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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 13 - Témoignages du 22 novembre 2016


OTTAWA, le mardi 22 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription) se réunit aujourd'hui, à 9 h 6, pour étudier ce projet de loi.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous. Quelques sénateurs assistent encore à une autre réunion, mais ils nous rejoindront bientôt. Comme nous aurons beaucoup de questions ce matin, nous allons commencer.

Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones dans cette salle ou sur Internet. Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel des peuples algonquins.

Je m'appelle Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan et j'ai le privilège et l'honneur de présider le comité. J'invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter, en commençant à ma droite.

Le sénateur Tannas : Sénateur Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Raine : Sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.

Le sénateur Moore : Bonjour. Sénateur Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Lankin : Sénatrice Lankin, de l'Ontario. Je remplace le sénateur Meredith. Je suis également la marraine du projet de loi.

La présidente : D'autres sénateurs se joindront à nous sous peu.

Aujourd'hui, nous entreprenons notre étude du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription). Parmi notre premier groupe de témoins ce matin, nous sommes heureux d'accueillir les représentants du gouvernement. Du ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, nous accueillons Joëlle Montminy, sous-ministre adjointe, Secteur de résolution et des affaires individuelles; Candice St-Aubin, directrice exécutive, Secteur de résolution et des affaires individuelles, Nathalie Nepton, directrice exécutive, Registraire des Indiens et gestion intégrée des programmes; et Effie Panousos, analyste principale en matière de politiques, Traités et gouvernement autochtone. Du ministère de la Justice Canada, nous accueillons Martin Reiher, avocat général.

Le sénateur Watt vient de se joindre à nous.

J'invite les témoins à présenter leurs exposés. Étant donné que les sénateurs auront beaucoup de questions à vous poser, je vous demanderais d'être le plus bref possible. Merci. Vous avez la parole.

[Français]

Joëlle Montminy, sous-ministre adjointe, Secteur de résolution et des affaires individuelles, Affaires autochtones et du Nord Canada : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m'avoir permis d'être ici aujourd'hui pour vous fournir des renseignements sur la réponse du gouvernement à la décision Descheneaux. Cette réponse implique des modifications législatives dans le cadre du projet de loi S-3, loi modifiant la Loi sur les Indiens, qui vise à éliminer les iniquités résiduelles fondées sur le sexe en matière d'inscription des Indiens, ce qui sera suivi d'un processus collaboratif sur des questions connexes plus générales avec les groupes autochtones.

[Traduction]

Je dirai quelques mots sur la décision Descheneaux. En août 2015, la Cour supérieure du Québec a statué que des dispositions clés de la Loi sur les Indiens contrevenaient à la disposition sur l'égalité de la Charte puisqu'elles perpétuent des iniquités fondées sur le sexe entourant le statut d'Indien. L'affaire Descheneaux porte sur le traitement différentiel entre les lignées maternelles et paternelles en matière d'acquisition et de transmission du statut d'Indien et affecte les cousins germains de la même famille et les frères et sœurs.

Ainsi, la Cour a déclaré invalides ces dispositions, mais a suspendu l'entrée en vigueur de sa décision pour une période de 18 mois de façon à laisser suffisamment de temps pour la mise en œuvre des modifications législatives nécessaires. Le Canada a initialement interjeté un appel qui a été retiré en février 2016 par le nouveau gouvernement.

Ces modifications législatives doivent être adoptées d'ici le 3 février 2017 pour se conformer à la décision. À défaut de présenter une réponse législative en respectant ce délai, le Canada sera dans l'impossibilité d'inscrire la majorité des personnes qui soumettront une demande d'inscription à titre d'indien au Québec et probablement dans d'autres juridictions, car des dispositions clés de la Loi sur les Indiens seront invalidées.

En juillet dernier, le gouvernement a lancé une approche en deux étapes en réponse à la décision rendue dans l'affaire Descheneaux. Dans le cadre de la première étape, le gouvernement a introduit le projet de loi S-3 qui vise à éliminer les iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription des Indiens et a commencé à tenir des séances d'information avec des groupes autochtones sur les modifications législatives proposées. La seconde étape sera un processus collaboratif conçu conjointement avec les groupes autochtones afin d'examiner les questions systémiques plus générales liées à l'inscription, à l'appartenance à une bande et à la citoyenneté. L'objectif de ce processus est d'identifier les domaines qui pourraient faire l'objet d'une future réforme.

Avant d'examiner les modifications proposées de façon plus détaillée, j'aimerais vous faire part de certains renseignements relatifs à l'inscription des Indiens afin de vous permettre de mieux comprendre le contexte du projet de loi S-3. Aux termes de l'article 6 de la Loi sur les Indiens, le gouvernement fédéral exerce un pouvoir exclusif pour déterminer qui est un Indien. L'admissibilité au statut d'Indien est établie en fonction de la descendance d'une personne avec un individu inscrit en tant qu'Indien ou qui pourrait l'être.

Avant le contact avec les colons européens, nous savons que les Premières Nations disposaient de différentes manières pour identifier leurs citoyens, notamment des systèmes de clans, de parenté et d'hérédité. Depuis 1869, les règles de descendance patrilinéaires et les critères fondés sur le sexe pour le statut d'Indien ainsi que l'appartenance à une bande ont été inscrits dans les lois fédérales, et ont été maintenus en vertu des changements successifs à la Loi sur les Indiens. Selon ces règles, les femmes indiennes qui mariaient des hommes non indiens perdaient leur statut, tout comme leurs enfants. Les Indiens et leurs descendants perdaient également leur statut s'ils s'émancipaient en devenant docteurs, avocats, pasteurs chrétiens, en se joignant aux forces armées ou en obtenant un diplôme universitaire.

En 1985, la Loi sur les Indiens a été modifiée par le projet de loi C-31 pour se conformer à la Charte. Il s'agissait de la première étape visant à régler les iniquités fondées sur le sexe et d'autres inégalités en matière d'inscription des Indiens. Il en est découlé le rétablissement du statut de quelque 130 000 personnes.

Malgré ces modifications, certaines iniquités fondées sur le sexe découlant du passé ont été maintenues. De nouveaux enjeux sont également apparus suite à l'introduction de catégories, à savoir les paragraphes 6(1) et 6(2), pour l'inscription des Indiens, qui ont entraîné un accroissement des contestations judiciaires. La première est l'affaire McIvor par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique en 2009. En réponse, le Parlement a adopté en 2011 le projet de loi C-3, la Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens. Il a élargi l'admissibilité à environ 40 000 personnes.

À peu près à la même époque, le gouvernement a effectué le lancement du processus exploratoire sur l'inscription des Indiens, l'appartenance à une bande et la citoyenneté pour réunir les points de vue des groupes autochtones relativement aux questions générales liées à l'inscription, à l'appartenance et à la citoyenneté. Cette initiative a permis un dialogue à l'intérieur des communautés sur ces questions importantes. Plus de 3 500 personnes y ont participé et les conclusions ont révélé une myriade de points de vue différents.

Soyons clairs : il n'existe aucun consensus sur ces questions sensibles de la citoyenneté et de l'identité. Quelques Premières Nations souhaitent élargir le statut d'Indien à de nombreuses personnes, tandis que d'autres s'inquiètent de l'érosion ethno-culturelle.

C'est ici qu'intervient le projet de loi S-3 qui propose des modifications à la Loi sur les Indiens pour se conformer à la décision de la Cour dans l'affaire Descheneaux, ainsi qu'un objectif visant à éliminer les inégalités fondées sur le sexe. Le projet de loi S-3 modifiera le paragraphe 6 (1) de la Loi sur les Indiens pour élargir l'admissibilité du statut d'Indien aux descendants de la lignée maternelle. Ces changements traiteront particulièrement des questions liées aux cousins, frères et sœurs, ainsi qu'aux enfants dont le nom a été omis ou retranché.

La question des cousins porte sur le traitement différentiel de l'acquisition et de la transmission du statut d'Indien qui apparaît entre des cousins de la même famille en fonction du sexe de leur grand-parent indien, dans les situations où le grand-parent était marié à un non-Indien avant 1985. La question des frères et sœurs porte sur le différent traitement dans la capacité de transmettre le statut d'Indien entre les garçons et les filles nés hors mariage de 1951 à 1985 (dates de modifications apportées à la Loi sur les Indiens). Les femmes indiennes dans cette situation ne peuvent transmettre leur statut à leurs descendants, à moins que le père de l'enfant possède un statut d'Indien. Dans des circonstances similaires, les hommes indiens peuvent transmettre leur statut d'Indien à leur enfant qu'ils aient conçu cet enfant avec une femme possédant le statut d'Indien ou non.

Suivant les conseils de la Cour de ne pas prendre une approche limitée dans nos modifications législatives, le troisième enjeu que représente la question des enfants dont le nom a été omis ou retranché a été inclus dans le projet de loi. Avant 1985, les enfants inscrits nés de parents indiens, ou d'une mère indienne, perdaient leur statut, comme leur mère, lorsqu'elle épousait un non-Indien après leur naissance. Et ce, contrairement à leurs frères et sœurs adultes ou mariés, qui eux conservaient leur statut. Bien que le projet de loi C-31 ait restauré le statut d'Indien des femmes et de leurs enfants dans cette situation, il n'a pas fait en sorte de rendre admissibles les enfants des enfants dont le statut a été rétabli. Les modifications proposées dans le projet de loi C-31 porteront sur cette question et élargiront l'admissibilité au statut d'Indien des enfants des enfants dont le statut a été rétabli en vertu du paragraphe 6(1).

[Français]

Les modifications législatives proposées entraîneront une augmentation du nombre de personnes admissibles au statut d'Indien. Il y aura également un changement de statut pour certaines personnes déjà inscrites. Selon une analyse démographique, de 28 000 à 35 000 personnes deviendront nouvellement admissibles au statut d'Indien grâce au projet de loi S-3.

Cette augmentation aura des répercussions sur le coût de deux programmes fédéraux directement liés à l'inscription, soit le Programme d'enseignement postsecondaire et le Programme des services de santé non assurés. L'énoncé économique du gouvernement, diffusé le 2 novembre dernier, indiquait qu'environ 149 millions de dollars seraient nécessaires à la mise en œuvre du projet de loi S-3. De ce montant, 130 millions de dollars seraient disponibles pour le Programme des services de santé non assurés et 19 millions de dollars, répartis sur cinq ans, seraient alloués au traitement et à l'enregistrement du volume croissant de nouveaux demandeurs.

Le ministère poursuivra son évaluation de la potentielle augmentation des coûts du Programme d'enseignement postsecondaire ainsi que de son approche en matière de financement. Des changements sur le droit au statut d'Indien pourraient avoir des répercussions sur d'autres programmes qui sont offerts aux Premières Nations qui résident dans des réserves. L'impact réel dépendra du nombre de personnes nouvellement admissibles au statut d'Indien qui s'installeront dans les réserves.

Cependant, les tendances de mobilité des Premières Nations et d'autres données indiquent que le nombre d'Autochtones quittant les réserves est égal au nombre qui s'y installera. Étant donné ce fait, nous ne nous attendons pas à observer un accroissement considérable de la population d'Indiens inscrits vivant dans les réserves après les modifications liées au projet de loi S-3. Nous surveillerons les répercussions au fil du temps et développerons des options de financement pour les programmes destinés aux réserves, si nécessaire.

[Traduction]

Comme mentionné précédemment, des séances d'information avec les groupes autochtones sur l'approche des modifications législatives proposées ont commencé à l'été 2016 et se poursuivront en décembre. À compter de juillet, la ministre a écrit à tous les chefs et à tous les dirigeants d'organismes nationaux et régionaux pour annoncer l'initiative et les inviter à participer aux séances d'information. La ministre a écrit de nouveau à tous les chefs et à tous les dirigeants d'organismes nationaux et régionaux à la mi-octobre pour transmettre l'ébauche du texte législatif, qui a été affichée en ligne.

Lors des séances d'information, les participants ont exprimé une multitude de points de vue. Alors que certains voient l'initiative comme une étape positive, d'autres ont manifesté des préoccupations concernant le court délai de partage d'information de l'étape 1, la portée limitée des changements proposés, les impacts de l'accommodation des nouveaux membres admissibles des Premières Nations, la vision étroite des modifications techniques que les structures coloniales de la Loi sur les Indiens perpétuent, et l'autorité fédérale permanente qui détermine qui sont les Indiens et les membres des bandes. Beaucoup ont aussi exprimé la nécessité d'un processus immédiat sur la réforme systémique générale.

Reconnaissant ces problèmes, ce gouvernement s'est engagé à une deuxième étape dans le cadre de cette initiative. Comme vous le savez, la date limite du 3 février 2017 imposée par la Cour pour répondre à la décision Descheneaux n'alloue pas suffisamment de temps pour mener des consultations sérieuses avec les groupes autochtones de façon à aborder toutes les questions complexes.

Du même coup, nous devons nous assurer que justice soit rendue aux plaignants et à tous ceux affectés par la décision. Compte tenu de ce qui précède, un processus collaboratif sera lancé en février 2017 avec les groupes autochtones pour entreprendre des travaux conjoints sur les questions générales et systémiques en vue d'identifier les secteurs de la future réforme. Elle sera conçue conjointement avec les groupes autochtones et des discussions auront lieu pour déterminer la nature et la portée du travail, les questions qui seront examinées et les types d'activités qui seront entreprises. En s'appuyant sur les conclusions du processus exploratoire, les questions abordées pourraient comprendre des enjeux comme la paternité non dévoilée ou inconnue et l'exclusion de la deuxième génération, les questions liées aux autorités fédérales pour déterminer l'inscription des Indiens, ainsi que la compétence des Premières Nations en matière de citoyenneté.

[Français]

En conclusion, nous reconnaissons que les questions relatives à l'inscription des Indiens, à la citoyenneté, à l'identité et à l'appartenance sont complexes et ne peuvent se régler du jour au lendemain. L'approche en deux étapes du gouvernement offrira une occasion, par l'intermédiaire du projet de loi C-3, d'éliminer les inégalités résiduelles fondées sur le sexe en matière d'inscription des Indiens et de poursuivre un dialogue et un travail de collaboration avec les groupes autochtones sur les questions générales et systémiques, en offrant une voie à suivre pour la future réforme.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant le comité. J'espère que les renseignements que je vous ai fournis auront été utiles. C'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci, madame la sous-ministre adjointe. Votre présentation du projet de loi était très concise et utile. J'ai plusieurs questions. Je vais donc commencer. Nous attendons toujours quelques sénateurs et je pense que notre porte-parole, tout particulièrement, devrait être le premier à ouvrir la période des questions.

Un aspect dont je vous ai parlé avant le début de la réunion est que dans les renseignements qui ont été remis aux sénateurs lors de la séance d'information sur le projet de loi S-3, une erreur s'était glissée dans le graphique, qui porte sur la question des cousins. La même erreur est reproduite dans la documentation qui accompagne le projet de loi. Par contre, la version en ligne ne comporte pas cette erreur. Nous sommes en train de préparer des exemplaires de la version corrigée à remettre aux membres du comité. Si d'autres membres du comité ont eu de la difficulté à comprendre la question des cousins, cette erreur explique probablement la raison de certains problèmes. J'ai passé en revue l'information au Cours de la fin de semaine et je dois avouer que c'est très compliqué. C'est très élégant et cette erreur vient compliquer considérablement la compréhension.

Je vais donc commencer par une question très simple. Dans le projet de loi McIvor précédent, on avait demandé une prolongation. Pourriez-vous nous dire en quelques mots pourquoi vous n'avez pas demandé une prolongation dans le présent cas?

Mme Montminy : Comme vous le savez, la Cour a suspendu l'entrée en vigueur de sa décision pour une période de 18 mois, soit une période plus longue que celle qui est habituellement accordée lorsqu'une telle décision est rendue. Habituellement, c'est un an. La Cour a déjà tenu compte du fait que la décision a été rendue pendant l'élection fédérale et, par conséquent, a accordé six mois de plus. Parce que le tout s'est déroulé pendant l'élection, le gouvernement a au départ interjeté appel, en attendant la décision du nouveau gouvernement de retirer l'appel, ce qui a été fait en février 2016.

Suite à ce retrait, nous avons entrepris le travail pour planifier la réforme législative. Dès que nous en avons reçu l'autorisation, nous avons amorcé la prémobilisation et la mobilisation des groupes autochtones, l'objectif étant de présenter les modifications législatives à temps pour respecter le délai de février 2017 imposé par la Cour.

Advenant qu'une prolongation soit demandée à la Cour, elle serait fort probablement très brève, peut-être deux ou trois mois — au maximum six mois, peut-être, ce qui n'est absolument pas garanti. Nous avons donc concentré nos efforts sur un équilibre entre les étapes nécessaires pour présenter les modifications législatives afin de régler les questions soulevées par la Cour et rendre justice aux demandeurs à l'origine de cette affaire — et non seulement aux demandeurs, mais aussi aux quelque 28 000 à 35 000 personnes qui ont attendu suffisamment longtemps pour pouvoir s'inscrire.

En même temps, notre reconnaissance de la nécessité de tenir des discussions plus vastes sur ces questions importantes et complexes constitue la deuxième étape. Voilà pourquoi le gouvernement s'est engagé à lancer en février 2017 un processus de mobilisation complet afin de permettre d'exprimer toutes ces questions et d'apporter une réforme plus profonde après cette mobilisation.

La présidente : En guise de suivi, je sais que la Cour a imposé une date limite. S'il n'y a pas de mesure législative, quatre articles actuellement en vigueur seront annulés. Qui sera touché par cette annulation? Est-ce que les nouvelles naissances seront touchées? Les personnes qui étaient admissibles en vertu du projet de loi C-31 et du projet de loi C-3 qui étaient nées et qui ne seront pas touchées par le projet de loi S-3 seront-elles touchées? Existe-t-il un arriéré de personnes qui sont admissibles à l'inscription en vertu des lois actuelles, et seront-elles touchées?

Nathalie Nepton, directrice exécutive, Registraire des Indiens et gestion intégrée des programmes, Affaires autochtones et du Nord Canada : Techniquement, si des gens sont déjà inscrits, ils ne seront pas touchés par la décision, sauf dans la mesure où ils peuvent être assujettis à un changement de catégorie. Par exemple, une personne inscrite en vertu du paragraphe 6(2) sera désormais visée par l'une des catégories prévues au paragraphe 6(1), si le projet de loi reçoit la sanction royale.

Par contre, après cette date, si le projet de loi n'entre pas en vigueur, je ne pourrai pas inscrire quiconque qui pourrait être admissible à l'inscription au Québec. Selon toute probabilité, je ne continuerai pas à inscrire des gens des autres provinces parce que même si les dispositions ont été annulées au Québec, techniquement, à mon avis, il n'y aurait aucun intérêt pratique à continuer d'inscrire des gens parce que cela créerait deux systèmes d'inscription.

La présidente : D'accord. Merci. Bienvenue, sénateur Patterson. Nous posons seulement quelques petites questions. J'en ai une ou deux autres à poser pendant que vous reprenez votre souffle.

Le sénateur Patterson : Merci. Je m'excuse du retard.

La présidente : Pour ce qui est des personnes qui seront touchées si le projet de loi n'est pas approuvé avant le 3 février, combien inscrit-on de personnes environ par année en ce moment? Combien de personnes effectivement demanderont à s'inscrire, soit que leur statut soit rétabli — je ne sais pas si vous pouvez dire qu'il s'agit d'une nouvelle catégorie —, soit les personnes qui seraient admissibles en vertu du paragraphe 6(1) ou du paragraphe 6(2)?

Mme Nepton : Si nous parlons des personnes qui seraient admissibles à l'inscription après l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, il y en aurait de 28 000 à 35 000 de plus. Pour ce qui est de l'inscription actuelle, au cours d'une année donnée — et les statistiques que j'ai proviennent de l'exercice 2014-2015 —, le ministère a reçu environ 30 500 demandes et en a traité approximativement 32 900. Ces statistiques semblent être les mêmes chaque année, parce que même si une personne présente une demande, cela ne veut pas nécessairement dire qu'elle sera inscrite.

Vous pouvez imaginer, et vous y avez fait référence, l'arriéré qui a été créé par tous ceux et celles qui sont actuellement admissibles à l'inscription.

La présidente : Si ces personnes font partie d'un arriéré et que leur dossier est à l'étude en ce moment, est-ce que ce processus sera arrêté ou seront-elles autorisées à poursuivre le processus d'inscription?

Mme Nepton : Non, ce travail se poursuit en vertu du régime actuel. Pour toute personne qui s'inscrit après ou si les dispositions du projet de loi entrent en vigueur, cette personne sera également assujettie à une modification de la catégorie. L'inscription prendra fin si le projet de loi n'entre pas en vigueur.

Vous avez posé une question au sujet des nouvelles naissances. Ces personnes ne seraient pas admissibles à l'inscription. Cependant, ce qu'il est important de souligner, madame la sénatrice, c'est que lorsqu'un enfant naît de parents inscrits, il est automatiquement associé au numéro d'inscription de ses parents pendant au moins une année.

Je peux aussi ajouter que si, par exemple, au cours de cette période, une personne devenait admissible à l'inscription et devait renouveler son document, elle recevrait une confirmation d'inscription temporaire qui indiquerait qu'elle est inscrite à compter de la date de délivrance de la lettre.

La présidente : Merci. Je donne maintenant la parole au sénateur Patterson, le porte-parole au sujet du projet de loi.

Le sénateur Patterson : Je veux poser des questions au sujet des séances d'information tenues dans le cadre de la première étape, dont le comité a entendu parler lors de la séance d'information technique à laquelle j'ai assisté. Dans les documents remis au comité, je constate que huit séances ont eu lieu avant le dépôt du projet de loi. Par contre, hier soir, lors des audiences sur l'étude préalable du comité correspondant à l'autre endroit, deux des demandeurs dans l'affaire Descheneaux, y compris M. Descheneaux, ont informé le comité qu'ils n'avaient absolument pas entendu parler du projet de loi ou des modifications proposées avant son dépôt au Sénat. De fait, ils ont dit qu'ils estimaient que si le projet de loi S-3 est adopté tel quel, ils seraient obligés d'entreprendre encore une fois des contestations judiciaires longues et coûteuses.

Je dois avouer que je suis étonné. Le jugement a été rendu le 3 août 2015. Il semble que le ministère n'ait pas jugé bon de discuter avec les demandeurs des modifications proposées avant leur présentation. Qu'en dites-vous? Est-ce que le ministère a assisté aux audiences du comité de la Chambre des communes hier? Si vous l'aviez fait, vous auriez entendu le témoignage furieux — je ne pense pas utiliser ce mot de façon exagérée — des demandeurs.

Candice St-Aubin, directrice exécutive, Secteur de résolution et des affaires individuelles, Affaires autochtones et du Nord Canada : Oui, nous y étions et vous avez raison. Nous avons discuté uniquement d'un volet de notre travail à ce jour en ce qui concerne le projet de loi que nous avons présenté. Je vous donnerai davantage le contexte sur la façon dont nous avons communiqué l'information publiquement, et dont personne n'était au courant.

Comme l'a expliqué Mme Montminy, nous avons eu le temps entre le jugement du 3 août et l'élection fédérale. Le Canada a interjeté un appel, qu'il a retiré. À ce moment-là, nous avons dû aborder les préoccupations soulevées en cour. C'est aussi à ce moment-là que nous avons eu une prémobilisation auprès des organismes autochtones nationaux et nous leur avons transmis une ébauche d'un document de travail qui exposait la démarche proposée pour les modifications législatives soulevées dans l'affaire Descheneaux.

Suite à ces discussions, nous nous sommes tournés vers eux pour connaître la meilleure approche. Le Canada a proposé cette approche en deux étapes, sachant que les enjeux recensés après l'affaire Descheneaux étaient extrêmement complexes et nécessitaient une consultation plus vaste. En raison du temps limité dont nous disposions, nous devions quand même réparer le tort causé aux demandeurs.

Compte tenu de l'approche en deux étapes et des conversations tenues à un niveau de prémobilisation tout au long de juin, pendant l'été, la ministre l'a officiellement annoncée le 29 juillet et c'est à ce moment-là que la ministre a fait parvenir des lettres à chaque chef et conseil d'un bout à l'autre du Canada, de même qu'aux organismes nationaux, régionaux et régis par des traités, présentant ou expliquant notre approche en deux étapes. Nous avons également affiché le document de travail en ligne et nous avons invité les communautés individuelles à parler avec leurs membres et à travailler avec les organismes en vue des séances d'information.

Il a fallu un certain temps pour travailler avec les organismes communautaires afin d'essayer de trouver ce qui leur convenait le mieux quant à la façon et au moment de présenter des séances d'information — de six à sept semaines — avant de commencer. Elles continuent encore aujourd'hui. Au moment de la séance d'information technique, nous avions tenu huit séances et nous sommes maintenant rendus à 12, quatre autres étant prévues et se déroulant aujourd'hui dans les provinces de l'Atlantique.

Après avoir affiché l'ébauche du document de travail, nous avons commencé à recevoir de l'information. Nous avions une boîte aux lettres générique pour ceux qui se sentaient plus à l'aise de répondre en ligne, par des courriels, ou en nous écrivant, et nous correspondons de façon continue avec les membres des communautés.

Une fois que nous avons eu suffisamment de renseignements pour pouvoir partager davantage d'information, nous avons alors proposé, ce qui n'était pas connu à ce moment-là, d'afficher en ligne les modifications législatives provisoires, assorties d'une version annotée en langage courant — non seulement en langage législatif. C'est aussi à ce moment-là, et nous étions alors le 14 octobre 2016, que la ministre a décidé d'envoyer une lettre à tous les chefs et conseils, ainsi qu'aux organismes nationaux, régionaux et régis par des traités des Premières Nations, accompagnée des modifications proposées, annotées.

Lorsque nous nous présentons aux séances d'information, nous avons un document complet dans lequel nous présentons un historique de l'inscription. Cela nous prend entre une journée et une journée et demie parce que c'est très complexe, compte tenu de toutes les modifications présentées à ce jour, et comme l'a expliqué la sénatrice Dyck, c'est complexe même sans ces modifications. Nous avons également mis en ligne les diapositives comparatives en plus de les diffuser lors des séances, de sorte que les gens ont été en mesure d'avoir une idée des problèmes que nous essayions de régler.

Voilà pour notre démarche jusqu'à maintenant, sachant qu'elle est excellente, et nous avons très hâte d'élargir la consultation aux enjeux plus complexes, mais nous aimerions prendre le temps qu'il faut vraiment, et ce, d'un bout à l'autre du Canada.

Le sénateur Tannas : Vos explications sont très minutieuses, mais je ne pense pas qu'elles répondent à la question. Dites-vous que vous n'avez pas pensé à discuter effectivement avec les demandeurs ou même à les consulter? Peut-être échappé que cela m'a échappé : avez-vous ou non discuté directement avec les demandeurs?

Mme St-Aubin : Nous le faisons par l'intermédiaire de Justice Canada. Je m'en remettrai à Justice Canada pour ce qui est du protocole à cet égard.

Martin Reiher, avocat général, ministère de la Justice Canada : Malheureusement, je ne sais pas si mes collègues qui étaient chargés du dossier ont communiqué avec les demandeurs. Par le passé, c'est ce que j'aurais fait. Je vais vérifier auprès de mes collègues pour savoir si cela a été fait. Je suis désolé, je ne peux pas répondre à la question.

Le sénateur Tannas : Nous ne vous reverrons pas. Si cela n'a pas été fait, diriez-vous que c'était une omission?

M. Reiher : Si cela n'a pas été fait, je suppose que les gens ont pensé que les demandeurs étaient au courant, compte tenu des annonces publiques.

La présidente : Pourriez-vous nous fournir cette réponse le plus tôt possible — aujourd'hui, de préférence? Comme vous le savez, nous étudions ce projet de loi rapidement et nous aimerions le savoir.

Le sénateur Patterson : J'aimerais remercier le sénateur Tannas d'avoir posé la question que j'allais poser. J'espère que nous obtiendrons une réponse rapidement. Pour moi, cette question est importante. Indépendamment de toute la correspondance officielle avec les chefs, on aurait pensé qu'on aurait au moins eu la décence de consulter directement les demandeurs.

J'aimerais poser une autre question sans rapport au sujet de la capacité. Est-ce que le ministère a la capacité de traiter l'arrivée projetée de 28 000 à 35 000 demandes de statut? À cet égard, je me demande si vous pourriez répondre à la question suivante, maintenant ou plus tard : quel est l'arriéré actuel des demandes résultant des décisions rendues dans l'affaire McIvor? Je crois comprendre que dans certains cas, cela peut prendre jusqu'à deux ans. À mon avis, ces deux questions sont reliées et importantes. Merci.

Mme Nepton : Pour ce qui est de la question au sujet de l'arriéré découlant du projet de loi C-3, je vais devoir demander ces données. Comme vous le savez, la question a été posée hier soir et mon équipe s'emploie en ce moment à les obtenir.

Pour ce qui est de la question au sujet de la capacité, au cours des cinq prochaines années, le ministère recevra 19 millions de dollars pour aider au traitement des demandes d'inscription qui seront présentées suite à l'affaire Descheneaux.

En ce moment, nous engageons du personnel supplémentaire pour traiter les demandes. Par conséquent, j'ai vraiment confiance qu'au moment de la sanction royale, nous aurons en place une équipe pour commencer le traitement des demandes dès qu'elles commenceront à arriver.

Le sénateur Patterson : Si vous pouviez nous donner certains détails quant au processus de recrutement et aux données, je pense que cela serait utile pour le comité. Pas nécessairement maintenant.

Mme Nepton : Plus tard?

Le sénateur Patterson : Maintenant, ou plus tard.

Mme Nepton : Ce sera assurément plus tard; nous venons de commencer.

Le sénateur Patterson : J'aimerais savoir combien de postes vous dotez et quel est le statut.

Mme Montminy : Nous prévoyons embaucher 60 personnes. Les concours sont amorcés et nous pouvons vous fournir les détails par écrit.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Comme vous le savez, le projet de loi S-3 n'est pas un projet de loi de finances. Compte tenu du grand nombre de personnes qui vont s'inscrire, où est la garantie que le gouvernement est prêt à affecter des fonds à l'éducation, aux soins de santé et au logement, et cetera?

Mme Montminy : Comme je l'ai indiqué dans mes remarques liminaires, le gouvernement a déjà annoncé dans la mise à jour économique du 2 novembre que l'argent rattaché aux services de santé non assurés a été mis de côté. Une source de fonds a été prévue pour cela en fonction de la projection démographique. Comme nous venons de le mentionner, il y a aussi de l'argent pour le traitement, qui est distinct. Pour les études postsecondaires, nous continuerons à évaluer l'incidence et à assurer une source de fonds au cours des prochains mois.

Pour ce qui est des autres programmes reliés à la résidence dans les réserves, nous devrons évaluer pour voir si la population qui deviendra admissible à l'inscription en vertu du projet de loi S-3 déménage effectivement dans les réserves, parce que le financement à l'égard de ces programmes se fonde sur le nombre de personnes qui déménagent dans la réserve. Selon les dernières tendances que nous suivons sur la mobilité, il y a autant de personnes qui déménagent dans les réserves qu'il y en a qui en sortent. Avec le projet de loi C-3, nous avons constaté qu'une très petite partie de cette population a effectivement déménagé dans une réserve.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Vous avez mentionné que vous ne vous attendez pas à une augmentation considérable de la population dans les réserves. Comme vous le savez, dans les communautés éloignées, les gens n'ont pas les ressources pour déménager. S'ils ne vivent pas dans la communauté, ils vont vouloir y revenir en raison de l'éducation, du logement, et cetera. Êtes-vous d'accord?

Mme Montminy : Encore une fois, globalement, les tendances au chapitre de la mobilité que nous suivons depuis plusieurs décennies indiquent que lorsque les gens retournent dans la réserve, un nombre égal en sort pour des raisons liées à l'éducation et pour d'autres raisons. Donc, globalement, la tendance indique que ce nombre est sensiblement égal pour ce qui est de la population qui vit dans la réserve, mais si cela change, nous suivrons la situation de près et nous obtiendrons les fonds nécessaires pour tenir compte de cette population maintenant admissible dans la réserve.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je m'inquiète au sujet des fonds garantis parce que cela s'est produit dans le cas du projet de loi C-31. Les fonds ont été réservés, mais il n'y en a pas eu suffisamment pour le logement et le nombre de personnes venues s'établir dans les communautés. Avez-vous un document écrit qui dit que le gouvernement va fournir tout cet argent?

Mme Montminy : Cette question sera évaluée sur une base permanente. Le ministère, lorsqu'il renouvelle ses programmes, tient toujours compte des populations qu'il dessert et fait les ajustements nécessaires. Cela se fera sur une base continue.

Ces gens s'inscriront au cours d'une certaine période; ils ne rempliront pas tous une demande le 4 février 2017. Il faudra du temps. Nous espérons que les gens s'inscriront tôt parce qu'ils attendent depuis longtemps, mais à mesure que les gens s'inscriront, nous suivrons la situation et nous surveillerons l'incidence sur les réserves.

Le sénateur Patterson : J'ai une question complémentaire à celle de la sénatrice Lovelace Nicholas : vous avez dit que les fonds concernant le Programme des services de santé non assurés ont été mis de côté en prévision de l'incidence de ce dossier. Pourriez-vous nous donner des précisions? Je suppose qu'il s'agit d'une somme distincte de celle de 19 millions de dollars que vous avez mentionnée pour aider au traitement.

Dans le cas des études postsecondaires, vous avez dit « Nous allons garantir une source de fonds. » Pourriez-vous nous donner des précisions quant au montant et si cette somme est garantie au moment où le comité étudie le projet de loi?

Mme Montminy : La somme qui a déjà été réservée pour les services de santé non assurés est de 130 millions de dollars sur cinq ans à compter de 2017-2018. Ce montant a été mentionné dans la mise à jour économique du 2 novembre. Nous serons heureux de vous faire parvenir une ventilation détaillée par année.

Pour ce qui est des études postsecondaires, nous continuons d'examiner notre démarche de financement dans le cadre d'une demande plus large concernant le financement des études postsecondaires.

Le sénateur Patterson : En ce qui concerne la somme de 130 millions de dollars que vous avez dit qui a été mise de côté en 2017-2018 dans le cas des services de santé non assurés, y en a-t-il une partie qui sera consacrée aux nouvelles personnes inscrites?

Mme Montminy : Toute cette somme est prévue pour tenir compte de la nouvelle population qui deviendra admissible à l'inscription en vertu du projet de loi S-3. Elle est prévue pour la projection de 28 000 à 35 000 nouvelles personnes admissibles.

Le sénateur Patterson : Mais vous n'avez pas encore établi exactement une somme pour les études postsecondaires; est-ce exact?

Mme Montminy : Nous y travaillons.

Le sénateur Patterson : Quand vous attendez-vous à obtenir une confirmation de ces fonds?

Mme Montminy : Je ne peux pas vous donner de garantie à cet égard, mais j'espère que ce sera au cours des prochains mois.

La sénatrice Lankin : Au sujet des questions des deux sénateurs : Lors de notre première séance d'information, c'est une question que j'ai posée. J'ai cru comprendre qu'en ce qui concerne les fonds pour les études postsecondaires, le ministère envisage un ensemble plus vaste de propositions qui nécessiteraient une augmentation des fonds. De cette somme, une partie serait consacrée à une augmentation éventuelle de la population résultant du projet de loi S-3. J'ai aussi cru vous entendre dire que vous avez une obligation relativement aux sommes réservées aux études postsecondaires. J'en ai déduit qu'il s'agit d'une garantie qu'il y aura suffisamment d'argent pour les personnes qui entreprennent des études postsecondaires. Ai-je mal compris? Si c'est le cas, quelle assurance les gens peuvent-ils avoir à ce moment-ci pour ce qui est des personnes admissibles à l'inscription et de leur droit à un financement des études postsecondaires?

Mme Montminy : L'enveloppe réservée au financement des études postsecondaires se fonde sur la population admissible, la population d'Indiens inscrits. Il s'agit d'une enveloppe qui est ensuite répartie entre les communautés. Le ministère n'assume aucune responsabilité quant à la répartition de cet argent directement aux personnes; cela relève du chef et du conseil. L'enveloppe est déterminée en fonction de la population globale admissible.

La sénatrice Lankin : Est-ce fondé sur une formule?

Mme Montminy : Oui.

La sénatrice Lankin : En ce qui concerne les autres soutiens aux communautés dans les réserves, vous avez pris l'engagement de surveiller la situation de façon permanente et d'y répondre. Je me demande, madame la présidente, s'il existe une façon d'obtenir un engagement que notre comité recevrait des mises à jour ou peut-être que le ministère reviendra dans un an et nous fera part des résultats et nous indiquera ce qu'il constate au niveau des tendances concernant les nouvelles personnes admissibles à l'inscription et les personnes qui déménagent dans les réserves. Ainsi, nous surveillons l'engagement qu'a pris le ministère de répondre aux besoins de ces communautés.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Est-ce que ces personnes inscrites incluraient les Métis?

Mme Montminy : Si une personne métisse peut être admissible à l'inscription au statut d'Indien, ce qui est possible selon l'admissibilité de ses parents, cette personne peut alors présenter une demande et devenir inscrite. Mais il ne s'agit pas d'une enveloppe ou de quoi que ce soit qui est destiné aux Métis; c'est plutôt pour les gens qui veulent demander le statut d'Indien par le processus d'inscription.

La sénatrice Raine : Je comprends la question et j'appuie sans réserve l'équité des sexes dans ce domaine, mais j'ai besoin de clarification : pour devenir un Indien inscrit, est-ce qu'il faut être membre d'une bande d'une Première Nation?

Mme Nepton : Pour devenir un Indien inscrit, nous tenons compte de la généalogie. La provenance des ancêtres constitue l'élément clé.

Pour ce qui est d'être relié à une bande, oui, nous demandons toujours dans le cadre du processus de demande si vous savez, par exemple, où votre père ou votre mère est inscrit et de bien vouloir l'indiquer. On en fait la demande, mais c'est distinct. Il n'est pas nécessaire que la personne soit reliée directement à une bande, mais si c'est le cas, cela aide de toute évidence au processus d'inscription.

La sénatrice Raine : Ma question n'était peut-être pas suffisamment claire. Est-il exigé qu'une bande, qu'un groupe ou qu'une communauté d'une Première Nation selon la définition d'AANC, accepte une personne comme membre de cette bande avant de devenir un Indien inscrit ou une Indienne inscrite?

Mme Nepton : Non, ce n'est pas exigé.

Le sénateur Moore : Merci aux témoins d'être venus. Je veux faire référence à la lettre du 29 juillet 2016, la lettre que la ministre a envoyée. A-t-elle été envoyée directement à chaque chef au Canada? Est-ce que les 630 chefs l'ont reçue?

Mme Montminy : Oui.

Le sénateur Moore : Qu'en est-il des communautés inuites et des Métis? Comment ont-ils été informés? Ont-ils obtenu une copie de la lettre et à qui a-t-elle été envoyée?

Mme St-Aubin : Dans le cas des Métis et des Indiens non inscrits, nous nous sommes adressés à leurs organismes régionaux et nationaux. La lettre a été envoyée aux bureaux des dirigeants ainsi qu'au président élu ou à leurs chefs représentatifs dans le cas de certains organismes.

Le sénateur Moore : C'est donc pour les Métis et les communautés inuites?

Mme St-Aubin : Dans le cas des organismes des Indiens non inscrits.

Le sénateur Moore : J'ai pris connaissance de cette lettre et je l'ai relue attentivement à quelques reprises. À la deuxième page, on dit « Afin de mettre en œuvre la première étape du processus, le Ministère propose de lancer un processus de mobilisation auprès des Premières Nations et d'autres groupes autochtones. Ce processus se déroulera sous forme de séances d'information offertes à l'échelle du pays au cours de la fin de l'été et au début de l'automne et de discussions sur les changements législatifs proposés. » Puis, dans le dernier paragraphe, on peut lire « Pour obtenir de plus amples renseignements sur l'approche proposée par le gouvernement... veuillez consulter le site web. »

Je ne vois nulle part une invitation à assister ou à participer. Y a-t-il une autre lettre? Comment ces gens savent-ils où se déroule la réunion et à quel moment ils peuvent être entendus? J'ai entendu dire qu'il y avait seulement huit réunions. Je veux savoir où elles ont eu lieu. S'agissait-il de réunions régionales? Comment est-ce que tout cela a été organisé?

Mme St-Aubin : J'ai ce document sous les yeux.

Aux fins de la première étape, nous avons proposé de travailler directement avec les organismes régionaux et les organismes des Premières Nations. Suite à l'envoi de la lettre, nous avons demandé aux organismes régionaux de déterminer les meilleurs groupes qui pourraient aider à organiser les séances dans leurs diverses administrations et avec leurs membres. Il s'agit du processus suivi à ce jour. De plus, la ministre les a invités à aller sur le site web pour en apprendre davantage. Mais nous avons misé beaucoup sur les organismes autochtones régionaux pour aider à coordonner du mieux possible, étant donné qu'il y a 640 communautés. Nous avons donc travaillé avec eux en partenariat.

Le sénateur Moore : Il aurait été plus gentil de les inviter, plutôt que de les diriger vers un site web pour qu'elles prennent connaissance de l'approche du gouvernement. Si j'étais un chef, je dirais : « D'accord, mais suis-je inclus dans cela? Suis-je autorisé à me prononcer? Dois-je avoir le point de vue des membres de ma bande avant de le faire? » Cela s'inscrit tout à fait dans le prolongement de la culture patriarcale que l'on retrouve dans votre ministère. Je crois que c'est terrible.

Vous avez mentionné qu'il y a quatre autres audiences prévues. Pouvez-vous me dire où se sont déroulées les huit audiences et comment cela a été décidé?

Mme St-Aubin : Les séances d'information courantes qui se sont tenues l'ont été dans l'ensemble du Canada. Nous en avons eu deux en Colombie-Britannique et deux dans les Maritimes. Des séances se sont tenues dans toutes les provinces, et deux autres dans les territoires. Trois autres sont prévues dans les Maritimes.

Nous avons un diagramme d'information dans lequel figurent tous les emplacements de séance, ainsi que le nombre de participants et les groupes démographiques qui participent. Nous serons heureux de le transmettre au comité.

Le sénateur Moore : A-t-on tenu huit audiences, ou douze?

Mme St-Aubin : Au moment de l'exposé technique original, on avait tenu huit audiences. Nous sommes rendus à onze, la douzième ayant lieu aujourd'hui, et deux autres étant prévues au cours de la semaine.

Le sénateur Moore : On parle donc de chaque province au pays et des territoires.

Mme St-Aubin : Celles dans les territoires sont encore à venir.

Le sénateur Moore : Celles des territoires sont donc à venir, d'accord.

Je vais maintenant céder la parole. Merci.

Le sénateur Watt : Merci de votre présence ici aujourd'hui. J'ai été assez impressionné par la présentation que vous avez faite le 26 octobre. Elle énonçait clairement ce que vous avez l'intention de faire, ainsi que pour les éléments laissés de côté, la décision de vous en occuper à la deuxième étape. Je crois que cela était assez clair.

Un aspect n'est cependant pas très clair pour moi, soit celui de la participation des Inuits à ce projet de loi. Comme vous avez mentionné les Inuits du Nunavik dans votre présentation, il convient de souligner que c'est la Convention de la Baie James et du Nord québécois qui a fait en sorte que l'on a traité avec eux. Je suis familier avec cela. Je me suis occupé de ce dossier et j'ai participé à la négociation. Sur ce point, êtes-vous ici aujourd'hui pour nous donner plus de renseignements concernant les répercussions pour les Inuits découlant de l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867?

À cet égard, un traité existait déjà en vertu de l'article 91.24 en ce qui a trait à l'accès, dans les domaines de l'éducation, de la santé, du logement, mais aussi de l'apprentissage, qui n'a toujours pas été mis en œuvre dans le cadre de la convention.

Sachant cela, j'aimerais que vous m'expliquiez, ainsi qu'au comité, quelles seront les répercussions réelles du fait que l'un des segments des groupes originaux bénéficie déjà d'un traité, mais du fait qu'il y en a trois de prévus dans le décret de la cour, vous devez vous occuper de trois domaines.

Je ne suis pas absolument certain que les Inuits ont les mêmes problèmes à cet égard, mais l'un des aspects qui nous effraient dans ce projet de loi est l'impact négatif que cela pourrait avoir en raison de l'accès, dans le cadre du règlement, à des programmes du gouvernement du Canada aux termes de l'article 91.24 et de la Loi sur les Indiens. Habituellement, la Loi sur les Indiens ne s'applique pas, mais du point de vue de l'accès à un programme du gouvernement, oui. Nous sommes donc préoccupés.

Je ne suis pas certain que vous ayez suffisamment de temps. Si j'ai bien compris, dans votre présentation, vous n'avez pas consulté les gens. Cela est très clair pour moi. Vous avez eu des discussions avec les gens, vous avez tenté de trouver des façons de les informer de quoi il retourne, mais le fait est que vous n'avez pas appelé cela une consultation, ce que j'apprécie grandement, parce que la cour était concernée.

La conclusion à laquelle je suis arrivé pendant votre présentation est que la meilleure façon de traiter cette question est de tenter de la retarder. À tout le moins, nous pourrions mettre entièrement l'accent sur le projet de loi, non seulement sur la première partie, mais aussi sur la deuxième. Je crois qu'il n'est que juste pour nous de demander à la cour qu'elle nous donne un délai suffisamment raisonnable, afin que nous ayons assez de temps pour approfondir cette question.

Il y a certaines choses, du côté autochtone, que nous aimerions clarifier ou pour lesquelles nous aimerions obtenir des précisions. Il semble bien que nous n'aurons jamais cette chance, parce que vous avez l'intention de clore la première étape, et d'aborder la question à la deuxième étape. Qu'arrive-t-il si le gouvernement n'est plus au pouvoir? Dans une certaine mesure, vous nous avez mis au pied du mur. Cela n'est pas acceptable.

J'aimerais revenir sur un point. Compte tenu de votre formation juridique, vous savez comment les lois fonctionnent, et tout le reste, ce qui fait que vous pourriez nous donner un aperçu de l'effet que cela aura sur les Inuits. Je parle uniquement du Nunavik. Je ne parle pas du Nunavut, du Nunatsiavut ou des Territoires du Nord-Ouest, qui ont les mêmes genres de clauses dans leurs traités, au sujet desquelles ils n'ont pas été consultés.

La présidente : Pouvons-nous obtenir une réponse à la question du sénateur Watt?

M. Reiher : Merci. Comme vous l'avez souligné, la Loi sur les Indiens ne s'applique pas aux Inuits. Cela est expressément énoncé dans la loi. L'ordonnance qui a été rendue par la cour, évidemment, porte sur la Loi sur les Indiens proprement dite, et le gouvernement doit préparer une réponse par suite de la suspension de l'entrée en vigueur de la décision. Par conséquent, à strictement parler, il n'y a pas de répercussions sur les Inuits. Les amendements n'auront pas de répercussions sur les Inuits parce qu'ils créeront de nouvelles admissibilités au statut d'Indien, ce statut ne s'appliquant pas aux Inuits, qui ont été exclus.

Ceci étant dit, évidemment, les questions que vous soulevez sont importantes, et il sera possible d'en discuter à la deuxième étape de la réponse du gouvernement. Il est évident que les questions d'inscription et d'appartenance à une bande doivent être résolues, en tenant compte aussi des questions de citoyenneté, de même que des questions plus larges d'identité.

Votre question fait aussi ressortir l'urgence de la réponse, et la raison pour laquelle on n'a pas tenté d'obtenir une exemption pour permettre la discussion de tous ces enjeux et de leurs répercussions. Encore une fois, j'aimerais souligner la complexité du système actuel et la nécessité de réagir à l'ordonnance de la cour, selon laquelle une partie de la Loi sur les Indiens est invalide. Cela concerne des droits individuels, qui sont importants et dont il faut tenir compte le plus tôt possible. Il a par conséquent été jugé plus approprié de garder les questions complexes plus larges pour la deuxième étape.

Le sénateur Watt : Au sujet de laquelle il n'existe pas de certitude, encore une fois. Merci.

M. Reiher : Elle sera lancée en février 2017.

La présidente : J'aimerais rappeler aux membres du comité de tenter de limiter la longueur de leurs questions, parce que les représentants du ministère reviendront à la fin de l'étude du projet de loi S-3. Nous aurons la chance de poser des questions plus tard.

La sénatrice Lankin : La question de la première étape et de la deuxième étape est très problématique pour beaucoup de gens et pour différentes raisons, des raisons parfois diamétralement opposées, et nous devons faire face à ce problème. La Cour supérieure du Québec, dans son jugement dans l'affaire Descheneaux, a déclaré qu'il s'agissait de questions dont on devait s'occuper; autrement, il s'agit de supprimer ces dispositions, mais encore une fois, un certain nombre d'autres questions demeurent en suspens. Le gouvernement ne devrait pas imposer aux demandeurs d'en assumer la responsabilité.

Il s'agit d'une question de rhétorique, mais je veux qu'on y réponde. Pourquoi avez-vous choisi de ne pas vous occuper de ces autres enjeux possibles en vertu de la Charte qui ont été soulevés par la Cour du Québec relativement au projet de loi S-3, au moment où ils se sont posés? Pourquoi ont-ils été reportés à l'étape deux?

Mme Montminy : Il s'agit d'une très bonne question. Comme vous l'avez mentionné, nous avons dû faire un choix difficile. Nous faisions face à des échéances très serrées pour résoudre les questions qui ont été soulevées par l'affaire Descheneaux. Nous sommes allés au-delà de cela et nous avons entendu ce que la cour avait à dire pour nous encourager à aller plus loin. Nous avons donc décidé de nous pencher sur toutes les inégalités connues fondées sur le sexe dans les dispositions relatives à l'inscription. Nous avons ajouté les enfants mineurs dont le nom a été omis ou retranché, afin de pouvoir traiter l'ensemble de cette catégorie de discrimination dans ce projet de loi particulier.

Nous avons jugé qu'il ne serait pas juste d'aller plus loin, compte tenu des points de vue et des complexités liés à ces enjeux, et que nous n'aurions pas le temps d'entendre le point de vue de tous les groupes autochtones qui sont aux prises avec ces questions complexes depuis longtemps. Nous voulons arriver à quelque chose. Le gouvernement s'est engagé dans un nouveau rapport de nation à nation, et nous souhaitons mettre en place un processus de collaboration complet, qui prendra plus que quelques mois. Nous reconnaissons cela, et nous voulons prévoir suffisamment de temps. Notre ministre s'est engagé à lancer le processus en février 2017. Dans nos divers documents, nous désignerons cette étape deux comme celle de la collaboration, qui devrait durer environ un an, puis nous reviendrons avec des propositions de réforme législative. Cela tiendra compte de ce que nous avons entendu des divers groupes autochtones.

Les points de vue à ce sujet sont variés. Vous pourrez le constater par vous-même dans le cadre des audiences que nous allons tenir. Certains, comme je l'ai mentionné dans mes observations, veulent être très inclusifs et accueillants et souhaitent que les règles soient plus libérales en ce qui a trait à l'inscription, afin qu'un plus grand nombre puissent acquérir le statut d'Indien, tandis que d'autres pensent tout à fait le contraire. Ils sont d'avis que cela pourrait mener à une érosion ethnoculturelle, ce qui représente une préoccupation importante pour un certain nombre de groupes.

Nous ne croyons pas qu'il soit approprié pour le gouvernement de décider très rapidement, dans les délais très limités que nous avons, de l'orientation et des décisions à prendre, sans une consultation complète, exhaustive et pertinente avec les groupes autochtones. Nous avons dû faire une distinction entre les deux étapes. Nous voulons être en mesure de traiter ce qui a été soulevé dans l'affaire Descheneaux et d'aller au-delà, c'est-à-dire de tenir compte de l'ensemble de la discrimination découlant d'inégalités fondées sur le sexe, puis de revenir à l'examen de tous les autres enjeux qui, encore une fois, sont complexes et ont fait l'objet de discussions dans les groupes autochtones, dans le cadre du processus exploratoire. Le gouvernement n'a jamais eu réellement la possibilité de collaborer pleinement avec les groupes autochtones à un examen en vue d'une réforme future.

La sénatrice Lankin : Le sénateur Watt a soulevé une préoccupation concernant les enjeux de l'étape deux et le fait que la consultation pourrait prendre beaucoup de temps. Il pourrait y avoir un changement de gouvernement, et il pourrait arriver qu'on n'aille jamais jusqu'au bout. Si nous devions demander un report concernant le projet de loi S-3, et combiner ces enjeux dans une consultation plus longue, y a-t-il une possibilité que nous ne puissions venir à bout de cette question?

Mme Montminy : La cour nous a déjà donné 18 mois et, essentiellement, a suspendu la disposition invalidante, mais a aussi mis en suspens les droits des personnes qui ont soumis leur cas au tribunal. Encore une fois, nous ne parlons pas seulement des demandeurs. Nous parlons des quelque 28 000 à 35 000 personnes en attente. Nous faisons notre possible; c'est une question d'équilibre.

En demandant un autre report à la cour, nous pourrions peut-être réussir à obtenir trois mois pour terminer le processus législatif. Il est peu probable que la cour nous accordera suffisamment de temps, c'est-à-dire au moins un an et peut-être un peu plus, soit encore 18 mois, pour pouvoir collaborer pleinement avec les groupes autochtones, rédiger les amendements, les soumettre au processus parlementaire et mettre en place des dispositions selon, encore une fois, une échéance imposée par la cour. Je crois que cela serait très difficile. Il est donc peu probable que la cour nous accorde autant de temps. Je crois que la cour est plus susceptible de nous donner quelques mois, le cas échéant, ce qui je crois ne serait pas suffisant pour que nous traitions complètement ces enjeux. C'est pourquoi nous avons pris cette décision difficile de séparer le processus en deux.

Le sénateur Patterson : Ma question vient compléter celle de la sénatrice Lankin, sur la raison pour laquelle les autres enjeux en vertu de la Charte ont été reportés à l'étape deux. Je sais que le gouvernement passe en revue toutes les dispositions législatives du point de vue de leur conformité à la Charte, et vous avez dit que ce projet de loi vise à résoudre toutes les inégalités connues fondées sur le sexe. Ma question est donc la suivante : puis-je supposer, à partir de ce que vous avez dit, que si ce projet de loi est adopté, la Loi sur les Indiens ne serait pas conforme à la Charte pour d'autres aspects, comme l'âge?

M. Reiher : Merci. Le ministre de la Justice confirme qu'un projet de loi soumis au Parlement est conforme à la Charte. Il ne s'agit pas, à strictement parler, évidemment, d'une assurance que la Loi sur les Indiens ne comprend pas à l'heure actuelle d'autres dispositions qui pourraient poser un problème.

Ceci étant dit, nous ne sommes pas au courant, pour le moment, de toute autre disposition qui, à ce que nous sachions, est contraire à la Charte.

Le sénateur Patterson : Toutefois, le projet de loi comporte des limites en ce qui a trait à l'âge, à l'année 1985 et à la paternité. Ne s'agit-il pas là d'enjeux en vertu de la Charte?

M. Reiher : Il peut y avoir un traitement différentiel pour différentes personnes, sans que cela soit contraire à la Charte, pour diverses raisons. Nous sommes évidemment conscients du problème difficile du parent inconnu, habituellement le père. Il s'agit d'une question extrêmement complexe, qui sera examinée à l'étape deux et qui ne peut pas facilement être réglée au moyen d'amendements de la nature de ceux que nous examinons dans ce projet de loi.

La présidente : Merci. Le temps est écoulé pour notre premier groupe de témoins. J'aimerais remercier les représentants d'Affaires autochtones et du Nord Canada pour leur comparution ce matin, ainsi que les sénateurs, pour toutes leurs questions.

Dans notre deuxième groupe de témoins, aujourd'hui, nous accueillons les demandeurs de l'affaire Descheneaux, ainsi que leur avocat. Bienvenue. Sont présents ici aujourd'hui, Stéphane Descheneaux, demandeur dans Descheneaux c. Canada (Procureur général). Nous avons aussi Tammy Yantha, demanderesse dans Descheneaux c. Canada (Procureur général) et David Schulze, procureur des demandeurs et intervenants, le conseil des Abénakis d'Odanak.

Mesdames et messieurs, vous avez la parole. Veuillez soumettre votre présentation, puis les sénateurs poseront leurs questions.

David Schulze, procureur des demandeurs et intervenants, le conseil des Abénakis d'Odanak et le conseil des Abénakis de Wôlinak : Descheneaux c. Canada (Procureur Général), Dionne Schulze : Bonjour madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs. Je m'appelle David Schulze et je vais laisser la parole aux autres témoins, mais j'aimerais mentionner qu'au bout de la table, se trouve Julia Yantha, qui est la petite-fille de Susan et la fille de Tammy.

Stéphane Descheneaux, demandeur : Descheneaux c. Canada (Procureur général), les Abénakis d'Odanak, à titre personnel : C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui avec vous. Je suis désolé de mon anglais, qui laisse peut- être à désirer. C'est l'anglais de la rue.

Le sénateur Watt : Soyez à l'aise.

M. Descheneaux : Je le suis, je le serai.

La présidente : Nous avons des services d'interprétation, si vous préférez prendre la parole en français.

M. Descheneaux : Je crois que vous sentirez davantage l'émotion en anglais. C'est important.

Tout d'abord, lorsque nous avons obtenu la décision, nous étions assez satisfaits du travail de la juge et de notre avocat. Il nous a fallu, à mes amis et à moi, cinq semaines pour expliquer la situation. Après cela, une décision a été rendue, et nous avons appris qu'il y avait un appel, et que c'était la chose à faire, compte tenu des élections qui devaient se tenir et de tout ce qui vient avec et que nous ne pouvons pas contrôler.

Après cela, si j'ai bien compris, des consultations devaient avoir lieu. Nous pensions être consultés, ou à tout le moins recevoir un appel, pour nous parler du projet et de tout le reste. Nous avons attendu, attendu et attendu. Enfin, j'ai reçu un appel et un courriel la semaine dernière, pour nous demander de nous présenter ici. Je me suis donc dit : « Enfin, ils vont nous parler de quelque chose. Nous allons regarder cela ensemble, puis nous pourrons aller rencontrer les autres bandes, les autres nations et les autres personnes qui sont concernées par la décision rendue dans mon affaire ».

Je me suis donc retrouvé ici hier, avec David, mon chef, et on nous a remis une belle boîte emballée, mais nous ne savions pas ce qu'il y avait à l'intérieur. Nous avons découvert qu'il s'agissait du projet de loi, à peu près définitif, mais on ne nous avait jamais consultés ni demandé de participer, ce qui nous a attristés. Nous étions déçus parce que nous ne pensions pas que cela allait se passer de cette façon. Je crois que Tammy peut dire la même chose. Nous étions de cet avis parce qu'il s'agissait de notre affaire et que nous pensions devoir être consultés. La juge a dit : « Je rends une décision pour ces trois cas, mais je donne aux législateurs la latitude nécessaire pour qu'ils s'assurent que personne n'est laissé de côté ».

Je suis la personne toute désignée pour parler des années 1950 à aujourd'hui. Ma grand-mère... vous savez ce que l'amour fait faire... est tombée amoureuse d'un non-Indien et a perdu ses droits, en plus d'être évincée de la réserve, parce que c'est comme cela que les choses se faisaient à cette époque.

Dans les années 1980, elle a voulu récupérer son statut. Elle est revenue dans la réserve, mais comme elle souffrait de la maladie d'Alzheimer, elle ne savait pas où elle se trouvait. Cela nous a permis de découvrir que nous avions de la famille là-bas, ce que nous ne savions pas parce que les liens avaient été rompus. Nous n'étions pas au courant de cela. Par la suite, ma mère, dans les années 1980, a pu regagner son statut. Elle est donc revenue vivre dans la réserve. Puis, en 2000, nous avons récupéré notre statut, mais nous ne sommes pas retournés dans la réserve, parce que nous ne parlions pas la langue et que nous ne pouvions pas transmettre notre héritage à nos enfants. Puis, j'ai gagné ma cause aussi, pour m'assurer que mes filles n'auraient pas à chercher toute leur vie qui elles étaient et d'où elles venaient.

Le deuxième jour, nous avons commencé à examiner cela avec David, le conseil et les chefs. Nous avons découvert qu'il existait d'autres cas dont nous pourrions parler avec le gouvernement, en vue de les résoudre et de nous assurer de ne pas refaire les mêmes erreurs. Nous avons un cas. Si nous traçons simplement une ligne, cela nous indique la marche à suivre. Vous allez juger cela et vous allez rendre une décision, sans tenir compte des zones grises, en suivant simplement la ligne tracée. La dernière fois, nous avions souhaité, pour ce qui est de mon cas, de pouvoir être en mesure d'aller dans les zones grises entourant cette ligne, mais cela ne s'est pas produit. Pire encore, on ne nous a jamais informés ni demandé de participer, ou à tout le moins, d'agiter un drapeau et de dire qu'il existe d'autres cas qui devraient être pris en compte et débattus.

C'est comme cela que je me sentais lorsque je suis venu ici hier, et c'est pourquoi il est important pour moi de vous en faire part. L'impression que nous avons, c'est que des choses ont été laissées de côté.

Tammy vous adressera quelques mots, puis David vous fera une présentation.

Tammy Yantha, demanderesse : Descheneaux c. Canada (Procureur général), les Abénakis d'Odanak, à titre personnel : Je suis désolée, mais je ne suis pas beaucoup préparée pour prendre la parole aujourd'hui. On m'a dit à la dernière minute que je devrais parler. Ma mère ne pouvait pas être ici aujourd'hui, mais c'est elle qui a tout fait.

J'étais jeune. J'ai un frère beaucoup plus jeune que moi. Il avait quatre ou cinq ans, je crois, alors que j'étais déjà une adolescente. Ma mère a fait l'objet d'une décision discriminatoire, les enfants de son frère pouvant avoir le statut d'Indien, mais pas les siens. Parce que ma mère était une femme, ses enfants ne pouvaient pas avoir le statut.

Je veux juste préciser que je ne souhaite pas obtenir le statut d'Indien pour les avantages que cela me procurerait. J'ai tout ce qu'il me faut. Je suis allée à l'école. J'ai un emploi à temps plein. Pour moi, ce n'est qu'une question d'inclusion et de participation. J'ai 44 ans maintenant, et pendant toutes ces années, cela m'a manqué de ne pas pouvoir participer. Ce n'est pas tant la bande qui ne m'accepte pas; c'est plutôt le gouvernement qui ne m'accepte pas comme je suis et qui ne reconnaît pas mes origines. Ma fille est maintenant âgée de 11 ans, et nous avons la possibilité de lui permettre d'apprendre et de grandir. Elle pourrait aussi avoir accès aux programmes spéciaux offerts par le système scolaire en Ontario en faisant valoir qu'elle est une Autochtone.

La présidente : Merci.

M. Schulze : Merci de nous avoir invités. Nous avons envoyé une présentation et j'aimerais, si les sénateurs le permettent, que nous la regardions ensemble. Je ferai le plus rapidement possible. Comme je l'ai dit aux députés de l'autre chambre, hier, j'ai passé cinq semaines en Cour pour cette affaire avec, je crois, une juge très brillante, pour qui cela a quand même représenté beaucoup de travail. Je vais maintenant tenter de résumer cela en quelques minutes. Je crois qu'il est important de mettre la chose en contexte. J'entends mes collègues du ministère des Affaires indiennes dire combien cela est complexe. C'est effectivement le cas, mais je crois qu'il vaut mieux expliquer la situation.

Donc, pour que vous compreniez bien, l'ensemble de la documentation que nous vous avons fournie repose sur ces deux phrases du jugement de madame la juge Masse, qui figure sur la première diapositive :

[234] Le présent jugement vise à disposer du recours exercé par les demandeurs.

[235] Il n'exempte pas pour autant le législateur de prendre les mesures appropriées afin d'identifier et de régler toutes les autres situations discriminatoires pouvant découler de la problématique identifiée, fondées sur le sexe ou sur d'autres motifs prohibés, et ce, en conformité avec son obligation constitutionnelle de s'assurer que les lois respectent les droits consacrés à la Charte canadienne.

Pour ce qui est de la diapositive suivante, vous avez peut-être beaucoup entendu parler des paragraphes 6(1) et 6(2). Pour les gens de l'extérieur, cela semble très étrange, mais il s'agit de la base. Il y a deux points importants à comprendre. Je m'excuse, parce que je me rends compte que certains des sénateurs ont probablement une expérience de première main de cela et n'ont pas besoin d'explications, mais pour les autres, cela est plus difficile.

Toutes les personnes qui figuraient dans le registre des Indiens en 1985, au moment où la Charte est entrée en vigueur, sont visées par le paragraphe 6(1). C'est la première chose que vous devez comprendre. La deuxième chose que vous devez comprendre est que quiconque a un statut en vertu du paragraphe 6(1) pourra transmettre ce statut à son enfant. Même si cette personne a un enfant avec un non-Indien, cet enfant aura au moins un statut sous 6(2). Vous comprenez donc que plus vous avez d'ancêtres visés par le paragraphe 6(1), plus vous êtes susceptible d'avoir le statut d'Indien, tout comme vos enfants.

À la diapositive suivante, vous pouvez voir ce que le gouvernement du Canada a appelé « l'inadmissibilité de la seconde génération »; après deux générations de mariages avec des non-Indiens, vous perdez votre statut. Le problème avec cette analyse, comme la Cour l'a reconnu clairement dans l'affaire McIvor, est que quiconque avait le statut d'Indien avant 1985 est inclus. Cela signifie particulièrement que les femmes non indiennes qui ont obtenu leur statut grâce à leur mari sont incluses. Nous y reviendrons. On appelle cela la règle de l'inadmissibilité de la seconde génération. Il existe des documents du Cabinet qui remontent aux années 1980 dans lesquels on appelle cela un « degré de sang indien », parce que c'est bien ce qui se produit lorsqu'on prétend que les femmes qui épousent un Indien sont aussi considérées comme Indiennes.

Vous verrez dans les trois prochaines diapositives qu'il est impossible d'obtenir le statut d'Indien selon les nouvelles règles, en laissant de côté les complications d'avant 1985, à moins d'avoir au moins deux grands-parents qui ont le statut d'Indien. C'est ainsi que cela fonctionne. La première diapositive montre l'exigence de deux grands-parents avec le statut. Si vous avez deux grands-parents visés par le paragraphe 6(1), vous serez considéré comme étant vous-même visé par ce paragraphe. Si vous avez deux grands-parents avec le statut, même si c'est en vertu du paragraphe 6(2), qui se marient ensemble, vous serez visés par le paragraphe 6(2), mais vous verrez à la troisième diapositive que cela est parfois insuffisant. Si la répartition n'est pas appropriée, il pourrait arriver que vous ayez deux grands-parents ayant le statut, sans que vous l'ayez vous-même. C'est pourquoi je disais que si vous souhaitez obtenir le statut, il est préférable que vous ayez le plus grand nombre possible de grands-parents visés par le paragraphe 6(1). Cela augmente énormément vos chances.

À la diapositive suivante, nous expliquons comment Tammy s'est retrouvée sans statut, même si ses cousins l'ont. Cela a à voir avec des règles très particulières concernant la façon dont le statut était accordé avant 1985 aux enfants d'un homme indien et d'une femme non indienne nés hors mariage. Bref, les garçons ont obtenu le statut avant 1985, mais pas les filles. Cela signifie qu'après 1985, les garçons ont été considérés comme étant visés par le paragraphe 6(1), parce qu'ils figuraient déjà dans la liste, mais pour les filles, on s'est posé la question suivante : « Combien avez-vous de parents avec le statut? Oh, vous n'avez qu'un père visé par le paragraphe 6(1) et une mère sans statut; vous êtes donc visé par le paragraphe 6(2) ». C'est cela qui a créé cette situation absurde.

J'y reviendrai, mais je veux souligner quelque chose : en 1988, trois ans après l'adoption du projet de loi C-31, un comité parlementaire mixte a soumis un rapport dans lequel il était dit qu'il était aberrant de traiter différemment les frères et les sœurs, que cela ne pouvait et ne devait pas être autorisé, et que la situation devrait être corrigée. On était en 1988. Nous sommes maintenant en 2016, à parler encore de cela, après cinq semaines passées en Cour. Tammy a été présente un jour et Stéphane, pendant quelques jours.

La diapositive suivante, concernant l'arrêt McIvor, vise à montrer comment nous sommes arrivés à l'affaire Stéphane Descheneaux. Étant donné que les femmes qui ont épousé des Indiens ont obtenu leur statut en vertu du paragraphe 6(1) en 1985, ce qui est arrivé par la suite est ce que nous appelons la règle des cousins. La façon la plus simple d'illustrer cela consiste à prendre l'ancien chef d'Odanak et sa sœur, qui siégeait tous les deux au conseil lorsque j'ai commencé à m'occuper de ces questions. Claire et Gilles O'Bomsawin, qui sont frère et sœur, ont tous les deux marié des non-Indiens dans les années 1960. La femme de Gilles a obtenu son statut, tandis que Claire a perdu le sien, selon la règle du mariage avec un non-Indien d'avant 1985.

Puis arrivent la Charte et le projet de loi C-31, grâce auxquels Claire regagne son statut. Toutefois pour ce qui est de ses enfants, étant donné qu'ils n'ont qu'un parent indien, ils sont visés par le paragraphe 6(2). Pour ce qui est de Gilles, dont les deux parents sont indiens et visés par le paragraphe 6(1), ses enfants sont aussi visés par le paragraphe 6(1). Les enfants de Claire sont visés par le paragraphe 6(2), et ceux de Gilles, par le paragraphe 6(1). Les membres de la génération suivante épousent aussi des non-Indiens. Les petits-enfants de Gilles ont le statut d'Indien, mais pas ceux de Claire. Il s'agit de la règle des cousins. C'est cela que Sharon McIvor a remis en question, et c'est cela que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a déclaré contraire à la Charte.

Puis, des représentants des Affaires indiennes se sont présentés devant vos prédécesseurs, devant le Parlement, en disant qu'ils allaient régler cela. Pour ce faire, en prenant mon exemple de Claire O'Bomsawin, ils ont décidé que ses enfants seraient visés par le paragraphe 6(1), faisant en sorte que ses petits-enfants obtiennent le statut sous 6(2). Selon eux, cela devait tout régler.

Le problème, toutefois, c'est qu'ils ont laissé quelque chose de côté. Si vous regardez le comparateur et le cas du petit-cousin de Stéphane Descheneaux, dont le grand-père aurait marié une non-Indienne, s'il était arrivé que non seulement ses enfants, mais aussi ses petits-enfants, s'étaient mariés et avaient fondé d'autres familles avant 1985, ses petits-enfants n'auraient pas été visés par le paragraphe 6(2), mais plutôt par le paragraphe 6(1).

La raison pour laquelle le projet de loi C-3 n'a pas tenu compte de cela vient de ce que les Affaires indiennes ont tout à fait délibérément adapté le projet de loi à la situation particulière de la famille de Sharon McIvor, et il se trouve que son fils, Jacob Grismer, s'est marié après 1985. Les personnes qui se sont mariées avant 1985 ont donc été laissées de côté.

Cela a eu pour effet que quelqu'un comme Stéphane Descheneaux a un statut sous 6(2), alors que les petits-enfants de son grand-oncle ont un statut sous 6(1). Tout tourne autour de cela. J'ai résumé les cinq semaines en trois minutes, mais je peux vous dire que nous avons discuté du caractère discriminatoire de cela pendant cinq semaines.

Maintenant, enfin, et je leur accorde tout le crédit pour cela, les responsables d'Affaires indiennes et du Nord Canada régleront ce problème. Il semble que cela résoudra le problème de discrimination fondée sur le sexe qui découle des règles sur le statut.

Il convient de se rappeler que l'ensemble du litige concernait la façon de faire la transition d'une situation de discrimination avant 1985 à un système non discriminatoire postérieur à 1985. Il ne s'agit pas de déterminer si le système actuel est discriminatoire, mais plutôt de la façon de traiter les gens pendant la transition.

Si vous revenez au comparateur, cela est devenu crucial dans l'affaire McIvor. Il y avait une règle très bizarre qui remontait à 1951, appelée la « règle des deux mères ». Cette règle a toujours été obscure pour moi. Le terme français pour cette règle, mère-grand-mère, est plus facile à comprendre.

J'ai fonctionné de cette façon. Pour tous les enfants nés après le 4 septembre 1951, si leur mère avait acquis son statut en se mariant et leur grand-mère n'était pas née indienne, ces enfants devaient perdre leur statut à l'âge de 21 ans. Pouf, disparu : cet enfant n'est plus un Indien. Si vous faites le calcul, vous vous rendrez compte que la règle n'a pas eu d'effet avant 1972. Les Affaires indiennes ont commencé à exempter les bandes de cette règle dans les années 1970, et en 1985, elle a été abolie grâce au projet de loi C-31.

Toutefois, et c'est sur cela que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a mis l'accent dans l'affaire McIvor : l'abolition de la règle signifiait que la lignée paternelle était en meilleure situation après 1985 qu'auparavant, parce que de 1951 à 1985, le fait de marier un non-Indien pendant deux générations d'affilée signifiait que les petits-enfants perdaient leur statut, mais qu'après 1985, ils le conservaient.

Soit dit en passant, si vous examinez tous les projets de loi, vous verrez qu'on se reporte toujours au 4 septembre 1951. Vous vous demandez peut-être ce qu'il y a d'exceptionnel au sujet de 1951. C'est à ce moment-là que la règle des deux mères a commencé à s'appliquer. C'est pourquoi nous ne sommes pas remontés aux familles qui n'avaient pas eu d'enfants avant septembre 1951.

Je vous ai donné un cours accéléré sur le statut. Je devrais peut-être m'interrompre maintenant et demander s'il y a des questions.

La présidente : Nous avons commencé à dresser une liste, et nous commencerons avec notre critique, le sénateur Patterson.

Le sénateur Patterson : J'ai fait un discours au Sénat concernant le projet de loi en deuxième lecture. J'ai démontré que les Inuits avaient trouvé une meilleure solution à ce problème. Cela tient essentiellement au fait que si un parent a le statut, l'enfant en bénéficie.

Vous avez de toute évidence fait la démonstration, et je suis reconnaissant de l'explication simple que vous nous avez donnée, et sur laquelle je me pencherai à nouveau.

Avez-vous eu l'occasion d'examiner la situation des Inuits et de la comparer avec celle terriblement complexe et inéquitable que vous avez décrite? Je suis curieux de savoir si vous avez eu la possibilité de comparer les deux Premières Nations du Canada quant à la façon dont elles traitent leurs membres.

M. Schulze : Je suis un peu familier avec l'entente complémentaire de la Convention de la Baie James et du Nord québécois concernant les bénéficiaires inuits, et je sais que dans ce domaine, les gouvernements étaient déterminés à laisser les Inuits décider pour eux-mêmes.

Je ne peux pas expliquer pourquoi le traitement est aussi différent, mais cela me permettra de mentionner un point que les sénateurs doivent comprendre, selon moi. Vous entendrez beaucoup les Affaires indiennes vous parler du fait que les bandes peuvent assumer le contrôle de leurs membres et, en fait, les bandes peuvent rendre leurs règles d'appartenance plus restrictives ou moins restrictives que les règles s'appliquant au statut.

Toutefois, je crois qu'il est très important pour ce comité de comprendre que les Affaires indiennes ne paient pas pour les personnes qui n'ont pas de statut. J'imagine que la seule réponse que je peux vous donner, sénateur Patterson, dans ma perspective de défenseur des Premières Nations, est que le statut a trait en fin de compte à la volonté du gouvernement de payer ou non.

Le sénateur Patterson : Merci de cette précision. Je crois que ce qui est ressorti du témoignage d'hier soir des demandeurs est qu'il existe quatre scénarios particuliers qui ne sont pas pris en compte dans le projet de loi, et qui ont été décrits, et peut-être que vous venez de le faire pour nous, mais pourriez-vous résumer, s'il vous plaît, quels étaient les quatre scénarios dont vous avez fait état au comité de l'autre Chambre?

Cela m'intéresse aussi parce que nous nous préoccupons des consultations relatives à ce projet de loi. Avez-vous communiqué ces préoccupations au ministère à l'étape de la consultation, par l'entremise des chefs du Québec et, le cas échéant, quelle a été leur réponse?

M. Schulze : Je vais commencer par votre deuxième question.

Il n'y a pas eu de consultations. Je ne crois pas que le ministère appelle cela même des « consultations ». Il parle parfois d'un « processus de collaboration », et parfois d'« information ».

Je peux dire, comme je l'ai mentionné à vos collègues hier, que la Cour est toujours saisie de l'affaire. En tant que procureur dans cette affaire, j'ai communiqué avec ma vis-à-vis, le printemps dernier, en lui disant que je souhaitais qu'une fois l'appel retiré, elle me tienne au courant. C'est une avocate fiable et elle m'a dit oui.

Je n'ai été informé de rien jusqu'à ce que la proposition apparaisse dans le site web en août. Puis, il y a eu une réunion avec les chefs du Québec, le 8 septembre, à laquelle j'ai participé comme observateur. J'y reviendrai, mais je n'ai eu connaissance de rien par la suite, jusqu'à ce que quelqu'un, dans un courriel qui m'était adressé, mentionne le projet de loi S-3, et je me suis demandé de quoi il s'agissait. Par la suite, ce comité a eu la gentillesse de m'inviter à venir prendre la parole et, en tant qu'avocat de la défense, ce sont là tous les contacts que j'ai eus.

Je peux vous dire, au sujet des Abénakis, parce que les deux communautés agissaient comme intervenants dans l'affaire, qu'il n'y a eu qu'une réunion régionale avec les chefs du Québec, le 8 septembre. Dans le cadre de cette réunion, le chef Rick O'Bomsawin, qui est ici dans l'auditoire aujourd'hui, a énoncé clairement un certain nombre de points devant certaines des mêmes personnes qui faisaient partie du premier groupe de témoins. Il a notamment demandé pourquoi on continuait de parler de cette échéance, et ce qui empêchait de demander un report. Dans le cadre de cette réunion, si j'ai bien compris les représentants, ils ont dit qu'ils étaient prêts à examiner cela, mais bizarrement, ils ont mentionné vouloir le faire si le chef O'Bomsawin le demandait, ce dernier ayant dû alors leur expliquer que c'est eux qui avaient perdu en Cour, et qu'ils devraient donc en faire la demande.

Il leur a aussi mentionné particulièrement que, dans son jugement, la juge Masse avait non seulement demandé de supprimer la discrimination fondée sur le sexe, mais aussi toutes les autres situations discriminatoires fondées sur d'autres motifs prohibés. Ils ont tous étudié le jugement et ont convenu que c'était le cas.

Mes clients m'informent que le ministère ne leur a pas redonné de nouvelles avant vendredi dernier, au cours d'une conférence téléphonique où on leur a annoncé ces audiences. Le chef O'Bomsawin me dit qu'il a posé une question précise au sujet de la possibilité d'une prolongation, et qu'on lui a répondu qu'on n'en demanderait pas. Il y avait d'autres enjeux, a-t-il dit, qui l'amèneraient devant les tribunaux s'ils n'étaient pas réglés, ce à quoi on lui a répondu que c'était sa prérogative. Nous avons pensé que cela voulait dire « allez-y donc ».

La première partie de votre question concernait les quatre scénarios. C'est le reste de la documentation que vous avez sous les yeux, et je serais heureux d'en parler plus en détail, mais nous en avons deux où des frères et des sœurs peuvent se retrouver avec un statut différent; et deux autres où des cousins germains de même ascendance peuvent se retrouver avec un statut différent. Cela dépend, encore une fois, du fonctionnement des transitions entre les règles.

Vous avez entendu l'avocat du ministère de la Justice dire, en réponse à votre question, sauf erreur, que le ministère ne connaît pas d'autre violation de la Charte. Eh bien, il faut croire que le ministère n'a pas encore été débouté dans d'autres causes.

Permettez-moi de rappeler brièvement les quatre autres scénarios au comité.

La présidente : Si vous pouviez faire vite, cela serait apprécié.

M. Schulze : Dans le premier scénario, avant 1985, une Indienne perdait son statut par mariage; la loi prévoyait effectivement qu'elle était émancipée par l'effet du mariage. Elle pouvait aussi renoncer — certaines personnes dans les communautés appellent cela « vendre ses droits ». Elle pouvait demander l'émancipation. Elle pouvait être émancipée par décision de son père. De fait, un homme pouvait dire : « Je m'émancipe, avec ma femme et mes enfants mineurs ».

Dans le premier graphique, nous avons un cas comme cela dans la réserve d'Odanak, où une femme a été émancipée à 19 ou 20 ans par décision de son père. Plus tard, elle a épousé un non-Indien. Après le projet de loi C-3 et les modifications McIvor, Mme McIvor a voulu faire inscrire ses petits-enfants. C'est là qu'on lui a dit : « Non, parce que vous n'avez pas effectivement perdu votre statut en épousant ce non-Indien à 21 ou 22 ans, ou à peu près. Vous avez perdu votre statut lorsque votre père vous a émancipée à 19 ou 20 ans ». Ses petits-enfants n'étaient pas touchés par le projet de loi C-3 et ne le seront pas par celui-ci. J'ai un client dans cette situation qui est inscrit en vertu du paragraphe 6(2), mais ses cousins du côté des sœurs de sa mère — et il y en a beaucoup — sont tous des 6(1) par l'effet de McIvor ou parce qu'ils l'étaient déjà. Tel est le premier scénario; dans mon esprit, la seule distinction aujourd'hui entre ces grands-mères est qu'elles étaient mariées ou non mariées lorsqu'elles ont perdu leur statut.

Le prochain scénario est un peu plus complexe. Songez à cet Indien qui a émancipé sa femme et ses enfants avant 1985; on m'a parlé d'une famille comme celle-là à Wôlinak. Il se trouve que sa femme a eu son statut en se mariant. Elle a acquis son statut par mariage. Tout le monde perd son statut; d'autres enfants arrivent. En 1985, le projet de loi C-31 redonne leur statut au père et aux enfants. L'homme compte ses enfants d'avant 1985 et d'avant l'émancipation comme des Indiens pour lesquels l'émancipation est abrogée, par l'effet du projet de loi C-31. Dans le cas des enfants nés plus tard, il est question d'un seul parent indien, car la mère n'était pas indienne, de sorte qu'ils sont 6(2), c'est-à-dire qu'ils ont le droit de s'inscrire, ce qui donne lieu à cette absurdité qui fait que les plus vieux des enfants des mêmes parents sont des 6(1) et les plus jeunes des 6(2).

Le troisième scénario concerne la paternité non déclarée. Avant 1985, le statut d'Indien était déterminé par la lignée masculine, sauf une exception. Cette exception était le cas de l'Indienne qui n'avait pas déclaré le père. Avant 1985, le père était tenu pour indien, sauf preuve contraire. Après 1985, cette présomption a été inversée. Le père était tenu pour non indien. Il y a des femmes à Odanak qui ont fait un choix important dans les années 1960; elles ont décidé de ne pas se marier afin de protéger le statut de leurs enfants. Elles allaient à l'église avec leur conjoint non marié, leur conjoint de fait, disaient au prêtre : « Je ne sais pas qui est le père », faisaient baptiser l'enfant et rentraient chez elles avec le père, pour que l'enfant puisse être indien. Il y a au moins une mère de famille à Odanak qui a fait cela. Ses enfants d'avant 1985 sont des 6(1). Elle a une fille née juste après le projet de loi C-31, et cette fille est une 6(2). Certains des enfants des mêmes parents sont des 6(1) et d'autres des 6(2).

Le dernier scénario est celui-ci : avant 1985, l'adoption légale par des parents indiens ne comptait pas si le bébé n'était pas indien. De fait, il y a des communautés où l'adoption d'un bébé non indien était relativement courante. On m'a dit qu'il a déjà été de notoriété publique à Québec que, si on laissait un enfant non désiré au village Huron, il y serait accueilli; et c'était la même chose dans certaines réserves micmaques. S'ils n'étaient pas biologiquement indiens, parce qu'ils n'avaient pas de parents naturels indiens, ils n'obtenaient pas leur statut.

Par exemple, nous avons une famille à Odanak, dont le père et la mère sont des Abénakis nés avec le statut d'Indien. Ils ont un enfant naturel, puis ils adoptent un enfant dont ils ne peuvent démontrer que les parents étaient indiens. Avant 1985, l'enfant adopté n'a pas le statut. Après 1985, l'enfant adopté a le statut 6(1), mais il s'est marié avant 1985, de sorte que le cas de ses enfants est étudié. On vérifie combien il y a de parents indiens. Un des parents est indien, si bien que ses enfants sont des 6(2). Sa sœur, née de ses parents, s'est aussi mariée avant 1985, si bien que ses enfants sont des 6(1).

Tels sont les quatre scénarios sur lesquels nous désirons attirer votre attention pour illustrer que des cousins germains et les frères et sœurs sont traités différemment à cause des modalités de fonctionnement de la transition.

Pour répondre enfin à la question du sénateur Patterson, nous espérions que nous serions maintenant en mesure de discuter de cela avec les Affaires indiennes, mais on nous a plutôt servi ce projet de loi.

Le sénateur Patterson : Merci.

La présidente : J'ai une question supplémentaire après cette très longue explication. J'ai un mal de tête à essayer de comprendre. C'est une disposition très simple de la Loi sur les Indiens en 1956 ou à peu près qui faisait qu'une Indienne perdait son statut en épousant un non-Indien. Un point, c'est tout. Aujourd'hui, nous avons quatre pages de dispositions pour redonner à l'Indienne un statut d'égalité. Vous avez expliqué plusieurs cas où le projet de loi S-3 fait de la discrimination fondée sur le sexe.

Passons à la question des cousins. Si dans la lignée maternelle, nous avons une arrière-grand-mère ou une arrière- arrière-grand-mère indienne — je ne sais plus — nous mettons le comparateur une génération plus haut, n'y aurait-il pas quand même de la discrimination fondée sur le sexe parce que l'Indien, lui, ne perd jamais son statut, alors que si nous remontons assez loin, l'Indienne perd toujours son statut. Est-ce bien cela?

M. Schulze : Vous avez tout à fait raison, sénatrice Dyck. S'il n'en est pas question, c'est que, après le jugement McIvor, il a été décidé que la discrimination venait des avantages de l'abolition de la règle « mère-grand-mère », si bien que nous n'avons examiné que les effets en date de 1951.

La présidente : À mon avis, donc, le projet de loi n'a toujours pas établi l'équité pour les Indiennes qui ont perdu leur statut. J'ai obtenu le statut en 1985, et je ne le sais même pas au juste, mais au vu de ce projet de loi, je pense aujourd'hui que ce que j'ai toujours pensé, soit que j'étais 6(2). Je suis peut-être 6(1) ou peut-être est-ce 6(1)c) 1 ou 6(1) c)-01? Comment décortiquer ce qu'on est vraiment? C'est beaucoup trop compliqué. Y a-t-il une solution plus simple? Quelqu'un a-t-il déjà trouvé une solution plus simple?

M. Schulze : Nous sommes tous dans le même lit de ronces, en quelque sorte, aujourd'hui.

La présidente : Je crois que, lors de l'étude du projet de loi C-3, Mme Pamela Palmater a proposé une solution plus simple, mais j'ignore si quelqu'un s'est donné la peine de l'examiner à fond. Êtes-vous au courant?

M. Schulze : L'affaire McIvor date de 1987, si bien que nous nous rappelons tous depuis quand nous travaillons là- dessus. Dans cette affaire, Mme McIvor a voulu parler de la discrimination fondée sur le sexe en remontant jusqu'au début dans les années 1860, comme vous y avez fait illusion. C'est la Cour d'appel de la Colombie-Britannique qui a dit que nous n'allons pas remonter plus loin que 1951. Je pourrais expliquer pourquoi, mais cela nous éloignerait de notre propos.

C'est ce qu'a dit Pamela Palmater. Si je me rappelle bien, un amendement au projet de loi C-3 a été proposé à l'autre endroit. Le projet de loi aurait été beaucoup plus large. Le président a fini par déclarer l'amendement irrecevable parce que, a-t-il dit, l'objet du projet de loi était de traiter du jugement McIvor et que les amendements allant plus loin que cela sont irrecevables. Et cela n'est pas allé plus loin.

La présidente : Merci. J'aimerais ajouter un commentaire à ce sujet; si je comprends bien, cet amendement aurait changé radicalement le projet de loi, si bien que la bonne façon de faire aurait probablement été de rejeter le projet de loi pour en présenter un nouveau. Voilà pourquoi il a été déclaré irrecevable.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Bienvenue chez nous. Vous dites que le projet de loi S-3 ne va toujours pas assez loin pour mettre fin à l'iniquité. De mon temps, nous avons dit la même chose au gouvernement, qui nous a répondu : « C'est à prendre ou à laisser ». Obtenez votre statut, et vos enfants auront le leur, puis nous verrons les autres iniquités. C'est ce que nous faisons aujourd'hui, je suppose. Comment faire pour corriger tout cela une fois pour toutes?

M. Schulze : C'est au cœur du problème dont vous êtes saisis. C'est pour moi un honneur et un plaisir de me faire poser une question à ce sujet par la sénatrice Lovelace Nicholas.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.

M. Schulze : Les Affaires indiennes nous ont parlé de ce qui nous presse. En consultant mes notes, je remarque que c'est en 1977 que la sénatrice Lovelace Nicholas a déposé sa plainte au Comité des droits de l'homme de l'ONU; il y a donc 40 ans que nous en parlons.

Tel est le nœud du problème. L'affaire dont le tribunal a été saisi concernait trois demandeurs, Stéphane Descheneaux et Susan et Tammy Yantha. Mon analyse des modifications est qu'elles découlaient de ces situations.

Le tribunal a mis le Parlement au défi d'aller plus loin. Nous avons soulevé au moins quatre affaires de discrimination qui me semblait davantage de la discrimination fondée sur la situation de famille. J'ignore pourquoi le Parlement ne peut pas aller plus loin, si ce n'est qu'on nous a dit que nous sommes tous pressés.

Les instructions que j'ai reçues des Abénakis sont d'être relativement réalistes et conservateurs dans nos demandes et d'essayer tout au moins d'envisager certains des autres scénarios. Le message du ministère est qu'il n'est pas prêt à cela.

Je voulais ajouter que j'ai été profondément troublé d'apprendre que c'est parce que les bébés n'auront pas leur carte de statut autrement et d'entendre les Affaires indiennes dire : « Eh bien, cela fait assez longtemps qu'on attend cela ». Oui, l'attente durait depuis assez longtemps, mais pourquoi n'est-ce qu'aujourd'hui qu'il y a urgence? Personne n'était pressé lorsque nous avons introduit la cause de Stéphane Descheneaux, personne n'était pressé lorsque Sharon McIvor a présenté la sienne en 1987 et personne ne l'était non plus lorsque vous avez présenté la vôtre, sénatrice Lovelace. Aujourd'hui, nous sommes pressés; aujourd'hui, nous ne pouvons pas demander une prolongation de trois ou six mois pour discuter des points relativement précis de l'affaire. Je n'ai pas vu d'explication valable.

La présidente : J'ai une petite question supplémentaire à poser. Vous avez mentionné dans vos remarques qu'il y a eu des rapports en 1988 en réponse au projet de loi C-31. Donc, le gouvernement étudie la question au moins depuis 1988. Cela fait 38 ans. Lorsque nous avons adopté le projet de loi C-3, le rapport recommandait aussi que le gouvernement poursuive l'étude, étant donné qu'il restait de la discrimination fondée sur le sexe.

Donc, le gouvernement sait ce qu'il en est et sait qu'il y a eu d'autres études exploratoires. Pourquoi pensez-vous alors que le gouvernement est pressé?

M. Schulze : Nous avons du mal à croire que le gouvernement est pressé.

Sur le point précis que vous avez soulevé, au moment du projet de loi C-3 en 2010 — les modifications McIvor — les Affaires indiennes ne cessaient de répéter qu'il y aurait un processus exploratoire. Nous avons même demandé à son témoin au procès Descheneaux ce qu'il en était du processus exploratoire. Le témoin n'en avait aucune idée et a répondu quelque chose comme : « C'est sorti du dossier. Je l'ignore ».

C'est à la réunion de septembre avec les chefs du Québec que j'ai appris qu'il y avait eu un rapport sur ce processus exploratoire. Ce rapport est sorti cet été; cela aura donc pris de 2010 à 2016.

Un des problèmes est que les Affaires indiennes nous disent qu'il y aura une deuxième étape. La dernière fois où il y a eu une deuxième étape, et il a fallu six ans, et il n'en est sorti qu'un rapport. À peu près rien ne nous permet d'espérer que les autres questions seront traitées rapidement, malheureusement.

La sénatrice Lankin : Le temps que les gouvernements — pluriel — ont mis pour discuter de ces questions est intenable, injustifiable. Malheureusement, nous sommes tous dans un lit de ronces, comme vous dites. Nous sommes là où nous sommes. Nous avons parfaitement le droit d'être en colère et de dénoncer l'inaction passée. La question dont nous serons saisis avec ce projet de loi est la suivante : comment avancer maintenant?

Lorsque j'ai accepté de parrainer ce projet de loi, j'ai commencé à recevoir des courriels, des lettres et des appels téléphoniques de partout, et principalement des communautés autochtones — pas exclusivement, mais principalement — de tous les coins du Canada. Il y avait des opinions très divergentes sur la façon de traiter le projet de loi, pas tellement sur le fond que sur le processus.

Nous sommes saisis de ce fragile équilibre dont le ministère nous a parlé au sujet de la décision judiciaire. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus. Je ne suis pas convaincue que nous obtiendrions une prolongation de trois ou six mois; mais, si nous l'avions, elle me permettrait de procéder à des consultations sérieuses sur ces autres enjeux.

Je ne suis pas avocate. J'ai le sentiment que les autres enjeux soulevés concernent la Charte et qu'il faut en traiter. J'ai aussi la profonde conviction que dans les relations de nation à nation et dans le sens des directives de la Cour suprême, la consultation entre le Canada et les communautés autochtones est très importante. En cherchant à équilibrer tout cela, j'ai été amenée à croire — et j'apprécierais vraiment vos commentaires là-dessus — que nous ferions mieux de régler ces choses-là et d'engager des consultations sérieuses — plutôt qu'un processus exploratoire, comme celui où les Autochtones, entre eux, ont formulé des recommandations, que le gouvernement a ensuite étudiées pour Dieu seul sait combien d'années... Je parle de consultations menées par un gouvernement qui a réaffirmé son engagement d'établir des relations de gouvernement à gouvernement, de nation à nation.

La situation où se trouvent les personnes me met en colère. Je suis en colère au sujet des milliers de personnes qui attendent la nouvelle loi. Je remercie les parties au litige pour le travail de leadership qu'elles ont fait pour provoquer ce changement. Malheureusement, c'est une approche de goutte-à-goutte, et chaque fois ou presque que nous trouvons une solution, nous créons d'autres problèmes.

Nous sommes dans le même lit de ronces. Quelle est l'autre solution pour aller de l'avant? Six mois, ce n'est pas assez pour nous permettre de mener la consultation que réclament de nombreux membres des communautés autochtones. Des milliers de personnes autres que les parties au litige attendent la mise en œuvre des résultats maintenant que les parties au litige ont eu gain de cause au terme d'un dur combat.

M. Schulze : Les craintes que vous avez soulevées sont très importantes. J'ai un certain scepticisme au sujet de ce qu'a dit le bureau du registraire. Selon ce que j'ai appris, la pratique actuelle du registraire est de rejeter les demandes de ceux qui sont dans la situation de M. Descheneaux. J'ai donc beaucoup de mal à croire que le registraire est motivé par un vif désir de faire justice à ces personnes. Autrement, il m'a semblé qu'il mettrait ces demandes de côté et pour les traiter rapidement. Et j'ai vu des cas qui passent littéralement des années chez le registraire.

Vous comprendrez que, pour avoir eu des cas où la décision du registraire s'est fait attendre six ans, j'ai du mal à croire que le registraire se soucie vraiment des trois mois où il ne pourrait pas accorder le statut aux gens. Cela ne m'est pas apparu être la première préoccupation de ce bureau dans le travail que j'ai fait.

Il y a une distinction à faire entre deux types d'enjeux ici. La deuxième étape que les Affaires indiennes ont proposée est une liste très impressionnante, mais qui est très longue et complexe. Personne ne prétend que cela pourrait se faire en trois à six mois. Oui, certains problèmes nécessitent des consultations de nation à nation.

Nous avons voulu simplifier les choses. Y a-t-il d'autres endroits où les règles sur le statut vont à l'encontre de la Charte? Certains de mes clients aiment cela et d'autres pas, mais il reste que, si ce n'est pas conforme à la Charte, il n'y a plus beaucoup de consultations à faire parce que le devoir du Parlement est de se conformer à la Charte.

Voici ce dont nous parlons et ce que mes clients voudraient soulever : Pouvez-vous au moins prendre le temps d'étudier les enjeux liés à la Charte? Si c'était la motivation du ministère, j'aurais du mal à croire que la cour rejetterait une requête en ce sens de la part du procureur général. Cela répond-il à votre question?

La sénatrice Lankin : Je pense que oui. Je suis tout à fait d'accord avec vous. La responsabilité du Parlement, la responsabilité de notre Chambre, est de veiller à ce que les projets de loi respectent la Charte. On peut affirmer que ce projet de loi respecte la Charte et vous êtes d'accord. C'est la chose à faire. Il y a d'autres enjeux toujours en suspens dans le projet de loi dont nous nous demandons s'il est conforme à la Charte, et il faudrait s'y pencher.

Si vous avez raison et si le ministère de la Justice réussissait à obtenir une prolongation, ma crainte au sujet de la possibilité d'y arriver en trois à six mois est le risque de compromettre le type de discussion qu'il faudrait avoir à ce sujet. Peu importe que cela soit considéré en définitive comme un enjeu lié à la Charte, cela se réglera d'une façon ou d'une autre. Aller vite, ce n'est pas respecter le genre d'engagements que le Canada a pris envers les peuples autochtones quant à la façon dont nous modifierons les lois concernant leurs droits très fondamentaux.

Je me demande presque, à l'étape deux, s'il faut s'attacher plus directement aux problèmes de Charte qu'à certaines questions à plus long terme comme le rôle que le Canada doit continuer de jouer dans l'inscription et la maîtrise qu'il doit avoir du processus. Ce sera une longue discussion qui soulèvera bien des points de vue différents dans les communautés. Je me demande presque s'il y a une approche à l'étape deux qui nous amène à nous attacher aux questions de conformité avec la Charte, mais je m'en voudrais beaucoup de rater l'occasion de légiférer dans les affaires Descheneaux et Yantha et en ce qui concerne les milliers de personnes qui seront touchées.

M. Schulze : Je ne saurais en disconvenir. Je mentionnerai quand même que nous sommes tout près de la ligne d'arrivée en raison des choix que le ministère a faits. Les propositions sont arrivées un an après le jugement. Il n'y a pas eu de discussion sérieuse. La réunion à laquelle j'ai assisté comme observateur en septembre était un exposé de ce que le ministère fera. Le message que je crois que mes clients ont reçu vendredi est que c'est ce qu'ils feront. La date limite du 3 février approche et nous les entendons dire : « Oh mon Dieu, nous avons les mains liées; la date limite est toute proche ». Qui a créé cette situation, et qui en tire profit?

La présidente : Une question supplémentaire, qui se rattache à celle de la sénatrice Lankin au sujet de la consultation de nation à nation : il m'apparaît important de procéder à une consultation de nation à nation, surtout lorsque nous empiétons sur les droits autochtones et les droits issus de traités. Mais, dans ce cas, nous accordons effectivement des droits à des femmes autochtones qui les ont perdus, et je ne sais pas trop si la consultation s'appliquerait nécessairement complètement dans ce cas. Comment interpréteriez-vous le besoin de consultation?

M. Schulze : Je veux être juste pour les deux camps. Mes clients, les Abénakis, ont adopté une large perspective de ce que devraient être la qualité de membre et le statut. C'est en partie parce que les réalités auxquelles ils sont confrontés étaient que, selon l'analyse démographique, dans 100 ans ils pourraient ne plus avoir de membres avec statut.

D'autres communautés ont un point de vue très étroit et restrictif. Ces communautés diraient : « Eh bien, oui, c'est une question qui appelle une consultation parce que, lorsque les Affaires indiennes décident effectivement qui est sur notre liste de membres, elles se trouvent à décider qui tire les avantages de notre traité, et les avantages de notre traité comprennent nos réserves et nos autres droits. »

À mon sens, cet argument n'est pas dénué de fondement. Le problème est qu'un type de droit ne prime pas sur un autre. Il faut concilier le droit à l'égalité et l'exercice des droits autochtones. Il ne faut pas en mettre un en veilleuse pendant le débat sur l'autre.

La sénatrice Raine : La situation est très complexe. Je ne peux m'empêcher de revenir aux commentaires formulés par le sénateur Patterson au sujet des traités du Nunavut et de la baie James, ainsi que d'autres traités, où la règle du parent unique a été acceptée. A-t-on envisagé d'appliquer la règle du parent unique pour remplacer la situation complexe que nous avons aujourd'hui? Comment cette règle simplifierait-elle la situation des Abénakis en ce qui a trait à la perspective de ne plus avoir de membres avec statut dans 100 ans?

M. Schulze : Elle pourrait aider, mais elle est le contraire du modèle d'aujourd'hui. Le modèle est, essentiellement, comme j'espère vous avoir aidé à comprendre, une exigence minimale de deux grands-parents. Nous n'avons rien changé à cela en aval. Toutes les modifications, celles que vous étudiez maintenant et le projet de loi C-3, sont en amont. Nous allons remonter en amont, plus loin dans l'arbre généalogique, pour le statut de certaines personnes mais, en aval, il faudra encore un minimum de deux grands-parents avec statut.

Le procureur général du Canada nous a toujours dit que c'est la règle d'exclusion après la deuxième génération. Après deux générations d'intermariage, on est exclu et on n'a plus de statut.

Ma réponse est oui, mais c'est l'inverse de l'approche suivie depuis 1985.

La sénatrice Raine : Avez-vous le sentiment, alors, qu'AINC et le gouvernement cherchent à diminuer le nombre des personnes ayant le statut d'Autochtone et que c'est pour cela qu'il veut deux grands-parents plutôt qu'un parent unique?

M. Schulze : Sauf une exception dans l'île de Terre-Neuve, je n'ai jamais vu les Affaires indiennes témoigner beaucoup d'enthousiasme pour un accroissement du nombre d'Indiens avec statut.

La sénatrice Raine : Mais cela ne l'a pas empêché d'embaucher plus de monde pour son registre. De toute façon, j'espère tout simplement que l'on y songera. Si cela ne fonctionne pas et que cela cause tellement de complications, pourquoi ne tenterions-nous pas de simplifier la situation pour qu'elle soit facile à comprendre? Si l'un des deux parents a le statut d'Indien, pourquoi l'enfant ne l'aurait-il pas?

M. Schulze : Je soupçonne que c'est parce que cela augmenterait le nombre de personnes dont le ministère aurait la responsabilité financière.

La présidente : Merci. Notre temps est épuisé. Je tiens à remercier nos témoins d'aujourd'hui, M. Descheneaux, Tammy Yantha et l'avocat David Schulze, de leurs exposés et de leurs réponses aux questions des sénateurs.

(La séance est levée.)

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