Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 14 - Témoignages du 29 novembre 2016
OTTAWA, le mardi 29 novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loiS-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription), se réunit aujourd'hui, à à 9 h 2, pour examiner le projet de loi.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Bonjour. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs, ainsi qu'aux membres du public qui assistent à notre séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qu'ils soient ici dans la salle, ou qu'ils nous écoutent sur le Web.
Je tiens à souligner que, dans un esprit de réconciliation, nous nous réunissons sur les terres traditionnelles des peuples algonquins.
Je m'appelle Lillian Dyck, de la Saskatchewan, et j'ai l'honneur et le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
J'invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter.
Le sénateur Moore: Bonjour. Je suis Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Bovey: Patricia Bovey, du Manitoba.
La sénatrice Beyak: Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.
Le sénateur Oh: Sénateur Oh, de l'Ontario.
La sénatrice Raine: Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Tannas: Scott Tannas, de l'Alberta.
Le sénateur Patterson: Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.
La présidente: Merci, sénateurs et sénatrices.
Nous poursuivons ce matin notre étude du projet de loiS-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription).
Notre premier groupe d'experts réunit des représentants d'Affaires autochtones et du Nord Canada ainsi que du ministère de la Justice. Nous accueillons Joëlle Montminy, sous-ministre adjointe, Secteur de résolution et des affaires individuelles; Candice St-Aubin, directrice exécutive, Secteur de résolution et des affaires individuelles; Nathalie Nepton, directrice exécutive, Registraire des Indiens et gestion intégrée des programmes; et Effie Panousos, analyste principale en matière de politiques, Traités et gouvernement autochtone.
Nous recevons également Martin Reiher, avocat général du ministère de la Justice Canada.
Ces témoins ont déjà comparu devant nous, mais nous leur avons demandé de revenir répondre à des questions que les sénateurs ont posées la semaine dernière. Ces interrogations portent sur le nombre d'inscriptions, sur les antécédents, sur ce à quoi nous nous attendions, et sur ce qui s'est réellement passé. Il y a eu des questions sur la rédaction du projet de loi, de même que sur la conformité à la Charte. Je crois que la sous-ministre adjointe a aussi un bref exposé à prononcer.
[Français]
Joëlle Montminy, sous-ministre adjointe, Secteur de résolution et des affaires individuelles, Affaires autochtones et du Nord Canada: Bonjour, madame la présidente, honorables sénateurs. Je vous remercie de l'occasion de comparaître à nouveau devant ce comité pour répondre aux questions que vous pourriez avoir à la suite de la première semaine de débats sur le projet de loiS-3. Nous reconnaissons et comprenons entièrement les difficultés auxquelles le comité est confronté dans son examen des modifications proposées en vertu du projet de loiS-3. Nous sommes tous d'accord que la Loi sur les Indiens est un anachronisme et que des mesures correctives disparates apportées au statut d'Indien ne constituent pas une solution souhaitable ni durable à long terme.
[Traduction]
Vous avez, jusqu'ici, entendu un bon nombre de témoignages, et vous pouvez déjà reconnaître qu'il n'existe aucun consensus clair sur la voie à suivre. Là où l'on semble s'entendre, cependant, c'est sur le besoin de consultations significatives sur ces questions qui sont au cœur de l'identité autochtone.
Au moment d'examiner la réponse à la décision Descheneaux, le gouvernement s'est heurté à un certain nombre de questions difficiles sur la meilleure façon de procéder. Il y avait trois questions déterminantes: la première vise à déterminer s'il faut continuer ou retirer l'appel; la deuxième, s'il faut demander une prolongation auprès de la cour; et la troisième, à déterminer la portée des modifications dans le cadre du projet de loi.
Sur la question de savoir s'il faut continuer ou retirer l'appel, nous devons tenir compte du fait que le gouvernement a pris des engagements fermes dans le contexte de la réconciliation et du renouvellement de la relation de nation à nation. Le gouvernement s'est engagé à être moins litigieux relativement aux questions portant sur les Autochtones, et à consulter les peuples autochtones sur les questions qui les concernent.
Lorsqu'il a dû décider de continuer ou de retirer l'appel, le gouvernement a choisi de mettre fin à toutes les instances judiciaires pour veiller à ce que la justice soit rendue sans plus de délais pour les défendeurs, leurs familles et les autres personnes touchées directement.
Cependant, les conséquences de ne pas poursuivre l'appel signifiaient que le gouvernement serait lié par une date limite de la cour, et ne pourrait pas mener une mobilisation exhaustive avec les groupes autochtones sur les modifications proposées.
La décision était loin d'être simple, puisqu'il fallait préserver les droits des demandeurs d'obtenir justice — par opposition à interjeter appel, ne pas être contraint par les procédures judiciaires, et éventuellement aller plus loin, ce qui entraîne d'autres délais et des coûts importants pour les demandeurs.
Sur la question de savoir s'il faut demander une prolongation auprès de la cour, ce point est évidemment lié directement à l'interrogation suivante: dans ce cas, pourquoi ne pas demander une prolongation à la cour? Nous y avons sérieusement songé au départ. Nous avons soupesé les avantages d'une prolongation, qui donnerait plus de temps pour la mobilisation, mais aussi les inconvénients associés au retard de justice pour les défendeurs et d'autres parties concernées.
Deux ou trois éléments importants entrent en ligne de compte. Selon notre expérience, nous savons que les tribunaux sont peu susceptibles d'accorder des prolongations, à moins que le gouvernement puisse démontrer qu'il a tout fait pour respecter la date limite de la cour. Cela voulait dire que nous devions être prêts à élaborer et déposer un projet de loi avant même d'avoir la chance d'obtenir une prolongation de la cour. Cela ne peut pas être fait à l'avance simplement parce que nous estimons qu'il serait pratique d'avoir plus de temps.
Nous croyons également, selon les précédents, que si une prolongation était accordée, elle viserait probablement une période de trois à six mois, tout au plus. Pour vous donner un exemple récent, lorsque le gouvernement a demandé une prorogation pour la mesure législative sur l'aide médicale à mourir, il a obtenu un sursis de quatre mois.
À la lumière de ces réflexions, nous nous sommes posé une grande question: qu'est-ce qui pourrait être réalisé avec une prolongation aussi courte, qui serait accordée après que le Parlement soit saisi du projet de loi? Au mieux, cela permettrait une ronde de plus de séances avec les groupes autochtones sur les modifications proposées. Mais évidemment, ce serait nettement insuffisant pour aborder toutes les questions connexes plus générales.
II est important de se rappeler que si vous acceptez une telle prolongation de trois à six mois, puis que vous tenez compte de la session parlementaire, vous n'aurez pas plus de quatre mois. En effet, nous devrons revenir vous présenter le projet de loi, et il faut prévoir le temps nécessaire pour que les parlementaires en fassent l'étude. On parle donc d'une prolongation maximale de quatre mois.
Voilà qui nous a amenés à déterminer quelle devait être la portée du projet de loi, étant donné que nous travaillons dans des délais serrés. La question dont nous étions saisis à ce chapitre visait à savoir s'il fallait traiter uniquement les enjeux présentés dans l'affaire Descheneaux, ou si nous pouvions adopter une approche plus générale pour tenter de régler toutes les questions liées au statut d'Indien dans un système qui existe depuis près de 150 ans.
Comme vous le savez, le plus grand défi à relever relativement au système d'inscription est le fait que le gouvernement fédéral possède encore le pouvoir exclusif pour déterminer qui est un Autochtone. À ce titre, il a été reconnu immédiatement qu'il serait absolument inapproprié de perpétuer davantage ce régime colonial en présentant ce qui constituerait des modifications unilatérales détaillées au statut d'Indien, en l'absence de temps suffisant pour consulter les particuliers, les collectivités et les nations directement touchées.
C'est donc pourquoi la réponse du gouvernement à la décision Descheneaux comporte deux étapes: la première vise la mise en œuvre des changements imposés par les tribunaux et le règlement d'autres questions semblables fondées sur le sexe; et la deuxième étape, lancée en février 2017, visera la tenue conjointe de travaux sur les questions générales et systémiques pour déterminer la façon de faire progresser une réforme future.
Le gouvernement s'est fermement engagé à l'égard de la réconciliation et d'une relation de nation à nation renouvelée avec les peuples autochtones. Encore une fois, nous reconnaissons et comprenons les défis que doivent relever les parlementaires dans l'examen de ce projet de loi et les décisions difficiles qu'il faut prendre.
Cependant, à notre avis, l'approche à deux étapes du gouvernement est le meilleur moyen d'aborder de manière efficace la multitude de questions complexes tout en assurant l'équilibre des intérêts de toutes les personnes concernées.
[Français]
Je serai très heureuse de répondre à vos questions avec l'aide de mes collègues.
[Traduction]
La présidente: Merci, madame Montminy. Avant de passer aux questions, je demanderais à la registraire de présenter les chiffres qu'elle a exposés à certains membres du comité la semaine dernière et lors des réunions qui ont suivi. Elle avait des chiffres sur ceux qui devaient s'inscrire et sur ceux qui se sont bel et bien inscrits aux termes des projets de loiC-31, C-3 et S-3. Je vous invite s'il vous plaît à nous présenter ces données.
Nathalie Nepton, directrice exécutive, Registraire des Indiens et gestion intégrée des programmes, Affaires autochtones et du Nord Canada: Sans problème. Merci, sénatrice Dyck.
En date du 22 novembre 2016, il y a au total 968 621 personnes inscrites. Dans le cas du projet de loiC-3, nous avons reçu 53629demandes, qui ont entraîné 38 467 inscriptions en date du 22 novembre 2016.
Je crois qu'une question portait sur l'arriéré aussi. Au total, 241 demandes sont toujours en suspens à la suite du projet de loiC-3. De plus, l'arriéré total se chiffre à 3 632 demandes, toujours au 22 novembre 2016.
La présidente: Avez-vous aussi les chiffres concernant le projet de loiC-31?
MmeNepton: Oui. Le nombre total de personnes qui sont aujourd'hui inscrites en vertu de l'alinéa 6(1)c) est de 16 707.
La présidente: Cela n'a aucun sens.
MmeNepton: Je suis désolée. Attendez. C'est plutôt 130000.
La présidente: Est-ce bien le nombre exact d'inscriptions?
MmeNepton: Oui, il y a eu à peu près 130000 inscriptions en vertu du projet de loiC-31.
La présidente: À combien d'inscriptions vous attendez-vous relativement au projet de loi S -3?
MmeNepton: Nous en prévoyons entre 28000 et 35000.
La présidente: Si vous n'y voyez aucun inconvénient, je vais poser la première question à propos des chiffres. Vous avez eu quelque 130000 inscriptions en vertu du projet de loiC-31. Dans le cas du projet de loiC-3, vous en prévoyiez environ 54000, et il y en a eu environ 38 500, n'est-ce pas?
MmeNepton: Dans le cas du projet de loiS-3, nous nous attendons à...
La présidente: Veuillez m'excuser, mais je voulais parler du projet de loiC-3.
MmeMontminy: En vertu du projet de loiC-3, nous prévoyions quelque 45000 inscriptions et, à ce jour, nous avons inscrit 38000 personnes environ.
La présidente: Vous parlez bien du projet de loiC-3, c'est-à-dire le dernier projet de loi qui remonte à 2010.
À mes yeux, cela signifie qu'au moment où nous avons adopté le projet de loiC-31, environ 38000 personnes ont été exclues. Nous ne parlions pas de ces gens parce qu'ils étaient inscrits aux termes du projet de loiC-3. Est-ce que je m'exprime bien?
Le projet de loiC-31 a été adopté parce que nous avions hâte de permettre aux gens de s'inscrire. Or, le projet de loiC-3 est arrivé 26 ans plus tard, et nous étions encore pressés. Pourtant, 38500 personnes auraient pu être inscrites en 1985 si nous n'avions pas précipité l'adoption du projet de loi cette année-là.
Nous sommes maintenant saisis du projet de loi S -3, et l'empressement est le même parce que nous savons qu'entre 28000 et 35000 personnes pourraient être inscrites. Nous ignorons toutefois combien de gens attendent en coulisse et pourront être inscrits si nous ne précipitons pas l'adoption du projet de loi. Il pourrait encore y avoir 30000 personnes dont nous ne parlons pas.
MmeMontminy: J'aimerais juste apporter une précision. Les modifications adoptées en 1985 ne résultaient pas d'une décision judiciaire. Il n'y avait donc aucun délai à respecter, mise à part l'entrée en vigueur de la Charte.
La présidente: Oui, mais je crois qu'il y avait un échéancier dans le cas du projet de loiC-3. C'était la même chose; il y a eu une décision judiciaire, à savoir l'arrêt McIvor.
MmeMontminy: Par conséquent, les modifications de 1985 ne découlaient pas d'une décision judiciaire, contrairement au projet de loiC-3, puisqu'une date limite a été fixée par la cour dans la décision McIvor.
La présidente: C'est exact. Je vous remercie.
Le sénateur Moore: J'ai une question complémentaire. Je pense qu'il serait peut-être utile à notre étude que la registraire nous dise combien de demandes d'inscription elle reçoit normalement par année.
MmeNepton: Oui. Si je regarde l'exercice 2015-2016, je constate qu'environ 25000 demandes ont été reçues. Quelque 21 500 personnes ont été inscrites à la suite de ces demandes, ou en raison de chevauchements de l'exercice précédent.
En date du 22 novembre 2016, le ministère a déjà reçu 20000demandes, ce qui a donné lieu à environ 14000 inscriptions.
La présidente: Savez-vous combien de demandes viennent du Québec?
MmeNepton: Non, je n'ai pas ce chiffre sous la main.
La présidente: Je vous remercie.
Le sénateur Patterson: Je suis heureux que les témoins soient revenus aujourd'hui pour nous permettre de réfléchir à ce que nous avons appris.
Je voudrais d'abord me pencher sur l'approche à deux étapes que vous avez décrite. Vous avez expliqué le raisonnement du ministère. Ce qui me pose problème, après avoir entendu les témoins, c'est la première étape. Comme vous l'avez dit dans votre exposé de ce matin, la première étape vise la mise en œuvre des changements imposés par les tribunaux et le règlement d'autres questions semblables fondées sur le sexe. Je pense que vous auriez pu répondre simplement à la question de la cour, mais vous avez décidé d'aller plus loin en incluant la question des enfants mineurs qui ont perdu le droit au statut d'Indien.
Le procureur des demandeurs nous a dit que votre réponse à l'affaire Descheneaux écartait quatre catégories de personnes qui, selon lui, seraient visées par cette affaire, mais dont il n'est pas question dans le projet de loi. Il a fait valoir qu'au moins une partie de ces personnes subiront une discrimination fondée sur le sexe si la portée du projet de loi n'est pas élargie. Je pense que mon collègue va en parler, mais le procureur a même dit que les demandeurs auraient été disposés à attendre plus longtemps pour obtenir une réponse plus complète à l'arrêt Descheneaux.
Il me semble qu'en décidant d'aller au-delà de l'arrêt Descheneaux avec cette première étape — je ne parle pas de la deuxième étape, qui porte sur la très importante question de la citoyenneté et de l'adhésion, au cœur de l'ensemble des problèmes depuis l'affaire McIvor et même avant —, vous avez ouvert la proverbiale boîte de Pandore. En effet, vous avez parlé des enfants mineurs qui ont perdu le droit au statut d'Indien, mais apparemment pas de quatre autres enjeux qui ont été laissés de côté, selon le procureur de l'affaire Descheneaux qui baigne dans cette question complexe.
Si vous vouliez qu'il y ait une première étape, auriez-vous dû vous contenter de répondre strictement à l'affaire Descheneaux plutôt que d'essayer d'aller plus loin? Voilà qui semble avoir suscité de grandes inquiétudes chez les témoins que nous avons entendus.
MmeMontminy: Les autres changements proposés par le procureur des demandeurs ne représentent pas des cas de discrimination fondée sur le sexe. Il l'a reconnu, et c'est consigné au compte rendu. Il a dit qu'il s'agissait d'autres types d'iniquités ou de traitements différents qu'on retrouve dans les dispositions sur l'inscription, mais ces situations ne sont pas fondées sur le sexe. Deux se rapportent à l'émancipation, une à l'adoption, et la quatrième à la paternité non déclarée et à la parentalité. Il a soulevé quatre catégories de situations différentes, mais il a admis qu'elles n'étaient pas purement fondées sur le sexe. Voilà pourquoi ces catégories dépassent la portée du projet de loi.
Nous échangeons avec M.Schulze et le chef, et nous continuons d'examiner la situation. Ces catégories feront partie d'un sujet dont nous discuterons lors de la deuxième étape.
Le sénateur Patterson: Je vous remercie.
J'aimerais également parler d'une chose que vous avez dite, à savoir qu'une prolongation de la cour n'aurait pas laissé beaucoup de temps pour réaliser de meilleures consultations compte tenu du calendrier parlementaire. La question des consultations m'inquiète beaucoup, car certains témoins nous ont dit, comme vous le savez, que les quelques consultations que vous vous êtes engagés à mener n'étaient même pas terminées lorsque notre comité a été saisi du projet de loi. Il y avait des rencontres régionales la semaine où notre comité a examiné le projet de loi. Aussi, vous avez certainement entendu le point de vue d'organisations nationales. L'Association des femmes autochtones du Canada a dit qu'à la seule consultation à laquelle elle a assisté, les échanges ont pris la forme d'un cours d'histoire d'une heure et demie sur les Premières Nations elles-mêmes.
Le grand chef Perry Bellegarde nous a très clairement dit que nous devions recommencer et demander une prolongation, et que même les consultations sur la première étape avaient été nettement insuffisantes.
J'aimerais que vous répondiez aux sérieuses réserves que nous avons entendues, notamment que l'Association des femmes autochtones du Canada s'est retrouvée devant un fait accompli dans le cadre du projet de loi, et n'a pas été consultée au préalable. J'aimerais savoir si vous avez des commentaires là-dessus.
Il me semble que vous avez bel et bien accordé du temps au Parlement. Nous savons que la procédure n'a rien de rapide étant donné que, en tant que sénateurs, nous prenons au sérieux notre travail d'examen des mesures législatives. Toutefois, vos fonctionnaires auraient pu profiter de cette période pour relever les lacunes techniques du projet de loi. J'ai l'impression qu'on nous présente un projet de loi qui soulève beaucoup de questions sur le plan de la rédaction — et je ne parle même pas de la conformité à la Charte. Certaines personnes très compétentes ont dit haut et fort que les consultations ont été précipitées et qu'elles ont même écarté bien des gens. Pourriez-vous répondre à cela?
MmeMontminy: Bien sûr. Encore une fois, la procédure a été difficile pour tous les intervenants. Dès le début, et dès le moment où le gouvernement a décidé de retirer son appel en février 2016, nous savions que nous n'aurions pas assez de temps pour mener une consultation sérieuse. Nous n'avons jamais prétendu que la procédure donnerait lieu à une véritable consultation. Nous savons à quoi cela ressemble, et c'est très loin de ce que nous avons pu accomplir dans cette courte période.
Nous avons été très honnêtes envers les organisations nationales que nous avons consultées. Nous leur avons parlé très tôt de la réponse à l'affaire Descheneaux que le gouvernement allait proposer, qui comprend deux étapes. La première étape prend la forme d'une réponse à la décision, où nous devons apporter des modifications pour que les dispositions sur l'inscription demeurent valables. Ensuite, la deuxième étape nous permettra de prendre le temps d'organiser des conférences complètes, des séances de consultation et des discussions sérieuses avec toutes les personnes touchées.
Au cours de la première étape, nous avons fait tout ce que nous pouvions dans le délai imparti. Nous avons dû faire appel au Cabinet pour demander l'autorisation de rédiger des modifications législatives, après quoi nous avons rapidement rencontré les organisations nationales afin qu'elles soient au courant de la suite des choses, dans une certaine mesure, et qu'elles soient à l'aise avec la façon de procéder.
Ensuite, nous avons entrepris de publier un document de travail très complet sur le site web du ministère. Les gens pouvaient en tout temps nous laisser des commentaires en ligne.
Nous avons également organisé des séances d'information, qui ont commencé dès que possible. Nous sommes conscients que ces séances ont débuté cet été, ce qui est loin d'être le moment idéal pour atteindre un maximum de participants. Nous avons mis en ligne les projets d'amendement pour que les gens puissent en prendre connaissance à l'avance. Nous avons également écrit deux fois à l'ensemble des chefs et des organisations nationales.
Malgré tout, je reconnais qu'il ne s'agissait pas d'une véritable consultation, et nous savions que le délai imparti ne nous permettrait pas de le faire. C'est pourquoi nous avons prévu d'emblée une procédure en deux étapes. La première nous permettait de régler les problèmes immédiats. Nous nous engageons à revenir aborder les questions plus générales dans le cadre d'un processus où nous pourrons prendre le temps de discuter sérieusement, mais en plus, le processus sera conçu en collaboration avec les groupes autochtones et les Premières Nations afin de déterminer la meilleure façon de procéder. La forme de la procédure et les sujets abordés seront choisis en collaboration avec les peuples autochtones, pour qu'ils sachent qu'il s'agira de véritables consultations menées en bonne et due forme.
Je dois dire qu'il est malheureux que le projet de loiC-3 réponde lui aussi à une décision judiciaire. C'est loin d'être idéal. Voilà pourquoi nous avons hâte d'entamer la deuxième étape. Nous ne serons alors pas tenus de répondre dans un délai prescrit. En outre, les sujets choisis seront ceux que les gens veulent aborder.
Le sénateur Patterson: Je vous remercie de votre franchise.
Il me semble qu'un des problèmes, c'est que l'appel a été abandonné en février, mais que vous n'avez entamé le dialogue qu'en juin — et je pense qu'il est préférable d'employer ce mot plutôt que de parler de consultations. Vous avez parlé de l'été, mais c'était en juin. Environ cinq mois se sont écoulés entre février et juin; nous sommes maintenant à l'automne, et cinq mois se sont écoulés depuis le début des consultations.
Il a fallu au gouvernement la moitié du temps imparti pour se ressaisir. Je comprends les mandats du Cabinet et le reste. Mais une des raisons pour lesquelles les gens trouvent que les consultations ont été précipitées, qu'ils ont été placés devant un fait accompli et qu'ils n'ont pas eu suffisamment de temps pour dialoguer, c'est que le gouvernement a pris la moitié du délai prescrit pour s'organiser et se ressaisir plutôt que de discuter avec les gens. Est-ce bien ce qui s'est passé?
MmeMontminy: Vous pouvez certainement comprendre la complexité des enjeux dont il est question. Je dirais qu'il a fallu effectuer une analyse exhaustive à l'interne pour déterminer quels recours devraient être proposés afin de régler les questions des cousins et des frères et sœurs. Il fallait aussi trouver quelles autres situations discriminatoires fondées sur le sexe pourraient être proposées dans le projet de loi. Il nous a fallu un certain temps pour y arriver.
La rédaction de cette disposition est beaucoup plus complexe que celle des amendements précédents, notamment dans le cas du projet de loiC-3, qui était beaucoup plus simple. Le projet de loi à l'étude est beaucoup plus complexe, comme vous pouvez le constater quand vient le temps de comprendre pleinement le groupe comparatif.
En plus, je dirais que bon nombre des difficultés que nous avons rencontrées au fil des ans se rapportaient à la présentation d'amendements, ce que le procureur des demandeurs a reconnu. Au cours de la transition visant à inscrire d'autres personnes, de nouvelles inégalités peuvent apparaître de la façon dont les dispositions sont rédigées.
Lorsque nous avons déterminé comment nous allions procéder, nous avons dû faire une analyse exhaustive. Nous devions nous assurer de ne pas créer de nouvelles iniquités en réglant les problèmes que le tribunal nous a demandé de cibler dans sa décision Descheneaux.
Je dirais que la question est très complexe, et qu'une analyse rigoureuse était nécessaire. Dans les circonstances, nous avons agi aussi rapidement que possible.
Le sénateur Tannas: Vous avez sans doute pris connaissance des témoignages entendus ici et à l'autre Chambre. Je suis toujours impressionné de l'incapacité du gouvernement à admettre qu'il a commis une erreur. Dans ce cas-ci, nous savons que les demandeurs auraient accepté une prolongation. Il n'y a toutefois eu aucun commentaire là-dessus. Je ne peux pas croire que cela n'aurait rien changé au calcul que vous nous avez présenté pour dire que vous ne pouviez pas obtenir de prolongation, ou que vous ne pensiez pas que c'était possible.
Cette information n'aurait-elle pas changé votre estimation si vous aviez été au courant, ou si vous aviez demandé il y a quelques mois aux demandeurs d'accepter une prolongation?
MmeMontminy: Oui, tout à fait. Nous savions qu'il était possible que les demandeurs acceptent une prolongation. Cela ne change toutefois rien au fait que le tribunal est peu susceptible d'accorder une prolongation tant que le gouvernement n'a pas fait son possible pour respecter la date limite initiale. Nous avons tiré cette conclusion à partir de la jurisprudence et de ce que nous croyons être la loi. Même si les demandeurs sont d'accord, le tribunal souhaite toujours que sa décision soit respectée. Voilà pourquoi nous ne pensions pas qu'une telle demande serait nécessairement acceptée.
Il vous faut comprendre également que même maintenant, à n'importe quel moment, il n'est jamais garanti que la cour nous accorde une prolongation. Nous avons donc dû travailler en parallèle pour nous assurer de proposer un processus qui respecte la date limite imposée par la cour. Si nous n'y arrivons pas, le gouvernement pourrait se retrouver dans une situation où à compter du 3 février, il ne sera pas possible de procéder à de nouvelles inscriptions. Il nous incombe de veiller à ce que nous ayons un plan pour éviter que le gouvernement se retrouve dans cette situation, et d'examiner des solutions de rechange en cours de route.
D'après ce que nous savons sur la façon dont ces prolongations sont accordées, même si nous avions agi tôt, cela n'aurait pas fonctionné, même avec le consentement des plaignants. Nous avons examiné cette option.
Le sénateur Tannas: Merci.
Nous avons entendu des témoignages — je ne me rappelle plus où, et j'en suis désolé — selon lesquels certaines catégories de personnes seront toujours victimes d'iniquités fondées sur le sexe. Si je me souviens bien, on nous a mentionné un groupe d'hommes. Est-ce exact, madame la présidente?
Le sénateur Patterson: L'Association du Barreau autochtone.
Le sénateur Tannas: Exactement. L'Association du Barreau autochtone. Donc, au moins, si nous ne modifions ou n'éliminons pas cela, nous devrions changer le titre pour «réduction des iniquités fondées sur le sexe», soit remplacer «élimination» par «réduction».
Je le répète, je suis déçu. Je suis sûr que d'autres politiciens, dont la ministre, sont peut-être déçus de cette première mesure législative importante, pour un nouveau gouvernement qui a indiqué sa volonté de fixer la barre haut et qui est tout à fait sincère à cet égard. Nous sommes devant une situation que nous avons déjà vue maintes fois. C'est vraiment regrettable.
Le sénateur Enverga: Je vous remercie de votre présence aujourd'hui et vraiment de tout le travail que vous accomplissez.
Ma question a davantage à voir avec les dirigeants qui ont comparu devant nous pour parler de la question. Tout ce qu'ils disaient au sujet du projet de loi, c'est qu'il faut bien faire les choses, et ce, une seule fois. Cette question et ce processus constituent la source de nos discussions actuelles.
On a déjà répondu à ma première question, mais pour saluer votre travail, je sais qu'il y a une première étape, mais j'aimerais vous poser une question sur la deuxième. A-t-on fixé une date limite à cet égard? Je vous entends dire qu'on fera encore du rapiéçage et que vous voulez que de véritables solutions soient présentées.
Je me demande seulement si l'on prévoit un délai pour la deuxième étape. Prévoyez-vous consulter tout le monde cette fois-ci?
MmeMontminy: Je vous remercie de la question.
Il n'y a pas de date bien définie pour la deuxième étape, mis à part que la ministre a pris un engagement ferme, dans des lettres qu'elle a envoyées à des organismes nationaux et à tous les chefs, selon lequel elle lancerait le processus en février 2017. Combien de temps cela va-t-il durer? Nous avons prévu un engagement d'au moins un an. Cela pourrait être un peu plus long, selon ce qu'on croit nécessaire pour que toutes les questions que les gens veulent soulever soient examinées.
Je dirais que la deuxième étape sera une excellente occasion pour nous de faire ces travaux et de les faire correctement, et non sous la pression d'une date butoir fixée par la cour. Ce sera la première fois que le gouvernement le fera depuis 1985, car comme la présidente l'a dit, il est vrai que les modifications précédentes, dans le projet de loiC- 3, par exemple, ont été apportées à toute vapeur en raison d'une date limite fixée par la cour et en réponse à une décision de la cour. Cela a été à la base de la portée de la réponse et, évidemment, de la vitesse à laquelle on a procédé.
Ce sera la première fois depuis 1985 que le gouvernement réservera une période de temps raisonnable pour mener de véritables consultations dans le but d'examiner ces questions. Elles sont au cœur de l'identité autochtone et sont le fondement de bien d'autres activités que mène Affaires autochtones en ce qui concerne les avantages, les programmes, et cetera.
Le sénateur Enverga: Je sais qu'il vous fallait une date limite pour la première étape, comme vous l'avez mentionné. Si vous pouvez intégrer des faits ou des politiques en fonction de cette date limite, pourquoi ne pouvez-vous pas faire de même pour la deuxième étape? Si vous l'avez fait pour la première, pourquoi ne l'avez-vous pas fait pour la deuxième?
MmeMontminy: C'est une très bonne question. Je suis désolée de ne pas en avoir parlé après que vous ayez posé votre question précédente. Vous vouliez savoir si nous allions consulter tout le monde. Nous voulons élaborer ce processus en collaboration avec les groupes autochtones, ce qui inclut le type d'activités qu'ils veulent mener. Nous voulons discuter de la façon de procéder qui conviendrait. Cette fois-ci, il n'y avait évidemment pas suffisamment de temps, mais nous avons demandé à des organismes nationaux et régionaux de réunir les chefs et d'autres intervenants et, par différents organismes, faire venir des membres de sorte que nous puissions tenir des discussions.
Dans la deuxième étape, ils voudront sans doute avoir du temps pour examiner les questions ensemble et présenter leurs points de vue. Il pourrait y avoir toutes sortes d'activités différentes qu'ils croient nécessaire de tenir pour faire part de leur point de vue.
Nous ne voulons pas uniquement entendre leur point de vue. Nous voulons être en mesure de déterminer, à la fin du processus, quelle réforme devrait être proposée. Nous voulons déterminer quelles questions devraient être réglées par la suite. Beaucoup de choses pourraient être mises en œuvre au fil du temps également, car il est possible que certaines des transformations prennent un peu plus de temps. Nous devrons décider comment procéder à cet égard.
Nous pourrions fixer une date, mais je ne voudrais pas l'imposer aux groupes autochtones qui collaboreront avec nous dans l'organisation du processus. Nous prévoyons qu'il faudra un an, mais cela pourrait être plus long. Encore une fois, nous espérons être capables de présenter une réforme dans le cadre du mandat du gouvernement actuel.
La sénatrice Pate: En vous écoutant, je me suis demandé si notre collègue, la sénatrice Lovelace Nicholas, exprimerait son désaccord concernant l'idée que le projet de loiC-31 était lié à une cause, car en fait, il était lié tant à l'article15 qu'à la décision prise dans la cause Lovelace.
J'ai deux questions. En examinant les réponses dans le cas de Sharon McIvor, n'avez-vous pas demandé plusieurs prolongations?
MmeMontminy: Oui, deux prolongations ont été demandées. Dans le cas de la première, c'est parce que le Parlement avait été prorogé et que par conséquent, le projet de loi est mort au Feuilleton et devait être présenté à nouveau. Pour ce qui est de la deuxième, c'est qu'un certain nombre d'amendements avaient été présentés et que la présidence avait besoin de temps pour les délibérations. Le processus législatif était donc bien avancé.
La sénatrice Pate: Nous savons qu'en fait, le projet de loi actuel comporte de nombreuses lacunes et crée de nouvelles catégories qui amèneront d'autres situations discriminatoires. Je me demande pourquoi vous n'avez pas inclus un plus grand nombre de catégories ou prévu plus de temps pour les consultations et demandé une prolongation.
MmeMontminy: Je ne sais pas de quelles autres iniquités vous parlez.
La sénatrice Pate: Je crois que l'Association du Barreau autochtone a soulevé des préoccupations concernant les gens qui sont considérés comme étant illégitimes — c'est une catégorie différente — et la paternité non déclarée. De quelle façon prévoyez-vous inclure ces catégories?
MmeMontminy: Depuis que l'Association du Barreau autochtone a témoigné, nous discutons avec M.Lafond. Nous effectuons l'analyse requise sur l'amendement qu'il a proposé. Nous continuerons de discuter avec lui au cours des prochains jours et nous informerons le comité à ce sujet.
La sénatrice Pate: J'espère vraiment entendre quelque chose à ce sujet, car je pense qu'autrement, d'une certaine manière, ce qui est proposé pourrait être perçu moins comme un réel intérêt pour une discussion de nation à nation et vraiment mener à des contestations judiciaires et à des plaintes auprès de l'ONU et de la Commission canadienne des droits de la personne, comme en témoigne le refus constant, par exemple, de régler le cas de Lynn Gehl et d'autres causes actuelles. Prévoyez-vous régler certains de ces cas de façon favorable également?
MmeMontminy: Le gouvernement a déjà déclaré qu'il veut adopter une approche moins litigieuse à l'égard des questions autochtones et tenir des consultations sur toutes les questions qui les concernent. J'estime que le retrait de l'appel dans l'affaire Descheneaux est un bon exemple. Encore une fois, cela a fait en sorte que nous étions limités par des délais fixés par la cour, mais le gouvernement a fait ce choix. Il ne pouvait pas faire les deux —être moins enclin à agir en justice et réserver du temps pour mener de véritables consultations —, car c'est la situation dans laquelle nous nous trouvons déjà.
Pour les affaires ultérieures, c'est du cas par cas, mais l'engagement d'être moins enclin à agir en justice et de voir comment les questions peuvent être réglées est certainement sincère.
Vous avez raison; il y a des causes devant les tribunaux. Il est à espérer que la deuxième étape nous permettra de discuter de ce traitement différentiel et de déterminer si nous pouvons régler le problème dans le cadre d'autres modifications législatives.
La sénatrice Pate: Pourquoi cela n'a-t-il pas été inclus dans l'étape actuelle?
MmeMontminy: C'est simplement parce qu'il n'y avait pas assez de temps. C'est ce que j'ai dit dans ma déclaration préliminaire. Il nous fallait déterminer la portée du projet de loi en fonction de ce qui pouvait être examiné dans les délais prescrits par la cour, étant donné que nous savions que nous n'aurions pas le temps de tenir de véritables consultations. Nous ne pouvions pas présenter des modifications de façon unilatérale en sachant que nous n'aurions pas le temps de faire des consultations, et décider qu'en trois mois, nous pouvions remettre de l'ordre dans des règles coloniales datant de 150 ans.
La sénatrice Pate: Ce n'est pas que je veuille insister, mais vous n'avez pas demandé de prolongation?
MmeMontminy: J'ai déjà parlé de la prolongation. Selon notre expérience à cet égard, nous ne pouvons en faire la demande que très tard dans le processus, lorsque nous pouvons montrer que les meilleurs efforts ont été déployés pour respecter la date limite fixée par la cour. Il nous fallait donc prendre une décision sur la portée du projet de loi, le rédiger, le présenter, et, plus tard, durant le processus, demander possiblement une prolongation.
Cela nous amène à nous demander ce qu'il est possible d'accomplir avec une prolongation à cette étape, qui correspondrait peut-être à une série de séances d'information —, car nous savons qu'il faut quelques mois pour tenir des séances d'information partout au pays —, et il s'agirait de tenir ensuite un autre processus d'examen parlementaire.
D'après notre expérience, nous pensons que la prolongation durerait de trois à six mois maximum. Toutefois, selon le calendrier parlementaire, cela veut dire que ce serait quatre mois maximum, car il nous faudrait avoir terminé en juin. Par conséquent, nous aurions en réalité peut-être un mois de plus pour les séances d'information.
Si la portée du projet de loi devait être élargie, il faudrait tenir compte du fait qu'on doit rédiger de nouvelles modifications législatives et revenir. Essentiellement, cela ne nous donne pas assez de temps pour mener de véritables consultations dans ces conditions, malheureusement.
La sénatrice Raine: Je vous remercie beaucoup d'être revenue témoigner pour nous donner d'autres précisions. Les choses semblaient très simples la dernière fois, mais nous savons que ce n'est pas le cas.
Ce que j'aimerais faire, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, c'est changer de sujet concernant la deuxième étape. Je comprends qu'il est nécessaire de procéder rapidement dans la première étape. Cependant, concernant la deuxième, ce qui est probablement le plus important, c'est de régler ce que les peuples autochtones font valoir depuis longtemps: leur droit inhérent de déterminer leur propre citoyenneté.
Je me pose trois questions. Tout d'abord, comment procédons-nous? Pouvons-nous retirer la citoyenneté, le statut, l'appartenance et le registre de la Loi sur les Indiens en un an? Si nous ne pouvons pas le faire, comment allons-nous même discuter de ces questions si AINC a décidé que ce n'est pas possible?
Par souci d'équité, avant que nous commencions la deuxième étape, je pense que nous devons comprendre clairement comment fonctionne AINC. Y a-t-il un groupe de réflexion au sein du ministère qui se penche sur la question de l'autodétermination sur le plan de la citoyenneté, de l'appartenance et du statut, ou existe-t-il différentes divisions qui se renvoient la balle? Par souci de justice envers toutes les collectivités autochtones du pays, si vous dites que vous en parlez seulement à l'intérieur d'un cadre en particulier, les consultations risquent de ne pas bien se dérouler.
Pourriez-vous nous décrire la vision d'AINC concernant l'autodétermination sur le plan de la citoyenneté, de l'appartenance et du statut?
MmeMontminy: Merci. C'est une très bonne question.
Comme vous le savez, la plupart des Premières Nations sont toujours assujetties à la Loi sur les Indiens. Il y a différentes lois à adhésion facultative dont disposent divers groupes pour exercer un plus grand contrôle sur différentes questions. Par exemple, il y a la Loi sur la gestion des terres des premières nations qui permet aux Premières Nations de gérer leurs propres terres. Il y a différents exemples comme celui-là.
Il y a également l'article10 de la Loi sur les Indiens, qui permet aux Premières Nations de décider de l'appartenance à leurs effectifs. Nous l'avons mentionné dans un mémoire précédent. À l'heure actuelle, 37p.100 des Premières Nations sont assujetties à l'article10, ce qui signifie qu'elles établissent leurs propres règles d'appartenance. Cela ne porte pas sur l'inscription, mais cela veut dire qu'elles ont déterminé qui est membre de leur Première nation.
À titre d'exemple, si les 35000 personnes qui seront nouvellement inscrites en vertu du projet de loiS-3 appartiennent à une bande qui décide de l'appartenance à ses effectifs, elles ne deviendront pas automatiquement membres de la collectivité. C'est la bande qui le déterminera. C'est une autre forme d'autodétermination.
La Politique sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale existe depuis 1995 et elle permet aux gens de négocier des accords complets ou sectoriels sur l'autonomie gouvernementale. Il existe donc un certain nombre de moyens d'accroître l'autodétermination dans le cadre de ce type de politiques.
À l'heure actuelle, 37 Premières Nations ont conclu des accords sur l'autonomie gouvernementale, complets ou sectoriels.
Votre question est excellente en ce sens que nous devrons décider, à l'étape de la préparation, comment régler ces questions. Le gouvernement ne déterminera pas au préalable ce qui pourrait faire l'objet de discussions et n'imposera pas de limites à cet égard durant le processus.
Par exemple, bon nombre de personnes vous diront que c'est plus qu'un simple irritant. Elles vous diront que le fait que le gouvernement fédéral est la seule autorité à pouvoir déterminer qui est un Indien en 2016 va à l'encontre de l'autodétermination. L'idée que ce pouvoir appartienne au gouvernement fédéral est quelque chose qui devrait être examiné afin de déterminer comment les Premières Nations peuvent jouer un plus grand rôle pour ce qui est de déterminer qui est un Indien, au-delà de déterminer qui fait partie de leurs membres, et il y aussi la capacité d'avoir des compétences en matière de citoyenneté, comme c'est le cas avec l'autonomie gouvernementale.
La sénatrice Raine: Pourriez-vous préciser ce que vous venez de dire? Déterminer qui est un Indien, au-delà de l'appartenance, leur propre citoyenneté?
MmeMontminy: Je parle de l'inscription.
La sénatrice Raine: Au-delà de cela?
MmeMontminy: C'est ce dont je parle. À l'heure actuelle, le statut d'Indien est déterminé par le gouvernement fédéral. Puis, en vertu de l'article10, les Premières Nations peuvent décider de l'appartenance à leurs effectifs, et dans le cadre des accords sur l'autonomie gouvernementale, elles peuvent déterminer qui est citoyen. À l'heure actuelle, dans le cadre des règles que nous examinons à l'article6, seul le gouvernement fédéral a la capacité de déterminer qui peut avoir le statut d'Indien. C'est le cas depuis 1861, mais pour ce qui est du registre et du registraire, c'est depuis 1951.
La sénatrice Raine: Même sans Loi sur les Indiens, le statut existerait toujours?
MmeMontminy: Il nous faudrait imaginer à quoi ressemblerait le monde après la Loi sur les Indiens en ce qui concerne l'inscription. En ce moment, le système d'inscription est intégré à la Loi sur les Indiens. Sans cette loi, il n'y aurait ni registraire ni registre. Il faudrait potentiellement le remplacer par quelque chose d'autre, une façon différente de déterminer le statut si ce concept doit être maintenu.
Le sénateur Meredith: Merci beaucoup d'être venue aujourd'hui. Je suis désolé d'avoir manqué votre présentation, mais je suis en train de la lire.
Pour en revenir à la phase deux, nous avons entendu parler à plusieurs reprises des consultations. Le chef national a témoigné devant nous la semaine dernière et nous a parlé de ralentir ce processus. De toute évidence, le gouvernement a une échéance de la cour à respecter; il n'y a pas suffisamment de temps.
Envisagez-vous de suivre ce processus pour demander une prolongation? Je pense que vous y avez, en quelque sorte, fait allusion. C'est ma première question. Est-ce l'intention du gouvernement de se tourner vers les tribunaux — étant donné que vous avez examiné ce que le comité propose — et de demander quand même cette prolongation? Est-ce son intention?
MmeMontminy: Comme je l'ai mentionné, nous ne croyons pas que nous accomplirions beaucoup de choses en demandant une prolongation qui, encore une fois, serait pour une période de trois à six mois.
Je le répète: tout dépend de l'intention qui motive cette prolongation. Si elle vise à élargir la portée du projet de loi, elle ne nous donnerait aucun temps pour consulter qui que ce soit, ce que nous n'estimons pas être approprié, car nous nous sentons mal à l'aise de présenter d'autres modifications sans consulter les groupes autochtones et les Premières Nations.
Manifestement, on nous critique déjà pour avoir présenté des amendements au projet de loiS-3, mais des décisions ont été rendues à leur égard. Le tribunal a tranché en notre défaveur, si bien que nous devons présenter ces amendements pour nous conformer à la décision du tribunal.
Nous n'estimons pas qu'il soit approprié d'aller au-delà de cela sans tenir de consultations.
Le sénateur Meredith: En conséquence, ma prochaine question porte aussi sur la phase deux. On nous a maintes fois parlé du devoir de tenir des consultations. Nous ne voulons pas revenir ici pour entendre des groupes dire «Ils nous ont donné un préavis de 48 heures. Ils ne nous ont pas donné l'information adéquate. Nous avons eu droit à une séance de deux heures et rien d'autre. Le gouvernement estimait que c'était son obligation».
Quelle est la stratégie bien définie pour faire participer les groupes autochtones de partout au pays? C'est crucial pour moi, et je pense que ce l'est aussi pour les membres du comité, afin d'éviter d'entendre d'autres témoins nous dire qu'ils n'ont pas été consultés, que le gouvernement leur a encore fait faux bond.
Quelle est la stratégie bien définie en ce qui concerne la phase deux? Manifestement, vous devez commencer à penser à la façon exacte dont vous allez l'exécuter pour vous assurer qu'elle est juste et équilibrée pour tous les groupes autochtones et faire en sorte qu'ils y participent. J'aimerais que vous me l'expliquiez, si vous détenez ces renseignements ou si vous avez des idées dont vous pouvez nous faire part.
MmeMontminy: Absolument. Merci de ce commentaire.
La définition de «consultations significatives» n'est pas statique et elle ne s'applique pas à toutes les situations. Nous croyons vraiment que la seule façon d'atteindre les normes en matière de consultations significatives est d'élaborer le processus de concert avec les groupes autochtones.
Si j'étais ici aujourd'hui pour vous parler du plan que je compte imposer à tout le monde pour l'année qui vient, je ne pense pas que je partirais du bon pied. Notre plan consiste à tenir une période de pré-consultations pour rejoindre les groupes et leur demander ce qui leur convient. Que vous soyez un organisme national ou régional en mesure de rejoindre les chefs, que vous vouliez discuter avec les membres de votre collectivité ou que vous soyez un organisme comme le Congrès des peuples autochtones ou l'AFAC et autres, vous aurez tous différents besoins en ce qui concerne vos communications avec vos membres et vos citoyens. Nous allons en tenir compte dans notre façon de concevoir le processus afin de leur donner le temps dont ils ont besoin, et nous leur verserons du financement pour qu'ils puissent faire le travail et l'analyse, et tenir les conversations à l'interne afin de se joindre aux discussions, non pas pour une séance de deux heures, mais bien pour le temps et le nombre de séances jugés nécessaires pour régler ces questions.
Nous allons aussi cerner les questions dont nous devrions discuter dans le cadre de la phase deux. Nous ne dirons pas que cela se limite aux six sujets suivants. Nous les déterminerons avec les gens. Il y a un certain nombre de questions d'intérêt, dont certaines ont été portées à l'attention du comité, mais pas toutes.
Je vais vous donner pour exemple les Métis. Ils n'ont pas été entendus ici, mais l'incapacité actuelle du registraire de les enlever du registre des Indiens s'ils y ont été inscrits leur pose problème. S'ils veulent faire partie d'une communauté métisse, ils ne peuvent pas être à la fois Métis et Indiens. Ils aimeraient être enlevés du registre, mais la Loi sur les Indiens en vigueur ne permet pas au registraire d'annuler l'inscription de quiconque. En conséquence, les Métis voudront aussi venir nous dire à quel point cette question leur importe. Nous devrons en tenir compte.
C'est un des sujets qui devraient potentiellement être étudiés dans la phase deux, tout comme la paternité non déclarée et un certain nombre d'autres questions qui ont été présentées au comité, questions qui ne portent pas seulement sur ces points, manifestement, mais le traitement diffère toujours en fonction de la situation de famille et de la date de naissance dans la Loi sur les Indiens. Il y a un certain nombre de questions que les gens voudraient aborder, et nous serions disposés à le faire.
La présidente: Mesdames et messieurs les sénateurs, il ne nous reste que quelques minutes, et les dernières questions devraient revenir au sénateur Moore.
Le sénateur Moore: Je veux clarifier un point. J'ai entendu le nombre 37. Dans un cas, vous avez dit que 37p.100 des Premières Nations avaient choisi de se retirer — de se retirer de quoi? —, mais qu'elles étaient toujours des membres de bande inscrits. Vous avez aussi dit que 37 Premières Nations étaient en situation d'autonomie gouvernementale, ce qui n'a rien à voir avec les 37p.100, je crois. De quoi 37p.100 des Premières Nations se sont- elles retirées?
MmeMontminy: Elles sont visées par l'article10 de la Loi sur les Indiens, où une bande peut décider de l'appartenance à ses effectifs.
Le sénateur Moore: Les bandes décident de l'appartenance et de la citoyenneté.
MmeMontminy: C'est exact. Lorsque quelqu'un est un Indien inscrit et qu'il fait partie d'une bande visée par l'article10 de la Loi sur les Indiens, son appartenance n'est pas automatique. Il doit être accepté par la communauté. Si une bande ne peut pas décider de l'appartenance à ses effectifs, elle tombe sous le coup de l'article11 de la Loi. Le statut d'Indien leur confère ensuite l'appartenance automatique.
Le sénateur Moore: Lorsque la bande décide de l'appartenance à ses effectifs, ces membres sont-ils aussi inscrits quelque part, comme dans votre registre national, ou les administrateurs de la bande tiennent-ils simplement un registre?
MmeNepton: Lorsqu'une bande dresse une liste d'appartenance, c'est elle-même qui la contrôle. Elle n'est pas tenue de donner l'identité d'un membre au ministère.
J'aurai le nombre ou les noms des Indiens inscrits, mais ils ne seront pas considérés comme des membres de la bande. La bande contrôlera la liste et saura qui a été accepté, car elle pourrait avoir des critères autres que celui d'être un Indien inscrit au sens de la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Moore: En ce qui concerne les 968000 personnes inscrites que vous avez maintenant, y en a-t-il plus qui sont jugées être citoyennes des bandes? Le cas échéant, en connaissez-vous le nombre?
MmeNepton: Le nombre que j'ai donné est le nombre d'Indiens inscrits, qui sont ceux qui sont inscrits aux termes de la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Moore: Alors il y en aurait d'autres jugés appartenir à la bande par les bandes mêmes qui ne seraient pas visés par cette règle.
MmeNepton: C'est exact. Toute personne inscrite figure dans le registre; cependant, les bandes pourraient choisir d'avoir des membres qui ne sont pas des Indiens inscrits.
Le sénateur Moore: Alors pour toucher les prestations, ils doivent être inscrits auprès de votre bureau.
MmeNepton: C'est exact, oui.
MmeMontminy: J'ai dit qu'il y avait 37 Premières Nations en autonomie gouvernementale, mais mon tableau ici indique qu'il y en a 39.
La présidente: Merci.
C'est tout le temps que nous avions. J'aimerais remercier nos témoins d'Affaires autochtones et du Nord Canada d'avoir accepté de revenir témoigner devant nous aujourd'hui.
Pour le deuxième groupe de ce matin, nous accueillons, du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, Kim Stanton, directrice juridique, et Krista Nerland, associée, Olthuis Kleer Townshend LLP.
De l'Association du Barreau canadien, nous accueillons David Taylor, membre de l'exécutif, Section du droit des Autochtones, et Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit.
L'organisme Femmes autochtones du Québec est également représenté ce matin. Nous entendrons Pamela D. Palmater, professeure agrégée et présidente de la gouvernance autochtone à l'Université Ryerson; et MmeSharon McIvor, dont nous avons beaucoup entendu parler au cours des dernières semaines. Elles témoigneront à titre personnel.
Commençons par le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes.
Krista Nerland, associée, Olthuis Kleer Townshend LLP, Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes: Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour et merci de nous donner la possibilité de nous adresser à vous aujourd'hui. J'aimerais commencer par rendre hommage à la nation algonquine sur les terres de laquelle nous nous réunissons aujourd'hui.
Je suis avocate au cabinet Olthuis Kleer Townshend LLP et une des avocates dans l'intervention du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes dans l'affaire Gehl c. le procureur général du Canada, qui porte sur la façon dont le traitement de la paternité non déclarée et inconnue dans la Loi sur les Indiens est discriminatoire envers les femmes. Je suis accompagnée de Kim Stanton, directrice juridique, au Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes.
Le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes est un organisme national axé sur la promotion de l'égalité réelle des femmes par l'intermédiaire d'actions en justice, de recherche et d'éducation publique. Pour ce faire, le Fonds s'attache notamment aux inégalités dont souffrent les femmes victimes de discrimination sur plusieurs fronts intersectionnels, comme l'identité autochtone, la pauvreté, la race, l'orientation sexuelle et la religion.
Cela nous amène à nos arguments relatifs au projet de loi. Comme vous le savez sûrement, pendant plus de 145 ans, les dispositions sur le statut dans la Loi sur les Indiens ont été discriminatoires à l'égard des femmes et des personnes qui retracent leur statut par la lignée féminine. Jusqu'à 1985, cette discrimination de la loi était flagrante.
En 1985, en réponse à l'entrée en vigueur de l'article15 de la Charte et du travail acharné d'un certain nombre de femmes autochtones, on a tenté de retrancher cette discrimination flagrante de la Loi. Elle a toutefois été remplacée par un régime qui continue de porter préjudice aux femmes des Premières Nations et à leurs descendants.
Je pense que vous êtes déjà au courant de la formule de base à deux niveaux et de l'inadmissibilité de la seconde génération au statut d'Indien dans la Loi de 1985, alors je ne passerai pas trop de temps sur ce point sauf pour faire remarquer que ce régime de base a pour effet de transposer la discrimination fondée sur le sexe qui existait dans la Loi avant 1985 dans la structure de l'article6 actuel. Je pense que le comité connaît probablement aussi l'importance de cette question pour les personnes qui ne peuvent obtenir le statut en conséquence de ces dispositions discriminatoires.
Le statut d'Indien offre des avantages matériels comme un soutien financier pour les études postsecondaires et la santé, mais ce qu'il y a peut-être de plus important, c'est que le refus d'octroyer le statut d'Indien peut se traduire par l'exclusion de la vie communautaire, la négation de la dignité humaine et de l'estime de soi, l'exclusion de la bande, la perte de la capacité de vivre sur une réserve et le risque accru de violence. Ces préjudices sont profonds.
Tenant compte de ces points, le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes aimerait aujourd'hui soulever quatre arguments concernant le projet de loi. Nous nous concentrerons sur la phase un. Je pense que nous avons déjà beaucoup entendu parler de la phase deux.
Premièrement, le Fonds note avec inquiétude le processus par lequel le projet de loi a été présenté. La semaine dernière, l'Association des femmes autochtones du Canada et d'autres intervenants ont expliqué au comité les graves lacunes concernant les consultations entourant le projet de loiS-3. Il importe de faire valoir qu'il est impossible de régler la question de la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens sans former de partenariat véritable avec les groupes de femmes autochtones.
Deuxièmement, le projet de loi ne règle pas tous les cas de discrimination fondée sur le sexe dans les dispositions actuelles sur le statut contenues dans la Loi sur les Indiens. Au mieux, il les règle en partie. À titre d'exemple, je pense, comme certains témoins l'ont déjà fait remarquer, que le projet de loi semble permettre l'octroi de statuts moindres à certaines personnes nées avant 1951 de descendance autochtone du côté des femmes. En outre — et c'est une question qui nous tient vraiment à cœur au Fonds — les dispositions sur le statut, ou à tout le moins la façon dont elles sont mises en œuvre en ce moment par le ministère, imposent un fardeau disproportionnel aux femmes qui ne peuvent identifier le père de leurs enfants en raison de viols, d'inceste ou de relations violentes. Cela fait en sorte que ces femmes et leurs enfants n'aient pas l'accès égal au statut d'Indien prévu dans la Loi sur les Indiens. Nous estimons qu'il s'agit de discrimination fondée sur le sexe, qui est interdite par l'article15 de la Charte et le droit international.
Nous sommes d'avis que le projet de loiS-3 reproduit malheureusement l'approche étroite et fragmentée que le Parlement a prise il y a six ans à l'issue de la décision rendue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire McIvor. Si le projet de loi est adopté tel quel sans être réformé, nous devrons revenir dans un, deux ou cinq ans après qu'une autre personne de descendance autochtone du côté des femmes plutôt que des hommes aura été forcée de passer des années ou même des décennies à se battre en justice pour faire reconnaître ses droits.
C'est inadmissible et contraire à la garantie d'égalité réelle prévue par la Charte de forcer les femmes autochtones à subir des difficultés aux plans financier et émotionnel pendant les années que durent de longues poursuites en vue de retrancher les parties sexistes qui figurent toujours dans la disposition sur le statut. Nous savons déjà qu'elles existent.
Le Fonds croit savoir que le gouvernement prévoit de privilégier une approche en deux volets à l'égard de la réforme. Bien entendu, il est essentiel de tenir une discussion de nation à nation pour délaisser la Loi sur les Indiens en faveur de la citoyenneté des Premières Nations, que l'on envisage à la seconde phase. Cependant, il exhorte le comité à faire en sorte que la réponse législative du Parlement à la décision Descheneaux élimine maintenant tous les vestiges de discrimination fondée sur le sexe des dispositions relatives au statut, soit en modifiant ou en retirant le projet de loiS-3 pour le remplacer par une nouvelle mesure législative plus efficace.
Il s'agit d'une première étape importante pour permettre au Canada d'honorer ses obligations à l'égard des femmes autochtones au titre du droit international et de la Charte. Elle jetterait les bases solides de la vaste discussion nation à nation qui suivra pour aller au-delà du racisme et du colonialisme de la Loi sur les Indiens.
Troisièmement, il ne faudrait pas invoquer l'échéance de la Cour supérieure du Québec fixée au 3 février 2017 pour justifier un projet de loi qui maintient la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. La procureure générale peut et devrait demander une prolongation pour permettre au Canada de travailler en partenariat avec les gouvernements et organismes autochtones — en particulier les groupes de femmes autochtones — pour veiller à ce que le projet de loi règle vraiment la question de la discrimination fondée sur le sexe dans la loi.
Nous estimons que, dans ce cas, il est assez probable qu'une prolongation soit accordée, compte tenu la façon dont la juge Masse a abordé les problèmes qui ont découlé de l'approche étroite prise dans la décision McIvor.
Enfin, le Fonds conseille vivement au gouvernement de veiller à ce que les communautés des Premières Nations disposent des ressources et des terres dont elles ont besoin pour accueillir de nouveaux Indiens inscrits. Les besoins ne devraient pas être déterminés unilatéralement à Ottawa, mais en partenariat avec les personnes touchées, les gouvernements et les organismes autochtones.
Merci.
Le président: Merci.
Passons maintenant au deuxième exposé de l'Association du Barreau canadien.
Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien: Merci de l'invitation à comparaître au sujet du projet de loiS-3. L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui compte au-delà de 36000 membres, incluant des avocats, des étudiants en droit, des notaires et des universitaires. Notre mandat consiste, entre autres, à demander des améliorations dans la loi et dans l'administration de la justice.
Notre Section nationale du droit des Autochtones est un groupe à l'intérieur de l'Association, composé d'avocats spécialisés dans le droit des Autochtones. Je suis accompagnée aujourd'hui par David Taylor, qui est l'un des membres dirigeants de cette section. C'est lui qui livrera l'essentiel de notre présentation et qui répondra à vos questions.
David Taylor, membre de l'exécutif, Section du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien: Madame la présidente, honorables sénateurs, bonjour et merci. Je suis très heureux de pouvoir contribuer aux délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones au sujet du projet de loiS-3.
Je vais commencer en reprenant les mots prononcés par la juge Ross en 2007 à la Cour suprême de la Colombie- Britannique pour expliquer les raisons du procès McIvor c. Canada (Registraire, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien):
[...] l'acquisition de l'identité culturelle de leurs parents fait partie des aspirations les plus fondamentales des enfants, et les parents s'attendent à leur tour à pouvoir transmettre leur identité culturelle à leurs enfants. Par conséquent, il n'est pas surprenant [...] que l'une des choses que l'on reproche les plus souvent au système d'inscription soit le fait qu'il refuse de reconnaître l'habilité des Indiennes de transmettre le statut d'Indien à leurs enfants.
L'une des principales choses qu'il convient de signaler quant à la façon dont ce projet de loi a été présenté et examiné par le Parlement, c'est qu'au moment de sa première lecture, les consultations sur la réponse du gouvernement au jugement Descheneaux étaient loin d'être terminées. Le fait d'aller de l'avant avec le processus législatif alors qu'il y a encore des consultations compromet la capacité du gouvernement fédéral de s'acquitter de son devoir de consulter les peuples autochtones au sujet des changements législatifs qui les touchent, comme l'exige l'honneur de la Couronne et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Les passages des projets de loi devant les comités du Sénat et de la Chambre des communes visent à permettre l'amendement desdits projets de loi en fonction de la rétroaction du public, mais l'honneur de la Couronne et la déclaration des Nations Unies exigent plus que de reléguer les peuples autochtones au rang de simples spectateurs de l'envol des mesures législatives qui les concernent.
Nous sommes également préoccupés par l'article8 du projet de loi, qui empêche ceux qui seront touchés par le projet de loiS-3 de réclamer une indemnisation pour le fait qu'on leur ait refusé de les inscrire comme Indien dans le passé. Le Parlement et la Couronne fédérale savent depuis au moins la décision McIvor rendue en 2009 par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique que les modifications apportées à la Loi sur les Indiens en 1985 n'avaient pas complètement résolu les problèmes du système d'inscription des Indiens et qu'elles créaient en fait de nouveaux éléments discriminatoires. Le Canada savait qu'il restait du travail à faire après la décision McIvor et le projet de loiC- 3. Le maintien de l'article8 dans le projet de loiS-3 protège le Canada des conséquences de sa conduite et ne fait pas grand-chose pour assurer l'élimination rapide de la discrimination inhérente au système d'inscription des Indiens. Pour ces raisons, nous recommandons que l'article8 soit supprimé.
D'un point de vue pratique, des ressources suffisantes devraient être fournies aux bandes qui auront à composer avec l'afflux de nouveaux membres consécutif à l'adoption du projet de loiS-3. Des ressources suffisantes devraient aussi être fournies aux secteurs opérationnels pertinents du ministère des Affaires indiennes afin d'assurer que l'inscription des personnes qui ont été anticonstitutionnellement exclues pendant plus de trois décennies se fera avec diligence.
La teneur du projet de loiS-3 devrait être renvoyée à un comité parlementaire dans les 18 mois suivant l'entrée en vigueur dudit projet de loi. Nous avons cru comprendre que le gouvernement s'est engagé à apporter d'autres modifications au système d'inscription des Indiens dans le cadre de sa réponse en deux volets au jugement Descheneaux. C'est une démarche qui doit être saluée et qui répond aux vœux de la juge Masse, laquelle recommandait la conduite d'un vaste examen sur cette question.
Toutefois, étant donné le long historique de discrimination du système d'inscription des Indiens, ce processus pourra bénéficier en temps opportun d'un contrôle parlementaire — bien avant les prochaines élections —, lequel permettra d'assurer que le savoir-faire des parlementaires et les opinions des membres du comité ne se perdront pas dans le branle-bas de combat législatif qui caractérise les fins de session parlementaire.
Pour conclure, j'estime qu'il est important de garder à l'esprit que les jugements McIvor et Descheneaux portent sur des aspects du système d'inscription des Indiens qui sont discriminatoires, qui vont à l'encontre de l'article15 de la Charte. En eux-mêmes, ces aspects représentent le «plancher constitutionnel», c'est-à-dire le niveau d'équité en dessous duquel le système d'inscription des Indiens ne saurait tomber. Bien entendu, tant pour ce projet de loi que pour le prochain volet, le processus législatif devra viser plus haut afin d'essayer de rectifier les inégalités relevées de longue date dans le système d'inscription des Indiens.
Voilà les idées que nous souhaitions présenter au comité. Merci.
Le président: Merci. Nous allons passer aux témoins qui sont ici à titre personnel, en commençant par Pamela Palmater.
Pamela D. Palmater, professeure agrégée et présidente de la gouvernance autochtone, Université Ryerson, à titre personnel:
[Note de la rédaction: Le témoin s'exprime dans sa langue.]
Je suis de la nation souveraine Mi'kmaw, en territoire micmac non cédé. Merci de m'avoir invitée à vous parler de cette question. Je tiens avant tout à reconnaître que nous sommes en territoire algonquin, mais aussi que nous sommes ici en raison des combats de toute une vie qu'ont menés Mary Two-Axe Earley, Jeannette Corbiere Lavell, Yvonne Bédard et Sharon McIvor, combats qui sont maintenant repris par une autre génération sous les traits de Stéphane Descheneaux, de Lynn Gehl, de Jeremy Matson et de nombreux autres, comme Nathan McGillivray, dont les dossiers sont toujours en attente. Nous serons loin d'en avoir fini avec cette question si nous n'allons pas de l'avant avec les modifications proposées dans ce projet de loi pour remédier à la discrimination fondée sur le sexe.
Je crois aussi qu'il est important de dire que jusqu'ici, on n'a fait que danser autour du problème. On a parlé des iniquités et de la discrimination, mais le problème en est un d'inégalité entre les sexes. Ce n'est pas une question d'équité dans la détermination du statut de quelqu'un d'autre. Non, il s'agit d'établir si les hommes et les femmes sont traités sur un pied d'égalité. Ils ne le sont pas aux termes de la Loi sur les Indiens ni aux termes du projet de loiS-3, et nous avons d'innombrables exemples de cela.
Ma première réserve est que le Canada a failli à ses obligations constitutionnelles et juridiques de consulter les Premières Nations sur toute mesure législative qui pourrait avoir une incidence sur leurs droits, d'autant plus qu'aucun texte de loi n'a autant d'incidence sur leurs droits que celui sur l'inscription. Ils ont fait cela en toute connaissance de cause. Ils ont fait cela sans même essayer d'avoir un sursis ou de parler aux plaideurs. C'est tout à fait inacceptable. Nous ne pouvons plus continuer de venir à ces comités pour nous faire dire qu'ils sont «pressés par le temps». Vous avez une obligation légale, et cette obligation s'applique, que vous disposiez d'un jour ou de cinq ans pour régler la question. Le fait qu'ils ne se sont pas occupés de cette obligation légale pendant de nombreuses décennies est problématique, et nous espérons que ce comité ne leur permettra pas de continuer dans cette voie.
Deuxièmement, ce projet de loi ne tient pas compte de toute la discrimination fondée sur le sexe. Vous l'avez entendu de la bouche d'autres témoins. La Chambre entend des témoins, mais elle ne tient pas compte de ce qu'ils lui disent, ce qui est choquant puisque le ministre aura à certifier que le projet de loi est conforme à la Charte avant que la Chambre puisse lui donner le feu vert. Des gens qui sont à l'extérieur du cabinet du ministre n'ont toutefois aucune difficulté à trouver des exemples très précis de discrimination fondée sur le sexe. Je ne parle pas de tous les autres problèmes auxquels ce prochain volet — dont nous espérons tous un jour la venue — devra s'attaquer. Je parle de la discrimination fondée sur le sexe.
Toute femme qui a perdu et recouvré son statut pour toute autre raison que le mariage avec un non-Indien couvert aux termes du projet de loiC-3 est devenue 6(2) et ses enfants ont été privés du statut d'Indien, ce qui n'est pas le cas des hommes. J'ai une présentation écrite qui pourra vous servir de référence, car ces choses peuvent devenir très compliquées. Tout petit-enfant qui retrace son ascendance par des Indiennes qui ont marié des non-Indiens se verra refuser le statut d'Indien s'il est né avant 1951, au même titre que les filles illégitimes nées avant 1951 qui retracent leur ascendance par la lignée paternelle. Ce sont des exemples très précis de discrimination. Il y en a d'autres, mais notre objectif n'est pas d'en repérer 50; le simple fait qu'il y en ait un suffit à montrer que le projet de loi ne remédie pas à la discrimination fondée sur le sexe.
Selon les chiffres, le projet de loi ne remédiera qu'à environ 10p.100 des problèmes de discrimination fondée sur le sexe contenus dans la Loi sur les Indiens, ce qui est loin d'être acceptable pour un projet de loi. S'il arrivait à régler 90p.100 des problèmes et qu'il ne restait que quelques accrocs mineurs, ce serait autre chose, mais le fait est que la grande majorité des problèmes resteront intouchés.
L'autre problème, c'est celui de la hiérarchie. Entre 6(1)a) et 6(1)c), ou quels que soient les sous-ensembles que vous voudrez ajouter ou ne pas ajouter pour déterminer qui sont les vrais Indiens et qui ne le sont pas, qui sont moins Indiens que les autres, quels sont ceux que nous pouvons exclure en fonction de leur appartenance ou que nous pouvons considérer comme étant séparés, c'est un problème que ces questions de hiérarchie subsistent.
Un autre problème du projet de loiS-3 est qu'il y a maintenant de multiples sous-ensembles aux termes du sous- alinéa 6(1)c.1). Je peux vous garantir qu'aucune des personnes assises à cette table ne peut prendre le projet de loiS-3, le soumettre à un scénario concret et arriver à déterminer qui serait inscrit et qui ne le serait pas. Néanmoins, on demande à ce comité d'approuver un projet de loi que les membres eux-mêmes ne comprennent pas. Imaginez ce que cela signifie pour les Premières Nations. Imaginez ce que cela signifie pour notre identité. Je ne peux même pas vous dire à quel titre mes enfants vont être inscrits, et je suis avocate.
Il y a beaucoup d'autres problèmes en ce qui concerne la paternité non déclarée et le refus d'accorder une indemnisation. Les femmes autochtones et leurs descendants sont le seul groupe de personnes au Canada pour qui le refus d'accorder une indemnisation pour des violations de la Charte connues ou reconnues par un tribunal est inscrit dans une loi. Cela s'est fait par l'intermédiaire du projet de loiC-3, et le projet S-3 reprend cette disposition. Pourquoi continue-t-on à punir les femmes? Nous les faisons attendre pendant des décennies, puis nous leur servons un remède qui n'offre aucun avantage et nous leur disons qu'elles n'ont droit à aucune indemnisation. En continuant de laisser traîner le problème de l'inégalité des sexes, le Canada s'enrichit sciemment de façon injuste.
Voici mes recommandations: premièrement, il faut obtenir un sursis et faire les choses correctement, et, deuxièmement, il faut jeter ce projet de loi à la poubelle et en commencer un nouveau. Si vous ne faites pas cela, vous allez devoir apporter des amendements substantiels au présent projet de loi afin d'éliminer toute la discrimination fondée sur le sexe qu'il contient, nommément des choses comme toute personne née avant 1985, à un homme ou à une femme, marié ou pas, 6(1)a). Il n'y a pas d'autre option. À défaut de faire cela, vous ne ferez que rafistoler.
Supprimez l'article8 au complet, ainsi que le refus d'accorder une indemnisation. Le deuxième volet devra, au minimum, prévoir le financement intégral de consultations juridiques auprès de toutes les Premières Nations, des organismes de femmes autochtones, et le financement des Premières Nations devra être augmenté parce que leur population augmente. Qu'ils vivent dans les réserves ou à l'extérieur des réserves, les membres des Premières Nations sont sollicités pour fournir des services.
J'ai une petite note sur les chiffres. L'effet juridique de ce dossier est limité au Québec. Cela ne veut pas dire que c'est une bonne chose, mais disons qu'un certain temps a dû s'écouler puisque l'on a décidé de faire les choses correctement cette fois-ci. Le Québec compte pour moins de 10p.100 de l'ensemble de la population des Premières Nations du pays. Selon les projections faites à partir des chiffres du Québec, on estime que les nouvelles applications ne toucheront qu'environ 30000 personnes — soit entre 28000 et 35000, ce qui, au Québec, représente moins de 3000 personnes. La grande majorité des Premières Nations ne seront pas touchées, et personne ne perdra son statut.
Alors, ce n'est pas la situation désespérée que le gouvernement fédéral vous présente. Nous avons à la fois le temps et la possibilité de faire les choses correctement, sans qu'il y ait d'importantes répercussions. C'est ce que le gouvernement est censé faire: apporter des corrections en ayant une incidence minimale sur les droits.
Pour ce qui est des chiffres globaux, dans l'affaire McIvor, on a estimé — et vous pouvez me reprendre si je me trompe — que si la discrimination fondée sur le sexe avait été éliminée, environ 300000 personnes auraient été touchées. Savez-vous comment nous savons que la discrimination fondée sur le sexe n'a pas été réglée? C'est parce que l'affaire McIvor ne concernait que 38000personnes. Savez-vous comment nous savons que nous n'allons pas le refaire? C'est parce que cette affaire ne concernera pas plus de 35000 personnes. Si nous ne réglons pas cette question de discrimination fondée sur le sexe, plus de 100000personnes seront exclues de ce projet de loi. Nous sommes tous au courant de cela. Nous avons les chiffres. Nous avons la loi sous nos yeux. Nous savons ce que nous pouvons accomplir avec ce projet de loi, et il n'y a aucune raison de ne pas remédier à tous les problèmes de discrimination fondée sur le sexe.
Merci.
Le président: Merci.
Sharon McIvor.
Sharon McIvor, à titre personnel: Merci de m'avoir invitée. En fait, je ne suis pas tout à fait certaine de ce que je veux dire. Lorsque nous avons entrepris ce périple, il y a de cela bien des années, c'est-à-dire lorsque Jeanette Lavell a entamé cette procédure, nous savions qu'elle était d'un côté et que, de l'autre, il y avait le gouvernement fédéral et les organismes autochtones sous contrôle masculin.
Au fil des ans, chaque fois qu'il a été question du projet de loiC-31, on nous a dit que des consultations avaient été menées et que tous ceux qui avaient été consultés ne voyaient aucun problème à l'ajout de l'inadmissibilité de la seconde génération. Cet ajout ne les dérangeait pas.
C'est ce que l'on m'a dit pour ma poursuite: «Eh bien, nous avons fait des consultations, et ils ont dit qu'ils n'y voyaient pas d'objection.»
J'ai entamé des procédures en juillet 1989. J'ai finalement réussi à aller en cour en octobre 2006 et l'affaire McIvor a été entendue. Le premier jugement était un bon jugement, et la juge a proposé quelque chose pour remédier à la majeure partie des dispositions discriminatoires. Nous avons cru que c'était dû à la présence du gouvernement Harper, mais ce n'était peut-être pas le cas. Ils ont décidé de modifier la loi, mais de façon très restreinte.
Tout au long de l'affaire McIvor, nous avons entendu des choses comme: «Eh bien, nous voulons consulter. Nous allons consulter. Nous allons modifier la loi. Nous allons nous débarrasser de la Loi sur les Indiens. Nous allons faire ceci, nous allons faire cela.» Il n'en reste pas moins que mon problème est sérieux. Nous sommes aux prises avec une discrimination fondée sur le sexe. Notre Charte et nos lois sur les droits de la personne, ainsi que les lois internationales en la matière affirment que cet état de fait est inacceptable. Je ne comprends pas pourquoi vous avez besoin de consulter à nouveau les gens pour qu'on vous dise: «Eh bien, nous ne voyons pas d'inconvénient à ce que la discrimination continue.» À ma connaissance, nous sommes le seul groupe qui a été mis en attente pour qu'on puisse aller demander à quelqu'un d'autre s'il trouve correct que la discrimination continue. Pour moi, cela n'a aucun sens, et c'est ce que vous faites.
Il faut que vous sachiez que j'ai présenté une pétition au Comité des droits de l'Homme des Nations Unies au sujet de la discrimination présente dans la Loi sur les Indiens. Elle devait être entendue en juillet 2016. Le Canada a présenté une demande pour que l'audience soit reportée au-delà du 3 février 2017 en raison du jugement qui l'enjoint à modifier la loi. Je m'y suis opposée. Je voulais que ma cause soit entendue parce que je ne pensais pas que le Canada allait être particulièrement efficace pour supprimer la discrimination fondée sur le sexe.
Durant cette période, nous avons aussi eu des interactions avec le gouvernement du Canada, et il nous a dit — à nous et au Comité des droits de l'Homme des Nations Unies — qu'il allait répondre au jugement Descheneaux, mais qu'il allait aussi supprimer de la Loi sur les Indiens tout ce qui était reconnu comme étant de la discrimination fondée sur le sexe d'ici le 3février 2017. Le Comité des droits de l'Homme a accepté de remettre l'audience pour ma pétition au mois de mars 2017.
Beaucoup de choses sont en train de se passer. Lorsque nous nous prêtions à l'exercice avec la ministre Bennett, elle a très clairement affirmé que tout ce qui était reconnu comme étant de la discrimination fondée sur le sexe allait disparaître de la Loi sur les Indiens d'ici le 3 février 2017, et elle a fait paraître un communiqué de presse à ce sujet. Elle l'a signalé dans la demande qu'elle a fait parvenir au Comité des droits de l'Homme afin qu'il reporte l'audience pour ma pétition.
Plusieurs choses ont lieu à cet égard, des choses que je trouve vraiment pénibles à entendre ce matin. Nous voilà revenus à la position d'avant 1985.
Nous devons aller à la rencontre des Autochtones. Nous devons leur demander ce qu'ils veulent. Depuis le début, je soutiens que personne n'a le droit d'être d'accord avec le fait que l'on soit discriminatoire à mon endroit; personne n'a ce droit. En tant que parlementaires, vous avez l'obligation fiduciaire absolue de veiller à ce que l'on ne soit pas discriminatoire à mon endroit ni à l'endroit de mes sœurs, de nos enfants et de nos petits-enfants. Je ne crois pas que vous puissiez demander à qui que ce soit de vous dire s'il croit qu'une telle chose est acceptable.
Et c'est ce qui s'est produit en 1985. Il y avait 20000documents que le gouvernement a brandis comme preuve qu'il avait mené des consultations, et ces documents disaient que l'inadmissibilité des femmes de la seconde génération était correcte.
De plus, comme Pam le disait, la date du 4 septembre 1951 touche à un grand nombre de gens. J'ai reçu une lettre d'une femme qui est née le 2 septembre 1951 et j'ai dû lui dire que, selon la loi, elle n'était pas admissible à l'inscription.
Lorsqu'il a modifié la loi en 1985, David Crombie a dit que tout ce qui était discriminatoire allait être éliminé, mais ses collaborateurs lui ont dit que cela allait coûter trop cher, alors il a reculé. Il a donc instauré l'inadmissibilité de la seconde génération, en précisant qu'il allait falloir en débattre devant les tribunaux afin d'arriver à la prochaine étape.
Quoi qu'il en soit, à moins que vous n'amendiez le projet de loi et que vous éliminiez tout ce qui est reconnu comme étant discriminatoire dans la Loi sur les Indiens, eh bien, je ne sais pas si je vais revenir. C'est ce que je fais depuis un temps considérable, mais c'est votre devoir de régler ce problème.
J'ai entendu parler de cette consultation. L'autre chose qui est vraiment inquiétante, c'est cette consultation au sujet de l'autonomie gouvernementale et de l'autodétermination. Beaucoup de femmes et beaucoup de leurs descendantes ne font pas partie du groupe. Or, à moins qu'on leur permette de réintégrer le groupe et que tout le monde soit en mesure d'avoir son mot à dire sur ce que sera la nation, le processus restera complètement discriminatoire.
Aujourd'hui, je vous exhorte. Je crois que la dernière fois, je vous ai supplié. Je ne sais pas si certains d'entre vous étaient là lorsque j'ai supplié le comité d'agir. S'il vous plaît, éliminez la discrimination. Supprimez-la. Vous ne gagnez rien à la laisser là.
Je ne sais pas qui vous conseille sur le plan juridique. Je suis désemparée à l'idée que ces personnes puissent vous dire: «Eh bien, faites des consultations. Faites ceci; faites cela.» On ne consulte pas lorsqu'il s'agit de discrimination. Vous pouvez consulter sur une foule d'autres choses, mais laissez-nous réintégrer nos collectivités et participer à ce processus de consultation, pas de l'extérieur, mais de l'intérieur. C'est quelque chose que vous pouvez faire. Vous avez le pouvoir absolu pour le faire.
Merci.
Le président: Merci.
Nous allons maintenant passer à l'organisme Femmes Autochtones du Québec Inc. Nous entendrons MmeViviane Michel, présidente, et Cynthia Smith, analyste juridique et politique.
[Français]
[Note de la rédaction: Le témoin s'exprime dans sa langue maternelle.]
Viviane Michel, présidente, Femmes autochtones du Québec Inc.: Bonjour à tous. Je me permets toujours de remercier le créateur de nous avoir guidées jusqu'ici.
Honorables sénateurs, l'organisme Femmes autochtones du Québec désire reconnaître la Première Nation Anishinaabe qui nous accueille dans son vaste territoire non cédé.
J'aimerais souligner une autre forme de discrimination qui est omniprésente au Québec sous une autre forme. Aujourd'hui, cet accueil revêt un sens particulier, compte tenu des événements récents survenus au Québec. C'est sur le territoire des Anishinaabes que des femmes autochtones ont dénoncé avec courage les abus et la violence qu'elles ont subis des policiers de la Sûreté du Québec. L'organisme Femmes autochtones du Québec réitère le fait qu'elle croit ces femmes et qu'elle revendique une commission d'enquête judiciaire indépendante provinciale au Québec; c'est important pour nous de le mentionner. Nous sommes en pleine lutte pour ces femmes.
Femmes autochtones du Québec est une organisation composée de femmes autochtones qui, depuis 1974, se rassemblent pour mettre fin à l'injustice afin que leurs enfants puissent grandir parmi les leurs et qu'ils puissent connaître leur langue, leur culture et leurs traditions et en être fiers. Depuis 1974, l'organisme Femmes autochtones du Québec lutte contre les politiques d'assimilation de nos peuples et contre la discrimination basée sur le sexe que contient la Loi sur les Indiens et qui constitue les bases de cette loi.
Encore aujourd'hui, en 2016, nos sociétés en subissent les déchirements. Selon la tradition orale autochtone à cette époque, à l'époque précoloniale, la vie entre les hommes et les femmes était bien définie. Bien que leurs rôles étaient distincts, ceux-ci étaient valorisés de manière égale. Il existait un respect mutuel entre les sexes et les générations. Les femmes autochtones bénéficiaient d'un niveau de respect, d'égalité et de pouvoir politique que n'auraient jamais pu espérer les Européennes de la même époque. Plusieurs sociétés autochtones étaient d'ailleurs matriarcales et matrilinéaires dans leur fonctionnement. Comme vous le savez, cet équilibre entre les sexes a été violemment déstabilisé par les politiques coloniales qui ont été mises en vigueur subséquemment, et ce, de manière consciente de la part du Canada.
La colonisation a eu un effet dévastateur sur nos peuples, notamment à cause de politiques assimilatrices de plus en plus agressives. Celles-ci visaient particulièrement nos femmes et nos enfants. Le gouvernement canadien connaissait très bien l'importance des femmes dans nos sociétés, notamment en ce qui a trait à leur rôle dans la transmission des connaissances. Ce dernier n'était pas sans savoir que, pour arriver à ses fins, pour qu'il n'y ait plus de question «indienne» ni de ministère des Affaires indiennes au Canada, il fallait déraciner nos peuples pour les arracher à nos terres et à nos traditions. Il est écrit, noir sur blanc, que cette loi a été établie pour accélérer la dépossession territoriale et diminuer le nombre d'Autochtones au Canada.
Dans son rapport annuel de 1985, on peut lire la position claire du ministère des Affaires indiennes qui visait à s'en prendre à nos langues pour nous assimiler en tant que peuple. Les moyens mis de l'avant pour atteindre cet objectif étaient d'attaquer les piliers de nos sociétés, soit nos femmes, celles qui transmettent le savoir, et nos enfants, l'avenir de nos sociétés.
La Loi sur les Indiens était un outil pour y parvenir, en définissant qui est Indien au Canada, de manière patriarcale et paternaliste. Dans les années 1800, était Indien tout individu dont le père l'était et perdait son identité autochtone, au sens de la loi, toute femme qui épousait un allochtone.
Cette même loi a rendu obligatoire le système des pensionnats qui visait, et je cite: «à tuer l'Indien au cœur de l'enfant». Cette loi a été bâtie sur des fondations qui ciblaient spécifiquement l'anéantissement de nos sociétés et qui s'en prenaient à nos femmes et à nos enfants et, par le fait même, à la transmission de nos langues, de nos cultures et de notre mode de vie, y compris de notre identité.
Si le Canada est sincère dans ses intentions de réconciliation avec les peuples autochtones, il se doit de se responsabiliser en acceptant l'histoire de ses impacts sur nos sociétés actuelles. Femmes autochtones du Québec est d'avis qu'il est impossible d'atteindre la réconciliation si nos relations sont régies par une loi qui ne nous reconnaît pas le droit de déterminer nous-mêmes qui nous met sous tutelle, et ce, en fonction de bases raciales et discriminatoires.
Au début des années 1970, la Loi sur les Indiens a fait l'objet de contestations judiciaires, à la suite de très longs et valeureux combats menés par Mmes Mary Two-Axe, Jeannette Corbiere Lavell, Sandra Lovelace Nicholas et Sharon McIvor. Le Canada, qui refusait de reconnaître le caractère discriminatoire basé sur le sexe de la Loi sur les Indiens, a vu sa position invalidée à l'échelle internationale par les Nations Unies qui lui ont demandé de modifier la loi.
En 1985, le projet de loiC-31 est adopté afin de pallier ces discriminations. Toutefois, il n'y met pas fin, mais en crée de nouvelles. Il mène à la création de deux catégories de statuts. Désormais, les Autochtones statués se divisent selon les paragraphes 6(1) et 6(2), ce qui s'apparente douloureusement à l'eugénisme. La création de ces articles introduit dans la Loi sur les Indiens un concept de pureté de sang qui vient encore une fois diviser le peuple et imposer un système étranger dans nos façons de gouverner.
En 2011, Sharon McIvor continue le combat en se prononçant contre les discriminations basées sur le sexe, qui découlent encore une fois de la loi. En résulte le projet de loiC-3, qui ne parvient pas à mettre un terme à ces années de discrimination.
Nous voilà encore une fois réunis aujourd'hui, en 2016, pour traiter des mêmes enjeux. Femmes autochtones du Québec vous demande, mesdames et messieurs, de constater l'absurdité du contexte actuel et la nature insidieuse de ces exercices comme celui auquel nous nous livrons actuellement. Femmes autochtones du Québec souligne le courage et la persévérance des femmes et des hommes qui ont livré ces combats juridiques. Nous reconnaissons néanmoins que chacune des modifications n'est qu'un minuscule pansement sur la plaie grave et béante d'un génocide culturel entamé par le Canada envers les peuples autochtones.
Femmes autochtones du Québec rappelle au Parlement l'existence de l'article33.1 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui établit que les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions. Le statut d'Indien qui se décline en catégories et qui est octroyé selon des critères qui demeureront sexistes, même après les modifications proposées actuellement, représente une violation flagrante de ce droit de décider pour nous-mêmes qui nous sommes.
En 2011, notre association a tenu un rassemblement des nations où nous avons abordé le thème de l'identité avec nos membres. Ensemble, elles ont exprimé que ce sont la langue, la culture, l'appartenance au territoire, les valeurs et les traditions qui sont les marqueurs de notre identité et de notre citoyenneté autochtone, et non pas le quantum de sang et la délivrance d'une carte sur laquelle est apposé un numéro enregistré par le gouvernement du Canada.
Dans le contexte d'aujourd'hui, Femmes autochtones du Québec demande que le gouvernement du Canada élimine une fois pour toutes la discrimination que subissent les femmes, notamment celles qui, pour plusieurs raisons, ne déclarent pas la paternité imposée de leurs enfants. Nous demandons également que les femmes qui souffrent de discrimination depuis la période qui précède 1951 puissent retrouver leur statut avant qu'il ne soit trop tard.
Enfin, nous demandons au gouvernement d'éliminer les catégories de statuts qui distinguent les Autochtones et qui donnent lieu à une hiérarchie méprisable et discriminatoire en fonction du critère ni plus ni moins raciste et honteux qu'est la pureté du sang. Femmes autochtones du Québec demande au gouvernement du Canada de laisser aux Premières Nations le soin de déterminer elles-mêmes qui elles sont.
Consciente de l'intention du gouvernement d'entamer une seconde phase dès février 2017, Femmes autochtones du Québec se propose de collaborer avec lui dans ce processus. Nous avons l'expertise de cet enjeu depuis 1974 et nous croyons que nous pouvons contribuer à un bel avancement vers la réconciliation et vers l'avenir de nos peuples, de nos femmes, de nos enfants et de la prochaine génération. Ce que Femmes autochtones du Québec souhaite, c'est éliminer toute discrimination basée sur le sexe.
Je vous remercie.
[Traduction]
Le président: Nous allons maintenant répondre aux questions des sénateurs.
Le sénateur Patterson: Je veux remercier les témoins de leurs ferventes présentations.
J'ai trois brèves questions. La première s'adresse au Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes et à MmeNerland. Le comité doit déterminer ce qu'il doit faire avec le court laps de temps dont il dispose, et nous avons besoin de vos conseils. Vous dites que nous devrions retirer le projet de loiS-3 afin de faire un meilleur travail ou l'amender. Maintenant que le projet de loi est devant le comité, nous avons trois options: nous pouvons l'adopter, l'adopter avec des amendements ou ne pas l'adopter. Si, en affirmant qu'il doit être retiré, vous nous recommandez de ne pas l'adopter, comment devrait-il selon vous être amendé?
MmeNerland: Je suis d'accord avec Pam à cet égard. Ce qu'il faut, c'est de faire en sorte que tout le monde soit assujetti à l'équivalent de l'alinéa 6(1)a). Un amendement avait été apporté à cette fin en réponse au projet de loi qui a en fin de compte été adopté relativement à l'affaire de MmeMcIvor. Je crois que ce serait la réponse appropriée.
Le sénateur Patterson: D'accord. Merci.
La deuxième question s'adresse à l'Association du Barreau canadien, et j'en profite pour vous remercier de votre exposé. Votre recommandation sans équivoque est que nous nous abstenions de renvoyer le projet de loi à la Chambre jusqu'à ce que toutes les consultations prévues aient été menées à terme et que le ministre confirme qu'aucun autre amendement n'est requis.
Ce matin, les représentants du cabinet du ministre nous ont dit que nous devions aller de l'avant pour veiller à ce que — et je cite les propos mêmes du sous-ministre adjoint — «la justice soit rendue sans plus de délais pour les défendeurs, leurs familles et les autres personnes touchées directement».
Nous craignons que le fait de bloquer ce projet de loi de quelque façon sera perçu comme un moyen de priver jusqu'à 35000 personnes de leurs droits. Je comprends que ce n'est pas aussi simple que cela, mais il se peut très bien que ce soit perçu de cette façon.
Vous avez entendu MmePalmater lorsqu'elle a dit que nous ne devrions pas nous sentir limités par le délai fixé par la cour, que le projet de loi ne s'appliquera qu'à un petit nombre de personnes dans une province, et que nous devrions mettre le projet de loi à la poubelle et en préparer un nouveau.
Si nous donnons suite à votre recommandation de ne pas renvoyer le projet de loi à la Chambre, ce qui équivaut à le rejeter, êtes-vous d'avis que cela n'aura que des effets minimes sur les droits des personnes comparativement à tous les avantages qu'il y aurait à faire les choses correctement?
M.Taylor: Je me dois de préciser que la recommandation n'est pas de retenir le renvoi du projet de loi à la Chambre par le Comité jusqu'à ce que toutes les consultations concernant le deuxième volet soient terminées; il n'est question que des consultations menées dans le cadre du premier volet. Dans le débat en deuxième lecture, je crois qu'il a été dit que la date butoir était, en fait, vendredi prochain. Nous avons indiqué que c'était la dernière chance que le gouvernement a de répondre en proposant des amendements. Nous espérons toujours que le gouvernement prendra son objectif au sérieux, c'est-à-dire de remédier à toute forme reconnue de discrimination fondée sur le sexe, ainsi qu'à toutes celles qui auront été mentionnées et soulevées lors du processus de consultation, acceptant le processus tel qu'il est et sans en remettre en question la validité.
En réponse à une chose que MmeMcIvor a mentionnée, je dirai qu'il est selon nous entendu que toutes les personnes qui ont été exclues des gouvernements des Premières Nations au cours des dernières décennies en raison de la discrimination qui s'est exercée dans le passé doivent aussi participer à la consultation. L'objectif du processus de consultation n'est pas de trouver une justification aux termes de l'article1, mais de veiller à ce que l'article15 soit intégralement mis en œuvre — comme je l'ai dit, il s'agit d'un plancher constitutionnel — et d'aller plus loin, au besoin.
En ce qui concerne la date du 3 février, la réalité est qu'il y a, au Québec, un groupe de demandeurs qui ont obtenu gain de cause. Comme l'affaire a été traitée par la Cour supérieure du Québec, l'effet juridique de cette décision est limité au Québec. S'il s'était agi de la Cour fédérale, la décision se serait appliquée à toutes les provinces. Sur ce point, je suis d'accord avec MmePalmater.
L'Association du Barreau canadien n'a pas de position officielle à ce sujet, mais je suis d'avis que le premier volet et les deux processus ont mis en évidence qu'il y avait au moins trois ou quatre catégories de personnes évoquées dans le projet de loiS-3 qui sont victimes d'iniquités et que cette situation doit être corrigée. Il n'y a aucune raison de ne pas le faire. Le problème émerge lorsque l'adoption du projet de loi permet au gouvernement de croire que le problème a été corrigé et qu'il peut laisser les choses en l'état, ce qui incite de nouveaux demandeurs à soumettre d'autres cas, avec tout ce que cela signifie de coûts connexes et de délais pour garantir l'égalité. Si l'engagement du gouvernement et du Parlement est véritable, ce qui est en partie à la base de la recommandation de soumettre à nouveau la question à un comité à l'intérieur d'un court laps de temps, le fait de n'avoir vu qu'à ces trois catégories pendant que les autres attendent devient moins dramatique parce qu'il y a une certaine promesse de changement pour les autres personnes qui ont fait l'objet de discrimination, mais qui n'ont pas gagné de procès.
Le sénateur Patterson: Cette question s'adresse au Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes. Vous m'avez surpris lorsque vous avez dit que vous étiez d'avis qu'une prolongation serait très probablement accordée. Nous avons entendu — et je suis persuadé que vous l'avez aussi entendu — que c'est une option que le ministère n'envisage pas puisque cela ne laisserait que trois mois, tout au plus, compte tenu des délais qui ont cours au Parlement, et que cela n'était pas suffisant. La cour demande au Parlement de faire de son mieux. On nous a dit que les précédents sont très clairs à ce sujet. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous croyez que ce scénario ne devrait pas être écarté?
Kim Stanton, directrice juridique, Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes: Bien sûr. Merci de cette question.
Tout d'abord, des prolongations ont été accordées lorsque l'affaire McIvor était le cas qui était traité ou qui appelait à une modification de la loi. Alors, il y a un précédent quant à la possibilité d'obtenir des prolongations. De plus, les demandeurs dans l'affaire Descheneaux ont indiqué qu'ils étaient prêts à accepter un délai si cela allait permettre d'améliorer les choses dans l'intérêt général.
La question fondamentale est de régler le problème. Nous savons que ce projet de loi ne règle pas le problème, et qu'il vaut la peine de prendre le temps qu'il faut pour ce faire, même si vous croyez que cela pourrait vous retarder. Dans son jugement, la juge de l'affaire entendue au Québec a signifié sans détour qu'il serait préférable que le gouvernement ne se contente pas de recourir à une autre solution fragmentée pour tenter de régler ce problème flagrant qui dure depuis des décennies. Par conséquent, c'est vraiment au gouvernement qu'incombe cette responsabilité, et c'est bien dommage puisqu'il s'avère qu'un changement de gouvernement ne fait aucune différence.
Dans ce cas particulier, les femmes autochtones sont les moins en mesure de s'adresser aux tribunaux pour régler ces problèmes. Elles sont constamment contraintes de le faire, et il n'y a absolument aucune raison pour laquelle ce gouvernement ne devrait pas prendre un peu plus de temps pour faire les choses comme il se doit et régler cela une fois pour toutes.
Le sénateur Tannas: Je veux être certain de bien comprendre. C'est peut-être évident ou j'ai peut-être mal compris.
Si nous avions un projet de loi qui, essentiellement et en quelques phrases — je n'ose croire qu'il en faudrait plus —, éliminait l'inadmissibilité de 1951 et qui rendait 1985 rétroactivement applicable à tous depuis des temps immémoriaux, y aurait-il encore de la discrimination fondée sur le sexe? Seriez-vous d'accord avec cela? Je sais qu'il y a eu des allusions à l'inadmissibilité de la seconde génération. D'après ce que je comprends, il s'agit de discrimination des deux côtés en matière d'égalité des chances, mais est-ce que cela permettrait d'atteindre notre objectif?
MmePalmater: En ce qui concerne l'inscription proprement dite, que vous soyez un Indien ou non, et quel que soit le type d'Indien que vous êtes aux termes de la Loi sur les Indiens, si nous appliquions les dispositions de l'alinéa 6(1)a) de façon systématique avant 1985, marié ou pas, homme ou femme, cela réglerait la majeure partie de la discrimination en matière d'inscription. Cela ne remédierait pas aux autres problèmes entourant la paternité non déclarée, à l'absence d'indemnisation pour les violations de la Charte ou à ces autres types de discrimination fondée sur le sexe, mais pour ce qui est de l'inscription des Indiens proprement dite, je ne vois pas d'autres cas qui ne seraient pas couverts. Si vous en voyez, dites-le-moi. Cela réglerait ce problème, et c'est la raison pour laquelle nous l'avons proposé dans le cadre de l'affaire McIvor, du projet de loiC-31 et de toutes les autres causes.
Le sénateur Tannas: Je reviens au chiffre d'environ 300000que vous avez avancé, madame Palmater. Cela signifierait qu'environ 300000 personnes s'ajouteraient, et nous comprenons tous que le ministre des Finances tomberait en syncope si cela devait se passer. Toutefois, si nous voulons nous montrer courageux, novateurs et transparents, si nous voulons traiter de nation à nation et si nous voulons régler cela de façon équitable et franche, c'est vraiment ce que nous devrions faire, n'est-ce pas?
MmePalmater: Pour répondre à cela, il me faut poser la question suivante: pourquoi l'argent est-il un facteur déterminant seulement lorsqu'il s'agit des femmes autochtones et de nos descendants? Combien de Canadiens naissent chaque année? Est-ce que le ministre des Finances tombe en syncope pour autant? Combien d'immigrants faisons-nous venir au pays? Est-ce que le ministre des Finances tombe en syncope pour autant? Ce n'est que lorsqu'il est question des femmes autochtones et de leurs descendants que l'argent devient tout à coup un argument. Or, si vous examinez le sous-financement chronique des programmes destinés aux Premières Nations, vous allez réaliser qu'il y a globalement des économies à faire en nous ajoutant à la liste des inscrits, mais cette question n'a pas encore été abordée.
Le sénateur Tannas: Selon moi, c'est une évidence dont personne ne veut parler: nous sommes saisis d'un projet de loi qui porte le titre absurde d'«élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription».
Par conséquent, si nous adoptons le projet de loi, il faudra modifier ce titre. J'aimerais vous en proposer trois et je voudrais savoir lequel vous recommanderiez. En voici un: «réduction des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription». On pourrait aussi l'intituler «jeu sempiternel du chat et de la souris dans le contexte des iniquités fondées sur le sexe» ou encore «élimination éventuelle des iniquités fondées sur le sexe». Lequel préférez-vous?
Merci.
Le sénateur Meredith: Merci à vous tous des exposés que vous nous avez faits aujourd'hui et de la passion avec laquelle vous œuvrez dans ce dossier important.
Madame Palmater, je vous comprends parfaitement, et cela vaut d'ailleurs pour tous les témoins. Dans la première partie de notre séance, la sous-ministre adjointe nous a parlé d'une stratégie plus globale pour la deuxième étape. J'ai l'impression que vous ne partagez pas ce point de vue, notamment en raison du manque de consultation qui en résultera.
Pourquoi y a-t-il une telle appréhension à l'égard de ce point précis? Le bureau de la ministre nous a informés de sa décision de créer une approche plus globale. N'oublions pas ce que la ministre avait indiqué dans sa communication à propos de l'élimination de toute discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Bien entendu, il s'agit ici d'un changement de cap, puisque cette idée n'a pas été retenue. Pouvez-vous m'en dire plus à ce sujet?
MmePalmater: Je ne me fie plus aux belles paroles. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais le projet de loiC-31 est venu mettre fin aux promesses de changements futurs. C'est ce qui a empêché les femmes d'avancer. «Contentez-vous de ceci pour l'instant. Nous allons inclure certaines d'entre vous maintenant, puis tout ira bien plus tard.» Eh bien, cela n'a pas été le cas.
Voilà qu'on présente le projet de loiC-3 en disant: «Faites ceci maintenant. Ne vous inquiétez pas, nous allons lancer un processus pour nous occuper du reste.» Où est donc le processus qui découle de l'arrêt McIvor? Je ne l'ai toujours pas vu.
Donc, la promesse d'un processus futur ne vaut rien. Dans le même ordre d'idées, lorsqu'un gouvernement promet des fonds au-delà de son mandat, cela revient à dire qu'il n'y aura aucun financement. Pourquoi devrions-nous attendre de prendre des mesures contre la discrimination fondée sur le sexe, sachant que Justice Canada est au courant de la situation depuis longtemps, avant même le dépôt du projet de loiC-31? C'est un risque juridique, et il faut régler le problème, mais on remet le dossier sans cesse à plus tard.
Le gouvernement attend notre disparition. Je ne sais pas si on vous l'a dit, mais le démographe de Justice Canada utilise une date d'extinction, prévue par la loi, pour chaque Première Nation du pays; si le gouvernement attend suffisamment longtemps, il n'aura plus besoin de s'inquiéter des Premières Nations ni de s'occuper de questions comme le statut ou les droits issus de traités.
Très franchement, il ne s'agit pas seulement de prestations. C'est une question de vie ou de mort pour les femmes autochtones. C'est la cause première de l'assassinat et de la disparition des femmes autochtones. Pourquoi diable n'agirait-on pas le plus tôt possible pour éradiquer le problème et aller de l'avant, en tant que société compatissante, au lieu de se croiser les bras sous prétexte de ne pas vouloir imposer sa volonté? Allô! C'est la loi! En vertu de la Charte, les hommes et les femmes sont égaux. C'est ce que prévoient aussi les droits issus de traités reconnus dans la Constitution, ainsi que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous n'accepterons rien de moins que l'égalité totale et absolue; ce n'est tout simplement pas une option.
Le sénateur Meredith: Monsieur Taylor, vous avez parlé des poursuites relatives à l'article8. Selon moi — et je crois que tous les membres du comité partagent cette opinion —, il est dommage que les ressources attribuées aux Premières Nations servent maintenant à lutter contre la Couronne pour, entre autres, les ajouts aux réserves, la rétroactivité et la compensation.
Avez-vous une idée du nombre de poursuites auxquelles donnerait lieu le projet de projet si nous l'adoptions sans retirer l'article8?
M.Taylor: Dans sa forme actuelle, le projet de loi contient une clause d'exemption à l'article8, qui dégage essentiellement le gouvernement de toute responsabilité préalable à son entrée en vigueur. Je n'ai pas de chiffre concret. Là où je veux en venir, c'est qu'en décidant de ne pas agir, en empêchant les femmes et leurs descendants de s'inscrire au registre des Indiens, le gouvernement se permet au fond d'économiser des coûts. C'est, en quelque sorte, une mesure économique destinée à contrôler les coûts par la réduction du nombre de membres.
La discrimination ne devrait pas avoir pour résultat un gain économique ou un avantage pour le gouvernement. Le retrait de l'article8 permettra de modifier l'incitatif financier. Si le gouvernement sait que le Parlement ne l'autorisera pas à faire preuve de discrimination et à se dégager de toute responsabilité à l'égard des conséquences de ses actions du passé, sous prétexte que seules les conséquences de ses décisions futures entrent en ligne de compte, il n'aura alors aucune raison d'attendre que quelqu'un obtienne gain de cause dans les autres catégories dont mes collègues vous ont parlé ce matin.
Le sénateur Meredith: Madame Nerland, pourriez-vous nous faire part, vous aussi, de vos observations à ce sujet?
MmeNerland: J'aurais tendance à préconiser, moi aussi, le retrait de l'article8. Les prestations destinées aux gens qui en ont été privés et qui se battent depuis 30 ans pour y avoir droit représentent un coût énorme. Selon moi, il est inexcusable que le gouvernement affirme que ces gens ne peuvent pas chercher à obtenir compensation.
Le sénateur Enverga: Merci d'être des nôtres. Après avoir entendu tous les points de vue passionnés, je me dis qu'au fond, cela se résume à trois mots: consultation, consultation, consultation. Je crois que c'est l'essentiel de votre message.
Ce qui me préoccupe, c'est que, comme vous l'avez mentionné, le gouvernement s'inquiète du coût. Vous vous posez peut-être la question suivante: pourquoi ne pourrions-nous pas investir dans l'infrastructure sociale? Aidons donc les femmes autochtones à recevoir les prestations dont elles ont besoin et qu'elles méritent.
Si nous devions parler au ministre des Finances ou à la ministre des Affaires autochtones et du Nord, qu'aimeriez- vous que nous leur disions?
MmePalmater: Eh bien, c'est assez simple. Le ministère des Affaires autochtones et du Nord canadien, cette institution bureaucratique de 5000 personnes qui engloutit plus de la moitié de notre financement, essaiera de faire valoir qu'il a besoin de tous ces employés pour trouver une solution à cette question complexe. Au bout du compte, il s'agit de mettre fin à l'ingérence et à la discrimination. Si le Canada prenait aujourd'hui l'engagement de respecter ses propres lois et de ne pas faire de discrimination contre les femmes autochtones, en particulier, ou contre les Premières Nations en général, il n'y aurait pas de financement discriminatoire ni de discrimination fondée sur le sexe. Il n'y aurait rien de tout cela. Nous ne serions pas aux prises avec des crises de toutes sortes: logement, accès à l'eau potable, bien- être des enfants, femmes autochtones assassinées ou disparues. Toutefois, comme le gouvernement fédéral peut exercer de la discrimination en toute impunité, rien ne l'incite à s'attaquer à ce problème.
Je suis toujours pour les consultations parce que je nous considère comme des nations souveraines. Pour ce qui est de l'égalité entre les sexes — et j'ai fait cette distinction dans mon exposé —, il faut apporter une nuance. La discrimination fondée sur le sexe n'est tout simplement pas une option, ni en droit traditionnel ni en droit canadien. S'agissant d'égalité entre les sexes, vous n'avez pas besoin de mener des consultations, mais vous devez absolument le faire pour toutes les autres questions.
Le sénateur Enverga: Madame McIvor, vous avez dit avoir parlé à notre ministre. Que voudriez-vous qu'on révise dans le projet de loi? Qu'aimeriez-vous dire personnellement à la ministre à ce stade-ci?
MmeMcIvor: Eh bien, tout. Lors de la première consultation sur l'arrêt McIvor, le comité n'était pas dominé par les conservateurs. En fait, on avait rédigé un projet de loi qui excluait la partie sur la non-compensation. On l'a présenté au Parlement, et les conservateurs ont demandé au Président de le déclarer irrecevable.
Ce projet de loi est toujours là, et c'est ce dont nous parlons. Il a été présenté à la Chambre des communes par le député libéral Todd Russell, si je ne m'abuse. L'élimination de l'article sur la non-compensation était le seul amendement que le Président n'a pas déclaré irrecevable. Au final, les députés ont décidé d'abandonner le projet de loi, mais ils en ont rédigé un autre en reprenant la version antérieure, à l'exception de l'amendement qui avait été jugé recevable. Ils ont donc aboli le projet de loi pour ensuite le refaire. On avait là une mesure législative qui, selon moi, et comme l'a laissé entendre la juge Ross, aurait permis d'éliminer, en grande partie, le problème de la discrimination. Ce projet de loi est donc là. Il est très court — c'est le libellé complet de l'alinéa 6(1)c.1). Ce n'est pas long du tout.
Le sénateur Oh: Madame McIvor — et je m'adresse aussi aux autres témoins —, sachez que je suis toujours choqué et déçu de voir le traitement honteux que l'on inflige aux Autochtones. Je tiens à vous féliciter de votre courage et de votre détermination à continuer de vous battre dans ce dossier. Le Canada, en tant que pays du G7, défend la lutte contre la discrimination et le respect des droits de la personne sur la scène mondiale. Je suis tout à fait consterné de voir ce qui vous arrive. C'est inacceptable.
Mes collègues ont posé beaucoup de questions sur les amendements à apporter au projet de loi. À mon avis, nous ne pouvons plus continuer d'adopter des amendements isolés, sans régler cette question une bonne fois pour toutes. Ne lâchez pas le combat. Nous serons derrière vous.
La présidente: Je vais enchaîner avec une question qui s'inscrit dans la lignée des propos du sénateur Oh.
Croyez-vous qu'il y a moyen de rendre le projet de loi acceptable si nous y apportons des amendements qui tiennent compte des arguments que vous avez soulevés? Je sais que l'Association du Barreau canadien a proposé quelques amendements. Aimeriez-vous ajouter des observations à ce sujet?
MmePalmater: Supprimez tous ces articles et ajoutez la disposition que nous avons proposée afin que tout le monde soit admissible en vertu de l'alinéa 6(1)a); voilà qui fera l'affaire. Eh bien, ainsi, vous n'aurez plus besoin de 50 catégories différentes; les hommes et les femmes sont égaux, un point c'est tout.
La présidente: Mmes McIvor et Palmater ont parlé, toutes deux, d'un amendement qui avait été proposé lorsque le projet de loiC-3 était à l'étude. Si j'ai bien compris, cet amendement se résume à un assez petit paragraphe qui permettrait, en gros, d'éliminer toutes les autres dispositions complexes, aussi élégantes soient-elles, pour les remplacer par un simple alinéa, lequel avait été déclaré irrecevable auparavant. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi tel avait été le cas?
MmePalmater: De mémoire, c'était une question de procédure, c'est-à-dire quand et comment l'amendement avait été proposé; cela n'avait rien à voir avec le contenu proprement dit. Voilà pourquoi l'amendement avait été déclaré irrecevable — le contenu n'y était pour rien.
MmeMcIvor: Selon la procédure, une fois qu'on dépose un projet de loi, certaines restrictions s'imposent quant aux types de modifications qu'on peut y apporter. C'est ce qui s'est passé.
Je crois que l'article9 dispensait le gouvernement de l'obligation d'accorder une indemnisation. Cette disposition a été carrément supprimée. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un amendement assez court; s'il a été rejeté, ce n'est pas faute de pertinence, mais bien parce que les modifications proposées allaient au-delà de ce que le comité était autorisé à faire.
M.Taylor: Prenez le titre du projet de loiC-3, une loi visant à donner suite à la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire McIvor, et comparez-le à celui du projet de loi à l'étude, qui vise à mettre fin aux cas de discrimination connus. D'après les témoignages que le comité a entendus sur d'autres formes de discrimination connues qui débordent le cadre de ce qui est proposé ici, il me semble que l'objet du projet de loiS-3 est plus large que celui du projet de loiC-3.
Cynthia Smith, coordonnatrice et analyste juridique et politique, Femmes Autochtones du Québec Inc.:
[Note de la rédaction: Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]
Femmes Autochtones Québec Inc. croit que nous devrions aller au-delà du paragraphe6(1). Le problème, c'est qu'en raison de la règle d'inadmissibilité de la deuxième génération, nous serons toujours ici, à entendre d'autres cas où des grands-mères demandent que leurs enfants soient reconnus.
Quand nous avons consulté nos collectivités, nous avons constaté que ce n'est pas une question de liens du sang. Le degré de sang indien est un concept qui découle des paragraphes 6(1) et 6(2). Auparavant, tant que votre père avait le statut d'Indien, vous l'aviez aussi automatiquement. Nous ne pensions pas au degré de sang indien. Toutefois, en raison des paragraphes 6(1) et 6(2), nous sommes aux prises avec cette problématique que nous devons régler.
Nous ne sommes donc pas d'avis qu'il suffit d'obtenir le statut d'Indien aux termes du paragraphe6(1) pour qu'il n'y ait plus de discrimination. Ce problème persistera si nous gardons les paragraphes 6(1) et 6(2). Voilà pour le premier point.
Deuxièmement, il ne faut pas oublier que la discrimination fondée sur le sexe découle de la Loi sur les Indiens. Nous devons remonter au tout début de sa création et même avant, à l'époque où la Loi sur les Indiens s'appelait l'Acte des sauvages de 1876. L'objectif avait toujours été de s'en prendre aux femmes. C'est ainsi que la discrimination a vraiment commencé. Donc, si nous tenons à régler la discrimination fondée sur le sexe, nous devons aller aussi loin en arrière.
Troisièmement, la paternité non déclarée est une autre forme de discrimination fondée sur le sexe. Tous les témoins ici présents ont également abordé ce point. Quand nous en parlons à la ministre, on nous répond que les Premières Nations ne s'entendent pas toutes sur la question. Allez-vous sérieusement parler à nos gens, qui sont comme un prolongement du gouvernement, au sujet de la Loi sur les Indiens et leur demander s'ils font de la discrimination? Encore aujourd'hui, les Autochtones ont une attitude discriminante envers leurs propres peuples. C'est de cela qu'il s'agit. Comme MmeMcIvor l'a dit, il y a, d'un côté, les femmes autochtones et de l'autre, le gouvernement fédéral et les hommes autochtones, parce que ce sont eux qui ont subi la colonisation; ils en sont l'incarnation. C'est donc un aspect dont il faut également tenir compte.
[Français]
MmeMichel: On parle d'impact. J'ai marché, en 2010, de Québec à Ottawa, afin de manifester au sujet du projet de loiC-3 et de la réinscription de 40000 Autochtones qui étaient en attente. J'ai pu alors comprendre les leaders, chefs des 54 communautés au Québec, qui étaient très réticents par rapport à l'adoption du projet de loiC-3 et à la réinscription des 40000 personnes en attente d'être reconnues. L'impact véritable a été celui du financement.
On sait que les 54 communautés du Québec sont en mode de survivance économique. Or, 40000 Autochtones avaient été réinscrits, mais le budget est demeuré inchangé. Vous voyez pourquoi les chefs étaient réticents à reconnaître les nôtres. Cela a des impacts économiques majeurs. Vous nous demandez ce qu'on veut? Nous voulons un financement adéquat, dans le domaine de l'éducation et dans tout ce qui touche nos communautés, notamment la santé et le logement.
Aux fins de notre rapport, la catégorie des 6(2), compte tenu de l'arrêt Descheneaux, devrait être retirée. D'autres familles peuvent suivre le même processus que pour l'arrêt Descheneaux, et faire les mêmes démarches en Cour suprême afin de faire valoir leur point. Peut-on éviter cet exercice? Je crois que oui.
Peut-on nous donner le pouvoir de reconnaître les nôtres quelque part? La réalité aujourd'hui est qu'un fonctionnaire dans un bureau reçoit une demande, ne connaît même pas la personne d'une communauté donnée, et accepte ou non. Nous sommes les seuls à nous reconnaître nous-mêmes. Peut-on avoir ce droit? Je pense que oui. Nous sommes dans ce système.
La consultation dans le cadre de l'arrêt Descheneaux s'est tenue au Québec avec l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. J'ai entendu mes confrères chefs demander plus de consultations. Une journée de consultation ne suffit pas. La question identitaire, à savoir qui va reconnaître qui, est très importante. Ce processus devra peut-être se faire dans la phase 2. Il faut toutefois prendre le temps de le faire dans les communautés. Je parle du Québec et de ses 54 communautés, mais le Canada est touché aussi par ces lois.
[Traduction]
La présidente: Nous avons le temps pour une brève question.
La sénatrice Beyak: Je n'avais pas vraiment de questions à poser jusqu'à ce que MmePalmater parle de la date d'extinction. Je n'en ai jamais entendu parler. Je m'intéresse aux affaires autochtones depuis 1965 en raison d'un être cher. J'ai lu le livre blanc que Pierre Elliott Trudeau et son ministre à l'époque, Jean Chrétien, avaient rédigé au sujet de l'assimilation. Il s'agissait essentiellement d'un paiement unique versé à chaque homme, femme et enfant autochtone au Canada. Je crois que le montant s'élevait à un demi-million de dollars à l'époque — ce qui équivaut probablement à 10 millions de dollars aujourd'hui —, mais l'idée n'a pas été retenue; après son élection, cette proposition a été rejetée par tous les groupes autochtones au Canada.
Je croyais qu'il y avait tout simplement renoncé. Mais c'était un homme brillant, et je me demande s'il a instauré des politiques pour contribuer délibérément, comme vous le dites, à l'«extinction» des Premières Nations. Il croyait fermement que nous devions tous former un Canada uni, avec nos propres aspirations et ressources, qu'il s'agisse de mes racines ukrainiennes ou peu importe. Qu'en pensez-vous? J'ai eu un déclic en vous écoutant parler.
MmePalmater: Je pense que vous soulevez un point important, parce que peu importe la politique en vigueur, ou peu importe s'il s'agit d'un gouvernement libéral ou conservateur, les dispositions de la Loi sur les Indiens concernant l'inscription étaient conçues pour éliminer, sur le plan législatif, tous les Indiens. Cela n'a jamais changé, même après la reconnaissance, par les libéraux, du droit inhérent à l'autodétermination. Cela n'a pas changé non plus lorsqu'ils ont renoncé au livre blanc. Rien n'a changé.
Il suffit d'écouter certains des arguments invoqués par Justice Canada devant les tribunaux pour se rendre compte que le ministère défend avec véhémence le droit de limiter le statut, ce qui entraînera effectivement notre extinction. Chaque Première Nation s'est vu attribuer une date différente.
La présidente: Nous avons largement dépassé le temps imparti, mais il valait la peine d'entendre les témoignages du Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes, de l'Association du Barreau canadien, de Femmes Autochtones du Québec Inc., de MmePalmater et de MmeMcIvor. Merci à tous nos témoins.
(La séance est levée.)