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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 19 - Témoignages du 4 novembre 2014


OTTAWA, le mardi 4 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 32, pour entreprendre son étude sur les priorités du secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Français]

Le président : Je m'appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis le président du comité.

[Traduction]

J'invite tous les sénateurs à se présenter.

La sénatrice Merchant : Bonsoir. Je m'appelle Pana Merchant, sénatrice de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Je m'appelle Fernand Robichaud, sénateur du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, sénateur de l'Ontario.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, sénatrice de l'Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, sénateur de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Betty Unger, sénatrice de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci, honorables sénateurs.

Le comité entreprend ce soir son étude sur les priorités du secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux. Le secteur agricole et agroalimentaire canadien joue un rôle très important dans l'économie canadienne. En 2012, un travailleur sur huit au pays, soit plus de 2,1 millions de personnes, était employé dans ce secteur, qui comptait pour près de 6,7 p. 100 du produit intérieur brut du Canada. À l'échelle internationale, 3,6 p. 100 des exportations mondiales de produits agroalimentaires provenaient du secteur agricole et agroalimentaire canadien en 2012.

[Français]

En 2012, le Canada a été le cinquième plus important exportateur de produits agroalimentaires au monde.

[Traduction]

Honorables sénateurs, ce soir, nous avons un premier groupe de deux témoins. Nous accueillons Ron Bonnett, président de la Fédération canadienne de l'agriculture. Merci, monsieur, d'avoir accepté notre invitation. Il y a également Errol Halkai, directeur exécutif intérimaire de la Fédération canadienne de l'agriculture.

M. Bonnett fera le premier exposé, puis les sénateurs poseront des questions.

Ron Bonnett, président, Fédération canadienne de l'agriculture : Merci de l'invitation. Je suis heureux de comparaître devant le comité. Je viens d'examiner le rapport que vous avez produit au sujet de l'innovation et de certains aspects qui s'y rattachent. C'est un sujet en lien avec la discussion que vous aurez à propos du commerce international.

La plupart d'entre vous connaissent la Fédération canadienne de l'agriculture. Nous représentons des producteurs de l'ensemble du pays. Nous travaillons en étroite collaboration avec d'autres groupes du secteur agricole, notamment des transformateurs d'aliments, en vue d'établir une stratégie et une ligne de conduite qui tiennent compte des attentes non seulement du secteur agricole, mais également des transformateurs et des autres intervenants du système.

Mon exposé portera principalement sur trois aspects, et j'essaierai d'être bref afin de laisser du temps pour des questions. Je vais d'abord parler des négociations commerciales multilatérales, puis des négociations bilatérales et des priorités qui s'y rattachent, et ensuite, de la préparation au marché et de la façon dont nous pouvons tirer profit des accords commerciaux en cours de négociation.

Tout d'abord, la Fédération canadienne de l'agriculture est favorable à l'approche équilibrée que le Canada a fait valoir dans le cadre des négociations. Je ne crois pas qu'elle soit différente de la position défendue par bien d'autres pays, dont l'approche est à la fois offensive et défensive. La position du Canada ressemble à celle d'autres pays dans la mesure où le Canada compte protéger certains secteurs qu'il ne veut pas laisser à eux-mêmes. Les autres pays ont des intérêts similaires. Si ces accords commerciaux pouvaient être avantageux pour toutes les parties, les gens seraient prêts à les accepter.

Malgré les difficultés à conclure des ententes, je crois que la Fédération canadienne de l'agriculture perçoit encore l'Organisation mondiale du commerce comme le principal organisme capable d'amener tous les pays à s'entendre. La difficulté à obtenir des ententes a causé énormément de frustration, et même avec les mesures limitées qui ont été approuvées plus récemment, à Bali, en décembre dernier, nous sommes essentiellement dans une impasse. Soulignons que, dans le cadre de ces négociations, l'Inde avait approuvé les mesures adoptées à Bali, mais depuis les élections, l'Inde s'y oppose. Lorsqu'on prend part à des négociations, qu'elles soient bilatérales ou multilatérales, il faut notamment faire en sorte que ceux qui approuvent ces ententes s'engagent à les appliquer afin qu'elles ne puissent pas être rejetées après les prochaines élections. Les investisseurs qui cherchent à accroître les échanges commerciaux ont besoin d'une entente non pas de 5 ans, mais de 15, 20 ou 30 ans. Je crois que c'est essentiel.

N'oublions pas également que l'OMC est plus qu'un organisme de négociation. Elle participe également à la résolution de conflits. La question de l'étiquetage indiquant le pays d'origine, aux États-Unis, est un exemple de dossier pour lequel nous avons suivi le processus et obtenu une décision favorable. Cela fait partie des mesures que l'OMC peut continuer de mettre en œuvre. En raison des dépenses et du temps que les groupes de producteurs et les gouvernements doivent consacrer au processus d'appel, il faudrait peut-être revoir ce dernier afin de trouver des façons de le simplifier.

Lors des négociations multilatérales, il faudrait se pencher également sur d'autres barrières non tarifaires. Selon un rapport récent de l'Institut canadien des politiques agroalimentaires, ou ICPA, les barrières non tarifaires pourraient être encore plus nuisibles pour le commerce que les barrières tarifaires.

Pour ce qui est des accords bilatéraux, plusieurs sont en cours de négociation. L'AECG vient d'être signé. Il faudra probablement attendre quelques années avant sa mise en œuvre. Je crois qu'il pourrait ouvrir l'accès aux marchés, mais nous aimerions notamment souligner que cet accord prévoyait des contingents tarifaires visant à gérer l'accès aux marchés. Cependant, l'Europe craignait qu'il y ait un dumping de produits canadiens sur ses marchés. Lors de négociations commerciales, il faut se pencher non seulement sur la réduction tarifaire, mais aussi sur d'autres mesures comme les contingents tarifaires afin de déterminer si on peut faciliter l'accès aux marchés.

À notre avis, nous devons désormais concentrer nos négociations dans les régions qui offrent le plus de possibilités. Actuellement, l'Asie est l'une des régions qui se développent le plus. Nous avons récemment signé avec la Corée un accord qui peut accroître notre part de marché. Cependant, n'oublions pas que les États-Unis sont arrivés avant nous, et qu'ils nous ont ravi une part de ce marché. Il est important d'en tenir compte.

Dans cette région, les deux principaux pays sont le Japon et la Chine. Je proposerais qu'on entame des négociations avec le Japon le plus tôt possible, que le partenariat transpacifique se concrétise ou non. Aujourd'hui, tout le monde attend les résultats des élections aux États-Unis, car selon l'issue du scrutin, il se pourrait soit que le partenariat transpacifique se concrétise, soit que, pendant un certain temps, le président ne dispose pas du pouvoir nécessaire pour faire avancer les négociations.

Enfin, j'aimerais parler de la préparation au marché. Nous devons déterminer ce que nous ferons une fois que ces accords commerciaux seront appliqués, car dès qu'ils entreront en vigueur, les portes seront ouvertes. Nous devons commencer à réfléchir aux façons de préparer l'industrie canadienne à saisir une part de ces marchés. Je pourrais citer ma propre industrie comme exemple. Je suis producteur de bœuf. Le bœuf exporté en Europe devra être sans hormones. Il faudra donc créer des programmes de certification. Tous les intervenants de la chaîne de commercialisation, y compris les producteurs, devront travailler ensemble.

Nous devons notamment examiner toute la chaîne d'approvisionnement afin de déterminer comment nous pouvons lui permettre de saisir les débouchés.

Par ailleurs, pour revenir à la question des barrières non tarifaires, il faudrait se pencher sur la façon de composer avec d'autres obstacles que les barrières tarifaires. Fait intéressant, lors d'une réunion à laquelle nous avons participé, il y a une semaine, nous avons appris que Taïwan s'attendait à ce qu'il y ait deux fois plus d'importations de bœuf canadien cette année par rapport à l'année dernière. La seule raison citée est l'élimination des barrières tarifaires visant le bœuf non désossé, qui a soudainement ouvert le marché à ce produit.

En résumé, lors des négociations commerciales, nous devons continuer de défendre une approche commerciale équilibrée, car cela permet de parvenir à une entente avantageuse pour tous les pays.

Je ne crois pas que nous devrions cesser de recourir à l'OMC. Elle devrait demeurer le principal organisme de négociation, mais nous devrions continuer à trouver des façons de simplifier le processus de résolution des conflits, et à nous pencher sur les problèmes liés aux barrières non tarifaires.

Pour ce qui est de la négociation des accords bilatéraux, comme je l'ai dit plus tôt, nous devrions nous concentrer sur les pays qui nous en donnent plus pour notre argent, c'est-à-dire le Japon et la Chine.

Enfin, il faut élaborer une stratégie qui vise à ouvrir l'accès au marché en amenant les intervenants de l'industrie canadienne à travailler en collaboration afin de saisir des débouchés.

Voilà qui conclut mes observations. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Robichaud : Merci de votre exposé. Vous avez dit être un producteur de bœuf. Dois-je comprendre que vous utilisez des hormones à différentes étapes de votre production?

M. Bonnett : En ce qui me concerne, je n'en utilise pas, puisque j'ai développé un marché qui me permet d'obtenir une sorte de prime parce que je n'en utilise pas. Il faut dire, cependant, que j'ai établi ma propre chaîne d'approvisionnement.

Le sénateur Robichaud : D'accord, mais votre cas est exceptionnel, n'est-ce pas?

M. Bonnett : C'est vrai.

Le sénateur Robichaud : Combien de personnes produisent du bœuf sans hormones?

M. Bonnett : Il y en a peu, surtout en raison de la différence de rendement au chapitre de l'engraissement des animaux.

Le sénateur Robichaud : Pour ce qui est de prouver que vous produisez du bœuf sans hormones, est-ce que votre méthode de production actuelle serait généralement acceptable sur le marché européen?

M. Bonnett : Je ne peux dire si c'est le cas ou non, puisqu'il n'y a pas de tiers indépendant pour vérifier ma production. Je fournis cependant des déclarations sous serment à mes acheteurs, qui peuvent consulter mes dossiers vétérinaires pour voir ce que j'ai produit. Cependant, il n'y a pas de tiers indépendant pour vérifier ma production.

Voilà le genre de questions sur lesquelles il faut se pencher, car si nous voulons accéder aux marchés européens, il nous faut d'abord assurer une masse critique, puisque pour réussir, il faut du volume. En outre, il faudra un processus d'approbation qui soit reconnu par l'entreprise en question. Enfin, il faudra également prévoir des primes pour inciter les producteurs à fournir les efforts supplémentaires qui seront nécessaires pour accéder à ces marchés.

Le sénateur Robichaud : Comment votre bœuf se compare-t-il à celui vendu en Europe, qui est supposément sans hormones?

M. Bonnett : Je ne pense pas qu'il y aurait la moindre différence. À vrai dire, je ne crois pas qu'il y ait une grande différence entre le bœuf produit avec des hormones et le bœuf sans hormones, puisque ça ne se voit pas dans le produit final.

Le sénateur Robichaud : Je parle du prix par livre.

M. Bonnett : Actuellement, j'obtiens une prime d'environ 30 p. 100 par livre qui vaut la peine que je me donne pour l'obtenir. Évidemment, au cours des derniers mois, le prix du bœuf a beaucoup changé.

Le sénateur Robichaud : Oui. Vous connaissez une très bonne année.

M. Bonnett : Une très bonne année, en effet.

Le sénateur Robichaud : J'ai appris qu'un agriculteur de ma province qui produit du bœuf, M. Donohoe, a été déclaré agriculteur de l'année au Nouveau-Brunswick. Il disait que ses affaires allaient bien.

Combien d'autres producteurs sont dans la même situation? Vous dites qu'ils sont peu nombreux, mais combien sont-ils?

M. Bonnett : Je ne dirais pas qu'ils sont très nombreux, mais le marché du bœuf sans hormones est très limité. Ce n'est pas un énorme marché.

Le sénateur Robichaud : Pour les autres producteurs qui, actuellement, ne font pas de bœuf sans hormones, combien de temps faudrait-il pour se classer dans cette catégorie?

M. Bonnett : Cela dépend du prix qu'on leur offre. Si ça en valait la peine, ils changeraient leur système de production. C'est le marché qui déterminera si le bœuf sera produit sans hormones ou selon la méthode actuellement adoptée par la majorité, et c'est l'un des aspects dont tous ces accords commerciaux doivent tenir compte. Si les indices du marché vont dans un sens, les modèles de production changeront en conséquence.

Errol Halkai, directeur exécutif intérimaire, Fédération canadienne de l'agriculture : L'autre facteur à considérer, c'est le contingent tarifaire qui s'applique au bœuf sans hormones dans le cadre de l'accord de libre-échange avec l'Europe. Je crois qu'il s'élève à 50 000 tonnes. Il y a une autre question déterminante à résoudre : comment préparer notre industrie à ce contingent de 50 000 tonnes? Qui en profitera? Pour déterminer la suite des choses, il faut penser non seulement au système dont parle Ron, mais également à la question du volume.

M. Bonnett : Mais vous vouliez aussi savoir combien de temps ça prendrait. Selon moi, si le marché envoyait un signal clair, ce pourrait être assez rapide. Il faut cependant que le marché envoie un signal clair.

Le sénateur Robichaud : Par contre, il vous faudrait un certificat et tout. Il s'agirait d'une difficulté supplémentaire, non?

M. Bonnett : Effectivement.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins. Vous avez parlé des échanges internationaux et des accords de libre- échange. Ceux-ci exigeront des producteurs et des transformateurs qu'ils soient très compétitifs. Selon vous, qu'est-ce qui fera la différence? Comment pourrez-vous vous différencier des autres producteurs et transformateurs pour obtenir une plus-value sur la vente de vos produits?

[Traduction]

M. Bonnett : À mon avis, nos façons de faire actuelles nous donnent déjà un léger avantage. Prenons l'exemple de la traçabilité : le Canada est un chef de file dans ce domaine depuis des années. Nous avons mis au point des systèmes qui permettent de vérifier la salubrité des aliments directement sur la ferme. Tous nos bestiaux sont identifiés de manière à pouvoir en retracer l'origine. Tous les pays sont loin d'être aussi avancés que nous. Et c'est ce genre de choses qui peut nous avantager sur le marché.

Notre régime réglementaire a fait ses preuves et il est reconnu de par le monde. Je crois que l'ACIA pourrait malgré tout le raffiner de manière à le rendre le plus efficient possible. Ça aussi, ça pourrait nous conférer un certain avantage.

Pour ce qui est des échanges avec les pays du bloc asiatique, la quantité de terres dont nous disposons, ici au Canada, constitue un autre avantage pour nous, sans parler des efforts en matière de recherche et d'innovation que nous avons consacrés à la production des récoltes et à l'élevage du bétail. C'est incroyable la croissance de productivité que nous avons connue depuis 30 ans. C'est là-dedans que nous devons continuer à investir si nous voulons conserver notre avantage concurrentiel.

Du côté du traitement, il y a certains problèmes dont il faudra vraisemblablement s'occuper, comme le coût de l'énergie ou de la main-d'œuvre, pour trouver des moyens de faire des économies. C'est probablement une des choses qu'il va falloir faire si nous voulons demeurer concurrentiels.

La sénatrice Merchant : Merci encore. Vous semblez dire que les choses se sont bien passées avec l'Organisation mondiale du commerce. Que va-t-il se passer une fois que l'OMC va avoir rendu sa décision? Y a-t-il quoi que ce soit qui va changer?

M. Bonnett : Les règles sont là, et une fois que la décision va être rendue, il va y avoir un processus à suivre. J'ai lu un article aujourd'hui où on dit que les États-Unis vont sans doute faire appel. C'est là que je recommanderais au gouvernement du Canada de vraiment tout faire pour uniformiser le processus. Les délais sont trop longs. Très souvent, il y a trop d'avocats qui s'en mêlent. Le processus devrait être revu afin qu'on établisse clairement les étapes à suivre, au lieu d'avoir à se taper un examen interminable, comme c'est présentement le cas.

Nous avons rencontré l'ambassadeur du Canada à Genève plus tôt cette année. Nous nous sommes rendus au siège de l'OMC pour voir s'il y avait eu des progrès, et on nous a confirmé qu'il s'agissait d'un problème. L'uniformisation du processus de règlement des différends constituerait une avancée remarquable pour l'OMC. Comme je le disais, si les négociations ne commencent pas bientôt, il va vraiment falloir regarder de près les autres types d'obstacles qui peuvent se dresser sur notre chemin. Je pense par exemple à la présence de petites quantités d'organismes génétiquement modifiés, à la définition de certains produits ou aux normes touchant les soins aux animaux. Nous devons nous assurer qu'il y a des normes internationales en la matière, autrement les producteurs autant que les transformateurs vont devoir se plier à toutes sortes de normes différentes, certaines reposant sur des données scientifiques, d'autres pas. L'OMC et les autres organismes internationaux pourraient justement faire en sorte que les accords internationaux soient plus détaillés.

M. Halkai : J'aimerais ajouter quelque chose au sujet du mécanisme de règlement des différends de l'OMC.

Les États membres doivent se conformer à la décision finale de l'organisation. Autrement, les pays touchés, comme le Canada, peuvent exercer des représailles et imposer par exemple des droits antidumping ou compensateurs aux pays qui refusent d'obtempérer, comme les États-Unis. Les décisions de l'OMC sont plutôt contraignantes, et c'est pour cette raison que nous voulons que ce soit elle qui s'occupe du mécanisme de règlement des différends.

La sénatrice Merchant : L'étiquetage du pays d'origine vous a-t-il nui? Les États-Unis sont-ils les seuls à s'être dotés d'une telle désignation, ou y a-t-il d'autres pays qui les ont imités? Quelle serait la solution, à votre avis?

M. Bonnett : Les États-Unis ont adopté leur loi sur l'étiquetage du pays d'origine il y a déjà plusieurs années, mais elle est entrée en vigueur il y a seulement quatre ans, environ. Dès lors, il fallait distinguer le bétail de transformation qui entrait aux États-Unis en provenance du Canada ou du Mexique. Les coûts pour les transformateurs sont plus élevés, surtout que, pour tout vous dire, les échanges au Canada se faisaient surtout du nord au sud, et très peu d'est en ouest. Tout de suite, les prix que les acheteurs américains payaient pour les produits canadiens, surtout le porc et le bœuf, ont chuté. Je sais que certains groupes, comme l'Association canadienne des éleveurs de bovins et le Conseil canadien du porc, ont documenté les pertes qu'ils ont subies.

J'insiste sur le fait qu'en tant que tel, notre organisme ne voit pas d'un mauvais œil que tel ou tel pays cherche à promouvoir ses propres produits, sauf qu'à partir du moment où il se tourne vers les mesures législatives pour ce faire, il crée du coup toutes sortes d'obstacles artificiels qui n'existaient pas jusque-là.

Ce serait la même chose pour les produits canadiens. Nous croyons qu'il faut encourager les Canadiens à consommer des produits canadiens, mais nous croyons surtout qu'il faut pour cela miser sur la publicité, et non sur les lois. À partir du moment où on se tourne vers les lois, on crée des obstacles artificiels qui n'ont pas leur raison d'être.

La sénatrice Merchant : À votre connaissance, y a-t-il d'autres pays dans cette situation?

M. Bonnett : Nous n'avons rencontré ce problème nulle part sauf aux États-Unis, mais il faut dire que le volume de nos échanges commerciaux avec les autres pays est loin d'être comparable à celui de nos échanges commerciaux avec les États-Unis.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie pour votre exposé. La dernière personne à avoir pris la parole disait, et je crois que vous disiez aussi la même chose, qu'il y a un problème avec la gestion de l'offre. Comme quoi la gestion de l'offre pourrait constituer un obstacle plus néfaste que les droits de douane. Pourriez-vous nous en dire plus, nous dire si nous pouvons espérer une résolution et, si oui, combien de temps il faudrait avant d'arriver à une solution?

M. Bonnett : Je suis loin d'être convaincu qu'en soi, la gestion de l'offre constitue un obstacle bien important. Nous ne sommes pas le seul pays à avoir des produits auxquels nous tenons particulièrement, et c'est pour cette raison que nous recommandons d'explorer plusieurs avenues. Le problème, quand on se fie uniquement aux droits de douane, c'est que, à partir du moment où on veut ouvrir le marché, il suffit que les droits de douane tombent sous un certain niveau pour que le marché se trouve inondé d'un produit donné, au point de nuire à sa survie. Voilà où l'accord avec l'Europe est si intéressant. Pour les produits les plus critiques, on a plutôt opté pour des contingents tarifaires fondés sur le volume faisant son entrée au pays. De cette façon, il est possible d'ouvrir les échanges sans bouleverser les marchés locaux.

Je crois qu'il est faux de dire que la gestion de l'offre est un obstacle. Je dirais que le problème tient plutôt à ce que les gens refusent d'explorer d'autres avenues pour faciliter les échanges et parvenir à leurs fins.

Le sénateur Enverga : Que recommandez ou suggérez-vous au gouvernement de faire pour vous aider à surmonter ces obstacles ou à les faire tomber? Avez-vous des suggestions à nous faire?

M. Bonnett : J'ai dit d'entrée de jeu que nous appuyions l'approche équilibrée que le gouvernement a adoptée concernant la gestion de l'offre et l'ouverture de nouveaux marchés. Il nous a d'ailleurs prouvé que les contingents tarifaires constituent un moyen efficace de contourner certains de ces obstacles. C'est l'approche qui devrait être adoptée pour les négociations à venir.

La sénatrice Unger : Je vous remercie, messieurs, pour vos exposés.

Monsieur Bonnett, à propos des hormones, vous avez dit, en terminant votre exposé, que les hormones ne se voient pas dans le produit final. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous vouliez dire?

M. Bonnett : L'hormone dont je parle est injectée par l'oreille, elle est à résorption lente et elle se trouve naturellement dans l'organisme de l'animal. Elle améliore le rendement alimentaire en plus de faire augmenter les taux de succès, mais il n'en reste aucune trace dans la viande. Elle se disperse complètement durant la croissance. Voilà pourquoi je disais qu'on ne la voyait pas dans la viande. Il n'y a aucune différence : vous pourriez comparer des échantillons provenant d'animaux traités avec ces petits boutons sur l'oreille avec d'autres provenant d'animaux non traités, et vous ne verriez absolument aucune différence chimique.

Comme je le disais plus tôt, c'est une question de mise en marché. Certaines personnes choisissent de commercialiser du bœuf sans hormone; or, s'ils sont prêts à payer ce qu'il faut pour ce faire, le marché est là, mais ce n'est pas nécessairement vrai de dire qu'un produit est meilleur que l'autre. C'est une simple question de préférence de la part du consommateur. Or, si le consommateur réclame un produit et qu'on peut le lui fournir à un prix qu'il est prêt à payer, tout est dit, et vous vous retrouvez avec un marché.

La sénatrice Unger : Que pensez-vous de l'image de marque canadienne? Croyez-vous que la stratégie du gouvernement fédéral en la matière aide les produits canadiens?

M. Bonnett : Je crois que l'image des produits canadiens s'est beaucoup améliorée depuis quelques années. C'est un processus continu. Il est néanmoins vrai que nous pourrions adopter une approche concertée, du producteur jusqu'aux exportateurs en passant par les transformateurs et les détaillants, afin que tout le monde rame dans le même sens.

Il a été question, avec le Conference Board du Canada, de créer une stratégie alimentaire nationale ou pancanadienne et d'adopter une approche stratégique de manière à ce que tout le monde soit sur la même longueur d'onde et fasse valoir l'image de marque canadienne dans le but de mieux positionner les produits canadiens et de miser sur ses avantages. Tout à l'heure, quelqu'un autour de la table parlait de l'avantage concurrentiel que le Canada gagnerait s'il se dotait d'une bonne image de marque. Nous pourrions commencer par là.

La sénatrice Unger : À votre avis, l'image de marque actuelle du Canada est-elle efficace?

M. Bonnett : Je reviens à l'exemple que je donnais relativement à l'augmentation des importations de bœuf à Taïwan. Les Taïwanais sont si satisfaits des produits qu'on leur offre et de l'image de marque canadienne que les ventes ont augmenté. Des fois, c'est ce qu'il faut faire. Une fois que nous avons percé un marché, il arrive que la marque canadienne se vende toute seule.

La sénatrice Beyak : D'autres témoins avant vous nous ont dit que la traçabilité figurait parmi les principaux avantages du Canada, puisqu'on peut littéralement remonter de notre assiette jusqu'à la ferme où l'animal a vu le jour. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Bonnett : C'est quelque chose qui date déjà de plusieurs années. En fait, j'irais même jusqu'à dire que, n'eût été la traçabilité, l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine qui nous a frappés en 2001 aurait fait beaucoup plus de mal, au point que nous serions aujourd'hui carrément absents de certains marchés. Je crois que ça en dit long sur la prévoyance des responsables de l'époque, même si je dois admettre — je dirigeais un organisme agricole provincial lorsque l'idée a été proposée pour la première fois — que j'ai reçu un certain nombre de lettres de producteurs qui étaient loin d'applaudir à l'idée que nous empruntions cette voie. Mais l'expérience nous a confirmé que, lorsqu'un problème survient, la traçabilité est une très bonne chose, parce qu'elle permet de parcourir la chaîne de production dans un sens comme dans l'autre. C'est l'une des choses que nous tenons souvent pour acquise. Le Canada avait pris les devants avant même le début de la crise. Et pas seulement dans le secteur du bétail, mais aussi dans celui des céréales et de l'industrie laitière. J'ai moi-même travaillé dans l'industrie laitière pendant un certain nombre d'années. Les gens qui en font partie s'occupent de traçabilité depuis un bon bout de temps. En fait, j'irais jusqu'à dire que la traçabilité fait partie de l'image de marque canadienne.

La sénatrice Beyak : Je vous remercie. Et je dois dire que je suis d'accord. Est-ce que je peux poser une autre question, monsieur le président?

Le président : Je vous en prie.

La sénatrice Beyak : À la dernière séance du comité, on m'a dit que je ne m'adressais pas aux bonnes personnes, alors comme vous avez travaillé dans l'industrie laitière, je m'interroge sur l'opportunité de prendre tous les produits laitiers canadiens pour en faire un fromage canadien d'exception. Il se fait de l'excellent fromage un peu partout dans le monde, mais personne n'en fait de l'aussi bon que les Canadiens. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'idée d'asseoir l'image de marque canadienne là-dessus.

M. Bonnett : C'est une bonne idée, mais je vais m'abstenir de répondre. Je sais que les représentants de l'industrie laitière sont assis juste derrière moi; vous pourrez leur poser la question. Je suis convaincu qu'ils sont impatients d'y répondre.

Le président : Avant d'entamer la deuxième série de questions, j'aimerais moi aussi poser une question, si les sénateurs me le permettent. Vous parliez, monsieur Bonnett, des obstacles non tarifaires qui pourraient nuire aux échanges commerciaux et nous empêcher de percer certains marchés. Voici ma question : quand on rencontre les responsables des marchés étrangers, ils nous parlent invariablement des OGM. J'aimerais savoir ce que vous en pensez et que vous nous disiez quelle devrait être la direction à prendre à ce sujet.

M. Bonnett : Les organismes génétiquement modifiés soulèvent toujours leur lot de questions. De nos jours, la plupart des gens savent qu'une bonne partie des produits qu'on cultive contiennent des OGM. La modification génétique augmente le rendement, diminue le recours aux pesticides et comporte toutes sortes d'avantages. Les OGM prennent la direction de plein de marchés sur la planète, mais certains tiennent encore aux produits non génétiquement modifiés. Il y a aussi la question de la présence des OGM en faibles quantités. Parfois, il suffit de quelques graines dans un tonneau ou de quelques impuretés sur une moissonneuse-batteuse pour contaminer toute une cargaison, et c'est pour ça qu'il faut que les limites acceptables fassent l'objet de normes internationales.

Il y a aussi l'exemple de l'huile de canola, qui figure parmi nos principaux produits d'exportation. Le canola est une plante génétiquement modifiée. Sa modification a fait la gloire du Canada. Or, pour l'heure, il n'existe aucune définition officielle permettant d'affirmer que l'huile de canola est un OGM ou non. Il n'y a absolument aucun OGM dans l'huile. Le marqueur demeure dans la farine. À notre avis, l'huile ne devrait donc pas être considérée comme un OGM, puisque cette désignation nuit à sa commercialisation. Il y a toute une série de questions comme celle-là, et il est temps qu'on s'entende internationalement sur ce qui est acceptable et sur ce qui ne l'est pas.

Monsieur Halkai, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Halkai : J'aimerais juste dire qu'une bonne partie de la discussion sur les OGM n'a rien de scientifique. C'est une question de perception, d'attitude de la part du consommateur. Voilà notamment pourquoi nous réclamons que les règles et les règlements soient fondés sur des données scientifiques.

Le sénateur Robichaud : Et que l'Organisation mondiale du commerce s'intéresse au dossier?

M. Halkai : Ce serait utile, oui.

M. Bonnett : Voici un exemple pour bien comprendre le contexte entourant l'utilisation de techniques et de technologies modernes. M. Halkai et moi avons assisté la semaine dernière à une rencontre de la FAO, qui est l'organisme agricole de l'ONU. J'étais quelque peu exaspéré, parce que les gens qu'on a rencontrés semblaient presque croire que nous pouvions réussir à nourrir la population mondiale sans cesse grandissante en utilisant les mêmes techniques qu'il y a 100 ans. Or, pour répondre à cette nouvelle demande, il va bien falloir avoir recours à toutes ces nouvelles technologies, graines, plantes et techniques d'irrigation et tirer parti de tous les outils à notre disposition. Sauf erreur, c'est d'ailleurs ce que disait l'étude sur l'innovation que vous avez réalisée. Les OGM ne sont qu'une petite partie d'un tout, mais je ne pense pas qu'on puisse s'en passer.

Le sénateur Oh : Je vous remercie, messieurs. Avant 2009, le Canada était aux prises avec la maladie de la vache folle. Résultat, tous les produits du bœuf ont été interdits en Asie. La Chine a rouvert ses frontières, et les exportations canadiennes de produits laitiers vers la Chine se chiffrent à 5,6 milliards de dollars. Alors quel effet croyez-vous qu'aura une aussi forte augmentation en aussi peu de temps? Le marché local du bœuf risque-t-il de s'en ressentir?

M. Bonnett : Je crois au contraire que c'est l'occasion de lui faire prendre de l'expansion. Dans l'industrie bovine, bien des gens se sont découragés après l'épisode de l'encéphalopathie spongiforme bovine, en 2001, parce que les profits ont commencé à décliner, et il y a moins d'éleveurs de bœufs aujourd'hui au Canada. Je crois que l'accès à de nouveaux marchés va faire augmenter la demande. Je disais tout à l'heure que les prix ont augmenté, et ça insuffle un peu d'optimisme dans ce secteur. Plein de jeunes vont recommencer à envisager une carrière dans la production bovine, et je crois que la clé pour les convaincre, ce sont les profits : ils doivent être élevés. Et pas seulement durant un an ou deux, mais à long terme.

Nous dépendons énormément des États-Unis. Alors si nous pouvions percer les marchés coréen, japonais ou chinois, le risque serait moins élevé que si nous dépendions d'un seul client. Lorsque nous étions en Europe, les Européens nous disaient que la perte du marché russe avait été catastrophique pour certaines de leurs ventes. Voilà qui montre qu'il est risqué de trop dépendre d'un seul marché, parce qu'on peut plus difficilement planifier. Il suffit d'un incident politique ou d'une catastrophe météorologique pour bousiller un marché. C'est entre autres ce qui fait que nous sommes aussi contents que nos exportations vers certains de ces pays soient en pleine croissance.

Le sénateur Oh : Grâce au libre-échange, la Corée, le Japon et Taïwan ont tous recommencé à importer du bœuf. C'est encourageant?

M. Bonnett : Je pense que oui. Dans certains marchés, comme au Japon, je doute qu'un jour le Japon élimine totalement ses droits de douane, parce qu'il tient à protéger son marché. Or, si nous rencontrions les dirigeants japonais et leur parlions de contingents tarifaires et leur proposions un tonnage raisonnable d'importations, je crois que nous pourrions nous entendre, parce que les Japonais y trouveraient leur compte eux aussi.

Le sénateur Robichaud : Il y a deux choses dont j'aimerais parler. Commençons par les contingents tarifaires. L'environnement peut-il être considéré comme un obstacle non tarifaire, si on songe par exemple à l'empreinte carbone et à toutes ces choses? Combien de temps nous reste-t-il?

M. Bonnett : Pas beaucoup, selon moi. Certaines chaînes de vente au détail commencent à parler d'index de développement durable. Là encore, il va falloir que le tout repose sur des données scientifiques et se fasse en consultation avec le secteur. Je sais que cette discussion a lieu ici, au Canada, mais aussi ailleurs, à l'étranger.

Je suis actif sur d'autres tribunes. Je fais partie du conseil d'administration de l'Organisation mondiale des agriculteurs, et il s'agit justement d'une des questions qui nous préoccupent actuellement. Les effets peuvent se faire sentir sur les normes relatives aux soins aux animaux, sur les normes environnementales, et même sur l'utilisation de l'eau. Les gens commencent à réclamer qu'on s'occupe de toutes ces choses.

Mais si on veut faire les choses comme il faut et arriver avec un résultat utile, il va falloir consulter l'industrie, puis inscrire les normes acceptables dans un accord international. Avec l'uniformité que cela suppose, les gens n'ont plus à se poser de questions : si leurs techniques sont bonnes pour un marché donné, elles le sont pour tous les autres aussi. Il va falloir suivre de près tous ces index de développement durable.

Le sénateur Robichaud : Quand vous dites « suivre de près », où en sommes-nous dans le processus? Nous devrons être prêts bientôt.

M. Bonnett : Je m'explique mieux. Au lieu de suivre la situation de près, nous allons devoir faire nos devoirs dès maintenant et commencer à définir ce qui est acceptable pour nous. Pour tout vous dire, nous planchons actuellement sur des énoncés stratégiques où nous décrivons ce que devraient être ces normes environnementales à notre avis. Je reviens à ce que je disais plus tôt concernant la rencontre avec le regroupement de transformateurs : ce processus devra être pris en charge pas uniquement par les producteurs eux-mêmes, mais aussi par les transformateurs et les détaillants, bref par l'ensemble de la chaîne de production.

Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé de contingents tarifaires, qui désignent la quantité d'un produit donné qu'on peut importer sans avoir à payer de droits de douane. Il faut pour cela que nous ayons une structure permettant d'évaluer et de calculer précisément ce qui entre au pays, parce que j'ai cru comprendre que certains secteurs éprouvaient des problèmes. Je prends l'exemple des producteurs de poulet : je ne me souviens jamais du nom exact, mais nous importons du poulet de transformation des États-Unis. C'est énorme, mais ce n'est pas vraiment classifié. Bref, il faut que la structure existe.

M. Bonnett : Oui, vous avez absolument raison. La vérification est primordiale, et il faut des systèmes permettant de produire des rapports de qualité si nous voulons que ce processus soit efficace.

Le sénateur Robichaud : Du côté des producteurs laitiers, je sais qu'on importe un type de fromage pour la préparation des pizzas et de toutes ces choses, et que nous n'y faisons pas suffisamment attention. J'ai l'impression que cela pourrait nuire aux échanges, ou à tout le moins atténuer l'avantage que nous possédons en la matière.

M. Bonnett : Ça revient à ce que nous disions. Pour utiliser un outil comme les contingents tarifaires pour gérer les échanges commerciaux, il faut disposer des systèmes permettant de surveiller ce qui entre au pays et instaurer des sanctions pour ceux qui dépassent les quantités qui leur sont allouées.

Le sénateur Robichaud : Est-ce que ça existe, tout ça?

M. Bonnett : En partie, oui.

Le sénateur Enverga : J'étais en Corée du Sud en juillet dernier pour participer aux négociations de l'accord de libre- échange. On nous dit sans cesse que personne en Corée du Sud ne veut du bœuf canadien. Pourtant, à force de parler aux gens, là-bas, nous nous sommes rendu compte que nous ne sommes pas vraiment en compétition contre le bœuf coréen. Notre véritable concurrent, c'est le bœuf américain qui se trouve sur le marché sud-coréen. Quand nous avons compris ça, nous avons demandé aux gens pourquoi ils préféraient le bœuf américain au bœuf coréen. Nous avons alors appris que c'est parce qu'il est beaucoup plus persillé; il contient plus de gras, je dirais.

Alors, pour nous tailler une place sur le marché local, allons-nous nous adapter aux différences culturelles et aux goûts des Coréens? Et qu'en est-il des Européens? Je ne sais pas comment ils l'aiment, leur bœuf, ni leurs autres produits agricoles, d'ailleurs. Sommes-nous prêts? Allons-nous choisir la voie de l'adaptation ou allons-nous plutôt mousser les produits que nous avons à l'heure actuelle?

M. Bonnett : C'est très vaste comme question. Voici un début de réponse. En fait, je reviens à ce que je disais : quel que soit le produit, il faut comprendre ce que le consommateur veut, puis raffiner notre produit en conséquence.

Je sais qu'en Corée du Sud, par exemple, les exportations d'organes internes et ainsi de suite sont très fortes, parce qu'ici, nous ne les mangeons à peu près pas. Imaginez à quel point ce marché peut être lucratif : vous exportez un produit qui est inutilisé au Canada. Bref, il arrive parfois qu'on tombe sur la bonne combinaison, qu'il s'agisse de vendre des produits pour lesquels il n'y a pas de marché au Canada ou d'adapter nos produits en fonction du système de production, comme dans l'exemple du persillage que vous donniez à l'instant.

Ça revient aussi à ce que je disais à propos du marché européen. Il faut définir les besoins du marché, puis créer une chaîne de production en conséquence. On en revient finalement à ce que je disais dans mon exposé concernant la préparation aux exigences des marchés. Nous devons améliorer — de beaucoup — les différents liens de la chaîne de production.

Prenons l'exemple de l'industrie bovine. Je suis ce qu'on appelle un éleveur-naisseur. Mes vaches donnent naissance aux veaux; ces derniers sont tous vendus à un premier intermédiaire, qui les vend à un parc d'engraissement, qui les vend à l'usine de transformation. Il faudrait que ces différents chaînons communiquent entre eux, mais ce n'est pas le cas. Et le propriétaire de l'usine de transformation devrait écouter les messages que lui envoient le marché et le consommateur et les faire parvenir aux intervenants en amont afin que le système s'adapte. Grâce aux systèmes de traçabilité et aux mesures d'identification dont nous disposons, nous pourrions y parvenir, et assez facilement. Mais on en revient alors à ce que je disais : il faut se doter d'une stratégie afin de maximiser notre place sur les marchés et adapter la chaîne de production en conséquence.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Le sénateur Enverga a parlé tantôt du marché coréen, et j'ai cru comprendre que vous aviez parlé du marché de Taïwan. Il y a deux ans, je suis allé à Taïwan avec une délégation, et d'ailleurs, le sénateur Mitchell avait fait la promotion du bœuf canadien à Taïwan. J'aimerais revenir sur la vente de bœuf en Europe, puisque, évidemment, les accords de libre-échange avec l'Europe vont vous ouvrir un nouveau marché. D'ailleurs, vous y êtes peut-être déjà. Les producteurs européens, je pense, sans me tromper, sont de plus petits producteurs que les producteurs canadiens, et craignent l'arrivée massive du bœuf canadien en Europe.

Est-ce que vous avez déjà prévu cette réticence et est-ce que vous êtes prêts à faire face à la réticence de certains producteurs d'Europe plus petits?

[Traduction]

M. Bonnett : Je vais vous dire une chose : j'ai pris une bière avec des agriculteurs irlandais, et ils m'ont dit sans ambages ce qu'ils pensaient de l'arrivée du bœuf canadien. Je pense en revanche que, lorsqu'ils ont vu le texte définitif de l'accord commercial et qu'ils ont pu voir qu'ils étaient protégés par une limite sur les importations de bœuf, ils ont compris que nous n'allions pas envahir leur marché.

Alors oui, je crois que certaines personnes sont nerveuses, mais elles sont néanmoins conscientes que ça va prendre un certain temps avant que le Canada puisse percer ces marchés. N'oublions pas, comme je le disais, qu'il faut créer les chaînes d'approvisionnement. Et c'est sans parler des plafonds à respecter.

Je reviens encore à ce que je disais plus tôt : nous devons revoir la manière dont nous nous assurons que ces accords commerciaux renferment les bons outils, afin que tout le monde y trouve son compte. Si on arrive dans un pays et que nos interlocuteurs ont l'impression que nos produits vont complètement inonder leur marché, il y a très peu de chances qu'ils trouvent cela acceptable, et nous ne conclurons jamais d'accord avec eux. Voilà pourquoi j'estime qu'on ne peut pas trouver la bonne approche sans s'intéresser aussi aux outils. Les droits de douane en font partie, les contingents tarifaires aussi, et les deux peuvent nous permettre de trouver des terrains d'entente.

Le président : Avant de conclure, monsieur Bonnett, vous avez dit faire partie de l'Organisation mondiale des agriculteurs, et c'est rare qu'on voit des gens qui sont membres de cet organisme. Je vous félicite.

J'ai une question au sujet de Codex, du rôle qu'il pourrait jouer. Je vous ai entendu dire qu'il nous manquait peut- être de données scientifiques sur les OGM. Est-ce que Codex, qui joue un rôle important en matière de commerce mondial, et plus particulièrement dans le domaine de l'agriculture, ne pourrait pas constituer un instrument intéressant pour la suite des choses?

M. Bonnett : Je crois en effet que Codex pourrait faire partie des instruments à utiliser. Quand je parlais de l'OMC, je disais qu'il y avait aussi d'autres organismes internationaux qu'il ne faut pas oublier. Je pense entre autres à l'Organisation mondiale de la santé animale. Codex est utile pour certaines questions relatives aux OGM et aux pesticides. Nous pouvons nous adresser à ces organismes, mais il va falloir de la volonté politique sur la scène internationale, parce que ce n'est pas rare que les sciences prennent le bord quand les politiciens s'en mêlent. Nous avons eu droit à plusieurs exemples dans le passé.

Je crois que c'est important que nous fassions appel à ces organismes internationaux pour aborder ces enjeux de manière scientifique, mais il ne faut pas oublier non plus qu'il va falloir beaucoup d'efforts au niveau politique pour que les politiciens de partout sur la planète montent dans le train.

Si notre organisme s'est adressé à l'Organisation mondiale des agriculteurs, c'est justement pour que les exploitations agricoles du monde entier s'entendent sur certains de ces enjeux. Même concernant les échanges commerciaux avec les Japonais. Je me suis rendu par deux fois au Japon, pour prendre contact avec différents regroupements d'agriculteurs, là-bas. Les Japonais sont très sur la défensive, mais nous voulions trouver un terrain d'entente, parce que, si nous pouvons convaincre les organismes agricoles de nous emboîter le pas, il va y avoir moins de pression sur les épaules des politiciens qui négocient ces accords.

Le président : Merci infiniment. Monsieur Bonnett, monsieur Halkai, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation et d'être venus faire part de vos opinions et suggestions au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. N'hésitez pas à ajouter quoi que ce soit. N'hésitez pas non plus à faire part de vos suggestions à notre greffier. Nous poursuivons tous le même objectif : positionner le Canada de manière à augmenter la production agricole, à pouvoir nourrir 9 milliards de terriens et à améliorer notre accès aux différents marchés.

M. Halkai : Merci beaucoup.

Le président : Merci encore d'avoir accepté notre invitation. Nous savons que vous êtes des chefs de file. Nous sommes très chanceux de pouvoir compter sur des gens comme vous dans l'industrie agricole.

Le comité poursuit maintenant son étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux. Comme vous le savez, et comme le savent les gens qui assistent à la réunion de ce soir, le secteur agricole et agroalimentaire est très important pour l'économie canadienne. En 2012, il donnait de l'emploi à un Canadien sur huit, soit environ 2,1 millions de travailleurs, et comptait pour près de 6,7 p. 100 de notre produit intérieur brut.

Sur la scène internationale, toujours en 2012, le secteur agricole et agroalimentaire canadien était à l'origine de 3,6 p. 100 des exportations mondiales de produits agroalimentaires.

Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant des représentants des Producteurs laitiers du Canada.

[Français]

Nous accueillons M. Bruno Letendre, vice-président, et M. Yves Leduc, directeur du commerce international.

[Traduction]

Nous accueillons également le président du conseil d'administration de l'Association des transformateurs laitiers du Canada, M. Dino Dello Sbarba, et son président et chef de la direction, M. Don Jarvis.

Le greffier me dit que nous aurons droit à un exposé commun. Nous allons donc commencer par les Producteurs laitiers du Canada, après quoi nous passerons à l'Association des transformateurs laitiers du Canada.

[Français]

Bruno Letendre, vice-président, Producteurs laitiers du Canada : Je vous remercie, monsieur le président. Les producteurs laitiers sont heureux de vous faire part de leur point de vue. Je vais laisser la parole à M. Leduc, qui présentera le document. Ensuite, je pourrai répondre aux questions.

Yves Leduc, directeur du commerce international, Producteurs laitiers du Canada : Je vous remercie, monsieur le président, sénateurs et sénatrices. Comme M. Letendre vient de le mentionner, nous sommes heureux de participer à votre étude sur les priorités du secteur agricole et agroalimentaire en matière d'accès aux marchés internationaux. Nous vous avons remis ce soir une copie de nos commentaires. Je vous laisserai le soin de lire le document plus en profondeur.

J'aimerais mentionner d'entrée de jeu que les PLC est l'organisation qui représente les producteurs laitiers qui exploitent les 12 000 fermes laitières du Canada. Nonobstant les différents champs d'activité dans lesquels nous sommes impliqués, nous travaillons étroitement avec les autres intervenants de l'industrie, que ce soit les transformateurs ou les représentants du gouvernement, vers un objectif commun, soit celui d'accroître le marché canadien et le secteur laitier en général.

Je profite de l'occasion pour réitérer que le secteur laitier canadien contribue de façon importante à l'économie du Canada. Les Producteurs laitiers du Canada ont récemment retenu les services de la firme ÉcoRessources afin de mettre à jour l'étude d'impact économique du secteur laitier au Canada. Nous avons tout récemment reçu des données préliminaires, lesquelles démontrent que le secteur laitier au Canada — et je parle du secteur dans son ensemble, qui regroupe autant le secteur de la production primaire que de la transformation — a contribué, en 2013, pour 19,3 milliards de dollars du PIB au Canada.

Le secteur soutient plus de 218 200 emplois au Canada et contribue plus de 3,6 milliards de dollars en taxes et impôts, tant sur le plan local, provincial que fédéral. Ces résultats démontrent une croissance constante de la contribution du secteur laitier à l'économie du Canada. Nous serons heureux de partager l'étude finale une fois qu'elle sera achevée.

Il ne fait aucun doute que pour les Producteurs laitiers du Canada la gestion de l'offre a contribué au développement d'une industrie laitière efficace et rentable au Canada. Malheureusement, on doit tenir compte du fait que la production de lait, ici, au pays, se fait dans un climat nordique et entraîne des coûts de production plus élevés comparativement à d'autres endroits dans le monde. Cela explique, entre autres, en grande partie, pourquoi l'industrie, il y a plus de 40 ans, s'est tournée essentiellement vers le marché intérieur et pourquoi les activités d'exportation représentent grosso modo entre 1 et 2 p. 100 de la production totale de lait ces jours-ci.

[Traduction]

Un examen plus approfondi des marchés mondiaux nous permet de conclure que non seulement ils sont soumis à des fluctuations extrêmes, mais encore qu'ils sont essentiellement un terrain de dumping. L'International Farm Comparison Network a produit des chiffres intéressants. Cet organisme, qui a vu le jour il y a une quinzaine d'années, recueille des données financières sur les fermes laitières du monde entier. L'étude comparative qu'il réalise porte aujourd'hui sur plus de 92 pays.

L'International Farm Comparison Network calcule aussi le prix mondial du lait. Si on regarde l'évolution qu'a connue le prix du lait de 2012 à 2013, même si les prix sur le marché mondial étaient plutôt bons, en septembre dernier, ils sont revenus à leurs niveaux de 2012. Or, en 2012, à peine 12 p. 100 de la production mondiale totale pouvait couvrir son coût de production.

La réalité est que non seulement nous faisons face à des coûts de production plus élevés au niveau de la ferme, ce qui porte à croire que les occasions d'exportation sont limitées, mais encore que tel est également le cas le long de la chaîne de production, avec des marges de transformation qui sont presque deux fois plus grandes au Canada que dans certaines autres parties du monde, l'UE par exemple.

Sans nier que les marchés mondiaux pourraient offrir certaines perspectives, nous devons maintenir une approche réaliste. En plus du prix, un groupe spécial de l'OMC du début de 2000 a statué que tout produit exporté du Canada vendu en deçà du prix intérieur est considéré comme « subventionné ». En outre, les exportations originaires de deux des plus grands territoires producteurs de lait, l'UE et les États-Unis, profitent d'un généreux niveau d'appui dans leur territoire respectif. Les règles du jeu ne sont donc pas uniformes, non seulement sur les marchés des États-Unis et de l'UE, mais aussi sur le marché intérieur canadien, là où nous ferons face à une plus grande concurrence suite à l'entente de l'AECG.

Avec l'interdiction d'utiliser les subventions à l'exportation dans l'UE, la réalité est que le Canada n'est pas en mesure de tirer parti des immenses avantages de l'ouverture du marché laitier européen. La réalité est aussi que les subventions dans l'UE peuvent former jusqu'à 40 à 50 p. 100 du revenu des producteurs et que ces derniers obtiennent un prix du marché moins élevé pour leur lait. Cela constitue un désavantage-prix pour le lait et les produits laitiers canadiens.

Plus particulièrement, malgré le résultat de l'accord de l'AECG, qui permettra l'entrée en franchise de douanes de produits laitiers canadiens sur le marché européen, il subsiste un mythe, soit que le Canada a désormais un accès libre et absolu au marché européen. Il ne fait aucun doute, par contre, que les producteurs et les transformateurs canadiens, et les fromagers en particulier, sont concurrentiels au niveau de la qualité. Un projet pilote dans certains marchés américains a démontré que des fromages de spécialité canadiens peuvent se tailler une place sur le marché des États- Unis, mais que le coût de mise en marché de ces produits sur le marché américain demeure important.

Malgré ces défis, nous poursuivons la mise en marché de certains produits sur le marché américain.

[Français]

Soyons clairs : les PLC ne sont pas contre la poursuite de débouchés d'exportation. Ces débouchés, par contre, doivent assurer une certaine rentabilité, non seulement pour les producteurs, mais aussi pour les transformateurs. Nous sommes disposés à envisager et à promouvoir des activités d'exportation, mais les stratégies d'exportation ne réussiront que si elles sont élaborées conjointement dans le cadre d'un solide partenariat entre les producteurs et les transformateurs, le tout en collaboration avec les gouvernements.

Nous sommes d'avis que, pour réussir sur les marchés mondiaux, l'industrie laitière doit cibler des marchés créneaux particuliers. Donc, en plus du projet de commercialisation sur le marché américain, au mois d'octobre dernier, un représentant de notre département de marketing a participé au Salon international de l'agroalimentaire qui s'est tenu à Paris, et nous avons aussi eu des discussions avec les différents intervenants au sujet des exportations de lait maternisé en Chine.

Il y a sans aucun doute un intérêt de notre part pour explorer et exploiter des occasions d'exportation qui sont avantageuses et bien choisies. Ces discussions en sont encore au stade préliminaire. Nous ne pouvons donc donner au comité des renseignements, aujourd'hui, sur les marchés à cibler, d'abord et avant tout, bien que j'aie fait référence aux États-Unis, à l'Union européenne et au marché chinois. Nous voulions donc comparaître devant votre comité, parce qu'il est important de comprendre que nous travaillons sérieusement à trouver des solutions qui permettraient au secteur laitier canadien, ainsi qu'à nos partenaires qui sont ici, avec nous à cette table, ce soir, de profiter des occasions d'exportation, pourvu que ces dernières soient envisagées dans le cadre de la gestion de l'offre au Canada : un système qui demeure soutenu et qui continue d'être défendu par le gouvernement du Canada dans les négociations internationales.

En conclusion, pour les producteurs laitiers, la confirmation de l'engagement du gouvernement du Canada envers la gestion de l'offre, comme il en a été fait mention à maintes occasions dans les discours du Trône au cours des dernières années, signifie que le gouvernement travaillera avec les PLC à chercher des solutions qui permettront aux producteurs de tirer un revenu convenable du marché. Pour terminer, j'aimerais vous dire que nous pouvons vous assurer que nous sommes engagés dans un dialogue avec les transformateurs et autres intervenants du gouvernement pour trouver des moyens d'aider à soutenir et à élargir le secteur laitier au Canada.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Leduc.

[Traduction]

Nous passons maintenant à MM. Dello Sbarba et Don Jarvis, qui représentent les transformateurs.

[Français]

La parole est à vous, monsieur Jarvis.

[Traduction]

Don Jarvis, président et chef de la direction, Association des transformateurs laitiers du Canada : Honorables sénateurs, au nom de nos membres, je vous remercie d'avoir invité notre association à venir ici aujourd'hui afin de vous aider dans votre étude sur les priorités en matière d'accès aux marchés internationaux. L'Association des transformateurs laitiers du Canada défend les intérêts publics, politiques et réglementaires de l'industrie de la transformation des produits laitiers au pays. Je suis accompagné aujourd'hui de trois des membres de notre conseil d'administration, qui vous présenteront certaines de nos opinions sur les graves préoccupations de notre secteur, non seulement à la suite de la récente signature de l'accord commercial entre le Canada et l'Europe, l'AECG, mais aussi les défis grandissants auxquels nous sommes confrontés à mesure que la libéralisation du commerce se poursuit.

À ma gauche se trouve notre président, Dino Dello Sbarba, qui est également le président et chef de la direction de Saputo. Il prendra la parole après moi pour vous présenter des commentaires détaillés. Voici également Robert Coallier, président-directeur général d'Agropur, ainsi que Louis Frenette, président et chef de la direction de Parmalat. Ils sont ici pour nous aider à répondre à vos questions une fois notre présentation initiale terminée.

Ces trois entreprises produisent et distribuent toutes une grande variété de produits et d'ingrédients laitiers à l'échelle nationale, dont du lait de consommation, de la crème, du beurre, des fromages et du yogourt. L'an dernier, l'industrie de la transformation laitière a produit pour plus de 15 milliards de dollars de produits, qui ont été expédiés à partir d'environ 480 usines, dont 200 sont sous réglementation fédérale. Cela représente plus de 15 p. 100 de l'ensemble des ventes de produits transformés de l'industrie de l'alimentation et des boissons au pays.

Le secteur de la transformation laitière, qui emploie environ 25 000 travailleurs, est le deuxième en importance de l'industrie de l'alimentation et des boissons. Les transformateurs appuient le principe du système de la gestion de l'offre tel qu'il est décrit dans la Loi sur la Commission canadienne du lait. Par ailleurs, nos membres sont déterminés à moderniser le système afin de mieux répondre aux besoins des consommateurs canadiens et d'atteindre les objectifs, financiers et autres, des producteurs et des transformateurs laitiers.

Nous avons fourni au comité une lettre adressée aux ministres du Commerce international, de l'Industrie, et de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, ainsi qu'un résumé d'une soumission faite plus tôt cette année, à laquelle M. Dello Sbarba fera référence dans le cadre de son intervention. Il s'agit d'une analyse des impacts que nous avons effectuée en lien avec l'AECG et le doublement des importations de fromages qui devrait en découler. On peut consulter cette analyse détaillée ainsi que nos autres soumissions des dernières années au gouvernement sur notre site web à l'adresse www.dpcs-atlc.ca.

À moins d'être gérées adéquatement, les nouvelles importations de fromages vont perturber un système géré très étroitement, selon lequel les transformateurs ont des volumes de lait alloués, où l'utilisation d'ingrédients laitiers est limitée dans certains produits et où les obstacles au commerce interprovincial empêchent d'améliorer la productivité de la transformation du lait. Tout cela empêche notre industrie d'effectuer une transition et de rivaliser avec les nouveaux produits importés.

Je vais maintenant laisser la parole à notre président, qui vous expliquera ces enjeux plus en détail.

Dino Dello Sbarba, président du conseil d'administration, Association des transformateurs laitiers du Canada : Merci, Don.

Monsieur le président, sénateurs, je vous remercie moi aussi de cette occasion, pour l'industrie de la transformation laitière, de vous en dire plus au sujet de la soumission qui vous a été présentée et qui décrit les défis que pose actuellement l'AECG ainsi que les inquiétudes qu'il suscite pour la compétitivité de notre industrie.

Comme nous l'avons indiqué, l'AECG entraînera l'importation au pays de toute une vague de nouveaux fromages en provenance de l'Union européenne, et ce à très court terme. Cette hausse portera nos importations totales à près de 10 p. 100 de la consommation de fromages naturels au Canada, soit près du double de ce qu'elle est dans d'autres marchés, aux États-Unis par exemple. Le Canada négocie également une entente de libre-échange dans le cadre d'un partenariat transpacifique, et tout semble pour l'instant indiquer que les produits laitiers font partie des négociations.

La croissance de la consommation de produits laitiers au pays est pratiquement nulle. La consommation d'équivalent lait par habitant stagne. Les importations de produits laitiers, y compris de fromages, offrent un avantage significatif sur le plan des coûts de production par rapport aux produits fabriqués au Canada. Le coût du lait représente en effet environ 80 p. 100 du coût d'un produit laitier, qu'il s'agisse de lait de consommation, de fromage, de beurre ou d'autres produits. Les autres coûts, comme l'énergie, la main-d'œuvre, le conditionnement, l'administration et les bénéfices, représentent entre 15 et 20 p. 100 du coût d'un produit laitier.

Le prix du lait cru payé par les transformateurs pour le fromage au Canada est en moyenne le double du prix payé ailleurs dans le monde. Il est de 70 à 80 p. 100 plus élevé qu'aux États-Unis, et de 40 à 60 p. 100 plus élevé que dans les pays de l'Union européenne. Même si notre secteur de la transformation parvenait à réduire de moitié ses coûts d'exploitation, sa marge de profit et ses coûts indirects, elle resterait non concurrentielle par au moins 30 p. 100 à cause du coût du lait.

En conséquence, dans le cas des nouvelles importations en provenance de l'Union européenne, ce sont tous les fromages canadiens qui seront à risque d'être remplacés, car nous ne sommes pas en mesure de concurrencer cet afflux de fromages.

Les exportations de produits laitiers canadiens sont en déclin constant. Au cours des 15 dernières années, les exportations sont en effet passées de 7 p. 100 de la production à moins de 2 p. 100 actuellement. Ce déclin a commencé lorsque le Canada a perdu une contestation devant l'OMC concernant le subventionnement de produits dû au maintien du système de gestion de l'offre. À l'heure actuelle, la majorité, voire la totalité des exportations restantes doivent leur salut au coût du lait subventionné.

En outre, il semble que l'élimination des subventions canadiennes à l'exportation soit imminente. Une hausse des exportations de produits laitiers canadiens semble donc irréaliste en ce moment compte tenu de la réglementation et du système actuels. Cela dit, le gouvernement canadien a déclaré qu'en vertu de l'AECG le Canada et l'Union européenne s'accorderaient mutuellement un accès illimité à leurs marchés respectifs. Il semblerait donc que les transformateurs canadiens auraient bientôt accès au marché européen.

Je le répète, en vertu de la réglementation et du système actuels, une hausse des exportations de produits laitiers canadiens vers n'importe quel pays, y compris l'Union européenne, est irréaliste.

Permettez-moi de conclure en disant que la structure réglementaire canadienne actuelle visant la production laitière nuit sérieusement à la croissance, à la compétitivité et à la facilité d'exporter de nos transformateurs. Si nous souhaitons continuer d'accorder l'accès à notre marché à des produits laitiers étrangers sans modifier notre système, nous allons gravement nuire à l'ensemble de l'industrie, y compris au secteur de la transformation du lait. Le secteur de la transformation du lait croit pouvoir être concurrentiel, mais il a besoin de l'appui du secteur de la production pour pouvoir remplacer les produits importés par des exportations à un prix concurrentiel.

Soulignons que le Canada doit aussi déclarer clairement s'il appuie ou non le système de la gestion de l'offre. Notre secteur, celui de la transformation, est disposé et prêt à collaborer avec toutes les parties afin de résoudre cette question.

Le président : Avant de passer aux questions, M. Dello Sbarba, la présidence souhaite accorder la parole à MM. Robert Coallier et Louis Frenette.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Merci aux présentateurs pour l'information qu'ils nous ont communiquée. Ma première question s'adresse à M. Leduc.

Lorsque vous parlez du marché mondial et que vous comparez les prix qui figurent sur le document que vous nous avez présenté, vous dites que, à ce prix de 35,90 $ US par 100 kilogrammes, seule une faible portion de la production mondiale totale de lait peut couvrir son coût de production. On parle d'un pourcentage de 10 p. 100. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Vous avez ensuite enchaîné en disant qu'il s'agissait de dumping — et c'est le cas.

M. Leduc : Effectivement. Je pense qu'il ne fait aucun doute que, lorsqu'un très faible pourcentage de la production laitière mondiale peut être vendu à un prix qui permet aux producteurs de couvrir leurs coûts de production, c'est essentiellement du dumping. Si vous prenez la situation de 2012 à 2013, où le prix mondial construit par l'International Farm Comparison Network était passé d'environ 35 $ US par 100 kilogrammes de lait à un niveau légèrement au- dessus de 50 $ US par 100 kilogrammes de lait, la même étude démontrait qu'à 50 $ US, c'était 75 p. 100 de toute la production de lait au monde qui couvrait son coût de production.

Il ne faut pas une augmentation si importante pour permettre au pourcentage de toute la production de lait au monde de couvrir ses coûts de production. À 35 $ US par 100 kilogrammes de lait, l'étude démontrait que ce n'était qu'un très faible pourcentage de tout le lait produit à l'échelle planétaire qui arrivait à couvrir ses coûts de production.

Le sénateur Robichaud : Plusieurs Canadiens nous disent qu'on paie beaucoup trop cher pour notre lait — sans parler de la qualité du lait. Nous ne sommes pas sûrs que le lait qui nous vient d'ailleurs ait la même qualité que le lait canadien, n'est-ce pas?

M. Leduc : Je crois que le Canada produit un lait de très grande qualité. Il ne faut pas dénigrer non plus certains autres pays producteurs de lait qui, probablement, produisent également un lait de bonne qualité. Ce n'est pas simplement une question de qualité, mais une question de prix et de coûts. Si on examine ce qui se passe en Europe et aux États-Unis, il est clair que les gouvernements interviennent de façon importante.

Le sénateur Robichaud : De quelle façon?

M. Leduc : Ils appuient les producteurs, qu'il s'agisse de la production laitière ou des autres productions agricoles dans ces secteurs. Des études effectuées dans le passé par un consultant en commerce international, notamment, Peter Clark, avaient démontré que, si on prend l'ensemble des dépenses liées à l'agriculture et que l'on regarde si elles confèrent, de façon directe ou indirecte, un bénéfice au secteur laitier aux États-Unis, les dépenses contribuaient jusqu'à concurrence de 0,31 $ par litre de lait sur le marché américain. Cette étude n'a pas été mise à jour dernièrement, mais c'était tout de même assez faramineux.

Le sénateur Robichaud : Pouvez-vous comparer cela avec le Canada, s'il vous plaît?

M. Leduc : Au Canada, nous ne recevons pas de paiements directs qui soutiennent la production de lait. Nous bénéficions d'un cadre réglementaire législatif qui permet à l'industrie de s'organiser à l'intérieur du système de la gestion de l'offre. L'un des objectifs de la gestion de l'offre était de faire en sorte que les producteurs de lait puissent recevoir un prix qui est, ni plus ni moins, le reflet de ce qu'il en coûte pour produire du lait sur le marché canadien.

Le sénateur Robichaud : Sans qu'il n'en coûte rien au gouvernement?

M. Leduc : En effet. Il y a certes un impact quant au prix; le prix est plus élevé. J'aime croire que c'est le reflet de ce qu'il en coûte pour produire du lait. Donc, c'est davantage le vrai prix qui est chargé en fin de compte lorsque les consommateurs achètent leur lait.

[Traduction]

Le président : Monsieur Dello Sbarba, les transformateurs souhaitent-ils ajouter quelque chose?

M. Dello Sbarba : Je dirais que je suis d'accord sur le fait que certains producteurs subventionnent leur lait. Dans l'analyse, sur la page même où on énumère les subventions accordées par chaque pays producteur, on constate que certains pays peu efficaces accordent une subvention pouvant atteindre 30 cents le litre. Par contre, dans le cas des principaux pays producteurs sur le marché mondial, les subventions sont plutôt de l'ordre de 5 cents le litre aux États- Unis et peuvent atteindre 10 cents le litre dans certains pays européens.

Pour ce qui est de la qualité, je dirais que le lait canadien est de la plus haute qualité, tout comme le lait de bien d'autres pays d'ailleurs.

Le sénateur Robichaud : M. Dello Sbarba, vous avez dit dans votre présentation qu'il vous est impossible de concurrencer l'afflux de fromages provenant de l'Union européenne. J'avais l'impression qu'il ne s'agit pas d'une si grande quantité dans le contexte de cette entente.

[Français]

M. Dello Sbarba : Le fromage destiné au Canada se chiffre à environ 17 000 tonnes. Il ne faut pas beaucoup de fromage pour déstabiliser un marché qui n'est pas en croissance et qui a atteint sa limite au niveau de la consommation. Lorsqu'une quantité importante de fromage entre sur un marché, comme M. Jarvis l'a énoncé, dépendamment du marché dont il s'agit et de la façon dont ce sera alloué et contrôlé au niveau du marchandisage dans le marché, cela peut occasionner un effet d'entraînement à la chaîne avec un avantage de 30 à 40 p. 100 sur le prix du produit.

Le sénateur Robichaud : On ne peut donc pas concurrencer avec ces fromages d'aucune façon?

M. Dello Sbarba : Pas présentement, compte tenu de notre système et de notre réglementation au Canada.

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Le sujet est très intéressant. Je dois vous dire que j'ai fait front avec la gestion de l'offre, en faisant campagne à Saint-Hyacinthe, en 2011, avec le Parti conservateur. La seule chose que les gens de Saint-Hyacinthe me demandaient était à savoir si nous allions maintenir le système de gestion de l'offre. J'ai donc fait mes devoirs et j'ai appris ce qu'était la gestion de l'offre. Je vous dirais même que, durant l'été, on m'a demandé d'aller visiter deux fermes d'élevage laitières, dont la ferme Aston, qui est tout de même assez importante dans la région de Saint-Hyacinthe. Il s'agissait, à ce moment, d'un autre dossier, soit celui des travailleurs étrangers et des Guatémaltèques.

J'aimerais revenir à la production de lait. Vous avez peut-être écouté l'émission La semaine verte, diffusée sur les ondes de Radio-Canada dimanche dernier. Il était question de l'entrée massive des fromages. Les Européens, pour leur part, se plaignent de l'entrée massive du bœuf en Europe. J'aimerais vous entendre sur les conséquences économiques de l'accord de libre-échange Canada-Europe en ce qui concerne l'industrie laitière.

Je vais enchaîner immédiatement avec deux autres commentaires. Que voudriez-vous avoir comme accès sur le marché européen qui pourrait vous aider à vendre vos produits? Je pense qu'on vous a parlé de mesures compensatoires. On ne peut pas en mettre en place lorsqu'on ne connaît pas l'avenir. Alors, que suggérerez-vous comme mesures compensatoires? Les 17 000 tonnes de fromages fins qui vont arriver font partie de l'accord. Il faudra alors, évidemment, des mesures compensatoires. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

Le président : On peut commencer avec les producteurs.

M. Letendre : Quelle était votre première question?

Le sénateur Dagenais : Les accords de libre-échange auront des conséquences économiques pour l'industrie laitière. On peut l'envisager de différentes façons. J'imagine que vous vous êtes déjà penchés sur les conséquences économiques de ces nouveaux accords? C'était ma première question.

M. Letendre : Le représentant des transformateurs a bien signalé l'impact. Il va y avoir des dommages. Pour ce qui est des 17 000 tonnes, même si on faisait croître le marché dans lequel on travaille, on investirait 80 millions de dollars dans la publicité générique pour essayer de faire croître le marché, à la fin de la journée, nos transformateurs, pour ces 17 000 tonnes, s'en seraient tirés. Mais il y aura toujours une perte. Quand le gouvernement nous dit qu'on verra plus tard, je comprends qu'on n'a pas à élaborer tout de suite les compensations. Lorsqu'ils parlent de façon hypothétique, je suis agacé, car il y aura toujours une perte.

Les producteurs font du lait, les transformateurs font un excellent travail, et on a d'excellents fromages. Ils sont capables de les produire. Or, 17 000 tonnes de fromage vont entrer et on ne sait pas où cela va frapper. Est-ce que ce sera les fromages fins du Québec qui seront frappés? Ces 17 000 tonnes représentent 30 p. 100 des fromages fins que l'on produit au Québec. La croissance est limitée. C'est le cas aussi en Europe. Entre 2005 et 2011, la consommation de fromage a connu une croissance moyenne de 0,6 p. 100. Notre croissance est tout de même similaire. Nous avons un peu moins de 1 p. 100. Ces fromages-là, qui représentent seulement 1 quart de 1 p. 100 de la production européenne, viennent frapper à hauteur de 30 p. 100 dans les fromages fins, qui sont produits un peu partout. Je ne peux pas vous dire comment cela se répercutera. Cela représente environ 4 p. 100 de notre marché global. On essaie de faire croire que nous avons eu une bonne année, ce qui est le cas des producteurs laitiers. Quant à nous, nous produisons du lait destiné à être vendu aux transformateurs. Ces 17 000 tonnes viennent donc doubler la quantité produite qui sera offerte. Contrairement au bœuf et au porc, les 17 000 tonnes de fromage entreront au Canada.

Le sénateur Dagenais : Il est moins sûr que le porc et le bœuf entreront en Europe?

M. Letendre : Oui, il y aura des pertes qui pourront être évaluées. Nous sommes prêts à travailler avec les transformateurs. Nous savons que les fromages fins sont moins consommés dans le reste du Canada, surtout à l'extérieur de Toronto. Est-ce que nous sommes en mesure d'en augmenter la consommation? Ils sont capables d'en manger, eux aussi. Est-ce que nous sommes capables de travailler ensemble? À mon avis, oui. Si nous avons développé ce marché au Québec, nous pouvons le faire aussi dans le reste du Canada.

Je tiens à répéter que, même si nous augmentons la consommation de fromages fins dans le reste du Canada, les 17 000 tonnes représenteront toujours une perte pour les transformateurs.

M. Dello Sbarba : L'impact se fera sentir non seulement sur les fromages fins, mais aussi sur les produits de commodité, tels que le cheddar et la mozzarella. À mon avis, cela affectera toute l'industrie. Vous avez fait référence à l'accès au marché européen et vous avez demandé comment vous pouvez nous aider à accéder au marché. Vous ne pouvez absolument rien faire. Nous ne pouvons pas entrer en concurrence avec eux, puisque le prix de notre fromage est de 30 à 40 p. 100 moins compétitif.

Il ne faut pas oublier que ce sont les Européens qui ont amené le fromage ici. Donc, nous sommes un peu mal placés pour leur donner des leçons sur la façon de consommer leur fromage suisse, leur camembert, leur brie, et cetera.

En ce qui concerne les mesures compensatoires, les transformateurs laitiers nous demandent d'assurer la gestion des quotas et des contingents tarifaires, et non pas d'ouvrir notre marché à tout nouvel intrant qui collaborerait uniquement pour obtenir un gain à court terme. Cela pourrait faire énormément de tort à l'industrie de transformation.

Pour ce qui est de l'impact sur le marché, suivez cette règle générale : 17 000 tonnes représentent 170 millions de litres de lait de moins et 170 millions de litres de lait de moins qui entreront dans les usines. Cela affecte donc notre efficacité.

Le sénateur Dagenais : J'aimerais revenir à ma dernière question. Vous chiffrez le nombre de litres de lait. Avez-vous évalué un montant compensatoire? Avez-vous pensé à évaluer un montant?

M. Dello Sbarba : Le lait se vend environ 80 cents le litre. Donc, on multiplie 170 millions par 80 cents pour obtenir la valeur. Est-ce qu'un paiement compensatoire est la solution à long terme? Cela peut panser des plaies à court terme, mais ce n'est pas une solution à long terme.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : J'ai beaucoup apprécié votre présentation et je suis conscient de votre situation, mais pouvez-vous me dire pourquoi nous nous retrouvons dans une telle situation? Pourquoi le système de gestion de l'offre fonctionne-t-il ainsi au Canada? Est-ce en raison de la taille de la population? Comment nous comparons-nous? Comment cela se passe-t-il aux États-Unis? Comment gèrent-ils leur industrie laitière, leurs fromages? Pouvez-vous m'expliquer notre situation actuelle?

Le président : Qui souhaite répondre en premier, les producteurs?

[Français]

M. Letendre : Si on revient aux négociations avec l'Europe, la gestion de l'offre n'était pas exclue. Cependant, les Européens ont dit que les subventions de l'Union européenne n'étaient pas sur la table. Ainsi, tous les fromages qui vont entrer seront « contaminés » par les subventions. En ce qui nous concerne, nous n'avons pas de subventions. Nous avons un système réglementaire. Par contre, cela revient au même. En n'ayant pas de subventions, il faut avoir un système réglementaire. Cependant, nous sommes devant deux grands marchés, soit l'Europe et les États-Unis, qui subventionnent grandement leur industrie. Nos producteurs sont efficaces, tout comme les transformateurs, mais nous ne sommes pas compétitifs par rapport aux trésors américains ou européens. Nous sommes conscients que le gouvernement a maintenu les principes de la gestion de l'offre. Mais l'impact des 170 millions, si on veut se faire une image, c'est la production de la région du lac Saint-Jean qui disparaît, c'est-à-dire environ 170 millions de litres par année. C'est une région qui disparaît. On ne peut pas faire face à cette concurrence. Selon le document, c'est de 30 à 50 p. 100 du prix, selon le prix des revenus des producteurs.

Je vais faire une comparaison avec chez nous. Si vous me donnez 100 000 dollars par année — par rapport à ce que reçoivent les Européens pour faire leur pelouse, avoir deux ou trois arbres sur le bord du chemin — je vais être plus compétitif. Je serai en mesure de vendre mon lait et le transformateur pourra être compétitif. Mais ce n'est pas le cas. Nous vivons dans un pays nordique. Donc, il faut en tenir compte. S'il y a seulement 37 millions d'habitants au Canada, cela ne dépend pas de la gestion de l'offre. Il est sûr que, s'il y avait 75 millions d'habitants au Canada, nos industries agricole et laitière seraient plus importantes. Mais nous sommes 37 millions d'habitants.

En tant que producteurs, nous connaissons les défis des producteurs européens et américains. Nous maintenons la gestion de l'offre pour nous assurer d'obtenir un revenu équitable. C'est à peu près le seul endroit au monde où le consommateur paie le véritable prix. La tendance, en ce moment, ce sont les produits équitables, et le lait est un produit parfaitement équitable. Le producteur reçoit un revenu adéquat pour son travail.

M. Leduc : Malgré la structure à l'intérieur de laquelle s'opère la production laitière dans d'autres pays comme l'Europe ou les États-Unis, il n'en demeure pas moins que ces marchés demeurent très protégés. Nous abordons ici la gestion de l'offre et les contingents tarifaires. L'Europe et les États-Unis ont des contingents tarifaires. Lorsqu'on examine le niveau d'importation mesuré en pourcentage de la consommation des produits laitiers sur ces marchés, on se situe à environ 1, 2 ou 3 p. 100 au maximum sur le marché américain ou européen, comparativement à des niveaux qui avoisinent plus de 10 p. 100 au Canada. Pour ce qui est des fromages, le niveau d'importation augmentera en raison des accords conclus avec l'Union européenne. Le niveau d'importation atteindra environ 9 à 10 p. 100 de notre consommation de fromage au Canada. Donc, 17 000 tonnes d'accès supplémentaire, c'est énorme. Ainsi, cela aura des répercussions non seulement chez les transformateurs de fromages fins ou industriels, mais aussi sur le niveau de la production, sur les producteurs qui produisent le lait destiné à la transformation des fromages au Canada.

[Traduction]

M. Jarvis : Je crois que la sénatrice Merchant a posé sa question de façon très intéressante. Le système existe depuis 40 ans et, lorsqu'il a été créé, il correspondait parfaitement aux réalités du moment. Ce système a légèrement évolué depuis. Les transformateurs se sont adaptés à cette évolution mais, comme je l'ai indiqué plus tôt dans ma présentation, je crois que la libéralisation du commerce mondial s'est accrue au cours des 15 ou 20 dernières années.

D'autres pays ont réduit leurs subventions. C'est ce que fait l'Union européenne en ce moment. D'autres marchés font de même. Le système canadien, qui assure toujours une certaine sécurité, une certaine assurance tant aux producteurs qu'aux transformateurs, n'a pas évolué aussi rapidement qu'ailleurs. Il est donc probablement unique au monde maintenant, ce qui nous préoccupe grandement.

La sénatrice Merchant : Du point de vue du consommateur, je suppose que nous payons un prix très élevé pour le lait et le fromage au Canada. Pouvez-vous me dire combien il peut en coûter à une famille moyenne par année, par rapport à ce qu'il en coûterait sans la gestion de l'offre?

M. Jarvis : Je n'ai pas de chiffres exacts, mais c'est beaucoup. Je crois qu'il existe des études sur le fait que les consommateurs canadiens paient plus cher pour leurs produits laitiers que les consommateurs de bien d'autres marchés. Des études récentes indiquent le coût par famille.

Ce qui est unique au sujet du système canadien, c'est que le gouvernement ne le subventionne pas. C'est le consommateur qui le fait, directement.

M. Dello Sbarba : Je crois qu'un de vos témoins précédents du Conference Board du Canada a déclaré que le système de gestion de l'offre coûte en moyenne 276 $ par année aux familles canadiennes.

La sénatrice Merchant : Est-ce par famille ou par personne?

M. Dello Sbarba : Il faudrait que je vérifie, mais c'est le montant qui a été mentionné.

La sénatrice Merchant : Je sais qu'on a mentionné un chiffre, mais je ne parviens pas à me rappeler si c'est par famille ou par personne.

M. Leduc : J'aimerais brièvement ajouter quelque chose à ce sujet. Nous ne remettons pas en question le fait que le prix du lait est plus élevé au Canada qu'aux États-Unis, par exemple. Mais ce n'est pas le cas partout. Je reviens d'un séjour en Australie, où j'ai assisté la semaine dernière à une rencontre ministérielle sur le partenariat transpacifique. J'étais à Canberra, où se trouve un des deux magasins Costco d'Australie. Je ne me souviens pas où se trouve l'autre. Toujours est-il qu'au Costco de Canberra, on vend deux types de lait : une marque générique et une marque privée. La marque générique était un contenant de trois litres, qui revenait à 95 ou 96 cents le litre. Cela tient bien la comparaison avec le prix du lait qu'on peut acheter au Costco d'Ottawa pour 97 cents le litre. La marque privée, elle, était vendue entre 1,70 $ et 1,80 $ le litre.

Le prix du lait au départ de la ferme n'est qu'un des éléments qui pourraient expliquer le coût pour les consommateurs.

En ce qui concerne l'écart entre le Canada et les États-Unis, permettez-moi de revenir à ce que j'ai dit plus tôt. Je crois que les États-Unis subventionnent lourdement leur secteur agricole. Comme je l'ai indiqué, des études passées indiquaient un coût d'environ 31 cents le litre. Il s'agit au bout du compte d'un montant payé par les contribuables, par les familles. Il nous est impossible de faire une comparaison appropriée, mais, en fin de compte, lorsque ce montant de 31 cents est payé par les consommateurs, même si ce ne sont peut-être pas tous les consommateurs qui contribuent au fardeau fiscal, il n'en demeure pas moins que cela procure un avantage comparatif à l'industrie.

M. Dello Sbarba : Pardon, j'aimerais ajouter quelque chose. Dans mon travail à temps partiel, je m'occupe aussi de notre division australienne.

Vous avez raison, le lait coûte 1 $ le litre. Il s'agit d'une politique de mise en marché décrétée par les détaillants australiens, qu'il s'agisse de Costco, de Coles ou de Woolworth. Il est toutefois injuste de comparer ce prix à celui de Costco au Canada, car Costco vend volontairement le lait à perte. Cela ne reflète donc pas le prix généralement payé par les consommateurs canadiens.

M. Leduc : Les produits vendus volontairement à perte font également partie des stratégies aux États-Unis.

[Français]

M. Letendre : J'aimerais donner suite au commentaire de la sénatrice Merchant. Producteurs laitiers du Canada a acheté les données d'AC Nielsen pour le Canada et pour les États-Unis. On pourrait vous les fournir. Le prix moyen fourni par AC Nielsen au Canada et aux États-Unis est de 3 p. 100 moins cher. La différence est de 3 p. 100. Le long de la frontière, les meilleurs loss leaders sont les produits laitiers. Ce n'est pas en donnant un rabais sur une bouteille de ketchup qu'on va attirer un Canadien de l'autre côté de la frontière, c'est en mettant les produits laitiers loss leader; c'est exactement ce qu'ils font, mais quand on regarde l'ensemble des deux pays, cela se situe à 3 p. 100.

Beaucoup de produits canadiens sont plus chers au Canada qu'aux États-Unis et ils ne sont pas soumis à la gestion de l'offre — les pneus, et cetera.

Quand le Conference Board du Canada publie ses études, il compare le prix que le consommateur paie par rapport au prix mondial. Aucun consommateur au monde ne peut acheter au prix mondial; ce n'est pas au détail. Si on pouvait comparer des oranges avec des oranges, on verrait qu'il y a une différence de 3 p. 100, ce qui est dans la fourchette de tous les produits — et même en deçà — entre les États-Unis et le Canada.

[Traduction]

Le président : Pour faire suite à votre question, sénatrice Merchant, M. Dello Sbarba avait raison. Il s'agit de 276 $ de plus par famille, selon le Conference Board du Canada.

Le sénateur Enverga : Messieurs, je vous remercie pour vos présentations. Je regarde les prix. Vous nous dites que cela coûte plus cher au Canada qu'en Europe pour produire du fromage ou transformer du lait. Avez-vous inclus les coûts de transport? Il doit y avoir des coûts de transport entre l'Europe et le Canada, et ces coûts devraient être moins élevés au Canada. En avez-vous tenu compte?

M. Dello Sbarba : Pour faire traverser l'Atlantique à un conteneur, avec toute la paperasse qui l'accompagne, cela coûte environ 25 à 30 cents le kilo. Cela représente une différence d'environ 4 $ le kilo en ce qui concerne le coût du lait.

Le sénateur Enverga : Les barrières interprovinciales posent-elles problème? Est-ce que cela pèse vraiment dans vos coûts de production?

M. Jarvis : Je crois qu'il faut tenir compte de divers facteurs lorsqu'on parle d'échanges interprovinciaux. J'en ai parlé dans ma présentation. Le système fonctionne sur une base provinciale. Comme le lait est produit à l'échelle provinciale, il existe de nombreux obstacles au mouvement du lait entre les provinces. À l'étape de la transformation, cela nuit à la consolidation, à la maximisation de l'efficacité. C'est l'un des aspects des obstacles au commerce interprovincial.

Le fait est qu'il existe d'importantes barrières réglementaires au pays en ce qui concerne les produits finis. Prenons par exemple les petits godets de lait qu'on utilise dans les restaurants. Chaque province exige son propre format, de telle sorte que si une usine produit un contenant de tel format dans une province, ce format sera peut-être interdit dans la province voisine. Il s'agit là d'un exemple flagrant de surréglementation du système laitier canadien.

Je pense aussi à un exemple récent, en Ontario, où une tentative de mise en marché d'un nouveau format de contenant de lait de consommation a suscité un tollé. Je ne crois pas que de tels règlements sont encore nécessaires. En fait, nous collaborons avec une importante coalition d'entreprises afin de faire tomber ces barrières interprovinciales, ce qui réduira nos coûts et augmentera notre efficacité.

Les Européens disposent déjà d'une politique simple, que nous pourrions adopter : si on fabrique et qu'on vend un produit dans une province, rien ne devrait nous empêcher de pouvoir le fabriquer et le vendre dans une autre province. Si un produit est assez bon pour un consommateur du Nouveau-Brunswick, je ne comprends pas pourquoi il ne pourrait pas être tout aussi bon pour un consommateur de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Enverga : Si nous éliminons ces barrières commerciales interprovinciales, pensez-vous que cela améliorera la compétitivité dans le contexte de l'AECG?

M. Dello Sbarba : Je ne pense pas que cela changera quoi que ce soit pour ce qui est de l'AECG, mais notre secteur sera certainement plus efficace.

[Français]

M. Letendre : Pour répondre à M. Jarvis, pour les cinq provinces de l'Est, l'Ontario, le Québec et les provinces maritimes, où il se produit environ 85 p. 100 du lait au Canada, le marché est totalement intégré. On transporte tous les jours du lait du Québec vers l'Ontario, pour les transformateurs de l'Ontario.

Oui, il y a certaines particularités dans l'allocation du lait, mais pour le Québec, si on a développé les fromages fins, c'est grâce au talent des transformateurs, mais c'est aussi parce qu'on a rendu disponible le lait à ces entreprises. Oui, il y a des règles, mais lorsqu'on veut changer ces règles, nos transformateurs résistent. Ils disent que le lait leur appartient. Il ne faut pas oublier qu'on rachète les surplus. Donc, nous avons une responsabilité; lorsqu'un transformateur produit et que ce n'est pas nécessaire pour le marché, c'est le producteur qui assume le surplus.

Donc, au Québec, et je n'ai aucun mérite, parce que ça a été fait bien avant moi, on a favorisé cela. Des entreprises au Québec en ont grandement profité et sont même devenues des leaders mondiaux, parce qu'on a favorisé l'allocation de ces produits. Ils étaient innovateurs et on les a encouragés. On a un système, il n'est pas parfait, mais il n'existe pas de système parfait au monde. On peut voir le côté sombre de la chose, mais on peut aussi voir le côté positif. Je pense que, pour nous, et pour les transformateurs, compte tenu de la santé de notre secteur de la transformation, la situation est tout de même très positive.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Le lait et les produits laitiers provenant de l'Union européenne vont poser problème. Qu'en est-il de notre accord avec la Corée ou du futur partenariat transpacifique? Des changements sont-ils à prévoir? Seront- ils avantageux ou désavantageux?

M. Dello Sbarba : Je suppose qu'à court terme le coût de production au Canada ne changera pas. Par conséquent, le prix que nous payons pour le lait devrait rester le même. En ce qui concerne la Corée et le Japon, je crois qu'il vaut la peine de noter que dans tous ses accords bilatéraux passés, le Canada n'a jamais négocié quoi que ce soit au sujet des accès pour le lait ou les produits laitiers. Si le Canada change son approche et commence à négocier des ententes bilatérales portant sur les produits laitiers, alors oui, cela pourrait procurer un accès au marché canadien des produits laitiers, mais seulement dans des pays où le prix du lait est équivalent au prix du lait au Canada.

Le sénateur Enverga : Avez-vous réalisé une étude des coûts? Dans quelle mesure sommes-nous concurrentiels par rapport à, disons, la Corée du Sud ou le Japon, et peut-être même éventuellement la Chine?

Le président : Sénateur Enverga, nous devons poursuivre. J'inscris votre nom pour la deuxième ronde de questions.

La sénatrice Beyak : Messieurs, votre grande connaissance de ces sujets m'impressionne. Tout comme le sénateur Dagenais, j'ai fait des recherches et examiné minutieusement la gestion de l'offre. Je ne prétends pas posséder votre expertise ni quoi que ce soit qui s'en approche, mais je sais que les Canadiens ont la réputation de savoir tirer parti d'une situation, qu'il s'agisse du secteur manufacturier, de la production laitière ou de la pêche. Je suis également convaincue que notre président et les membres de ce comité prendront note de la moindre de vos préoccupations et qu'ils l'examineront soigneusement, pour ensuite émettre des recommandations utiles.

Sur cette note sérieuse, ma question semble simpliste, mais j'ai moi aussi fait mes recherches. Je suis allée en Europe. Ils ont d'excellents fromages, mais les fromages canadiens sont imbattables. Que pensez-vous d'un fromage étendard de choix pour le Canada? Avec le pouvoir de l'offre et de la demande, ainsi que l'efficacité qui accompagnerait le fait de concentrer la majorité de nos ressources dans un fromage étendard de choix, cela pourrait être plus rentable à long terme. Qu'en pensez-vous?

M. Dello Sbarba : Je vous répondrai que, de façon générale, la marque canadienne est très respectée et très bien accueillie partout dans le monde. Malheureusement, ce n'est que dans de très rares cas que, ailleurs dans le monde, les gens ont eu l'occasion de goûter aux produits laitiers canadiens. Avant 2000, nous exportions à l'étranger certains fromages et, bien entendu, de la poudre de lait écrémé, qui avaient très bonne réputation. Lorsqu'il est question d'une marque canadienne de fromage, d'un logo pour le fromage canadien, si nos exportations commencent à être concurrentielles, cela sera sûrement attribuable au produit canadien.

Pour ce qui est d'une production unique de fromage, n'importe laquelle de nos usines ou de celles de mes collègues — nous sommes très compétitifs — je peux certainement affirmer que nous pouvons tous répondre à la demande et produire un fromage de très grande qualité. Un tel défi ne nous effraie pas.

Quant à expédier toutes nos exportations sous une marque unique, une telle tâche reviendrait davantage à un office de commercialisation. Je dirais que mon collègue ici présent, M. Frenette, fait partie d'une multinationale dotée d'une équipe de vente parfaitement compétente. Mon collègue, M. Coallier, a également internationalisé son entreprise, qui est tout à fait capable de commercialiser ses produits partout dans le monde, comme nous d'ailleurs. Votre idée me plaît, mais je crois que nous sommes en mesure de faire notre propre marketing. Nous pouvons offrir avec beaucoup d'efficacité un choix de produits aux consommateurs.

La sénatrice Unger : Merci, messieurs. C'était très intéressant d'entendre ce que chacun d'entre vous a à dire. Comme ma collègue l'a indiqué, vous travaillez tous dans ce secteur et vos connaissances sont très approfondies.

Ma question porte sur le groupe spécial de l'OMC qui, en 2000, avait jugé que les producteurs laitiers du Canada étaient subventionnés. Vous avez tous dit que les États-Unis et l'Union européenne subventionnent leurs produits. Pourquoi, alors, l'OMC n'a-t-elle pas rendu de jugement à cet égard? Je m'interroge sur ce point en particulier. Cela semble injuste du point de vue du Canada. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Leduc : L'OMC possède des règles différentes selon qu'il s'agit de subventions à l'exportation ou de subventions en général. Les travaux de ce groupe spécial portaient spécifiquement sur les subventions à l'exportation dans le secteur laitier. Ce groupe avait conclu que les activités d'exportation au sein de l'industrie laitière canadienne à l'époque, soit à la fin des années 1990, étaient subventionnées de facto pour diverses raisons. Revenons à la fin des années 1990. Si je ne m'abuse, les stratégies d'exportation qui avaient été mises en place avaient fait en sorte que de 8 à 10 p. 100 de la production totale de lait du Canada était exportée. À la suite des conclusions de ce groupe, l'industrie avait dû revoir la réglementation de ses activités d'exportation, qui représentent maintenant environ 1 p. 100, ou à peine plus, de l'ensemble de la production laitière au pays.

La sénatrice Unger : Selon le Conference Board du Canada, la gestion de l'offre des produits laitiers empêche les producteurs de tirer parti de la demande mondiale. Quelles seraient les retombées économiques si un tel changement se produisait au sein de votre industrie? Selon vous, serait-ce néfaste, ou plutôt salvateur? Qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Letendre : On ne peut pas avoir la moitié de la gestion de l'offre. Le gouvernement canadien nous parle de maintenir la gestion de l'offre — on avait le système avant 2000 puis, bon, pour la raison dont nous vous avons parlé plut tôt, nous avons perdu, et nous nous sommes conformés à la décision. Les producteurs sont prêts à produire à la marge et ils savent que 5 ou 10 p. 100 de plus de production n'ont pas besoin d'être vendus à 70 $ l'hectolitre. Ils le savent. Ce sont des entrepreneurs, les producteurs laitiers. Comme tout entrepreneur, ils veulent produire et obtenir un revenu pour leur travail.

Cependant, c'est un leurre de dire que nous pourrons maintenir la gestion de l'offre et que nous allons exporter. Si on a des idées et si les transformateurs peuvent nous aider, c'est bien, mais le premier essai qu'on a fait a été un échec. Il faut se rappeler que, pour l'entente de l'OMC, conclue après plusieurs années — qu'on appelle l'entente de Blair House —, l'Union européenne et les États-Unis ont déterminé que ce serait bon pour les deux. Pour quelle raison l'OMC est- elle bloquée aujourd'hui? Parce que, selon certains, pour les autres, comme l'Amérique du Sud, la Chine — le BRIC, comme on l'appelle — des ententes comme celle-là, on n'en verrait plus. Ils se sont dit que les subventions ne feraient pas mal; l'OMC et l'OCDE ont déterminé que le système de gestion de l'offre, par rapport au prix mondial, représentait une subvention. Momagri, un organisme très reconnu, affirme aussi que le prix est gonflé pour une valeur de plus d'un milliard de dollars. C'est tout cela qui fait que nous sommes coincés. Nous disons que nous voulons un revenu pour notre production, mais le marché mondial nous dit que nous n'avons pas le droit de vendre à un deuxième prix. Que fait-on, alors? Je ne suis pas capable de répondre à votre question concernant l'exportation, parce que, compte tenu du coût au Canada, sans subventions, nous ne sommes pas compétitifs.

[Traduction]

M. Dello Sbarba : Je sais bien que, selon l'étude du Conference Board, il existe des solutions à tout cela. Toutes les études menées au Canada au sujet de la gestion de l'offre disent qu'il y a de grands avantages à l'éliminer pour les consommateurs. Ce qu'on ne trouve pas dans ces études, c'est par quoi remplacer le système. Quel type de système sera en place demain matin? D'ici à ce qu'on obtienne cette réponse, les transformateurs appuient la gestion de l'offre, car c'est le système dont nous disposons à l'heure actuelle, que nous connaissons, et qui fonctionne.

J'ai dit plus tôt que le problème, maintenant, est que si on commence à y ouvrir des brèches en laissant entrer des fromages et de nouveaux produits au Canada, nous allons tous souffrir du non-respect de la gestion de l'offre initiale.

Cela dit, nous savons également que nous sommes à la croisée des chemins, car le prix est très élevé et la capacité de payer des Canadiens est mise à l'épreuve. De plus, nos usines vieillissent, et nous devons être efficaces pour pouvoir réinvestir dans nos usines.

Ce serait une catastrophe si nous adoptions le système américain demain matin. Beaucoup de producteurs ne se seraient pas adaptés, et il leur serait très difficile d'être concurrentiels.

Nous aimons croire qu'avec le temps, il sera possible de trouver des solutions à ce problème, mais ces solutions sont en constante évolution. Des pourparlers et des essais progressifs et constructifs sont nécessaires entre les producteurs et les transformateurs. Mais une chose est certaine : s'il est question d'un plafonnement ou d'une baisse du prix, certains joueurs auront de la difficulté à s'en remettre d'un côté comme de l'autre. Je vous dirais que si la solution était facile à trouver, nous l'aurions déjà trouvée à l'heure qu'il est. Ce n'est toutefois pas le cas.

La sénatrice Unger : Monsieur Letendre, vous avez dit plus tôt que les fromages fins n'étaient pas consommés à l'extérieur de Toronto. Je viens de l'Alberta, et je me demande si vous avez des remarques à faire sur ce sujet. Les Albertains aiment le fromage fin.

[Français]

M. Letendre : Je m'excuse si je vous ai blessée, madame la sénatrice, mais je voulais dire que les fromages fins ne se consomment pas dans la même proportion qu'ils sont consommés au Québec, ou dans la proportion que nous aimerions les voir consommés.

[Traduction]

Le président : Nous allons maintenant passer au deuxième tour. Le sénateur Robichaud prendra la parole en premier, puis le sénateur Dagenais, et finalement le sénateur Enverga.

[Français]

Le sénateur Robichaud : De quelle façon pourra-t-on contrôler l'entrée de ces 17 500 tonnes de fromages au Canada? Est-ce qu'il y a un risque qu'il arrive la même chose que pour les fromages qui traversent les frontières dans des préparations de pizza et dont on ne tient pas compte comme étant une importation sujette aux contingents?

M. Dello Sbarba : Je crois qu'on ne parle pas de la même chose du tout. Il est certain qu'un fromage traversera la frontière comme un fromage. Un fromage utilisé dans une préparation d'ingrédients et dont un certain pourcentage de produits laitiers est faible, pour ce qui est du produit fini total, entre déjà au Canada, que ce soit de l'Europe ou des États-Unis. Cela ne changera pas. Pour ce qui est des importations de fromages comme telles, c'est défini et le codex définit ce qu'est un fromage. La réglementation canadienne comporte peut-être quelques différences à cet égard, mais en général, un fromage est bien défini. Comme on le mentionnait tantôt, les transformateurs laitiers désirent, à titre de compensation, avoir un certain contrôle sur la façon dont les tarifs seront alloués au Canada afin que soit imposée une discipline et que le marché ne soit pas plus endommagé qu'il ne le sera.

M. Leduc : Effectivement, on parle de deux questions complètement différentes. Au-delà des 20 000 tonnes de fromages présentement allouées en vertu des contingents négociés à l'OMC, les 17 000 tonnes entreront comme du fromage. Vous avez fait référence à une autre problématique, soit celle de ces préparations alimentaires qui, souvent, sont mises ensemble justement pour contourner les mesures tarifaires existantes et pour protéger le marché laitier et le marché canadien des produits laitiers. Ce sont des préoccupations auxquelles nous faisons face constamment. Il y a toujours de nouveaux produits qui sont inventés et développés et, souvent, avec comme seul but de contourner les mesures à la frontière qui sont présentement en place.

Cependant, comme M. Dello Sbarba le disait, il est effectivement important de trouver une façon de faire en sorte que le nouveau contingent des fromages de l'Europe soit administré de façon à ce que ces fromages puissent entrer sur le marché canadien d'une manière qui assurera la stabilité du marché canadien, qui est un marché relativement stable — en fait très stable —, mais peut-être, aussi, pour faire en sorte qu'une partie de la rente économique associée à l'importation de ces fromages puisse être réinvestie, afin d'assurer une plus grande croissance en ce qui concerne la consommation des fromages. Donc, il faudrait que les différentes sociétés ou entités qui recevront une partie de ce contingent puissent intervenir dans le marché afin d'assurer une croissance continue pour ce qui est de la consommation de fromages.

[Traduction]

M. Jarvis : Je voudrais simplement ajouter quelques observations à celles faites par M. Leduc. Dans les documents que nous avons fournis au comité, on recommande que la majorité des contingents tarifaires soient alloués aux transformateurs à cette fin parce que ces trois compagnies sont toutes maintenant d'importantes détentrices de quotas qui, par le passé, ont réussi à atténuer les dommages pouvant être causés par l'administration de ces importations.

[Français]

Le sénateur Robichaud : J'aimerais que vous précisiez une chose; vous demandez que ce soit vous qui puissiez gérer ces contingents de nouveaux fromages qui vont entrer au Canada. Alors, on élimine un importateur qui participe à ce commerce international pour que vous puissiez, comme M. Leduc le disait, tourner cela à votre avantage et à l'avantage de l'industrie.

M. Dello Sbarba : Ce qu'on dit, c'est que les gens qui seront affectés par les nouveaux quotas seront les producteurs de fromage. Donc, ceux qui reçoivent le lait. On dit que la majorité de ces quotas doit aller aux gens qui, aujourd'hui, transforment le lait et qui vont en être privé demain matin, parce que leur production va être remplacée par un fromage importé.

Le sénateur Robichaud : Cela a un impact sur les producteurs aussi?

M. Dello Sbarba : Oui, mais des formules existent déjà pour offrir une compensation; si le coût de production augmente, les formules existent pour pouvoir compenser le coût de production.

Le sénateur Robichaud : Monsieur Frenette, vous vouliez ajouter quelque chose?

Louis Frenette, membre du conseil, Association des transformateurs laitiers du Canada : Il ne faut pas oublier non plus que c'est notre métier de faire du marketing, de prendre le lait, de le transformer, de l'adapter, de l'emballer, que ce soit chez eux ou chez nous, et d'inciter le consommateur à faire une transaction au magasin. Même s'il est plus cher qu'ailleurs, on trouve des moyens de faire du marketing. Chacun a son rôle. Aujourd'hui, c'est chez Agropur, Saputo, et cetera, et il y a plein de petits fromagers qui font leur marketing local. Le Québec est un exemple extraordinaire de belles mises en marché, mais c'est notre métier. Il faut laisser, je pense, la responsabilité de mettre en marché ces importations-là. Ce sont 17 000 tonnes; si on donne cela à des touristes, ils ne sauront pas quoi en faire.

Le sénateur Robichaud : Qui va gérer cela, qui va décider où ce quota sera attribué et s'il va vous revenir, à vous ou à quelqu'un d'autre?

M. Dello Sbarba : Je pense que nous avons fait une recommandation : prenez cela en pourcentage de gens qui font du fromage aujourd'hui, et allouez-le selon la production de fromage, à chacun des transformateurs à travers le Canada.

Le président : Merci, sénateur Robichaud, très bonne question.

M. Leduc : La décision visant à déterminer qui va recevoir une partie du contingent tarifaire est entre les mains du ministre du Commerce international, le ministre Fast. C'est à lui que revient la décision. On s'attend à ce qu'il y ait un processus de consultation qui, selon les représentants du ministère du Commerce international, devrait débuter soit à la fin de cette année, soit au début de 2015. Il est clair que, au-delà des transformateurs, il y a un certain nombre d'intervenants qui se sont déjà positionnés pour s'attribuer ou éviter une partie de ce contingent.

Le président : Merci, monsieur Leduc.

Le sénateur Dagenais : Pour faire un petit commentaire sur ce que disait le sénateur Robichaud, nous avons eu des discussions, il y a quelques semaines, sur la fameuse mozzarella qu'on trouve dans les pizzas. À la blague, on disait que la boule de fromage était beaucoup plus grosse que la pizza. Je ne sais pas si vous me comprenez, mais c'était une caricature.

En fait, monsieur le président, je veux revenir sur la gestion de l'offre. La gestion de l'offre existe depuis 1970 — et vous me corrigerez si je me trompe. Ne serait-il pas temps de la moderniser? Évidemment, il faudrait peut-être le faire, mais, selon vous, est-ce qu'il y aurait un impact économique positif ou négatif à le faire? Je pense qu'il faut maintenir la gestion de l'offre, mais ne peut-on pas la moderniser?

M. Dello Sbarba : Je pense que nous avons bien signalé que, en effet, nous sommes à l'écoute, et c'est ce que nous demandons, justement : adapter le système de gestion de l'offre aux réalités du marché d'aujourd'hui. Pour répondre à votre question concernant le pour et le contre, si on reste avec le même niveau de production, évidemment, ce sera négatif, parce qu'on verra une diminution de l'efficacité et du volume qui sera produit dans nos usines. En même temps, si le volume de lait reste le même et qu'on doit se battre contre des fromages importés, à ce moment-là, à travers le système de gestion de l'offre, le prix du lait va baisser aussi au Canada. À long terme, est-ce qu'il y a des façons d'augmenter notre production laitière tout en arrivant à couvrir le coût des producteurs laitiers qui sont efficaces et capables d'être concurrentiels? C'est, j'imagine, ce qu'on essaie d'obtenir dans le cadre des discussions que nous menons aujourd'hui.

M. Letendre : De 1970 à aujourd'hui, la gestion de l'offre s'est toujours renouvelée. On n'a pas la même gestion de l'offre qu'en 1970. Dans le cas de ce que nous appelons, en jargon « P5 », en Ontario et dans quatre autres provinces dans l'Est, nous partageons nos frais, nous faisons une mise en marché commune. Nous favorisons les produits nouveaux, nous avons une politique d'innovation, nous avons mis en place beaucoup de produits et de politiques pour favoriser la croissance. Nous nous sommes donné comme objectif — nous sortons d'une planification stratégique — une croissance d'au moins 2 p. 100 par année, donc 10 p. 100 dans cinq ans. Nous sommes toujours en questionnement. Nos transformateurs nous disent qu'ils ont des problèmes pour telle ou telle chose; ils ont un produit qu'ils voudraient mettre en marché, ils font beaucoup de recherches. Nous sommes toujours en négociation et à la recherche de nouveauté. Si on dit que la gestion de l'offre est telle qu'elle l'était dans les années 1970, je ne suis pas d'accord.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Je sais que nous cherchons des moyens d'uniformiser les règles du jeu. Nous avons parlé des barrières provinciales et de la production locale en Europe. Quelles sont les répercussions du faible cours du dollar canadien? Est-ce que cela favorise vos échanges commerciaux internationaux quand la valeur du dollar est faible?

M. Dello Sbarba : Si le dollar canadien tombe à 30 cents américains, oui. Si la réglementation nous permet d'effectuer des exportations, oui. Cependant, si notre dollar se maintient à 90 cents américains, ces échanges ne seront pas du tout favorisés.

Le sénateur Enverga : C'est là ma question. Merci.

Le président : J'aimerais dire aux témoins que beaucoup de gens nous regardent sur Internet. L'audience est aussi diffusée sur CPAC. À titre de président, je tiens à dire que, lorsque le Sénat du Canada nous a donné le mandat de nous pencher sur l'accès aux marchés internationaux, il nous a demandé notamment, et je le signale parce que c'est la véritable raison pour laquelle on vous a invités conjointement, d'obtenir le point de vue d'un producteur et d'un transformateur sur la compétitivité et la rentabilité du secteur canadien de l'agriculture et de l'agroalimentaire. C'est ce que nous avons fait ce soir.

Est-ce que nous apprécions les efforts déployés par les témoins? Oui. Est-ce que leur témoignage était instructif? Oui. Est-ce qu'il était éclairant? Oui. Est-ce qu'il était éclairé? Comme M. Dello Sbarba, je crois que nous devons continuer d'avoir des discussions progressistes.

Ce soir, vous avez tous les deux fait preuve de leadership, et vous donnez le ton à la poursuite des négociations. Vos recommandations et vos remarques seront soumises selon la procédure établie. Nous leur en savons gré, et nous devons continuer à partager des pratiques exemplaires parce que les innovations agricoles sont essentielles pour parvenir à nourrir une population croissante. Nous voulons que vous poursuiviez sur cette voie.

Si vous voulez faire des remarques, vous pouvez les soumettre au greffier à n'importe quel moment pendant cette étude. N'hésitez jamais à communiquer avec nous.

Monsieur Dello Sbarba et monsieur Letendre, j'accorderais à chacun d'entre vous 30 secondes de parole, si vous avez des observations supplémentaires à faire.

M. Dello Sbarba : Je vous remercie encore une fois de m'avoir permis de présenter le point de vue de l'industrie canadienne de transformation. Je dois dire que le système de gestion de l'offre a très bien servi l'industrie au cours des 40 dernières années, mais nous avons des défis à relever. Nous devons relever ces défis, et nous voulons conserver notre efficacité. Nous voulons demeurer productifs, et il est important de réinvestir dans nos entreprises. L'industrie laitière est importante au Canada.

Ce sont les membres de l'industrie qui doivent bien sûr travailler ensemble pour trouver une solution. Cependant, nous voulons aussi que le gouvernement du Canada s'assure que, s'il décide de soutenir la gestion de l'avenir — parce que nous croyons qu'il s'agit d'une décision sociale au Canada — que c'est ce qu'il fait réellement, ce qui nous permettra de connaître les règles d'engagement. Toutefois, s'il décide de ne pas soutenir le système de gestion de l'offre ou de le critiquer, il devrait l'indiquer clairement afin que nous puissions prendre d'autres décisions sur l'avenir de l'industrie.

[Français]

M. Letendre : Je vous remercie de votre invitation. Il nous a fait grand plaisir de venir vous donner notre point de vue.

Je suis tout à fait d'accord avec M. Dello Sbarba pour dire que nous avons des défis et que nous sommes prêts à les relever. En très grande majorité, les producteurs appuient le concept de la gestion de l'offre, et c'est ensemble que nous pourrons relever les défis. Nous sommes donc prêts à discuter et à travailler ensemble pour les relever. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup. Je déclare maintenant cette réunion terminée.

(La séance est levée.)


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