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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 29 - Témoignages du 10 décembre 2012


OTTAWA, le lundi 10 décembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 15 heures, pour étudier le projet de loi C-300, Loi concernant l'établissement d'un cadre fédéral de prévention du suicide.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Mon nom est Kelvin Ogilvie; je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et le président du comité. J'invite mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

Le sénateur Cordy : Jane Cordy, un sénateur de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, un sénateur de l'Île-du-Prince-Édouard.

[Traduction]

Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, de Québec.

[Traduction]

Le sénateur Seth : Asha Seth, Toronto, Ontario.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, un sénateur de l'Ontario.

Le sénateur Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

Le président : Merci, chers collègues. Nous avons trois séances prévues aujourd'hui. Sommes-nous d'accord pour que la deuxième séance commence au plus tard à 16 heures, et la troisième à 17 heures au plus tard?

Des voix : D'accord.

Le président : Merci. Nous allons commencer la première séance. Nous sommes heureux d'accueillir le parrain de ce projet de loi à la Chambre, M. Harold Albrecht, accompagné de deux fonctionnaires. Marla Israel est la directrice générale par intérim du Centre pour la promotion de la santé de l'Agence de la santé publique du Canada. Kathy Langlois est sous-ministre adjointe, en charge de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits à Santé Canada.

Harold Albrecht, député de Kitchener-Conestoga, parrain du projet de loi : Merci, monsieur le président. Je vais commencer en disant que je n'ai pas l'habitude de me trouver de ce côté-ci de la table, et j'espère que vous me ménagerez. Je vous remercie de votre accueil chaleureux. Je tiens aussi à remercier le sénateur Ataullahjan d'avoir parrainé le projet de loi au Sénat.

J'aimerais commencer en décrivant brièvement le parcours qui m'a mené jusqu'au projet de loi C-300. En mars 2008, une jeune femme de Brampton souffrait de trouble de l'humeur post-partum et d'insomnie. Étudiante ici à Ottawa, elle se sentait isolée et a cherché de l'aide en ligne. Au lieu de trouver de l'aide, elle est tombée sur un prédateur. Loin de la réconforter, celui-ci l'a encouragée à se pendre devant une cybercaméra. Au lieu de trouver un ami qui l'encouragerait à se faire soigner, elle est tombée sur un prédateur qui a conclu un pacte de suicide avec elle, un pacte qu'elle a exécuté il y a quatre ans ce mois-ci. Il se trouve que la jeune femme avec laquelle elle pensait communiquer était en réalité un infirmier d'âge moyen du Minnesota, qui se présentait en ligne sous un pseudonyme et qui a été relié à de nombreux suicides dans plusieurs pays.

Il semble que la nature numérique du crime empêchait les poursuites. Lorsque j'ai rencontré les membres de la famille, j'ai rapidement compris leur souffrance, perpétuée de jour en jour, incapables qu'ils étaient à trouver la paix. C'est ce qui m'a amené à présenter la motion M-388, qui invitait le gouvernement à lever dans le Code criminel les entraves qui paralysaient les organismes d'application de la loi dans cette affaire. Cette motion a été adoptée à l'unanimité par la Chambre des communes en novembre 2008.

Dans le cadre des discussions sur la Motion M-388, j'ai rencontré beaucoup de personnes travaillant en première ligne, qui ont fait de leur mieux pour m'informer de ces enjeux. J'ai rencontré de nombreux Canadiens touchés par le suicide qui m'ont fait part de leur souffrance, et j'ai commencé à voir les choses sous un angle différent.

Les avis de décès de jeunes Canadiens n'indiquant pas la cause me sautaient aux yeux comme jamais auparavant. Puis, un jour, j'ai trouvé sur mon BlackBerry un courriel contenant des nouvelles qui m'ont glacé le sang et donné la nausée. En l'espace de seulement une semaine, trois élèves d'écoles de la région de Waterloo sont morts par suicide dans des incidents isolés. S'il est un événement particulier, un accident particulier qui m'a amené à introduire le projet de loi C-300, c'est bien cette conversation.

Durant cette période, j'en ai beaucoup appris sur le suicide, ses causes et les méthodes pour le prévenir. J'aimerais maintenant me pencher sur ce que nous ne savons pas. On estime qu'en moyenne 10 Canadiens se donnent la mort chaque jour. Ce nombre en soi est terrifiant, mais nous ne savons pas dans quelle mesure il est exact. Nous savons que la stigmatisation dont le suicide est l'objet est un facteur de sous-déclaration, mais nous n'en connaissons pas l'ampleur et nous ignorons dans quelles communautés la sous-déclaration est plus importante. Nous savons qu'il est possible le plus souvent de prévenir les suicides par les connaissances, les soins et la compassion, ainsi que l'indique le préambule du projet de loi C-300, mais les connaissances sur la prévention du suicide sont mal disséminées auprès de ceux dont la sollicitude et la compassion les poussent à œuvrer pour sauver des vies.

Enfin, nous savons que la solution à ce problème passera par la collaboration au-delà des frontières juridiques, géographiques et sectorielles et par une communication plus poussée entre les organismes. Mais nous savons également que, entre 1993 et l'élection la plus récente, un seul texte de loi portant sur la prévention du suicide a été introduit, et ce projet de loi d'initiative parlementaire n'est jamais parvenu au stade de la deuxième lecture. Il s'agit d'un enjeu national et nous avons du mal à définir le rôle des instances fédérales dans ce dossier.

Je me réjouis de voir que vous avez invité de véritables experts à témoigner. Je ne suis pas un expert en la matière, mais seulement un porte-parole pour les experts, les bénévoles et les conseillers qui travaillent sur le terrain. Je tiens à vous remercier de votre invitation et du travail que vous effectuez. J'espère que l'adoption rapide du projet de loi C-300 donnera de l'espoir aux nombreux groupes de prévention et de rétablissement qui font déjà un excellent travail avec des budgets de famine. Nous pouvons enrichir leur savoir, accroître la sensibilisation au problème du suicide en tant que problème de santé publique, définir et faire la promotion des pratiques exemplaires et enfin commencer à recueillir des données et des statistiques exactes.

Les statistiques que nous possédons, bien qu'accablantes, sous-estiment le phénomène. En moyenne, plus de 4 000 personnes se suicident au Canada chaque année, et on compte 400 000 tentatives. Les comportements suicidaires sont à l'origine de 20 000 hospitalisations et 88 000 visites à l'urgence. Il est sept fois plus probable qu'un Canadien meure par suicide qu'à la suite d'un homicide. La semaine dernière, l'Ottawa Citizen faisait paraître un article sur Dennis Pharoah, un homme aux prises avec plusieurs problèmes et qui songeait au suicide. Des amis l'ont fait hospitaliser après qu'il leur ait demandé de l'aide. À peine 24 heures plus tard, il s'était enlevé la vie. Ce genre d'incidents, bien que spectaculaire à certains égards, est beaucoup trop courant. Nous savons que le suicide est un problème de santé publique, mais nous n'avons pas établi de pratiques exemplaires pour le traiter en tant que tel. Les enseignants, qui seraient en situation de détecter les comportements suicidaires, sont rarement formés pour le faire, et même les médecins et infirmières reçoivent rarement une formation spécifique dans ce domaine. Nous savons qu'il existe dans notre société des groupes plus vulnérables au suicide que la population générale — notamment les anciens combattants et les Canadiens autochtones —, mais nous avons du mal à mettre au point une intervention adaptée fondée sur des faits démontrés.

Grâce à des mesures préventives efficaces, des centaines de Canadiens vulnérables qui traversent des situations désespérées trouveront le courage de continuer, au lieu de commettre l'irréparable en tentant de régler un problème apparemment sans issues, mais passager.

Je cite souvent Margaret Somerville, qui a dit ces mots : « L'espoir a beaucoup à voir avec le sentiment d'avoir un avenir, aussi court soit-il. L'espoir, c'est l'oxygène de l'esprit humain; sans lui, l'esprit meurt. »

Je crois que le projet de loi C-300 servira de fondement à partir duquel nous pourrons bâtir une source d'espoir pour les Canadiens vulnérables. De façon tout aussi importante, l'adoption du projet de loi donnera un message d'espoir aux travailleurs de première ligne dans le domaine de la prévention du suicide.

Le président : Merci, M. Albrecht. Je vais maintenant donner la parole aux membres du comité pour la période de questions, en commençant par le sénateur Eggleton.

Le sénateur Eggleton : M. Albrecht, félicitations pour votre travail. Vous avez cité de nombreuses statistiques, dont vous reconnaissez l'utilité. Vous avez aussi parlé de la motion M-388, proposée en 2009. Je souligne d'autres efforts, comme l'initiative de Bob Rae au mois d'octobre de l'an dernier et la motion présentée lors d'une journée d'opposition du Parti libéral, que la Chambre a adoptée à l'unanimité. Tous les partis s'entendent pour collaborer sans aucune partisanerie afin de régler ce grave problème.

Passons maintenant au projet de loi. Dans les deux derniers articles, on peut lire que dans les 180 jours suivant l'entrée en vigueur, le gouvernement du Canada entame des consultations, et cetera. Dans l'article 4, on peut lire que dans les quatre ans suivant l'entrée en vigueur de la présente loi et par la suite tous les deux ans, l'entité désignée en application de l'alinéa 2b) fait rapport à la population canadienne. Ça me semble un délai bien long pour recevoir un premier rapport. Aura-t-on l'occasion de discuter publiquement du développement de ce cadre, soit en comité ou à l'une ou l'autre des Chambres?

M. Albrecht : Je vous remercie des compliments sur le travail accompli. Je dois souligner l'aide que j'ai reçue dans mes efforts. Je suis redevable à tant de gens qui ont partagé leur peine avec moi à la suite d'un suicide. J'ai peine à imaginer la douleur qui s'ajoute en de telles circonstances. Je tiens aussi à souligner l'appui reçu de tous les partis, qui ont participé aux discussions dans une attitude dénuée de tout sectarisme.

Quant à la mise en œuvre de ce projet de loi, je suis conscient qu'on doit donner au gouvernement l'occasion de bien faire les choses. Nous voulons que le plan soit mis en œuvre. Je suis certain qu'un dialogue aura lieu avant le délai de quatre ans; on ne restera pas muet sur la question. Il est important toutefois d'allouer suffisamment de temps pour que soit préparé un rapport officiel au Parlement; c'est pourquoi nous avons choisi un délai de quatre ans.

Le sénateur Eggleton : Le rapport sera-t-il communiqué aux Canadiens directement ou par l'entremise d'un ministre? Le rapport sera-t-il d'abord présenté au Parlement?

M. Albrecht : Je crois comprendre qu'un rapport sera remis au Parlement.

Le sénateur Eggleton : Dans l'alinéa 2b) du principal article, on peut lire : « désigne l'entité compétente au sein du gouvernement du Canada ». Avez-vous une idée de quelle entité il pourrait s'agir? Santé Canada, l'Agence de la santé publique, ou peut-être un groupe spécial ou un organisme de coordination? Avez-vous une opinion à ce sujet?

M. Albrecht : J'ai ma propre opinion là-dessus et c'est pourquoi j'ai pris soin de ne pas créer de mandat précis pour une entité en particulier. Ce pourrait être Santé Canada, la Commission de la santé mentale ou un organisme distinct existant. Comme vous le savez, sénateur, un projet de loi d'initiative parlementaire ne peut pas engager le gouvernement à faire des dépenses additionnelles; et j'en étais très conscient. Toutefois, en soulignant le problème pour Santé Canada, la Commission de la santé mentale et l'Agence de la santé publique, le Parlement laisse clairement entendre son intention, à savoir qu'un de ces organismes mettra en œuvre les principes au cœur de ce projet de loi.

Le sénateur Eggleton : Dans l'article 2(b) du projet de loi, on parle abondamment de sensibilisation, de savoir, de diffusion et de partage de l'information, de promotion, de collaboration, de détermination des pratiques exemplaires et de la promotion de pratiques fondées sur la recherche et des données probantes. Y voyez-vous l'élaboration d'objectifs et d'échéanciers précis concernant des programmes de prévention et d'intervention?

M. Albrecht : Durant la rédaction du projet de loi, on m'a proposé d'inclure la baisse, en pourcentage, du nombre de suicides. Par exemple, si on compte 4 000 suicides par année, visons une réduction de 50 p. 100 en 10 ans. J'ai rejeté cette suggestion, en partie parce que je ne suis pas certain qu'il est sage de mesurer le phénomène ainsi; par ailleurs, 2 000, c'est encore trop et nous devons nous efforcer de réduire ce nombre le plus possible. Les nombreux groupes de prévention du suicide qui font actuellement un travail de première ligne sont ceux qui ont réclamé avec le plus d'insistance ce projet de loi — un cadre fédéral qui leur donnerait les ressources et les données statistiques dont ils ont besoin, de façon à ne pas réinventer la roue continuellement. Lorsque j'entends ces groupes me dire que ce projet de loi les aidera dans leur travail, je suis encouragé.

J'ai mentionné dans mon introduction qu'il s'agit d'une base sur laquelle il faudra construire. L'Agence de la santé publique, la Commission de la santé mentale ou Santé Canada — l'organisme qui recevra le mandat — créera un cadre qui, je l'espère, ne sera pas imposé comme un gabarit obligatoire, que les gens seront contraints d'utiliser. Il est possible qu'une collectivité du Nord de l'Ontario ou du Nunavut doive adapter les ressources disponibles à son propre contexte. Nous n'imposerons pas aux collectivités une façon de prévenir le suicide. Nous voulons qu'elles aient accès à des outils, sans devoir chercher auprès de multiples sources. Nous souhaitons centraliser les statistiques les plus récentes, ce que nous avons du mal à faire, et les renseignements sur les pratiques exemplaires pour éviter le plus possible de réinventer la roue.

Le sénateur Cordy : M. Albrecht, merci de votre travail. Je faisais partie de ce comité du temps où le sénateur Kirby en était le président. Nous avions rédigé le rapport sur la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie, intitulé De l'ombre à la lumière, qui a ultimement mené à la création de la Commission de la santé mentale. Je vous remercie de poursuivre ce travail. Lorsque nous avons étudié la question, il y a plusieurs années, une province avait une ligne d'urgence-suicide offerte de 9 heures à 17 heures, ce qui était utile pour les personnes qui décidaient de passer à l'acte durant la journée. Or, d'après les recherches existantes, ce n'est pas à ce moment-là qu'on enregistre le plus grand nombre de suicides. Les choses commencent à changer. J'ai lu votre projet de loi et j'y ai trouvé d'excellentes idées. Partout au pays, les provinces et les territoires font de l'excellent travail et établissent des pratiques exemplaires.

Vous avez aussi parlé de stigmatisation, qui va de pair avec la santé et la maladie mentale. Nous avons fait des progrès, mais il reste encore beaucoup à faire. Si les préjugés envers la santé et la maladie mentale venaient à disparaître, les gens iraient chercher l'aide dont ils ont besoin avant qu'ils n'atteignent le stade du suicide. Merci de votre travail. Ce projet de loi est une excellente initiative.

Lorsque l'on se penche sur les groupes les plus susceptibles de s'enlever la vie, on constate que ce sont les jeunes — les adolescents et les jeunes adultes, ce que nous comprenons tous. Toutefois, je me rappelle avoir été surprise d'apprendre que les aînés n'arrivaient pas très haut sur la liste, mais, après avoir mené notre étude, j'ai compris.

Les groupes autochtones sont une responsabilité fédérale. Même sans le projet de loi, qu'est-ce que le gouvernement fait? Vous avez déjà dit que ce n'était pas votre domaine d'expertise, mais les fonctionnaires ministériels pourraient peut-être répondre à la question. Les Autochtones et les Premières nations relèvent de la compétence du gouvernement fédéral, et nous savons qu'il y a un nombre extrêmement élevé de personnes qui se suicident ou tentent de se suicider.

M. Albrecht : Je vais commencer à répondre à la question, puis je serai heureux de donner la parole aux experts à ma droite. Je veux me prononcer sur deux points. Premièrement, il est essentiel que nous mettions en place les ressources nécessaires pour les jeunes. Nous sommes tous passés par des périodes de découragement et peut-être même de désespoir. Cependant, nous savons par expérience que ces périodes sombres se terminent un jour et que notre vie recommence à s'améliorer. Les jeunes n'ont pas cette perspective à long terme. Il est important de les aider à l'obtenir et de leur offrir de l'espoir dans ces moments difficiles.

Je ne tiens pas à être négatif, mais vous avez peut-être remarqué que, dans ma déclaration préliminaire, je n'ai pas utilisé les termes « se suicider ». Les groupes de prévention du suicide sont sensibles à la terminologie utilisée. Ils préféraient de loin l'expression « mourir par suicide ». C'est ce qu'on m'a appris. J'utilisais fréquemment les termes « se suicider » avant que quelqu'un m'informe que l'expression « mourir par suicide » était plus juste et compatissante. J'espère que vous comprenez pourquoi je dis cela.

Le sénateur Cordy : Il est important d'apprendre des nouvelles choses tous les jours. Je remercie le député pour cette précision.

M. Albrecht : Le gouvernement a investi beaucoup d'argent dans les mesures de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones. Mes collègues ont plus d'expertise dans ce domaine.

Marla Israel, directrice générale par intérim, Centre pour la promotion de la santé, Agence de la santé publique du Canada : Je céderai la parole à Mme Kathy Langlois, sous-ministre adjointe par intérim de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits. Vous avez bien raison quand vous affirmez que nous avons besoin, entre autres, de meilleures données et de meilleurs renseignements. Cela représente une grande partie de la bataille. Un autre problème est la réticence des gens à admettre qu'ils souffrent d'une maladie mentale ou qu'ils vivent dans la peur.

On trouve le plus haut taux de suicide au pays chez les Canadiens âgés de 40 à 59 ans, ce qui est peut-être surprenant. Je voulais en informer le comité. Nous examinons attentivement cette tendance chez les hommes âgés étant donné les données démographiques, l'âge de la population et le haut taux de suicide chez ces personnes. Je céderai maintenant la parole à Mme Langlois.

Kathy Langlois, sous-ministre adjointe par intérim, Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, Santé Canada : Avant de commencer, je tiens à apporter des précisions sur les statistiques que Mme Israel vient de fournir. Ces statistiques portent sur l'ensemble de la population canadienne. Toutefois, quand on se penche sur des segments de la population, on constate que le suicide et les blessures autoinfligées sont la principale cause de décès chez les jeunes et les adultes des Premières nations allant jusqu'à l'âge de 45 ans. Le taux de suicide dans les régions qui ont beaucoup d'habitants inuits est 11 fois plus élevé que dans le reste du Canada, et il est considéré comme le plus élevé dans le monde. Le Canada a un grave problème que le gouvernement prend très au sérieux. Pour réduire ces nombres, le gouvernement a présenté la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones en 2005. Cette stratégie a été renouvelée dans le budget de 2010. Le programme fait l'objet d'un examen tous les cinq ans pour faire en sorte qu'il continue à répondre aux besoins. Cette année, nous fournissons approximativement 15 millions de dollars pour aider les membres des Premières nations de plus de 150 communautés afin de prévenir le suicide et de s'attaquer à ce problème.

Je pourrais parler davantage de ce que nous avons appris depuis la mise en place de cette stratégie si vous aimeriez que j'entre maintenant dans tous ces détails.

Je veux revenir sur la question de la stigmatisation. La stratégie a certainement sensibilisé davantage la population au problème du suicide et a mené à des discussions sur ce sujet dans les communautés, ce qui a permis d'éliminer la stigmatisation. Cela a poussé les communautés à tenter d'établir des partenariats avec la GRC, les hôpitaux locaux, les régies régionales de la santé et les Clubs garçons et filles afin de commencer à se pencher sur les racines de ce problème dans les communautés où il y a des taux élevés de tentatives de suicide.

Dans les 150 projets que nous finançons annuellement, il y a de merveilleuses histoires de réussite. Il y a des communautés où il y avait des taux élevés de tentatives de suicide et de suicides avant que des groupes de gens comprenant des dirigeants et des jeunes se réunissent pour résoudre le problème. Des solutions sont élaborées en se fondant sur des réalités locales et en comprenant ce qui doit être fait dans ce contexte pour aller de l'avant. Je m'arrêterai peut-être là.

Le sénateur Cordy : Durant notre étude et lors de la comparution de membres des Premières nations, nous avons appris qu'il y avait une importante pénurie de personnel médical pour le Nord et les Premières nations. Il y avait une pénurie générale de travailleurs de la santé, mais surtout de personnes travaillant avec des gens qui ont des problèmes de santé mentale. Il y avait une pénurie de psychologues et de psychiatres, mais il manquait plus particulièrement de personnes venant de communautés autochtones qui seraient en mesure de revenir là-bas pour aider. Est-ce que la situation est en train de changer?

Mme Langlois : Oui, il y a certainement de bonnes nouvelles à cet égard. J'aurais dû mentionner que notre stratégie annuelle de 15 millions de dollars visant à prévenir le suicide chez les jeunes Autochtones s'inscrit dans le cadre d'approximativement 250 millions de dollars de dépenses annuelles axées sur la santé mentale et la toxicomanie. Le Programme de soutien en santé mentale des pensionnats indiens a contribué à l'augmentation des travailleurs autochtones dans ce secteur. Nous favorisons l'accès à des services professionnels de counseling, mais aussi à du soutien affectif. Les Autochtones qui ont survécu à l'expérience des pensionnats indiens travaillent maintenant dans les communautés où ils aident d'autres personnes dans leur processus de guérison. Cela a entraîné une augmentation importante du nombre de travailleurs autochtones en santé mentale, dont beaucoup parlent les langues traditionnelles, qui œuvrent dans les communautés pour aider les victimes des pensionnats indiens à composer avec les séquelles.

Le sénateur Cordy : Est-ce que vous suggérez l'entraide par les pairs?

Mme Langlois : Oui, mais certains des travailleurs ont des désignations professionnelles ou paraprofessionnelles, comme thérapeute familial, et sont en mesure de fournir un niveau d'aide plus élevé.

Le sénateur Cordy : Y a-t-il des incitatifs pour encourager les gens à travailler dans le domaine médical?

Mme Langlois : Oui. Je n'ai pas tous les détails ici, mais le gouvernement a mis en place une Initiative sur les ressources humaines en santé autochtone qui fournit des bourses d'études et de perfectionnement par l'intermédiaire d'Indspire, qui est le nouveau nom de la Fondation nationale des réalisations autochtones. Nous avons donné un grand nombre de bourses d'études et de perfectionnement aux Autochtones depuis 2005 afin de les inciter à travailler dans le domaine de la santé.

Le sénateur Martin : Félicitations pour cette initiative importante. Je veux donner suite à ce que mes collègues ont dit. Ma question porte sur le cadre fédéral qui est défini dans toutes les différentes responsabilités de l'entité et sur la façon dont il pourrait être mis à exécution. Il y a un si grand écart entre les régions, et les statistiques révèlent qu'il y a des taux plus élevés dans certaines régions. Ces taux varient selon les groupes à risque.

Je me demande comment les différences régionales seront prises en compte lors de l'élaboration de ce cadre fédéral, et quels types de conversations ont eu lieu à ce sujet. Pourriez-vous mentionner quelques-uns des principaux points?

M. Albrecht : Je ne suis pas qualifié pour me prononcer sur les différences qui existent et sur la façon dont les organismes en tiendraient compte. Je veux revenir sur ce que j'ai dit auparavant. Le cadre fédéral fournira un répertoire des meilleures pratiques et des statistiques, et il incombera aux administrations de mettre au point une approche contextualisée en matière de prévention du suicide qui convient le mieux à leur région.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, le conseil de prévention du suicide de la région de Waterloo a un modèle qui fonctionne pour cette région, mais nous ne savons pas s'il fonctionnerait dans d'autres parties du pays. Si ces idées étaient centralisées afin que des groupes au Manitoba, en Colombie-Britannique ou au Nunavut puissent y accéder, il y aurait une bonne chance de les contextualiser, d'enlever les modules du cadre et de les mettre en œuvre. Il est possible que le groupe chargé de créer le cadre trouve des solutions locales afin de cibler davantage l'aide. Je ne veux pas m'aventurer dans cette voie et avancer des hypothèses sur l'apparence qu'aura le cadre. J'espère que ce que je viens de dire est utile.

Le sénateur Martin : Oui, ce l'est. Merci.

Le président : Le sénateur Eggleton a une précision à apporter.

Le sénateur Eggleton : En réalité, j'ai quelques autres questions à poser.

Madame Langlois, vous avez mentionné la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones. Je crois qu'elle a commencé en 2005 et qu'elle a été renouvelée en 2010, mais le suicide est encore la principale cause de décès chez les jeunes Autochtones. Qu'est-ce que ce programme a accompli? Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur ce que le programme a fait?

Mme Langlois : Je pense que c'est une question très importante et qu'il y a plusieurs facteurs en jeu ici. Le premier est l'état des données. Les données que nous utilisons sont généralement assez vieilles et nous travaillons très fort pour tenter d'obtenir des données beaucoup plus pertinentes. Par exemple, nous espérons pouvoir creuser dans les données de l'Étude longitudinale régionale sur les Premières nations de 2008-2010 afin d'obtenir des statistiques plus pertinentes.

Les statistiques que je cite sont très anciennes. Elles sont antérieures à la mise en place de votre stratégie de prévention du suicide, mais ce sont les meilleures données que nous possédons. Un des problèmes que nous éprouvons est que certaines provinces et certains territoires n'ont pas d'identificateurs autochtones. En fait, la seule province qui en a est la Colombie-Britannique. Nous avons de la difficulté à obtenir des statistiques pour les identificateurs autochtones. Nous avons donc du travail à faire afin de déterminer les endroits densément peuplés où il y a des habitants inuits ou autochtones. La stratégie que nous utilisons est nouvelle, et nous espérons obtenir bientôt des nouvelles données afin de déterminer les répercussions qu'elle a eues.

J'aimerais également dire que lorsqu'on s'attaque au problème du suicide, cela pourrait avoir des effets immédiats dans la communauté sur le nombre de tentatives de suicide et de suicide. Cependant, les statistiques nationales ne tiennent pas compte des endroits où le taux de tentatives de suicide ou de suicide n'est pas 4 fois plus élevé que celui de la population générale, mais 20 fois plus élevé ou même 50 fois plus élevé. On peut se pencher sur ces endroits. Toutefois, sur une grande échelle, il faudra des efforts soutenus pendant une longue période de temps pour réduire ce taux, ce qui demandera une amélioration des conditions; la mise en place de facteurs de protection dans les communautés afin que les jeunes aient une meilleure estime de soi, se sentent concernés et aient des projets pour leur avenir; et l'élimination d'un grand nombre des facteurs qui peuvent pousser les habitants d'une communauté à se suicider.

Vous devez travailler sur les deux fronts. Ce sont des choses qui prennent plus de temps. Nous nous sommes engagés à long terme.

Le sénateur Eggleton : Je suis surprise que le gouvernement fédéral, qui est le principal responsable des Autochtones, n'ait pas une meilleure idée de l'analyse statistique de la situation.

Pouvez-vous me donner des preuves que cette stratégie quinquennale de 65 millions de dollars qui a commencé en 2005 et dans laquelle nous avons maintenant investi 75 millions de dollars sur cinq ans, rapporte des dividendes et n'est pas une perte d'argent?

Mme Langlois : Nous cherchons à consolider les facteurs de protection, tels que la résilience des enfants et les aptitudes à résoudre un problème, et à réduire les facteurs de risque comme la toxicomanie, les démêlés avec le système de justice pénale et l'effondrement des valeurs culturelles. Certains de ces 150 projets communautaires de prévention du suicide ont permis de réduire la délinquance juvénile dans des localités. Par conséquent, grâce à ces 150 projets, les jeunes ont moins de démêlés avec la loi, consomment moins de substances, participent davantage aux activités scolaires et communautaires et améliorent leurs compétences en leadership. Comme je l'ai mentionné, nous croyons également que les travailleurs en santé mentale ont la capacité de détecter et de prévenir les tentatives de suicide et d'intervenir dans de telles situations. Par exemple, les communautés reconnaissent maintenant davantage les comportements suicidaires. Elles parlent des moyens de renforcer leurs facteurs de protection et d'aborder les facteurs de risque. Ce ne sont pas des conversations que nous avions auparavant. Il est intéressant de voir les communautés en parler de cette façon.

Nous avons également observé une augmentation des protocoles d'intervention en cas de crise mis en place par des communautés pour aider d'autres administrations. Par exemple, faire appel à la GRC pour qu'elle travaille auprès des jeunes et qu'elle leur fournisse des modèles positifs afin qu'ils puissent commencer à aller de l'avant. Nous constatons les améliorations qui ont été apportées aux facteurs de protection et une réduction des facteurs de risque dans des circonstances très difficiles, comme vous le comprenez sûrement.

Le sénateur Eggleton : Y a-t-il eu une évaluation indépendante de ce programme?

Mme Langlois : Le programme fait l'objet d'une évaluation, et il a fait partie d'un autre programme qui a récemment été assujetti à une évaluation. C'est essentiellement une évaluation qui révèle que le programme répond aux besoins des communautés, qu'il est très apprécié par elles et que les communautés y participent de plus en plus.

Le sénateur Eggleton : Est-ce que cette évaluation est disponible? Pouvons-nous en obtenir une copie?

Mme Langlois : Toutes les évaluations finissent par être publiées en ligne avec la réponse et le plan d'action de la direction.

Le sénateur Eggleton : Vous pouvez peut-être en fournir une copie au greffier.

Mme Langlois : Je vous en fournirai une quand l'évaluation sera publiée.

Le sénateur Eggleton : M. Albrecht, il y a quelques instants, vous avez parlé d'un répertoire de renseignements, et vous avez affirmé que les programmes sur la prévention du suicide seraient élaborés dans les communautés. C'est davantage une collecte et une diffusion d'information qu'une stratégie nationale de prévention.

M. Albrecht : Pour répondre à la question, je crois que la stratégie viendrait du groupe chargé de cette responsabilité. Je pense que l'élément clé de la stratégie serait d'avoir de bonnes statistiques et de meilleures pratiques qui pourraient être diffusées dans l'ensemble du pays.

Le sénateur Eggleton : Quel serait le rôle du gouvernement fédéral à cet égard?

M. Albrecht : Celui que vous venez de mentionner, c'est-à-dire la mise à jour régulière des statistiques et la réévaluation de la réussite des meilleures pratiques existantes.

Le sénateur Eggleton : Merci.

Le président : M. Albrecht, les dernières interventions et les réponses, surtout aux questions du sénateur Eggleton, montrent de nouveau que votre projet de loi vise à prendre les renseignements établis et à les intégrer dans une stratégie globale.

De plus, je pense que nous avons tous très hâte d'entendre ce qu'ont à dire les témoins que nous accueillons aujourd'hui. Grâce aux questions que nous avons posées, je pense que le comité aimerait entendre l'avis de ces groupes- là.

M. Albrecht : Puis-je faire quelques observations supplémentaires?

Le président : Allez-y.

M. Albrecht : J'ai mentionné en passant dans mon introduction que c'est un problème de santé publique; il faut le reconnaître et le prendre tous en main. Ce n'est pas le gouvernement qui réglera le problème. Nous avons tous la responsabilité d'être conscients des difficultés qu'éprouvent nos collègues et d'être disposés à les écouter et les aider à trouver l'aide dont ils ont besoin, si on n'est pas en mesure de les aider nous-même. N'importe qui, un entraîneur de hockey ou de baseball mineur, un enseignant ou un collègue, doit être en mesure de pouvoir reconnaître les signes avant-coureurs.

Enfin, il y a trois thèmes qui ont retenu mon attention lorsque je faisais des recherches ces derniers mois. Le premier est l'importance d'en parler. Je pense que le fait même de parler de la question, le fait que les gens sont prêts à en parler, est pratiquement aussi important que le projet de loi.

Le Dr David Goldbloom a fait une observation intéressante sur la santé mentale lors d'un séminaire auquel j'ai assisté. Il a dit qu'une des meilleures façons de protéger et d'améliorer la santé mentale est de prendre régulièrement un repas en famille. Quelle solution simple; elle ne règle pas tous les problèmes, mais peut-être qu'on ne prend pas toujours le temps d'y penser.

Enfin, n'oublions pas le rôle de la spiritualité dans la prévention du suicide. Nous pensons souvent aux facteurs psychologiques, sociaux et biologiques, mais nous oublions souvent la dimension spirituelle, à notre grand détriment; j'aimerais nous rappeler d'y penser.

Le président : Merci. Madame Israel, auriez-vous l'obligeance de nous donner un aperçu des points saillants du document que vous avez distribué?

Mme Israel : Je reconnais que d'autres témoins voudraient donner leurs opinions, mais j'aimerais d'abord aborder quelques questions.

En plus de comprendre qui est à risque — qui dans la société présente un risque élevé de suicide — il est important de chercher à mieux comprendre pourquoi certaines personnes affichant certains facteurs de risque présentent un risque plus élevé de suicide et même la relation entre les divers facteurs de risque.

La création de la Commission de la santé mentale est une des initiatives encourageantes à avoir été réalisées ces dernières années. La commission sert de point de convergence pour le débat sur certaines de ces questions.

À l'Agence de la santé publique du Canada, nous comprenons, comme l'a dit Mme Langlois, que le renforcement de la résilience et des relations est de toute importance. Je ne saurais trop insister sur ce point.

L'agence a maintenant un budget de 27 millions de dollars, qu'elle investit dans neuf projets sur la santé mentale et projets de prévention du suicide dans l'ensemble du pays. En tout, 250 localités y participent. Ce qui est merveilleux avec ce type de projet, c'est que chaque localité est en mesure de nous dire quelles initiatives ont porté fruit, pour qui et dans quelles conditions.

[Français]

En français, je voudrais ajouter que la stratégie de l'innovation des contributions permet de créer et de renforcer les partenariats communautaires, d'améliorer les connaissances et les compétences des enfants, des adolescents et des parents. Elle commence à exercer une influence sur les pratiques qui ont cours dans plusieurs juridictions.

[Traduction]

À l'Agence de la santé publique du Canada, notre reconnaissons avant tout l'importance de la surveillance et des données, la nécessité de mettre en œuvre des projets utiles dans les provinces et autres territoires, et la nécessité de ne pas réinventer la roue, de tenir compte de divers aspects des TI et de veiller à ce que l'information acquise soit diffusée. Il est important que tout le monde, que ce soit un professionnel de la santé publique, un enseignant un ou travailleur communautaire, comprenne qu'il a un rôle à jouer, reconnaisse l'importance de la communication, de la discussion et du courage. Voilà qui touche au cœur du travail l'Agence de la santé publique du Canada.

Le président : Merci beaucoup à tous. Je suis sûr que vous serez tous intéressés d'entendre les prochains témoins. Bien sûr, Monsieur Albrecht, nous vous invitons à rester si vous le pouvez.

Je souhaite la bienvenue aux prochains témoins, que je nommerai avant de les inviter à faire leur exposé. Je commencerai par Alisa Simon, vice-présidente des services et programmes cliniques pour Jeunesse, J'écoute. Veuillez faire votre exposé.

Alisa Simon, vice-présidente des services et programmes cliniques, Jeunesse, J'écoute : Bonjour. Je représente Jeunesse, J'écoute. Il me fait plaisir d'intervenir aujourd'hui en faveur du projet de loi C-300. Faute de temps, je ne lirai pas le document que je vous ai distribué; je tenterais néanmoins de vous donner un aperçu de ses points saillants.

Pour ceux qui ne le savent pas, depuis 1989, Jeunesse, J'écoute est le seul organisme à offrir un service de counselling téléphonique pour jeunes, favorisant leur santé mentale et leur bien-être. Il y a trois façons de rejoindre un intervenant professionnel : par téléphone, au moyen d'un formulaire électronique que les jeunes remplissent pour recevoir une réponse personnalisée, et à compter de cette année, en clavardant en direct avec un intervenant.

Depuis notre création, nous offrons en tout temps des services à des millions de jeunes personnes des régions rurales, urbaines et éloignées, de tous les horizons, dans les deux langues officielles. Nos intervenants professionnels sont là pour eux lorsque les autres services à leur disposition laissent à désirer ou encore lorsqu'ils n'ont aucune structure de soutien, quand leur prochain rendez-vous n'est pas avant quelques jours, quand aucune aide n'est disponible dans leur localité ou quand ils ont simplement trop peur de demander de l'aide. Les jeunes qui nous appellent souffrent de dépression, sont paralysés par l'anxiété, sont poussés trop forts pour réussir et gagner; parfois, ils ont tout simplement perdu tout espoir et envisagent de se blesser ou de se suicider.

En 2011, les jeunes faisaient appel aux services de nos intervenants 5 000 fois par semaine; dans environ 20 p. 100 des cas, il était question de santé mentale ou de consommation, excessive ou non, de drogues ou d'alcool et dans 5 p. 100 des cas, il était directement question de suicide.

Si nous comparaissons devant le comité aujourd'hui, c'est pour qu'il entende ce que nous disent les jeunes qui appellent. À mon avis, dans toute discussion sur la santé et le bien-être des jeunes, il est de toute importance d'écouter ce qu'ils disent et de comprendre ce qu'ils vivent; c'est ce que j'espère accomplir aujourd'hui.

J'ai inclus certaines transcriptions d'appels pour vous donner une idée de ce que nous disent les jeunes. Un jeune homme de 14 ans a dit : « Je me demande même pourquoi je suis en vie puisque je ne vais jamais réussir ou accomplir quoi que ce soit. »

Une jeune femme de 13 ans nous a dit ceci :

J'ai de fortes pensées suicidaires ces jours-ci. Je ne sais pas pourquoi... Mon grand-père est à l'hôpital... Je ne sais plus quoi faire... La seule chose qui me garde en vie, c'est d'imaginer combien mes amis seraient tristes si je me suicidais. Même à ça, il m'arrive de les oublier et de vouloir me tuer. J'ai fait deux tentatives de suicide. La première fois, j'ai pris une surdose de Tylenol, mais ça n'a pas marché; la deuxième fois, j'ai essayé de m'étrangler. J'ai encore des bleus au cou. J'ai besoin d'aide. Je ne veux pas mourir.

Figurent dans le document fourni maints autres exemples de messages que nous envoient les jeunes Canadiens et Canadiennes lorsqu'ils ont désespérément besoin d'aide et de soutien.

J'aimerais maintenant parler des façons de commencer à faire des progrès dans le dossier. Avant tout, il faut améliorer la compréhension qu'ont les jeunes de la santé mentale. Depuis quelques années, les jeunes qui nous appellent sont de plus en plus nombreux à employer des termes précis et à parler de santé mentale et de troubles de la santé mentale, en partie grâce aux efforts importants consentis pour conscientiser les gens au sujet de la santé mentale.

Cela dit, malheureusement — comme l'illustre un sondage effectué en 2010 auprès de 1 400 jeunes dans l'ensemble du Canada — même si les jeunes comprennent généralement la santé mentale et emploient des mots et termes désignant des concepts précis, la moitié d'entre eux ont affirmé qu'ils ne demanderaient pas de l'aide parce qu'ils ne voulaient pas être rejetés ou incompris par leurs amis, qu'ils ne voulaient pas être un fardeau, qu'ils ne voulaient pas que leurs soucis soient minimisés et qu'ils ne faisaient pas confiance aux gens dans leur entourage.

Il faut réduire la stigmatisation associée à la santé mentale, mais il faut également réduire la stigmatisation entourant le fait même de demander de l'aide, aider les jeunes à mieux connaître les ressources internes et externes à leur disposition et démystifier les structures de soutien officielles dont tant de jeunes ont besoin.

Dans mon exposé, je parle de l'importance de l'espoir. Je pense que c'est très important, mais je vous laisserai lire le document au lieu de vous en parler.

J'aimerais maintenant aborder certaines questions que j'estime essentielles dans le dossier. Tout d'abord, l'anonymat et la confidentialité des jeunes est de toute importance. Jeunesse, J'écoute, a réussi à démontrer que si les jeunes nous appellent, c'est parce qu'ils peuvent le faire en toute sécurité, de façon anonyme et confidentielle — c'est ce que nous ont dit les trois quarts des jeunes qui ont participé à une évaluation de notre service de clavardage en direct. D'ailleurs, les jeunes nous ont dit que le service de clavardage est encore plus anonyme parce qu'on ne peut pas entendre leur voix; ainsi, de plus en plus de jeunes font appel à nous pour parler de suicide, d'automutilation et de santé mentale. Nous recevons même un plus grand nombre de demandes ce clavardage en direct que d'appels téléphoniques.

Aussi, il est extrêmement important de comprendre qu'il y a de nombreuses perspectives différentes au Canada, que le pays est composé de gens ayant des antécédents sociaux, culturels, raciaux et ethniques divers, que certains de ces groupes ont une compréhension différente de l'automutilation, du suicide, du deuil et de la perte et qu'ils ont leurs propres traditions et croyances sur la façon d'établir une communauté protectrice, de prévenir les pertes tragiques et de composer avec celles-ci. Il faut être réceptif à ces nombreuses perspectives, pensées et identités sociales différentes.

Il faut également comprendre que le suicide et l'automutilation sont des sujets complexes difficiles à cerner en quelques minutes; ces problèmes touchent les relations personnelles, la santé individuelle et communautaire et la société en général. Il faut aussi accepter que seules la consultation et la collaboration pourront donner une voix aux jeunes, aux parents, aux organisations communautaires et aux gouvernements et produire des changements durables.

Nous savons également que les jeunes sont complètement désemparés. Une vaste gamme de comportements entre en ligne de compte. Il y a l'automutilation et l'idéation suicidaire. Il faut tenir compte de nombreux facteurs dans l'élaboration d'une stratégie qui aidera les jeunes au Canada.

Comme je l'ai dit plus tôt, il faut que les jeunes aient une voix. La recherche nous dit que les jeunes sont vraiment les seuls à comprendre leurs propres besoins, mais les jeunes ont également besoin d'alliés adultes, c'est pourquoi toute politique efficace doit reposer sur la reconnaissance que les jeunes connaissent mieux que quiconque leur propre vie et que leurs alliés adultes sont là pour leur donner les outils, le soutien et les ressources dont ils ont besoin pour changer les choses.

Jeunesse, J'écoute, aimerait également souligner que, lorsqu'on discute de cette question, il est important de tenir compte des inégalités sociales. Nous savons que, à divers degrés, l'oppression, le racisme, l'homophobie et le sexisme touchent la qualité des expériences des jeunes au Canada. Bien que certaines stratégies de prévention du suicide soient de portée générale, il est important de se souvenir que les besoins sont souvent différents en fonction des expériences vécues, et qu'il faut trouver des moyens d'y répondre.

Généralement, dans les pays développés, le suicide est plus courant chez les gens à faible revenu, et comme nous l'avons dit plus tôt, au Canada, l'incidence du suicide est neuf fois plus élevée chez les jeunes des Premières nations que chez les jeunes non issus des Premières nations, et les membres en bas âge de la communauté LGBTQ présentent également un risque plus élevé. Une récente évaluation des services téléphoniques offerts par Jeunesse, J'écoute, révèle que 10 p. 100 de nos appels viennent de jeunes Autochtones, Métis ou issus des Premières nations. Les jeunes s'identifiant comme étant membres de la communauté LGBTQ représentaient 16 p. 100 des appels, proportion selon nous frappante. Étant donné le caractère anonyme et confidentiel des services offerts, nous ignorions qu'une si grande part des appels était attribuable à cette communauté. Quoiqu'il en soit, il faut reconnaître qu'une stratégie nationale doit représenter les besoins et les voix de ces populations particulières, en plus de ceux des jeunes issus de familles à faible revenu, des minorités visibles et autres.

J'aimerais également parler du rôle important de la presse dans la prévention ou la promotion du suicide. Le Globe and Mail a publié un article à ce sujet cette semaine. Le suicide continue de toucher la vie des Canadiens de l'ensemble du pays, et il est admirable que les médias s'attaquent à la question. Cependant, dans leur zèle à vouloir conscientiser la population à la question, les médias oublient parfois que la publication à répétition d'articles approfondis et explicites est contreproductive, puisque les jeunes les lisent. Dans la foulée du suicide d'Amanda Todd en Colombie-Britannique, Jeunesse, J'écoute a reçu un bon nombre d'appels de jeunes affirmant envisager le suicide parce qu'ils savaient que c'était une façon de mettre fin à l'intimidation. Il faut faire comprendre aux médias qu'il y a un type de reportage qui a un effet dissuasif immédiat et marquant sur les jeunes qui présentent un risque de suicide; j'en parle dans mon mémoire.

En Australie, des lignes directrices sur la couverture responsable du suicide ont été adoptées; cinq ans plus tard, le taux de suicide a considérablement baissé dans ce pays.

Enfin, il faut également parler de la nécessité d'une collaboration accrue entre les diverses sphères de compétence. Il faut réunir les gens, comme les jeunes et leurs alliés adultes, mais il faut également que les professionnels des domaines de la prévention, de la santé publique, de la santé mentale et du milieu de l'enseignement se réunissent afin d'offrir un continuum de soins qui répond réellement aux besoins des jeunes au Canada. Nous ne voulons plus offrir des traitements en vase clos et continuer à voir le suicide comme un problème à régler; nous préférons mettre l'accent sur toutes les mesures de soutien dont les jeunes au Canada ont vraiment besoin.

En conclusion, Jeunesse, J'écoute est heureuse que le Sénat envisage de mettre au point une stratégie nationale de prévention du suicide. Nous considérons que toute stratégie en ce sens doit s'appuyer sur les expériences et la réalité que vivent les jeunes. Nous sommes résolus à collaborer à l'élaboration et à la mise en œuvre des stratégies, politiques et programmes nationaux dans le contexte où nous avons accès aux jeunes et savons ce qu'ils vivent, et nous espérons qu'une stratégie nationale tiendra compte de l'importance de créer de nouveaux services ainsi que des formes de soutien des jeunes et de leurs familles tout en appuyant les services qui existent déjà et dont l'utilité est démontrée par la recherche.

Nous aidons quotidiennement des jeunes à comprendre que, quand ils se sentent désespérés et impuissants, ils doivent demander de l'aide, qu'il existe des endroits où ils seront acceptés comme ils sont, peu importe quel est leur problème ou leur état d'esprit. C'est notre responsabilité à tous, en tant qu'adultes, de veiller à ce que tous les jeunes au Canada aient un endroit sûr où ils peuvent aller pour demander de l'aide. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à M. Upshall, directeur exécutif de la Société pour les troubles de l'humeur du Canada.

M. Philip Upshall, directeur exécutif national, Société pour les troubles de l'humeur du Canada : Honorables sénateurs, merci de me donner la possibilité de discuter avec vous, bien que le temps qui m'est accordé soit beaucoup plus court que je le croyais au moment où j'ai vu qu'une heure entière m'était allouée. J'essaierai d'être aussi bref que possible.

J'ai eu le privilège de témoigner devant votre comité, dans ses diverses incarnations depuis l'époque du sénateur Kirby et du sénateur LeBreton. C'est un plaisir de voir ici le sénateur Cordy. Je pense que c'est l'une des dernières représentantes de la première époque. Ce fut un réel bonheur de suivre les travaux du comité et de voir à quel point il a réussi à attirer l'attention de la population canadienne sur la question de la santé mentale et des maladies mentales. C'est merveilleux que vous preniez le temps, encore aujourd'hui, de travailler sur ces questions.

Je suis ici à plusieurs titres. Je suis moi-même survivant d'une tentative de suicide. Je suis le directeur exécutif de la Société pour les troubles de l'humeur du Canada. Je suis le conseiller spécial de la PDG de la Commission de la santé mentale du Canada. Je suis professeur adjoint au département de psychiatrie de l'Université Dalhousie, bien que l'université ne me permette pas de faire d'intervention. Je suis directeur général de l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale, et j'ai dirigé la Semaine de sensibilisation aux maladies mentales. On m'a aussi confié la direction de l'Initiative canadienne de collaboration en santé mentale, une activité organisée grâce au Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires qui nous a permis de réorganiser le système de soins de santé primaires de manière à ce que les services psychiatriques soient utilisés beaucoup plus efficacement.

Enfin, j'ai eu le privilège de travailler de très près avec Kathy Langlois et la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits dans le cadre des activités de Building Bridges, une initiative financée conjointement avec nos partenaires autochtones.

Je vais laisser tomber les statistiques, mais j'ai encore quelques observations à formuler. Je suis désolé de n'avoir rien présenté par écrit, mais j'ai eu la chance de passer du temps avec mes petits-enfants en fin de semaine. Ce comité est très important pour moi, mais ils le sont aussi.

Quand j'ai commencé à comprendre le suicide, mon ami venait de se suicider par le cancer. Il a écrit une série de poèmes sous le titre The Hanging Tree. Je vais prendre une minute pour vous lire ceci :

Près de Port Arthur se trouvait un arbre bien connu qu'on appelait Le dernier arrêt, parce que c'était là que les Finlandais allaient se pendre. Il semble que, presque chaque semaine, quelqu'un était trouvé là, pendu par le cou. Les gens étaient prévenants, vous savez. Si quelqu'un était porté disparu, on savait où regarder d'abord. Il était beaucoup plus difficile d'aller dans la forêt et de retrouver les morceaux de ceux qui s'étaient tués par balle. Les animaux sauvages les trouvaient souvent en premier. Toutefois, quand quelqu'un pend de la branche d'un arbre, ce problème n'est pas aussi grave. La vie était tellement dure — chômage, faim, désespoir, solitude et même pas d'argent pour retourner chez soi. On comprend pourquoi ces gens choisissaient de se tuer. Dans les yeux des autres, la vie d'un étranger n'a aucune valeur, et l'étranger finit par le croire lui-même.

J'entends trop souvent moi-même les sentiments exprimés par mon ami disparu, dans les différentes fonctions que j'occupe, surtout au sein de la Société pour les troubles de l'humeur du Canada.

Quand je suis arrivé à Ottawa pour commencer mon travail de défense des droits dans le cadre de la maladie mentale, j'ai été surpris d'apprendre que les questions de maladie mentale, et de santé mentale en général, n'étaient pas considérées comme un champ relevant de la compétence fédérale. Les ministres Rock et McLellan, à l'époque, m'avaient suggéré de me tourner vers les provinces parce que c'était elles qui étaient responsables de la prestation des services en santé mentale, surtout pour les personnes aux prises avec la maladie mentale. Ils m'ont dit que, si je lisais la Loi canadienne sur la santé, je comprendrais, parce que tout était là.

Je l'ai lue, et je n'étais pas d'accord avec eux. Avec le temps, le gouvernement fédéral en est venu à admettre qu'il devait s'intéresser aux maladies mentales. Ainsi, avec l'aide du sénateur Kirby et d'autres, et avec la collaboration du Dr Paula Stewart, qui est rattachée à la direction de la surveillance des maladies chroniques à Santé Canada, j'ai commencé à compiler les statistiques. Le Dr Stewart et moi, avec l'aide d'un vaste groupe de conseillers, avons rédigé le Rapport sur les maladies mentales au Canada.

Tandis que nous préparions ce document et compilions les données sur lesquelles il reposait — c'était la première compilation de données entreprise à l'échelle fédérale —, nous avons reçu un certain nombre de communiqués de Santé Canada nous disant qu'il ne s'agirait pas d'un document du ministère. On nous disait que nous en étions les seuls responsables. Nous avons fini par le rédiger avec l'aide du service chargé de la surveillance, mais j'ai fini par vendre la publicité au dos du Rapport sur la santé mentale pour que ce dernier puisse être publié en 10 000 exemplaires.

En 2006, ce document a été révisé par notre groupe et, cette fois, c'est devenu un document officiel de Santé Canada, et le ministre Clement nous a aimablement fourni une lettre d'appui.

On me fait signe que je devrais aborder la question du projet de loi C-300.

Le président : Dans les quelques minutes qui restent.

M. Upshall : La Société pour les troubles de l'humeur du Canada, et tous ceux avec qui j'en discute, appuient l'intention du projet de loi C-300. C'est merveilleux de voir le Sénat et la Chambre des communes collaborer à une entreprise aussi formidable.

Comme le projet de loi n'est pas financé, nous comprenons que nous pourrons plus tard discuter avec le gouvernement fédéral et Santé Canada pour déterminer comment se déroulera le processus. Ce que nous voulons surtout, c'est éviter de créer encore des cellules travaillant isolément. Nous croyons que le suicide est certainement un sujet très important et qu'il faut qu'il fasse l'objet d'une stratégie en vue de la réduction du phénomène. Toutefois, nous croyons que cette stratégie devrait être un élément de notre façon d'aborder les maladies mentales en général, surtout que la majorité des suicides sont liés à la dépression.

Nous reconnaissons que le suicide peut être prévenu si les suicidaires sont informés et bénéficient de soins et de compassion, mais nous savons également qu'il faut que ces gens aient de l'espoir. M. Albrecht l'a mentionné, et d'autres aussi. Nous croyons que c'est un élément essentiel de toute tentative de réduction du nombre de suicides.

Nous devons aussi réellement chercher à assurer un meilleur accès aux services de soins primaires pour les gens ayant des problèmes de santé mentale en général, qui peuvent penser au suicide. Il est incroyablement difficile d'avoir accès à ces services. Si l'on croit avoir des problèmes d'accès aux soins d'urgence, pensez que le temps d'attente pour les gens ayant une maladie mentale est plus long encore en raison du processus de tri mis au point par l'Association canadienne des médecins d'urgence. Nous vous demandons d'en tenir compte.

Le soutien par les pairs est, à notre avis, absolument aussi important que la médication et l'aide psychologique. C'est l'un des éléments clés pour la Société pour les troubles de l'humeur du Canada. Le soutien par les pairs est très souvent mentionné comme étant le facteur permettant de faire reculer les personnes qui sont au bord du gouffre. Empty Casing, le livre de Fred Doucette, un militaire, traite du soutien des pairs. Le colonel Stéphane Grenier, des Forces armées canadiennes, que beaucoup d'entre vous connaissez en tant que porte-parole sur la question du stress post- traumatique, dit aussi que le soutien de ses pairs est ce qui l'a sauvé.

Nous aimons ce projet de loi et nous l'appuierons. Je serai heureux de pouvoir répondre à vos questions, parce que je sais que j'ai dépassé mon temps. Je me permets d'insister sur le fait qu'il faut faire preuve de collaboration ici.

J'ajoute une dernière chose. Le gouvernement fédéral, dans son dernier budget, a prévu 5 millions de dollars pour la création d'un réseau canadien de recherche et d'intervention sur la dépression. C'est la Société pour les troubles de l'humeur qui est responsable de la gestion de ces 5 millions de dollars. Le gouvernement fédéral nous a donné pour instructions de structurer et de mettre au point un réseau de recherche sur la dépression axé sur le suicide et l'état de stress post-traumatique, ou l'ESPT, avec l'aide des chercheurs en santé mentale du Canada, dont plus de 140 se sont maintenant manifestés.

Nous arrivons à la fin des accords de contribution de Santé Canada et nous terminons le travail entrepris dans ce contexte. Nous passerons à la phase de réalisation au début de 2013. Nous travaillerons en même temps avec l'AMC à la mise au point d'un programme d'éducation continue en santé sur la question de l'ESPT à l'intention des médecins. Nous avons déjà réalisé un tel programme sur la stigmatisation et la maladie mentale.

Je signale que la ministre Aglukkaq a fait savoir, dans ses observations concernant la structure du réseau canadien de recherche et d'intervention sur la dépression, que l'investissement de 5 millions de dollars visait à mettre sur pied un réseau national de centres de recherche et d'intervention sur la dépression axé sur les patients. Nous cherchons maintenant à nous concentrer sur les patients. Nous devons mettre le patient à l'avant-plan, car c'est cette personne qui doit bénéficier le plus de la recherche, et nous devons lui permettre de participer au processus dès le début.

Le sénateur Eggleton : Je vous remercie d'être venu nous rencontrer. Vous avez tous les deux parlé de « stratégie nationale ». Or, ce document traite d'un « cadre fédéral ». Par conséquent, je ne suis pas sûr si votre conception d'une stratégie nationale sera nécessairement bien servie par ce projet de loi. Comme vous, nous appuyons l'intention de M. Albrecht et du projet de loi. On peut cependant se demander s'il va assez loin.

Quel serait, selon vous, le rôle que le fédéral devrait assumer en matière de prévention du suicide?

Mme Simon : C'est une très bonne question. Certaines choses nous viennent à l'esprit. Comme je l'ai dit dans mon intervention, je pense qu'il faudrait réunir toutes les parties intéressées, y compris les jeunes. C'est le point de vue que j'adopte. Trop souvent, les gouvernements, fédéral ou provinciaux, établissent des règles, des stratégies et des lois qui ont des répercussions sur la vie des jeunes, et ce, sans jamais consulter ces jeunes pour déterminer qu'est-ce qui serait réellement efficace.

Nous avons certainement besoin de statistiques plus précises et plus récentes pour comprendre ce qui se passe, au lieu d'avoir à nous fier aux données disponibles, qui sont désuètes. Si nous devons attendre de cinq à dix ans avant d'avoir de bonnes données, cela devient complexe de déterminer si les travaux que nous faisons sont vraiment utiles.

La vérité, c'est qu'il n'y pas assez de financement, actuellement, pour le soutien et les services en santé mentale. C'est toujours un élément intéressant qui ressort des discussions avec les jeunes, surtout les adolescents. L'une des caractéristiques de ce groupe d'âge, c'est le manque de patience. Pourtant, nous demandons souvent aux jeunes, qui sont parfois en détresse, d'attendre plusieurs mois avant qu'ils puissent voir quelqu'un qui s'occupera d'un problème de santé mentale dont ils souffrent. Entre-temps, il arrive souvent que leur problème empire. Nous n'avons pas assez de services ou de soutien à offrir aux jeunes avant même qu'ils en arrivent à un stade où ils ont besoin des services classiques offerts en santé mentale. Il faudrait que le gouvernement fédéral fournisse des ressources supplémentaires sur tous ces plans.

Du point de vue de Jeunesse, J'écoute, je dirais que les services actuellement accessibles auraient besoin de plus de soutien. Dans l'état actuel des choses, tout le monde au Canada aimerait inscrire notre nom sur tous les documents de sensibilisation et diffuser le tout dans toutes les écoles. Nous aimerions bien qu'il en soit ainsi, mais nous devons aussi nous assurer que nous pourrons répondre aux appels dans un délai de 40 secondes et que nous pourrons répondre aux messages envoyés par Internet dans les 72 heures. Il nous faut de l'aide pour cela.

Il existe d'autres organismes comme Jeunesse, J'écoute. Ils sont tous financés dans une proportion de moins de 10 p. 100 par le gouvernement. Le gouvernement fédéral pourrait les appuyer davantage lorsque des évaluations prouvent qu'ils fournissent un véritable service et ont un effet bénéfique.

M. Upshall : Pour nous, il serait utile que le gouvernement fédéral utilise le mot « stratégie ». Nous imaginons probablement une stratégie qui compléterait la Stratégie en matière de santé mentale annoncée récemment par la Commission de la santé mentale, et qui prévoirait la tenue de discussions sur le suicide.

Les stratégies que nous aimons voir de la part du gouvernement fédéral doivent être réalisées en collaboration avec les provinces et les communautés locales et régionales, surtout en ce qui a trait au suicide, et doivent permettre d'effectuer le travail que le fédéral fait le mieux, soit compiler des données, constituer des équipes, déterminer quelles sont les meilleures pratiques et veiller au transfert des connaissances. Il est choquant de voir qu'il y a tellement de bonnes choses qui se font en Nouvelle-Écosse, au Yukon et en Colombie-Britannique, et que nous ne pouvons pas faire en sorte que toutes les connaissances ainsi acquises soient transmises efficacement, si tant est qu'elles sont transmises.

Nous devons créer cette capacité de transmettre le savoir, et je pense que cela fait partie de la stratégie. Le gouvernement fédéral fait des choses. Comme vous le savez, Statistique Canada a maintenant publié les résultats de son étude sur la santé mentale. De nouvelles sources de données sont maintenant offertes.

Le sénateur Eggleton : Sur la question de l'élaboration de stratégies, en 1996, les Nations Unies ont présenté quelques lignes directrices à ce sujet. Avez-vous une idée de l'utilité de ces lignes directrices pour ceux qui auraient à concevoir des plans dans le cadre de cette mesure?

M. Upshall : Je viens d'avoir une conversation avec le Dr Michelle Funk, qui dirige la section de l'Organisation mondiale de la santé qui s'occupe des questions de santé mentale. L'OMS a aussi mis au point une stratégie sur la santé mentale. Elle vient de terminer sa deuxième version provisoire. Elle a aussi réalisé d'autres travaux très utiles sur les troubles en santé mentale.

Le problème est toujours le même. Il existe des idées et des principes merveilleux, mais si vous n'accordez pas de financement et que vous ne donnez pas aux gens les outils qu'il leur faut pour réaliser la stratégie, il ne sert à rien de concevoir une stratégie. Son propre service, qui comptait 12 personnes, n'en comptera plus qu'une à partir de janvier. Elle sera seule, et elle lutte pour trouver de l'argent.

Les Nations Unies et l'Organisation mondiale de la santé sont des organisations formidables. Je peux vous parler d'autres sources. La commission nationale de la santé mentale de l'Australie a publié récemment son évaluation de la stratégie en matière de santé mentale et de prévention du suicide. Dans ce pays, on n'a fait qu'un avec la stratégie en matière de santé mentale et la prévention du suicide. J'ai fait des copies du rapport. Je les laisserai au greffier. Ce document aussi fait prendre conscience de bien des choses. Il traite aussi beaucoup de la nécessité d'élargir la discussion et de financer les bonnes activités.

Le sénateur Eggleton : Ainsi vous croyez qu'il y a beaucoup à apprendre des autres pays?

M. Upshall : Oui, et surtout de l'Australie. Nous avons aussi beaucoup à apprendre de la Colombie-Britannique. Sa stratégie de prévention du suicide est intéressante.

Le sénateur Eggleton : Mme Simon aurait-elle des observations à faire?

Mme Simon : Je voudrais dire, moi aussi, qu'il se fait du travail incroyable en Australie dans la prévention du suicide et la santé mentale. Nous nous sommes rendus en Australie il y a environ un an et demi, pour parler là-bas de l'aide que nous offrons en matière de santé mentale, au moyen de notre ligne téléphonique Jeunesse, J'écoute. Nous avons pu constater que les Australiens sont en avance sur nous à bien des égards, dans ce domaine.

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de vous poser encore une question sur un sujet qui suscite passablement de discussions, bien que nous n'en ayons pas encore parlé dans le présent contexte. Il s'agit des déterminants sociaux de la santé. Par exemple, le foyer d'une personne est un gage de stabilité dans sa vie. C'est ce qui lui donne la possibilité de mener une vie normale, de travailler, d'aller à l'école, et ainsi de suite. À l'inverse, l'isolement et la pauvreté causent la dépression et la détresse et peuvent entraîner le suicide.

Les déterminants sociaux de la santé devraient-ils faire partie du cadre ou de la stratégie que l'on essaiera d'élaborer?

Mme Simon : Je vous dirais qu'on ne peut jamais ignorer les déterminants sociaux de la santé. Si nous le faisons, c'est à nos risques et périls. Si nous voulons élaborer un cadre ou une stratégie utile, susceptible de donner des résultats, nous devons tenir compte des déterminants sociaux de la santé. J'en ai parlé dans mon exposé. J'ai dit que les gens avaient un vécu qualitativement différent d'une personne à l'autre. Il est important d'être conscient de ces différences, qui peuvent être attribuables à la pauvreté, à l'identité ethnique ou à l'identité sexuelle. Nous devons en être conscients parce que c'est seulement ainsi que nous arriverons à élaborer des stratégies efficaces de prévention et de traitement.

M. Upshall : Je suis d'accord. Toutefois, si l'on fait intervenir les déterminants de la santé dans la discussion actuelle, on se retrouve avec un problème de coût. Les déterminants de la santé sont importants, mais si on les quantifie et on demande des milliards de dollars pour un programme, on dépasse de loin les moyens dont dispose le gouvernement pour agir à brève échéance, voire plus tard, ce qui fait qu'on se trouve exclu de la discussion. Si je pouvais trouver un moyen de promouvoir les traitements contre la maladie mentale et l'accès à ces traitements tout en incluant des facteurs comme l'itinérance, le chômage et le désespoir, et si je pouvais quantifier ces facteurs, je le ferais. Cependant, en toute honnêteté, je dois vous dire qu'il me faut demeurer dans les limites de ce qui est faisable.

L'ancien lieutenant-gouverneur de l'Ontario James Bartleman, qui est autochtone, nous a déjà raconté avec éloquence son enfance dans une famille nombreuse, dont la maison ne comptait que deux ou trois chambres à coucher, au sud de Barrie. Il lui a fallu 20 ans pour s'apercevoir que le domicile familial se trouvait à côté d'un dépotoir. Son exposé était si convaincant que j'ai dû repenser la priorité en matière de développement des jeunes générations.

Le sénateur Munson : J'ai quelques questions. L'une d'entre elles est d'ordre général. Merci beaucoup d'être venus. J'aime ce projet de loi; je l'aime vraiment.

Premièrement, où en êtes-vous concernant la ligne Jeunesse, J'écoute? Qui réussissez-vous à atteindre par ce moyen? Ce service est-il offert partout au pays? Si je vous pose cette question, c'est que nous avons sous les yeux des statistiques mettant en évidence des différences alarmantes entre les régions. Par exemple, le taux de suicide au Yukon est de 5,7 pour 100 000 habitants. Dans le territoire voisin, au Nunavut, le taux est de 56,9 pour 100 000. Parmi les hommes, il est de 89,1. Ces chiffres concernent le nord du 60e parallèle. J'aimerais savoir comment se fait le travail de sensibilisation et pourquoi il y a tant de différence entre les deux endroits.

Monsieur Upshall, je vous donne l'occasion de réfléchir à la question suivante pendant que Mme Simon me répond. Je ne veux pas être indiscret, mais j'ai toujours cru qu'il était important que les gens échangent à propos de leurs expériences. Nous vivons peut-être trop de facettes de nos vies dans l'ombre. Si vous pouviez nous parler un peu de votre expérience, nous en dégagerions peut-être des enseignements utiles.

Vous avez indiqué, dans votre déclaration, que vous aviez déjà tenté de vous suicider. Quelle leçon pouvons-nous tirer de ce que vous avez fait pour survivre? Étant donné que la présente réunion est diffusée en direct, je pense que votre point de vue aurait une valeur inestimable, alors que nous tâchons d'élaborer ensemble le cadre souhaité.

Mme Simon : Pour ce qui est de la sensibilisation, on s'y prend de diverses manières. J'ai beaucoup parlé des services directs que nous fournissons par l'intermédiaire de nos conseillers professionnels. Un jeune peut communiquer directement avec un conseiller. Nous offrons aussi ce que nous appelons des services indirects. Nous avons quatre sites Web, soit deux pour les enfants et deux pour les adolescents. Deux sites en français et deux sites en anglais. Ils contiennent de l'information vérifiée cliniquement sur plus de 50 sujets.

Au sein de Jeunesse, J'écoute, nous avons un département d'actualisation des connaissances qui s'occupe d'examiner les études sur les pratiques exemplaires qui concernent, par exemple, la dépression et qui sont réalisées au Canada et ailleurs dans le monde. Nous enrichissons ainsi notre système d'actualisation des connaissances, que nos conseillers peuvent consulter lorsqu'ils communiquent avec un jeune au téléphone ou en clavardant. Ils trouvent dans ce système des conseils sur la manière des jeunes de parler d'un sujet donné. Les connaissances acquises se traduisent en outre par du contenu dans notre site Web préparé par un rédacteur spécialisé dans les écrits adaptés aux jeunes, avec la participation de la jeunesse.

L'année dernière, notre site Web a reçu 5 millions de visites de la part des jeunes du Canada, qui y trouvent de l'information sur des sujets comme la dépression et les actes autodestructeurs. Cette information est présentée sous une forme adaptée à leur âge, comme je l'ai dit. Le site Web pour les enfants est très différent du site Web pour les adolescents.

Les jeunes peuvent aussi lire, dans notre site Web, les commentaires qui nous sont envoyés, comme ceux que j'ai lus. Lorsque les jeunes nous envoient des commentaires par l'intermédiaire de notre site web, ces commentaires y sont diffusés par la suite. Environ 50 personnes visualisent chaque commentaire ainsi que la réponse individualisée envoyée à l'auteur du commentaire. Les jeunes disent souvent qu'avant de nous appeler ou d'envoyer eux-mêmes un commentaire, ils veulent lire ce que dit un conseiller sur la question.

En outre, nous faisons de la sensibilisation directement parmi les jeunes, surtout dans les écoles. En 2011, nous avons distribué environ un million de cartes pour portefeuille et 200 000 dépliants à des jeunes par l'intermédiaire de 14 000 écoles et organismes sans but lucratif du Canada, au cours de notre campagne de sensibilisation de la jeunesse. Notre campagne vise toutes les provinces. Nous œuvrons dans l'ensemble du Canada. Nos conseillers se trouvent à Montréal et Toronto, et nous répondons 24 heures sur 24 aux appels, aux demandes de clavardage et aux commentaires envoyés au moyen de notre site Web, en provenance de toutes les provinces. Cependant, nous sommes limités par la présence physique de nos conseillers dans deux provinces seulement, ce qui fait que nos efforts de sensibilisation dans le domaine de la santé mentale sont concentrés dans ces deux provinces. Il est difficile d'envoyer un conseiller au Yukon ou en Nouvelle-Écosse.

Actuellement, nous mettons à l'essai un nouveau programme téléphonique de sensibilisation en santé mentale, avec des enseignants et leurs classes, dans quatre provinces. Nous essayons ainsi de répondre aux besoins des jeunes hors de l'Ontario et du Québec, où se trouvent nos conseillers. Nous communiquons avec des jeunes de partout au Canada. Les jeunes nous connaissent dans une proportion de 90 p. 100. Cependant, lorsqu'ils ont la chance de parler du sujet à l'école, avec l'un de nos conseillers, ils cherchent à savoir comment se déroulent les appels et qui sont les jeunes qui appellent. Ils sont plus susceptibles de se sentir à l'aise de cette manière. Nous avons élaboré ce programme de sensibilisation.

Enfin, je tiens à préciser, sur cette question, que nous avons décidé de concentrer nos efforts de sensibilisation en santé mentale sur la nécessité de demander de l'aide. Beaucoup de gens s'emploient à diffuser des connaissances sur la santé mentale, ce qui est important, mais nous avons constaté qu'en savoir davantage n'est pas vraiment utile si les jeunes continuent d'avoir honte de demander de l'aide. Le programme cherche avant tout à aider les jeunes à repérer les ressources dont ils disposent dans leur milieu et à leur apprendre qu'en l'absence de ressources dans leur milieu, ils peuvent toujours avoir recours à la ligne Jeunesse, J'écoute.

Dans beaucoup de collectivités autochtones, il n'y a aucune ressource, alors c'est nous que les jeunes peuvent appeler. Mais, pour ce qui est du reste du pays, nous avons la plus grosse base de données au Canada sur les ressources disponibles sous forme de programmes et d'aide s'adressant aux jeunes. Cette base de données contient 37 000 endroits où nous pouvons envoyer les jeunes, un peu partout au Canada. Dans les parties du territoire où aucune ressource n'est disponible, nous disons aux jeunes de nous appeler.

Le sénateur Munson : Il n'y a pas de ressources pour les Autochtones. Je ne comprends toujours pas pourquoi il existe un tel écart entre le Yukon et le Nunavut. Peut-être que vous et M. Upshal pourriez éclairer ma lanterne.

Mme Simon : On ne peut pas dire qu'il n'existe aucune ressource pour les Autochtones, mais ça dépend de l'endroit. La situation n'est pas la même dans les régions urbaines que dans les régions rurales et les régions éloignées. Je n'apprendrai certainement rien à personne si je dis que le taux de suicide est beaucoup plus élevé dans les régions éloignées du Canada et parmi les populations autochtones de ces régions que dans d'autres régions.

Si je voulais vous expliquer les raisons de cet écart, il me faudrait beaucoup plus que la minute dont je dispose actuellement pour vous répondre. C'est un problème très complexe. Il est certain que nous devrions mieux faire connaître, dans les régions rurales ou éloignées, la ligne Jeunesse, J'écoute et les autres organismes offrant des services et de l'aide. Lorsque nous avons fait notre évaluation par téléphone, nous avons constaté avec stupéfaction que seulement 9 p. 100 des appels que nous recevons viennent de jeunes Autochtones. Nous devons mieux faire connaître nos services parmi les jeunes manifestement les plus à risque. Nous devons veiller à ce qu'ils sachent qu'ils peuvent communiquer avec nous.

Nous avons réalisé un projet l'année dernière. Nous sommes allés dans des territoires autochtones éloignés, en Ontario, et avons montré aux jeunes notre documentation. Nous leur avons demandé ce qu'ils savaient de la ligne Jeunesse, J'écoute et si cela leur donnait le goût de nous appeler. Ils nous ont répondu qu'ils ne se reconnaissaient pas du tout dans l'information que nous leur avions présentée. Nous avons alors fait un concours parmi les jeunes des territoires autochtones des régions éloignées de l'Ontario, et ils ont imaginé des affiches qui leur paraissaient convaincantes. Nous avons mis ces affiches un peu partout en Ontario avec l'aide d'une subvention du gouvernement ontarien. Nous sommes partis demander aux jeunes Autochtones directement ce qui, dans la ligne Jeunesse, J'écoute ou dans les autres services, constituait un obstacle les empêchant d'y avoir recours. Nous avons cherché à savoir ce qui vaincrait leur réticence à communiquer avec nous. Nos affiches à leur intention sont radicalement différentes de tout ce que nous diffusons dans le reste du Canada. Si nous faisions le même travail au Québec, au Yukon ou dans les autres provinces, nous nous apercevrions que nous devons changer l'imaginaire et les mots que nous employons pour les adapter à chaque population à laquelle nous voulons faire connaître nos services.

M. Upshall : J'ai deux observations à faire concernant les problèmes particuliers aux Premières nations. La Société pour les troubles de l'humeur du Canada a la chance de compter, dans son conseil d'administration, M. William Mussel, président de l'Association autochtone de la santé mentale du Canada, à Chilliwack, en Colombie-Britannique. C'est un expert très réputé de la santé mentale et des difficultés à se sentir bien dans sa peau parmi les Premières nations. Nous avons accompli beaucoup de travail avec les populations autochtones grâce à nos programmes Building Bridges.

Certaines personnes essaient d'en faire une question compliquée, mais je ne suis pas certain qu'elle soit aussi compliquée qu'on voudrait nous le faire croire. Beaucoup de populations autochtones ont perdu espoir. Beaucoup d'enfants souffrent du taux de chômage élevé et du manque d'instruction. La compétence culturelle fait défaut dans les réserves affligées par un taux de suicide élevé. Il manque de personnel autochtone ou issu des Premières nations pour fournir les services, alors il faut toujours faire appel à un Blanc. La question est assez simple. Elle découle des problèmes vécus au foyer, sur le marché du travail et dans les pensionnats autochtones. Contrairement à ce que l'on peut prétendre, ce sont manifestement des problèmes qui se transmettent de génération en génération. On ne s'attaque pas vraiment à ces problèmes.

Voilà un autre problème dans ma liste, et si nous voulions vraiment faire face à ces problèmes, nous en serions capables. Beaucoup nécessitent l'attention des dirigeants des Premières nations et des dirigeants inuits, car il faut s'occuper du manque d'espoir au sein de la jeune génération. Dans les régions rurales ou éloignées, ces problèmes ne proviennent pas du monde dans lequel vivaient les générations précédentes.

La liste est facile à dresser, mais il est difficile de s'occuper de tous les éléments de la liste. Néanmoins, les différences que révèlent les statistiques s'expliquent par le manque d'espoir.

Le sénateur Munson : Je vous ai demandé si, dans une perspective d'échange, vous vouliez nous parler de votre expérience. Je ne sais pas si vous le souhaitez. Je vous pose la question parce que votre réponse pourrait nous aider à élaborer au Parlement, grâce à une approche collaborative, un cadre qui ferait naître un espoir nouveau et qui nous aiderait à résoudre des problèmes comme ceux que vous avez vécus personnellement.

M. Upshall : Je parle rarement de ces problèmes parce que je ne suis pas un bon conteur. Certaines personnes sont bonnes pour raconter leur expérience, et nous nous servons de leur histoire pour illustrer les problèmes que nous rencontrons. Je préfère m'en tenir à mon rôle de porte-parole de la cause et présenter les choses sous un autre angle. Cela dit, vous avez le droit de savoir que j'ai vécu mon expérience en exerçant la profession d'avocat. J'ai été l'un des plus jeunes conseils de la reine nommés par M. Bill Davis et j'ai œuvré dans ma municipalité comme activiste. J'ai aussi été très actif à l'église, à l'Armée du salut et, de manière générale, en tant que chef de file local.

En 1990, j'ai tenté de me suicider. Si vous lisez des descriptions de ce que vivent les personnes qui font des dépressions ou qui se suicident, vous vous apercevrez qu'elles s'enfoncent sur une période qui dure beaucoup plus que quelques jours seulement. La souffrance associée à la dépression est inimaginable. À l'inverse, vous n'avez pas idée de ce qu'on ressent lorsqu'on traverse la phase maniaque d'un trouble bipolaire. À dire vrai, on a l'impression d'être plus fort que Jésus-Christ lui-même. On croit détenir un pouvoir infini. Je ne savais pas du tout ce qu'était la maladie mentale lorsque j'ai tenté de me suicider. Je traversais alors la phase dépressive de mon trouble maniaco-dépressif, comme on l'appelle. Au cours de la phase maniaque, j'avais décidé de me servir dans mon compte en fiducie, alors j'ai été inculpé pour fraude. Par un concours de circonstances des plus bizarres, on m'a surpris en pleine tentative de suicide, alors que je croyais avoir très bien planifié ma mort, et on m'a emmené à l'hôpital. Vu la forte résistance de mon organisme, on est parvenu à me mettre hors de danger après quatre jours de traitement. Puis, je me suis retrouvé à l'unité de psychiatrie pendant près de deux mois. Étant donné que j'avais beaucoup de bons amis, j'ai été suivi tout de suite par un psychiatre.

Les circonstances dans lesquelles je me suis trouvé ne sont pas normales. Si j'ai eu la chance de ne pas sombrer dans l'existence d'un sans-abri, c'est que je bénéficiais d'une police d'assurance contre l'incapacité à exercer ma profession. Dès que je me suis retrouvé en prison, où j'ai passé un certain temps, j'ai été radié du barreau. Par conséquent, ne pouvant plus pratiquer comme avocat, j'ai eu droit à l'argent de l'assurance.

Mes expériences ne sont pas exceptionnelles et se rapprochent de celles qu'ont vécues d'autres personnes, comme le sénateur Dallaire. Il y a une chose sur laquelle j'ai toujours pu compter lorsque j'avais des problèmes : l'amitié d'une personne. Oui, je prenais des médicaments très efficaces — j'ai été sous forte médication pendant des années —, mais j'ai toujours pu compter sur l'aide d'un ami.

Lorsque je les ai découverts, la Société pour les troubles de l'humeur du Canada et le soutien par les pairs qu'on y trouve sont devenus mes refuges. Je ne me rappelle pas si c'est M. Albrecht ou quelqu'un d'autre qui a employé le mot « refuges ». Les refuges sont absolument essentiels pour quiconque se remet d'une maladie mentale. Les groupes de soutien par les pairs étaient un refuge pour moi. Mes collègues actuels forment tous un refuge où je me sens en sécurité et très à l'aise de travailler. Aujourd'hui, ma maison est le refuge le plus sûr que je n'ai jamais eu; ce n'était pas le cas dans ma vie antérieure.

Sur le plan de l'expérience, il y a assurément le soutien par les pairs, assurément les amis, des amis qui comprennent — après ce que j'ai vécu, j'ai perdu mes anciens amis et je suis allé de l'avant. Les gens doivent absolument comprendre que le soutien est essentiel.

Le sénateur Munson : Je tiens à dire que vous êtes une personne exceptionnelle. Il faut que nous sachions tout cela, que nous en soyons vraiment conscients, parce qu'il s'agit du genre d'information dont nous avons tous besoin. Vous êtes une personne remarquable.

Le président : Merci, sénateur.

Le sénateur Dyck : Je remercie sincèrement nos témoins. Madame Simon, j'ai été frappée lorsque vous avez parlé de la diversité des adolescents qui se suicident ou tentent de le faire. Vous avez dit que 10 p. 100 des appels que vous recevez proviennent d'Autochtones. Cependant, j'ai l'impression que vous commencez à peine à faire connaître vos services auprès des jeunes Autochtones.

Passons au projet de loi. S'il mène à l'élaboration d'un cadre fédéral, croyez-vous que celui-ci tiendra compte de la diversité? Je pense précisément aux jeunes Autochtones, mais il faudrait également s'intéresser à beaucoup d'autres groupes. Pensez-vous que le contenu du projet de loi suffira à faire en sorte qu'on accorde aux différents groupes l'attention qu'ils méritent? De toute évidence, ces groupes ne sont pas homogènes, alors les services et les stratégies varient en conséquence.

Mme Simon : Je ne saurais dire si le projet de loi contient assez d'information en ce qui concerne la diversité, car j'ignore ce qu'il faudrait y inclure précisément afin d'éviter qu'on oublie ce critère et de garantir qu'il en soit question, ce qui m'apparaît capital si l'on veut que le cadre réponde aux besoins des jeunes au Canada.

Il faut éventuellement étoffer le projet de loi afin d'y indiquer explicitement que l'on comprend que les expériences des jeunes ne sont pas homogènes et doivent toutes être prises en considération. Je parle des jeunes, mais j'imagine que c'est la même chose pour tout le monde, surtout, comme nous le disions, lorsqu'on sait que le risque de suicide est supérieur au sein de certains groupes précis de jeunes, comme les Autochtones ou les allosexuels. Trop peu de services s'adressent à eux. Il serait probablement utile d'envisager d'inclure au libellé quelque chose qui garantira, si le projet de loi est adopté, que le cadre traitera de la question.

Le sénateur Dyck : Pour ce qui est de votre ligne Jeunesse, J'écoute et des autres installations, vous avez dit que votre organisme offre actuellement ses services depuis Montréal et Toronto. Est-ce que vos conseillers actuels ou même les personnes qui répondent aux questions par Internet ou par téléphone reflètent cette diversité?

Mme Simon : Notre personnel est très diversifié, et pas seulement sur le plan de l'origine et de la capacité à s'exprimer en français et en anglais. Ces personnes exercent toutes sortes de professions d'aide. Pour devenir conseiller de Jeunesse, J'écoute, il faut détenir un diplôme universitaire et avoir au moins trois années d'expérience directe en intervention individuelle auprès des enfants ou des adolescents. Beaucoup de nos conseillers travaillent pour nous à temps partiel et peuvent donc mener des activités professionnelles au sein du système de justice pour les mineurs ou de protection de l'enfance. Nous proposons ainsi une expertise fort variée.

De plus, à Jeunesse, J'écoute, nous formons nos conseillers. Nous avons un cadre de formation fondé sur la thérapie brève orientée vers les solutions, une méthode étayée par des travaux de recherche impressionnants. Tous nos conseillers consacrent beaucoup de temps à recevoir de la formation et à écouter des appels auxquels répondent d'autres conseillers avant d'être eux-mêmes autorisés à répondre au téléphone. Il en va de même pour le clavardage et les messages Web.

Une bonne partie de notre formation est axée sur la sensibilité à la diversité culturelle. Cette année, nous avons suivi un atelier sur la violence latérale au sein des communautés autochtones, plus précisément sur l'intimidation. L'an dernier, il s'agissait d'un atelier plus général sur les problèmes d'ordre social ou affectif des jeunes Autochtones. Nous faisons appel à des formateurs externes, et notre service chargé de la mobilisation des connaissances assure la formation sur certains sujets. Honnêtement, lorsqu'un conseiller de Jeunesse, J'écoute répond au téléphone, il ignore s'il parlera à un enfant de six ans qui est en colère parce que sa mère l'a grondé, à un jeune de 18 ans qui s'est automutilé d'une manière ou d'une autre, ou à un groupe d'adolescents de 14 ans qui testent notre réaction et s'amusent à nos dépens. Nous devons veiller à ce que nos conseillers soient préparés à toutes ces éventualités et à toutes les autres que je n'ai pas mentionnées.

Tous nos conseillers suivent actuellement une formation interne sur le suicide afin de mieux aider les jeunes. Dès février, ils recevront par ailleurs la Formation appliquée en techniques d'intervention face au suicide, un des programmes nationaux de prévention du suicide.

Le sénateur Dyck : Merci.

Le sénateur Cordy : Merci beaucoup à tous les deux. L'un comme l'autre, vous accomplissez quelque chose d'exceptionnel dans le domaine de la santé et de la maladie mentale. M. Upshall, vous êtes un collaborateur de longue date du Sénat; vous nous aidez relativement à nos rapports et aux projets de loi qui portent sur la santé mentale. Je vous en remercie tout particulièrement.

Le projet de loi prévoit la consultation d'organisations non gouvernementales concernées, des entités compétentes des provinces et territoires ainsi que de ministères fédéraux — de tous les ordres gouvernementaux, donc.

Vous avez tous deux parlé de la nécessité de faire participer les jeunes au processus, surtout Mme Simon. Il y a peut- être lieu de demander au gouvernement, par l'intermédiaire d'une observation, de les inclure dans la démarche.

Les sénateurs Dyck et Munson ont par ailleurs posé beaucoup de questions à propos des jeunes Autochtones et de la nécessité d'inclure également les groupes autochtones dans le processus.

Je crois qu'on oublie souvent les services de police. Il n'est pas rare que les policiers soient ceux qui interviennent en première ligne lorsqu'on contacte les forces de l'ordre parce qu'une situation impliquant une personne potentiellement atteinte de maladie mentale dégénère. Généralement, ils arrivent les premiers sur les lieux, avant même les intervenants en santé.

Vous avez également évoqué la représentation des allosexuels.

Mme Simon, vous avez en outre mentionné la nécessité de faire intervenir les médias dans le processus d'élaboration d'un cadre stratégique, comme le prévoit le projet de loi, ou, ce qui n'est pas tout à fait la même chose, d'une stratégie nationale.

Devrions-nous faire une observation au gouvernement afin qu'on ne passe pas ces groupes sous silence? Les « organisations non gouvernementales » et les « ministères », comme on le lit, ne sont pas les premiers groupes qui me viendraient à l'esprit.

Mme Simon : Je crois que ce serait fantastique d'ajouter quelque chose à cet effet dans le projet de loi et de faire allusion à l'incroyable travail qui s'accomplit relativement à certains des groupes démographiques dont il a été question. Egale Canada dirige une stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes allosexuels et, il y a environ huit mois, a réuni des gens de tout le Canada pour discuter des problèmes que vit cette communauté.

Il y a aussi un groupe formé de jeunes Autochtones qui cherche à élaborer une stratégie axée expressément sur les jeunes Autochtones et le suicide. Notre directeur clinique des services en anglais y siège.

Qu'ils soient jeunes ou moins jeunes, les membres de ces deux communautés en particulier sont très inquiets de la situation et ont d'excellentes idées. Il serait utile d'inscrire dans le projet de loi qu'il faut que ces personnes, comme d'autres, puissent s'exprimer dans le contexte de l'élaboration du cadre.

Le sénateur Cordy : Faudrait-il également une autre loi afin de nous doter d'une stratégie nationale axée sur les enfants et les adolescents qui ont des problèmes de santé mentale? Ceux-ci seront visés par le projet de loi, mais devrions-nous envisager cette possibilité en particulier? J'imagine que c'est parce que j'ai enseigné au primaire que l'idée me vient à l'esprit. M. Upshall a mentionné qu'il n'y a souvent pas de services. Lorsque j'enseignais, je me souviens d'avoir fait un aiguillage pour me faire répondre que l'attente était de 6 à 18 mois. On se dit alors : « Mais c'est aujourd'hui ou demain que cet enfant a besoin d'aide, pas dans six mois. » Devrions-nous envisager cette mesure?

Mme Simon : Il sera très difficile, voire impossible, d'élaborer un unique cadre de prévention du suicide au Canada. Il faut peut-être envisager l'élaboration de divers cadres. De toute évidence, l'un d'entre eux répondrait aux besoins des jeunes. Je le fractionnerais, même, afin de montrer qu'il existe une différence marquée entre un enfant de 10 ans, un étudiant postsecondaire et un jeune adulte de 24 ans. Nous savons que le suicide est la deuxième cause de mortalité en importance parmi les Canadiens de 10 à 24 ans. Manifestement, il faut se pencher sur la question. Cependant, cet élément crucial qu'est le désespoir, dont M. Upshall a parlé, ne correspond pas du tout à la même chose pour un enfant, un adolescent ou un jeune adulte. Pour élaborer un cadre de prévention du suicide, il faut absolument prendre conscience qu'il ne sera probablement pas suffisant à lui seul. Il faut considérer les groupes d'âge, mais aussi recouper les divers groupes démographiques avec les facteurs de risque et des éléments tels que la ruralité ou les inégalités. Je ne pense pas qu'il soit réaliste de concevoir un cadre qui englobe vraiment tous les Canadiens. J'imagine que les besoins des personnes âgées seront très différents de ceux des enfants et des adolescents.

Le sénateur Cordy : Il y a manifestement des différences dans l'information que nous diffuserions auprès de chaque groupe. Vous avez tout à fait raison.

M. Upshall : Le président sait peut-être, comme d'autres personnes ici peut-être, que les IRSC élaborent des plans de recherche axés sur les patients. La première subvention visera la santé mentale. Elle s'élèvera à 25 millions de dollars en cinq ans, et il semble maintenant qu'elle sera consacrée à la santé mentale des enfants et des adolescents. Il s'agit d'un projet fétiche d'Anthony Boeckh, de la Fondation Graham Boeckh, partenaire des IRSC. Au lieu de chercher à dresser à l'aveuglette une longue liste de personnes pertinentes, il serait peut-être préférable de laisser les activités en cours dans la collectivité, le cas échéant, mettre en lumière des personnes qu'il conviendrait d'amener à la table.

J'aimerais faire un peu de promotion pour le projet de loi et l'appuyer tel quel. Vous pouvez peut-être y attribuer des notes, mais j'espère que vous ne suggérerez pas des amendements qui en retarderont l'adoption.

Le sénateur Cordy : Je suis d'accord avec vous. Je parle d'observations, parce que je pense que nous approuvons tous l'objet du projet de loi et que nous voulons tous le faire adopter.

On entend beaucoup parler de la cyberintimidation et de l'augmentation des suicides chez les jeunes qui en découle. Le ministère de la Santé recueille-t-il des renseignements sur ce que nous pouvons faire? Le problème semble énorme. Internet a changé. Vous avez parlé de ses aspects positifs, notamment du clavardage. C'est effectivement positif. Autrefois, cependant, l'enfant qui se faisait taquiner à l'école rentrait chez lui pour trouver un milieu où il se sentait protégé, du moins on l'espère, et il oubliait tout cela. Aujourd'hui, si l'intimidation se fait en ligne, elle peut avoir lieu 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Tâchons-nous d'obtenir des données à ce sujet et de trouver ce que nous pouvons et devrions faire?

Mme Simon : Je vous remercie beaucoup de cette question, parce que l'intimidation et la cyberintimidation sont des phénomènes qui préoccupent énormément Jeunesse, J'écoute. Comme vous l'avez mentionné, dans le cas de la cyberintimidation, en particulier, la situation est souvent sans issue. Autrefois, l'intimidation se passait dans la cour d'école, puis on rentrait chez soi. Aujourd'hui, les jeunes nous disent qu'ils ont l'impression qu'elle commence dès qu'ils se lèvent et cesse quand ils se couchent. Souvent, ils se font encore intimider quand ils dorment, mais ils ne s'en rendent compte qu'à leur réveil.

Nous n'avons pas suffisamment de données sur la fréquence de la cyberintimidation. D'après celles que nous avons recueillies auprès des utilisateurs de Jeunesse, J'écoute par l'intermédiaire de notre site Web, nous savons qu'un nombre considérable de jeunes disent avoir été victimes de cyberintimidation. Étonnamment, la majorité d'entre eux ont déclaré qu'ils ne le diraient jamais de la vie à personne, parce que leurs parents savent ce qu'est la cyberintimidation et que les gens ne la prennent pas au sérieux. La cyberintimidation ne laisse pas de marques physiques, comme lorsqu'on est battu. Quand on se fait frapper, on peut montrer les marques des coups à l'enseignant. Les adultes ne savent pas quoi dire aux jeunes victimes de cyberintimidation.

Nous venons de publier sur nos sites Web français et anglais à l'intention des enfants et des adolescents des renseignements concernant la cyberintimidation, notamment un plan de sécurité et des vidéos portant sur Facebook et la façon de se protéger quand on l'utilise. L'intimidation et la cyberintimidation sont des problèmes de relation; il s'agit de comprendre ce qu'est l'empathie et de l'enseigner aux jeunes. Nous avons affiché un nouveau programme interactif dans la section de notre site Web destinée aux enfants. Jetez-y un coup d'œil si vous en avez le temps, il est fantastique. On l'appelle Enquêtes sur les émotions avec l'inspecteur É. Motion. On y présente des photos, des vidéos et des scénarios, et on nous demande de reconnaître les émotions exprimées. L'un des buts du jeu est de montrer les effets de la cyberintimidation. Quand on lit sur Facebook quelque chose sur soi-même, comment se sent-on?

Il n'existe pas de solution facile à la cyberintimidation. Les parents et d'autres personnes diront souvent qu'il faut se retirer d'Internet. La vie des jeunes, tout comme la nôtre, du reste, est étroitement liée à la technologie, et nous ne pouvons pas simplement cesser d'utiliser l'ordinateur. Nous devons pouvoir reconnaître que le problème est un problème de relations, de différences de pouvoir et de manque d'empathie; il est en effet très facile de faire de la cyberintimidation quand on est chez soi avec des amis, qu'on trouve cela très drôle et qu'on ne pense pas à la personne qui est ailleurs et qui lit ce qu'on écrit.

L'année dernière, la Cour suprême du Canada a été saisie d'une affaire étonnante, et des représentants de Jeunesse, J'écoute ont comparu au cours de l'instruction pour souligner qu'il est important de préserver l'anonymat et la confidentialité quand il est question de cyberintimidation afin de faciliter l'accès aux ressources et aux soutiens, que ce soit par l'intermédiaire de services ou des tribunaux.

Le sénateur Cordy : C'était en Nouvelle-Écosse.

Mme Simon : Effectivement. On comprend certainement mieux maintenant la cyberintimidation et sa gravité.

Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, je pense toutefois qu'il est important de commencer à séparer l'intimidation et la cyberintimidation du débat sur le suicide, car ce que nous disent les jeunes, c'est qu'ils les voient actuellement comme reliés. Quand les conseillers qui répondent aux appels me disent qu'ils viennent de quitter un jeune qui leur a dit que, d'après ce qu'il a vu dans le journal, la façon de mettre fin à la cyberintimidation, c'est de s'automutiler ou de se suicider, je pense que nous avons un problème bien réel sur les bras. Il faut prendre l'intimidation et la cyberintimidation au sérieux. Nous devons reconnaître qu'elles conduisent malheureusement certains jeunes à s'enlever la vie, mais nous ne voulons pas que ces formes de menace soient automatiquement liées au suicide dans l'esprit des jeunes.

Le sénateur Cordy : C'est un point intéressant. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Vous avez tous les deux traité d'un grand nombre de questions qui se rapportent au présent débat. Vous avez mentionné un autre groupe important, les personnes âgées. Au cours de la prochaine séance, nous entendrons des gens qui s'occupent de la santé mentale des aînés.Nous aborderons la question maintenant. Je vous remercie beaucoup.

Nous sommes heureux d'avoir deux autres témoins ici aujourd'hui. Je vous les présente dans l'ordre dans lequel leur nom apparaît sur la liste des témoins figurant dans l'ordre du jour. Madame Wilson, je vous présenterai donc la première. Mme Wilson est la directrice générale de la Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées. Je vous prie de présenter votre exposé.

Kimberley Wilson, directrice générale, Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées : Bonsoir et merci de m'avoir invitée à prendre part à cette consultation au sujet du projet de loi C-300. C'est pour moi un honneur et un plaisir de représenter ici la Coalition canadienne pour la santé mentale des aînés.

Je vais commencer par vous présenter brièvement la Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées. Il s'agit d'un organisme national qui compte environ 3 000 membres provenant de tous les coins du pays et représente un vaste éventail de domaines et de disciplines de la santé, des gouvernements, des administrateurs ainsi que des adultes âgés, des membres de leur famille et des aidants naturels. Notre principal objectif stratégique est de faire en sorte que la santé mentale des aînés soit considérée comme une question de santé et de mieux-être primordiale. Avec cet objectif à l'esprit, je me réjouis que vous preniez en considération le suicide et la prévention du suicide à toutes les étapes de la vie, comme le prouve notre présence à la consultation d'aujourd'hui.

Je constate souvent que les gens, même ceux qui travaillent dans le domaine, sont surpris quand je parle du taux élevé de suicide chez les personnes âgées. Comme l'indique le rapport de 2010 de l'administrateur en chef de la santé publique :

On associe souvent le suicide aux jeunes. Cependant, le taux de suicide chez les hommes de plus de 85 ans (29 cas sur 100 000) est, en moyenne, plus élevé que dans tous les autres groupes d'âge. Bien que le taux de suicide soit moins élevé chez les femmes aînées, le nombre de tentatives est plus élevé que chez les hommes du même groupe d'âge.

Les travaux de recherche ont systématiquement révélé de forts taux de suicide chez les hommes faisant partie du groupe d'âge le plus élevé; en outre, les adultes de plus de 65 ans recourent aux moyens les plus destructeurs pour s'automutiler. Nous savons également que le taux de suicide au cours de la vie est élevé chez les baby-boomers. Combinées au vieillissement de la population du pays, ces données signifient fort probablement que les décès dus au suicide augmenteront chez les aînés à l'avenir.

Les adultes âgés sont en outre doublement frappés par l'âgisme et les préjugés à l'égard de la maladie mentale. Nous savons que ces deux formes de discrimination peuvent constituer des obstacles à l'accès aux soins, à un diagnostic et à une évaluation adéquats ainsi qu'à un bon débat public.

Compte tenu de ces données, la CCSMPA fait de la prévention du suicide l'un de ses chevaux de bataille depuis 2005. Grâce à des fonds de l'Agence de la santé publique du Canada, nous avons dirigé l'élaboration des toutes premières lignes directrices interdisciplinaires intitulées Évaluation du risque suicidaire et prévention du suicide chez les personnes âgées. Cet ouvrage est signé par un groupe de chercheurs et de fournisseurs de soins de santé de diverses disciplines qui ont examiné la documentation étrangère et canadienne sur la question et l'ont résumée en 38 recommandations sur les plans du risque et de la résilience, de la détection, de l'évaluation et du diagnostic, du traitement et de la gestion du risque et enfin, des systèmes de soin. Depuis leur publication en 2006, des milliers d'exemplaires en ont été distribués par voie électronique et en format papier au Canada et dans plus de 60 autres pays.

Pour soutenir l'application des connaissances et la mise en œuvre des recommandations contenues dans les lignes directrices, nous avons pu, toujours grâce à des fonds de l'Agence de la santé publique du Canada, créer divers outils complémentaires, notamment une fiche de poche, un guide des ressources pour les membres de la famille ainsi qu'un DVD de formation basé sur l'étude de cas et une trousse d'outils à l'intention des fournisseurs de soins de santé.

La CCSMPA a présenté la candidature de deux des dirigeants de ce projet, les docteurs Marnin Heisel et Sharon Moore, pour le prix Betty Havens pour l'application des connaissances de l'Institut du vieillissement des IRSC, qui leur a été décerné en 2008. Grâce à la bourse ainsi obtenue, les deux lauréats ont pu organiser des ateliers et offrir de la formation sur la prévention du suicide chez les personnes âgées à près de 200 fournisseurs de soins de santé de l'Ontario, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique; ils ont également pu évaluer les résultats de ces ateliers sur le plan des connaissances des fournisseurs de soin et de leur attitude à l'égard du travail auprès d'aînés à risque, enrichissant ainsi notre base de connaissances dans ce domaine.

Si je vous donne ces renseignements sur le travail de la CCSMPA, c'est pour que vous compreniez pourquoi nous appuyons fortement le projet de loi C-300. Il est temps que le Canada se dote d'un cadre national de prévention du suicide à toutes les étapes de la vie. Les enjeux sont trop importants pour que nous attendions encore. Comme le comité s'apprête à étudier le projet de loi article par article, je vous exhorte à faire en sorte que celui-ci soit axé sur l'action et comporte des mesures au sujet de la reddition de comptes et du leadership. Je sais qu'en ce qui concerne les projets de loi d'initiative parlementaire, la dépense de deniers publics est limitée, mais j'aimerais faire écho aux suggestions de mes collègues de l'ACPS et de l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale, ou ACMMSM, dont je fais partie.

Nous jugeons essentiel au succès dans ce domaine l'existence d'un organisme national de coordination qui soutient la collaboration et élimine la fragmentation; c'est pourquoi nous estimons qu'il faudrait créer, expressément pour la prévention du suicide, un tel organisme qui présenterait un rapport annuel au Parlement. Pour sensibiliser davantage la population à la prévention du suicide à toutes les étapes de la vie et accroître ses connaissances et sa formation en cette matière, nous sommes d'avis qu'il faut non seulement énoncer des lignes directrices, mais également élaborer des stratégies de mise en œuvre et fournir du soutien. Il est crucial d'améliorer les systèmes d'information accessibles au public de même que les systèmes de surveillance concernant le suicide et les facteurs liés au risque, de définir les meilleures pratiques et d'appuyer la mise en œuvre de ces pratiques dans les domaines de la prévention du suicide, de l'intervention et de la stratégie après l'intervention.

Je favorise également un libellé qui fera en sorte que le cadre de travail permette d'envisager le problème à toutes les étapes de la vie et qu'il s'appuie sur les travaux de recherche fondés sur des données probantes, les lignes directrices, les stratégies et les initiatives qui existent. Nous souhaitons aussi que les futurs budgets fédéraux prévoient des fonds suffisants pour l'établissement et le financement d'une stratégie globale de prévention du suicide au Canada.

Je vous remercie de nouveau de m'avoir permis de représenter la Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées et je serai plus qu'heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Je donne maintenant la parole au Dr Alex Drossos, membre du conseil de l'Association canadienne pour la prévention du suicide.

M. Alex Drossos, membre du conseil, Association canadienne pour la prévention du suicide : Je vous remercie de me donner aujourd'hui la possibilité de prendre la parole, en cette Journée internationale des droits de l'homme, au sujet du dossier très important que constitue le projet de loi C-300, dont nous appuyons fortement l'objectif et l'esprit. J'aimerais aussi remercier l'honorable Harold Albrecht. Sans sa passion et sa détermination, nous ne serions pas aujourd'hui à l'aube d'un événement marquant au Canada.

Nous avons entendu quelques statistiques. Chaque année, environ 4 000 Canadiens se suicident. C'est plus que le nombre total de décès attribuables à des blessures intentionnelles et à des homicides. Le Canada se classe dans le premier tiers des pays du monde affichant les taux de suicide les plus élevés. On évalue aussi à 3 millions de personnes, soit 10 p. 100 de la population, le nombre de Canadiens qui sont touchés par le drame et le traumatisme que constitue le suicide. Malheureusement, lorsque quelqu'un se suicide, la douleur ne disparaît pas; elle est tout simplement transmise aux autres — à la famille, aux amis, à la collectivité — qui vivent leur douleur dans le silence pour la plupart et dont les blessures sont en grande partie invisibles.

Comme vous le savez, le suicide ne découle pas d'une cause unique. Il s'agit d'un problème complexe. La prévention du suicide exige donc une approche multidimensionnelle qui comprend des efforts concertés de la part de tous les systèmes et de toutes les administrations. Essentiellement, le suicide est le résultat d'une douleur accablante qui vient à bout de l'espoir inhérent à la vie, qui enlève tout sens et tout but à cette vie. Le suicide est le résultat de l'interaction complexe de facteurs biologiques, psychologiques, sociaux, spirituels et culturels, dont nous avons entendu parler. Ces facteurs peuvent comprendre l'isolement social, les traumatismes, la violence familiale, la pauvreté, la toxicomanie et des maladies, tant physiques que mentales.

Je suis médecin et, dans le cadre de ma formation en psychiatrie comme dans mon travail à temps partiel au Centre de toxicomanie et de santé mentale à Toronto, j'observe quotidiennement les différentes variantes de l'évolution de ces facteurs. Toutefois, dans la plupart des cas, le suicide peut être évité. L'Association canadienne pour la prévention du suicide est formée d'un groupe de bénévoles dévoués qui, depuis plus d'une décennie, préconisent l'établissement d'une stratégie nationale de prévention du suicide et demandent au gouvernement fédéral de reconnaître que le suicide est une priorité nationale en matière de santé publique. En 2004, l'ACPS a rédigé son premier plan d'action en faveur d'une stratégie canadienne pour la prévention du suicide, plan qu'elle a mis à jour en 2009.

Il y a plus de 15 ans, les Nations Unies et l'Organisation mondiale de la santé ont reconnu que le suicide était un problème important en matière de santé publique. En 1992, l'ONU a créé des lignes directrices et a demandé au Canada de jouer un rôle de premier plan pour les améliorer. Les lignes directrices de l'ONU et de l'OMS demandaient à chaque pays d'établir une stratégie nationale de prévention du suicide et de créer un organisme national de coordination. À ce jour, tous les pays développés ont adhéré à ces lignes directrices internationales et ont créé la stratégie et l'organisme en question, à l'exception du Canada, mais nous y sommes presque.

Le projet de loi C-300 est un pas essentiel dans la bonne direction, mais, dans sa forme actuelle, il ne s'agit pas de la stratégie nationale dont nous avons parlé. À ce titre, il ne répond pas aux exigences des lignes directrices de l'ONU que le Canada a contribué à créer. C'est une occasion incroyable que nous ne pouvons pas laisser passer. Faisons les choses comme il faut parce que des milliers de vies en dépendent.

En plus de l’Australie, dont nous avons déjà parlé, il y a l’Écosse et l’Angleterre qui ont de bonnes stratégies dont nous pouvons nous inspirer. La stratégie écossaise Choose Life: A National Strategy and Action Plan to Prevent Suicide a été adoptée en 2002 sur la base de l’objectif clair de réduire le taux de suicide de 20 p. cent en dix ans. Pour sa part, la stratégie nationale anglaise, lancée elle aussi en 2002, s’appuyait sur un objectif comparable, soit de réduire le taux de suicide de 20 p. cent avant 2010. En 2008, le taux de suicide avait déjà diminué de 20 p. cent, le taux le plus bas jamais observé en Angleterre. L’objectif de base a donc été atteint deux ans plus tôt que prévu.

Au Canada, deux grands obstacles sont invariablement pointés du doigt. L'un est l'absence d'une stratégie nationale officielle reconnue et financée, l'autre, l'absence de coordination à l'échelle nationale. Au Canada, la prévention du suicide est fragmentée et manque de vision nationale. Le projet de loi C-300 peut être le catalyseur et le fondement de cette intégration et de cette collaboration. Bien entendu, nous savons aussi que de bien bonnes choses sont faites, partout au pays, dans le domaine de la prévention du suicide. Toutefois, chaque région ignore ce que font les autres. Aucun système n'est en place pour échanger et partager l'information et les pratiques exemplaires, pour coordonner et synthétiser la recherche et pour échanger des idées.

Le premier critère pour juger des efforts d'un pays et de sa détermination en matière de prévention du suicide est l'existence d'un organisme national de coordination. Le Canada ne respecte pas encore ce critère. C'est là que le gouvernement fédéral a un rôle crucial à jouer. Depuis que le projet de loi C-300 a été présenté au Parlement, l'ACPS et de nombreux autres organismes ont proposé des améliorations spécifiques visant à renforcer cette importante mesure législative. Par conséquent, nous recommandons une fois de plus que les améliorations suivantes soient sérieusement prises en considération. C'est une liste qui comporte 10 priorités, dont certaines ont été ajoutées au projet de loi depuis sa présentation.

Premièrement, mettre sur pied et financer adéquatement un organisme national de coordination et une stratégie nationale en matière de prévention du suicide. Deuxièmement, appuyer la création d'un programme national de prévention du suicide. Troisièmement, établir des objectifs clairs et mesurables semblables à ceux de la stratégie nationale instaurée en Écosse. Quatrièmement, élaborer des politiques visant à réduire l'accès à des moyens de mettre fin à ses jours. Cinquièmement, élaborer des lignes directrices visant à sensibiliser et à éduquer le public, ainsi qu'à former les protecteurs du public, y compris des lignes directrices nationales destinées aux médias en ce qui concerne le signalement des suicides. Sixièmement, améliorer l'appui offert à l'entourage des gens qui ont un comportement suicidaire ou qui se sont suicidés. Septièmement, appuyer et améliorer les systèmes d'information visant la collecte et la diffusion des renseignements sur la prévention du suicide. Huitièmement, promouvoir la recherche pour obtenir des données qui permettent d'évaluer les connaissances et les programmes. Neuvièmement, élaborer des lignes directrices, une certification et une accréditation canadiennes en matière de prévention du suicide. Enfin, dixièmement, appuyer la création de réseaux et de communautés de pratiques, y compris un réseau national de lignes d'écoute téléphonique et un réseau national de soutien au deuil à la suite d'un suicide.

Je demande à chacun d'entre vous de veiller à ce que le projet de loi C-300 dispose d'une base solide et crée les structures nécessaires pour que nous puissions mieux apprendre les uns des autres, nous soutenir mutuellement et partager nos ressources pour le plus grand bien de tous. Je suis convaincu que le projet de loi C-300 peut accomplir toutes ces choses.

Le sénateur Eggleton : Vos suggestions sont très bonnes. Vous dites tous les deux que ce projet de loi est un bon départ en tant que cadre, mais qu'il nous faut en plus créer une stratégie nationale et établir des objectifs et des échéanciers spécifiques, éléments qui ne sont pas prévus à l'heure actuelle dans le projet de loi.

Dr Drossos, j'aimerais vous poser des questions sur le plan que votre association a préparé. Est-ce qu'il a suscité un intérêt au sein des provinces ou des collectivités locales? Avez-vous parcouru le pays pour constater l'adhésion à cette stratégie?

Dr Drossos : Ce sont essentiellement les collectivités qui ont manifesté un intérêt, ainsi que certaines provinces. M. Albrecht a parlé d'un groupe de prévention du suicide à Waterloo. À Hamilton, là où j'ai grandi, une coalition locale de prévention du suicide a essentiellement fondé sa stratégie de prévention du suicide sur notre plan. D'autres administrations, comme la Colombie-Britannique, ont manifesté un intérêt à l'égard du plan. Au Manitoba, les efforts ne sont pas tout à fait déployés à l'échelle provinciale, mais de grandes villes comme Winnipeg et d'autres régions ont utilisé le plan. Ce dernier est globalement basé sur les lignes directrices établies par l'ONU et par l'OMS, auxquelles nous avons ajouté quelques éléments spécifiques au Canada.

Le sénateur Eggleton : J'ai posé au dernier groupe de témoins une question sur les déterminants sociaux de la santé qui, selon moi, jouent un rôle important dans la situation de stress et de dépression que vivent de nombreuses personnes qui n'ont pas de logement adéquat ou qui, comme certains Autochtones, n'ont pas d'eau potable et vivent dans des conditions déplorables. Ces éléments ressortent des statistiques qui concernent les Autochtones et les Inuits. L'un d'entre vous peut-il me parler de la nécessité d'aborder la question des déterminants sociaux de la santé dans le cadre du présent débat?

Mme Wilson : J'ai pris quelques notes quand vous avez posé la question au groupe précédent. Sans contredit, ma réaction initiale a été que les déterminants sociaux de la santé doivent faire partie intégrante de ce projet de loi, surtout pour les personnes âgées dont la vulnérabilité augmente avec le temps. Nous devons tenir compte d'éléments comme l'inclusion et l'exclusion sociales, qui déterminent essentiellement le lien entre les gens et leur collectivité. Comme M. Upshall l'a mentionné, il est important de pouvoir compter sur un ami ou sur une main secourable.

De plus, tard dans la vie, il y a de nombreux événements négatifs et transitions qui sont étroitement liés aux déterminants sociaux de la santé qu'il faut prendre en considération dans un cadre ou une stratégie de prévention du suicide adéquat. Dans sa stratégie, la Commission de la santé mentale du Canada a bien réussi à relier les déterminants sociaux de la santé à la santé mentale et au bien-être mental. Nous pourrions aussi nous fonder sur cette approche dans la perspective de la prévention du suicide.

Dr Drossos : Je n'ai pas grand-chose à ajouter parce que les déterminants sont d'une importance capitale et beaucoup de choses ont déjà été dites.

Comme je l'ai déjà mentionné, le suicide n'est pas seulement lié à la maladie mentale, mais nous pouvons renommer les facteurs et les appeler « déterminants sociaux de la santé mentale », et la liste demeure essentiellement la même. On peut y ajouter deux ou trois choses, mais elle reste composée des mêmes éléments.

Le sénateur Eggleton : Dans son rapport, la Commission de la santé mentale du Canada indique qu'elle est en train d'élaborer une stratégie dont elle présentera les paramètres au cours des prochains mois. Il y a cette initiative, d'une part, et, d'autre part, le projet de loi dont nous sommes saisis avec son échéancier. Comment envisagez-vous leur intégration? Le rapport de la commission sera prêt plus tôt que le projet de loi.

Mme Wilson : J'ai eu la chance de travailler activement avec la Commission de la santé mentale depuis sa création, il y a cinq ans. J'ai été membre du comité consultatif des personnes âgées pendant les cinq années d'existence des comités consultatifs. C'est une chose dont nous avons longuement parlé, à savoir l'intégration de différentes stratégies et comment tirer parti du moment et des occasions qui se présentent.

Je pense que si vous parlez à mes collègues de la Commission de la santé mentale, ils diront qu'ils en sont à un point où leur stratégie comprend la prévention du suicide, mais que cette stratégie n'aborde certainement pas adéquatement tous les aspects de la prévention du suicide.

Le travail se poursuit, la stratégie a été publiée et elle a reçu un bon accueil. L'aspect de la mise en œuvre sera essentiel et c'est là que nous pouvons veiller à faire concorder la stratégie avec le nouveau cadre de prévention du suicide.

Dr Drossos : De toute évidence, l'établissement d'une stratégie nationale en matière de santé mentale est une grande réussite qui était attendue depuis longtemps. Comme je l'ai dit précédemment, la maladie mentale n'est pas la seule cause du suicide. Nous savons globalement qu'il s'agit peut-être d'un facteur dans la plupart des cas, mais que ce n'est jamais le seul facteur. La santé, ou la mauvaise santé, mentale n'est qu'une pièce du casse-tête. Une coordination doit être assurée entre un organisme qui s'occupe de la prévention du suicide à l'échelon fédéral et la Commission de la santé mentale du Canada. Il y aura d'importantes synergies entre les deux organismes, mais ils doivent néanmoins demeurer distincts.

Le sénateur Munson : Je vous remercie de votre participation. Ma mère est décédée il y a deux ans, à 97 ans. Elle vivait dans un foyer pour personnes âgées et menait une vie agréable. Pendant cinq ans, je lui ai rendu visite presque tous les jours.

Nos chercheurs nous ont proposé la question que voici : À votre avis, la détresse psychologique des hommes âgée est-elle bien comprise des spécialistes de la prévention du suicide? J'aimerais y ajouter un élément : cette détresse est-elle bien comprise des gens qui dirigent les foyers de personnes âgées?

À la télévision et dans les publicités, nous voyons des aînés heureux qui s'adonnent à toutes sortes d'activités joyeuses et merveilleuses. On pourrait en conclure qu'il faut se tenir occupé, mais sans se demander pourquoi on est occupé, et sans penser à la personne qu'on a déjà été, à l'endroit où on se trouve ou aux sentiments qu'on éprouve.

Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez, à la lumière de votre expérience professionnelle? En fait-on assez dans ce dossier? L'organisme de coordination que vous avez mentionné pourrait-il aider les foyers de partout au pays à composer avec ce défi au quotidien?

C'est un retour à l'enfance, d'une certaine manière : tout comme on tient les enfants de 4 ou 5 ans occupés, on cherche aussi à tenir les aînés de 90 ans occupés. Mais est-ce qu'on sait vraiment captiver leur esprit?

Mme Wilson : Vous avez mentionné de nombreux enjeux dont nous parlons dans notre travail quotidien. L'une des grandes différences, c'est que les gens qu'on voit à la télévision et dans les publicités représentent ceux qui s'apprêtent à s'installer dans des collectivités de retraités. Ils sont souvent très différents des aînés qui vivent dans des centres de soins de longue durée ou des maisons de soins infirmiers, les gens dont la santé physique et mentale est le plus fragile.

D'après des données récentes de l'Institut canadien d'information sur la santé, près de 50 p. 100 des aînés vivant dans des maisons de soins de longue durée ont des symptômes ou un diagnostic de dépression. Nous savons que la plupart des personnes qui vivent dans un établissement de soins de longue durée ont un problème de santé mentale. Si on ajoute à cela les troubles cognitifs, on constate que de 80 à 90 p. 100 de ces personnes ont un trouble de santé mentale.

Quant à savoir si les travailleurs de ces établissements ont les ressources et les compétences nécessaires, j'aimerais d'abord souligner que la plupart d'entre eux ont de bonnes intentions, mais qu'ils sont débordés et manquent de ressources. Malheureusement, il existe peu de formation dans ces milieux à propos des problèmes de santé mentale. Nous disposons de preuves solides qui montrent quels genres d'interventions sont efficaces. Les activités sociales et récréatives en font partie, mais ce ne sont pas les seules options possibles. Les traitements qui seraient requis ne sont pas toujours accessibles.

Cela est lié en grande partie à la discrimination fondée sur l'âge et aux préjugés. De plus, on perd parfois l'espoir que les gens atteints d'une grave maladie mentale ou de maladies dégénératives telles que la démence puissent avoir une bonne qualité de vie; ce sentiment peut avoir une incidence sur les options offertes aux aînés. Il est important pour ces aînés de conserver un sentiment d'espoir; il faut aussi comprendre qu'on peut avoir une bonne qualité de vie et faire des activités valables dans des endroits comme des maisons de soins de longue durée. Il y aurait place à beaucoup d'amélioration dans ce domaine.

Le sénateur Munson : D'après vous, le Canada devrait-il adopter une stratégie élaborée par un autre pays, ou devrait-on opter pour une politique conçue au Canada?

Dr Drossos : Je crois qu'il est toujours bon de profiter de l'expérience des gens qui nous ont précédés et d'apprendre de leurs succès, de leurs échecs et de leurs difficultés. Tout cela ne peut que renforcer notre propre approche.

Il va de soi que — tout comme les villes canadiennes, les provinces et les différents groupes doivent déterminer ce qu'un cadre et une stratégie de prévention du suicide peuvent signifier pour eux —, nous devons déterminer ce que cela signifie pour le Canada, à l'échelon national.

Mme Wilson : Parmi les principes qui régissent le transfert des connaissances, on parle souvent de trois composantes, soit la facilitation, les preuves et le contexte. Le contexte est probablement l'un des éléments les plus importants. Évidemment, apprendre de l'expérience d'autres pays et utiliser les preuves qu'ils ont amassées constitue un excellent point de départ. Mais il faut adapter ces leçons à notre contexte; c'est probablement l'étape la plus cruciale pour qu'elles puissent être bien accueillies dans nos collectivités.

Le sénateur Cordy : Je vous remercie de ces excellentes présentations. Dr Drossos, vous avez parlé d'un centre de deuil national; je crois que vous avez employé le mot « centre ». Vous avez souligné que lors d'un décès par suicide, la souffrance ne prend pas fin, mais qu'elle est plutôt transférée à d'autres personnes. Je crois que cela décrit bien la situation. Après un suicide, les proches du défunt éprouvent une souffrance terrible et se demandent ce qu'ils auraient pu faire différemment.

Avez-vous vu, à d'autres endroits, des centres de deuil nationaux qui fonctionnent bien? Quand un adolescent se suicide, une équipe de crise se rend dans son école, mais ce soutien ne dure que quelques jours, je crois. Je ne sais pas ce qui se passe à long terme. Avons-nous des pratiques établies et efficaces, au Canada, pour aider les gens à vivre leur deuil après un suicide?

Dr Drossos : Nous avons quelques exemples. Vous avez demandé ce qui se faisait ailleurs, dans d'autres pays par exemple. Je ne connais pas de programme de ce genre dans d'autres pays, mais ce n'est pas un de mes domaines d'expertise. La personne qui devait représenter l'ACPS au départ aurait probablement pu donner une meilleure réponse.

Nous avons des groupes qui travaillent dans ce domaine. Un autre membre de notre conseil d'administration devait aussi être ici; c'est la présidente de la section « survivants ». Elle a perdu un de ses proches à cause d'un suicide, et elle coordonne un groupe formé de membres de l'ACPS et aussi de non-membres. Ce groupe n'a pas pour but d'intervenir en cas de crise; il vise plutôt à offrir un réseau et du soutien à long terme.

Vous avez noté que, lors des situations de crise, nous offrons un certain soutien aux jeunes et à leur famille. Mais il y a peu de soutien quand la victime est plus âgée; je crois que Mme Wilson pourra en dire davantage à ce sujet.

Mme Wilson : C'est aussi mon avis. Pour revenir à la question de l'âgisme et des préjugés, la mort des jeunes a tendance à choquer davantage parce que les jeunes ne sont pas censés mourir. C'est un phénomène dont nous parlons beaucoup. On associe naturellement la vieillesse à la mort; par conséquent, quand il se produit un suicide, il est parfois passé sous silence. Les preuves démontrent que les coroners sont moins portés à déclarer le suicide comme cause du décès quand le défunt est relativement âgé. Les membres de la famille du défunt n'ont pas nécessairement un réseau social aussi solide que les gens d'autres groupes d'âge. Nous avons eu le privilège de travailler avec l'ancienne présidente de la section « survivants » de l'ACPS, qui nous a aidés à comprendre ces enjeux, puisque son père et sa mère se sont suicidés ensemble quand ils étaient relativement âgés. Il y a en effet un vide à combler auprès de cette population, comme vous l'avez souligné.

Le sénateur Cordy : Vous l'avez très bien exprimé, je crois : les jeunes ne sont pas censés mourir. Nous n'avons pas vraiment d'information sur le suicide des aînés. Il existe des statistiques, mais on a tendance à regarder les données des moins de 25 ans. Pourtant, quand on regarde le taux de suicide des hommes âgés, ce chiffre est étonnamment élevé. Mais on en parle peu. En faisons-nous assez pour sensibiliser la population à la question du suicide chez les aînés?

Mme Wilson : Il y a des gens qui font un boulot extraordinaire, à divers endroits au Canada, et nous avons le privilège de collaborer avec plusieurs experts renommés. Mais nous n'en faisons pas assez. En termes de démographie, on sait que les premiers baby-boomers ont eu 65 ans en 2011. Il faut donc agir dès maintenant. Il faut en parler davantage et sensibiliser non seulement la population, mais aussi les gens qui travaillent auprès des aînés, pour qu'ils comprennent les facteurs de risque associés à l'âge et sachent comment les symptômes se manifestent chez les personnes âgées, comparativement à d'autres groupes d'âge. Quand les baby-boomers et les générations suivantes deviendront des personnes âgées, ils seront différents des aînés qu'on voit actuellement. Les aînés actuels ont grandi à une époque où les préjugés étaient encore plus marqués que maintenant; il n'était peut-être pas acceptable, sur le plan social, d'exprimer des sentiments de tristesse ou de dépression après une perte ou un changement important. Les méthodes que nous utilisons pour traiter avec les aînés actuels changeront probablement pour les prochaines générations. Nous pouvons certainement améliorer nos façons de faire.

Le sénateur Cordy : Les aînés qui souhaitent se suicider emploient-ils des méthodes différentes des jeunes? À titre d'exemple, nous avons entendu parler de personnes qui cessaient de s'alimenter. Avez-vous des statistiques à ce sujet?

Mme Wilson : Nous parlons surtout du fait que les aînés utilisent les moyens les plus mortels. Il y a des suicides passifs, où les gens cessent de manger ou de prendre leurs médicaments. Mais dans ces circonstances, le décès n'est pas nécessairement déclaré comme un suicide, contrairement aux cas où la personne utilise une méthode plus directe. Voici un autre point tout aussi important qui pourrait attirer l'attention du public et serait donc un bon point de départ : les hommes âgés utilisent les méthodes les plus mortelles. Dans ce groupe, il y a moins de tentatives de suicides et davantage de suicides réussis.

Dr Drossos : J'ajouterais, puisque nous parlons des hommes âgés, que les différentes catégories de professionnels de la santé ont du mal à déceler les signes d'un risque de suicide dans ce groupe d'âge. C'est comme si cette possibilité ne nous venait pas à l'esprit. Nous devrions faire du dépistage, particulièrement auprès des gens qui sont atteints de maladies neurodégénératives et d'autres problèmes de santé qui sont mortels à plus ou moins longue échéance. Nous devrions porter une attention particulière aux personnes de ces groupes et leur demander, chaque fois que nous les voyons en tant que cliniciens, « Vous sentez-vous déprimé? Avez-vous des idées suicidaires? » Nous ne travaillons pas assez en ce sens. Certains endroits le font extrêmement bien mais, d'une manière générale, dans l'ensemble du pays, il y aurait place à amélioration.

Le sénateur Cordy : Une étude a été réalisée en Nouvelle-Écosse, il y a au moins 10 ans, je crois, sur le taux de dépression des personnes âgées. Je crois que vous avez tout à fait raison : il faut savoir repérer les signes.

Dr Drossos : Les symptômes de dépression chez les hommes âgés et les autres aînés sont souvent différents des symptômes décrits dans les manuels classiques, ou même de ceux que mentionnent les campagnes de sensibilisation.

Le sénateur Cordy : Il nous faudrait peut-être davantage de campagnes de sensibilisation.

Dr Drossos : Exactement.

Le président : Je vous remercie d'avoir témoigné devant nous aujourd'hui. Vous nous avez apporté des précisions sur de nombreux aspects qui ont été discutés ce soir. Au nom du comité, je vous remercie de votre participation et des réponses franches, directes et claires que vous nous avez fournies.

Chers collègues, nous allons maintenant procéder à l'étude article par article. Je dois vous poser la question directement : sommes-nous d'accord pour procéder à l'étude article par article du projet de loi-C-300, Loi concernant l'établissement d'un cadre fédéral de prévention du suicide? Sommes-nous d'accord?

Des voix : Oui.

Le président : L'étude du titre est-elle réservée?

Des voix : Oui.

Le président : Nous sommes d'accord. Merci. L'étude du préambule est-elle réservée?

Des voix : Oui.

Le président : Nous sommes d'accord. L'étude du titre court dans l'article 1 est-elle réservée?

Des voix : Oui.

Le président : Nous sommes d'accord. L'article 2 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Je vais parler de l'article 2 parce qu'il est au cœur du projet de loi en question. Comme les témoins-experts nous l'ont dit, notamment les deux derniers, il existe une différence entre ce que ce projet de loi propose, c'est-à-dire un cadre, et ce qu'il devrait proposer, selon certains, c'est-à-dire une stratégie nationale, ce que la Chambre des communes a adopté à l'unanimité au mois d'octobre de l'an dernier. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici.

Le leadership du fédéral est nécessaire dans ce dossier et nous devons avoir une stratégie nationale aussitôt que possible, comme l'a réclamé la Chambre des communes. Le projet de loi est toutefois un pas dans la bonne direction et je tiens à féliciter M. Albrecht de l'avoir présenté. L'article 2 signale des points importants à régler. J'appuie le projet de loi pour ce qu'il est. C'est une bonne initiative, que j'accueille favorablement. J'espère qu'elle nous amènera à approfondir ces questions et à nous rapprocher d'une stratégie nationale, tel qu'évoqué par nos témoins experts.

Ceci étant dit, j'appuie l'article 2.

Le sénateur Seidman : J'aimerais intervenir, parce que je suis tout à fait d'accord avec vous. Je dirais qu'essentiellement, le cadre fournira précisément ce que réclamaient ces gens assis devant nous aujourd'hui. Le cadre, selon moi, intégrera toutes les différentes stratégies en vigueur au pays. Il suscitera une vaste consultation pancanadienne auprès des ONG, des professionnels, des régions et des provinces. Il permettra aussi de définir et de promouvoir les pratiques exemplaires. Au fond, ce cadre nous rapprochera du but que nous souhaitons tous. À mon avis, le projet de loi est une très bonne chose. Tous les témoignages entendus aujourd'hui seront versés au compte- rendu et, espérons-le, aideront à l'élaboration du cadre.

J'appuie fermement ce projet de loi moi aussi.

Le sénateur Cordy : Je félicite à mon tour M. Albrecht pour avoir présenté un cadre national. Nous devons toutefois reconnaître que c'est une stratégie nationale que la Chambre des communes avait réclamée à l'unanimité. J'aimerais qu'il y ait un projet de loi du gouvernement pour le développement d'une stratégie nationale, avec financement à l'appui. Je suis d'accord avec le sénateur Seidman : le cadre va certainement entraîner des discussions, des consultations, et ce genre de choses. Selon moi, c'est le but ultime, puisque le Canada est le seul pays membre des Nations Unies — peut-être ne devrais-je pas dire « le seul », car ce serait là une affirmation assez large — ou du moins l'une des plus grandes démocraties à ne pas avoir de stratégie nationale, et c'est très important.

Ceci étant dit, je félicite M. Albrecht du travail accompli, car il s'agit selon moi d'un premier pas. J'aimerais cependant que la stratégie nationale fasse l'objet d'un projet de loi émanant du gouvernement.

Le président : Je pose la question à nouveau. L'article 2 est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Oui. Adopté.

L'article 3 est-il adopté?

Le sénateur Cordy : Puis-je faire un commentaire sur l'article 3, s'il vous plaît?

Le président : Certainement.

Le sénateur Cordy : L'idée des 180 jours suivant l'entrée en vigueur du projet de loi ou de cet article me rend un peu nerveuse, parce que, parfois, les projets de loi entrent en vigueur rapidement, et ce serait une bonne chose de tenir des consultations à l'intérieur d'une période de six mois. J'espère que ce sera le cas. Je ne proposerai certainement pas d'amendements, parce que j'estime qu'il est important que cette première étape se fasse rapidement.

J'aimerais faire une observation sur ce sujet en particulier. Je ne sais pas si je dois la faire maintenant ou plus tard.

Le président : Non, lorsque nous sommes rendus à la partie en question.

Le sénateur Cordy : Ce qu'on nous a dit, selon moi, c'est d'inclure tout le monde dans les consultations.

Le président : Oui. Je veux prendre cela en note — « l'entrée en vigueur. » Merci.

L'article 3 est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

L'article 4 est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

L'article 1 est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

Le préambule est il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

Le titre est il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

Le comité souhaite-t-il discuter de la possibilité d'annexer des observations à ce rapport?

Le sénateur Eggleton : En fait, mon observation est assez semblable, mais peut-être devrais-je m'expliquer. J'ai écrit une observation qui rejoint les commentaires que vient de faire le sénateur Cordy.

Ce qui m'inquiète, c'est la chronologie des événements, car on peut lire dans l'article 3 que « dans les 180 jours suivant l'entrée en vigueur du présent article, le gouvernement du Canada entame des consultations », et cetera.

On signale dans l'article 4 que, dans les quatre ans suivant l'entrée en vigueur de la loi, une procédure de présentation de rapports doit s'entamer, mais on ne précise nulle part quand le projet de loi entre en vigueur. La plupart des projets de loi entrent en vigueur lorsque la sanction royale est reçue ou peu après, mais ce n'est pas toujours le cas. En effet, l'entrée en vigueur peut prendre des mois ou des années. Voici ce que je propose — peut-être madame le sénateur Cordy a-t-elle une meilleure idée : « Que l'on demande au gouvernement... », il s'agit d'une observation et le langage est assez ouvert, « ...de mettre le projet de loi en vigueur quelques jours suivant la sanction royale », ce qui est une procédure courante. On le fait couramment, mais pas toujours. Si on ne fait rien pendant un certain temps, le temps passe, et il est urgent que nous développions ce cadre de prévention du suicide.

La deuxième partie de mon observation s'applique à l'article 4 et s'énoncerait de la façon suivante : « que l'on s'efforce de faire rapport des progrès accomplis aux deux Chambres du Parlement avant que la période de quatre ans ne soit écoulée. »

L'article 4 prévoit un rapport après quatre ans et par la suite tous les deux ans, soit, mais j'estime qu'on doit encourager d'une certaine manière la reddition de comptes sur les progrès réalisés en matière de partage de renseignements et de diffusion du savoir, de façon à ce que nous sachions la manière dont les choses avancent et que nous tenions une audience là-dessus, au besoin. Il nous serait ainsi possible d'être tenus au courant des progrès de cette initiative sans avoir à attendre quatre ans.

Mes observations ne concernent que la chronologie des événements. Elles demandent que le gouvernement mette la loi en vigueur quelques jours après la sanction royale, et que l'entité qui sera chargée de coordonner cette initiative fasse rapport du travail effectué avant la fin de la période prévue de quatre ans, de façon à ce que nous puissions constater les progrès accomplis. Il s'agit de demandes, et non d'amendements.

Le président : Sénateur Cordy, vos observations sont-elles dans la même veine?

Le sénateur Cordy : En fait, non, mais le sénateur soulève un point important quand il parle de faire rapport auprès des deux Chambres du Parlement, et je crois que ce point devrait faire partie de l'observation. Si j'avais à faire un amendement au projet de loi, il porterait là-dessus, c'est-à-dire que les deux Chambres reçoivent un rapport. J'estime toutefois préférable d'inclure ce point dans une observation afin que les choses aillent rondement.

Mes observations concernent seulement l'article 3 et l'inclusion.

Le président : Consignons-les au compte-rendu.

Le sénateur Cordy : « Le gouvernement devrait songer à inclure dans le processus de consultation les jeunes, les membres de la communauté GLBT, les Autochtones, y compris les jeunes Autochtones, et les médias. »

Le sénateur Munson : Et les prisonniers?

Le sénateur Cordy : Oui. Eux aussi.

Le président : Y a-t-il d'autres observations? Sinon, c'est de ces deux points que nous allons discuter. J'ai une seule observation générale à formuler et elle va dans le sens des commentaires du sénateur Seidman. Pour être franc, j'étais assez satisfait des points énumérés à l'article 2, parce que je considère qu'ils seront très utiles à l'élaboration d'une stratégie nationale. En fait, plusieurs témoins entendus aujourd'hui ont réclamé certaines choses qui sont précisément énoncées ici; et d'après le témoin entendu lors de l'étude de l'accord sur la santé, la détermination des pratiques exemplaires en matière de santé et la diffusion de ce savoir étaient considérées essentielles.

Quant à la chronologie, je ne mettrai certainement pas en doute le fondement de ce que réclame le sénateur Eggleton, mais je serais franchement très étonné si ce projet de loi n'entre pas en vigueur rapidement, étant donné l'appui énorme qu'on lui accorde et le fait que le gouvernement...

Le sénateur Duffy : Que tous les partis.

Le président : ... a pris des mesures pour s'attaquer aux causes sous-jacentes, la santé mentale, et cetera. Il s'agit là que d'une observation.

Le sénateur Duffy : Monsieur le président, ce qui me frappe, c'est que lorsqu'on établit une liste, on risque toujours de laisser quelqu'un de côté. Je crois qu'il y a beaucoup de bonne volonté à l'endroit de ce projet de loi, et que celui-ci suscite un sentiment d'urgence. Si le gouvernement ne le met pas en vigueur rapidement, comme le craint le sénateur Eggleton, je suis certain que les médias s'intéresseront à ses inquiétudes entourant des atermoiements possibles.

Je crois que plus nous accrochons de décorations dans cet arbre, plus nous risquons de restreindre la base de nos travaux, au lieu de l'élargir. Nous devrions poursuivre sur notre lancée, et non ralentir.

Le sénateur Cordy : Il ne s'agit pas d'amendements; ce sont des observations.

Le président : Je comprends. Ils doivent être traduits avant d'être introduits à la Chambre.

Le sénateur Duffy : Des décorations dans un arbre.

Le président : D'autres observations?

Le sénateur Eggleton : Que pensez-vous de la deuxième observation au sujet des rapports sur les progrès accomplis, avant la fin de la période de quatre ans? Est-elle acceptable?

Le sénateur Duffy : Encore une fois, je crois qu'un sénateur ou que ce comité pourrait s'adresser à l'entité concernée et demander comment vont les choses. Mais de l'ajouter à ce document, comme une décoration...

Le sénateur Cordy : Ce n'est pas une décoration. J'estime qu'il s'agit d'une étape extrêmement importante.

Le sénateur Duffy : C'est un ajout. Tout ce qu'on ajoute risque de ralentir les choses et je ne crois pas que c'est ce que nous souhaitons.

Le sénateur Cordy : Non.

Le président : Passons à autre chose.

Le sénateur Cordy : J'estime qu'il est extrêmement important qu'un rapport soit fait aux deux Chambres du Parlement. Selon moi, ce point doit faire l'objet d'une observation.

Le président : Autre chose à ajouter sur ce sujet?

Le sénateur Munson : Très brièvement, monsieur le président. Je n'ai jamais vu une observation ralentir quoi que ce soit.

Le sénateur Cordy : Je suis d'accord.

Le président : Je vais considérer votre demande d'observations comme une motion d'observations. Est-ce que cela vous paraît raisonnable?

Nous sommes saisis d'une motion tendant à ajouter des observations. Que ceux qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Le président : Que ceux qui s'y opposent, s'il y en a, veuillent bien dire non?

Des voix : Non.

Le président : Je dois faire le compte. Je déclare la motion rejetée, à six contre quatre.

Le sénateur Cordy : Pourquoi n'avez-vous pas posé de questions?

Je voudrais simplement apporter une précision. Une observation ne ralentira pas l'adoption du projet de loi; si les représentants de l'autre côté avaient des inquiétudes à ce sujet, ils auraient peut-être dû poser des questions durant le débat.

Le président : Est-il convenu que je fasse rapport du projet de loi au Sénat?

Des voix : Oui.

Le président : D'accord.

Merci beaucoup. Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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