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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 30 - Témoignages du 4 juin 2015


OTTAWA, le jeudi 4 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 30, pour poursuivre son étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Traduction]

Je suis Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité. J'aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Merchant : Je m'appelle Pana Merchant, de la Saskatchewan.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bonjour, je m'appelle Claudette Tardif, sénatrice de l'Alberta.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je suis Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse. Bienvenue.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bonjour, Ghislain Maltais, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.

Le président : Merci, honorables sénateurs. J'aimerais également offrir mes salutations au témoin qui comparaît devant nous aujourd'hui.

Le comité poursuit son étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le secteur agricole et agroalimentaire canadien joue un rôle important dans l'économie canadienne.

[Traduction]

En 2013, un travailleur sur huit au pays, ce qui représente plus de 2,2 millions de personnes, était employé dans ce secteur, qui a d'ailleurs contribué à près de 6,7 p. 100 du produit intérieur brut. À l'échelle internationale, le secteur agricole et agroalimentaire canadien était responsable de 3,5 p. 100 des exportations mondiales de produits agroalimentaires en 2013.

[Français]

De plus, en 2013, le Canada s'est classé cinquième parmi les exportateurs de produits agroalimentaires les plus importants au monde. Le Canada participe à plusieurs accords de libre-échange. À ce jour, 12 accords de libre-échange sont en vigueur. L'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne a été conclu, et des négociations sont en cours avec 11 autres groupes de pays à travers le monde.

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a reçu un ordre de renvoi du Sénat du Canada afin qu'il examine, pour en faire rapport, les priorités des secteurs agricole et agroalimentaire canadiens en matière d'accès aux marchés internationaux. Nous accorderons une attention particulière aux ententes et aux préoccupations des intervenants du secteur agricole, à l'amélioration durable des capacités de production, à la diversité, à la sécurité alimentaire et à la traçabilité.

Honorables sénateurs, ce matin, nous recevons M. Martin Lavoie, directeur, Politiques, innovation et fiscalité des entreprises, des Manufacturiers et Exportateurs du Canada.

Monsieur Lavoie, merci d'avoir accepté notre invitation et de bien vouloir partager avec le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts vos opinions, commentaires et recommandations en ce qui concerne l'ordre de renvoi que nous avons reçu.

Je vous demanderais de faire votre présentation, qui sera suivie des questions des sénateurs.

Martin Lavoie, directeur, Politiques, innovation et fiscalité des entreprises, Manufacturiers et Exportateurs du Canada : Je vous remercie, monsieur le président. C'est toujours un plaisir de participer aux études des comités du Sénat, qui sont reconnus pour faire des études approfondies. J'essaie toujours de faire des suivis de leurs recommandations également, car c'est très important.

C'est avec plaisir que je suis avec vous aujourd'hui pour discuter de la compétitivité du secteur agroalimentaire canadien. Je mettrai davantage l'accent sur le secteur de la transformation alimentaire, qui est le secteur que représente plus particulièrement notre association.

Je suis directeur des politiques d'innovation et de productivité chez Manufacturiers et Exportateurs du Canada. Nous formons la plus grande association industrielle et de commerce au Canada. Nous représentons environ 10 000 compagnies dans toutes les provinces au pays.

Le secteur manufacturier représente environ les deux tiers de toutes les exportations canadiennes, même s'il ne s'agit que de 10 p. 100 du PIB. Notre secteur représente plus de 5 p. 100 des dépenses au titre de la recherche et du développement de tout le secteur privé au Canada.

[Traduction]

J'aimerais tout d'abord dire quelques mots sur la transformation des produits alimentaires au Canada. Vous avez bien résumé l'importance du secteur. Nous sommes tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit. C'est sans contredit le plus grand secteur manufacturier du Canada à l'heure actuelle, et un des plus importants, puisqu'il représente plus de 15 p. 100 de l'ensemble de l'activité manufacturière au pays.

La transformation des produits alimentaires a aussi été un des secteurs manufacturiers ayant connu la croissance la plus rapide au pays ces dernières années. À titre d'exemple, les ventes du secteur ont augmenté de 12,2 p. 100 entre 2011 et 2014, comparativement à 8,6 p. 100 dans l'ensemble des autres secteurs manufacturiers. La croissance s'est poursuivie en 2015. Au cours des trois premiers mois de l'année, les ventes de produits transformés ont connu une hausse de 4,9 p. 100 par rapport au premier trimestre de 2014. En comparaison, les ventes totales du secteur manufacturier ont baissé de 0,2 p. 100 au cours de la même période.

Au sein du secteur de la transformation des produits alimentaires, les trois industries ayant enregistré les ventes les plus importantes en 2014 étaient les produits de la viande, les produits laitiers, de même que les céréales et les oléagineux.

En 2015, le secteur de transformation alimentaire des produits de la mer a connu la croissance la plus rapide à ce jour. Les chiffres de l'industrie de la transformation alimentaire varient d'une année à l'autre, surtout du côté des exportations. Certains secteurs sont fortement concentrés autour de denrées particulières.

Les exportations de produits alimentaires transformés ont atteint un sommet historique de 26,8 milliards de dollars en 2014, et elles ont doublé au cours des 15 dernières années. Les produits alimentaires transformés représentent 5,1 p. 100 des exportations totales du Canada. Au sein du secteur, les plus grands marchés d'exportation sont les produits de la viande, les céréales et les oléagineux transformés, de même que les produits de la mer.

Vous remarquerez que les produits laitiers ne sont pas exportés en raison de règlements intérieurs et de la gestion de l'offre.

Si vous examinez la destination des exportations, vous constaterez que les États-Unis profitent de 71 p. 100 des exportations canadiennes de produits alimentaires transformés. Le Japon et la Chine sont les destinations suivantes en importance.

J'aimerais dire quelques mots sur un des projets que Manufacturiers et Exportateurs du Canada, ou MEC, a mis de l'avant ces dernières années pour favoriser l'exportation des produits manufacturés à l'étranger, et surtout en Europe, y compris des produits alimentaires transformés.

La Commission européenne nous a mandatés pour la création de ce que nous appelons le Réseau canadien d'entreprises, qui est la division canadienne d'une organisation beaucoup plus grande du nom de Réseau entreprise Europe. C'est une plateforme de jumelage à guichet unique dirigée par l'industrie qui contribue à établir des partenariats internationaux en rapprochant des PME canadiennes à des sociétés internationales, y compris dans le secteur agroalimentaire. La plateforme permet aux PME canadiennes de dialoguer avec des entreprises d'Europe et d'ailleurs, y compris des États-Unis, du Mexique, du Brésil, de l'Inde et de la Chine. Au total, 60 pays sont représentés.

Nous avons lancé le projet il y a environ un an, et quelque 850 PME canadiennes sont enregistrées au réseau. Hier soir, j'en ai repéré 75 qui appartiennent au secteur agroalimentaire. L'ensemble de la base de données compte bien sûr environ 25 000 offres commerciales provenant des 60 pays.

À titre d'exemple, j'ai trouvé hier l'offre d'une entreprise danoise d'importation et d'exportation de fruits de mer à la recherche d'un fournisseur canadien de crabe des neiges. L'entreprise a déjà besoin d'un conteneur de 40 pieds par mois. Voilà le genre de possibilités qui s'offrent aux PME canadiennes. Nous collaborons avec Développement économique Canada, ou DEC, et d'autres organisations gouvernementales pour inciter un plus grand nombre de PME à s'inscrire à la base de données et à trouver des occasions d'affaires en Europe.

J'aimerais dire quelques mots sur les défis qui se présentent au secteur de la transformation alimentaire. Si nous pensons aux difficultés macroéconomiques que rencontre le pays de façon générale, ce secteur n'est pas différent des autres. Je parle notamment de la population vieillissante, de la décroissance de la population active qui en découle, et de la difficulté accrue à faire venir des travailleurs étrangers au Canada et à garder ces personnes hautement qualifiées au pays.

Tout comme d'autres secteurs manufacturiers et l'économie en général, le secteur doit améliorer la productivité de la main-d'œuvre. Les entreprises doivent accorder plus d'attention aux solutions d'automatisation industrielle. Je suis persuadé que d'autres témoins vous ont dit la même chose.

Il n'existe pas de données précises sur le niveau d'automatisation au pays. Mais de façon générale, si nous discutons avec nos membres et même avec les grandes entreprises plus susceptibles d'adopter des solutions d'automatisation, tous disent clairement que nous semblons accuser un retard comparativement à d'autres pays en matière d'automatisation et de robotique industrielle.

Le recours aux petites entreprises et la surreprésentation des très petites entreprises dans l'industrie sont un autre défi dans le secteur; il s'agit d'un défi structurel qui se pose dans bien d'autres secteurs de notre économie. Au Canada, ces petites entreprises semblent avoir du mal à devenir grandes.

Pensez-y : il y avait quelque 5 700 entreprises de transformation alimentaire au pays en 2014. De ce nombre, seules 625 ont plus de 100 employés, alors que les 5 100 autres en ont moins de 100, et que bon nombre d'entre elles emploient moins de 20 travailleurs.

Pour conclure, j'aimerais soumettre trois recommandations au comité ou au gouvernement. Nous croyons que le gouvernement fédéral devrait adopter des programmes de soutien à l'innovation dans le secteur de la transformation alimentaire, en accordant une attention particulière à la commercialisation de l'innovation, un volet absolument nécessaire pour aider nos producteurs canadiens à élargir leurs activités à l'échelle internationale.

Une des choses que nous entendons souvent à propos de la transformation alimentaire au Canada lorsque nous traversons la frontière ou allons en Asie ou ailleurs, c'est que personne ne connaît les produits alimentaires canadiens autres que le sirop d'érable et le homard. Notre secteur doit redorer son image. Comme vous le savez, l'alimentation fait l'objet de bien des publicités. Puisque personne ne va goûter un produit à l'épicerie avant de l'acheter, nous nous fions au message des producteurs.

Nous croyons aussi que le gouvernement fédéral doit songer à offrir des garanties de prêts et d'autres mécanismes de financement aux PME qui cherchent à financer des systèmes d'automatisation et de robotique pour leur usine. Nous entendons souvent parler des PME n'ayant pas les moyens financiers de faire l'acquisition de grands systèmes d'automatisation, qui sont parfois dispendieux. Aussi, les institutions financières traditionnelles refusent souvent de financer les PME pour toutes sortes de raisons. Nous devons trouver une façon d'offrir des garanties de prêts de sorte que le secteur privé assume ses responsabilités et accorde plus de financement. Nous avons amorcé des discussions à ce sujet avec la Banque de développement du Canada. C'est important puisque la capacité de financer ces solutions de robotique industrielle est déterminante.

Vous avez parlé d'accords commerciaux. Notre troisième recommandation, c'est que le gouvernement fédéral doit continuer à chercher activement à conclure des accords commerciaux avec les marchés émergents déterminants pour éviter que le pays ne perde son avantage concurrentiel par rapport aux nations qui pourraient conclure des accords de libre-échange, ou ALE, avec ces marchés avant nous. C'est par exemple ce que nous avons constaté dans le cas de la Corée et des producteurs de porc. Étant donné que les États-Unis ont signé l'ALE avant nous, le pays a un avantage concurrentiel par rapport à nous.

Nous vivons à l'ère des ALE bilatéraux ou régionaux; les grands accords multilatéraux n'ont plus la cote. Or, le temps est déterminant à ce chapitre. Nous devons signer des ALE avec les marchés émergents dès que possible.

Je vais m'arrêter ici, et je serai ravi d'entendre vos questions, vos remarques ou vos suggestions.

Le président : Merci, monsieur Lavoie.

[Français]

La sénatrice Tardif : Je vous remercie, monsieur Lavoie, de votre présence et de votre exposé fort intéressant. Il est impressionnant de constater tout ce que fait l'industrie de la transformation et combien les compagnies sont nombreuses. Vous avez indiqué que 5 700 entreprises travaillent dans ce secteur. Est-ce que ces manufacturiers agroalimentaires utilisent uniquement des produits canadiens?

M. Lavoie : Vous parlez des ingrédients pour les recettes?

La sénatrice Tardif : Oui.

M. Lavoie : Les ingrédients que l'on retrouve le plus souvent sont les produits laitiers, les œufs et la viande qui proviennent du Canada. L'un des points qui sont souvent soulevés par nos membres, c'est le prix des ingrédients qui est soumis à la gestion de l'offre et qui limite la productivité. Les produits ne sont pas aussi abordables qu'ils le souhaiteraient, notamment les œufs, les produits laitiers et le fromage.

De toute évidence, les transformateurs aimeraient qu'il y ait certaines réformes à ce chapitre. C'est un dossier délicat : c'est un peu l'éléphant blanc. Il faudra éventuellement se pencher sur les ententes de libre-échange. En tant qu'association, nous n'avançons pas de position ferme. Nous comprenons le but de la gestion de l'offre. Il y a toute une histoire derrière cela. Des recommandations ont été formulées pour réformer la gestion de l'offre, afin que le secteur soit plus compétitif et que les produits soient plus abordables. Je dois vanter les mérites des producteurs qui offrent des prix spéciaux aux grands manufacturiers. Certains producteurs laitiers ont mis en place un dispositif de prix plus avantageux. C'est déjà un bon départ.

Des compagnies comme Maple Leaf Foods achètent beaucoup d'œufs par semaine. Je ne sais pas combien, mais je sais que c'est une quantité phénoménale. C'est un secteur intéressant. Malheureusement, avec la gestion de l'offre, on ne peut les faire venir d'ailleurs, parce qu'ils sont assujettis à des tarifs d'importation.

La sénatrice Tardif : En avril 2005, vous et deux autres associations avez rédigé une lettre à l'intention du premier ministre afin de souligner l'importance de l'accord de Partenariat transpacifique et le fait que le Canada devra sans doute faire des concessions. Est-ce toujours votre position, et pourquoi?

M. Lavoie : Nous arrivons à la fin de cet accord. Dernièrement, j'ai souvent entendu dire que la gestion de l'offre représente un intérêt offensif de la part des États-Unis et d'autres pays européens. À mon avis, on ne peut apporter de réforme dans le cadre de ces accords. D'ailleurs, on l'a vu avec l'accord de libre-échange avec l'Europe où on a modifié les règles sur les quotas d'importation de fromage.

Il faut traiter les accords de libre-échange comme un tout. C'est le principe du donnant-donnant. Pour notre part, si une réforme mineure ou majeure du système de la gestion de l'offre se traduit par des gains à l'étranger, il faut le voir comme un tout, et non comme un seul secteur.

Le sénateur Maltais : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Lavoie. Vous êtes de loin l'association la plus représentative, puisqu'elle compte près de 10 000 entreprises au Canada qui sont à l'origine des deux tiers des exportations. Cela représente beaucoup d'argent. Vous faites un travail nécessaire et important. Les barrières interprovinciales vous posent-elles des difficultés?

M. Lavoie : De toute évidence, il y a des barrières importantes. Je fais toujours une différence entre les barrières et les irritants.

Il y a des irritants, comme les associations de camionnage, puis il y a les barrières. Dans ce secteur, l'une des barrières pour les plus petites entreprises, ce sont les règles en matière de salubrité et de certification. Lorsque cela relève de la compétence provinciale, il est impossible de vendre des produits dans une autre province.

J'habite dans la région de la capitale nationale, et j'en suis témoin tous les jours. J'ai un ami, à Chelsea, qui était propriétaire d'une entreprise de fumage de poisson. Il aurait souhaité vendre ses produits dans le Marché By ou aux restaurants d'Ottawa, mais il n'y était pas autorisé, parce qu'il n'avait pas obtenu la certification fédérale. Pour obtenir la certification fédérale, il faut franchir des étapes importantes qui coûtent cher. Les règles sont beaucoup plus strictes quant à la salubrité, à l'hygiène et à la traçabilité. Il faut que l'entreprise ait atteint une certaine taille. C'est donc une barrière importante. Cependant, nous nous demandons, nous qui habitons la région, si nous risquons davantage de nous empoisonner en mangeant à Ottawa qu'à Québec; il devrait y avoir un système de reconnaissance mutuelle des règles d'hygiène entre les provinces. Voilà un enjeu important.

On a parlé de la gestion de l'offre, même si je sais que ce sujet n'a pas vraiment été abordé dans le cadre de l'initiative du ministère de l'Industrie, et c'est peut-être l'éléphant blanc dans la salle. C'est un dossier dont nous devrions discuter à l'interne, parce que nous sommes souvent obligés d'en discuter au moment de signer des accords de libre-échange. On dirait que ce sont les autres pays qui nous forcent à discuter de ces problèmes à l'interne, et il me semble que nous devrions utiliser cette plateforme sur les barrières au commerce intérieur pour discuter de ces enjeux importants.

Le sénateur Maltais : Je ne parlerai pas de la question de la gestion de l'offre, car nous avons un spécialiste, le sénateur Dagenais, qui va certainement vous en parler. Dans vos recommandations, vous dites que le gouvernement fédéral devrait aider les industries à innover en matière de robotique, afin d'améliorer les méthodes de transformation. Sera-t-il nécessaire, pour faire face au défi des nombreux accords de libre-échange que le Canada a conclus et s'apprête à conclure, de procéder à une transformation de la machinerie dans les entreprises?

M. Lavoie : Les gens pensent souvent que, parce qu'il y a un accord de libre-échange, nous allons exporter davantage. Selon moi, si on veut exporter davantage, on doit produire davantage. Par exemple, avec quatre employés qui travaillent d'une manière plutôt artisanale, on ne commencera pas à nourrir un milliard de Chinois demain matin. Il faut produire davantage et, pour produire davantage, il faut que ce soit fait à plus grande échelle.

Il y a deux choses. En ce qui a trait à l'automatisation, on parle d'une technologie mûre prête à être adoptée, mais qui requiert des moyens financiers et une production plus importante.

En ce qui a trait à l'innovation, c'est un autre dossier. Ce que je voulais dire dans mes recommandations, c'est que lorsqu'on examine les programmes de soutien à l'innovation du gouvernement fédéral, on se rend compte qu'on met beaucoup d'accent sur l'innovation de produits et qu'on ne pense pas nécessairement à la façon dont cela se traduira pour le secteur agroalimentaire.

Je visite, par exemple, les usines de nos membres — Maple Leaf Foods en est un —, et je suis allé visiter une de leurs usines. Le type d'innovation qui s'y fait est vraiment intéressant et unique. Il y a de l'innovation de produits, bien sûr, car ils veulent trouver des produits plus savoureux, mais il y a énormément d'innovation en matière de marketing.

Ils doivent comprendre les besoins de leurs clients. Ils veulent comprendre comment la diversité ethnique à certains endroits peut avoir un impact sur leurs produits, et ils veulent savoir combien de temps les gens se donnent pour cuisiner le soir après qu'ils sont allés chercher leurs enfants. On parle donc d'innovation en matière de marketing.

Or, dans le cadre du crédit d'impôt accordé à la recherche et au développement, ce type d'innovation n'y est pas admissible. Le crédit d'impôt à la recherche et au développement concerne davantage la méthode scientifique qui vise à régler des problèmes dans le secteur manufacturier plus traditionnel. C'est pour cette raison que très peu d'argent est investi dans ce secteur, parce qu'il n'y a pas de complémentarité entre ce qu'ils font et ce que le gouvernement offre en matière de soutien à l'innovation. On devrait se pencher sur ce secteur d'une manière plus précise et examiner les besoins des entreprises.

En ce qui a trait à la machinerie et à l'équipement, on a constaté une certaine résurgence des investissements dans la machinerie depuis 2011. Un rapport de l'ICPA indique que la mesure d'amortissement accéléré pour l'achat de machinerie et d'équipement y a joué un rôle important. C'est une mesure fiscale qui permet de déprécier sur un laps de temps plus court la machinerie et l'équipement.

On mentionnait également, dans ce même rapport, que les usines et les bâtisses du secteur commençaient à être très vieilles et que cela mettrait possiblement un frein à la modernisation des équipements. On n'intègre pas des équipements d'une valeur de 2 millions de dollars dans une vieille bâtisse qu'il faudra rénover. C'est peut-être un autre aspect à examiner. Lorsqu'on se promène dans les vieux quartiers de Montréal, sur le boulevard Notre-Dame, on y voit toutes les vieilles usines de transformation alimentaire qui sont, en effet, de vieilles bâtisses. Comme dans le cas d'une vieille maison, quelquefois, il est préférable économiquement d'en bâtir une nouvelle que de la rénover.

Le sénateur Maltais : Est-ce que vos entreprises investissent suffisamment dans la modernisation?

M. Lavoie : Nous croyons qu'elles devraient investir davantage. L'un des freins à cet investissement, surtout dans le secteur de l'automatisation, est le financement. Ce n'est pas le cas seulement dans le secteur agroalimentaire; les entreprises qui débutent vont investir beaucoup d'équité personnelle pour obtenir du financement. On le voit souvent; le propriétaire de l'entreprise donne en garantie à peu près tout ce qu'il possède. Le cas échéant, si l'entreprise prend rapidement de l'expansion, cela signifie également qu'elle devra remplir une demande de crédit assez rapidement. C'est dans le cas de ces entreprises que l'on constate souvent des problèmes de financement, parce que les banques n'ont plus accès à la garantie, elles ne peuvent plus accéder à d'autres avoirs et elles ne peuvent pas vraiment baser le prêt sur la croissance future. Les entreprises font alors appel à la BDC qui peut être un peu plus flexible, mais elles ne veulent pas diluer les capitaux de leur entreprise et devoir chercher des partenaires extérieurs; elles veulent garder le contrôle de leur entreprise. Cela devient donc un problème pour l'expansion de nos entreprises.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : Des témoins nous ont parlé de la traçabilité et des lacunes de la chaîne de production alimentaire, surtout en ce qui a trait aux abattoirs et aux usines de transformation. Pourriez-vous nous expliquer certaines de ces difficultés? Faites-vous quoi que ce soit pour améliorer le système? Le gouvernement fédéral peut-il faire quelque chose à ce chapitre? Quelle est l'incidence de ces questions sur les consommateurs?

M. Lavoie : En toute honnêteté, nous ne nous sommes pas attardés à la traçabilité. Je n'ai pas grand-chose à dire là- dessus, mais je sais que d'autres ont abordé la question dans certains rapports. J'aimerais savoir ce que nos membres en pensent, car il y a eu bien des discussions sur le sujet. C'est bien sûr un facteur important en matière de commerce.

En général, la confiance accordée au système de traçabilité influence la capacité d'exportation. Dans le cas des produits de la viande en particulier, nous entendons dire que bien des produits sont saisis à la frontière à des fins d'inspections et d'analyses. Voilà un autre facteur qui limite notre capacité d'exportation.

Il s'agit bel et bien d'un facteur important auquel nous devons nous attarder davantage.

La sénatrice Merchant : La sénatrice Tardif vous a posé une question sur l'accord avec l'Union européenne et l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne, ou AECG. Il semble que les produits exportés devront être entièrement canadiens, n'est-ce pas? Vous en avez parlé indirectement, mais j'aimerais aller un peu plus loin. Y a-t-il des fabricants d'aliments transformés qui n'utilisent que des ingrédients canadiens?

M. Lavoie : Dans le cas de la transformation primaire, qui comprend les animaux vivants, les produits seront probablement surtout canadiens. C'est possiblement pour cette raison que ces entreprises exportent bien plus que les transformateurs secondaires. Voilà une des contradictions.

Si vous prenez le secteur de la transformation des produits alimentaires, vous constaterez que notre balance commerciale est positive pour les aliments de transformation primaire, alors qu'elle est vraiment négative du côté des aliments de transformation secondaire. C'est peut-être une raison. Si nous prenons l'exemple du homard, du porc et d'autres produits, la transformation primaire donne un produit 100 p. 100 canadien, mais le secteur de la transformation secondaire risque davantage d'importer les ingrédients d'autres pays.

La sénatrice Merchant : Si les Européens insistent pour avoir des produits entièrement canadiens, vous ne pourrez toutefois pas importer des ingrédients.

M. Lavoie : En effet. Dans le cas des produits de transformation secondaire, il est difficile d'avoir une composition 100 p. 100 canadienne compte tenu du plus grand nombre d'ingrédients nécessaires. Il y a probablement un bon nombre d'entre eux qui ne se trouvent pas au Canada, ou pas au même prix.

La sénatrice Unger : Monsieur Lavoie, vous nous avez donné énormément d'information en très peu de temps. C'est extrêmement intéressant.

Dans le cadre de nos délibérations, nous avons rencontré les responsables de très petites entreprises qui cherchaient à exporter. Elles nous ont beaucoup parlé du besoin de financement, et ne ciblaient pourtant aucunement le marché intérieur. Elles voulaient faire des affaires à l'étranger. Que peut-on faire pour les inciter à bâtir un bon marché national avant de se tourner vers l'étranger?

M. Lavoie : Tout d'abord, une des raisons qui explique une telle surreprésentation des petites entreprises aujourd'hui, comme d'autres témoins vous l'ont certainement dit, c'est que 143 usines ont fermé leurs portes au Canada entre 2006 et 2014, je crois, et que 90 p. 100 d'entre elles appartenaient à des multinationales. Ces sociétés ont tout bonnement quitté le pays. Voilà un des facteurs expliquant la surreprésentation actuelle.

Je pense qu'il y a deux choses à faire : il faut attirer plus d'investissements de multinationales au Canada, et aider les petites entreprises à prendre de l'expansion et à passer d'une production exigeant beaucoup de main-d'œuvre à une production plus automatisée. Pour ce faire, les entreprises doivent agrandir leurs installations et les doter d'un système d'automatisation.

Vous avez parfaitement raison en ce qui a trait au marché intérieur. Mais à un moment donné, je me demande s'il n'est pas plus facile pour certains secteurs d'exporter aux États-Unis qu'en Ontario à partir du Québec, en raison des barrières commerciales intérieures. Si un producteur n'a pas de certification nationale, il lui est impossible de vendre en Ontario un produit de la viande du Québec.

Je suis moi-même propriétaire d'une entreprise. Nous vendons des saucisses de Montréal. Nous sommes les derniers à le faire au Québec puisque nous ne pouvons pas vendre en Ontario.

Notre entreprise n'est pas petite. Nous fournissons des saucisses à quelque 35 magasins québécois, mais n'avons pas de certification nationale malgré notre taille. La situation devient donc un problème majeur. Vous avez tout à fait raison : si nous pouvions résoudre le problème au moyen d'une reconnaissance mutuelle des normes, cela représenterait certainement des débouchés intérieurs importants pour ces PME.

La sénatrice Unger : Pourquoi les multinationales ont-elles quitté le pays?

M. Lavoie : Je l'ignore. Certains disent que c'était attribuable à la hausse rapide de notre dollar. Ce pourrait être un facteur.

Les investissements dans le secteur ont commencé à ralentir au début des années 2000 et à la fin des années 1990. La tendance se dessinait depuis longtemps. Comme je l'ai dit, le coût des ingrédients au Canada était également assez élevé, et la récession mondiale a bien sûr incité de nombreux pays à ramener la production plus près du siège social ou d'autres usines.

Je pense aussi que ce qui s'est produit au Canada, c'est que bien des usines désuètes nécessitaient beaucoup d'investissements pour être modernisées. Je crois toutefois que certaines multinationales préféraient verser l'argent à d'autres usines.

N'oubliez pas que la valeur de notre dollar a monté au même moment que la flambé des coûts de la main-d'œuvre au Canada. Si vous examinez le coût de la main-d'œuvre par unité de production du secteur manufacturier en général, vous constaterez que les coûts du Canada étaient la moitié de ceux des États-Unis en 2000-2001. Or, la main-d'œuvre d'aujourd'hui est encore plus chère que celle des États-Unis. Cela s'ajoute à une pénurie de main-d'œuvre qualifiée ou non, et aux restrictions qui ont été imposées au Programme des travailleurs étrangers temporaires ainsi qu'au programme Accès rapide. Toutes ces raisons sont probablement entrées en ligne de compte.

La sénatrice Unger : En ce qui concerne les coûts de la main-d'œuvre, j'ai appris ce matin à la radio qu'une étude était réalisée sur le salaire des travailleurs syndiqués au Canada par rapport à celui des travailleurs du secteur privé. Il semble que les employés syndiqués gagnent 10 p. 100 de plus et obtiennent d'excellents avantages sociaux. J'imagine que cela a une incidence sur ce que vous venez de dire, n'est-ce pas?

M. Lavoie : Je ne jette pas le blâme sur les syndicats. La solution réside-t-elle dans une baisse de salaire pour tout le monde?

La solution que nous proposons aux entreprises qui veulent moins dépendre de la main-d'œuvre est de se tourner vers l'automatisation. Même si nous nous débarrassions de tous les syndicats au pays et diminuions nos coûts de main- d'œuvre de 10 p. 100, ce ne serait qu'une question de temps avant que les salaires ne remontent.

Par exemple, nous avons été témoin des nombreuses entreprises qui se sont tournées vers la Chine il y a 15 ans pour profiter d'une main-d'œuvre bon marché. Or, elles constatent maintenant que les coûts là-bas sont presque aussi élevés qu'ici. Ce n'est plus aussi abordable que ce l'était.

Je crois que c'est une solution à court terme de comparer les salaires des employés syndiqués et des employés non syndiqués. La seule solution à long terme demeure l'automatisation grâce à la robotique industrielle. À long terme, c'est la seule façon d'avoir une industrie à moins forte prédominance de main-d'œuvre et plus concurrentielle.

La sénatrice Unger : Personnellement, j'aimerais que les emplois du secteur privé offrent une rémunération égale. Avant, ils étaient mieux payés, mais cela a évidemment changé.

Merci.

Le sénateur Moore : Merci, monsieur Lavoie, d'être ici.

Vous avez dit qu'un des gros problèmes dont personne n'ose parler est la gestion de l'offre, mais nous savons que les États-Unis et d'autres pays de l'Union européenne avec lesquels le Canada fait affaire subventionnent fortement divers secteurs de leur économie. J'ai lu récemment que l'Australie ciblait notre gestion de l'offre avec le PTP, et que d'autres pays faisaient de même avec le PTP et l'accord européen. Que faisons-nous et que devrions-nous faire, selon vous, par rapport aux subventions accordées par ces pays dans les secteurs clés de leur économie? Il doit y avoir une certaine réciprocité. Tout ne repose pas que sur nous.

M. Lavoie : Je pense que les subventions directes aux compagnies agricoles ou les entreprises de transformation des aliments et la gestion de l'offre sont deux formes de subvention. Seulement, l'une est payée par le gouvernement, et l'autre, par les clients. Nous établissons le prix, et les gens qui achètent les produits subventionnent indirectement les producteurs, car ils paient un peu plus cher qu'ils ne l'auraient fait pour des produits importés.

C'est un argument qu'on entend beaucoup quand il est question de la gestion de l'offre : d'autres pays accordent des subventions, alors nous devons gérer l'offre. Je répète que je ne suis pas un négociateur. Je ne sais pas ce qui est offert. Je suis certain que les négociateurs canadiens ont pensé aux subventions. Comme je le disais, c'est donnant, donnant. Si nous devons nous attaquer à la gestion de l'offre sans rien recevoir en retour et sans arriver à mettre un terme aux subventions dans les autres pays, je ne pense pas que nous ferons une bonne affaire. Comme vous le dites, il doit y avoir une certaine réciprocité.

Le sénateur Moore : Vous ne recommandez pas qu'on commence à offrir des subventions, n'est-ce pas? Si les autres pays subventionnent, par exemple, les secteurs agricoles, est-ce que le gouvernement fédéral devrait en faire autant?

M. Lavoie : Pourquoi offre-t-on des subventions en premier lieu? Est-ce parce que d'autres pays le font, ou parce qu'il y a des failles dans le marché? Selon moi, les subventions doivent permettre de remédier aux lacunes. Si le marché ou le financement est déficient, pourquoi le gouvernement ne pourrait-il pas intervenir? On pourrait sans doute trouver des subventions pour tous les secteurs de l'économie aux quatre coins de la planète. Cela ne constitue pas en soi une raison pour tout subventionner au Canada.

Le sénateur Moore : Certains de ces secteurs sont fortement subventionnés par leur gouvernement, notamment aux États-Unis et dans certains pays européens. Ils sont gonflés à bloc, et cela leur donne un avantage injuste sur le Canada. Je ne pense pas qu'il faille leur concéder ce point, parce qu'ils ne changent rien, eux. Ils nous ciblent, mais ils ne changent pas leur propre système.

M. Lavoie : Nous ne voulons pas balancer tout le système par la fenêtre. Vous pourriez, par exemple, modifier les quotas d'importation ou les tarifs. Vous pourriez assouplir quelque peu les règles de façon à nous permettre de faire des gains dans d'autres secteurs.

Quand il est question de la gestion de l'offre, ce qui pose souvent problème, c'est l'idée qu'il faut se défaire de tout le système. Je ne pense pas que ce soit la chose à faire. Les quotas ont une grande valeur pour les agriculteurs, et les banques consentent des prêts en fonction de la valeur de ces quotas.

Le sénateur Moore : Exactement.

M. Lavoie : Impossible de mettre un terme demain matin à cette façon de faire, car le secteur des finances et les producteurs s'en ressentiraient. Cela nécessiterait une très longue transition.

Le sénateur Moore : Je me demande ce qui motive au juste la décision du Canada de négocier un accord commercial avec un autre pays. Est-ce la population de l'autre pays? Est-ce l'échange de produits?

On a appris au Sénat plus tôt cette semaine que la plupart des accords commerciaux que nous avons conclus ont entraîné un déséquilibre commercial déficitaire. Quelques-uns se sont avérés avantageux, mais ils sont peu nombreux. Je me demande donc ce qu'on laisse aller.

Je me pose la question dans le contexte de l'ALENA. Est-ce que cela vient à échéance en octobre prochain? Je me mêle avec l'accord sur le bois d'œuvre. Nous nous sommes vraiment fait avoir avec cet accord. C'est quelque 5 milliards de dollars que les États-Unis ne nous ont toujours pas redonnés.

Il y a bien des autorités aux États-Unis qui ne veulent pas que l'ALENA soit renouvelé. Et pourtant, on continue à vouloir inciter les gens à acheter des produits nord-américains, du Canada, du Mexique et des États-Unis.

J'ai participé à une rencontre, la première réunissant les intervenants interparlementaires du Canada et des États- Unis, et le commerce a été le principal sujet de discussion. Mais la réalité maintenant est que les États-Unis ont des revendications à l'égard du Mexique, car la main-d'œuvre coûte moins cher là-bas. Avez-vous pensé à cela? Si cet accord est différent des dispositions actuelles, qu'est-ce que cela signifierait pour votre secteur ou votre organisation?

M. Lavoie : Au moment de l'entrée en vigueur de l'ALENA, les accords commerciaux visaient principalement les tarifs. Les choses ont bien changé. Les nouveaux accords insistent davantage sur les barrières non tarifaires, y compris les marchés publics. Toutes les choses qui sont ciblées dans les accords actuels ne l'étaient pas dans le cadre de l'ALENA. Dans un sens, l'ALENA, si on le compare à l'AECG, est un accord commercial incomplet. L'AECG aborde les processus d'approvisionnement des gouvernements fédéral et provinciaux et des administrations municipales. L'ALENA ne visait que les achats fédéraux, qui représentent bien peu à côté de tout l'argent consacré à l'infrastructure des transports par les municipalités et les provinces, par exemple.

Je comprends ce que vous voulez dire. Ce qui motive la conclusion d'un accord dans le secteur alimentaire, c'est que les tarifs sont encore très élevés pour cette industrie. Bien des pays d'Asie imposent des tarifs salés sur certains produits, et nous aimerions avoir un meilleur accès au marché. L'industrie du porc pousse beaucoup en ce sens dans le cas de la Corée, par exemple. Cela devient un avantage concurrentiel.

Mais avec les États-Unis, pour être honnête avec vous, les barrières non tarifaires que nous n'avons pas réglées devront l'être tôt ou tard. Dans le secteur manufacturier en général, une des plus grandes barrières non tarifaires à l'approvisionnement public est la Buy American Act. Elle a été exclue de l'ALENA parce qu'il ne s'agissait pas d'une barrière tarifaire; c'était une barrière non tarifaire. Malheureusement, la Buy American Act empêche les PME canadiennes d'accéder au marché dans des secteurs comme ceux des routes et des autoroutes publiques, de l'infrastructure aéroportuaire et des réseaux d'aqueduc et d'égouts.

J'en ai discuté avec des entrepreneurs américains, et malheureusement, ce qui se passe lorsque...

Le sénateur Moore : Que se passe-t-il quand vous leur en parlez? Comprennent-ils ce que cela implique? Comment justifient-ils qu'on maintienne cette politique?

M. Lavoie : La première chose qu'ils me répondent, c'est que la Buy American Act cible le secteur de l'acier. Ils affirment vouloir protéger les produits de l'acier et l'acier brut des pays d'Asie — ils parlent des pays d'Asie, mais je crois qu'ils font référence à la Chine — qui offrent de généreuses subventions et qui prévoient des mesures de dumping. Ils ne veulent pas que ces produits entrent aux États-Unis. À cela, je leur réponds : « Ai-je l'air Chinois, selon vous? » Nous sommes Canadiens. Le coût de la main-d'œuvre est le même qu'aux États-Unis, et peut-être même un peu plus élevé. Nous avons la même règlementation environnementale. Nos entreprises sont totalement intégrées, tant pour les chaînes d'approvisionnement internes qu'externes. Je comprends qu'ils veuillent empêcher l'acier d'Asie de pénétrer le marché des États-Unis, mais nous ne sommes pas Chinois. Nous sommes Canadiens.

J'ai vu des entreprises américaines être directement touchées par les dispositions « Buy American », car elles ont des usines au Canada. Par exemple, l'an dernier, un pont a été construit à Morrison, au Colorado. La structure d'acier, la fabrication de toutes les pièces d'acier, a été confiée à une entreprise locale. Cette entreprise locale avait une usine en Ontario. Elle n'arrivait pas à fournir tout l'acier nécessaire, alors elle a demandé à sa filiale canadienne d'exporter de l'acier au Colorado pour la construction du pont. L'entreprise a été pénalisée en vertu de la Buy American Act pour avoir demandé de l'aide à sa filiale canadienne.

D'un côté, le gouvernement américain vante les mérites des accords de libre-échange, demandant aux entreprises d'intégrer complètement leurs chaînes d'approvisionnement à celles du Canada et du Mexique, car c'est qu'il veut pour les entreprises. De l'autre, quand il accorde un gros contrat pour la construction d'un pont, le gouvernement sort sa règle et tape sur les doigts des entrepreneurs qui osent s'approvisionner ailleurs qu'aux États-Unis.

Le sénateur Moore : Il en a fait une loi. Il a glissé ces dispositions dans une loi qui n'a rien à voir avec cela, sous de faux prétextes.

M. Lavoie : C'est ainsi qu'il procède maintenant.

Le sénateur Moore : C'est un réel affront à l'esprit et à la primauté du droit. Mais bon. Merci beaucoup.

Le sénateur Oh : Monsieur Lavoie, merci d'être ici. Les renseignements que vous nous soumettez nous seront très utiles.

Le gouvernement, EDC et la Banque de développement du Canada ont déployé beaucoup d'efforts pour aider les fabricants à exporter leurs produits sur le marché international. Est-ce que vos membres sont au courant de tous les outils à leur disposition, et s'en servent-ils, ou y a-t-il des outils plus efficaces que vos membres aimeraient pouvoir utiliser?

M. Lavoie : EDC a fait de l'excellent travail dans les dernières années pour entrer en contact avec nos entreprises. La différence, c'est qu'avant, EDC ne s'entretenait qu'avec les entreprises qui exportaient déjà leurs produits. Nous en avons beaucoup discuté avec l'organisation. Bien des entreprises n'exportent pas encore, mais si elles veulent prendre de l'expansion et survivre, elles vont devoir le faire un jour ou l'autre. Le Canada est un petit marché. Il serait peut-être bien d'entamer des discussions avec elles avant qu'elles ne se lancent dans l'exportation. Elles vont devenir vos clientes.

Ce fut un bon argument, parce qu'EDC a décidé de travailler de concert avec le Réseau canadien d'entreprises, afin de mieux cerner les entreprises qui ont un bon potentiel d'exportation. EDC sait que ces entreprises vont devenir ses clientes. C'est parfait.

Nous avons une excellente collaboration avec EDC. Je vous dirais que la plupart de nos membres sont au courant de ce que fait l'organisation. Nous organisons des ateliers « Le monde à votre portée » pour nos membres de l'ensemble du Canada, des ateliers qui attirent entre 50 et 100 entreprises chaque fois, et EDC est toujours sur place pour donner de l'information.

La Banque de développement du Canada a beaucoup travaillé avec nos membres sur le plan du financement. Comme je le disais, la BDC a permis de combler un manque, là où les banques traditionnelles ne sont pas prêtes à se mouiller. Elle a aussi un mandat de nature un peu plus internationale. Si par exemple une entreprise veut s'ouvrir une usine ailleurs, la BDC peut également financer des projets immobiliers.

La BDC travaille bien. Je crois que la prochaine étape pour elle consisterait maintenant à aller de l'avant avec les systèmes d'automatisation et de robotique industrielle. Nous aimerions voir quelque chose de mieux adapté, notamment pour le secteur de la transformation des aliments. Nous avons entamé des discussions avec la BDC à ce sujet, et elle est très ouverte à la possibilité. Comme vous le savez, le dernier budget fédéral a fait l'annonce de nouveaux programmes pour aider les PME. J'ai bon espoir que nous arriverons à cela avec la BDC à un moment donné.

Le sénateur Oh : Êtes-vous d'accord pour dire que l'accord de libre-échange est très important, et que les gouvernements devraient toujours s'assurer d'en conclure de nouveaux? Nos agriculteurs ont besoin du secteur de l'exportation. Nous avons une population de 36 millions d'habitants seulement. Nous avons une vaste étendue de terres pour produire des aliments, et il faut exporter ces produits.

M. Lavoie : Absolument. C'est ce que je disais à propos de la nécessité de conclure des accords de libre-échange, et cela doit se faire rapidement.

Le sénateur Oh : Je note aussi, à propos de l'innovation dans le secteur de la transformation des aliments, qu'en Asie, PFK et McDonald ont déjà pris une bonne longueur d'avance en s'adaptant au marché local, un nouveau marché international. PFK est un géant en Asie. On parle de restaurants de 40 000, 50 000 et même 100 000 pieds carrés, comparativement à ceux qu'on trouve ici, au Canada, ou aux États-Unis. Les plus grands font environ 2 000 pieds carrés.

M. Lavoie : En chine, le marché de la vente d'aliments au détail est extrêmement diversifié. C'est une chose de décider d'exporter ses produits en Chine, mais à qui s'adresser pour le faire? Les entrepreneurs doivent être conseillés.

J'ai lu quelque part que les ventes des cinq principaux détaillants alimentaires chinois ne représentent que 6,5 p. 100 de toutes les ventes en épicerie. Au Canada, les trois principales chaînes de supermarchés récoltent 70 p. 100 de toutes les ventes au détail. C'est tout le contraire en Chine; les cinq plus grandes chaînes n'ont que 6,5 p. 100 des ventes. C'est le Far West pour les entreprises canadiennes qui veulent s'établir là-bas, alors elles ont sans contredit besoin de conseils.

Le sénateur Oh : Je voulais dire que pour exporter des produits, il faut adopter des méthodes de transformation des aliments qui sont innovatrices. Comment percer ce marché? Ce marché en émergence est énorme.

M. Lavoie : Si on pense au secteur de la viande précisément, je crois que les Chinois seraient plus enclins à recevoir davantage de produits canadiens, car ils ont confiance en nos processus de salubrité et de traçabilité.

Le sénateur Oh : Ou en la marque de commerce du Canada.

M. Lavoie : La bonne marque de commerce du Canada.

J'ai parlé du Centre de ressource et d'innovation en agriculture. On y a mené une étude intéressante sur la Chine. On s'est entretenu avec de nombreux distributeurs chinois, certains ayant des bureaux au Canada. Le plus grand problème, selon eux, avec les aliments canadiens, c'est qu'ils ne sont pas bien identifiés. Nous savons ici que les produits canadiens sont sécuritaires, mais les distributeurs ont indiqué que la population chinoise n'était pas nécessairement au courant de cela. À leur avis, le Canada doit mener une campagne de promotion de l'image de marque de ses produits en Asie.

Le sénateur Oh : Nous avons besoin de votre aide.

M. Lavoie : Vous avez besoin de mon aide. Je vais suivre des leçons de chinois.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, monsieur Lavoie. Pour revenir à ce que disait le sénateur Maltais, je ne suis pas un spécialiste de la gestion de l'offre, mais lorsque j'ai été candidat conservateur à Saint-Hyacinthe, le terreau agricole de l'est du pays, j'ai eu à comparaître devant l'UPA. Vous avez fait l'UPA, vous devez connaître la gestion de l'offre, mais pour ouvrir une parenthèse, depuis que l'UPA existe, elle a dû s'ajuster à un moment donné.

Ma question concerne l'Organisation mondiale du commerce. En mai, elle a rendu une décision favorable au Canada et au Mexique en ce qui concerne la politique des États-Unis en matière d'étiquetage en ce qui a trait au pays d'origine. Le Canada demandera à l'Organisation mondiale du commerce d'appliquer des mesures, pas des représailles, contre les exportations américaines, soit les importations canadiennes en provenance des États-Unis, et cela inclut les produits agroalimentaires. Un comité de la Chambre des représentants des États-Unis a voté en faveur d'une révocation de l'étiquetage du pays d'origine. Êtes-vous au courant de cela? Ces mesures de rétorsion auront-elles un impact sur les membres de votre organisation?

M. Lavoie : Certainement, je vois les deux côtés de la médaille. Beaucoup de compagnies disent que ces mesures de rétorsion font du mal aux pays qui les mettent en place également, et il ne faut pas s'en cacher. D'un côté, il y a des producteurs qui seront affectés, parce qu'ils faisaient venir des ingrédients des États-Unis. D'autre part, si on gagne la bataille à l'OMC, mais qu'il n'y a pas de mesures de représailles en place, quels messages envoyons-nous aux autres pays, comme les États-Unis, qui ont cette mauvaise habitude de prendre des mesures unilatérales envers le Canada, comme on l'a vu dans le dossier du bois d'œuvre? Cela aussi coûte cher. Si on ne met pas en place ces représailles, alors qu'arrivera-t-il à l'avenir? Sinon, on envoie le message aux autres pays qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent. Ceux qui ne sont pas heureux n'auront qu'à faire appel à l'OMC, tout en sachant que les mesures adoptées ne le seront que sur papier.

Nous nous situons entre les deux en nous disant que, pour le bien commun du Canada, à un moment donné, avec les Américains, il faudra mettre en place certaines mesures de rétorsion, au risque de leur envoyer le message qu'ils peuvent continuer à faire ce qu'ils ont toujours fait, et qu'ils n'ont qu'à trouver un autre moyen de le faire. C'est un peu la même chose avec le Buy American Act, dont parlait le sénateur Moore. Cela fait 25 ans qu'il y a de la discrimination envers les compagnies canadiennes, alors que nous ne demandons jamais de contenu canadien pour quoi que ce soit. Toutes les compagnies américaines sont les bienvenues dans nos projets d'infrastructure, et lorsqu'on essaie d'aller dans cette voie, on ne réussit pas à exporter.

Nous devrons peut-être envoyer le message que nous ne voulons plus nous faire marcher sur les pieds.

Le sénateur Dagenais : Pour les manufacturiers agroalimentaires, beaucoup d'intrants proviennent des États-Unis. Alors, est-ce que cela peut avoir un impact sur le coût des intrants?

M. Lavoie : On en a entendu parler dans d'autres associations qui représentent certains secteurs. Certaines associations commencent même à se positionner à l'interne contre toute forme de représailles. Selon moi, je crois qu'elles doivent faire attention. Je comprends qu'elles représentent les intérêts de leurs membres, mais, en même temps, elles font face à un enjeu plus important dans ce dossier, soit notre capacité d'empêcher d'autres mesures unilatérales, il faut le dire, de la part des Américains à l'avenir.

[Traduction]

Le président : La sénatrice Unger a une autre question, et le sénateur Moore également.

La sénatrice Unger : J'ai lu tout récemment qu'un projet de loi modifiant la loi américaine sur la commercialisation agricole avait été abrogé. Le président Conway a déclaré ce qui suit :

Nous devons tout faire pour éviter les représailles de la part du Canada et du Mexique, et c'est ce que permettra ce projet de loi, qui prévoit la révocation de toutes les exigences en matière d'étiquetage pour le bœuf, le porc et le poulet.

L'Alberta exporte beaucoup de produits de bœuf et l'industrie a été touchée par ces mesures. En supposant que le projet de loi a été révoqué, combien de temps faudra-t-il pour que tout soit normalisé dans ces secteurs?

M. Lavoie : Je ne peux pas répondre à votre question.

Pourriez-vous répéter le titre du projet de loi en question? S'agit-il d'une loi fédérale? Oh, voulez-vous parler de la mention obligatoire du pays d'origine sur les étiquettes?

La sénatrice Unger : Oui.

M. Lavoie : Je ne sais pas combien de temps il faudra attendre, honnêtement. Une date butoir a probablement été établie par l'OMC pour que cela soit révoqué le plus tôt possible.

La sénatrice Unger : Il a ajouté ceci :

Je remercie mes collègues des deux partis d'avoir soutenu la proposition. Nous allons continuer à y travailler pour qu'elle soit déposée à la Chambre le plus rapidement possible, de façon à ce que notre économie ne souffre pas des effets de représailles possibles, pas plus qu'une vaste gamme d'industries américaines et les hommes et les femmes qui travaillent pour elles.

J'ai entendu dire dernièrement que le projet de loi avait été abrogé.

Le président : Est-ce que les choses vont bon train? C'est ce que la sénatrice Unger veut savoir.

M. Lavoie : Combien de temps cela prendra.

Le président : Là est la question.

Le sénateur Moore : J'ajouterais qu'au début du mois de mars de cette année, une délégation canadienne, dont le président et moi faisions partie, s'est rendue au bureau de M. Conway pour y rencontrer son représentant principal, son conseiller. Il nous a invités à encourager le Canada à prendre des mesures de rétorsion. Selon lui, si nous ne le faisons pas, nous aurons beaucoup de difficulté à franchir le processus législatif. Son comité est favorable à l'idée de l'abroger, et il faudra ensuite que cela passe par la Chambre des communes et le Sénat.

Il a clairement indiqué que ce processus législatif pourrait être très long. Selon lui, la mise en place de mesures de rétorsion nous permettrait d'attirer leur attention immédiatement et d'obtenir des résultats concrets.

Donc, c'est la même chose. Les États-Unis font 10 fois notre taille et leurs problèmes sont décuplés. Si nous n'intervenons pas pour faire valoir nos points, les Américains passent simplement au prochain problème. Nous devons donc nous assurer de placer nos différends commerciaux avec les États-Unis à l'avant-scène.

L'OMC a déjà rendu des décisions, sans résultat. La décision sur le bois d'œuvre n'a eu aucun effet. Dans l'ère de la primauté du droit, il ne faut pas relâcher la pression. Les notions de pressions économiques et de représailles ne leur sont pas étrangères, je pense que cela les inciterait à réagir.

Je voulais simplement faire valoir ce point, monsieur le président.

M. Lavoie : Je suis d'accord sur ce point. Pour revenir à notre discussion sur les mesures protectionnistes des Américains, je me rappelle que des dirigeants d'entreprises m'ont dit que le jour où le Canada mettra en place ses propres mesures sur le contenu canadien, les États-Unis réagiront. Voilà comment cela fonctionne aux États-Unis : tout est fonction de qui leur fait mal. Le système américain est très différent.

Le sénateur Moore : Aux États-Unis, dire « Achetez américain », c'est de la politique facile. Les Américains disent toujours qu'ils ne visent pas le Canada et ne veulent pas lui nuire, qu'ils veulent simplement enrayer le commerce avec la Chine. Toutefois, ils ne le précisent jamais. Ils ne nous acceptent jamais et ne disent jamais « Achetez nord-américain ». Ils pourraient le faire; il leur suffirait d'ajouter « nord », et nous serions satisfaits.

M. Lavoie : Le Mexique serait-il inclus?

Le président : Merci de la précision, sénateur Moore.

Le sénateur Moore : Vous y étiez, monsieur le président.

Le président : En effet.

La sénatrice Beyak : Monsieur Lavoie, merci de cet excellent exposé. Votre organisme est presque aussi vieux que le Canada; il a été fondé en 1871, n'est-ce pas?

M. Lavoie : Oui, mais je n'étais pas là à l'époque. Donc, il y a une histoire officielle et une histoire officieuse, mais je les raconterai en privé.

La sénatrice Beyak : C'est très impressionnant et je pense que ce l'est tout autant pour les Canadiens qui regardent la réunion.

Dans ma circonscription, les gens me posent toujours des questions d'ordre pratique. Je suis surprise par le nombre de Canadiens qui regardent la chaîne CPAC et suivent les délibérations des comités sénatoriaux. Je pense que c'est parce que les réunions sont diffusées de façon impartiale et non filtrée; on ne présente que les faits.

Les consommateurs viennent me voir et ne comprennent pas pourquoi la société Maple Leaf offre du poulet et de la dinde dans des emballages sous vide, mais pas de bœuf. Pourquoi n'offre-t-on pas de bœuf? Y a-t-il une raison à cela, ou est-ce simplement une décision de l'entreprise?

Pourquoi le lait coûte-t-il si cher dans les grandes villes, comparativement aux petites villes? Les prix sont comparables entre les États-Unis, Toronto et d'autres villes, mais dans les petites villes, le lait se vend parfois presque la moitié du prix.

Connaissez-vous les réponses à ces questions d'ordre pratique?

M. Lavoie : Pour être honnête, je vois parfois des différences par rapport aux prix du lait et du beurre entre Super C et Loblaws. Honnêtement, les détaillants devront expliquer leurs stratégies d'établissement des prix, parce que je ne comprends pas pourquoi on peut parfois acheter trois livres de beurre pour 10 $ chez Super C, tandis que chez Metro, la livre de beurre se vend 4,25 $. D'où vient cette différence?

En même temps, le gouvernement actuel s'est beaucoup concentré sur les écarts de prix entre le Canada et les États- Unis. Quant aux points que vous soulevez, je serais porté à demander comment vous expliquez les écarts de prix au pays.

J'habite dans la région; lorsqu'on regarde le prix du lait, par exemple, je constate une énorme différence entre Ottawa et Gatineau parce que les deux systèmes sont différents. Encore une fois, il n'y a aucune raison précise.

Parlant de subventions, qui sont les plus grands consommateurs de lait? Ce sont les enfants. Du point de vue d'un consommateur, ce que je n'aime pas, c'est qu'on demande aux plus grands consommateurs de lait de subventionner indirectement ce secteur. À mon avis, ce n'est pas à ces gens de le faire. Il s'agit parfois de mères célibataires avec trois enfants, et elles achètent beaucoup de lait parce que leurs enfants mangent des céréales et boivent beaucoup de lait. C'est ce que nous disent les consommateurs, et j'ai tendance à être d'accord sur ce point.

La sénatrice Beyak : Je pense que les questions font voir les choses sous un angle personnel. Nous parlons de gestion de l'offre, de libre-échange et de concurrence, mais à la base, les gens en voient les effets concrets et ne comprennent pas. Je n'arrive pas non plus à leur expliquer.

Deuxièmement, pourriez-vous nous parler davantage de l'enjeu des travailleurs étrangers temporaires? Nous avons entendu les points de vue d'autres organismes, mais pas du vôtre, et je suis impressionnée de l'étendue de vos connaissances.

M. Lavoie : D'après nos membres, beaucoup d'entreprises faisaient appel à des travailleurs étrangers dans le passé. Il était possible d'inviter au pays un certain nombre de travailleurs chaque année; j'oublie le chiffre exact. Ces gens demeuraient au Canada pendant deux ans. Les entreprises leur offraient une formation en espérant qu'ils présentent une demande de résidence permanente et qu'ils s'établissent au Canada pour y travailler. Comme vous le savez, le taux de roulement de la main-d'œuvre de certains secteurs, comme celui de la transformation des viandes, est d'environ 50 p. 100. C'est énorme. L'immigration est l'un des mécanismes qui permettent d'obtenir la main-d'œuvre. Lorsque ces gens parviennent à trouver un bon emploi au Canada et à recevoir une formation, ils ont tendance à demeurer au sein de l'entreprise.

À titre d'exemple, j'ai entendu dire que les bouchers industriels ne sont plus admissibles au processus d'avis relatif au marché du travail accéléré lié au Programme des travailleurs étrangers temporaires. C'est un problème. Le nombre de travailleurs pouvant être embauchés par l'intermédiaire du programme a été réduit. La validité du permis de travail avant qu'un travailleur doive présenter une demande de résidence permanente a été réduite de deux ans à un an. Des restrictions visent tous les aspects, ce qui exacerbera le problème de pénurie de main-d'œuvre et de compétences.

La sénatrice Beyak : Votre organisme collabore-t-il avec le gouvernement pour déterminer l'importance du problème?

M. Lavoie : Oui. À l'époque, nous avons eu beaucoup de discussions avec le ministre responsable d'EDSC, et nous avons écrit des articles pour les faire publier dans les journaux. Beaucoup de ces choses étaient liées au secteur de la restauration.

Parfois, à la suite d'un incident, tout le monde est touché par la décision subséquente du gouvernement. Malheureusement, beaucoup de nos secteurs ont été touchés. Je pense que les salaires de l'industrie de la transformation des aliments sont adéquats. L'industrie ne recherche pas une main-d'œuvre bon marché. Elle a simplement besoin de main-d'œuvre, d'une main-d'œuvre fiable. L'industrie est prête à leur offrir une formation si elle a la certitude qu'ils resteront. La question a fait l'objet de discussions.

Le gouvernement démontre une certaine ouverture, mais je sais que c'est un enjeu politique complexe. Comme je l'ai indiqué, l'automatisation des usines est la seule autre façon de régler le problème. C'est la seule solution.

La sénatrice Enverga : Merci de votre exposé. La plupart des questions que j'avais ont déjà été posées, mais j'aurais une question complémentaire concernant les travailleurs étrangers temporaires.

Savez-vous si cette décision a fait perdre des occasions d'affaires aux entreprises manufacturières? Le cas échéant, combien cette perte représente-t-elle en pourcentage de leurs revenus? Autrement dit, cette décision a-t-elle été lourde de conséquences pour l'industrie?

M. Lavoie : Non, je n'ai pas de chiffres là-dessus. À l'heure actuelle, le secteur de la transformation de la viande, à lui seul, fait probablement face à une pénurie de plus de 1 000 personnes; c'est d'ailleurs le cas de certaines grandes entreprises avec lesquelles je me suis entretenu. J'ignore comment cela se traduit en occasions perdues, mais encore une fois, cet aspect fait partie de l'ensemble des facteurs dont tiennent compte les grandes multinationales lorsqu'elles envisagent de faire des investissements. Allez-vous injecter 100 millions de dollars dans une nouvelle usine, sachant que vous aurez du mal à trouver la main-d'œuvre adéquate? C'est une partie du tableau d'ensemble.

Plus on a recours à l'automatisation, plus on a besoin de travailleurs hautement qualifiés pour faire fonctionner cet équipement robotique de calibre industriel. Mais où trouver ces gens?

En ce moment, nous essayons de combler cette lacune. L'année dernière, nous sommes allés en Allemagne avec un de nos membres, Siemens. On nous a parlé du système allemand et de la façon dont il fonctionne. Ainsi, les jeunes doivent choisir un cheminement professionnel dès le début du secondaire. Nous avons vu comment les stagiaires sont placés dans des usines à un jeune âge. Nous étions fascinés, car au Canada, ce n'est vraiment pas ainsi que nous procédons.

À notre retour, nous avons eu l'idée d'établir un programme pilote avec Siemens au Canada. Nous l'appelons l'Académie Siemens Canada. D'ailleurs, ce projet a été annoncé dans le dernier budget fédéral. En effet, le gouvernement fédéral a annoncé un investissement de 65 millions de dollars à l'intention des associations industrielles comme MEC en vue de leur permettre de mieux faire concorder les programmes d'études dans les collèges avec les besoins du secteur privé ou du marché.

Notre première cohorte, composée de 30 étudiants, a commencé le programme en mai. Nous verrons comment tout cela tournera. Le but est de collaborer avec des entreprises, surtout d'origine allemande, qui connaissent bien ce système d'éducation et d'essayer de mettre en œuvre ce programme au Canada. Si la formule fonctionne pour nous, elle fonctionnera aussi pour beaucoup d'autres industries.

Le sénateur Enverga : J'ai une question complémentaire à poser. La pénurie des travailleurs pourrait nous poser des problèmes, puisque notre population ne cesse de diminuer. Ces entreprises manufacturières ont-elles songé à impartir le travail là où la main-d'œuvre coûte moins cher?

En même temps, si les gens ne travaillent pas dans des régions éloignées, c'est notamment parce qu'ils sont trop loin des usines. Les entreprises manufacturières ont-elles envisagé de se rapprocher des régions plus pauvres pour avoir accès à plus de travailleurs?

M. Lavoie : Non, pas à ma connaissance. Parlez-vous de l'idée de déménager des régions rurales aux régions urbaines?

Le sénateur Enverga : C'est exact, afin d'attirer plus de travailleurs.

M. Lavoie : Non. Déménager des usines de production, ce n'est pas bon marché. Dans bien des cas, lorsque les multinationales sont sur le point de fermer une usine, elles vont aussi envisager d'autres pays. Rester au Canada n'est pas la seule option. Elles ont la possibilité d'investir dans d'autres pays, comme vous l'avez dit — par exemple, dans certains pays où elles peuvent mieux absorber les coûts de la main-d'œuvre.

En général, beaucoup d'entreprises qui ont fermé leurs portes aux États-Unis avaient leur siège social là-bas. Nous avons également observé que les Américains ont adopté une approche vigoureuse pour rapatrier la production aux États-Unis parce que leur gouvernement a pris des mesures assez dynamiques en ce sens. Ce constat ne s'applique pas nécessairement au secteur de la transformation des aliments, mais plutôt à d'autres secteurs; ainsi, dans certaines villes, surtout au Tennessee dans les États du Sud, le gouvernement construit les usines nécessaires pour les entreprises. Il leur promet de construire l'installation voulue, à condition que la production se fasse aux États-Unis; l'usine leur est ensuite louée pendant 10, 20 ou 30 ans, et le gouvernement leur donne un coup de main en cas de besoin.

C'est ce qui s'est passé avec Electrolux, lorsqu'elle a quitté Montréal; il en va de même pour Kruger. Ces entreprises sont parties dans les États du Sud. Les Américains ont fait preuve d'un grand dynamisme. Textron, le siège social de Bell Helicopter, vient d'ouvrir une toute nouvelle usine à l'aéroport régional de la Louisiane. L'usine a été construite entièrement par le gouvernement régional, qui la loue maintenant à l'entreprise. Il s'agit là de 100 millions de dollars en capital que l'entreprise n'a pas besoin de dépenser. Cette mesure a donc un effet très encourageant.

Selon moi, si une entreprise est aux prises avec une vieille installation et qu'elle songe à une nouvelle usine, elle se tournera vers Toronto et les États du Sud. Il est parfois difficile de livrer concurrence.

Je ne dis pas que le Canada devrait commencer à construire des usines pour les entreprises; ce n'est pas là où je veux en venir. Je tiens simplement à souligner que d'autres pays, notamment les États-Unis, prennent des mesures très énergiques pour encourager ce qu'on appelle le « rapatriement », et cela a des répercussions sur le Canada, entre autres.

Le sénateur Enverga : Selon la tendance actuelle, êtes-vous en train de dire que nous n'offrons pas assez d'encouragements à nos entreprises manufacturières?

M. Lavoie : Comme je l'ai dit, je pense que nous devons mieux adapter le soutien gouvernemental aux besoins de l'industrie de la transformation des aliments, car sur le plan de l'innovation, nous n'avons pas droit à beaucoup de programmes d'aide gouvernementale.

Je me dois de féliciter le gouvernement de l'Ontario, qui a annoncé le nouveau Fonds pour l'emploi et la prospérité. Un des trois volets du fonds vise exclusivement les industries de transformation des boissons et des aliments. Donc, si je ne me trompe pas, des fonds seront débloqués pour cette industrie en Ontario.

À l'échelle fédérale, les programmes d'appui direct se concentrent sur des secteurs comme l'automobile, l'aérospatiale et la foresterie. Tous les autres programmes ne concordent pas avec le secteur de la transformation des aliments, et je pense que la situation devient de plus en plus problématique. À mon avis, il faut examiner ce secteur de façon unique, parce qu'il est très différent. Impossible de comparer les entreprises de transformation des aliments aux installations métallurgiques ou à l'industrie automobile. Elles sont différentes.

J'en reviens, une fois de plus, à l'automatisation : il est beaucoup plus facile d'automatiser une usine de montage de voitures qu'une usine de transformation de la viande. Il s'agit d'un environnement qui n'est pas très propice à la robotique et à l'électronique. En effet, il y a beaucoup d'eau et d'humidité dans une usine de transformation de la viande, ce qui ne convient pas trop au matériel électronique, en général. Voilà pourquoi il est beaucoup plus facile d'automatiser une usine de fabrication d'automobiles. Il s'agit donc d'un secteur unique.

En ce qui concerne l'automatisation dans le secteur de la transformation des aliments, je soutiens fermement que nous devons d'abord élaborer un programme de démonstration, parce que beaucoup d'entreprises n'investiront pas des centaines de milliers de dollars dans quelque chose qui risque de ne pas fonctionner dans leurs usines.

Dans l'avant-dernier budget, le gouvernement a lancé un programme de démonstration pour le secteur de l'aérospatiale. Je crois qu'il s'agit d'un excellent programme, et nous devrions nous en servir comme exemple pour l'industrie de la transformation des aliments.

Le président : J'aimerais poser quelques questions, avec la permission des sénateurs.

[Français]

Votre présentation suscite beaucoup de questions, compte tenu du nombre d'entreprises qui évoluent dans le domaine de la transformation, soit 5 700 entreprises, selon ce que vous dites.

[Traduction]

Je voudrais vous faire part d'un fait, parce que vous avez beaucoup insisté sur l'innovation et la robotique comme moyens de relever le défi qui se pose à nous en ce qui a trait au déplacement de la main-d'œuvre.

En 2012, l'OCDE a parlé du rendement du Canada en matière de sciences et d'innovation. Pourtant, cette semaine, certains nous ont dit que nous ne faisions pas assez au chapitre de l'innovation et de la R-D.

Nos recherchistes m'ont fourni un graphique. Lorsqu'on examine le rôle du gouvernement du Canada et des universités, ce qui devrait aussi inclure les gouvernements provinciaux; force est de constater que nous nous classons bien au-dessus de la moyenne sur le plan de l'innovation et de la R-D parmi les 500 universités les plus importantes.

Lorsque j'examine le rôle du secteur privé, nous comblons les lacunes. Quels projets avez-vous, de concert avec vos membres, pour encourager plus d'investissements dans la R-D et l'innovation au Canada?

M. Lavoie : C'est la grande question. Si nous revenons un peu en arrière, il faut dire que nous avons posé cette question en 2011 au groupe Jenkins. Le rapport a donné lieu à beaucoup de mesures gouvernementales au cours des trois derniers budgets. Quant à savoir dans quelle mesure le gouvernement a réussi à mettre en œuvre les recommandations du rapport, la réaction est mitigée.

Parmi les mesures adoptées, beaucoup n'ont pas été bien accueillies par notre organisation. Songeons notamment à l'exclusion des dépenses en capital dans le cadre du crédit d'impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental. Quand on parle d'automatisation et de R-D dans le secteur manufacturier, il n'est pas question d'ordinateurs et de recherche au sens où on l'entend, par exemple, dans l'industrie des jeux vidéo. On parle plutôt de grosses machines qui coûtent très cher; c'est donc dire que les dépenses en capital font partie intégrante des activités de recherche et de développement. L'élimination des dépenses en capital signifie que les entreprises ne reçoivent plus de crédit d'impôt pour les machines et le matériel utilisés exclusivement pour la recherche et le développement. Cette mesure a eu un effet sur l'adoption de technologies de fabrication adaptative et de systèmes robotiques automatisés à des fins de R-D.

Quand vous dites que le gouvernement affiche un rendement supérieur à la moyenne au chapitre des dépenses en R- D, il faut admettre que nos universités font un travail extraordinaire. Elles publient une foule d'articles et elles font breveter beaucoup d'innovations. Or, si ce travail ne se traduit pas par une croissance économique, à quoi bon? À quoi cela sert-il de publier tous ces articles?

Je passe beaucoup de temps à parcourir la base de données sur les brevets canadiens. Je regardais justement les brevets universitaires. J'ai découvert qu'environ 350 brevets sont déposés chaque année par les universités au Canada. Honnêtement, je cherche encore à savoir si quelques-uns d'entre eux ont été commercialisés avec succès. Sinon, à quoi bon? Tous ces brevets accumulent la poussière sur une tablette. Si vous comparez le coût du brevetage des innovations universitaires aux recettes générées par ces brevets, les dépenses l'emportent sur les profits. À quoi cela sert-il alors?

Nous semblons incapables de transposer dans le secteur privé tous ces bons résultats issus de la recherche gouvernementale et universitaire.

Une des mesures fiscales intéressantes qui existent depuis quelques années, c'est le régime favorable aux brevets, qui a été adopté par des pays comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Il s'agit d'un incitatif fiscal. Toute entreprise qui commercialise un brevet au Canada est assujettie, pendant un certain temps, à un taux d'imposition moins élevé sur le revenu généré par le produit. Par exemple, si j'obtiens un brevet de l'Université de Toronto et que je fabrique un produit au Canada pour ensuite le commercialiser au Canada, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, je paierai un taux d'impôt d'environ 5 p. 100 sur les revenus associés au produit, et ce, pendant cinq ans. Donc, cette mesure encourage les entreprises à commercialiser les brevets canadiens au Canada.

Si je me souviens bien, il y a cinq ans, les représentants de Communitech ont témoigné devant le comité de l'industrie. Ils ont dit que 65 p. 100 de toutes les entreprises en démarrage au Canada finissent, après une période moyenne de cinq à sept ans, par être vendues à l'étranger pour la valeur de leur propriété intellectuelle. Là encore, il s'agit d'excellentes entreprises. Collectivement — et j'entends par là le gouvernement et la société —, nous accordons un crédit d'impôt remboursable de 35 p. 100 au titre de la recherche scientifique et du développement expérimental, en plus d'offrir un soutien direct considérable, mais au final, lorsque ces innovations représentent beaucoup de valeur, ces entreprises sont vendues ailleurs parce que leurs investisseurs ne voient pas l'intérêt de commercialiser leurs produits au Canada.

Permettez-moi de faire valoir un dernier point au sujet des réformes effectuées par le gouvernement dans le soutien à la recherche et à l'innovation. Le gouvernement a établi beaucoup d'excellents programmes pour que les entreprises puissent en profiter. Songeons plus particulièrement à FedDev Ontario, qui a créé entre autres le Fonds de fabrication de pointe, d'une valeur de 200 millions de dollars. Toutefois, le déblocage des fonds a posé beaucoup de problèmes.

Le Fonds de fabrication de pointe a été lancé l'année dernière; donc, cela fait déjà un an. L'année dernière, on n'a dépensé que 10 millions de dollars sur les 40 millions qui étaient disponibles. Seule une entreprise en a profité. Cela ne changera pas grand-chose dans le domaine de l'innovation au Canada. Il faut distribuer les fonds plus rapidement.

En ce qui concerne les mécanismes de soutien direct, si une entreprise ne remplit pas, disons, 149 critères parmi un total de 150 000 critères, elle n'obtiendra pas de fonds. Là où je veux en venir, c'est qu'il faut essayer de faire preuve de souplesse. Les employés des entreprises savent ce dont ils ont besoin pour l'innovation. Ce ne devrait pas être aux fonctionnaires de décider quelles entreprises sont propices à l'innovation. Ils devraient faire preuve de plus de souplesse à l'égard des types de projets qu'ils financent. C'est mon avis.

Le président : Cela ne fait aucun doute quand je vois les retombées économiques au Canada, sachant que l'industrie du poulet a généré des recettes monétaires agricoles de 2,3 milliards de dollars. Pourtant, cette industrie a tout un défi à relever. Nous avons entendu des témoignages à ce sujet, et j'aimerais savoir quelle est la position de votre association à l'égard de l'importation de la volaille de réforme. Êtes-vous au courant de ce processus?

M. Lavoie : Non.

[Français]

Le président : C'est la volaille qui est réformée. On fait de petits changements.

[Traduction]

Le produit est présenté dans un emballage, qui représente 10 ou 15 p. 100 du poids, et le reste, c'est du poulet. La volaille de réforme provient de l'étranger, et elle est importée notamment au Canada et aux États-Unis. La plupart du temps, la volaille de réforme n'est pas vendue sous l'étiquette de produit de poulet, en raison d'une déclaration erronée ou d'une sous-estimation du marinage, du glaçage ou de la taille des produits. Ces différents rendements signifient que les producteurs canadiens vendront moins de poulet et qu'ils en exporteront moins, car notre marché est parfois inondé de certains de ces produits. Ils ne sont pas étiquetés comme étant du « poulet ». A-t-on attiré votre attention sur ce problème?

M. Lavoie : Non, pas sur ce problème précis, mais je comprends le principe. C'est une façon dont les entreprises contournent les règles de la gestion de l'offre. Nous avons déjà observé un tel phénomène dans le secteur du fromage. Certaines entreprises importaient du fromage qui n'était pas à base de lait. Elles contournaient les règles de la gestion de l'offre pour importer, par exemple, du fromage pour la pizza surgelée. Si elles agissent ainsi, c'est parce qu'elles trouvent que les ingrédients vendus au Canada coûtent trop cher; elles essaient donc de trouver des moyens de devenir plus concurrentielles.

Le sénateur Moore : Je réfléchis aux observations faites par notre invité. Au début, vous avez parlé d'un client à la recherche d'un fournisseur de crabe des neiges. J'ai quelques idées à vous proposer après la réunion. Je connais quelques entreprises en Nouvelle-Écosse qui pourraient aider votre client.

M. Lavoie : Oui, il faut un conteneur par mois.

Le sénateur Moore : Je vous en reparlerai après la réunion.

Le président : Je pense qu'il y avait là une question.

La sénatrice Merchant : Quelqu'un nous a dit que certains pays européens et les États-Unis ont établi des comités de surveillance des barrières non tarifaires. Devrions-nous emboîter le pas? Une telle mesure aiderait-elle à dissiper vos préoccupations, et pourquoi trouvez-vous que c'est une bonne idée?

M. Lavoie : Oui, je pense que c'est une bonne idée. J'ai suivi de près le travail du conseil en matière de réglementation pour le plan d'action conjoint entre le Canada et les États-Unis en vue d'instaurer une approche plus uniforme dans le domaine de la salubrité alimentaire. Comme je l'ai dit, beaucoup de produits de viande sont saisis à la frontière à des fins d'inspections et d'analyses. Il faut trouver des solutions bilatérales ou multilatérales aux nombreuses barrières non tarifaires. En tout cas, j'appuierais sans réserve de telles initiatives.

Je le répète, les accords commerciaux antérieurs ont mis l'accent uniquement sur les tarifs douaniers, mais nous nous sommes rendu compte que ces tarifs ne signifient pas grand-chose quand une foule de barrières tarifaires empêchent l'entrée d'un produit au pays.

La sénatrice Merchant : Est-ce qu'on prend des mesures en vue d'établir un tel comité?

M. Lavoie : Les choses n'avancent peut-être pas aussi rapidement que nous le voudrions, mais il s'agit de questions complexes qui font intervenir de nombreuses personnes. Les comités chargés du plan d'action conjoint existent depuis un certain temps. Nous estimons qu'ils sont sur la bonne voie et, oui, nous y arriverons à un moment donné.

La sénatrice Tardif : Je suis curieuse de savoir pourquoi les fruits de mer constituent le secteur de transformation alimentaire qui connaît la croissance la plus rapide.

M. Lavoie : La croissance la plus rapide cette année, n'est-ce pas? C'est une question intéressante. J'ai parlé de l'importance de créer une bonne image de marque pour les produits canadiens, et je crois que les fruits de mer en sont le meilleur exemple. Ils sont reconnus à l'échelle internationale. De nos jours, il est même possible de savoir qui a pêché le homard en Gaspésie. Cela fait partie des efforts pour gagner la confiance des consommateurs. Sur la scène mondiale, le Canada jouit d'une bonne réputation pour la qualité de ses produits de la mer, notamment de son homard.

Le sénateur Moore : La certification maritime internationale tient compte de la traçabilité, et un certain nombre de nos entreprises y prennent part.

M. Lavoie : Il s'agit d'avoir une bonne image de marque, et nous devons prendre exemple sur ce modèle.

J'ignore pourquoi, mais j'ai entendu dire que le secteur canadien des pommes de terre congelées connaît, lui aussi, une croissance rapide.

Le président : Y a-t-il d'autres questions?

[Français]

Merci beaucoup, monsieur Lavoie, de votre présence et d'avoir partagé vos opinions et commentaires avec nous.

[Traduction]

Sur ce, chers collègues, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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