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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 12 - Témoignages du 13 mai 2014


OTTAWA, le mardi 13 mai 2014

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier la teneur du projet de loi C-31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Partie 5, Articles 99 à 101 — Commissariat à la protection de la vie privée du Canada

L'honorable Larry W. Smith (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Honorables sénateurs, ce matin nous allons continuer notre étude de la teneur du projet de loi C -31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.

[Traduction]

Nous allons commencer aujourd'hui par examiner la partie 5, Loi de mise en œuvre de l'Accord Canada-États-Unis pour un meilleur échange de renseignements fiscaux, qu'on appelle la FATCA, je crois. C'est à la page 72 du document du projet de loi.

Nous souhaitons la bienvenue à Mme Chantal Bernier, commissaire intérimaire à la protection de la vie privée, et à Mme Barbara Bucknell, directrice intérimaire, Politiques et recherche, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

[Français]

Chantal Bernier, commissaire intérimaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Merci, monsieur le président. Je vous remercie de m'avoir invitée à vous faire part des répercussions du projet de loi C-31 sur la vie privée, et plus précisément, en ce qui concerne la FATCA.

Je suis accompagnée par Barbara Bucknell, directrice intérimaire des politiques et de la recherche.

Au cours de la période qui m'est allouée aujourd'hui, je me concentrerai sur la FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) des États-Unis, mais je terminerai avec quelques brefs commentaires sur une autre partie du projet de loi C-31 qui a des répercussions sur la protection de la vie privée.

[Traduction]

Comme vous le savez, ce projet prévoit une entente sur l'échange de renseignements fiscaux entre le Canada et les États-Unis. La FATCA est une loi américaine qui oblige les institutions financières des autres pays, y compris le Canada, à déclarer à l'Internal Revenue Service des États-Unis, l'IRS, certains renseignements sur les comptes d'une personne désignée des États-Unis.

Conformément à cette entente, les institutions financières canadiennes devront effectuer des procédures de diligence raisonnable prévues dans l'entente à compter du 1er juillet 2014 et déclarer à l'Agence du revenu du Canada les renseignements ainsi recueillis dès 2015. D'après certains, l'entente contreviendrait à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés parce qu'elle est discriminatoire envers les Canadiens sur la base de leur lieu de naissance et leur citoyenneté, mais cette question ne relève pas du mandat de mon bureau.

La façon dont les autres pays mettent en œuvre leurs propres opérations de perception des impôts ne relève pas non plus de notre mandat. Notre mandat consiste notamment à nous assurer que les institutions s'acquittent de leurs obligations légales en matière de protection des renseignements personnels.

D'ailleurs, j'aimerais signaler que la communication de renseignements fiscaux entre les pays aux fins d'imposition constitue une pratique établie de longue date. Il ne s'agit pas d'un concept nouveau.

Quoi qu'il en soit, nous nous attendons à ce que ces activités, de même que toutes les autres activités de communication d'information, respectent le droit à la vie privée. Nous comptons donc sur l'ARC pour qu'elle respecte ses obligations au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels en s'acquittant de ses responsabilités en lien avec la FATCA.

De plus, nous nous attendons à ce que les organisations du secteur privé, comme les institutions financières, qui deviendraient tenues par la loi de recueillir des renseignements personnels concernant des clients et de les communiquer à l'ARC, respectent également les obligations que leur impose la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui est la loi sur la protection de la vie privée applicable dans le secteur privé.

Ces obligations consistent entre autres à recueillir uniquement les renseignements personnels nécessaires et à les protéger comme il se doit.

À cette fin, il sera essentiel de sensibiliser et de renseigner les institutions touchées par cette nouvelle exigence de déclaration pour s'assurer que la collecte d'informations est appropriée, circonscrite et effectuée de manière à respecter le plus possible le droit à la vie privée.

[Français]

De plus, le projet de loi C-31 apporte des modifications à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Plus précisément, il accroît la quantité de renseignements personnels recueillis et renforce les capacités du CANAFE en matière de communication d'information et les exigences qu'il doit respecter à cet égard. Le mémoire que j'ai présenté au comité explique en détail mon point de vue à ce sujet.

Je souhaite profiter du temps de parole qu'il me reste pour signaler que l'évolution de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes nous a permis de tirer des leçons qui nous aideront à nous acquitter de nos obligations au sens de la FATCA. Au moment de son entrée en vigueur en 2002, cette loi définissait de façon précise et claire les exigences de déclaration. Sa portée s'est élargie avec le temps et l'incitation à déclarer plus d'information qu'il n'est nécessaire s'est graduellement intensifiée. Le projet de loi C-31 accentue encore cette tendance.

Nous exhortons le comité à conseiller au gouvernement d'agir avec circonspection pour éviter que la portée ne s'élargisse davantage. En terminant, je vous remercie, monsieur le président et honorables membres du comité, de m'avoir offert la possibilité d'aborder cette question. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions. Je vous remercie.

[Traduction]

La sénatrice Callbeck : Merci de votre explication. Dans le haut de la deuxième page de vos observations, vous dites que, d'après certains, l'entente contreviendrait à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Vous affirmez ensuite que cela ne relève pas de votre mandat. À qui revient-il de se pencher là-dessus?

Mme Bernier : Eh bien, le mandat de la Commission canadienne des droits de la personne est de se pencher sur les problèmes liés à la discrimination.

La sénatrice Callbeck : Examine-t-elle l'entente? Le savez-vous?

Mme Bernier : Je ne le sais pas.

La sénatrice Callbeck : Cela ne vous inquiète-t-il pas?

Mme Bernier : Nous devons nous acquitter de notre mandat. Celui-ci consiste à assurer la conformité avec la Loi sur la protection des renseignements personnels et avec la loi visant le secteur privé, que nous appelons la LPRPDE. Nous devons nous en tenir au mandat qui nous est confié, puisque celui-ci est prévu par la loi.

La sénatrice Callbeck : Il est impensable que vous fassiez part de vos préoccupations à la Commission des droits de la personne et que vous demandiez à ses représentants s'ils se penchent sur le dossier?

Mme Bernier : Nous avons déjà parlé de questions qui touchent les deux bureaux, mais nous respectons le mandat de la commission et nous estimons qu'il appartient à ses représentants de décider ce qui doit retenir leur attention.

La sénatrice Callbeck : Qu'en est-il des autres pays où une entente du même genre a été conclue? Savez-vous ce qu'on fait dans ces pays en ce qui concerne les lois sur la protection des renseignements personnels?

Mme Bernier : D'après ce que je comprends, dans les autres pays où une entente de ce genre a été conclue, on est convaincu que cela fait partie des nombreux moyens possibles d'assurer l'intégrité du régime fiscal américain. Ils estiment qu'il s'agit d'une façon adéquate de procéder.

La sénatrice Callbeck : À la page 2, vous dites que votre mandat consiste notamment à vous assurer que les institutions s'acquittent de leurs obligations légales en matière de protection des renseignements personnels. Vous dites que vous vous attendez à ce qu'elles le fassent, et vous affirmez la même chose au sujet des institutions financières. Que se passe-t-il si elles ne le font pas?

Mme Bernier : Vous voulez dire ce qui se passe si elles ne respectent pas la LPRPDE ou si l'ARC enfreint la Loi sur la protection des renseignements personnels? Il y a deux possibilités. En ce qui a trait à la Loi sur la protection des renseignements personnels, et aussi à la LPRPDE, les citoyens qui, par exemple, se rendent compte que leur vie privée a subi une atteinte s'adressent à notre bureau et déposent une plainte. Nous menons ensuite une enquête et nous formulons des recommandations visant à corriger la situation si la plainte est réellement fondée.

Quant au secteur privé, si nous constatons une infraction, nous pouvons renvoyer l'affaire à un tribunal qui, lui, peut ordonner le paiement de dommages-intérêts et peut obliger l'entreprise à modifier ses pratiques.

La sénatrice Callbeck : De quel tribunal s'agit-il?

Mme Bernier : La Cour fédérale; nous pouvons renvoyer l'affaire à la Cour fédérale.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Madame Bernier, je voudrais que vous précisiez certains commentaires que vous venez de faire selon lesquels il faut être prudent. Vous avez dit ce qui suit, et je cite :

Sa portée s'est élargie avec le temps et l'incitation à déclarer plus d'information qu'il n'est nécessaire s'est grandement intensifiée. Le projet de loi C-31 accentue encore cette tendance. Nous exhortons le comité à conseiller au gouvernement d'agir avec circonscription pour éviter que la portée ne s'élargisse davantage.

Pouvez-vous commenter de manière plus précise sur cet aspect?

Mme Bernier : Bien sûr. De par la loi, nous avons l'obligation de vérifier les activités du CANAFE tous les deux ans. Nous avons maintenant fait deux vérifications du CANAFE, et chaque fois, nous constatons la même tendance, c'est- à-dire que les institutions financières ou les institutions qui sont assujetties à la loi et qui ont l'obligation de faire rapport au CANAFE ont tendance à rapporter trop d'information, de façon excessive.

Nous observons que cette tendance provient d'un incitatif qui est inhérent au régime, c'est-à-dire que si une institution ne rapporte pas toutes les transactions qu'elle devrait rapporter, par exemple des transactions qui excéderaient le seuil de 10 000 $ ou qui seraient visiblement suspectes, elle est soumise à des amendes.

Par ailleurs, si les institutions rapportent des transactions qui ne devraient pas faire l'objet d'un soupçon, il n'y a pas d'amende. Elles se trouvent en contravention avec la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais il n'y a pas d'amende. Cela crée un incitatif à faire trop de rapports au CANAFE. De plus, cette tendance est exacerbée par le fait que le CANAFE ne rejette pas, pour ainsi dire, l'information qu'il ne devrait pas recevoir.

Nous avons donc recommandé que le CANAFE ait un processus de filtrage en amont pour ne pas accepter des renseignements et des rapports qui ne respectent pas les critères de la loi. Il y a tout de même une amélioration qui est apportée grâce au projet de loi C-31, c'est qu'elle oblige le CANAFE à détruire des renseignements qu'il a reçus et qu'il n'aurait pas dû recevoir. Cette amélioration correspond à l'une des recommandations de notre rapport de vérification.

La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup, madame Bernier. C'est instructif.

Le sénateur Rivard : Merci, monsieur le président. Qu'est-ce que le gouvernement américain pourrait exiger de plus de la part des citoyens canadiens, ceux qu'on appelle les Snowbirds, qui passent plus ou moins six mois au soleil?

Sans tomber dans le ridicule, est-ce que cela pourrait aller jusqu'à exiger du contribuable canadien qu'il joigne une copie de sa déclaration d'impôt fédérale pour l'envoyer au gouvernement américain? Je suis persuadé que, si un jour on en arrive là, on compte sur vous pour le dénoncer. Êtes-vous d'avis, étant donné que les choses progressent dans le sens d'une demande de plus en plus d'information, qu'il est possible d'en arriver là?

Mme Bernier : Il est important de constater et de dire avec résignation que nous n'avons pas compétence sur les politiques d'imposition américaines. Les États-Unis sont un État souverain. Ils peuvent donc exiger des gens qui séjournent aux États-Unis certains renseignements.

Je compte sur nos négociateurs canadiens pour qu'ils s'opposent à toute demande de renseignements qui serait abusive en ce sens qu'elle ne correspondrait pas à une nécessité démontrée. Cependant, si, malgré tous les efforts des négociateurs canadiens, les négociateurs américains persistaient à exiger certains renseignements pour entrer ou séjourner aux États-Unis — les États-Unis sont un État souverain, et c'est comme toute autre exigence de tout autre État souverain quant aux visas et aux renseignements personnels exigés pour y entrer ou y séjourner — le Canada devrait malheureusement s'y plier.

Le sénateur Rivard : À votre connaissance, pour ce qui est des exigences, est-ce que les États-Unis se comportent de la même façon avec le Canada qu'avec le Mexique et certains pays d'Amérique du Sud? Est-ce qu'ils se comportent différemment avec des Européens qui viendraient passer plusieurs mois par année aux États-Unis et qui sont propriétaires d'une résidence secondaire?

Mme Bernier : À ma connaissance, les États-Unis, comme le Canada, ont des exigences qui diffèrent selon certains pays.

[Traduction]

Le vice-président : Madame Bernier, vous avez mentionné dans l'exposé que vous nous avez présenté concernant la FATCA que l'information provenant des institutions financières du Canada est transmise à l'ARC avant de l'être à l'IRS. Serait-il possible d'influencer l'Agence du revenu du Canada afin qu'elle crée l'espace nécessaire — c'est-à-dire le juste équilibre dont vous avez parlé? Parce que quand nous revenons à votre première thèse concernant le CANAFE... vous définissez le critère composé de quatre éléments au début — dont je voudrais d'ailleurs dire à tous les membres qu'il s'agit d'un très bon critère — qui parle de la nécessité, de la proportionnalité, de l'efficacité et de la méthode d'échange de renseignements la moins envahissante.

Étant donné que le thème commun est le fait de garantir que la vie privée est protégée, cette position de l'ARC est- elle utile pour protéger les renseignements confiés à l'IRS?

Mme Bernier : Nos observations là-dessus sont en grande partie fondées sur notre expérience liée au CANAFE. Nous recommanderions à l'ARC ce que nous avons recommandé au CANAFE. Comme l'ARC est assujettie à l'entente intergouvernementale qui a été conclue, nous estimons qu'il est possible d'assurer une application adéquate de l'entente en joignant et en informant les institutions financières qui doivent divulguer certains renseignements.

Nous avons demandé au CANAFE de le faire dans le cadre de son régime; nous demanderions à l'ARC de le faire aussi, pour s'assurer que les institutions appliquent les critères très rigoureusement et qu'elles savent ce que cela suppose, de sorte qu'il n'y ait pas de surdéclarations.

[Français]

La sénatrice Chaput : Madame Bernier, si on vous avait demandé votre avis avant d'étudier le projet de loi, est-ce que certaines mesures auraient été différentes?

Mme Bernier : Nous avons discuté avec le ministère des Finances et avons noté des améliorations en ce qui concerne l'évolution du projet.

Cependant, nous devons nous résigner au fait que nous sommes face à une exigence provenant des États-Unis et que cette exigence correspond à l'intérêt public des États-Unis, c'est-à-dire à l'intégrité de leur régime d'impôt.

Je pense que le régime que nous avons développé est proportionnel à cette exigence, mais je voudrais l'assurance, dans sa mise en œuvre, d'une part, comme je le disais au président il y a une minute, de la mise en place de toutes les mesures nécessaires afin d'éviter la collecte excessive de renseignements, ainsi que la mise en place de toutes les mesures nécessaires pour protéger la sécurité des renseignements une fois qu'ils sont recueillis.

[Traduction]

Le sénateur Gerstein : Merci d'être venue ici aujourd'hui. Admettez-vous la prémisse selon laquelle il y a un certain équilibre à atteindre entre la sécurité nationale et la protection des renseignements personnels?

Mme Bernier : Certainement, je dirais plus précisément que j'admets la prémisse selon laquelle la protection des renseignements personnels est un droit qui est lié à d'autres droits.

Le sénateur Gerstein : Admettriez-vous le principe ou la prémisse selon lequel cet équilibre peut être modifié par les événements extérieurs?

Mme Bernier : Assurément. Si vous jetez un coup d'œil sur le critère à quatre volets — le critère de légitimité dont le président vient de parler — concernant la nécessité, la proportionnalité et l'absence de méthodes moins envahissantes, l'objectif est précisément d'intégrer les événements extérieurs à l'analyse relative à la protection des renseignements personnels.

Le sénateur Gerstein : Pouvez-vous expliquer au comité en quoi vos points de vue personnels ont changé relativement à cet équilibre depuis le 11 septembre 2001?

Mme Bernier : Mes opinions n'ont jamais changé en principe, mais elles ont évolué en ce qui concerne l'application du critère de légitimité. Ce critère est immuable. L'intrusion dans la vie privée ne peut être légitime que si le critère à quatre volets que je viens d'énoncer est respecté. C'est un droit fondamental.

Comme il est fondé sur les événements, sur les circonstances, le critère donne lieu à diverses applications. Ainsi, la réalité d'une menace, par exemple, justifie un certain degré d'intrusion dans la vie privée qui est proportionnel à cette menace.

Le critère de légitimité est donc immuable sur le plan de sa structure, mais il est souple pour ce qui est de son application, dans le but précis que cette coexistence organique de la sécurité et du respect de la vie privée soit assurée.

Le sénateur Gerstein : Je ne suis pas sûr de comprendre tout à fait ce que vous avez dit, mais, cela étant dit...

Mme Bernier : Je peux vous expliquer.

Le sénateur Gerstein : Permettez-moi de continuer sur ce sujet pendant un instant. Si vous vous reportez au 11 septembre 2001 et aux événements qui ont eu lieu à l'époque, vous exhortez le comité à conseiller au gouvernement d'agir avec circonspection pour éviter que la portée ne s'élargisse davantage. Je vous pose la question suivante : la portée de votre mandat ne s'est-elle pas élargie en ce qui concerne les événements depuis le 11 septembre 2001?

Mme Bernier : Non, je ne pense pas que la portée de notre mandat se soit élargie. Je ne suis peut-être pas tout à fait objective dans ma réponse à votre question, car je crois que la protection de la vie privée doit évoluer avec le reste de la société. Nous devons donc toujours nous assurer d'appliquer l'analyse pertinente au fur et à mesure que notre société évolue.

Vous trouveriez une réponse à votre question dans un document que nous avons publié et qui s'intitule Une question de confiance : Intégrer le droit à la vie privée aux mesures de sécurité publique au XXIe siècle. Ce document contient une analyse approfondie de la question que vous soulevez. Nous vivons dans un monde qui évolue rapidement à bien des égards; sur le plan technologique, mais aussi sur le plan politique. Si vous jetez un coup d'œil sur le rapport spécial que nous vous avons présenté le 28 janvier et qui portait sur le lien entre la protection de la vie privée et la sécurité nationale, d'une part, et la cybersurveillance, de l'autre, vous allez constater que nous commençons par énoncer les faits. Nous commençons par décrire les problèmes actuels dans le domaine de la sécurité nationale. Nous parlons ensuite de ce que cela suppose sur le plan de la protection de la vie privée, et nous formulons des recommandations concernant l'intégration des deux aspects.

La protection de la vie privée tient à l'intégration adéquate permettant d'assurer le respect de la vie privée et la sécurité en même temps. L'aspect que prendra la chose dépendra assurément de la réalité des menaces existantes.

Le sénateur Gerstein : Je l'admets. J'en reviens à la raison pour laquelle vous concluez votre exposé de ce matin en nous disant que vous exhortez le comité à conseiller au gouvernement d'agir avec circonspection pour éviter que la portée ne s'élargisse davantage. Qu'est-ce qui vous inquiète?

Mme Bernier : Ce que j'essaie de vous dire, c'est qu'il y a un accroissement énorme de la capacité de surveillance ainsi que du désir de surveillance. Cet accroissement ne doit pas bafouer le droit fondamental au respect de la vie privée, c'est-à-dire que nous devons nous assurer que les nouvelles mesures plus envahissantes que nous adoptons respectent le critère de légitimité. Nous devons nous assurer que le besoin est démontré, que les mesures prises sont proportionnelles à ce besoin démontré, qu'il est probable qu'elles soient efficaces et qu'il n'existe pas de mesure moins envahissante.

Il ne faut jamais que nous perdions de vue le critère de légitimité pour nous assurer que notre société demeure en sécurité et continue de respecter la vie privée au fur et à mesure qu'elle évolue en fonction des menaces qui planent sur elle.

La sénatrice Eaton : Je suis sûre que vous pourrez m'expliquer une chose, madame Bernier, pour donner suite à la question de mon collègue. Dans le cas du CANAFE, l'information est transmise à l'IRS, mais elle semble passer par l'ARC. Je ne comprends pas tout à fait comment l'ARC protège nos renseignements personnels. Ne serait-il pas plus efficace que les banques et les autres institutions financières transmettent l'information directement à l'IRS, sans passer par l'ARC? Quel est le rôle de l'ARC dans ce processus?

Mme Bernier : L'ARC est une institution canadienne.

La sénatrice Eaton : Oui.

Mme Bernier : Évidemment, je pense que le rôle de l'ARC est d'affirmer la souveraineté du Canada sur les renseignements personnels de ses ressortissants.

La sénatrice Eaton : Va-t-elle modifier ou examiner l'information en question? Quel sera son rôle, mis à part le fait d'être canadienne? Son rôle est-il strictement symbolique? Ne fait-on qu'agiter un drapeau? L'ARC a-t-elle un rôle à jouer?

Mme Bernier : Je pense qu'il faudrait d'abord et avant tout demander aux représentants de l'ARC comment ils entendent jouer ce rôle exactement. D'après mon interprétation de l'analyse de la FATCA, l'ARC va effectivement transmettre de l'information à l'IRS. Nous estimons toutefois que la présence de l'ARC dans ce processus accroîtra bel et bien la protection des renseignements personnels des Canadiens.

Le vice-président : Si nous passons à la création du Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs, j'aimerais savoir ce que vous pensez du premier paragraphe concernant la création du service central d'appui par rapport à la protection de la vie privée, car nous allons parler de diverses questions liées au budget avec certaines personnes. Je suis sûr que l'une des questions qui vont être abordées lorsque nous serons rendus à la section sur les tribunaux sera celle de la protection de la vie privée.

Je m'intéresse à l'explication que vous avez donnée à ce sujet dans votre rapport. Pouvez-vous nous éclairer?

Mme Bernier : Nous avons publié des lignes directrices concernant l'affichage des décisions rendues par les tribunaux administratifs. Je devrais vous dire d'abord que les tribunaux administratifs fédéraux relèvent de notre mandat, puisqu'ils sont visés par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ce que nous avons constaté, c'est que l'affichage de leurs décisions dans Internet a une incidence disproportionnée sur le plan de la protection des renseignements personnels.

Plus précisément, les gens qui s'adressent à un tribunal administratif pour une demande de prestations d'invalidité ou un grief au travail, par exemple, retrouvent très facilement la décision dans Internet, ce qui peut faire en sorte qu'ils soient ciblés. Ils peuvent alors subir un préjudice accru, lorsque vient le temps de trouver un nouveau poste, alors que le fait de nommer les parties ne sert pas l'intérêt public. La transparence du processus du tribunal justifie — exige, en fait — l'affichage de la décision. Mais pourquoi nommer les parties, si ce n'est pas dans l'intérêt public? Il se pourrait par exemple qu'il soit indiqué de montrer que la personne a déjà commis une fraude et obtenu un poste au sein de la fonction publique de façon malhonnête, auquel cas le fait de la nommer servirait l'intérêt public. Autrement, nous recommandons que les décisions affichées soient anonymes.

Cependant, les changements structurels proposés dans le projet de loi C-31 nous poussent à nous demander si celui- ci va avoir une incidence sur la question de l'affichage des décisions dans Internet. Nous voudrions nous assurer qu'il y a des directives claires et que nos lignes directrices s'assortissent d'une obligation pour les tribunaux d'exercer leur pouvoir discrétionnaire lorsqu'ils publient des décisions dans Internet.

Le vice-président : Pour conclure, madame Bernier, si vous résumez ce dont nous avons parlé aujourd'hui en réaction aux questions de nos sénateurs, y a-t-il une dernière chose que vous aimeriez dire?

Mme Bernier : Je suis très reconnaissante d'avoir été invitée à témoigner, et j'espère vous avoir aidés en vous présentant les critères appliqués pour garantir une intégration adéquate de la protection des renseignements personnels et des autres objectifs stratégiques servant l'intérêt public du Canada.

Le vice-président : Merci. Au nom de tous les sénateurs ici présents, nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir témoigner. Merci à vous aussi, madame Bucknell, d'être venue témoigner aujourd'hui.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre prochain groupe de témoins. Il s'agit de Mme Robyn Benson, présidente nationale, et de Mme Linda Cassidy, agente au règlement extrajudiciaire des conflits, de l'Alliance de la fonction publique du Canada.

Merci beaucoup de prendre part à la séance d'aujourd'hui. Madame Benson, allez-vous commencer par nous présenter quelques observations?

Robyn Benson, présidente nationale, Alliance de la Fonction publique du Canada : Oui, j'ai une déclaration préliminaire à faire, et ensuite nous répondrons aux questions, s'il y en a.

Le vice-président : Nous disposons de 30 à 35 minutes.

Mme Benson : C'est parfait. Merci au comité de nous avoir invitées à venir témoigner aujourd'hui.

Les modifications proposées de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans la section 21 sont liées au projet de loi C-4, la seconde loi sur l'exécution du budget adoptée en 2013. L'article 308 du projet de loi C-31 vient améliorer la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique en donnant aux arbitres le pouvoir d'ordonner la prise de mesures de redressement systémiques dans les affaires de griefs concernant les droits de la personne.

Il s'agit cependant d'une petite solution à un gros problème créé par le projet de loi C-4. Celui-ci a enlevé à la Commission canadienne des droits de la personne tout rôle lié aux violations des droits de la personne au sein de la fonction publique fédérale. Toutes les questions liées aux droits de la personne touchant le milieu de travail fédéral seront maintenant traitées par la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique, sans aucune orientation de la commission, qui possède pourtant une expertise en matière de droits de la personne.

Autrement dit, non seulement la commission ne s'occupera plus elle-même des questions relatives aux droits de la personne touchant la fonction publique fédérale, mais elle ne pourra également plus intervenir auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Cela est particulièrement préoccupant parce que les arbitres de la commission ne possèdent pas nécessairement de connaissances ni d'expérience en matière de droits de la personne.

Quant à l'article 309, l'AFPC s'oppose fortement à ces dernières propositions concernant la désignation de services essentiels. Le gouvernement les présente comme étant des mesures d'ordre administratif nécessaires pour clarifier les changements apportés dans le cadre du projet de loi C-4. Ce ne sont pas des mesures d'ordre administratif. Les changements apportés s'inscrivent dans l'assaut sans précédent que livre le gouvernement aux relations de travail et à la négociation collective au sein de la fonction publique fédérale. Sans procéder à des consultations et sans crier gare, le gouvernement a modifié les règles fondamentales au beau milieu de la partie. Les modifications proposées à l'article 309 rendent inutiles toutes les années de travail des ministères et organismes fédéraux, du Conseil du Trésor et des syndicats, qui avaient fait ce travail pour garantir que la sûreté et la sécurité du public ne seraient jamais compromises si les syndiqués devaient prendre part à une grève légale.

Les ententes sur les services essentiels, qui avaient été négociées et signées de bonne foi, garantissaient que des dizaines de milliers de travailleurs essentiels continueraient de servir les Canadiens pendant une grève. Ces travailleurs assureraient la sûreté et la sécurité du public à nos frontières et dans nos établissements correctionnels; ils continueraient de surveiller la qualité de nos aliments et de nos médicaments; et ils continueraient aussi d'assurer la sécurité financière des membres de la population qui sont le plus dans le besoin. Il n'était manifestement pas suffisant pour le gouvernement de disposer du droit exclusif de désigner les services essentiels; il insiste maintenant pour supprimer pratiquement toute représentation syndicale dans le processus décisionnel.

Il y a 10 ans, les relations de travail dans la fonction publique fédérale ont été modifiées par la Loi sur la modernisation de la fonction publique. Dans cette loi, nous reconnaissions que la négociation continuelle des ententes sur les services essentiels était une perte de temps et de ressources pour le gouvernement, et nous avons changé la règle pour faire en sorte que ces ententes puissent demeurer en place.

Les ESE pouvaient être modifiées au besoin, mais les parties n'avaient pas à tout recommencer du début à chaque ronde de négociation.

Le projet de loi C-4 a grandement accru la capacité du gouvernement de désigner comme étant essentiels non seulement des fonctions précises, mais également des groupes entiers d'employés. Le projet de loi C-4 affirmait également que toutes les ententes sur les services essentiels en place au moment où il a été adopté demeureraient en vigueur. Le projet de loi C-31 révoquera toutes ces ententes. Dans tous les cas, le gouvernement aura 60 jours pour « consulter » les syndicats. Il disposera ensuite de 30 jours supplémentaires pour rendre sa décision définitive concernant les services essentiels.

Les projets de loi C-4 et C-31 ont pour effet de conférer au gouvernement le droit exclusif de déterminer les services essentiels sans avoir à démontrer qu'il s'agit de services véritablement essentiels. L'objectif réel est de supprimer plus ou moins totalement le droit de grève des fonctionnaires fédéraux. Le gouvernement continue de faire fi des principes fondamentaux de la liberté d'association. En outre, une fois de plus, ces modifications des lois liées au travail sont proposées sans qu'il n'y ait eu de consultation et sont intégrées à un projet de loi omnibus d'exécution du budget.

Notre syndicat prend très au sérieux la question de l'équilibre entre les intérêts du public, de nos membres et de l'employeur. Nous croyons que la sûreté et la sécurité des Canadiens ne devraient pas être menacées lorsque nos membres font la grève.

Cependant, en rendant inutiles toutes les ententes sur les services essentiels négociées actuellement et dans le passé, le gouvernement continue de promouvoir l'idée selon laquelle les fonctionnaires fédéraux et les syndicats qui les représentent ne sont pas dignes de confiance lorsqu'il s'agit d'assurer la sûreté et la sécurité du public pendant une grève légale.

Merci beaucoup de m'avoir permis de prendre la parole. Je répondrai à toutes vos questions avec plaisir.

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Benson.

[Français]

Le sénateur Rivard : Je lis que l'article 308 modifierait le paragraphe 226(1) de manière à élargir l'éventail de mesures de réparation en fonction de celui prévu à la loi canadienne.

Des mesures de réparation, dans mon esprit, prennent généralement la forme de compensations financières, d'avancements accélérés dans les échelons, ou d'excuses de la part des patrons. Pourriez-vous me donner un exemple d'élargissement de l'éventail des mesures de réparation?

[Traduction]

Mme Benson : Si je comprends bien, vous disiez quelque chose au sujet des mesures de redressement systémiques. Pour ce qui est des changements apportés par l'article 308 et de l'effet qu'ils ont eu, je vais vous donner un exemple concret qui vous éclairera peut-être. Dans le cadre du projet de loi C-4 — le projet de loi omnibus —, le gouvernement a modifié la façon dont nous assurons les services essentiels. Auparavant, l'employeur précisait le nombre d'employés qui, selon lui, étaient essentiels, ainsi que leurs tâches, et nous donnions notre accord ou non. Dans le cas où nous n'étions pas d'accord, une tierce partie intervenait. Le gouvernement a supprimé le droit à l'avis d'une tierce partie.

Dans le présent projet de loi omnibus, le gouvernement affirme que les ententes sur les services essentiels qui ont déjà été conclues sont nulles et non avenues. Nous sommes par exemple en négociations avec l'Agence du revenu du Canada. Nous en sommes aux trois quarts, disons. Nous sommes sur le point de commencer le processus de la commission de l'intérêt public. Nous avions conclu une entente sur les services essentiels, mais la modification en question est venue l'annuler. Même si nous l'avions négociée et que les deux parties étaient d'accord, l'entente est maintenant annulée. Ce qui se passe, c'est que le gouvernement — l'ARC par l'intermédiaire du Conseil du Trésor — va nous dire : « Nous voulons que X employés soient considérés comme étant essentiels. » Nous allons avoir 30 jours pour les consultations — et je mets ce mot entre guillemets parce qu'on nous ne consulte pas vraiment —, et le gouvernement aura ensuite 30 jours de plus pour rendre sa décision.

Alors en tant qu'employée de l'ARC et de mon point de vue personnel, je crois que le gouvernement va accroître la quantité de services essentiels sans aucune raison. C'est ce que prévoit le projet de loi.

[Français]

Le sénateur Rivard : La réponse est très claire. Je vous remercie.

[Traduction]

La sénatrice Callbeck : Merci à vous deux d'être venues ce matin. L'an dernier, lorsque nous avons entendu parler du projet de loi omnibus, le projet de loi C-4, vous n'avez pas du tout été consultées par le gouvernement, si mes souvenirs sont exacts. Est-ce que j'ai raison?

Mme Benson : Oui, vous avez tout à fait raison. Le gouvernement a apporté des changements de fond en comble sans procéder à aucune consultation. Lorsque j'ai demandé des consultations et que j'ai parlé en personne avec le président du Conseil du Trésor pour lui faire part de ma déception, il m'a dit que le gouvernement n'avait pas à nous consulter. Je lui ai dit que les relations de travail entre le syndicat et le Conseil du Trésor étaient bonnes depuis de nombreuses années et qu'il serait donc important de continuer de procéder à des consultations, mais ce n'est pas ce que le gouvernement souhaite.

La sénatrice Callbeck : La seule explication qu'on vous a donnée, c'est que le gouvernement n'était pas tenu de vous consulter?

Mme Benson : En fait, plus tard au cours de la même journée, le président du Conseil du Trésor a écrit sur Twitter que je voulais une cogouvernance. C'est une autre explication : la dirigeante du syndicat veut une cogouvernance. C'est ce qu'on peut lire dans les médias sociaux.

La sénatrice Callbeck : Qu'en est-il du projet de loi C-31? Y a-t-il eu des consultations? Le gouvernement affirme qu'il précise les enjeux et les changements apportés dans le cadre du projet de loi C-4, mais, selon vous, ce n'est vraiment pas tout. Y a-t-il eu des consultations là-dessus?

Mme Benson : Non. Je ne veux pas vous paraître abrupte, mais la réponse est non. Il n'y a pas eu de consultations. Bien entendu, lorsque le projet de loi a été publié, nous nous sommes rendu compte qu'il allait beaucoup plus loin que ce qui avait été annoncé. On pourrait dire que le gouvernement corrigeait ses erreurs. J'imagine qu'on pourrait même dire qu'il essayait de combler une lacune. Peu importe l'explication que vous voudrez choisir, au beau milieu des négociations avec l'Agence du revenu du Canada, le gouvernement a décidé que les ententes sur les services essentiels qui avaient été signées sont nulles et non avenues, ce qui fait que nous allons devoir tout reprendre depuis le début. Nous en arrivons à l'étape d'une commission de l'intérêt public.

La sénatrice Callbeck : Au sujet des services publics essentiels, nous avons entendu le témoignage de M. Ian Lee la semaine dernière. J'aimerais savoir ce que vous pensez de ce qu'il a dit. Il a affirmé que tous les postes au sein de la fonction publique devraient être considérés comme étant essentiels. Si un poste ne correspond pas à un service essentiel, le gouvernement devrait le supprimer.

Mme Benson : D'accord. Eh bien voilà une déclaration très intéressante, puisque du travail très important est fait par nos membres qui servent les Canadiens sans qu'il soit nécessairement considéré comme étant essentiel à la sûreté et à la sécurité du pays.

Si je prends l'exemple de mon milieu de travail, la personne qui archive votre déclaration de revenus joue un rôle aussi important que celle qui la traite. Je le dis avec tout le respect dont je dois faire preuve, parce que cette personne doit pouvoir retrouver la déclaration si vous décidez d'y apporter des modifications. La personne qui ouvre le courrier joue un rôle tout aussi important que les autres.

Je suis outrée par ce que M. Lee a dit, puisqu'il ne fait aucun doute qu'il y a des syndiqués, des employés de la fonction publique fédérale qui servent les Canadiens dont le travail n'est peut-être pas essentiel pendant une grève, mais est assurément essentiel aux activités de tous les jours. Lorsque nous négocions les ententes sur les services essentiels avec l'employeur, avec le Conseil du Trésor, nous nous assurons par exemple que les gens qui reçoivent des chèques d'assurance-emploi continuent de les recevoir. Les gens qui touchent la prestation fiscale pour enfants continuent de la recevoir.

Est-il cependant vraiment essentiel de percevoir les droits à la frontière, par exemple? Il y a des agents des douanes. Il est essentiel qu'ils vérifient que les gens qui passent la frontière n'ont pas d'armes ni de drogue, qu'il n'y a pas de contrebande, mais je ne pense pas que l'ensemble de leurs tâches puisse être considéré comme étant essentiel.

Linda Cassidy, agente au règlement extrajudiciaire des conflits, Alliance de la Fonction publique du Canada : Je vais poursuivre dans la même veine que Robyn et continuer de parler de l'ARC, parce que c'est un sujet qui nous tient à cœur en ce moment. Je vous dirais que le travail d'un percepteur d'impôt serait considéré comme étant essentiel par le gouvernement pour garantir que l'argent entre dans les coffres et que nos activités puissent continuer. Je ne suis pas d'accord avec M. Lee, parce que le fait que les tâches d'un percepteur d'impôt ne soient pas essentielles à la sûreté et à la sécurité au milieu d'une grève ne suppose pas que ces tâches ne sont pas essentielles pour le gouvernement. Je ne pense pas que nous devrions faire l'amalgame dans ce cas-ci.

Il ne fait aucun doute qu'il doit y avoir un équilibre entre le droit à la négociation collective et les libertés dont il s'assortit, d'une part, et la sécurité du public, d'autre part. Les employés du gouvernement fédéral s'acquittent d'une multitude de tâches extrêmement utiles. Il y en a qui s'occupent des cours d'eau et des exploitations agricoles, et leurs tâches ne contribuent pas directement à la sécurité et à la sûreté du public, mais nous avons aussi pris des dispositions et collaboré avec les ministères concernés pour garantir que les services qu'ils offrent sont maintenus.

Je vais répéter ce que Mme Benson a dit. Les vérificateurs du pays doivent être maintenus en poste, mais je ne pense pas que les contribuables s'attendent à faire l'objet d'une vérification au beau milieu d'une grève, et c'est là que se trouve le point d'équilibre. Le gouvernement a officiellement déclaré que la définition de « services essentiels » n'avait pas changé. Nous ne nous attendons donc pas à ce que des postes supplémentaires ou différents soient considérés comme étant essentiels, mais je n'irais pas aussi loin que M. Lee.

La sénatrice Callbeck : Quelle est la définition de « services essentiels »?

Mme Cassidy : Il s'agit essentiellement de tout service, toute personne ou tout bien relevant du gouvernement qui doit être maintenu pour assurer la santé et la sécurité dans l'immédiat, et c'est donc en ce sens quelque chose de très général. Les tribunaux ont décidé que cela n'inclut pas la sécurité financière du gouvernement, mais que la sécurité financière du public est incluse. Le terme « public » est pris au sens large et ne désigne pas que la population. Il pourrait s'agir de vos collègues. Dans le cas des services correctionnels, les détenus pourraient être considérés comme étant la population en général, puisqu'il s'agit du public devant être maintenu.

La sénatrice Callbeck : Merci.

La sénatrice Eaton : J'allais vous poser une question au sujet des critères et de la définition, mais je vais plutôt parler de la Commission des relations de travail.

Madame Benson, madame Cassidy, ne seriez-vous pas d'accord pour dire que les commissions des relations de travail sont très expertes, que les gens qui les composent savent ce qu'ils font?

Mme Cassidy : Oui, cela ne fait aucun doute. Je serais d'accord pour dire que les gens de la Commission des relations de travail savent ce qu'ils font. Nous avons eu recours à leurs services à de très nombreuses reprises.

La sénatrice Eaton : Je pense que je voudrais savoir pourquoi le remplacement de la Commission des droits de la personne par la Commission des relations de travail vous attriste. Je pensais — et je suis sûre que vous allez me détromper — que les gens de la Commission des relations de travail savent très bien ce qui est attendu dans le cadre de tout emploi et connaissent très bien les conditions et les règles des milieux de travail. Ne seraient-ils pas même mieux placés pour s'occuper des questions liées aux droits de la personne et s'assurer qu'il n'y a pas de discrimination qu'une commission des droits de la personne qui ne connaît pas le milieu de travail en question?

Mme Benson : Les plaintes relatives aux droits de la personne sont toujours uniques. Elles diffèrent des plaintes concernant les relations de travail. Si la commission ne possède pas l'expertise en matière de droits de la personne, en matière d'accommodements obligatoires, pour traiter par exemple une plainte relative aux droits de la personne comme celle que Mme Fiona Johnstone vient de faire valoir, parce qu'elle doit faire un quart de travail régulier; ça peut être le même quart, mais il faut que ce soit le même pour la garderie. Une commission des relations de travail ne possède pas nécessairement l'expertise de la Commission des droits de la personne. Pour nous, la Commission des droits de la personne était le bon organisme à qui adresser les plaintes en matière de droits de la personne.

La sénatrice Eaton : J'aurais pensé que la Commission des relations de travail connaîtrait mieux la façon de procéder pour garantir que Mme Johnstone puisse faire le même quart chaque jour, puisque les gens de cette commission connaissent son milieu de travail, savent comment il fonctionne et sont peut-être mieux placés pour l'aider à négocier qu'une commission des droits de la personne qui est tout à fait étrangère à son milieu de travail.

Mme Benson : Non, ce n'est pas nécessairement le cas, puisqu'une commission des relations de travail ne connaît pas nécessairement tous les milieux de travail. Nous avons déjà témoigné devant la Commission des relations de travail, et nous lui présentons un argument général, mais elle ne connaît pas nécessairement le milieu de travail concerné, tandis que la Commission des droits de la personne ne connaît pas le milieu de travail, mais elle connaît les droits de la personne, le travail à faire et les causes qui ont été gagnées et celles qui ont été perdues. Il semble simplement mal avisé d'abolir la Commission des droits de la personne et de perdre ainsi l'expertise dont elle dispose actuellement.

La sénatrice Eaton : Avez-vous quoi que ce soit à ajouter, madame Cassidy?

Mme Cassidy : Je vous prie de m'excuser : je suis l'agente au règlement extrajudiciaire des conflits, alors mon domaine d'expertise m'amène assurément à traiter avec la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans un contexte tout à fait différent.

Je répéterais cependant ce que ma consœur a dit, c'est-à-dire qu'il serait difficile pour la Commission des relations de travail d'obtenir l'expertise acquise par la Commission des droits de la personne, vu que sa charge de travail est déjà importante. Franchement, je pense que la Commission des relations de travail a acquis énormément d'expertise en s'occupant des griefs relatifs aux conventions collectives, des services essentiels des droits d'exclusion des syndiqués. Elle n'a cependant pas l'expertise de la Commission des droits de la personne lorsqu'il s'agit de traiter les questions relatives aux droits de la personne.

L'une des principales choses que je vous dirais, c'est que s'occuper d'une personne qui dépose une plainte relative aux droits de la personne est très différent de s'occuper d'une personne à qui on a refusé d'accorder des vacances.

La sénatrice Eaton : J'aurais pensé que le cas d'une personne souhaitant faire le même quart de travail chaque soir pour pouvoir avoir accès aux services de garderie, ce qui est tout à fait raisonnable, serait réglé sur le plancher, et pas nécessairement par le dépôt d'une plainte relative aux droits de la personne.

Mme Benson : Il a fallu que nous fassions valoir la cause devant la Cour suprême, parce que l'employeur a refusé d'accommoder Mme Johnstone à toutes les étapes, et c'est donc très difficile. Le bon sens n'avait aucune prise sur cet employeur, alors nous avons dû porter l'affaire devant le plus haut tribunal du pays pour faire valoir notre cause. L'employeur a interjeté appel de la décision de l'une des cours qui nous avaient donné raison — je suis désolée, je ne connais pas très bien mes cours, et je suppose que je devrais les connaître mieux. C'est vraiment ironique.

Nous ne sommes pas contre le travail de la Commission des relations de travail, évidemment. Certains dossiers peuvent lui être confiés, mais nous estimons qu'on ne devrait pas éviter la Commission des droits de la personne. Elle a une expertise. Il arrive très souvent que nous conseillions à nos membres de présenter leurs griefs et leurs plaintes à la Commission des droits de la personne. Il faut savoir que la Commission des droits de la personne intervient seulement lorsque les autres recours ont été épuisés, et c'est à ce moment-là qu'elle met son expertise à notre disposition.

Je suis contente que vous ayez dit que le bon sens aurait dû permettre de régler la question des quarts de travail.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je veux revenir sur le fait que les services essentiels sont négociés. Avec le projet de loi C-4, je pense que ce que le gouvernement a fait, c'est qu'il a retiré de la négociation collective la liste des postes ou des services essentiels. Est-ce correct?

[Traduction]

Mme Benson : Dans le passé, l'employeur soumettait toujours une liste. Une personne comme Linda passait cette liste en revue avec d'autres, puis négociait avec le ministère concerné pour décider si les personnes visées seraient considérées comme étant essentielles. Dans les cas où nous n'étions pas en mesure d'en arriver à une décision, une tierce partie intervenait, la Commission des relations de travail. Nous pouvions soumettre le problème à la Commission des relations de travail, et celle-ci rendait une décision.

Le projet de loi C-4 donne maintenant le droit à l'employeur de nous envoyer une liste des gens qu'il juge essentiels, qu'il s'agisse de postes abolis ou non. À l'issue du réaménagement des effectifs, certains des 20 000 emplois qui ont été perdus étaient des postes jugés essentiels ou présentés comme étant essentiels. Cela nous a beaucoup étonnés. S'il s'agit de postes essentiels, comment le gouvernement peut-il les abolir?

Le gouvernement va maintenant nous soumettre sa liste, et nous allons pouvoir « consulter » pendant 60 jours. Je mets des guillemets, parce que, d'après ce que j'ai vu jusqu'à maintenant, à tout le moins au cours des deux années pendant lesquelles j'ai été présidente de l'AFPC, il n'y a pas de véritable consultation. Le gouvernement va donc tenir ces consultations. Nous n'avons pas la possibilité de nous adresser à une tierce partie, et, dans les 30 jours, le gouvernement va rendre une décision.

Je peux vous dire que, lorsque le projet de loi C-4 a été adopté, y compris les dispositions concernant les services essentiels, en très peu de temps, en deux ou trois jours seulement, l'Agence des services frontaliers du Canada a envoyé à mon bureau une liste de milliers de postes qu'elle souhaitait voir désignés comme étant essentiels.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Comment la désignation des services essentiels se fait-elle dans l'administration provinciale? Est-ce que cela ressemble à ce qui se faisait avant le projet de loi C-4 ou est-ce que c'est plutôt une désignation gouvernementale?

[Traduction]

Mme Cassidy : C'est intéressant. La plupart des cas sont traités d'une manière très similaire à ce que nous faisions avant par les provinces et aussi par le Conseil canadien des relations industrielles. Je vais parler d'abord du conseil. L'employeur et le syndicat procèdent à des consultations et à des négociations en ce qui concerne les postes qui doivent selon nous être maintenus durant une grève.

L'un des exemples les plus importants, c'est celui des aéroports. L'employeur nous propose des postes qu'il juge essentiels et qui devraient être considérés comme tels. Nous jetons un coup d'œil sur la liste qui nous est soumise, il y a des échanges, et, la plupart du temps, nous en arrivons à une entente complète que nous signons et que nous faisons parvenir au conseil, lequel l'approuve.

S'il y a un poste en litige, nous pouvons soumettre le cas au Conseil canadien des relations industrielles, prendre part à une audience où les deux parties présentent leurs arguments, et le conseil rend une décision. La grande différence entre le CCRI et la CRTFP, ce sont les échéances. Le délai de traitement des dossiers par le Conseil canadien des relations industrielles est de 15 jours. Il n'y a pas de problèmes d'horaire. Il faut être prêt : dès qu'on en arrive au point où on discute d'une entente sur le maintien des activités ou sur les services essentiels, il faut immédiatement être prêt à présenter ses arguments, à obtenir une décision et à l'appliquer.

Beaucoup de provinces recourent exactement au même mécanisme. La différence, c'est que les provinces limitent beaucoup plus ce qu'elles permettent d'être désigné comme étant un service essentiel. Je vais prendre l'exemple du Québec. Au Québec, il n'y a pas vraiment de services essentiels. Tous les employés qui travaillent pour des entreprises visées par les lois québécoises sont essentiellement considérés comme étant non essentiels.

La sénatrice Bellemare : Non essentiels?

Mme Cassidy : Non essentiels, oui. Cela s'inscrit dans le cadre des lois sur le travail, en ce sens qu'on croit fermement que les gens ont un droit de grève et un droit à la libre négociation collective. Dans certains secteurs, et en particulier dans celui des universités, il n'y a pas de services essentiels du tout, parce qu'on n'y croit pas au Québec.

Dans bien d'autres provinces, la désignation est limitée au personnel infirmier et aux pompiers, c'est-à-dire aux postes qui ont toujours été vraiment considérés comme étant liés à la santé et à la sécurité des gens.

[Français]

Le vice-président : Il faut avancer, sénatrice, car nous avons deux autres groupes de témoins. La dernière question pour ce groupe sera posée par le sénateur Mockler.

Le sénateur Mockler : La sénatrice Bellemare a posé ma question.

Le vice-président : Nous disposons d'une autre minute. Avez-vous une autre question, sénatrice?

La sénatrice Bellemare : Non, merci.

[Traduction]

Le vice-président : Merci d'être venues aujourd'hui et d'avoir exprimé votre point de vue sur le projet de loi. Merci encore d'avoir pris le temps de venir.

Nous souhaitons maintenant la bienvenue à notre troisième groupe de témoins, avec lequel nous allons discuter de la section 29 de la partie 6, qui porte sur la Loi sur le Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs. Nous souhaitons la bienvenue à M. Noah Arshinoff, avocat-conseil, Réforme du droit, ainsi qu'à Mme Cyndee Todgham Cherniak, présidente de la Section nationale de la taxe à la consommation, des douanes et du commerce, de l'Association du Barreau canadien.

Noah Arshinoff, avocat-conseil, Réforme du droit, Association du Barreau canadien : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs. C'est avec plaisir que nous témoignons aujourd'hui devant vous au nom de l'Association du Barreau canadien au sujet de la section 29 de la partie 6 du projet de loi C-31, qui établit le Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs.

L'ABC est une association nationale représentant plus de 37 500 membres de la profession juridique. Nos objectifs principaux sont l'amélioration du droit et de l'administration de la justice, et c'est dans cette optique que nous avons examiné cette partie du projet de loi.

Le mémoire qui vous est soumis a été rédigé en collaboration par la Section nationale du droit administratif, la Section nationale de la taxe à consommation, des douanes et du commerce, la Section du droit international et la Section du droit du travail et de l'emploi. Ces sections de l'ABC comptent des avocats ayant de nombreuses années d'expérience et ayant déjà plaidé devant les divers tribunaux dont il est question à la section 29 de la partie 6 et ayant travaillé auprès de ceux-ci.

La fusion proposée dans la partie du projet de loi en question comprend une restructuration sans précédent de certains des tribunaux administratifs du Canada. Quoique l'ABC soit en faveur de l'innovation dans l'accroissement de l'accès à la justice et l'amélioration de l'administration de la justice, le projet de loi a été présenté sans consultation préalable auprès des intervenants et des gens qui comparaissent et plaident fréquemment devant ces tribunaux.

Vu les diverses préoccupations que la fusion soulève au chapitre de l'indépendance, des conflits potentiels et de l'expertise, nous recommandons la suppression de la section 29 de la partie 6 du projet de loi C-31.

Ma collègue, Mme Todgham Cherniak, préside la Section de la taxe à la consommation, des douanes et du commerce. Je vais lui céder la parole pour qu'elle puisse vous parler du fond du projet de loi et vous présenter nos observations.

Cyndee Todgham Cherniak, présidente, Section de la taxe à la consommation, des douanes et du commerce, Association du Barreau canadien : La position de l'Association du Barreau canadien est que la partie du projet de loi C-31 concernant la Loi sur le service d'appui aux tribunaux administratifs devrait être supprimée afin que puissent être consultés davantage les 11 tribunaux, les utilisateurs et les intervenants concernés, y compris les avocats qui plaident devant ces 11 tribunaux. Si vous décidez de ne pas la supprimer, nous vous suggérons d'au moins enlever le Tribunal canadien du commerce extérieur — alinéa f) — le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles — l'alinéa i) — et le Conseil canadien des relations industrielles — l'alinéa c) — de la liste des tribunaux de l'article 377 du projet de loi C-31.

Je suis avocate spécialiste du commerce international, et mon expérience est liée au Tribunal canadien du commerce extérieur. La Loi sur le Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs vise à regrouper les services administratifs de 11 tribunaux. Cela pourrait également avoir des conséquences négatives qui n'ont pas été examinées adéquatement. Penchons-nous sur certaines de ces importantes conséquences négatives qui pourraient survenir.

La structure qui est proposée pour le Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs est celle d'un organisme redevable devant le ministre de la Justice. Le ministre de la Justice est également responsable du ministère de la Justice. Cet arrangement pourrait entraîner une partialité, une crainte de partialité et des conflits d'intérêts. Quelle idée se feront les partenaires commerciaux du Canada du personnel de soutien administratif du Tribunal canadien du commerce extérieur s'il rend des comptes au même ministre que les avocats qui intentent des poursuites dans le domaine des douanes et demandent la prise de mesures d'application des dispositions antidumping et de mesures contre les exportateurs — ces mêmes avocats qui défendent le Canada contre les contestations d'attribution de contrats d'approvisionnement gouvernemental présentées par des soumissionnaires étrangers?

L'arrangement proposé est-il contraire aux obligations du Canada aux termes de divers accords de l'OMC et accords de libre-échange? Dans la lettre du 7 mai de l'ABC, nous signalons certaines des dispositions des traités commerciaux internationaux qui devraient être examinées soigneusement avant que le Tribunal canadien du commerce extérieur soit intégré au Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs.

Je peux vous assurer qu'il ne faudra pas attendre longtemps avant qu'un avocat représentant une partie déboutée par le TCCE soulève la crainte de partialité, le conflit d'intérêts et le manquement aux obligations prévues par des traités pour justifier une contestation d'une décision du TCCE devant un tribunal canadien, devant l'organisme de règlement des litiges de l'OMC ou dans le cadre d'un mécanisme de règlement des litiges d'un accord de libre-échange.

Si la question est soulevée aux termes du Mémorandum relatif au règlement des différends de l'OMC ou d'un accord de libre-échange, le gouvernement du Canada n'aura pas d'emprise sur l'issue de l'affaire. Ce ne sont pas les juges canadiens qui rendront la décision en vertu d'un accord international. Il se peut que le Canada ait à indemniser une partie étrangère ou à faire face à des représailles dans le cadre d'un traité international. Si la réparation décidée est le versement d'une somme donnée, chose qui est prévue au chapitre 11 de l'ALENA, les coûts pourraient être plus importants que toutes les économies que permettra peut-être de réaliser la fusion, et si les représailles prennent la forme d'une majoration des droits imposés par un gouvernement étranger pour ce qui est des biens provenant du Canada, les fabricants canadiens pourraient subir des répercussions négatives sur le marché international. Les avocats du ministère de la Justice devront défendre le Canada en cas de contestation judiciaire, ce qui entraînera en soi des coûts pour le gouvernement.

Les risques de poursuites s'accroîtront si les délais de traitement par les tribunaux sont affectés par la structure, les problèmes de croissance et l'organisation du Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs. Je peux vous dire d'expérience que l'examen des cas par le Tribunal canadien du commerce extérieur ne peut souffrir aucun retard. Le délai de décision provisoire relative aux dommages dans un cas d'antidumping ou de droits compensateurs est de 60 jours suivant la date de l'introduction — 60 jours. La décision définitive doit être publiée dans les 120 jours suivant la décision provisoire de dumping. Les cas soumis au TCCE sont différents des poursuites devant les tribunaux qui peuvent s'étirer sur des années. Un appel des douanes interjeté il y a un mois sera instruit par le TCCE en septembre prochain.

L'expertise des tribunaux pourrait être compromise par la fusion des services de soutien administratif. Je peux vous dire d'expérience que le personnel du Tribunal canadien du commerce extérieur possède une expertise des questions de nature commerciale qui est différente de l'expertise du personnel des 10 autres tribunaux. Le personnel des autres tribunaux ne pourra pas rapidement assumer le rôle d'un analyste du TCCE, qui prépare les questionnaires sur les dommages et l'antidumping et regroupe les données dans un rapport du personnel préalable à l'audience. Le personnel des autres tribunaux ne possède pas les compétences en analyse économique que celui du Tribunal canadien du commerce extérieur a acquises au fil de nombreuses années. Il pourrait ne pas posséder autant de connaissances en ce qui concerne les obligations internationales du Canada et la jurisprudence canadienne et internationale en matière de droit commercial. Le personnel du TCCE connaît les règles d'origine prévues par les accords de libre-échange et le système harmonisé de classification des biens aux fins de l'importation et aux fins de Statistique Canada. L'intégration du personnel des 11 tribunaux au Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs est une mesure de très grande envergure.

Ces importantes préoccupations ne devraient pas être laissées au hasard. Nous ne pouvons pas être sûrs que tous les risques seront gérés par les bureaucrates chargés de la mise en œuvre, et il ne s'agit pas d'une attaque à l'endroit des gens les mieux intentionnés ou de ceux qui gèrent le Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs. S'il y a des problèmes, c'est l'image du Canada à l'étranger qui sera en jeu. C'est l'administration de la justice qui sera en jeu. C'est l'efficacité actuelle des 11 tribunaux, dont le Tribunal canadien du commerce extérieur, qui sera en jeu, car les dommages ne pourront être réparés rapidement.

Nous demandons au Sénat de recommander la suppression de la partie du projet de loi C-31 concernant la Loi sur le Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs. Nous lui demandons au moins d'enlever le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles et le Conseil canadien des relations industrielles de la liste de l'article 37 du projet de loi C-31.

Merci de bien vouloir tenir compte de cette demande.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup. Je ne connais pas les enjeux aussi bien que vous, évidemment. Nous avions compris que les divers tribunaux allaient continuer de rendre compte à leur ministère. N'est-ce pas le cas?

Mme Cherniak : Ce n'est pas ce que j'ai compris. Les représentants du Tribunal canadien du commerce extérieur ont rencontré les membres du comité de la magistrature et du barreau du TCCE et ont invité Mme Peugeot à venir discuter avec nous, et on a dit que le personnel serait fusionné et que tout le personnel serait intégré au Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs, lequel relèverait du ministre de la Justice.

La sénatrice Eaton : Je pensais que le personnel allait relever du ministre de la Justice, mais que les tribunaux allaient continuer eux de rendre compte à leur ministre.

Mme Todgham Cherniak : Pour ce qui est des tribunaux en tant que tels, c'est exact également. Le Tribunal canadien du commerce extérieur continuera de relever du ministère des Finances, et chacun des autres tribunaux rendra des comptes à son ministère, d'après ce que j'ai compris.

La sénatrice Eaton : Oui. Vous demeurez très pessimiste par rapport à la mesure.

Mme Todgham Cherniak : Je suis inquiète de l'incidence qu'elle va avoir sur le Tribunal canadien du commerce extérieur en particulier, vu que nous avons des obligations internationales. À ce chapitre, il se peut qu'un problème découle du fait que le personnel qui reçoit les documents, qui coordonne l'échange d'information et qui communique avec les parties à l'instance relève de l'entité fusionnée.

[Français]

La sénatrice Chaput : Merci, monsieur le président. Comme ma collègue, j'ai compris que les 11 tribunaux, même regroupés sous une entité pour partager les services administratifs, demeurent indépendants. Avez-vous également la même compréhension?

[Traduction]

Mme Todgham Cherniak : Ce que je comprends, c'est que les membres des tribunaux en tant que tels vont garder le même statut, c'est-à-dire que les membres du Tribunal canadien du commerce extérieur vont demeurer des membres du Tribunal canadien du commerce extérieur. Les membres nommés au Tribunal canadien du commerce extérieur vont continuer de composer ce tribunal, toutefois, le personnel qui les soutient va relever d'une entité distincte, d'une entité fusionnée.

[Français]

La sénatrice Chaput : Le gouvernement croit qu'il y aura une amélioration de l'accès à la justice; croyez-vous qu'il y aura une amélioration de l'accès à la justice par l'entremise de cette nouvelle entité formée des 11 tribunaux?

[Traduction]

Mme Todgham Cherniak : Je crois qu'il y a un risque d'affaiblissement sur le plan de l'administration de la justice, et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes ici. Il y a une possibilité de risques.

Dans le cas du Tribunal canadien du commerce extérieur, par exemple, des parties étrangères prennent part à la procédure dans les affaires d'antidumping. Il se peut qu'elles aient une crainte de partialité en raison du fait que les personnes auprès desquelles elles déposeront des documents relèveront maintenant du ministre de la Justice. Elles relèveront du gouvernement canadien. D'après les apparences, ce ne sont pas des membres du personnel du tribunal.

[Français]

La sénatrice Chaput : Vous préoccupez-vous également de l'application de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels? Cela pourrait-il changer quelque chose?

[Traduction]

Mme Todgham Cherniak : Dans le contexte du Tribunal canadien du commerce extérieur, dont j'ai l'expérience, nous parlons de confidentialité. En ma qualité d'avocate plaidant devant le tribunal, je prends un engagement de non- divulgation. Cela permet aux parties à l'instance de fournir des renseignements confidentiels. Les fabricants canadiens d'un produit d'acier, par exemple, doivent fournir leurs renseignements concernant les coûts. Ils doivent fournir l'information relative à leurs ventes à leurs clients ainsi qu'à toute importation à laquelle ils procèdent et qu'aux prix qu'ils paient. Il y a beaucoup de renseignements commerciaux de nature très confidentielle qu'ils ne veulent pas voir communiqués à leurs concurrents, et qu'ils ne veulent certainement pas voir communiqués, disons, à un producteur de la Chine ou au gouvernement chinois. Nous avons parlé de confidentialité, et nous avons conclu qu'un problème se pose sur le plan de l'information fournie. Les parties à une instance auront un intérêt ou un désir moindre de communiquer ces renseignements confidentiels, ce qui limitera la capacité du personnel du Tribunal canadien du commerce extérieur de regrouper l'information et de la mettre dans un rapport préalable à l'audience pour que les membres du tribunal puissent faire l'analyse économique nécessaire avant de rendre leur décision concernant le fait que l'industrie canadienne ait subi un préjudice ou non.

Le vice-président : Madame Cherniak, l'article 12 proposé précise que l'administrateur en chef ne peut, dans le cadre de son rôle, exercer les attributions conférées à un tribunal administratif ou à l'un de ses membres, et les articles 12 et 14 décrivent le rôle du service et celui des tribunaux. La responsabilité de l'administrateur en chef est de fournir des services et des installations à l'appui du travail des tribunaux, tandis que les tribunaux conservent les attributions qu'une règle de droit leur confère.

Lorsqu'une entreprise est centralisée et qu'elle offre des services, il semble que le type de services qu'elle offre habituellement sont des services de RH, de TI ou de finances. Les activités fondamentales sont cependant maintenues pour assurer l'efficacité et préserver l'expertise.

Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que la mesure pourrait avoir des conséquences négatives. Est-ce que c'est la façon dont les tribunaux vont fonctionner qui pose problème, ou est-ce que vous craignez qu'on transfère tout, y compris l'expertise, à l'administrateur en chef? Quel est le problème selon vous?

Mme Todgham Cherniak : C'est une très bonne question. Étant donné que tous les membres du personnel sont mutés, leur expertise est également transférée vers l'entité fusionnée. Les cinq, six ou sept membres du Tribunal canadien du commerce extérieur vont continuer de composer celui-ci, mais tout le personnel qui s'occupe des analyses, de l'aspect juridique, du greffe — il y a beaucoup de personnel administratif — va être muté vers l'entité fusionnée

Le personnel administratif possède une grande partie de cette expertise très importante. Les membres du tribunal ne peuvent demeurer en poste plus de huit ans, mais certains des membres du personnel du tribunal y travaillent depuis le début de leur carrière. Ils possèdent énormément d'expérience dans l'analyse des données commerciales et dans l'examen des prix, et ils sont en mesure de faire les recherches nécessaires pour déterminer quels autres pays ont pris des mesures antidumping contre le pays et le produit en question.

C'est une expertise fondamentale. Le personnel aide les membres du tribunal à rédiger leurs décisions, et il regroupe l'information pour eux afin qu'ils puissent rendre la bonne décision. Ces membres du personnel vont tous être mutés vers l'entité fusionnée.

Le vice-président : Il semble cependant y avoir une crainte que l'administrateur en chef devienne soudainement omnipotent et exerce une influence sur les décisions des tribunaux. Il semble, d'après l'article 12 proposé — en tout cas, c'est ce qu'il dit — que l'administrateur en chef ne puisse, dans le cadre de son rôle, exercer les attributions conférées au tribunal administratif.

Allons-nous attendre de voir comment les choses vont se passer? Parce qu'on modifie vraiment la structure hiérarchique, et lorsqu'on passe d'une fonction décentralisée à une fonction centralisée, il y a toujours des changements. Il semble toutefois dans ce cas-ci que le rôle des tribunaux en tant que tel ne changera pas. Je me demandais ce que vous aviez à dire là-dessus.

Mme Todgham Cherniak : Le rôle du tribunal ne change pas, mais l'administrateur n'a pas le pouvoir de rendre les décisions. L'administrateur va être en mesure de gérer le personnel de soutien, et, si le personnel n'est pas affecté correctement ou si on recourt au personnel d'un autre tribunal — par exemple si le personnel du tribunal culturel est affecté à une affaire soumise au TCCE —, il n'aura pas l'expertise nécessaire pour gérer le cas. Comme les délais sont très courts, le personnel n'aura pas le temps d'apprendre sur le tas.

Chose encore plus importante, les obligations internationales du Canada découlant d'un certain nombre d'accords de l'OMC, par exemple celui que j'appelle l'« accord antidumping », l'Accord relatif aux subventions et mesures compensatoires, l'Accord sur les marchés publics, l'Accord sur les sauvegardes; et ensuite l'ALENA et les autres accords de libre-échange conclus par le Canada — tous ces accords exigent une certaine indépendance entre le gouvernement et le décideur devant trancher les litiges commerciaux.

Si vous examinez la chose du point de vue des États-Unis, disons, il se peut qu'une partie américaine à une instance craigne de ne pas être traitée équitablement par le tribunal si le personnel de soutien relève du gouvernement du Canada par l'intermédiaire du ministère de la Justice.

Le vice-président : Il y a tellement de données et d'information là-dessus pour nos membres qu'essayer de tout comprendre est — je ne vais pas dire que c'est un défi, mais ça exige de la lecture.

L'article 14 proposé précise que le président des tribunaux dont il est question continue d'assurer la direction du tribunal et d'en contrôler les activités comme le prévoit la loi habilitant le tribunal.

L'interprétation qui doit être faite, avec l'article 12 proposé, qui indique que l'administrateur en chef ne peut exercer les attributions qu'une règle de droit confère à un tribunal administratif ou à ses membres — j'imagine que vous remettez cette hypothèse en question, n'est-ce pas?

Mme Todgham Cherniak : Il y a une différence fondamentale entre les membres du tribunal — les cinq, six ou sept personnes ayant été nommées membres du tribunal — et le personnel de soutien. Les mesures n'affecteront pas la capacité des présidents de tribunal de rendre une décision; cependant, l'aide administrative que le président reçoit pour rendre une décision et pour regrouper l'information — parce qu'il s'agit de réunir les faits, de réunir les éléments de droit, puis de les appliquer pour rendre une décision — le personnel de soutien va être affecté par les mesures. Cela pourrait avoir une incidence négative sur la capacité des membres de rendre les décisions dans les délais prévus, mais aussi de rendre leurs décisions d'une manière qui ne crée pas de crainte de partialité ni de conflits d'intérêts perçus.

La sénatrice Callbeck : À l'heure actuelle, le chef du tribunal n'est pas nommé par décret ni par le gouverneur en conseil, n'est-ce pas?

Mme Todgham Cherniak : Je ne crois pas. Je crois qu'il a été nommé par le ministre des Finances.

La sénatrice Callbeck : Il a été nommé par le ministre des Finances?

Mme Todgham Cherniak : Oui. Je pense que c'est le ministère des Finances du Canada qui nomme les chefs de tribunal.

La sénatrice Callbeck : Et est-ce que l'administrateur en chef va maintenant être nommé à la tête de l'entité pendant cinq ans?

Mme Todgham Cherniak : Je ne suis pas sûre de bien comprendre votre question.

La sénatrice Callbeck : La nouvelle entité fusionnée qu'on est en train de créer va avoir un administrateur en chef à sa tête.

Mme Todgham Cherniak : Oui.

La sénatrice Callbeck : Lequel sera nommé par le gouverneur en conseil, n'est-ce pas? Pour cinq ans.

Mme Todgham Cherniak : Oui.

La sénatrice Callbeck : S'agit-il d'un poste à temps plein?

Mme Todgham Cherniak : D'après ce que je comprends, c'est le cas.

La sénatrice Callbeck : Vous dites que vous n'avez pas été consultés à ce sujet. Savez-vous si certaines personnes ou certains groupes ont été abordés par le gouvernement?

Mme Todgham Cherniak : L'Association du Barreau canadien, et en particulier la Section de la taxe à la consommation, des douanes et du commerce — et j'ai aussi parlé avec les gens de la Section du droit international — nous n'avons pas été consultés en ce qui concerne l'inclusion du Tribunal canadien du commerce extérieur. Je sais pour avoir discuté avec les gens des autres sections qu'ils n'ont pas été consultés non plus.

La sénatrice Callbeck : Je ne sais plus très bien s'il s'agit de 10 ou de 11 tribunaux. Dans les documents que nous avons devant nous, il y a une liste qui inclut la Commission de révision agricole du Canada, ce qui porterait le total à 11. J'ai eu l'impression que nous parlions de 10 tribunaux. La Commission de révision agricole du Canada a-t-elle donc été rayée de la liste? Pourquoi figure-t-elle dans la liste que j'ai devant moi?

Mme Todgham Cherniak : Si je puis vous renvoyer à l'article 377 du projet de loi C-31, vous y trouverez une liste : la Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels, le Tribunal canadien des droits de la personne, le Conseil canadien des relations industrielles, le Tribunal de la concurrence, la Commission de révision, le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal d'appel des transports du Canada, le Tribunal de la sécurité sociale, le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, le Tribunal des revendications particulières et la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique. Ça fait donc 11 tribunaux.

La sénatrice Callbeck : Ça fait 11, mais je remarque que l'article 2 précise que les définitions qui suivent s'appliquent dans la LSCATA — sur les tribunaux administratifs — la liste des tribunaux est la suivante — il n'y en a que 10.

Mme Todgham Cherniak : Je ne vois pas cela dans ma version du projet de loi, et nous n'avons peut-être donc pas le même document devant nous. Je suis désolée.

Le vice-président : Je pense que vous parlez de l'annexe 6 du projet de loi, qui se trouve à la toute dernière page, la page 362, et qui précise...

La sénatrice Callbeck : Ce que j'ai devant moi, c'est le cartable — l'information que nous avons reçue avec le texte du projet de loi C-31. Ce n'est pas le projet de loi que j'ai devant moi. Les listes sont différentes.

Le vice-président : D'accord. Avez-vous d'autres questions?

La sénatrice Callbeck : Non, ça va. Merci.

Le vice-président : Les autres sénateurs ont-ils des questions? C'est un sujet important, et il y a beaucoup d'information à assimiler.

Il nous reste environ deux minutes. Un dernier commentaire?

Le sénateur Mockler : Je vais poser une question. Selon votre expérience internationale et des tribunaux, qu'est-ce qui justifie de faire ce que nous sommes en train de faire ou de le proposer?

Mme Todgham Cherniak : Vous parlez de l'ajout du Tribunal canadien du commerce extérieur ou de la création de l'entité fusionnée?

Le sénateur Mockler : De la création de l'entité.

Mme Todgham Cherniak : Je vais présumer que l'objectif est de rendre l'organisation plus efficace, mais comme les dispositions figurent dans un projet de loi d'exécution du budget, je pense aussi qu'il s'agit d'économiser l'argent des contribuables. C'est pour cette raison que je dis dans mon mémoire — dans le cas du Tribunal canadien du commerce extérieur — qu'il y aura des coûts si nous n'examinons pas attentivement les mesures qui seront prises, étant donné que nous avons des obligations internationales. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous demandons qu'il soit recommandé que le Tribunal canadien du commerce extérieur soit rayé de la liste à ce moment-ci. Il y a aussi deux autres tribunaux, le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles et le Conseil canadien des relations industrielles.

Le sénateur Mockler : J'ai un dernier commentaire et une dernière question. Vu ce que vous venez de dire, il semble que nous puissions convenir que l'efficacité sera accrue et que nous pourrons économiser l'argent des contribuables; est-ce que je me trompe?

Mme Todgham Cherniak : Excusez-moi, je ne vous ai pas très bien entendu.

Le sénateur Mockler : J'ai dit que, vu ce que vous venez de dire, il semble que l'efficacité sera accrue et que nous allons épargner l'argent des contribuables.

Mme Todgham Cherniak : Eh bien, je crois que c'est pour cette raison que les mesures en question se trouvent dans un projet d'exécution du budget et que c'était là l'intention. Mais si les enjeux ne sont pas examinés en détail, surtout dans le cas du Tribunal canadien du commerce extérieur, l'effet ne sera peut-être pas celui que le gouvernement recherche sur le plan des économies et de l'efficacité.

Le vice-président : Merci à nos témoins d'avoir pris le temps de nous faire part de leurs points de vue.

Nous souhaitons maintenant la bienvenue à M. Gregory Thomas, directeur fédéral de la Fédération canadienne des contribuables, qui est venu parler de la partie 6 du projet de loi. Il est question de deux sections dans l'ordre du jour, mais je pense que M. Thomas voudrait se concentrer sur la section 29, qui porte sur la centralisation des 11 tribunaux. Aimeriez-vous commencer par faire une déclaration préliminaire, monsieur Thomas?

Gregory Thomas, directeur fédéral, Fédération canadienne des contribuables : Oui, sénateur. Au nom de la Fédération canadienne des contribuables, j'aimerais vous remercier de l'occasion qui nous est offerte de parler du projet de loi.

Notre organisation, qui est le plus important groupe de défense des intérêts des contribuables du Canada, compte 84 000 membres à l'échelle du pays. Nous ne recevons pas d'argent du gouvernement. L'an dernier, nous avons amassé près de 4 millions de dollars grâce à 22 000 dons de particuliers qui croient que les impôts devraient être moins élevés, qu'il devrait y avoir moins de gaspillage et que le gouvernement devrait rendre davantage de comptes.

Nous félicitons le gouvernement de l'initiative qu'il prend dans le cadre du projet de loi soumis au Sénat et de l'élaboration de la Loi sur le Service canadien d'appui aux tribunaux administratifs qu'il propose, car nous croyons qu'il s'agit d'une façon pratique et moderne d'offrir les services dont les tribunaux administratifs du Canada ont besoin.

En créant un organisme spécialisé et en regroupant le personnel et l'expertise des divers tribunaux, vous créez une organisation qui aura l'ampleur et la souplesse nécessaires pour assumer la charge de travail accrue de bon nombre des tribunaux en question. Vous créez l'occasion pour le personnel de soutien de se perfectionner et d'avancer sur le plan professionnel en passant d'un rôle simple à des rôles de direction au sein de la fonction d'appui. Vous créez la possibilité qu'un excellent organisme offre aux membres des tribunaux le soutien dont ils ont besoin pour s'occuper des questions souvent très complexes et teintées d'émotions que les Canadiens qui comparaissent devant ces tribunaux soulèvent, et vous donnez aux arbitres la profondeur, le professionnalisme et le soutien dont ils ont besoin.

Pour parler de certains des problèmes qui se posent selon nous au gouvernement fédéral de façon générale, étant donné que le gouvernement fédéral compte 700 programmes, des centaines de milliers d'employés et des milliers de gestionnaires, comme nous l'avons vu dans le cas du ministère de la Défense nationale, il est possible que des fiefs soient créés, surtout lorsqu'il s'agit de très petits tribunaux. Même s'il s'agit d'organismes du gouvernement fédéral, ils tombent sous la domination d'une seule personne, d'une personne qui peut occuper son poste pendant longtemps, et il peut falloir des décennies avant que les parlementaires prêtent attention à l'administration de ces tribunaux, ce qui est toujours alors marqué par le sensationnalisme.

Au lieu qu'il y ait une organisation d'une taille suffisante pour assurer la responsabilisation et l'équité procédurale, il y a ces petits fiefs au sein du gouvernement qui sont à l'abri des regards des parlementaires et du public, ce qui crée une situation où le tribunal peut manquer de travail ou être dominé par une personne pendant des années.

Nous croyons qu'en créant un service d'appui aux tribunaux administratifs, nous allons créer un organisme de taille et de complexité suffisantes pour qu'il puisse non seulement fournir les services dont les arbitres ont besoin, mais également être redevable aux parlementaires dans le cadre des processus budgétaires et des comités. Nous estimons qu'il s'agit d'une réforme entièrement positive, et nous l'appuyons de tout cœur.

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Thomas.

La sénatrice Eaton : Merci, monsieur Thomas. L'un de nos témoins précédents s'inquiétait de ce que le lien entre la fonction publique et le Tribunal canadien du commerce extérieur et l'expertise se perdent.

Ai-je raison de croire que les gens possédant une certaine expertise seront non pas écartés, mais plutôt regroupés pour qu'on puisse faire appel à eux? Durant une audience devant le tribunal, les gens qui possèdent une expertise sur un sujet donné seront là pour aider le tribunal ou présenter les faits?

M. Thomas : Cette préoccupation serait certainement légitime si les Canadiens allaient effectivement perdre l'expertise des personnes en question, mais ces professionnels d'expérience vont continuer de travailler au gouvernement. Je pense qu'il incombe alors à la direction de l'organisme et ultimement au ministre responsable de s'assurer que l'organisme est administré d'une manière qui permette le maintien et le perfectionnement des compétences particulières et qui permette aux gens qui ont de l'expérience auprès des autres tribunaux d'être aussi exposés aux autres domaines, de sorte qu'ils ne travaillent pas en vase clos comme avant et qu'ils puissent demeurer tout à fait souples.

Ce que nous espérons, c'est que la direction, le directeur et la personne jouant le rôle d'administrateur général de l'organisme reçoivent comme directive administrative et politique de maintenir les compétences fondamentales au sein de l'organisme restructuré.

Le sénateur Mockler : Merci, monsieur Thomas. Je vais emprunter à la sénatrice Callbeck une question qu'elle a déjà posée. M. Lee a dit devant le comité la semaine dernière que tous les employés du gouvernement devraient être essentiels. Pour ce qui est des négociations, ils devraient tous être essentiels. Plus tôt ce matin, d'autres témoins ont dit qu'ils n'ont pas été consultés.

Selon l'expérience de la Fédération canadienne des contribuables, croyez-vous à des déclarations du genre : « Nous ne consultons pas suffisamment »? Est-ce que nous vous consultons lorsque nous formulons des propositions, par exemple lorsque vous êtes venu ici ce matin dire que vous appuyez le projet de loi?

M. Thomas : Sénateur, notre organisation est petite, et nous gérons un budget serré. Nous avons deux ou trois employés professionnels à notre bureau d'Ottawa et deux ou trois stagiaires, de façon générale. Ainsi, pour un sujet comme celui d'aujourd'hui, nous serions dépassés par les événements si on nous consultait à l'avance au sujet d'une réforme comme le regroupement du soutien administratif des tribunaux. Certains organismes gouvernementaux, par exemple l'ARC, nous présentent des dizaines de demandes de consultations par année, et nous devons choisir les demandes auxquelles nous voulons donner suite, parce que la formulation d'une réponse réfléchie exige beaucoup de temps et de ressources.

Pour ce qui est de la section 29, je ne pense pas que nous aurions pu nous attendre à être consultés avant que le projet de loi ne soit présenté. Nous n'aimons pas beaucoup les projets de loi omnibus, mais dans ce cas précis, nous sommes reconnaissants d'avoir la possibilité de présenter nos commentaires sur le sujet à l'étape de l'examen du projet de loi par le Sénat.

Le sénateur Mockler : Serait-il juste d'affirmer que vous suivez le processus de très près?

M. Thomas : Le processus législatif?

Le sénateur Mockler : Oui.

M. Thomas : Eh bien, nous le suivons lorsqu'il porte sur des projets de loi qui, selon nous, intéressent grandement nos membres, et, de façon plus générale, lorsque nous découvrons des projets de loi qui font la promotion de nos causes, c'est-à-dire la réduction du gaspillage et l'accroissement de la responsabilisation.

[Français]

La sénatrice Chaput : Est-ce que vous appuyez cette initiative, surtout en termes d'économies? Est-ce qu'on va économiser, est-ce que cela va coûter moins cher?

M. Thomas : Comme je l'ai dit pendant ma présentation, pour notre part, il est évident que plusieurs de ces tribunaux...

[Traduction]

Ils ne sont pas de taille suffisante pour fournir les services. L'existence d'un système balkanisé de soutien administratif et professionnel pour les tribunaux administratifs pose quelques problèmes. Dans certains cas, le personnel contrôle les membres du tribunal, au fond. Les membres du tribunal sont remplacés, alors que le personnel demeure. Il y a un nombre limité d'employés professionnels, et leur charge de travail varie, ce qui fait que son évolution est caractérisée par un élément d'abondance ou de disette, et il n'y a pas de responsabilité devant le Parlement ni devant la population par l'intermédiaire du processus budgétaire, ni même devant un ministère afin de garantir que le travail est réparti également et que les priorités clés sont abordées.

Il se peut donc qu'un tribunal donné reçoive énormément de demandes d'arbitrage et que les choses ralentissent ensuite pendant un certain temps. Avant, tout le personnel de soutien de ce tribunal demeurait essentiellement en attente de cette période d'abondance du travail.

Nous croyons qu'il s'agit non seulement d'une façon d'économiser, mais aussi d'une façon plus efficace de faire les choses sur le plan du perfectionnement professionnel des employés et de la gestion globale du processus.

La sénatrice Chaput : Si je comprends bien ce que vous venez de dire, c'est une question d'efficacité et de responsabilité?

M. Thomas : Efficacité, responsabilité, taille et perfectionnement professionnel.

La sénatrice Callbeck : Merci d'être venu, monsieur Thomas. Dans la section en question, la section 29, sur les services d'appui aux tribunaux administratifs, nous créons une nouvelle entité, et c'est à cela que servent les articles 376 à 482. Autrement dit, c'est un élément majeur du projet de loi. Ne pensez-vous pas qu'il aurait mieux valu faire de cela un projet de loi distinct, au lieu de tout mettre dans un projet omnibus de plusieurs centaines de pages contenant toutes sortes de choses?

M. Thomas : Oui. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous n'aimons pas les projets de loi omnibus. Nos membres nous disent qu'ils préféreraient que ce soient des textes législatifs distincts.

Nous aimerions que les leaders de la Chambre des communes trouvent une façon de revenir à des projets de loi comme ceux qui étaient présentés avant. Manifestement, pendant les années où il était minoritaire, le gouvernement s'est senti floué par l'opposition. Il a trouvé que ses projets de loi n'étaient pas examinés de façon honnête et que la politique avait préséance sur l'obligation du gouvernement et de l'opposition d'examiner rapidement les projets de loi proposés.

Nous pensons que le gouvernement a raison. Nous pensons aussi que l'opposition a raison, car elle n'a pas l'occasion de débattre en profondeur de projets de loi qu'elle considère comme étant controversés.

Ces projets de loi omnibus ne servent pas l'intérêt du public. Ils ne servent pas le public, ils ne servent pas le Parlement, et nous nous y opposons en principe.

La sénatrice Callbeck : Je suis assurément d'accord avec vous pour dire qu'il devrait s'agir d'un projet de loi distinct. J'aimerais que le gouvernement recommence à proposer des projets de loi d'exécution du budget portant sur les éléments du budget plutôt que sur à peu près n'importe quoi.

J'ai été surprise de vous entendre dire que vous ne souhaitiez pas être consulté par le gouvernement là-dessus ou que vous ne vous attendiez pas à l'être, mais que vous soyez heureux d'avoir la possibilité de témoigner devant un comité sénatorial ce matin. Ma question est la suivante : pourquoi ne voudriez-vous pas être consulté par le gouvernement?

M. Thomas : Ma réponse concernait le projet de loi précis dont nous parlons. Ce que je veux dire, c'est que nous avons deux ou trois employés professionnels à Ottawa, des gens qui s'occupent des communications ou des analystes, si on veut. Selon ce que nous a permis d'apprendre notre dernière demande d'accès à l'information, le gouvernement du Canada compte 4 814 agents des communications, et il prévoit des centaines de millions de dollars pour les communications. Aucun organisme sans but lucratif n'a les ressources nécessaires pour réagir à tous les projets de loi qui sont examinés par le Parlement au cours d'une année donnée.

Je disais que nous devons choisir les moments où nous intervenons. Quoique nous appuyions de tout cœur l'idée de créer un service d'appui aux tribunaux administratifs, si le gouvernement nous avait demandé ce que nous en pensions avant la publication du budget, nous lui aurions répondu ce que nous affirmons aujourd'hui : nous trouvons que c'est une excellente idée.

Le vice-président : Monsieur Thomas, madame la sénatrice Callbeck, je suis vraiment désolé de vous interrompre, mais j'ai promis à tout le monde que nous aurions terminé à 11 h 35, et il est 11 h 34.

Monsieur Thomas, merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir discuter avec nous aujourd'hui. Mesdames et messieurs les sénateurs, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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