LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 1er mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour étudier la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les obligations internationales du Canada.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs, nous avons la permission de siéger, mais il y a un vote. Nous saurons l’heure exacte du vote dans un instant. Nous allons organiser un autobus pour ceux et celles qui en ont besoin. Les autres peuvent courir s’ils veulent aller voter.
Nous sommes le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, et nous nous réunissons aujourd’hui pour poursuivre notre examen de la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les obligations internationales du Canada.
Je suis ravie que la ministre soit enfin des nôtres, malgré son emploi du temps très chargé. C’est important que le comité reçoive son témoignage.
La ministre est accompagnée par des agents d’Affaires mondiales Canada: M. Alan Kessel, sous-ministre adjoint des Affaires juridiques et jurisconsulte; M. Mark Gwozdecky, sous-ministre adjoint de la Sécurité internationale et des affaires politiques; ainsi que M. Martin Benjamin, sous-ministre adjoint par intérim pour les Amériques.
Je demanderais aux sénateurs de se présenter.
[Français]
Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.
La présidente : Et je suis Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.
Je suis ravie de souhaiter la bienvenue à l’honorable Chrystia Freeland, C.P., députée et ministre des Affaires étrangères, qui est ici pour nous parler de la partie du projet de loi dont nous sommes saisis.
Sans plus tarder, je vous remercie d’être ici, madame la ministre. En travaillant efficacement, je suis certaine que nous arriverons à consigner au compte rendu tous les renseignements dont nous avons besoin. Bienvenue, madame la ministre.
L’hon. Chrystia Freeland, C.P., députée, ministre des Affaires étrangères : Madame la sénatrice, mesdames et messieurs, merci beaucoup de me donner l’occasion de m’adresser à vous. Je suis désolée que nous commencions un peu en retard. Je suis venue à pied, et comme la sénatrice Andreychuk l’a vu, j’ai porté mes espadrilles. Or, je les ai égarées avant de partir, et les talons de mes chaussures sont trop hauts pour que je les porte pour marcher. Je vous demande pardon.
Ce dossier est important, et je suis heureuse de pouvoir vous en parler.
Tout d’abord, j’aimerais reconnaître que l’endroit où nous sommes réunis fait partie du territoire traditionnel du peuple algonquin.
Avant de parler du projet de loi C-45, la loi sur le cannabis, j’aimerais prendre un instant pour souligner officiellement le travail exceptionnel de votre comité et des sénateurs qui en font partie. J’ai une raison précise de ce faire: sans le leadership empreint de principes dont vous avez fait preuve l’année dernière, la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus ne serait pas en vigueur aujourd’hui. Grâce à cette loi, les outils de politique étrangère du Canada sont maintenant plus efficaces et mieux adaptés au contexte international actuel. De plus, elle constitue un complément précieux à nos mesures existantes de lutte contre la corruption et de défense des droits de la personne.
Comme vous le savez sans doute, le 3 novembre, le Canada a imposé ses premières sanctions en vertu de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus. Ces sanctions ciblent 52 personnes responsables de violations flagrantes des droits de la personne et de corruption.
Je tiens absolument à remercier chacun de vous, et particulièrement vous, madame la présidente, d’avoir fait avancer et adopter ce projet de loi. Après l’attaque perpétrée à Salisbury, j’étais encore une fois très heureuse que ce travail ait été accompli. Ce ne serait certainement pas arrivé sans vous, madame la présidente, et sans le comité.
[Français]
Merci beaucoup.
Tout d'abord, je tiens à faire deux précisions importantes à propos du projet de loi C-45. Premièrement, le gouvernement du Canada est déterminé à travailler avec ses partenaires internationaux afin de prévenir le trafic international de la drogue tout en atténuant les conséquences qui découlent de la consommation problématique de substances. Deuxièmement, le projet de loi que nous proposons vise à éviter que les jeunes aient facilement accès au cannabis et à empêcher le crime organisé de continuer à tirer profit de son marché illégal.
Nous avons choisi une approche réglementaire pour mieux protéger la santé et la sécurité des Canadiens et Canadiennes parce que la méthode actuelle, qui remonte à près d’un siècle d’interdictions criminelles strictes, appuyées par d’importantes ressources policières, ne fonctionne tout simplement pas.
Le Canada affiche l’un des taux de consommation de cannabis chez les jeunes les plus élevés au monde. Les criminels et le crime organisé continuent de tirer profit de sa vente.
Nous proposons la mise en œuvre d’une réglementation qui protégera mieux la santé et la sécurité des Canadiens et Canadiennes, ce qui est une priorité absolue pour le gouvernement. Dans le cadre de son projet de loi sur le cannabis, le gouvernement limite l’accès des jeunes au cannabis. Il établit bon nombre des restrictions qui existent aujourd’hui en matière de publicité des produits du tabac. Finalement, il interdit aussi la promotion, la vente, l’emballage et l’étiquetage des produits du cannabis qui sont considérés comme attrayants pour les jeunes.
[Traduction]
Madame la présidente, nous avons choisi cette approche réglementaire parce que la méthode actuelle de près d’un siècle de prohibition stricte soutenue par d’importantes ressources policières ne fonctionne tout simplement pas. Les taux de consommation de cannabis chez les jeunes du Canada comptent parmi les plus élevés au monde, et les criminels et le crime organisé continuent de tirer profit de la vente du cannabis.
Ce que nous proposons, c’est la mise en œuvre d’une réglementation qui protégera mieux la santé et la sécurité des Canadiens, ce qui est une priorité absolue pour notre gouvernement et pour moi personnellement, en ma qualité de mère de trois enfants, dont deux adolescents.
En vertu de la loi sur le cannabis proposée, le gouvernement limiterait l’accès des jeunes au cannabis. De plus, il établirait bon nombre des mêmes restrictions en matière de publicité qui existent aujourd’hui pour les produits du tabac; entre autres, il interdirait la promotion, la vente, l’emballage et l’étiquetage des produits du cannabis qui sont considérés comme étant attrayants pour les jeunes.
Le projet de loi C-45 créerait également de nouvelles infractions visant les adultes qui vendent du cannabis à des jeunes ou qui se servent de jeunes pour commettre des infractions liées au cannabis.
Madame la présidente, notre gouvernement reconnaît que l’approche proposée pour légaliser le cannabis, en restreindre l’accès et le réglementer strictement aura pour résultat que le Canada contreviendra à certaines obligations liées au cannabis prévues par les trois conventions de l’ONU sur le contrôle des drogues: la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention sur les substances psychotropes de 1971, ainsi que la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988.
Malgré tout, le gouvernement est d’avis que son approche concorde avec l’objectif global de ces conventions: protéger la santé et le bien-être de la société. Comme je l’ai déjà dit, cela fait partie des priorités absolues du gouvernement du Canada pour ses citoyens.
Compte tenu de ces dérogations, certains ont demandé pourquoi le Canada ne se retire tout simplement pas totalement de ces conventions. Voici ce que je leur réponds: les conventions réglementent la circulation de plus de 100 drogues et autres substances, y compris nombre de celles qui sont au cœur de la crise des opioïdes sévissant à l’heure actuelle au Canada et dans toute l’Amérique du Nord. Les conventions assurent aussi l’accès contrôlé à une vaste gamme de médicaments essentiels à notre santé. Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, le fait est que les conventions portent sur beaucoup plus que le cannabis. S’en retirer constituerait une réaction excessive qui nuirait aux intérêts du Canada et de la communauté internationale.
La légalisation du cannabis ne modifie pas notre volonté d’atteindre l’objectif global du régime international de contrôle des stupéfiants. Elle ne change rien non plus à notre intention de continuer de participer à cet important régime et de le soutenir activement.
Pendant que nous recueillons et que nous transmettons des données sur les répercussions de ce changement de politique sur la santé et la sécurité publiques, vous ne verrez ni n’entendrez notre gouvernement recommander à d’autres la solution de la légalisation.
Le problème mondial de la drogue se présente différemment partout dans le monde. Il n’existe pas de solution universelle. De plus en plus, la communauté internationale reconnaît que les pays doivent concevoir des politiques nationales en matière de drogues adaptées précisément à leur situation et à leurs besoins. Pour nous, la légalisation et la réglementation du cannabis constituent une réponse stratégique canadienne aux problèmes de santé et de sécurité canadiens.
En outre, nous sommes parfaitement conscients du besoin de collaborer avec les États-Unis pour veiller à ce que la frontière demeure efficace et sûre, et à ce que la légalisation du cannabis au Canada n’ait aucune répercussion négative. Comme dans nombre d’autres secteurs, notre relation de travail avec nos partenaires américains dans le domaine de la gestion de la frontière est extrêmement active et hautement intégrée. Rien n’indique que la légalisation du cannabis poussera les États-Unis à modifier leur traitement des gens d’affaires et des voyageurs canadiens qui franchissent la frontière canado-américaine.
Or, c’est important de reconnaître — et je tiens à profiter de cette occasion pour insister sur ce point — que chaque voyageur a le devoir de savoir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Je souligne que la légalisation du cannabis au Canada ne changera rien au fait que les lois canadiennes et américaines interdisent de passer la frontière avec du cannabis, dans les deux directions. D’après moi, c’est à nous, les députés et les sénateurs, qu’il revient de faire en sorte que tous les Canadiens reçoivent ce message très important. Chaque pays a le droit souverain d’établir les conditions à respecter pour être autorisé à franchir sa frontière. Comme toujours, toute personne voyageant du Canada aux États-Unis devrait être au fait de l’ensemble des règles, qu’elles concernent le cannabis ou toute autre chose qui pourrait amener l’agence américaine des douanes et de la protection des frontières à interdire à un voyageur d’entrer dans ce pays.
Pour terminer, je tiens à préciser que le projet de loi visant à légaliser le cannabis, à le réglementer strictement et à en restreindre l’accès a été élaboré en étroite collaboration avec les forces de l’ordre, ainsi qu’avec des spécialistes de la santé et de la sécurité. C’est le fruit des efforts considérables déployés par le Groupe de travail pour la légalisation et la réglementation du cannabis, y compris sa présidente, ancienne vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique, Mme Anne McLellan, une amie à moi et à ma défunte mère, ainsi qu’une collègue albertaine.
Le gouvernement croit que si le projet de loi C-45 est adopté, il obtiendra exactement les résultats escomptés: il gardera le cannabis hors de la portée des enfants, il forcera les trafiquants de drogue et le crime organisé à cesser leurs activités liées au cannabis et, finalement, il protégera la santé et la sécurité des Canadiens. Nous comprenons qu’un dossier d’une telle complexité requiert de grandes discussions; c’est pourquoi je suis heureuse d’être ici aujourd’hui.
Je répondrai à vos questions avec plaisir, si le vote au Sénat le permet. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Nous avons moins de 30 minutes, et ma liste est très longue. Je vous prierais donc de poser des questions brèves et de répondre en termes concis; ainsi, peut-être aurons-nous assez de temps pour chacun. Je vais peut-être devoir regrouper des interventions à un certain point.
Mme Freeland : Madame Andreychuk, à quelle heure devez-vous aller voter?
La présidente : Vers 17 heures.
La sénatrice Ataullahjan : Merci de votre présence.
Vous êtes une ardente défenseure du droit international et vous soutenez énergiquement l’ordre international fondé sur des règles, ses institutions et ses forums multilatéraux. Toutefois, concernant les obligations du Canada issues de traités internationaux, l’Organe international de contrôle des stupéfiants et le sous-ministre adjoint de la Sécurité internationale et des affaires publiques ont reconnu publiquement tous les deux qu’en adoptant le projet de loi C-45, le Canada violera ses obligations aux termes du traité de contrôle des stupéfiants.
Madame la ministre, compte tenu de votre solide appui de l’ordre international fondé sur des règles, y compris le discours que vous avez prononcé dans la Chambre des communes en juin dernier à propos de la politique étrangère du Canada, comment conciliez-vous vos opinions fermes quant à l’importance de l’ordre international fondé sur des règles et la décision de violer ouvertement les obligations du Canada issues de traités internationaux?
J’ai une deuxième question. Plusieurs témoins du domaine juridique ont dit au comité que violer des traités internationaux n’est pas une mince affaire. Durant son témoignage, le professeur Steven Hoffmann a déclaré que le Canada ne peut pas choisir de respecter certains traités internationaux et d’en enfreindre d’autres sans encourager d’autres pays à faire de même. Ma question est la suivante: comment justifiez-vous les effets néfastes que le projet de loi aura sur la crédibilité du Canada en matière de droit international? Merci.
Mme Freeland : Merci beaucoup, madame Ataullahjan. C’est une question très importante, à laquelle mes collaborateurs et moi avons longuement réfléchi. Permettez-moi de présenter différentes observations; j’en ai abordé quelques-unes durant ma déclaration préliminaire.
Par rapport aux conventions, je le répète, nous reconnaissons que nous les enfreindrons. À mon avis, nous devons en parler ouvertement. Cependant, nous sommes convaincus que nous continuons de prendre des mesures qui cadrent avec les objectifs des conventions. Autrement dit, le Canada continue de s’employer à préserver la santé et la sécurité des Canadiens, et nous tenons toujours à travailler en étroite collaboration avec nos partenaires internationaux.
Le Canada devrait-il choisir de se retirer des conventions? Encore une fois, j’ai abordé le sujet durant ma déclaration préliminaire parce que je crois que c’est une question importante à laquelle nous devons réfléchir sérieusement. Nous estimons — et j’espère que vous serez d’accord avec nous — que non seulement le Canada continue de prendre des mesures qui vont dans le même sens que les conventions, des mesures qui correspondent à ce que nous croyons tous que notre pays doit faire, mais aussi que les conventions ont une portée très large. Le cannabis n’est qu’un des très nombreux sujets dont elles traitent. Ce serait une erreur de nous retirer de la grande variété de travail qui est effectué. J’ai mentionné précisément la crise des opioïdes et je tiens à insister là-dessus. C’est un sujet dont nous devons tous nous préoccuper urgemment. Selon moi, le Canada aurait tort de se retirer de conventions qui contribuent à ses efforts visant à juguler cette crise.
Je tiens à souligner un autre point que je trouve pertinent. En fait, je vais ajouter deux choses. D’abord, j’ai fait exprès de décrire notre politique comme étant une réponse canadienne au contexte canadien. C’est l’approche que nous avons adoptée. Ce sont les Canadiens et le Canada qui sont en jeu, et je pense que c’est bien compris. Nous sommes convaincus que dans ce domaine, il n’y a pas de solution universelle.
Enfin, je pense qu’il vaut la peine de souligner qu’en mars 2017, c’est-à-dire après le dépôt de notre projet de loi, le Canada a été réélu à la Commission des stupéfiants dans une élection contestée, et le Canada était au deuxième rang quant au nombre de votes. Les élections ont eu lieu une semaine après que le projet de loi sur le cannabis ait été présenté au Canada.
À mon sens, il s’agit d’un moment important parce qu’il montre que nous travaillons fort pour discuter avec nos partenaires internationaux. Comme vous l’avez dit, sénatrice, l’ordre international fondé sur des règles est quelque chose qui me tient à cœur personnellement, en ma qualité de ministre des Affaires étrangères, et qui est très important pour le Canada. Nous déployons donc de grands efforts pour faire en sorte que nos partenaires comprennent ce que nous faisons. Je me suis certainement réjouie de cette reconnaissance de la place du Canada non seulement dans l’ordre international fondé sur des règles en général, mais aussi précisément dans la Commission des stupéfiants.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Madame la ministre, les experts que nous avons reçus reconnaissent que le projet de loi contrevient à certaines conventions des Nations Unies. Ils ont fait ressortir que la perception à l'échelle internationale quant à la pertinence de ces conventions évolue parce que la lutte contre la toxicomanie dans plusieurs pays représente un échec et qu’il n’y a pas d’ouverture. Vous faites référence à l’importance de faire comprendre nos législations. Avez-vous un plan pour expliquer à l’étranger que ce projet de loi s’inscrit également dans une stratégie de politique de santé publique, de sécurité publique aussi, et pour faire en sorte que le Canada puisse davantage être vu comme un précurseur dans le contexte contemporain plutôt qu'un délinquant face à ces conventions?
Mme Freeland : Merci, sénatrice Saint-Germain. C’est aussi une très bonne question. Comme je l’ai dit, nous avons déjà entamé le travail avec nos partenaires internationaux. C’est très important pour nous de leur expliquer ce que nous faisons, d’expliquer que c’est une réponse canadienne aux enjeux nationaux. Mes fonctionnaires, qui font un travail remarquable, ont mené des consultations à Vienne avec nos partenaires du G7, dont l’Autriche, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, les Pays-Bas, la Suède, l’Irlande, la Finlande, Israël et le Portugal. Ils ont parlé de notre démarche et ont parlé des enjeux, des questions en ce qui concerne notre approche avec les conventions internationales. Je peux vous assurer que nos partenaires internationaux sont d’accord avec nous, avec l’approche du Canada de rester dans le cadre des conventions. C’est l’approche non seulement du Canada, mais aussi de nos partenaires internationaux.
La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie.
Le sénateur Dawson : Madame la ministre, je pourrais faire une liste des gens qui ont comparu devant le comité et qui avaient des propos plus positifs à votre égard concernant la question de la sénatrice Ataullahjan. Vous avez parlé avec la sénatrice Saint-Germain des enjeux internationaux, mais nous sommes la souris à côté de l’éléphant. Je sais que vous passez beaucoup temps avec l’éléphant, par les temps qui courent. Les Américains en particulier, puisqu’ils sont nos partenaires les plus importants, ce sont les gens avec qui on partage la frontière la plus longue, la frontière que les Canadiens traversent. On a eu des témoignages indiquant que la nouvelle loi ne contrevenait en rien à ce changement, ce n’est rien de radical. Est-ce que les Américains soulèvent ces questions lors de vos nombreuses rencontres? Y a-t-il eu un dialogue avec les autorités américaines en particulier concernant l’application de cette entente? Je comprends qu’on a des partenaires internationaux, mais j’ai tendance à penser que tout le monde est égal, que celui-là est un peu plus égal que les autres. Avez-vous entretenu des pourparlers particuliers avec les Américains?
Mme Freeland : En ce qui concerne cet enjeu et nos liens avec les Américains, c’est surtout mes collègues M. Garneau, ministre des Transports, et M. Goodale, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui ont la responsabilité de soulever cet enjeu avec leurs homologues américains. C’est un enjeu de transport et de frontières. Je peux vous assurer que le ministre Garneau, le ministre Goodale et Mme Petitpas Taylor, la ministre de la Santé, ont tous les trois soulevé l’enjeu à plusieurs niveaux avec les Américains.
Je suis d’accord avec vous. Il est très important d’expliquer ce que nous faisons. Comme je l’ai mentionné dans mes remarques préliminaires, je crois que la frontière, qui relève de la responsabilité du ministre Goodale, un homme très compétent, est un enjeu particulièrement important. Le gouvernement du Canada a le devoir d'informer les Canadiens. Je veux le préciser parce que les Canadiens doivent savoir que les changements sont apportés au Canada, mais que la situation à la frontière n’a pas changé. Je veux que les médias ici présents sachent qu’il est très important de bien informer tous les Canadiens.
Le sénateur Dawson : Je vous remercie, madame la ministre.
[Traduction]
Le sénateur Housakos : Merci d’être des nôtres, madame la ministre.
J’ai un commentaire à faire sur une de vos déclarations. Vous soulignez que les Canadiens comptent parmi les plus grands consommateurs de marijuana. J’ai posé des questions à ce sujet à des représentants du gouvernement au Sénat, y compris des agents du ministère des Affaires étrangères qui ont témoigné devant le comité, car je trouve étrange que tous les ministres fassent cette déclaration, alors que je suis incapable de trouver une seule étude commandée par un organisme gouvernemental dans les 10 dernières années en vue d’analyser l’ampleur de la consommation de marijuana chez les Canadiens. On se réfère à des études qui ont été effectuées par des organismes non gouvernementaux, dont certains sont internationaux, et dans de nombreux cas, on tient compte de personnes ayant consommé une seule fois, ce qui gonfle inévitablement le nombre de consommateurs de marijuana. Mais c’est une autre histoire.
Ma prochaine question porte sur le fait que vous minimisez l’effet que cela aura sur notre principal partenaire commercial et allié, les États-Unis. Un certain nombre de nos collègues ont eu des rencontres avec des représentants du département de la Sécurité intérieure des États-Unis, du département de la Justice et du département des Douanes, et ils sont très inquiets. À leur retour il y a de cela quelques semaines, ils avaient l’impression qu’il n’y avait pas suffisamment de dialogue pour tenter de régler les problèmes, notamment que les deux politiques sont diamétralement opposées et que les agents des douanes demanderont aux Canadiens, « Avez-vous utilisé des narcotiques récemment? ». Pour les Américains, la marijuana est un narcotique psychotrope. C’est une drogue illégale. Elle contrevient à leur code criminel national. Le gouvernement et les citoyens canadiens savent-ils que les Canadiens qui utilisent des narcotiques, y compris la marijuana, conformément à la définition des douanes américaines, seront interdits de territoire aux États-Unis s’ils répondent à la question par l’affirmative, et quelles mesures allons-nous prendre pour régler ce problème potentiel?
Mme Freeland : Merci, sénateur Housakos. Je pense que vous soulevez des points importants.
Pour ce qui est de protéger les jeunes, permettez-moi de dire qu’un jeune sur cinq âgés de 15 à 19 ans et un jeune adulte sur trois âgés de 20 à 24 ans au Canada rapportent avoir consommé du cannabis au cours de la dernière année. Un tiers des jeunes âgés de 15 à 19 ans et plus de la moitié de tous les jeunes adultes âgés de 20 à 24 ans ont rapporté avoir consommé du cannabis à un moment donné au cours de leur vie.
Pour répondre à votre point qui, je pense, fait également partie de votre question visant à savoir si le gouvernement est persuadé que cette mesure législative améliorera la sécurité des jeunes, permettez-moi simplement de dire que je suis tout à fait convaincu que ce sera le cas. Mes enfants, âgés de 8, 13 et 17 ans, ne me remercieront peut-être pas de dire ceci, mais je ne pense pas qu’ils devraient consommer du cannabis. C’est très important pour moi, en tant que membre de ce gouvernement, d’adopter des mesures qui rendent la vie des jeunes, les collectivités et les écoles plus sécuritaires. C’est un objectif que je prends au sérieux et auquel j’ai beaucoup réfléchi. Nous avons peut-être des opinions divergentes à ce sujet, mais je tiens à dire que c’est une question importante qu’il faut poser. J’en suis convaincu.
En ce qui concerne les États-Unis, et vous avez mentionné plus particulièrement les questions frontalières, permettez-moi de faire quelques observations. Avec l’adoption de cette mesure législative, la situation du Canada sera évidemment différente de celle des États-Unis au niveau fédéral. Il convient peut-être de souligner, comme les membres du comité le savent sans doute, que neuf États qui représentent plus de 20 p. 100 de la population américaine ont légalisé le cannabis à des fins récréatives, ce qui inclut quatre des 11 États limitrophes. Je tiens à apporter la précision suivante: c’est au niveau des États, et non pas au niveau fédéral, mais c’est aussi une réalité américaine, y compris parmi les États limitrophes.
Cela dit, je pense que nous tous en tant que Canadiens devons être clairs. Il y a des secteurs où le Canada choisit une voie et où les États-Unis en choisissent une autre. Lorsque ce projet de loi sera adopté, ce sera une situation où nous choisissons une voie différente. Il est important que les Canadiens comprennent que bien que nous ayons le droit souverain absolument essentiel de choisir la voie que nous voulons suivre et nos propres lois — je sais que peu importe ce que nous voulons que ces lois soient, nous croyons tous fermement dans notre droit souverain en tant que pays de choisir ces lois —, il est important également de reconnaître que chaque pays a le droit d’administrer sa politique frontalière comme il l’entend. La circulation de cannabis de part et d’autre de la frontière canado-américaine est illégale et continuera d’être illégale. Je pense que l’une de nos fonctions importantes conjointes consiste à nous assurer que les Canadiens en sont pleinement conscients.
La présidente : Je vais commencer à regrouper les questions. Il nous reste environ 10 minutes et cinq sénateurs souhaitent poser une question.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie, madame la ministre, de votre présence cet après-midi. J’aimerais faire un suivi sur les questions qui ont déjà été posées, notamment en ce qui concerne le respect de nos obligations internationales. J’aimerais connaître le plan du gouvernement pour minimiser l’impact de cette loi sur les Canadiens. Vous avez énuméré une liste de tous les pays qui ont été rencontrés à Vienne. Cependant aucun de ces pays — de mémoire — ne fait partie du G7. De toute évidence, on a nommé les plus petits pays. Est-ce qu’on a contacté les pays les plus importants avec lesquels nous entretenons des relations? Quelles sont leurs réactions? Où croyez-vous que nous serons d’ici cinq ou dix ans? Quelles seront nos relations internationales dans les années à venir? Y aura-t-il des conséquences graves? Êtes-vous convaincue que le plan des relations publiques fonctionnera? Allons-nous amender la liste des médicaments? Allons-nous souffrir de conséquences importantes en tant que pays en raison de nos relations internationales?
[Traduction]
Le sénateur Oh : Madame la ministre, merci d’être ici.
Quelles sont les répercussions lorsque nous sommes confrontés à des situations où des États sont jugés non conformes aux conventions des Nations Unies sur le contrôle de la drogue? Quelles mesures peuvent être prises contre les États qui ne se conforment pas aux traités en vertu du droit international?
Mme Freeland : Merci, sénateurs, de ces questions.
[Français]
Je crois que c’est assez facile de répondre parce que je me suis mal expliquée. Nous avons aussi mené des consultations avec les pays du G7. Je n'ai pas voulu dire que les autres pays sont moins importants. Tous nos partenaires internationaux sont importants.
[Traduction]
Pour répondre à votre question, sénateur Oh, nous allons enfreindre les conventions. Nous continuerons de respecter les objectifs de ces conventions, et nos partenaires apprécient notre participation. Nous continuerons d’être un partenaire solide, actif et respecté — pensez à nos élections en mars 2017.
Le sénateur Ngo : Durant les témoignages que nous avons entendus le 29 mars 2018, Bruno Gélinas-Faucher a dit qu’il a obtenu par l’entremise d’une demande d’accès à l’information une note de service adressée au ministère des Affaires étrangères et au ministre à l’époque. Il a dit ceci: « La légalisation aurait un effet considérable sur les obligations contraignantes du Canada en vertu des Conventions internationales relatives au contrôle des drogues ». Ces mots étaient « un effet considérable ». Entre-temps, votre représentant qui a comparu devant le comité a dit qu’il s’agissait de violations techniques. Pouvez-vous clarifier si on vous a informé de la teneur de cette note de service et, le cas échéant, à quel moment, ou si on en a fait fi?
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup, madame la ministre. Je ne sais pas où vous puisez votre énergie, mais vous semblez avoir beaucoup d’énergie. Merci du travail que vous faites.
Vous avez mentionné plus tôt que nous enfreignons certaines conventions, et un groupe de témoins nous ont fait savoir que nous irons à l’encontre de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies en permettant que des enfants aient de la marijuana en leur possession. J’ai également entendu des témoignages et lu des articles qui rapportent que ce projet de loi protégera mieux les enfants en mettant une réglementation en place, et vous avez dit plus tôt que vous croyez qu’il renforcera la sécurité des enfants. Nous avons entendu deux choses. Je me demande si vous pourriez nous dire ce que nous devrions prendre en considération dans le cadre de l’étude du projet de loi.
Mme Freeland : Merci de ces questions.
Sénateur Ngo, je tiens à clarifier que je pense qu’il est important pour nous d’expliquer très clairement que notre approche proposée fera en sorte que le Canada contreviendra à certaines obligations liées au cannabis en vertu de trois conventions des Nations Unies sur les drogues. Je tenais à préciser ce point dès le début de mes remarques. Comme je l’ai également dit, nous croyons que notre approche est conforme à l’objectif fondamental des conventions, qui est de protéger la santé et le mieux-être de la société. Ce sont là les deux points de vue que le gouvernement et moi partageons. Je crois que c’est compatible aux conseils qui ont été fournis. Je pense que vous avez eu l’occasion d’examiner cette question — Mark va me corriger si j’ai tort —, mais je pense que Mark Gwozdecky vous en parlé. Je pense que la question des conventions est importante, et nous devons être très clairs à ce sujet.
En ce qui concerne les enfants, je pense qu’un objectif du projet de loi est d’énoncer clairement ce qui est légal ou non en ce qui concerne le cannabis. Les mesures pour détourner le cannabis des groupes criminels, du milieu criminel, et les mesures pour énoncer clairement qu’il est illégal de faire la promotion du cannabis auprès des enfants, qu’il est illégal pour eux d’en consommer et qu’il est illégal de vendre du cannabis à des enfants font partie intégrante de notre approche. Je pense que notre priorité doit être de protéger nos enfants, dans tout ce que nous faisons, mais surtout dans notre approche à l’égard du cannabis.
La sénatrice Bovey : Je m’intéresse beaucoup à la proposition inter se qui a été présentée par le Comité selon laquelle les nations animées du même esprit peuvent négocier pour se soustraire à certaines dispositions du traité par contrat. Je me demande si vous avez une opinion sur cette proposition concernant les conventions internationales sur les drogues du Canada et si d’autres signataires sont intéressés à suivre cette voie.
Mme Freeland : Nous connaissons le concept inter se, et mes fonctionnaires ont discuté de cette option. Nous sommes certainement disposés à travailler avec nos partenaires des traités pour trouver des solutions qui conviennent à différentes approches à l’égard du cannabis dans le cadre international. C’est un concept que nous connaissons et qui vaut la peine d’examiner.
Je tiens à préciser cependant qu’à cette étape-ci du processus, nous nous concentrons sur les bons choix à faire pour assurer la santé et le mieux-être des Canadiens. J’ai souligné dans mes remarques, car je pense qu’il est important de le signaler, que cette décision concerne le Canada. C’est une approche pour le Canada. Nous ne pensons pas que cette approche peut s’appliquer au reste du monde, et nous faisons très clairement savoir à nos partenaires que c’est notre initiative, nos choix et nos décisions nationales.
Notre deuxième priorité, et je constate que c’est une source de préoccupation pour les membres du comité, consiste à faire ces choix au pays, tout en demeurant, comme la sénatrice Ataullahjan l’a signalé, des membres de l’ordre international fondé sur des règles, y compris les conventions sur les drogues.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Quelles sont vos attentes au cours des cinq ou 10 prochaines années? Y aura-t-il des conséquences graves? Y a-t-il des pays qui nous rejettent? D'ici 10 ans, croyez-vous que nous aurons réglé le problème et que nous serons en accord? Quelles sont vos attentes?
Mme Freeland : C'est impossible de répondre à ces questions en 30 secondes. Je crois que prédire l’avenir est toujours difficile, surtout pour les ministres.
Le sénateur Massicotte : Mais on le fait tous les jours.
[Traduction]
La présidente : Madame la ministre, nous devons couper court à la réunion. Nous vous remercions de nous avoir accommodés. Nous avons très peu de temps, alors si nous vous posons une question, nous aimerions obtenir une réponse. En ce qui me concerne, j’aimerais savoir, pour que les Canadiens soient convaincus que le gouvernement est ouvert et transparent, quel est le plan des pays signataires des conventions. Vous y avez fait allusion dans vos remarques, mais je pense qu’il serait utile de savoir exactement l’approche que vous comptez adopter. Vous avez dit qu’il y a une violation des conventions. Qu’allons-nous faire maintenant? Une réponse écrite serait utile, mais nous n’avons plus de temps malheureusement. Merci de nous avoir accommodés.
Et sénateurs, merci. Vous avez tous respecté le programme. Le fait que nous allons être à temps tient du miracle.
Mme Freeland : Vous avez présidé la séance avec brio. Merci, sénatrice Andreychuk.
(La séance est levée.)