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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 14 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 4 juin 2012

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 13 h 36, pour étudier la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Le sénateur Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, nous en sommes à la 16e réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la 41e législature. Le Sénat nous a confié le mandat d'examiner les questions relatives aux droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.

Je m'appelle Mobina Jaffer et, en tant que présidente de ce comité, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion.

[Traduction]

J'aimerais que les membres du comité se présentent eux-mêmes.

Le sénateur Ataullahjan : Je suis le sénateur Salma Ataullahjan, de Toronto, en Ontario.

Le sénateur White : Je suis Vern White, d'Ottawa, en Ontario.

Le sénateur Meredith : Je suis le sénateur Don Meredith, de Toronto.

Le sénateur Harb : Je suis Mac Harb, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, Saint-Louis-de-Kent au Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La présidente : Il semble que le comité compte beaucoup de membres ontariens; nous allons savoir ce qui se passe en Ontario au chapitre de la lutte contre l'intimidation.

[Français]

Le 15 mars 2001, le Sénat a modifié son Règlement afin de créer un nouveau comité permanent, soit celui des droits de la personne. Ce comité assume plusieurs fonctions, notamment celle de sensibiliser le public de veiller à la bonne mise en application et au respect des lois et principes internationaux des droits de la personne, et de s'assurer que les lois et politiques canadiennes sont bien mises en application, et ce, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le 23 novembre, notre comité a déposé un rapport sur l'exploitation sexuelle des enfants. Au cours de notre étude, nous nous sommes attachés aux causes de l'exploitation sexuelle des enfants, et nous avons souligné le rôle d'Internet. On a en effet attiré notre attention sur le fait qu'Internet avait élargi la portée de l'exploitation sexuelle en facilitant un contact direct et anonyme. Après avoir établi le rôle joué par l'Internet dans l'exploitation sexuelle des enfants, notre comité a décidé d'examiner les autres façons dont l'Internet nuit à la sécurité de nos enfants.

Le 30 novembre 2011, le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droit de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et d'en faire rapport.

[Traduction]

Le 30 novembre 2011, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a été autorisé par le Sénat à étudier la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et à faire rapport sur la question.

Le 18 avril 2011, le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies a précisé que la violence mentale tel qu'entendu à l'article 19 de la convention peut inclure :

Les brimades et le bizutage psychologiques de la part d'adultes ou d'autres enfants, y compris au moyen de technologies de l'information et de la communication comme les téléphones mobiles et Internet (on parle alors de cyberintimidation).

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne n'ignore pas que l'intimidation a pris une nouvelle forme. Elle est entrée dans les salles de classe et les cours d'écoles, dans la sécurité de nos foyers au moyen d'Internet. En plus de la violence sociale, verbale et physique que doivent subir de nombreux enfants, la cyberintimidation pose un problème supplémentaire pour les jeunes d'aujourd'hui.

La police de Montréal définit la cyberintimidation comme la publication en ligne de messages menaçants ou dégradants à propos d'une personne en se servant de mots ou d'images, et cela comprend aussi le harcèlement. La cyberintimidation se manifeste dans des courriels, dans des clavardoirs, dans des groupes de discussion, dans des sites web et dans des messageries instantanées. C'est un problème auquel de nombreux jeunes sont confrontés. Selon des études récentes, 25 p. 100 des jeunes qui surfent sur le Net disent avoir reçu des messages haineux, par courriel, au sujet d'autres jeunes.

Au cours de la dernière décennie, nous avons vu l'intimidation passer des salles de classe et des terrains de jeux à nos foyers au moyen d'Internet. De nos jours, en raison de la popularité et de l'utilisation très répandue d'appareils portatifs et de téléphones intelligents, il est devenu très difficile, sinon impossible, d'échapper aux cyberintimidateurs. On pourrait dire que les dispositifs portatifs comme les BlackBerry et les iPhone font maintenant partie de l'anatomie d'un grand nombre de jeunes, car ces derniers s'en séparent rarement.

Sans protection et sans aide, de nombreux enfants qui sont victimes de cyberintimidation se retrouvent seuls pour affronter ces difficultés. Notre comité a l'intention d'examiner les façons dont nous pourrions protéger et aider nos enfants.

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne sait combien il est important d'inclure dans notre étude les témoignages de jeunes victimes de cyberintimidation. C'est pourquoi je suis extrêmement heureuse aujourd'hui d'accueillir de nouveau M. Bill Belsey, qui se joint à nous par vidéoconférence, de même que plusieurs élèves. Monsieur Belsey, vous avez comparu devant le comité par le passé, et nous avons été très touchés par votre exposé. Vous avez assurément abordé de nombreux problèmes. À la suite de cette audience, vous avez continué à travailler avec nous, et nous vous sommes très reconnaissants d'avoir amené aujourd'hui avec vous vos élèves de la huitième année âgés de 13 et de 14 ans, afin qu'ils nous parlent de leurs préoccupations au sujet de la cyberintimidation.

Chers membres, comme vous pouvez le voir sur la liste devant vous, les témoins sont nombreux. Je vous demande donc d'être indulgents et d'accepter que chaque témoin soit questionné par deux sénateurs tout au plus. Je ne veux pas vous limiter, alors si un troisième sénateur tient à poser une question à un témoin, je ne l'empêcherai pas de le faire. Toutefois, afin que nous puissions entendre tous les témoins, j'implore votre indulgence. Êtes-vous d'accord, mesdames et messieurs?

Des voix : Oui.

La présidente : Monsieur Belsey, veuillez faire votre déclaration préliminaire et céder ensuite la parole au premier témoin.

Bill Belsey, enseignant, Springbank Middle School : Merci beaucoup, madame la présidente. Je vais être extrêmement bref aujourd'hui. C'était un honneur pour moi de comparaître devant le comité en décembre 2011.

Quand j'ai forgé le terme « cyberintimidation » il y a plus de 10 ans, bien des gens ne m'ont pas vraiment pris au sérieux. Il est malheureux et tragique que de nombreux jeunes aient perdu la vie et que bien d'autres aient été blessés et intimidés à cause de ce problème. Juste avant de quitter la Colline du Parlement, je vous ai suggéré d'entendre le témoignage d'adolescents; et, en tant qu'enseignant, je suis très fier et ravi que mes élèves de la huitième année aient l'occasion de se faire entendre. À mon avis, c'est vraiment crucial.

Sans plus attendre, je vais laisser mes élèves s'exprimer. Souhaitez-vous suivre un ordre de comparution en particulier ou préférez-vous simplement que je les appelle à comparaître?

La présidente : Je vais vous laisser procéder selon une façon qui, selon vous, les mettra à l'aise. Toutefois, je suis certain que mes collègues et que le public qui nous regardent aimeraient que vous fassiez d'abord une mise en contexte. Pouvez-vous le faire rapidement? Puis, je vous laisserai le soin de déterminer l'ordre de comparution des élèves.

M. Belsey : Certainement, je devrai tout de suite mentionner que c'est de l'école intermédiaire Springbank que nous nous joignons à vous par vidéoconférence. Notre école dispense des cours de la cinquième à la huitième année et compte plus de 500 employés et élèves. Quand nous avons appris que nous aurions l'occasion de présenter d'autres facettes de l'école, des élèves ont offert leur aide et leur appui. Le décor derrière nous a été peint à la main. Il est écrit : « L'école intermédiaire Springbank s'oppose à la cyberintimidation. » Au milieu du panneau, on voit un aigle, symbole de notre école. Je suis enchanté de cette création. Il s'agit d'une œuvre de Kallie, Katie, Connor, Malana et Kaley, et je suis extrêmement fier de leur travail. Tout a été peint à la main.

Je sais, sur le plan pratique, c'est un décor un peu chargé, mais ces élèves se sont donnés corps et âme à la tâche, et nous sommes donc très fiers de leur aide et de leur appui. Vous allez d'ailleurs constater le même dévouement chez les élèves qui présenteront un exposé ce matin.

La présidente : D'accord. Veuillez inviter le premier élève à comparaître.

M. Belsey : Ce sera Samantha Hoogveld.

La présidente : Samantha, merci de passer en premier. C'est toujours difficile. Veuillez vous présenter en disant notamment votre nom au complet et votre année d'instruction, puis livrer votre présentation.

Samantha Hoogveld, étudiante, Springbank Middle School : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je m'appelle Samantha Hoogveld, et c'est un honneur pour moi de comparaître aujourd'hui. Je suis en huitième année.

Plus tôt cette année, dans le cours de M. Belsey, j'ai rédigé un exposé sur les agressions relationnelles entre filles. Je suis moi-même une fille, alors je sais qu'elles sont prêtes à tout pour rester au sommet de la hiérarchie sociale de leur école ou de leur collectivité. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je pense cela. Premièrement, les filles s'en prennent aux autres pas tant physiquement que socialement. Deuxièmement, elles peuvent se retourner contre leurs amies simplement à cause d'une rumeur peut-être fausse. Troisièmement, elles le font de façon dissimulée au moyen des technologies comme les messages textes, Tumblr, Twitter, Facebook, et cetera.

Une des façons les plus courantes de recourir à l'intimidation de nos jours, c'est en ligne, dans le monde virtuel. Les filles se prennent mutuellement pour cible, car elles luttent pour avoir de l'attention, pour gagner de la popularité et pour être heureuses. La plupart du temps, elles agissent ainsi seulement pour prouver qu'elles ont plus de pouvoir qu'une autre fille ou qu'elles peuvent les bousculer.

Quand on est une fille, il nous arrive à tout moment d'arriver à l'école et de constater que tout le monde nous ignore simplement parce que quelqu'un a lancé une rumeur à notre sujet. Bien des filles ne chercheront pas à aller au fond des choses quand il y a apparence de vérité. Elles parlent constamment dans le dos des autres filles, elles se moquent d'elles et les jugent.

Pour ce qui est de l'insécurité vécue par les filles au sujet notamment de leurs imperfections, de leur désir d'être la meilleure et de leurs craintes de ne pas se montrer à la hauteur, elles peuvent être très cruelles quand elles le veulent, et cette cruauté peut être grandement amplifiée en ligne. Les technologies offrent de nouveaux moyens additionnels de faire de la cyberintimidation. Quand elles veulent intimider quelqu'un, les filles le font par l'intermédiaire de messages textes, de Facebook, de Twitter, de Tumblr et d'autres médias sociaux. Sur Internet, on a l'impression qu'on peut dire et faire n'importe quoi sans que personne ne le découvre. Après un bout de temps, l'intimidation peut vraiment laisser des plaies profondes et changer une personne pour toujours. Quand une fille veut dire quelque chose au sujet d'une autre fille, mais qu'elle n'a pas le courage de le lui dire en personne, elle va immédiatement le faire en ligne, même si, parfois, elle ne songerait même pas à agir ainsi dans la vraie vie. La victime peut donc se replier sur elle-même, car il est possible de dissimuler son identité dans le monde virtuel.

Sur Internet, on peut se sentir comme dans une foule sans visage et avoir une impression d'anonymat; c'est dans ce contexte que les filles commencent à enfreindre les règles et à intimider les autres. Quand on est entouré de personnes virtuelles, cela peut nous motiver à faire de l'intimidation sans nous sentir très coupables d'insulter quelqu'un qu'on n'aime pas particulièrement. On peut avoir l'impression que personne ne découvrira que c'est nous qui avons tenu certains propos par l'intermédiaire de notre avatar.

Souvent, les filles utiliseront des moyens d'intimidation indirects, comme le dénigrement, la manipulation dans les cercles sociaux et la création de cliques pour créer de la souffrance psychologique, qui peut entraîner des blessures physiques que les victimes s'infligent à elles-mêmes. L'agression indirecte est un type de comportement qui vise à faire du mal à quelqu'un en dissimulant ses intentions. Les filles auront habituellement bien plus de difficulté à surmonter le problème, même s'il s'agit seulement d'une rumeur. Elles seront aux prises avec les conséquences émotionnelles de ce qui peut être des années d'agression relationnelle.

Après y avoir réfléchi, je viens à la conclusion que les filles sont effectivement des intimidatrices impitoyables les unes envers les autres. Elles tourmentent les autres émotionnellement et, dans de rares occasions, même physiquement. Les rumeurs blessantes répandues à l'école et bien souvent en ligne, les persécutions par leurs pairs peuvent pousser les victimes au suicide.

J'aimerais vraiment que ça cesse. Le problème de la cyberintimidation empire de jour en jour. Selon moi, quand cette pratique entraîne des conséquences, les gens s'arrêtent et réfléchissent aux gestes qu'ils posent.

La présidente : Merci beaucoup, Mme Hoogveld. Il y a des sénateurs qui aimeraient vous poser des questions. Nous allons commencer par le sénateur Ataullahjan.

Le sénateur Ataullahjan : Merci, madame Hoogveld. Moi qui suis artiste, je trouve le décor merveilleux et je l'apprécie.

Madame Hoogveld, voici ma question : à quelle fréquence utilisez-vous les médias sociaux comme Facebook et Twitter? À quelle fréquence êtes-vous en ligne?

Mme Hoogveld : J'y vais plusieurs fois par jour. J'ai un cellulaire. Je suis sur Facebook et Tumblr. J'utilise ces médias assez souvent.

Le sénateur Ataullahjan : Quand vous dites « assez souvent », voulez-vous dire 10 fois, 20 fois, 30 fois?

Mme Hoogveld : Peut-être 30 fois par jour.

Le sénateur Ataullahjan : Combien de comptes de courriel avez-vous?

Mme Hoogveld : J'en ai deux, mais je ne les utilise pas souvent.

Le sénateur Ataullahjan : Essentiellement, vous allez sur Facebook? C'est ce que vous utilisez la plupart du temps?

Mme Hoogveld : Oui, et j'envoie beaucoup de textos.

Le sénateur Ataullahjan : Je viens de lire dans une étude récemment publiée qu'en moyenne, les jeunes reçoivent 189 textos par jour. Est-ce que c'est vrai ou est-ce que ce chiffre est exagéré?

Mme Hoogveld : Tout dépend de la personne, ça peut même être plus. Mais je dirais qu'en moyenne, c'est cela.

Le sénateur Meredith : Madame Hoogveld, merci de votre présentation. Je vous trouve courageuse — tout comme les autres élèves — de mener cette lutte et de veiller à ce que les autres jeunes se sentent appuyés.

J'aimerais poser la question suivante, madame Hoogveld. Quelle forme de soutien l'école offre-t-elle aux personnes victimes d'intimidation, que ce soit en ligne ou dans la vraie vie?

Mme Hoogveld : Je pense que, tout dépendant des écoles, le conseiller pédagogique et son bureau offrent beaucoup de soutien aux élèves. Ils peuvent vraiment nous aider. Même si l'on sait que quelqu'un est victime de cyberintimidation, ils feront tout leur possible pour que ça cesse.

Le sénateur Meredith : Comment encouragez-vous les jeunes que vous savez être victimes de cyberintimidation? Que faites-vous

Mme Hoogveld : Je leur dirais d'en parler à leurs parents et je m'assurerais que ça cesse et qu'ils ne sont pas laissés à eux-mêmes.

Le sénateur Meredith : Merci énormément, madame Hoogveld.

La présidente : Merci, madame Hoogveld.

Qui est le prochain témoin?

Mariel Calvo, étudiant, Springbank Middle School : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vais vous expliquer ce qu'on ressent quand on est victime de cyberintimidation — que ce soit ou non un problème au Canada — et ce que je pense que nous pourrions faire pour l'enrayer.

La cyberintimidation représente un problème très grave pour les adolescents canadiens. Les gens qui disent que ce n'est rien, que ce n'est pas important et que les jeunes exagèrent ses conséquences ont complètement tort. Ce problème a une énorme incidence sur notre vie. Cette forme de harcèlement peut donner lieu à de mauvais résultats scolaires et à une faible estime de soi et entraîner d'importantes conséquences psychologiques susceptibles de mener à la dépression et au suicide. On ne peut donc vraiment pas dire que les adolescents en font tout un plat pour rien.

La principale différence entre l'intimidation en classe ou dans la cour d'école et la cyberintimidation, c'est que nous pouvons être victimes de cyberintimidation en tout temps et que cela nous donne l'impression de n'être en sécurité nulle part. Qu'on soit à l'école, à la maison ou n'importe où ailleurs, on peut être pris pour cible. Cela nous rend la vie extrêmement difficile, car nous en ressortons toujours assez ébranlés et quelque peu effrayés.

Sur Internet, on peut être n'importe qui. On peut agir différemment et dire des choses qu'on ne dirait pas normalement. On a beaucoup de pouvoir quand on est en ligne. Je trouve que bien des adolescents abusent de ce pouvoir et l'utilisent simplement pour blesser les autres.

Certains jeunes créent des groupes ou des pages sur Facebook dans le seul but d'humilier un de leurs pairs ou de se moquer de lui. Ils envoient des invitations ou font d'autres choses du genre. Ils l'envoient et disent : « Oui, joins-toi à ce groupe où l'on se moque de toi et où l'on dit des choses terribles à ton sujet. » Ce n'est pas gentil, et c'est très blessant. Aussi, ils envoient des messages textes ou des commentaires menaçants à d'autres personnes. Ils lancent ou répandent des rumeurs à propos des autres. Il peut s'agir de gens qui ne sont pas de notre école.

Il y a un site web, Tumblr, où l'on peut envoyer des messages anonymes. Bien des gens s'en servent pour envoyer des messages haineux en prétendant qu'ils ne le sont pas. Ces gens disent à des personnes qu'ils ne connaissent probablement même pas qu'ils sont gros, laids et idiots. Parfois, ils leur disent qu'ils devraient se tuer et que personne ne se soucie d'eux. À force d'être exposés à cela, on commence à y croire. J'ai entendu des histoires et j'ai vu bien des gens être blessés par cela au point de s'infliger eux-mêmes des blessures parce que, chaque jour, quand ils rentraient à la maison après l'école, ils voyaient ces choses qu'on avait écrites à propos d'eux ou directement à eux, alors qu'ils n'avaient rien fait de mal.

Comment pouvons-nous empêcher que cela survienne? C'est très difficile, selon moi, car la cyberintimidation se fait en ligne. Cela se fait au moyen de textos, au moyen de technologies. Évidemment, on ne peut pas éliminer cela. J'ai vu des enfants de six ans se balader avec des iPhone, alors que moi-même je n'ai même pas de téléphone cellulaire.

On ne peut pas éliminer la technologie. Toutefois, je pense que l'adoption d'une loi à ce sujet ne ferait pas grand-chose, car je ne crois tout simplement pas que les adolescents la respecteraient. Ça ne paraîtrait pas assez réel. Ça les rendrait peut-être un peu plus prudents et un peu plus conscients de ce qu'ils disent ou de ce qu'il font, mais je ne pense pas qu'ils cesseraient pour autant d'agir ainsi.

Selon moi, nous devrions encourager les gens à parler de ce problème, les sensibiliser et veiller à ce que tout le monde sache à quel point cela peut causer du tort aux autres et complètement détruire leur vie. De plus, comme je l'ai dit, il y a des petits enfants qui se promènent avec de tels appareils technologiques. Si nous pouvions apprendre aux enfants à les utiliser d'une façon convenable et non négative, je pense que ce serait très utile et que cela contribuerait beaucoup à lutter contre la cyberintimidation.

Voilà ce que je pense. Merci.

La présidente : Vous avez tous deux fourni beaucoup de renseignements. Croyez-vous qu'avant d'acheter un iPhone ou un BlackBerry à leur enfant — surtout s'il est âgé de six ans, qu'il est en bas âge —, les parents devraient avoir une certaine discussion avec lui au sujet de l'intimidation qui peut être faite par l'intermédiaire d'un tel appareil?

Mme Calvo : Oui, certainement. À mon avis, si les parents apprennent à leurs enfants à bien les utiliser et s'ils sont conscients du problème — comme tout le monde —, cela pourrait être très bénéfique sur le plan de la prévention et vraiment régler le problème. Personnellement, je ne pense pas que les enfants de six ans devraient avoir un téléphone cellulaire. Moi, j'ai 14 ans. Je n'ai pas de téléphone cellulaire et je n'en ai pas du tout besoin. Je pense en effet que les parents devraient être conscients du problème et qu'ils devraient savoir ce que c'est et en parler à leurs enfants.

Le sénateur Robichaud : Combien de jeunes de votre groupe d'âge ont les moyens de communiquer? Comment une personne de votre groupe d'âge se sent-elle si elle n'a pas de téléphone cellulaire ou d'autre appareil de communication? Ne se sent-elle pas exclue?

Mme Calvo : Oui. Je pense que cela dépend aussi des gens. Certains jeunes de mon âge n'utilisent pas Facebook ou d'autres médias du genre, et cela ne les dérange pas. C'est vraiment ainsi que notre génération communique; c'est notre vie sociale. Les gens se font des amis sur Facebook, sur Tumblr, et cetera. C'est ainsi qu'ils font connaissance. Ça vous paraît probablement très bizarre, car vous êtes vieux et...

Le sénateur Robichaud : Nous sommes vieux; c'est bien vrai.

Mme Calvo : C'est ainsi que nous communiquons. Sans ces technologies, on se sent certainement exclu. Personnellement, il m'arrive de me sentir exclue. Quand je vais à l'école sans être allée la veille sur Internet, il arrive que tout le monde parle de quelque chose qui m'échappe complètement. On se sent exclu quand cela se produit, car tout se passe en ligne.

Le sénateur Meredith : Vous n'avez pas besoin d'un téléphone cellulaire; cela coûte trop cher.

Madame Calvo, je vous remercie de vos commentaires. Vous avez dit que le fait d'adopter une loi contre l'intimidation n'aidera pas les jeunes à agir de façon plus responsable et qu'ils ne la respecteront pas. À votre avis, qu'est-ce que nous devrions faire en ce qui a trait aux parents ou qu'est-ce que ces derniers devraient faire pour expliquer à leurs enfants les risques liés aux technologies et les conséquences entraînées par leur utilisation abusive? Croyez-vous que les parents font un bon ou un mauvais travail à ce chapitre?

Mme Calvo : Je pense que tout dépend de la relation qu'on a avec ses parents. Si on parle beaucoup à sa mère ou à son père, alors on peut parler de ce problème, mais si ce n'est pas le cas et qu'on ne communique pas avec eux — comme mon frère, qui ne parle jamais à mes parents de ce qu'il fait en ligne... Tout dépend de la relation qu'on a avec ses parents. Parfois, les parents doivent s'améliorer et se rapprocher de leurs enfants. Je pense que ça aussi, ce serait utile, car ils pourraient parler du problème.

Bien des jeunes qui se font harceler en ligne ne le signalent pas et n'en parlent pas, et cela les ronge de l'intérieur. C'est aussi un gros problème. En en parlant à ses parents, on peut mieux le prévenir et l'enrayer.

Le sénateur Meredith : Selon vous, les parents doivent communiquer davantage avec leurs enfants et savoir ce qu'ils font. Croyez-vous que le fait d'avoir une communication ouverte aidera les jeunes victimes d'intimidation à parler de ce à quoi ils sont confrontés dans les médias sociaux?

Mme Calvo : Oui, c'est certain. Je pense que si on est à l'aise de parler avec ses parents, ou même, si les adultes viennent nous parler, c'est extrêmement bénéfique.

Le sénateur Meredith : Que devraient faire des parents qui découvrent que leur enfant a utilisé de façon inappropriée un appareil technologique qu'ils leur ont acheté?

Mme Calvo : Je ne sais pas trop. Je ne peux pas vraiment répondre, car c'est différent dans chaque famille. Certains parents confisqueraient le téléphone cellulaire de leur enfant et leur interdiraient d'utiliser Facebook, par exemple; d'autres ne se préoccuperaient peut-être même pas de ce qu'il a fait. Personnellement, je ne sais pas. Je ne peux pas parler en leur nom, mais je pense qu'ils devraient obliger leur enfant à s'excuser et vraiment essayer de lui faire comprendre qu'il a mal agi. Je ne sais pas trop; je ne me suis jamais retrouvée dans cette situation.

Le sénateur Meredith : Vous avez dit qu'une loi ne donnerait rien, et je pense que les parents doivent jouer un rôle plus actif. Ils doivent savoir exactement ce que font leurs enfants sur Facebook ou sur Twitter et le tort qu'ils causent à d'autres jeunes. Ils pourraient en profiter pour apprendre à leurs enfants à utiliser ces technologies de façon responsable et pour prendre les mesures qui s'imposent afin que cela ne se reproduise plus.

Vous voyez par vous-même comment de tels gestes peuvent blesser certains de vos amis et les inciter au suicide. Vous avez lu dans les journaux que des jeunes victimes d'intimidation ont fini par s'enlever la vie. C'est pourquoi nous sommes ici et que nous travaillons avec vos écoles et celles d'autres régions du pays. C'est ce que le comité essaie d'empêcher.

Je vous remercie des commentaires que vous avez formulés et du temps que vous nous avez consacré cet après-midi.

Le sénateur Ataullahjan : Madame Calvo, vous devriez être fière de ne pas avoir téléphone cellulaire. Cela montre que vous n'êtes pas une suiveuse. Vous serez une meneuse un jour.

Nous avons parlé des jeunes qui discutent avec leurs parents, mais qu'en est-il de ceux qui ne peuvent pas le faire? Vers qui doivent-ils se tourner?

Mme Calvo : Vers leurs enseignants, leur conseiller pédagogique ou même leurs amis. Si j'avais un problème, je demanderais de l'aide à mes amis; ils ont toujours été là pour moi. Ils peuvent m'aider. Bien souvent, je vois des victimes de cyberintimidation qui ne disent rien parce qu'elles se sentent misérables, faibles et stupides. C'est un gros problème. On peut penser que même nos amis ne peuvent pas nous aider, mais ils le peuvent vraiment. Bien des gens sont là pour nous écouter, pour nous épauler et pour nous aider à faire en sorte que ça cesse.

Emily Dickey, étudiante, Springbank Middle School : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je m'appelle Emily Dickey et je vais vous parler des effets de la cyberintimidation et vous dire ce qu'il faut faire, selon moi.

La présidente : Allez-y, je vous prie. Vous pouvez présenter votre exposé.

Mme Dickey : À mon avis, ce qu'il y a de pire dans la cyberintimidation — et je pense que bien des gens seraient d'accord avec moi —, c'est que les intimidateurs peuvent en faire de façon tout à fait anonyme. C'est comme être poignardé dans le dos sans qu'il y ait moyen de savoir qui a fait ça. L'intimidateur peut écrire un message et l'envoyer en se disant que c'est une blague; il peut être sarcastique. Il n'a aucune façon de savoir comment la victime réagira. Il ne sait pas ce qu'elle fera.

J'ai des amis très proches ainsi qu'un membre de ma famille qui ont été victimes de cyberintimidation. Ils recevaient des messages chaque jour sur Formspring, Tumblr, Twitter et d'autres plateformes. On leur disait qu'ils étaient laids et qu'ils devraient simplement se tuer. Ils ne savent pas qui est l'auteur de ces messages. Ils ne savent pas s'il s'agit d'une personne qu'ils connaissent personnellement ou plutôt d'un simple inconnu qui navigue sur Internet et qui envoie cela. Ils ont d'ailleurs eu des pensées suicidaires, et l'un d'entre eux a même essayé de se tuer.

Des jeunes de partout au Canada reçoivent ces horribles messages sans savoir ce qui se passe. Ils ignorent ce qu'ils ont fait pour mériter un tel traitement; ils n'ont rien fait.

La cyberintimidation, ça blesse les gens. Ça pousse certaines personnes à se suicider et à se faire du mal; ça fait tout cela. Je pense effectivement que, de toute évidence, il faut faire quelque chose contre la cyberintimidation, mais, comme l'a dit Mme Calvo, je pense que l'adoption d'une loi ne changera pas grand-chose. La cyberintimidation continuera, car si les victimes ne dénoncent pas leur agresseur auprès de leurs amis, de leur famille et de leur école, pourquoi le dénonceraient-ils à la GRC pour qu'il ait des problèmes?

Selon moi, les élèves et les jeunes qui vivent une telle situation devraient pouvoir en discuter avec un professionnel à l'insu de leurs parents. Je pense que, selon une politique, ils doivent en parler à leurs parents. Mais peut-être que leurs parents ne comprennent pas le problème ou pensent qu'ils le font seulement pour avoir de l'attention. Ils devraient pouvoir en parler à quelqu'un qui comprend le problème sans que leurs parents le sachent.

Peut-être même qu'un site web — comme www.bullying.org — pourrait être utile. Il devrait y avoir plus de sites web du genre, et le gouvernement pourrait mener une campagne de sensibilisation pour faire comprendre aux victimes qu'elles ne sont pas seules, que d'autres personnes vivent la même chose et que des gens peuvent les aider.

Le gouvernement peut aussi sensibiliser la population au problème lui-même. Je crois que même les adultes ne savent pas ce qu'est la cyberintimidation. Tout le monde doit savoir à quel point c'est grave. Merci.

La présidente : Nous allons passer aux questions.

Le sénateur Harb : Merci beaucoup de votre excellente déclaration. Diriez-vous que, par rapport à d'autres formes d'intimidation — dans la cour d'école, au gymnase ou entre les cours, par exemple —, la cyberintimidation se classe au premier ou au deuxième rang? Quel est le principal problème auquel sont confrontés les élèves de septième ou de huitième année de nos jours?

Mme Dickey : À mon avis, la cyberintimidation est probablement bien pire que les autres formes. La plupart des jeunes n'osent pas dire directement à la victime ce qu'ils veulent lui dire, alors ils le font simplement en ligne. C'est bien plus facile pour eux, je suppose. La cyberintimidation peut être bien plus blessante, car elle permet aux intimidateurs d'écrire plusieurs paragraphes sur ce qu'ils n'aiment pas au sujet d'une personne au lieu de faire quelques remarques insultantes dans la cour d'école. Ils peuvent créer des sites web et des groupes privés sur Facebook et se liguer contre les victimes bien plus facilement.

Le sénateur White : Merci beaucoup de votre déclaration. Votre école est perçue comme un chef de file en matière de lutte contre la cyberintimidation. Votre école dispose-t-elle de règles adéquates pour réagir quand des jeunes en harcèlent d'autres sur Internet? Si oui, pouvez-vous me donner des exemples?

Mme Dickey : Oui, il y a beaucoup de règles à ce sujet. Si la victime signale le problème à la direction scolaire, alors l'intimidateur peut s'attirer beaucoup d'ennuis. Il peut écoper d'une suspension devant être purgée à l'école ou à la maison. Ce n'est pas toléré.

Le sénateur White : À votre avis, est-ce que ces règles fonctionnent?

Mme Dickey : Je pense qu'elles fonctionnent si la victime signale le problème, mais bien souvent, elle ne dit rien à personne et laisse simplement les choses aller.

La présidente : Merci de votre témoignage.

Emilie Richards, étudiante, Springbank Middle School : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. C'est un honneur pour moi de comparaître aujourd'hui. Dans ma déclaration, je vais expliquer à quel point la cyberintimidation est grave, comment on se sent quand on en est victime et ce qu'on peut faire pour améliorer les choses, selon moi.

La cyberintimidation est un problème grave qui touche des élèves et même des adultes de partout au pays. Quelqu'un m'a dit qu'un groupe de garçons de son école ont créé un groupe privé sur Facebook où ils publient des photos d'élèves plus jeunes et écrivent sur eux des commentaires méchants et insultants. Ils les montrent aux autres élèves de leur année, et la personne sur la photo finit par le savoir. C'est une des nombreuses formes que peut prendre la cyberintimidation.

Imaginez ce que c'est d'être la victime et de découvrir que la photo sur laquelle vous croyiez bien paraître attire les moqueries et les insultes d'autres personnes. Il y a énormément de choses qui passent inaperçues et de victimes qui ne parlent pas de leurs problèmes. Elles gardent tout à l'intérieur d'elles-mêmes, et à un moment donné, elles n'en peuvent plus. Je sais par expérience personnelle que la cyberintimidation peut avoir des conséquences terribles sur la vie d'une personne. Sur Internet, je me suis fait traiter de tous les noms de façon anonyme. Des gens m'ont même dit de me suicider. Heureusement, je ne l'ai pas fait, mais les messages qui se moquaient de toutes les choses à cause desquelles je manquais déjà de confiance en moi se sont mis peu à peu à me trotter dans la tête. Je me suis beaucoup torturée à cause de cela.

Je suis fermement convaincue que l'éducation peut contribuer à prévenir la cyberintimidation en expliquant quelles conséquences elle entraîne sur les victimes et comment les messages transmis par l'intimidateur — qui n'y pense même pas à deux fois — peuvent détruire l'estime de soi de la personne ainsi qu'en faisant comprendre aux victimes qu'elles ne sont pas seules. Il n'y a rien d'embarrassant à dire qu'on se fait harceler en ligne. Les victimes ne méritent pas un tel traitement et n'ont rien fait pour s'attirer des ennuis; bien des gens vivent la même chose, et elles peuvent obtenir de l'aide.

Je crois également que, peu importe nos efforts, nous ne pourrons jamais enrayer l'intimidation. Il y aura toujours des gens qui sont jaloux et qui disent des choses qu'ils ne pensent pas toujours. Nous pouvons sensibiliser les gens au problème afin que tout le monde sache ce qui se passe, à quelles fins les technologies peuvent être utilisées de nos jours et comment le fait d'envoyer ou d'afficher un message peut transformer la vie d'une personne. Ça peut même l'amener à mettre fin à ses jours si on va trop loin.

Je suis honorée d'avoir pu faire cette déclaration, et je vous remercie de m'en avoir donné l'occasion. J'espère que vous prendrez des mesures pour lutter contre ce problème très grave.

Le sénateur Ataullahjan : Madame Richards, merci de votre témoignage. Je vous trouve extrêmement brave de nous avoir parlé des problèmes que vous avez vécus. À votre avis, est-ce que la plupart des victimes de cyberintimidation s'abstiennent d'en parler? Est-ce qu'elles font juste garder le silence en espérant que cela cesse?

Mme Richards : Oui, et je pense que c'est parce qu'elles croient qu'il est embarrassant d'en parler. Elles ont l'impression d'être les seules à se trouver dans cette situation, d'être un monstre ou de mériter ce qui leur arrive ou elles croient qu'il y a une raison derrière tout cela. Elles n'ont pas l'impression de pouvoir en parler. Peut-être qu'elles n'ont personne vers qui se tourner. Pour certains, leurs parents peuvent représenter la moitié du problème. Alors, quand elles sont victimes de cyberintimidation, avec qui peuvent-elles en parler si elles n'ont confiance en personne?

Le sénateur Ataullahjan : Comment pouvons-nous encourager les jeunes à en parler? Que pouvons-nous faire? Comment pouvons-nous leur faire comprendre qu'ils ne sont pas seuls?

Mme Richards : En créant des sites web comme bullying.org et en leur disant qu'il s'agit malheureusement de problèmes courants et que bien des gens vivent la même chose. Il y a beaucoup de personnes qui peuvent venir en aide aux victimes. Ce n'est pas une bonne idée de garder pour soi ce que l'on vit, car, à un certain moment, c'est trop, et on craque.

Le sénateur Ataullahjan : Est-ce que quelqu'un a pris votre défense quand vous étiez victime de cyberintimidation? Est-ce que certains de vos amis vous ont défendue?

Mme Richards : Oui.

Le sénateur Ataullahjan : Est-ce que cela vous a aidée?

Mme Richards : Oh, oui. Il y a d'autres personnes dans ma classe qui ont vécu la même chose.

Le sénateur Meredith : Merci de votre exposé. Vous nous avez fait part de votre expérience personnelle. Comment avez-vous fait pour endurer cette situation? Quels gestes avez-vous posés pour éviter de faire comme d'autres élèves ou d'autres jeunes Canadiens qui en sont venus à dire qu'ils souhaitaient mettre fin à leurs jours?

Mme Richards : Grâce à M. Belsey et à notre école, j'ai toujours su que, d'une certaine façon, je n'étais pas seule. En outre, la plupart de ces messages étaient aussi adressés à quelqu'un d'autre, alors le simple fait que nous étions deux à vivre cela m'a beaucoup aidée. Et puis, la plupart des gens dans cette salle m'ont soutenue. Je ne suis pas la seule à avoir été victime de cyberintimidation; bon nombre d'entre nous sont passés par là.

Le sénateur Meredith : Est-ce que le fait de bénéficier d'un réseau de soutien composé d'amis qui ont vécu des expériences similaires vous a aidée à vous en sortir?

Mme Richards : Oui.

Le sénateur Meredith : Avez-vous parlé de votre problème à vos parents?

Mme Richards : Non, je ne l'ai pas fait.

Le sénateur Meredith : Pourquoi donc? À votre avis, pourquoi les jeunes craignent-ils autant d'en parler à leurs parents qui les aiment, qui prennent soin d'eux et qui leur ont acheté les appareils technologiques qu'ils utilisent? Pourquoi les jeunes sont-ils si réticents à en discuter avec leurs parents? Croyez-vous qu'ils vous interdiront d'aller sur Facebook, Twittter ou Tumblr? À votre avis, quelle est la raison de cette crainte? Veuillez nous dire pourquoi les élèves ou les jeunes craignent tant de parler de ce problème avec leurs propres parents.

Mme Richards : Je pense que c'est parce que la plupart d'entre eux n'ont pas de liens très forts avec leurs parents. Les jeunes vont à l'école, et les parents travaillent. Ensuite, les jeunes vont faire du sport, par exemple, et ils n'ont donc pas beaucoup de temps pour discuter avec eux et se rapprocher réellement d'eux afin de nouer des liens d'amitié au lieu d'être seulement leur fille ou leur fils. Je n'avais pas vraiment de liens très forts avec mes parents, alors je ne leur ai tout simplement pas parlé de ce que je vivais.

Le sénateur Meredith : Merci.

La présidente : Merci beaucoup, madame Richards. Vous avez très courageuse de nous faire part de votre point de vue.

Molly Turner, étudiante, Springbank Middle School : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je m'appelle Molly Turner. Je suis honorée de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous parler de la cyberintimidation au Canada. La cyberintimidation est un problème extrêmement grave. Ça ne paraît peut-être pas, mais ça l'est vraiment. Un adulte peut penser qu'il est seulement question d'un message blessant ou d'un texte blessant. Ce n'est jamais juste un texte ou un message. C'est un flot de commentaires narquois et de mots cruels qui ne sont même pas adressés directement à la victime. Une personne peut envoyer un message à propos de vous à quelqu'un d'autre, qui l'envoie à son tour à une autre personne. Puis, celle-là l'envoie à quelqu'un d'autre, et ce, jusqu'à ce que toute l'école sache ce que vous avez supposément fait ou dit. Tout le monde a déjà entendu l'adage voulant que les bâtons et les pierres peuvent nous briser les os, mais que les mots ne peuvent jamais nous faire du mal — ou quelque chose du genre —, mais ce n'est pas vrai : les mots font bel et bien mal, même ceux en ligne.

Je pourrais vous raconter plein d'histoires à propos de la cyberintimidation : bien trop de gens que je connais sont passés par là —, mais il y en a une à laquelle je pense surtout quand j'essaie d'expliquer comment l'intimidation touche des gens qui n'ont même rien à voir avec la situation. Sur Tumblr, on peut envoyer un message anonyme; personne ne saura qui on est. La plupart du temps, je vois que cette fonction est utilisée par des personnes qui ont besoin de conseils au sujet d'une question très personnelle et qui ne souhaitent pas que leur identité soit révélée. J'ai vu des adolescents demander de l'aide à d'autres à propos de problèmes comme l'anorexie, l'automutilation, les relations de couple et une foule d'autres problèmes concernant lesquels les jeunes peuvent s'aider mutuellement.

J'ai des amis qui tiennent un blogue très populaire. Ils ont un nombre formidable de lecteurs et reçoivent beaucoup de messages anonymes pour cette raison. Bien des jeunes leur demandent de l'aide. Ils reçoivent aussi beaucoup de messages haineux, au point d'avoir dû bloquer les commentaires anonymes. Ils ont ainsi empêché d'autres jeunes, aux prises avec des problèmes graves, de se tourner vers eux pour obtenir de l'aide. Ces quelques personnes qui ont senti le besoin d'intimider mes amis ont nui à d'autres personnes sans même s'en rendre compte; et c'est pourquoi je dis que, même si on cible seulement une personne avec des mots blessants, ce n'est jamais seulement elle qui est touchée. L'effet se répand toujours. C'est comme quand on lance un caillou dans un étang : les ondes sur la surface de l'eau se rendent toujours plus loin qu'on aurait pu l'imaginer. Je pense qu'il y a bien des solutions potentielles pour régler le problème de la cyberintimidation. Ce sera difficile, mais nous pouvons faire certaines choses. Nous avons notamment discuté de la possibilité que le gouvernement adopte une loi pour rendre illégale la cyberintimidation, et je sais que ce n'est pas tout le monde qui est d'accord.

À mon avis, même si une loi ne nous permettra pas de régler le problème tout de suite, elle pourrait, après un certain temps, décourager les jeunes d'en intimider d'autres s'ils prennent conscience des conséquences de leurs gestes. Par exemple, il est maintenant illégal de ne pas boucler sa ceinture de sécurité, mais, il n'y a pas si longtemps, c'était acceptable. Après l'adoption de la loi, de plus en plus de gens se sont mis à boucler leur ceinture après avoir compris ce à quoi ils s'exposaient s'ils ne le faisaient pas. Je pense que cela pourrait être la même chose avec la cyberintimidation. Si le gouvernement établissait des conséquences très précises auxquelles s'exposent les personnes qui enfreignent la loi en faisant de l'intimidation en ligne, ça pourrait rendre la cyberintimidation de plus en plus inacceptable dans la société, tout comme le fait de ne pas boucler sa ceinture est maintenant considéré comme inacceptable. Ça ne réglerait pas tout — et certainement pas tout de suite — mais, avec d'autres mesures, ça pourrait être utile.

Je pense que la cyberintimidation est un important problème à l'heure actuelle et qu'il pourrait même empirer si nous ne faisons rien en tant que société. Il touche beaucoup de gens, pas juste une personne, et je pense que le gouvernement pourrait éviter à bien des jeunes de devoir porter ce fardeau — car se faire intimider, c'est vraiment un fardeau. C'est un énorme poids à porter, et, si nous pouvons l'alléger un peu, nous devrions le faire.

Le sénateur Harb : Merci beaucoup. Si je vous comprends bien, nous devons accroître la sensibilisation. Votre école est-elle dotée d'un site web qui vous permet, par exemple, de lui signaler que quelqu'un vous harcèle sans devoir vous nommer?

Mme Turner : L'école elle-même n'en a pas, mais le site bullying.org est couramment utilisé. C'est notre enseignant — M. Belsey — qui l'a créé, et ce site a énormément aidé les jeunes de partout au pays. On peut y raconter son histoire et écrire des poèmes ou n'importe quoi d'autre. C'est là qu'on peut obtenir de l'aide. Notre école n'a pas de site web, mais je sais que le site bullying.org est très utile.

Le sénateur Harb : À votre avis, qu'est-ce que le gouvernement devrait faire pour aider les jeunes?

Mme Turner : Tout le monde ici est plutôt d'accord pour dire que vous devez accroître la sensibilisation, expliquer aux gens ce que ça fait d'être victime de cyberintimidation et de faire comprendre aux parents qu'il s'agit non pas d'un petit problème, mais d'un problème très grave. Il faut expliquer aux intimidateurs ce que ça fait de recevoir leurs messages et, de façon générale, informer la population des conséquences de la cyberintimidation. C'est un gros problème. Nous devons y mettre fin et sensibiliser les gens.

Le sénateur White : Merci beaucoup de votre exposé. Dans votre école, existe-t-il un programme ou une sorte de système de justice par les pairs pour les jeunes qui se livrent à de la cyberintimidation et qui s'attaquent aux autres?

Mme Turner : En fait, il n'y en a pas. Un de mes amis s'est fait intimider en ligne par un autre garçon, et, dans ces cas-là, on donne surtout comme punition une suspension au sein de l'école. Le garçon a été suspendu pour une journée. Je ne crois pas que cela ait vraiment un effet. Selon moi, un système de justice par les pairs serait peut-être une bonne idée parce qu'à l'heure actuelle, il n'y a que les enseignants et la direction qui s'occupent du problème, et ils ne comprennent pas vraiment comment on se sent et combien ça blesse. Je pense que ce serait vraiment une bonne idée d'instaurer un système de justice par les pairs ou de trouver un autre moyen qui permettrait aux élèves de contribuer à régler ces problèmes.

Le sénateur Robichaud : À quelle fréquence les victimes d'intimidation trouvent-elles ensemble l'auteur de ces gestes en discutant entre elles? Vous dites que nous devrions prendre des mesures; elles devraient viser les intimidateurs. À quelle fréquence découvrez-vous que deux ou trois personnes sont habituellement la source des gestes d'intimidation dont vous êtes victimes?

Mme Turner : C'est un problème. Comme d'autres personnes l'ont dit avant moi, les commentaires anonymes étant autorisés sur tant de sites web, on ne sait pas et on ne peut pas savoir qui est le coupable. Ça pourrait être une personne de notre classe. Ça pourrait être une personne qu'on voit chaque jour, mais qu'on ne connaît pas. Il est vraiment difficile de retracer la source de tels commentaires. Il arrive que nous y arrivions, qu'il y ait une conséquence et que le problème se règle, mais, souvent, il est impossible de découvrir qui est le coupable. Je pense qu'il s'agit d'un autre problème et je ne sais vraiment pas comment le régler, mais nous devrions le faire, car, si nous ne savons pas qui est la source de l'intimidation, alors nous ne pouvons pas toujours faire en sorte que ça cesse.

Le sénateur Robichaud : Merci de votre déclaration. Je l'apprécie.

La présidente : Madame Turner, merci beaucoup de votre exposé. Pouvons-nous entendre le prochain témoin?

Katie Allan, étudiante, Springbank Middle School : Mesdames et messieurs les sénateurs, je m'appelle Katie Allen. Aujourd'hui, dans mon exposé, j'aimerais faire valoir que la cyberintimidation représente un problème grave pour les préadolescents et les adolescents canadiens. Je vais aborder trois points : je vais expliquer pourquoi la cyberintimidation est un problème important, à quel point c'est blessant pour un adolescent, et ce qu'il faut faire, selon moi, pour la prévenir.

Comme vous le savez, le taux de suicide chez les adolescents canadiens est assez élevé, et il est évident que nous devons faire quelque chose à ce sujet. On ne peut pas connaître la raison exacte pour laquelle certaines personnes se suicident, mais je pense que, chez les adolescents, ce doit être lié à l'intimidation. Toutes les technologies qui nous entourent ont rendu l'intimidation beaucoup plus facile, et je le sais par expérience. On n'a nulle part où se cacher. Quand on rentre à la maison, le problème est là. Même à l'école, quand on a un téléphone cellulaire, il est encore là.

Il est beaucoup plus facile d'insulter quelqu'un sur Facebook ou au moyen de textos, car on ne peut voir sur son visage les sentiments de douleur et de trahison.

La présidente : Madame Allan, veuillez m'excuser. Vous avez des choses très importantes à nous dire, mais nous avons de la difficulté à vous entendre. Je crois savoir qu'une personne dans la pièce où vous vous trouvez utilise son téléphone cellulaire. Pouvez-vous lui demander de ne pas le faire, s'il vous plaît? Je suis sincèrement désolée. C'est déjà assez difficile comme ça, et je vous demanderais de répéter ce que vous venez de dire, car nous ne vous avons pas entendue. Pouvez-vous recommencer, madame Allen?

Mme Allan : Pas de problème. Aujourd'hui, dans mon exposé, j'aimerais faire valoir que la cyberintimidation représente un problème grave pour les préadolescents et les adolescents canadiens. Je vais aborder trois points : je vais expliquer pourquoi la cyberintimidation est un problème important, à quel point c'est blessant pour un adolescent, et ce qu'il faut faire, selon moi, pour la prévenir.

Comme vous le savez, le taux de suicide chez les adolescents canadiens est assez élevé, et il est évident que nous devons faire quelque chose à ce sujet. On ne peut pas connaître la raison exacte pour laquelle certaines personnes se suicident, mais je pense que, chez les adolescents, ce doit être lié à l'intimidation. Toutes les technologies qui nous entourent ont rendu l'intimidation beaucoup plus facile. On n'a nulle part où se cacher et on n'est jamais à l'abri du risque, qu'on se trouve à la maison, à l'école ou même en vacances.

J'aimerais vous faire part de mon expérience personnelle. C'est bien plus facile d'insulter quelqu'un en ligne, car on ne voit pas la douleur sur son visage.

Quand on est victime d'intimidation, ce n'est pas seulement dérangeant; c'est bien plus que cela. On ressent tout un mélange d'émotions : de la colère, de la confusion, du regret, de la honte, et cetera. On est fâché non seulement contre l'intimidateur, mais aussi contre soi-même, car on l'a laissé nous traiter ainsi. On commence à se tourmenter et à croire que l'intimidateur nous dit la vérité. Cela peut amener la victime à s'infliger du mal, provoquer chez elle des troubles alimentaires, la dépression et des pensées suicidaires et même la pousser au suicide.

Quand quelqu'un nous fait la vie dure en personne, ça fait mal; mais sur Internet, où on ne peut pas se défendre et où on ignore une fois sur deux qui est le coupable, c'est comme recevoir un coup de poing dans le ventre. On se sent tout simplement sans défense.

Une de mes amies possède un blogue sur Tumblr, et elle a reçu tellement de messages haineux anonymes qu'elle a fini par s'enlever la vie. C'est dur pour tout le monde, même pour toutes les personnes sur Tumblr. Ça fait peur. Tumblr est un outil super qu'on peut utiliser pour exprimer ses émotions; mais, quand quelque chose du genre se produit, on ne veut plus vraiment le faire.

Honnêtement, je pense que si on veut prévenir la cyberintimidation, on doit faire comprendre aux intimidateurs à quel point ils blessent les gens et leur donner l'occasion de connaître le point de vue des victimes et de constater le mal qu'elles s'infligent.

Je vous remercie.

La présidente : Madame Allan, vous avez été très patiente à notre égard malgré votre faux départ. Je m'en excuse, mais nous vous remercions. Votre message a certainement passé; je peux vous l'assurer.

Le sénateur Ataullahjan : Madame Allan, à votre avis, est-ce que la plupart des activités de cyberintimidation sont causées par des personnes connues de la victime? Quand vous avez prononcé le mot « haineux » dans votre exposé, cela m'a saisie. Il semble y avoir beaucoup de haine. Est-ce que ce sont des gens que la victime connaît ou de purs inconnus qui écrivent ces propos haineux de façon anonyme?

Mme Allan : Si c'est anonyme, on ne sait jamais vraiment si on connaît la personne. Tout dépend des sites qu'on fréquente. Sur Facebook, les gens ne peuvent pas vraiment être anonymes, à moins de créer de faux comptes, mais je dirais qu'il s'agit d'un mélange des deux. Parfois, on reçoit des messages haineux provenant de personnes qu'on connaît; et d'autres fois, ils proviennent des personnes qu'on a jamais rencontrées ni vues et qui vivent dans un autre pays.

La présidente : Merci. Pourrions-nous entendre le prochain exposé?

Shelby Anderson, étudiante, Springbank Middle School : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je m'appelle Shelby Anderson et je suis honorée de comparaître devant vous aujourd'hui.

Qu'est-ce que la cyberintimidation? Ça peut être un message méchant sur Facebook, une photo inappropriée de vous en train de faire des folies qui a été prise à votre insu et qui circule sur Internet, un courriel vous disant à quel point vous êtes laide, stupide ou attardée, des menaces de mort et même des textos. Si on reçoit un texto écrit tout en majuscules, on ne sait pas si la personne qui l'a envoyé est sérieuse ou si elle l'a écrit juste pour plaisanter ou pour faire une blague.

La cyberintimidation est partout, et ça fait vraiment mal. Ça donne envie de se tapir dans un trou et d'y rester. Ça donne l'impression qu'on est tout seul et que personne n'est là pour nous aider, que personne ne peut nous aider.

La cyberintimidation est-elle un problème important? Ça l'est, surtout chez les jeunes. Quand les adultes en sont témoins, ils pensent habituellement qu'il s'agit seulement d'une blague entre jeunes et qu'il n'y a pas de soucis à se faire. Mais les enfants sont de plus en plus méchants. À 10 ans, ils décident déjà qui est un rejet et qui est populaire. La cyberintimidation — ou l'intimidation en général — amène des jeunes à s'enlever la vie parce qu'ils n'en peuvent plus d'être harcelés et qu'ils commencent à croire ce que disent leurs intimidateurs. Les victimes — garçons et filles — entendent des murmures et des gloussements, et on mentionne leur nom dans toutes les conversations. Les paroles des intimidateurs se fraient un chemin jusqu'aux oreilles des victimes.

Facebook, par exemple, est un site formidable. On peut partager des photos, rester en contact avec des membres de sa famille partout dans le monde et clavarder avec ses amis. Mais Facebook a aussi des aspects négatifs. Pour un intimidateur, c'est l'endroit parfait où choisir ses victimes. Il y a habituellement deux choses que font les intimidateurs sur Facebook. La première, c'est trouver une photo sur laquelle une personne croit très bien paraître pour y laisser des commentaires horribles et faire en sorte qu'elle n'ait pas confiance en elle et qu'elle se sente très mal dans sa peau. La deuxième, c'est copier la photo et la montrer à leurs amis, qui la montreront aux leurs, ce qui répandra de plus en plus la rumeur.

Comment pouvons-nous prévenir la cyberintimidation? Personnellement, je ne suis pas certaine qu'il existe un moyen de l'enrayer complètement, car c'est difficile. Tous les gens du monde peuvent en faire. Même si nous essayons de faire cesser la cyberintimidation, les gens peuvent continuer à en faire.

Je ne pense pas qu'une loi réglera le problème. Je pense que même si on adoptait une loi, les jeunes continueraient quand même à poser de tels gestes, car ils ne penseraient pas qu'elle entraînerait des conséquences pour eux. Cependant, si on est le parent d'un enfant qui intimide les autres, il ne faut pas se mettre en colère contre lui; il faut plutôt essayer de lui parler et lui dire : « Les gens que tu intimides sont humains, eux aussi, ils ont des sentiments comme toi et moi, et ce que tu leur fais les blesse. »

Si votre enfant est victime d'intimidation, essayez de lui faire comprendre qu'il peut vous en parler. Même si c'est dur et que vous êtes toujours là pour lui, les jeunes ont de la difficulté à admettre qu'ils sont victimes d'intimidation, entre autres. Il est difficile de confier de telles choses à quelqu'un, mais ça fait vraiment du bien.

Si vous êtes l'ami d'une victime d'intimidation, ne restez pas là à ne rien faire. Ne la laissez pas tout simplement se faire malmener. Ne la regardez pas tout simplement se faire faire du mal. Vous devez en parler à quelqu'un; vous devez en parler à un parent ou à un enseignant. Ils aideront la victime, eux aussi.

Nous devons trouver une façon de mettre fin à l'intimidation parce que cela cause du tort à des jeunes de partout dans le monde et que c'est mal. Merci.

La présidente : Merci beaucoup de votre déclaration. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Robichaud : Merci beaucoup de votre exposé. Dans votre école, vous vous êtes unis et, d'après ce que je comprends, vous avez créé des groupes pour discuter de l'intimidation et de ses effets. Avez-vous constaté des changements dans le comportement des intimidateurs? Y a-t-il moins d'intimidation que par le passé?

Par ailleurs, vos amis qui sont victimes de tels gestes sont-ils plus nombreux à chercher du soutien?

Mme Shelby Anderson : Je pense que oui. Maintenant que notre école est sensibilisée au problème et que le site bullying.org existe, je pense que les victimes savent que les gens peuvent les aider et que l'intimidation peut cesser si elles en parlent. C'est difficile, mais si elles le font, elles peuvent obtenir de l'aide.

Pour ce qui est de la façon dont ça touche les intimidateurs, je ne pense pas que ça fasse complètement cesser l'intimidation, mais il y a de moins en moins de gens qui en font, car il y a de plus en plus de jeunes qui osent parler de leurs problèmes, et ils continuent de grandir. Ceux qui se font intimider sont plus grands que les intimidateurs eux-mêmes.

Le sénateur Robichaud : Je pense que ce que vous faites constitue une partie de la solution, en ce sens que vous encouragez les victimes à parler de ce qu'elles vivent et à chercher de l'aide auprès de professionnels. Peut-être qu'on devrait mener ce genre d'exercice dans toutes les écoles du Canada. Je vous félicite d'y avoir participé et d'avoir expliqué ce qui peut être fait pour lutter contre ce problème. Merci beaucoup.

La présidente : Merci, madame Anderson. Pouvons-nous entendre le prochain témoin? Chers membres, je suis désolée, mais je dois être arbitraire. Je vais laisser seulement un sénateur questionner le témoin, car le temps file.

Sloane Anderson, étudiante, Springbank Middle School : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je m'appelle Sloane Anderson. C'est un grand honneur pour moi de pouvoir vous présenter mon exposé aujourd'hui.

Les intimidateurs sont des personnes jalouses, craintives, perturbées sur le plan émotionnel et physique. Selon moi, s'ils intimident les gens, c'est à cause de certaines choses qu'ils ont pu vivre : ils se sont peut-être fait intimider quand ils étaient petits ou ils le sont peut-être maintenant, alors ils ont l'impression qu'ils doivent faire subir la même chose aux autres. Il y a des intimidateurs de tous les âges. Il est triste de constater combien il y en a dans le monde et combien de jeunes se font intimider au point de perdre le goût de vivre. Je pense que, si nous ne pouvons pas régler ce problème maintenant, la vie des enfants deviendra peut-être bien pire que ce qu'elle est actuellement. Il y aura peut-être bien plus de suicides et d'autres tragédies, alors nous devons faire cesser l'intimidation avant que les choses ne s'aggravent.

Quand les jeunes se font intimider, ils se sentent toujours seuls et impuissants. Cependant, il y a toujours des gens qui peuvent les aider, par exemple leurs amis, leur famille ou même le chauffeur d'autobus, s'ils se font intimider dans l'autobus. On peut toujours en parler à quelqu'un. On peut toujours obtenir de l'aide.

L'intimidation est un problème de tous les jours. Je ne pense pas qu'une loi contribuera à l'éliminer, car, comme l'a dit Mme Calvo, nous sommes des adolescents. Bien des gens ne la respecteront pas. Si on envoie un message méchant ou des menaces de mort à quelqu'un sur Facebook, on peut simplement supprimer par la suite ce qu'on a écrit. Donc, si une victime décide de parler de son problème à un adulte, alors l'intimidateur peut supprimer le message et dire : « Non, je n'ai pas fait ça »; et c'est faux, car il l'a bel et bien écrit. Il y a d'autres choses qu'on pourrait faire.

De plus, comme l'a dit Mme Anderson, sur Internet, on ne sait pas quel ton est utilisé par l'intimidateur ou par toute autre personne. On ne sait pas s'il veut être gentil ou méchant. C'est une question de point de vue. Il faut juger soi-même du sens que voulait donner la personne à son message, alors on ne sait pas si elle voulait être gentille.

La cyberintimidation est un problème important qui peut survenir à tout âge. À mon avis, c'est quelque chose qui pousse les jeunes à créer de faux comptes, car ils ont peur de ce que les gens pourraient penser d'eux. Ils peuvent se faire intimider à cause de leur image, de leur personnalité ou de ce qu'ils aiment faire. La raison n'a pas d'importance; on peut toujours trouver un prétexte pour les intimider, et c'est vraiment triste. Donc, ils créent de faux comptes afin que personne ne sache vraiment qui ils sont. Il faut s'accepter comme on est, alors on devrait simplement être soi-même.

On ne peut pas faire grand-chose pour prévenir l'intimidation, mais je pense qu'il faut notamment éviter de révéler nos mots de passe ou nos codes de sécurité à d'autres personnes — même si on leur fait confiance — car on ne sait jamais si d'autres personnes finiront par les connaître.

De plus, si quelqu'un nous envoie un message méchant ou des menaces de mort, il ne faut pas y répondre. Il faut plutôt en aviser ses parents, par exemple. Si on est vraiment fâché contre quelqu'un et qu'on décide de lui envoyer un message méchant afin de se venger, il faut y penser deux fois avant de cliquer sur le bouton d'envoi, car on ne sait pas ce qui pourrait arriver. Imaginez que c'est vous qui recevez le message. Comment vous sentiriez-vous?

Merci.

La présidente : Merci beaucoup de votre témoignage. Le sénateur Meredith va vous poser une question.

Le sénateur Meredith : Madame Anderson, merci de votre exposé. Votre école a joué un rôle très proactif pour ce qui est de mettre fin à l'intimidation dans l'établissement, mais vous avez également des amies dans d'autres écoles. Sont-elles aussi proactives que la vôtre au chapitre de la lutte contre la cyberintimidation?

Mme Sloane Anderson : Notre école est probablement celle qui a pris le plus de mesures pour lutter contre ce problème, car nous avons comme enseignant M. Belsey, qui a lancé le site web bullying.org. Je pense qu'il y a bien d'autres écoles qui font d'autres choses, mais je ne sais pas trop lesquelles.

Le sénateur Meredith : Donc, les jeunes de votre école sont d'avis que la direction fait tout son possible pour éliminer l'intimidation. Comment pourrait-elle transmettre cette approche à l'ensemble de la commission scolaire pour s'assurer que d'autres jeunes qui ne se sentent pas appuyés obtiennent le soutien dont ils ont besoin?

Mme Sloane Anderson : Je pense que ce n'est pas seulement les enseignants et les employés de l'école qui pourraient faire quelque chose, mais aussi les élèves, qui pourraient sensibiliser les élèves d'autres écoles. Nous pourrions tous nous unir et agir. Ça pourrait grandement changer les choses. J'espère que ça le fera. Nous pouvons tous nous unir et agir.

Le sénateur Meredith : Merci, madame Anderson. J'apprécie vos commentaires.

La présidente : Merci beaucoup.

La parole va maintenant au prochain témoin.

Oliver Buchner, étudiant, Springbank Middle School : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Aujourd'hui, je vais vous parler du problème de la cyberintimidation au Canada.

Nous savons tous que la cyberintimidation est un problème important qui touche tout le monde de manière directe ou indirecte. Durant mon exposé, je parlerai des effets de la cyberintimidation sur ceux qui en sont victimes, des raisons pour lesquelles une loi ne parviendra pas à mettre fin à la cyberintimidation et des mesures que nous pouvons prendre pour prévenir le problème sans recourir à une loi.

J'ai constaté que la plupart des jeunes victimes d'intimidation ou de cyberintimidation n'avaient jamais véritablement tenté de discuter de leur cas avec un adulte ou une personne en mesure de les aider. À mon avis, le silence est l'un des éléments qui favorisent la cyberintimidation. L'intimidateur continuera de harceler sa victime car il sait que celle-ci ne le dénoncera pas, même s'il s'agirait de la chose à faire. En général, les jeunes craignent de passer pour lâches s'ils disent à un adulte qu'ils sont victimes d'intimidation.

Pour les gamins, la dénonciation est un signe de faiblesse. Toutefois, la cyberintimidation a des répercussions sur la vie personnelle et familiale de la victime, et même sur ses résultats scolaires, et peut mener à la dépression ou au suicide. Un jeune qui est victime de cyberintimidation ne parvient jamais à oublier totalement le problème, et cela l'empêche de se concentrer lorsqu'il doit le faire, par exemple, au travail ou à l'école.

Une loi pourrait régler quelques problèmes, mais ne pourra pas mettre fin à la cyberintimidation. En tant que jeune d'aujourd'hui, je sais qu'une telle loi n'empêchera personne d'envoyer un message grossier ou méchant. Même en présence d'une loi, la plupart des jeunes victimes d'intimidation ou de cyberintimidation garderont le silence, de sorte qu'il sera difficile de repérer les intimidateurs.

Selon moi, les enseignants devraient éduquer leurs élèves à propos de la cyberintimidation et de l'intimidation proprement dite. Ils pourraient mener des discussions en classe et inviter des intervenants à s'adresser aux élèves. Ils pourraient parler des répercussions de la cyberintimidation et de l'intimidation sur les enfants. À mon avis, cela pourrait réduire le nombre de cas d'intimidation. En éduquant les jeunes, on leur permettrait de prendre conscience de l'ampleur des effets de l'intimidation sur la victime et les membres de sa famille, et de comprendre pourquoi il ne faut jamais adopter un tel comportement. Grâce à la discussion, les jeunes comprendront qu'il n'est pas condamnable de s'adresser à quelqu'un pour lui dire qu'on est victime d'intimidation.

Le sénateur White : Merci beaucoup. Vous avez dit quelques mots à propos du fait que, selon vous, une loi n'aurait pas nécessairement de résultats probants. Dans votre école, il y a des règles à suivre, et ces règles peuvent être considérées comme les lois de l'école. Selon ces règles, les élèves qui pratiquent la cyberintimidation sont passibles d'une suspension. Voudriez-vous, en plus, que les règles de votre école soient modifiées?

M. Buchner : Nous pourrions probablement changer les règles de manière à ce que toute victime d'intimidation ou de cyberintimidation puisse s'adresser à une personne, par exemple, le conseiller d'orientation de l'école, et que l'intimidateur subisse les conséquences de ses actes, vu qu'ils sont répréhensibles.

Le sénateur White : D'après vous, quelles devraient être ces conséquences : celles qui sont prévues actuellement ou d'autres?

M. Buchner : À l'heure actuelle, en règle générale, la conséquence est une suspension, mais il s'agit de la seule véritable sanction imposée par l'école.

Le sénateur White : Merci de vos réponses, et merci également de votre exposé.

M. Belsey : Rebonjour, honorables sénateurs. Cela met fin aux exposés des élèves. Je tiens simplement à répéter que les élèves de l'école intermédiaire Springbank ont été extrêmement honorés d'avoir eu la possibilité de se faire entendre. Je suis vraiment très fier de mes élèves. Je crois qu'ils ont été très fidèles à eux-mêmes. J'espère que vous êtes d'avis que les commentaires qu'ils ont formulés vous aideront à accomplir la tâche ardue qui vous attend.

Cette année, j'enseigne les arts du langage et, à ce titre, il me plaît de penser que les élèves de ma classe sont, à bien des égards, des chefs de file. Ils ont utilisé Twitter. Nous utilisons Skype. Ils ont tous leur propre blogue, dont ils se servent régulièrement pour diffuser les textes qu'ils rédigent. Plutôt que de bloquer l'accès à ces technologies ou de les interdire, nous avons tenté — de manière éclairée et progressiste, du moins je l'espère — de les utiliser afin de montrer aux élèves et à d'autres personnes que l'ordinateur et Internet sont les plus puissants outils de communication de l'histoire de l'humanité. J'ose espérer que mes élèves ont l'impression d'avoir compris, cette année, la puissance positive de ces outils, et que les exposés qu'ils ont présentés aujourd'hui vous ont donné une idée de la mesure dans laquelle la cyberintimidation a des effets incroyablement nocifs, nuisibles et terribles sur leur vie.

À ce moment-ci, si vous avez des questions finales à poser à mes élèves ou à moi, je vous invite à le faire.

La présidente : Le sénateur White a une question à poser.

Le sénateur White : Oui, deux ou trois d'entre nous avons des questions à poser.

Ma question concerne les règles. Un certain nombre d'élèves ont fait allusion aux suspensions. Depuis environ 25 ans, je participe à l'instauration de pratiques de justice réparatrice dans les écoles et les collectivités, et j'aimerais savoir si l'école intermédiaire de Springbank envisageait d'adopter de telles pratiques dans l'avenir.

M. Belsey : Tout à fait. À mes yeux, la justice réparatrice est très importante. Dans le secteur de l'éducation, par les temps qui courent, il y a certaines notions dont on parle beaucoup, par exemple celle de « tolérance zéro ». L'idée de ne pas tolérer l'intimidation est louable, mais le fait de suspendre tout élève qui se rend responsable d'un tel acte ne permet évidemment pas de changer les choses. L'élément important des démarches comme celle de la justice réparatrice tient à ce que les responsables doivent faire face aux conséquences de leurs actes, mais il s'agit de conséquences formatrices et riches d'enseignement.

L'école que j'ai fréquentée en Ontario pour devenir enseignant était merveilleuse. J'ai suivi une formation de quatre ans; durant ces études, que j'ai menées dans une fantastique université canadienne, je n'ai pas suivi le moindre cours axé sur la recherche, ni même une leçon, sur l'intimidation, et encore moins sur la cyberintimidation. Il s'agit là d'un problème qui doit être réglé. Comme mes élèves vous l'ont dit aujourd'hui, bien souvent, les jeunes craignent de se manifester et de se confier à un adulte, ou répugnent à le faire, car il leur arrive de redouter, malheureusement, qu'un enseignant puisse involontairement aggraver la situation, ou que leurs parents, même s'ils les aiment, ne sachent pas vraiment comment réagir.

Si je pouvais recommander à mes élèves, dont le bien-être me préoccupe énormément, de ne pas garder le silence et de s'intéresser à un adulte ou à une personne qu'ils connaissent et en qui ils ont confiance, je leur indiquerais également ce qu'ils doivent faire si l'adulte auquel ils se sont confiés ne sait pas comment réagir. Les recherches révèlent que les jeunes doivent souvent s'adresser à 10 ou 12 adultes, voire davantage, avant de finalement trouver quelqu'un qui puisse les aider. À mes yeux, la justice réparatrice est un exemple éclatant de démarches se traduisant par des conséquences formatrices, c'est-à-dire des conséquences dont on peut tirer des enseignements, et je soutiendrais assurément l'instauration, dans mon école et ailleurs, de mesures de cette nature.

Le sénateur White : Merci de nous avoir fait connaître votre école et vos élèves aujourd'hui.

Le sénateur Ataullahjan : Nous avons entendu neuf élèves aujourd'hui, soit huit filles et un garçon. Est-ce que les filles sont plus souvent victimes d'intimidation, ou sont-elles simplement plus disposées à parler des problèmes qui les touchent?

M. Belsey : La présentation d'un exposé était un exercice facultatif pour mes élèves de huitième année. Je leur ai posé la question suivante : croyez-vous que l'intimidation est un problème qui touche davantage les filles que les garçons? Comme vous l'avez peut-être compris d'après l'exposé de quelques-unes des jeunes filles que vous avez entendues, notamment Mlle Hoogveld, bon nombre des jeunes filles de ma classe croyaient fermement que c'était le cas.

À coup sûr, les garçons subissent diverses formes d'intimidation, mais comme le montrent les recherches, l'intimidation sociale a tendance à être le fait des filles. En outre, vous venez d'entendre un certain nombre de jeunes filles de ma classe, ce qui est peut-être plus important que ce que mentionnent les recherches. Elles pourront me faire un signe pour m'indiquer si j'ai raison ou si j'ai tort, mais je crois que l'une des raisons pour lesquelles un si grand nombre de jeunes filles ont répondu à l'invitation que j'ai lancée, c'est parce qu'elles ont la forte impression que le problème les touche en tant que jeunes filles, en tant qu'élèves de notre école et, de façon générale, en tant que femmes. Elles croient qu'il s'agit d'un problème qui touche particulièrement les personnes de leur sexe.

Elles me sourient et me font signe que oui de la tête. Je pense qu'elles se sont senties particulièrement fortes d'avoir l'occasion de vous faire part aujourd'hui de leurs réflexions, de leurs sentiments et de leur vécu en ce qui concerne l'intimidation.

Le sénateur Robichaud : Monsieur Belsey, je vous félicite. Vos élèves nous ont présenté le problème selon leur point de vue et, à mon avis, ils ont très bien fait cela. Ils se sont exprimés avec clarté et aisance. Je suis certain que cela reflète le travail que vous faites dans votre école. J'espère que l'on fait le même type de travail dans toutes les autres écoles, et je ne dis pas cela pour dénigrer quiconque. Ce que l'on a vu aujourd'hui donne une image positive du travail que vous faites. Je remercie les élèves de leur bon travail. Quant à vous, monsieur, je vous encourage à poursuivre votre travail, car d'après ce que j'ai entendu, il porte ses fruits. Merci beaucoup.

La présidente : Monsieur Belsey, nous vous sommes reconnaissants du travail que vous avez fait pour préparer ces exposés. Nous nous réjouissons à l'idée de collaborer avec vous dans l'avenir. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant accueillir un autre groupe de témoins. D'abord, accueillons M. Scott Hirschfeld et M. Seth Marnin, de l'Anti-Defamation League, qui participeront à la réunion par vidéoconférence. Nous avons également le plaisir d'accueillir Mme Helen Kennedy, directrice exécutive, Egale. Nous connaissons très bien votre travail, et nous vous souhaitons de nouveau la bienvenue.

Seth M. Marnin, directeur adjoint, Affaires juridiques, Division des droits civils, Anti-Defamation League : Bonjour, honorables sénateurs. Merci de nous avoir invités à vous présenter un exposé aujourd'hui. Je m'appelle Seth Marnin, et je suis directeur adjoint, Affaires juridiques, Division des droits civils. L'intimidation et la cyberintimidation font partie des questions juridiques importantes dont je m'occupe dans le cadre de mes fonctions. Je suis accompagné de Scott Hirschfeld, directeur du programme d'études, qui est responsable de l'élaboration de la formation relative à la diversité et à la lutte contre les préjugés et des ressources pédagogiques.

Depuis sa création en 1913, l'Anti-Defamation League — ADL — lutte contre la discrimination et le racisme. Notre mission consiste à combattre la diffamation à l'endroit des Juifs, et à faire en sorte que tous aient accès à la justice et soient traités de façon équitable.

Depuis plus de 25 ans, l'ADL est un chef de file en matière de lutte contre l'intimidation en ligne et de sensibilisation grâce aux cours et aux programmes qu'elle élabore à l'intention des enseignants, des étudiants et des membres de la collectivité afin de leur apprendre à reconnaître la cyberintimidation et à y réagir. L'ADL travaille en étroite collaboration avec des assemblées législatives du pays en vue de mettre au point une loi sur la lutte contre l'intimidation. Nous avons élaboré une loi-type visant à régler les problèmes occasionnés par la cyberintimidation et le fait d'utiliser les médias électroniques afin d'étendre l'intimidation au-delà de la cour d'école, voire jusque dans le sanctuaire que constitue la chambre d'un enfant.

L'ADL est également fière de militer contre la protection de la liberté d'expression. Nous sommes conscients du fait que le premier amendement de la Constitution des États-Unis est unique en son genre, et qu'il peut occasionner des frustrations à certains États dont le cadre juridique permet l'imposition d'un plus grand nombre de restrictions de la liberté d'expression, surtout en ce qui concerne le contenu diffusé sur Internet. Même aux États-Unis, la liberté d'expression n'est pas absolue. Les tribunaux américains ont établi un équilibre entre les droits constitutionnels et la protection de la société contre les préjudices découlant, par exemple, des discours intimidants, menaçants ou diffamatoires, ou dans certains cas, de la liberté d'expression des élèves.

De fait, les élèves ont des droits constitutionnels, mais ces droits sont limités, et peuvent l'être. Comme je l'expliquerai, les tribunaux américains ont trouvé un moyen terme entre, d'une part, la liberté d'expression, et d'autre part, la protection et la sécurité des élèves, ce qui confère aux collectivités, sur le plan juridique, un certain type de marge de manœuvre leur permettant de mobiliser nos jeunes et nos écoles dans le cadre de stratégies proactives visant à lutter contre l'intimidation et les discours haineux en ligne et de faire la promotion de la courtoisie électronique. Nous vous encourageons à élaborer des stratégies de ce genre afin de combattre l'intimidation, le racisme et la haine.

Les administrations scolaires se butent à un certain nombre de restrictions juridiques au moment d'examiner les façons de traiter un incident de cyberintimidation. Au moment de décider des mesures à prendre pour donner suite à un tel incident, les écoles doivent tenir compte d'un certain nombre d'objectifs parfois contradictoires, à savoir la protection de la liberté d'expression des élèves, la protection de la vie privée, le devoir d'offrir un environnement d'apprentissage sécuritaire et l'obligation de respecter les lois en matière de droits civils qui interdisent la discrimination. Aux États-Unis, comme je l'ai mentionné, on peut imposer des restrictions à ces droits.

En 1969, dans le cadre de l'affaire Tinker v. Des Moines, la Cour suprême des États-Unis a fixé la norme à respecter au moment de trouver un juste équilibre entre la liberté d'expression des élèves ou le droit d'une école de punir ces derniers pour certains types de discours. Selon la cour, une école peut restreindre la liberté d'expression si elle nuit de façon sérieuse et importante à la réalisation d'un objectif éducatif ou si elle empiète sur les droits d'un autre élève.

Partout au pays, les tribunaux ont utilisé le critère énoncé dans Tinker afin d'autoriser les écoles à interdire les actes d'intimidation et de cyberintimidation perturbant leur mission de façon notable et importante. Dans la majorité des cas où des écoles ont pris des mesures disciplinaires contre des étudiants ayant commis des actes d'intimidation à l'endroit d'un autre étudiant depuis un ordinateur situé à l'extérieur du campus proprement dit, l'application du critère en question a été contestée. Les tribunaux américains continuent de se débattre avec cette question, mais peuvent de plus en plus considérer comme constitutionnelles les mesures prises par une école si les propos visés ont fait l'objet d'une censure, si les propos tenus hors campus ont des répercussions sur ce dernier.

Les écoles doivent également tenir compte des élèves en matière de protection de la vie privée. Le gouvernement ne peut pas effectuer une fouille au domicile d'une personne s'il n'a pas de raison valable de soupçonner qu'elle s'est livrée à des actes illicites. Cependant, pour mener une fouille dans un établissement scolaire, il n'a qu'à invoquer l'existence d'un doute en ce qui a trait à la fouille de téléphones cellulaires et d'ordinateurs, car le critère est moins rigide. En revanche, les écoles doivent également prendre en considération les droits des victimes d'intimidation. Elles ont un devoir de diligence à l'égard des élèves et, dans le cadre d'une affaire récente, une école s'est vu ordonner de verser 800 000 $ en dommages-intérêts à un élève qui faisait valoir que l'administration scolaire n'en avait pas fait assez pour le protéger contre les actes d'intimidation qu'il avait subis durant des années. En outre, les écoles peuvent être assujetties aux lois en matière de droits civils si les motifs de l'intimidation sont liés à la race, à l'origine ethnique ou au sexe de l'élève.

Enfin, comme il a été mentionné précédemment, des questions liées au droit pénal peuvent entrer en ligne de compte. La liberté d'expression n'englobe pas tous les propos que l'on peut tenir; par exemple, elle n'englobe pas les discours intimidants ou menaçants. De plus, si une caractéristique personnelle ou immuable de la victime est à l'origine de l'acte criminel perpétré à son endroit, l'incident peut être considéré comme un crime haineux. Les écoles doivent être en mesure de prendre contact avec les autorités appropriées si elles soupçonnent qu'un crime de cette nature a été commis. Ces restrictions juridiques doivent être prises en considération au moment d'examiner des stratégies et des recommandations touchant les mesures à prendre à la suite d'un acte d'intimidation ou d'un autre type d'incident motivé par la haine.

J'invite maintenant M. Hirschfeld à vous parler de la formation et des ateliers.

Scott Hirschfeld, directeur du programme d'études, Anti-Defamation League : Bonjour et merci de nous donner l'occasion de vous parler d'un sujet extrêmement important.

Je suis directeur du programme d'études de l'Anti-Defamation League, et je participe à l'élaboration et à la mise en œuvre des programmes de formation et des programmes pédagogiques de notre organisation en matière de lutte contre les préjugés et l'intimidation. Pendant les deux ou trois minutes qui vont suivre, je vous parlerai des programmes offerts par l'ADL en ce qui concerne la cyberintimidation.

Nous offrons aux éducateurs, aux administrateurs, aux fournisseurs de services aux jeunes, aux familles et aux jeunes des ateliers de formation d'une demi-journée ou d'une journée complète. Ces activités visent à mieux faire connaître les caractéristiques et les répercussions particulières des actes de cyberintimidation, à présenter des stratégies permettant de réagir efficacement à de tels actes et d'accroître les connaissances en matière de sécurité électronique et à favoriser le respect de la différence chez les jeunes. Ces programmes de formation interactive fournissent aux participants des renseignements pratiques et des occasions de renforcer leurs compétences qui les aideront à élaborer des plans exhaustifs afin de prévenir la cyberintimidation et la cruauté sociale en ligne et de prendre des mesures pour les contrer. À l'heure actuelle, nous dispensons quatre programmes à divers membres de la communauté scolaire.

L'un de nos programmes s'intitule « Trickery, Trolling and Threats ». Il s'agit d'un programme destiné aux éducateurs de niveaux intermédiaire et secondaire, aux administrateurs, aux fournisseurs de services aux jeunes et aux autres adultes de la communauté scolaire. Pendant une demi-journée ou une journée complète, nous accroissons leurs connaissances à propos des effets de la cyberintimidation, et leur présentons des stratégies leur permettant d'y réagir de manière efficace.

Dans le cadre de ce programme, nous tentons d'amener les adultes à mieux comprendre et mieux connaître les problèmes liés à la cyberintimidation, et à leur apprendre comment celle-ci se manifeste et se produit chez les jeunes de leur collectivité. Nous étudions les liens entre la cyberintimidation, les comportements motivés par des préjugés et les activités haineuses en ligne, et aidons les adultes à apprendre des tactiques qui les rendront capables d'habiliter les jeunes à lutter contre la cyberintimidation.

Nous dispensons également un programme intitulé « Cyberbullying : Focus on the Legal Issues », destiné aux administrateurs d'école et aux autres personnes qu'intéresse le cadre juridique relatif à la cyberintimidation. Il s'agit d'une formation interactive d'une durée de deux heures et demie durant laquelle on se penche de façon approfondie sur des questions de nature juridique et constitutionnelle touchant la liberté d'expression, la protection de la vie privée, la responsabilité et le droit pénal. On examine également des questions concernant les crimes haineux et les incidents fondés sur des préjugés survenus dans le cyberespace, de même que les stratégies d'intervention et les mesures disciplinaires auxquelles il convient de recourir dans les cas de cyberintimidation et de menaces en ligne.

Dans le cadre du programme « CyberALLY », nous fournissons aux jeunes des renseignements pratiques et leur donnons l'occasion d'acquérir des compétences qui les aideront à élaborer des stratégies personnelles afin de se protéger contre la cyberintimidation et à jouer le rôle de cyberallié, ou à prévenir la cyberintimidation et la cruauté sociale en ligne ou à lutter contre elles lorsqu'ils s'y heurtent.

Le dernier programme dont je vous parlerai s'intitule « Youth and Cyberbullying : What Families Don't Know Will Hurt Them ». Il s'agit d'une formation interactive de deux heures destinée aux parents et aux adultes qui a pour but de les aider à mieux comprendre les termes, les compétences, les renseignements et les problèmes liés à la cyberintimidation. De plus, cette formation aide les familles, les enfants et les adolescents à réagir de façon appropriée aux actes de cyberintimidation, et fait la promotion d'environnements électroniques respectueux et sécuritaires pour tous.

L'ADL estime que l'intimidation et la cyberintimidation sont des problèmes qui touchent l'ensemble de la collectivité, et c'est la raison pour laquelle elles mobilisent les personnes chargées de l'éducation des jeunes, les administrateurs, les familles et d'autres membres de la communauté scolaire. Depuis sa création, l'ADL a dispensé environ 500 ateliers de formation sur la cyberintimidation à l'intention de quelque 30 000 personnes dans 25 régions des États-Unis.

Je vais redonner la parole à mon collègue, M. Marnin. Nous allons brièvement présenter quelques recommandations et pratiques exemplaires.

M. Marnin : Sur le plan juridique, notre principale recommandation concerne l'importance d'adopter des politiques et des lois de prévention de l'intimidation et de la cyberintimidation à la fois proactives et souples, et de mettre la collectivité à contribution. Plus particulièrement, les autorités nationales et locales du secteur de l'éducation devraient adopter des politiques de prévention de l'intimidation, et des lois devraient être mises en place pour les obliger à le faire. Ces politiques devraient comprendre des mesures disciplinaires, de même que des mesures proactives ayant des effets préventifs et dissuasifs. Bien entendu, une politique solide de prévention de l'intimidation interdira l'intimidation. Elle devrait comprendre une définition claire de l'intimidation, ainsi qu'une définition large des communications électroniques, de manière à ce que les élèves et la collectivité sachent exactement ce qui est admissible et ce qui ne l'est pas.

Dans le cadre de l'élaboration d'une telle politique, il faudrait solliciter la participation de fonctionnaires, de districts scolaires, de parents, d'enseignants, d'élèves, de bénévoles du secteur scolaire, de policiers et de membres de la collectivité. En outre, la politique devrait offrir aux élèves et aux enseignants des mécanismes leur permettant de signaler les cas d'intimidation de manière sécuritaire, et sans craindre de faire l'objet de représailles.

La politique devrait exiger qu'un avis explicite soit transmis aux parents et aux élèves pour les informer de l'interdiction visant l'intimidation et des mécanismes de signalement des incidents. Elle devrait prévoir des services de counseling à l'intention des victimes d'intimidation, exiger que les écoles signalent les actes d'intimidation à une autorité gouvernementale de manière à favoriser la sensibilisation et la responsabilisation de toutes les écoles, exiger que les enseignants et les élèves suivent une formation sur l'intimidation et la cyberintimidation et, élément important, comprendre une liste précise de diverses catégories, y compris la race, la religion, l'origine nationale, le sexe, l'orientation, l'identité et l'expression sexuelles ou le handicap. Le fait de mentionner de telles catégories permet d'indiquer expressément que l'intimidation visant, par exemple, les Juifs, les gais ou d'autres groupes spécifiques est visée par l'interdiction. Cela permet également de mettre l'accent sur le fait que la haine fondée sur le racisme et les stéréotypes a une incidence particulière sur les collectivités et ne sera pas tolérée.

Dans le cadre d'une stratégie de lutte contre l'intimidation, on peut apprendre aux gens à combattre le problème plus vaste de la haine dans le cyberespace, mais les écoles et les élèves ne portent pas l'entière responsabilité de régler ce problème. Il est crucial que les divers secteurs de la société établissent entre eux un dialogue civil constant.

L'industrie et les consommateurs devraient s'associer afin de trouver des moyens de collaborer et de favoriser le dialogue au sein de la société. En tant que consommateurs, nous avons la responsabilité de collaborer avec l'industrie afin de mettre le doigt sur des moyens de réduire au minimum les dangers et les risques liés à la cyberintimidation et à la cyberhaine. Nous recommandons que les utilisateurs d'Internet s'engagent à aider les membres de l'industrie à comprendre et à distinguer le contenu problématique de celui qui ne l'est pas et à prendre des mesures positives à ce chapitre. Nous recommandons aux membres de l'industrie de comprendre les lois touchant la cyberintimidation, les crimes haineux et la cyberhaine et, dans la mesure du possible, à travailler auprès des jeunes.

Nous recommandons aux fournisseurs de services Internet de définir les discours haineux à proscrire, et d'interdire, dans le cadre de toute convention de services, l'utilisation de propos haineux. Un site web responsable doit mettre en place des mécanismes clairs et conviviaux de signalement du contenu haineux, et prendre rapidement des mesures afin de saisir et de retirer tout contenu haineux signalé. Il s'agit là non pas de censure, mais de conformité avec les modalités d'utilisation énoncées par un fournisseur de services Internet.

Enfin, les gouvernements et les personnalités publiques doivent continuer à condamner le racisme et la violence fondés sur les préjugés chaque fois que des incidents de cette nature surviennent, et peu importe où ils se produisent. De manière à combattre la haine en ligne, nous avons besoin, comme c'est toujours le cas, de la coopération des collectivités. On ne saurait surestimer l'importance du rôle joué par les représentants publics et les services de police prêts à se prononcer contre la haine, la discrimination et l'intimidation. En prenant une telle initiative, ces gens favorisent l'épanouissement d'une culture et d'un climat au sein desquels les autres membres de la collectivité sont disposés à condamner le racisme et à combattre les effets de la haine en ligne.

M. Hirschfeld : Pour conclure le témoignage de l'ADL, je présenterai plusieurs recommandations et pratiques exemplaires que les écoles peuvent mettre en œuvre pour s'attaquer de façon exhaustive et proactive à la cyberintimidation.

Premièrement, il est important que les administrations scolaires procèdent à l'évaluation des besoins au sein de leur établissement. Elles devraient mener des sondages auprès des élèves, du personnel, des familles et des autres membres de la collectivité pour en apprendre davantage à propos de leur vécu, de leurs perceptions et de leurs besoins en ce qui a trait à la cyberintimidation et aux autres questions touchant la sécurité dans l'école et le climat régnant dans cette dernière. Ces données peuvent être utilisées pour éclairer les politiques, les programmes et l'enseignement.

Deuxièmement, chaque école devrait établir un comité appelé à se pencher sur ces questions, ou charger un comité existant de le faire. Ce comité aurait la responsabilité de se tenir au courant des lois, des politiques, des pratiques exemplaires et des tendances en matière de cyberintimidation et de sécurité sur Internet afin de planifier et de coordonner les activités d'enseignement et de programmation qui accroissent la sensibilisation à propos de la cyberintimidation au sein de leur établissement, et d'établir des relations avec les membres pertinents de la collectivité, y compris les responsables de l'application des lois touchant la cybercriminalité.

Troisièmement, les écoles devraient adopter des politiques et les appliquer. Elles doivent mettre en place des lignes directrices claires en ce qui a trait à l'utilisation des technologies au sein de leur établissement et mettre à jour, à cette fin, leurs politiques de lutte contre l'intimidation et le harcèlement et leurs politiques sur la discipline. Elles devraient diffuser ces directives et faire de l'éducation à leur sujet, et faire connaître aux jeunes les conséquences de la cruauté en ligne.

Quatrièmement, les écoles doivent mettre au point des processus de signalement et d'enquête. Elles doivent mettre en place des mécanismes sûrs et confidentiels de signalement des cas de cyberintimidation et informer les jeunes de leur existence. Elles devraient créer des protocoles d'examen des incidents de manière à énoncer clairement les mesures qui seront prises pour assurer le suivi opportun et exhaustif des cas signalés, et dresser la liste des options en matière de mesures à prendre, y compris les mesures disciplinaires, en collaboration avec les familles, les conseillers en orientation et les professionnels des secteurs de l'application de la loi et de la justice, et, au besoin, entrer en communication avec les fournisseurs de services Internet.

Cinquièmement, il faut éduquer la collectivité. Les écoles devraient faire régulièrement participer les jeunes à des activités et à des discussions concernant les normes éthiques régissant les activités en ligne, leur enseigner que toutes les formes d'intimidation sont inadmissibles et les aider à mettre le doigt sur les stratégies leur permettant de contrer la cyberintimidation et la haine en ligne.

Les écoles devraient également dispenser aux adultes de la collectivité des cours de perfectionnement professionnel et d'éducation familiale afin de les aider à mieux reconnaître les signaux d'alarme de la cyberintimidation et à y donner suite de façon efficace.

Sixièmement — et il s'agit de la dernière recommandation —, les écoles devraient mettre en place un plan exhaustif de gestion de l'utilisation d'Internet. Elles doivent instaurer des pratiques de supervision et de surveillance grâce auxquelles leur personnel pertinent demeurera informé de la manière dont les technologies seront utilisées au sein de l'établissement, et qui les aideront à appliquer les règles et les politiques. Le recours à un logiciel de blocage et de filtrage peut faire partie d'une stratégie de surveillance exhaustive, mais ne devrait pas être considéré comme l'unique moyen de garantir la sûreté de l'environnement électronique.

Cela met fin à notre témoignage. Nous serons heureux de répondre à toutes vos questions. Merci beaucoup de votre attention.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre Mme Kennedy, d'Egale Canada.

Helen Kennedy, directrice exécutive, Egale Canada : Chers sénateurs, avant de commencer, je tiens à signaler que mon exposé est une adaptation d'un exposé rédigé par Mme Catherine Taylor, Ph.D., Université de Winnipeg, et membre du comité sur l'éducation d'Egale Canada.

Egale Canada est une organisation canadienne de défense des droits des gais, des lesbiennes, des bisexuels et des transgenres — des GLBT — qui vise à promouvoir l'égalité, la diversité, l'éducation et la justice.

La vision qu'a Egale du Canada est celle d'un pays où les homosexuels, les bisexuels et les transgenres ne font l'objet d'aucune haine et ne suscitent aucune crainte, et où aucune forme de discrimination n'a cours, de sorte que chaque personne peut réaliser son plein potentiel sans se heurter à la haine et aux préjugés.

Notre association a été créée en 1986. Elle a été constituée en tant qu'organisme fédéral sans but lucratif en 1995. Ses principaux secteurs d'intérêt consistaient en l'éducation, la défense des droits, les poursuites et la consultation à titre d'expert.

La présence d'élèves GLBTQ est plus évidente dans certaines écoles que dans d'autres, mais chaque classe de chaque école comprend une personne de ce groupe. Si leur présence ne saute pas aux yeux, c'est probablement parce que ces personnes prétendent être hétérosexuelles ou présenter les caractéristiques habituellement associées à leur sexe afin d'éviter d'être harcelées.

J'aborderai cet après-midi la question de la cyberintimidation en m'appuyant sur les conclusions de notre premier sondage national sur la violence homophobe et transphobe dans les écoles canadiennes.

J'ai apporté une copie du rapport final, que je vous fournirai.

Cette étude nationale a été conçue par le comité des éducateurs d'Egale et des commissaires d'école de toutes les régions du pays afin de répondre à des questions soulevées par des recherches concernant la violence homophobe et transphobe dans nos écoles.

Pendant 18 mois, nous avons recueilli des données auprès de plus de 3 700 participants. Cette collecte de données a pris fin en juin 2009. Notre échantillon était représentatif de la population canadienne dans la mesure où il comprenait des gens de diverses régions et origines ethniques, de même que des personnes habitant dans une ville, une banlieue, un village, une région rurale ou une région éloignée.

Qu'avons-nous appris? Tout d'abord, que les écoles sont bel et bien des lieux où les élèves GLBTQ ne sont pas en sécurité et ne sont pas respectés.

En ce qui a trait à la violence symbolique, par exemple, une proportion de 70 p. 100 des participants homosexuels et hétérosexuels ont indiqué entendre au quotidien des expressions comme « c'est tellement gai » dans leur école. Il est souvent mentionné que, pour les élèves, cela renvoie non pas aux homosexuels, mais simplement à quelque chose de stupide ou d'inutile. Ainsi, les élèves GLBTQ doivent composer chaque jour avec le fait qu'un terme qui concerne le fondement de leur identité est utilisé comme synonyme de « stupide » ou de « bon à rien ». Près de 50 p. 100 des répondants ont indiqué entendre quotidiennement dans leur école des expressions comme « tapette » ou « gouine ».

Nous avons demandé aux participants de nous dire s'ils croyaient que certains endroits de leur école étaient dangereux pour les élèves GLBTQ. La liste des endroits comprenait les salles de classe, les corridors, les vestiaires, les toilettes, la cafétéria, l'autobus et les chemins menant à l'école.

Quelque 79 p. 100 des élèves transgenres, 70 p. 100 des élèves GLB et 47 p. 100 des élèves hétérosexuels ont répondu qu'au moins un endroit de l'école était dangereux pour les élèves GLBTQ. Parmi ces endroits, les toilettes, les vestiaires et les corridors ont été les plus souvent mentionnés.

La violence à l'école se transforme en violence en ligne, où les mêmes types de comportement se perpétuent. Les élèves transgenres sont les plus susceptibles d'être pris pour cibles, suivis par les filles appartenant à une minorité sexuelle, puis les garçons appartenant à une telle minorité.

Environ 30 p. 100 des filles appartenant à une minorité sexuelle subissaient du harcèlement en ligne en raison de leur identité GLBTQ. Quelque 23 p. 100 des garçons homosexuels ont indiqué qu'ils étaient harcelés en ligne en raison de leur orientation sexuelle. Une proportion de 47 p. 100 des élèves transgenres ont mentionné subir du harcèlement dans le cyberespace, comparativement à 5,6 p. 100 pour la population hétérosexuelle.

Environ 16 p. 100 des élèves lesbiennes ou bisexuelles ont dit subir chaque jour ou chaque semaine de l'intimidation en ligne en raison de leur identité sexuelle. Chez les élèves gais, cette proportion s'élevait à 10 p. 100, et chez les élèves transgenres, à 26,7 p. 100.

Une proportion de 51 p. 100 des répondants ont indiqué qu'ils avaient manqué des journées d'école en raison du harcèlement qu'ils subissaient en ligne, ce qui montre l'effet que peuvent avoir les actes de cette nature sur ceux qui en sont victimes. Il s'agit d'une proportion énorme de la population étudiante.

Nous comprenons le profil de base du harcèlement dont sont victimes en ligne l'ensemble des élèves, hétérosexuels ou GLBTQ. Il s'agit d'un phénomène permanent. Nous pourrions convaincre les personnes qui ont commis des actes de harcèlement de cesser d'agir de cette façon, mais dès qu'ils pressent sur la touche « Envoyer », ils perdent toute maîtrise des propos abjects qu'ils ont tenus. Ils continueront indéfiniment d'être diffusés dans les médias sociaux et par message texte.

Les victimes ne se sentent plus en sécurité nulle part — ces messages les accompagnent partout. Nous savons que les enfants et les adolescents dorment souvent avec leur téléphone cellulaire sous l'oreiller, et qu'ils le consultent compulsivement toute la nuit parce qu'ils craignent que, s'ils ne le font pas, on diffusera des messages à leur propos et ils se retrouveront seuls au milieu du champ de tir. Ceux qui pratiquent le harcèlement peuvent frapper à tout moment et en tout lieu, qu'ils soient surveillés par des adultes ou non, et même entre deux bouchées durant le souper en famille.

Il s'agit d'un acte impulsif. Une telle impulsivité laisse peu de place à une réflexion à tête reposée.

Il s'agit de quelque chose de presque réel. Les répercussions du harcèlement en ligne sur les victimes ne sont que trop réelles, mais la personne qui l'exerce comme si cela n'avait pas d'importance n'a peut-être pas pleinement conscience de la portée de ses actes.

Il existe un esprit grégaire. Un commentaire diffusé sur les médias sociaux peut rapidement prendre une ampleur accrue et se transformer en agression de groupe, ce qui mènera la victime à se sentir humiliée et seule au monde.

La cyberintimidation à caractère homophobe a pour effet de divulguer au monde entier l'identité sexuelle d'un jeune GLBTQ. En 2012, même les adultes demeurent prudents et choisissent avec soin les personnes auxquelles ils divulguent leur identité sexuelle de manière à préserver leur sécurité ou simplement à éviter d'avoir affaire à l'intolérance. Pour les jeunes GLBTQ, le fait d'exercer une maîtrise sur la divulgation de leur identité sexuelle peut être une question de vie ou de mort.

Une banque solide de recherches érudites montre que les cas de dépression et de tendance suicidaire chez les jeunes GLBTQ montent en flèche après que leur identité sexuelle a été divulguée à leurs parents ou à des membres de leur famille. Bien souvent, les jeunes qui ont bon espoir que leurs parents réagiront bien à cette nouvelle se trompent. Même si bien des parents accueillent favorablement la nouvelle et soutiennent leur enfant, la littérature révèle qu'une kyrielle d'autres parents réagissent de manière hostile — ils peuvent être choqués et horrifiés, mettre leur enfant à la porte, le priver de sortie, l'envoyer suivre une prétendue thérapie de conversion ou l'agresser verbalement et physiquement.

Nous savons que les jeunes GLBTQ rejetés par leur famille sont neuf fois plus susceptibles que les jeunes hétérosexuels de se suicider.

En dépit des gains réalisés au cours des dernières années au chapitre des droits des GLBTQ, dans certains milieux, il demeure mortel d'être défini comme GLBTQ. Les journaux regorgent d'exemples de harcèlement homophobe et de divulgation malicieuse de l'identité sexuelle d'une personne; par exemple, aux États-Unis, un étudiant a secrètement filmé son jeune camarade de chambre, Tyler Clementi, pendant qu'il avait une relation sexuelle avec un autre homme, et a téléversé la vidéo sur un site de réseautage. Le jeune homme ayant été filmé s'est suicidé.

Nous ne prenons pas suffisamment au sérieux le cyberharcèlement. Cela tient en partie au fait que nous ne voulons pas nous attaquer vigoureusement à l'homophobie parce que nous craignons d'attirer l'attention des médias et de provoquer une réaction hostile chez les parents, mais également au fait que l'accent mis sur le terme « cyberintimidation » détourne notre attention.

Premièrement, ce terme dépersonnalise le comportement — il masque le fait que le comportement est exercé par un intimidateur, et donne à penser que l'action de ce dernier se limite au cyberespace, sans avoir d'effet dans le monde concret.

Il minimise l'importance du comportement. Les mots utilisés pour exercer l'intimidation posent eux-mêmes des problèmes. Malgré tout le travail effectué dans le cadre du mouvement pour la sécurité dans les écoles afin d'attirer l'attention sur le problème, on n'accorde toujours pas aux comportements liés à l'intimidation tout le sérieux qu'ils méritent. Si des adultes étaient victimes d'insultes vicieuses et si on les incitait à se suicider dans le cyberespace ou dans le monde réel, ou si on les plaquait contre le mur et les agressait sexuellement dans des vestiaires, on qualifierait cela de harcèlement, de profération de menaces, de voies de fait et d'agressions sexuelles, c'est-à-dire d'actes délictueux graves.

Troisièmement, il s'agit d'un terme qui dépolitise le problème. Le fait de mettre l'accent sur le cyberespace masque les sources structurelles de la violence et l'homophobie et la transphobie persistantes de la culture scolaire qui confère aux actes de violence un mobile, une logique et une justification institutionnelles.

Le fait d'insister sur la question du cyberespace constitue aussi une partie du problème. Est-ce que le suicide de Jamie Hubley aurait attiré l'attention des médias s'il n'avait pas été diffusé en ligne?

Une grande partie des reportages sur le harcèlement dans le cyberespace diffusés dans les médias présente le cyberespace en tant que tel comme un lieu où règne la loi de la jungle et qui doit être colonisé par des adultes utilisant des systèmes de surveillance pour forcer les jeunes à bien se comporter. Toutefois, le cyberespace n'est pas responsable des crimes commis en ligne. Il ne fait aucun doute que le harcèlement est un crime de situation, et que l'omniprésence et la facilité d'utilisation des moyens de communication électronique créent de nombreuses occasions de commettre de tels actes, mais pour les jeunes GLBTQ, le cyberespace peut aussi bien être un lieu de rêve qu'un endroit où ils sont traqués. Il existe des sites web de lutte contre l'intimidation, et Egale est responsable d'un site — mygsa.ca — qui vise à éduquer les jeunes et à créer au sein du réseau d'écoles du pays des espaces où homosexuels et hétérosexuels peuvent communiquer en toute sûreté. La campagne « It Gets Better » constitue un autre exemple classique. Le cyberespace peut être un lieu d'organisation et de communication pour les activités ne se déroulant pas dans les écoles en tant que telles, un lieu où adultes et élèves, hétérosexuels et GLBTQ, peuvent organiser des activités. Le cyberespace en soi n'est pas le problème. Des choses terribles et des choses merveilleuses se produisent dans le cyberespace, mais les écoles secondaires canadiennes semblent en quelque sorte être demeurées figées dans le temps; des jeunes et des adultes continuent d'y traquer les jeunes GLBTQ, et nous devons nous attaquer à la culture homophobe et transphobe qui persiste dans nos écoles de la même manière que nous avons lutté contre elle dans le monde des adultes, c'est-à-dire au moyen de lois, et également en mettant fin à la loi du silence et en admettant que les GLBTQ doivent être admis tels qu'ils sont au sein de la vie de tous les jours.

La bonne nouvelle tient à ce que les élèves ont fait savoir que le climat s'était amélioré même dans les écoles où seuls de petits gestes ont été posés. Nous pouvons surveiller autant que nous le voulons ce qui se passe dans le cyberespace, et peut-être même réduire notablement le nombre de cas de harcèlement homophobe et transphobe qui y sont commis, mais cela revient non pas à régler le problème, mais à le ramener dans notre sphère physique et concrète.

Pour améliorer les choses, nous devons recourir aux moyens pédagogiques que nous avons mis au point au cours des 50 dernières années pour promouvoir la sécurité et le respect à l'égard de la diversité au sein des écoles. Parmi ces moyens, mentionnons les sanctions sévères à l'égard des propos violents et des actes de harcèlement directs dans les corridors, l'étude des causes historiques des préjugés, la représentation des personnes GLBTQ au sein des programmes de cours, l'utilisation d'un langage n'excluant personne, la tenue d'événements ouverts à toutes les tendances et la prise de mesures visant à soutenir les efforts des élèves.

Les politiques sur le harcèlement et les alliances entre homosexuels et hétérosexuels sont des éléments importants d'une culture scolaire sécuritaire et respectueuse, mais ne sont pas suffisantes à elles seules pour transformer la culture d'une école. À cette fin, le meilleur moyen dont dispose un éducateur consiste en l'enseignement qu'il dispense en classe et, à l'heure actuelle, à ce chapitre, presque rien ne se fait.

Il faut que les ministères de l'Éducation de toutes les régions du pays ordonnent fermement que la question de la diversité sexuelle soit abordée en classe, de la même façon que les questions liées à d'autres types de diversité sociale ont été intégrées au contenu scolaire, à défaut de quoi la crainte des répercussions et l'absence de formation continueront d'empêcher de nombreuses divisions scolaires et la plupart des enseignants de le faire. Par-dessus tout, nous devons faire tomber le tabou qui entoure les personnes GLBTQ dans nos salles de classe et au sein de notre société.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période de questions.

Le sénateur Ataullahjan : Sommes-nous toujours en communication avec les représentants de l'Anti-Defamation League?

La présidente : Oui.

Le sénateur White : Ils sont cachés juste là.

Le sénateur Ataullahjan : Ma question s'adresse à M. Marnin. L'étude du comité porte sur une question liée à la protection des enfants aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Dans quelle mesure votre initiative en matière de cyberintimidation — plus particulièrement celle envers les jeunes — s'inscrit-elle dans le mandat de votre organisation? À vos yeux, la lutte contre la cyberintimidation est-elle liée à la défense des droits de la personne? Comment la lutte contre la cyberintimidation s'intègre-t-elle dans la mission de l'ADL?

M. Marnin : En ce qui concerne la première partie de votre question, je soulignerai que nous n'avons pas inscrit notre initiative de lutte contre la cyberintimidation dans un tel contexte. Nous nous sommes davantage inspirés d'une démarche fondée sur le droit américain, de même que des possibilités qu'il nous offre et des obligations qu'il suppose.

Pour ce qui est de la manière dont cette initiative s'intègre dans l'ensemble de la mission et des travaux de l'ADL, je vous dirai que nous déployons des efforts pour défendre les droits de tout le monde, ce qui comprend, bien entendu, les jeunes, qu'ils soient GLBT ou non. Nous avons constaté très clairement les répercussions de l'intimidation et de la cyberintimidation sur les jeunes, et nous avons décidé de nous attaquer à cela. Il convient de souligner que, avant de nous intéresser à l'intimidation en tant que telle, nous nous sommes penchés sur la question de la cyberintimidation, pour ensuite comprendre qu'il s'agissait d'une forme d'intimidation.

Le sénateur Ataullahjan : De nouvelles questions ont été soulevées. Est-ce que les écoles devraient punir les élèves pour des gestes qu'ils ont posés à l'extérieur du campus? Ont-elles le droit de le faire, ou devrait-on leur accorder le pouvoir de le faire?

En outre, on craint que des dispositions législatives touchant la cyberintimidation ne portent atteinte à la liberté d'expression. La frontière entre liberté d'expression et liberté de tenir des propos haineux est floue. Comment établissez-vous la distinction?

M. Marnin : Il s'agit d'une frontière dont nous nous préoccupons énormément, vu les travaux menés par l'ADL sur des questions de nature constitutionnelle. À nos yeux, il faut comprendre les effets de la cyberintimidation sur les victimes. Ces dernières en viennent à interrompre leurs études ou à manquer des journées d'école, de sorte que la cyberintimidation est aussi nuisible pour ces victimes que des actes d'intimidation qui seraient posés à l'école. Ainsi, même si les actes de cyberintimidation sont posés au moyen d'Internet ou de messages textes, il ne s'agit pas d'un phénomène en vase clos. La cyberintimidation a de profondes répercussions sur les élèves et leur capacité de poursuivre leurs études. Nous venons tout juste d'entendre des statistiques concernant le pourcentage de jeunes qui ne se présentent pas à l'école parce qu'ils ont été victimes d'intimidation et de cyberintimidation, et cela nous préoccupe vivement. C'est de cette manière que nous voyons les choses.

Nous n'avons assurément aucun intérêt à empiéter, à ce chapitre, sur la liberté d'expression garantie par notre Constitution, mais nous devons également comprendre que les propos dont nous parlons, qui prennent pour cible une personne, ne relèvent plus des propos protégés par la liberté d'expression, de la même façon que les propos incitant à la violence ne sont pas protégés par la liberté d'expression.

Le sénateur Ataullahjan : Ma question s'adresse à Mme Kennedy. Merci de votre exposé. Vous nous avez dit que la cyberintimidation envers les jeunes GLBT est une question relative aux droits de la personne qui occupe une place importante au Canada. Pouvez-vous nous indiquer ce que font actuellement, à ce chapitre, les gouvernements fédéral et provinciaux, les administrations municipales et les organisations de la société civile?

Mme Kennedy : À l'exception de Terre-Neuve-et-Labrador, et malgré le fait que l'Ontario se penche actuellement sur le projet de loi 13, il y a très peu de provinces canadiennes qui font quoi que ce soit à ce propos. Il faudra modifier la Loi sur la sécurité dans les écoles de manière à intégrer les alliances gais-hétéros au sein de la structure scolaire de l'Ontario.

Nous avons récemment tenu, dans chaque district de Terre-Neuve-et-Labrador, des séances de formation à l'intention des directeurs d'école, des directeurs d'école adjoints, des conseillers en orientation et des administrateurs d'école. Cette initiative a été couronnée de succès. Le ministère de l'Éducation de cette province a adopté une stratégie très proactive en la matière, car il est au courant des problèmes qui se posent. À l'automne, nous retournerons là-bas pour dispenser des séances de formation à l'ensemble des 5 000 enseignants de la province.

Au Canada, les enseignants ne reçoivent, avant de commencer à enseigner, aucune formation leur fournissant les outils dont ils ont besoin, ou alors ils reçoivent une formation très sommaire. Il est impensable de demander à nos enseignants de prendre en charge ces problèmes si nous ne leur fournissons pas les ressources dont ils ont besoin afin de les régler. Ils doivent comprendre des termes comme « trans », qui renvoient à transgenres et à transsexuels. Il s'agit d'une démarche holistique.

En ce qui concerne la société civile, je mentionnerai que des organisations américaines et britanniques font un certain travail. Le Canada dispose à présent d'un sondage — le premier du genre au pays — qui porte sur le climat dans lequel évoluent les jeunes GLBTQ. Nous avons découvert une chose intéressante : la violence des filles à l'endroit d'autres filles dans les zones isolées est plus répandue que la violence envers les garçons perçus comme gais. En outre, une proportion de 58 p. 100 des élèves se disant hétérosexuels ont indiqué que les actes dont étaient victimes leurs pairs GLBT au sein du réseau scolaire les contrariaient.

À l'échelon fédéral, peu de choses se font. À l'échelon provincial, à certains endroits, on commence à se pencher sur le problème, mais les mesures à ce chapitre n'ont pas l'ampleur qu'elles devraient avoir.

Le sénateur Ataullahjan : Croyez-vous qu'un volet touchant la cyberintimidation devrait être intégré à la formation des enseignants? À votre avis, devrait-on offrir à ces derniers les outils leur permettant de cerner les comportements admissibles, et leur dispenser une formation sur la façon d'utiliser les médias sociaux? Devrait-on leur apprendre cela, et leur enseigner à établir la frontière entre un comportement admissible à l'école et un comportement qui ne l'est pas?

Mme Kennedy : Tout à fait. L'étude que nous avons menée révèle que les enseignants font parfois partie du problème. Ils participent à l'homophobie. Il est arrivé que des enseignants se moquent de jeunes garçons en raison de leur manière de courir. C'est inadmissible. Si nous ne fournissons pas aux enseignants les connaissances et les ressources dont ils ont besoin pour régler le problème, nous ne parviendrons jamais à nous y attaquer de la façon dont on devrait le faire.

Le sénateur White : Merci de vos exposés. Ma question concerne spécifiquement les personnes qui pratiquent l'intimidation, et les différences que la plupart d'entre nous établissent entre la cyberintimidation et l'intimidation à l'ancienne qui se pratique dans les salles de classe ou les cours d'école. Pour bien des gens, il s'agit de deux choses distinctes qui doivent être prises en charge de manière différente. Je ne pense pas que quiconque ici comprenne cela. Comment peut-on prendre en charge ces deux problèmes de façon distincte? J'aimerais que vous répondiez à cette question, madame Kennedy, si vous le voulez bien. Vous entendez probablement vous aussi des propos de ce genre.

De plus, de nombreuses personnes feraient valoir que, pour que la réconciliation se concrétise dans les écoles, il faut engager — et non pas empêcher — le dialogue et la discussion. Une partie des discussions qui ont lieu me plaisent. D'aucuns avanceraient que, pour engager la discussion, il faudrait utiliser des pièces de théâtre et d'autres activités afin de rendre le sujet plus présentable et agréable, et de le délester d'une partie du sérieux qui le caractérise. Avez-vous essayé cela? Y a-t-il des écoles qui font cela?

Mme Kennedy : D'après notre étude, les écoles qui ont adopté des politiques inclusives, les écoles qui ont formulé clairement des politiques de lutte contre l'homophobie et la transphobie englobant les lesbiennes, les gais, les bisexuels et l'orientation, l'identité et l'expression sexuelles, et les écoles où ont été créées des alliances gais-hétéros sont plus sécuritaires et plus ouvertes à la diversité.

Le sénateur White : Ainsi, le dialogue ouvert est la solution?

Mme Kennedy : Il s'agit d'une chose extrêmement importante. Lorsqu'un élève voit sur la porte du bureau d'un enseignant un autocollant indiquant qu'il s'agit d'un lieu sécuritaire, il sait qu'il peut entrer et discuter avec une personne qui comprend et admet son identité...

Le sénateur White : Et le problème.

Mme Kennedy : ... et le problème. Il s'agit d'une chose d'une extrême importance. Plus le programme de cours sera ouvert et inclusif, mieux ce sera. Mes deux jeunes garçons, âgés respectivement de six et huit ans, fréquentent l'école en Ontario. Je sais qu'il est possible qu'ils mènent à bien toute leur scolarité sans jamais que le modèle de leur famille ne soit mentionné dans le cadre d'un cours. Cette négativité qui nous entoure constamment les suivra toujours. Ainsi, plus nous parlerons de ces questions et plus nous le ferons ouvertement, plus notre société deviendra sécuritaire, rassembleuse et tolérante.

Le sénateur White : J'aimerais revenir à mon observation initiale : croyez-vous également qu'il existe une différence fondamentale entre une personne pratiquant l'intimidation et une autre pratiquant la cyberintimidation, indépendamment du fait que la victime appartienne à la communauté GLTB ou à une autre collectivité? S'agit-il de deux types distincts d'intimidation?

Mme Kennedy : À coup sûr. Sous bien des rapports, il est beaucoup plus facile, selon moi, de pratiquer la cyberintimidation, car il est possible de le faire en cachette, depuis n'importe quel endroit, et de façon anonyme.

Le sénateur White : Merci de vos commentaires et de votre exposé.

La présidente : Sénateur White, peut-on demander aux représentants de l'Anti-Defamation League de répondre à votre question?

Le sénateur White : Bien sûr. Je ne sais pas s'ils ont entendu mes deux questions; si c'est le cas, ils peuvent répondre à l'une d'entre elles ou aux deux.

M. Hirschfeld : Oui, nous avons entendu votre question.

Lorsque nous pensons à l'intimidation sous sa forme classique — l'intimidation qui se pratique en personne, par exemple dans la cour d'école —, nous songeons essentiellement à des élèves qui tirent parti de leur force physique ou de leur pouvoir social pour intimider les autres. Il ne fait aucun doute que toute cette dynamique n'a plus cours dans le cyberespace, où tout élève peut pratiquer l'intimidation, peu importe sa force physique ou son pouvoir social.

Nous constatons que l'éventail des élèves pratiquant la cyberintimidation est beaucoup plus vaste que celui des élèves pratiquant l'intimidation classique. Il arrive que des élèves aient recours à la cyberintimidation pour se venger d'autres élèves qu'ils n'auraient pas le courage d'affronter en personne parce qu'ils ne disposent pas de la force physique ou du pouvoir social nécessaire à cette fin. Ces élèves ont recours au cyberespace pour exercer leur vengeance. Il arrive que des jeunes utilisent la cyberintimidation afin de grimper dans l'échelle sociale, car ils croient que cela les aidera à devenir plus populaires ou à se faire admettre au sein d'un groupe particulier.

L'éventail des élèves pratiquant la cruauté en ligne est assurément plus vaste que celui des élèves pratiquant la simple intimidation. Cela indique qu'il est nécessaire, comme ma collègue vient de le mentionner, d'intégrer bien des éléments au programme d'enseignement.

Aux États-Unis, très peu de temps est consacré à l'apprentissage et aux sujets de nature sociale et émotionnelle. Nous formulons beaucoup de vœux pieux à ce chapitre, mais au bout du compte, le programme d'études est dominé par les sujets éprouvés, les matières scolaires bien établies. Les programmes ne prévoient que de courtes périodes où l'on peut fournir de l'information aux enfants, les aider à renforcer leurs compétences, leur accorder du temps et du soutien pour qu'ils mettent en pratique des comportements éthiques et positifs dans le cadre de communications en ligne et pour leur apprendre ce qu'ils doivent faire s'ils sont témoins d'actes d'intimidation ou si on fait pression sur eux pour qu'ils participent à de tels actes. Nous devons incontestablement prévoir du temps pour dispenser aux jeunes un enseignement sur les choses de ce genre.

Le sénateur Zimmer : Dans mon temps, on réglait soi-même le différend nous opposant à l'agresseur; si l'on parlait de lui ou dévoilait son nom, on se voyait qualifié de porte-panier ou de mouchard, et un châtiment venait s'ajouter aux actes dont on était déjà victime. Même si l'enseignant disait que ces actes devaient cesser, les agresseurs trouvaient le moyen de recommencer à s'en prendre à leur victime.

À présent que l'on peut utiliser d'autres moyens que les autorités appropriées pour régler le problème, est-ce que les châtiments et les représailles de ce genre existent toujours? Oui, Facebook et Twitter peuvent être utiles, mais peuvent également être utilisés de façon abusive. Ma question est la suivante : est-ce que le fait de signaler des actes d'intimidation aggrave les choses, vu que cela amènera les agresseurs à se venger de ceux qui les ont dénoncés? Ils affirment qu'ils agiront dorénavant de façon positive, mais dans les faits, est-ce qu'ils attendent leur victime derrière la remise pour exercer leur vengeance? Est-ce que la dénonciation aggrave les choses?

M. Hirschfeld : Je peux répondre à cette question. À coup sûr, les représailles existent toujours. À mon avis, de façon globale, je ne crois pas que la dénonciation aggrave les choses. Nous encourageons assurément les jeunes victimes d'intimidation ou de cyberintimidation à ne pas garder le silence, car nous croyons que cela occasionne des dommages considérables sur le plan émotif. Nous encourageons les jeunes à se confier à un ami ou à un adulte auquel ils font confiance, par exemple, un parent, un enseignant ou un conseiller de leur école. Dans certains cas, les représailles sont quelque chose de bien réel mais nous estimons qu'il est toujours préférable de dévoiler un problème de manière à ce que les adultes puissent collaborer avec les élèves pour le régler d'une manière qui profitera à tout le monde.

Votre question est importante parce qu'elle concerne un problème qui englobe la culture entière d'une école. La plupart des recherches montrent que, dans leur for intérieur, la plupart des élèves et des jeunes ne sont pas à l'aise avec les actes d'intimidation et de représailles; cependant, ils croient peut-être qu'ils sont les seuls à éprouver ou à penser cela, et que le reste de leurs pairs sont d'accord avec les comportements négatifs de ce genre.

Beaucoup d'élèves partagent les mêmes sentiments et les mêmes pensées, mais ils gardent le silence parce qu'ils croient être les seuls à penser de cette façon. Les écoles ont la responsabilité d'engager le dialogue, d'éduquer les jeunes et de leur faire savoir que la plupart des élèves veulent évoluer dans un environnement sécuritaire et stimulant. En règle générale, les jeunes n'approuvent pas les comportements intimidants. Une fois cette information divulguée, on peut rajuster les normes sociales de l'ensemble de la collectivité, et la plupart des élèves peuvent être habilités à s'unir et à s'entraider de manière à ce que les actes de représailles ne se répandent pas.

Il s'agit là de l'objectif que nous poursuivons avec ce type d'éducation. Il s'agit non seulement d'imposer des mesures disciplinaires aux quelques personnes mêlées à un incident, mais aussi d'éduquer l'ensemble de la collectivité afin de redéfinir les normes de manière à ce que les actes de représailles et les autres comportements négatifs ne puissent pas prendre de l'ampleur. Je m'en tiendrai à cela sur cette question.

Le sénateur Zimmer : J'imagine que cela pourrait leur arriver à eux aussi. Même s'ils gardaient le silence, ils croient probablement que, s'ils n'intimident pas les autres, les autres pourraient cesser de les intimider. Par conséquent, ils ont besoin du soutien de l'école, de la collectivité et de leurs parents. Merci beaucoup.

Mme Kennedy : Je suis tout à fait d'accord avec cela. J'estime que rien de tout cela ne peut être fait de façon isolée. À mes yeux, il faut adopter une démarche holistique en ce qui a trait à l'ensemble du système d'éducation et à la formation préalable des enseignants. Il faudrait envisager d'éduquer les gens, en fonction de leur âge, à propos de l'intimidation et des questions liées aux GLTBQ, et commencer à le faire le plus tôt possible.

Le sénateur Meredith : Je remercie les témoins. Je reviens sans cesse à la question de savoir comment nous devons nous y prendre pour changer la culture qui règne au sein de nos écoles, de nos établissements et du gouvernement en ce qui concerne des questions touchant l'intimidation et l'attitude adoptée envers une personne qui dépose une plainte. Que devrons-nous faire pour changer une telle culture? Madame Kennedy, vous avez dit que les enseignants faisaient partie du problème en ce qui a trait aux GLTB, à qui ils disent presque de prendre leur mal en patience ou de s'arranger eux-mêmes avec leurs problèmes. Ils ne font toujours pas preuve d'empathie envers ces jeunes. Quelles mesures devrons-nous prendre pour changer cette attitude de manière à ce que nous puissions vraiment nous attaquer à la source du problème?

Mme Kennedy : Il existe une multitude de moyens de prendre le problème en main et de le régler. L'un de ces moyens consiste à offrir des modèles de comportement à chaque échelon du domaine politique, par exemple, du domaine de l'enseignement ou du domaine sportif. Il n'y a pour ainsi dire aucun athlète ou politicien ouvertement gai.

Cette semaine, le projet de loi C-279, qui porte sur l'identité sexuelle, fait l'objet d'une deuxième lecture par la Chambre des communes. S'il franchit cette étape, il sera renvoyé à un comité, et les personnes transgenres pourraient se voir englober par la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel du Canada. Si notre société continue de fermer les yeux sur l'existence des GLTBQ et de refuser de se pencher sur cette question, nous continuerons de croire qu'il est répréhensible d'être gai, et nous continuerons d'envoyer des messages négatifs de ce genre à nos jeunes qui sont déjà aux prises avec des difficultés d'ordre identitaire durant leur adolescence.

Notre société doit commencer à parler plus librement et plus ouvertement des questions touchant les personnes GLTB. À l'heure actuelle, quelque 77 pays ont adopté des lois criminalisant l'homosexualité, et dans cinq de ces pays, les homosexuels sont passibles de la peine de mort. En tant que personne « sortie du placard », je constate que cela a régulièrement des répercussions négatives sur notre collectivité. Nous devons engager un dialogue ouvert et respecter l'interprétation religieuse que font certaines personnes des questions relatives aux GLBTQ, et ce, en veillant à ce que notre système d'éducation publique reconnaisse que chaque enfant a le droit d'être en sécurité et d'être éduqué.

Le sénateur Meredith : Monsieur Hirschfeld, avez-vous des observations à formuler à ce sujet?

M. Hirschfeld : Je rappellerai tout d'abord la maxime selon laquelle le changement est un processus, et non pas un événement. Ainsi, il n'existe aucune solution simple et rapide à ce problème. Il faut mettre à contribution l'ensemble des collectivités, et il faut déployer des efforts permanents et à long terme. Toutes les recherches montrent que, pour s'attaquer à des problèmes comme ceux liés à l'intimidation et aux préjugés, il faut que les écoles soient mises à contribution dans le cadre d'une initiative pluriannuelle — c'est de cette manière que l'on commencera à obtenir des résultats durables et que l'on amènera une collectivité à changer. Des collectivités entières peuvent changer et changeront effectivement du moment où elles se seront engagées à le faire. Cela signifie que l'on doit commencer à éduquer les jeunes dès les premières années d'école — ce qui passe par une modification du programme d'études et la fourniture d'une formation aux enseignants et aux parents — et conférer à l'éducation une mission liée à l'apprentissage social et émotionnel. Il faudrait planifier l'enseignement de questions relatives à la sécurité et aux émotions, à peu près de la même façon que l'on planifie le programme pédagogique. Il doit s'agir d'une initiative touchant tous les secteurs. Le message transmis à l'école doit concorder avec le message transmis à la maison, et il doit s'agir d'un engagement pluriannuel. Il n'existe aucune solution miracle — la solution réside dans la cohérence et, comme je l'ai dit, dans la mobilisation de toutes les personnes évoluant au sein d'une école. Si l'on fait cela, on constatera des changements de comportement, et on remarquera qu'un plus grand nombre d'élèves sont en mesure de jouer le rôle d'alliés, de faire preuve de respect envers leurs pairs et de demeurer unis lorsque des gens pratiquent l'intimidation, adoptent des comportements fondés sur des préjugés, et cetera.

Le sénateur Ataullahjan : C'est intéressant. Vous venez tout juste de dire qu'il fallait mettre à contribution l'ensemble de la collectivité. Jusqu'ici, nous avons parlé de la responsabilité des écoles, des enseignants et des parents; à ce moment-ci, j'aimerais que vous me parliez du rôle que joue la publicité sur le plan de la formation des idées des jeunes, et même des enfants. Bien souvent, la publicité influence les idées et les perceptions qu'ont les jeunes de ce qui est branché et normal, et les personnes qui pratiquent l'intimidation s'attaquent souvent à ceux qui ne correspondent pas à ces idées et ces perceptions. Nous parlons du fait qu'il faut éduquer les jeunes à propos de l'intimidation, mais nous devons également faire en sorte que les adultes qui occupent des postes d'influence assument eux aussi leurs responsabilités.

M. Hirschfeld : Je suis entièrement d'accord avec vous. Il serait important d'intégrer aux programmes d'études de chaque école et de chaque niveau scolaire des cours d'initiation aux médias dans le cadre desquels les élèves apprendraient à faire preuve d'esprit critique à l'égard de tout ce qui leur est proposé — films, émissions de télévision, publicités et jeux vidéo — de manière à ce qu'ils s'interrogent sur la signification des messages qui leur sont transmis, leur origine et leur raison d'être, sur la mesure dans laquelle ils adhèrent à ces messages et aux idéaux qu'ils véhiculent, et ainsi de suite. Il est important que cela fasse vraiment partie intégrante du programme d'étude.

Il est également important que des organismes comme l'ADL et d'autres organisations du secteur de l'éducation qui s'intéressent à des problèmes comme l'intimidation et les préjugés établissent des partenariats avec des organisations du secteur des médias afin de les éduquer et de les sensibiliser à propos de l'incidence de leurs messages sur les jeunes, et pour les aider, dans la mesure du possible, à élaborer et à réorienter leurs messages. L'ADL a créé des partenariats avec plusieurs organisations du secteur des médias, notamment MTV. Aux États-Unis, cette chaîne de télévision mène une campagne intitulée « A Thin Line », qui porte sur la violence numérique et la cyberintimidation. L'ADL fait office de conseiller de MTV dans le cadre de cette campagne, et collabore avec elle pour contribuer à orienter les attentes des jeunes et accroître la sensibilisation chez ces derniers. Nous collaborons également avec l'organisation Ad Council, qui est sur le point de lancer une campagne de lutte contre l'intimidation constituée d'une série de messages publicitaires destinés à la télévision et à la radio et d'autres types d'interventions médiatiques.

Je pourrais donner d'autres exemples, mais l'essentiel tient à ce que nous devons travailler en partenariat avec diverses organisations médiatiques et l'ensemble de l'industrie afin de les éduquer et de les aider à transmettre aux jeunes des messages appropriés que nous n'avons pas la possibilité de diffuser à grande échelle, car nous ne disposons pas des mêmes moyens de diffusion que ceux que possèdent ces organisations.

M. Marnin : J'aimerais ajouter à cela qu'il est important que les organismes médiatiques et les sites web, entre autres, soient tenus responsables de leurs propres modalités de service. Ils publient des lignes directrices touchant leurs activités qu'ils se sont engagés à respecter, et l'une des choses que nous avons trouvées utiles au moment de les éduquer à propos des problèmes consiste à leur rappeler leurs idéaux et leurs responsabilités, de même que les politiques qu'ils ont eux-mêmes mises en place. Je crois que, bien souvent, lorsque l'un de leurs utilisateurs contrevient à ces politiques, ils voient ces politiques d'un autre œil, prennent position en leur faveur et assument les responsabilités qui en découlent.

Pour aller au-delà de cela et de la question précédente concernant le changement de culture, je tenais à ajouter que le fait d'établir des lois et des politiques nous donne l'occasion de parler de ces questions, et nous contraint à le faire, ce qui rend possible un changement de culture. Ces lois et ces politiques énoncent la position du gouvernement sur ce qui est admissible et ce qui ne l'est pas, et obligent les collectivités à assumer leurs responsabilités. Vous avez parlé des enseignants qui prenaient part à ce type de comportement; ces lois et politiques constituent un mécanisme qui les tient responsables de leurs activités et de leurs propos.

Mme Kennedy : Plus que jamais, les séries télévisées comprennent des personnages gais, et cela a amené les gens à dévoiler leur homosexualité à un jeune âge. Toutefois, une fois qu'ils l'ont fait, ils ne sont pas soutenus par le réseau scolaire parce que les enseignants n'ont pas reçu la formation dont ils ont besoin pour régler les problèmes de transphobie et d'homophobie qui se manifestent dans les corridors des écoles. On donne à nos jeunes GLBTQ un faux sentiment de sécurité, car on ne leur fournit pas le soutien dont ils ont besoin au quotidien dans l'environnement scolaire.

Le sénateur Meredith : Ma question porte sur un élément dont quelques-uns d'entre vous ont déjà parlé en ce qui concerne les mesures qui doivent encore être prises en matière d'éducation. À votre avis, dans quelle mesure vos programmes d'éducation ont-ils réussi à toucher les gens qui résistent encore aux changements que vous aimeriez voir survenir? Est-ce que vous parvenez à faire passer le message dans le cadre des programmes que vous avez mis en place et qui ont contribué à atténuer les problèmes — par exemple, la cyberintimidation ou l'intimidation en général — auxquels fait face votre communauté ou à mieux les faire connaître? Est-ce que ce message se traduit par les changements que vous souhaitez?

Mme Kennedy : Le travail que nous faisons à Terre-Neuve-et-Labrador est très fructueux.

Lorsqu'un jeune révèle son homosexualité à ses parents, ceux-ci craignent que leur enfant rate sa vie parce qu'ils ne savent pas ce que cela signifie que d'être GLBTQ. Nous avons appris aux enseignants et aux éducateurs qu'ils devaient mieux comprendre cela. Le travail que nous avons fait a donné de bons résultats, plus particulièrement à Terre-Neuve-et-Labrador, et aussi en Ontario. Nous avons mis en place des choses simples comme des toilettes unisexes, ce qui a une énorme incidence sur un enfant en période de transition. Notre formation a permis de régler des problèmes. Je pourrais également donner l'exemple de politiques qui ont été établies et qui énoncent une définition des termes « lesbienne », « gai », « bisexuel » et « transgenre ». Les administrations scolaires ont réécrit leurs politiques afin de refléter la diversité de la population évoluant dans leur établissement, et cela a porté ses fruits.

M. Hirschfeld : Nous avons constaté que l'enseignement et la formation que nous dispensons à propos de la cyberintimidation ont été très bien accueillis et ont eu d'importantes répercussions. En fait, nous avons remarqué que beaucoup d'administrateurs et d'éducateurs désignent ardemment suivre une telle formation, vu que la question attire beaucoup l'attention des médias en ce moment. Il semble que, chaque mois, de nouvelles lois en la matière soient déposées. Les gens se bousculent pour obtenir de l'information et du soutien. Nous avons constaté que les gens voyaient cela d'un très bon œil. Nous nous sommes heurtés à une résistance dans les cas où une école était surveillée de très près par les médias et la collectivité à la suite d'un incident négatif. Il arrive qu'une école se replie sur elle-même, et soit réticente à l'idée d'inviter une organisation à l'aider à se pencher sur ce qui ne tourne pas rond. Il est important que nous établissions des relations avec les établissements de façon proactive — non pas en réaction à un incident, mais avant qu'un incident ne survienne — afin de les aider à créer un environnement où toutes les solutions sont en place avant que les problèmes ne surgissent. Il s'agit là d'un élément.

Je dirais que la principale difficulté ou résistance tient non pas au fait que les gens ne veulent pas utiliser ces renseignements et ces programmes, mais plutôt au fait de trouver une place pour ceux-ci au sein du programme pédagogique, qui comprend toutes sortes d'exigences contradictoires. À l'heure actuelle, aux États-Unis, on met énormément l'accent sur les tests et les normes. Je ne sais pas si une tendance semblable existe au Canada, mais aux États-Unis on exerce des pressions sur les écoles pour qu'elles consacrent beaucoup de temps aux matières de base et aux sujets qui feront l'objet d'évaluations, de sorte que l'on n'a plus de temps à consacrer au perfectionnement professionnel et aux questions de nature sociale et émotionnelle. Même si les médias révèlent chaque jour de nouveaux incidents d'intimidation, et même si tout le monde affirme que nous devons régler ce problème qui touche nos écoles, on a beaucoup de difficulté à trouver le temps — et bien souvent l'argent — nécessaire pour dispenser la formation requise. Nous voulons qu'une foule de changements soient apportés, de manière descendante, à la manière dont les administrations scolaires fixent le temps qui devra être consacré aux divers éléments du programme d'études.

Mme Kennedy : Grâce au soutien de Justice Canada, Egale s'est rendu dans toutes les régions du pays pour dispenser une formation aux policiers et aux personnes-ressources des écoles. Les policiers avaient expressément été invités à venir dans les écoles pour parler des problèmes liés à l'intimidation, à la cyberintimidation et au suicide. Il s'agit d'un programme qui donne de très bons résultats, et Justice Canada nous a beaucoup aidés à régler le problème.

Le sénateur Robichaud : Ma question s'adresse au premier témoin. Vous nous avez dit que vous disposiez de six programmes, et que la plupart d'entre eux étaient destinés aux éducateurs. Vous avez également fait allusion à l'éducation familiale. Dans quelle mesure les parents d'enfants fréquentant ces écoles se donnent-ils la peine de participer à ces programmes de formation, d'écouter ce qu'on leur dit à propos de la cyberintimidation et de s'éduquer à ce sujet?

M. Hirschfeld : La question s'adresse à moi, pas vrai? On s'adresse à l'ADL?

Le sénateur Robichaud : C'est exact.

M. Hirschfeld : Il s'agit assurément d'un défi. Nous constatons que les parents et les familles s'investissent beaucoup plus dans les programmes lorsque leurs enfants sont jeunes et fréquentent l'école primaire. Les adolescents participent moins à la vie scolaire. Il est plus difficile de les amener à participer aux programmes. Cela représente sans aucun doute un défi constant.

Nous essayons d'offrir les ateliers et les occasions de formation aux parents et aux membres de la famille qui sont en mesure d'y participer et qui souhaitent le faire. Ceux-ci doivent s'assortir d'autres efforts déployés par les écoles pour envoyer beaucoup de documentation et d'information et mettre en place des politiques claires. Dans certains cas, les écoles ont des politiques et des contrats que les parents doivent examiner et signer, ce qui fait qu'ils peuvent en discuter avec leurs enfants à la maison. Il peut y avoir des brochures et d'autres documents envoyés à la maison pour renseigner les parents sur les problèmes qui se posent, sur la démarche que l'école adopte pour les régler et sur ce qu'ils devraient dire lorsqu'ils en prennent connaissance.

Il faut qu'il y ait plusieurs initiatives parallèles pour joindre les parents, puisqu'il y en a beaucoup qui sont occupés par leur travail qui ne peuvent pas se rendre à l'école pour participer aux programmes.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Madame Kennedy, parlez-vous français?

[Traduction]

Mme Kennedy : Non.

Le sénateur Robichaud : Ce n'est pas grave.

Vous dites que vous offrez des programmes à Terre-Neuve-et-Labrador et aussi en Ontario. Pourquoi dans deux provinces seulement? Qu'est-ce qui manque?

Mme Kennedy : C'est une très bonne question. Je pense qu'à Terre-Neuve-et-Labrador, on a examiné attentivement les résultats du sondage et pris connaissance de l'ampleur du problème. J'aimerais pouvoir vous répondre. Dans d'autres provinces, nous avons essayé d'inciter les ministres de l'Éducation à répondre au sondage, de créer des alliances gais-hétérosexuels dans les écoles et d'offrir une formation dans le cadre des programmes et aussi aux enseignants. Nous n'avons pas connu autant de succès qu'à Terre-Neuve-et-Labrador. Là-bas, les gens sont ouverts à l'idée.

Le sénateur Robichaud : Le problème vient non pas des éducateurs, mais plutôt des politiciens?

Mme Kennedy : Voilà qui est très perspicace.

Le sénateur Robichaud : Vous pouvez le dire. Il faut que quelqu'un quelque part se rende compte que la situation doit changer. Habituellement, cela commence par les politiciens, par un ministre, soutenu par du personnel.

Mme Kennedy : Exactement. Au Canada, le mouvement GLBTQ a fait valoir ses pouvoirs en s'adressant aux tribunaux. Cela ne s'est pas fait par la politique.

Comme tous les autres groupes marginalisés de la société, nous avons dû nous battre devant les tribunaux. C'est attribuable à toutes sortes de raisons, que ce soit la réaction négative des parents ou le combat entre les droits liés à la religion et les droits de la personne. C'est un problème grave lorsqu'on ne peut pas aborder ces questions aux parlements.

Le sénateur Robichaud : Ce ne sont pas que les éducateurs qui sont concernés. Vous avez mentionné les gens qui se rendent dans les écoles, comme les agents de police ou les conseillers. Tous ces gens doivent recevoir une formation quelconque dans le domaine.

Mme Kennedy : Assurément, s'ils n'ont pas cette formation, ils ne seront jamais en mesure de comprendre ce que cela signifie que d'être GLBTQ. Ils ne pourront pas comprendre. Ils ne connaîtront pas les termes. Ils ne comprendront pas les expressions qui sont utilisées, et, tant que notre société n'aura pas abordé ces problèmes, je pense qu'ils vont continuer d'exister. Les choses ne vont pas s'améliorer.

La présidente : Madame Kennedy, vous avez dit quelque chose qui m'a préoccupée, et c'est que la définition d'intimidation ne reflète pas, si je vous ai bien comprise, la gravité des actes qu'elle désigne. Vous avez ajouté que, si ces actes étaient commis par des adultes, nous parlerions de harcèlement et d'agression, comme en droit pénal.

Est-ce que les enfants sont protégés au même titre que les adultes par l'article 15 de la Charte?

Mme Kennedy : Je pense que dans bien des cas, surtout lorsqu'il s'agit de jeunes GLBTQ, les droits des parents ont préséance sur ceux de l'enfant. Je pense qu'en tant qu'éducateurs travaillant au sein de notre système scolaire, nous devons régler ce problème. Le harcèlement sexuel, l'agression sexuelle, la violence verbale et la cyberintimidation ne sont pas traités de la même manière que si c'était un adulte qui était la cible.

Je pense qu'il y a dans beaucoup de cas un déséquilibre total de pouvoir pour nos jeunes lorsque les politiques et les processus n'existent pas au sein du système d'éducation. Souvent, l'école est le seul endroit où l'enfant est capable de trouver refuge, pendant six heures par jour. Si l'école ne l'accepte pas, il ne s'y sent pas en sécurité.

La présidente : Qu'est-ce qu'on devrait faire pour mieux protéger les droits des enfants?

Mme Kennedy : D'abord et avant tout, nous devrions informer les éducateurs et leur fournir le vocabulaire, les connaissances et l'expertise dont ils ont besoin pour venir en aide aux enfants, l'élaboration de politiques, des modèles de comportement et des premiers programmes adaptés à l'âge. Nous devons créer un milieu où tout le monde peut se sentir bien et qui est accueillant pour tous.

M. Marnin : En général, nous prônons l'idée que les gens devraient recourir aux lois sous leur forme actuelle. Si le comportement en question a la gravité d'un comportement criminel, il n'y a aucune raison de ne pas le faire. Le ministère de l'Éducation a aussi insisté auprès des districts scolaires pour qu'ils aient recours aux lois en matière de droits civils également, surtout lorsque des gens sont visés parce qu'ils appartiennent à une catégorie protégée, et on devrait avoir recours à ces lois en plus des lois pénales lorsqu'il y a infraction à celles-ci.

Mme Kennedy : Lorsque l'enfant ou le jeune ne trouve pas de soutien à la maison, dans bien des cas, le recours à la loi n'est pas une solution qui s'offre à lui.

La présidente : Plusieurs jeunes gens ont présenté un exposé plus tôt dans la journée. Mes collègues ne seront peut-être pas d'accord avec moi, mais les deux choses qui sont ressorties clairement à mon avis, c'est que, premièrement, ils ont besoin de plus de soutien de la part de leurs parents, et, deuxièmement, ce n'est pas nécessairement les lois qui doivent changer, ce sont plutôt les attitudes.

Mme Kennedy : C'est vrai.

La présidente : Je suis sûre que vous vous occupez tous deux de jeunes GLBTQ et de problèmes de diffamation, ainsi que des choses dont le représentant de l'Anti-Defamation League a parlé. Ce n'est pas compartimenté. Il y a aussi la question des autres groupes, les gens de couleur qui font partie de votre groupe. Quels sont les problèmes auxquels ils font face?

Mme Kennedy : Toute la question de l'aspect multidimensionnel de la race, de l'orientation sexuelle et de l'identité sexuelle est très complexe. L'homophobie et la transphobie ne connaissent aucune frontière culturelle, je crois. Je ne pense pas qu'on puisse isoler un sous-groupe au sein de la société et dire que celui-ci exerce une discrimination plus marquée que les autres envers les GLBTQ.

La présidente : Je n'ai peut-être pas posé ma question de façon claire. Je voulais dire que les gens qui font partie des groupes GLBTQ et qui sont en même temps des gens de couleur font probablement face à des problèmes plus importants que les autres.

Mme Kennedy : Certainement. Les Autochtones bispirituels font face à tous les autres « ismes » associés au fait d'être Autochtone et membres d'une Première nation. Les lesbiennes de couleur sont aux prises avec des problèmes de sexisme, de racisme, d'homophobie et de transphobie. L'aspect multidimensionnel est assurément très important lorsqu'on parle de la population GLBTQ.

La présidente : Avez-vous des recommandations précises concernant ce que nous pourrions faire pour venir en aide à ces gens, surtout pour ce qui est de l'aspect cyberintimidation?

Mme Kennedy : Informer les gens.

M. Hirschfeld : Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit Mme Kennedy. L'Anti-Defamation League cherche à combattre les préjugés. Notre organisme n'a jamais été axé sur la prévention de l'intimidation. La raison pour laquelle nous avons abordé cet aspect, c'est que nous avons constaté que, souvent, lorsque les jeunes sont victimes d'intimidation, c'est en raison d'un parti pris, de préjugés ou de la haine. Nous avons retrouvé en grande partie la même dynamique dans les situations d'intimidation que lorsque des préjugés interviennent, et c'est la raison pour laquelle nous avons entrepris un travail dans ce domaine.

Je suis d'accord avec Mme Kennedy pour dire que nous devons adopter une démarche globale qui porte sur les liens entre toutes les formes de parti pris, ainsi que pour dire qu'il ne nous sera jamais possible de travailler sur une forme de préjugé de façon isolée. Il faut tenir un seul discours sur tous ceux-ci.

Cela dit, j'aimerais aussi souligner le fait que, selon les travaux de recherche portant sur les élèves qui sont victimes d'intimidation et précisant les raisons pour lesquelles certains groupes semblent plus touchés que d'autres, du moins d'après les études menées aux États-Unis, ce sont les élèves GLBTQ ou ceux qui sont perçus comme étant GLBTQ par leurs pairs qui le sont.

La discrimination fondée sur le poids est aussi un problème extrêmement important. Le fait que les enfants soient ciblés parce qu'ils sont obèses est un problème très important qui n'est pas vraiment abordé aussi directement que le racisme ou le sexisme. Je ne dis pas qu'il y a des formes de préjugés qui sont plus importantes que d'autres. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, la démarche de lutte contre les préjugés doit être globale, mais les études montrent que certains groupes d'enfants sont plus touchés que les autres par l'intimidation et que nous devons mettre l'accent sur l'information concernant les enjeux en question et sur l'aide offerte à ces enfants, et, comme nous l'avons mentionné tout à l'heure, nous devons aussi nous assurer que les politiques comportent les différentes catégories. Le message sera très clair si nous disons que nous n'acceptons pas l'intimidation et nommons les différents groupes de gens qui sont protégés par la politique que nous formulons. C'est très différent que de dire que nous ne tolérons l'intimidation en aucun cas, mais sans nommer les groupes protégés. Il faut que nous disions haut et fort que nous avons des élèves qui font partie du groupe des lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres et qui sont issus de races et de groupes ethniques différents, de l'immigration, et ainsi de suite. C'est plus qu'un symbole; c'est une prise de position importante et une partie importante des politiques que nous mettons en place.

La présidente : Nous avons beaucoup entendu parler du fait qu'il faut informer les gens. Sur les paquets de cigarettes, il y a un avertissement. Est-ce qu'on devrait informer les parents en leur expliquant qu'il y a des conséquences lorsqu'ils achètent tel ou tel appareil pour leur enfant? Comment faut-il s'y prendre pour informer les gens?

Mme Kennedy : Il est important de commencer à un très jeune âge. Modifier nos programmes et la façon dont nous enseignons à nos enfants, leur enseigner l'acceptation et le respect de la différence, ce serait vraiment un bon point de départ.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, Internet et le cyberespace peuvent être un milieu très sain, si celui-ci fait l'objet d'une surveillance et est traité avec respect. L'enseignement du respect se fait au-delà de toutes sortes de frontières au sein de la société. En commençant par là, nous allons contribuer pour beaucoup à régler les problèmes en question.

Le sénateur Ataullahjan : Est-ce que la cyberintimidation devient moins présente lorsque les enfants vieillissent, comme l'intimidation ordinaire dans les cours d'école? Nous menons la présente étude depuis un certain temps, et ce que nous entendons dire, c'est que ce sont davantage les filles qui ont tendance à poser des gestes d'intimidation lorsque les enfants sont jeunes, au primaire. J'ai été surprise d'apprendre que la cyberintimidation existe aussi au niveau universitaire. Avez-vous des chiffres ou des données qui prouvent que c'est vrai aux niveaux universitaire, collégial et secondaire?

Aux niveaux secondaire, collégial et universitaire, les garçons se livrent à la cyberintimidation comme les filles, tandis qu'au primaire, il semble que ce sont surtout des filles qui le font. Nous avons pu le constater aujourd'hui. Huit des neuf élèves qui sont venus témoigner étaient des filles.

Mme Kennedy : Les chiffres que nous avons tirés de notre sondage indiquent clairement que ce sont surtout les filles qui sont ciblées et qui ciblent les autres. Nous avons effectivement des chiffres pour appuyer cette affirmation. Je parle de la cyberintimidation et de l'intimidation physique en général.

Pour le niveau universitaire, nous ne disposons pas de chiffres de ce genre, mais pour le secondaire, nous savons que c'est un problème courant chez les jeunes filles.

Le sénateur Ataullahjan : Au secondaire aussi, ce sont les filles qui sont victimes d'intimidation et qui posent des actes d'intimidation?

Mme Kennedy : Oui. L'intimidation a lieu dans les endroits isolés comme les salles de bain et les vestiaires des filles.

M. Hirschfeld : Pour ce qui est des formes habituelles d'intimidation en personne, normalement, le phénomène atteint un sommet à l'école intermédiaire, pour ensuite diminuer au secondaire.

Dans le cas de la cyberintimidation, certaines études semblent indiquer qu'elle ne connaît pas cette phase de sommet puis de déclin au secondaire. Elle demeure tout autant présente ou le devient même encore un peu plus. La cyberintimidation n'est pas un problème que les jeunes règlent avec le temps, contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient penser.

Je ne connais pas aussi bien les études menées au niveau universitaire, mais de façon anecdotique, puisque ADL offre aussi des programmes dans les universités, j'ai entendu dire que c'est un problème qui s'accentue, et de plus en plus d'établissements avec lesquels nous collaborons nous demandent si nous pouvons offrir une formation sur la cyberintimidation à ce niveau. De façon anecdotique, cela me porte à croire que c'est un problème qui se pose, même chez les étudiants de niveau universitaire.

En plus de la différence selon le sexe, je pense que la recherche montre — et je déteste faire des généralisations, mais la recherche a démontré ce que je viens de dire — que les filles se livrent davantage à des actes d'agression et d'intimidation relationnels, comme les commérages, l'exclusion et la formation de cliques, qu'à des formes d'intimidation physique. Ces formes d'agression relationnelle et verbale se transposent mieux dans le monde virtuel, et les études montrent donc que, dans bien des cas, les filles sont à l'origine de cyberintimidation et d'incidents d'agression en ligne un peu plus que les garçons. Le problème touche cependant les deux sexes, c'est sûr.

Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez dit qu'une bonne chose qu'on a faite à Terre-Neuve, c'est de créer des salles de bain neutres sur le plan du sexe. Je présume que vous parliez des jeunes qui sont en train de changer de sexe.

Est-ce que vous pensez que l'existence de salles de bain neutres ferait diminuer le nombre d'incidents d'intimidation qui ont lieu dans les salles de bain pour les filles des écoles secondaires? Est-ce que cela empêcherait les jeunes femmes qui posent des gestes d'intimidation de le faire?

Mme Kennedy : Je pense que les écoles seraient certainement plus sûres. Je pense que l'existence de salles de bain neutres sur le plan du sexe et de cabines de toilette individuelles — parce que la plupart des écoles ne pourraient pas faire la transformation en ce moment, ce qui fait que ce serait surtout des cabines de toilette individuelles — rendrait les écoles plus sûres. Il est possible que cela fasse diminuer le nombre d'incidents de violence.

La présidente : Je voudrais remercier les représentants de l'Anti-Defamation League et d'Egale Canada — Mme Kennedy, M. Marnin et M. Hirschfeld — d'avoir pris le temps de venir témoigner aujourd'hui. Vous nous avez appris beaucoup de choses, et nous avons hâte de travailler avec vous.

Nous souhaitons maintenant la bienvenue à Mme Marie-Eve Villeneuve, directrice des communications à Vidéotron. Nous avions hâte d'entendre votre exposé, et je sais que vous avez une déclaration préliminaire à présenter.

[Français]

Marie-Eve Villeneuve, directrice, Communications corporatives, Vidéotron : J'aimerais d'abord vous remercier de nous permettre de présenter notre programme Vigilance sur le Net, à ce jour la plus grande campagne de sensibilisation aux dangers d'Internet au Québec.

Conçu par Vidéotron, Vigilance sur le Net a vu le jour en 2007. Son principal objectif consiste à informer les familles québécoises des dangers potentiels d'Internet tout en leur fournissant les outils nécessaires pour bien se protéger.

Plusieurs réalités ont mené à la création de ce programme. En tant que fournisseur de service Internet, Vidéotron sentait qu'elle avait l'obligation morale de faire de la sensibilisation à l'égard des dangers de l'utilisation qu'on fait de ces services. Dès 2007, nous avons commencé à offrir gratuitement à nos clients notre logiciel de contrôle parental.

[Traduction]

Toutefois, nous savions que cela ne suffisait pas. Nous avons senti le besoin de mettre une gamme plus étendue d'outils pratiques à la disposition des usagers d'Internet du Québec, jeunes ou adultes. N'oubliez pas qu'en 2007, il y avait peu d'information accessible sur la sécurité Internet.

[Français]

Nous avons donc mené un sondage Léger Marketing auprès de 600 parents québécois et leurs adolescents âgés de 12 et 17 ans. Ce sondage a été réalisé dans le but de préciser le secteur dans lequel nous pourrions être utiles. Les résultats nous ont indiqué que de façon globale, les parents connaissaient assez bien les habitudes de leurs adolescents sur Internet. Par contre, ils sous-estimaient certaines pratiques qui pourraient les mettre en danger. De plus, le sondage nous a indiqué que malgré leurs connaissances des dangers du web, 80 p. 100 des adolescents ne naviguaient malheureusement pas de façon sécuritaire. Ils se sentaient bien en sécurité à la maison, derrière leur écran. Vidéotron a donc décidé de cibler les jeunes nés avec une souris à la main.

En 2007, nous avons décidé de créer la Tournée Vigilance sur le Net qui a sillonné les écoles secondaires du Québec pendant trois ans. Le contenu a été conçu avec la collaboration d'un de nos grands experts du web au Québec, M. Denis Talbot, qui a su identifier les principaux dangers d'Internet et tisser le contenu autour de divers thèmes : le partage de fichiers, les faux cadeaux, l'hameçonnage, les mots de passe, le clavardage et le réseautage social.

La Tournée Vigilance sur le Net, c'est plus de 100 conférences de sensibilisation dans les écoles et la rencontre de près de 25 000 jeunes. Au début de l'année 2010, nous avons constaté qu'il existait une nécessité de sensibiliser un plus grand nombre de jeunes dans toutes les régions du Québec. Dès lors, Vidéotron a décidé de lancer une trousse pédagogique destinée aux enseignants. Fondée sur les mêmes dangers d'Internet que ceux ciblés par la tournée, cette trousse pédagogique comporte un module supplémentaire portant sur la cyberintimidation, sujet de plus en plus d'actualité au moment du lancement

Nous devions joindre plus de jeunes puisque, encore aujourd'hui, 58 p. 100 des adolescents ne croient pas que publier des photographies et donner des informations personnelles en ligne est dangereux. De plus, 54 p. 100 des adolescents ont des conversations privées avec des inconnus via messagerie instantanée.

La Trousse Vigilance sur le Net est un outil contenant un guide d'activités pédagogiques permettant aux intervenants d'organiser leurs propres activités de sensibilisation. On y retrouve des textes explicatifs et des ateliers que les intervenants pourront réaliser avec leurs jeunes.

[Traduction]

Nul besoin d'être un expert d'Internet pour utiliser cet ensemble d'outils. Nous donnons des directives claires aux enseignants à chaque étape. Le contenu est réparti en quatre modules : les virus informatiques, la fraude et le vol d'identité, le clavardage et les réseaux sociaux et, enfin, la cyberintimidation.

[Français]

Sur le plan de la cyberintimidation, notre approche consiste essentiellement à conscientiser les jeunes à ce problème grave en illustrant les conséquences pour les victimes. Comme atelier pratique, nous leur faisons imaginer comment la victime doit se sentir et nous leur faisons jouer le rôle d'un intervenant qui expliquerait au jeune comment réagir s'il était victime d'intimidation.

Chaque module d'apprentissage peut être réalisé en 30 minutes ou plus, selon les besoins. Les divers ateliers peuvent être adaptés à l'âge du groupe et permettent aux jeunes de s'exprimer sur les sujets abordés, de raconter leurs propres expériences et de mettre leurs acquis en pratique à la maison. Ce nouvel outil permet aux enseignants d'engager le dialogue avec les élèves sur des sujets au cœur de l'actualité et faisant partie de leur vie quotidienne. À ce jour, près de 100 000 jeunes ont connu les bienfaits de la Trousse Vigilance sur le Net.

Il est à noter que la trousse est offerte gratuitement aux enseignants des écoles primaire et secondaire qui en font la demande.

[Traduction]

Nous invitons également les gens à visiter notre site web, vigilancesurlenet.com, qui contient toutes sortes de renseignements, de conseils pratiques, de capsules vidéo et bien d'autres choses.

[Français]

La demande pour la Trousse Vigilance sur le Net est grandissante. Depuis le début de 2012, plus de 130 trousses ont été envoyées dans les institutions scolaires et divers centres jeunesse.

Naviguer sur Internet est un peu comme se balader en voiture, cela peut être dangereux, mais cela ne veut pas dire qu'on ne doive pas le faire pour autant. Nous essayons d'aider les jeunes à créer leur propre ceinture de sécurité et à développer leur instinct en ce qui concerne la sécurité. Nous espérons qu'ils auront ainsi acquis des outils qui leur permettront, une fois adulte, d'aider leurs enfants à prendre conscience des dangers du web.

[Traduction]

Le sénateur Ataullahjan : Merci de votre exposé. Quels recours les parents ont-ils si leur enfant est victime de cyberintimidation en utilisant votre service? De quelle façon peuvent-ils vous le signaler? Que se passe-t-il lorsqu'ils le font?

Mme Villeneuve : Nous fournissons des services Internet, et nous ne sommes donc pas les experts à appeler pour signaler des cas de cyberintimidation. Nous offrons cependant sur notre site web les liens vers différentes organisations qui fournissent de l'aide, comme Tel-jeunes au Québec, qui est un organisme assez important. Les parents et les enfants peuvent téléphoner. Il y a une ligne pour les jeunes et une ligne pour les adultes. En même temps, si un parent s'intéresse à l'outil, celui-ci a été créé à l'intention des enseignants. Nous aimerions qu'il le recommande à l'école et se procure une trousse d'outils.

Le sénateur Ataullahjan : Pourriez-vous fermer le compte d'un cyberintimidateur, par contre?

Mme Villeneuve : C'est un sujet différent pour ce qui est de la cyberintimidation. Si les gens sont victimes de cyberintimidation, de vol d'identité ou de quelque chose de ce genre, ils peuvent se rendre sur Vidéotron.com et signaler l'incident. À ce moment-là, nous faisons — je suis désolée; les mots ne me viennent pas en anglais cet après-midi.

Le sénateur Ataullahjan : Vous pouvez répondre en français.

[Français]

Mme Villeneuve : Ensuite, l'équipe de sécurité informatique de Vidéotron pourrait faire une enquête pour voir la suite des choses. Mais on est en contact avec la police, effectivement, s'il faut aller à un niveau supérieur.

Le sénateur Robichaud : Lorsque l'on vous rapporte une incidence de cyberintimidation, pouvez-vous trouver la source? Des jeunes nous disaient tantôt qu'il se crée des comptes fictifs et toutes sortes de messages sont envoyés. Cela doit passer par un fournisseur de service, n'est-ce pas?

Mme Villeneuve : L'entreprise Vidéotron a une équipe de sécurité informatique qui justement fait des enquêtes sur des comptes de ce genre. En même temps, on travaille de concert avec la police, parce que c'est plus une intervention policière qui est nécessaire plus qu'une intervention du fournisseur Internet.

Le sénateur Robichaud : Mais, si vous me permettez, vous pouvez déterminer la source?

Mme Villeneuve : Je ne suis pas l'experte de la sécurité pour l'entreprise, je suis plutôt en charge du programme Vigilance sur le Net. Il faudra que j'aille chercher l'information.

Le sénateur Robichaud : On nous dit que c'est impossible de les retracer, c'est ce qui fait que c'est si difficile de combattre la cyberintimidation. Il me semble, considérant les avancées technologiques d'aujourd'hui, qu'il devrait y avoir un moyen. Je suis peut-être dans l'erreur.

Mme Villeneuve : Je devrai me renseigner auprès de mon équipe de sécurité de l'information.

Le sénateur Robichaud : Merci, madame Villeneuve.

[Traduction]

La présidente : Cet après-midi, les jeunes élèves nous ont parlé de deux forums, Tumblr et Formspring, où on peut conserver l'anonymat et envoyer des messages à diverses personnes, sans que les camarades de classe ne sachent de qui vient le message. Est-ce que Vidéotron pourrait retrouver l'auteur du message?

Mme Villeneuve : Il faudrait que je vérifie. C'est lié surtout à l'adresse IP, mais je vais devoir vérifier et vous répondre plus tard.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Robichaud : À la fin de votre présentation, vous avez comparé la navigation sur Internet ou sur le web à un voyage en voiture et qu'il y avait danger d'accident. Vous invitez les jeunes à avoir leur propre ceinture de sécurité. Quelle est cette ceinture s'ils veulent se protéger?

Mme Villeneuve : Dans les différents modules, on leur donne des trucs pratiques qu'ils peuvent essayer à la maison et mettre en pratique.

On essaie de prendre des situations de la vie courante. Ensuite, on leur dit de le faire sur Internet et on leur demande s'ils le feraient dans la vraie vie. Ce sont des conseils pratico-pratiques. Souvent quand on est derrière un ordinateur, on se sent protégé. Si quelqu'un fait de la cyberintimidation, on invite les gens à venir dans la cour d'école ou de faire une page Facebook contre quelqu'un. Beaucoup de ces jeunes ne font pas la transposition dans la vraie vie. Ce serait le même concept que de monter une campagne de salissage sur quelqu'un et de faire une invitation pour un événement en personne. Beaucoup de jeunes se sentent protégés par l'anonymat et plus forts derrière leur écran ou entourés de leur famille. On essaie de leur donner des trucs pour réaliser l'ampleur des gestes qu'ils commettent.

Prenons l'exemple simple de publier une photo de vacances sur sa page Facebook. Si la page n'est pas protégée, cela équivaut à aller sur le coin d'une rue et distribuer des photos de vacances à la plage avec la famille à tout le monde. Ce sont des trucs concrets qu'ils peuvent associer à leur comportement sur le web. Sans être moralisateur, on essaie de leur donner des trucs.

Le sénateur Robichaud : Il ne faut surtout pas être moralisateur, mais leur donner les moyens de se protéger.

Mme Villeneuve : Par exemple, pour les mots de passe, on leur explique qu'un mot de passe est souvent le nom de leur premier animal de compagnie avec leur année de naissance. Quand on donne l'année de naissance et qu'on fait du clavardage, cela attire les gens qui n'ont pas l'âge qu'ils disent avoir. Ils croient clavarder avec des gens de leur âge. C'est marqué 92, mais finalement, c'est quelqu'un de plus âgé qui se fait passer pour plus jeune. On leur explique comment se créer des mots de passe plus compliqués, mais dont ils peuvent se rappeler.

Le sénateur Robichaud : J'ai des problèmes de mot de passe aussi.

Mme Villeneuve : Vous viendrez me voir après et je vous donnerai des trucs.

[Traduction]

La présidente : J'ai des questions à vous poser. D'après ce que je comprends, vous n'offrez des services qu'au Québec, n'est-ce pas?

Mme Villeneuve : Oui, au Québec et dans la région d'Ottawa.

La présidente : Savez-vous s'il y a d'autres services similaires ailleurs au pays?

Mme Villeneuve : Je sais que nous offrons le principal service de ce genre au Québec, et nous avons transformé le programme en un ensemble d'outils pour les enseignants, ce qui fait que je pense que nous sommes les seuls à offrir un service du genre au Canada.

La présidente : Je suis désolée : je n'ai pas eu l'occasion de consulter vos modules. J'ai quelques questions au sujet de ceux-ci. Pouvez-vous nous dire combien il y en a? Si je vous ai bien comprise, vous avez dit qu'il faut une demi-heure pour faire un module?

Mme Villeneuve : Oui.

La présidente : Y a-t-il un module qui porte précisément sur les problèmes liés à l'intimidation et qui s'adresse aux parents ou tuteurs?

Mme Villeneuve : Je vais revenir sur les différents modules. Il y en a quatre : un sur les virus informatiques, un sur la fraude et le vol d'identité, un sur le clavardage et les réseaux sociaux, et un sur la cyberintimidation.

Dans les modules, nous commençons toujours par une vidéo qui présente une situation dans laquelle un adolescent peut se retrouver. Ensuite, il y a différents types de questions, de jeux-questionnaires et de sujets de discussion qui peuvent être abordés en 30 minutes ou plus, selon le sujet.

Une chose intéressante, c'est que, dans certains cas, l'enseignant peut adapter les modules en fonction de quelque chose qui vient de se produire à l'école ou dont on vient de parler à la télévision, quelque chose qui se produit au même moment.

Il n'y pas de section pour les parents, mais nous espérons que les élèves peuvent rapporter à la maison les outils et ce qu'ils ont appris dans le cadre des modules.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous offrez différents forfaits. Lors d'une demande de forfaits, donnez-vous l'information sur les accidents de parcours — je ne veux pas dire des dangers sur le web — ou vous n'en parlez pas, car cela pourrait nuire à la publicité des bons services que vous offrez?

Mme Villeneuve : Par rapport à Vidéotron?

Le sénateur Robichaud : Oui.

Mme Villeneuve : Il s'agit d'une trousse avec les quatre modules. Les enseignants qui en font la demande reçoivent tout cela avec un CD-ROM, des affiches, des questions, même un dépliant imprimable pour les parents.

Le sénateur Robichaud : Je ne parle pas de ce que vous distribuez dans les écoles. Si j'achète un de vos forfaits, la télévision, Internet, et cetera, votre marketing se fait sur la base des services que vous offrez. Y a-t-il des mises en garde?

Mme Villeneuve : Pour nos produits, oui. On utilise le site Internet commercial, Vidéotron.com pour donner le plus grand nombre d'outils à nos clients pour calculer leur consommation Internet, le contrôle parental aussi, et cetera. Il y a beaucoup de conseils sur le site Internet de Vidéotron.com, mais surtout, Vigilance sur le Net est aussi en référence pour les conseils sur l'hameçonnage, le vol d'identité et la fraude.

Le sénateur Robichaud : Il faut visiter votre site n'est-ce pas?

Mme Villeneuve : Nos agents de service à la clientèle ont la formation pour informer les gens. On ne va pas nécessairement parler des dangers d'Internet, car on est vraiment un fournisseur, mais on se sent une responsabilité sociale de rendre l'information disponible à nos clients.

Le sénateur Robichaud : Vous avez répondu à ma question, madame. Merci.

[Traduction]

La présidente : Est-ce que les jeunes utilisent vos services? Quel genre de commentaires recevez-vous de la part des jeunes et des adultes concernant les services qu'ils utilisent?

Mme Villeneuve : Lorsque nous avons commencé à distribuer les trousses, nous avons envoyé des sondages. C'était la première fois que nous offrions une trousse. Les enseignants sont contents du produit, parce qu'il est vraiment facile à utiliser. Souvent, ils ont l'impression d'en savoir moins que les jeunes auxquels ils enseignent en ce qui concerne Internet, alors grâce à l'outil, ils peuvent organiser leurs propres petits événements et lancer des débats. Ils ont maintenant ce qu'il faut pour agir, et c'est quelque chose qu'ils attendaient.

Il y a plus d'information en anglais qu'en français, et il est donc très clair qu'il y a un besoin à ce chapitre. Les commentaires des enseignants sont très positifs.

À l'époque où nous faisions la tournée, nous demandions des commentaires aux jeunes chaque fois que nous tenions une séance. Ils aimaient vraiment ce que nous offrions en raison du ton utilisé et des exemples fournis, qui les interpellaient.

[Français]

La présidente : Quelles sont les technologies qui, d'après vous, seront employées par les auteurs de cyberintimidation dans un proche avenir et dont le comité devrait être informé?

Mme Villeneuve : Les prochains dangers? Je dirais le vol d'identité. On en parle moins maintenant, mais c'est un danger. Les gens pensent parfois qu'il est sécuritaire de rentrer de l'information sur un site, mais il faut toujours se questionner. C'est beaucoup d'éducation. Donc je dirais le vol d'identité, le partage d'informations confidentielles qu'on devrait garder pour nous.

La présidente : Et quelles sont les technologies dont auraient besoin les organismes d'application de la loi, les enseignants ou les parents pour parer aux difficultés à venir?

Mme Villeneuve : À la base, un parent devrait aussi utiliser le gros bon sens. Ce n'est pas nécessairement une technologie que je vais vous donner, mais c'est de mettre l'ordinateur à un endroit central dans la maison où ils peuvent garder un œil sur l'ordinateur. C'est le plus grand contrôle parental qu'on peut avoir dans une maison. Se doter de contrôle parental pour l'Internet, je pense que c'est vraiment important. On a une page Facebook et une page Twitter, donc on voit un peu ce qui se passe aussi, on garde l'œil. Il y a également beaucoup d'ateliers qui sont donnés par les forces policières. C'est l'information. Je vais aller vers ça plus qu'une technologie, c'est la curiosité et l'éducation, tant des parents que des enfants, pour mettre en pratique ces petits trucs. On ne sera jamais à l'abri, mais si on est conscient, on peut faire des choix plus éclairés.

La présidente : Madame Villeneuve, je vous remercie pour votre présentation et d'avoir répondu à nos questions. Vous nous avez donné beaucoup d'informations utiles pour notre étude.

Mme Villeneuve : Merci.

[Traduction]

Merci. Nous avons appris beaucoup de choses. C'est un sujet dont nous allons continuer de parler, et nous espérons vous rencontrer de nouveau.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à M. Marvin Bernstein, conseiller principal de la promotion et de la défense des droits à UNICEF Canada. Nous apprécions toujours vos témoignages et avons hâte de voir ce que vous allez nous dire aujourd'hui.

Marvin Bernstein, conseiller principal de la promotion et de la défense des droits, UNICEF Canada : Au nom d'UNICEF Canada, je vous remercie de nous avoir invités à contribuer à votre étude sur l'importante question de la cyberintimidation et de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Merci de m'avoir présenté de façon aussi flatteuse. Pour le compte rendu, je devrais dire que je suis avocat et que j'ai 35 ans d'expérience comme conseiller principal de la promotion et de la défense des droits dans les domaines du bien-être des enfants et de leurs droits. Avant de me joindre à UNICEF Canada en 2010, j'ai occupé le poste de deuxième défenseur des droits des enfants en Saskatchewan, de 2005 à 2010, ce qui était un poste d'agent autonome au sein de l'assemblée législative provinciale.

J'aimerais commencer par remercier le comité de l'important travail qu'il fait pour promouvoir le droit des enfants, notamment son étude actuelle sur la cyberintimidation et les initiatives passées comme le rapport intitulé Les enfants : des citoyens sans voix. UNICEF Canada est particulièrement impressionné par ce que vous faites pour mobiliser les jeunes dans le cadre de la présente étude.

Il est bien connu qu'il y a plus d'enfants que jamais qui naviguent en ligne. La progression d'Internet, des téléphones cellulaires et des médias numériques accroît le risque d'intimidation.

Toutefois, l'évolution de ces médias numériques offre en même temps à nos enfants et aux jeunes beaucoup d'avantages sur le plan de l'éducation et sur le plan social, par exemple un degré d'accès à l'information, à la culture et au divertissement ainsi que des possibilités de communication et de rapports sociaux impossibles à imaginer il y a 20 ans seulement.

On voit beaucoup de réactions exagérées dans un sens ou dans l'autre face à la cyberintimidation. À l'une des extrémités du spectre, il y a des gens qui minimisent l'importance de l'intimidation en disant qu'il s'agit simplement d'un rite de passage, d'une chose qui va avec le fait de grandir, qui est normal et qui existe depuis toujours. Même les tribunaux voient parfois les répercussions de la cyberintimidation sur un enfant comme un léger embarras, comme en témoigne ce qu'ont dit la Cour suprême et la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans A.B. c. Bragg Communications, the Halifax Herald et Global Television, affaire qui est citée dans notre mémoire. Pour la première fois, UNICEF Canada s'est vu accorder le statut d'intervenant dans la procédure d'appel devant la Cour suprême du Canada. La cour a instruit l'appel récemment, le 10 mai, et son jugement est en délibéré. Nous sommes disposés à fournir notre mémoire au comité s'il le souhaite.

À l'autre bout du spectre, il y a des gens qui ont une réaction trop vive et qui veulent restreindre l'accès des enfants aux médias numériques par crainte et par manque de compréhension. Il est donc important de réagir au risque que pose le milieu numérique de façon équilibrée et posée, en fonction de données probantes, tout en s'assurant que les enfants sont en sûreté. Les jeunes disent eux-mêmes que la cyberintimidation est la menace la plus grave qui existe en ligne. La cyberintimidation peut être particulièrement traumatisante en raison de son caractère anonyme, de la possibilité qu'elle soit présente à n'importe quel moment dans des endroits qui seraient normalement sûrs pour les jeunes, ainsi que de son caractère public et permanent, qui peut gravement nuire à la réputation et aux possibilités de formation et d'emploi. L'intimidation, y compris la cyberintimidation, est une forme grave de violence faite aux enfants, dont les effets incluent la violation de nombreux droits garantis par la Convention relative aux droits de l'enfant. À cet égard, l'annexe 2 de notre mémoire écrit, c'est-à-dire les pages 17 et 18, indique les dispositions de la convention qui, selon nous, sont les plus pertinentes et celles que peut faire intervenir le problème de la cyberintimidation. Le rapport de l'UNICEF intitulé La sécurité de l'enfant en ligne : les stratégies et enjeux mondiaux, qui vous a été remis, contient une réflexion sur la nécessité de définir les mesures de protection fondées sur la convention qui aborde d'une façon équilibrée toutes les formes de violence, comme la cyberintimidation, l'agression et l'exploitation sexuelle, d'une part, et le droit à l'information, la liberté d'expression et d'association, la protection de la vie privée et la non-discrimination, d'autre part. Cet équilibre doit être ancré dans l'intérêt supérieur de l'enfant, comme considération principale, compte tenu du droit de l'enfant d'être entendu et d'être pris au sérieux et de la connaissance du fait que les capacités des enfants et des jeunes évoluent. La démarche axée sur les droits des enfants suppose que la protection des enfants demeure à l'avant-plan, mais sans compromettre l'équilibre de cet ensemble de droits. Il s'agit aussi de garder en tête les répercussions des décisions relatives aux politiques, programmes et lois sur tous les enfants concernés par la cyberintimidation, que ce soit les victimes, les auteurs ou des spectateurs, puisque tous peuvent être grandement touchés, de différentes façons. Selon le rapport de l'UNICEF, le défi que doivent relever les décideurs, c'est de coordonner les mesures prises par divers intervenants des secteurs public et privé à l'égard de plusieurs problèmes interreliés qui, au bout du compte, relèvent tous du fait de rendre Internet plus sûr.

Une démarche à plusieurs volets est nécessaire pour réagir de façon efficace aux menaces au bien-être et à la sûreté des enfants dans le monde virtuel. Les parents, les enseignants, les travailleurs sociaux, les professionnels de la santé, les policiers et même les journalistes ont un rôle à jouer. Bien sûr, le meilleur moyen de lutter contre la cyberintimidation, c'est de l'empêcher de se produire, mais aucune mesure ne va permettre de le faire à elle seule. D'après le rapport d'UNICEF, l'élaboration d'un cadre stratégique de protection devrait être fondée sur quatre grands objectifs : premièrement, favoriser l'autonomie et la résilience des enfants; deuxièmement, faire en sorte que les agresseurs ne puissent plus agir en toute impunité; troisièmement, réduire l'accès à des occasions de faire du mal; et enfin, favoriser le rétablissement et la réadaptation des enfants qui ont subi un préjudice.

Les lois concernant l'intimidation ne sont pas en soi une panacée, mais elles constituent tout de même un volet important d'une approche multidimensionnelle visant à attirer l'attention sur les répercussions négatives et qui menacent la vie du comportement d'intimidation sous toutes ses formes. À notre avis, pour être efficace, toute loi visant à enrayer l'intimidation devrait renfermer les éléments décrits à la page 13 de notre mémoire.

Avant qu'une loi concernant l'intimidation soit adoptée, il devrait cependant y avoir un processus d'évaluation des répercussions sur les droits des enfants, de façon à ce que l'intérêt supérieur des enfants soit mis à l'avant-plan, à ce que les risques puissent être atténués et à ce qu'il n'y ait pas par accident d'autres préjudices et violations des droits. Certaines lois, par exemple, autorisent des poursuites judiciaires pour diffusion et consultation de pornographie juvénile lorsque les adolescents s'échangent des images à caractère sexuel d'eux-mêmes et d'autres, même s'ils ne savent peut-être pas bien quelles sont les conséquences de leurs gestes. L'un des principaux objectifs d'une évaluation des répercussions sur les droits des enfants, c'est de garantir qu'en cherchant à protéger certains droits des enfants et des jeunes, on n'en enfreint pas d'autres. En cherchant, par exemple, à soutenir l'application de l'article 19, le droit à la protection, il est important de ne pas enfreindre les droits liés à l'éducation prévus aux articles 28 et 29, ce qui se produit lorsque les intimidateurs sont suspendus ou renvoyés de l'école plutôt que de bénéficier d'interventions de soutien comme le counseling.

En conclusion, afin de renforcer la protection offerte par le milieu et d'aborder de façon efficace les risques inhérents à la cyberintimidation, c'est avec plaisir qu'UNICEF Canada présente 10 recommandations au comité, lesquelles sont résumées à l'annexe 1, aux pages 15 et 16 de notre mémoire. En fait, la façon dont le mémoire est présenté constitue une tentative de définir cinq volets différents de soutien offert à des stratégies de protection, et les recommandations sont regroupées sous ces cinq rubriques distinctes.

Merci de votre temps. J'ai hâte de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Bernstein. Merci beaucoup de nous avoir présenté votre mémoire à l'avance, de façon à ce que nous puissions prendre connaissance de son contenu.

J'ai le plaisir de vous présenter les représentants de la Croix-Rouge, M. Chris Hilton et Mme Alisha Virmani.

Chris Hilton, gestionnaire principal, Relations gouvernementales, Croix-Rouge canadienne : Merci de nous avoir invités. Je m'appelle Chris Hilton. Je suis gestionnaire principal, Relations gouvernementales, à la Croix-Rouge canadienne. Je suis heureux d'être ici pour participer à l'étude et vous faire part du point de vue de la Croix-Rouge canadienne sur le sujet important que vous abordez.

Nous prenons part activement au travail important qui se fait au Canada dans le but de sensibiliser les gens à l'intimidation et de préparer et de former les collectivités, les écoles et les citoyens pour qu'ils puissent s'attaquer au problème. Nous travaillons depuis 28 ans à la prévention de la violence au Canada et ailleurs dans le monde. Une partie de ce travail a donné lieu à la création d'un programme qui s'intitule Au-delà de la souffrance. Il s'agit d'un programme axé sur la prévention de l'intimidation et du harcèlement.

L'an dernier seulement, nous avons formé plus de 100 000 adultes, enfants et jeunes du Canada en prévention de l'intimidation. Le programme que nous offrons est unique en ce que les jeunes y participent directement. Plus d'un millier de jeunes jouent le rôle d'animateurs dans le cadre de celui-ci. Ainsi, la Croix-Rouge canadienne forme des jeunes qui, à leur tour, deviennent des chefs de file dans leur école et offrent le programme à leurs pairs et à des élèves plus jeunes qu'eux. Ils jouent aussi un rôle important dans le cadre des événements de prévention de l'intimidation, comme la Journée du chandail rose, et les semaines de prévention de l'intimidation.

Je suis accompagné d'Amélie Doyon, qui travaille à notre bureau national, à la section ÉduRespect, et j'espère qu'elle et moi allons être en mesure de mettre en contexte le travail de la Croix-Rouge à l'échelle du pays et de vous permettre de vous en faire une idée.

Je crois que ce qui intéresse encore plus le comité et les sénateurs, toutefois, c'est le témoignage d'Alisha Virmani, qui est assise à côté de moi. Elle est animatrice auprès des jeunes au Nouveau-Brunswick, et elle a fait le voyage aujourd'hui pour participer à la séance.

Mme Virmani a joué un rôle essentiel dans la lutte contre la multiplication des cas d'intimidation dans sa province natale, le Nouveau-Brunswick. Elle a fait de même récemment lorsqu'elle a participé à la présentation de modifications touchant la Loi sur l'éducation au Nouveau-Brunswick, modifications qui concernaient la cyberintimidation. Elle est ici pour vous parler de ce que vivent les jeunes dans les écoles aujourd'hui et de ce qu'elle fait au sein de la Croix-Rouge canadienne pour lutter contre l'intimidation dans son école et dans sa collectivité. C'est grâce à des gens courageux qui prennent l'initiative, comme Mme Virmani, qui a elle-même fait face à la cyberintimidation, que la Croix-Rouge canadienne arrive à rendre plus sûrs pour les jeunes les collectivités, les écoles et les foyers de tout le pays.

Je vais lui céder la parole pendant quelques minutes pour qu'elle se présente, puis nous serons heureux de répondre à vos questions.

Alisha Virmani, leader des jeunes, Croix-Rouge canadienne : Rebonjour. Je suis une élève de la dernière année du secondaire. Je viens de Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Je suis très heureuse et honorée d'être ici et de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui.

Mon rôle à la Croix-Rouge est celui d'animatrice auprès des jeunes. Nous tenons des séances de formation et présentons des exposés, non seulement pour les élèves, mais aussi pour les adultes. Dans ma province, je travaille beaucoup auprès du ministère de l'Éducation, ainsi que sur de nouvelles dispositions législatives qui ont été adoptées au Nouveau-Brunswick dans le cadre de modifications de la Loi sur l'éducation et qui concernent la cyberintimidation et aussi l'intimidation ordinaire.

Je suis toujours disposée à parler de ce que j'ai vécu moi-même pour appuyer mes recommandations et suggestions. J'ai été victime de cyberintimidation au secondaire et à l'école intermédiaire. Une bonne partie des répercussions que l'intimidation dont j'ai été victime a eues sur moi peut être transformée en suggestions concernant ce qui peut être fait pour que d'autres élèves n'aient pas à subir les choses négatives que j'ai vécues quand j'étais petite. Encore une fois, je suis prête à répondre à toutes vos questions.

Le sénateur Ataullahjan : Merci d'être venus, et merci de vos exposés.

Madame Virmani, s'il y avait une seule idée que les membres du comité devraient garder en tête par rapport à ce que le comité pourrait faire, qu'est-ce que ce serait? Quelles sont les recommandations que nous pouvons formuler pour venir en aide à de jeunes élèves comme vous, des élèves qui ont été victimes de cyberintimidation? Avez-vous obtenu de l'aide de la part de vos parents, de vos pairs ou des enseignants? Comment avez-vous composé avec la situation?

Mme Virmani : En réponse à la question concernant la principale idée que j'aimerais que vous reteniez, la suggestion que je ferai au comité sénatorial concernerait l'éducation. Lorsque j'étais au primaire, il n'y avait pas grand-chose, dans le programme d'études normal, au sujet de la compassion et des aptitudes sociales de base. On présume que les enfants vont acquérir beaucoup d'aptitudes eux-mêmes et que ces aptitudes vont leur être transmises par leurs parents. Il arrive souvent qu'il y ait des choses qui manquent et que l'éducation des enfants ne se fasse pas dans ce domaine; elle se fait beaucoup plus tard.

La Croix-Rouge offre actuellement des programmes portant sur l'intimidation et la compassion. Toutefois, il s'agit d'une ressource externe. C'est une chose à laquelle les écoles doivent choisir de participer. Ce n'est pas quelque chose d'obligatoire dans le domaine de l'éducation au Canada. Nous devons prêter une attention particulière à l'éducation des enfants et aussi informer les parents au sujet de l'intimidation, parce que beaucoup de parents pensent à tort que l'intimidation est une phase de la vie des enfants. Il se peut que mes enfants soient victimes d'intimidation eux aussi, parce que ce sont des choses qui arrivent.

Le sénateur Ataullahjan : Quand vous avez eu besoin d'aide, à qui vous êtes-vous adressé? Avez-vous parlé à vos parents, à vos enseignants ou à vos pairs?

Mme Virmani : J'ai parlé directement à mon conseiller en orientation, qui a signalé l'incident au directeur de mon école. Malheureusement, mon cas n'a pas été traité de façon adéquate.

Pour vous donner quelques éléments de contexte afin que vous puissiez comprendre ce qui s'est passé, j'ai été victime d'intimidation sur Twitter. Beaucoup de choses constituant du harcèlement sexuel ont été écrites à mon sujet sur Twitter. Lorsque j'ai dit ce qui se passait au directeur de mon école et au conseiller en orientation, la réponse qu'ils m'ont donnée, c'est que tout le monde est victime d'intimidation, que c'est en quelque sorte une phase normale par laquelle les jeunes passent. La réponse de l'administration, c'est que des garçons seront toujours des garçons, et on a simplement écarté mon cas du revers de la main. Je m'attendais à une meilleure réaction, puisque je m'étais adressée aux bonnes personnes.

Le sénateur Ataullahjan : Avez-vous parlé du fait que vous étiez victime d'intimidation à vos parents à un moment donné?

Mme Virmani : Oui.

Le sénateur Ataullahjan : Est-ce qu'ils sont allés parler au directeur de l'école?

Mme Virmani : Oui, ils étaient tout simplement furieux de la réaction de la direction. Mes parents ont invoqué la Loi sur les droits de la personne. Ils l'ont invoquée devant le directeur et lui ont dit qu'ils souhaitaient en parler à l'agent responsable et qu'il s'agissait d'une violation des droits de la personne puisque c'était du harcèlement sexuel. La direction de l'école a cependant rejeté leurs arguments et dit qu'elle ne voulait plus en discuter, que le dossier était clos. Il y a beaucoup d'enjeux liés à la préservation des réputations.

Le sénateur Zimmer : Merci à vous tous d'être ici, et tout particulièrement à Mme Virmani, parce que vous faites preuve de courage en venant témoigner ici.

Je vais donner suite aux questions du sénateur Ataullahjan. Je n'ai peut-être pas bien compris ce que vous avez dit. Lorsque vous avez découvert que quelqu'un se livrait à de la cyberintimidation, vous êtes-vous adressée à vos enseignants ou avez-vous confronté la personne en question?

Mme Virmani : Je ne l'ai pas confrontée, pour ne pas me mettre en danger. C'est un grand gaillard, un joueur de football, et je suis toute petite. J'ai voulu d'abord assurer ma sécurité. Je me suis adressée au conseiller en orientation, à mon professeur et au directeur de l'école. On m'a dit : « Nous allons le suspendre pendant deux jours. » C'est tout. Lorsque je leur ai demandé en quoi cela allait le faire changer de comportement et l'empêcher de recommencer, ils ne m'ont rien répondu; pour eux, le dossier était clos.

Le sénateur Zimmer : Est-ce que l'intimidateur savait ou a découvert que vous aviez dit ce qui se passait aux enseignants?

Mme Virmani : Il présumait que j'en avais parlé au directeur, mais il n'était pas sûr du fait que c'était moi ou quelqu'un d'autre qui l'avait dénoncé.

Le sénateur Zimmer : A-t-il exercé des représailles, vu qu'il soupçonnait que vous l'aviez dénoncé auprès des enseignants?

Mme Virmani : Oui, en fait. Il s'est livré à d'autres gestes d'intimidation, pas sur Twitter, mais en personne, sous forme de commérages, de propos négatifs, d'exclusion en classe et de remarques discriminatoires faites devant moi.

Le sénateur Zimmer : Comment l'affaire a-t-elle fini? Est-ce qu'elle est réglée? Est-ce que l'intimidation se poursuit, ou est-ce qu'elle est terminée?

Mme Virmani : Cela s'est réglé par le fait que nous avons tous terminé nos études, et nous nous évitons. Toutefois, le problème n'a pas été réglé de façon adéquate. La solution que l'école a choisie, c'était une suspension de deux jours. Pour l'intimidateur, d'après ce qu'il a écrit sur Facebook, c'était parfait, parce qu'il était libre pour aller faire la fête.

Le sénateur Zimmer : Est-ce que l'intimidateur a continué d'agir de la même façon avec d'autres par la suite? Est-ce qu'on a fait quelque chose pour qu'il règle son problème depuis?

Mme Virmani : Non. Il a posé des gestes d'intimidation à l'endroit d'autres femmes et a tenu les mêmes propos désobligeants. Si personne ne met fin au comportement, le cycle d'intimidation n'est pas interrompu, surtout si l'école n'intervient pas et n'offre pas d'aide à l'intimidateur. On offre beaucoup d'aide aux victimes, mais pas beaucoup aux intimidateurs. Si le cycle n'est pas interrompu, il ne va pas apprendre et va continuer d'agir de la même façon. Le comportement qu'il adopte actuellement en tant qu'élève du secondaire va se répéter à l'université et dans le milieu de travail, et les comportements d'intimidation ne changeront jamais.

Le sénateur Zimmer : Est-ce que les parents de l'intimidateur sont des gens influents, de sorte que l'école a voulu éviter d'avoir affaire à eux, parce qu'il s'agit d'une famille importante?

Mme Virmani : Vous soulevez un point tout à fait valable. Il ne s'agissait pas d'une famille influente dans ce cas. C'était plutôt que l'intimidateur était un joueur de football et que le directeur n'a pas voulu intervenir parce qu'une partie importante allait être disputée à domicile. À mon avis, c'est la définition même de discrimination, parce que si c'était un élève studieux qui avait reçu une suspension de deux jours, on l'aurait privé de quelque chose d'important à ses yeux, tandis que pour le joueur de football, c'est le sport qui est important. Le priver de classe ne sert à rien : il faut le priver de sport. À mon sens, il était clairement inadmissible qu'on fasse une exception dans son cas parce qu'une partie importante s'en venait.

Le sénateur Zimmer : Vous me direz quel est son numéro. Je vais téléphoner à l'autre équipe pour m'assurer qu'on lui fasse la vie dure.

Vous féliciterez vos parents de ma part.

Le sénateur Ataullahjan : Vous avez soulevé un point intéressant, et je crois que c'est la première fois que nous entendons cette idée, c'est-à-dire le fait d'offrir de l'aide à la personne qui a posé les actes d'intimidation. De quel genre d'aide parliez-vous? Des experts qui sont venus témoigner ici avant vous nous ont dit que nous devrions entamer un dialogue avec les intimidateurs, que la tolérance zéro ne fonctionne pas, mais qu'il faut quand même faire en sorte que les intimidateurs assument les conséquences de leurs gestes. Vous avez évoqué l'idée de leur offrir de l'aide.

Mme Virmani : Les choses dont j'ai discuté avec le comité ministériel au Nouveau-Brunswick font maintenant partie des lois de la province. Je ne connais pas bien les lois ontariennes ni les mécanismes qui sont en place, mais ce que j'ai suggéré de mettre en place au Nouveau-Brunswick pour venir en aide aux intimidateurs, c'est la possibilité pour ceux-ci de discuter davantage avec un conseiller en orientation. Il y a beaucoup d'élèves qui ne savent pas que les conseillers en orientation sont là pour venir en aide aux victimes, mais aussi aux intimidateurs. Voilà une ressource à laquelle on pourrait faciliter l'accès.

Une autre chose importante, c'est d'éduquer l'intimidateur. Il arrive souvent que les intimidateurs ne se rendent pas compte de la gravité de leurs gestes ni des répercussions que ceux-ci peuvent avoir. Ils ne se rendent pas compte qu'ils enfreignent des codes existants. Il y a une loi sur les droits de la personne, mais est-ce que les gens le savent lorsqu'ils ne respectent pas les droits de quelqu'un? Est-ce qu'ils se rendent compte que l'acte qu'ils posent est un acte criminel? Ces choses-là ne sont pas définies pour les enfants. Ils ne savent pas ce qu'ils font. Soit on ne leur présente pas le contenu de ces codes, soit la façon dont ceux-ci sont formulés n'est pas facile à comprendre pour des enfants. Il s'agit pourtant d'excellentes ressources. Il faudrait simplement les utiliser.

En plus de l'aide qu'offrent les conseillers en orientation, il faut cesser d'insister autant sur les suspensions. Je comprends que les écoles aient une politique de tolérance zéro, mais on ne tire aucune leçon d'une suspension, et cela ne met pas fin au cycle. C'est une forme de mesure disciplinaire, mais une meilleure forme que celle-ci, ce serait la participation aux services communautaires. Lorsqu'on fait des travaux communautaires, on devient plus apte à éprouver de la compassion. On fait plus attention aux gens. On acquiert de bonnes attitudes à la vie en société.

En plus du service communautaire, il est possible d'amener les intimidateurs à réfléchir, à revenir sur leur comportement et à en découvrir les causes fondamentales. Tant que ce qui cause la volonté d'intimider n'est pas découvert, l'intimidateur ne changera pas de comportement. Il va continuer d'intimider les autres.

Le sénateur Ataullahjan : Est-ce que les parents de l'intimidateur interviennent à un moment donné dans le processus?

Mme Virmani : Dans mon cas, mes parents se sont adressés directement à ses parents, et ils ont défendu leur fils. Le père de mon intimidateur a dit exactement ce qui suit : « Il agit simplement comme un enfant. Il fait simplement ce que font les garçons. J'ai été victime d'intimidation quand j'étais petit. On s'en sort. Ça arrive à tout le monde. » La réponse des parents, c'est que tous les parents veulent protéger leur enfant. Dans bien des cas, ils ne savent même pas comment réagir. Les gens savent comment réagir lorsque leur enfant est victime, mais souvent les parents ne savent pas quoi faire lorsque leur enfant en intimide d'autres, et ils ne se rendent pas compte, parfois, qu'il y a des problèmes à régler.

M. Hilton : Madame la présidente, si vous me permettez d'ajouter quelque chose, le travail de la Croix-Rouge ne vise pas que les jeunes. Nous avons aussi des programmes pour les adultes. Nous offrons des programmes aux gens qui vont être responsables d'adolescents et d'enfants et qui visent à ce que toute la population comprenne le problème. L'intervention ne se fait pas qu'auprès d'un seul élève. Elle n'a pas lieu que dans une seule école. Il s'agit de faire en sorte que les gens en général sachent que le phénomène existe et d'offrir aux écoles et aux groupes communautaires les ressources dont ils ont besoin pour s'attaquer au problème dans son ensemble.

Mme Virmani et moi parlions en venant ici du fait qu'on ramène l'intimidation au premier plan lorsqu'un incident assez important pour que les médias en parlent se produit, ce qui engendre une réaction de désapprobation. La Croix-Rouge déploie beaucoup d'efforts pour informer et sensibiliser les gens un peu partout au pays, dans les écoles, les gens qui sont aux prises avec l'intimidation, et nous pensons que c'est essentiel pour placer cette idée de respect mutuel à l'avant-plan et faire en sorte que les élèves, les jeunes et les adultes sachent tous ce qu'est l'intimidation et comment s'attaquer à celle-ci.

La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Bernstein?

M. Bernstein : Oui. Je voulais insister sur l'utilité de la loi comme volet de la lutte contre l'intimidation. La loi n'est pas une solution miracle. En Ontario, le projet de loi proposé par le gouvernement provincial, c'est le projet de loi 13, qui a été renvoyé en troisième lecture. Le préambule explique les objectifs du projet de loi et il parle de l'importance de l'éducation et de la prévention. Il y est question d'offrir de l'aide non seulement aux victimes de cyberintimidation, mais aussi aux auteurs et aux témoins, qui sont tous touchés d'une façon différente. Il y est question de l'utilité de mettre en place des plans de mise en œuvre des mesures de prévention et d'intervention visant à mettre fin à la cyberintimidation. Le projet de loi confie des responsabilités au ministre, aux conseils scolaires et aux directeurs des écoles. Le préambule parle notamment du fait que tous les gens qui travaillent à l'école ont une responsabilité. Il parle aussi du fait qu'il est important d'offrir de la formation et de l'aide et de l'information sur place au personnel et aux élèves. Enfin, il parle de l'importance du rôle des parents.

On entend parfois dire qu'il y a d'autres lois : il y a les lois pénales, les lois qui portent sur la responsabilité délictuelle et celles qui portent sur les droits de la personne. Ce qui pose problème, dans le cas des autres lois qui n'abordent pas précisément l'intimidation, c'est que ce sont des instruments grossiers. Ils ne sont pas conçus pour régler le problème, le méfait de la cyberintimidation. C'est aussi quelque chose qui intervient après coup. Ce sont des choses qui permettent de réagir à la cyberintimidation ou à l'intimidation ordinaire une fois que les actes ont déjà été posés.

Ce que nous souhaitons faire, c'est offrir des mesures de prévention, de l'information et une éducation de qualité. Comme nous le mentionnons dans notre mémoire, un sondage d'opinion mené en février dernier par Angus Reid indique que 90 p. 100 des Canadiens sont en faveur de l'adoption de lois provinciales sur la cyberintimidation.

Ce que nous voulons éviter, c'est que l'accent soit mis sur des lois qui ne prévoient que des sanctions, des conséquences et des répercussions sur le plan pénal, parce que, comme la jeune fille vient de le dire, bien souvent, les auteurs de cyberintimidation ne comprennent pas les conséquences de leurs gestes. Il est possible qu'ils ne reçoivent pas d'information et de directives adéquates de la part de leurs parents.

Une chose que nous affirmons dans notre mémoire, c'est qu'il faut envisager le contexte de la violence dans son ensemble. Dans bien des cas, ce sont des victimes de châtiments physiques, des jeunes qui sont agressés ou négligés par leurs propres parents, qui adoptent des comportements d'intimidation à l'endroit des autres élèves. Dans un sens, nous les pénalisons en en faisant de nouveau des victimes. Il ne s'agit pas de les punir. Il ne s'agit pas de leur imposer des sanctions pénales. La loi ontarienne parle aussi de mesures disciplinaires progressives.

Nous avons pu constater que la tolérance zéro ne donne pas de résultats. Il ne s'agit pas de punir des enfants qui vont quand même poser les mêmes gestes après. Comment nous y prendre pour les réorienter? Comment faire pour leur donner de l'information adéquate et favoriser leur participation au dialogue? En quoi le programme devrait-il consister? Quel sera le plan d'intervention qu'élaboreront les écoles?

C'est exactement ce que nous sommes en train de voir. Le projet de loi ontarien contient une définition de l'intimidation et de la cyberintimidation. La loi québécoise parle de comités d'élèves. Le projet de loi de l'Ontario confère aux jeunes le pouvoir de créer leurs propres comités, de créer leurs propres organisations qu'ils pourront diriger, et qui leur permet de s'attaquer à la discrimination fondée sur le sexe et à celle qui est fondée sur l'appartenance à une minorité visible, sur un handicap ou sur l'orientation sexuelle.

Le projet de loi québécois parle du fait que des comités d'élèves peuvent être créés. Les jeunes peuvent aussi nommer un élève qui jouera le rôle d'ombudsman et qui sera chargé de soutenir les enfants dans le cadre du processus, ainsi que de faciliter les communications et d'assurer une médiation adéquate.

Ce qui nous préoccupe davantage, c'est le projet de loi fédéral et celui de la Nouvelle-Écosse, qui imposent une responsabilité et des sanctions aux parents qui devraient savoir que leurs enfants se livrent à des comportements de cyberintimidation. Si nous voulons un changement d'attitude, nous devons informer les gens, nous devons faire de la prévention et nous devons offrir des services de soutien aux victimes d'actes d'intimidation, aux auteurs et aux spectateurs. Nous devrions éviter de nous engager dans un cycle où il y aura encore des sanctions et des punitions. Cela ne va pas régler le problème.

Le sénateur White : J'aimerais vous féliciter, madame Virmani, de la maturité avec laquelle vous avez réagi. Je ne sais pas si beaucoup d'intimidateurs comprendraient votre réaction, mais moi je comprends que c'est la bonne.

Nous avons beaucoup entendu parler d'intimidation au cours des dernières semaines, et beaucoup de gens nous ont dit que la solution, ce n'est pas d'imposer des sanctions, quoiqu'il semble s'agir de la seule solution que nous offrons dans les écoles, c'est-à-dire les suspensions et les expulsions.

J'ai travaillé au sein des services de police, mais depuis 25 ans, je m'intéresse surtout aux pratiques de justice réparatrice. Au Nouveau-Brunswick, c'est ce qu'on utilise dans les écoles, et je voulais savoir si vous pensez que cela aurait été une meilleure solution dans votre situation à vous. Les pratiques de justice réparatrice, ce sont les systèmes de justice par les pairs et la justice communautaire. Beaucoup de gens diraient qu'il s'agit de trouver quelque chose qui colle, qui favorise un changement chez l'intimidateur, plutôt que de lui coller une gifle.

Mme Virmani : À cet égard, dans le milieu scolaire, on met encore beaucoup l'accent sur les expulsions et les suspensions. Cela n'a pas changé, mais la Loi sur l'éducation et les suggestions que j'ai faites concernant cette loi vont être adoptées en septembre. Je ne fréquenterai plus l'école à ce moment-là, mais, encore une fois, ces suggestions concernant une démarche davantage axée sur la réparation vont être appliquées en septembre.

Le sénateur Robichaud : Monsieur Bernstein, vous dites que diverses mesures législatives sont adoptées dans les provinces, mais ce que nous ont dit les jeunes qui ont témoigné cet après-midi, c'est que la cyberintimidation se fait dans l'anonymat. Il n'y a aucun moyen de savoir qui pose les gestes, du moins d'après ce que les jeunes nous disent.

Est-ce que nous allons avoir un faux sentiment de sécurité après avoir adopté une loi? Nous pensons que nous allons être protégés, mais les choses ne vont pas beaucoup changer.

M. Bernstein : Je pense que cela va engendrer un changement d'attitudes. Je pense que les jeunes ne savent pas quelles seront les répercussions de leurs gestes dans certains cas. Ils peuvent avoir l'impression qu'ils ne font que jouer un tour à quelqu'un. Ce que nous avons constaté, c'est le sérieux de la chose. Ce n'est pas qu'un léger embarras. Nous ne faisons pas que jouer avec les sentiments d'autres enfants, d'autres élèves : il y a des jeunes qui se sont suicidés. Nous avons vu des jeunes s'automutiler gravement parce qu'ils ont été ridiculisés, et il est important pour les enfants de recevoir de l'information adéquate pour qu'ils puissent comprendre que non seulement ils font du mal à d'autres enfants, et qu'ils pourraient aussi avoir une responsabilité sur le plan de la réputation. Lorsqu'ils transmettent un message, celui-ci a un caractère permanent. Cela pourrait avoir un effet sur leurs possibilités d'emplois et de formation dans l'avenir.

Il est important de fournir cette information et de veiller à ce qu'il y ait une orientation à l'école. Dans bien des cas, il s'agit d'enfants qui ne reçoivent pas d'information de la part de leurs parents. Il peut s'agir d'enfants confiés aux soins d'un établissement, d'enfants pris en charge par le système de protection de l'enfance, alors s'ils ne reçoivent pas l'information à l'école, où vont-ils la trouver?

Le sénateur Robichaud : Vous m'enlevez les mots de la bouche. Oui, les lois peuvent servir à quelque chose, mais il faut bien communiquer le message aux gens, aux parents et aux intervenants du système scolaire. Toutes les recommandations que nous avons entendues concernaient le fait d'informer les gens. Ce que j'essaie de dire, c'est que si on adopte des lois, il faut que les gens le sachent et qu'il y ait des programmes visant à diffuser l'information, de façon à ce que les jeunes soient au courant. Je suppose que cela serait fait dans les écoles.

M. Bernstein : C'est juste, et c'est lié aussi au fait qu'il doit y avoir une espèce de campagne, une campagne de sensibilisation de la population visant à faire en sorte que les parents sachent que le phénomène prend des proportions inquiétantes au sein du système scolaire et qu'ils devraient demeurer vigilants et chercher à offrir de l'aide à leurs enfants.

Une chose qui est ressortie du rapport de l'UNICEF, c'est que l'une des considérations les plus importantes pour les enfants qui sont victimes d'intimidation et de cyberintimidation, c'est que leurs parents réagissent bien. Souvent, le fossé numérique fait en sorte que les parents et les adultes ne comprennent pas aussi bien le monde virtuel que leurs enfants. Il faut qu'ils agissent, qu'eux aussi soient sensibilisés au phénomène comme leurs enfants, pour qu'ils connaissent les risques auxquels font face leurs enfants et puissent venir en aide à ces derniers. Les parents peuvent établir un lien de confiance et améliorer la communication, de sorte que leurs enfants puissent s'adresser à eux s'ils courent un risque ou ont des préoccupations, ou encore s'ils ont un frère ou une sœur, un ami ou un pair qui est à risque. Voilà un élément important de tout ce système que nous évoquons. Il ne s'agit pas seulement des enfants. Il s'agit de la famille, des parents et de la collectivité.

Le sénateur Robichaud : Vous dites qu'à la Croix-Rouge, vous travaillez auprès de quelque 100 000 personnes de tous âges?

M. Hilton : En dernier, nous avons formé 100 000 adultes, enfants et adolescents dans le cadre du programme Au-delà de la souffrance.

Amélie Doyon, agente, Création d'environnements sûrs, Croix-Rouge canadienne : Nous offrons divers types de programmes de prévention de la violence. L'an dernier, nous avons formé 362 000 adultes, enfants et adolescents en prévention de la violence. En prévention de l'intimidation et du harcèlement en particulier, nous avons offert une formation à 100 000 personnes.

Je suis tout à fait d'accord avec ce que dit mon collègue. Il faut éduquer les parents, les adolescents et les enfants, et il faut le faire à un très jeune âge, mais nous devons aussi offrir des solutions et des outils aux écoles. La plupart du temps, ils ne savent pas comment aborder le problème, et encore moins comment le régler.

C'est ce que nous faisons à la Croix-Rouge. Pour chaque séance de formation offerte aux jeunes, il y a un volet pour les adultes, de façon à ce que tout le monde soit au diapason. Tout le monde envisage alors le problème de la même façon, et les gens peuvent chercher des solutions qui s'appliquent à leur situation et à leur collectivité.

Le sénateur Robichaud : Qu'est-ce qui lance les séances de formation? Comment les collectivités procèdent-elles?

Mme Doyon : Habituellement, c'est l'école qui en fait la demande. Il peut, par exemple, y avoir un problème dans une école, et la direction s'adresse à nous, puis nous offrons une formation. Habituellement, nous concluons une entente avec l'école et travaillons en partenariat avec celle-ci. Les enseignants choisissent des élèves qui deviendront animateurs — c'est le cas de Mme Virmani —, et nous formons les jeunes, qui restent à l'école et sensibilisent leurs pairs et les élèves plus jeunes qu'eux. Nous offrons diverses activités selon le niveau, de sorte que ce n'est pas toujours la même information qui est répétée chaque année. Nous permettons en quelque sorte aux jeunes d'acquérir de plus en plus de connaissances au fil de leur progression à l'école.

Le sénateur Robichaud : Puis-je demander à Mme Virmani quelle école elle fréquente et dans quelle collectivité elle vit? Je n'ai pas compris?

Mme Virmani : Je viens de Fredericton, au Nouveau-Brunswick.

J'aimerais ajouter quelque chose, cependant, à ce que Mme Doyon a dit. Les adultes font d'excellentes suggestions concernant les lois et la sensibilisation, mais, en tant qu'élève, j'aimerais dire qu'il existe beaucoup de ressources. Il y a de nombreux excellents programmes communautaires, par exemple, qui sont offerts par l'UNICEF et la Croix-Rouge, mais on n'y a recours qu'une fois qu'un incident est survenu. Le problème, c'est que les gens entendent toutes sortes de reportages concernant l'intimidation, que les médias font des incidents qui se produisent des sujets d'actualité importants, mais les gens sont de plus en plus insensibles à ce qu'ils entendent. Ils entendent tellement parler d'intimidation qu'ils ne rendent pas compte des répercussions, du fait qu'il y a encore des élèves dont la vie est détruite. Chaque cas doit être traité de façon personnelle et vu comme étant très important. Les parents, les élèves et les éducateurs ne s'en rendent pas compte parce qu'ils ont acquis une tolérance face à la description de ce qui arrive souvent et de ce qui va changer.

Ce qui me préoccupe, dans le fait qu'il y ait seulement des lois ou même seulement des initiatives de sensibilisation, c'est que, si ce n'est pas une chose à laquelle toutes les écoles doivent participer et si ce n'est pas quelque chose d'obligatoire... Ce n'est pas une demande, c'est quelque chose qui doit être mis en place, et ce n'est pas quelque chose que les écoles doivent aller chercher, si vous voyez ce que je veux dire.

Le sénateur Robichaud : Vous voudriez donc que les gouvernements provinciaux soient responsables de veiller à ce que les écoles prennent des mesures, de sorte que cela fasse partie des responsabilités des écoles.

M. Hilton : Pour que les choses soient un peu plus simples dans l'ensemble pour les gouvernements provinciaux, les programmes d'études sont définis par divers facteurs et par les besoins des élèves. À l'échelle du pays, nous constatons clairement qu'il y a un besoin d'information concernant l'intimidation. Les gouvernements, les conseils scolaires et même les écoles en tant que telles doivent assumer la responsabilité de la protection des enfants qui relèvent d'eux et s'informer sur les outils dont ils disposent, sur les mesures qui peuvent être mises en place et, chose très importante, sur les procédures normalisées qui peuvent être suivies pour régler les problèmes de ce genre.

Le cas de Mme Virmani témoigne d'une chose qui arrive trop souvent, c'est-à-dire qu'on fait des exceptions et qu'on traite les cas de façon vraiment différente d'une fois à l'autre, ce qui n'est pas propice à la mise en place de vraies solutions. Il faut que les gens sachent que des incidents de ce genre vont se produire et qu'ils puissent suivre une procédure pour régler le problème.

Le sénateur Robichaud : Est-ce que les attitudes sont en train de changer? Lorsque Mme Virmani a dit que la première réaction des autorités a été de dire que les garçons agissent toujours comme des garçons et n'ont aucune idée de ce qu'ils font ni des conséquences que cela peut avoir, est-ce qu'on peut dire que les gens commencent à se rendre compte qu'il y a de l'intimidation? Dans votre cas, cela ne s'est pas fait de façon anonyme. Ce que j'essaie de dire, c'est que, d'après les élèves qui sont venus témoigner cet après-midi, il y a beaucoup de cyberintimidation qui se fait de façon anonyme. Est-ce que ça a été le cas dans votre école aussi?

Mme Virmani : Je connaissais le compte Twitter à l'origine de l'incident. Mis à part ma propre expérience, certaines de mes amies ont eu des problèmes liés au fait que l'intimidation se fait de façon anonyme. Je ne sais pas si vous connaissez un site web qui s'appelle Formspring. Les gens peuvent poser des questions de façon anonyme; il n'y a aucun moyen de savoir qui a dit quelque chose. L'idée, théoriquement, c'est de permettre aux gens de mieux connaître quelqu'un ou d'apprendre à mieux connaître ses amis, mais le site est vraiment beaucoup utilisé pour faire de la cyberintimidation, et l'anonymat est complet. J'ai une amie à mon école secondaire à qui on a laissé un commentaire plutôt que de poser une question, et c'était « Pourquoi ne retournes-tu pas dans ton pays? » Il s'agit d'une élève. Elle venait d'arriver au Canada. C'était une Sri Lankaise, et elle participait à un programme d'échange. C'est ce que quelqu'un a écrit sur sa page Formspring.

Il survient des incidents de ce genre, et même moi j'en ai vécu. J'ai vécu des choses similaires sur Facebook. Il y a des applications externes sur ce site. Beaucoup de parents et d'éducateurs savent qu'il y a de l'intimidation sur Facebook, mais ils ne voient que la pointe de l'iceberg. Ils savent qu'on y affiche des photos et des vidéos, mais il y a tellement d'autres choses sur Facebook que les adultes ne se rendent pas compte à quel point c'est un site propice à l'intimidation. Il y a des applications externes que les élèves téléchargent et ajoutent à leur page Facebook. Il s'agit de choses comme Compare People, How Ugly Are Your Friends, Rate My Friends et Bathroom Wall. Ce sont toutes des applications hébergées par d'autres entreprises. Celles-ci reçoivent de l'argent pour assurer le fonctionnement de ces applications sur Facebook, et il s'agit donc en quelque sorte d'entreprises qui font la promotion de l'intimidation.

À l'aide de choses de ce genre, par exemple le Bathroom Wall, les gens ont écrit des messages vraiment négatifs et méchants sur moi et sur mes origines indiennes, et ce, de façon anonyme, ce qui fait que je ne pouvais pas savoir qui écrivait.

Le problème ne venait pas seulement de Facebook; il venait aussi d'applications externes fournies par des tiers sur Facebook. C'est donc un problème plus important que ce que les gens pensent.

M. Bernstein : Je voulais simplement parler des attitudes qui changent. L'une des recommandations de l'UNICEF à l'intention du comité concerne la promotion du respect des droits dans les écoles. Je voulais vous signaler qu'il y a au Canada 12 écoles respectueuses des droits qui insistent sur l'importance de changer la culture, d'avoir une attitude saine et d'offrir de l'information sur les droits des enfants et sur la Convention relative aux droits de l'enfant. Environ 3 000 enfants bénéficient de cette initiative au Canada. Au Royaume-Uni, il y a 2 500 écoles respectueuses des droits.

Les travaux de recherche menés à ce sujet dans ce pays ont montré qu'il y a moins d'intimidation dans les écoles, le nombre d'incidents étant qualifié de « minimal », qu'il y a moins de préjugés, que l'assiduité est accrue, que les élèves ont davantage confiance en eux et qu'ils prennent part plus activement au processus d'apprentissage et ont plus de leadership. Les enseignants se disent aussi plus satisfaits de leur travail et signalent que les comportements respectueux sont mieux communiqués qu'avant.

Il s'agit d'une initiative qui s'installe tranquillement au Canada, et c'est une voie que nous recommanderions au comité de suivre.

La présidente : Madame Virmani, j'ai quelques questions à vous poser. Avant de le faire, je veux vous dire que plusieurs autres étudiants ont témoigné avant vous par vidéoconférence et que les membres du comité sont très contents que vous soyez ici. Nous voulons être sûrs que vous n'ayez pas de problème parce que vous avez témoigné ici, alors je vous demande d'être prudente.

Qu'est-ce que vous auriez aimé qu'il se passe immédiatement lorsque vous avez signalé le problème au conseiller? Nous aimerions examiner des recommandations à ce chapitre.

Mme Virmani : En ce qui a trait à ma situation particulière?

La présidente : Lorsque vous êtes allée voir le conseiller, qu'est-ce que vous auriez aimé qu'il fasse? Vous avez mentionné certaines choses, mais j'aimerais savoir ce que vous auriez voulu que le conseiller ou le directeur fasse?

Mme Virmani : À ce moment précis, j'aurais aimé savoir ce qu'on faisait pour régler le problème, parce que la seule réponse que j'ai reçue de la part de l'école, c'est que le problème avait été réglé. Je comprends que les écoles ont une politique de confidentialité et de protection des autres élèves, mais me faire dire que le problème avait été réglé ne suffisait pas à me rassurer et à me convaincre que la situation allait changer. Je me suis retrouvée devant une absence totale de réponses.

À ce moment-là, ça aurait été la principale chose : j'aurais aimé savoir ce que l'école allait faire, comment elle allait me protéger et quels changements elle allait apporter immédiatement, de sorte que je soie pas assise à côté de l'intimidateur dans mon cours la période suivante, ce qui a été le cas, en fait.

Des choses simples comme cela : le simple fait de me dire tout de suite comment l'école allait me protéger aurait été bien apprécié.

Quant à ce qui aurait dû se passer au cours de la semaine, je me serais attendue à ce qu'on me dise quelles allaient être les sanctions et comment l'école prévoyait s'y prendre pour faire en sorte que la situation change. Il faut d'abord que l'école explique ses objectifs par rapport à la procédure et dise à la personne comment elle peut s'attendre à ce que les choses se déroulent. Il s'agit simplement de savoir ce à quoi on peut s'attendre de la part de l'école.

La présidente : Et vous n'avez plus eu de nouvelles de l'école par la suite?

Mme Virmani : Non.

La présidente : Si d'autres recommandations vous viennent à l'esprit plus tard, n'hésitez pas à nous les communiquer, parce qu'il est très important pour nous d'entendre le témoignage de gens qui, comme vous, souffrent. Nous avons entendu parler de Formspring. Nous avons aussi entendu parler de Tumblr, et ce sont toutes des choses qui sont nouvelles pour nous. Nous allons toutefois nous pencher sur ce qui peut être fait dans le domaine. Merci de nous en avoir parlé.

J'ai une question pour l'ensemble du groupe de témoins. Le comité a déjà rédigé deux rapports, intitulés Les enfants : Des citoyens sans voix et L'exploitation sexuelle des enfants au Canada. Dans ces deux rapports, nous avons recommandé qu'un poste de commissaire national à l'enfance soit créé dans le cadre de la Convention relative aux droits de l'enfant. Êtes-vous d'accord avec cette recommandation? Le cas échéant, que pourrait faire le commissaire dans le dossier de la cyberintimidation? Nous allons commencer par vous, monsieur Bernstein.

M. Bernstein : UNICEF Canada appuie pleinement cette recommandation. Il y a devant la Chambre des communes un projet de loi émanant d'un député qui vise à créer un poste de commissaire national à l'enfance et à l'adolescence. La création de ce poste contribuerait pour beaucoup à la normalisation des démarches adoptées un peu partout au pays.

Il arrive souvent que les enfants soient traités différemment selon le cas. Leurs droits ne sont pas toujours respectés de la même façon partout au pays. Le commissaire national à l'enfance pourrait assurer une collaboration efficace avec les défenseurs des droits des enfants et des adolescents des provinces et des territoires.

Il est souvent question de la multiplication des textes législatifs adoptés pour enrayer les comportements d'intimidation. Le problème, c'est que ces textes ne contiennent pas toujours les mêmes éléments et n'abordent pas toujours le problème de la même façon. S'il y avait un commissaire national à l'enfance capable de se pencher sur les pratiques exemplaires, de mener des recherches fondées sur des données probantes partout au pays et de collaborer avec les défenseurs des droits des enfants des provinces et des territoires, le travail serait moins fragmenté. Nous pourrions appliquer une stratégie nationale uniforme et peut-être mener une campagne efficace dans l'ensemble du pays dans le but de normaliser les mesures prises pour lutter contre l'intimidation et la cyberintimidation. Il faut que nous nous dotions d'une vision globale.

L'autre chose que je veux dire, c'est que, même si l'éducation et le bien-être des enfants relèvent des provinces, il y a d'autres aspects qui relèvent du gouvernement fédéral. C'est le gouvernement fédéral qui s'occupe de beaucoup de choses qui ont trait à notre population autochtone. Ce sont souvent les enfants autochtones, les enfants dont l'apparence est différente de celle des autres, les enfants qui appartiennent à une minorité ou à un groupe défavorisé qui sont victimes de cyberintimidation.

Je pense que le commissaire à l'enfance pourrait être en mesure de faire un travail efficace auprès des Autochtones en arrivant à bien comprendre les répercussions particulières de la cyberintimidation sur les enfants autochtones. Pour toutes ces raisons, je crois que le travail d'un commissaire national à l'enfance sur les enjeux propres à l'intimidation et à la cyberintimidation sera extrêmement utile.

M. Hilton : La Croix-Rouge canadienne insiste elle aussi sur certaines des choses que M. Bernstein vient de dire. Plus précisément, je pense que toute commission nationale, toute organisation ou toute idée collective qui permettra de protéger les jeunes, de protéger les enfants et de protéger les personnes les plus vulnérables recevra l'appui de la Croix-Rouge canadienne. Notre organisme s'exclut le plus possible de la sphère politique et des décisions qui y sont prises. Il s'agit de questions à l'égard desquelles tous les politiciens et les législateurs du pays arrivent souvent à trouver un terrain d'entente. Si le but et les résultats sont au bout du compte une meilleure protection offerte aux enfants, c'est évidemment quelque chose que nous appuierions.

La présidente : Ma prochaine question concerne l'article 19 de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies, qui exige que toutes les parties prennent les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger les enfants contre toute forme de violence physique ou psychologique.

L'observation générale no 13 du Comité des droits de l'enfant confirme que la violence physique et psychologique inclut l'intimidation entre deux enfants ou plus et que la cyberintimidation constitue une forme de violence psychologique. Selon vous, monsieur Bernstein, le Canada respecte-t-il ses obligations aux termes de l'article 19?

M. Bernstein : Je crois que des mesures sont prises pour pouvoir régler certains de ces problèmes. Une des approches que nous avons mentionnées dans notre déclaration est l'importance d'évaluer les conséquences sur les droits de l'enfant avant d'élaborer des politiques et des lois et de déterminer de façon structurée quels seraient les meilleurs résultats, comment promouvoir l'intérêt supérieur de l'enfant et comment atteindre les meilleurs résultats. Cette approche peut parfois sembler désorganisée et adoptée en réaction à des événements signalés dans les médias au lieu d'être axée sur la situation et sur l'application d'une façon de faire qui tient compte des droits énoncés dans la convention, des principes directeurs de la convention et d'une structure utilisée dans bon nombre des administrations partout dans le monde.

D'après d'autres comités nationaux rencontrés dans le monde, où l'UNICEF est installé, d'autres pays utilisent cette approche, comparent les droits qui s'opposent et consultent la documentation fondée sur des données scientifiques. Ce que nous entendons aujourd'hui reflète la voix des jeunes. Que pensent les jeunes de cette proposition de politique, de cette proposition législative? Nous tentons d'harmoniser davantage ces approches.

Pour ce qui est de la protection de l'enfant, l'âge maximal dont on tient compte pour assurer la protection des enfants varie. Dans certaines provinces, c'est 16 ans; dans d'autres provinces, c'est 18 ans; et en Colombie-Britannique, c'est 19 ans. Chaque administration a ses propres motifs de protection de l'enfant et ses propres exigences redditionnelles. On ne sait pas vraiment s'il faut signaler l'exploitation sexuelle en ligne ou s'il faut que l'atteinte soit plus concrète.

Nous pourrions en faire beaucoup plus pour régler le problème, et notre approche semble varier d'un cas à l'autre. Nous attendons souvent qu'un incident grave se produise. Nous voyons des adolescents se suicider, s'automutiler ou être victimes de tragédies. Ce sont souvent ces événements qui façonnent les politiques. Je crois que nous devons nous pencher davantage sur la situation et les besoins de l'enfant. Nous devons examiner l'ensemble des droits prévus à la convention. Nous devons consulter l'article 19 et l'observation générale no 13. Quel est le lien entre toutes ces pièces? Elles font toutes partie du même casse-tête.

J'ai consacré la plus grande partie de ma carrière à la protection de l'enfant et à la défense de ses droits, et, d'après mon expérience, ces deux sujets sont parfois abordés de façon distincte. D'un côté, il y a le système de protection de l'enfance axé sur les besoins, et de l'autre, les défendeurs des droits de l'enfant. Nous devons encourager les jeunes à intervenir au sein du système de protection de l'enfance. Nous devons entendre des jeunes, comme cette jeune femme aujourd'hui, pour savoir ce qui se passe et comment nous pouvons améliorer la situation.

La volonté et l'engagement sont là, et nous tentons de faire la bonne chose, mais je crois qu'il y a encore du chemin à faire.

La présidente : Monsieur Hilton, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Hilton : J'aimerais ajouter rapidement quelques points. D'abord, je crois que tout le monde peut en faire plus. Dans le cas d'un tel problème, je ne crois pas que la solution soit de comparer les ordres de gouvernement, les provinces et les écoles et de déterminer lesquels font bonne figure et lesquels s'en tirent mal. Ensemble, nous pouvons en faire davantage. Ensemble, nous pouvons nous améliorer.

Réagir, comme on l'a déjà mentionné, n'est pas la meilleure façon de mettre en œuvre les solutions que nous souhaitons. Nous devons être plus proactifs. Tous les gouvernements doivent se pencher sur les problèmes contre lesquels nous voulons protéger nos jeunes. Dans quelles conditions se trouvent-ils? Comment la situation évolue-t-elle? Comment pouvons-nous prévenir les problèmes?

Voici peut-être l'occasion de souligner un point que Mme Virmani n'a pas souligné : elle a transformé son expérience en point positif et a travaillé avec la Croix-Rouge canadienne à la création de groupes de travail au sein de son école pour la réalisation d'activités, initiative maintenant mise en œuvre dans l'ensemble de la province du Nouveau-Brunswick. Cette façon de voir les choses nous aide aussi à mieux comprendre les solutions potentielles et jette la lumière sur un problème qui en a bien besoin.

La présidente : J'allais vous poser la question, mais vous avez déjà commencé à y répondre. La réunion d'aujourd'hui a généré tellement de gazouillis qu'elle a atteint près de 400 000 personnes. Vous nous avez rendu un grand service aujourd'hui. Dix jeunes sont venus nous en parler plus tôt.

Monsieur Hilton, je ne pensais pas que la Croix-Rouge intervenait dans des situations familiales. Je sais qu'elle se mobilise en cas d'urgence, comme un incendie ou une inondation. Je comprends cela. Je ne le savais pas.

Dans le cas d'un tel problème, comment la Croix-Rouge interviendrait-elle dans une école? Si quelqu'un éprouve les difficultés auxquelles Mme Virmani a fait face, comment peut-il communiquer avec vous?

M. Hilton : Malheureusement, nous entendons souvent cela. Les gens sont surpris à l'idée que la Croix-Rouge se penche sur ce problème.

ÉduRespect, créé en 1984, a donné des séances de formation et de sensibilisation à 4,4 millions de Canadiens en un peu moins de 20 ans. Nous sommes présents dans plusieurs centaines de collectivités autochtones, partout au pays. Comme vous l'avez mentionné, notre équipe de gestion des sinistres intervient en cas d'urgence toutes les quatre heures d'un bout à l'autre du pays, mais cela ne constitue qu'un volet de notre grande mission.

Mme Doyon : Nous travaillons avec ÉduRespect sur la prévention de la violence depuis 28 ans. Nous tentons d'intervenir sur le terrain et d'établir des liens avec les personnes. Nous avons des bureaux partout au pays. Nous tentons de rejoindre les écoles des régions dans lesquelles nous nous trouvons. Les écoles font appel à nous, et nous nous y rendons pour promouvoir le plus possible notre programme.

Les écoles peuvent communiquer avec nous par l'entremise de notre site web ou de notre bureau local. Le programme ÉduRespect est présent dans toutes provinces ainsi que dans deux territoires, je crois. Nous intervenons en cas de besoin et nous tentons aussi d'agir de façon proactive.

Le sénateur Robichaud : Hier soir, au cours de l'émission Connect with Mark Kelley, une heure complète était consacrée à ce sujet. Je suis sûr que vous l'avez vue. Comment cela peut-il aider?

M. Hilton : Je n'ai vu qu'une petite partie de l'émission, hier soir.

Peut-être que Mme Virmani peut nous expliquer comment les programmes donnent de bons résultats dans les écoles. C'est peut-être la meilleure façon de montrer comment un incident réel s'est transformé en quelque chose de positif.

Mme Virmani : Avant que j'en parle, j'aimerais vous faire part d'une liste de suggestions.

Ma première suggestion est de faire un suivi auprès des auteurs d'intimidation. Bon nombre d'entre eux ne savent pas que leurs actes violent la loi et quelles seraient les conséquences s'ils étaient signalés. Même si je ne savais pas à quoi m'attendre, idéalement, la victime le sait. L'auteur de l'intimidation doit aussi connaître les conséquences de ses actes et savoir que cela est contre la loi.

Je suggère aussi de faire de nouveau porter l'accent sur les ressources existantes. Bon nombre d'enfants ne connaissent pas les groupes de soutien et les programmes de liaison offerts dans leur collectivité. Souvent, ils ne connaissent pas les droits de l'enfant ni le Code criminel du Canada. Les enfants doivent connaître les actes qui violent la loi et briment leurs droits. Ils doivent être tenus au courant des mécanismes en place.

Je ne connais pas la mesure de votre influence à cet égard, mais de nombreuses sociétés tierces font la promotion de l'intimidation. Certains créateurs d'applications sur Facebook touchent de l'argent pour encourager l'intimidation. Ces sociétés doivent veiller à respecter la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code et connaître les conséquences de leurs activités à l'échelle nationale.

Une autre suggestion est de mettre en œuvre davantage de programmes de liaison dans le cadre de la Loi sur l'éducation et plus de programmes comme Au-delà de la souffrance de la Croix-Rouge ou d'exposés d'UNICEF. Avec la Croix-Rouge, nous menons beaucoup d'activités de liaison, qui nous permettent de rencontrer les enfants et de leur parler. Au-delà de la souffrance est un programme pour les jeunes et géré par eux. Les élèves ne sont pas obligés de se confier à un enseignant ou à un conseiller s'ils sont victimes d'intimidation; ils peuvent en parler à d'autres élèves, et nous agissons comme des pairs dans un contexte d'encadrement. Cela nous fait une ressource de plus, et toutes les écoles en ont besoin.

Du soutien doit également être offert en milieu de travail. Si les parents ne savent pas comment changer leur comportement, ils le transmettront à leurs enfants. Bon nombre de parents n'ont pas l'éducation que les enfants obtiennent aujourd'hui. Afin d'éviter les conséquences des comportements négatifs chez les jeunes, nous devons enseigner aux adultes les comportements sociaux appropriés. Il faut sensibiliser davantage les personnes non seulement dans les écoles, mais aussi en milieu de travail, car il s'agit d'un problème cyclique.

Comme je l'ai déjà mentionné, nous devrions réduire les suspensions et encourager le travail communautaire. Nous devrions tenir davantage d'ateliers de réflexion. Les suspensions n'apprennent rien aux enfants. C'est une forme de discipline certes, mais le résultat ne sera pas mieux que de frapper l'enfant. Elles ne font que renforcer les comportements négatifs et aggraver les conséquences. L'enfant n'apprend rien ainsi.

Nous devons fournir plus de soutien aux auteurs d'intimidation. Il faut veiller à ce qu'ils connaissent les ressources existantes. Les parents doivent savoir qu'il existe pour leur enfant du soutien pour l'aider à changer de comportement et à cesser l'intimidation. Ils doivent savoir qu'il existe des conseillers en orientation, des enseignants et des programmes communautaires pouvant leur venir en aide pour changer le comportement.

Ma dernière suggestion d'importance concerne l'éducation à un jeune âge; il faut enseigner la compassion et les aptitudes sociales aux enfants. Au Nouveau-Brunswick, l'éducation sexuelle fait partie de notre programme, qui traite entre autres des mesures de prévention des maladies transmises sexuellement. Si cela est enseigné dans les cours sur la santé, pourquoi ne pas parler des mesures de prévention de l'intimidation? Nous pourrions enseigner aux jeunes enfants les comportements recommandés, les comportements types, les normes sociales et la conduite en société. Souvent on estime que les enfants sont déjà censés connaître ces choses-là. Une chose est sûre : ils sont peut-être censés les connaître, mais il n'est pas sensé pour nous de le croire.

Le sénateur Meredith : J'ai apprécié votre exposé et vos recommandations. Je n'avais pas pensé que Facebook et d'autres sociétés pouvaient tirer profit de cette situation. Recommanderiez-vous l'application de lois imposant de graves pénalités aux sociétés qui font la promotion de la cyberintimidation? Je suppose que vous seriez d'accord.

Mme Virmani : À la Croix-Rouge, nous encourageons la protection des enfants et la création d'un environnement sécuritaire pour eux. C'est insensé que des sociétés fassent de l'argent en encourageant un comportement nuisible, et nous avons intérêt à réglementer cela.

Le sénateur Meredith : Vous avez mentionné que vous vous réjouissiez des efforts du gouvernement relativement au projet de loi C-273. Comment délimite-t-on les conséquences lorsqu'une victime de cyberintimidation se suicide?

La présidente : Le sénateur Zimmer posera sa question, et M. Bernstein pourra ensuite répondre aux deux.

Le sénateur Zimmer : Madame Virmani, lorsque l'enfant qui vous intimidait était à côté de vous, en classe, étiez-vous sa seule victime? La plupart de ceux qui se livrent à l'intimidation sont des lâches. Est-ce qu'il vous intimidait ouvertement ou était-il discret?

La présidente : Sénateur Robichaud, veuillez s'il vous plaît poser votre question aussi.

Le sénateur Robichaud : Concernant la question du sénateur Meredith, vous avez affirmé que certaines sociétés font de l'argent avec l'intimidation. Vous avez parlé de Facebook? Je ne connais absolument rien du web. Je sais très peu de choses sur ce sujet, seulement ce que j'entends. Vous dites que ces sociétés œuvrent par le truchement du web ou de Facebook?

M. Hilton : Pour vous donner un bref exemple, il existe sur Facebook de nombreuses applications de sociétés tierces que n'importe qui peut inclure dans son profil Facebook. Cela laisse la place à diverses formes de publicité et entraîne des clics et des accès qui génèrent des profits. Ces profits, très petits à la base, sont colossaux, compte tenu des centaines et des milliers d'accès. On cherche surtout à attirer certains groupes de jeunes, sans se soucier de l'utilisation qu'ils en feront.

Mme Virmani : Concernant ce qui s'est passé, le plus ridicule, c'est qu'il m'intimidait par téléphone cellulaire en classe, juste à côté de moi. C'est chez moi que j'ai vu les commentaires en ligne sur Twitter, mais l'élève avait eu assez de courage pour les écrire à partir de son BlackBerry, juste à côté de moi, si près que j'aurais pu le toucher. Eh oui, il a eu le courage de le faire.

Le sénateur Zimmer : Quel lâche.

M. Bernstein : Je crois qu'il faut faire la distinction entre les auteurs d'intimidation adultes et les jeunes. Dans le cas des enfants qui se livrent à l'intimidation, il faut vraiment mettre l'accent sur l'éducation, la prévention et la réadaptation. Que devons-nous faire? Quelle information doit-on leur transmettre pour qu'ils changent de comportement? S'ils accumulent les sanctions pénales — si nous commençons à les expulser —, ils n'obtiendront pas cette information. Ils seront plus frustrés, plus en colère, ne seront pas mieux informés et récidiveront à l'endroit d'autres enfants qui ne s'y attendent pas.

Ce sont les enfants auteurs d'intimidation qui préoccupent l'UNICEF. Dans le cas des adultes malveillants, je crois qu'une certaine sanction est raisonnable en dernier recours. Toutefois, ce sont les jeunes qui sont pris entre deux feux qui nous préoccupent beaucoup.

La présidente : Je tiens à remercier les invités de leurs exposés d'aujourd'hui. Comme vous pouvez le constater, vous nous amenez à réfléchir à beaucoup de choses. Vous nous en avez appris beaucoup, tous les quatre. Nous espérons que, si toute autre suggestion vous vient à l'esprit, vous nous en ferez part.

Madame Virmani, le prochain invité est un ombudsman de votre province. Il est évident que votre situation n'est pas réglée, mais son témoignage vous donnera peut-être des pistes.

M. Hilton : Mme Virmani a un bracelet pour la prévention de l'intimidation pour chacun d'entre vous.

Mme Virmani : J'ai des bracelets pour tous les sénateurs en guise de remerciements de m'avoir invitée à sortir du Nouveau-Brunswick afin que je puisse parler au nom de ma province et des jeunes en général. Le bracelet que je porte a été conçu à notre école. Encore une fois, c'est une façon de promouvoir la lutte contre l'intimidation par l'intermédiaire de la Croix-Rouge. Il y est écrit « labels are for soup cans » (les étiquettes, c'est pour les boîtes de soupe). Cela est inspiré d'une campagne de publicité et de t-shirts que j'ai élaborée et qui est utilisée partout dans le Canada atlantique.

En plus de la campagne de t-shirts, il est écrit sur nos bracelets que les étiquettes sont pour les boîtes de soupe. Ils sont rose et bleu, car ce sont les couleurs de la lutte contre l'intimidation. Les nuances de couleur sont inégales, et chacun est unique. Il n'y en a pas deux de pareils. Nous avons utilisé cette coloration parce qu'elle ressemble à l'intimidation; certains élèves se font intimider parce qu'ils sont différents. Le message que nous voulons transmettre, c'est que tous les élèves sont égaux. Au bout du compte, tous les bracelets portent le même message et ont la même fonction, mais ils sont tous différents, uniques et beaux à leur façon.

La présidente : Merci beaucoup.

J'aimerais souhaiter la bienvenue au dernier témoin de la soirée. Voici M. Christian Whalen du Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes.

Je crois que vous avez quelques déclarations à nous faire. Merci beaucoup d'être venus. Vous êtes ici pour éclairer une importante partie de notre étude.

Christian Whalen, défenseur des enfants et de la jeunesse par intérim, Bureau de l'ombudsman du Nouveau-Brunswick, Conseil canadien des défenseurs des droits des enfants et de la jeunesse : J'aurais aimé avoir plus de temps pour assister à l'échange dont j'ai seulement entendu la fin. J'ai pris note des recommandations de Mme Virmani, et j'ai bien hâte de m'entretenir avec elle à Fredericton. J'ai reçu à peu près les mêmes commentaires il y a quelques semaines, lorsque j'ai présenté un exposé au Comité ministériel consultatif sur les environnements d'apprentissage et de travail positifs, au Nouveau-Brunswick. Mme Virmani avait présenté un exposé juste avant moi, et tout le monde en parlait. Il y avait tout un engouement.

[Français]

Honorables sénateurs, je vous remercie de pouvoir prendre part à vos audiences sur cette question importante. Je m'appelle Christian Whalen. J'agis depuis le 1er avril 2011 à titre de défenseur des enfants et de la jeunesse par intérim au Nouveau-Brunswick. En 2008 et 2009, j'ai eu l'occasion, à titre de conseiller juridique de l'ombudsman chez nous, de présider un Groupe de travail conjoint composé de quelques défenseurs des enfants et de la jeunesse et de Commissaires à la vie privée du Canada où nous nous penchions justement sur la question de la protection de la vie privée de l'enfant à l'ère l'Internet.

Ma brève préparation pour cette rencontre aujourd'hui m'a permis de me replonger dans ce dossier et pour cela je vous suis reconnaissant. J'ai laissé une copie du rapport de 2009 de ce Groupe de travail avec le greffier du comité.

[Traduction]

Pendant que je consultais les transcriptions des séances du comité tenues depuis décembre, la grande expérience et l'expertise que les témoins ont partagées avec les membres du comité m'a fait chaud au cœur. Je n'ai pas une grande expertise. Je peux toutefois donner le point de vue d'un défenseur des droits des enfants et de la jeunesse et d'un titulaire d'une charge créée par une loi qui a une connaissance générale des droits de la personne et de l'enfant.

Comme les sénateurs pourront le constater dans mon mémoire, mes principales déclarations visent à aider le comité à aborder certaines des conditions sous-jacentes qui ont entraîné une prolifération de l'intimidation et de la cyberintimidation. Je ne parle pas au nom du Conseil canadien des organismes provinciaux de défense de droits des enfants et des jeunes, mais je serai ravi de parler de la présente séance avec mes collègues du conseil.

[Français]

Je limiterai mes remarques ce soir à trois messages clés qui font une synthèse des recommandations énumérées à ma soumission. Le premier est que s'il est vrai que le phénomène de la cyberintimidation est un symptôme d'un problème plus général d'une dégradation des relations harmonieuses et responsables entre les gens, comme le souligne Wayne MacKay dans son rapport du mois de février, il faut s'interroger sur comment traiter le malaise et non seulement le symptôme.

Deuxième message, établir une culture générale des droits de l'enfant n'est pas une chose facile, mais c'est probablement la meilleure réponse à cette dégradation des relations harmonieuses et responsables que d'autres décrivent. Pour ce faire, cela prend un leadership institutionnel puissant, qui malheureusement fait encore défaut aujourd'hui au Canada. Cela prend aussi la mobilisation soutenue de tous les acteurs clés du secteur public et de la société civile.

Comme madame la présidente a noté l'intérêt pour la procédure de cet après-midi, la participation citoyenne des jeunes canadiens sur ce dossier est en train de mobiliser ces acteurs. Donc il faut en prendre avantage.

Troisièmement, je vais traiter très brièvement du fait que bien que la cyberintimidation est, sans aucun doute, l'un des problèmes les plus percutants des jeunes aujourd'hui, une analyse approfondie de la situation, basée sur l'approche des droits de l'enfant, nous mène inéluctablement vers d'autres enjeux qui peuvent même nous amener à songer si notre droit fondamental reconnaît à l'enfant le rôle primordial qui lui revient.

[Traduction]

Le premier point que je veux soulever est tiré du rapport de Wayne MacKay et de son groupe de travail, intitulé à juste titre Respectful and Responsible Relationships : There's No App for That. Dans mon résumé, je presse les sénateurs de s'interroger sur les causes fondamentales de cette disparition prétendue des relations respectueuses et responsables. Évidemment, les facteurs sont nombreux. M. Mackay en dresse une liste : maisons immenses, politiques interdisant tout contact physique dans les écoles, nombre exagéré d'heures passées devant un écran et culture de l'instantané. Je me suis aussi intéressé aux échanges antérieurs du comité avec le Réseau Éducation-Médias, concernant des sites web que les jeunes fréquentent et les façons dont des messages ou des sous-textes misogynes ou antisociaux peuvent influer sur les jeunes. Encore une fois, le lien avec l'article 17 de la Convention relative aux droits de l'enfant est évident. Je fais remarquer aux sénateurs que l'article 17 indique que les États parties « veillent à ce que l'enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, » — ce qui est déjà le cas — « notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale. À cette fin, les États parties [...] encouragent les médias à diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l'enfant et répondent à l'esprit de l'article 29 » — qui souligne les objectifs de l'éducation — et « favorisent l'élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l'enfant contre l'information et les matériels qui nuisent à son bien-être, compte tenu des dispositions des articles 13 et 18. »

Quelles sont les lignes directrices qui s'appliquent au cyberespace au Canada? Le Club Penguin est-il conforme à l'article 17 de la convention? Et qu'en est-il du site web newgrounds.com, qui figure parmi les sites les plus populaires au Canada chez les jeunes de quatrième à neuvième année, comme l'a mentionné Mme Wing du Réseau Éducation-Médias au comité. Mme Virmani vient tout juste de parler de l'application Bathroom Stall sur Facebook. Comment ces services en ligne se conforment-ils ou non à l'article 17 de la Convention relative aux droits de l'enfant? Encore une fois, si le comité prenait en considération le nombre d'heures que les enfants canadiens passent devant un écran, il pourrait le comparer à leur plaisir ou à l'exercice de leurs droits en vertu de l'article 17. Par contre, il faudrait se demander comment cela influe sur le droit de jouer et de se reposer de l'enfant, son niveau d'activité physique ou, d'après les termes de la convention, « son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale ». Depuis quelques années, j'essaie d'obtenir des chiffres sur le temps passé devant un écran au Nouveau-Brunswick.

En novembre 2011, notre bureau a publié le rapport Jouer, ça compte en collaboration avec le Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick, et j'en ai une copie pour le comité. Notre approche consiste à élaborer un cadre pour la mise en œuvre des droits de l'enfant au Nouveau-Brunswick. Comment pouvons-nous faire preuve de diligence raisonnable? Comment pouvons-nous tenir les promesses que nous avons faites aux enfants? C'est un problème que le comité a présenté aux Canadiens et que nous tentons de résoudre méthodiquement dans notre province.

Nous avons analysé les quelque 40 articles et garanties de la Convention relative aux droits de l'enfant, nous les avons répartis en neuf grandes catégories, dont une — la question 2 — permet de vérifier comment les enfants et les jeunes s'expriment au Nouveau-Brunswick et tous les droits d'expression. Parmi les 33 indicateurs de droits et de bien-être que nous avons cernés à l'aide de nos données, deux concernent le temps passé devant un écran.

Les questions 13 et 14 sont tirées de nos enquêtes sur le bien-être à l'école. Il y a une question et des données concernant un enfant qui, en moyenne, passe deux heures ou moins devant un écran en quatrième et cinquième années et un autre indicateur pour les jeunes de la sixième à la douzième année, qui consacrent deux heures ou moins à des activités sédentaires, comme regarder la télévision, des films, jouer à des jeux vidéo, passer du temps à l'ordinateur, et cetera.

Le problème, c'est que ces données sont autodéclarées. On indique deux heures ou moins, ce qui ne permet pas de savoir combien de jeunes passent beaucoup plus de temps devant un écran chaque jour.

L'année prochaine, nous pourrons creuser davantage et brosser un meilleur portrait de la situation au Nouveau-Brunswick, mais d'après ce que je sais, les données ne sont pas disponibles. Il n'existe aucune donnée comparative pour ce type d'indicateur à l'échelle nationale. Voilà ce qui explique en partie pourquoi il est difficile de faire preuve de diligence raisonnable et de savoir si nous respectons les droits des enfants. Nous voulons mesurer la situation, mais nous avons de la difficulté à trouver les bons indicateurs, à les mesurer et à déterminer si les données sont fiables et comparables. Nous sommes heureux d'avoir pu présenter ce premier modèle de rapport, en collaboration avec le Conseil de la santé. Nous le mettrons à jour à l'automne prochain, et nous espérons que d'autres organismes de la santé et de défense des droits des enfants et des jeunes — l'Agence de la santé publique du Canada, peut-être — appuieront cette évaluation.

Essentiellement, de nombreux facteurs expliquent la disparition marquée des relations respectueuses et responsables. Personne n'a dit que ce problème touche seulement les jeunes, et nous devrions peut-être trouver des façons de favoriser la tolérance et le respect entre adultes en famille, et au travail. Nous pouvons examiner les liens avec les lois et les politiques contre le harcèlement en milieu de travail dans le cadre de diverses normes de travail qui sont de plus en plus mises en œuvre et qui interdisent les comportements d'intimidation au travail, autre problème lié aux droits de la personne que le comité devra examiner.

Si nous voulons résoudre le problème des relations respectueuses et responsables chez les enfants, nous devons aussi nous pencher sur le développement de la petite enfance et les façons dont nous pouvons donner aux nourrissons et aux enfants d'âge préscolaire les outils dont ils ont besoin pour devenir des enfants et des adultes attentionnés et responsables. D'après mon expérience acquise dans notre bureau auprès des jeunes ayant des besoins complexes, nous devons en faire plus en tant que société pour aider les parents à assumer leur rôle parental dès les premières étapes de la vie. Un tel investissement portera des fruits à long terme. Je demanderais au comité, au moment de préparer l'ébauche de son rapport et de ses recommandations, de vérifier si chaque recommandation est associée à un symptôme ou à une cause fondamentale. L'analyse des causes constitue la base de toute analyse méthodique des droits de l'enfant.

Mon deuxième point concernant la création d'une culture des droits de l'enfant est que tout cela exigera l'exercice d'un leadership fort. Il faudra déployer des efforts constants et établir des partenariats à tous les niveaux de la société. Encore une fois, la meilleure défense contre l'intimidation est une attaque offensive, une offensive axée sur la tolérance, le respect, la compassion et la diversité. C'est ce que nous avons tenté de faire au Nouveau-Brunswick en collaboration avec de nombreux partenaires, au cours de la dernière année. Nous avons mis sur pied un secrétariat et un groupe de travail sur les droits de l'enfant dans l'espace culturel francophone de concert avec l'Organisation internationale de la francophonie et ses réseaux membres. Nous avons élaboré un cadre provincial de mobilisation des jeunes en collaboration avec Youth Matters, un réseau provincial de défense des droits des jeunes. Nous avons aussi créé un cadre pour les droits et le bien-être des enfants avec notre Conseil de la santé et de nombreux ministères et organismes provinciaux au service des enfants. Le rapport Jouer ça compte présente aussi une carte provinciale pour l'application progressive de l'article 31 de la convention, notamment un plan provincial pour les enfants en vue de coordonner l'application des droits de l'enfant, conformément au plan d'action national du Canada, et la publication annuelle d'un budget pour les enfants faisant état de toute augmentation ou réduction des dépenses associées aux services publics aux enfants, à leurs droits ou à leur bien-être. Une formation initiale sur les droits de l'enfant a été offerte à tous les défenseurs des droits des enfants et des jeunes et aux représentants de ministères et d'organismes au service des jeunes présentés par UNICEF Canada. C'est un processus très important que nous venons tout juste de terminer. Selon moi, même les parlementaires tireraient profit d'une telle formation. D'après les conversations et les transcriptions des séances, une partie du problème est que nous tentons tous d'assurer notre place dans la lutte. Cette situation nous préoccupe tous. Nous voyons l'avantage d'une culture du respect des droits et de la tolérance, comme le prévoient les lois internationales des droits de la personne et notre Charte. Nous voulons implanter et concrétiser ces valeurs et réussir, mais il nous manque des outils.

La Convention relative aux droits de l'enfant existe depuis 20 ans, et il s'agit de l'instrument législatif des droits de la personne le plus reconnu dans le monde; pourtant, elle n'a pas fait son entrée dans nos universités ni dans notre programme de cours. Nos travailleurs sociaux sortent des écoles de travail social, nos enseignants, des facultés de l'éducation, nos avocats, des écoles de droit, mais aucun d'entre eux ne connaît les droits de l'enfant. Il y a beaucoup de travail à faire à ce sujet.

Au début de mai, nous avons organisé un dialogue provincial sur le document. Parmi les participants figurait un bon éventail de décideurs de divers ministères, de chercheurs et d'organismes communautaires, de 60 à 70 personnes de la province dont le but était d'intégrer les droits de l'enfant à leur travail et de mieux les appliquer au Nouveau-Brunswick. Nous avons constaté que nous ne voyons pas tous la situation de la même façon. Nous n'avons pas vraiment réussi à atteindre notre objectif.

Il faut commencer à la base. Nous avons également tenté d'appuyer cela en faisant appel à des organismes professionnels. Notre bureau a toujours entretenu un lien et une relation de travail solides avec l'Association des travailleurs sociaux du Nouveau-Brunswick. Nous sommes quasiment inconnus à titre de bureau de défense des droits des enfants et de la jeunesse auprès des membres du Barreau. La Fédération des enseignants du Nouveau-Brunswick communique très peu avec nous, et c'est la même chose pour les professionnels paramédicaux. Nous tentons de remédier à la situation.

Je ne crois pas que la situation serait bien différente ailleurs au Canada. Malheureusement, au Canada, notre expérience de la défense des droits des enfants et des jeunes est fondée sur le modèle nord-américain, qui met l'accent sur les jeunes très vulnérables. Les jeunes pris en charge et les jeunes détenus ont besoin d'une personne pour défendre leurs droits, mais bon nombre de provinces canadiennes ne comptent pas d'organismes de défense des droits de tous les enfants. Lorsque le comité a lancé l'invitation au Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes, nous participions à notre réunion des 9 et 10 mai, à Vancouver. Il y avait peu de volontaires. Même si tout le monde est préoccupé par la cyberintimidation et ses conséquences sur les jeunes pris en charge ainsi que les enfants et les jeunes de leur administration, c'est moi qui ai dû me présenter aujourd'hui. Comme je l'ai déjà mentionné, je suis ici pour parler de notre expérience au Nouveau-Brunswick et non pas pour témoigner au nom du conseil. Il n'existe aucun organisme national au Canada, et même à l'échelle provinciale, nous ne disposons pas de pouvoirs législatifs qui nous obligeraient d'appliquer la Convention relative aux droits de l'enfant.

Au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve, où le cadre législatif est plus récent, c'est le modèle que nous avons adopté, mais nous en avons encore à apprendre. Lorsque nous embauchons du personnel et des experts, nous recherchons des travailleurs sociaux ayant 20 ou 30 ans d'expérience ainsi que des enseignants et des avocats, mais personne n'a toutes les compétences requises au chapitre des droits de l'enfant. Il y a encore beaucoup de pain sur la planche.

À cette fin, nous avons, en collaboration avec le Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes et le groupe de travail sur les droits des enfants dans la francophonie, établi cet été à l'Université de Moncton une école d'été sur les droits de l'enfant. Ce sera la première d'une série annuelle de cours d'une durée de 10 jours sur les droits de l'enfant. Cette année, le thème sera l'article 31 concernant le droit de l'enfant au jeu, au repos, aux loisirs, aux activités récréatives, à l'art et à la culture.

Encore cette année, des représentants d'UNICEF se sont rendus au Nouveau-Brunswick pour donner une formation à nos employés et à des enseignants en vue de présenter et de mettre en œuvre le modèle de respect des droits dans les écoles. Je sais qu'un certain nombre de témoins vous ont déjà parlé des écoles respectueuses des droits. Nous voyons là une importante occasion. Lorsque j'ai présenté le modèle aux membres de la Fédération des enseignants du Nouveau-Brunswick, ils ont décidé rapidement de l'adopter à l'unanimité, car c'était la solution qu'ils cherchaient : un programme holistique axé sur les points forts de l'école locale qui utilise ses points forts pour mobiliser les élèves, les enseignants et les parents en vue de favoriser une culture des droits des enfants et de la personne ainsi que la citoyenneté universelle.

Nous savons que les écoles respectueuses des droits ont eu beaucoup de succès en Grande-Bretagne. M. Bernstein a mentionné environ 2 500 écoles partout au Royaume-Uni. Il est intéressant de souligner qu'ils se sont inspirés du Canada. C'est Katherine Covell, de l'Université du Cap-Breton, qui a élaboré le modèle, qui a eu un succès phénoménal, particulièrement dans le cadre de la lutte contre l'intimidation dans les écoles du Royaume-Uni. Nous savons que nous pouvons faire la même chose au Nouveau-Brunswick, alors nous sommes très motivés et nous nous mobilisons pour accroître le nombre d'écoles respectueuses des droits. Actuellement, il n'y en a aucune dans le Canada atlantique. En septembre, il y en aura au moins une à Fredericton, et nous espérons que de nombreuses autres se joindront au mouvement au cours des mois suivants.

La présidente : Je vous demanderais de conclure, car nous avons beaucoup de questions à vous poser.

M. Whalen : En guise de conclusion, je tiens à répéter que toutes ces préoccupations sont à l'image de notre époque. Elles font ressortir le besoin de mettre en œuvre des dispositions constitutionnelles et législatives pour protéger la vie privée et les droits des enfants en général. Des mesures de protection prises par un nouveau commissariat national à l'enfance, la ratification de la procédure de communication prévue à la troisième partie de la convention et l'adoption de processus d'évaluation des conséquences sur les droits de l'enfant sont tous des éléments que le comité devrait prendre en considération au moment de rédiger son rapport et ses recommandations au Parlement.

Nos brèves recommandations traitent aussi du rôle des organismes de défense des droits des enfants et des jeunes et de la création d'un processus qui pourrait permettre à ces organismes de mieux travailler avec le commissaire national à l'enfance à la promotion d'une culture des droits de l'enfant.

D'un point de vue général et fondamental, j'espère avoir au moins piqué votre curiosité et, si vous lisez le mémoire, vous avoir transmis l'idée que le processus décisionnel axé sur l'enfant mérite d'être exploré davantage.

La présidente : Merci beaucoup. Vous avez préparé un mémoire très détaillé que nous allons certainement lire, et nous examinerons vos neuf recommandations.

J'ai déjà posé à M. Bernstein d'UNICEF une question que je vous pose maintenant. Croyez-vous qu'il est maintenant temps que le Canada ait un commissaire national à l'enfance?

M. Whalen : Cela fait déjà longtemps. Je crois que les problèmes de l'intimidation et de la cyberintimidation montrent qu'il faut un champion solide à l'échelle fédérale, quelqu'un qui peut mobiliser les jeunes Canadiens comme ceux que vous avez entendus aujourd'hui en vue de le résoudre.

Le sénateur Ataullahjan : En venant ici, je consultais une étude dont il a été question aujourd'hui, et les chiffres m'ont surprise. Je veux vous en mentionner quelques-uns.

L'étude a été menée auprès d'environ 367 élèves, et les chercheurs ont constaté qu'ils passaient en moyenne 2,78 heures par jour... et le nombre d'heures le plus élevé était huit heures. D'après une élève de l'Alberta qui a témoigné plus tôt, l'élève moyen reçoit environ 189 messages textes par jour, et le nombre le plus élevé est 3 000.

L'enfant moyen a plus de deux adresses électroniques, mais certains en ont jusqu'à 25. La cyberintimidation est un phénomène auquel je m'intéresse, et je suis estomaquée par tout cela.

Le Canada est un pays diversifié, et il est souvent difficile de mettre en œuvre une technique ou un programme dans toutes les écoles, d'un océan à l'autre. Voyez-vous des similitudes entre les programmes de lutte contre l'intimidation ou la cyberintimidation mis en œuvre dans les provinces? Y a-t-il des pratiques exemplaires que vous aimeriez communiquer comité? Je pense particulièrement à la technique d'intervention par les pairs, qui a eu beaucoup de succès dans certains pays, dont la Norvège.

M. Whalen : Absolument, et le témoignage de Mme Virmani cet après-midi renforce la campagne « Les étiquettes, c'est pour les boîtes de soupe » à laquelle elle faisait allusion. Ce type de mesure a un impact important. Les jeunes Canadiens sont créatifs, et si vous leur lancez le défi, ils trouveront de meilleures façons novatrices d'établir des liens avec les pairs, de lancer le débat et de lutter contre les comportements nuisibles.

Je pense à une autre initiative de jeunes du secondaire au Nouveau-Brunswick; elle concerne un tout autre sujet, mais qui touche aussi la citoyenneté universelle à laquelle s'ouvrent les jeunes Canadiens dans les médias sociaux. Des élèves des écoles secondaires FHS et Leo Hayes de Fredericton ont créé cette année Diplômés sans frontières, comme Médecins sans frontières, mais ils ramassent actuellement des fonds pour leurs activités de fin d'études, soit de l'aide au développement à l'étranger.

Lorsqu'on se penche sur la question de l'intimidation et de la cyberintimidation, particulièrement au Canada, on remarque que ce sont les jeunes Canadiens eux-mêmes qui ont cerné le problème et qui l'ont mis sur la place publique avec les campagnes des chandails roses, entre autres. Ce sont les jeunes Canadiens qui mènent le programme. Je crois que nous devons les féliciter de cela et, en tant qu'adultes et alliés, nous devons travailler avec eux à la recherche de solutions.

Le sénateur Ataullahjan : Comment pouvons-nous enseigner aux jeunes la citoyenneté responsable à l'ère numérique? Ils sont au courant, mais la cyberintimidation s'amplifie.

M. Whalen : Dans les statistiques que vous avez mentionnées il y a quelques minutes, un des éléments les plus troublants est l'utilisation excessive des médias sociaux et des technologies en ligne. Si un enfant a plus de 10 adresses électroniques et traite des milliers de communications personnelles par jour, s'il consacre des heures, donc la majeure partie de sa journée, à des activités en ligne, il est évident qu'il y a un problème sur le plan de la surveillance parentale. Quand les parents doivent-ils intervenir? Le problème concerne-t-il davantage la façon d'éduquer les jeunes ou, comme Mme Virmani l'a mentionné cet après-midi, comment nous présentons aux parents leur rôle dans la surveillance de ces activités? C'est un facteur.

Le sénateur Meredith : Je vous remercie de votre exposé. Mme Virmani nous a parlé de Facebook et des sociétés qui tirent profit de la promotion de la cyberintimidation. J'espère que vous avez entendu son témoignage.

M. Whalen : Oui.

Le sénateur Meredith : Dans votre dernière recommandation, vous avez mentionné que le comité devrait se pencher sur la réglementation des jeux en ligne pour enfants, la promotion de comportements inappropriés, l'exploration de données ou d'autres types d'exploitation commerciale des enfants sur le web.

Pouvez-vous m'en dire davantage à ce sujet? Je crois que c'est sur ce point que nous avons l'occasion de proposer des mesures législatives. Nous avons d'autres lois touchant les livres et la divulgation d'information dans le cadre d'une enquête et auprès des fournisseurs IP, entre autres. Je crois que cela intéresse particulièrement le comité, qui voudra peut-être explorer davantage la question.

M. Whalen : Je suis heureux de répondre à cette question. Je pensais la même chose lorsque Mme Virmani a fait ses commentaires. Je ne connais pas particulièrement les applications de sociétés tierces auxquelles elle a fait allusion. C'est un aspect de l'exploitation commerciale des enfants sur le web, et je crois qu'elle a éclairci la question, comme M. Hilton.

J'ajouterais que la plupart des jeux en ligne pour enfants ne sont pas du tout réglementés. Nous pouvons réfléchir à l'environnement que nous leur donnons dans le contexte de l'article 17 de la Convention relative aux droits de l'enfant. Regardons la norme; regardons l'article 29 sur les objectifs de l'éducation; regardons l'article 17 en ce qui a trait au rôle des médias de masse, et posons-leur les questions. Ces sociétés font-elles un bon travail? Faut-il une intervention législative du gouvernement fédéral? Peut-être. Et qu'en est-il de l'autoréglementation de l'industrie à cet égard?

Neopets, Club Penguin, Webkinz et de nombreux autres sites web « pour enfants » visent l'exploitation des données. Les enfants naviguent sur le web. Ils jouent à des jeux amusants, mais, s'ils veulent gagner des points, ils doivent répondre à des questions. Explorez ces sites web et regardez les questions auxquelles répondent des enfants de quatre, cinq, six ou 10 ans. On leur demande quelle serait leur marque préférée de cigares. C'est une exploration agressive des données visant à connaître les habitudes de consommation des ménages nord-américains. Cela est au cœur du modèle opérationnel de ces jeux en ligne.

D'autres types de jeux en ligne sont aussi douteux. Je sais que le site web barbie.com a évolué et que des changements y ont été apportés. Valerie Lawson est une experte canadienne des mesures prises par de grandes sociétés pour faire de jeunes enfants des clients et tirer profit de leur caractère impressionnable. L'enfant peut être invité à se lier d'amitié avec un produit commercial en ligne. Est-ce approprié? Ce sont des questions importantes, et il serait intéressant que le comité s'y attache davantage.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Je reviens à la question de l'honorable sénateur Meredith. Dans votre dernière recommandation vous dites ce qui suit :

[Traduction]

Enfin, nous suggérons au comité de se pencher rapidement sur le besoin de réglementer...

[Français]

Est-ce que vous avez des suggestions? Avez-vous regardé de quelle façon cela pourrait se faire?

M. Whalen : Le rapport de 2009 du Groupe de travail du commissaire à la vie privée et du défenseur des enfants et de la jeunesse était un début de réflexion en ce sens. Un des modèles qui avait retenu notre attention à l'époque était justement le fait que, au Québec, depuis longue date, en matière de législation sur la protection du consommateur, on prohibe les annonces publicitaires faites aux enfants. Le texte de la loi québécoise date des années 1970. Ce n'est pas spécifiquement rédigé dans le contexte du cyberespace ou d'Internet. Il est tout de même intéressant de voir que dans l'application des faits, on a commencé à voir l'extension de ces principes aux campagnes publicitaires des grandes sociétés nord-américaines sur Internet.

Plutôt que de tester la position du régulateur québécois devant les tribunaux, Nestlé, McDonald's et ces grandes sociétés ont préféré obtempérer. Donc, je crois qu'il existe des moyens par lesquels on peut avoir une influence sur les pratiques néfastes.

Au Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse, au Nouveau-Brunswick, on a souvent des plaintes du public dans les communautés acadiennes. On entend les gens se dire comment se fait-il que j'ai vu cette annonce à la télé et c'était vraiment orienté vers un enfant? Cela n'a pas sa place. On doit alors corriger le tir et dire qu'on parle d'une norme québécoise et qu'une loi québécoise réglemente. En regardant Radio-Canada, on devient habitué à certaines pratiques. Comment pourrait-on étendre ce principe?

Et dans la célèbre cause de Irwin Toys, devant la Cour suprême du Canada, on avait contesté la loi québécoise. La Cour suprême a défendu un bris soi-disant dans la liberté d'expression commerciale des sociétés, pour le motif justement que l'enfant est vulnérable. Âgé de moins de 13 ans, il est très assujetti aux forces persuasives du marketing. Il faut donc le protéger.

Les Européens pour leur part, plus récemment, ont développé des lignes directrices sur le behavioral marketing des enfants. Si les Européens le font, je pense qu'il y a sûrement moyen qu'on puisse le faire également au Canada. La difficulté dans tout ce débat est lié au fait que l'on fait souvent affaire à une réalité nord-américaine. Or les normes américaines en matière de réglementation de l'Internet sont bien différentes des normes européennes et canadiennes.

Le sénateur Robichaud : Lorsqu'on parle de Facebook, Twitter et des autres médias, pour savoir si la publicité est exposée aux enfants, il faudrait d'abord savoir si les enfants ont les moyens d'aller sur ces réseaux, n'est-ce pas? Et ce n'est pas chose facile car les jeunes, d'après ce qu'on entend, et même les très jeunes ont les moyens de communication pour accéder à ces services.

M. Whalen : Bien que souvent ils doivent mentir pour y accéder. La politique de Facebook est qu'il faut avoir 13 ans pour avoir un compte. Les sénateurs connaissent tous probablement un enfant ou deux de moins de 13 ans qui a son compte Facebook. C'est un autre sujet de débat.

Dans le rapport, je fais justement allusion au travail de John Lawford, au Public Interest Advocacy Centre, qui, dans leur rapport intitulé All in the Data Family a fait valoir des propositions très intéressantes pour mieux légiférer et contrôler l'activité des préadolescents dans les médias sociaux. L'approche américaine est typiquement de dire que dans la mesure où il y a le consentement du parent, le jeune peut avoir son compte. Le problème avec cette approche est comment vraiment s'assurer que la loi soit respectée. Très souvent, la loi est respectée plus souvent par le bris que par son observation. C'est pourquoi le PIAC recommandait des approches plus réglementaires.

Comment faire respecter la norme? Encore là, on est devant un défi. Toutefois, si on établit la norme, on pourra trouver les moyens de responsabiliser l'industrie.

Le sénateur Robichaud : Et de responsabiliser les parents aussi.

M. Whalen : Bien sûr.

Le sénateur Robichaud : De ce côté, il reste énormément de travail à faire. Les gens ne réalisent pas toute l'information qui est véhiculée et comment il est facile d'y accéder.

M. Whalen : C'est pourquoi je suggère que cela pourrait faire l'objet d'une autre étude. La question est large, il y a des pours et des contres et certainement le témoignage que les sénateurs ont entendu du Media Awareness Network concernant les avantages de la digital literacy et comment se servir des médias sociaux en salle de classe.

Il y a une expectative aussi de la jeunesse canadienne. Il faut bouger avec son temps, mais je pense qu'il faut être prudent et responsable.

[Traduction]

Le sénateur Ataullahjan : Ce que je retiens des déclarations des témoins et des experts d'aujourd'hui, c'est le rôle des parents. Cela semble revenir constamment. Comment se fait-il que les parents ne se rendent pas compte de l'impact des médias sociaux? Ne les utilisent-ils pas eux-mêmes? Qu'est-ce qui se passe? Pourquoi y a-t-il un fossé entre les parents et les enfants?

Le sénateur Meredith : Je crois que cela nous ramène au fait que les parents doivent s'intéresser à la vie de leurs enfants afin qu'ils puissent savoir ce qu'ils regardent, et vice versa; il faut que les enfants soient capables de se confier à leurs parents et de leur dire qu'ils sont victimes de cyberintimidation. Nous avons entendu aujourd'hui que de nombreux enfants ne sont pas proches de leurs parents. Ils en sont à une étape difficile de leur vie, et leurs parents ne sont pas du tout présents pour eux.

Qu'en est-il de l'éducation? Que pouvons-nous faire d'autre pour encourager ces parents à s'intéresser à la vie de leurs jeunes, qui ont été traumatisés sur le web et qui ont été victimes d'intimidation et de violence physique?

M. Whalen : Encore une fois, je crois que la meilleure solution est de faire participer les parents à ces conversations dans les écoles.

Le sénateur Meredith : Certains d'entre eux ne se présentent même pas à l'école, monsieur Whalen. Certains ne vont même pas aux réunions des parents et ne participent pas aux CIPR. Ils n'interviennent pas, même si leurs enfants ont des problèmes d'apprentissage à l'école.

M. Whalen : En effet. Je crois que les autorités scolaires doivent exiger la présence des parents à certains moments. C'est difficile à imaginer, mais il faudrait certainement le faire dans le cas de la cyberintimidation.

Le sénateur Meredith : Devrions-nous légiférer sur ce sujet?

M. Whalen : D'après moi, une intervention législative n'est pas la solution. Je sais que les sénateurs ont entendu la plupart des témoins favoriser une approche éducative. Évidemment, les questions sont difficiles à aborder et exigent un changement dans la société en général.

Encore une fois, je reviens au rapport de Wayne MacKay, dans lequel il est question des maisons immenses et de la culture de l'instantané. C'est la réalité à laquelle nous sommes confrontés, et je crois que les sénateurs auront de la difficulté à trouver une solution.

Durant son enfance, ma mère partageait son lit avec deux de ses sœurs. Enfant, je partageais ma chambre avec mon frère. Chez moi, nos quatre enfants avaient leur propre chambre, et ça c'était le progrès.

Les enfants sont-ils plus isolés? Comment pouvons-nous relancer le dialogue en famille ou à l'école? Ce que les responsables de la réglementation et des lois peuvent faire, c'est probablement d'intervenir par l'intermédiaire d'organismes publics. Le Royaume-Uni nous apporte des témoignages et des réalisations intéressantes, compte tenu de son expérience d'un changement de culture — ce pays compte 2 500 écoles respectueuses des droits —, et c'est pourquoi nous déployons beaucoup d'efforts en ce sens.

L'an dernier, un enseignant de Fredericton a lancé dans son école un autre programme, qui est maintenant donné dans quatre autres écoles. Il s'agit du Programme des jeunes leaders, que nous voulons implanter dans de nombreuses autres écoles de la province. Toutefois, le Programme des jeunes leaders est fondé sur le programme Prix du duc d'Édimbourg, programme de développement du leadership pour les adolescents. Les enseignants de l'école primaire affirment que le leadership commence à un très jeune âge et qu'ils ont beaucoup de leaders de la maternelle à la cinquième année dans leurs écoles. Ils soulignent aussi que nous pouvons célébrer ces réalisations dans le milieu scolaire. Que ce soit un succès réalisé en classe ou ailleurs, le fait de le reconnaître et de le célébrer en milieu scolaire favorise une collectivité responsable, le leadership et la citoyenneté universelle que les écoles devraient encourager.

Ce programme vise à favoriser les aptitudes de leadership, le développement communautaire, l'activité physique, la mobilisation des écoles et un cinquième élément qui m'échappe pour le moment. C'est incroyable ce que peuvent faire ces enfants de la maternelle à la cinquième année, si on leur en donne l'occasion. L'objectif, c'est de miser sur les comportements sains, respectueux et tolérants et de les encourager. Je crois que c'est la meilleure politique anti-intimidation que l'on puisse trouver.

La présidente : Merci beaucoup. Je suis contente que vous ayez accepté de nous rencontrer. Comme vous pouvez le constater, nous avons besoin de témoins comme vous pour nous aider à mieux comprendre. Il n'y avait pas de meilleurs moments pour réunir Mme Virmani et vous ici en même temps; nous avons vraiment eu de la chance. Nous voulons vous remercier de votre exposé d'aujourd'hui et aussi du document que vous avez préparé et qui nous servira souvent de référence.

M. Whalen : Merci, madame la présidente.

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez devant vous une motion que vous avez déjà vue. Si vous vous souvenez bien, nous devions entendre des témoins mineurs à huis clos, et il a été question de leur protection adéquate. Nous avons pris les mesures nécessaires. Vous avez deux motions devant vous, dont une vise à autoriser l'enregistrement et la transcription d'une séance à huis clos avec des mineurs. Le greffier conservera la transcription, que tout le monde pourra consulter. Qui veut en proposer l'adoption?

Le sénateur Robichaud : Non. J'ai une question, madame la présidente.

La présidente : Mais avant cela, est-ce que quelqu'un veut en proposer l'adoption?

Le sénateur Robichaud : Je ne suis pas vraiment un membre régulier, alors je ne peux le faire.

Le sénateur Meredith : Je vais en faire la proposition.

La présidente : Allez-y, sénateur Robichaud.

[Français]

Le sénateur Robichaud : La dernière partie de la motion en français n'est pas complète. On devrait lire comme suit :

Que les documents soient détruits par le greffier une fois que le Sous-comité du programme aura autorisé cette destruction.

La présidente : Merci beaucoup.

[Traduction]

Y a-t-il autre chose ou un autre point de discussion? Ceux qui sont d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Ceux qui sont contre? Aucun? Merci.

La deuxième motion concerne l'exclusion du personnel pour la séance à huis clos avec des mineurs. C'est madame le sénateur Ataullahjan qui propose. Avez-vous quelque chose à ajouter? Non? Ceux qui sont d'accord? D'accord.

Merci beaucoup. La journée a été très longue. J'apprécie toute l'aide que vous nous avez donnée.

(La séance est levée.)


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