Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 21 - Témoignages du 19 novembre 2014
OTTAWA, le mercredi 19 novembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 13 h 47, pour étudier la teneur du projet de loi C-43, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, cet après-midi, nous allons continuer notre étude de la teneur du projet de loi C-43, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.
[Traduction]
Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui deux groupes de témoins. Je propose que nous entendions d'abord les témoins qui présenteront par vidéoconférence, et je vais donc les présenter. Nous vous remercions de comparaître.
Lorsque vous parlez ou si vous souhaitez répondre à une question, veuillez vous identifier, car nous ne pouvons pas voir vos porte-noms.
Katie Walmsley est présidente de l'Association des gestionnaires de portefeuille du Canada. Elle comparaît à partir de Toronto. Elle parlera de la partie 1, articles 2, 9 à 16, 26 à 29, 38, 42 à 46, 71, 72, 75, 81, 84, 86 et 87. Ils débutent à la page 1 du projet de loi. Il s'agit de ces différents articles. Nous essayons de les suivre, mesdames et messieurs les témoins, à mesure que nous les examinons. Lorsque vous parlez d'un article en particulier, il nous faudra parfois un peu de temps pour le retrouver. Nous nous entraiderons pour trouver la bonne page.
Mme Walmsley est accompagnée de Lindsay Rogan, directrice générale de Rogan Investment Management; de Michael Friedman, associé à McMillan et de Joseph Micallef, associé à Ernst & Young s.r.l.
Merci beaucoup. Est-ce que l'un ou plusieurs d'entre vous souhaitent livrer un exposé?
Katie A. Walmsley, présidente, Association des gestionnaires de portefeuille du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Je vais commencer par donner un peu de contexte sur l'AGPC et sur les deux enjeux sur lesquels nous voulons nous concentrer aujourd'hui. Comme je l'ai mentionné, je donnerai ensuite la parole à Lindsay Rogan, qui formulera quelques commentaires.
Tout d'abord, si vous ne le savez pas déjà, l'AGPC représente près de 200 sociétés de gestion de placement de partout au Canada qui gèrent des actifs pour des particuliers, des fondations et des régimes de pension. En ce qui concerne le projet de loi C-43, nous aimerions nous concentrer sur deux enjeux liés aux fiducies : tout d'abord, l'assujettissement des fiducies aux règles sur la restriction des pertes qui s'appliquent aux fonds d'investissement, notamment aux fonds communs, et deuxièmement, l'élimination de l'imposition à taux progressif des fiducies testamentaires et d'autres fiducies.
Je vais commencer par l'assujettissement des fiducies aux règles sur la restriction des pertes. Pour vous donner un peu de contexte, en mars 2013, le paragraphe 251.2 du projet de loi C-40 est entré en vigueur. Cette nouvelle disposition d'assujettissement des fiducies aux règles sur la restriction des pertes visait à éviter le développement d'opérations de commerce de perte entre personnes sans lien de dépendance mises au point afin de donner à un contribuable accès aux pertes inutilisées d'un autre contribuable. Les fonds d'investissement, notamment les fonds communs et les fonds communs de placement qui sont constitués sous forme de fiducie ont été, par inadvertance, assujettis à cette disposition.
Pourquoi les fonds se retrouvent-ils concernés par cette disposition? En termes simples, le projet de loi C-40 comportait des modifications aux règles relatives aux faits liés à la restriction de pertes des fiducies, c'est-à-dire que ces règles s'appliquent dès qu'une personne devient un bénéficiaire détenant une participation majoritaire ou lorsque survient un changement de plus de 50 p. 100 de la propriété effective d'une fiducie. Les faits liés à la restriction de pertes peuvent entraîner de graves conséquences pour les fonds organisés sous forme de fiducie. Il s'agit notamment d'une fin d'année d'imposition réputée ou de plusieurs fins d'année pouvant nécessiter des distributions et des déclarations fiscales complémentaires, des pertes en capital non utilisées, des pertes non réalisées sur les biens en immobilisation non amortissables et d'une incidence potentiellement défavorable sur les rendements des investisseurs.
Plusieurs intervenants de l'industrie ont présenté des propositions et soulevé des préoccupations au sujet des conséquences de ces dispositions sur les fonds d'investissement et sur les fonds communs. Je suis ravie de signaler qu'un grand nombre de ces préoccupations ont été traitées dans le projet de loi C-43. Nous félicitons le gouvernement pour la rapidité avec laquelle ces modifications ont été apportées.
Un pas dans la bonne direction a été accompli, mais, bien que positives, les exemptions accordées ne sont pas suffisantes. En effet, l'allègement apporté n'intègre pas les fonds communs qui sont gérés en conformité avec les investissements et les restrictions en matière de placements prévues par la Loi sur les normes de prestation de pension ou d'autres restrictions similaires prévues par des lois provinciales.
Tout d'abord, rappelons le contexte des fonds communs. Les fonds communs sont très similaires aux fonds communs de placement, à l'exception de certaines différences notables. Les fonds communs de placement sont offerts au public au moyen d'un prospectus tandis que les fonds communs sont offerts sous forme de placement privé dans une notice d'offre. Selon une estimation récente, les fonds communs représentent un actif de plus de 120 milliards de dollars au Canada. Un grand nombre de ces fonds communs sont conçus pour des régimes de retraite à prestations ou à cotisations déterminées. Les fonds communs représentent un choix de placement important pour les Canadiens, car ils leur permettent de gérer la volatilité et ils intègrent les composantes nécessaires d'une stratégie de placement, particulièrement pour les investisseurs institutionnels. Ils présentent également l'avantage d'entraîner des frais habituellement 50 p. 100 inférieurs à ceux des fonds communs de placement.
Comme je l'ai mentionné, le projet de loi C-43 réussit, grâce à ses modifications, à régler certaines des préoccupations soulevées, mais il ne fournit pas d'allégement pour les fonds communs contenant des actifs de régime de retraite en vertu de la Loi sur les normes de prestation de pension.
Voici un exemple simple. Imaginons qu'une investisseuse, Mme Smith, a placé toutes ses épargnes-retraite dans un fonds commun qui contient également des actifs de régime de retraite. Dans ce cas, l'allégement prévu par le projet de loi C-43 ne s'appliquerait pas nécessairement, et cela aura des effets négatifs sur le rendement des épargnes-retraite de Mme Smith.
En termes plus techniques, les règles de pension appliquent le critère de la valeur comptable pour déterminer la concentration autorisée pour les placements au lieu de retenir la juste valeur marchande comme envisagé par l'allégement sur la restriction des pertes de fiducie dans le projet de loi C-43. Par conséquent, cela signifierait qu'une partie importante des 120 milliards de dollars détenus en fonds commun au Canada ne pourra pas profiter de l'allégement prévu dans le projet de loi C-43.
Il s'ensuit que les rendements de placement d'investisseurs particuliers, comme Mme Smith, pourraient être tout simplement inférieurs, car ils sont investis dans un fonds commun. Si elle avait investi dans un fonds commun de placement, l'allégement aurait été accordé en raison des exemptions prévues dans le projet de loi C-43.
Cela dit, les restrictions sur l'investissement prévues par la Loi sur les normes de prestation de pension font l'objet d'un examen. On s'attend à ce qu'elles soient modifiées pour correspondre au critère de la juste valeur marchande. Nous recommandons donc, aujourd'hui, la création d'un certain type d'allégement transitoire pour les fonds gérés en conformité avec les restrictions en matière d'investissement prévues par la Loi sur les normes de prestation de pension. Nous ne voyons aucune justification politique à exclure ce type de fonds commun des exemptions prévues par le projet de loi C-43. Comme les membres du comité le savent, cet allégement pourrait être accordé par voie de lettre d'accord ou par des notes explicatives au projet de loi C-43 à des fins d'éclaircissement.
J'aimerais maintenant aborder le deuxième enjeu, c'est-à-dire l'élimination de l'imposition à taux progressif des fiducies testamentaires et d'autres fiducies. Je vais donner la parole à Lindsay Rogan, qui représente Rogan Investment Management, une entreprise qui gère les investissements de plusieurs clients privés.
Lindsay Rogan, directrice générale, Rogan Investment Management : Merci, Katie. Bonjour. Nous comprenons que le gouvernement soit préoccupé par l'utilisation des fiducies testamentaires et les techniques visant à retarder l'administration d'une succession à des fins fiscales. Toutefois, nous pensons qu'il est possible de régler ces problèmes sans pénaliser les bénéficiaires de fiducies testamentaires créées ou utilisées pour des raisons nullement fiscales.
Certaines de ces raisons sont notamment la transmission d'un héritage à un bénéficiaire mineur dans l'attente qu'il atteigne sa majorité ou qu'il ait terminé ses études, la gestion d'une succession pour un conjoint âgé qui, en raison de son âge avancé ou de capacités réduites, est vulnérable à l'exploitation financière, la protection du capital contre des créanciers potentiels, la distribution échelonnée à des bénéficiaires dépensiers ou vulnérables, la protection d'un héritage familial au bénéfice d'un de ses enfants, la gestion professionnelle des actifs ou l'impossibilité de régler une succession pour des raisons non fiscales.
À partir du 1er janvier 2016, tous les revenus perçus par une fiducie testamentaire seront imposés selon la plus haute tranche applicable aux particuliers dans la province de résidence de la fiducie. Cette situation est particulièrement problématique pour les fiduciaires n'ayant pas le pouvoir de distribuer certains types de revenus de fiducie. Ces changements importants dans la politique fiscale du Canada contiennent pourtant quelques rares exceptions, surtout en ce qui concerne le traitement des bénéficiaires handicapés. Toutefois, j'aimerais concentrer mes commentaires sur trois recommandations principales qui concernent en grande partie l'article 71.
Tout d'abord, nous demandons une réévaluation de la période de 36 mois qui suit le décès. Donc, pendant les 36 premiers mois suivant le décès, l'imposition à taux progressif s'appliquera à une succession. Si la succession n'est pas réglée après ce délai, l'ensemble des revenus perçus par la fiducie sera imposé selon la plus haute tranche en vigueur pour les particuliers. Il nous semble que cette période de 36 mois est arbitraire. Cette disposition ne tient pas compte des circonstances non fiscales liées à de nombreuses successions et elle est donc déraisonnable.
Une succession est tout simplement un instrument créé automatiquement au décès d'une personne pour placer ses biens, et l'imposition à taux progressif devrait s'appliquer aux revenus de la succession aussi longtemps que des raisons non fiscales justifient son existence. Nous croyons que dans de nombreux cas, la période de 36 mois n'est pas suffisante pour régler une succession, particulièrement si celle-ci se compose d'actifs non liquides ou si les bénéficiaires sont difficiles à localiser ou encore s'il y a conflit.
Deuxièmement, le délai administratif de 36 mois devrait être converti en période sûre, et le ministère des Finances devrait créer un critère pour repérer les successions dont l'existence se prolonge uniquement pour des raisons fiscales et les imposer en conséquence.
Troisièmement, nous avons également remarqué que cette période de 36 mois n'est pas conforme à certaines lois provinciales. Notre deuxième recommandation serait d'accorder un pouvoir discrétionnaire ministériel pour obtenir des allégements dans certains cas et tenir compte des droits acquis. Comme tout changement de politique, la mise en œuvre des nouvelles règles entraînera des conséquences imprévues. Ces préoccupations pourraient être réglées si le ministre a la possibilité d'accorder des allégements et de prolonger la période au cours de laquelle une succession est assujettie à l'imposition à taux progressif.
La Loi de l'impôt sur le revenu devrait permettre cette flexibilité. En effet, de nombreux Canadiens peuvent avoir organisé leur succession sous forme de fiducie testamentaire et ne plus avoir la possibilité de modifier leur testament. Nous pensons également qu'on devrait se pencher sur les droits acquis, en prolongeant notamment la période durant laquelle l'imposition à taux progressif s'applique aux fiducies testamentaires ayant des bénéficiaires mineurs, du moins jusqu'à ce qu'ils atteignent la majorité.
La troisième recommandation vise à repousser la date d'entrée en vigueur à 2017. Étant donné le vieillissement de la population des investisseurs canadiens, nous croyons que de nombreux Canadiens ne seront pas informés de ces changements. De nombreux testaments recourent à des fiducies testamentaires en anticipant une imposition à taux progressif, afin d'atténuer les différences entre le revenu fiscal et le revenu dont on tient compte pour la fiducie.
La suppression du taux progressif entraînera des conséquences négatives pour de nombreux Canadiens qui pensaient avoir planifié leur succession de façon prudente il y a de nombreuses années. Par conséquent, de nombreux clients et conseillers vont devoir revoir la planification des successions existantes, ce qui exigera du temps et de l'énergie. Une chose est claire : la planification fiscale et l'administration d'une succession au Canada changeront en raison du Budget de 2014. Il s'agit de savoir si les Canadiens seront conscients de l'importance des effets de ces changements sur leurs économies et s'ils auront suffisamment de temps pour s'adapter. Nous recommandons une transition plus longue, c'est-à-dire jusqu'en 2017, afin d'informer les gens et de leur donner le temps de planifier en conséquence.
L'AGPC remercie le Comité sénatorial permanent des finances nationales de lui avoir donné l'occasion de faire ces demandes.
Le vice-président : Merci beaucoup. Je suis Larry Smith et je remplace le sénateur Day, qui doit faire un discours à la Chambre.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Est-ce que vous voulez qu'on apporte des ajustements au projet de loi, notamment en ce qui concerne l'entrée en vigueur des mesures pour 2017 et l'établissement d'une période plus longue que 36 mois en ce qui a trait au premier point qui a été soulevé?
Toutefois, j'ai une question au sujet de l'une de vos recommandations, soit celle d'accorder un pouvoir discrétionnaire au ministère. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la portée de cette discrétion au ministère par rapport à l'application dont il s'agit ici? Selon vous, est-ce que ce genre de pouvoir discrétionnaire est habituel dans le cadre de la loi fiscale ou serait-ce un précédent dans ce contexte?
[Traduction]
Michael Friedman, associé, McMillan : Je vous remercie d'avoir posé la question. Je dirais que c'est assez fréquent, dans le contexte des lois fiscales canadiennes, d'accorder un pouvoir discrétionnaire au ministre, que ce soit pour accorder un allégement de l'application d'une règle précise ou un allégement de l'application d'une pénalité ou d'une exigence en matière de dépôt.
Vous examinez l'article 220 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui accorde au ministre un large pouvoir en matière d'allégement pour prolonger les périodes de choix ou accorder un allégement des intérêts dans les pénalités. Le fondement de toutes ces règles, c'est la reconnaissance des différentes circonstances de chaque contribuable et du fait que des règles strictes peuvent pénaliser les contribuables de façon particulièrement fastidieuse. Nous soutenons donc que cela serait conforme à la structure et aux objectifs de la Loi de l'impôt sur le revenu et protégerait les personnes qui pourraient subir un préjudice indu en raison d'une règle stricte à grande portée.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Avez-vous une formulation précise à proposer à ces amendements?
[Traduction]
M. Friedman : Dans ce contexte, il y aurait deux options, comme Mme Rogan l'a proposé dès le début, en ce qui concerne la règle de 36 mois pour l'imposition à taux progressif. On pourrait d'abord envisager d'en faire une période sûre et, à partir de ce point, dans le contexte de notre régime d'autocotisation, les contribuables pourraient choisir d'appliquer les taux progressifs s'ils croient qu'il y a un obstacle au règlement de leur succession. Il reviendrait ensuite au ministre de contester cela et le fardeau leur reviendrait.
On pourrait également maintenir la règle de 36 mois et ensuite imposer l'exigence d'obtenir un allégement du ministre par l'entremise d'une demande dont le ministre pourrait déléguer l'administration à l'Agence du revenu du Canada. Un administrateur ou un exécuteur testamentaire devrait demander cet allègement à l'avance. Pour revenir à votre question, vous avez demandé, plus tôt, s'il s'agissait de demandes récurrentes ou d'une demande unique. Encore une fois, on ferait preuve de souplesse à cet égard. Il pourrait s'agir d'une demande annuelle ou pour une période déterminée, ou il pourrait s'agir d'un mécanisme qu'une personne choisit d'enclencher, sans devoir obtenir la permission, et qui serait examiné par le ministre plus tard.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vous remercie. Cela nous aide.
[Traduction]
Le vice-président : Étant donné que nous avons divers degrés d'expertise financière autour de la table, j'aimerais demander aux témoins de nous donner un exemple simple d'un cas qui illustrerait immédiatement les circonstances d'une personne visée par la loi en vigueur qui a une fiducie d'une valeur donnée et d'une personne visée par les nouveaux règlements. En ce qui concerne les personnes visées par les nouveaux règlements — je ne dirai pas « pénalisées » — comment les sommes qu'elles devraient distribuer sont-elles différentes? Je crois que ce serait un exemple très utile si les membres du comité acceptent la question.
M. Friedman : Nous serons heureux de le faire et nous créerons immédiatement un exemple très simple, mais j'aimerais préciser que nous pourrions probablement y consacrer plusieurs heures.
Le vice-président : Je n'en doute pas. Nous vous serions reconnaissants de créer votre exemple rapidement. Après tout, vous êtes tous des génies de la finance.
M. Friedman : Prenons l'exemple d'une succession avec un investissement très simple qui génère un revenu de 100 $ par année. On nomme un exécuteur testamentaire, mais en raison des modalités de la succession, il a de la difficulté à trouver les bénéficiaires. Il se peut qu'ils aient un nom commun ou qu'ils habitent dans différentes régions du pays, et ils sont dans l'incapacité de régler la succession en 36 mois. On a déployé tous les efforts raisonnables pour retrouver les bénéficiaires. Un débat s'ensuit, et il faut cinq ans, plutôt que 36 mois, pour régler la succession. Dans les circonstances actuelles, on s'attendrait à ce que cette succession soit imposée à un taux progressif. Les revenus — 100 $, ce n'est peut-être pas assez élevé pour un taux progressif, donc supposons qu'il s'agissait de revenus de 50 000 $ ou de 75 000 $ — seraient imposés au taux progressif connu de tous les membres particuliers, et cela se prolongerait pendant toute l'administration de la succession.
Par contre, conformément aux règles proposées d'une période fixe de 36 mois, ce revenu, après trois ans, ne serait plus imposé à taux progressifs, mais au taux marginal le plus élevé applicable à un particulier. Pour des raisons qui n'ont absolument rien à voir avec la planification fiscale, qui échappent à la volonté de l'exécuteur. Celui de notre exemple aurait administré la succession avec une diligence raisonnable; il aurait seulement éprouvé de la difficulté à trouver les bénéficiaires. Dans cet exemple très simple, le capital serait entamé. Malgré l'absence de motif de planification fiscale, la seule administration de la succession lui rend préjudiciable la règle absolue des 36 mois prévue dans le nouveau projet de loi.
Le vice-président : Pour prendre un exemple plus simple, si une fiducie distribuait 100 000 $ par année, mais sans pouvoir trouver le bénéficiaire, lequel serait imposé au taux maximal, qu'adviendrait-il de cette somme? Êtes-vous en train de dire qu'elle serait imposée au taux de 49 p. 100?
M. Friedman : Conformément aux règles, si elle reste dans la succession, elle serait imposée à ce taux. Si la somme était distribuée, elle ferait partie du revenu des bénéficiaires.
La difficulté viendrait de l'imposition du bénéficiaire au taux marginal le moins élevé. Dans l'exemple, le taux d'imposition dans la succession est de 49 p. 100. La somme remise au particulier pourrait être imposée à un taux inférieur ou échapper à l'impôt, selon les circonstances ou les pertes subies ailleurs. Dans ce cas particulier, l'impôt est excessif.
Ce défaut d'intégration est contraire à l'esprit de la loi ou à la politique fiscale, autant que nous puissions en juger.
Le vice-président : La parole est à la sénatrice Chaput, du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Chaput : Ma question est très brève, monsieur le vice-président.
Dans votre document de présentation, à la toute fin, vous dites que les grandes questions sont les suivantes : les Canadiens seront-ils informés de l'importance de ces changements pour leur succession et auront-ils suffisamment de temps pour s'y adapter?
D'après vous, qui est responsable d'informer les Canadiens de ces changements et quelle est la meilleure façon de le faire?
[Traduction]
Mme Rogan : C'est une question intéressante. Je pense qu'il incombera au gouvernement, aux conseillers financiers, aux comptables et aux avocats d'informer leurs clients de ces modifications. J'ai essayé d'imaginer la ruée de tous mes clients pour faire modifier leurs testaments et les actualiser, tous en même temps, puis je l'ai extrapolée à toute l'industrie. Cette planification prend du temps. Dans la constitution d'un patrimoine, les clients ont souvent des problèmes qui n'ont aucune dimension fiscale, mais qui sont souvent très complexes.
Les Canadiens devront réfléchir à nouveau aux méthodes fondamentales qu'ils ont utilisées pour protéger leur patrimoine au profit de leurs enfants, dans les cas où ils se sont remariés et veulent subvenir aux besoins de leur conjoint survivant et protéger le capital de leurs enfants. Certaines fiducies n'ont rien prévu pour la distribution des gains de capital comme revenus. Les enfants paieront donc le prix fort, le taux marginal d'imposition le plus élevé sur le revenu conservé à leur intention dans la fiducie, souvent sans que l'administrateur ait le pouvoir de leur faire encaisser ce revenu au taux marginal correspondant à leur tranche d'imposition.
Les successions seraient très difficiles à planifier à nouveau, et j'ignore même si les notaires et les avocats seraient capables de répondre à la demande.
Le vice-président : À la page 2 de votre exposé, vous avez parlé des fonds communs en ces termes :
Un pas dans la bonne direction a été accompli, mais, bien que positives, les exemptions accordées ne sont pas suffisantes. En effet l'allègement apporté n'intègre pas les fonds communs qui sont gérés en conformité avec les restrictions en matière de placement...
Pouvez-vous nous en donner des exemples, s'il vous plaît?
Mme Walmsley : Bien sûr. Je demande à Joseph Micallef de répondre.
Joseph Micallef, associé, Ernst & Young s.r.l. : Je vous remercie pour la question. Les allégements prévus par le projet de loi et accordés aux fonds communs qui mesurent leurs placements ne semblent certainement pas tenir compte de toutes leurs méthodes de mesure permanente de leurs avoirs investis.
Plus précisément, un fonds commun, qui possède manifestement des régimes de retraite à cotisation déterminée, d'autres fonds institutionnels, tend à conserver les placements dans un titre particulier. La définition révisée de l'allégement pour un fonds commercial d'investissement se fonde sur des notions de juste valeur marchande, qui regroupent la totalité de la concentration des avoirs d'un investisseur plutôt que la valeur de l'entité. Cette valeur, je dois le souligner, n'est pas nécessairement connue journellement ni même plus souvent que ne l'exigent les règles de divulgation publique.
Actuellement, le problème se situe entre ce que les restrictions imposées aux investisseurs et visant le fonds lui-même. Par exemple la mesure de la concentration des investissements ou des restrictions liées aux investissements d'après la valeur d'origine, au début, au jour 1, par opposition à ce que prescrit la loi, c'est-à-dire une juste valeur marchande de toutes les sortes d'investissements intégrés dans un fonds commun.
BlackBerry est un bon exemple. Si le fonds détient BlackBerry et émet des actions privilégiées, des actions ordinaires comme créances et que tous ces placements répondent à sa stratégie d'investissement, il peut très bien ne pas souffrir des restrictions liées à l'investissement qui sont définies, pour ne pas mettre en situation irrégulière cette stratégie. Malheureusement, dans le cas où le fonds ne pourrait pas mesurer ses placements dans BlackBerry ou déterminer si le titre n'est pas admissible à l'allégement, comment mesure-t-on la juste valeur marchande quand cette information n'est disponible qu'à tous les trimestres ou même jamais?
L'exemption prévue pour obtenir l'allégement ou l'allégement lui-même sont très embêtants. Voilà le problème. Il ne s'agit pas des pertes qui se trouvent dans la fiducie. Il est évident, en principe, que la négociation générale des restrictions de pertes des fiducies doit être annulée entre particuliers sans liens de dépendance.
Cependant le libellé de la loi, qui visait à soulager les fonds communs, rend presque impossible, pour un fonds, le respect ponctuel de ces mesures.
Voilà comment, simplement, on peut caractériser le scénario qui, malheureusement, fait subsister le problème pour un grand nombre de ces régimes de fonds commun de partout au pays. À moins d'inventer d'autres outils ou moyens, et, bien honnêtement, l'industrie ne voit pas comment on pourrait le faire.
Le vice-président : Eh bien, voilà une réponse. Je pense que la recherche d'une solution vous offrira beaucoup d'occasions à saisir.
M. Micallef : Si j'avais une solution toute prête, ça ne présenterait aucun inconvénient. Malheureusement, je n'ai pas accès quotidiennement à l'information publique, parce que la loi n'autorise de situation irrégulière qu'un jour par année, même si elle ne dure qu'un instant. Il est évidemment impossible pour un fonds d'obtenir sans exception ces mesures pour se conformer à la loi actuelle.
Le vice-président : Merci.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je remarque, dans les documents, que l'impact financier de ces mesures pour le gouvernement représente un total d'entrées pour le gouvernement, sur cinq ans, de 245 millions de dollars.
On voit ici que les mesures qui visent l'impôt sur le revenu des particuliers concernant l'imposition à taux progressif des fiducies et des successions commencent à 20 millions de dollars, pour un total de 245 millions de dollars sur cinq ans. Êtes-vous d'accord avec cette estimation?
[Traduction]
M. Friedman : Sans vouloir vous contredire, les spécialistes du milieu ont sans cesse mis en évidence la très grande difficulté de comprendre la méthode de calcul de ces chiffres et les critères de leur répartition entre les années.
On peut supposer que le gouvernement a l'intention de promouvoir un système intégré. Donc, pour calculer le montant des impôts qu'on récoltera en abandonnant les taux progressifs, je suppose qu'on devrait alors pouvoir déterminer comment les contribuables s'ajusteraient en payant les montants, quels seront les taux d'imposition. Cela soulève un certain nombre de questions auxquelles il est difficile de répondre, et nous avons de la difficulté à chiffrer ce montant.
Je me poserais aussi cette question : ces revenus supplémentaires sont gagnés, mais à quel coût? Nous supposons notamment que ce serait un mécanisme de planification fiscale, que, si ces montants étaient distribués autrement, ils seraient frappés d'un taux d'imposition supérieur entre les mains des bénéficiaires de la succession. Les fondements de cette affirmation nous semblent contestables en toutes circonstances.
Les recettes fiscales pourront très bien augmenter, mais aux dépens des contribuables qui, sinon, seraient imposés à des taux marginaux inférieurs.
Nous nous posons deux questions fondamentales : Comment ces chiffres ont-ils été calculés? Il se peut qu'il y ait des revenus supplémentaires, mais qui écope? Si c'est le contribuable imposé à un taux marginal inférieur, cela soulève des questions importantes et essentielles sur la prudence de cette politique fiscale.
Le vice-président : Vous avez formulé trois propositions pour remplacer la période de 36 mois suivant le décès : obtenir, grâce au pouvoir discrétionnaire du ministre, un allégement dans certains cas; prévoir des options de maintien des avantages acquis; reporter la mise en vigueur à 2017.
Encore une fois, si vous pouviez nous présenter l'exemple d'une succession ou d'une fiducie de 100 000 ou de 200 000 $, pourriez-vous nous décrire les conséquences qui résulteraient de vos recommandations? Pourriez-vous montrer concrètement leurs conséquences dans ce cas précis?
M. Friedman : Dans une législation plus nuancée, les lois reconnaîtraient les motifs de planification non fiscale et elles en tiendraient compte, dans le cas ou non des successions. Dans l'exemple, que je reprends, d'une succession qui ne pouvait pas être administrée en raison de procès ou de la difficulté à trouver les bénéficiaires, une règle absolue de 36 mois imposerait un fardeau fiscal injustifié à cette succession.
De même, pour ce qui concerne notre deuxième recommandation, dans le contexte de cette succession qui produit un revenu de 100 000 $, peut-être existe-t-il des motifs de planification non fiscale qui expliquent pourquoi le montant de cette succession ne devrait pas être distribué. Pour les motifs exposés par Mme Rogan, il se peut que le bénéficiaire soit incapable de gérer ses propres affaires ou qu'il soit handicapé, toutes des raisons prudentes et raisonnables, sur le plan financier, pour laisser ces biens entre les mains de l'administrateur à qui on les a confiés.
Conformément aux règles maintenant proposées, cette succession serait essentiellement obligée de répartir ces biens prématurément ou, sinon, elle devrait envisager des débours supplémentaires, un fardeau fiscal supplémentaire totalement étranger à la planification fiscale, mais simplement considéré comme le coût de la protection des intérêts du bénéficiaire. C'est vraiment un résultat particulier.
Enfin, en ce qui concerne la notification, dans l'exemple de notre succession de 100 000 $, cela peut découler d'un testament antérieur. Supposons que le testateur ne meure pas avant 2016, au milieu de l'année. Faute d'accorder un délai raisonnable ou important aux testateurs pour qu'ils modifient leurs testaments, ils peuvent se trouver, à leur insu, à y avoir créé des fiducies testamentaires, au lieu d'avoir préservé les biens dans une succession, ce qui fera immédiatement imposer la fiducie au taux marginal le plus élevé.
Si le délai pour faire connaître ces renseignements au public et pour modifier les testaments avait été raisonnable, ils les auraient modifiés pour respecter la nouvelle loi. Donc, chaque fois, nous avons un testament avec une succession produisant un revenu de 100 000 $, mais, selon les circonstances, plusieurs conséquences négatives sont possibles. Nous avons tenté de proposer trois solutions relativement simples qui seront adaptées aux situations particulières.
Comme vous le savez, les circonstances dans lesquelles on se trouve diffèrent d'un individu à l'autre. Elles dépendent de la famille, des bénéficiaires et d'autres facteurs personnels. Une règle simple, qui laisse très peu de place à l'interprétation est un signe d'inadaptation à ces circonstances, au détriment, sans aucun doute, des personnes.
Nous voyons bien qu'il faut trouver le juste milieu, que le pragmatisme est de mise. Les modifications subtiles que nous avons proposées contribueront beaucoup à rétablir l'équilibre.
La sénatrice Eaton : J'ai grandi avec un avocat, mon père. Je sais à quel point vous êtes prudents et réfléchis. J'ai également siégé au conseil d'administration de la succession Roloff Beny et, après trois ans, j'ai démissionné, parce qu'elle n'était pas encore réglée. Pouvez-vous nous donner le pourcentage de successions qui vous sont confiées dont le règlement prendrait plus de trois ans?
M. Friedman : Ça me serait très difficile. Je n'essaie pas d'esquiver la question. Je dirais que si vous posez la question à 10 avocats, vous obtiendrez autant de réponses. Cela dépend de la nature de la succession et des différents bénéficiaires. En réalité, ces facteurs de variation soulignent l'importance de se doter de règles souples.
La sénatrice Eaton : Je comprends tout cela. Dans votre cas, dans votre firme, s'agit-il de 1, de 10 ou de 50 p. 100?
M. Friedman : Dans notre cas, le pourcentage serait important. Serait-il 100 p. 100? Non. Il serait certainement au-dessus de 25 ou de 30 p. 100, mais, encore une fois, cela dépendrait de la nature des successions qui nous sont confiées.
L'administration d'une succession sans complications, avec un bénéficiaire et peu de biens prend généralement moins de temps que celle d'une succession importante ou d'une succession dont les bénéficiaires ont des problèmes ou des besoins particuliers. D'une certaine manière, je craindrais de ramener cela à une question de pourcentage, parce que nous risquons d'oublier que les contribuables qui ont vraiment besoin de la protection de la loi, qui ont des besoins spéciaux ou qui se trouvent dans des circonstances financières particulières peuvent ne pas représenter la majorité des successions. De même, la loi devrait particulièrement veiller à ne pas leur être excessivement préjudiciable.
[Français]
La sénatrice Bellemare : J'ai une question de nature philosophique, étant donné que vous avez invoqué le problème d'équité. Vous avez dit que, dans le cas des propositions, cela pose un problème d'équité, surtout si les bénéficiaires ont un impôt plus faible à payer que ce qui est prévu dans la loi. Comment réagissez-vous à l'idée de plus en plus soutenue liée à l'accroissement des inégalités de revenus entre les générations? Croyez-vous qu'il faudra taxer davantage les héritages et les successions? Parce que cela cause un autre type de problème d'équité dans la société. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?
[Traduction]
M. Friedman : Toutes mes excuses, mais il y a eu une coupure. Me permettez-vous de vous demander de répéter la question?
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ma question n'était sans doute pas très claire. C'est une question d'ordre philosophique. Souvent les économistes constatent que les écarts de revenus augmentent dans la société. Certains proposent d'imposer davantage toutes les successions. Dans les présentes propositions, on constate qu'il y a tout de même une imposition implicite des successions et, à votre avis, à l'inverse, cela pose un problème d'équité.
Je comprends la nature du problème d'équité quand il s'agit de bénéficiaires à faibles revenus, qui ne sont pas imposés au maximum. Mais je voulais vous faire réagir un peu dans cette logique de l'imposition des successions. Est-ce que l'imposition des successions ne va pas plutôt favoriser une plus grande égalité des chances dans la société? Comprenez-vous mieux ma question?
[Traduction]
M. Friedman : Oui, en effet. Je comprends les notions d'équité verticale et horizontale et j'essaie de maintenir un équilibre entre un très grand nombre de revenus et de ressources. Comment maintenir cet équilibre? Convenons tous qu'il n'existe pas d'équilibre parfait.
Cependant, je dirais que, dans sa version actuelle, la Loi de l'impôt intègre déjà de nombreuses mesures visant à répondre à ces questions d'équité. Par exemple, comme beaucoup de membres du comité le savent déjà, au décès d'un particulier, on présume de la disposition de ses biens, qui produit des gains accumulés, ce qui provoque leur imposition.
De même, la loi actuelle renferme des dispositions anti-évitement visant à contrecarrer les plans de ceux qui voudraient dédoubler l'accès aux taux marginaux. Il y a déjà une mesure en ce sens à l'article 104 de la loi. Je comprends et respecte les préoccupations soulevées. Il faut en effet éviter d'accroître encore davantage les inégalités en négligeant d'imposer le revenu au taux approprié, mais nous proposons ici simplement un système qui permettra d'assurer une intégration adéquate de l'impôt sans défavoriser ceux qui auraient été imposés à un taux inférieur s'ils avaient touché directement ce revenu.
Il est important de situer les choses dans leur contexte. Selon certaines statistiques que j'ai pu consulter, les économies actuelles découlant de l'imposition d'une tranche de revenu au taux marginal par rapport au taux le plus élevé peuvent atteindre quelque 15 000 $. Je vous dirais que le genre de planification que nous avons pu observer, et que ces règles rendraient impossible, ne vise pas principalement cette économie de 15 000 $. Ces efforts sont souvent surtout motivés par des raisons qui n'ont rien à voir avec la fiscalité.
Je conviens qu'il faut éviter d'aggraver les injustices, mais j'estime qu'il faut aussi veiller, une préoccupation peut-être plus importante encore, à ce que ceux qui risquent d'être désavantagés ne le soient pas du fait que l'on veut mettre en place un régime fiscal capable d'aller chercher tous les dollars disponibles.
Le vice-président : J'aurais peut-être une dernière question à adresser à ce groupe de témoins. Est-ce que vos propositions concernent principalement le moment où ces mesures seront mises en œuvre ou la façon dont on procédera? Si c'est le délai de mise en œuvre qui vous préoccupe, êtes-vous en fait en train de nous dire qu'il vous faudrait davantage de temps pour gérer plus efficacement ces changements au bénéfice de votre clientèle?
M. Friedman : Je crois qu'il y a deux éléments à considérer. Il faut d'abord s'assurer que les Canadiens, et plus particulièrement les aînés qui n'ont pas nécessairement toujours accès aux mêmes ressources en ligne, prennent conscience de ces changements qui se pointent à l'horizon. Il faut que les gens aient la possibilité de bien comprendre les modifications apportées à la loi et d'organiser leurs affaires en conséquence. C'est le premier élément qui concerne le délai de mise en œuvre.
Le second élément touche la façon dont les règles en question seront appliquées dans le contexte d'une succession donnée. On propose pour l'instant un délai bien précis de 36 mois. L'application d'un tel délai serait préjudiciable à de nombreux contribuables pour des raisons qui n'ont absolument rien à voir avec la planification fiscale. Il y aurait donc deux éléments à prendre en compte : le moment où ces mesures seront mises en œuvre et la façon dont on s'y prendra.
Le vice-président : Est-ce que les membres du comité ont d'autres questions à poser à ce groupe de témoins? Comme il ne semble pas y en avoir, j'aimerais vous dire un grand merci pour le temps que vous nous avez consacré. Nous allons maintenant passer au prochain groupe de témoins.
Je souhaite la bienvenue aux deux représentants de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC), David Schwartz, président, et Stephen Perry, président du Comité sur les dessins industriels. Ils vont nous parler de la partie IV, section 1, articles 102 à 142, qui débute à la page 221 du projet de loi.
Qui veut commencer?
David Schwarz, président, Institut de la propriété intellectuelle du Canada : Merci, sénateur Smith : je vais commencer. Je vais vous parler brièvement des aspects du projet de loi C-43 qui touchent le Traité sur les droits des brevets.
[Français]
Merci de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.
[Traduction]
L'IPIC est l'association professionnelle regroupant les agents de brevets, les agents de marques de commerce et les avocats dont la pratique est axée sur la propriété intellectuelle. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui, et nous appuyons l'engagement du gouvernement en faveur de l'amélioration des lois canadiennes touchant la propriété intellectuelle.
Le Traité sur les droits des brevets offre des garanties attendues pour empêcher la perte involontaire de précieux droits de brevet lorsque des formalités administratives ne sont pas remplies ou que des délais ne sont pas respectés.
Comme les détails les plus importants seront réglés au moyen de modifications futures au règlement d'application de la Loi sur les brevets, je vais vous parler uniquement de deux changements majeurs à notre Loi sur les brevets qui découlent du projet de loi C-43.
Premièrement, la loi en vigueur permet, lorsqu'un délai du bureau des brevets n'est pas respecté — ce qui arrive assez régulièrement pour toutes sortes de raisons — de rétablir de plein droit la demande en bonne et due forme en payant un certain montant sans devoir invoquer de motifs particuliers. Je dis « de plein droit » car il s'agit d'un droit inaliénable et absolu d'apporter les correctifs nécessaires en payant une pénalité.
En vertu du projet de loi C-43, un tel rétablissement de la demande ne sera autorisé que si le bureau des brevets est convaincu que le demandeur a fait montre de ce qu'on appelle la « diligence requise ». On ne sait pas encore ce qu'on entend exactement par « diligence requise », mais il est très important de noter que le projet de loi C-43 prévoit que le jugement rendu à cet égard pourra être renversé par la Cour fédérale si des poursuites sont intentées au sujet du brevet visé. Ainsi le bureau des brevets pourrait considérer qu'il y a eu diligence raisonnable, seulement pour voir la Cour fédérale affirmer le contraire par la suite. La charge de travail du bureau des brevets s'en trouvera alourdie du fait qu'on devra déterminer si le demandeur a fait tout ce qui était nécessaire. En outre, le spectre d'une révision possible de ce jugement par la Cour fédérale créera une incertitude à long terme.
Il est important de souligner que le Traité sur les droits des brevets n'exige pas l'application d'une norme de diligence requise. Nous recommandons donc que le règlement sur les brevets continue de prévoir un délai raisonnable pour le rétablissement de la demande de plein droit, avant que la norme de diligence requise puisse s'appliquer. Il faudrait donc maintenir les dispositions de la loi en vigueur qui offrent la possibilité de régulariser le dossier de demande en payant les frais exigés.
Par ailleurs, la loi en vigueur ne prévoit aucun répit, en application de ce qu'on appelle les droits d'une autre personne, pour ceux qui utilisent une invention pendant une période où la demande de brevet est abandonnée, en croyant qu'aucun brevet ne sera délivré ou que la demande ne sera pas rétablie.
Même si le Traité sur les droits des brevets n'impose pas l'application des droits d'une autre personne, le projet de loi C-43 introduit cette notion pour la première fois dans le droit des brevets au Canada. Vous comprendrez que les droits d'une autre personne sont intrinsèquement incertains pour les parties concernées. Ils sont mentionnés dans le projet de loi C-43 en rapport avec les actes de violation commis « de bonne foi » — que veut-on dire par là exactement? — ou s'il y a eu des préparatifs effectifs et sérieux en vue de commettre ces actes. On ne connaîtra pas le sens de ce libellé tant que les tribunaux ne l'auront pas interprété et, encore là, son application pourra varier considérablement en fonction des circonstances.
L'IPIC recommande que le règlement sur les brevets prévoie des possibilités raisonnables de rétablir la demande avant que les droits d'une autre personne puissent intervenir. On aurait ainsi l'option, en vertu de la règle de l'omission, de régler de façon raisonnable le problème, l'abandon, avant de s'exposer aux complications associées à ces droits d'une autre personne.
Je suis persuadé qu'Industrie Canada prendra les mesures qui s'imposent lorsque viendra le temps d'adopter des règlements à cet effet et nous espérons bien être consultés à ce sujet.
Voilà bien des années déjà que l'IPIC demande que notre loi sur les brevets soit modifiée pour éviter que des droits soient perdus en raison d'erreurs malencontreuses. Le projet de loi C-43 répond à bon nombre de nos préoccupations et nous nous en réjouissons vivement. Les modifications apportées dans le projet de loi C-43 découlent des efforts d'harmonisation déployés à l'échelle internationale en vertu du Traité sur les droits des brevets, ce qui témoigne bien des avantages d'un tel traité. Cela étant dit, le Canada aurait pu obtenir des résultats similaires en prenant l'initiative de modifier lui-même sa Loi sur les brevets.
Nous encourageons le gouvernement à poursuivre ses importants efforts en vue d'améliorer le régime canadien de propriété intellectuelle en allant au-delà des exigences du traité. Nous sommes très heureux des importants changements qui s'annoncent et nous aimerions voir le gouvernement continuer dans le même sens. Nos lois doivent sans cesse s'adapter à l'évolution de la jurisprudence ainsi que des sciences et des technologies. L'IPIC a formulé des propositions détaillées concernant notamment la confidentialité des communications entre les conseillers en priorité intellectuelle et leurs clients ainsi que le droit du double brevet, un concept juridique. Nous espérons avoir l'occasion de collaborer avec vous relativement à ces enjeux et à d'autres questions d'importance.
Je voudrais terminer sur une note positive en prenant un moment pour exprimer la gratitude de l'IPIC à l'endroit du sénateur Day qui s'emploie depuis longtemps à sensibiliser les gens à l'importance de l'innovation et de la propriété intellectuelle au Canada. Le 26 avril, nous célébrons la Journée mondiale de la propriété intellectuelle, un événement coordonné par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l'agence des Nations Unies responsable de l'administration de nombreux traités mondiaux, y compris le Traité sur les droits des brevets et l'Arrangement de La Haye dont nous discutons aujourd'hui.
À l'occasion de la Journée mondiale de la propriété intellectuelle, nous pouvons, grâce à la collaboration du sénateur Day, réunir chaque année à l'édifice du Centre des membres de la profession, des fonctionnaires, des sénateurs, des députés et d'autres invités pour discuter de différents enjeux liés à la propriété intellectuelle. À plusieurs occasions, de jeunes écoliers y ont participé pour présenter leurs travaux scientifiques. Je suis moi-même père de famille et je peux vous assurer que c'est un événement que n'oublieront pas de sitôt ces jeunes, cette future génération d'innovateurs canadiens, qui ont eu l'occasion de venir sur la Colline parlementaire pour y prendre la parole devant des sénateurs et des députés. Nous sommes reconnaissants au Sénat d'avoir rendu la chose possible.
Merci beaucoup. Si vous avez des questions concernant ce que je viens de dire et, je mets ma tête sur le billot, toute autre section du Traité sur les droits des brevets, je vais m'efforcer d'y répondre. Stephen va maintenant vous parler de l'Arrangement de La Haye.
[Français]
Stephen Perry, président du Comité sur les dessins industriels, Institut de la propriété intellectuelle du Canada : Encore une fois, nous vous remercions de votre invitation à venir vous parler des brevets industriels.
[Traduction]
La Loi sur les dessins industriels du Canada ressemble beaucoup à une loi britannique de 1842 concernant les dessins. Il y a environ 80 ans, un tribunal canadien a conclu que c'était une loi déficiente et incomplète qui ne permettait pas l'atteinte des objectifs visés et avait sérieusement besoin de modifications.
Des changements mineurs, mais importants, ont été apportés en 1993 pour corriger les déficiences les plus graves et les plus flagrantes. Les révisions proposées dans le projet de loi C-43 permettront enfin de sortir la Loi sur les dessins industriels du XIXe siècle en nous offrant un cadre plus moderne pour encourager l'innovation.
Les modifications permettront notamment d'adhérer à l'Arrangement de La Haye. Les concepteurs canadiens pourront ainsi bénéficier d'un mécanisme simple et peu coûteux pour obtenir des droits internationaux au titre de leurs dessins.
Le projet de loi renferme aussi des dispositions sur le caractère nouveau et sur une période de grâce semblable à ce qui existe déjà depuis plusieurs décennies dans la Loi sur les brevets.
Le projet de loi prévoit la prise de règlements à l'égard de certaines questions que nous aurions cru préférable d'aborder dans la loi elle-même. Par exemple, les dispositions relatives à l'abandon d'une demande de brevet pour un dessin et les procédures de rétablissement de ces demandes ne seront plus traitées dans la Loi sur les dessins industriels, mais plutôt dans le règlement. En outre, notre mémoire écrit traite en détail de l'article 105 du projet de loi qui vise l'ajout d'un nouvel alinéa 8.2(1)c) prévoyant que la première demande à être déposée pour un dessin aura priorité sur toute demande ultérieure pour un dessin divulgué par la première.
On retrouve une disposition semblable dans la Loi sur les brevets depuis de nombreuses années. Selon cette dernière disposition, si deux inventeurs déposent une demande de brevet pour la même invention, c'est le premier arrivé qui a priorité. Cependant, alors que la disposition de la Loi sur les brevets s'applique aux demandes déposées par des requérants différents, ce n'est pas le cas pour l'alinéa 8.2(1)c) proposé dans le projet de loi C-43. Il s'appliquera en effet si un concepteur canadien dépose deux demandes pour des éléments distincts d'un même produit. Par exemple, la première demande pourrait concerner la forme générale d'un téléphone intelligent, alors que la seconde viserait la configuration du clavier. En fonction des règlements qui seront éventuellement pris, la demande qui a priorité du fait qu'elle a été déposée à une date antérieure pourrait détruire le caractère nouveau du dessin visé par la seconde demande, même si une seule journée les sépare.
Cela ne peut pas se produire dans le contexte des brevets étant donné que la disposition de contrepartie de la Loi sur les brevets s'applique uniquement aux demandes déposées par une autre personne que le requérant. C'est ce que nous appelons l'auto-collision. La Loi sur les brevets rend cela impossible. Nous estimons que la Loi sur les dessins industriels devrait faire de même, plutôt que de laisser cela à la réglementation.
J'aimerais faire une dernière observation en terminant. Même si la Loi sur les dessins industriels sera finalement libérée du carcan du XIXe siècle, nous estimons que le cadre canadien en la matière doit être modernisé encore davantage pour entrer enfin dans le XXIe siècle. Les modifications apportées très récemment à la Loi sur les marques de commerce que bon nombre d'entre vous connaissent sans doute assez bien permettent de reconnaître qu'une marque de commerce peut être davantage qu'un mot ou qu'un logo. Cela peut inclure une couleur, un hologramme, un son, une odeur, un goût ou une texture. On ne propose ici rien de semblable pour élargir la définition de ce qui pourrait constituer un objet de dessin enregistrable pour protection en vertu de la loi. Suivant la loi en vigueur, la définition d'un dessin canadien n'inclut pas la couleur et ne s'appliquerait probablement pas aux interfaces graphiques avec animation. Si l'on veut que la Loi sur les dessins industriels du Canada devienne vraiment pertinente dans le contexte du XXIe siècle, il faudrait élargir la définition de ce qui est acceptable comme objet de dessin pour inclure les innovations les plus récentes.
Le vice-président : Merci beaucoup, messieurs Schwartz et Perry.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : Bienvenue, messieurs. J'aimerais que vous nous expliquiez cette notion de double lorsqu'on a un produit. Lorsqu'on a déjà fait une demande et qu'on laisse expirer le délai, si une autre entreprise vient enregistrer un délai, est-ce que cela a pour effet d'annuler l'enregistrement de l'entreprise qui avait laissé expirer la date?
[Traduction]
M. Schwartz : Merci pour la question. La situation n'est pas exactement comme vous la présentez. Nous discutions de la fonction d'avis public que remplit le brevet. Je crois que c'est ce que vous voulez savoir, mais corrigez-moi si j'ai tort. Vous pourriez être surprise à l'occasion, mais il y a toutes sortes de raisons qui font que les gens ne respectent pas un délai sans le vouloir ou parce qu'ils en sont incapables. Il leur est toutefois possible de rectifier la situation en payant les frais annuels, la taxe ou le droit de maintien pour que la demande demeure active. Le paiement peut même être effectué par un tiers, ce qui permet de remettre le dossier en ordre et de le réactiver.
Le tiers dont il est question ici n'est généralement pas quelqu'un qui essaie d'obtenir un brevet. Il peut par exemple s'agir d'un concurrent qui souhaite utiliser l'invention. Il veut utiliser, fabriquer ou vendre l'objet visé par le brevet. En vertu de la loi en vigueur, une fois qu'un dossier est en règle, il n'y a plus rien à faire. Le concurrent doit alors se dire que tout est en règle et qu'il doit composer avec le brevet existant. C'est alors à lui de décider s'il va le respecter ou s'il le juge non valable.
D'après ce qui est proposé dans le projet de loi, pendant la période où le brevet est abandonné — on n'a pas payé les frais? Qu'est-ce qui se passe? Est-ce qu'on veut continuer ou non? — un tiers peut commencer à se servir de l'invention. Il peut construire une usine ou se mettre à vendre le produit. Il serait protégé en vertu de ce qu'on appelle le droit d'une autre personne. S'il agit de bonne foi — et je ne sais pas exactement ce qu'on entend par là — ou s'il a fait des préparatifs raisonnables, effectifs et sérieux avant de commettre des actes de violation, comment cela se traduira? Il peut avoir signé un bail pour louer un édifice qu'il utilisera pour vendre le produit, avoir embauché des vendeurs ou acheté une machine. Il pourrait alors poursuivre ces actes de violation.
En fin de compte, il y a une certaine logique dans tout cela. Il faut que les choses soient équitables, mais nous croyons qu'il sera très difficile d'appliquer ces dispositions. Les tribunaux vont inévitablement en être saisis. Personne ne saura vraiment ce que tout cela signifie. Nous demandons donc simplement que l'on accorde une période suffisante avant que ces droits d'une autre personne puissent s'appliquer. D'accord, on n'a pas respecté le délai initial, mais si on fait le nécessaire sans tarder, comme c'est le cas actuellement, personne ne sera lésé.
Je ne veux pas faire toute une histoire avec ces dispositions, car j'ai bon espoir que les règlements qui seront adoptés permettront de rétablir la logique des choses. Il est difficile de prendre connaissance ainsi de la teneur d'un projet de loi sans savoir comment ses dispositions pourront se concrétiser.
La sénatrice Hervieux-Payette : À la lumière de ce que j'ai pu apprendre par le passé, j'ai l'impression qu'un dialogue s'installe entre le bureau des brevets et l'inventeur de telle sorte que toutes les informations sont transmises. Ce n'est pas comme si vous pouviez arriver un matin, lancer votre document sur la table et tout est réglé; on vous accorde un brevet. C'est un processus bilatéral de dialogue et il faut qu'un dossier soit monté. Ce n'est pas l'affaire d'une démarche unique. Le tout s'échelonne sur une certaine période et le requérant peut respecter ou non les délais et les autres modalités. Je veux donc que mes collègues et les gens qui nous regardent comprennent bien que le processus ne se limite pas simplement à la présentation d'une demande.
M. Schwartz : Vous avez raison.
La sénatrice Hervieux-Payette : Le délai peut arriver à expiration. Quelqu'un d'autre qui a entendu parler du produit, comme vous l'avez indiqué, commence à l'utiliser et il faut se demander qui est le détenteur du brevet. Il arrive que des millions de dollars aient déjà été dépensés. J'aimerais que tout le monde puisse comprendre pourquoi on veut changer ce système qui semble bien fonctionner. Quel est le but visé? Pourquoi le gouvernement voudrait-il apporter un changement qui serait désavantageux pour les inventeurs? Ce n'est pas nécessairement une chose facile à faire.
M. Schwartz : C'est un argument fort intéressant. D'abord et avant tout, vous avez tout à fait raison de dire qu'il faut beaucoup de temps pour obtenir un brevet. Je dois avouer qu'il y a des brevets que nous essayons encore d'obtenir après l'échéance du délai de 20 ans. Ce n'est pas entièrement de ma faute; il y a des échanges de part et d'autre. En d'autres occasions, le brevet est accordé rapidement, en quelques années à peine, mais il faut tout de même payer les frais annuels pendant toute la durée de 20 ans.
La sénatrice Hervieux-Payette : C'est donc une question d'années, et non de jours.
M. Schwartz : Il faut normalement un certain nombre d'années pour obtenir un brevet.
Concernant le second point que vous soulevez, je ne saurais vous dire à quelle étape du processus on a évoqué comme concept général les droits d'une autre personne. Ce n'est pas une proposition que nous avons faite et ce n'est pas non plus une exigence du Traité sur les droits des brevets. Je ne sais donc pas d'où cela vient.
La sénatrice Hervieux-Payette : Pour obtenir un brevet, vous devez présenter une demande d'enregistrement et il faut bien sûr à toutes fins utiles que vous ayez découvert la formule secrète du Coca-Cola ou quelque chose du genre. En fin de compte, vos concurrents ont accès à cette information et se disent bien évidemment qu'ils pourraient s'en servir dans leur entreprise, car ils travaillent dans le même domaine.
Si on ne veut pas qu'une autre entité qui a peu investi dans un concept en élaboration depuis bon nombre d'années, et vous avez dit que cela pouvait aller jusqu'à 20 ans, puisse exploiter le concept en question, pourquoi changer ce que nous avons actuellement? Pourquoi semer l'incertitude chez les inventeurs simplement parce qu'ils n'ont pas payé les frais annuels alors qu'il leur suffirait de le faire pour régulariser leur situation?
M. Schwartz : En étant aussi neutre, juste et impartial que je peux l'être à ce propos, je commencerai en vous disant que la loi actuelle vous donne un an pour procéder à un rétablissement. Si vous ne le faites pas durant cette période, vous n'avez plus aucun recours. La Cour d'appel fédérale ne pourra rien pour vous; c'est ce qu'elle a dit. C'est la loi : vous avez un an.
Selon le fonctionnement du Traité sur les droits des brevets, il y aurait assurément des cas où vous auriez droit à plus d'un an. Il se pourrait même que ce soit encore plus généreux. Je dirais — et je suis ici pour parler au nom de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada, mais c'est aussi mon opinion personnelle dans une certaine mesure — que le fait de couper dans l'année initiale aurait pour résultat de priver les gens de ce que la loi actuelle leur donne. En toute justice, il faut reconnaître que le fait de laisser les droits des intervenants s'appliquer durant cette année de grâce est un affaiblissement du droit des brevets que le Traité sur les droits des brevets ne cautionne pas.
D'un autre côté, en étant un tant soit peu équitable, si les titulaires de brevet vont en profiter davantage, peut-être une autre fois, même après un an, il serait sans doute logique de dire : « D'accord. On ajoute un élément nouveau : il y aura des droits d'intervenants. » Nous avons eu droit à tout un échange lors des questions qui ont été posées aux présentateurs précédents au sujet d'exemples concrets. Je ne peux vous rapporter un cas réel relativement aux droits des intervenants où quelqu'un aurait dit : « Je croyais qu'ils n'iraient pas de l'avant avec ce brevet. J'ai commencé à mettre l'invention en pratique. Je lui ai donné une nouvelle vie, mais que se passe-t-il maintenant? » Je ne peux vous affirmer qu'il n'y a jamais eu de raisons évidentes pour appuyer les droits des intervenants. Je crois cependant qu'il serait sage de ne pas les faire intervenir durant la première année, attendu que cela ne s'est jamais fait. Peut-être dans la période subséquente si le gouvernement, dans sa grande sagesse, estime qu'il faut qu'il y en ait.
La sénatrice Hervieux-Payette : Comment nous comparons-nous avec d'autres pays de l'OCDE? Les brevets doivent être homologués dans chaque pays, et c'est un processus très coûteux.
Une fois le brevet obtenu au Canada, ailleurs, il ne s'agit pas d'un processus, mais bien d'un enregistrement. Comment nous comparons-nous? Pour une économie de la taille de celle du Canada, nous avons moins de brevets qu'ailleurs. Je crois vraiment que nous ne devrions pas rendre le processus plus difficile. Nous devrions en fait faciliter la vie aux inventeurs qui veulent y accéder. Je ne parle pas des recettes; je sais qu'il s'agit d'un processus coûteux.
M. Schwartz : C'est le genre de questions pour lesquelles je devrais avoir des réponses toutes prêtes : combien de pays accordent des droits aux intervenants? Je peux me tromper, mais je ne connais aucun grand pays — comme les États-Unis ou l'Europe — où le processus des brevets est assorti de droits pour les intervenants. J'ai entendu dire que l'Australie a présenté une procédure en ce sens, mais ce n'est pas confirmé. C'est ce que je me suis laissé dire. Si vous le voulez, nous pouvons colliger des informations pour vous à ce sujet. Je ne peux cependant vous dire pour quelles raisons l'Australie a cru la chose nécessaire. Je n'ai jamais entendu parler d'un système où des droits des intervenants peuvent s'appliquer si vous oubliez une date butoir, et aucun de mes collègues étrangers ne m'a servi une mise en garde à cet égard. Je crois que c'est un procédé très peu usité.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : Monsieur le président, je pense qu'il serait intéressant de voir comment cela se passe dans les autres pays. Si nous constatons que nous sommes les seuls à faire cela et que nous sommes déjà à la traîne en termes de quantité de brevets, je pense que nous ne devrions pas ajouter de barrières au sein du système.
J'aurais juste une dernière question pour M. Perry.
[Traduction]
Monsieur Perry, vous a-t-on consulté au sujet de ces modifications?
M. Perry : En guise de préambule à ma réponse, permettez-moi de souligner que l'institut, l'Office de la propriété intellectuelle du Canada et Industrie Canada travaillent très bien ensemble.
La présence dans la Loi sur les dessins industriels de la plupart des initiatives clés que l'institut voulait y voir figurer est attribuable à des échanges qui se sont échelonnés sur de nombreuses années.
L'élaboration de ce projet de loi s'est faite en accéléré, mais en dépit de cela, je sais que la rédaction de ses versions subséquentes a été précédée de consultations menées conformément aux ententes de confidentialité conclues avec le gouvernement.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ma question s'adresse à M. Perry. Vous avez dit qu'on devrait peut-être penser à revoir la définition des éléments qui peuvent être brevetés, comme la couleur; vous avez parlé aussi du numérique. Si je comprends bien, c'est une suggestion que vous faites pour l'avenir, qui ne fait pas partie, à l'heure actuelle, des modifications apportées à la Loi sur les brevets; la loi fiscale, ici, n'apporte pas ce type de regard nouveau sur la notion d'objet à breveter. Cependant, ce que vos remarques de conclusion laissaient entendre, c'est que vous souhaitez que, dans l'avenir, on revoie la définition de brevet. Est-ce que je vous ai bien compris ou est-ce que vous suggérez qu'on introduise cette modification dans ce projet de loi?
[Traduction]
M. Perry : La question à laquelle je répondais concernait davantage la Loi sur les dessins industriels plutôt que la Loi sur les brevets, qui a ses propres tiraillements sur ce qui doit être considéré comme sujet acceptable. Nous avons entendu parler de brevets pour des pratiques commerciales, pour des logiciels et pour d'autres choses de ce genre. En ce qui concerne les dessins industriels, il est probablement mieux que je cite directement la loi :
« dessin » caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d'un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs.
Les dessins ont trait à l'apparence alors que les brevets concernent les inventions. Comme vous l'avez fait remarquer, la Loi sur les marques de commerce a grandement élargi la définition de ce qui peut constituer une marque de commerce. Il y a 100 ans, une marque de commerce n'était qu'un nom ou un logo, mais la loi a été modifiée pour tenir compte des avancées du XIXe siècle.
Comme je l'ai dit, la Loi sur les dessins industriels est une loi qui n'est plus très jeune. Nous sommes tout à fait enchantés des mises à jour annoncées. Nous espérons que d'autres modifications et d'autres ouvertures viendront. La Loi sur les dessins industriels actuelle est daltonienne, c'est-à-dire qu'elle ne tient pas compte des couleurs ni des interfaces utilisateurs animées ni de toutes sortes d'innovations qui caractérisent le XIXe siècle.
[Français]
La sénatrice Chaput : Messieurs, ma question est très simple et très directe. À la suite des informations entendues, je peux bien comprendre qu'une demande de brevet, c'est long, c'est compliqué et que cela coûte cher. Les modifications qui seront imposées à cette demande par l'entremise du projet de loi faciliteront-elles le processus ou bien vont-elles le compliquer?
[Traduction]
M. Schwartz : De façon générale, ces modifications faciliteront le processus plutôt que de le compliquer. Nos observations d'aujourd'hui portent en grande majorité sur de bonnes nouvelles. Notre message à votre intention — ce qui se veut comme une réflexion de travail —, c'est que nous espérons que les règlements qui viendront seront élaborés avec discernement et qu'ils ne compliqueront pas les choses. Au final, ces dispositions devraient faciliter et simplifier les procédures, et éviter des coûts additionnels pour l'obtention des brevets. Je laisse le soin à Stephen de vous parler du volet « dessin industriel ».
Les points que j'ai mentionnés ont fait l'objet d'une discussion, car nous croyons qu'ils sont importants. Le Traité sur les droits des brevets est censé être une question d'officialisation, de simplification et d'harmonisation. Nous avons cerné deux aspects — la notion d'une diligence requise comme condition à un rétablissement, et les droits des intervenants —, car ces derniers seraient des reculs importants des droits conférés par brevet aux innovateurs. Si de telles occasions venaient à se présenter et que l'emploi d'une diligence requise devait être démontré relativement à une date limite ratée, je crois que cela ajouterait des coûts.
À l'heure actuelle, vous devez prendre les mesures qui s'imposent, payer des frais et demander un rétablissement. C'est un fonctionnaire qui s'occupe de cela. Cependant, il ne s'agit pas d'une tâche administrative lorsque votre seule façon de rétablir vos droits est de prouver au bureau des brevets que vous avez exercé la diligence requise compte tenu des circonstances. Il est ici question de juger des faits et de la situation, ce qui ne manquera pas d'ajouter des coûts. Si la question doit être confiée à un tribunal, des coûts additionnels sont à prévoir. Si vous allez en cour et qu'il y a un problème — comme de savoir si quelqu'un peut utiliser telle ou telle invention parce qu'elle a été temporairement abandonnée —, vous vous retrouverez avec de l'incertitude et des frais juridiques. À première vue, si tout se fait avec rigueur et méthode comme nous le proposons, il n'y aura pas de coûts additionnels et la procédure s'en trouvera simplifiée.
Stephen, y a-t-il quelque chose à signaler au sujet des dessins industriels? Je ne sais pas si l'Arrangement de La Haye traite de cet aspect.
M. Perry : L'Arrangement de La Haye concernant l'enregistrement international des dessins et modèles industriels diffère un peu du Traité sur les droits des brevets, car il s'agit d'un système d'enregistrement beaucoup plus poussé. En fait, cette convention sera d'une grande aide pour simplifier, rationaliser et réduire les coûts des démarches liées à l'enregistrement international des dessins industriels.
Il y a gros à parier que les membres de ma profession, qui dépendent beaucoup de dossiers répertoriés à l'interne, ne constatent aucun changement résultant d'une telle démarche. Mais l'inverse est aussi possible. Assurément, cela sera profitable pour les concepteurs canadiens — pour les concepteurs de partout dans le monde, en fait —, puisque le processus présidant à l'obtention d'un enregistrement international s'en trouvera simplifié et écourté.
[Français]
La sénatrice Chaput : Par exemple, si je suis propriétaire d'une PME et que je veux faire une demande de brevet parce que j'ai développé un concept de vêtement qui est unique. Selon ce projet de loi, quelles exigences additionnelles me seront imposées pour effectuer une demande de brevet?
Vous dites que cela facilite les choses et que cela ne les complique pas. Ce n'est pas clair dans mon esprit; je crois que cela pose des exigences additionnelles. Selon ce projet de loi, quelle est la différence entre une demande de brevet qui a été effectuée l'an dernier et une demande de brevet qui est effectuée cette année?
[Traduction]
M. Schwartz : Il y aura très peu de changements pour les petites entreprises qui obtiendront une protection conférée par brevet aux termes du Traité sur les droits des brevets, mais on peut voir cela comme une mesure administrative puisque ce traité simplifie et harmonise certains procédés de classification et qu'il permet d'éviter la perte de droits attribuable au fait que vous n'ayez pas une traduction à fournir au moment où on vous la demande ou que vous ne soyez pas en mesure de payer les frais sur-le-champ.
Selon moi, la mise en œuvre du traité est une formalité à laquelle le Canada doit se soumettre, peu importe ce que fait ce traité. C'est un traité à fonction normative. Dans une perspective mondiale, dans celle de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l'OMPI, lorsqu'il est question d'harmoniser les lois sur les brevets entre de nombreux pays — des pays développés, moins développés ou en développement —, ce n'est pas une mince affaire, et les choses évoluent lentement.
Le Traité sur les droits des brevets dont il est question aujourd'hui est une simple série de démarches sur lesquelles de nombreux pays peuvent s'entendre, même s'ils n'adhèrent pas tous encore audit traité. Les questions sérieuses viendront, le cas échéant, aux termes de ce qui sera appelé le traité sur les lois en matière de brevets. C'est dans le cadre de cet important traité que seront débattues des questions de fond comme, je présume, la définition de ce qui est brevetable. Peut-on breveter une plante? Peut-on breveter un animal, un logiciel ou des inventions mises en œuvre par ordinateur? Je n'aime pas beaucoup les clichés, mais on pourrait parler ici de proies faciles. Le Traité sur les droits des brevets ne fait que régler certains problèmes mineurs relativement à l'application de cette procédure.
Pour vous répondre plus précisément, on peut s'attendre à ce que le Traité sur les droits des brevets soit en mesure de régler les erreurs qui pourraient se présenter. Je suis moins au fait de l'aspect consistant en des discussions plus longues et plus approfondies. Je vais vous donner un exemple simple de quelque chose que le traité aurait vraisemblablement permis de régler. Il n'y a pas si longtemps, il y a eu au Canada un dossier intitulé DBC Marine Safety Systems Ltd. Je ne mettrais pas ma main au feu, mais je crois que DBC est une entreprise canadienne. Or, l'entreprise cherchait à obtenir un brevet pour un dispositif mécanique visant à améliorer les canots de sauvetage, et le bureau des brevets l'a contactée pour lui signaler que sa demande n'était pas conforme et qu'elle devait la modifier.
Le bureau lui a aussi demandé de lui communiquer les dessins antérieurs ou toute information qu'elle aurait reçue d'autres bureaux des brevets.
Une réponse a été soumise à temps. Mais, essentiellement, l'agent a oublié la deuxième partie, celle où l'entreprise devait faire état des dessins antérieurs provenant d'autres pays. Ce sont grosso modo les détails dont je me souviens. Or, je crois qu'il n'y a pas eu de suite à cela. Rien n'a été caché au bureau des brevets. Je crois que l'information avait déjà été fournie ou qu'on pouvait la trouver assez facilement. Personne ne s'est aperçu que la deuxième exigence n'avait pas été satisfaite. Le demandeur a donc présumé qu'il avait respecté la date limite et le bureau des brevets n'a pas dit le contraire. Les choses se sont un peu compliquées, mais disons qu'un an plus tard, une fois que le délai de rétablissement était fini, on a remarqué qu'il manquait quelque chose dans la réponse de l'entreprise. Au final, la cour a soutenu qu'il y avait obligation de soumettre une réponse, certes, mais aussi de faire les deux choses suivantes : primo, corriger les dessins ou modifier la portée de l'invention et, secundo, présenter cette information séparément. C'était une erreur sans malice, mais la demande de brevet a quand même été annulée. C'est ce que la cour d'appel a dit. Il faudrait que j'en examine les détails, mais je sais qu'avec le Traité sur les droits des brevets, vous auriez l'occasion de répondre si une situation semblable se produisait. J'ose espérer que le recours serait tel : vous recevriez un avis vous informant que vous avez raté une étape et que vous pourriez être protégé.
Alors, si l'on reprend votre exemple de la petite entreprise, il faut bien sûr souhaiter que cela ne se produise jamais, mais, dans certains cas, le Traité sur les droits des brevets pourrait apporter une précaution additionnelle pour des erreurs fâcheuses comme celle-là. Le traité ne changera pas le droit en profondeur, mais il pourra aider à régler certains problèmes.
J'essaie de trouver un exemple concret. On pourrait penser à cet épisode de la panne de courant généralisée — tout le monde s'en souvient — ou de la tempête de verglas d'il y a des années. De façon générale, pour obtenir un brevet, vous soumettez la demande et vous disposez de 12 mois pour décider ce que vous voulez faire pour le reste du monde.
Au Canada, cette période de 12 mois a toujours été ferme. D'autres pays sont plus cléments, c'est-à-dire qu'ils vous permettront de soumettre votre demande un peu plus tard si vous avez une bonne explication. Le Traité sur les droits des brevets permettrait de corriger la situation qui prévaut pour le Canada. Si vous n'avez pas été en mesure d'agir avant la fin de la période de 12 mois parce que votre bureau a fermé ou que vous n'avez pas pu vous y rendre à cause d'une tempête de verglas, on vous accorderait un sursis de deux mois. Vous auriez 14 mois au lieu de 12. Le traité permet donc un certain nombre de choses, comme des correctifs modestes et utiles pour les erreurs que l'on souhaite tous éviter, mais qui, malheureusement, se produisent quand même dans le monde réel.
Le président : Mesdames et messieurs, ici s'achève la liste de tous les sénateurs qui souhaitaient intervenir. Je remercie M. Smith de m'avoir remplacé pendant un court instant, cet après-midi. Par pure coïncidence, j'ai parlé du projet de loi C-8, qui fait également l'objet d'un examen par le Sénat et qui porte sur des modifications apportées à la Loi sur le droit d'auteur et à la Loi sur les marques de commerce. Nous avons aussi abordé la question des brevets et des dessins industriels, qui sont les deux autres piliers du secteur de la propriété intellectuelle.
Nous devons une fière chandelle à l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada, et à Michel Gérin, qui est aussi présent au côté de M. Schwarz, le président et de M. Perry, le président du Comité sur les dessins industriels. Merci beaucoup d'avoir été là et de nous nous avoir prêté main-forte dans nos travaux. Votre appui soutenu est grandement apprécié.
Le fait que le Sénat soit saisi de deux textes de loi ayant trait à la propriété intellectuelle montre l'importance de ce secteur dans notre société.
La séance est levée.
(La séance est levée.)