Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 12 - Témoignages du 7 mai 2012
OTTAWA, le lundi 7 mai 2012
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 4, pour faire une étude sur la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, nous en sommes à la 14e réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la 41e législature. Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.
Je m'appelle Mobina Jaffer et, en tant que présidente de ce comité, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion. Je demanderais également aux autres membres de se présenter. On va commencer avec le sénateur Brazeau.
Le sénateur Brazeau : Patrick Brazeau, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ataullahjan : Sénateur Ataullahjan, de l'Ontario.
Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.
Le sénateur Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.
Le sénateur Hubley : Sénateur Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.
La présidente : Il y a parmi nous des représentants du Programme d'études des hauts fonctionnaires parlementaires. Nous vous souhaitons la bienvenue au Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
[Français]
Le 15 mars 2001, le Sénat a modifié son Règlement afin de créer un nouveau comité permanent, soit celui des droits de la personne. Ce comité assume plusieurs fonctions, notamment celles de sensibiliser le public, de veiller à la bonne mise en application et au respect des lois et principes internationaux des droits de la personne, et de s'assurer que les lois et politiques canadiennes sont bien mises en application, et ce, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Le 23 novembre, notre comité a déposé un rapport sur l'exploitation sexuelle des enfants. Au cours de notre étude, nous nous sommes attachés aux causes de l'exploitation sexuelle des enfants et nous avons souligné le rôle d'Internet.
On a en effet attiré notre attention sur le fait que l'Internet avait élargi la portée de l'exploitation sexuelle en facilitant un contact direct et anonyme. Après avoir établi le rôle joué par l'Internet dans l'exploitation sexuelle des enfants, notre comité a décidé d'examiner les autres façons dont l'Internet nuit à la sécurité de nos enfants.
Le 30 novembre 2011, le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et d'en faire rapport.
[Traduction]
Le 30 novembre 2011, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a été autorisé par le Sénat à examiner, en vue d'en faire rapport, la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
Le 18 avril 2011, le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies a déclaré que la violence mentale dont il est question à l'article 19 de la convention peut inclure ce qui suit :
L'intimidation psychologique et l'initiation par des adultes ou d'autres enfants, y compris au moyen des technologies de l'information et des communications (TIC) comme les téléphones cellulaires et Internet (la « cyberintimidation »).
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne sait que l'intimidation a changé de visage. Elle n'a maintenant plus lieu dans les salles de classe et dans les cours d'école. Aujourd'hui, elle déjoue la sécurité de nos foyers en passant par Internet. En plus de la violence sociale, verbale et physique, beaucoup d'enfants doivent maintenant endurer la cyberintimidation, qui pose encore un obstacle de plus pour une jeune personne.
D'après le Service de police de Montréal, l'intimidation, c'est l'affichage de menaces ou de messages dégradants au sujet d'une personne à l'aide de paroles ou d'images, et elle inclut également le harcèlement.
La cyberintimidation se fait par courriels, dans les bavardoirs, dans les groupes de discussion et dans les sites web et par messagerie instantanée.
C'est un problème auquel font face beaucoup de nos jeunes. En fait, selon des études récentes, le quart des jeunes internautes disent avoir reçu des messages haineux concernant d'autres personnes par courriel.
Au cours de la dernière décennie, nous avons été témoins du passage de l'intimidation de nos salles de classe et de nos terrains de jeux à nos foyers, au moyen d'Internet. Vu la popularité des appareils portatifs et des téléphones intelligents, il est devenu très difficile aujourd'hui, voire impossible, d'échapper aux cyberintimidateurs. On pourrait même dire que les appareils portatifs comme les BlackBerry et les iPhone sont une nouvelle partie du corps de beaucoup de jeunes, puisqu'ils s'en séparent rarement.
Sans protection et sans aide, beaucoup d'enfants victimes de cyberintimidation doivent arriver à surmonter ces obstacles seuls. Le comité a l'intention d'examiner les façons de protéger nos enfants et de leur venir en aide.
Il s'agit de notre troisième séance dans le cadre de l'étude, et j'aimerais présenter les membres de notre premier groupe de témoins. Nous recevons aujourd'hui Mmes Elizabeth Meyer, Shelley Hymel et Tina Daniels. Mme Meyer, qui participe à la séance par vidéoconférence, est professeure adjointe d'éducation à California Polytechnic State University et l'auteure d'un certain nombre d'ouvrages et d'articles sur la cyberintimidation, l'intimidation, le harcèlement et l'inégalité des sexes, et elle examine l'incidence de ces problèmes sur les jeunes dans les écoles.
Mme Shelley Hymel est professeure de psychologie à l'Université de la Colombie-Britannique. Elle est l'auteure d'un certain nombre de publications sur le développement psychologique et social des enfants d'âge scolaire, et elle s'est intéressée en particulier à l'intimidation et à l'agression chez les adolescents.
Nous avons aussi le plaisir d'accueillir Mme Tina Daniels. Mme Daniels est professeure agrégée au Département de psychologie de l'Université Carleton, et elle est la coordonnatrice du programme d'études sur l'enfance de cette université. Elle est aussi membre de la direction d'une ONG de lutte contre l'intimidation, PREVNet, et l'actuelle présidente de la Coalition contre l'intimidation d'Ottawa.
J'aimerais vous souhaiter à toutes la bienvenue à la séance du comité. Je sais que vous avez toutes des déclarations préliminaires à faire. Nous allons commencer par Mme Meyer.
Elizabeth Meyer, professeure, École de l'éducation, California Polytechnic State University et Université Concordia : Bonjour, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui. Je suis fière d'avoir l'occasion de m'adresser à vous en tant que mère, enseignante, universitaire et défenseure des jeunes.
J'aimerais commencer par vous raconter certaines choses qui se sont passées aux États-Unis pour mettre en contexte mes observations et mes recommandations. Au printemps 2009, une jeune fille de 13 ans, Hope, a envoyé un sexto à un garçon de l'école pour lequel elle avait le béguin. Une autre fille a trouvé la photo dans le téléphone du garçon, et elle l'a transmise aux autres élèves de l'école. Hope a été suspendue pour avoir envoyé la photo, et elle a subi du harcèlement sexuel de la part de ses pairs pendant tout l'été. Lorsque les cours ont recommencé à l'automne, le conseiller pédagogique a remarqué qu'elle avait commencé à s'automutiler et il lui a demandé de signer un engagement à ne pas se faire du mal, mais il n'a pas informé sa famille de ce qui la préoccupait.
Hope s'est pendue au pied de son lit le jour suivant. Sa mère l'a trouvée lorsqu'elle est venue lui dire bonne nuit.
Il y a eu des cas similaires en Ohio, au New Jersey et en Californie, où des occurrences de cyberintimidation de ce genre ont mené à l'adoption de lois contre l'intimidation et de dispositions législatives exhaustives concernant la cyberintimidation. Les lois de ce genre sont importantes, parce que la jurisprudence récente aux États-Unis n'a fait que rendre confuse la question du pouvoir des écoles d'intervenir lorsque surviennent des cas de harcèlement en ligne.
Dans une affaire entendue récemment en Californie, J.C. v. Beverly Hills Unified School District, par exemple, un groupe d'étudiants avait été filmé en train de parler d'une camarade de classe après l'école et disant d'elle qu'elle était « laide » et que c'était une « putain ». Le film a été affiché dans YouTube. L'étudiante concernée s'est plainte auprès de l'administration de l'école, qui a suspendu la personne qui avait affiché la vidéo. Cette dernière a ensuite poursuivi l'école pour violation de son droit d'expression, et elle a eu gain de cause.
À l'autre extrême, le district scolaire de Virginie-Occidentale s'est retrouvé dans une situation semblable lorsque des étudiants ont créé une page MySpace pour y afficher des insultes de nature sexuelle au sujet d'une autre élève de sexe féminin, comme « putain » et « prostituée ». Dans ce cas-ci, les tribunaux ont confirmé le bien-fondé des mesures prises par l'école.
Ces décisions contradictoires des tribunaux font en sorte que les écoles ne savent pas comment réagir, puisqu'elles ne reçoivent pas de directives claires. Les enseignants et les administrateurs sont craintifs et se sentent impuissants. Il faut confier aux écoles un pouvoir d'intervention clair pour qu'elles puissent régler les incidents qui surviennent en dehors de l'école, mais qui ont manifestement une incidence sur le sentiment de sécurité des élèves à l'école, et par extension, dans leur collectivité.
Nous devons aussi tenir compte des groupes particulièrement vulnérables qui cherchent de l'information et du soutien en ligne, et surtout les jeunes lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres. Ces jeunes sont plus susceptibles que les autres de recevoir peu de soutien à la maison et à l'école, et même d'obtenir une réaction négative et hostile de la part des adultes et des membres de leur famille qu'ils côtoient. Ils ont besoin d'autres sources de soutien, comme une ligne sans frais nationale ou d'autres ressources financées par le gouvernement fédéral, parce que leurs réseaux locaux ne leur offrent pas toujours d'aide.
Les jeunes transgenres et non-conformistes sexuels sont particulièrement vulnérables. Les études montrent que ces jeunes subissent du harcèlement verbal et physique à l'école et dans leur collectivité dans une proportion extrêmement élevée. Il faut que des mécanismes de protection des Canadiens transgenres plus solides soient clairement intégrés dans tout projet relatif aux droits de la personne.
Les dirigeants des écoles, les services de police et les organismes de soins de santé et de services sociaux doivent tous être encouragés à collaborer à la recherche de solutions à ces problèmes dans les collectivités de l'ensemble du Canada, en mettant l'accent sur les questions liées au sexe et à la sexualité
Les victimes de cyberintimidation ratent souvent des cours et vivent davantage d'anxiété et de dépression et elles ont davantage de problèmes de toxicomanie et de tendances suicidaires que les autres. Il faut donc qu'il y ait une bonne collaboration avec les organismes de soins de santé et de services sociaux et que ceux-ci fournissent du soutien, comme les services de police et les autorités scolaires.
Les enseignants ont l'impression de n'avoir que très peu d'influence et de pouvoir dans les écoles, surtout en ce qui a trait à la cyberintimidation. Pourtant, ce sont souvent eux qui ont la tâche de s'attaquer à ces problèmes complexes difficiles à régler, parce que ce sont eux qui sont en contact direct avec les élèves.
Nous devons soutenir davantage les enseignants en soulignant et en récompensant les efforts de ceux qui adoptent des pratiques exemplaires, comme l'éducation en matière de droits de la personne, l'éducation sexuelle, les projets d'initiation au numérique et les démarches multiculturelles de gestion de classe et de l'enseignement, ainsi qu'en soutenant les efforts visant à transmettre les meilleures connaissances et en encourageant la création de communautés de perfectionnement professionnel et d'autres ateliers et occasions dans ce domaine.
Nous ne pouvons espérer réduire la prévalence et les incidences de la cyberintimidation si nous ne nous attaquons pas précisément à ses formes les plus courantes et les plus dommageables, c'est-à-dire celles de nature sexuelle, homophobe et raciste.
Je vous soumets cinq recommandations précises. La première, c'est de lancer et de financer une campagne de sensibilisation de la population à la cyberintimidation — ce que c'est et qui doit la prévenir et intervenir lorsqu'elle survient. Cette campagne devrait se faire par les médias ordinaires ainsi que par les ressources en ligne comme YouTube, Twitter et Facebook.
Ma deuxième recommandation, c'est de créer un organisme fédéral de liaison qui fournira du soutien et collaborera avec les ministères provinciaux, les organismes des services sociaux, les services de police et le milieu de l'enseignement pour contribuer aux enquêtes et coordonner les mécanismes d'intervention et de soutien.
Ma troisième recommandation est liée à la deuxième : mettre en place, appuyer ou financer un mécanisme centralisé de dénonciation, à partir du modèle du site web StopABully, avec peut-être une application pour téléphone intelligent. L'existence d'une organisation centralisée auprès de laquelle dénoncer la cyberintimidation facilite la chose pour les étudiants et les parents, qu'il s'agisse même simplement de déclarer qu'on se sent en danger. Selon la gravité de la menace, les gens de l'organisation peuvent les mettre en contact avec les services sociaux ou avec la police.
Ma quatrième recommandation, c'est de financer les projets de recherche axés sur les mesures ayant pour priorités la collaboration, la sensibilisation et l'intervention et pour objectif d'établir des réseaux locaux et provinciaux afin de lutter de façon plus efficace et cohérente contre l'intimidation.
Je vous recommande enfin de conclure un partenariat avec la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants ainsi qu'avec les ministères de l'Éducation des provinces dans le but de mettre en oeuvre et de financer des initiatives de soutien au perfectionnement professionnel des enseignants et à l'intégration d'activités de sensibilisation aux droits de la personne et au numérique dans les programmes de la maternelle à la douzième année.
En conclusion, la cyberintimidation est un problème touchant les droits de la personne qu'il est important d'aborder, et tout effort déployé en ce sens doit également aborder la question cruciale des préjugés fondés sur le sexe, la race et la sexualité, lesquels sont à l'origine des formes de communication en ligne les plus préjudiciables et les plus courantes. C'est à l'égard de la prévention par la sensibilisation et l'intervention efficace par la collaboration que nous avons besoin que le gouvernement fédéral joue un rôle de chef de file dans le domaine.
Shelley Hymel, professeure, Département de pédagogie et psychologie de l'orientation et de l'éducation spécialisée, Université de la Colombie-Britannique : Mesdames et messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer par remercier le comité de m'avoir invitée à témoigner et à formuler des recommandations concernant l'intimidation électronique au Canada.
On a décrit l'intimidation électronique comme étant simplement un nouveau moyen par lequel poser des actes d'agression relationnelle ou sociale, et cette description est sensée, puisque, lorsqu'il y a des différences entre les sexes dans ce domaine, les deux formes d'agression sont plus souvent le fait des filles que les garçons.
Toutefois, le médium électronique modifie le message à certains égards tout à fait fondamentaux. L'intimidation électronique est omniprésente et durable. Tout le monde peut voir l'acte d'intimidation, et il est difficile, voire impossible, de l'effacer. En outre, le fait qu'il se passe en ligne permet à l'auteur d'obtenir une importante visibilité tout en demeurant anonyme et lui donne le sentiment d'être protégé, ce qui peut le pousser à poser des actes encore plus malveillants.
Même s'il s'agit de la forme d'intimidation que les élèves déclarent le moins souvent, il n'est pas étonnant que ce soit celle qu'ils craignent le plus.
Les recherches que nous avons menées montrent que, dans l'intimidation électronique, la distinction entre le rôle de l'intimidateur et celui de sa victime s'estompe souvent, davantage que lorsqu'il s'agit d'intimidation ordinaire. Les enfants sont plus susceptibles d'admettre qu'ils posent des gestes d'intimidation ou qu'ils sont victimes. Peut-être que les élèves se sentent plus à l'aise ou davantage en mesure de se sentir interpellés en ligne et d'exercer des représailles en posant des gestes d'agression en ligne, ce qui fait qu'il est difficile de déterminer à quel moment tout a commencé.
Les recherches menées dans notre laboratoire sont également à la base de notre compréhension des liens entre la cyberintimidation et la santé mentale. Nous avons constaté l'existence d'une corrélation importante entre la cyberintimidation et la cybervictimisation, d'une part, et les états dépressifs et les idées de suicide déclarés par les élèves, de l'autre, même si l'on exclut les cas qui s'accompagnent d'une forme plus courante d'intimidation.
On sait que l'intimidation sous toutes ses formes devient de plus en plus fréquente au cours des années du primaire, pour atteindre un sommet situé quelque part entre la huitième et la 10e année. Elle devient un peu moins fréquente par la suite, mais elle ne disparaît jamais complètement. Des adultes s'y livrent dans nos lieux de travail et dans nos collectivités.
Pour régler ce problème, je pense que nous devons adopter un point de vue fondé sur le développement.
Les aptitudes sociales se développent très graduellement chez les enfants qui fréquentent l'école. Au moment où l'intimidation atteint un sommet, c'est-à-dire au cours des dernières années du primaire, leurs aptitudes sont suffisamment développées pour leur permettre de poser des actes d'intimidation. Toutefois, il y a trois aspects de leur personne qui ne sont pas suffisamment développés. Premièrement, les enfants tendent à entrer à cet âge dans une période de développement de l'identité où ils essaient de trouver qui ils sont et quel est leur rôle au sein du groupe. Il y en a qui découvrent l'intimidation dans ce processus et constatent que c'est un moyen efficace.
Deuxièmement, on sait que c'est à cette époque du développement que le lobe frontal du cerveau, soit la partie de celui-ci qui assure les fonctions exécutives et collige l'information pour nous permettre de prendre la meilleure décision possible, subit une période de développement rapide qui se poursuit jusqu'à la mi-vingtaine.
Enfin, la plupart des enfants sont considérés comme étant à ce moment-là à l'étape préconventionnelle du développement moral, ils voient surtout ce qu'une situation peut leur rapporter. Ce n'est pas qu'ils soient immoraux. Nos recherches montrent plutôt que les enfants ne font que commencer à comprendre à ce moment-là que la société est un système social dans lequel nous devons collaborer et nous entraider.
Les études que nous avons menées montrent que les enfants qui se livrent à l'intimidation, y compris à l'intimidation électronique, sont beaucoup plus susceptibles que les autres de se désengager moralement dans leur réflexion au sujet de leur propre comportement. Ils le justifient et le rationalisent en minimisant leurs responsabilités quant aux conséquences ainsi que ces conséquences en tant que telles. Il y a aussi une corrélation entre ce désengagement moral et le comportement de spectateurs passifs.
Compte tenu des facteurs développementaux que j'ai évoqués, mes recommandations pour régler les problèmes de l'intimidation, qu'elle soit électronique ou ordinaire, sont axées sur la sensibilisation. Dan Olweus, considéré par beaucoup comme étant le père de la recherche sur l'intimidation, nous a dit il y a longtemps que tous les enfants ont le droit de fréquenter l'école sans être victimisés. S'il faut tout un village pour éduquer un enfant, alors je pense qu'il faut un pays pour changer une culture, et c'est ce que nous devons faire. Nous devons adopter une stratégie nationale appuyée par le gouvernement qui soit axée sur les écoles et sur la recherche visant à évaluer l'efficacité de notre travail. Le succès de démarches de ce genre dans d'autres pays, souvent menées par les ministères de l'Éducation, permet d'espérer que les efforts qui seraient déployés ici pourraient également être couronnés de succès.
Par ailleurs, les écoles sont l'endroit où il est le plus rentable de s'attaquer au problème d'intimidation. Plusieurs études ont par exemple montré l'existence de liens entre l'intimidation chez les enfants et la délinquance et les comportements criminels plus tard au cours de leur vie. Il faut penser en même temps aux travaux de recherche menés par un économiste du nom de Cohen en 1998, qui a déterminé qu'un jeune à risque élevé qui quitte l'école et choisit la criminalité coûte à la société de 1,3 à 1,5 million de dollars au cours de sa vie. Selon les estimations, nous dépensons plus de 9 milliards de dollars par année au Canada pour régler les problèmes liés à la violence relationnelle. J'ose affirmer que le coût de la prévention dans nos écoles et par la recherche serait beaucoup moins élevé que le coût qu'entraînent les conséquences.
À mon sens, l'intimidation fait partie d'un problème beaucoup plus important qui se pose au Canada, que ce soit l'intimidation électronique ou sous une forme plus courante, comme nous en avons parlé, et il s'agit du fait qu'on ne parle pas suffisamment du développement social et affectif dans nos écoles. Aux États-Unis, le mouvement en ce sens est mené par le Collaborative for Academic, Social, and Emotional Learning, le CASEL, et les recherches que mène ce groupe montrent que les initiatives de promotion d'apprentissage social et affectif dans les écoles a pour effet non seulement d'accroître les comportements prosociaux et de réduire les comportements négatifs, mais aussi de favoriser la réussite scolaire.
Cela doit faire partie de la formation obligatoire des enseignants pendant leurs études et une fois qu'ils sont en poste, puisque les enseignants nous répètent constamment qu'ils ne se sentent pas bien outillés pour s'occuper du problème. Il faut que nous arrêtions de voir l'intimidation comme un problème de discipline et commencions à l'envisager comme un objet de l'enseignement. Aujourd'hui encore, la vaste majorité des écoles appliquent les méthodes de la discipline punitive. Une façon de faire plus efficace, c'est d'enseigner aux enfants à être responsables de leur comportement par des pratiques réparatrices et de restitution qui favorisent l'empathie et aident les enfants qui posent des gestes d'intimidation à se responsabiliser à l'égard de leur comportement.
L'intimidation n'est pas un problème qui se pose seulement dans les écoles. C'est un problème qui touche les collectivités et un problème de société. Pourtant, je crois que notre plus grand espoir réside dans le travail auprès de la prochaine génération, c'est-à-dire dans le fait d'aider celle-ci à acquérir les compétences nécessaires pour éviter les comportements négatifs comme l'intimidation et l'agression.
Là-dessus, j'aimerais vous lire une citation d'une jeune fille, Sarah, qui, à 17 ans, avait vécu beaucoup d'intimidation, en ligne et dans la vie de tous les jours. Voici le message qu'elle veut nous transmettre : enfin, ce que les enfants qui sont victimes d'intimidation vivent est sans fin. Ils ne s'en libèrent pas lorsqu'ils rentrent chez eux le soir. C'est en eux et ça les ronge. Il n'y a jamais de fin, et notre lutte contre l'intimidation ne devrait jamais en avoir non plus.
Tina Daniels, professeure agrégée, Département de psychologie, Université Carleton : Je vous remercie de m'avoir invitée à m'adresser à vous aujourd'hui.
Au moins 79 p. 100 des jeunes du Canada ont accès à Internet, et plus de la moitié l'utilisent pendant au moins une heure par jour, surtout pour établir des liens et communiquer avec leurs pairs. La révolution technologique est à l'origine de nombreux défis nouveaux, l'un d'entre eux étant de trouver une façon d'aider les enfants à gérer ce lien essentiel avec leur groupe, compte tenu des pressions liées à l'appartenance et au fait d'agir d'une manière donnée, et de la tentation à laquelle ils sont exposés d'agir d'une façon qui peut être nuisible et blessante pour les autres.
Beaucoup de préoccupations liées à la cyberintimidation viennent de là. Toutefois, à de nombreux égards, la cyberintimidation n'est pas très différente de l'intimidation ordinaire. Les causes fondamentales des comportements en question ne sont pas vraiment différentes. La cyberintimidation répond aux mêmes besoins, fait naître les mêmes émotions et est motivée par le même désir de pouvoir, de prestige et d'emprise que les autres formes de comportement d'intimidation.
Ce qui est différent, c'est l'ampleur des comportements transmis et des conséquences des actes posés.
Les enfants disent qu'ils sont capables d'adopter des comportements plus blessants et préjudiciables sur Internet qu'en personne. Les effets sont plus profonds et semblent accentuer la blessure qui est causée par l'intimidation ordinaire faite en personne. Ces comportements s'immiscent dans les foyers, ce qui fait qu'il n'y a plus de lieux qui soient sûrs et qu'il est très difficile de les enrayer. Il peut falloir des mois pour faire disparaître un site web qui cause du tort.
Beaucoup de gens soutiennent que la mentalité qui est distinctement celle de l'usager et l'anonymat de la cyberintimidation constituent une différence nette. Ce pourrait être le cas, mais les études montrent que les victimes de cyberintimidation sont souvent intimidées par une personne qu'elles connaissent.
Un autre aspect qui pourrait être différent, c'est l'absence de rétroaction pour l'auteur des actes de cyberintimidation en ce qui a trait à l'ampleur du tort qu'il a causé, ainsi que le fait que cela peut le pousser à poser des gestes plus graves, mais en général, les enfants qui sont victimes de cyberintimidation vivent la même impuissance et le même désarroi que ceux qui sont victimes d'intimidation en personne, quoiqu'il puisse être particulièrement difficile pour ceux qui subissent de la cyberintimidation d'échapper à leurs bourreaux parce qu'il est difficile de supprimer le contenu préjudiciable affiché dans Internet.
Enfin, en tenant pour acceptable ce genre de comportement, les normes sociales contemporaines peuvent favoriser la violence en ligne.
La cyberintimidation est en train de devenir un problème d'une grande ampleur. Une étude menée récemment en Alberta montre que près du quart des élèves révèlent avoir été victimes de cyberintimidation et que 30 p. 100 disent avoir posé des actes de cyberintimidation au moins une fois au cours des trois derniers mois.
Beaucoup d'études n'ont pas établi de différences entre les sexes dans le domaine, mais dans les cas où on en a découvert, c'était de petites différences, et on a constaté que ce sont les filles qui sont le plus souvent victimes de comportements de ce genre, notamment le fait de se faire traiter de noms, de faire l'objet de rumeurs à leur sujet et d'être la victime d'une personne qui se fait passer pour la victime en ligne. Ces comportements relèvent de ce que j'appellerais les formes sociales relationnelles de l'intimidation, dont on constate l'existence chez les filles dans l'intimidation ordinaire aussi.
En règle générale, on a constaté que l'incidence de l'âge est faible, mais les taux les plus élevés se constatent en septième, huitième et neuvième année.
Tous les chiffres que j'ai cités concernant la cyberintimidation sont proches de ceux qu'on trouve pour l'intimidation ordinaire. De façon générale, les jeunes sont réticents à signaler les incidents de cyberintimidation. Les études montrent que de 1 à 9 p. 100 des victimes en ont fait part à leurs parents lorsque la chose s'est produite. Notre étude montre que les parents ne sont au courant que de 8 p. 100 des cas d'intimidation sur Facebook. La plupart des enfants ne disent rien parce qu'ils ont peur et qu'ils craignent qu'on les prive de leur accès aux outils technologiques.
La documentation sur l'intimidation en général nous apprend cependant que les jeunes veulent de l'aide. Récemment, deux élèves d'une école secondaire ont communiqué avec moi pour parler de plusieurs pages Facebook qu'elles trouvaient choquantes et pour me demander d'intervenir. Je visite beaucoup d'écoles, et les élèves me disent souvent qu'à leurs yeux, ce sont les adultes qui devraient s'occuper de régler les problèmes d'intimidation, mais qu'ils pensent aussi que les adultes ne savent pas quoi faire, et c'est le défi que nous avons à relever.
Compte tenu de nos connaissances actuelles sur le phénomène de la cyberintimidation, j'ai bien réfléchi à ce que je pourrais vous suggérer en matière de recommandations. Je pense que le Canada doit se doter d'une stratégie nationale de lutte contre l'intimidation qui englobe la cyberintimidation et qui soit fondée sur les droits de la personne. Il faut que nos lois envoient clairement un message que l'intimidation ne sera pas tolérée dans notre société. Ce sont des choses nécessaires, mais elles ne suffiront pas à mettre fin à l'intimidation.
En tant que société, nous devons mettre l'accent sur une démarche axée sur les normes sociales, sur un ensemble commun de valeurs sociales. Il faut que nous reconnaissions le fait que, si nous voulons que nos enfants apprennent et réussissent dans le monde, les relations sont une chose aussi importante ou même encore plus importante que leur apprentissage de la lecture, de l'écriture et des mathématiques. Il faut que nous leur permettions d'acquérir des qualités qui sont incompatibles avec la victimisation, comme l'empathie, le respect et l'acceptation de la diversité.
Nous devons aborder le problème de l'intimidation à l'échelon communautaire. Les écoles ont besoin de soutien. Les parents aussi. Nous devons travailler ensemble, et non dans les directions opposées.
Les enfants sont des êtres en apprentissage. Il est normal qu'ils fassent des erreurs. Il ne faut pas en conclure pour autant qu'ils sont méchants. Il faut plutôt leur faire comprendre les conséquences des comportements qu'ils adoptent. Nous devons nous concentrer sur les moments propices à l'enseignement, et non sur les punitions.
Nous devons aussi faire participer leurs pairs. Ce sont les pairs d'un enfant qui appuient leurs comportements. Dans le domaine de l'intimidation en général, nous commençons à prendre conscience du rôle puissant que les pairs peuvent jouer pour soit favoriser et appuyer les comportements en question soit les faire disparaître. C'est le milieu social qui permet les comportements d'intimidation. Comme Walter Bandura l'a dit, ce sont les conditions sociales propices et non des gens qui seraient des monstres qui sont à l'origine des crimes haineux.
Nous devons prendre garde de ne pas créer un risque encore grand pour nos enfants en ne leur offrant pas de soutien. Nous ne pouvons pas leur dire de signaler les gestes d'intimidation et ensuite ne pas leur venir en aide avec des stratégies efficaces. Il faut que nous informions davantage les parents et les enseignants, surtout pendant leur formation dans le cas des enseignants. S'il s'agit d'une préoccupation importante au Canada, il faut que nous en soulignions l'importance en faisant en sorte que cela devienne une priorité pour toutes les personnes concernées.
Enfin, il faut que nous fournissions aux parents, familles, enseignants et écoles des lignes directrices concernant l'utilisation des outils technologiques fondées sur nos connaissances au sujet des compétences qu'acquièrent nos enfants au cours de leur développement lorsqu'ils sont en mesure, sur le plan cognitif, de comprendre les conséquences et les responsabilités liées au fait de posséder un téléphone cellulaire ou un compte Facebook. Au Canada, on ne peut pas conduire avant l'âge de 16 ans, même si on veut vraiment une voiture, et, même rendu à 16 ans, il faut beaucoup de formation avant de pouvoir le faire.
En conclusion, le défi que nous avons à relever, c'est de changer notre milieu social en mettant l'accent sur l'acquisition de compétences incompatibles avec l'intimidation, qui vont modifier le comportement que les enfants adoptent en ligne, qui vont permettre aux victimes de cyberintimidation de signaler les problèmes qui surviennent et qui vont contribuer à la création d'un climat social où les comportements de ce genre ne sont pas acceptés.
Merci de m'avoir invitée. J'ai hâte d'entendre vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, madame Daniels.
J'ai une question pour vous trois. Comme vous le savez, selon la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, ce qui inclut les écoles, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
Dans quelle mesure les Canadiens font-ils de l'intérêt supérieur de l'enfant une considération primordiale lorsqu'il s'agit d'intimidation, et en particulier de cyberintimidation?
Voulez-vous que nous commencions par vous, madame Meyer? C'est peut-être une question à laquelle vous aurez un peu de difficulté à répondre, vous qui venez de la Californie.
Mme Meyer : Oui, je ne suis ici que depuis six mois. J'ai passé huit ans au Canada avant de m'installer ici, alors je serai heureuse de répondre à la question.
Avant de partir, j'ai passé les huit dernières années à Montréal, et j'ai travaillé en étroite collaboration avec les écoles d'un peu partout au Canada dans le cadre de mes travaux de recherche. Je pense effectivement que le Canada, surtout dans le contexte nord-américain, s'en tire très bien pour ce qui est d'avoir un cadre relatif aux droits de la personne décrit dans la Charte canadienne et dans les codes des droits de la personne des provinces. Malheureusement, je pense que nous n'arrivons pas suffisamment bien à traduire cela en occasions d'apprentissage pour les enfants dans les écoles et en faisant participer les jeunes à l'élaboration du programme du pays en matière de droits de la personne. Je trouve que nous avons du chemin à faire, surtout pour ce qui est d'offrir aux jeunes des occasions de faire preuve de leadership et de leur apprendre à connaître les droits de la personne dans le cadre de nos programmes d'enseignement. Je suis cependant convaincue que le Canada est sur la bonne voie. Les bonnes conditions sont en place; il ne nous reste qu'à militer davantage dans les écoles dans le cadre de notre travail auprès des organisations de jeunes et des organismes communautaires.
Mme Hymel : Je n'aurais pas pu dire mieux, madame Meyer. Je suis d'accord pour dire que le Canada est sur la bonne voie. Toutefois, c'est dans les lieux de vie, de travail et de loisir des enfants que tout s'écroule. Les enseignants et les administrateurs des écoles me disent qu'il y a plusieurs incidents par jour et qu'ils n'ont ni le personnel ni le temps nécessaire pour régler, d'une façon respectueuse de la dignité des enfants, les incidents qui surviennent.
Parallèlement, il y a beaucoup de situations — celles qui font intervenir les entraîneurs, par exemple les ligues sportives pour les enfants — où l'on ne déploie que peu d'efforts pour former les adultes à l'égard de la façon dont la chose se traduit dans leur travail auprès des enfants. Il y a des efforts qui sont déployés. Il existe par exemple un programme sportif réputé dans le cadre duquel on fournit l'information aux adultes qui travaillent auprès d'enfants à de nombreux endroits. Je suis d'accord pour dire que nous sommes sur la bonne voie, mais nous n'avons pas encore atteint notre but. Je pense que ce sont les enfants qui sont victimes d'intimidation qui en subissent les conséquences.
Mme Daniels : Je voudrais dire qu'en ce qui concerne l'Ontario en particulier, c'est variable. C'est sûrement variable aussi d'une province à l'autre à l'échelle du pays. Je sais qu'en Ontario, nous avons le mandat de doter toutes les écoles de la province d'un programme de lutte contre l'intimidation, mais c'est la façon dont le programme est mis en oeuvre dans les différentes écoles qui varie. Dans certaines, on fait de l'excellent travail et on répond aux besoins des enfants; dans d'autres, les choses évoluent beaucoup plus lentement, et cela vient en grande partie du fait qu'on ne sait pas trop comment s'y prendre.
Le sénateur Ataullahjan : Merci de votre exposé. J'ai deux ou trois questions. Je vais en poser une tout de suite et attendre avant de poser les autres.
Lorsque j'ai proposé l'étude que nous menons actuellement à la fin septembre ou au début octobre, la question de la cyberintimidation était quelque chose d'assez nouveau. Même maintenant lorsque je discute avec des parents et des grands-parents, à différents endroits, je parle de cyberintimidation, surtout avec les parents de jeunes enfants, et il y a beaucoup de gens qui semblent ne pas savoir de quoi il s'agit. On me demande souvent ce que c'est la cyberintimidation.
Comment faire pour livrer le message que c'est vraiment quelque chose qui fait du mal à nos enfants? Je pense que la collectivité doit jouer un rôle. Il faut que les enseignants participent. Peut-être faut-il que les enseignants suivent une formation sur les médias sociaux et sur l'utilisation adéquate de ceux-ci. Il faut que les parents et la collectivité participent.
Que pouvons-nous faire, comme collectivité, comme parents et comme enseignants, pour nous sensibiliser à la cyberintimidation et au tort qu'elle cause?
Mme Meyer : Vous avez tout à fait raison de dire qu'il faut sensibiliser les gens. Comme vous l'avez entendu dire, il y a le problème de l'existence de deux groupes : les « indigènes » du monde numérique, c'est-à-dire les jeunes qui ont grandi avec les nouvelles technologies et qui sont très à l'aise avec celles-ci et les connaissent bien, et les parents, les enseignants et les administrateurs, qui sont considérés comme des « immigrants » du monde numérique. Nous ne connaissons pas aussi bien le vocabulaire ni ne possédons les mêmes aptitudes que les jeunes lorsqu'il s'agit de naviguer dans ces environnements en ligne.
C'est la raison pour laquelle l'une de mes principales recommandations concernait une campagne de sensibilisation de la population menée à l'aide des médias ordinaires pour joindre la génération des gens qui sont plus à l'aise avec les journaux et la télévision, mais qui recourraient aussi aux réseaux des médias sociaux qui influencent les jeunes et que les jeunes dirigent eux-mêmes. Nous avons une terminologie et une compréhension communes, mais il faut qu'une partie de cette campagne dans les médias sociaux et de sensibilisation de la population aborde explicitement ce qu'est l'intimidation, je crois, et donne des exemples concrets de ce phénomène. Souvent, comme c'est le cas de nombreuses initiatives de lutte contre l'intimidation, le message est générique, et il parle de gens qui ne sont pas gentils les uns avec les autres, les gens qui se traitent de noms méchants; cependant, il n'est jamais clairement mentionné que l'intimidation peut être fondée sur un préjugé racial, religieux, sexuel ou homophobe. Si nous n'établissons pas explicitement de normes sociales relatives aux droits de la personne permettant de comprendre et de reconnaître ces droits, nous allons avoir beaucoup plus de difficulté que si nous le faisions à obtenir une réaction cohérente de la collectivité qui permettrait une intervention efficace dans la lutte contre les formes de cyberintimidation en question. Le genre de comportements dont nous sommes en train de parler vient forcément de quelque part, comme Mme Daniels l'a fait remarquer. Il doit y avoir un contexte social qui tolère les paroles ou les actes d'intimidation dans un contexte quelconque. C'est la raison pour laquelle je crois que toute campagne de sensibilisation de la population doit être plurielle, mais dotée d'une démarche explicite, tout comme la campagne sur l'esprit d'équipe qui a été menée il y a quelques années, et que j'ai trouvé efficace.
Mme Hymel : Je voudrais ajouter quelque chose. Je trouve que c'est une excellente idée. Nous avons besoin de cette information.
L'une des difficultés, c'est de faire participer les élèves. Ce que j'ai constaté, c'est que les élèves eux-mêmes ne savent pas toujours ce qui se passe. Cela revient à ce que j'ai dit au sujet du désengagement moral. Les élèves ne voient pas le tort qui est causé et ne pensent pas y contribuer.
Il y a quelques années, nous avons mené un sondage auprès d'élèves du secondaire concernant l'intimidation, y compris la cyberintimidation, et nous leur avons demandé s'ils savaient que certains des comportements dont nous sommes en train de parler constituaient des infractions à la loi, comme la diffamation, le libelle, et ainsi de suite. Nous avons constaté avec grand étonnement que de 28 à 35 p. 100 des jeunes ne croyaient pas que c'était le cas. Ils pensaient que nous n'étions pas sérieux.
Je pense que les jeunes sont eux-mêmes aux prises avec un problème. Ils ne connaissent pas les lois en vigueur, et ils ne savent pas que leurs actes sont en fait de l'intimidation et ont bel et bien un effet néfaste. C'est très important.
Ici, en Colombie-Britannique, nous organisons des concours pour les élèves du secondaire qui doivent rédiger des messages d'intérêt public au sujet de l'intimidation, et en particulier sur la discrimination et l'homophobie. Il semble que ce soit un moyen efficace de sensibiliser les jeunes.
Mme Daniels : J'aimerais parler de ce qu'on a appelé la « loi du silence » et qui est appliqué dans l'intimidation ordinaire comme dans la cyberintimidation. En général, les enfants sont très réticents à signaler les cas d'intimidation. Tant qu'il ne sera pas sûr de le faire et que nous n'aurons pas trouvé des moyens efficaces de régler le problème, ils vont être le plus discrets possible. Le chiffre que j'ai cité tout à l'heure — que moins de 8 p. 100 des parents sont mis au courant lorsqu'un incident de cyberintimidation se produit — reflète cet état de fait. Il y a aussi chez les jeunes la crainte de perdre l'accès à leurs outils technologiques s'ils parlent à des adultes de la cyberintimidation qui a lieu. Ils sont très motivés par les liens sociaux que ces outils leur procurent et sont prêts à payer un prix assez élevé pour les protéger.
Le sénateur Ataullahjan : Dans la même veine, on a discuté du fait que les jeunes diffusent souvent impulsivement des renseignements personnels dans des lieux publics sans penser au monde réel. Les limites des sphères publiques et privées s'estompent. Que peut-on faire pour aider les parents, les enseignants et les administrateurs des écoles à orienter les jeunes dans leur façon de gérer ces sphères?
Mme Daniels : La première chose qui me vient à l'esprit, c'est que nous devons réfléchir soigneusement à nos attentes face aux enfants, c'est-à-dire à ce qu'ils sont capables de comprendre vu l'étape de leur développement où ils en sont rendus. Je repense à ma fille lorsqu'elle avait 10 ans et qu'elle a eu son premier téléphone cellulaire. Je lui ai dit que c'était pour les urgences, qu'elle ne devait pas le montrer à qui que ce soit ni faire quoi que ce soit avec l'appareil, et je lui ai demandé de le mettre dans sa valise. Le jour suivant, elle est entrée en trombe à la maison et m'a dit : « Regarde, maman. Mon amie a mis un fond d'écran sur mon téléphone. » Je lui ai répondu : « Je t'avais dit de ne pas le montrer à qui que ce soit et de ne pas le sortir de ton sac. » Elle m'a dit que ce n'était pas qui que ce soit, puisque c'était son amie.
Il y a un âge où les enfants ne se sont pas encore suffisamment développés pour être en mesure de comprendre la distinction entre la sphère privée et la sphère publique. Voilà le genre de choses que nous devons prendre en considération lorsque nous établissons nos attentes à leur égard et l'accès aux outils technologiques que nous leur permettons d'avoir à différents âges.
Mme Hymel : Une autre chose, c'est qu'il semble y avoir un changement — je ne peux pas prouver ce que j'avance — à l'égard de ce que la nouvelle génération est prête à révéler par voie électronique. Il y a beaucoup de gens de ma génération qui n'en croient pas leurs yeux lorsqu'ils voient ce que les jeunes révèlent sur eux-mêmes par l'intermédiaire de Facebook. On dirait qu'un changement est en cours par rapport à ce qui est diffusé publiquement et ce qui ne l'est pas. Il faut tenir compte de ce facteur aussi. Il est toutefois clair que les campagnes visant à informer les élèves des dangers et des problèmes qui peuvent se poser lorsqu'on affiche de l'information dans Facebook ou dans un autre site de ce genre ont tendance à rester lettre morte.
Il y a donc deux choses. Je suis d'accord avec Mme Daniels pour dire que les jeunes ne comprennent pas bien l'effet de l'affichage en ligne, pas plus que les conséquences pour eux-mêmes. Il faut les sensibiliser, et aussi sensibiliser les adultes.
Mme Meyer : Je veux reprendre certaines des idées que les représentants du Réseau Éducation-Médias ont abordées dans leur témoignage. Dans beaucoup d'écoles, il y a tellement de pare-feu et de choses qui sont bloquées que, lorsque les enseignants essaient de tenir des activités d'initiation au monde numérique, ils ne peuvent pas le faire dans un contexte réel. Ils n'ont pas la possibilité de travailler avec les étudiants dans une situation d'apprentissage supervisée par un adulte dans le but de les aider à apprendre à naviguer et à prendre des décisions judicieuses à l'égard du contenu qui peut être affiché en ligne, qui convient pour les sphères privées, semi-publiques et publiques. Il faut que nous réfléchissions à la façon pour nos écoles de s'occuper de la chose, plutôt que de nous munir de pare-feu plus résistants — en érigeant des murs pour protéger tout le monde — de façon à être en mesure de mettre à la disposition de nos enseignants les outils technologiques, les programmes et le soutien dont ils ont besoin pour offrir aux élèves de véritables activités d'apprentissage en ligne qui leur permettront de former leur jugement et de commencer à comprendre les répercussions de ce qu'ils disent en ligne et le cheminement de l'information qu'ils y affichent.
Le sénateur Hubley : Merci à vous trois de vos exposés.
La démarche communautaire est dans l'ensemble celle que nous admettons comme étant la plus efficace pour lutter contre l'intimidation et la cyberintimidation.
Pouvez-vous me dire à quel point il est difficile de réunir les conditions nécessaires? Je crois que certaines personnes ont parlé des élèves, de la famille et des enseignants, mais qu'on a aussi mentionné que la responsabilité devrait incomber aux administrateurs et aux conseils scolaires. De quels outils disposent-ils, le cas échéant, afin de créer les conditions nécessaires pour venir en aide à tous ces jeunes qui sont victimes de cyberintimidation?
Mme Meyer : Je suis tout à fait d'accord pour dire que, en général, la responsabilité incombe aux administrateurs des écoles et aux conseils scolaires. Ils ont besoin de plus de soutien pour l'assumer efficacement. C'est naturel qu'on se tourne vers les écoles, parce que c'est un endroit que nos enfants doivent fréquenter jusqu'à un certain âge. Malheureusement, les administrateurs ont des milliers d'autres choses à gérer en même temps, et c'est pour cette raison que, selon moi, nous devons renforcer les capacités à l'échelle locale, pour que ce ne soit pas uniquement le directeur de l'école qui soit concerné. Une fois que le directeur sera informé, il pourra activer un réseau de soutien — qu'il s'agisse de conseillers, de psychologues ou des services de police —, et la responsabilité n'incombera pas ainsi au seul directeur de l'école.
Je pense que les directeurs sont naturellement le premier point de contact, mais je ne pense pas que nous devrions compter seulement sur eux pour tout diriger, c'est-à-dire la sensibilisation efficace et l'intervention communautaire. C'est pour cette raison que je pense que nous devrions consacrer des fonds et des ressources humaines à l'établissement de réseaux provinciaux et régionaux. Une fois que le directeur d'école aura été informé, il disposera d'un réseau qui lui permettra d'offrir du soutien à la famille, de mener une enquête en collaboration avec la police ainsi que de faire intervenir des travailleurs capables de fournir des soins de santé mentale et physique auprès des auteurs d'actes d'intimidation au besoin. Je pense que c'est une erreur que de s'attendre à ce que les directeurs d'école et les conseils scolaires arrivent à tenir le fort tout seuls.
Mme Daniels : Je voulais mentionner la façon d'aborder les choses que nous avons adoptée au réseau de recherche PREVNet et dans le cadre de nos travaux de collaboration avec un certain nombre d'ONG du pays.
J'ai mis sur pied un programme pour les guides du Canada qui s'appelle Girls United, et il s'agit d'un programme de prévention primaire qui vise à aborder le problème de l'intimidation sociale avec les filles qui sont membres d'une unité de guides. Nous prenons part à de nombreuses autres collaborations. Je pense que ce qui est important, dans une démarche communautaire faisant intervenir toute l'école dans la lutte contre l'intimidation, c'est que les enfants reçoivent le même message dans divers milieux. Il faut qu'ils voient le même message formulé avec les mêmes mots lorsqu'ils font des sports d'équipe et que leur entraîneur leur en parle et lorsqu'ils prennent part aux activités des guides, des éclaireurs, des clubs des garçons et filles et des camps d'été. Un aspect important de la démarche visant à régler le problème à l'échelle d'un pays, c'est que les enfants soient exposés à un vocabulaire qui soit toujours le même et qu'ils reçoivent le même message dans le cadre de nombreuses activités.
Mme Hymel : J'ai deux ou trois choses à dire. Je suis d'accord avec Mme Meyer lorsqu'elle dit qu'il ne faut pas rendre les administrateurs responsables de tout. D'après ce que j'ai pu constater jusqu'à maintenant, il est toutefois vraiment très important qu'il y ait une orientation au sein de l'école. Si la direction ne participe pas, il n'y a rien qui se fait. Je ne pense pas que cela fasse de l'administration la seule partie responsable, mais je pense que, sans elle, il n'y a rien qui peut se faire.
Quant à la démarche faisant intervenir l'ensemble de la collectivité, je veux dire quelque chose là-dessus. Comme Mme Daniels l'a mentionné, c'est important. Il y a un message et un vocabulaire constants, et les enfants sont exposés à des variations sur un même thème, et je pense que c'est essentiel.
Arrêtons-nous un instant là-dessus. Il y a à l'heure actuelle un mouvement très marqué par l'adoption de pratiques fondées sur des données probantes. Dans les écoles en particulier, nous sommes censés appliquer les techniques éprouvées. Toutefois, selon les études menées au cours des cinq dernières années à peu près — il s'agit de méta-analyses à grande échelle et de revues documentaires concernant les interventions —, la meilleure façon d'aborder le problème, c'est de faire intervenir toute la collectivité, mais même les démarches de ce type n'ont permis une réduction des cas d'intimidation que de 40 p. 100 au mieux.
Après l'évaluation initiale, lorsque les programmes modèles en question sont laissés entre les mains des responsables des écoles, la réduction oscille plutôt entre 17 et 23 p. 100, d'après les études qui ont été réalisées.
Ce que je veux dire, c'est que nous ne savons pas encore vraiment comment empêcher l'intimidation. Je parle de toutes les formes de celle-ci. L'une des difficultés qui se posent est illustrée par ce que j'entends les administrateurs dire aux écoles, c'est-à-dire qu'il faut adopter une démarche pour toute l'école, axer les initiatives sur les données probantes et éviter les programmes ponctuels.
J'ai participé à un symposium international sur les programmes de lutte contre l'intimidation. Je devais présenter un exposé sur ce qui se fait au Canada. Contrairement aux pays où il y a une stratégie nationale et où le ministère de l'Éducation a contribué à la mise en oeuvre d'un programme à grande échelle dans l'ensemble des écoles, il n'y a rien du genre ici.
Ce qu'on trouve chez nous, cependant, c'est le travail extraordinaire qui est fait par beaucoup de gens qui le font indépendamment de toute organisation. Essentiellement, ils font ce travail par passion. Il y a par exemple le programme Racines de l'empathie créé par Mary Gordon, ou encore le programme SAFETEEN, qui est un programme d'affirmation de soi pour les adolescents créé par Anita Roberts. En Alberta, il y a le programme Dare to Care qui a été mis au point par une conseillère, Lisa Dixon-Wells, et les agents de liaison de la police. Il s'agit de gens qui sont partis de leur expérience pour créer ces programmes extraordinaires.
Le problème, c'est qu'ils ne sont pas coordonnés. Bien souvent, ces programmes sont mis en place dans une école, et la direction de l'école peut ainsi dire qu'elle fait quelque chose pour lutter contre l'intimidation.
Nous devons donc comprendre qu'une démarche faisant intervenir l'ensemble de la collectivité est essentielle, mais que la façon de la mettre en oeuvre n'est pas évidente, et nous sommes encore ouverts à l'idée qu'il existe peut-être d'autres façons de mener le combat et que certains de nos programmes en place à l'heure actuelle ne sont efficaces que partiellement, dans le meilleur des cas. Je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire et que la recherche est essentielle. J'ai foi en l'application de pratiques fondées sur des données probantes, évidemment, mais rien ne garantit que les techniques qui fonctionnent à l'étranger ou ailleurs fonctionneront dans un milieu donné. Comme Mme Daniels l'a mentionné, le contexte est un facteur absolument essentiel.
Je pense que nous connaissons tous des écoles qui ont fait un travail extraordinaire pour changer le climat dans leurs couloirs et réduire l'intimidation. Néanmoins, nous voyons d'autres écoles où l'on croit faire la même chose, mais où l'intervention est très inefficace. Les écoles qui collaborent avec les chercheurs — c'est la raison pour laquelle j'appuie le travail de PREVNet — jouent un rôle important en nous permettant de déterminer si ce que nous faisons change les choses.
Le sénateur Hubley : Nous n'avons pas réussi à prévenir les actes d'intimidation jusqu'à maintenant. Devrions-nous nous concentrer sur les mécanismes qui permettent aux enfants de composer avec la situation lorsqu'ils sont victimes d'intimidation, de façon à prévenir les réactions extrêmes, comme le suicide? Devrions-nous aussi nous occuper davantage de la santé mentale des enfants dans les situations de ce genre?
Mme Hymel : Je peux répondre en premier à cette question : certainement. En fait, j'ai presque peur lorsque je pense au peu de temps que nous avons passé là-dessus.
En juillet, par exemple, nous avons invité M. Phillip Slee, de l'Australie, à participer à la conférence de l'ISSPD en Alberta parce qu'il a beaucoup travaillé à la création de programmes visant à permettre aux jeunes de composer avec l'intimidation. L'Australie est un chef de file à cet égard, puisqu'on y soutient beaucoup la recherche sur les façons d'aider les enfants à faire face à l'intimidation. Il faut que nous fassions beaucoup plus de choses dans ce domaine. L'une des raisons pour lesquelles j'ai invité M. Slee en particulier, c'est que c'est lui qui a le plus d'expérience dans ce domaine.
Quant aux liens avec la santé mentale, c'est absolument impératif. Je travaille par exemple dans le cadre de nombreux programmes de sensibilisation des enseignants. Nous ne fournissons pas aux enseignants de l'information et une formation adéquates — et encore moins aux administrateurs —, et, comme Mme Meyer l'a fait remarquer, nous n'avons pas établi de liens solides entre les organismes de soins de santé mentale et les écoles. Le Dr Stan Kutcher essaie de remédier à cette situation au Canada. En ce moment, il se concentre sur l'anxiété et la dépression, mais je pense que le mouvement vers l'établissement de liens entre les médecins, les professionnels de la santé mentale et les écoles doit prendre beaucoup d'ampleur.
Mme Meyer : Il est essentiel de parler de la santé mentale des enfants, car nous constatons les effets négatifs à long terme de toutes les formes d'intimidation. Je suis prudente, cependant, parce que, parfois, lorsqu'on parle de mécanismes de défense, on tombe dans l'apprentissage de l'affirmation de soi par lequel on apprend à des enfants à s'affirmer dans une situation dangereuse.
Si nous décidons de parler des mécanismes qui permettent de composer avec l'intimidation, encore là, nous devons travailler, comme pays, à la suppression des stigmates associés au fait de recourir aux services des professionnels de la santé mentale. Les gens refusent souvent de demander de l'aide parce qu'ils ont peur que les membres de leur famille pensent qu'ils font face à un problème qu'ils ne sont pas en mesure de régler. Je pense que nous devons nous avouer que nous avons souvent besoin d'experts pour composer avec des situations difficiles. Il faut que nous supprimions le stigmate pour permettre aux enseignants, aux parents et aux enfants de demander l'aide d'un conseiller ou de prendre un rendez-vous avez un professionnel de la santé mentale.
Les mécanismes de défense en question peuvent être très utiles, mais surtout dans le cadre d'une démarche faisant intervenir toute l'école. Nous enseignons aux jeunes des moyens efficaces de faire en sorte que les autres arrêtent de les traiter de noms ou de nourrir des préjugés à leur égard et d'encourager la responsabilisation des témoins d'incidents, de façon à ne pas rendre responsable seulement la personne qui est déjà visée, qui est la victime ou qui est isolée.
Nous devons toutefois faire en sorte que toute l'école reconnaisse qu'il est de notre responsabilité à tous d'intervenir en cas d'intimidation. Il est alors aussi important de pouvoir se lever et d'aider une personne à obtenir les ressources et le soutien dont elle a besoin si elle a été ciblée.
Mme Daniels : Je veux mentionner que, en collaboration avec le CHEO, j'ai eu l'occasion de tenir deux ou trois assemblées publiques dans l'une de nos écoles secondaires et une à Arnprior où plus de 400 parents sont venus poser des questions à un groupe d'experts concernant les préoccupations relatives à la santé mentale découlant de l'intimidation. Ce que j'ai constaté, c'est l'ampleur du soutien dont ont besoin les parents. Ils s'inquiètent beaucoup, mais ils ne connaissent pas bien la façon d'offrir du soutien à leurs enfants lorsqu'ils vivent ce genre de situation. Je pense qu'il y a un besoin énorme auquel nous devons penser pour ce qui est de venir en aide aux personnes qui sont victimes de comportements d'intimidation.
Il y a aussi une autre chose importante selon moi. Il s'agit d'une façon d'aborder les choses que j'ai beaucoup appliquée dans les écoles récemment et qui vient en partie de la période que j'ai passée à la présidence de la Coalition contre l'intimidation d'Ottawa. J'ai rencontré de nombreux adultes qui avaient subi beaucoup de torts lorsqu'ils étaient enfants à cause de l'intimidation. Ces gens souhaitaient vraiment aider les enfants à ne pas vivre le même genre d'expérience. J'ai parlé à bon nombre d'entre eux, et personne n'a exprimé le regret que leur intimidateur n'a pas été suffisamment puni. Ils m'ont tous dit cependant qu'ils auraient aimé que quelqu'un leur dise que ce qui leur arrivait n'était pas normal.
Nous pourrions grandement aider les enfants ciblés en faisant en sorte que les autres enfants puissent leur dire — peut-être même pas sur le coup, mais plus tard — qu'ils ont vu ce qui leur est arrivé au terrain de jeu et qu'ils trouvent que c'est déplorable. La plupart des enfants qui sont victimes d'intimidation disent que, parce que personne ne dit rien, ils pensent que tout le monde est d'accord et que tout le monde pense qu'ils ont eu ce qu'ils méritaient. Amener les autres enfants à fournir du soutien pourrait être important.
Je veux également répéter ce qu'a dit Mme Meyer au sujet du fait que nous devons faire attention de ne pas commencer à blâmer les victimes, à dire que la personne qui a été ciblée a quelque chose à régler. Je formulerais une mise en garde à cet égard lorsque nous parlons des mécanismes permettant de composer avec l'intimidation.
Le sénateur Ataullahjan : Ma question s'adresse à Mme Meyer. Nous entendons constamment dire que la cyberintimidation est comme une peine d'emprisonnement pour la victime, mais je me demandais quels étaient les effets psychologiques à court et à long terme. Est-ce que la cyberintimidation a un effet important sur le développement de l'enfant vers l'âge adulte?
Mme Meyer : Nous savons que les actes de harcèlement verbal et psychologique, qu'ils soient posés en personne ou en ligne, ont un effet à long terme beaucoup plus négatif que les actes d'intimidation physiques et d'agression, parce qu'ils affectent l'esprit et l'identité, et ils ne s'effacent pas, ou, pour reprendre la citation de l'élève que Mme Hymel a lue, ils vous rongent.
Je n'ai pas d'exemple d'études montrant un lien direct avec le développement d'une personne, mais nous savons grâce aux études d'envergure qui ont été menées que les élèves qui ont été victimisés à répétition par des personnes qui les ont soumis à diverses formes d'intimidation et de harcèlement sont beaucoup plus susceptibles que les autres de se livrer à toutes sortes de comportements autodestructeurs. Ils sont plus susceptibles de présenter des symptômes de dépression, d'anxiété et de mauvaise santé physique, et les élèves qui ont été ciblés en raison de leur orientation ou de leur identité sexuelle sont encore plus à risque à l'égard de certaines catégories de comportement parce qu'ils n'ont pas accès aux mécanismes d'atténuation auxquels les autres ont accès et qui peuvent réduire les dommages, comme un milieu familial sûr et qui offre du soutien ou des liens étroits avec un mentor d'âge adulte. Il faut que nous fassions attention aux diverses formes d'intimidation et de harcèlement et aux effets qu'ils peuvent avoir sur certaines populations à cause de certains stigmates sociaux que nous travaillons encore à supprimer lentement de la société canadienne.
Mme Hymel : C'est une chose très importante. Il y a très peu d'études portant seulement sur la cyberintimidation et qui ne portent pas en même temps sur l'intimidation ordinaire. Il y a des travaux qui ont été réalisés en collaboration avec l'une de mes anciennes étudiantes, Rina Bonanno. Elle est convaincue que la cyberintimidation affecte encore plus les enfants que l'intimidation ordinaire. Il y a effectivement des études qui montrent que la corrélation est encore plus forte entre la cyberintimidation et les idées de suicide et la dépression, même lorsqu'on écarte les effets de l'intimidation ordinaire.
Nous savons aussi que nous devons faire attention aux effets de tout cela. Au cours du dernier tour, nous avons beaucoup parlé du rôle du témoin, du spectateur. Il y a eu dans bien des cas des efforts visant à insister là-dessus, sur le fait que nous devons inciter les enfants à intervenir. Je ne suis pas contre, mais il ne faut pas négliger de faire preuve d'une certaine prudence à cet égard.
Tout d'abord, beaucoup d'enfants croient qu'on peut seulement faire l'une de deux choses pour venir en aide à une victime : soit intervenir soit demander de l'aide à un adulte. L'un de mes collègues a créé un programme de lutte contre la discrimination raciale qui s'appelle Active Witnessing. Il a montré à des enfants qu'il y a beaucoup de choses qu'ils peuvent faire. Ils peuvent par exemple aider la victime après coup. Il présente neuf techniques différentes. Dans le cadre des mesures de sensibilisation dont nous sommes en train de parler, il faut que nous fournissions aux enfants la possibilité de venir en aide aux victimes lorsqu'ils sont témoins d'intimidation et les stratégies dont ils ont besoin pour le faire. Tout cela fait partie du processus de défense contre l'intimidation dont nous parlions tout à l'heure.
L'autre chose que Rina Bonanno a démontrée dans ses travaux de recherche doctoraux, c'est que les témoins d'un incident sont aussi à risque. Ce ne sont pas que les intimidateurs et les victimes qui risquent d'avoir des problèmes à long terme : les témoins aussi. Un peu comme lorsqu'on pense à l'exposition à la violence, elle a montré dans ses recherches que plus on observe d'actes d'intimidation à l'école, et en fait, plus on est prêt à venir en aide à la victime, plus on risque de souffrir de dépression et d'avoir des idées de suicide, en plus de ce que l'on vit lorsqu'on est soi-même victime ou intimidateur. Il faut que nous fassions preuve d'une certaine prudence à cet égard aussi et que nous mettions davantage de stratégies à la disposition des enfants.
Mme Daniels : Je suis tout à fait d'accord avec Mme Hymel. Je pense que ce sont des choses importantes. J'aimerais ajouter que nous ne savons pas précisément ce qu'il en est dans le cas de la cyberintimidation, mais que nous savons que l'intimidation en général entraîne une baisse d'estime de soi avec le temps, c'est-à-dire que les enfants qui ont peu d'estime de soi ne sont pas nécessairement ciblés, mais que leur estime de soi se trouve diminuée par ce type de victimisation.
Le sénateur Meredith : Merci beaucoup à nos témoins. J'ai beaucoup apprécié vos réponses. Pardonnez-moi d'avoir raté la première demi-heure de vos exposés, mais je voudrais dire encore une fois que c'est un sujet qui me tient vraiment à coeur.
Je milite pour les jeunes, et j'ai rencontré beaucoup de jeunes gens qui avaient subi de l'intimidation. L'une des choses auxquelles je reviens constamment lorsque je suis face à des jeunes qui ont pris part à des actes de violence ou qui ont été incarcérés pour avoir commis des actes de violence, c'est la participation des parents. Vous parlez d'une démarche communautaire. Qu'est-ce que nous pouvons faire de plus pour engager les parents à s'assurer qu'ils s'occupent de leurs enfants lorsqu'ils découvrent qu'ils se livrent à des comportements de ce genre et qu'ils leur imposent des conséquences, par exemple en leur enlevant leurs appareils ou, encore une fois, qu'ils reconnaissent, comme Mme Daniels le disait, qu'il s'agit d'un moment propice à l'enseignement, à faire en sorte que les enfants prennent conscience de ce qu'ils font à leurs camarades de classe, de façon à s'assurer qu'ils comprennent que leurs actions ont des conséquences? Que pouvons-nous faire d'autre pour mobiliser les parents concernés? Je vais commencer par Mme Daniels.
Mme Daniels : Je pense que vous avez mis le doigt sur l'un des plus importants défis qui se posent. J'ai assisté récemment à une réunion du personnel où des enseignants parlaient précisément de cela. Ils ont dit avoir souvent l'impression qu'une bonne partie du travail positif qu'ils font pendant toute la semaine est gâchée pendant la fin de semaine, lorsque l'enfant est à la maison. Il y a souvent des différences importantes sur le plan des attentes envers les enfants entre la maison et l'école, surtout chez les enfants qui ont tendance à adopter des comportements d'intimidation.
Pour ce qui est de mobiliser les parents, nous devons aborder la chose à différents niveaux. Il faut faire beaucoup de sensibilisation. J'ai parlé à beaucoup de parents. J'anime régulièrement des discussions avec des parents. Ils sont préoccupés, mais ils n'ont pas beaucoup d'idées pour régler le problème de façon efficace. Il faut assurément que nous fassions beaucoup de sensibilisation.
Par ailleurs, dans le cas de certains enfants, le fait est que les attentes de l'école et de la collectivité à leur égard divergent passablement de celles de leurs parents. Une chose que je trouve encourageante, c'est que les enfants sont en mesure de comprendre que les attentes peuvent être différentes selon le lieu, et c'est la raison pour laquelle il est si important d'adopter une démarche communautaire. Il faut que nous apportions des changements dans le milieu social pour que les gens ne s'en tiennent pas aux comportements en question.
Mme Meyer : Je suis d'accord. Beaucoup de parents sont préoccupés, mais, encore une fois, nos jeunes ont besoin de plus de stratégies, comme leurs parents. Ces derniers ont l'impression que leur seule réaction possible, c'est de confisquer le téléphone cellulaire de l'enfant ou de ne pas lui permettre d'utiliser l'ordinateur pendant une semaine.
Ce que je propose de suggérer aux parents, plutôt que d'éteindre les appareils, c'est de s'asseoir avec leur fils ou leur fille et de jouer à un jeu vidéo avec eux ou encore de visiter les sites web avec eux et de profiter de l'occasion pour dialoguer et créer un moment propice à l'enseignement. Même si c'est un domaine dans lequel ils ne sont pas à l'aise, ils peuvent dire : « Montre-moi. Je veux savoir ce que tu fais ici et pourquoi c'est important à tes yeux. » Cette démarche est utile, parce que, si les parents veulent combler le fossé entre leurs adolescents et eux, il faut qu'ils s'intéressent à ce qui intéresse ces derniers, à leurs loisirs et à leurs activités plutôt que de leur enlever l'accès aux moyens techniques. Cela leur permettra de créer des moments propices à l'enseignement. Regardez une émission avec votre enfant. Discutez avec lui de ce que vous venez de voir, une émission que votre enfant aura choisie, et non une émission que vous auriez choisie vous-même parce qu'elle convient à la famille. Vos enfants finiront par regarder sans vous de toute façon, alors vous pouvez peut-être être là et utiliser cet élément comme point de départ d'une conversation.
Nous devons faire participer les parents aux initiatives de sensibilisation communautaires, les inviter à devenir membres des groupes de lutte contre la violence ou à prendre part aux initiatives de lutte contre l'intimidation des conseils scolaires. Nous devons offrir des occasions d'apprentissage aux parents pour qu'ils puissent faire du bénévolat, faire de la promotion dans la collectivité et diffuser l'information.
Comme Mme Daniels l'a fait remarquer, nous devons transmettre un message clair aux élèves. Nous savons qu'ils reçoivent quelquefois un message qui est en contradiction avec celui que nous essayons de leur transmettre à l'école. Ils savent que les règles et les attentes changent en fonction des classes, alors ils sont très bien capables de se reconnaître dans l'exemple de comportement adéquat en public auquel les Canadiens s'attendent des citoyens de notre société démocratique et d'adopter ce comportement.
Mme Hymel : J'ai plusieurs choses à dire pour compléter. Tout d'abord, je suis tout à fait d'accord avec Mme Meyer pour dire qu'il faut vraiment que nous incitions les parents à discuter avec leurs enfants. C'est plus difficile que je ne voudrais l'admettre.
L'un des problèmes qui se posent, c'est que les parents ne sont pas nécessairement très bien informés. Nous avons lancé une initiative en 2008, et il y a maintenant trois éditions. Il y a aux États-Unis un magazine en ligne pour les parents qui s'appelle Education.com. C'est un magazine californien, madame Meyer.
Nous avons commencé en 2008 par faire un numéro spécial d'Education.com sur l'intimidation. Au cours des dernières années, nous avons publié trois numéros — le dernier vient de paraître — dans lesquels nous avons demandé à des chercheurs de partout dans le monde d'essayer de présenter des conseils, de l'information ou des résumés de travaux de recherche faciles à lire pour les parents, pour que ceux-ci aient la possibilité de s'informer. Il faut davantage de choses de ce genre pour les parents, et nous devons faire savoir aux parents que ce genre de choses existent.
Une suggestion que j'ai trouvée — et je suis sûre que Mme Meyer et Mme Daniels seraient d'accord avec moi —, c'est que nous tenons souvent des ateliers pour les parents, mais, ce qui arrive, c'est qu'une petite proportion des parents concernés y participe. Le problème, c'est de faire parvenir l'information aux parents. J'ai deux suggestions à cet égard. L'une me vient de Donna Cross, qui fait de la recherche en Australie et travaille à la lutte contre l'intimidation. Elle dit que si on veut que les parents viennent, il faut que les enfants soient là. Ce qu'elle recommande, c'est de monter une pièce de théâtre avec les enfants et que les parents y assistent.
Nous l'avons fait en Vancouver. Nous en avons parlé aux représentants du conseil scolaire. Ils ont choisi une école et lancé tout un projet sur l'intimidation en ligne et sous d'autres formes, mais surtout l'intimidation en ligne. Ils ont fait participer tous les enfants à la pièce d'une façon ou d'une autre, et les parents sont venus la voir; ils sont venus en très grand nombre. Il y avait les kiosques d'information pour les parents, et, bien entendu, il y avait un message dans la pièce. Voilà une façon de faire participer les parents.
Beaucoup de parents ne sont pas prêts à admettre que leurs enfants sont concernés, qu'ils soient victimes ou intimidateurs. Une autre suggestion, c'est de diffuser des messages d'intérêt public, avec des liens vers les sites web où les parents peuvent obtenir de l'information et du soutien. Je pense que nous devons commencer à utiliser les nouvelles technologies pour joindre les parents concernés, plus que jamais.
Je dis souvent dans mes recommandations que les parents doivent entamer le dialogue. Lorsque je tiens des ateliers, je leur parle souvent de livres qui existent sur l'intimidation, pour qu'ils puissent au moins avoir l'occasion d'en parler avec leurs enfants.
Je pense que le programme WITS qui a été mis sur pied à l'Université de Victoria et qui est un programme de lutte contre l'intimidation, comporte également un volet de bibliothérapie. Il y a de nombreuses façons de faire participer les parents, mais il faut faire preuve de plus de créativité. Ce n'est plus vrai qu'il s'agit de bâtir quelque chose pour que les gens viennent. Aujourd'hui, même si on bâtit quelque chose, ils vont être trop occupés pour venir.
Le sénateur Ataullahjan : Ma question s'adresse précisément à Mme Meyer. Vous venez de parler du fait d'entamer un dialogue plutôt que d'éteindre les appareils. Il faut toutefois que les enfants soient tenus responsables de leur comportement. Nous avons entendu la semaine dernière que la tolérance zéro ne donne pas de résultats, mais peut-être qu'on en obtiendrait davantage en faisant en sorte que les gestes posés aient des conséquences.
Mme Meyer : Je crois certainement aux conséquences lorsqu'elles sont véritables; cependant, je ne pense pas qu'il soit possible d'imposer de vraies conséquences lorsqu'on ne sait pas vraiment ce qui se passe. Souvent, ce qui se passe, c'est que l'élève est puni parce qu'il riposte après avoir été ciblé par quelqu'un d'autre. Si l'on punit un enfant en ne connaissant qu'une partie de la situation, sans avoir eu une vraie discussion avec lui et sans connaître les relations qu'il entretient avec ses pairs et son école, ni ce qui se passe dans sa vie, il y a un danger qu'on punisse l'enfant pour un geste isolé, alors qu'il a été provoqué et qu'il ne savait pas quoi faire d'autre parce qu'il n'avait pas l'impression de pouvoir en parler avec un adulte.
Je ne dis pas que nous devons laisser les élèves agir comme ils l'entendent ni que nous devons laisser les enfants faire ce qu'ils veulent sur Internet. Ce que je dis, c'est qu'en tant qu'adultes, nous devons prendre le temps de nous informer au sujet de la vie sociale de nos enfants, du genre d'influence des médias qu'ils subissent et à laquelle ils réagissent, et d'être là pour les aider, selon leurs conditions.
Souvent, les parents sont mal à l'aise et évitent les conversations parce qu'ils sont fatigués ou s'occupent du souper et n'ont pas le temps. Pourtant, nos enfants ne vont pas nous écouter si nous leur demandons de nous écouter seulement lorsque nous sommes disposés à parler. Nous devons créer le contexte qui permet l'épanouissement des relations pour que nos enfants sachent qu'ils peuvent nous voir en temps de crise, quand ils le souhaitent, pour quelque raison de ce soit, afin que nous puissions leur fournir l'encadrement et la structure dont ils ont besoin.
En psychologie de l'enseignement, nous parlons de la zone de développement proximale de Vygotsky. Nous ne pouvons pas imposer des conséquences aux élèves pour leur comportement si nous ne leur avons pas appris la bonne façon d'agir dans des contextes significatifs. Nous ne pouvons pas simplement les laisser évoluer dans les contrées sauvages d'Internet et nous attendre à ce qu'ils sachent intuitivement ce qui est approprié, ce qui ne l'est pas, ce qui est mature et ce qui est irresponsable.
Ce que je dis, c'est que les parents doivent être aux côtés de leur enfant pendant tout son développement pour intervenir adéquatement et avec une compréhension profonde de la situation, afin d'imposer des conséquences véritables, et non seulement des punitions.
Le sénateur Meredith : Merci beaucoup de votre réponse.
Revenons aux écoles. Nous avons déjà entendu plusieurs choses qui témoignent de divergences d'opinions. Madame Meyer, vous avez parlé de la responsabilité des directeurs d'école. Mme Hymel a dit qu'elle n'était pas tout à fait d'accord là-dessus.
Le directeur d'école, de toute évidence, est celui qui administre l'établissement, et il est responsable des comportements des élèves à l'intérieur de l'école et doit prendre en charge les faits qui lui sont signalés. S'il n'agit pas sur-le-champ en prenant les mesures appropriées, ces jeunes gens pourraient perdre leur vie — nous avons entendu parler d'incidents de la sorte.
Prenons-nous suffisamment de mesures pour informer les conseillers en orientation sur le fait qu'il est important que les administrateurs réagissent rapidement lorsqu'ils apprennent que des incidents se produisent au sein de leur établissement?
Mme Daniels : Il y a deux ou trois choses à dire à ce propos. Les travaux menés par Ken Rigby en Australie ont montré que la mesure dans laquelle une administration adhère au programme d'intervention mis en place au sein de son établissement permet de prédire avec beaucoup de précision la réussite de ce programme. Par conséquent, il est assurément très important d'obtenir l'adhésion du directeur, et que celui-ci assume un véritable rôle de chef de file. Au sein d'une école, cela peut être très important.
Ces travaux montrent également que les enseignants doivent considérer qu'un tel programme est important, et se sentir interpellés par lui. Les enseignants qui estiment qu'il s'agit d'une initiative valable obtiennent de bien meilleurs résultats, et ce sentiment d'adhésion au programme semble être plus important que la nature même du programme mis en place au sein de l'école. À coup sûr, de nombreux éléments permettent de croire qu'il est important que le programme soit adapté aux besoins de chaque école. Il s'agit de ma première réflexion à ce sujet.
Mme Hymel : Je tiens absolument à répéter que, selon moi, il est tout à fait crucial qu'un administrateur adhère au programme, mais il se peut que cela ne suffise pas. À cet égard, l'autre difficulté qui se pose tient à ce que les directeurs, les directeurs adjoints et même les conseillers n'ont pas nécessairement reçu une formation sur les mesures à prendre.
Il y a quelques années, nous avons mené une étude dans le cadre de laquelle nous avons demandé aux enseignants d'indiquer ce qu'ils feraient s'ils étaient aux prises avec tel ou tel cas d'intimidation, et la vaste majorité d'entre eux ont répondu qu'ils enverraient les responsables au bureau des administrateurs — du directeur adjoint ou du directeur. Ce que nous avons constaté, c'est que, bien souvent, les directeurs adjoints et les directeurs ne savent pas quoi faire dans de telles situations. La formation est très importante.
En outre, les écoles doivent disposer de suffisamment de personnel. Je vais vous raconter un incident. Il y a plusieurs années, on m'a téléphoné pour m'informer du fait que mon fils, qui était en huitième année, avait été mêlé à un incident à l'école et que, même s'il se portait bien, il faudrait l'amener chez le médecin. Il m'a fallu environ une heure pour me rendre là-bas, ce qui m'a laissé beaucoup de temps pour réfléchir. Lorsque je suis arrivée sur les lieux, le directeur m'a dit que mon fils n'avait absolument rien à se reprocher, et qu'il était la victime — il s'agissait de l'un de ces cas où un enfant s'en prend à un plus jeune que lui.
J'ai demandé que l'on organise une réunion avec les deux garçons et leurs parents pour que nous discutions de ce qui s'était passé. Le directeur m'a répondu : « Shelley, tu ne comprends pas. Quatre ou cinq incidents du genre se produisent chaque jour. Je ne dispose pas du temps ni du personnel requis pour régler les problèmes de ce genre. En outre, la plupart des parents veulent que des sanctions soient imposées sur-le-champ, peu importe que leur enfant ait été la victime ou l'agresseur. »
Ces paroles m'ont vraiment marquée. Nous devons prendre conscience des problèmes auxquels les directeurs font face dans les grands établissements, surtout au niveau secondaire. En outre, les écoles doivent disposer du personnel requis. Je ne pense pas que les conseillers ont plus de temps que les administrateurs à accorder aux incidents de ce genre. Bien souvent, ils fournissent de l'orientation aux élèves pour les encourager à poursuivre leurs études et les préparer en vue de leurs études collégiales. Dans quelle mesure les conseillers scolaires sont-ils formés pour prendre en charge les cas d'intimidation? Nous devons revoir la formation que nous leur dispensons afin qu'elle leur permette d'acquérir les compétences et les outils dont ils ont besoin pour prendre en charge ces cas de façon efficace.
Mme Meyer : Je reprends à mon compte l'affirmation de Mme Hymel selon laquelle les directeurs sont généralement débordés. Bon nombre d'entre eux abordent l'administration d'une école comme s'il s'agissait de la gestion d'une entreprise qu'il faut d'abord et avant tout administrer rigoureusement, et dont on doit équilibrer le budget. Ils ne veulent pas consacrer beaucoup de temps à des questions comme celles du climat qui règne au sein de leur établissement, du respect des droits de la personne à l'intérieur de l'école ou des relations positives entre les gens qui la fréquentent. Bien souvent, lorsqu'on leur signale des incidents, ils minimisent les répercussions qu'ils ont sur les élèves, et causent ainsi d'autres torts. J'ai entendu des histoires horribles, par exemple celle d'un élève qui s'était adressé au directeur parce qu'il avait fait l'objet d'un commentaire à caractère homophobe. Le directeur lui a répondu : « Eh bien, es-tu gai? Tu dois d'attendre à être traité de la sorte si tu agis de cette façon à l'école. » Nous sommes assurément bien loin d'un modèle fondé sur l'exercice des responsabilités par les administrations scolaires. Je crois que bon nombre d'entre nous seraient favorables à un tel modèle.
Nous avons besoin de dirigeants d'école visionnaires, qui exercent leurs fonctions en tenant compte de facteurs sociaux et émotionnels et en tenant compte du respect des droits de la personne; à l'heure actuelle, les conseils scolaires cherchent à embaucher des gens d'affaires qui exerceront une gestion serrée des finances et équilibreront les budgets. Nous devons rechercher les personnes les plus aptes à jouer ce rôle de dirigeant visionnaire au sein des écoles. Quant aux conseillers d'orientation, ils doivent souvent s'occuper de 500 ou 600 jeunes, et ils tentent de mettre au point leur programme de cours en vue du cycle d'études suivant. L'idée de veiller à ce que les écoles disposent des fonds requis pour embaucher éventuellement un directeur adjoint ou un administrateur dont l'unique responsabilité consistera à s'occuper du climat régnant dans l'école, des relations positives et de l'apprentissage affectif sain est une idée vraiment essentielle. Le fait d'envoyer les élèves fautifs au bureau du directeur représente une solution temporaire; cela ne donne lieu à aucun suivi à long terme, ne nous permet pas de tirer des leçons des incidents survenus, ne nous indique pas quels comportements sont appropriés à l'école et ne nous apprend rien sur la façon de régler ce type de problème.
En Colombie-Britannique, l'affaire Jubran nous a fourni un exemple éclatant d'un directeur d'école qui ne s'est pas acquitté de son devoir de punir les responsables chaque fois qu'on lui signalait qu'Azmi Jubran avait été victime d'intimidation. Au moment de rendre sa décision, le tribunal a fourni une liste de mesures que l'administration de l'école aurait pu prendre pour éradiquer efficacement les cas de discrimination et de harcèlement à l'intérieur de l'établissement.
Oui, les administrateurs doivent jouer le rôle de dirigeants visionnaires à cet égard, mais les arrondissements et les conseils scolaires doivent également adopter une nouvelle vision des choses en matière de formation et d'embauche des administrateurs. Bien souvent, un monde sépare ce que les parents veulent et ce que les directeurs veulent.
Le sénateur Meredith : Cela se résume à la corrélation qui existe entre la faible estime de soi qu'ont certains élèves et le fait d'être victimes d'intimidation. Avez-vous des statistiques à nous fournir en ce qui concerne le lien qui existe entre le fait d'avoir une faible estime de soi et le fait d'être victime d'intimidation physique ou de cyberintimidation? Comment les parents ou les administrateurs composent-ils avec ce problème à deux volets, c'est-à-dire que, en plus d'avoir une faible estime de soi et d'avoir des difficultés au sein du système scolaire, certains élèves doivent faire face à de la cyberintimidation ou à de l'intimidation.
Mme Meyer : En ce qui concerne l'intimidation en général, nous savons que, bien souvent, les personnes qui détiennent un plus grand pouvoir social et qui s'en prennent ou tentent de s'en prendre à quelqu'un d'autre se trouvent souvent dans une certaine position de vulnérabilité. Nous savons que les jeunes qui ont des problèmes liés à l'estime de soi sont plus vulnérables parce qu'ils sont déjà isolés sur le plan social, ou ne possèdent pas cet instinct grégaire qui leur permettrait de s'entourer de personnes très aptes à vivre en société.
Je crois qu'il existe une relation étroite entre une faible estime de soi et le fait d'être constamment victime d'intimidation — si je ne m'abuse, Mme Daniels a abordé cette question. Toutefois, nous savons également que les élèves qui sont déjà vulnérables — en raison d'une foule de facteurs de nature sociale — seront plus susceptibles d'être pris pour cible, car ils ne peuvent pas profiter de l'effet tampon que procure un groupe social ou un solide réseau de personnes sur lesquelles on peut compter.
Mme Daniels : Je suis d'accord avec cela. Nous constatons que les personnes vulnérables ont tendance à être constamment victimes d'intimidation. Cela peut avoir des effets très débilitants sur un enfant.
Mme Hymel : Oui, une bonne partie de cette recherche nous ramène aux travaux menés en Norvège par DanOlweus. On a commencé à se pencher là-dessus à la fin des années 1970, et on a continué de le faire pendant des années. Il en a résulté quelques-unes des meilleures études longitudinales. Les enfants qui sont sans cesse victimes d'intimidation affichent une faible estime de soi, avec laquelle ils doivent composer même lorsqu'ils ont atteint l'âge adulte.
Très peu d'études portant sur une longue période ont été menées. Il s'agit de l'un des problèmes. Les recherches longitudinales sont complexes et coûteuses, et il est difficile d'obtenir du financement pour les mener. J'estime que le groupe de Sorander a montré que les enfants sur lesquels la victimisation a les répercussions les plus néfastes — sur le plan, entre autres, de l'estime de soi — sont les enfants qui sont déjà vulnérables. C'est exactement ce que vous avez dit : il s'agit d'un problème à deux volets. Les enfants qui ont déjà quelques problèmes dont ils tentent de venir à bout doivent, de surcroît, faire face à l'intimidation. Nous devons veiller sur nos jeunes vulnérables.
C'est compliqué, et les recherches à ce sujet ne font que débuter.
En ce qui concerne l'estime de soi, il y a quelques années, un article — dont le nom de l'auteur m'échappe — a été publié à propos d'une recherche dans le cadre de laquelle on avait comparé des enfants qui étaient l'unique victime d'intimidation de leur classe à des enfants qui étaient une victime d'intimidation parmi d'autres dans leur classe. Ce seul paramètre avait une incidence sur l'incidence qu'avait l'intimidation sur l'estime de soi et d'autres caractéristiques de ces enfants. Il s'agit d'une question complexe. L'intimidation n'a pas systématiquement pour conséquence d'affaiblir l'estime de soi, même s'il s'agit fort vraisemblablement de la première répercussion que l'on pourra constater. Cela dit, chaque cas doit être examiné de façon individuelle. S'il y a une chose que j'ai apprise dans ce domaine, c'est qu'il n'existe aucune solution miracle, et que chaque cas constitue un cas d'espèce.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup de votre exposé. Il semble que tout le monde s'entend pour dire que le groupe des élèves de septième, de huitième et de neuvième année est celui où l'on constate le plus grand nombre de problèmes. La plupart des témoins que nous avons entendus ont dit une chose semblable.
Le comité se penche sur l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, et se demande quoi faire pour y donner suite. Je vais vous lire une phrase tirée de cet article :
Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales [...]
Selon la convention, la cyberintimidation constitue une forme de violence mentale.
Vous avez beaucoup parlé de la science et de l'art, et de toute évidence, nous sommes tous d'accord là-dessus. La solution réside non pas dans une science irréprochable ou un art parfait, mais dans une combinaison des deux.
Mes collègues et moi aimerions savoir si le comité peut formuler une quelconque recommandation de nature législative à l'intention du Parlement. Par exemple, devrions-nous envisager de rendre obligatoire, aux termes du Code criminel, l'adhésion de chaque conseil scolaire aux pratiques exemplaires ou à certaines règles ou lignes directrices? Devrions-nous, par exemple, proposer l'instauration d'une sanction qui serait imposée aux personnes qui ne prennent aucune mesure pour mettre fin aux actes de cyberintimidation dont est victime un enfant placé sous leur surveillance et dont ils ont été informés? Je présume que mes collègues seraient intéressés à entendre ce que vous avez à dire sur des choses de ce genre. Y a-t-il quelque chose que nous pouvons ou devrions faire sur le plan législatif?
Mme Daniels : À coup sûr, il s'agit d'une chose dont j'ai beaucoup discuté avec mes étudiants des cycles supérieurs en vue de la présente réunion.
Je travaille dans le secteur depuis longtemps, et j'étais ravie lorsque le ministre de l'Éducation de l'Ontario a exigé que chaque école de la province se dote d'un programme de lutte contre l'intimidation. Pour qu'une telle initiative puisse être mise en oeuvre, il faudra du financement et de nouvelles lignes directrices. Cela dit, à mes yeux, il s'agit d'un pas en avant.
Le Canada est désavantagé par rapport à d'autres pays — la Norvège, la Finlande, la Suède, l'Angleterre et l'Australie — qui ont obtenu de bien meilleurs résultats et qui disposent de programmes nationaux de lutte contre l'intimidation depuis près de 20 ans. Ici, une telle initiative est quelque peu entravée par le fait que l'éducation est un domaine de compétence provinciale, de sorte que chaque province fait quelque chose de différent.
J'hésite à préconiser une démarche punitive. Nous avons tenté d'adopter des démarches de cette nature, et elles se sont révélées peu fructueuses. En Ontario, on a adopté une politique de tolérance zéro, et même si le nombre de suspensions a augmenté de façon spectaculaire, le nombre de cas d'intimidation n'a pas diminué. Par conséquent, j'hésite à prôner une démarche de nature punitive. Je ne suis pas politicienne, et je ne sais donc pas exactement quoi penser d'une démarche législative. Toutefois, il est important d'indiquer clairement que, au Canada, l'intimidation est une préoccupation sur laquelle on doit se pencher.
Mme Hymel : J'ai tendance à être d'accord avec Mme Daniels; je ne suis pas convaincue que les démarches punitives fonctionnent. En outre, je tiens à mentionner que, en fait, nous disposons déjà, dans d'autres domaines, de politiques de cette nature, et qu'elles ne sont pas nécessairement fructueuses.
Cela dit, même si je suis d'accord avec ce que nous avons déjà mentionné, à savoir que nous avons besoin d'un plus grand nombre de programmes d'éducation et de formation, je crois qu'il faudrait également que l'on fasse une priorité de la lutte contre l'intimidation dans les écoles. À mon avis, ce que Mme Daniels a dit à propos du fait que l'éducation est un domaine de compétence provinciale a un certain sens. Ici, en Colombie-Britannique, en 2010, le ministère de l'Éducation a fait de la responsabilité sociale une compétence essentielle, au même titre que la lecture, l'écriture et la numéracie. Deux ou trois ans plus tard, le même ministère a exigé que les écoles fassent de la reddition de comptes; pour l'essentiel, chaque année, elles doivent prouver qu'elles prennent des mesures relatives à la lecture, à l'écriture, à la numéracie et à la responsabilité sociale.
En substance, cela a contraint les écoles à commencer à se pencher sérieusement et directement sur ce qui se passe. Quant à nous, nous avons participé à un bon nombre de travaux en collaboration avec les écoles afin de repérer les cas d'intimidation et de déterminer si leur nombre a diminué.
Ce que j'ai pu observer, c'est que l'on doit se mettre à collaborer avec les écoles et leur fournir chaque année des renseignements à propos des effets négatifs, positifs ou nuls des mesures qui ont été prises — il faut leur donner du matériel sur lequel ils peuvent s'appuyer. Dans bien des cas, les administrations sont déjà très motivées à l'idée de faire quelque chose pour améliorer la situation dans les écoles.
Nous avons mené des évaluations pendant deux ans dans un certain nombre d'écoles primaires. Il y a six mois, j'ai fourni aux écoles une rétroaction à propos de ce qui s'est passé au cours de ces deux années. Bon nombre de directeurs d'école étaient terrassés d'apprendre que la situation ne s'était pas améliorée, et ce, même s'ils avaient l'impression d'avoir fait bien des choses positives. Le seul fait d'apprendre cela les a vraiment incités à intensifier leurs efforts, à examiner la situation, à tenter d'en faire davantage et à ne pas se contenter de mesures superficielles.
Par conséquent, je crois assurément qu'il convient d'adopter une stratégie qui consisterait en quelque sorte à donner aux écoles les moyens d'agir et à exiger qu'elles rendent des comptes.
De plus, si l'on veut réellement rendre les jeunes responsables de leur propre comportement, nous devons abandonner la démarche punitive au profit de pratiques de justice réparatrice. En tant que parent et éducatrice, j'ai pu constater que, dans bien des cas, les mesures punitives ont pour effet d'apprendre aux jeunes la manière dont ils doivent s'y prendre pour s'en tirer et ne pas se faire prendre. Je ne suis pas certaine que cela fonctionne de la même façon pour les adultes. À mon avis, les pratiques de justice réparatrice — dans le cadre desquelles on doit racheter le tort qu'on a causé à une personne — parviennent beaucoup mieux à amener les jeunes à comprendre les répercussions qu'a leur comportement sur les autres.
Mme Meyer : Pour faire suite à la recommandation que j'ai formulée plus tôt, je dirais que, à mon avis, pour permettre à beaucoup d'administrateurs d'y voir plus clair, il faudrait que l'on puisse énoncer clairement qu'il revient aux écoles de prendre des mesures à l'égard des cas de cyberintimidation qui ont une incidence négative sur la communauté d'un établissement, surtout dans les cas où une administration estime que ce n'est pas à elle de prendre de telles mesures puisque l'acte a été commis à l'extérieur du périmètre de l'école, qu'il n'avait aucun lien avec une activité de l'école et que le responsable a utilisé son propre matériel pour le commettre. Il faut que le gouvernement fédéral indique clairement ce qui relève de la compétence des écoles en matière de cyberintimidation. Cela fournirait une orientation aux ministères, et permettrait une mise en oeuvre à l'échelle du pays.
En outre, si je veux que nous nous abstenions de prendre d'autres mesures punitives, c'est parce que nous savons que les politiques de tolérance zéro sont exagérément axées sur les jeunes d'une minorité visible. Les jeunes gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres subissent parfois les conséquences de ces mesures punitives plus sévères. Lorsque l'on adopte des dispositions législatives obligeant tout le monde à adopter de nouvelles politiques, bien souvent, cela est assimilable à un coup d'épée dans l'eau — on apporte des changements en surface, mais rien ne change dans les écoles.
Cela nous ramène à la technique du bâton et de la carotte : le bâton, ce sont les mesures législatives, et la carotte, c'est le financement. Si l'on peut, au moyen de mesures d'incitation, donner aux écoles l'occasion de lancer des projets de recherche ayant une orientation pratique dans le cadre desquels elles s'évalueront elles-mêmes au fil des ans et mettront en oeuvre certains changements durables — de manière à ce que les résultats découlant des projets menés pendant deux ou trois ans deviennent un élément essentiel de la communauté d'une école donnée, et ne soient pas tout simplement oubliés —, nous accroîtrons nos chances d'obtenir quelques succès durables.
Comme Mme Hymel l'a souligné, il n'existe pas de solution miracle qui convienne à tous. Le pays est extrêmement divers, et chaque école, chaque arrondissement scolaire et chaque communauté scolaire est unique. Par conséquent, nous devons donner aux éducateurs de chaque région, aux familles et aux chefs de file communautaires les moyens d'évaluer leurs propres besoins, de formuler les choses à leur façon et de fixer leurs priorités en fonction des caractéristiques de leur collectivité, et ce, à l'intérieur d'un cadre axé sur les droits de la personne. Une certaine initiative législative pourrait être prise, et fournir un exemple de libellé d'une politique touchant les classes énumérées et protégées. Grâce à des recherches menées aux États-Unis, nous savons que cela permet de changer les choses. Si l'on n'indique pas clairement qu'il s'agit d'une classe protégée contre l'intimidation et le harcèlement en bonne et due forme, il est plus probable qu'improbable que l'on ferme les yeux sur le problème, qu'on le minimise et qu'on ne le règle pas.
Nous savons aussi que le temps de réaction a une importance. Comme un sénateur l'a mentionné plus tôt, si on attend 15 ou 30 jours avant de réagir, l'effet de l'intervention sur les personnes responsables sera moindre. De plus, il est important que, après qu'une nouvelle politique a été mise en place, on poursuive sa mise en oeuvre pendant trois à cinq ans, et qu'elle fasse continuellement l'objet d'une évaluation durant cette période.
Si l'on peut indiquer clairement à quoi devrait ressembler une bonne politique de lutte contre l'intimidation, on pourra offrir une orientation efficace aux écoles du pays afin de les amener à procéder à ces changements, mais il faut qu'elles le fassent de leur propre initiative, et non pas pour donner suite à des directives venant d'en haut. Ainsi, les changements de politique ont une réelle incidence sur la vie des enfants d'une école.
La présidente : Madame Daniels, vous avez mentionné quelques pays qui ont déjà été mentionnés dans le passé. Ce qu'on a répliqué à ceux qui s'appuyaient sur ces exemples, c'est que ces pays sont plus homogènes que le Canada, qui présente une plus grande diversité et a donc davantage de problèmes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus long sur cette question, c'est-à-dire sur le fait que les pays que vous avez mentionnés ont tendance à être plus homogènes que le nôtre?
Mme Daniels : Oui, j'imagine que c'est le cas. À mon avis, les problèmes dont j'ai entendu parler sont liés non pas tant au caractère multiculturel de la population canadienne qu'à la taille de notre pays, laquelle pose de grandes difficultés. Je sais que, à l'heure actuelle, la Finlande exécute ce qui constitue probablement l'un des meilleurs programmes de lutte contre l'intimidation du monde. Ce programme — le programme Kiva a été mis en place dans chaque école du pays, et est financé par le gouvernement. Il s'agit de deux énormes avantages.
À mes yeux, la principale difficulté tient non pas tant au caractère multiculturel de la population canadienne — même si, selon moi, cela pose des difficultés — qu'au fait que nous avons besoin d'une stratégie nationale. À ce moment-ci, ce sont les provinces qui prennent des mesures pour lutter contre l'intimidation, et elles varient beaucoup d'une province à l'autre. L'Ontario est en train d'aller de l'avant avec un programme de lutte contre l'intimidation; en Colombie-Britannique, un tel programme est en place depuis un certain temps, et des progrès ont été réalisés.
Il semble que, dans toutes les régions du pays, nous tentons de réinventer la roue, et cela est dommage. J'estime que, à ce moment-ci, ces éléments posent d'importants problèmes.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup de votre intervention.
Il semble qu'aucune d'entre vous ne soit disposée à appuyer des mesures punitives qui seraient inscrites, par exemple, dans le Code criminel.
Permettez-moi de vous poser la question suivante : que diriez-vous, par exemple, si l'on envisageait d'apporter des modifications à la Loi canadienne sur la santé de manière à ce que les gouvernements fédéral et provinciaux se partagent les responsabilités? On a fait allusion à la santé mentale des enfants. Y aurait-il lieu de modifier la loi de manière à faire en sorte que les provinces respectent les dispositions de l'article 19 de la Convention relative aux droits de l'enfant?
Le Canada a approuvé et adopté cette convention. Par conséquent, il doit respecter chacune de ses dispositions. Pour ma part, j'affirme qu'il ne le fait pas, car chaque témoin qui s'est présenté devant le comité a dit la même chose : le problème existe toujours. Nous ne parvenons pas à le régler en raison de la diversité et des multiples administrations du pays, et parce que la convention n'a pas force obligatoire. Le Canada n'a toujours pas souscrit à un certain nombre de règles; pourtant, la convention est très claire, et énonce ce que nous devons faire sur les plans législatif, administratif, social et éducatif. D'une façon ou d'une autre, nous avons fait ce qu'il fallait à l'égard de deux critères, mais rien à propos du troisième. J'aimerais que vous me disiez s'il existe une possibilité à ce chapitre.
Mme Daniels : Il est important que nous envoyions un message clair aux gouvernements fédéral et provinciaux. Je serais très favorable à cela.
Mme Hymel a dit que nous devions mettre l'accent sur les activités de suivi et de surveillance du climat régnant dans les écoles; j'estime que cela serait utile et important dans la mesure où cela donnerait aux écoles la possibilité de prendre des initiatives taillées sur mesure pour s'attaquer au problème, tout en assumant une responsabilité en matière de suivi et de surveillance.
Jeudi dernier, je me trouvais dans une école où nous menions une activité de suivi en ce qui concerne le nombre de cas d'intimidation; au cours de l'année, ce nombre a diminué de moitié. Dans les corridors étaient affichés de grands tableaux et des messages de félicitations s'adressant aux enfants. Cela a eu un effet convaincant sur eux, et les a également beaucoup motivés.
Mme Hymel : Votre question porte sur ce que nous devons faire pour assurer la conformité.
À ma connaissance, tout le monde veut se conformer. Là n'est pas le problème. Je ne pense pas que nous ayons nécessairement besoin de nouvelles dispositions législatives pour accroître la conformité. Ce dont nous avons besoin, c'est de compétences, d'outils, de programmes de formation et d'employés adéquats. Cela nous permettrait d'être plus efficaces au moment de dispenser davantage de programmes d'éducation et de formation et d'offrir aux écoles un plus grand nombre d'occasions et d'employés pour véritablement régler le problème, et également d'offrir aux administrations l'occasion de suivre l'évolution de ce qui se passe vraiment au sein de leur établissement, et les moyens de le faire.
Ce que j'ai pu observer, c'est que les écoles sont plus que disposées à se conformer lorsque, en tant que partenaires, nous leur fournissons régulièrement ces renseignements. Le hic, c'est qu'elles ne savent pas nécessairement comment elles doivent s'y prendre pour y donner suite de la meilleure manière possible, ou qu'elles ne disposent pas du personnel requis à cette fin.
Je tiens également à rappeler au comité que l'on doit également tenir compte de questions réelles liées au développement. Partout dans le monde, on a constaté que l'intimidation atteignait son paroxysme dans le groupe des enfants de septième, huitième, neuvième et 10e années. Nous savons que ces enfants sont en cours de développement. Je ne pense pas que nous parviendrons jamais à éradiquer totalement l'intimidation. Nous pouvons réduire le nombre de cas, mais nous n'éliminerons jamais l'intimidation, car elle découle en partie de l'apprentissage du pouvoir que font les enfants à cet âge. Cela ne veut pas dire que nous devons les laisser faire et leur permettre de se faire des choses terribles les uns les autres. Nous pouvons assurément réduire le nombre de cas d'intimidation. Toutefois, comme Mme Daniels et moi-même l'avons dit précédemment, si nous voulons vraiment mettre fin à l'intimidation, nous devons commencer à éduquer les gens et à mettre en place les mécanismes requis. Pour faire disparaître l'intimidation, nous devons non pas créer de nouvelles lois, mais donner aux écoles la possibilité de le faire et les moyens dont elles ont besoin à cette fin.
Mme Meyer : Le fait de modifier cette loi et de veiller à ce qu'elle énonce expressément que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer serait bénéfique dans la mesure où cela procurerait du soutien et de la coordination aux provinces. Oui, l'éducation est un domaine de compétence provinciale, mais cela ne signifie pas que le gouvernement fédéral ne peut pas offrir un soutien financier et de l'expertise ou prendre des mesures de coordination pour faire en sorte que les ministères et les arrondissements et les conseils scolaires aient accès à ces renseignements et prennent le temps de coordonner leurs efforts, de diffuser l'information et d'encourager le type de changement à l'échelon local qui doit survenir si nous voulons que les écoles changent de façon durable. Nous savons que, même au sein d'un seul et même arrondissement ou conseil scolaire, la situation varie énormément d'une école à l'autre, en fonction des dirigeants et des valeurs de chaque collectivité.
Il faut que le gouvernement fédéral joue un rôle de chef de file. Il est important qu'il trouve des façons d'établir clairement des partenariats avec les provinces afin de leur offrir du soutien, mais comme Mme Hymel l'a si bien dit, il faut que les bonnes personnes disposent des ressources et des outils dont elles ont besoin. Ceux qui deviennent des éducateurs sont des gens qui se soucient des enfants. Ils feront ce qu'il convient de faire si nous mettons en place le cadre qui rend cela possible.
Le sénateur Brazeau : Comme nous devons nous pencher sur la cyberintimidation, ma question portera principalement sur les médias sociaux. De toute évidence, la cyberintimidation présente de nombreuses similitudes avec les formes classiques d'intimidation. L'une des choses qui les distinguent tient à ce que chaque adolescent peut afficher sur n'importe quel média social ou blogue des commentaires de toutes sortes à propos d'une personne, et ce, de façon anonyme.
Pour l'essentiel, un jeune peut se rendre sur l'un de ces médias sociaux, créer un pseudonyme et écrire une foule de choses méchantes à propos d'un autre jeune, et demander à ses amis de faire la même chose, de façon anonyme, de manière à ce que la victime ait l'impression d'être visée personnellement par une attaque collective. Je me rappelle comment les choses se passaient lorsque j'étais plus jeune. Bien entendu, Facebook et les autres médias sociaux n'existaient pas à l'époque. Les médias sociaux constituent l'univers dans lequel évoluent bon nombre de ces jeunes. Tout ce qui est affiché sur ces sites est en quelque sorte parole d'évangile, si je peux dire.
À votre avis, est-ce que le fait que les jeunes peuvent aujourd'hui se servir d'Internet pour faire paraître anonymement sur des médias sociaux des propos méchants à propos d'autres personnes contribue-t-il à accroître le taux de cyberintimidation?
Mme Daniels : J'ignore si cela contribue à l'augmentation du taux de cyberintimidation. Ce que je sais, c'est qu'il s'agit de l'une des choses qui posent le plus de problèmes aux victimes, car elles ont l'impression que le monde entier prendra connaissance des propos publiés à leur sujet, et qu'il n'existe aucune façon de les faire disparaître. Si quelqu'un écrit quelque chose de méchant sur un bout de papier, on peut le déchirer et le jeter à la poubelle. Toutefois, les propos publiés sur Internet ne peuvent pas être retirés. Je sais que les victimes disent que cela est extrêmement perturbant pour elles.
Ceux qui soutiennent ces sites sur lesquels on peut s'exprimer de façon anonyme, ce sont ces jeunes qui ouvrent une session et cliquent sur la touche « J'aime », « Commenter », et cetera. Nous devons apprendre à nos jeunes à ne pas soutenir les sites de ce genre. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il est excessivement difficile de faire retirer ces messages; il est extraordinairement difficile d'y faire face, et ils sont particulièrement nuisibles. Nous devons prendre une foule de mesures pour éduquer les gens à propos des effets nuisibles de la cyberintimidation, car il s'agit d'un autre aspect du phénomène qui a été mis en évidence, à savoir que les personnes qui commettent des actes de ce genre ne savent pas à quel point ils ont des conséquences nuisibles. Si vous intimidez un camarade de classe, vous pouvez voir à quel point il est troublé ou bouleversé, ce que vous ne pouvez pas voir lorsque vous utilisez les médias sociaux pour pratiquer l'intimidation.
Mme Meyer : L'anonymat que procure Internet crée certainement des problèmes non seulement pour les jeunes, mais pour tout le monde. Lorsqu'ils sont frustrés, les adultes ont parfois de la difficulté à rédiger un courriel respectueux, car le fait de se trouver seuls devant un écran leur permet de dire des choses qu'ils ne diraient pas s'ils se trouvaient face à face avec leur interlocuteur. Le fait de pouvoir se créer un pseudonyme procure un sentiment de puissance supplémentaire, car on sait que la personne à qui l'on s'attaque ne peut pas nous identifier, ce qui rend le message beaucoup plus intimidant — la victime ne sait pas qui est à l'origine de ces messages orduriers ou effrayants.
À mes yeux, il s'agit là de l'une des autres énormes tâches auxquelles devra s'atteler le gouvernement fédéral — il doit être en mesure de faire de la surveillance et de contribuer aux enquêtes touchant les cas de cyberintimidation, car c'est ce que les services policiers locaux ne réussissent pas à faire. Ils ont de la difficulté à mettre un doigt sur les fournisseurs d'accès Internet et à mettre fin aux activités d'un site web. Si le gouvernement fédéral aidait chaque province à faire face aux situations de ce genre, on pourrait, du moins je l'espère, aider les écoles à prendre des mesures proactives pour mettre fin aux activités de ce type de sites, bloquer l'accès à ces sites ou les obliger à retirer leur contenu choquant.
Les activités d'initiation à la culture médiatique et numérique dont on a parlé sont également essentielles au moment d'amener les gens à comprendre l'utilisation appropriée et respectueuse que l'on doit faire des médias sociaux. En outre, il faut apprendre aux gens que, lorsqu'un différend les oppose à quelqu'un, ils doivent non pas diffuser anonymement en ligne des propos incendiaires à leur sujet, mais trouver un moyen sain ou plus proactif de régler le problème. À cet égard, les écoles ont assurément un rôle à jouer.
Mme Hymel : Je suis tout à fait d'accord avec mes collègues. Oui, à coup sûr, comme le sénateur l'a avancé, n'importe qui peut causer du tort aux autres en utilisant les médias sociaux. De plus, il est vrai que les pairs peuvent favoriser un tel comportement ou accroître la probabilité qu'il soit adopté. Ce qui est important, c'est d'éduquer les enfants de manière à ce qu'ils ne veuillent pas intimider leurs pairs, ce qui suppose qu'ils puissent voir qu'il existe d'autres solutions, et que ceux qui sont témoins d'actes d'intimidation ne se prêtent pas aux manoeuvres de ceux qui les commettent. Selon quelques recherches portant sur les formes plus classiques d'intimidation, les pairs peuvent aussi mettre fin aux actes d'intimidation, et suggérer à celui qui envisage de poser de tels actes d'y renoncer.
Je crois que nous devons aller plus loin et intervenir de façon plus précoce. Nous voulons faire en sorte que les enfants refusent l'intimidation et comprennent les répercussions négatives de leur comportement. De plus, nous devons réfléchir davantage aux modèles de comportement que nous présentons aux jeunes. Je ne suis pas certaine de savoir comment nous pouvons nous y prendre pour régler ce problème. Il me semble que les enfants ont beaucoup appris des adultes en ce qui concerne la manière de harceler quelqu'un d'autre. Il y a plusieurs choses que nous pouvons faire pour réduire au minimum la probabilité qu'un enfant en intimide un autre.
Le sénateur Brazeau : Dans quelle mesure les fournisseurs de services Internet, les sites de réseautage social et les gouvernements devraient-ils participer à l'élaboration de campagnes de sensibilisation du public à l'égard de la cyberintimidation, et tenter de dissuader les gens de diffuser sur les médias sociaux des propos de façon anonyme?
Je sais que ma question est probablement de nature plus générale, mais croyez-vous qu'il serait possible de promulguer des dispositions législatives qui interdiraient purement et simplement aux gens de diffuser anonymement des messages sur les médias sociaux?
Mme Daniels : Il y a quelque chose que j'aimerais ajouter en réponse à la question précédente, et je crois que cela nous mènera à celle que vous venez de poser. Christina Salmivalli, qui dirige le programme KiVa en Finlande, a mené une recherche intéressante qui montre que ce qui nous permet de prédire l'incidence des actes d'intimidation au sein d'une classe, c'est non pas le caractère des enfants en tant que tel, mais l'attitude des pairs, de même que les croyances et les normes qui ont cours au sein de l'école et de la classe. Le nombre d'actes d'intimidation sera considérablement plus élevé au sein d'une école où l'attitude et les croyances à l'égard de l'intimidation sont positives. Le facteur essentiel tient non pas aux caractéristiques de chaque enfant, mais à celles de l'environnement social — il s'agit de savoir si cet environnement favorise et admet les comportements de ce genre. Il s'agit d'un élément important à prendre en considération au moment où nous nous penchons sur les mesures à prendre à l'égard des sites que l'on peut fréquenter de façon anonyme.
Je vous ai parlé du fait que des filles de niveau secondaire m'avaient envoyé un message pour m'informer du fait que certaines pages du site Facebook étaient déplaisantes, et me demander de faire quelque chose à ce propos. Le temps que je me rende en ligne pour voir de quoi il retournait et que je communique avec quelqu'un, deux de ces pages avaient été supprimées, car on avait fait passer le mot que quelqu'un faisait quelque chose.
J'ai lu la transcription du témoignage qu'ont présenté devant le comité des représentants du Réseau Éducation- Médias la semaine dernière. Je suis consciente du fait qu'il existe des directives et des règles en ce qui concerne ce qui peut être affiché ou non, mais que, la plupart du temps, on ne s'assure pas vraiment qu'elles sont respectées. Nous pourrions peut-être surveiller de plus près ces sites pour nous assurer que les règles sont respectées. L'idée d'interdire aux enfants d'afficher des messages anonymes n'est pas mauvaise, à mon avis. Je ne sais pas exactement ce que cela suppose sur le plan logistique pour les fournisseurs de services.
Le sénateur White : En Ontario, dans quelques conseils scolaires — plus particulièrement le conseil des écoles catholiques et publiques d'Ottawa et de Trenton et le conseil scolaire du district de Durham —, le recours à des pratiques de justice réparatrice a donné d'excellents résultats sur le plan de la lutte contre l'intimidation. En fait, on fait valoir que la formation de l'ensemble du personnel, des enseignants, des conseillers et des directeurs, de même que des bénévoles, a entraîné une réduction du taux de récidive chez certains jeunes. En outre, on avance que, vu qu'il s'agit d'un processus auquel participent les pairs, il s'agit d'une initiative plus globale que quelques-unes de celles auxquelles j'aurais pu avoir recours.
Avez-vous constaté cela quelque part? S'agit-il d'une chose que vous considérez comme une pratique exemplaire?
Mme Daniels : Oui, nous constatons que, de façon générale, les conseils scolaires ont de plus en plus recours aux pratiques de justice réparatrice. Je mène des travaux au sein du conseil des écoles catholiques du district de Carleton, dans l'Est de l'Ontario, où toutes les écoles utilisent les pratiques de justice réparatrice. Il s'agit d'une démarche adoptée à l'échelle du conseil — et je crois que cela est important —, et cela semble bien fonctionner.
À mes yeux, ce type de solutions dirigées par les pairs sont très importantes. Comme vous, j'ai entendu de nombreux chercheurs dire qu'ils consacraient leur vie à étudier le sujet, et qu'ils avaient acquis une bien meilleure compréhension des problèmes, de la manière de les régler et de la meilleure façon d'y faire face.
En outre, en ce qui concerne les conséquences formatrices, il faut souligner que, bien souvent, les jeunes qui commettent des actes d'intimidation ont une foule d'aptitudes au commandement, et peuvent avoir des aptitudes sociales. Nous devons amener ces jeunes à canaliser les aptitudes de ce genre de manière à ce qu'ils s'en servent plutôt pour jouer un rôle de mentor.
J'ai souvent constaté que cela fonctionne très bien avec les jeunes enfants de 5e ou de 6e années. On a dû mettre en place un programme pour enseigner aux enfants du primaire ce qu'ils doivent faire s'ils sont victimes d'intimidation dans la cour de récréation. Cela s'est révélé extrêmement efficace au moment de réduire le nombre de cas d'intimidation et de renforcer les compétences de ces jeunes.
Le sénateur White : Les administrations des écoles pourraient également faire valoir qu'elles n'ont généralement pas l'occasion de s'occuper elles-mêmes du renforcement des aptitudes en matière de résolution de conflits. En outre, le fait de devoir rendre des comptes à un pair a une incidence plus importante sur un jeune que le fait d'avoir à rendre des comptes à une personne en position d'autorité — on a constaté cela également dans d'autres pays où l'on a eu recours à la justice réparatrice.
Mme Daniels : Oui. Nous devons prendre garde de ne pas confondre les situations où les enfants s'entendent en quelque sorte sur un pied d'égalité et ont la capacité de régler eux-mêmes leur différend avec les situations où la personne qui pratique l'intimidation a un ascendant considérable sur sa victime — dans de tels cas, on a souvent erré en jugeant que les enfants devaient régler eux-mêmes leur différend. Oui, ils doivent le faire, mais nous devons les soutenir et les appuyer.
Le sénateur White : Dans le cadre d'une séance de justice réparatrice, le responsable n'est pas seul face à sa victime; il est seul face à un groupe.
Mme Daniels : C'est exact.
Le sénateur Zimmer : Lorsque j'ai levé la main, c'était pour demander au page de m'apporter un mouchoir. Toutefois, ici, les choses se passent comme pendant une vente aux enchères : si vous levez le doigt pour vous gratter le sourcil, votre enchère est acceptée.
Ma question fait suite à celle posée par le sénateur. Dans mon temps, les enfants ou les élèves qui signalaient des actes d'intimidation étaient qualifiés de mouchards. Lorsque l'enseignant ou le directeur s'adressait à l'élève qui avait commis l'acte en question, celui-ci répondait : « Oui, je vais changer » et tout le bataclan. Toutefois, à la fin de la journée, lorsque vous rentriez à la maison, on vous attrapait et vous amenait dans la ruelle.
Tout d'abord, est-ce que l'un ou l'autre des rapports que vous avez consultés mentionnent cela? Le cas échéant, comment régler cela? Plutôt que de régler le problème, cela ne fait qu'empirer les choses.
Mme Hymel : Merci d'avoir soulevé cette question. Hélas, cette croyance selon laquelle on ne doit pas dénoncer ou moucharder est très répandue. À coup sûr, dans le cadre de bon nombre de programmes d'intervention, on a tenté d'enseigner aux enfants la différence entre le signalement et le mouchardage. Par exemple, même si, à certains égards, les travaux qu'a menés Barbara Coloroso me posent certains problèmes, je dois souligner qu'elle enseigne la différence entre le mouchardage et le signalement, et qu'elle dit des choses merveilleuses à ce sujet. L'un des programmes de lutte contre l'intimidation élaborés par le ministère de l'Éducation de la Colombie-Britannique comporte un beau volet où l'on enseigne la différence entre le mouchardage et le signalement.
Hélas, je crois que vous avez raison lorsque vous dites que cela représente toujours un problème pour les enfants, et que les adultes leur enseignent à ne pas moucharder. À mon avis, cette vision des choses est très répandue. Toutefois, des efforts sont déployés pour lutter contre cela; dans le cadre de quelques programmes de formation, on tente essentiellement d'enseigner aux enfants la différence entre les deux. Pour changer les choses à cet égard, je préconise l'éducation.
Mme Meyer : Il s'agit d'un problème qui a été soulevé lorsque j'ai mené ma recherche auprès d'enseignants. Ceux-ci ont indiqué qu'ils ne savaient absolument pas quoi faire, parce qu'ils ne voulaient pas aggraver la situation — en effet, s'ils punissent le responsable, la victime risque de subir de nouveaux actes d'intimidation. Là encore, j'estime que toute initiative efficace de lutte contre l'intimidation doit parvenir à transformer cette mentalité qui consiste à confondre signalement et mouchardage.
Les exemples que Mme Hymel vient de mentionner sont essentiels au moment d'aider les élèves à saisir la différence, et d'amener les enseignants à faire office de modèles de comportement et à réagir efficacement, car si l'on ne dispose pas d'une compréhension commune et d'un vocabulaire commun, la communauté scolaire ne sera pas capable de mener une intervention holistique. Il faut tenir compte de ce qui se passe après l'école, des mesures de représailles dans la ruelle, mais comme le sénateur White l'a souligné, si l'on mobilise les jeunes au moyen de la justice réparatrice, et si l'on fait participer l'ensemble du personnel à toutes les interventions, on obtiendra de bien meilleurs résultats que si l'on tente de régler des problèmes isolés à mesure qu'ils surviennent.
Mme Daniels : J'ajouterais que l'un des éléments de bon nombre de programmes fructueux de lutte contre l'intimidation est le signalement anonyme, officiel ou non. Cela contribue à dissiper quelques-unes des préoccupations. Je suis d'accord avec Mme Meyer pour dire que, pour l'essentiel, nous devons fixer une attente, à savoir que nous sommes responsables les uns des autres, et devons instaurer un climat de bienveillance réciproque. En outre, la salle de classe doit être vue comme un lieu communautaire où l'objectif de chacun consiste à veiller à la sécurité des autres.
Le sénateur Zimmer : Y a-t-il des différences en fonction du sexe et de l'âge? Quelle raison les personnes qui commettent des actes d'intimidation invoquent-elles pour justifier leur comportement?
Mme Daniels : Vous voulez savoir si l'âge et le sexe ont une incidence sur la perpétration d'actes d'intimidation?
Le sénateur Zimmer : Oui.
Mme Daniels : En général, il y a toujours eu autant d'actes d'intimidation chez les garçons que chez les filles, et ce, peu importe la forme d'intimidation — physique, sociale ou verbale. En outre, on constate que, même si l'écart n'est pas très important, les filles sont peut-être un peu plus souvent victimes d'actes de cyberintimidation que les garçons, mais pour ce qui est de la perpétration, elle semble être le fait des garçons et des filles à parts égales. L'incidence des actes d'intimidation a tendance à atteindre son paroxysme en septième, en huitième et neuvième années.
Le sénateur Zimmer : Quelle raison les intimidateurs invoquent-ils pour justifier leur comportement?
Mme Daniels : Bon nombre des travaux que je mène portent sur l'intimidation sociale et les motifs qu'invoquent les filles pour la pratiquer. En général, les motifs ont trait au pouvoir, au contrôle, au statut social et à l'intérêt personnel. Les enfants qui pratiquent l'intimidation sociale plutôt que l'intimidation physique mentionnent qu'ils le font parce qu'il s'agit d'une forme d'intimidation moins visible et qu'ils y ont recours parce qu'ils craignent beaucoup de se faire prendre. En outre, ils tentent d'entretenir leur relation avec le reste de leur groupe de pairs.
En ce qui concerne les filles, nous constatons que l'intimidation sociale découle de questions liées à des attentes irréalistes en matière d'amitié, à une grande jalousie et à des désirs d'exclusivité.
Mme Hymel : Il s'agit d'une chose que nous avons commencé à examiner dans le cadre de notre recherche sur le désengagement moral. Nous avons constaté, en nous fondant sur une théorie du désengagement moral qu'a élaborée Albert Bandura au cours d'une étude sur les soldats et les terroristes, que les enfants parvenaient très bien à justifier leur comportement. Nous avons observé deux choses. Tout d'abord, bon nombre d'enfants ne sont pas conscients du fait que les actes qu'ils posent sont des actes d'intimidation; ainsi, une partie du problème découle entièrement d'un manque de connaissances. Dans de nombreux cas de ce genre, nous avons été en mesure de faire observer à ces enfants les répercussions de leur comportement.
En outre, il est vrai qu'une multitude d'enfants peuvent justifier et rationaliser leur comportement, par exemple en disant qu'il est admissible de s'en prendre aux perdants. Quelque 25 p. 100 des enfants que nous avons interrogés étaient d'accord avec cela. Les enfants peuvent également se justifier en faisant valoir que la plupart des élèves qui sont victimes d'intimidation l'ont bien cherché. Nous constatons que la mesure dans laquelle les enfants peuvent justifier ce comportement varie énormément d'une école à l'autre. Ils disent aussi : « Je ne l'intimidais pas, je tentais de lui donner une leçon », ou bien « Je ne l'intimidais pas, je tentais de lui faire comprendre ce qui est important pour le groupe ».
Dans bien des cas, les enfants croyaient cela; pour eux, il ne s'agit pas simplement d'excuses. Nous avons constaté qu'une faible proportion d'enfants estime qu'il s'agit de la façon de régler les problèmes.
Nous nous sommes penchés sur un incident mettant en cause deux jeunes garçons qui s'étaient unis pour s'en prendre à un enfant qui avait trois ans de moins qu'eux parce que celui-ci intimidait les frères de l'un des deux garçons. Ce qui s'est passé est fascinant : l'intention des deux jeunes était de mettre fin à l'intimidation, mais ils ont eu recours à l'intimidation pour le faire. Ces jeunes n'ont tout simplement rien compris.
Bon nombre de ces gamins ne sont pas capables de poser un regard sérieux sur leur propre comportement. Nous constatons que le degré de désengagement moral que ces enfants présentent à l'égard de leur comportement est un élément crucial qui nous fournit des indications à propos non seulement d'un enfant donné, mais également de l'environnement au sein duquel il évolue. Nous observons un nombre beaucoup plus élevé d'actes d'intimidation dans les classes ou les écoles où la plupart des enfants sont capables de faire preuve de désengagement moral, de croire que leur comportement est admissible ou qu'ils pratiquent l'intimidation simplement pour s'amuser. La mesure dans laquelle les gamins sont capables de faire preuve de désengagement moral constitue assurément un problème. En outre, il s'agit malheureusement d'un phénomène qui prend sa source dans le climat qui règne dans la salle de classe ou dans l'école.
Mme Meyer : Tout le monde s'entend pour dire que, en règle générale, c'est au cours de la puberté que ce type de comportement voit le jour et atteint son paroxysme. Ainsi, je m'intéresse plus particulièrement aux questions liées au genre et à la sexualité, et à l'incidence qu'ont ces facteurs sur les termes qu'emploient les intimidateurs et aux raisons pour lesquelles certaines personnes sont plus souvent victimes d'intimidation.
Les élèves sont très souvent pris pour cibles pour des raisons liées à l'orientation sexuelle — le fait d'être perçu comme gai, lesbienne ou bisexuel — et à l'expression sexuelle — le fait d'être considéré comme « masculin » par les autres garçons ou « féminine » par les autres filles. Les actes d'intimidation liés à de telles raisons sont souvent ceux auxquels le personnel enseignant prête le moins d'attention; ils ne sont même pas reconnus comme constituant des actes d'intimidation, car ils découlent d'une mentalité profondément ancrée dans la psyché et la culture de notre nation et au moyen de laquelle nous définissons ce que cela signifie d'être un garçon viril, populaire ou branché et une fille désirable, féminine et attrayante. Bien souvent, ce sont les adultes au sein de la collectivité qui établissent ces attentes liées au sexe et ces critères sexualisés, les transmettent et les renforcent. Nos jeunes assimilent ces attentes et critères, adoptent à leur tour le comportement qui en découle et commettent des actes d'intimidation à l'égard des autres, actes qui, bien souvent, ne sont pas considérés comme relevant de l'intimidation. Ces jeunes agissent de la sorte parce qu'ils prennent modèle sur les adultes, et que ces actes sont entièrement admis et tolérés. Ils n'ont même pas à justifier leurs actes parce que quelqu'un l'a déjà fait pour eux.
La présidente : Au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier toutes les trois. À coup sûr, vous nous avez beaucoup appris. Nous réfléchirons à bien des choses que vous avez dites. Merci d'avoir pris le temps de venir ici et de nous avoir présenté des exposés.
Nous n'avons malheureusement pas pu entendre aujourd'hui la représentante d'Égale Canada — le brouillard l'a empêchée de venir ici.
Je vais maintenant présenter les derniers témoins que nous entendrons aujourd'hui.
Nous accueillons Marla Israel, directrice générale par intérim, Centre pour la promotion de la santé, Agence de la santé publique du Canada; Erin Mulvihill, coordonnatrice, Section de mobilisation des jeunes de la GRC, Services nationaux de prévention du crime; l'inspecteur Michael Lesage, directeur général par intérim, Services nationaux de police autochtones, Gendarmerie royale du Canada; et enfin Daniel Sansfaçon, directeur, Politiques, recherche et évaluation, Centre national de prévention du crime, Sécurité publique Canada.
Nous vous souhaitons à tous la bienvenue ici aujourd'hui. Nous allons d'abord entendre Mme Israel.
Marla Israel, directrice générale par intérim, Centre pour la promotion de la santé, Agence de la santé publique du Canada : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis heureuse d'être ici avec vous ce soir.
Je m'appelle Marla Israel et je suis directrice générale par intérim du Centre pour la promotion de la santé de l'Agence de la santé publique du Canada.
Le mandat de l'Agence de la santé publique du Canada est de promouvoir la santé et de prévenir les maladies.
[Français]
L'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant met l'accent sur la nécessité des États membres de prendre les mesures appropriées afin de protéger les enfants contre toute forme de violence physique ou mentale, de blessures, de négligence et de mauvais traitements. Les répercussions de l'intimidation, y compris la cyberintimidation, font partie de ces enjeux et reflètent directement le mandat de l'agence.
[Traduction]
On ne comprend pas encore bien toutes les causes et les conséquences de l'intimidation et de ses répercussions, comme les troubles de santé mentale, un stress accru et une capacité émotionnelle réduite. C'est pourquoi j'attends avec impatience le rapport du comité à ce sujet.
L'intimidation est un grave problème de santé publique qui touche un grand nombre d'enfants et d'adolescents au Canada. Elle est souvent attribuable à un déséquilibre des rapports de force découlant d'avantages physiques, psychologiques, sociaux et systémiques, ou du fait que l'intimidateur utilise la vulnérabilité de la victime pour la harceler.
La cyberintimidation permet aux intimidateurs de se cacher derrière un écran et de continuer à proférer des menaces, à harceler et à exclure socialement la victime.
Les victimes de cyberintimidation peuvent être continuellement ciblées. Par exemple, une personne recevant des messages textes harcelants peut uniquement éviter son intimidateur en n'utilisant aucune forme de technologies. De plus, la cyberintimidation n'a pas lieu qu'à l'école, elle entre dans le foyer de la victime, un endroit où en temps normal elle trouverait refuge.
Dans le but de mieux comprendre l'intimidation, l'Agence de la santé publique du Canada appuie les activités de surveillance pour recueillir des données sur la santé des enfants canadiens. Une des études les plus importantes effectuées au cours des derniers mois est l'Enquête sur les comportements liés à la santé chez les enfants d'âge scolaire. Financée par l'Agence de la santé publique du Canada et dirigée par des chercheurs de l'Université Queen's, l'enquête, qui met pour la première fois l'accent sur la santé mentale, a permis de recueillir des renseignements précieux qui éclaireront l'élaboration de futures orientations stratégiques et initiatives de programmes pour d'autres ministères fédéraux et provinciaux, des éducateurs, des universitaires et des chercheurs.
Les données de l'Enquête 2010 sur les comportements liés à la santé chez les enfants d'âge scolaire montrent que 22 p. 100 des élèves au Canada âgés de 11 à 15 ans sont victimes d'intimidation, 12 p. 100 sont des intimidateurs et 41 p. 100 sont à la fois victimes d'intimidation et intimidateurs. Les taux de cyberintimidation sont à peu près les mêmes chez les filles de la sixième à la dixième année et augmentent légèrement chez les garçons; de 11 p. 100 en sixième année, le taux passe à 19 p. 100 en dixième année.
Certains groupes de la population sont plus susceptibles d'être victimes d'intimidation, tels que les lesbiennes, les homosexuels, les bisexuels ou les transgenres, ainsi que les personnes qui ont une incapacité, un surpoids ou qui sont obèses. Au Canada, l'intimidation se pratique le plus souvent en milieu scolaire et consiste habituellement en violence psychologique prenant la forme de moqueries, d'une exclusion ou de calomnies. Nos études révèlent que les enfants, tant intimidateurs que victimes, sont beaucoup plus à risque d'avoir des problèmes émotifs, comportementaux ou relationnels, au moment des faits et à long terme.
L'intimidation dans l'enfance peut mener plus tard dans la vie à la violence sexuelle, au harcèlement et à la violence dans les fréquentations amoureuses ainsi qu'à d'autres formes de violence, surtout chez les garçons. Les études révèlent, au sujet des effets physiques de l'intimidation, que les enfants qui en sont victimes se plaignent plus souvent de maux de tête, de maux de ventre, d'anxiété et de dépression. Les intimidateurs et les victimes sont plus nombreux à dire qu'ils ont des tendances suicidaires et sont plus à risque d'avoir des problèmes de fonctionnement scolaire, une opinion négative de l'école, de mauvaises notes et des problèmes d'absentéisme.
Les études révèlent également que des modifications durables du cerveau, qui affectent la concentration, la mémoire et l'apprentissage, peuvent être directement attribuées à l'intimidation.
[Français]
J'encourage le comité à lire le rapport de l'administrateur en chef de la santé publique sur l'état de la santé publique au Canada en 2011, lequel met l'accent sur les jeunes et les jeunes adultes. En particulier, le troisième chapitre touche aux conséquences de l'intimidation.
[Traduction]
Il n'y a pas de facteur unique déterminant qui sera victime ou quelle forme prendra la violence. Il est toutefois reconnu qu'une action efficace contre l'intimidation passe par la participation de nombreux acteurs, notamment les parents, les personnes qui s'occupent des enfants, les éducateurs et les collectivités. L'Agence de la santé publique du Canada favorise une approche multisectorielle de la lutte contre l'intimidation et la cyberintimidation. Par divers programmes, elle travaille à favoriser l'estime de soi, les relations saines ainsi que la santé mentale et à mieux faire comprendre l'importance des mécanismes d'adaptation positifs chez les enfants et les adolescents.
L'agence a investi, par l'intermédiaire de sa stratégie d'innovation, 27 millions de dollars dans des interventions communautaires visant à aider les enfants d'âge scolaire à développer des moyens de protection socioémotionnelle et à accroître leur estime de soi.
L'initiative WITS — acronyme anglais pour « éloigne-toi, ne t'occupe pas d'eux, parles-en et va chercher de l'aide » —, qui met en place, dans quatre provinces, des mesures de lutte contre l'intimidation, vise à réduire la victimisation par les pairs et à mettre un terme à l'intimidation chronique en renforçant la confiance des enfants et des adultes de sorte qu'ils interviennent plus activement dans les situations de conflits entre pairs et de victimisation.
En outre, on investit annuellement plus de 114 millions de dollars dans des programmes de promotion de la santé ciblant les enfants à risque et leur famille, ce qui comprend le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones dans les collectivités urbaines et nordiques, le Programme d'action communautaire pour les enfants et le Programme canadien de nutrition prénatale.
Nous appuyons également le Consortium conjoint pour les écoles en santé, qui regroupe les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux travaillant de concert à la promotion de la santé des enfants et des jeunes en milieu scolaire. Il dresse actuellement son plan de travail et prévoit privilégier fortement à l'avenir les messages positifs sur la santé mentale.
[Français]
L'agence dirige également l'initiative de lutte contre la violence familiale et, en collaboration avec des partenaires comme le Réseau pour la promotion des relations et l'élimination de la violence, facilite la diffusion de programmes de prévention de la violence fondés sur des données probantes sur son portail canadien des pratiques exemplaires.
[Traduction]
Enfin, l'agence fournit de l'aide et des conseils sur le site Canadiens en santé du gouvernement du Canada, lequel contient de l'information sur l'intimidation et des stratégies de prévention ou des mécanismes d'intervention relativement à cette pratique.
Dans le cadre de ces partenariats, l'agence collabore avec ses partenaires afin de promouvoir la prévention de la violence, d'encourager l'établissement de relations saines et de favoriser la santé mentale chez les jeunes Canadiens.
Je vous souhaite que tout aille pour le mieux d'ici la conclusion de votre étude et j'espère que cette information vous a été utile. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Inspecteur Michael Lesage, directeur général par intérim, Services nationaux de police autochtone, Gendarmerie royale du Canada : Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler des initiatives auxquelles la GRC a recours actuellement pour lutter contre la cyberintimidation.
La GRC estime que la sensibilisation et l'éducation sont les moyens à privilégier pour aider les jeunes, les parents, les enseignants et les policiers à composer avec le problème croissant de la cyberintimidation. Nous avons conçu des initiatives de rapprochement et des activités de programme, à l'échelle tant nationale que provinciale, pour composer avec ce problème. Notre but est de réduire l'incidence et d'augmenter le signalement de la cyberintimidation.
D'abord, j'aimerais faire le survol de ce que fait la GRC à l'échelle nationale.
La Gendarmerie royale du Canada exploite choix.org, un site web mis sur pied par les jeunes pour les jeunes âgés de 12 à 17 ans. Un volet de ce site, les parents sur choix.org, s'adresse aux parents. Chacun de ces sites offre des produits adaptés au public cible traitant de la cyberintimidation, comme des fiches d'information, un jeu interactif en ligne et des blogues rédigés par des jeunes.
La GRC croit que les jeunes ont des solutions valables à proposer et qu'ils doivent jouer un rôle actif dans leurs collectivités. En ce sens, choix.org met en vedette de jeunes leaders qui s'attaquent au problème de la cyberintimidation dans leurs collectivités et leurs écoles, dans l'espoir d'en inspirer d'autres à en faire autant.
En 2011, les Services nationaux de la prévention du crime, de concert avec le Carrousel de la GRC, ont produit une carte anticyberintimidation à collectionner qui a été distribuée aux jeunes qui ont assisté aux spectacles du Carrousel dans les provinces maritimes, en Saskatchewan et en Alberta. La carte a eu une telle popularité qu'elle revient pour la tournée de cette année en Ontario et au Manitoba.
En 2009, la Gendarmerie royale du Canada, avec d'autres services de police, a mis sur pied le Programme national des policiers éducateurs. Grâce à ce programme, les policiers éducateurs de partout au pays peuvent suivre des formations et partager des ressources et des pratiques exemplaires par l'entremise du Centre de ressources pour les policières éducatrices et les policiers éducateurs, le CRPEPE, de la Gendarmerie royale du Canada. Le CRPEPE est un site web où les policiers qui travaillent auprès des jeunes dans les écoles peuvent trouver des plans de leçon adaptés à l'âge des enfants pour leur montrer à reconnaître et à prévenir les comportements relevant de la cyberintimidation et à y réagir.
Les policiers éducateurs de la Gendarmerie royale du Canada offrent aussi le programme de prévention et d'éducation DARE, qui vise la sensibilisation aux dangers de la drogue, aux écoliers partout au pays. Le programme DARE comporte un plan de leçon sur l'intimidation qui donne l'occasion de discuter aussi de cyberintimidation.
La GRC comprend qu'elle doit adapter ses stratégies policières en fonction des besoins particuliers des jeunes. Pour ce faire, la Section de l'engagement des jeunes encadre un comité consultatif jeunesse que nous consultons chaque année pour obtenir le point de vue des jeunes sur des dossiers comme la cyberintimidation. Cela nous permet de connaître les nouvelles tendances qui pointent dans nos collectivités et de cerner les lacunes dans l'information que nous transmettons.
La Gendarmerie royale du Canada reconnaît que le noeud du problème de la cyberintimidation n'est ni les réseaux sociaux ni Internet, mais la manière dont les internautes interagissent sur les réseaux sociaux. D'ailleurs, la Gendarmerie royale du Canada utilise elle-même les réseaux sociaux pour joindre son public. Par exemple, en novembre 2011, nous avons mené une campagne de sensibilisation d'une semaine et, chaque jour, nous avons publié sur Facebook et Twitter de l'information sur divers sujets, tels que les différentes formes d'intimidation, que faire si vous êtes victime d'intimidation, les mythes sur l'intimidation et des initiatives menées par des jeunes pour réduire l'intimidation sous toutes ses formes. Nous entendons refaire la même chose en 2012 pendant la Semaine de la sensibilisation à l'intimidation.
L'échelon provincial de la Gendarmerie royale du Canada en fait aussi beaucoup pour contrer le problème de la cyberintimidation. J'aimerais prendre quelques minutes pour présenter quelques-unes de nos initiatives provinciales.
En Colombie-Britannique, la Gendarmerie royale du Canada a conçu iSMART, la trousse des ressources de sensibilisation à Internet et aux réseaux sociaux, afin de donner aux policiers, aux enseignants et à la population accès à l'information la plus récente sur la sécurité Internet. Cette ressource soutient l'effort de la GRC pour prévenir la victimisation en ligne des enfants et des adolescents en faisant connaître les précautions à prendre et les outils nécessaires pour avoir une présence intelligente sur la Toile.
En Nouvelle-Écosse, le détachement de la Gendarmerie royale du Canada à Antigonish et le département de l'athlétisme et des services récréatifs de l'Université Saint-FrançoisXavier ont uni leurs efforts pour élaborer le programme X-Out Bullying pour enrayer l'intimidation. Le programme consiste à réunir des policiers de la Gendarmerie royale du Canada locale et des athlètes universitaires pour présenter des exposés dans des classes de quatrième année et sur demande dans des groupes communautaires. Une séance comporte des exposés oraux, des sketches et des échanges sur l'intimidation et sur l'effet de témoin. Il y a aussi des séances de remue-méninges pour trouver des solutions à l'intimidation. Une séance de suivi est faite auprès de chaque groupe pour évaluer les progrès accomplis.
Le détachement de la GRC à Antigonish a aussi collaboré avec le programme local d'Échec au crime pour aider une école secondaire à lancer le programme de lutte contre l'intimidation mené par des jeunes. Par ce programme, le numéro d'Échec au crime a été imprimé à l'endos de toutes les cartes d'étudiant, de sorte que l'élève qui se fait intimider ou qui est témoin d'intimidation à l'endroit d'un autre élève peut appeler Échec au crime et signaler l'incident anonymement. Le but est de créer une atmosphère à l'école où l'intimidation sous toutes ses formes ne sera pas tolérée.
La Gendarmerie royale du Canada a beau sensibiliser et prévenir la cyberintimidation, elle sait bien qu'elle n'en viendra pas à bout toute seule. Nous soulignons l'importance de créer des réseaux et des partenariats avec des intervenants communautaires qui peuvent nous aider à offrir les programmes de prévention et de sensibilisation.
Voici quelques-uns des partenariats nationaux de la Gendarmerie royale du Canada en ce qui a trait à la cyberintimidation.
En décembre 2011, en collaboration avec le réseau de promotion des relations et de la fin de la violence PREVnet et des chercheurs de l'Université de Victoria, la Gendarmerie royale du Canada a commencé à tester le programme WITS — acronyme anglais pour « éloigne-toi, ne t'occupe pas d'eux, parle du problème et demande de l'aide » —, qui vise à prévenir la victimisation et l'intimidation, y compris la cyberintimidation, par les pairs. Sept policiers de la GRC affectés dans des milieux ruraux et isolés de six provinces se sont réunis à Ottawa pour recevoir une formation. Déjà, ces membres de la GRC ont visité 11 écoles et attiré 1 380 enfants dans les activités du programme.
Les Services nationaux à la jeunesse de la Gendarmerie royale du Canada ont aussi formé un partenariat avec le Centre canadien de protection de l'enfance. Nous nous assurons activement que les policiers de première ligne de la Gendarmerie royale du Canada connaissent les ressources offertes par le CCPE, comme cyberaide.ca, la centrale nationale de signalement des cas d'exploitation d'enfants sur Internet et enfantsavertis.ca, un programme interactif d'éducation à la sécurité pour accroître la sécurité personnelle des enfants et réduire les risques qu'ils soient exploités sexuellement, et aient accès à ces ressources.
Comme dernier exemple, je parlerai de notre association de longue date avec la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. En 2011, la FCEE a créé une trousse d'information sur la cyberintimidation à l'intention des enseignants. Cette trousse comporte des rapports de recherche, des fiches documentaires et des dépliants pour aider les enseignants à mieux comprendre le phénomène de la cyberintimidation et la manière d'y réagir en milieu scolaire. Nous nous sommes engagés à rendre ces produits accessibles à nos policiers éducateurs pour lesquels il s'agit d'un outil de sensibilisation de plus à leur disposition.
À titre d'agents du gouvernement, les membres de la Gendarmerie royale du Canada seraient malavisés de se prononcer sur la nécessité ou non de nouvelles dispositions législatives pour traiter du problème de la cyberintimidation, mais nous pouvons vous éclairer sur ce que nous faisons dans le cadre législatif dont nous disposons actuellement. Les activités criminelles menées à l'aide d'Internet, comme l'intimidation, sont des crimes traditionnels commis à l'aide d'un moyen de communication électronique et sont donc visés par les articles applicables du Code criminel du Canada. On enquête sur la cyberintimidation selon les circonstances et la preuve de l'infraction signalée. Les infractions déjà prévues dans le Code criminel du Canada couvrent les incidents de cyberintimidation.
Je vous ai parlé aujourd'hui de quelques initiatives parmi tant d'autres, et j'espère avoir su vous montrer combien le phénomène de la cyberintimidation est important pour la Gendarmerie royale du Canada. Nous poursuivons nos efforts afin de maintenir une saine communication avec les jeunes, pour qu'ils soient à l'aise de nous parler, s'ils en venaient à subir ce type de crime.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité; je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
[Français]
Daniel Sansfaçon, directeur, Politiques, recherche et évaluation, Centre national de prévention du crime, Sécurité publique Canada : Merci de m'avoir invité ce soir dans le cadre de votre étude sur la cyberintimidation.
L'intimidation, effectivement, prend diverses formes. Elle peut être physique, verbale, sociale ou se faire par Internet. Comme vous le constaterez à l'audience de ma présentation ce soir, le Centre national de prévention du crime à Sécurité publique Canada n'a, jusqu'à présent, travaillé véritablement que sur les questions de l'intimidation physique ou verbale.
Je ne répéterai pas toutes les données statistiques qui vous ont été présentées jusqu'à maintenant, incluant celles de ma collègue de l'Agence de la santé publique. Il suffira d'indiquer, pour l'instant, que les données de recherche indiquent que, effectivement, les diverses formes d'intimidation physique ou verbale sont plus fréquentes que la cyberintimidation. Les études indiquent aussi que les garçons sont plus susceptibles que les filles de se livrer à l'intimidation physique, et les filles sont plus susceptibles de se livrer à l'intimidation sociale, mais aussi d'en être les victimes. Il est aussi intéressant d'observer que, selon certaines études, les victimes plus âgées de cyberintimidation, celles qui notamment ont plus de 25 ans, connaissent généralement moins souvent leur auteur que les victimes plus jeunes, celles qui sont âgées de moins de 25 ans.
Bien que l'intimidation en milieu scolaire ne soit pas un problème nouveau, tout indique qu'elle est en recrudescence.
L'intimidation est une préoccupation croissante pour de nombreuses administrations. Plusieurs provinces et territoires ont d'ailleurs élaboré à cet effet des stratégies et programmes pour s'y attaquer. Le monde de l'éducation joue réellement un rôle essentiel dans la lutte contre l'intimidation puisque la plupart des incidents ont lieu sur les terrains d'une école. Ainsi, en connaissant le rôle qu'ils occupent dans l'éducation et la gestion des établissements scolaires, les provinces et territoires ont un rôle clé à jouer dans l'implantation des mesures en vu de contrevenir à l'intimidation.
[Traduction]
Comme l'intimidation a été reliée à la délinquance, elle fait aussi partie du mandat du CNPC. De fait, en 2003, le CNPC a financé une initiative de trois ans dirigée par Mmes Wendy Craig et Debra Pepler, spécialistes du domaine reconnues, et, dans leur rapport, A National Strategy on Bullying : Making Canada Safer for Children and Youth, elles proposent des éléments de stratégie visant à réduire l'intimidation chez les enfants et les jeunes grâce à des partenariats avec des organismes nationaux.
La mission du Centre national de prévention du crime est de faire preuve de leadership à l'échelle nationale quant aux moyens efficaces de prévenir et de réduire la criminalité par l'intervention sur les facteurs de risque connus chez les populations les plus vulnérables et dans les milieux à risque élevé. Un grand objectif du CNPC est d'établir et de communiquer des pratiques efficaces pour empêcher les enfants et les jeunes à risque d'adopter des comportements antisociaux et de se tourner vers la délinquance. C'est pour cette raison que le CNPC soutient les projets de prévention du crime mis en oeuvre par les collectivités pour réduire les effets des facteurs de risque et augmenter les facteurs de protection.
Les facteurs de risque sont les caractéristiques qui augmentent la probabilité qu'une personne commette un crime, et les facteurs de protection sont les influences positives qui atténuent les effets des facteurs de risque et diminuent la probabilité qu'une personne adopte un comportement criminel. Plus il y a de facteurs de risque dans la vie d'une personne, plus la probabilité que cette personne commette un crime est élevée. Par exemple, un comportement agressif précoce, l'absentéisme scolaire, de faibles liens avec l'école, la fréquentation de pairs délinquants et des démêlés précoces avec la justice sont tous des facteurs qui contribuent à augmenter la probabilité de délinquance juvénile.
Nous savons que certains facteurs de risque liés à la délinquance juvénile sont aussi des facteurs de risque liés à l'intimidation, en particulier sur les plans personnel, familial et scolaire. En 2008, le CNPC a publié un aperçu des facteurs de risque liés à l'intimidation, des pratiques exemplaires holistiques en milieu scolaire pour la prévention de l'intimidation dans les écoles et des programmes modèles et prometteurs conçus dans le but de prévenir et de réduire l'intimidation.
Selon la documentation existante, le fait de pratiquer l'intimidation pendant l'enfance est étroitement lié à la délinquance et au comportement criminel futurs à l'adolescence et à l'âge adulte. Des enquêtes sur la délinquance par autoévaluation révèlent que 40 p. 100 des garçons et 31 p. 100 des filles qui se livrent fréquemment à l'intimidation affichent également un comportement délinquant, par rapport à 5 p. 100 et des garçons et à 3 p. 100 des filles qui ne recourent pour ainsi dire jamais à l'intimidation.
En outre, les recherches révèlent que les enfants qui s'adonnent à l'intimidation sont plus susceptibles, dans une proportion de 37 p. 100, de commettre des infractions une fois arrivés à l'âge adulte que ceux qui ne pratiquent pas l'intimidation. Ils pourraient également être plus nombreux à avoir plus tard dans la vie des problèmes psychologiques comme des tendances agressives, la dépression et la toxicomanie.
La littérature indique que les principaux facteurs de risque liés à l'intimidation comprennent les attitudes négatives persistantes et le comportement agressif précoce. Les autres facteurs de risque liés à l'intimidation sont également des facteurs de risque généraux liés à la délinquance, par exemple ceux que j'ai mentionnés plus tôt.
Puisque de nombreux facteurs de risque liés à l'intimidation sont semblables à ceux qui contribuent à la délinquance juvénile, les interventions financées par le CNPC en vue de prévenir la criminalité juvénile devraient avoir une incidence sur les facteurs associés à l'intimidation et pourraient peut-être également la prévenir. De 2007 à 2012, le CNPC a financé une trentaine de projets communautaires axés en premier lieu sur la violence chez les jeunes et, indirectement, sur l'intimidation. Ces projets se déroulaient dans des écoles et au sein des collectivités et comprenaient des initiatives comme Stop Now and Plan; Reconnecting Youth, programme en milieu scolaire; Youth Inclusion Programs; et Alternative Suspension, qui vise à réduire le nombre de renvois successifs de l'école chez les jeunes à risque.
[Français]
À titre de centre d'excellence en matière de prévention du crime à l'échelle nationale, le CNPC collabore avec divers organismes fédéraux comme la GRC, l'Agence de la santé publique du Canada ou Santé Canada pour favoriser la diffusion d'information, la consultation, mais aussi une meilleure intégration à l'échelle fédérale. Par l'entremise du groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la sécurité communautaire et la prévention du crime, le CNPC travaille en étroite collaboration avec les provinces et territoires pour faire progresser les stratégies et programmes efficaces touchant la prévention du crime généralement y compris, dans ce cas-ci, en matière d'intimidation.
Je vous remercie à nouveau de votre invitation. Il me fera plaisir de répondre à vos questions ce soir.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup pour tous vos exposés.
Je dois obtenir une clarification auprès de vous, madame Israel. Dans votre exposé, vous avez mentionné à la page 4, au dernier paragraphe, que certaines populations sont plus susceptibles d'être victimes d'intimidation, telles que les lesbiennes, les homosexuels, les bisexuels ou les transgenres, ainsi que les personnes qui ont une incapacité, un surpoids ou qui sont obèses.
Nous tenons des séances comme celle-ci depuis plusieurs semaines. Nous avons entendu dire que les groupes racialisés — les groupes ethniques et les minorités visibles — étaient aussi exposés à ces difficultés. N'avez-vous pas observé ce phénomène?
Mme Israel : Je ne l'ai pas mentionné explicitement dans le cadre de mes remarques, mais, assurément, notre étude des comportements de santé des jeunes d'âge scolaire, tout comme d'autres enquêtes sur la santé, a ciblé cet aspect communautaire. Il faudrait que je retourne voir si nos données sont en harmonie avec les vôtres, et je serais heureuse de le faire. Je n'ai pas examiné la recherche en détail pour ce qui est de ces groupes défavorisés.
Le sénateur Brazeau : Merci à tous d'être venus ici ce soir.
Ma question s'adresse à l'inspecteur Lesage : de toute évidence, la Gendarmerie royale du Canada ne peut pas se prononcer sur la nécessité de dispositions législatives supplémentaires pour composer avec ce problème. Cela dit, de toute évidence, vous avez de l'expérience; vous composez avec certains de ces problèmes. Je suis certain que vous vous penchez sur des plaintes qui ont été déposées aux quatre coins du pays. Vous êtes probablement au courant de certains des obstacles qui empêchent de pleinement s'attaquer au problème. Pourriez-vous répondre à la question suivante : S'il y avait des dispositions législatives, quelle devrait être leur teneur pour faciliter votre travail au chapitre de la cyberintimidation?
M. Lesage : Comme je l'ai dit plus tôt, en notre qualité d'agents du gouvernement, il serait malavisé de nous prononcer sur les dispositions législatives ou de les approuver. Notre tâche consiste à les appliquer si elles entrent en vigueur. Dans le cadre d'un projet de loi, nous serions seulement prêts à donner des conseils à l'étape de la rédaction. C'est à peu près tout ce que je peux vous dire là-dessus.
Le sénateur Brazeau : Si vous me le permettez, je vais essayer d'aller un peu plus loin.
Plus tôt, j'ai posé une question à un témoin en ce qui concerne le phénomène des médias sociaux et d'Internet; les gens peuvent aller sur Facebook, par exemple, créer un profil anonyme ou un faux nom et commencer à diffuser des mensonges et des rumeurs au sujet d'un adolescent canadien, ce qui entrerait essentiellement dans la définition de la cyberintimidation. Toutefois, on pourrait faire très peu de choses — à moins que je ne me trompe.
Pouvez-vous nous expliquer ce qui arrive dans certains de ces cas où un parent peut déposer une plainte — peut-être auprès du média social dans une tentative de dénoncer la personne? Que font les responsables du média social pour collaborer avec la GRC? Vous contactent-ils? Pourriez-vous nous parler du processus pour certaines des plaintes déposées, particulièrement dans le contexte des médias sociaux, qui arrivent entre vos mains?
M. Lesage : Dans le cas des médias sociaux, le processus est le même que pour la plupart des infractions : une fois que la GRC reçoit la plainte, elle entreprend une enquête. Lorsque nous faisons cela, nous devons déterminer la nature de l'infraction commise. Une fois que nous l'avons déterminée, si elle est survenue sur Facebook ou sur Internet, nous employons nos techniques d'enquête classiques et commençons à émettre des mandats de perquisition ou des ordonnances de communication à l'intention des fournisseurs de services pour obtenir les éléments de preuve dont nous avons besoin pour progresser.
Le sénateur Brazeau : Essentiellement, une grande part de la responsabilité revient aux fournisseurs de services Internet et aux responsables d'autres médias sociaux qui doivent assurer l'application, éventuellement, de certaines de leurs règles visant à prévenir ces choses pour que cela arrive à votre bureau, par exemple?
M. Lesage : Pour que cela arrive à mon bureau, il faut qu'il y ait eu un signalement. Quelqu'un doit se rendre au poste de police et signaler qu'une infraction a été commise. Nous travaillons de concert avec les fournisseurs de services. En général, nous avons besoin d'un type d'autorisation judiciaire pour pouvoir obtenir les données réelles auprès de la base de données ou du fournisseur de services.
Si une infraction a été commise, nous poursuivons notre enquête à l'aide des techniques à notre disposition selon notre sphère de compétence.
Le sénateur Brazeau : Auriez-vous, par hasard, des statistiques relatives au nombre de plaintes déposées ou produites par les fournisseurs de services Internet, au nombre d'enquêtes entreprises et aux éventuelles accusations déposées?
M. Lesage : Notre système de rapports de police ne contient pas de données particulières sur la cyberintimidation. Nos statistiques sont recueillies en fonction de l'infraction au Code criminel. Je n'ai aucune de ces statistiques.
Le sénateur Harb : Monsieur Lesage, le travail que vous faites de concert avec la fédération des enseignants, ainsi qu'avec les nombreux groupes de jeunes au pays est excellent.
Ma question, que j'adresse à tous, est la suivante : à la lumière de ce que nous savons déjà, c'est-à-dire que l'intimidation survient dans les cours d'école et sur Internet, entre autres, et à la lumière des statistiques selon lesquelles il est surtout question d'enfants de septième, de huitième et de neuvième années — comme nous l'ont dit de nombreux témoins —, je vois mal M. Lesage pourchasser un groupe d'enfants pour les jeter en prison parce qu'un courriel a été envoyé. Il serait difficile pour lui de faire cela. Le Code criminel ne s'appliquera pas dans ce cas particulier. Mon collègue a demandé ce que nous pouvons faire d'autre.
Je dirais que ma question est légèrement différente, compte tenu de votre réponse au sénateur Brazeau. Savez-vous s'il y a eu une réunion d'intervenants à l'échelle nationale regroupant des partenaires, c'est-à-dire des enseignants, des psychologues, des intervenants sur le terrain comme des policiers et des parents? Savez-vous si un événement de cette teneur a déjà eu lieu au Canada? Le cas échéant, pouvez-vous nous faire part de vos observations?
Mme Israel : Dans la foulée du rapport de 2011 sur les comportements de santé des jeunes d'âge scolaire, l'une des choses qu'a entreprises l'agence, c'est la diffusion des données du rapport, comme certaines statistiques liées à l'intimidation — et maintenant à la cyberintimidation — et l'incidence globale sur la santé mentale, car il s'agit du premier rapport qui traite précisément de la santé mentale des jeunes adultes et des jeunes enfants. Il y a toute une stratégie de communication qui s'ensuit. Des conversations ont lieu en milieu scolaire, par exemple, et par l'intermédiaire du Consortium conjoint pour les écoles en santé. Chacune de ces entités prend la responsabilité de communiquer ces renseignements et de tenir des discussions.
Dans le cadre des autres travaux que nous avons menés avec Wendy Craig et d'autres collaborateurs de l'Université Queen's, une tribune a été tenue il y a environ un an, à laquelle ont participé 400 élèves, des éducateurs et des parents, entre autres, pour discuter de l'intimidation proprement dite et de son incidence, pas seulement sur la victime, mais aussi sur les intimidateurs. Voilà certaines des tribunes qui ont eu lieu à ce que je sache, du point de vue de l'Agence de la santé publique.
M. Sansfaçon : Je ne suis au courant de rien venant du CNPC. Peut-être que je pourrais trouver plus de données historiques. Je ne suis pas au courant d'une tribune qui aurait traité particulièrement de l'intimidation.
Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, nous avons commandé des rapports — certaines études, dont celles menées par l'intermédiaire du Centre canadien de la statistique juridique, par exemple, le sondage sur la délinquance autodéclarée par les jeunes à Toronto, qui intégrait des éléments connexes, mais se rattachait surtout aux connaissances. Par ailleurs, quant à la rencontre d'intervenants sur ce dossier, non, il n'y en a pas eu, pas à mon souvenir, à tout le moins.
Le sénateur Harb : Je présume que, monsieur Lesage, votre réponse sera semblable?
M. Lesage : Nous avons des réunions nationales et collaborons avec différentes organisations. J'ai parlé de PREVNet plus tôt. Nous collaborons avec l'association des enseignants et tout autre organisme qui nous permet d'offrir nos programmes de sensibilisation et d'éducation aux enfants.
Le sénateur Harb : De votre point de vue, cela a beaucoup de sens, par exemple, pour établir une stratégie nationale sur la cyberintimidation — dont nous avons besoin, selon nombre des témoins —, des pratiques exemplaires et ce genre de choses.
Est-ce que ce serait utile, si, par exemple, le ministre responsable de la Santé organisait une réunion nationale et regroupait tous les différents cerveaux, leaders et acteurs des différents secteurs dans une grande salle pendant une journée ou deux, le temps que nous en ressortions avec une forme de stratégie? Je constate maintenant que, en raison de la question des sphères de compétence à ce chapitre et de l'endroit où tout cela survient, il y a beaucoup trop d'intervenants et tout le monde ne parle pas la même langue. Tout le monde sait quel est le problème, mais nous ne semblons pas arriver à nous rejoindre collectivement.
Mme Israel : L'une des choses qui se rattachent à votre idée, c'est le nombre et la diversité des intervenants touchés par une question comme celle-ci. Si vous prenez l'intimidation, votre comité étudie la question, et vous voyez la multitude d'acteurs — parents, écoles, police, représentants de la santé publique, et cetera. Au bout du compte, il pourrait y avoir un débat sur les rôles et les responsabilités de ces acteurs ou l'efficacité de concevoir une stratégie. Du point de vue de la santé publique, nous avons mis l'accent sur la prévention de l'intimidation pour commencer.
Qu'est-ce qui pourrait empêcher quelqu'un de commencer à intimider les autres? Bien des facteurs entrent en jeu, dont le besoin de promouvoir une santé mentale positive et des relations positives. Certains travaux de recherche ont révélé que les interventions fructueuses naissaient de la possibilité de communiquer ouvertement. Une personne peut être réticente à communiquer ouvertement ou à soulever des questions de façon transparente et ouverte.
La Commission de la santé mentale étudie cette question et publiera sa stratégie. Elle profite d'une bonne couverture médiatique. Elle a parlé des facteurs de protection positifs qu'a mentionnés mon collègue M. Sansfaçon.
Si on envisage l'intimidation comme un problème parmi tant d'autres dans le domaine de la santé publique, il a des racines plus profondes qu'on le croirait à première vue, et, à mesure que nous comprenons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, on constate que beaucoup de solutions s'appuyaient sur la santé mentale positive et la prise de conscience du besoin de parler des choses de façon transparente, ce qui est envisagé dans nombre d'établissements et de milieux scolaires à l'heure actuelle.
M. Sansfaçon : Si je peux ajouter, du point de vue de la prévention du crime... Et je reconnais que cela est plus précis, dans un certain sens, que l'intimidation — ou que l'intimidation est plus précise —, mais nombre des mêmes facteurs de risque s'appliquent autant à ceux qui finiront par devenir des intimidateurs de façon plus systématique qu'à ceux qui finiront par avoir des tendances délinquantes à l'âge adulte.
En outre, sans faire de commentaires sur la pertinence éventuelle, par exemple, d'une réunion d'intervenants convoquée par le ministre de la Santé, je peux dire, du point de vue de la prévention du crime, que les ministres de la Justice et de la Sécurité publique fédéraux, provinciaux et territoriaux, dans le cadre d'une récente réunion à Charlottetown, ont fait de la prévention du crime une priorité pour le pays. Par conséquent, il y aura un plus grand partage d'information et, on l'espère, encore plus de pratiques fondées sur des données probantes, qui aideront à freiner toutes les tendances qui mènent non seulement à la délinquance, mais aussi à l'intimidation en particulier.
Le sénateur Ataullahjan : Voici ma question à l'intention du représentant de Sécurité publique Canada : avez-vous précisément axé votre étude sur les jeunes jusqu'à l'âge de 15 ans? Des témoins antérieurs nous ont dit quelque chose d'étonnant. Je croyais que le comportement comme l'intimidation et la cyberintimidation cessait à l'université, mais, apparemment, ce n'est pas le cas. J'aimerais avoir vos commentaires sur cette question. Est-ce simplement parce que vous avez regardé chez les plus jeunes et n'avez pas abordé les étudiants plus âgés?
Mme Israel : Nous examinons la situation des jeunes dans son ensemble, mais, en effet, la recherche démontre que l'intimidation ne s'arrête pas tout simplement à l'adolescence. Si une personne avait tendance à se livrer à l'intimidation durant son adolescence, à moins que quelque chose ne se produise et qu'elle ne se rende compte de l'erreur de ses actes, elle continuera de le faire à l'âge adulte. Voilà ce que révèle notre recherche.
Le sénateur Ataullahjan : Dans quelle mesure le soutien par les pairs est-il important dans la lutte contre l'intimidation et la cyberintimidation?
Mme Israel : Notre recherche démontre que le soutien par les pairs est très important et que la capacité de développer un sentiment de leadership et de confiance est primordiale. Le programme WITS a du succès parce qu'il est mis en oeuvre en collaboration avec des pairs.
Les jeunes et les adolescents comprennent que leur rôle de leader ne consiste pas seulement à avoir recours à un éducateur ou à un parent; eux aussi peuvent changer les choses. S'ils sont témoins d'un incident — si un enfant ou un ami est victime d'intimidation —, ils ont la responsabilité de le signaler à quelqu'un, particulièrement dans le cas de la cyberintimidation qui se fait par messages textes.
Selon nous, il est évident que les jeunes se sentiraient responsables ou auraient la capacité de s'exprimer. Cependant, devant chaque nouveau problème de santé publique, que ce soit les mauvais traitements, l'intimidation ou la cyberintimidation, il faut rappeler aux élèves et aux jeunes qu'ils peuvent faire entendre leur voix. C'est en leur apprenant comment utiliser leur voix et en leur garantissant qu'ils peuvent le faire en toute sécurité que l'on réussira.
Le sénateur Ataullahjan : Est-il aussi vrai que, la plupart du temps, lorsque les pairs interviennent, l'intimidation cesse, s'ils le font peu après l'incident?
Mme Israel : Bien sûr. Certaines de nos recherches révèlent que, plus l'intervention est rapide, plus on est susceptible de mettre un terme aux actes d'intimidation. Parfois, il est difficile de trouver le courage nécessaire pour intervenir et ne pas s'en faire avec les conséquences. La pression des pairs peut être très forte chez les plus jeunes, durant l'enfance.
La recherche montre effectivement qu'une intervention à un jeune âge augmente la probabilité de mettre un terme à l'intimidation.
Le sénateur Ataullahjan : Du point de vue de la sécurité publique, qu'en est-il des programmes actuels de lutte contre l'intimidation et dans quelle mesure l'approche visant l'école dans son ensemble est-elle efficace? Une initiative nationale de lutte contre l'intimidation est-elle nécessaire?
Dans votre témoignage, vous avez parlé d'études selon lesquelles 40 p. 100 des garçons et 31 p. 100 des filles qui se livrent fréquemment à l'intimidation adoptent aussi un comportement délinquant. Dans le cas des enfants qui se livrent à l'intimidation, est-ce que cela fait partie de leur style de vie? Ces enfants sont-ils plus susceptibles de consommer de l'alcool et de la drogue? Votre recherche confirme-t-elle cela?
M. Sansfaçon : Pour ce qui est de la première question concernant les pratiques les plus efficaces, il semble que les approches axées sur l'école dans son ensemble sont assez efficaces — par exemple, les programmes de prévention de l'intimidation se révèlent très efficaces — comme le seraient, probablement, les programmes plus ciblés, qui sont des programmes axés plus particulièrement sur les jeunes qui semblent présenter une tendance systématique.
Et cela me mène à votre deuxième question. Ces jeunes sont ceux qui adoptent à répétition des comportements d'intimidation et qui sont les plus susceptibles de sombrer dans la délinquance. Comme vous l'avez mentionné, cela devient un style de vie, d'une certaine façon. Ils présentent aussi d'autres facteurs de risque, comme la consommation précoce de substances et, plus particulièrement, la fréquentation de pairs délinquants. Autant le renforcement positif des pairs peut constituer un facteur de protection, autant la fréquentation de pairs délinquants peut représenter un facteur de risque.
L'accumulation de ces facteurs de risque entraîne un certain style de vie. Le risque est que ce style de vie devienne permanent, mais cela n'est pas le cas de tout le monde. Cela soulève donc le besoin de mettre en oeuvre des programmes axés sur ces jeunes. Autrement, non seulement ils continueront d'adopter un tel comportement après l'âge de 16, 17 ou 18 ans, lorsque le comportement pourrait être le plus problématique, et poursuivront l'intimidation à l'âge adulte, mais ils risquent aussi de commettre d'autres types d'infractions et peut-être même des crimes plus graves, compte tenu du nombre de facteurs de risque qu'ils présentent.
Le sénateur Ataullahjan : Ma prochaine question s'adresse à la GRC. D'après votre expérience, y a-t-il beaucoup d'infractions criminelles liées à la cyberintimidation au Canada? Connaissez-vous les dernières statistiques ou tendances à cet égard?
M. Lesage : Actuellement, il n'existe aucune statistique sur la cyberintimidation, car les incidents sont associés à une infraction au Code criminel, qui ne compte aucune disposition sur la cyberintimidation. Une telle infraction serait associée à une autre catégorie sur laquelle nous enquêterions, alors nous n'avons aucune statistique à ce sujet pour le moment.
Le sénateur Zimmer : Pour regarder les choses d'un autre angle, combien de temps s'écoule avant que l'intimidation soit dénoncée? Plus on attend, plus la situation se dégrade et plus on craint de la dénoncer. Des recherches ont-elles permis de savoir combien de temps s'écoule entre l'intimidation et sa dénonciation?
M. Lesage : La GRC n'a fait aucune recherche à cet égard, désolé.
Le sénateur Zimmer : Merci.
Le sénateur Meredith : Ma question s'adresse à M. Lesage. Merci beaucoup. J'ai déjà travaillé pour Mike LeSage; je sais que vous n'êtes pas parents.
J'admire le travail que la GRC fait auprès de divers services de police, particulièrement dans la grande région de Toronto, sur le plan notamment de la violence chez les jeunes. La question me revient toujours quand je vois la dévastation que subit une famille lorsqu'un message est envoyé et qu'un enfant est très perturbé par de tels messages — dans certains cas, cela les pousse même à s'enlever la vie. Où est la limite et quand pouvons-nous commencer à enquêter pour que l'auteur puisse être tenu responsable?
Nous avons déjà entendu d'autres témoins parler de « moments propices à l'enseignement ». Lorsqu'une personne se suicide, elle met un terme à sa vie, mais d'autres personnes restent et poursuivent la leur. Quelles sont les interventions, entre le moment où la GRC est informée de certains cas et un acte de suicide, sur le plan de la surveillance des personnes en cause afin qu'elles puissent être tenues responsables?
D'après moi, il s'agit du noeud de la question qui touche l'ensemble du pays : on ne peut pas ramener la personne qui nous est chère, mais il doit y avoir des conséquences. Et oui, nous en avons l'occasion au sein du système d'éducation.
Nous en avons déjà entendu parler : les administrateurs sont dépassés, les enseignants n'ont pas la formation adéquate, les conseillers en orientation ne sont pas en mesure de régler ces problèmes, mais ils demeurent très importants.
Quand devons-nous commencer à affirmer que nous devons tenir quelqu'un responsable?
M. Lesage : Je crois que le plus tôt possible est le mieux. Les programmes d'éducation et de sensibilisation permettront aux enfants et aux jeunes de signaler ces crimes le plus rapidement possible.
Si j'ai bien compris, la deuxième partie de votre question concerne le temps écoulé après le fait. Si une infraction a été commise, nous pouvons retourner en arrière tant et aussi longtemps que le fournisseur de services a conservé ce type d'information sur son serveur, si cela a été fait par Internet. On peut retourner très loin en arrière, mais cela dépend du fournisseur et du délai pendant lequel il conserve les données.
Dans le cas de nombreux incidents, s'ils sont signalés immédiatement, les policiers peuvent communiquer avec le fournisseur de services afin de lui demander de conserver toutes les données jusqu'à ce qu'ils aient l'occasion de revenir avec une autorisation judiciaire en vue d'obtenir cette information.
Le sénateur Meredith : Expliquez-nous ce processus. Éclairez-moi et les autres membres — le sénateur White en connaît déjà beaucoup — sur la procédure à suivre. Lorsqu'un cas vous est signalé et que l'on vous dit : « Voici les faits », afin que la personne puisse être accusée au criminel, quelle est la démarche à suivre? Expliquez-la-nous, si cela est possible.
M. Lesage : Cela commencerait par une plainte à la police, au service local, selon la région. L'enquête commencerait au moment où la plainte est déposée. L'enquête commencerait immédiatement.
On commencerait d'abord par recueillir l'information — autant d'information que la police ou nous pourrions recueillir sur l'infraction — afin que l'on puisse savoir comment l'infraction a été commise et s'il y a des témoins à interroger. Ce serait dans ces eaux-là. Si une infraction a été commise par Internet, la police communiquerait avec certains fournisseurs de services ou le contenu de téléphones serait vérifié. Nous consulterions le fournisseur de services téléphoniques pour recueillir les éléments de preuve.
Comme je l'ai mentionné, de nombreuses mesures peuvent être prises, mais, en règle générale, les policiers tentent d'obtenir le plus d'éléments de preuve possible qu'ils peuvent présenter au tribunal.
Le sénateur Meredith : Mme Israel a indiqué que l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant met l'accent sur la nécessité des États membres de prendre les mesures appropriées pour protéger nos enfants.
Quelle est la position du Canada aujourd'hui? En faisons-nous assez au chapitre de la cyberintimidation et de l'intimidation physique au sein de notre système d'éducation? En faisons-nous assez pour nous assurer de respecter cet article?
Mme Israel : Tant de choses entourent les problèmes; la cyberintimidation et l'intimidation sont des problèmes émergents qui ont commencé à gagner du terrain au cours des cinq dernières années, comme mes collègues pourront vous le confirmer. Comme dans le cas de tout problème de santé publique, la première étape fondamentale est la sensibilisation. Comme vous l'avez bien mentionné, personne ne veut se rendre à l'étape ultime : le suicide.
Les provinces et les territoires sont certainement conscients de ce problème. À l'échelle fédérale, nous faisons ce que nous pouvons. Toutefois, il faut vraiment adopter une approche multisectorielle pour empêcher le problème de grandir. C'est comme ce que vous dites et ce que vous voyez; ce n'est pas seulement l'affaire des policiers et des gouvernements. On peut intervenir de nombreuses façons pour tenter de régler le problème.
En général, au cours des cinq dernières années au Canada — par rapport aux autres pays —, on a été conscient de l'importance du problème. Je crois que les provinces et les territoires sont nombreux à prendre les mesures qui s'imposent pour le résoudre. Comme dans le cas de tout problème de santé publique, on croit toujours que l'on pourrait en faire plus.
Le sénateur Meredith : Monsieur Sansfaçon, pourriez-vous formuler un commentaire, s'il vous plaît?
M. Sansfaçon : Il est toujours difficile de comparer un pays à un autre et de déterminer si le Canada devrait en faire davantage à cet égard.
Règle générale, quant aux statistiques sur la criminalité chez les jeunes, nous remarquons d'une part que les chiffres sont à la baisse et, d'autre part, qu'ils sont comparables à ceux d'autres pays. En ce qui concerne les types d'interventions effectuées dans mon domaine qui est la prévention du crime, par exemple, nous disposons certainement d'une stratégie, de connaissances, d'outils et d'initiatives de mobilisation avec les intervenants qui, selon moi, font du Canada un chef de file à l'échelle internationale. Nous pouvons probablement en faire plus, mais, d'après mes connaissances — dans le domaine de la prévention du crime —, notre pays est un des leaders.
Le sénateur Meredith : Nous avons entendu des témoins parler de l'attribution de ressources, au lieu des mesures punitives de tolérance zéro ou des différences entre les administrations, et du besoin de s'assurer qu'il s'agit de ressources appropriées.
J'aimerais entendre le point de vue de la GRC. Nous avons travaillé beaucoup à l'amélioration de la technologie et des capacités au sein de divers services de police. Cependant, selon les policiers, Santé Canada et la fonction publique, faisons-nous de notre mieux quant aux ressources qui doivent être mises de l'avant afin que nous ne soyons pas pris avec des résultats non souhaitables — ce que nous tentons toujours de faire — qui ressemblent davantage à la réaction qu'à la prévention?
Mme Israel : Du point de vue de la ministre de la Santé, au cours des dernières années, ses collègues ainsi que les provinces et territoires ont fait exactement cela. L'ensemble des provinces et des territoires ont signé la Déclaration sur la prévention et la promotion. Des mesures sont prises pour sensibiliser davantage les gens à des questions comme la promotion de la santé mentale et les aider à renforcer certains facteurs de protection, ce qui permet notamment aux enfants de parler avec leurs parents et aux parents de parler avec leurs enfants de ce qui est bien et de ce qui est mal.
Je crois que l'on met davantage l'accent sur la prévention, comme vous dites, et l'on reconnaît aussi l'importance du traitement et des soins. Dans cette situation, j'estime que la sensibilisation au départ est un processus qui est mis de l'avant.
M. Lesage : La GRC apprécie toutes les ressources que le gouvernement a à offrir pour nous aider dans la prévention du crime. Toutefois, le ressourcement présente parfois un problème. Nous utilisons certaines stratégies existantes pour travailler efficacement avec les ressources que nous avons, en les réaffectant selon nos priorités.
Une des cinq priorités de la GRC est les jeunes.
M. Sansfaçon : Sur le plan de la prévention du crime, nous ne savons pas quel montant est investi à l'échelle du pays. Nous devrions inclure dans notre calcul, par exemple, les stratégies adoptées par les provinces, notamment la Nouvelle- Écosse, qui en a adopté une récemment, et le Québec, qui modifié la sienne. Nous ne connaissons pas le montant total qui serait investi dans la prévention du crime en général ni d'ailleurs dans la prévention de l'intimidation.
Je dirais seulement que, parfois, l'important, ce n'est pas le montant réellement investi, mais le but de l'investissement. Plus particulièrement, nous devrions encourager au sein du CNPC les interventions préventives fondées sur les données probantes afin d'avoir le plus d'impact possible avec des ressources limitées, car les ressources sont limitées.
Nous croyons que, grâce à l'élaboration et à la communication de pratiques fondées sur les données probantes et à la promotion de leur utilisation, nous pouvons optimiser l'utilisation de ressources financières limitées.
Le sénateur White : Certains diront que la disposition du Code sur le harcèlement criminel ne s'applique pas à la cyberintimidation ou à l'intimidation en général parce que cela fait particulièrement allusion à un contact, qu'il soit physique ou par courriel.
Avez-vous un commentaire à faire à savoir si l'on pourrait avoir recours plus souvent à cette disposition ou de façon plus concrète?
Vous avez mentionné ce que je perçois comme une lacune législative sur le plan de l'accès à l'information, particulièrement dans le cas des fournisseurs de services Internet. Je me demande si, selon vous, le projet de loi C-30, qui est actuellement étudié en comité à la Chambre des communes, nous permettrait d'une certaine façon d'avoir un meilleur accès à l'information des fournisseurs de services Internet et si les exigences en matière de tenue de registre prévues dans le projet de loi combleraient ce que vous considérez comme un manque d'autorisation législative dans notre pays.
M. Lesage : En ce qui concerne le harcèlement criminel, je crois qu'il faut y aller au cas par cas. L'enquête doit se dérouler en fonction des éléments de preuve recueillis. Je sais que cela pose certains problèmes. Les policiers se chargeraient uniquement de l'enquête, et la poursuite revient aux procureurs de la Couronne.
Le sénateur White : Je m'inquiète toujours, parce que certains États américains ont adopté davantage de lois pour réaliser ce que la loi canadienne prévoit déjà au chapitre du harcèlement criminel. Je crains toujours que l'on souligne l'absence d'une autorisation législative non pas nécessairement parce qu'elle est inexistante, mais parce que nous ne l'utilisons pas. C'est cela qui me préoccupe le plus.
Mon deuxième point touche l'accès aux données des fournisseurs de services Internet.
M. Lesage : Je n'ai aucune information à ce sujet. Je ne me suis pas préparé à répondre à des questions sur ce projet de loi.
Le sénateur White : Est-ce que quelqu'un d'autre aimerait répondre? Vous ne connaissez peut-être pas le projet de loi C-30, qui donnerait aux services de police et à d'autres organismes un meilleur accès aux données des fournisseurs de services Internet ainsi qu'un accès immédiat à l'information et aux registres visés.
M. Sansfaçon : Je ne suis pas en mesure de commenter le projet de loi.
M. Brazeau : Je veux revenir encore sur la collecte de données. Monsieur Lesage, vous avez mentionné que la GRC ne dispose d'aucune donnée sur certaines plaintes et enquêtes effectuées. Pouvez-vous nous en expliquer la raison?
M. Lesage : Le Programme de déclaration uniforme de la criminalité est un système informatique utilisé par les policiers. Il permet de recueillir des statistiques sur les infractions. Dans le cas de la cyberintimidation, l'infraction qui se rapproche le plus serait la profération de menaces. L'infraction serait liée à la profération de menaces ou au harcèlement criminel, alors la cyberintimidation ne serait pas précisée. Dans notre système, nous déclarons seulement les infractions criminelles.
M. Brazeau : C'est peut-être le fait que je ne sais pas comment votre système fonctionne pour ce qui est de la collecte de données, mais je viens tout juste de regarder la trousse que vous avez fournie et qui s'adresse particulièrement aux collectivités autochtones et contient de l'information sur l'intimidation et la cyberintimidation. Si la GRC ne recueille aucune donnée et ne peut pas faire rapport sur les incidents de plaintes de cyberintimidation, comment peut-on s'attendre à ce que les Premières nations soient prêtes à faire appel à la GRC?
Laissez-moi faire une mise en contexte. Comme vous le savez bien, certaines collectivités des Premières nations entretiennent une bonne relation avec la GRC, tandis que dans certaines régions du pays la résistance est plus forte, pour quelque raison que ce soit. Comment pouvons-nous encourager les parents et les autres à faire appel à la GRC et à y déposer une plainte de cyberintimidation? En même temps, si la GRC ne peut pas rendre compte de ses interventions ainsi que du nombre de plaintes reçues, d'enquêtes effectuées et de personnes sanctionnées d'une façon ou d'une autre, comment pourrons-nous les rassurer?
M. Lesage : Nous nous penchons là-dessus, de l'enquête jusqu'aux accusations portées. Nous serions en mesure de nous occuper de ces cas particuliers. Par le truchement de notre site web sur la prévention choix.org, nous vérifions le nombre de visites pour certaines feuilles d'information sur la cyberintimidation. Nous ferions le suivi de ces visites. À l'échelle locale, nous devrions faire appel aux policiers éducateurs, qui établiraient un lien avec la collectivité.
Une autre priorité de la GRC est les services de police autochtones. À l'échelle nationale, nous faisons la promotion de nombreuses initiatives de prévention du crime et en informons nos services de police autochtones du pays. Nous travaillons aussi avec certains services de police indépendants de l'Ontario.
Le sénateur White : Si je puis me le permettre, j'aimerais faire un parallèle avec ce qu'a dit le sénateur Brazeau. Il existe dans le cadre du programme DUC le volet DUC2, qui permet de recueillir des données secondaires liées non pas au crime, mais aux incidents ou aux personnes. S'il existait un code de programme pour les incidents que vous avez mentionnés précédemment, il y aurait un lien direct qui permettrait ensuite d'effectuer des recherches sur la cyberintimidation. Est-ce correct?
M. Lesage : Je crois que ce serait le cas. Il s'agirait de crimes de nature informatique. Il faudrait se tourner vers une variable du crime de nature informatique — je crois que c'est le bon terme —, et nous en ferions le suivi ainsi.
Le sénateur White : Nous recommanderions au Centre canadien de la statistique juridique d'envisager un code de programme. C'est comme ça que cela fonctionne. Des codes de programme sont ajoutés, comme les crimes liés à l'alcool ou les jeunes contrevenants. Nous pouvons effectuer des recherches par race, par personne et par incident, alors je suppose que cela est possible. Je ne le confirme pas et je n'affirme pas non plus que cela devrait l'être. Je tente seulement de répondre au sénateur Brazeau.
M. Lesage : D'après mes connaissances, cela est possible.
Le sénateur Zimmer : Dans le même ordre d'idées, y aurait-il accusation de harcèlement criminel? Quelle serait précisément l'accusation?
M. Lesage : Cela dépendrait de l'infraction. S'il y avait menace, ce serait profération de menaces. S'il s'agissait plutôt de courriels continus, ce serait harcèlement criminel.
Le sénateur Zimmer : Et s'il s'agissait d'intimidation pure et simple?
M. Lesage : Nous devrions nous pencher sur l'infraction, la façon dont elle a été commise. Dans le cadre de notre enquête, nous recueillerions des déclarations. Nous devons lier toutes nos enquêtes à une infraction criminelle.
Le sénateur Zimmer : Vous examineriez, entre autres, la gravité de l'infraction ainsi que son caractère répétitif?
M. Lesage : Nous prendrions cela en considération. Nous regrouperions nos éléments de preuve en fonction de l'infraction. La détermination de l'infraction serait fondée sur nos premières interactions et déclarations, et nous enquêterions selon les déclarations des témoins ou dans Internet, en vue d'obtenir des données. La marche à suivre dépendrait des éléments de preuve initiaux.
Le sénateur Andreychuk : Je suis un peu perplexe. Vous affirmez que vous pourriez faire de la cyberintimidation un sous-groupe des données que vous recueillez déjà. Cependant, vous dites que vous ne recueillez aucune donnée sur la cyberintimidation; vous y allez plutôt selon les infractions existantes d'après le Code criminel ou une loi distincte, parce qu'il existe d'autres lois quasi criminelles. Comment créeriez-vous un sous-groupe?
M. Lesage : Cela fait partie du Programme de déclaration uniforme de la criminalité. C'est dans la façon dont nous recueillons nos données. Il pourrait y avoir une variance. Prenons l'exemple des crimes de nature informatique; d'après ce que je comprends, cela en ajoute à la capacité de recherche. On ajouterait donc la variable du crime de nature informatique. Ainsi, il serait possible de trouver une infraction de profération de menaces ou de harcèlement criminel liée à un crime de nature informatique.
Le sénateur Andreychuk : C'est ce que je veux dire. Il faudra tout de même que cela soit considéré comme du harcèlement, aux termes de la disposition du Code criminel.
M. Lesage : C'est exact.
Le sénateur Andreychuk : Donc, ce ne serait pas cyberintimidation, ce serait une infraction criminelle. N'est-ce pas trompeur? La cyberintimidation existe. Il n'y a pas de tolérance zéro au sein des écoles et des collectivités et auprès des parents, alors on recueille certaines statistiques, mais pas toutes. Au mieux, vous pourriez repérer les cas les plus graves parce qu'une accusation criminelle a été portée, mais vous n'auriez aucune idée de ce qui se passe vraiment dans les collectivités. Ainsi, le public pourrait croire à tort que seuls ces cas existent et qu'il ne s'agit donc pas d'un gros problème. Ce que je me demande, c'est si cela est la bonne marche à suivre. Vous savez ce que j'en pense.
M. Lesage : Ce n'est qu'un des aspects que nous pourrions ajouter à la capacité de recherche, d'après ce que je comprends.
La présidente : Vous avez beaucoup parlé de coopération locale, provinciale ou nationale. Y a-t-il une certaine coopération internationale à l'égard de cette question au sein d'un de vos services?
M. Lesage : Pas à ce que je sache en ce qui a trait à la cyberintimidation. Cependant, la GRC entretient un partenariat avec certains organismes de prévention du crime, et nous fournissons une formation sur la prévention du crime dans d'autres pays. Nous éduquons les gens, mais je ne peux pas le confirmer dans le cas de la cyberintimidation.
M. Sansfaçon : Nous collaborons aussi avec des organismes comme l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime pour ce qui est de la prévention du crime en général, mais pas particulièrement en ce qui a trait à l'intimidation. À ce que je sache, il n'existe aucune coopération internationale à cet égard, du moins du point de vue de la prévention.
La présidente : J'aimerais connaître votre opinion à vous tous sur le plan du sexe. Je vais vous poser toutes mes questions.
Les filles et les garçons vivent-ils la cyberintimidation différemment et qui entre les garçons et les filles sont les plus susceptibles d'en être victimes? Qui sont les auteurs le plus souvent?
Mme Israel : D'après la recherche dont je dispose, les taux de cyberintimidation sont constants de la sixième à la 10e année chez les filles, soit de 17 à 19 p. 100, et augmentent légèrement chez les garçons.
La recherche révèle que les auteurs de cyberintimidation et d'intimidation au sens large sont plus souvent des garçons. C'est ce que démontre notre recherche sur le plan du sexe.
La présidente : Madame Mulvihill, avez-vous quelque chose à ajouter à cela?
Erin Mulvihill, coordonnatrice, Section de mobilisation des jeunes de la GRC, Services nationaux de prévention du crime, Gendarmerie royale du Canada : Non. Nous ne recueillons pas de statistiques.
M. Sansfaçon : C'est également ce que nous observons généralement dans les statistiques à notre disposition. En ce qui concerne les auteurs et les victimes, selon une enquête menée auprès de 1 150 élèves, 48,8 p. 100 de ceux qui ont indiqué avoir été impliqués dans un incident d'intimidation étaient des filles, et 46 p. 100, des garçons. Comme vous pouvez le constater, les pourcentages sont semblables dans les deux cas, ce qui est très différent de ce que nous observons dans la délinquance en général; nous savons que les garçons sont effectivement surreprésentés dans les statistiques sur la délinquance générale.
Le sénateur Hubley : Madame Israel, vous avez énuméré certaines conséquences négatives sur la santé associées à l'intimidation et à la cyberintimidation et vous avez effectué des recherches sur les intimidateurs et les victimes. Pouvez- vous nous préciser où la recherche a été effectuée et comment les données ont été recueillies? Il serait intéressant d'en savoir davantage sur le sujet.
Elles semblent très sérieuses puisque la recherche indique aussi que des changements durables du cerveau peuvent être directement attribuables à l'intimidation.
Mme Israel : Je devrai vérifier les statistiques, mais le travail est principalement fondé sur l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de Statistique Canada. Certaines données sont aussi tirées de recherches effectuées à l'Université Queen's. On pense souvent qu'il n'y a pas de relation de cause à effet lorsqu'il y a intimidation, mais les conséquences sont non pas seulement physiques, mais aussi mentales et émotionnelles. Cela explique certains troubles de l'humeur que nous observons, certainement chez les victimes d'intimidation, et notre recherche montre que la dépression et l'anxiété se manifestent à un plus jeune âge.
Cela est surtout anecdotique. Je devrais consulter de nouveau le rapport de recherche. Je crois que des collègues autour de la table ont probablement déjà entendu parler de jeunes enfants qui ont accès aux messages textes ou en ont déjà fait l'expérience. Les effets peuvent être ressentis seulement plus tard, à une étape ultérieure de leur vie, mais ils découlent probablement du fait qu'ils ont été intimidés durant leur enfance.
La présidente : Monsieur Sansfaçon, c'est bon de vous revoir ici au Sénat. Nous savons que vous figuriez parmi les principaux chercheurs de l'étude sur les drogues illicites sous le sénateur Nolin. C'est bon de vous revoir ici dans un autre domaine, au Sénat.
Je veux tous vous remercier de votre présence. Comme vous pouvez le constater, nous tentons de recueillir de l'information sur ce problème très complexe. Il y a beaucoup de matière à réflexion, et votre aide facilite notre travail.
(La séance est levée.)