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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 30 - Témoignages du 7 février 2013


OTTAWA, le jeudi 7 février 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 29 pour étudier le projet de loi C-316, Loi modifiant la Loi sur l'assurance-emploi (incarcération).

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie, sénateur originaire de la Nouvelle-Écosse et président du comité. Je demanderais à mes collègues de se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Martin : Je m'appelle Yonah Martin, de Vancouver, en Colombie-Britannique.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l'Ontario. Bienvenue.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec. Bienvenue.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Je m'appelle Jane Cordy, de Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Merchant : Je m'appelle Pana Merchant, de la Saskatchewan, et je vous souhaite également la bienvenue.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

Le président : Le comité tient deux séances ce matin, une à 11 h 30 et l'autre, à 12 h 30. Cela vous convient-il?

Des voix : Oui.

Le président : Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Je vous les présenterai à mesure que je les inviterai à faire leur exposé. Pour que ces derniers sachent ce qu'il en est, je vous inviterai à tour de rôle à prendre la parole, après quoi je laisserai mes collègues intervenir.

Comme je n'ai pas parlé d'un ordre précis avec vous, je suivrai l'ordre qui figure à l'ordre du jour, si vous le voulez bien. Je demanderai donc à Justin Piché, membre du conseil d'examen des politiques, Association canadienne de justice pénale, de prendre la parole en premier.

Justin Piché, membre du conseil d'examen des politiques, Association canadienne de justice pénale : L'Association canadienne de justice pénale se réjouit d'avoir l'occasion de vous faire part de la position du comité d'examen des politiques à l'égard du projet de loi C-316, que nous avons exposée dans le mémoire que nous vous avons présenté à HUMA en février 2012.

L'ACJP, l'une des plus anciennes associations non gouvernementales de professionnels et de particuliers s'intéressant aux questions de justice pénale au Canada, a vu le jour en 1919 et a comparu devant de nombreux comités parlementaires et sénatoriaux. Notre association compte près de 800 membres et publie la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale, The Justice Report, le Répertoire des services de justice et le Répertoire des services aux victimes d'actes criminels. Nous organisons en outre le Congrès canadien de justice pénale tous les deux ans.

L'ACJP recommande que le projet de loi C-316 ne reçoive pas le soutien législatif du Parlement pour les raisons suivantes.

Au Canada, le programme d'assurance-emploi du Canada est un régime fondé sur les cotisations; il serait donc logique qu'une personne qui y contribue puisse recevoir des prestations quand le besoin se fait sentir. Une fois qu'une personne a été condamnée, nous considérons qu'il ne convient pas de la punir davantage en restreignant sa capacité de recevoir des prestations d'assurance-emploi après avoir purgé la peine qui lui est imposée. Comme le stipule l'alinéa 11h) de la Charte, tout inculpé ne devrait pas être jugé ou puni de nouveau une fois que la sentence a été prononcée. Autrement dit, quand une personne reçoit une peine d'emprisonnement, la punition imposée en vertu de la loi est une privation de liberté et rien de plus.

Le fait d'empêcher des gens actuellement admissibles au régime d'assurance-emploi de recevoir des prestations quand ils recouvrent leur liberté pourrait nuire aux objectifs de sécurité publique en privant ces gens des fonds dont ils pourraient avoir besoin pour se nourrir et se loger, advenant qu'ils ne puissent trouver initialement un emploi stable lors de leur libération. Comme l'ont souligné des chercheurs de Sécurité publique Canada dans une étude publiée en 2007, les données démontrent que quand ils entrent en prison, certains « ont perdu leurs moyens de subsistance et ce qu'ils possédaient, d'autres n'ont plus de logement pour eux-mêmes et pour leur famille ». En pareille circonstance, leur réinstallation en dehors de la prison peut entraîner de nombreuses dépenses ponctuelles importantes, comme un dépôt pour louer un logement et l'achat de biens essentiels. En refusant désormais ces prestations aux anciens prisonniers qui y sont actuellement admissibles, on en privera un grand nombre de fonds au moment où ils en ont le plus besoin. Le versement de prestations d'assurance-emploi pourrait, à l'heure actuelle, avoir pour effet de prévenir la criminalité, puisque la stabilité modeste de ces fonds confère aux anciens détenus les ressources nécessaires pour se réinstaller. Sans ces fonds, le risque que le besoin ou le stress ne les pousse à récidiver pourrait augmenter.

D'aucuns considèrent que cette mesure législative appuie les droits des victimes d'actes criminels, mais il est difficile de voir comment le fait de priver un criminel de prestations ou de services améliore la situation des victimes. Si les législateurs veulent mieux répondre aux besoins de ces dernières, ils devraient investir beaucoup plus afin de leur offrir de l'information, des indemnités et des services au lieu de tenter d'influencer artificiellement le cours de la justice en privant de prestations des criminels qui ont cotisé au régime quand ils travaillaient.

L'adoption de ce projet de loi risque de faire augmenter le nombre de victimes en élargissant la punition imposée aux criminels à leurs familles. Tous les ménages ont des comptes et des dépenses à payer. Quand un ancien prisonnier a une famille, la perte de revenus qui résulterait de son inadmissibilité aux prestations d'assurance-emploi lors de sa remise en liberté pourrait exposer les êtres chers vers lesquels il retourne à des difficultés financières.

Cette mesure pourrait aussi aggraver les pressions économiques que les familles subissent déjà quand leur proche est en prison. Elles peinent à payer un déménagement dans la communauté où se trouvent les prisons, ou les frais de voyage et d'appels téléphoniques effectués pour rester en rapport avec le détenu qui leur est cher. Qui plus est, ceux qui doivent verser une pension alimentaire doivent continuer de les payer pendant leur incarcération. Incapables d'honorer ces paiements, de nombreux prisonniers se retrouveront avec des dettes envers leurs enfants et leurs anciens partenaires, qui n'ont pourtant commis aucun crime et méritent un soutien financier. En pareils cas, le projet de loi C-316 pourrait contribuer à l'instabilité et à la désintégration de la famille, et c'est l'ensemble de la population canadienne qui en paiera le prix sous la forme des dépenses afférentes aux tribunaux civils, à l'aide juridique, à l'aide sociale à l'enfance, aux services de santé mentale et à d'autres services.

Nous estimons donc que le projet de loi dont est saisi le Sénat devrait être abandonné. S'il est adopté sans qu'on en ait adéquatement évalué les conséquences collatérales, on pourrait causer plus de torts aux familles qui en seraient victimes. Les législateurs ne devraient pas adopter de loi avant qu'on n'ait effectué des recherches pour évaluer les effets potentiels des mesures proposées. Si le comité souhaite approfondir la question, nous serions heureux de lui prêter main-forte.

Le président : Nous entendrons maintenant Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Je vous remercie beaucoup de nous avoir gracieusement invités à comparaître pour vous exposer les opinions de la Société John Howard au sujet du projet de loi C-316.

La Société John Howard du Canada est un organisme caritatif communautaire dont la mission consiste à aider à réagir de façon efficace, juste et humaine aux causes et aux conséquences de la criminalité. Elle compte plus de 60 bureaux de première ligne au pays, dont un grand nombre offrent des programmes et des services appuyant la réinsertion sécuritaire des délinquants au sein de nos communautés et la prévention de la criminalité. Notre travail contribue à rendre les communautés plus sûres, et l'emploi constitue souvent un facteur clé pour réussir à aider un délinquant à retourner dans la société.

Le projet de loi C-316 prévoit de modifier la Loi sur l'assurance-emploi en abrogeant les dispositions permettant la prolongation des périodes de référence et de prestations en raison du temps que le demandeur a passé en prison, dans un pénitencier ou dans un établissement similaire. Ces modifications auraient pour effet d'empêcher des gens de recevoir des prestations d'un régime d'assurance auquel les intéressés et leurs employeurs ont cotisé quand la loi autorisait cette prolongation.

Plusieurs points nous préoccupent quant aux répercussions que le projet de loi C-316 pourrait avoir sur ceux qui tentent de retourner dans la société et pour le système de justice comme tel.

Notre première préoccupation, qui cadre de façon générale avec les propos de M. Piché, c'est qu'il s'agit d'un régime d'assurance. Les adhérents y ont cotisé en considérant qu'ils en retireraient des avantages. Il semble totalement injuste de modifier ce régime et de dépouiller les adhérents de ses avantages par après.

Le projet de loi a en outre pour effet de créer un régime incohérent, injuste et très difficile à gérer. Il semble que ce soit le temps passé en détention ou en prison, et la déclaration de culpabilité criminelle qui entraînent la perte des prestations d'assurance-emploi. Soit dit en passant, cette disposition est de loin supérieure à celle que j'ai vue quand le projet de loi était à la Chambre des communes. La perte des prestations n'était pas nécessairement causée par une déclaration de culpabilité; ainsi, les personnes présumées innocentes en détention avant jugement auraient elles aussi perdu leurs prestations. Cependant, en associant la perte des prestations à la déclaration de culpabilité, on instaure un régime extrêmement complexe pour les administrateurs d'un système de justice pénale déjà inefficace et trop lourd. On devra maintenant suivre l'issue des procédures de justice pénale afin de déterminer si on mettra fin aux prestations d'assurance-emploi ou pas.

J'ai dû me faire un petit graphique contenant toutes les variables pour déterminer quand les prestations d'assurance- emploi seraient versées et quand elles ne le seraient pas. Certains cas de figure sont assez simples. On se heurte toutefois à des injustices et à des difficultés, particulièrement si l'intéressé est visé par un renvoi et est déclaré coupable, mais reçoit non pas une peine d'emprisonnement, mais une sanction communautaire. Si le système de justice avait fonctionné de manière juste et efficace et s'il n'y avait pas eu de longues périodes de détention avant qu'une décision ne soit rendue, l'intéressé n'aurait pas arrêté de travailler et n'aurait pas cessé d'être admissible aux prestations d'assurance-emploi. Cependant, si c'est ce qui se produit en raison de la lenteur et des retards du système de justice, ceux qui sont visés par un renvoi et qui reçoivent une sanction communautaire ne seraient plus admissibles aux prestations d'assurance-emploi. On semble imposer là une grave sanction supplémentaire aux personnes qui ont passé de longues périodes en détention avant jugement et qui ne reçoivent finalement pas de sentence d'emprisonnement.

En outre, les rouages de la justice ont probablement atteint le degré maximal de complexité qu'ils peuvent supporter sans entraîner la perte de causes. Comme bon nombre d'entre vous le savent, les procédures judiciaires ont connu de tels retards en Colombie-Britannique que certaines affaires ont été rejetées. Nous sommes dangereusement près de ce qui s'est passé dans l'affaire Askov, dans laquelle on a statué qu'il fallait rendre une décision dans un délai raisonnable. Or, les retards sont en partie attribuables au fardeau qui pèse sur les administrateurs et les greffiers des tribunaux. Cette mesure alourdira encore la tâche des greffiers, qui devront vérifier ce qu'il en est des condamnations et transmettre l'information aux administrateurs de l'assurance-emploi pour qu'ils puissent déterminer si la personne concernée est admissible ou non aux prestations d'assurance-emploi. Le premier ministre a récemment indiqué qu'il souhaite que le système de justice soit efficace. Nous le voulons aussi, mais considérons que la présente mesure constitue un problème de taille.

Nous doutons en outre qu'il soit illégitime d'ajouter des sanctions civiles à la condamnation au criminel. On tend de plus en plus à alourdir la peine appropriée initialement imposée par le tribunal en y ajoutant des handicaps civils. Cette mesure est un autre exemple de cette tendance, et nous jugeons qu'elle résulte en des peines disproportionnées, injuste pour la personne visée.

La mesure pourrait aussi avoir des répercussions sur le système de justice pénale, car les gens voudront éviter les condamnations, particulièrement si elles les rendent inadmissibles aux prestations d'assurance-emploi. Certains pourraient tenter de prolonger leur détention avant jugement jusqu'à ce qu'ils aient passé en prison une période équivalente à la peine que le tribunal leur imposerait, puisqu'il est probable que les procureurs abandonnent les accusations; ils éviteraient ainsi d'être déclarés coupables et de perdre leurs prestations d'assurance-emploi. Mais la crise qui règne au chapitre de la détention avant jugement s'en trouverait aggravée. C'est un problème potentiel à cet égard.

Comme Justin Piché l'a souligné, il est essentiel que les personnes qui tentent de se reprendre en main et de contribuer à la société bénéficient de soutien à l'emploi pendant le processus de réinsertion. Il y a probablement 10 p. 100 de la population canadienne qui a un dossier criminel. Si on répartit ce chiffre entre les hommes et les femmes, ce sont probablement 20 p. 100 des hommes qui en ont un. Je mentionne ce fait parce que vous vous intéressez à l'emploi. Le fait de priver toutes ces personnes de la possibilité de travailler ou de compromettre leur capacité de trouver un emploi aura des conséquences tant sur l'économie que sur ceux qui tentent de réintégrer la société.

En conclusion, le projet de loi C-316 nous préoccupe. Il empêcherait des gens de se prévaloir d'un régime d'assurance auquel ils ont cotisé avec leurs employeurs. La mesure serait injuste pour les demandeurs et créerait des lourdeurs administratives. Ceux qui sont déclarés coupables et condamnés en cour pénale se verraient imposer ce qui équivaut à une sanction ex post facto en plus de leur peine criminelle, ce qui soulève des doutes au chapitre du droit et pourrait entraîner des pénalités disproportionnées. Les efforts déployés pour éviter la perte des prestations d'assurance-emploi pourraient entraver les rouages d'un système de justice déjà en crise. C'est la sécurité publique qui en pâtirait, car la mesure met en péril les perspectives d'emploi et les prestations d'assurance d'un groupe vulnérable composé de personnes qui cherchent à réintégrer leur communauté.

C'est pour ces raisons que nous vous incitons fortement à vous opposer au projet de loi C-316.

Kim Pate, directrice exécutive, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry : Je vous remercie aussi de m'avoir invitée à comparaître afin de représenter l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Notre organisation, présente dans toutes les régions du pays, sert les citoyens, les femmes et les filles en particulier, qui se trouvent être des victimes, des êtres marginalisés qui prennent le chemin de la criminalité et échouent en détention. Nous offrons des services d'intervention préventive auprès des adolescentes et des filles enceintes, des programmes après l'école, des refuges pour femmes battues et des services aux victimes aux côtés des services de police, comme les visites dans les établissements, la défense des droits des femmes en prison, les services de réinstallation, les maisons de transition, et l'intervention auprès des sans-abri et des femmes après l'expiration de leur mandat. C'est dans cette perspective que je fais mon exposé.

Je n'ai pas besoin de répéter ce que mes collègues ont dit. Nous sommes d'accord avec les propos de l'Association canadienne de justice pénale et de la Société John Howard du Canada.

J'ai, moi aussi, bien accueilli certaines modifications apportées aux dispositions relatives à la détention avant jugement. Je conviens toutefois qu'il est difficile d'en évaluer les conséquences et je crois que le fardeau administratif que leur administration pourrait représenter pourrait par inadvertance compliquer davantage la situation. Ce n'est évidemment pas l'objectif visé, mais de tels changements s'accompagnent malheureusement trop de répercussions non intentionnelles.

Nous craignons que l'ajout de sanctions civiles aux peines criminelles ne soit potentiellement contraire à la Charte. Il n'est pas nécessaire de s'engager encore dans cette voie.

La capacité des individus qui ont payé leur dette envers la société, conformément à la loi, et leur difficulté à réintégrer les rangs de la société sont des choses qui nous préoccupent.

Les traitements injustes que subissent les familles dépendantes d'une personne qui, dans d'autres circonstances, serait admissible au régime d'assurance-emploi auquel elle a contribué sont également pour nous une source d'inquiétude.

Nous nous inquiétons aussi du transfert possible aux provinces des coûts d'entretien de ces individus et de leurs familles. S'ils ne sont pas admissibles à l'assurance-emploi et qu'ils n'arrivent pas à se trouver un emploi, ces individus pourraient très bien se tourner vers l'aide sociale. Ils deviendraient ainsi la responsabilité des provinces et des territoires.

En résumé, nous croyons que ce projet de loi n'est pas représentatif de notre fière tradition canadienne en matière de respect des droits de la personne et de principes d'équité, d'égalité et de justice. D'ailleurs, si nous voulons vraiment aider les victimes et prévenir les traitements injustes, nous devrions investir de façon à soutenir ces valeurs nationales mises à mal au pays pour permettre aux provinces et territoires de créer des services sociaux, de soins de santé et d'éducation qui encouragent l'équité, l'égalité et la justice. À notre avis, si nous continuons sur cette voie, nous entacherons davantage notre réputation internationale à ce chapitre, sans parler de notre réputation nationale.

Le président : Je vous remercie de l'efficacité avec laquelle vous avez utilisé votre temps de parole. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Je vous demanderais, chers collègues, d'être aussi efficace que nos témoins avec vos questions, car j'aimerais que tous les sénateurs qui désirent intervenir aient le temps de le faire.

Le sénateur Eggleton : Hier, le parrain du projet de loi est venu témoigner et j'aimerais obtenir votre opinion sur certains de ses commentaires. D'abord, il a dit que les prisonniers libérés ne pensent pas aux prestations d'assurance- emploi auxquelles ils pourraient être admissibles, que ce n'est pas important pour eux. Lorsque je lui ai parlé de ceux qui risquent de se retrouver dans la rue, une situation qui pourraient les pousser de nouveau vers la criminalité, il a dit que les organismes comme les vôtres et les autres services offerts, dont bon nombre, j'en suis convaincu, sont des services aux contribuables, étaient là pour les aider ou pallier l'absence des prestations d'assurance-emploi. Que pensez- vous de ces déclarations?

Mme Latimer : Une des choses qui m'a frappée, c'est à quel point les prisonniers libérés veulent obtenir des prestations d'assurance-emploi et à quel point le processus visant à obtenir ces prestations est frustrant pour eux. Si je ne m'abuse, environ 72 p. 100 des employeurs demandent maintenant une vérification du casier judiciaire, ce qui complique beaucoup la situation.

Ces individus veulent surtout éviter que leurs familles ne subissent indûment les conséquences de leur manque de jugement et de leurs démêlés avec la justice, et ils veulent travailler.

Mais cela est de plus en plus difficile pour eux. De plus, la situation dépasse largement la capacité qu'ont les organismes comme La société John Howard et, j'imagine, L'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry — mais je vais laisser à Mme Pate le soin de s'exprimer sur le sujet — d'amortir les effets des nombreuses mesures préjudiciables qui existent. Par exemple, nous avons été très surpris d'apprendre, lors de notre témoignage relativement à la demande de pardon et de la proposition visant à augmenter à 631 $ les frais de suspension du casier, que la Commission nationale des libérations conditionnelles dit aux individus qui n'ont pas les moyens de payer les 631 $ de communiquer avec La société John Howard. Ce serait merveilleux si nous pouvions aider financièrement ces individus à obtenir un pardon, mais nous n'en avons pas la capacité.

Mme Pate : Je suis d'accord avec Mme Latimer. J'ajouterais que les femmes sont confrontées à plusieurs obstacles. Le week-end dernier, j'ai reçu un appel d'une femme qui avait de la difficulté à trouver un endroit où installer sa caravane, car elle a un casier judiciaire. Elle tente depuis des années de se trouver un emploi ou de démarrer sa propre entreprise.

La réalité, c'est que ces gens sont confrontés à des obstacles qui les empêchent de reprendre leur vie et le dossier des pardons n'arrange pas les choses. Nous avons fermé deux de nos bureaux l'an dernier en raison d'un manque de ressources. Le surplus d'inscriptions à nos services réduit notre capacité à aider les individus à surmonter ces obstacles et ils sont de plus en plus nombreux à se retrouver dans cette situation.

Le sénateur Eggleton : J'aimerais vous poser une question au sujet de ces individus. Même si nous parlons de peines pouvant aller jusqu'à deux ans de prison, je crois comprendre que la grande majorité des détenus sont libérés après environ trois mois.

J'aimerais vous citer quelques documents qui nous ont été remis. La première provient du document de Centraide Calgary dont la représentante viendra témoigner après vous. Dans ce document, l'organisme précise que : « Les femmes autochtones et les femmes ayant des problèmes de santé mentale représentent la population carcérale qui connaît la plus forte croissance. »

Un rapport publié en 2011 par le Conseil national du bien-être social au Canada nous apprend que 80 p. 100 des femmes incarcérées le sont pour des infractions liées à la pauvreté. De ce nombre, 39 p. 100 sont incarcérées pour défaut de paiement d'une amende. Selon le parrain de ce projet de loi, personne n'est emprisonné simplement pour ne pas avoir payé une amende. Auriez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Aussi, qu'est-ce qui caractérise la population touchée par cette mesure législative?

Mme Pate : Nous avons également des données à ce sujet. Selon ces données, il y a de plus en plus de femmes en prison. Elles représentent la population carcérale qui connaît la plus forte croissance, et ce, depuis un bon moment — depuis presque 10 ans, en fait — et la tendance se maintient. Comme en fait foi le décès survenu récemment dans un centre régional de psychiatrie, en Saskatchewan, les problèmes liés à la santé physique et mentale et les problèmes des femmes autochtones ne font qu'empirer. Les chiffres le démontrent.

Selon le Service correctionnel du Canada, d'ici la fin de la présente décennie, les femmes autochtones pourraient composer la moitié des femmes dans les établissements fédéraux. Il est clair que ce n'est pas représentatif.

Le sénateur Eggleton : Font-elles partie de la population qui serait touchée par ce projet de loi? C'est ce que j'aimerais savoir.

Mme Pate : Oui, mais pas toutes. Parmi les femmes touchées, il y aura celles ayant des problèmes de santé mentale et qui n'auront pas réussi à se trouver un emploi. Comparativement aux hommes, selon mon expérience, les femmes sont plus susceptibles d'être sous-employées et insuffisamment instruites, et ce, de façon chronique. Donc, elles subissent déjà de manière disproportionnée les conséquences des compressions dans les services sociaux, de soins de santé et d'éducation.

Mais oui, vous avez raison, certaines seront touchées par ce projet de loi.

Mme Latimer : Je dirais que la situation est semblable pour les hommes. Selon les statistiques de 1989 que j'ai consultées hier soir, 40 p. 100 des prisonniers en Nouvelle-Écosse à l'époque avaient été incarcérés pour défaut de paiement d'une amende.

Le sénateur Eggleton : Combien dites-vous?

Mme Latimer : Quarante pour cent.

Ce n'est pas inhabituel, surtout dans les prisons provinciales, d'être incarcéré pour cette raison. Ce sont souvent des personnes, hommes et femmes, ayant des problèmes chroniques de santé mentale ou de dépendance, pauvres et marginalisées.

M. Piché : J'ai écouté, hier, le témoignage qu'a livré le parrain du projet de loi. Une des raisons qui l'ont poussé à présenter cette mesure législative, c'est qu'il voulait s'assurer que les personnes criminalisées ne sont pas admissibles aux prestations d'assurance-emploi au même titre que les gens honnêtes.

Il a raconté l'histoire d'une mère monoparentale de deux enfants qui a reçu un diagnostic de cancer après avoir travaillé seulement trois mois dans un nouvel emploi. Elle a tenté d'obtenir des prestations d'assurance-emploi pour l'aider pendant ses traitements, mais sa demande a été rejetée. C'est ce qui a poussé le député à analyser la Loi sur l'assurance-emploi pour déterminer quelles dispositions empêchaient cette femme d'être admissible aux prestations d'assurance-emploi.

À mon avis, on fait fausse route en proposant de retirer à tout un groupe de personnes l'admissibilité à l'assurance- emploi plutôt que de tenter de trouver une façon, juridique ou autre, d'aider cette femme à obtenir des prestations d'assurance-emploi. En fait, cela crée d'autres problèmes.

C'est tout ce que j'avais à dire sur la question de l'équité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie beaucoup de vos présentations. J'aurais deux questions dont la première très délicate. Je vais la poser avec délicatesse. Les gens nous disent que cette mesure risque d'affecter beaucoup les femmes autochtones. Lorsque je regarde les statistiques sur l'incarcération, 91 p. 100 des personnes incarcérées sont des hommes, 9 p. 100 des femmes. La population autochtone incarcérée au Canada varie entre 3 et 4 p. 100 et les femmes autochtones comptent pour 0,02 p. 100.

Donc, lorsqu'on dit que cette mesure va surtout affecter les femmes et les femmes autochtones, selon vous, ce n'est pas trop exagéré? Je regarde les statistiques. Cette population carcérale est très peu représentée dans les statistiques.

M. Piché : Pour la population autochtone, malgré le fait qu'elle représente 3 p. 100 de la population canadienne, elle représente 20 p. 100 des gens qui se retrouvent en prison aux niveaux provincial et territorial, et 27 p. 100 des gens dans les prisons fédérales.

Le sénateur Bienvenu : Les statistiques que je viens de vous donner concernent les statistiques de la population carcérale. Quatre-vingt-onze pour cent sont des hommes et 9 p. 100 des femmes. La population carcérale autochtone varie entre 3 et 4 p. 100 de la population carcérale. La statistique que je vous donne concerne les gens incarcérés.

M. Piché : Je ne sais pas où vous avez pris votre statistique.

Le sénateur Boisvenu : Sécurité publique Canada.

M. Piché : Dans le rapport de Statistique Canada qui vient de sortir cet été, on dit que 20 p. 100 de ceux incarcérés au niveau fédéral sont Autochtones et 27 p. 100 au niveau provincial. Ce sont les statistiques que je connais. Mais je vais vérifier votre rapport pour voir.

Le sénateur Boisvenu : J'ai deux sources : Statistique Québec pour la population carcérale québécoise, et le ministère de la Sécurité publique du Canada pour les statistiques sur les Autochtones. Comme on ne s'entend pas sur les statistiques, je n'irai pas plus loin.

J'ai posé une question hier à Mme Laroche, de Service Canada; lorsqu'un Canadien abandonne volontairement son travail, il n'est pas admissible à l'assurance-emploi. Lorsqu'un individu commet volontairement un crime, pourquoi cet individu, qui s'exclut volontairement de son travail, aurait un bénéfice ou un privilège qu'un Canadien honnête, qui n'a pas commis de crime, n'obtient pas?

Ce projet de loi est un projet de loi qui vise l'équité entre les citoyens. J'essaie de comprendre la logique.

Je me retire volontairement de mon travail pour prendre des vacances, je n'aime pas mon travail, je ne serai pas admissible à l'assurance-emploi. Je commets volontairement un crime, je suis une personne âgée, j'agresse volontairement une femme, je suis incarcéré. Là, je vais bénéficier d'un privilège.

J'essaie de comprendre comment on peut défendre cette logique.

[Traduction]

Mme Latimer : Vous soulevez un point très intéressant qui nous ramène à des éléments du droit pénal et civil. Lorsque les gens commettent un crime, ça ne veut pas nécessairement dire qu'ils décident délibérément de quitter leur emploi. La plupart des gens reconnus coupables d'un crime reçoivent une peine à purger dans la collectivité. Donc, ils peuvent conserver leur emploi. Le raisonnement selon lequel le fait de commettre un crime équivaut à une décision délibérée de quitter son emploi est illogique. À mon avis, ce sont deux choses différentes.

Je peux vous assurer que la plupart des détenus sous-garde ou dans les centres de détention provisoires préféreraient de loin travailler que d'être en détention. C'est la peine imposée par l'État — et avec raison — qui les empêchent de travailler. Cela ne veut pas dire qu'ils ont décidé volontairement de ne pas travailler.

Pour répondre à votre première question, je ne suis pas une statisticienne, mais vous avez tout à fait raison : il y a beaucoup plus d'hommes que de femmes qui ont des démêlés avec la justice et qui se retrouvent en prison. Cependant, les répercussions de ces problèmes sont plus importantes chez les petits sous-groupes dans le milieu carcéral.

Il ne fait aucun doute que ce retrait de l'admissibilité aux prestations d'assurance-emploi pour les personnes incarcérées aura de sérieuses répercussions sur les hommes, mais il pourrait aussi avoir des répercussions disproportionnées sur les femmes. Mais, il est clair que plus de gens seront touchés par les modifications proposées dans ce projet de loi.

Mme Pate : C'est vrai qu'il y a beaucoup plus d'hommes que de femmes en prison. Mais, j'ignore d'où vous tenez vos statistiques, car selon les plus récentes données publiées, les femmes autochtones représentent 32 p. 100 des femmes incarcérées dans les établissements fédéraux et leur nombre continue d'augmenter. Dans les prisons provinciales, la moyenne varie; au Québec, ce pourcentage est faible, alors qu'en Saskatchewan, il atteint 90 p. 100.

Comme nous venons de le dire, dans la majorité des cas, ceux qui commettent un crime agissent ainsi pour tenter d'échapper à la pauvreté dans un contexte où les services sociaux et les salaires sont inadéquats et où l'écart entre le revenu potentiel des hommes et celui des femmes — comme l'a observé Kathleen Lahey, de l'Université Queen's — ne cesse d'augmenter. Dans ce contexte, ce sont les femmes en général qui sont les plus touchées. Oui, elles sont moins nombreuses que les hommes, mais l'impact de la criminalisation est beaucoup plus important chez les femmes, notamment lorsqu'on sait que, si d'autres options leur avaient été offertes, elles ne se retrouveraient pas dans cette situation.

Le sénateur Merchant : Je viens de la Saskatchewan et, à mon avis, les statistiques que vous avancez sont désastreuses. Les femmes ont des enfants, et je sais que les femmes autochtones ont des enfants, car les enfants autochtones sont une population grandissante. Quel est l'impact sur la famille lorsque les mères qui sortent de prison ne sont pas admissibles aux prestations d'assurance-emploi et qu'elles doivent subvenir aux besoins de leurs enfants?

Mme Pate : En raison du taux de sous-emploi actuel, je conviens que l'impact sera moins important que si la mesure s'appliquait à tous ceux qui ont un casier judiciaire, par exemple, ou s'il était question de la version originale du projet de loi. Mais la réalité, c'est que cette mesure législative aurait des répercussions sur les enfants. Nous savons que la majorité des femmes en prison sont des mères et que la plupart étaient seules pour subvenir aux besoins de leurs enfants avant d'être incarcérées.

Lorsqu'il est question des coûts sociaux, humains et financiers liés à l'incarcération des femmes, on tient rarement compte de ce qu'il en coûte à l'État pour prendre soin de leurs enfants. Encore une fois, ce sont les provinces et territoires qui doivent supporter ces coûts, puisque, habituellement, les enfants sont confiés à un organisme de protection de la jeunesse.

Les statistiques du Canada à cet égard ne sont pas reluisantes, mais elles se comparent à celles des États-Unis où des études ont été réalisées sur le sujet. Selon ces études, 90 p. 100 des enfants dont la mère est incarcérée sont confiés aux soins de l'État, comparativement à 10 p. 100 des enfants dont le père est incarcéré. Donc, l'ajout de cette mesure punitive aura de sérieuses conséquences sur les individus ayant un casier judiciaire et sur les coûts à long terme liés au soin de leurs enfants.

Ces conséquences ne seraient pas directement liées à ce projet de loi; je ne veux pas peindre une fausse image de cette mesure législative. Cependant, il s'agit clairement d'une préoccupation majeure. Les sanctions civiles que ce projet de loi propose d'ajouter aux sanctions criminelles contribuent à alimenter ces inquiétudes. Nous avons déjà suivi l'exemple des États-Unis en éliminant des prestations d'aide sociale, une mesure semblable à ce que propose ce projet de loi. Nous ne voulons certainement pas que ça se reproduise.

Le sénateur Merchant : Vous avez tous fait beaucoup de recherches à ce sujet et j'ai été surprise hier de voir que le parrain du projet de loi ne pouvait pas nous fournir de données de recherches. Il a simplement dit qu'il avait parlé avec des gens dans sa région et qu'ils appuyaient tous ses démarches. Cela, j'en suis convaincue, mais à mon avis, il nous faut davantage de données scientifiques avant de modifier nos lois de la sorte.

Lorsque nous avons souligné au parrain du projet de loi que c'est le gouvernement du premier ministre John Diefenbaker, lui aussi de la Saskatchewan, qui avait fait adopter cette disposition, il a dit qu'il s'agissait d'un gouvernement progressiste conservateur.

Le sénateur Eggleton : Ils ont laissé tomber le mot « progressiste ».

Le sénateur Merchant : J'ignore si ça change quelque chose, mais, c'est ce qu'il a dit.

Monsieur Piché, combien de personnes seraient touchées si ce projet de loi était adopté? Avez-vous des chiffres à nous fournir à ce sujet?

M. Piché : Peut-être que Mme Pate ou Mme Latimer pourrait vous aider, mais moi, je l'ignore. Nous ne le savons pas, et ça fait partie du problème. Nous n'avons pas suffisamment de données pour déterminer qu'elles seront les conséquences collatérales du projet de loi sur ces populations. Je crois qu'avant d'adopter de telles politiques, il faudrait effectuer d'autres recherches sur l'impact potentiel que cela aura sur les Canadiens.

Mme Pate : Je vous demande pardon à l'avance de ne pas répondre exactement à la question, mais compte tenu des motivations du parrain du projet de loi — et c'est peut-être un peu inhabituel —, le comité pourrait proposer un changement différent à l'assurance-emploi. Il pourrait y avoir des exceptions pour les personnes auxquelles on a diagnostiqué une maladie débilitante et qui met peut-être leur vie en danger, comme le cancer.

Récemment, j'aidais une amie qui souffre d'un cancer du sein de stade 4. Dans le groupe dont elle fait partie, une femme a vécu la situation que le parrain du projet de loi a décrite, sauf qu'elle était admissible à l'assurance-emploi, mais que ce n'était pas assez. Une fois la période de prestations terminée, elle a recouru à l'aide sociale. Elle ne pouvait recevoir de cadeaux de ceux qui étaient prêts à lui en faire parce qu'elle n'aurait plus été admissible ou aurait été obligée de rembourser le montant versé en trop.

Pourtant, elle était admissible, mais quand la période de prestations s'est terminée, elle est devenue bénéficiaire de l'aide sociale, avec tout ce que cela comporte de difficultés pour faire vivre une famille. Elle était le seul soutien parental, et nous avons dû prendre toutes sortes de moyens détournés pour les aider, sa famille et elle, à célébrer Noël, à souligner les anniversaires des enfants, parce qu'elle ne faisait que survivre, avec l'aide sociale.

Ce serait excellent si vous apportiez à l'assurance-emploi des modifications positives et axées sur les gens — en particulier sur les femmes, les pauvres, les Autochtones —, et si vous en étendiez la portée pour ceux qui ont travaillé, mais dont la période de prestation ne suffit pas.

La sénatrice Dyck : J'avais deux questions, mais vous avez donné l'exemple de la personne atteinte du cancer. Il me semble qu'on nous a dit, hier, que la personne atteinte du cancer avait droit à l'assurance-emploi. Dans votre exemple, c'est parce qu'elle avait pris un congé pour suivre une formation additionnelle.

Le président : C'est la différence entre le départ volontaire et le départ en cas d'urgence. Ce dernier aspect est déjà couvert, mais pas le départ volontaire.

La sénatrice Dyck : Donc, le cancer est un des éléments d'une histoire très triste, mais il n'a rien à voir avec la situation.

Pendant les témoignages, le parrain du projet de loi avait une perception stéréotypée des criminels. Il a usé de termes comme « agressions » et a parlé de crimes que personne ne devrait laisser se produire. Selon les statistiques, de quels genres de crimes les personnes détenues dans nos établissements ont-elles surtout été trouvées coupables? Nous avions un petit tableau qui nous disait que 75 p. 100 des détenus y sont pour trois mois au maximum. Au pire, il s'agit de vols, de crimes relativement mineurs.

Mme Latimer : La très grande majorité des personnes détenues le sont parce qu'elles ont commis des infractions mineures contre les biens ou en matière de drogue. Il y a bien un segment important de personnes incarcérées pour avoir commis des crimes violents et causé des lésions corporelles, mais c'est essentiellement pour des voies de fait simples, résultats de batailles de fin de soirée dans les bars, ou pour des infractions en matière de drogue.

La sénatrice Dyck : La question des femmes autochtones a été soulevée quelques fois. Je suis de la Saskatchewan, et je sais que les statistiques peignent un portrait très sombre, en ce qui concerne la proportion des Autochtones incarcérés. Quelqu'un a dit que la population carcérale de la Saskatchewan est composée à 90 p. 100 d'Autochtones. On a aussi mentionné que la plupart des femmes qui sont en prison sont des femmes pauvres à la tête de familles monoparentales. Quel sera l'effet de ce projet de loi? Aura-t-il un effet plus néfaste sur les femmes autochtones?

Mme Pate : L'effet serait nettement néfaste pour les femmes autochtones qui ont un emploi et qui seraient autrement admissibles, car à leur sortie de prison, elles chercheraient à retrouver leurs enfants et à les reprendre, tout en essayant de trouver un emploi et un logement. L'effet serait considérable sur celles qui sont admissibles. La situation est déjà assez difficile, à la sortie de prison.

En réponse à la dernière question que vous avez posée, j'ajouterai que, selon mon expérience, les crimes violents qui ont amené des femmes en prison ont souvent été commis en guise de réaction. Ça ne veut pas dire que c'est acceptable. Par exemple, vendredi dernier, j'ai vu une femme en contention dans la cellule d'isolement d'un centre psychiatrique régional. La fois précédente, je l'avais vue dans la collectivité, et elle avait des problèmes de santé mentale. Elle s'était rendue à l'hôpital pour obtenir de l'aide. Parce qu'elle avait un dossier criminel, ils ne l'ont pas traitée de façon prioritaire et lui ont dit qu'ils ne la prendraient pas même s'il y avait un lit. Alors, elle a dit : « Dans ce cas, je sais où trouver de l'aide. » Puis elle a ensuite dit qu'elle allait tuer quelqu'un, ou prendre quelqu'un en otage. Elle est maintenant en prison parce qu'elle a commis un crime violent. Elle ne l'a pas fait, mais elle est en prison, principalement parce qu'elle a des problèmes de santé mentale qu'on refuse de traiter dans la collectivité.

Aurait-elle droit à l'assurance-emploi avec ce projet de loi? Non. Elle n'a pas été libre assez longtemps pour travailler le temps qu'il faut, mais elle est détenue, ce qui fait que les obstacles sont d'autant plus monumentaux.

La sénatrice Dyck : Trouvez-vous que l'Association des femmes autochtones du Canada devrait comparaître devant le comité? Elles ont produit un rapport intitulé Arrest the Legacy — from Residential Schools to Prison.

Mme Pate : Oui. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la Commission de vérité et de réconciliation et avec l'Association des femmes autochtones du Canada, et nous nous sommes penchés ensemble sur les répercussions des pensionnats qui touchent plusieurs générations, particulièrement les femmes, aussi bien celles qui y ont vécu que celles dont les parents et grands-parents y ont vécu.

La sénatrice Cordy : Le parrain du projet de loi nous a dit hier que les détenus bénéficiaient d'un traitement préférentiel parce qu'ils pouvaient reporter leurs prestations d'assurance-emploi au moment de leur départ. Ils pouvaient obtenir leurs prestations une fois leur peine terminée. Pourriez-vous nous parler de cela?

Hier, le parrain nous a aussi dit que s'ils n'obtenaient pas d'assurance-emploi, ils obtiendraient de l'aide d'une société Elizabeth Fry ou de la Société John Howard. Je me demande si vous pourriez nous dire quelque chose à ce sujet.

J'aimerais aussi dire un certain nombre de choses. Il ne faut pas oublier que l'assurance-emploi est un régime d'assurance. Ce n'est pas une aumône du gouvernement. Les gens ont cotisé à ce régime. N'oublions pas non plus que nous parlons d'infractions mineures. Ce sont des personnes qui seront détenues pendant moins de 104 semaines. Mmes Latimer et Pate ont décrit les types de crimes pour lesquels ces personnes seraient incarcérées.

Pourriez-vous nous parler de cette question de traitement préférentiel et de la mesure dans laquelle la Société John Howard et les sociétés Elizabeth Fry peuvent aider financièrement les personnes qui sortent de prison?

Mme Latimer : Je doute fort que quiconque a vécu une période de détention avant son procès, ou de détention dans un établissement de garde provincial trouve qu'il s'agit d'un traitement préférentiel. J'encourage tous les sénateurs qui le peuvent à aller faire un tour dans des prisons pour voir ce qui s'y passe. Elles sont surpeuplées, dangereuses et violentes. Ce ne sont pas des lieux de prédilection.

Si on parle en particulier de la détention au moment du renvoi du détenu alors qu'il est présumé innocent, ce n'est pas perçu comme une peine. C'est une exigence du système de justice qui garantit que vous serez présent au procès et que vous serez entendu. La perte de l'assurance-emploi en raison d'une exigence du système de justice qui se traduit par un important déni de liberté semble incroyablement injuste.

Pour ce qui est de la capacité de la Société John Howard, je trouve cela très intéressant. C'est une organisation caritative. Nous faisons ce que nous pouvons, mais nos ressources sont limitées. Nous aimerions le faire, mais nous ne pouvons pas faire le poids devant toutes les mesures de répression de la criminalité sévères qui produisent des effets néfastes sur des gens de partout au pays. Nos téléphones ne dérougissent pas. Les demandes d'aide augmentent. J'aimerais que nous puissions acquiescer à toutes les demandes d'aide, mais ce n'est pas possible.

Mme Pate : Notre situation est semblable. Heureusement, certaines de nos maisons de transition réservent des lits pour les ressources communautaires; le financement est insuffisant, mais les sociétés locales s'en portent garantes. La demande relative à ces lits monte en flèche. Chaque jour, des gens s'adressent à nous : ils nous demandent de les aider à trouver un appartement, ou veulent savoir s'ils doivent déclarer qu'ils ont un dossier criminel pour obtenir un emplacement pour remorque. C'est ce que nous voyons tous les jours.

J'aimerais que nous puissions répondre à la demande. Nous ne répondons qu'à une fraction de la demande actuelle. Nous faisons de notre mieux. Nous avons des milliers et des milliers de bénévoles, des membres de la collectivité qui nous consacrent du temps et qui donnent des ressources, mais la demande augmente de façon astronomique.

La sénatrice Cordy : Hier, j'ai demandé au parrain du projet de loi de me parler des genres de crimes pour lesquels les personnes sont incarcérées — trois mois, par exemple. Je lui ai dit qu'il y a, en Nouvelle-Écosse, des personnes incarcérées pour ne pas avoir payé des amendes parce qu'elles n'en avaient pas les moyens. Il m'a dit que, d'après lui, c'était fort peu probable. Pourriez-vous me citer des statistiques sur les personnes incarcérées parce qu'elles n'ont pas payé leurs amendes?

Mme Pate : Je n'ai pas les données exactes, mais M. Piché ou Mme Latimer les ont peut-être.

L'un des experts de votre province, Vince Calderhead, est à l'origine d'une des importantes contestations visant à mettre fin à cela. Il a partiellement réussi dans votre province, mais ce n'est pas nécessairement valable à l'échelle du pays. Des gens se font toujours imposer des amendes pour défaut de paiement, en particulier quand il n'existe pas de programme offrant des solutions de rechange à l'amende.

Mme Latimer : Ce problème prendra vraisemblablement de l'ampleur avec la suramende compensatoire qui va doubler, car une disposition empêche le juge d'en déroger pour cause de difficulté financière. Vous constaterez qu'on obligera à payer bien des gens qui n'en sont pas capables.

La sénatrice Cordy : Est-ce que nous pénalisons les pauvres, avec ce projet de loi?

Mme Latimer : Oui, mais vous pénalisez aussi ceux qui ont un emploi et dont la réintégration se ferait positivement s'ils étaient capables de conserver leur emploi pendant cette période.

Mme Pate : Je dirais que vous pénalisez chaque contribuable canadien parce que ceux qui vont finir par payer, ce sont ceux qui paient des impôts, non seulement pour l'assurance-emploi, mais pour les services sociaux des provinces et plus particulièrement les services de santé mentale.

La sénatrice Seidman : Nul doute que vous nous faites part de problèmes sérieux, et personne ne viendra dire le contraire. Cependant, je dois dire qu'il y a des différences dans les chiffres que nous entendons aujourd'hui. De plus, nous ne savons pas vraiment qui ce projet de loi touchera vraiment. Nous parlons de gens, et vous nous parlez de personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Cependant, les personnes qui ont depuis longtemps des problèmes de santé mentale n'ont probablement jamais travaillé assez longtemps pour avoir de l'assurance-emploi et courir ce risque.

J'ai lu vos notes, et nous avons beaucoup parlé des gens qui purgent des peines de trois mois ou moins. Selon les notes qu'on nous a fournies, les personnes qui purgent des peines d'un an ou moins seraient moins touchées par ce projet de loi et accumuleraient quand même assez d'heures d'emploi assurable, même sans la prolongation de la période de référence. Cela répond dans une certaine mesure aux préoccupations exprimées autour de cette table, au sujet des personnes qui ont commis des crimes moins graves, ou moins violents, qui ont été incarcérées pour une semaine, un mois ou deux mois, ou qui n'ont pas payé d'amendes. On dirait que les personnes dont nous nous préoccupions le plus ne seraient pas vraiment touchées par ce projet de loi.

Mme Latimer : Je pense qu'il est aussi important d'envisager la période de détention avant le procès. C'est une période de confinement qui sera tenue en compte. Plus de la moitié des personnes qui sont incarcérées au pays sont en détention préventive. La durée de la détention est relativement courte, mais certains sont là pour un an.

Je parlais récemment à un type qui est au Centre de détention d'Ottawa-Carleton depuis quatre ans. C'est beaucoup de temps, et la peine qui lui sera imposée pourrait être d'environ 90 jours, parce qu'ils tiennent compte du temps passé en détention préventive.

On peut difficilement comprendre la portée de la perte de liberté qui vient avec le confinement lié au processus criminel si on ne regarde que la peine imposée sans aussi tenir compte de la période de détention préventive. Cependant, comme vous et M. Piché, je pense qu'il faut davantage de recherche sur les incidences de ce projet de loi.

Le sénateur Munson : J'ai deux questions brèves. Quel message ce projet de loi envoie-t-il à notre population carcérale?

Et ma question philosophique : Quelle est l'image que ce genre de projet de loi projette de notre société?

Mme Latimer : La population carcérale s'estime marginalisée et indésirable. Le problème que cela cause est réel. Ils ne peuvent même plus faire des dons de charité, car ils ne peuvent plus réunir des fonds en organisant des soupers de pizza ou de poulet à cette fin. Cela a réellement un caractère sociable. Ils ne sont pas bienvenus dans les services d'emploi. Ils ne peuvent obtenir les prestations d'assurance-emploi pour lesquelles ils ont cotisé. En général, ils se sentent plus marginalisés, et moins désireux de contribuer à la société. Je pense que les détenus recevront un message extrêmement négatif. Cela n'a rien de bon pour la société, à long terme, car elles sont très nombreuses, les personnes qui font l'objet d'un dossier criminel.

Mme Pate : Je suis d'accord. J'ai reçu deux lettres, ces deux derniers jours. L'une venait d'une détenue qui nous remerciait de continuer de dire les choses que les gens semblent ne plus vouloir entendre, et j'ai pensé que c'était tout un réquisitoire de nos collectivités. On présume que ces gens ne sont plus bienvenus dans leurs collectivités. Il s'agit d'une femme qui, tout comme Ashley Smith, s'est retrouvée en prison en grande partie à cause de problèmes de santé mentale. Elle essaie de s'en sortir, mais c'est un cercle vicieux. En ce moment, nous essayons de la faire suivre dans le réseau de soutien en santé mentale.

L'autre lettre est venue d'un homme avec lequel j'ai travaillé, il y a des années — je travaille depuis 21 ans avec des femmes et des filles —, et ce qu'il m'a dit était semblable. Voici ce qu'il m'a dit : « Je pense bien que, très bientôt, plus personne ne parlera en notre nom, car nous serons devenus pour toujours les déchets de la société. Tant que nous ne serons pas tous enterrés dans une grande fosse, quelque part, personne ne sera content. »

C'est un sentiment de désespoir qui s'exprime dans un pays où nous étions fiers de pouvoir dire, jour après jour, à nos enfants, que l'erreur était possible et qu'on pouvait payer sa dette envers la collectivité. Les messages sont bien différents, à l'intérieur.

Ce qui fait tout aussi peur, c'est le message que nous envoyons au reste de la population quand nous disons que la sanction pénale s'accompagne de tout un paquet de sanctions civiles. Nous en sommes revenus au point où les détenus subissent l'anéantissement civil et communautaire, en plus de purger leur sanction pénale.

Mme Latimer : Nous revenons à l'époque des hors-la-loi, des personnes que la loi ne protège plus à cause des actes criminels qu'ils ont commis.

M. Piché : Je pense que le message que nous passons aux détenus, c'est qu'il n'y a essentiellement pas lieu de s'attendre à des jours meilleurs. Nous tous, ici, souhaitons que nos vies et la société en général s'améliorent. Nous disons aux gens de ce groupe qu'ils ne doivent pas nourrir d'espoir, peu importe qu'il soit question de pardons ou de projets de loi comme celui-ci.

Quand il est question du message que nous transmettons à la société, je pense que la justice — qu'il s'agisse de la justice dans nos vies au quotidien ou de justice pénale — se définit par ce que nous pouvons enlever aux gens. C'est extrêmement problématique. Nous ne devrions pas réagir à des injustices par des injustices plus criantes. Je pense que nous pouvons faire mieux. Nous avons d'incroyables ressources, dans ce pays, et des perspectives de croissance économique. Nous pouvons faire mieux.

Le président : Merci beaucoup.

Chers collègues, je suis désolé de ne pas avoir été en mesure de vous laisser tous poser vos questions.

C'est manifestement un domaine complexe marqué par des façons souvent très opposées de voir les problèmes dans la société. Je pense quand même que vous avez été très clairs, dans vos exposés et dans vos réponses. Au nom du comité, je vous remercie d'être venus et d'avoir répondu comme vous l'avez fait aux questions.

Chers collègues, nous accueillons maintenant deux témoins que je vais vous présenter et qui vont prendre la parole dans l'ordre que j'ai sur ma liste. Je vais demander à Loreen Gilmour, directrice, Recherche et initiatives en matière de pauvreté, pour Centraide Calgary de présenter son exposé en premier.

Loreen Gilmour, directrice, Recherche et initiatives en matière de pauvreté, Centraide Calgary : Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner. Centraide Calgary a récemment annoncé avoir amassé 55,2 millions de dollars auprès de notre collectivité pour réaliser notre vision de faire de Calgary une ville fantastique pour tous. Centraide représente depuis fort longtemps à Calgary les segments vulnérables de la population, et nous appuyons plus de 100 agences de première ligne, mais nous travaillons aussi à favoriser des politiques progressives et des changements du système qui auront pour effet, nous l'espérons, de faire tomber les obstacles et, dans l'avenir, de faire baisser le nombre de personnes vulnérables de notre population.

C'est en raison de ces obstacles que nous recommandons que le Sénat s'oppose au projet de loi C-316. En effet, selon nos recherches, le projet de loi créera des obstacles supplémentaires et rendra la réinsertion des anciens détenus encore plus difficile. Nous sommes d'accord avec un grand nombre de positions défendues par les trois témoins précédents.

À notre avis, le projet de loi entretiendra encore plus de gens dans la pauvreté, ce qui augmentera la probabilité de récidive et les dépenses publiques à long terme. En effet, si on retire l'aide aux anciens détenus, il en coûtera encore plus cher aux contribuables à long terme, et on commettra probablement plus d'actes criminels, ce qui signifie plus de victimes et des peines supplémentaires.

Notre examen des populations vulnérables nous permet de constater qu'un grand nombre de détenus viennent de milieux qui ont été marqués par la pauvreté, la maladie mentale, la violence ou les mauvais traitements. Même si nous reconnaissons que la responsabilité personnelle est un principe important, les choix qui s'offrent à ces gens sont beaucoup moins nombreux ou adéquats que ceux qui s'offrent à un grand nombre d'entre nous au quotidien.

Nous vous avons remis un exemplaire du rapport Crimes of Desperation qui a été publié par Centraide en 2008. Dans le rapport, nous avons enregistré le nombre de femmes qui se retrouvaient dans le système de détention provisoire et qui avaient commis des crimes mineurs. Par exemple, dans cette étude, nous parlons des mères célibataires qui ont pris la décision de ne pas acheter un billet de CTrain — qui coûtait 2,50 $ à l'époque —, car elles pouvaient acheter du pain avec cet argent. Si on vous prenait sans billet sur le CTrain et que vous aviez d'autres billets non payés — ce qui pouvait, encore une fois, faire partie des décisions et des choix que vous aviez faits pour pouvoir nourrir vos enfants —, vous pouviez vous retrouver au centre de détention provisoire.

Nous avons découvert que ce type de délits était commis plus souvent en août et en septembre. En effet, un grand nombre de mères ont de la difficulté à envoyer leurs enfants à l'école et à acheter le matériel dont ils ont besoin. Nous avons aussi conclu que les mois de novembre et décembre représentaient une autre période pendant laquelle ces délits étaient à la hausse, en raison des pressions exercées par la période de Noël sur ces femmes.

Les conséquences entraînées par l'arrestation dans le CTrain et le temps passé au centre de détention provisoire étaient souvent, à notre avis, plus graves que le crime commis. En effet, si vous ne vous présentez pas au travail, vous pouvez perdre votre emploi. Même si vous n'avez pas perdu votre emploi, votre paye sera réduite, ce qui pourrait entraîner des conséquences désastreuses lorsqu'il sera temps de payer le loyer. Les mères ont parfois perdu leur logement. Souvent, les femmes qui se retrouvaient dans ces situations n'avaient pas un réseau social étendu. Il s'ensuit qu'elles ne pouvaient pas utiliser l'appel téléphonique auquel elles avaient droit pour demander à des amis d'aller chercher leurs enfants à la garderie ou à l'école; parfois, ces enfants étaient arrêtés. Vous pouvez donc constater que le choix de ne pas acheter quelque chose d'aussi simple qu'un billet de CTrain peut souvent entraîner des répercussions très négatives et des résultats désastreux.

Nos recherches nous ont appris que la pauvreté limite souvent les choix qui s'offrent aux gens. Nous ne disons pas qu'il ne devrait y avoir aucune conséquence, mais nous pensons qu'éliminer encore plus de soutiens accessibles à une population vulnérable ne fera qu'entraîner des conséquences extrêmement négatives dans notre société. Nous savons que quiconque sort de prison doit d'abord pouvoir répondre à ses besoins fondamentaux pour être en mesure de réintégrer la société. Nous savons qu'un grand nombre de personnes qui sortent de prison sont sans-abri ou le deviennent. Souvent, elles ne peuvent pas se procurer de la nourriture et obtenir un revenu stable. Nous croyons que si ces personnes ont contribué au système d'assurance-emploi, c'est une chose très positive que notre société peut continuer de leur apporter en vue de les aider à se refaire une vie.

Les conclusions de notre rapport nous ont encouragés à entreprendre un projet pilote pour voir ce qui arriverait si nous offrions des soutiens complets à cinq ou huit femmes qui sortaient du système de justice et qui avaient commis des délits très mineurs, car nous savons que ces soutiens n'existent pas dans notre société. Nous avons collaboré avec la société Elizabeth Fry, la Société John Howard et quatre ou cinq autres organismes financés par Centraide. Même si on leur offrait un soutien intensif, nous avons découvert que ces personnes éprouvaient vraiment des difficultés — elles avaient de la difficulté à trouver un appartement en raison de leur casier judiciaire et elles trouvaient difficilement un emploi, surtout les femmes qui, souvent, ne peuvent pas obtenir un emploi manuel ou un emploi de niveau de recrutement dans le domaine de la construction.

À notre avis, si ces personnes ont contribué à l'assurance-emploi et qu'elles peuvent y avoir accès, elles seront probablement beaucoup plus en mesure de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants, et de réintégrer la société. Si nous ne les aidons pas, elles n'ont souvent d'autre choix que d'avoir recours à un revenu quasi illégal ou potentiellement illégal, et d'intégrer notre système de portes tournantes, ou comme l'a décrit notre chef de police à Calgary, notre programme de remise en liberté, ce qui coûte plus cher à tout le monde au bout du compte.

Nous recommandons donc fortement au Sénat de ne pas appuyer le projet de loi. Nous croyons que cela mènera à l'augmentation de la pauvreté, de la criminalité, des coûts et du nombre de victimes.

Le président : J'invite maintenant Heidi Illingworth, directrice générale du Centre canadien pour les victimes de crimes, à livrer son exposé.

Heidi Illingworth, directrice générale, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes : Merci d'avoir invité le Centre canadien de ressources à comparaître au sujet du projet de loi C-316. Mon exposé sera très bref.

Nous sommes un organisme national de défense à but non lucratif qui veille à ce que les voix des victimes et des survivants d'actes criminels soient entendues. Nos activités sont axées sur la sécurité publique. De plus, nous nous concentrons généralement sur les crimes graves et violents.

Nous sommes ici dans le but d'offrir notre appui au projet de loi pour deux raisons principales. Tout d'abord, pour des raisons fiscales. En effet, dans notre réalité économique, il est logique de réduire les coûts dans ce domaine et de diriger les dépenses du gouvernement sur les priorités des Canadiens. Même si nous reconnaissons qu'il est important que le Canada offre un filet de sécurité sociale à ses citoyens les plus vulnérables, on doit fixer des limites.

Nous appuyons aussi le projet de loi pour des raisons d'équilibre. En effet, les victimes d'actes criminels et de traumatismes ne peuvent pas prolonger la période de référence de l'assurance-emploi jusqu'à 104 semaines, même si un grand nombre de victimes ne sont pas en mesure de retourner immédiatement au travail ou même si dans certains cas, elles n'y retournent pas du tout après avoir été victimes d'un acte criminel, car elles vivent un deuil, de l'anxiété, un stress post-traumatique, et cetera. Je voulais partager avec vous l'avis des membres de notre conseil, car un grand nombre d'entre eux sont d'avis qu'il n'est pas équitable d'octroyer une prolongation à des personnes qui ont délibérément commis des actes violents et criminels. De plus, nous appuyons les modifications apportées par la Chambre des communes.

Le président : Merci beaucoup. J'invite maintenant mes collègues à poser leurs questions.

Le sénateur Eggleton : On a beaucoup parlé d'équité et de ceux qui étaient lésés. Les gens qui appuient le projet de loi font valoir qu'il est injuste que ces gens aient accès à des mesures auxquelles les citoyens qui n'ont pas désobéi à la loi ne peuvent pas avoir accès. On a cité un cas. Toutefois, un grand nombre de gens ont aussi laissé entendre qu'il était peut-être nécessaire d'accroître les prestations versées aux gens qui sont malades et qui ont besoin d'un appui supplémentaire de l'assurance-emploi. En fait, j'aimerais souligner que notre comité a fait cette recommandation dans son rapport Pauvreté, logement, itinérance : Les trois fronts de la lutte contre l'exclusion.

Il faut aussi se demander si c'est équitable envers les contribuables. En effet, les contribuables assumeront les coûts supplémentaires, car s'ils ne viennent pas de l'assurance-emploi, qui est un système fondé sur la cotisation, ils reviendront en grande partie aux contribuables. Est-ce équitable envers les contribuables? Est-ce équitable envers la population?

Comme l'ont dit les témoins précédents, si ces gens sont marginalisés au point où ils ont l'impression qu'il n'y a plus d'espoir, il est fort probable qu'ils se tournent vers la criminalité, et un plus grand nombre d'actes criminels signifie plus de victimes. Est-ce logique? Ce n'est pas équitable envers les victimes, surtout envers les futures victimes.

Pourriez-vous commenter la question de l'injustice?

Mme Gilmour : En ce qui concerne l'équité, le projet de loi propose d'éliminer les prestations d'assurance-emploi auxquelles ont accès les gens qui sortent de prison. Il ne dit rien au sujet des victimes. Si on envisageait d'augmenter les prestations d'assurance-emploi pour ce groupe de gens, nous offririons notre soutien.

Nous n'appuyons pas le fait d'éliminer l'un des peu nombreux soutiens à la réinsertion offerts aux gens qui sortent de prison. Les études menées par le système pénal montrent qu'il coûte environ 140 000 $ par année pour subvenir aux besoins d'une personne dans un pénitencier fédéral. Si nous éliminons le soutien accessible à ces personnes et que nous ne leur laissons pas d'autre choix que d'avoir recours à la criminalité, les gens devront payer encore plus cher à long terme. Si vous examinez la question d'un point de vue purement économique, quelques semaines ou quelques mois de prestations d'assurance-emploi qui viennent d'un système auquel ces gens ont déjà contribué coûtent beaucoup moins cher à notre société.

Du point de vue de l'équité, Centraide appuie l'idée de prolonger les prestations d'assurance-emploi pour les victimes d'actes criminels. Nous savons qu'ils forment un groupe vulnérable.

En ce qui concerne la question de la double pénalisation qui a été abordée par les témoins précédents, on commence à mélanger les sanctions criminelles et civiles et à notre avis, cela ne correspond pas aux intentions de notre système de justice.

Mme Illingworth : Je suis d'accord avec le fait que le projet de loi ne parle pas du tout des victimes, alors c'est difficile. Je sais que les autres groupes qui ont comparu avant nous aujourd'hui ont bien défendu les besoins de ceux qui ont eu des démêlés avec la justice.

J'aimerais répéter ce que j'ai dit dans mon exposé, c'est-à-dire qu'il semble que dans le système de justice, on s'occupe souvent de ceux qui ont commis des actes criminels, mais on ne tient pas compte des besoins des victimes. J'aimerais insister sur ce point.

Le sénateur Eggleton : Je comprends qu'il faut parler des victimes d'actes criminels. À mon avis, le gouvernement devrait en faire plus pour aider les victimes. Cela ne fait aucun doute.

Toutefois, le projet de loi semble vouloir éliminer des services plutôt que d'offrir de l'aide. L'élimination de ces services donne moins d'espoir aux personnes qui se retrouvent dans le système carcéral. Nous parlons de gens qui purgent des peines de deux ans et moins; nous ne parlons pas des criminels endurcis qui purgent des peines de plus de deux ans. Nous parlons de peines plus courtes. Un grand nombre de ces personnes, comme on nous l'a dit, ont des problèmes liés à la pauvreté; certaines d'entre elles ne peuvent même pas payer les amendes.

Qu'est-ce qui est dans l'intérêt du public? N'est-ce pas dans l'intérêt du public de tenter de mieux prévenir les crimes, d'appuyer les victimes d'actes criminels et d'empêcher qu'il y ait d'autres victimes?

Mme Illingworth : C'est ce que je pense; oui, c'est dans l'intérêt public. Notre organisme souhaite vraiment trouver des moyens d'augmenter le financement pour prévenir la criminalité. Pour qu'il n'y ait pas de victimes, faisons de la prévention.

Je pense que le projet de loi dépasse un peu notre cadre, car nous nous concentrons plutôt sur les crimes graves et violents. Nous croyons que les gens qui sont en prison pour des raisons liées à la pauvreté ou aux exemples qu'a donnés Mme Gilmour concernant des mères, ont besoin de cette aide supplémentaire à leur sortie de prison.

La sénatrice Merchant : Madame Illingworth, je pense que ce n'est pas évident pour vous. Nous avons entendu tellement d'histoires touchantes concernant l'autre côté, et je vous remercie beaucoup de votre présence.

Ma question ressemblait à cela. Centraide Calgary a fait une étude de cas sur la complexité de l'intégration. Pourriez-vous nous dire ce qu'elle a révélé sur la complexité de la réintégration des femmes sur le marché du travail? Vous avez fait une étude et j'aimerais en savoir davantage à ce sujet.

Mme Gilmour : C'était notre projet pilote sur l'intervention familiale. Il s'agissait d'étudier les cas de femmes qui sortaient du système de justice et qui avaient commis des délits mineurs ou des crimes moins graves. Selon notre hypothèse, si nous fournissions un encadrement complet, ces femmes pourraient se réintégrer plus vite et d'une meilleure façon, et ce serait également mieux pour leur famille.

Même si nous avions ajouté un agent chargé du cas et que nous faisions appel à une demi-douzaine d'organismes que nous finançons afin de les aider davantage, c'était tout de même extrêmement difficile. Bon nombre de ces femmes souffraient de troubles de santé mentale. Encore une fois, comme l'ont dit d'autres témoins, une fois qu'on a un dossier criminel, même se trouver un appartement est difficile. Il semble que chaque étape constitue un obstacle. Même en étant accompagnées par un agent chargé du cas pendant tout leur parcours, ces femmes ont eu beaucoup de difficultés à se réintégrer à la société et à se remettre sur pied.

En retirant de l'aide, nous fermons les portes. Lorsqu'on ne leur donne pas d'autres possibilités, ces personnes sont parfois forcées de retourner à la criminalité, car elles n'ont pas d'autres choix, ce qui fait augmenter les coûts et le nombre de victimes.

Tout à l'heure, il était question des propos du parrain du projet de loi, qui a dit que l'aide offerte était suffisante dans la collectivité. Ce n'est pas du tout le cas. Toutes les villes au pays comptent des gens vulnérables qui sont dans une situation désespérée. À l'heure actuelle, l'aide dans les collectivités est insuffisante; le fédéral, les provinces et les municipalités refilent une partie des programmes d'aide au secteur sans but lucratif. Il est illusoire de croire que les choses s'amélioreront, car ce n'est pas le cas. De plus en plus de gens sont laissés pour compte.

Le sénateur Enverga : Ma question s'adresse davantage au témoin précédent, mais je pense que vous serez en mesure d'y répondre. Je crois que tout le monde a droit à une seconde chance, et j'ai remarqué que le projet de loi n'a des répercussions que pour les gens qui sont incarcérés pendant au moins un an. Une personne incarcérée pendant un an a commis un crime grave, qui a de grandes répercussions sur les victimes.

Dans le cadre du projet de loi, nous tentons de tout équilibrer. Je réfléchissais aux conséquences qu'ont les crimes sur les victimes — et je veux avoir votre avis. Est-il juste que la personne déclarée coupable ait une vie normale à sa sortie de prison parce qu'elle reçoit de l'assurance-emploi, alors que la victime n'est pas capable de bien fonctionner? Il doit y avoir des cas de ce genre. Elle ne peut pas avoir une vie normale parce qu'elle a été victime d'un crime. Je ne crois pas que ce soit juste.

Pouvez-vous nous donner votre point de vue? Est-il juste que la personne déclarée coupable ait une vie normale en sortant de prison alors que la victime souffre encore du crime qu'elle a subi? J'espère que vous êtes en mesure de répondre à ces questions.

Mme Illingworth : Dans le cadre de notre intervention auprès des survivants, nous constatons que les crimes coûtent très cher. Au sein des familles, ils font des ravages sur les plans financier, émotif et psychologique. Ils causent beaucoup de dommages.

Tous les ans, on fait des recherches sur le coût de la criminalité au Canada. C'est énorme, surtout pour les actes criminels graves et violents, ce dont il est question ici. Dans certains cas, des membres de la famille sont incapables de retourner au travail parce qu'ils sont trop traumatisés, anxieux et qu'ils ne dorment pas bien. Certaines personnes nous disent à quel point cela coûte cher : frais d'avocat, perte d'emploi, coût des soins de santé, difficultés psychologiques. Les services d'un psychologue, qui aide pendant une longue période les victimes à se remettre de l'événement traumatisant qu'elles ont vécu, coûtent très cher.

Notre organisme est d'avis que nous n'en faisons pas assez au pays pour aider les victimes à se remettre d'un crime, à se réintégrer et à vivre une vie normale après les événements. Nous aimerions que l'encadrement offert aux délinquants qui réintègrent la société soit aussi offert aux victimes.

Le sénateur Enverga : Avez-vous rencontré des victimes qui ne pouvaient pas fonctionner de façon normale dans la société? Comment se sentent-elles lorsqu'elles apprennent que l'auteur du crime reçoit des prestations d'assurance- emploi et mène une vie normale? Avez-vous rencontré des victimes qui sont dans cette situation?

Mme Illingworth : Pas directement en ce qui concerne des délinquants qui reçoivent des prestations d'assurance- emploi, mais bon nombre de victimes — pas toutes — ont l'impression qu'au pays, on aide beaucoup plus les délinquants à se réintégrer que les victimes.

Le sénateur Enverga : Pensez-vous que la victime se sentira mieux si le criminel ne reçoit pas d'assurance-emploi et qu'elle trouvera cela plus juste?

Mme Illingworth : C'est possible. Bon nombre de victimes ont l'impression que la situation est injuste. Il n'en est pas de même dans tous les cas. Certaines victimes veulent que les délinquants se fassent pardonner les torts qu'ils ont causés, reviennent dans la société et ne fassent de mal à personne d'autre. Elles ne souhaitent pas toutes que la personne soit emprisonnée à vie ou qu'elle subisse de lourdes conséquences.

La sénatrice Martin : Je vous remercie de votre présence. Il est clair que même depuis le début, nous avons une personne qui représente les familles des victimes, qui défend les victimes. Nous parlons des mesures législatives pour diverses raisons. Nous parlons de « l'autre côté » ou de « ce côté », mais je suis ravie de votre présence aujourd'hui.

Pour ce qui est des personnes qui souffrent de maladie mentale, dans le cadre du système actuel, l'attention peut être entièrement portée vers elles. Les victimes, les familles et les personnes touchées ne sont pas oubliées, mais il semble que l'accent est mis sur le criminel ou la personne qui a des troubles de santé mentale. Pour différentes raisons, nous voulons que ces choses se règlent, mais je veux reconnaître l'importance de votre participation à nos débats sur le projet de loi.

Madame Gilmour, ma question porte sur les mères célibataires ou les femmes qui se trouvent dans diverses situations de vulnérabilité et de pauvreté dont vous avez parlé. Notre société doit penser à l'ensemble du système et aux façons dont nous pouvons encadrer les plus vulnérables. Toutefois, combien de ces femmes ont des emplois à temps plein, ou ont accumulé des heures travaillées, à votre avis?

Je crois comprendre que les dispositions du projet de loi n'ont pas beaucoup de répercussions sur les exemples mentionnés, mais plutôt sur les gens qui ont cotisé à l'assurance-emploi, qui avaient un emploi. Souvent, ceux qui souffrent de maladie mentale ne sont pas capables de travailler. Je parle en connaissance de cause ici.

Je veux dire qu'il faut que notre société s'occupe de l'ensemble des Canadiens. Toutefois, je me demande si le projet de loi aurait des répercussions sur les exemples que vous donnez et quelle proportion cela représenterait, car nous avons entendu différentes statistiques. Ce qui est très important de mentionner, c'est que souvent, dans ces cas, les gens sont sans emploi, n'ont pas payé et ne seraient pas admissibles aux prestations.

Mme Gilmour : Notre étude n'est pas quantitative. Centraide n'est pas un organisme qui défend les personnes qui sortent de prison ou les victimes de crime. Nous défendons tous les gens vulnérables. Nous appuierions grandement l'ajout de mesures d'aide pour les victimes. Bon nombre de nos organismes en fournissent. Nous finançons un grand nombre d'organismes qui offrent des services de consultation aux Canadiens à faible revenu et qui fournissent des logements à des victimes. Nous travaillons dans les deux volets.

Pour ce qui est des particularités des femmes qui ont fait l'objet de l'étude, j'ignore combien d'entre elles ont travaillé suffisamment d'heures pour avoir droit à l'assurance-chômage. Ce que je sais, c'est que lorsqu'on retire de l'aide, les gens se retrouvent toujours avec moins d'options. Même si cela ne touche qu'une petite proportion, un plus grand nombre de gens sont laissés pour compte. D'autres témoins ont donné des statistiques à ce sujet. Puisque nous n'avions pas le projet de loi, nous n'avons pas évalué cet aspect et n'avons pas demandé aux personnes si elles étaient admissibles à l'assurance-emploi parce qu'elles ont cumulé suffisamment d'heures. Je crains ne pas pouvoir répondre à la question. Cependant, chaque fois qu'on retire de l'aide, le nombre de victimes et de crimes augmente.

La sénatrice Martin : J'insiste sur le fait que les exemples que nous avons entendus sont tous graves et qu'en tant que membres de la société, il nous faut nous attaquer à bon nombre de ces problèmes. Toutefois, je crois qu'en ce qui concerne les dispositions du projet de loi — surtout, en rendant le système plus efficace et équitable —, le parrain du projet de loi a clairement expliqué ce qui l'a incité à préparer les mesures législatives. J'essayais de déterminer qui seraient visés par ces mesures.

Quoi qu'il en soit, je rends hommage aux organismes qui sont venus témoigner, dont les vôtres, pour ce qu'ils font. Je sais que votre travail a une portée considérable et que nous devons continuer à soutenir des groupes comme les vôtres, et il existe des initiatives à cet égard.

Madame Illingworth, je ne vous demande pas nécessairement de répondre à la question, mais j'aimerais bien savoir si vous avez quelque chose à ajouter sur ce que j'ai dit. À plusieurs reprises, j'ai souligné la question essentielle de la santé mentale. En tant que porte-parole des victimes et compte tenu du fait que vous œuvrez pour la défense des droits, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Illingworth : En étudiant le projet de loi, nous nous sommes également demandé combien de personnes seraient touchées. Si une personne a travaillé suffisamment d'heures pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi, qu'elle commet un crime et se retrouve en prison, selon notre expérience, je ne peux pas m'imaginer qu'il y aurait beaucoup de cas au pays chaque année. Ce serait peut-être plutôt dans des situations de délit mineur où une personne est établie dans la collectivité et a un comportement prosocial et qu'un événement vient perturber un peu les choses.

La santé mentale est un enjeu de grande importance au pays. Nous savons que c'en est un pour les gens dans la rue, pour notre système carcéral et pour les victimes de crimes et les survivants. C'est un enjeu majeur, et nous savons qu'il n'y a pas assez de personnes qui obtiennent l'aide et le soutien dont elles ont besoin pour se rétablir, être bien et devenir des citoyens productifs.

Mme Gilmour : J'aimerais ajouter que le projet de loi n'a aucune répercussion sur les gens qui se sont retrouvés devant la justice et qui ne travaillaient pas. Il pourrait en avoir sur les gens qui étaient au travail — s'ils avaient des problèmes de santé mentale, ils étaient capables de les gérer et de garder leur emploi. Ces personnes sont les plus susceptibles d'être réintégrées à la société. Si elles avaient un emploi auparavant et qu'elles peuvent avoir de l'aide pendant quelques semaines ou quelques mois pour se remettre sur pied et retourner sur le marché du travail, nous donnerions notre appui. Au contraire, le projet de loi leur nuit parce que bien souvent, lorsqu'elles sortent de prison, elles n'ont pas de foyer. C'est difficile d'obtenir un emploi lorsqu'on n'a pas d'adresse. Bien d'autres recherches de Centraide nous l'ont indiqué. Quand on n'a pas d'adresse, il est difficile d'ouvrir un compte bancaire et de faire un dépôt direct.

Lorsqu'on retire de l'aide, il y a un effet domino. Les gens qui étaient aptes à travailler constituent probablement le groupe qui pourra le mieux se réintégrer rapidement, et le projet de loi va à l'encontre de cela.

La sénatrice Seth : Je remercie tous les témoins. Vous avez fait des exposés très intéressants. J'essaie de comprendre de quelle façon nous pouvons offrir un traitement équitable pour les citoyens respectueux des lois et les gens qui ont commis les crimes.

Le projet de loi ne retire rien aux criminels. C'est seulement que nous n'accordons pas de prolongation. Nous tentons de montrer qu'il y a une différence entre deux groupes de gens.

Comme vous le savez, bien des Canadiens respectueux des lois ont de la difficulté à se remettre sur pied après avoir perdu un emploi. Pourquoi des criminels devraient bénéficier d'un accès préférentiel aux prestations d'assurance- emploi par rapport aux Canadiens honnêtes? Nous n'avons rien fait dans le projet de loi pour causer du tort à qui que ce soit.

Je comprends que vous travaillez avec des gens vulnérables et que vous vous penchez sur la question. Quelle proportion de criminels — vous leur donnez des conseils lorsqu'il y a un problème — se cherchent du travail à leur sortie de prison? Comment s'intègrent-ils à la société? Que se passe-t-il?

Mme Gilmour : Souvent, lorsqu'une personne sort de prison, on lui donne des billets d'autobus et on la conduit à une station du CTrain; c'est tout. Elle n'a pas de foyer, ni d'emploi. Parfois, elle n'a même pas de pièce d'identité, et nous essayons donc de créer un système où ces gens ont au moins ce soutien de base. Si on libère des gens et qu'on va jusqu'à leur enlever cette aide de base, on crée parfois un système où ils sont forcés de se mettre en mode survie, ce qui peut les amener à participer à des activités illégales ou quasi illégales pour subvenir à leurs besoins.

Nous demandons au Sénat de s'opposer au projet de loi, qui enlève à ces gens l'accès à l'assurance-emploi, à laquelle ils ont déjà contribué. S'ils n'ont pas cotisé au régime, ils ne seront pas capables de recevoir des prestations. C'est tout simplement un programme d'assurance.

Selon nos principes de justice, une personne qui a commis un crime et qui a fait de la prison a payé sa dette envers la société. Le projet de loi supprime un programme d'assurance. Nous ne supprimons pas les soins de santé. Nous essayons de réintégrer socialement ces personnes pour éviter qu'elles commettent d'autres crimes et finissent dans un pénitencier fédéral, ce qui coûte beaucoup plus cher à notre société que des prestations d'assurance-emploi.

La sénatrice Seth : Nous ne leur enlevons pas leurs prestations d'assurance-emploi. Nous supprimons seulement la prolongation, car ils ont des privilèges que les citoyens qui n'ont pas commis de crime n'ont pas. Pourquoi leur accordons-nous un traitement de faveur? Je ne comprends pas. Pourriez-vous m'expliquer pourquoi ces gens devraient avoir des privilèges que les citoyens qui respectent la loi et qui font de leur mieux n'ont pas?

Mme Gilmour : Centraide vient en aide à toutes les populations vulnérables. Nous serions les premiers à appuyer un projet de loi qui viserait à offrir plus de services en santé mentale à tous les Canadiens, tous les citoyens respectueux de la loi, car la plupart des gens vulnérables que nous représentons n'ont jamais commis de crime. Nos campagnes de financement et nos organismes ont pour but d'aider des populations vulnérables et des citoyens respectueux de la loi à se reprendre en main.

En ce qui a trait à ce projet de loi, nous demandons au gouvernement de continuer à aider les gens qui ont commis un crime pour qu'ils puissent eux aussi se reprendre en main.

La sénatrice Cordy : Il faut se rappeler que les prestations d'assurance-emploi ne sont pas un don. Ce ne sont pas un don du gouvernement. Il s'agit d'un programme à cotisations. Si une personne n'a pas versé de cotisations à l'assurance-emploi, elle n'a pas droit à des prestations. Ce ne sont donc pas tous les détenus qui sont admissibles à des prestations s'ils n'ont pas cotisé depuis une période déterminée.

Il faut se rappeler de plus que le projet de loi s'applique à des gens qui ont commis des crimes mineurs, des gens qui sont montés à bord du CTrain sans payer ou qui n'ont pas payé une amende, et cetera. On ne parle pas ici des détenus dans les prisons fédérales. On ne parle pas de crimes graves. On parle de crimes mineurs.

Nous avons entendu de nombreuses questions au sujet des victimes de crime, et nous sommes tous d'avis que le gouvernement devrait mettre plus de programmes en place pour les aider. Elles ont vécu des choses épouvantables. Est- ce que ce projet de loi vient en aide aux victimes de crime? Si oui, comment?

Mme Illingworth : Comme je l'ai mentionné précédemment, ce projet de loi ne s'applique pas précisément aux victimes. Toutefois, on nous a demandé de faire valoir le point que les victimes font partie de l'équation lorsqu'il y a un crime. Le groupe que je représente, les membres de notre conseil d'administration, sont d'avis qu'il est injuste que ceux qui ont commis un crime puissent profiter de cette prolongation. C'est l'opinion dont je suis venue vous faire part aujourd'hui.

Mme Gilmour : Je crois que ce projet de loi accroîtra en fait le nombre de victimes et qu'il nuira à la sécurité des Canadiens qui pourraient tous être des victimes. Si ce projet de loi est adopté, il aura pour effet de retirer un soutien à des gens qui travaillaient avant leur séjour en prison et qui sont sans doute les plus aptes à réintégrer le marché du travail; si vous leur retirez cette possibilité, cette aide, vous les forcerez à se tourner vers la criminalité, et il y aura plus de victimes. À mon avis, le projet de loi fera augmenter, et non diminuer, le nombre de victimes.

La sénatrice Cordy : Il serait sans doute préférable alors d'avoir un projet de loi qui servirait mieux la société et les victimes de crime et qui ne pénaliserait pas doublement les gens qui ont commis des crimes mineurs. Qu'en pensez- vous?

Mme Gilmour : Je suis tout à fait d'accord. Comme je l'ai mentionné, toutes les organisations Centraide défendent les populations vulnérables. De nombreux groupes ont besoin d'aide et de soutien pour se reprendre en main, et ce projet de loi aura pour effet de les en empêcher.

Mme Illingworth : Nous aimerions beaucoup, et je suis d'accord avec vous sur ce point, voir plus de lois axées sur les besoins des victimes, des lois qui permettraient d'y répondre concrètement. Je comprends que certains considèrent que ce qu'on prend d'une main a des répercussions sur d'autres. Au pays, malheureusement, ce sont très souvent les victimes qui n'ont pas voix au chapitre. Il est très difficile pour quelqu'un qui a subi un traumatisme grave d'éprouver un sentiment de justice.

Je tiens donc à répéter que les membres de notre conseil d'administration s'inquiètent de la prolongation qui est accordée aux gens qui ont commis un crime, même s'il s'agit principalement de crimes mineurs.

La sénatrice Cordy : On parle d'une prolongation, mais il s'agit en fait d'un report. Les prestations peuvent être reportées sur une plus longue période de temps.

Nous avons tous déjà entendu l'expression « Un crime entraîne un châtiment ». Nous pensons tous, certainement, que tout crime doit être sanctionné d'une peine de prison ou d'une amende. Toutefois, devrait-on pénaliser la personne qu'on envoie en prison parce qu'elle est pauvre ou n'est pas en mesure de payer une amende? Nous avons entendu la représentante de la Société John Howard nous dire qu'en Nouvelle-Écosse, 40 p. 100 des détenus sont en prison parce qu'ils n'ont pas pu payer une amende, parce qu'ils n'ont pas payé leur billet de CTrain, bref, parce qu'ils sont pauvres.

Devrait-on pénaliser les pauvres deux fois, une fois en les envoyant en prison pour leur crime, et une autre fois en les privant des prestations auxquelles ils ont droit? Devrait-on pénaliser les pauvres? Ce sont eux qui sont les plus touchés. Ce sont eux qui ne sont pas en mesure de payer leurs amendes. Ce sont eux qu'on envoie en prison pour cette raison. Ce sont eux qui n'ont pas les moyens de s'acheter un billet de CTrain, qu'on envoie en prison et qu'on prive ensuite de leurs prestations d'assurance-emploi. On les pénalise donc deux fois. Devrait-on pénaliser les pauvres?

Mme Illingworth : Non, nous ne devrions pas pénaliser les pauvres. Nous avons besoin de programmes sociaux au Canada qui aideront les gens à garder leur maison.

Je ne veux pas entrer dans les détails. Je ne sais pas combien de personnes sont en prison pour ne pas avoir payé une amende. Toutefois, une personne qui travaille et qui cotise à l'assurance-emploi devrait normalement être en mesure de payer une amende et d'éviter d'aller en prison.

La sénatrice Cordy : Les prestataires de l'assurance-emploi ne reçoivent pas beaucoup d'argent.

Mme Illingworth : Non, mais si vous travaillez et que vous recevez une amende dans la communauté, je me demande quel genre d'amende peut bien vous envoyer en prison. Il y a un manque de logique ici.

J'ajouterais également que les peines de moins de deux ans ne sont pas liées uniquement à des crimes mineurs. Beaucoup d'agresseurs sexuels au pays qui ont causé des torts immenses à de nombreuses victimes sur de nombreuses années reçoivent des peines d'emprisonnement de deux ans moins un jour.

Mme Gilmour : Nous savons que les tribunaux de Calgary consacrent entre 25 et 40 p. 100 de leur temps à ce qu'ils appellent des « crimes contre les tribunaux », c'est-à-dire une amende impayée, une rencontre ratée avec un agent de probation, et cetera. C'est la perpétuation du crime commis qui se poursuit dans le système judiciaire. Nous collaborons avec le gouvernement provincial pour remédier à de nombreux problèmes de ce genre. Il s'agit même parfois d'une mère qui ne peut pas rencontrer son agent de probation le jour parce qu'elle travaille ou n'a pas de gardienne.

La situation ne peut que dégénérer. Nous savons que les gens qui se trouvent dans ces situations proviennent souvent de milieux pauvres. Nous savons aussi que la personne qui ne peut pas satisfaire ses besoins de base a moins d'options. Elle peut faire les mauvais choix et se retrouver en prison.

Nous croyons donc que ce projet de loi entraîne une double pénalité, parce qu'après avoir payé sa dette à la société, la personne est privée de soutien à sa sortie de prison. Encore une fois, nous croyons que cela nuira à sa réintégration et risque de mener à plus de crimes et plus de victimes.

Le président : Au nom de mes collègues, je veux remercier nos témoins de leur présence aujourd'hui. La société tente de faire des progrès, de régler des problèmes, mais ce n'est pas facile. Vous nous avez assurément aidés à élargir notre compréhension de la question. Je tiens à remercier mes collègues de leurs questions.

(La séance est levée.)


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