l'impossibilité d'y échapper. Nous n'avons pas encore abordé les aspects positifs de l'utilisation d'appareils électroniques dans la vie sociale des adolescents; nous avons également réalisé des recherches sur le sujet. Ces appareils peuvent avoir des résultats positifs, mais ils peuvent aussi avoir des effets extrêmement pervers, s'ils sont utilisés à mauvais escient.

Dans mon exemple, il y avait une jeune collègue qui s'est retrouvée dans une situation semblable. Un site web avait été créé à son sujet. Il a été fermé en moins de 24 heures, mais plus de 1 000 personnes ont eu le temps de le consulter. Cette jeune femme, qui avait grandi dans une petite ville, est devenue agoraphobe. Elle avait peur de sortir de chez elle, parce qu'elle ne savait pas qui avait vu le site web.

Par conséquent, nous avons ici deux éléments. Son caractère envahissant et la possibilité de diffuser rapidement l'information rendent la cyberintimidation préjudiciable, mais il ne faut pas oublier que cette information est aussi accessible pratiquement instantanément à un très grand nombre de gens. Voilà les trois éléments qui amplifient les préjudices découlant de la cyberintimidation.

Le sénateur Hubley : Vous nous avez dit qu'il reste encore beaucoup de pain sur la planche pour combler l'écart entre la politique et ce qui se passe concrètement sur le terrain. Vous nous avez parlé des élèves que vous suivez dans leur cheminement scolaire. Se sont-ils déjà retrouvés dans une situation où il y avait une politique en place? Le cas échéant, avez-vous été en mesure de la déterminer?

Pour la plupart d'entre nous, il existe un écart entre ce que nous considérons de l'intimidation et de la cyberintimidation. Existe-t-il une bonne politique dont les nombreux groupes de prévention de l'intimidation pourraient se servir?

Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais compléter votre question. Si un programme sur sept aggrave en fait le problème d'intimidation, votre organisme peut-il faire quelque chose pour remédier à la situation?

Le sénateur Hubley : J'aimerais également vous entendre sur le programme SNAP Girls Connection.

Mme Craig : Je vais d'abord parler de l'écart entre la politique et la pratique, qui est très important, et c'est aussi en lien avec votre commentaire.

C'est vraiment une très bonne chose que l'Agence de la santé publique du Canada comble ce vide avec le Portail canadien des pratiques exemplaires. Nous avons participé à l'élaboration du programme de prévention de la violence. Il s'agit d'un site web où sont répertoriés des programmes qui sont fondés sur des données probantes. Le programme SNAP en est un bon exemple. WITS est un autre excellent programme de prévention de l'intimidation qui est fondé sur des données probantes.

D'abord il faut veiller à ce que ceux qui doivent disposer de données probantes puissent les obtenir. Cela fait partie du problème, car nous vivons dans un monde régi par la concurrence. Un directeur m'a dit une fois que son école recevait plus de cent annonces publicitaires par année au sujet de programmes de prévention de l'intimidation. Comment réussit-il à en choisir un?

Comment pouvons-nous diffuser les options possibles et sensibiliser les consommateurs? Les consommateurs sont, en quelque sorte, les directeurs d'école, mais aussi tout adulte qui travaille avec les jeunes et les adolescents. Ce sont les infirmières de la santé publique qui travaillent dans les écoles et dans les collectivités. C'est le moniteur d'un programme récréatif et sportif, une cheftaine chez les guides ou un chef chez les scouts; ce sont les clubs d'enfants et d'adolescents, les clubs parascolaires, les Grands Frères et les Grandes Sœurs. Tous ces intervenants doivent disposer des outils leur permettant de choisir un programme fondé sur des données probantes et elles doivent savoir prendre cette décision.

Il faut davantage d'outils pour aider ces adultes qui interagissent avec les jeunes, pour leur faciliter la tâche ou pour leur permettre d'adopter des pratiques fondées sur des éléments solides et d'utiliser ce type d'information.

Voilà une démarche que nous pouvons entreprendre, et il y a un rôle à jouer à cette fin.

Le sénateur Nancy Ruth : Veuillez nous donner un exemple d'autres outils et pratiques fondés sur des données probantes.

Mme Craig : D'après les recherches effectuées dans ce domaine, les éducateurs choisissent des pratiques de prévention de l'intimidation après s'en être informés auprès d'un collègue. De nombreux choix résultent simplement du fait que les éducateurs connaissaient le programme. Il ne s'agit pas de programmes qui ont fait leur preuve. Nous voulons nous assurer que les programmes que nous établissons dans les écoles et dans les collectivités donnent des résultats. Il nous faut une banque de programmes fondés sur des données probantes, et tous les adultes qui travaillent avec des enfants et des jeunes doivent y être sensibilisés. Il nous faut un outil qui les aidera, par exemple, à choisir le bon programme pour un certain groupe d'âge dans une école au sein d'une collectivité rurale.

Mme Pepler : D'un autre point de vue, Mme Craig et moi avons revu des programmes et nous avons constaté qu'il y en a beaucoup qui sont assez populaires et qui aggravent effectivement la situation. Certains principes clés et certaines données devraient être pris en compte dans l'élaboration de ces programmes. Par exemple, il faut éviter de donner de nombreux exemples d'actes d'intimidation parce que cela suggère des façons d'intimider les autres qui sont encore plus efficaces. Dans une situation où nous sommes intervenus, nous avons démontré que l'intimidation pouvait accroître la popularité de celui ou celle qui intimide, et il n'a pas été surprenant de noter que les taux d'intimidation chez les filles ont augmenté plutôt que de diminuer.

D'où la grande importance, avant de s'investir corps et âme dans un programme, d'avoir en main des données qui démontrent quels programmes sont efficaces et lesquels doivent être mis au point.

Le sénateur Nancy Ruth : Le PREVNet a-t-il les ressources et la capacité administrative propices à la mise sur pied d'un centre d'excellence ou à l'adoption de pratiques exemplaires? Comment renseignez-vous les groupes nationaux avec lesquels vous travaillez?

Mme Pepler : C'est là où notre partenariat avec l'Agence de la santé publique du Canada se qualifie d'extraordinaire. L'Agence s'est dotée d'un portail pour les pratiques exemplaires. Nous travaillons avec elle sur son portail pour la prévention de la violence. Grâce à des processus systématiques, nous examinons des programmes et ensuite nous les affichons. Nous avons revu des programmes prometteurs, tel que celui de la Croix-Rouge nommé le cercle bénéfique de la prévention. Il présente quelques données, mais celles-ci ne sont pas suffisantes. On peut l'afficher en tant que programme prometteur à l'intention des jeunes Autochtones dans les collectivités.

Le sénateur Nancy Ruth : Mais comment le faites-vous connaître?

Mme Craig : Il faut travailler davantage sur ces programmes. Ce n'est pas encore fini. Le portail est la propriété de l'Agence de la santé publique du Canada. Nous la conseillons sur la meilleure façon de faire valoir le portail pour la prévention de la violence. Il reste encore du travail à faire, mais c'est extrêmement important.

Les programmes ne présentent pas une solution globale, et je ne veux pas vous laisser avec l'impression que c'est le cas. La réponse n'est pas si facile. C'est un élément que nous pouvons mettre en place, mais en fin de compte, l'essentiel consiste en les stratégies et les interactions de chaque instant qu'ont les adultes avec les adolescents et les jeunes.

Si, 10 minutes après avoir terminé mon programme de prévention de la violence de 45 minutes en classe, je me mets à crier pour que les enfants s'assoient, je viens de gâcher tout le travail que je viens de faire. C'est la raison pour laquelle nous devons venir en aide à tous les adultes qui travaillent avec les enfants et les jeunes. Nous devons leur faire prendre conscience de la façon dont ils peuvent influencer leur comportement, de la façon dont ils peuvent être des mentors positifs pour façonner le comportement des enfants, de la façon dont ils peuvent reconnaître et prévenir les comportements à risque que les enfants manifestent, et il faut leur montrer comment agir différemment lorsque ces comportements surgissent.

Nous devons réfléchir à l'endroit où ils se situent dans ce que Mme Pepler a appelé l'architecture sociale.

Mme Pepler : C'est simplement la façon de regrouper les enfants. Certains enfants ne devraient pas se retrouver ensemble. De nombreuses recherches démontrent pourquoi des enfants très agressifs ne devraient pas être ensemble parce qu'ils accentuent leur agressivité. Nous croyons que les adultes doivent s'assurer aussi souvent que possible que les enfants agressifs ne se retrouvent pas ensemble et que les enfants marginalisés ont des relations saines.

Pour revenir à la question du sénateur Hubley, à savoir s'il y a une politique en place, nous avons vu de nombreuses écoles où il y en avait une. On appelle ces politiques « codes de comportement » plutôt que « politiques de prévention de l'intimidation ». Il y a un très grand nombre de politiques. Dans certaines écoles où nous avons été invités, des gens nous disent : « Nous avons ici un sérieux problème d'intimidation ». Après avoir passé un peu de temps à l'école, nous nous rendons compte que les élèves s'intimident entre eux, que les enseignants intimident les élèves, que les enseignants s'intimident entre eux et que la direction intimide les enseignants. C'est un problème social dans la collectivité qui dépasse l'enceinte de l'école. Nos enfants et nos jeunes sont témoins de nombreux modèles d'intimidation dans les médias. Le problème dépasse la portée de ces politiques.

À titre d'exemple positif, l'Australie a fait preuve de cran pour traiter certaines de ces questions. Un de leurs messages d'intérêt public, qui se trouve sur YouTube, s'intitule « Les enfants imitent ce qu'ils voient ». C'est une publicité percutante qui montre que les adultes adoptent des comportements que les enfants imitent.

Mme Craig a parlé de l'importance qu'à titre de parents, enseignants ou mentors, nous soyons conscients de la façon dont nous utilisons le pouvoir que nous avons, si nous l'utilisons de façon agressive ou positive.

Mme Craig : Je dirais que cela relève de la question de la promotion de la santé publique et que chaque adulte au Canada doit connaître des stratégies fondées sur des données probantes pour interagir efficacement et pour établir des relations saines. PREVNet s'appuie sur l'hypothèse que des relations saines mènent à un développement sain. Si nous pouvons aider les adultes à savoir comment interagir efficacement avec les enfants, que ce soit à titre de parents, d'entraîneurs, d'intervenants en loisirs, d'intervenants en activités parascolaires ou de chefs de file de la collectivité, nous pourrons vraiment changer la façon dont les adultes interviennent.

Nous devons aussi faire en sorte que les adultes soient responsables des enfants et des jeunes peu importe où ils vivent, apprennent, travaillent et jouent. Si, en me rendant au travail, je suis témoin d'un acte d'intimidation, mais que je ne fais rien, je suis aussi coupable que les enfants qui ne sont pas intervenus. Les adultes doivent réagir et intervenir et appuyer les enfants et les jeunes de façon efficace. Nous devons transmettre ce message.

Le sénateur Ataullahjan : Madame Pepler, je sais que vous êtes active au sein du programme SNAP Girls Connection. Avez-vous constaté une différence entre les types d'intimidation auxquelles les garçons et les filles prennent part? Est-ce que nous devrions tenir compte des sexes dans l'élaboration d'initiatives pour lutter contre la cyberintimidation?

Mme Pepler : Je vais vous dire quelques mots à propos de SNAP. Le programme m'est utile parce qu'il cherche également à offrir aux enfants et aux jeunes les capacités pour établir des relations saines.

Je suis active au sein des programmes SNAP depuis leur création. Nous avons conçu ce programme parce que les filles avaient de la difficulté quand elles se retrouvaient entourées de garçons. En fait, elles avaient ainsi de nombreuses occasions d'apprendre à devenir agressives, et nous avons donc séparé les deux sexes.

Nous avons parcouru la documentation scientifique pour étudier les différentes motivations qui animent les garçons et les filles. Les filles désirent fortement avoir des relations étroites. Les garçons ont des relations étroites, mais sous une forme différente. Elles s'équivalent sur le plan de la qualité, mais elles sont différentes. Les garçons aiment faire des activités ensemble.

Les relations mère-fille sont extrêmement importantes. Nous avons conclu dans notre étude que la relation qu'une fille a avec sa mère influe sur sa santé. Les filles agressives ont un bon état de santé si elles maintiennent une bonne relation avec leur mère, mais ce n'est pas le cas si elles ont une relation négative avec leur mère.

Le programme aide les filles à être plus stables et à maîtriser leurs émotions et leur comportement. Nous avons travaillé avec des neuroscientifiques. L'activité et les patterns cérébraux changent chez les enfants qui réussissent le programme. Le fait que les enfants se calment, s'ajustent et règlent leurs problèmes plus efficacement améliore leur comportement et leurs relations interpersonnelles.

Par contre, on ne peut pas se contenter de seulement former l'enfant; il faut aussi travailler avec les gens qui l'entourent la plupart du temps. Les parents participent à un programme de formation similaire. Nous n'avons pas encore étudié leurs cerveaux et les changements qu'ils subissent, mais j'imagine qu'il y a de tels changements, au fur et à mesure où ils apprennent à se maîtriser et à ne pas se contenter de crier contre les enfants qui sont, de toute façon, difficiles à élever. Nous étendons aussi notre travail aux écoles et aux collectivités, et nous constatons que cela donne des résultats.

Y a-t-il des façons légèrement différentes d'intervenir auprès des filles et des garçons? Je pense que oui. Le programme n'est pas complètement différent selon les sexes parce que, en tant qu'êtres humains, nous nous développons de façon similaire et nous avons des besoins similaires en termes de relations interpersonnelles. Tant les filles que les garçons ont besoin des adultes pour les maîtriser, les superviser, les limiter dans leurs actions, leur permettre de s'épanouir et pour se faire aimer de ceux-ci. Par contre, comme les filles sont très axées sur leurs relations et comme les mères revêtent une si grande importance dans leur vie, d'une manière différente que chez les garçons, nous nous sommes sérieusement penchés sur cet élément.

Aussi, le développement sexuel des filles s'est révélé un facteur de risque, et nous avons donc élaboré avec des infirmières de santé publique un programme subséquent du nom de « Des filles qui grandissent en santé ». Ce programme enseigne aux filles à parler à leur mère de sexualité, de développement sexuel, de relations interpersonnelles et d'autres sujets. La réponse, c'est que de nombreux éléments sont identiques pour les deux sexes et que d'autres sont légèrement différents.

Le sénateur Ataullahjan : Le comportement des filles a-t-il changé? Sont-elles davantage agressives? Je ne sais pas si vous avez vu la vidéo récente filmée à Toronto à partir d'un téléphone cellulaire; on y voit trois adolescentes de 15 ans qui assaillent et frappent une femme de 35 ans qui disait être enceinte. Cette vidéo est devenue extrêmement populaire. Elle a été diffusée sur les réseaux d'information, sur Internet et partout. Quelqu'un s'est campé à côté de la scène pour filmer les trois adolescentes de 15 ans en train de donner des coups de pied à une femme affaissée sur le sol qui disait être enceinte. En fait, elle ne l'était pas, mais elle croyait l'être lorsque la scène a été filmée.

Les comportements physiques des filles sont-ils de plus en plus agressifs? Qu'est-ce qui a changé au cours des dernières années?

Mme Pepler : Les statistiques sur la criminalité donnent à entendre qu'il y a eu une diminution générale de la criminalité, mais qu'il y a eu une augmentation des crimes violents commis par des filles. Ce qui est intéressant à propos de cette vidéo, combien troublant mais si intéressant, c'est que les jeunes posent rarement des gestes extrêmes de la sorte lorsqu'ils sont seuls. C'est ce que nous avons constaté quand nous avons filmé des centaines d'heures dans des cours d'école. Quand des jeunes très agressifs se réunissent, ils posent des gestes qu'ils ne poseraient pas s'ils étaient seuls.

Ce qui se produit — ici encore, la recherche cérébrale nous aide à cerner le phénomène —, c'est que cela stimule et surexcite les jeunes de façon exponentielle; et plus ils sont surexcités, moins le cerveau a de l'énergie pour penser de façon logique. Ça survient à une période de leur vie où leurs cerveaux subissent des changements de toute façon; les jeunes ne réfléchissent tout simplement pas à leurs actes.

Qu'est-ce qui a changé? Je pense que ce sont les structures familiales qui ont changé. Pour ce qui est de la répartition du temps passé avec ses parents et du temps passé avec ses pairs, traditionnellement, même à 15 ans, on était avec nos parents pour le souper, on passait la soirée à la maison et on n'était pas branché à Internet.

Aujourd'hui, avec le cyberespace, tout a changé. Les jeunes sont moins bien connectés avec leurs parents qu'avec leurs pairs. Même lorsque les jeunes sont chez eux où, auparavant, ils étaient à l'abri, par exemple, des filles au comportement antisocial de leur classe, les jeunes peuvent maintenant planifier des choses sans que leurs parents le sachent. On assiste à des changements considérables pour ce qui est des influences qui s'exercent sur les enfants. Je pense qu'à 15 ans, les jeunes ont encore besoin d'une forte influence de leurs parents.

Mme Craig : Ce que cette histoire a mis en relief à mes yeux, c'est que cela est essentiel pour comprendre l'intimidation. Selon nos recherches et nos observations, lorsque nous avons filmé des jeunes, nous nous sommes aperçus que dans 85 p. 100 des cas, des pairs étaient témoins de la situation. Ils sont là et savent exactement ce qui est en train de se passer. Nous avons été les premiers à être en mesure de faire des enregistrements vidéo de la dynamique, de ce qui se passe et de ce que font les pairs face à un cas d'intimidation.

Il y a certains points importants. Tout d'abord, plus il y a de pairs qui assistent à la scène, plus l'épisode d'intimidation sera violent, car il constitue un public. Nous avons observé qui ils regardaient et examiné ce qu'ils disaient. La plupart du temps, ils regardent l'enfant intimidateur et lui parlent. En d'autres termes, il existe un large public. Si vous êtes assis là et que vous semblez intéressé par ce que je dis, je pourrais continuer pendant des heures. Jusqu'à quelle heure voulez-vous rester ici ce soir?

C'est exactement ce qui se passe avec l'intimidation. Il y a tout ce public qui concentre son attention sur l'enfant intimidateur, ce qui le conforte dans sa position; plus il y a de pairs qui assistent à la scène, plus l'épisode d'intimidation est violent et long. Sans le savoir, les pairs encouragent l'intimidation. Ils sont là, ils cautionnent cette situation et jouent différents types de rôle. Parfois, ils participent activement à l'intimidation en donnant un coup de poing ou une claque. Parfois, ils ne font rien.

Parfois, cependant, ils interviennent, ce qui est un élément positif. En fait, ils interviennent plus que les adultes, ce qui est une bonne chose, et ils sont en mesure de le faire, car ils sont présents.

Lorsque nous avons examiné le rôle des pairs dans le cas de la cyberintimidation, nous nous sommes aperçus que les pairs jouaient le même rôle. En d'autres termes, ils interviennent parfois; ou ils deviennent ce que l'on appelle « des agresseurs secondaires » — qui transmettent l'information en se connectant au lien; parfois, ils participent à l'intimidation.

Le comportement des pairs est très similaire dans les cas d'intimidation sur Internet et les cas d'intimidation en personne. Il est extrêmement important d'en tenir compte afin de trouver une solution au problème. Cela signifie que les pairs doivent faire partie de la solution, car ils sont présents, ils peuvent en informer les adultes et ils ont le pouvoir d'intervenir.

Les élèves nous disent souvent que les stratégies et les compétences nécessaires leur font défaut et qu'ils ne pensent pas que les adultes peuvent régler efficacement le problème. Cela nous indique comment intervenir. Il faut que nous réfléchissions attentivement à la manière dont cela devient une question de promotion de la santé, afin de favoriser l'intervention des élèves entre eux, sachant qu'ils ont aussi besoin de l'appui et de l'aide des adultes.

Le sénateur Ataullahjan : Avez-vous observé qu'en général, l'intimidation cesse lorsque les pairs interviennent? Avez- vous des statistiques à ce sujet?

Mme Pepler : Nous avons aussi été en mesure d'encoder cela dans nos enregistrements vidéo. Chaque fois qu'un pair intervenait, nous avons analysé les 10 secondes suivantes. Lorsque les pairs interviennent, l'intimidation cesse dans un délai de 10 secondes dans 57 p. 100 des cas.

Il n'existe pas de mesure; il n'existe pas d'instrument qui nous permettent de mesurer, par exemple, l'intensité de ces 10 secondes. Cependant, nous avons effectué cette étude lorsque mes enfants étaient assez jeunes, en âge d'aller à l'école primaire, environ; et je me suis demandée, lorsque je leur demande d'éteindre la télévision et de venir souper, combien de fois ils le faisaient dans un délai de 10 secondes? La réponse est : jamais.

Cela est extrêmement efficace, mais pourquoi les jeunes sont-ils si habitués à ce type d'intervention par les pairs? Je pense que la réponse réside dans le fait qu'à cet âge, il est très important d'avoir un sentiment d'appartenance au groupe et d'être reconnus par ce groupe. Il n'y a pas de source de motivation ou d'objectif plus fort à cet âge. Lorsque quelqu'un remet en question notre comportement ou notre position, on se dit que l'on devrait arrêter pour le moment quitte à continuer par la suite.

Si nous aidons nos enfants et nos jeunes, et que nous les aidons à gérer ce type d'intervention, je pense que cela présente un potentiel énorme.

Le sénateur Hubley : Lorsque vous avez fait le suivi d'élèves sur plusieurs années, je me demandais s'ils étaient à un âge ou dans une classe où il existe une politique ou la possibilité qu'un enseignant leur donne certaines consignes en ce qui a trait à la bonne attitude à adopter, et si vous avez pu observer des différences suite à cela?

Mme Pepler : Je ne suis pas certaine que nous ayons pu observer cela dans le cadre de l'étude longitudinale que nous avons effectuée dans les écoles secondaires. Il y avait différentes politiques. L'intimidation commençait à être prise en compte. Nous avions nous-mêmes travaillé sur certains projets à Toronto, en collaboration avec la Commission scolaire de Toronto, pour élaborer et évaluer des méthodes d'intervention contre l'intimidation.

La meilleure façon de répondre à cette question consiste à dire que dans le cadre de notre première étude d'observation, il n'y avait aucun programme de prévention de l'intimidation en place. Dans le cadre de notre deuxième étude, un programme existait. Les différences que nous avons relevées entre les deux études nous donnent une idée de la manière dont les choses peuvent changer lorsque l'on prévoit des modes d'intervention.

La fréquence des interventions de la part des enseignants a doublé dans la cour de récréation. Dans notre première étude, les enseignants intervenaient dans 4 p 100 des cas; dans notre étude sur l'intervention, les enseignants intervenaient dans 9 p. 100 des cas. Dans notre première étude, les élèves intervenaient dans 10 ou 11 p. 100 des cas et, dans notre deuxième étude, on a atteint 22 p. 100 des cas. Nous avons donc été en mesure de doubler certains de ces effets.

Ce qu'il a été intéressant de remarquer, cependant, c'est que lorsque nous avons mis une politique d'intervention en place — et nous avons fait d'autres analyses depuis —, les enfants qui participaient moyennement à de l'intimidation ont changé très rapidement. Les enfants qui participaient moyennement à de la victimisation ont changé très rapidement.

En ce qui concerne les enfants qui étaient fortement victimes d'intimidation, il a fallu plus longtemps, soit 18 à 24 mois, pour que les choses changent de façon marquée. Le comportement des enfants fréquemment intimidateurs est demeuré inchangé sur une période de 18, 24 et 30 mois, car ces enfants ont besoin d'aide psychologique. Ils ont besoin d'une intervention beaucoup plus musclée que ce type d'intervention universel.

Il s'agit des enfants qui ont de graves problèmes de santé mentale et que les parents ont de la difficulté à élever. Ce sont les mêmes enfants qui auront probablement, plus tard, des problèmes avec la justice. C'est ce que suggèrent nos données.

Le sénateur Zimmer : Êtes-vous en train de dire que plus nous vous écoutons attentivement, plus vous allez nous intimider?

Mme Craig : J'étais justement en train d'en prendre note.

Le sénateur Zimmer : Y a-t-il un lien direct qui peut être fait avec un épisode d'intimidation numérique le soir précédent? Notre précédent témoin a indiqué qu'il avait demandé à un jeune garçon de relire ce qu'il avait écrit — parce qu'en général, on écrit ce type de message avec passion et haine, et tout d'un coup on revient en arrière et on se demande si on a vraiment écrit cela? Oui, c'est le cas. On peut donc le changer — c'est le lien le plus important, pour passer à la journée suivante.

Existe-t-il une corrélation ou des recherches qui établissent un lien entre l'intimidation numérique et l'intimidation en personne la journée suivante, ou autre, et la violence, ainsi que le résultat, c'est-à-dire, malheureusement, le suicide, le meurtre, ou autre? Existe-t-il une corrélation entre ces trois ou quatre étapes? Avez-vous des statistiques à l'appui de cela?

Mme Craig : Nous avons entamé notre étude longitudinale avant que l'intimidation électronique ne commence à sévir, si bien que nous pouvons parler de la trajectoire de pouvoir et d'agression d'un point de vue du développement. Dans l'étude longitudinale, nous avons suivi des enfants pendant sept ans. Nous avons constaté que les enfants qui se livraient fréquemment à l'intimidation à l'école primaire étaient bien plus susceptibles — vous vous souvenez du pourcentage au point délinquance?

Mme Pepler : Cent pour cent d'entre eux se classaient dans fort ou modéré côté délinquance; 97 p. 100 d'entre eux dans fort ou modéré pour le harcèlement sexuel. Autrement dit, cela évolue vers d'autres formes. En 8e année, les enfants qui se livraient à l'intimidation étaient de trois à quatre fois plus susceptibles d'être membres de gangs. Dans une autre étude, effectuée par le groupe qui organise les programmes SNAP, on a constaté que les enfants de huit à 10 ans qui se livraient à l'intimidation étaient deux fois et demie plus susceptibles d'avoir un casier judiciaire à l'âge de 18 ans.

Mme Craig : En d'autres termes, les enfants qui se livrent à l'intimidation fréquemment et régulièrement à l'école primaire ont appris à utiliser le pouvoir et l'agression dans leurs rapports avec leurs pairs. Ils transfèrent cela dans leurs liens romantiques, où ils sont beaucoup plus susceptibles d'agressions physiques. Ils sont beaucoup plus susceptibles de se livrer à la délinquance et à des actes criminels.

L'intimidation est un signe avant-coureur de problèmes graves. C'est ce que nous disons autour de nous. Les problèmes d'intimidation ne vont pas disparaître un beau jour. Ce n'est pas quelque chose que les enfants oublient en grandissant. Avec le temps, les problèmes d'intimidation deviennent des problèmes bien plus importants et graves.

Si on se penche sur les enfants qui ont été victimes d'intimidation régulièrement et fréquemment durant l'école primaire, on constate que les filles présentent un risque élevé de troubles du comportement alimentaire et que garçons et filles sont prédisposés à la dépression, l'anxiété et l'isolement social. Il y a des liens évidents qui mènent à des problèmes de santé mentale, physique et émotionnelle bien plus graves.

Le sénateur Zimmer : Intimider électroniquement, sans regarder la personne dans les yeux, c'est une chose; mais quand on en arrive à la confrontation, plus tard, y a-t-il un lien marqué entre les pratiques électroniques et la confrontation sur le terrain?

La plupart des gens sont des trouillards, comme mon père me l'a appris. Si on épingle le caïd, on épingle le gang. D'où ma question : y a-t-il un lien étroit entre l'intimidation électronique et l'aspect confrontation, vu que la réaction est totalement différente? Jouer les grandes gueules quand on a personne en face, c'est bien joli; mais on finit bien par aller en classe ou à l'école et par se retrouver face à face avec l'intéressé, ce qui peut très bien se traduire par un oeil au beurre noir; il y a une énorme différence. Vous avez des recherches sur ce passage de l'aspect électronique à l'aspect physique?

Mme Pepler : Il y a un chiffre qui me saute à l'esprit — l'une de nos diapositives l'évoquait — 99 p. 100 des jeunes qui font de l'intimidation électronique font également de l'intimidation traditionnelle. Il y a un chevauchement majeur, ce dont nous avons été surpris.

Quand nous avons entamé la recherche, nous pensions qu'il y aurait un groupe secret de jeunes qui n'avaient pas le courage de se manifester en tête à tête et qui se manifesteraient ainsi à distance, en douce, peut-être de façon anonyme — bien que généralement ce ne soit pas le cas — pour se venger. Nous savons aussi que certains enfants systématiquement pris comme cible passent dans l'autre camp et adoptent à leur tour des comportements d'intimidation; ils sont à la fois des victimes et des jeunes qui se livrent à l'intimidation.

La question que vous soulevez est particulièrement importante : Est-ce qu'un aspect contamine l'autre? Je dirais que la réponse est « oui », que cela fonctionne probablement dans les deux sens : de la cyberintimidation à la confrontation physique et de la confrontation physique au plan électronique.

Mme Craig : Nous savons que les jeunes qui se disent victimes d'intimidation électronique sont beaucoup plus susceptibles de porter des armes. Et je pense que c'est précisément pour la raison que vous évoquez, la peur du passage d'un domaine à l'autre.

Le sénateur Ataullahjan : J'ai toute une série de questions, que j'espère pouvoir verbaliser. J'ai deux filles et, aujourd'hui encore, nous nous assoyons, nous mangeons ensemble, nous faisons tout ensemble. Quand j'ai proposé cette étude, en octobre, j'en parlais à ma plus jeune, qui a 20 ans et fait des études à l'université.

Je lui ai dit que j'envisageais cette étude sur la cyberintimidation et l'intimidation. Elle m'a dit que l'intimidation était de nos jours une peine de prison à laquelle on ne pouvait pas échapper. Où qu'on aille, elle vous poursuivait.

Je constate que la plupart des enfants n'éteignent pas leurs cellulaires. Souvent, à 2 h 30 du matin, j'entends quelque chose et je demande : « Qui peut bien vous envoyer un message à cette heure-là? » Il y a ce besoin de rester en contact. Comment apprenons-nous à ces enfants l'art d'éteindre l'appareil? Pourquoi sont-ils aussi accros? C'est l'une de mes questions. L'autre porte sur la cyberintimidation au Canada.

La présidente : Pourriez-vous répondre à cette question d'abord?

Mme Pepler : Selon moi, c'est un risque de santé publique. Il faut aider à la fois les parents et les jeunes à réfléchir sur les comportements sains, sur les attentes et la façon dont on peut gérer les choses.

Il faudra bien, à un moment ou à un autre, aider les jeunes et les parents à comprendre qu'un téléphone cellulaire n'est pas censé être allumé 24 heures par jour. Notre conseil aux parents est de ne pas laisser les enfants avoir des ordinateurs dans leurs chambres et d'appliquer un couvre-feu pour les téléphones cellulaires à partir de 22 heures ou de 23 heures. Les téléphones cellulaires sont alors réunis en un point central; on les recharge et on les récupère le matin.

Cela devient un risque pour la santé parce que les enfants n'ont pas assez de sommeil. S'ils sont victimes d'intimidation électronique au milieu de la nuit, ils ne peuvent plus fermer l'oeil; cela envahit leur vie.

Je vous remercie d'avoir soulevé cette question essentielle. On enseigne aux parents comment insister pour que les enfants se brossent les dents. Il en va de même pour les comportements sains nécessaires pour une vie régulière, votre rythme diurne et le maintien de votre santé. Mettre le téléphone au rancart en est un.

Mme Craig : Des recherches récentes montrent que pendant 50 p. 100 du temps que les jeunes passent en ligne, c'est avec leurs téléphones cellulaires qu'ils sont connectés. D'où l'importance d'avoir une véritable réflexion sur l'étiquette appropriée pour ce type de technologie. Ils utilisent maintenant leurs applications de téléphone pour effectuer tout ce qu'ils faisaient autrefois sur l'ordinateur de la maison. Il faut leur apprendre que respecter une certaine étiquette est nécessaire pour promouvoir la santé. Il faut encourager des comportements appropriés.

Le sénateur Ataullahjan : Ils ont aussi un état d'esprit différent. Moi, par exemple, je laisse un message vocal; mes enfants me répondent avec un texto.

J'ai aussi l'impression que, en tant que parents, nous hésitons à avoir des conversations sérieuses avec nos enfants. Nous craignons la confrontation. Je constate que de nombreuses mères qui travaillent s'efforcent désespérément de faire plaisir à leurs enfants. C'est un comportement que je constate chez bien des gens que je connais, cette façon d'éviter la confrontation.

Or, un père ou une mère dignes de ce nom doivent à l'occasion imposer des contraintes et faire respecter la discipline. Les gens semblent l'éviter, c'est ce que je constate, pour ma part. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas si on peut remédier à cet état de choses, mais il me semblait important de le souligner.

Mme Craig : Vous avez effectivement mis le doigt sur l'un des problèmes essentiels. Si, dans ce domaine, les enfants sont libres de toute limite imposée par des adultes, c'est parce que ce sont eux les experts. Les adultes ne comprennent pas pleinement la technologie, la façon dont elle fonctionne, ses capacités ou ses multiples usages. C'est un domaine où les jeunes jouissent d'une plus grande liberté, parce que les adultes ne disposent même pas du savoir voulu pour établir les limites qui seraient appropriées ou fixer des lignes directrices. Informer les adultes de la technologie, de l'emploi de la technologie et des répercussions sur la santé pourrait faire l'objet d'une campagne de santé publique.

Je suis entièrement d'accord avec ce que Mme Pepler a dit au sujet du sommeil. En effet, il est primordial que les jeunes dorment suffisamment pour qu'ils soient en bonne santé.

Le sénateur Ataullahjan : L'autre question porte sur la cyberintimidation au Canada. Étant donné qu'on se sert de plus en plus des nouvelles technologies, y a-t-il maintenant plus de cyberintimidation que d'intimidation physique ou verbale? La récente vague de suicides a-t-elle pour cause la cyberintimidation? Y en a-t-il vraiment de plus en plus ou est-ce plutôt que les médias s'y intéressent plus qu'avant?

Mme Craig : J'essaie de me souvenir des données les plus récentes portant sur les comportements liés à la santé de l'enquête sur les enfants et les jeunes. La cyberintimidation n'est pas la forme la plus commune. Je pense que les différentes formes d'intimidation s'équivalent. Il est vrai que l'intimidation verbale est la forme la plus commune et l'intimidation physique la moins commune, mais l'intimidation sociale et la cyberintimidation sont aussi prévalentes l'une que l'autre. Par contre, je ne pourrais pas vous donner les pourcentages exacts.

Mme Pepler : Il est également important de souligner que ce sont les mêmes jeunes qui pratiquent les différentes formes d'intimidation. En général, il s'agit d'une même personne qui varie les formes d'intimidation auxquelles elle a recours.

Vous vouliez également savoir si le nombre de suicides avait augmenté. Il est très difficile de répondre à cette question. Pour ce qui est des cas très médiatisés, il semblerait que la cyberintimidation n'était qu'une des multiples formes d'abus dont étaient victimes les jeunes qui se sont suicidés. Ce n'est vraiment pas évident de répondre à cette question.

Les travaux de recherche dans ce domaine ont commencé en Norvège en 1983 après le suicide de quatre jeunes garçons. Le phénomène n'est pas nouveau, même s'il est vrai qu'on semble y être davantage sensibilisé. Dans certains cas, les jeunes laissent une lettre à leur entourage nous permettant d'établir un lien entre leur suicide et les abus que leur ont fait subir leurs pairs.

Le sénateur Ataullahjan : Je m'intéresse beaucoup à ce qui se fait en Norvège parce qu'il existe là-bas un programme axé sur le soutien par les pairs. Je pense qu'il a donné de très bons résultats. En effet, on dit que l'intimidation a diminué de pas moins de 40 p. 100. Les Canadiens devraient-ils tirer des enseignements de ce programme?

Mme Craig : Le programme a eu d'excellents résultats. Mais les résultats n'ont pas été aussi impressionnants dans le contexte nord-américain. C'est peut-être parce que notre société est plus hétérogène que la leur, et il serait peut-être important de prendre en compte ces effets culturels lors d'un éventuel remaniement du programme.

Ce qui est important, c'est que nous savons maintenant — grâce aux méta-analyses qui ont été effectuées, c'est-à- dire qu'il y a des chercheurs qui ont examiné tous les programmes de prévention qui existent — que les programmes de prévention de l'intimidation doivent comprendre certaines composantes essentielles pour être efficaces. Je ne dis pas qu'il y a un seul programme qui convienne à toutes les situations, mais il n'en reste pas moins qu'il y a des éléments essentiels qui doivent faire partie de tout programme.

Permettez-moi de vous parler de ces éléments. S'il s'agit d'un programme dans les écoles, il faut qu'il vise toutes les entités concernées; il faut qu'il y ait des mesures d'aide pour celui qui pratique l'intimidation et celui qui en est victime. Il faut organiser des activités en classe, des activités à l'échelle de l'école, sans oublier de faire participer les parents. D'autre part, les meilleurs programmes ont également une composante communautaire. Voilà donc les éléments clés d'un programme réussi.

Je pense que le programme norvégien fonctionne bien; il a bonne réputation. Mais il y en a d'autres comme le programme WITS, qui est canadien. Il ne faut pas l'oublier.

Le sénateur Ataullahjan : Savez-vous quelle est la prévalence de la cyberintimidation ethnoculturelle, c'est-à-dire la cyberintimidation qui se fait en fonction de l'ethnicité, de la race ou de la religion? La cyberintimidation cible-t-elle un certain groupe plus que d'autres?

Mme Craig : Je ne pourrais pas vous répondre en ce qui a trait à la cyberintimidation. À ma connaissance, il n'y a pas de données canadiennes sur ce phénomène.

Mme Pepler : Nous avons posé cette question à nos élèves dans le cadre de notre enquête longitudinale. Environ 17 p. 100 des enfants réfugiés ou immigrants se sont dit victimes d'intimidation ethnique. Il ne s'agissait pas de cyberintimidation. Dix-sept pour cent des élèves de dernière classe de l'école primaire et environ 21 p. 100 des élèves au secondaire ont déclaré avoir été victimes d'intimidation raciale.

Le sénateur Ataullahjan : J'en ai été témoin dans les écoles : des jeunes filles musulmanes portant le hijab qui se font intimider parce qu'elles se couvrent la tête, des enfants hindous qui se font malmener parce qu'ils ont tellement de dieux, et ainsi de suite. En fait, je voulais savoir si ces personnes étaient également victimes de cyberintimidation.

Le sénateur Nancy Ruth : Puis-je intervenir? N'y a-t-il pas eu d'études sur cette question?

Mme Craig : Seulement sur l'intimidation en face à face, pas virtuelle.

Le sénateur Nancy Ruth : Peut-être que le phénomène n'est pas aussi marqué parce que sur Internet on ne se voit pas? Lorsque vous vous pencherez sur cette question de cyberintimidation ethnique, gardez ma question à l'esprit.

Mme Craig : On sait, d'après certaines recherches, que c'est le fait d'être une minorité dans le contexte scolaire qui déclenche le phénomène, et non l'appartenance à une culture particulière. J'ai un étudiant qui s'intéresse à l'identification des groupes majoritaires et minoritaires dans le contexte scolaire ou encore dans les différents quartiers. Ce n'est pas nécessairement un groupe précis qui est visé, mais plutôt le groupe qui est minoritaire dans une école ou au sein d'une collectivité.

Le sénateur Ataullahjan : Je m'intéresse à la cyberintimidation et aux mesures qui ont été mises en oeuvre dans les différents pays. Aujourd'hui, on a appris qu'en Nouvelle-Zélande on vient de proposer un nouveau texte de loi sévère. En vertu de cette loi, les victimes de cyberintimidation peuvent se retourner contre leur persécuteur en faisant appel à un nouvel organe de surveillance d'Internet, facile d'accès et ayant le pouvoir d'imposer des amendes, d'exiger des excuses ou même de fermer le compte Internet du délinquant. Pensez-vous qu'on devrait mettre en place ce genre de mesures au Canada? Pensez-vous que ce serait utile? On devrait tirer des enseignements de ce qui marche bien ailleurs.

Mme Pepler : Pour répondre, je reviendrais à ce que Mme Craig a dit au sujet de la perspective axée sur le développement. Nous savons que les jeunes qui pratiquent l'intimidation n'ont pas acquis les compétences qui sont nécessaires pour avoir de bonnes relations interpersonnelles, et il faut leur donner l'occasion de les acquérir. Ce n'est pas évident de comprendre les codes qui sous-tendent les interactions humaines, et c'est encore plus difficile dans un monde où il n'y a pas de règles; c'est le cas du monde électronique où il n'y a pas de règles qui régissent l'étiquette et les échanges interpersonnelles.

Moi, j'ose espérer, que nous essaierions de différentes façons de sensibiliser les jeunes, de suivre leur évolution, de les appuyer et de faire appel à leur famille, ce qui serait conforme à l'esprit du texte que nous étudions, avant d'adopter des mesures aussi extrêmes. Il faut comprendre que bien s'entendre avec les autres, ça demande des compétences complexes.

Le sénateur Ataullahjan : Ce qui nous ramène à la famille alors. C'est au sein de l'unité familiale que l'enfant est initié aux relations interpersonnelles parce que c'est dans ce contexte-là qu'il évolue avant d'affronter le monde extérieur. Si j'ai bien compris, — dites-moi si je me trompe — ce sont les relations familiales et les liens que les parents ont avec leurs enfants qui déterminent si un jeune sera victime d'intimidation ou pratiquera l'intimidation? Je simplifie peut-être un peu, mais en fait, est-ce que tout cela se résume à l'unité familiale?

Mme Pepler : Il y a la famille, mais aussi les pairs, les médias, et également, la communauté du jeune. Ça ne se résume pas à un simple problème familial ou scolaire. C'est notre responsabilité collective de nous assurer que les jeunes acquièrent ces compétences.

Si nous pensions à mettre en oeuvre une telle loi au Canada, il faudrait qu'elle soit assortie d'un grand nombre de mécanismes. D'abord, il faudrait que le jeune soit davantage sensibilisé à la cyberintimidation. Ensuite, il faudrait pouvoir évaluer le comportement du jeune en suivant les échanges électroniques à partir de son adresse IP. Puis, en cas de rechute, il faudrait être en mesure d'identifier la source du problème et d'offrir aux jeunes davantage d'aide. Il est possible, par exemple qu'un intimidateur soit lui aussi victime d'intimidation. La situation est très complexe.

Mme Craig : Nous adoptons une perspective systémique : au centre il y a l'enfant, ensuite la famille, les autres adultes qui jouent un rôle de socialisation, l'école, la communauté et, pour revenir à ce qui a été dit dans le témoignage de M. Belsey, les entreprises. Nous avons tous une responsabilité à assumer, et si nous voulons vraiment obtenir de bons résultats, il faut intervenir, notamment en matière de prévention à tous ces niveaux. Il nous faut de nouvelles politiques visant les entreprises. Il faut aider les adultes responsables de la socialisation des jeunes, il faut mettre l'accent sur l'éducation. Il nous faudrait une campagne de sensibilisation à l'intention des adultes qui ont des rapports avec les enfants, ou les adultes en général parce que nous avons tous des responsabilités à assumer. Le type d'intervention est différent selon le niveau visé. Il faut aussi intervenir de façon différente en fonction de l'âge des jeunes. Pour les très jeunes, on fait une chose. Pour les adolescents, on fait autre chose. Mais c'est vrai qu'il faut intervenir de façon précoce parce que l'intimidation c'est comme une sonnette d'alarme qui indique la probabilité de diverses problèmes plus tard. Nous savons d'autre part que les autres élèves à l'école primaire jouent un rôle important, et il nous faut donc leur permettre d'intervenir au besoin à ce moment-là. Nos programmes d'intervention doivent tenir compte du sexe et de l'âge et doivent être systémiques.

Le sénateur Ataullahjan : Est-ce que la cyberintimidation c'est un problème qui est propre aux pays développés? Dans les pays du tiers monde, en général, les gens ont des téléphones portables et ont accès à des ordinateurs aussi. Moi, je suis originaire du Pakistan et j'y retourne. J'ai des nièces et des neveux là-bas et je ne les ai jamais entendus parler de la cyberintimidation. Et pourtant, ils se servent de leur ordinateur et de leur téléphone. Je ne sais pas si cette question est pertinente à ce stade-ci, mais existe-t-il des données qui confirmeraient l'hypothèse selon laquelle il s'agit d'un phénomène qui est beaucoup plus présent dans le monde développé?

Mme Craig : Je dirais que oui. À ma connaissance, il n'y a pas beaucoup de recherche qui aurait été effectuée sur cette question dans les pays sous-développés, et par conséquent je dirais que oui.

Le sénateur Ataullahjan : Je ne voudrais pas vous mettre dans l'embarras, mais dites-moi ceci : comment expliquez- vous la prévalence de la cyberintimidation dans notre société où les enfants ont tellement plus de biens matériels que ceux d'autres parties du globe? Dans la société occidentale, ou bien dans les pays développés, que négligeons-nous de faire, que faisons-nous qui ne va pas et comment rectifier le tir?

Mme Pepler : Notre société devient de plus en plus compétitive et individualiste. L'intimidation, dans son sens traditionnel, est un phénomène qui est assez universel. En effet, je pense que si on pouvait remonter dans le temps de 40 ans au Canada pour demander aux jeunes de l'époque s'ils avaient été victimes d'intimidation ou s'ils avaient eux-mêmes pratiqué l'intimidation, la plupart d'entre eux répondraient « Oh non, ce n'est pas vrai ». Je pense qu'aujourd'hui nous sommes beaucoup plus sensibilisés qu'à l'époque et c'est pour cela qu'on est davantage poussés à reconnaître l'existence du phénomène et à le dénoncer.

La problématique est très complexe. Heureusement, nous avons de bons contacts avec les chercheurs internationaux. Nous sommes nombreux à nous intéresser à la question, et nous pouvons tirer des leçons de ce qui se fait dans les pays qui se débrouillent mieux que nous, et même dans ceux qui font tout simplement face à la même réalité que nous.

Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais vous poser trois questions. Quel pourcentage de jeunes pratiquent la cyberintimidation ou les autres formes d'intimidation? Je suppose qu'il s'agit de la grande majorité, mais j'aimerais vous l'entendre dire. Ma deuxième question porte sur l'intervention des pairs.

Si un jeune est témoin de cyberintimidation et tente d'intervenir sur Facebook pour y mettre un terme, est-ce qu'il arriverait à ses fins ou est-ce qu'il jetterait plutôt de l'huile sur le feu?

Ma troisième question porte sur les pardons. Le Sénat s'apprête à étudier un projet de loi traitant de l'octroi de pardons. Le témoin qui vous a précédée nous a raconté des histoires de jeunes qui faisaient des bêtises et faisaient des excuses, tout ça dans le contexte de leur jeunesse. Ça pourrait les entraver à l'âge adulte lorsqu'ils se cherchent un emploi, et cetera. Que pensez-vous de l'octroi de pardons à des gens coupables d'intimidation grave, des fois même criminelle?

Mme Pepler : Le graphique démontre qu'environ 20 p. 100 des filles avaient été victimisées.

Le sénateur Nancy Ruth : S'agit-il du même 20 p. 100 pour chacune de ces lignes? Lorsque j'ai examiné ce graphique, c'est une des questions que je me suis posée.

Mme Craig : Non, parce qu'il y a différents niveaux. Il s'agit de jeunes appartenant à différentes catégories. Le sondage sur les enfants et les jeunes a été réalisé en 2005-2006 et pour une deuxième fois en 2010. Le tableau de 2010 s'approche d'une représentativité à l'échelle nationale. C'est un bon indicateur. Il y a des différences régionales et tout dépend des satellites et des tours de communication. Cela a d'immenses répercussions sur la cyberintimidation.

Le sénateur Nancy Ruth : Alors vous dites qu'il s'agit d'environ 30 p. 100?

Mme Craig : C'est d'environ 20 p. 100. Le tout varie selon l'âge et le sexe. Il est difficile de donner un chiffre.

Le sénateur Nancy Ruth : Mes deux autres questions portaient sur les pardons et l'intervention sur Facebook.

Mme Craig : Les pairs ont une influence positive. La recherche faite sur l'intimidation face à face indique que lorsque les pairs interviennent, c'est efficace. Toutefois, ils ne disposent pas des stratégies nécessaires et ne se sentent pas confiants dans ce genre d'intervention. Nous pourrions leur donner des stratégies, mais ils auront toujours besoin d'adultes pour les épauler. Ils peuvent être efficaces s'ils peuvent intervenir de façon sécuritaire.

Le sénateur Nancy Ruth : Nous vivons tous dans le monde de la politique, qui a également sa propre forme d'intimidation. Toutefois, en règle générale, je me suis donné pour consigne « Il ne faut rien faire seul. Il faut essayer de susciter l'adhésion de deux ou trois personnes sinon on risque de se faire crucifier ». En serait-il de même pour les jeunes?

Mme Craig : Oui, le même genre d'environnement existe chez les jeunes.

Mme Pepler : J'aimerais vous citer une anecdote pour ce qui est des pardons. J'ai eu l'immense chance de participer à une réunion de 100 chefs autochtones américains qui a eu lieu en Alaska il y a quelques années pour faire un exposé sur l'intimidation. J'en ai profité pour m'asseoir avec les aînés pour le dîner et le souper parce que j'estimais qu'ils avaient beaucoup de choses à m'apprendre. Je leur ai demandé comment ils élevaient leurs enfants et leurs jeunes et de quelle façon cela différait des habitudes occidentales. Un aîné inuit Yup'ik m'a dit que la façon dont ils font les choses était très différente de la nôtre. La plus grande différence, c'est qu'ils rendent honneur aux erreurs de leurs enfants. Lorsqu'un enfant fait une erreur, c'est la meilleure possibilité qui soit de lui enseigner quelque chose. On peut intervenir. Les leçons sont valables. Il s'agit d'une merveilleuse possibilité. Lorsqu'on étudie le développement des enfants, on comprend qu'ils apprennent toujours par erreur et échec. Les enfants essaient certaines choses, se rendent compte qu'elles ne fonctionnent pas, ne les répètent plus ou bien reconnaissent — et cela peut se produire chez des enfants intimidateurs — qu'ils reçoivent beaucoup d'attention, d'admiration et que cela leur donne un certain statut, de sorte qu'ils continuent.

Il y a peut-être eu un problème de développement. Lorsque des enfants sont en apprentissage — et que nous ne leur donnons pas l'appui dont ils ont besoin pour comprendre que ce qu'ils ont fait est mal — ils devraient avoir la possibilité de corriger leurs erreurs et nous devrions être en mesure de leur enseigner ce qu'il faut faire plutôt que de les punir. Les enfants apprennent essentiellement lorsqu'on leur enseigne quoi faire.

Qu'est-ce que cela veut dire dans le monde des adultes? Je ne suis pas certaine. Je sais que les cerveaux continuent de se développer jusqu'à ce que nous atteignions l'âge de 25 ou 30 ans. L'intégration de ce que nous apprenons ne se fait pas immédiatement et nous ne sommes pas des êtres humains complets avant d'atteindre un certain âge. C'est tout un défi à relever. J'admire le travail que vous faites en vous penchant sur ces questions très importantes pour le Canada.

Le sénateur Baker : Des associations d'enseignants ont passé des résolutions et adopté des motions tous les ans disant que l'intimidation devrait être considérée comme un acte criminel. Deux projets de loi d'initiative privée ont été déposés à la Chambre des communes en vue d'inclure l'intimidation dans trois dispositions distinctes du Code criminel.

Que pensez-vous des motions adoptées par les associations d'enseignants et des projets de loi d'initiative privée qui sont actuellement déposés à la Chambre des communes?

Mme Craig : Je poursuivrais dans la même veine de ce que nous avons discuté aujourd'hui, c'est-à-dire que les enfants et les jeunes gens sont de jeunes personnes en développement et que de criminaliser l'intimidation ne leur offre pas les possibilités d'éducation dont ils pourraient avoir besoin. Nous parlons de l'intimidation en tant que problème relationnel. Elle nécessite donc des solutions en matière de relation. Cela nous aide à comprendre quelles sont les meilleures façons d'intervenir afin d'obtenir les meilleurs résultats. La meilleure façon de traiter un problème relationnel consiste à offrir aux enfants et aux jeunes des possibilités d'apprentissage leur permettant de développer les habiletés, les capacités et les compétences pour qu'ils puissent développer des relations saines et efficaces. Parallèlement, cela consiste également à réparer les erreurs qu'ils ont faites et la relation qui a été brisée.

Je pense qu'avant d'entrer dans un processus criminel il faut passer par de nombreuses étapes. Peut-être cela viendra-t-il dans l'avenir, mais nous devons nous assurer d'offrir les possibilités éducatives pour permettre aux enfants et aux jeunes de développer leurs habiletés avant de trouver des solutions punitives.

Le sénateur Baker : Dans le cas d'un jeune qui se suicide en raison d'intimidation, pensez-vous que la loi devrait comprendre une disposition imposant une certaine responsabilité aux intimidateurs?

Mme Pepler : Puis-je répondre à cette partie de la question en deuxième lieu?

On nous demande souvent si l'intimidation devrait être reconnue comme un acte criminel, et je suis tout à fait d'accord avec ce que Mme Craig a dit. Je crains également que les lois, telles qu'elles sont, couvrent bon nombre des comportements qui figureraient sous la rubrique de l'intimidation, de l'agression physique ou des crimes haineux. Je ne suis pas certaine pour ce qui est des formes d'agression sociale ou de la cyberintimidation. Bon nombre des comportements qui seraient criminalisés au Canada viseraient les comportements jugés comme étant des formes extrêmes d'intimidation. Il existe probablement des dispositions à cet effet dans la loi. Je ne sais pas. C'est une question juridique.

Pour ce qui est d'assumer la responsabilité à la suite d'un suicide, c'est une question très complexe. C'est complexe parce que l'intimidation ne prend jamais la forme d'un seul enfant qui est agressif. Je voudrais que vous compreniez cela. Lorsqu'on en est témoin dans la cour d'école, 85 p. 100 du temps, d'autres enfants observent ce qui se passe. Les études qui ont été faites sur la cyberintimidation indiquent que 85 p. 100 des élèves disent avoir été dans une situation où ils ont observé l'événement ou bien qu'ils l'ont vu se dérouler. Cela se produit dans une dynamique de groupe qui en est le moteur. Lorsque d'autres se joignent à lui, l'enfant qui était initialement agressif devient plus excité et plus agressif. Il ne s'agit pas uniquement d'un enfant seul. Il s'agit toujours d'un groupe d'enfants. Et c'est ce qui se produit dans le cas d'enfants qui malheureusement en sont venus au suicide. C'est un groupe d'enfants ou de jeunes qui ont mené à cette action.

Un autre élément dans les cas de suicides découle du fait que nous ne sommes pas en mesure d'examiner de façon approfondie la santé mentale de l'enfant qui a des tendances suicidaires. Les répercussions découlant de la cyberintimidation ne sont pas les mêmes pour chaque enfant. Certains jeunes peuvent être particulièrement vulnérables en raison de problèmes de santé mentale ou d'autres problèmes qui les rendent plus vulnérables. Un comportement qui touche un enfant de façon sérieuse pourrait n'avoir aucune incidence sur un autre enfant pour toute une série de raisons, comme les caractéristiques individuelles, la santé mentale, le genre de soutien familial dont il dispose et l'appui de ses pairs. C'est un processus complexe qui comprend beaucoup plus de personnes que simplement l'intimidateur et l'intimidé qui est victimisé.

Le sénateur Baker : Il existe des dispositions en matière d'agression sexuelle dans la loi pour protéger l'identité des enfants. En fait, les dossiers visés par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne comportent aucun nom, que des initiales.

La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a rendu une décision il y a quelques mois selon laquelle un enfant d'école victime de cyberintimidation n'avait pas le droit en vertu de la loi de cacher son identité lors d'une poursuite civile contre le fournisseur de services Internet et les cyberintimidateurs. Un jugement rendu par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse il y a quelques mois stipule qu'il faut utiliser le nom de la jeune personne.

Lorsqu'un jeune écolier est victime d'intimidation à tel point que cela se traduit par une poursuite civile par les parents contre l'intimidateur, pensez-vous que la loi devrait comprendre une disposition pour protéger l'identité de la jeune victime afin que son nom ne soit pas exposé dans les médias, comme cela a été le cas dans cette affaire en Nouvelle-Écosse? Avez-vous quelque chose à dire pour ce qui est de la protection des droits d'une jeune personne victime d'intimidation, à savoir qu'elle pourrait utiliser un pseudonyme plutôt que son véritable nom?

Mme Craig : Pour exactement les raisons que vous venez de mentionner, la Convention de l'ONU stipule que nous devons protéger les enfants et assurer leur sécurité. Ce qui me préoccupe dans le cas que vous avez mentionné, c'est que le fait de divulguer l'identité d'un enfant le met potentiellement à risque de subir davantage d'intimidation. Nous avons le droit de protéger les enfants et leur identité dans ce cas.

Le sénateur Baker : Connaissez-vous l'affaire que j'ai évoquée?

Mme Craig : J'en ai pris connaissance dans les journaux.

Le sénateur Baker : Plusieurs d'entre nous ont lu le jugement, mais la Cour d'appel est le tribunal de la plus haute instance d'une province. La prochaine étape serait la Cour suprême du Canada. Malheureusement, lorsqu'un enfant ou ses parents se rendent devant les tribunaux pour une poursuite civile, les frais sont toujours attribués et les parents doivent payer des milliers de dollars uniquement pour porter leur cause en appel.

La présidente : Vous avez parlé de la protection et de la sécurité des enfants. La Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant établit les principes et les droits clés visant à promouvoir et à protéger au mieux les intérêts de l'enfant. Selon vous, y a-t-il une façon d'établir une approche axée sur les droits en se fondant sur les principes de la Convention de l'ONU pour aider les enfants victimes de cyberintimidation?

Mme Pepler : Oui, j'en suis persuadée. L'un de nos partenaires de PREVNet est l'Unicef. Nous travaillons avec cet organisme pour l'établissement de droits en matière d'initiative scolaire, qui est déjà très développé en Angleterre et qui commence à voir le jour ici au Canada. C'est une toute autre façon de voir l'éducation en mettant les intérêts et les droits des enfants d'abord.

L'un de nos partenaires est la Coalition canadienne pour les droits des enfants. Nous laisserons au comité les trois documents publiés. Dans le dernier document, Mme Kathy Vandergrift, présidente de la CCDE, a préparé le premier chapitre sur l'intimidation d'un point de vue du respect des droits. Nous avons lié le tout dans le dernier chapitre en nous penchant sur ce que cela signifie pour le bien-être des enfants et des jeunes au Canada ainsi que pour ceux qui sont responsables d'assurer le respect de leurs droits. C'est une excellente perspective liée à ce travail, en plus d'une approche en matière de la promotion de la santé et d'une approche portant sur la prévention des crimes.

La présidente : Comme vous le constatez, nous pourrions vous poser des questions toute la nuit; vous avez tellement de choses à nous apprendre. J'ai une demande déraisonnable à vous faire, mais je ne m'attends pas à ce que vous répondiez aujourd'hui. Madame Craig, vous avez présenté plus tôt ce à quoi ressemblerait un programme réussi, y compris ce qui serait nécessaire d'avoir pour soutenir un enfant victime d'intimidation ainsi que sa famille et la collectivité. Nous sollicitons votre aide pour élaborer les recommandations du comité. Quel type d'aide doit être mis en place? Vous pouvez répondre par écrit au comité en adressant vos observations au greffier. Quel type d'appui est nécessaire? À quoi doit-il ressembler? Comment faire pour le mettre sur pied? Comment faire pour recenser l'appui existant actuellement dans la collectivité?

Ça c'est assez facile. Vous nous avez fourni un résumé très utile de vos données et de votre recherche. Par ailleurs, vous avez mentionné plusieurs études menées par PREVNet. Existe-t-il des recherches ou des données supplémentaires que vous aimeriez transmettre au comité? Lors de cette séance et d'une séance antérieure, certains membres du comité étaient à la recherche de données et d'études. Pourriez-vous nous aider à cet égard? Nous vous en serions reconnaissants.

Nous pourrions vous inviter à revenir au comité à la fin de notre étude afin d'examiner la preuve et nous aider avec notre analyse. Évidemment, le greffier du comité communiquera avec vous. J'aimerais vous demander de considérer notre réunion aujourd'hui comme le début de notre discussion parce que nous avons beaucoup à apprendre de votre part. Vous avez été très généreux de votre temps aujourd'hui, et nous vous en remercions.

Mme Pepler : C'est tout un honneur d'être ici. Nous vous sommes très reconnaissants d'examiner cette question. Quand nous avons commencé à recevoir du financement du fédéral il y a neuf ans, nous rêvions de voir le Canada s'attaquer à ces questions. Nous avons publié trois documents sur PREVNet. Le premier est composé d'articles de nombreux chercheurs internationaux et les deux autres contiennent des articles non seulement de chercheurs canadiens, mais également de certains de nos partenaires. Nous allons vous en laisser des exemplaires.

Mme Craig : Vous nous donnez du travail et nous vous en donnons.

Mme Pepler : Notre site web contient d'autres ressources qu'on vous invite à consulter.

La présidente : Cette étude sera bonne dans la mesure où nos collaborateurs sont bons. Votre appui nous permettra de l'étayer. Merci.

(La séance est levée.)


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