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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 21 - Témoignages du 9 mai 2017


OTTAWA, le mardi 9 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription), se réunit aujourd'hui, à 9 h 9, pour examiner le projet de loi.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, je souhaite la bienvenue aux honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit dans cette pièce soit par le biais d'Internet.

Dans l'esprit de réconciliation, j'aimerais reconnaître que nous nous réunissons sur des territoires traditionnels du peuple algonquin.

Je m'appelle Lillian Dyck, de la Saskatchewan, et j'ai le privilège de présider le comité.

J'invite maintenant mes collègues à se présenter en commençant par le vice-président.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Sinclair : Murray Sinclair, Manitoba.

La sénatrice Pate : Kim Pate, Ontario.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace Nicholas, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, Manitoba.

La présidente : Merci, sénateurs.

Avant de commencer, je pense que le sénateur Patterson a une motion qu'il veut déposer.

Le sénateur Patterson : Chers collègues, j'ai déposé un avis de motion le 6 décembre, qui a été appuyé par notre comité et qui portait sur le projet de loi S-3; il demandait au comité de ne pas reporter le projet de loi. Les membres ont appuyé cette motion, et c'est pour cette raison que nous sommes ici aujourd'hui.

J'aimerais maintenant déposer la motion suivante :

Qu'en dépit de la motion adoptée par le comité le 6 décembre 2016 le comité continue son examen du projet de loi S- 3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription).

Le président : Merci, sénateur Patterson.

Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : Aujourd'hui, nous poursuivons notre examen du projet de loi S-3, que nous avions commencé à l'automne. Après avoir entendu des témoignages, le comité a écrit à la ministre pour lui demander une révision et de lui renvoyer un nouveau projet de loi ou des amendements pour rectifier les lacunes. Nous voici donc ici aujourd'hui et nous avons reçu six amendements possibles, sur lesquels nous allons nous pencher aujourd'hui.

Nous allons commencer notre séance avec des fonctionnaires d'Affaires autochtones et du Nord Canada. Nous recevons Joëlle Montminy, ancienne sous-ministre adjointe, Résolution et affaires individuelles, Martin Reiher, sous- ministre adjoint, Résolution et affaires individuelles; Nathalie Nepton, directrice exécutive, Registraire des Indiens et gestion intégrée des programmes; et Candice St-Aubin, directrice exécutive, Nouvelles offres de service, Résolution et affaires individuelles.

Après le premier groupe de témoins, nous en aurons un second, à 10 heures. Nous allons commencer la séance par des remarques liminaires des fonctionnaires du ministère.

[Français]

Joëlle Montminy, ancienne sous-ministre adjointe, Résolution et affaires individuelles, Affaires autochtones et du Nord Canada : Bonjour, madame la présidente. Je suis accompagnée aujourd'hui de Martin Reiher et de Candice St-Aubin, directrice exécutive, Nouvelles offres de service, Résolution et affaires individuelles, et de Nathalie Nepton, directrice exécutive, Registraire des Indiens et gestion intégrée des programmes.

J'aimerais vous remercier de m'avoir invitée ici aujourd'hui pour fournir au comité une mise à jour sur la réponse du gouvernement à la décision Descheneaux, une réponse qui implique tout d'abord des modifications législatives dans le cadre du projet de loi S-3, qui seront suivies d'un processus collaboratif sur des questions connexes plus générales avec les Premières Nations et les autres groupes autochtones.

[Traduction]

J'aimerais une fois de plus réitérer l'engagement du gouvernement à faire en sorte que les peuples autochtones bénéficient des mêmes droits que tout le monde et à éliminer les iniquités fondées sur le sexe dans l'inscription des Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens.

Au cours de l'étude du projet de loi faite à l'automne, des témoins et des membres du comité ont exprimé leurs préoccupations et se sont demandé si le projet de loi S-3 permettait de remédier à toutes les éventuelles situations d'iniquité fondée sur le sexe. En outre, certains se sont dits inquiets du niveau de dialogue avec les Premières Nations et les personnes touchées.

Par conséquent, le comité a suspendu son étude du projet de loi et a recommandé au gouvernement de demander une prolongation pour poursuivre le processus de consultation sur les enjeux couverts par ce projet de loi. Tout cela a été fait pour que le projet de loi S-3 permette effectivement d'éliminer les iniquités fondées sur le sexe connues et que des solutions appropriées soient identifiées pour remédier aux problèmes identifiés dans la décision Descheneaux.

[Français]

Le 20 janvier dernier, une période supplémentaire de cinq mois a été accordée par la Cour supérieure du Québec pour remédier à la discrimination constatée dans l'affaire Descheneaux. L'échéance pour remédier à cette situation est maintenant le 3 juillet 2017. Cette prolongation nous a permis de poursuivre le processus d'engagement tout en nous assurant que justice soit rendue le plus rapidement possible aux 35 000 individus qui deviendront admissibles à l'inscription au registre des Indiens à la suite de l'adoption du projet de loi S-3.

[Traduction]

Aujourd'hui, je fais rapport sur ce que nous avons entendu pendant les périodes de mobilisation supplémentaires.

D'abord et avant tout, vous entendrez probablement des témoins vous dire qu'encore une fois, les périodes de mobilisation étaient trop courtes, et nous le savons déjà. Nous savons qu'au total, le véritable processus de mobilisation aura été de deux étapes tronquées de trois mois chacune. Nous voulons toutefois reconnaître le travail acharné et les longues heures que divers organismes et particuliers ont consacrées afin de pouvoir entreprendre des consultations avec nous.

Lors de la prolongation pour faire fond sur les séances de mobilisation que nous avons tenues l'automne dernier, le gouvernement a été en mesure de mener 10 séances supplémentaires entre le mois de janvier et d'avril 2017. Nous avons également tenu des discussions bilatérales avec l'Association du Barreau canadien, les Services juridiques pour les Autochtones et l'Alliance féministe pour l'action internationale, ainsi que d'autres particuliers intéressés.

Le ministère a également offert un appui à l'Association des femmes autochtones du Canada pour concevoir et diriger une série de séances de mobilisation auprès de ces associations membres provinciales et territoriales. Leur rapport a été distribué aux membres de votre comité.

Le ministère a également fourni un appui à l'Association du Barreau autochtone afin qu'elle puisse examiner le projet de loi dans son ensemble pour recenser des situations d'iniquité fondées sur le sexe qui pourraient ne pas avoir été notées dans les versions précédentes du projet de loi. Leur rapport a également été distribué aux membres du comité.

En terminant, nous avons tenu trois discussions techniques avec les représentants juridiques de l'Assemblée des Premières Nations, du Congrès des peuples autochtones, de l'Association des femmes autochtones du Canada, de l'Association du Barreau autochtone ainsi qu'avec des représentants juridiques du plaignant dans l'affaire Descheneaux.

Lors de ces séances, on a discuté de toutes sortes de questions, y compris des enjeux allant au-delà du projet de loi actuel. Ce qui ressort de ces discussions, c'est que les gens sont très passionnés et qu'ils sont déterminés à régler les problèmes d'iniquité en matière d'inscription. Même s'il y a eu quelques désaccords sur la façon de procéder, nous notons tout de même l'émergence d'un consensus voulant que la compétence liée à l'inscription autochtone, à la citoyenneté et à l'appartenance aux bandes ne devrait pas revenir uniquement au gouvernement.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous avons offert un appui à l'Association du Barreau autochtone ainsi qu'à l'Association des femmes autochtones du Canada pour qu'ils examinent le projet de loi afin de recenser les iniquités fondées sur le sexe qui n'auraient peut-être pas été relevées dans le projet de loi S-3. Dans leurs rapports, ils ont soulevé des questions telles que la ligne de démarcation de 1951 et la paternité non déclarée, et parlé des modifications touchant de nouvelles iniquités qui seraient créées par l'adoption du projet de loi S-3 dans sa version actuelle.

Le projet de loi S-3 a pour objet de corriger les instances connues de discriminations fondées sur le sexe en matière d'inscription. La discrimination fondée sur le sexe évoque des situations où les tribunaux ont déjà déterminé la présence de discrimination ou d'autres faits semblables, mais sur lesquels ils n'ont pas statué. Il s'agit de situations dans lesquelles, si un tribunal appliquait l'état actuel du droit, nous estimons qu'il accepterait bel et bien l'existence de discrimination fondée sur le sexe. Par exemple, un article déjà compris dans le projet de loi S-3 porte sur une situation n'ayant pas encore été jugée discriminatoire par un tribunal, mais qui, selon nous, le serait si une poursuite était intentée. Je parle ici du cas des enfants mineurs omis, que nous avons mis de l'avant par suite de la décision Descheneaux.

Par ailleurs, l'indemnisation proposée dans le projet de loi S-3 découlant de la décision Descheneaux a, en fait, créé deux groupes de comparaison qui, même s'ils ne présentent pas de discrimination en ce moment, seraient jugés comme étant discriminatoires dès l'adoption du projet de loi S-3. C'est pour cette raison que nous proposons de corriger la situation de manière proactive grâce aux amendements au projet de loi S-3 qui ont été suggérés par l'Association du Barreau autochtone.

Pendant nos consultations, de nombreux groupes ont signalé que la soi-disant date butoir de 1951 est également un exemple de discrimination fondée sur le sexe et qu'il faudrait régler ce problème avec le projet de loi S-3. Toutefois, nous estimons que la principale différence entre des iniquités fondées sur le sexe et la date butoir de 1951 découle du fait que les tribunaux ont déjà statué sur cette question. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé qu'il n'était pas nécessaire de remonter plus loin que 1951 dans les registres autochtones pour respecter la Charte. Dans ce cas particulier, la Cour suprême du Canada a refusé d'entendre d'autres appels sur cette décision. Par conséquent, contrairement aux autres cas où les tribunaux n'ont toujours pas tranché, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a déjà statué contre l'approche qui avait été mise de l'avant par Mme McIvor.

Le projet de loi S-3 vise à éliminer la discrimination fondée sur le sexe connue en s'appliquant sur l'état actuel du droit. Étant donné la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, le fait de supprimer la date butoir de 1951 correspondrait à une décision politique que le gouvernement ne devrait pas prendre unilatéralement. C'est une question complexe nécessitant des consultations adéquates qui s'appuient sur des analyses démographiques actualisées et détaillées. C'est pourquoi le gouvernement s'est engagé à une deuxième étape de discussions pour examiner les questions ne découlant pas uniquement d'iniquités fondées sur le sexe et qui vont au-delà de la portée du projet de loi S-3.

Nous avons également entendu l'avis de l'Association du Barreau autochtone. L'association a insisté pour mettre l'accent sur les champs de compétences autochtones plutôt que sur la citoyenneté. Il en va de même pour l'Association des femmes autochtones du Canada, qui a insisté dans son rapport pour que les peuples autochtones aient la possibilité de déterminer eux-mêmes qui est citoyen et que, même si le projet de loi S-3 porte sur d'importantes lacunes de la Loi sur les Indiens, l'association encourage fortement le gouvernement à entreprendre des activités de mobilisation valables dans la deuxième phase pour veiller à ce que toute discrimination soit complètement éliminée de la loi une fois pour toutes.

Le gouvernement a entendu les recommandations formulées au terme des activités de mobilisation élargie. Nous sommes favorables à la proposition voulant que le projet de loi S-3 soit amendé pour régler certaines des situations ayant été soulevées, comme la paternité non déclarée et les nouvelles iniquités recensées par l'Association du Barreau autochtone relativement aux frères, sœurs, cousins et cousines. Nous sommes également prêts à présenter un rapport sur les progrès liés à la mise en œuvre de la deuxième étape de la réponse du gouvernement à la décision Descheneaux.

Comme je l'ai déjà mentionné, certains des enjeux entourant l'inscription, l'appartenance et la citoyenneté sont complexes. Ils vont au cœur des questions identitaires et, par conséquent, ne peuvent être réglés unilatéralement dans les courts délais imposés par le tribunal. Conformément à l'engagement du gouvernement à l'égard de la réconciliation dans le cadre d'une relation de nation à nation avec les peuples autochtones, la ministre des Affaires indiennes et du Nord a déjà personnellement donné sa parole, dans les deux comités, que la deuxième étape commencera dès l'adoption du projet de loi S-3.

Il faut aussi examiner les conséquences de ne pas respecter les délais imposés par les tribunaux. Comme vous le savez, il y a des milliers de personnes qui deviendraient admissibles à l'inscription advenant l'adoption du projet de loi S-3, et le fait de ne pas respecter les délais signifierait que ces personnes verraient la reconnaissance de leurs droits reportés davantage. En outre, les conséquences de ne pas respecter les délais des tribunaux feraient en sorte que les dispositions ayant été éliminées représentent 90 p. 100 des personnes souhaitant s'inscrire sous l'une ou l'autre de ces dispositions. Cela signifie que 90 p. 100 des personnes voulant s'inscrire au Québec ne pouvaient pas le faire si nous n'étions pas en mesure de régler les cas de discrimination découlant de la décision Descheneaux en temps opportun; ce pourrait également être le cas partout au Canada puisque la situation serait semblable.

L'étape 2 nous permettra d'examiner les enjeux élargis liés à l'inscription, l'appartenance et la citoyenneté tout en ayant comme objet de recenser les domaines de réforme future. Il importe de noter qu'en vertu de la nouvelle relation de nation à nation avec les peuples autochtones, cette deuxième étape sera conçue conjointement avec les Premières Nations et d'autres groupes autochtones de manière à permettre une souplesse en ce qui a trait aux types d'activités qui auront lieu et aux sujets qui seront discutés.

[Français]

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au comité ce matin. J'espère que les renseignements que je vous ai fournis vous auront été utiles. Nous répondrons maintenant à vos questions avec plaisir.

[Traduction]

La présidente : Merci, madame Montminy.

Monsieur Reiher, avez-vous des remarques liminaires à prononcer ou pouvons-nous procéder immédiatement aux questions de la part des sénateurs?

Martin Reiher, sous-ministre adjoint, Résolution et affaires individuelles, Affaires autochtones et du Nord Canada : Nous sommes prêts à passer aux questions, madame la présidente.

La présidente : Merci. Nous entamons donc la première série de questions. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous rappelle qu'il faut s'arrêter à 10 heures.

Le sénateur Sinclair : Madame la présidente, avant de commencer, je rappelle que j'ai posé une question à la fin de la séance informelle avant que nous tombions en séance publique. Je me demande si je pourrais obtenir une réponse à cette question.

La présidente : Très bien, nous allons vous mettre sur la liste des intervenants dans ce cas.

Le sénateur Sinclair : Si vous le voulez bien.

Le sénateur Patterson : Chers témoins, je vous souhaite de nouveau la bienvenue. Vous êtes maintenant des personnes qui nous sont familières. Je me demande s'il pourrait être utile pour le comité d'établir un résumé des nouveaux éléments dans les amendements. Quels éléments contiennent ces amendements qui ne figuraient pas dans le projet de loi que nous avons rejeté? Pourriez-vous nous présenter un résumé de consultation facile sur ces amendements? Je sais que vous les avez mentionnés dans vos remarques liminaires, mais je pense qu'il serait bien d'avoir une petite liste en langage clair de ce qui est nouveau et de ce que vous avez ajouté et qui ne figurait pas dans le projet de loi auparavant.

M. Reiher : Comme je l'ai signalé, les activités d'engagement supplémentaires ont permis de faire davantage de travail de sorte que nous avons recensé des questions sur lesquelles nous pouvons maintenant nous pencher.

Le projet de loi qui vous est renvoyé est le projet de loi S-3 sous sa forme actuelle, mais le gouvernement est prêt et il accueillerait favorablement ou appuierait des amendements qui se pencheraient d'abord sur deux iniquités qui ont été recensées grâce au travail de l'Association du Barreau autochtone. En général, ces deux iniquités découlent des dédommagements qui sont prévus dans le projet de loi S-3. On créerait deux nouveaux groupes de comparaison; il y a donc deux nouvelles iniquités que nous proposons de corriger.

Le sénateur Patterson : Pourriez-vous nous expliquer brièvement la nature de ces deux iniquités?

M. Reiher : Bien sûr. Le rapport préparé par l'Association du Barreau Autochtone recense deux iniquités créées par l'alinéa 6(1)(c. 4) du projet de loi S-3 touchant la transmission du statut d'Indien aux arrière-petits-enfants nés avant 1985 d'une Autochtone et d'un Autochtone advenant que leurs enfants aient perdu leur statut en raison d'une contestation découlant du paragraphe 12(2) de la Loi sur les Indiens de 1970. Dans ce cas, le groupe de comparaison serait celui constitué de particuliers qui pourraient profiter de l'indemnisation offerte aux frères et aux sœurs.

La deuxième iniquité porte sur la transmission du statut d'Indien aux arrière-petits-enfants nés avant 1985 et dont la mère est concernée par la règle mère-grand-mère de la Loi sur les Indiens de 1970. Dans un tel cas de figure, le groupe de comparaison est le groupe de personnes qui profiteront du recours lié aux cousins du projet de loi S-3.

Ce sont là les deux iniquités qui ont été signalées dans le rapport de l'Association du Barreau autochtone et que nous aimerions voir éliminées grâce aux nouveaux amendements au projet de loi.

Il y aurait deux amendements corrélatifs à apporter au projet de loi dans cette éventualité pour ajuster le libellé des articles 2 et 8 afin de refléter les changements apportés au projet de loi.

En outre, le travail réalisé par des juristes dans le cadre d'un exercice supplémentaire nous a permis de repérer un problème technique dans le libellé du sous-alinéa actuel 6(1)c.3)(ii) du projet de loi. Il faudrait ajuster le temps du verbe pour remédier à la question des frères et sœurs relevée dans le projet de loi S-3.

Le 20 avril, je crois, la Cour d'appel de l'Ontario a rendu une décision dans l'affaire Gehl, qui a eu pour effet de modifier la loi dans les cas de paternité non déclarée. Dans ces cas-là, la Cour d'appel de l'Ontario a statué que la façon dont le registraire des Indiens appliquait l'article 6 aux cas de parents ou d'ancêtres inconnus ou dont le nom ne figurait pas sur les certificats de naissance n'était pas équitable sur le plan de la procédure et pourrait être contraire aux valeurs de la Charte. Un éventuel amendement accueilli favorablement par le gouvernement permettrait de corriger la situation.

Enfin, comme la ministre l'a déjà indiqué, elle serait prête à revenir devant le Parlement pour faire rapport sur la deuxième étape du processus collaboratif. On ajouterait donc au projet de loi une clause relative au dépôt de rapports, aussi bien sur l'engagement préliminaire et le processus de collaboration que, plus tard, sur la mise en œuvre des dispositions du projet de loi.

Il y aurait environ six nouveaux éléments au projet de loi si tous ces points étaient présentés.

Le sénateur Patterson : C'est très utile. Brièvement, sur le dernier amendement, le Parlement inclurait le Sénat. Ce comité, j'imagine?

M. Reiher : Tout à fait. Les deux Chambres du Parlement.

Le sénateur Patterson : Je m'arrêterai là. Merci.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je suis heureuse de vous revoir. Ce qui me préoccupe, c'est l'inscription des cousins. Comme vous le savez, la frontière a séparé des familles, au Maine et au Canada, si bien qu'une enfant a pu s'inscrire, mais pas son frère et pourtant, ils avaient le même père. Comment remédierait-on à cela?

M. Reiher : La question des cousins a été causée par les amendements de 1985. L'imposition de la règle des deux parents, comme l'a reconnu la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt McIvor, a créé un problème de transition entre l'ancien régime et le nouveau.

Le problème des cousins a en partie été réglé en 2010 par le biais d'amendements à la Loi sur les Indiens, et ce projet de loi permettra de résoudre ce problème une fois pour toutes, comme l'a reconnu la Cour d'appel de la Colombie- Britannique.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Donc, lorsque ce projet de loi sera adopté, la personne qui a été privée de ce droit pendant toutes ces années va pouvoir s'inscrire dans cette communauté?

M. Reiher : Vous comprendrez qu'il m'est difficile de me prononcer sur des cas précis, mais s'il s'agit effectivement d'une question de cousins, elle serait traitée conformément à la décision de la Cour d'appel de la Colombie- Britannique.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.

Le sénateur Sinclair : Lorsque la loi sera modifiée pour éliminer la discrimination fondée sur le sexe, on aura des milliers de demandeurs qui se sont fait refuser le statut d'Indien, car ils n'étaient pas admissibles en vertu des anciens règlements; et ces gens-là sauront ou pas — il est fort probable qu'ils ne le sauront pas — que la loi a été modifiée et qu'ils pourraient désormais être admissibles.

Le ministère est-il en train d'élaborer un plan pour aviser toutes ces personnes qui ont été victimes de discrimination, leur dire qu'elles pourraient maintenant être admissibles et les inviter à faire leur demande; ou bien est-ce que le ministère va examiner ces demandes à la lumière des renseignements actuels pour déterminer si des personnes qui se sont précédemment fait refuser leur demande sont désormais admissibles et seront informées de leur admissibilité?

M. Reiher : Il serait difficile de procéder après demande pour essayer de trouver les personnes qui pourraient être admissibles ou réexaminer les demandes faites par le passé, car certaines personnes qui ne pensaient pas y avoir droit n'auraient pas soumis leur demande. Parallèlement, il risque d'être impossible d'identifier toutes les personnes ayant éventuellement droit de s'inscrire.

Ce que le ministère prévoit plutôt faire, c'est de mettre en place une stratégie de communication robuste pour veiller à ce que les communautés et les organisations reçoivent l'information sur les amendements et pour que ces renseignements soient relayés aux personnes éventuellement concernées, afin de leur permettre de présenter une demande.

Mme Montminy : J'aimerais tout simplement ajouter que, comme vous le savez, grâce au processus de dialogue entamé pendant la phase un — et que nous allons poursuivre dans la phase deux — nous avons communiqué avec toutes sortes d'organisations. Un certain nombre d'entre elles représentent ceux et celles qui ne sont pas inscrits actuellement et qui pourraient aussi être des membres de la famille de personnes qui sont représentées par des chefs et des communautés.

Nous allons mettre en œuvre une stratégie de communication robuste pour veiller à ce que les personnes soient informées des changements législatifs une fois le projet de loi adopté, et pour que les gens aient l'occasion de représenter une demande s'ils estiment que leur situation est visée par ces amendements.

Je devrais également préciser que depuis août 2015, depuis la décision Descheneaux, nous mettons de côté des dossiers ou des demandes qui, selon nous, pourraient correspondre à des cas de cousins, de frères et sœurs et de mineurs, et que nous avions l'intention d'examiner depuis le début. Ces demandes n'ont pas été traitées, mais elles le seront dès que les changements législatifs seront en place.

Le sénateur Sinclair : Je suis d'accord avec vous au sujet de la nécessité d'établir des communications solides pour que les personnes concernées sachent que la loi a changé et qu'elles pourraient en profiter. Cependant, ma question est vraiment la suivante : avez-vous élaboré une stratégie de communication solide, ou êtes-vous en train d'en préparer une?

Candice St-Aubin, directrice exécutive, Nouvelles offres de service, Résolution et affaires individuelles, Affaires autochtones et du Nord Canada : Si vous le permettez, j'aimerais intervenir. Il s'agit de l'un des points que nous avons soulevés dans le cadre des séances de consultations communautaires au sujet des communications et de la façon d'approcher les Autochtones qui se trouvent actuellement en milieu urbain ou qui sont incarcérés. Une rétroaction accrue de ces personnes constituerait un avantage. Nous avons une idée générale de la façon d'approcher ces groupes, mais je crois que nous devons continuer de travailler à déterminer la meilleure façon de s'y prendre pour rejoindre ceux qui sont un peu plus difficiles d'accès.

Le sénateur Sinclair : Merci.

La sénatrice McPhedran : Je remercie les fonctionnaires de s'être joints à nous aujourd'hui et du grand travail réalisé depuis notre dernière rencontre ainsi que pour les consultations informelles que nous avons eues avec vous. Merci.

J'aborderai la question du libellé plus en détail, mais pas maintenant. Je tiens toutefois à parler de la proposition contenue dans les amendements à l'étude concernant un rapport au Parlement; il s'agirait, en gros, d'un examen législatif prévu après cinq ans. Je fais référence au titre du projet de loi à l'étude, le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription).

En termes généraux, car je vous fournirai un libellé plus précis par la suite, je propose que l'examen législatif ait lieu la troisième année suivant la sanction royale plutôt que la cinquième année, car cinq ans, c'est trop long.

Je propose d'établir également un ensemble de tâches beaucoup plus précises qui devraient être réalisées dans le cadre de l'examen prévu par la loi de sorte que le rapport au Parlement puisse vraiment respecter l'intention et la promesse du projet de loi S-3 et qu'il y soit question d'« élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription ». Je propose également que le libellé soit modifié pour qu'il soit beaucoup plus précis de façon à ce que la personne responsable de la mise en application de cette exigence fasse rapport de la mesure dans laquelle il y aura eu élimination des iniquités fondées sur le sexe et des circonstances, le cas échéant, dans lesquelles l'élimination n'a pas eu lieu; et de façon à ce que, en pareilles circonstances, elle dépose avec le rapport sur l'examen législatif un plan d'action pour arriver à réaliser l'objectif de la loi, c'est-à-dire l'élimination des iniquités fondées sur le sexe. C'est donc dire que cela s'en vient.

La présidente : Avant de passer à la deuxième série de questions, j'aimerais en poser une moi-même au sujet de la période précédant les modifications de 1951, car je crois que ce sera le sujet principal des rapports qui seront déposés ainsi que le rapport de suivi dans trois à cinq ans.

Madame Montminy, vous venez d'aborder la question de l'affaire McIvor dans laquelle la Cour d'appel de la Colombie- Britannique a statué qu'il ne s'agissait pas de discrimination fondée sur le sexe au titre de la Charte. J'aimerais savoir s'il y a eu une contestation en vertu de la Constitution. Au paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle, on garantit aux hommes et aux femmes autochtones des droits égaux. À ma connaissance, la contestation n'a pas été réalisée sous cet angle. J'aimerais savoir si vous avez envisagé ou non d'étudier la validité constitutionnelle de la réalité des femmes qui ont perdu leur statut avant la date limite de 1951 pour déterminer s'il y avait violation de leurs droits constitutionnels? L'avez-vous envisagé?

Mme Montminy : Cet aspect très important a été débattu tout au long de l'étude du projet de loi et aussi au cours des consultations. Comme vous le savez, dans l'affaire McIvor, le tribunal d'instance inférieure de la Colombie-Britannique avait jugé qu'il s'agissait de discrimination et avait indiqué qu'une solution générale devrait être appliquée et qu'elle devrait couvrir également les générations précédant la date limite de 1951. Or, dans le cadre de l'appel, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique était plutôt d'avis qu'il n'était pas nécessaire de remonter aussi loin et que la portée de la décision était plus étroite relativement à la situation de Mme McIvor.

Est-il possible qu'à l'avenir, un tribunal rende une décision différente? Absolument. Manifestement, nous ne pouvons spéculer à cet effet, compte tenu des différents scénarios possibles. Mais pour l'instant, la Cour d'appel a décrété que le fait d'aborder l'affaire McIvor dans une perspective plus étroite ne revient pas à contrevenir à la Charte. Voilà ce qui a été dit au tribunal, c'est-à-dire à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, lorsque celle-ci a été appelée à déterminer si les descendants de cinquième génération d'une femme qui a perdu son statut dans les années 1870 peuvent présenter une revendication au titre de la Charte. Voilà le type de questions qui ont été posées. Le tribunal s'est demandé s'il était raisonnable de remonter jusqu'aux années 1870. Par conséquent, nous en sommes au point où il n'a pas été déterminé que le régime précédant les modifications de 1951 n'est pas conforme à la Charte.

Comme je l'ai indiqué dans mes remarques, nous avons maille à partir avec cette question et, comme vous le savez, nous avons affaire à des intérêts concurrentiels. Entre autres, nous cherchons à nous attaquer aux cas de discrimination fondée sur le sexe qui sont connus, mais parallèlement, nous déployons des efforts compte tenu de la résolution du gouvernement à forger une relation de nation à nation. Dans la mesure où un cas précis est jugé conforme à la loi, la décision devient plus d'ordre stratégique que législative. Par conséquent, si la décision repose sur une politique, nous estimons qu'il faut mener des consultations substantielles avec toutes les parties intéressées et intervenants concernés ainsi que les personnes touchées. Voilà pourquoi nous maintenons depuis le début que, puisque cette question nécessite une très grande attention, l'étape 2 semble tout indiquée pour ce faire. Ainsi nous pourrions y consacrer suffisamment de temps pour réaliser des consultations constructives, car depuis le début, nous n'avons pas pu le faire étant donné que nous devions respecter des délais imposés par le tribunal dans le cadre de la phase 1.

Le sénateur Christmas : Bonjour à tous. J'aimerais revenir sur la question posée par le sénateur Sinclair au sujet d'une stratégie solide de communications. Serait-il possible de faire en sorte que le comité soit mis au courant de cette stratégie avant que le projet de loi ne soit adopté?

Et deuxièmement, j'aimerais savoir si cette stratégie de communications comprendrait la fourniture de ressources aux organisations des Premières Nations ou autochtones aux fins de cette stratégie?

Mme Montminy : Oui, nous pouvons certainement transmettre aux membres du comité la stratégie de communications une fois qu'elle sera terminée. Je répète cependant qu'elle est en cours d'élaboration, car nous en étions encore à tenir des consultations il y a à peine quelques semaines. Nous poursuivons donc l'étape de la conception. Nous allons également nous pencher sur ce qui a été fait par le passé, car on a constaté, dans la foulée de l'affaire McIvor, qu'après avoir prévu qu'environ 45 000 nouvelles personnes seraient admissibles à l'inscription par suite des amendements apportés en 2011, que nous sommes, en fait, tout près de ce nombre, puisqu'il y a près de 40 000 nouveaux inscrits ou quelque chose du genre. Je ne crois pas que ce soit si difficile de rejoindre les personnes concernées, car nous croyons qu'elles vont se manifester. Nous vous transmettrons de la stratégie de communications.

Je laisserai le soin à mon collègue de répondre à la question qui porte sur les ressources. Il faudra déterminer ce qui est possible ou nécessaire.

M. Reiher : J'ajouterai que la stratégie comprendra la contribution de l'administrateur du registre des Indiens dans les collectivités, ce qui veut dire qu'on leur transmettra les renseignements. Ces administrateurs constituent déjà des ressources présentes dans les collectivités que nous pourrons utiliser pour communiquer la stratégie.

Le sénateur Christmas : J'aimerais poser une question complémentaire. Manifestement, nous voulons nous doter d'une stratégie de communications qui soit la plus efficace possible. En y faisant participer les organisations représentant les Autochtones et les Premières Nations, on s'assurerait d'informer le plus grand nombre de personnes touchées possible des modifications. Dans la mesure du possible, je vous encouragerais à communiquer la stratégie au comité au fur et à mesure qu'elle est élaborée et de préférence avant l'adoption du projet de loi. Si je ne m'abuse, j'ai cru comprendre que le ministère s'est engagé à faire part au comité de sa stratégie de communications avant l'adoption du projet de loi.

M. Reiher : Oui.

La sénatrice Pate : Je remercie les fonctionnaires d'être venus se faire entendre. J'avais demandé d'obtenir copie du mandat fourni par le gouvernement à l'Association des femmes autochtones du Canada. À ma connaissance, nous n'avons rien reçu. J'aimerais savoir si c'est possible... Vous l'avez? Excellent, merci.

J'ai peut-être mal entendu ce que vous avez dit, et je vous présente mes excuses le cas échéant. N'hésitez pas à me corriger, car j'ai cru comprendre que l'Association des femmes autochtones du Canada était satisfaite du processus. À la lecture de leur rapport, je constate une référence claire au fait que l'Association des femmes autochtones du Canada voit des changements positifs dans le projet de loi S-3, mais indique très clairement que la discrimination fondée sur le sexe n'a pas été éliminée grâce au projet de loi S-3. En fait, l'association demande que ces iniquités fondées sur le sexe soient abordées. Je m'excuse si je n'ai pas bien compris. Je vous saurais gré de clarifier ce point.

Mme Montminy : Je ne voulais surtout pas semer la confusion. À mon avis, tout ce que vous venez de dire est juste. L'Association des femmes autochtones du Canada a déclaré que le projet de loi S-7 constitue un pas dans la bonne direction, mais qu'il reste du pain sur la planche. L'association a hâte de passer à la deuxième étape. Elle a d'ailleurs proposé quelques suggestions d'amendements pour l'avenir. Donc, vous avez raison.

Le sénateur Sinclair : Parmi les amendements que vous avez proposés, il y en avait un qui portait sur la possibilité de s'attaquer aux questions soulevées dans l'affaire du Dr Gehl, et en particulier relativement à la décision de la Cour d'appel de l'Ontario. Dans cette affaire, le tribunal a statué qu'il était injuste pour le demandeur que l'administrateur du registre se contente d'appliquer la politique et que l'administrateur devait exercer une certaine forme de pouvoir discrétionnaire et analyser chaque demande au cas par cas.

Je remarque dans l'amendement que vous avez maintenant ajouté une exigence selon laquelle lorsqu'un ancêtre est inconnu — c'est-à-dire quand on ignore son identité ou s'il était, en fait, inscrit ou admissible à l'inscription — l'administrateur du registre a l'obligation de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si la personne, l'ancêtre, n'aurait pas été admissible à l'inscription.

Si cette exigence est sujette à un examen dans le contexte du droit administratif, pourriez-vous dire, aux fins du procès-verbal, si l'évaluation du registraire doit être correcte, ou s'agit-il tout simplement d'une norme de raisonnabilité?

M. Reiher : Il est difficile pour moi de répondre à cette question sans y avoir réfléchi. Le droit en la matière est assez complexe.

Le sénateur Sinclair : Vous pouvez simplifier la chose en indiquant dans l'amendement quelle serait la norme, mais je voudrais simplement savoir si vous avez déjà réfléchi à ce que cela donnerait.

M. Reiher : Je suis désolé, mais je ne peux pas répondre à cette question tout de suite. Je n'ai aucune idée de la norme de révision d'une décision comme celle-ci, notamment lorsqu'il est question d'un amendement qui permettrait au registraire de tenir compte de toute une gamme de preuves pour déterminer si un parent ou un ancêtre est admissible à l'inscription par opposition à la simple identité du demandeur en tant que tel.

Un tel amendement faciliterait grandement l'inscription d'enfants dont le père ne figure pas au certificat de naissance. Un tel amendement clarifierait que le fardeau de la preuve n'est qu'un fardeau de la preuve civile, qui repose sur la balance des probabilités, et le registraire devrait tenir compte de la prépondérance de la preuve présentée. Comme vous l'indiquez, cette détermination, cette discrétion exercée par le registraire, serait sujette à révision par les tribunaux en fonction des raisons fournies par le registraire.

La question donc serait de savoir si, en cas de révision de la décision du registraire par un tribunal, la norme serait celle de la décision correcte ou de la décision raisonnable. Comme vous le savez, sénateur, tout dépend de la jurisprudence antérieure. Dans cette situation, il n'y a pas de précédent, car cette disposition serait nouvelle, si bien que je n'ai pas de précédent auquel me reporter. Je ne voudrais pas prendre position ou énoncer une opinion à la légère, mais je suis tout disposé à étudier la question et à vous fournir une réponse a posteriori.

Le sénateur Sinclair : Je me demandais donc si vous pouviez canaliser les forces considérables à votre disposition pour demander à quelqu'un de faire une analyse, ou du moins, de formuler une opinion ou une position du ministère que vous pourriez envoyer au comité pour lui dire si, en vertu de cet amendement, le registraire devrait être correct ou s'il devrait simplement agir de façon raisonnable. Je vous saurais gré de produire cette opinion dans les plus brefs délais puisque nous procéderons à l'analyse article par article la semaine prochaine et qu'il nous serait très utile de savoir avant.

Le sénateur Patterson : Pour donner suite aux observations de Mme la juge Masse concernant la consultation et la participation, croyez-vous que vous avez suffisamment consulté, au vu des obligations qui vous sont imposées par les tribunaux en vertu de l'article 35 de la Constitution, avant de nous présenter ces amendements aujourd'hui?

Mme Montminy : Nous avons certainement optimisé l'emploi du temps qui nous était alloué par le tribunal, à la fois durant le premier délai de suspension de déclaration d'invalidité, et durant le délai de grâce qui nous a été octroyé.

Comme vous le savez, sénateur, nous avons dû faire un emploi judicieux du temps que nous avons eu entre les consultations et aussi donner suffisamment de temps au Parlement pour examiner les amendements. Il est clair que nous avons tout mis en œuvre pour essayer d'atteindre la meilleure participation possible dans les délais qui nous étaient impartis.

Le sénateur Patterson : L'amendement proposé porte sur un processus collaboratif en deux étapes, c'est-à-dire deux périodes de rapport totalisant 18 mois.

L'ancien gouvernement, qui était conservateur, a adopté une approche semblable en réaction à la décision McIvor de 2009, laquelle s'est traduite, bien sûr, par la loi précédente. Cette consultation a duré toute l'année 2011, et a été menée par 55 organisations nationales, régionales et locales. Trois mille cinq cents personnes y ont pris part, et chaque organisation était libre de décider de la façon de faire participer ses membres. Cela a permis de cerner les questions générales concernant l'appartenance.

Allez-vous poursuivre les travaux qui ont déjà été commencés ou allez-vous repartir à zéro? Si vous reprenez du début, j'ai des doutes sur le délai de 18 mois que vous nous avez présenté.

Mme Montminy : Nous allons certainement tirer parti de la mine d'information recueillie tout au long du processus en 2011. Nous l'avons déjà dit publiquement à maintes reprises. Nous l'avons déjà d'ailleurs clairement annoncé dans le rapport que nous avons présenté au début des consultations. Il était dit que l'intention était de poursuivre sur la lancée des travaux précédents de façon à pouvoir passer à l'étape beaucoup plus concrète de cerner les domaines de réforme.

La sénatrice McPhedran : J'ai une question pour le registraire. Je souhaiterais recevoir de l'information plus détaillée après cette séance. Combien de vos employés seront affectés à ce dossier? En cas d'adoption de ce projet de loi, prévoit- on embaucher du personnel ou estime-t-on devoir le faire?

Nathalie Nepton, directrice exécutive, Registraire des Indiens et gestion intégrée des programmes, Affaires autochtones et du Nord Canada : Actuellement, une vingtaine ou une trentaine de personnes travaillent sur les inscriptions. Ils font de tout, de l'ouverture de dossiers lorsque les demandes nous arrivent, aux adoptions, en passant par l'analyse des dossiers d'inscription au quotidien.

Comme nous l'avons déjà dit dans le cadre de comparutions antérieures, des fonds ont été mis de côté pour augmenter l'effectif afin de faire face à l'augmentation du nombre de demandes que nous recevrons et de les traiter le plus rapidement possible.

La sénatrice McPhedran : J'ai une question complémentaire à cet égard. Cette planification tient-elle compte de la question du fardeau de la preuve soulevée par le sénateur Sinclair? En d'autres mots, a-t-on discuté de la question de savoir si les amendements visant la réduction du fardeau de la preuve pour les personnes voulant s'inscrire auront pour effet de réduire les besoins en dotation? Je me demande s'il en a été question.

Mme Nepton : Je ne sais pas si ces discussions ont porté sur ce degré de détail. Je peux vous dire, à titre personnel, qu'en ce qui concerne le fardeau de la preuve, j'en ai parlé au sujet de dossiers précis qui m'ont été confiés. Je suis très sensible au fait que le fardeau de la preuve ait pu être très lourd à porter pour les personnes.

Comme Martin Reiher l'a indiqué plus tôt, nous lancerons un processus d'élaboration de directives destinées aux fonctionnaires qui sont appelés à prendre ces types de décisions.

La présidente : Au nom du comité, je remercie nos témoins de ce matin, Mme Montminy, M. Reiher, Mme Nepton et Mme St-Aubin, d'avoir comparu officiellement devant le comité. Je les remercie également d'avoir rencontré le comité de façon informelle, à trois reprises déjà je pense, pour nous tenir au courant de ce qui se passe. Les renseignements qu'ils nous ont fournis nous ont été très utiles.

Notre second groupe de témoins ce matin est formé de témoins que nous avons déjà entendus à l'automne. Le chef national Perry Bellegarde de l'Assemblée des Premières Nations est accompagné de Stuart Wuttke, avocat général de l'Assemblée. Nous avons aussi deux témoins de l'Association du Barreau canadien, M. David Taylor, membre de l'exécutif, Section du droit des Autochtones, et Mme Gaylene Schellenberg, avocate-conseil, Réforme du droit. Nous entendrons d'abord les deux témoins de l'Association du Barreau canadien, puis les témoins de l'Assemblée des Premières Nations. Merci. Vous pouvez commencer.

Gaylene Schellenberg, avocate-conseil, Réforme du droit, Association du Barreau canadien : Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître à nouveau devant vous aujourd'hui au sujet du projet de loi S-3.

L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui regroupe plus de 36 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires. Elle a notamment pour mission d'améliorer le droit et l'administration de la justice.

Notre Section du droit des Autochtones est formée d'avocats spécialisés en droit des Autochtones de tout le pays. Je suis accompagnée aujourd'hui de David Taylor, membre de l'exécutif de la section qui pratique le droit ici, à Ottawa. David passera en revue les principaux arguments contenus dans notre mémoire et répondra à vos questions. Merci.

David Taylor, membre de l'exécutif, Section du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien : Bonjour et merci, madame la présidente et honorables sénateurs. La Section du droit des Autochtones de l'ABC est heureuse d'enrichir une fois de plus les délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones portant sur le projet de loi S-3.

La dernière fois que la Section du droit des Autochtones de l'ABC a comparu devant vous, nous avons formulé cinq recommandations concernant le projet de loi S-3 : tout d'abord, qu'il ne soit pas fait rapport du projet de loi S-3 avant que toutes les consultations prévues ne soient terminées; deuxièmement, que la teneur du projet de loi S-3 soit renvoyée à un comité du Parlement au plus tard 18 mois après son adoption; troisièmement, que l'article 8 du projet de loi qui prévoit que nul ne peut réclamer une compensation, soit retiré du projet de loi S-3; quatrièmement, que les Premières Nations dont le nombre de membres augmentera par suite du projet de loi S-3 obtiennent les ressources qui leur sont nécessaires; cinquièmement, que les services gouvernementaux qui traitent les demandes d'enregistrement des personnes qui obtiendront le statut après l'adoption du projet de loi S-3 obtiennent les ressources qui leur sont nécessaires.

Le 19 avril 2017, des membres du comité des lois et de la réforme du droit de la Section du droit des Autochtones de l'ABC ont rencontré des fonctionnaires du ministère des Affaires autochtones et du Nord et du ministère de la Justice au sujet du retour du projet de loi S-3 au Parlement, après la prolongation accordée par la juge Masse en janvier 2017. Il semblerait, compte tenu des renseignements fournis à cette rencontre, que toutes les consultations prévues concernant le projet de loi sont en effet terminées, ce qui correspondrait à notre première recommandation, à savoir que le processus législatif ne soit pas enclenché tant que les consultations ne sont pas terminées.

Par ailleurs, la Section du droit des Autochtones de l'ABC a appris que l'Énoncé économique de novembre 2016 prévoyait 149 millions de dollars en financement commençant en 2017-2018 pour la mise en œuvre du projet de loi S-3; de ce montant, 19 millions de dollars étaient alloués au traitement et à l'inscription des nouveaux demandeurs, ce qui semble répondre à notre cinquième recommandation, soit que le processus d'inscription obtienne les ressources nécessaires pour répondre à l'augmentation du nombre de nouveaux inscrits.

À même le montant de 149 millions de dollars, 130 millions de dollars ont été alloués au Programme des soins de santé non assurés. Cette allocation sera suivie par un contrôle attentif des programmes et services offerts dans les réserves. Bien que cela semble répondre à notre quatrième recommandation, soit qu'il y ait des ressources suffisantes pour réagir à l'incidence de l'augmentation du nombre de nouveaux inscrits sur les programmes et les services, le simple fait de contrôler la demande à l'égard des programmes et des services offerts dans les réserves pourrait ne pas suffire étant donné que les obligations financières des gouvernements des Premières Nations augmenteront à mesure que la demande de services et de programmes croîtra.

Les amendements proposés ont été remis à la Section du droit des Autochtones de l'ABC. L'ajout proposé des articles 8.1 et 8.2 répondrait à la deuxième recommandation concernant l'ajout d'une disposition prévoyant la préparation d'un rapport sur le projet de loi S-3 et les activités du gouvernement pendant l'étape 2.

Le gouvernement n'a pas, cependant, donné suite à la troisième recommandation de la Section du droit des Autochtones de l'ABC visant à supprimer l'article 8 du projet de loi. Comme nous l'avons dit en novembre 2016, la dernière fois que nous avons comparu, l'article 8 du projet de loi S-3 interdit aux personnes touchées par le projet de loi S-3 de réclamer une compensation du fait qu'elles n'étaient pas inscrites. Le Canada était conscient du travail qu'il restait à faire après la décision McIvor et le projet de loi C-3. En conservant l'article 8, le projet de loi S-3 protège le Canada des conséquences de sa conduite et donne peu de raisons d'agir pour s'assurer que l'éradication de la discrimination dans le contexte du statut d'Indien se produise sans délai.

Les tribunaux ont conclu que les gouvernements bénéficient d'une certaine protection contre l'effet rétroactif de leurs décisions, mais la Cour suprême du Canada a maintenu dans une affaire de 2007, Canada (procureur général) c. Hislop, que cette protection s'applique lorsque le tribunal élabore une nouvelle loi dans les limites généreuses de la Constitution. La discrimination fondée sur le sexe n'est pas nouvelle dans la Loi sur les Indiens. En protégeant le Canada des conséquences d'avoir agi de manière incomplète en 2010, lorsqu'il a adopté le projet de loi C-3, on lui donne des raisons économiques de continuer à adopter des mesures incomplètes alors qu'il sait qu'il ne doit pas agir ainsi.

Sous réserve de ce commentaire, il semble que le gouvernement ait en effet profité de la prolongation accordée par la juge Masse en janvier 2017. Si la disposition concernant l'obligation de faire rapport est adoptée, le Parlement sera à nouveau saisi de cette question à la fin de 2017 et encore une fois à la fin de 2018. C'est maintenant au tour du Parlement de faire la même chose afin d'adopter le projet de loi avant l'expiration de la période de nullité avec effet suspendu en juillet 2017.

Le fait de permettre à la période de nullité avec effet suspendu de venir à échéance poserait de graves difficultés à la primauté du droit et empêcherait encore davantage les personnes qui ont été victimes de discrimination pendant des décennies de profiter des avantages qui leur sont dus. Particulièrement dans les domaines très techniques, comme l'actuel système d'inscription au statut d'Indien, le Parlement doit agir pour corriger les régimes d'avantages qui sont insuffisamment inclusifs et qui ont été jugés inconstitutionnels par les tribunaux.

Ceci clôt notre déclaration. Merci.

Perry Bellegarde, chef national, Assemblée des Premières Nations : (Le témoin s'exprime dans sa langue maternelle.)

Je remercie les Algonquins et le Créateur pour cette magnifique journée. À vous tous, mes parents, je dis que je suis très heureux d'être ici.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie une fois de plus de me donner l'occasion de vous parler des enjeux soulevés par la décision Descheneaux. Nous sommes tous ici aujourd'hui, car nous savons que la discrimination fondée sur le sexe existe encore dans la Loi sur les Indiens. Cette réalité prouve une fois de plus que les conséquences du colonialisme sur les Premières Nations sont profondes et douloureuses. Cette douleur découle du fait qu'on anéantit l'honneur et le respect qui étaient dus aux femmes des Premières Nations et des profonds bouleversements qu'ont connus nos sociétés et nos systèmes de gouvernance.

Hier, nous avons reçu du greffier de votre comité quelques amendements proposés au projet de loi S-3. Je comprends que ces amendements n'ont pas encore été déposés officiellement, mais nous sommes heureux de voir que l'on continue de combattre la discrimination fondée sur le sexe et de donner suite à la décision Gehl. Vous comprendrez que nous avons besoin de plus de temps pour étudier en profondeur ces amendements.

J'estime, cependant, que les efforts envisagés pour corriger la Loi sur les Indiens sont voués à l'échec. L'esprit même de la Loi sur les Indiens est un esprit colonial qui ne peut qu'être mis au rancard. Le temps est venu d'adopter et de mettre en œuvre les normes minimales de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones parce que chaque première nation a le droit d'exposer à la Couronne sa vision de la transition pour aller au-delà de la Loi sur les Indiens.

Nous avons une population autochtone jeune et en croissance, et les formules de financement et assises territoriales sont d'une tout autre époque. Elles ne tiennent pas compte de nos droits, de nos lois et de la conjoncture actuelle. Lors de ma comparution antérieure devant vous, j'ai fait remarquer que les Premières Nations ont non seulement été confrontées à la réalité du sous-financement persistant et chronique de services essentiels, comme l'éducation, l'eau, la santé et l'infrastructure, mais aussi aux lacunes des droits fonciers conférés par traités. Elles doivent aussi être corrigées dans la réponse exhaustive et appropriée à la décision Descheneaux.

Nous entendons parler d'accès au programme des étudiants de niveau postsecondaire et de la façon dont le gouvernement le finance maintenant parce que vous créez un nouveau type de statut d'Indien, et aussi de l'accès au programme des services de santé non assurés de Santé Canada, pour lequel vous réservez des fonds, mais il existe dans les traités une formule bien précise — soit 128 acres par personne ou 640 par famille de cinq personnes. Où donc en sera-t-il question dans cette loi? Où en sera-t-il traité, relativement aux droits et obligations de l'État, dans le contexte d'une relation de nation à nation?

L'élimination de la règle de l'exclusion après la deuxième génération afférente à la règle de la paternité non déclarée en vertu de la décision Gehl pourrait être un pas important dans la bonne direction s'il s'inscrit dans un processus conçu conjointement et entrepris en partenariat avec les Premières Nations. Cela ne peut pas se faire de façon unilatérale, à défaut de quoi, ce sera un échec.

Il devrait apparaître évident que l'esprit de la Loi sur les Indiens est ancré dans une notion fondée sur le sexe et racialisée de l'identité des Premières Nations désormais irréparable. C'est pourquoi toute mesure que propose le Parlement au sujet de la Loi sur les Indiens, à savoir s'il convient de la garder, de la modifier, de la refondre ou de la supprimer, doit s'inscrire dans un processus où le droit inhérent des Premières Nations à l'autodétermination, y compris le respect de l'exigence de consentement libre, préalable et éclairé, est respecté.

Je vous incite aussi vivement, dans votre réflexion, à aller au-delà de notions désuètes de mobilisation et de consultation des Premières Nations. Toute nation a le droit fondamental de déterminer sa propre citoyenneté. Le temps est manifestement venu pour le Canada de déclarer qu'il reconnaît les droits inhérents des Premières Nations à déterminer leur propre identité, et de travailler avec les Premières Nations qui sont prêtes à s'exclure de la Loi sur les Indiens et à discuter des mesures qu'elles estiment nécessaires pour que cela puisse se réaliser.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones définit des normes minimales en matière de droits de la personne qui s'inspirent de nos droits inhérents en tant que peuples et nations et nos droits humains en tant qu'individus. Il ne s'agit pas là de droits nouveaux, et ils n'ont pas non plus été créés par la déclaration elle-même.

Je soulignerais que toute modification à la Loi sur les Indiens, y compris les changements proposés au statut d'Indien ou à la composition des bandes, doit se faire avec le consentement libre, préalable et éclairé de chacune des Premières Nations du Canada. J'estime que les processus de modifications entrepris jusqu'à maintenant n'ont pas été conçus pour respecter les normes minimales de la déclaration.

Nous comprenons le dilemme qui se pose au gouvernement fédéral pour respecter la plus récente échéance fixée par le tribunal, soit le 3 juillet, pour apporter des amendements afin de remédier à la discrimination fondée sur le sexe relevés dans la décision Descheneaux. Cette obligation va de pair avec l'engagement du gouvernement à l'égard d'une relation renouvelée de nation à nation et ses obligations de pleinement mettre en œuvre la déclaration des Nations Unies. Il a avalisé cette déclaration sans réserve. C'est très important.

L'Assemblée des Premières Nations a longuement milité en faveur d'un examen conjoint des lois et politiques du Canada dans le but de les décoloniser. Le premier ministre Justin Trudeau a répondu de façon positive en affirmant son intention de mener cette démarche avec les peuples autochtones.

Si le gouvernement fédéral est déterminé à suivre un véritable processus de collaboration, il doit fournir aux Premières Nations les ressources qui lui sont nécessaires pour réaffirmer et rétablir leur capacité de gouvernance. Elles ont besoin de ressources pour les consultations internes et pour élaborer, promulguer et mettre en œuvre leurs propres lois sur la citoyenneté. J'ai toujours dit qu'il faut occuper le terrain. Les Premières Nations devront créer leurs propres lois sur la citoyenneté, occuper le terrain et mettre au rencart la Loi sur les Indiens ou toute autre loi fédérale ou provinciale à laquelle elles ne veulent plus être assujetties. Elles doivent créer leurs propres lois et occuper le terrain.

Pour que le gouvernement réalise véritablement les possibilités qu'offre une approche concertée, il doit être disposé à renoncer au contrôle paternaliste qu'il exerce. Les Premières Nations et le Canada doivent aller au-delà de la Loi sur les Indiens, mais de façon conforme aux normes et à la déclaration des Nations Unies.

J'espère que les prochaines étapes de ce processus donneront lieu à un véritable partenariat positif avec le gouvernement fédéral en vue de décoloniser les lois et politiques du Canada et de promouvoir les droits des Premières Nations, leur reconnaissance et la réconciliation avec elles. Il est temps pour les Premières Nations d'affirmer leur compétence inhérente à l'égard de leur propre identité, et pour ce faire, le Canada doit affirmer la compétence intrinsèque des Premières Nations sur toutes les questions qui touchent à l'identité des Premières Nations, y compris toutes les questions qui ont trait au statut d'Indien, à la composition des bandes ou à la citoyenneté. Le temps est venu encore une fois pour nous d'occuper le terrain et d'affirmer notre compétence inhérente en ce qui concerne l'identité des Premières Nations, et il est temps que le Canada reconnaisse, respecte et appuie l'exercice par les Premières Nations de leur droit à l'autodétermination à ces chapitres.

Voilà les observations officielles que je voulais faire.

Le sénateur Patterson : Je tiens à remercier le grand chef Bellegarde pour ses vibrantes observations. Vous avez dit comprendre le dilemme du gouvernement fédéral auquel le tribunal a imposé une échéance, d'autant qu'il s'est aussi engagé à l'égard d'un véritable processus de collaboration, dans lequel doit s'inscrire un examen conjoint des relations entre les peuples autochtones et le Canada. C'est aussi, à mon avis, le dilemme de notre comité, et comme vous le savez, chef Bellegarde, notre comité a entrepris une audacieuse étude avant même de devoir composer avec la loi comme c'est le cas maintenant. Nous avons entrepris une étude audacieuse des relations dont vous avez parlé aujourd'hui, dans une perspective de fin de l'ère coloniale et pour trouver une nouvelle manière de travailler de concert avec les peuples autochtones.

Le dilemme du gouvernement fédéral, relativement à ce projet de loi, c'est notre dilemme, et ce dont je souhaite vous parler aujourd'hui. Nous avons cette date butoir du 3 juillet qui approche. Très franchement, nous avions prévu deux réunions cette semaine et peut-être une la semaine prochaine pour traiter de ce projet de loi de manière aussi approfondie que possible. Nous devons laisser aussi du temps à l'autre endroit, comme nous l'appelons, pour discuter de ce projet de loi, qui émane du Sénat.

La question importante qui se pose à nous aujourd'hui est la suivante : Que devons-nous faire de ces amendements proposés et de la promesse de discuter, à la deuxième phase, de ces importantes questions que vous avez soulevées, y compris le droit des Premières Nations de déterminer leur propre citoyenneté — droit que les Inuits ont déjà acquis, je crois, principalement dans le cadre de revendications territoriales, processus beaucoup plus simple? Que devons-nous faire avec ces amendements proposés, qui, vous en conviendrez certainement pour la plupart, constituent un progrès comparativement à décembre, et ont réglé certains aspects problématiques posés à la première version du projet de loi, mais qui certainement ne règlent pas les plus grands enjeux?

Nous nous sommes quelque peu demandé si le temps prévu suffisait pour ce que le ministère appelle la mobilisation, dont la plupart d'entre vous diriez qu'elle n'a pas équivalu à une consultation et n'a pas suffi à remplir le devoir de l'État de consulter. Que devons-nous faire de ces amendements? Est-ce que vous recommanderiez que nous allions de l'avant et améliorions le projet de loi en avalisant le processus d'engagement et le processus de reddition de comptes que prévoit maintenant le projet de loi? Que pense l'Assemblée des Premières Nations de ces amendements?

M. Bellegarde : Encore une fois, sénateur, vous faites d'excellents commentaires. Vous avez résumé tout l'enjeu, soit la contrainte de temps; le 3 juillet approche. Vous avez un mois, peut-être deux. Si on veut être réaliste, vous devrez peut-être appuyer les amendements proposés parce qu'une injustice a été commise. Même si le projet de loi n'est pas parfait et ne corrige pas tous les problèmes de discrimination, vous devez respecter cette échéance du 3 juillet.

Il faudrait consacrer plus d'énergie et de réflexion à la deuxième phase pour aller dans le sens du plein respect de la compétence des Premières Nations en matière de sécurité, de l'élimination complète de la discrimination et de la mise au rancart de la Loi sur les Indiens. Nous le disons sans cesse à nos chefs en conseils. Si nous restons assujettis à la Loi sur les Indiens en ce qui concerne la citoyenneté et la composition des bandes, il n'y aura pas d'Indiens inscrits au Canada dans les 60 prochaines années. C'est un fait. On peut voir les tendances. Il faut sortir des limites de la Loi sur les Indiens et créer notre propre loi sur la citoyenneté. C'est la deuxième phase, c'est clair.

Ce serait là la réponse réaliste à votre question portant sur le soutien des amendements qui sont maintenant proposés, parce que le 3 juillet approche. Nous pouvons tous geindre et nous plaindre; il n'y a pas eu de consultations suffisantes. Le temps manque pour en tenir une qui soit adéquate. Les ressources humaines et financières ont manqué. Beaucoup de nos chefs composent au jour le jour avec des problèmes de logement, d'eau, d'égout et de pauvreté. Pensez-vous qu'ils ont le temps de réfléchir à ce que signifie la décision Descheneaux? Pour beaucoup d'entre eux, la réponse est non.

Nous allons envoyer un résumé de l'affaire Descheneaux. En 1985, les gens n'ont pas réalisé les conséquences du projet de loi C-31. Ces conséquences ont été majeures partout au Canada. Avec la décision Descheneaux, c'est la même chose.

Nous rédigerons une note et une ébauche de loi sur la citoyenneté que les Premières Nations pourront adopter. Elles pourront y apporter des ajustements, ajouter un ours noir ou une couverture étoilée, par exemple, pour l'adapter à ce qu'elles veulent, en fonction de leurs gens, de leurs lois ainsi que de leurs coutumes et traditions. Elles auront au moins un point de départ. C'est ce que nous souhaitons faire.

Le sénateur Doyle : Évidemment, les Premières Nations feront face à des préoccupations financières en raison des nouveaux membres qu'elles accueilleront par suite du projet de loi S-3. Par souci de précision, pourriez-vous parler un peu plus de cela et des préoccupations financières, de même que de la façon dont le gouvernement fédéral devrait aujourd'hui s'attaquer à ces préoccupations en votre nom? Vous avez mentionné une formule un peu plus tôt. Pourriez-vous en parler un peu plus également?

M. Bellegarde : Je parle souvent de l'écart qui existe au Canada entre les Canadiens et les Canadiens non autochtones. C'est 6 par rapport à 63. Selon l'indice de développement humain des Nations Unies, le Canada se classe sixième pour la qualité de vie. Si on applique les mêmes indices aux Autochtones, le Canada est au 63e rang. Tout le monde est en haut de la liste au sixième rang, et nous nous retrouvons en bas, au soixante-troisième. Cela démontre bien tout ce dont nous parlons. Cela représente le taux de suicide élevé, le nombre disproportionné de nos gens en prison, les 40 000 enfants autochtones en familles d'accueil, les logements surpeuplés, les 132 avis d'ébullition d'eau et le plafond de financement de 2 p. 100.

Quand vous parlez des ressources, c'est exactement ce que je veux dire; il faut des investissements durables à long terme dans les enjeux touchant les Autochtones, que ce soit les 8,4 milliards de dollars l'an dernier ou les 3,4 milliards de dollars au cours du présent exercice, mais on ne va pas combler cet écart en à peine un exercice ou deux. Des investissements durables à long terme doivent être faits. Voilà pour mon premier point.

Le premier ministre s'est engagé à lancer un processus en vue de travailler — selon ses propres paroles — à l'établissement d'un financement prévisible et durable à long terme pour les Premières Nations, en vue d'abandonner progressivement le système d'ententes de contribution qui existe actuellement. C'est tout un processus et le travail que nous faisons à la table financière prendra un peu de temps.

Quand on commence à créer de nouveaux Indiens inscrits, les besoins sont importants. Aujourd'hui, puisque de nouveaux Indiens inscrits arriveront bientôt, ils auront accès à certains programmes, ce qui aura pour effet d'épuiser les ressources existantes. Le gouvernement doit donc aborder la question de façon adéquate et veiller à ce que la planification financière soit appropriée. Si je dispose d'un droit issu d'un traité me permettant de chasser, de pêcher, de trapper et de cueillir ou d'avoir accès à l'éducation ou aux soins de santé, et si ce droit découle de l'article 35, qui reconnaît les droits ancestraux et issus de traités, pourquoi y a-t-il un plafond à ce droit s'il s'agit d'un droit? Ce sont des droits; leur financement devrait être adéquat.

Ensuite, en ce qui concerne la question plus vaste, c'est quelque chose que nous devrons examiner lorsque nous commencerons à travailler au renouvellement de la relation financière avec la Couronne — et nous avons soulevé cette question autour de notre table financière. Ces programmes ou services nous sont offerts à titre d'Indiens visés par les traités, de peuples des traités, et ils ne devraient pas être financés à même le trésor public; ils devraient venir de toute la richesse que nous tirons du territoire et des ressources.

Alors, pensons au PIB, le produit intérieur brut économique du Canada, et aux milliards qui sont tirés de toutes les terres et ressources que nous partageons. On peut même envisager un pourcentage du PIB pour les Autochtones dans l'optique de cette nouvelle relation financière avec la Couronne, et tous ces éléments sont discutés autour de notre table financière. Il faudra du temps.

Il s'agit principalement de veiller à ce que le ministre Morneau et le conseil des ministres procèdent à une planification adéquate en vue des nouveaux Indiens inscrits, mais également en vue d'un financement prévisible et durable à long terme afin de commencer à combler cet écart. Si nous conservons le statu quo, personne n'en profite au Canada parce qu'il existe un coût social élevé pour maintenir cet immense écart.

Des investissements dans des écoles adéquates. Je suis heureux des 90 millions de dollars versés au Programme d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire dans le budget de l'an dernier, parce que nous avons des étudiants sur la liste d'attente. La meilleure façon de se sortir de la pauvreté est d'obtenir une bonne éducation. C'est sur cette question que nous devons nous pencher.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je suis heureuse de vous revoir. Selon vous, quelle serait la bonne relation entre nations? Quelle serait la bonne relation?

M. Bellegarde : C'est une très bonne question.

Le sénateur Sinclair : C'est à ce moment-ci que nous sortons dîner.

M. Bellegarde : Vous serez peut-être ici jusqu'au souper, monsieur le sénateur. J'essaierai d'être aussi bref que possible, et je vais m'inspirer de ma communauté. J'ai grandi dans la réserve de Little Black Bear, de sorte que mon modèle... C'est une très bonne question : qu'est-ce qu'on veut dire par « nation à nation »?

Pour nous ou pour moi, c'est le Créateur qui est tout en haut, si on veut prendre l'exemple d'une structure hiérarchique; ensuite il y a les gens, pas seulement ceux qui sont dans les réserves, mais ceux qui sont à l'extérieur aussi, maintenant, en raison de la décision Corbiere. Il y a tous les gens de la nation Little Black Bear qui choisissent notre chef et notre conseil. Peu importe si on vit à Ottawa ou Toronto, on peut voter pour élire le chef et le conseil. Il y a un chef et quatre représentants, et l'un des quatre représentants représente les gens en milieu urbain, parce que la moitié de notre bande se trouve à l'extérieur de la réserve. Donc si on veut être conseiller urbain de Little Black Bear, il faut vivre à l'extérieur de la réserve et poser sa candidature pour le poste. Tout le monde a le droit de voter pour le candidat.

Nous avons donc un chef et quatre conseillers. C'est pour Little Black Bear, qui appartient à l'agence de File Hills. Il y a cinq réserves qui travaillent de concert. Il n'y a pas d'élection d'un chef ou d'un grand chef de l'agence, mais nous travaillons ensemble pour les services de santé, et nous avons notre service de police autonome dans notre communauté, ainsi que certains programmes et services.

Ensuite, Little Black Bear appartient à un conseil tribal, le File Hills Qu'Appelle Tribal Council, qui réunit 11 réserves afin qu'elles travaillent de concert. Il y a une élection à ce conseil tribal. Les chefs et les conseils se réunissent pour élire un chef du conseil tribal.

Little Black Bear appartient à la FNAS, dont le nom était auparavant la Fédération des nations autochtones de la Saskatchewan; elle s'appelle aujourd'hui la Fédération des nations autochtones souveraines. Little Black Bear fait partie de l'Assemblée des Premières Nations, 634. Selon moi, l'APN se retrouve en bas de la liste, pas au sommet. Voilà pour notre structure actuelle.

Little Black Bear a signé le traité no 4 en 1874. Les nations concluent des traités; ce ne sont pas les traités qui créent les nations. La réserve de Little Black Bear est une tribu mixte, crie-nakota. Nous nous sommes diablement amusés dans notre communauté. Sommes-nous Cris? Sommes-nous Nakota? Qui sommes-nous? Sommes-nous Métis ou Ukrainiens? En 1985, toutes les réserves ont tenu ces débats. Qui sommes-nous? Sommes-nous Ojibway? Anishinabe? Mi'kmaw? Sommes-nous Dénés? Sommes-nous Blackfoot? Qui sommes-nous?

Nous faisons partie de la nation crie. Au Canada, il existe 58 nations. Des 634 réserves, des bandes en vertu de la Loi sur les Indiens, on fait partie d'une nation plus vaste. Nous en sommes donc tous à des étapes différentes. Certains sont prêts à établir cette relation de nation à nation. D'autres, non. Nous nous organisons lentement, mais sûrement.

Il y a maintenant une option de relation entre nations. Les régions visées par des traités s'organisent. Dans mon cas, à Little Black Bear, il n'y a pas eu un chef cri qui ait signé le traité no 4 ni un chef Saulteaux ou Ojibway. Il n'y a pas eu de chef Assiniboine au nom de la nation assiniboine qui ait signé le traité ou qui ait décidé d'en faire partie. Il y en a eu de nombreux. Il y a 34 chefs qui ont apposé quatre marques distinctives. Je ne peux pas dire qu'ils ont signé. Ils ne parlaient ni français ni anglais, de sorte qu'ils n'ont rien signé, mais ils ont noué une relation avec la Couronne à titre souverain.

Alors maintenant, en plus de la nation crie, il y a les Cris du Québec. Je n'ai pas vraiment affaire au grand chef Matthew Coon Come et aux Cris du Québec, ni d'ailleurs aux Cris du nord de l'Alberta ou de la Colombie- Britannique. Il y a des Cris partout au pays, mais les régions visées par des traités sont maintenant une option.

Le traité no 4 cherche à se détourner de la Loi sur les Indiens et à travailler à la mise en œuvre du traité. Chez moi, nous disons : « Je ne sais pas si la nation crie va réellement se ressaisir. » Nous faisons partie de la nation crie; nous serons toujours cris. C'est pour cette raison que la langue — [note de la rédaction : le témoin a parlé dans sa langue maternelle] — parler un peu le cri. La langue est si importante.

La façon dont les structures évoluent à partir du système de la Loi sur les Indiens dont je viens de parler, les agences — c'est-à-dire la Loi sur les Indiens, les agents des Indiens, les conseils privés, les OPP, l'APN — les régions visées par des traités et le fait de faire partie de cette nation. Voilà où nous nous trouvons, quelque part dans ce dialogue. Vous voyez ce magnifique diagramme que je viens de tracer? Tout est là. Nous devons nous impliquer. Chaque réserve se trouve à un niveau différent. Il faut adopter une approche souple, mais tout revient aux droits fondamentaux, à l'autodétermination et au fait d'aller au-delà de la Loi sur les Indiens. Il s'agira de tout un processus.

Je pourrais remonter à l'adoption de la découverte, mais nous ne voulons pas être ici jusqu'à ce soir. Ce sera donc varié, madame la sénatrice, en fonction des réserves et des tributs.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je suis d'accord.

J'ai une brève question, et j'imagine que vous répondrez brièvement : selon vous, les consultations menées jusqu'à maintenant au sujet du projet de loi S-3 sont-elles adéquates?

M. Bellegarde : Non.

Le sénateur Sinclair : Lorsque j'étais un jeune avocat, j'ai eu, un jour, un témoin à qui j'ai posé une question et, 45 minutes plus tard, j'ai pu lui en poser une deuxième. Vous me rappelez ce témoin, chef. J'hésite quelque peu à vous poser une question, de sorte que je me tournerai vers les témoins de l'Association du Barreau canadien.

M. Bellegarde : Merci monsieur le sénateur.

Le sénateur Sinclair : Ma question porte sur la clause de non-responsabilité qui se trouve dans le projet de loi actuel. Vous avez affirmé être préoccupé que cette clause se trouve toujours dans le projet de loi et qu'elle pourrait empêcher certaines personnes de demander une réparation pour des droits qui auraient été violés par le passé. Je me demande si, premièrement, vous pourriez nous donner des exemples de personnes qui auraient autrement pu demander une compensation, et deuxièmement, si une telle clause pourrait nuire à une demande de réparation pour atteinte à l'article 24 de la Charte? Comprenez-vous bien ma question?

M. Taylor : Oui, je comprends. Je crois en fait que vous me posez deux questions. Laissez-moi d'abord répondre à la première.

Il existe une foule d'avantages et d'éléments positifs associés au statut d'Indien. La question de savoir si le gouvernement devrait ou non être celui qui accorde le statut d'Indien et qui le gère est complètement distincte. Dans le régime actuel avec lequel nous travaillons depuis des dizaines d'années, les services de santé non assurés et les soins dentaires payés représentent des exemples d'avantages associés au statut d'Indien. Les Canadiens qui n'ont pas le statut d'Indien doivent généralement se procurer une assurance privée ou payer pour leurs propres soins de santé dentaires. Ces deux services sont des avantages quantifiables auxquels certaines personnes n'ont pas eu accès. Il s'agit d'un des problèmes que cherche à régler le projet de loi S-3.

À l'opposé, il existe d'autres exclusions plus psychologiques ou fondées sur l'identité comme l'exclusion de sa communauté, et la séparation de sa culture et de son identité. D'ailleurs, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones se penche sur cette question. Je ne saurais vous dire si ces exclusions peuvent mener à des compensations, mais il existe certainement toute une gamme d'options.

Pour répondre à votre question, à savoir si cette clause pourrait bloquer une demande ou une demande de réparation en vertu de l'article 24 de la Charte, les tribunaux ont clairement affirmé que la Constitution a préséance. C'est la Constitution qui l'emporte. Contrairement à d'autres recours civils de réparation, je pense que si une contestation en vertu de la Charte était formulée, un demandeur pourrait certainement faire valoir que la clause 8 — ou peu importe ce à quoi la clause 8 ressemblera dans la forme finale du projet de loi — devrait céder le pas. D'ailleurs, je pense qu'il y a un litige en cours — l'affaire Sarrazin — qui porte justement sur cette question.

D'autres éléments entrent également en ligne de compte. Dans le cadre d'une demande de réparation individuelle. Un délai de prescription s'applique. Il y a donc des personnes qui ne seraient pas au courant d'une demande en cours ou pour qui le délai de prescription serait échu. Je ne vous parlerai pas de toutes les possibilités juridiques associées à ces demandes, mais il est clair que les plaideurs se buteront à un fardeau supplémentaire si la clause 8 demeure dans le projet de loi. Comme cette clause détaille les exclusions et tente de les quantifier, un argument juridique préliminaire porterait certainement sur la validité de cette clause, et sur la possibilité qu'elle empêche un demandeur de réclamer une compensation.

Des questions demeurent sur le projet de loi S-3 et sur ses répercussions puisqu'il n'y a pas encore eu de jugement définitif. Cependant, la juge Masse a clairement exposé dans son jugement qu'il s'agit d'une question qui a été portée à l'attention du gouvernement du Canada en 2010, voire en 2007 au moment de la décision de première instance dans l'affaire McIvor. La juge a clairement indiqué que d'autres éléments de la loi posaient problème. Selon le cadre juridique Hislop, une protection rétroactive peut seulement être insérée dans une nouvelle loi. Dans ce contexte, nous croyons que la clause 8 doit être remise en doute.

Le sénateur Sinclair : Chef Bellegarde, puisque nous savons qu'il nous reste beaucoup de temps, je vais vous poser une question. Avez-vous pensé aux conséquences de ne pas modifier le projet de loi avant l'échéance ou de voir l'échéance passer avant que le projet de loi ne soit adopté? Selon l'Association des Premières Nations, quelles seraient les conséquences pour l'adhésion aux bandes et pour l'inscription au registre?

M. Bellegarde : Je n'y ai pas beaucoup réfléchi. Nous avons reçu une partie des documents hier, y compris les amendements en plus de tout le reste. Le 3 juillet pointe à l'horizon. Que se passera-t-il si le projet de loi n'est pas adopté? S'il n'est pas adopté, la discrimination fondée sur le sexe continuera. Les droits de beaucoup de gens ne seront pas reconnus. Des gens en subiront les conséquences. Voilà pour les répercussions.

Pour les chefs, pour les Premières Nations, y aura-t-il une augmentation des membres si le projet de loi n'est pas adopté? Y aura-t-il 40 000 à 45 00 Indiens inscrits de plus? J'ai entendu ce chiffre plus tôt alors que j'entrais dans la salle de comité. S'il s'agit de la cible estimée, c'est beaucoup. Les répercussions financières seront majeures.

Tout est précipité. Les consultations n'étaient pas adéquates. Pour les Premières Nations, si vous allez de l'avant, et que 45 000 personnes demandent le statut d'Indien, quelles seront les obligations des chefs et des conseils de bandes à l'endroit de ces Indiens inscrits? Quelles seront les obligations de la Couronne à l'égard de ces Indiens inscrits? Voilà pourquoi j'ai mentionné la question du territoire. Si je suis le chef de Little Black Bear et que vous devenez tous des Indiens inscrits, cela suppose des responsabilités, des obligations et des droits. Comment m'assurer que vous soyez tous logés et que vos enfants aillent à l'école? Les demandes seront nombreuses.

Le problème est énorme. Voilà pourquoi j'ai dit plus tôt qu'en raison de l'échéance du 3 juillet, oui, peut-être qu'il vaut mieux appuyer le projet de loi. Toutefois, pendant la phase 2, il faudra assurer des consultations adéquates, en collaboration, pour aller plus loin que la Loi sur les Indiens. La Couronne est tenue de veiller à prévoir les ressources nécessaires pour respecter ces droits. Voilà ma réponse. Si le projet de loi n'est pas adopté, certaines personnes ne jouiront pas de ces droits, il y aura encore de la discrimination.

Le sénateur Oh : J'ai une question simple à poser au chef. Que pensez-vous du processus de consultation du gouvernement? Le gouvernement a-t-il suffisamment consulté? Avez-vous pris connaissance d'autres problèmes?

M. Bellegarde : Encore une fois, sénateur, le processus de consultation est inadéquat; le processus est précipité et déficient. Évidemment, ni les exigences minimales, ni celles de la déclaration des Nations-Unies garantissant un consentement libre, préalable et éclairé par rapport à toute nouvelle loi qui aura une incidence sur nos droits, n'ont pas été atteintes, ce qui pose de gros problèmes et occasionne de grandes préoccupations.

Que ces pratiques relèvent ou non de Jody Wilson-Raybould — son mandat fait état d'un examen des lois et des politiques — j'espère que l'entente bilatérale que nous signerons, ou que l'entente établissant trois à quatre rencontres par année avec le premier ministre et quelques ministres clés, comprendra un autre processus qui nous permettra de régler bon nombre de ces iniquités et incongruités. Voilà ce que je souhaite.

Sénateur, pour ce projet de loi, les consultations n'étaient pas adéquates. Nous avons même demandé des renseignements sur les 28 communautés consultées par le ministère des Affaires autochtones et du Nord, mais nous n'avons pas reçu de réponse. Alors j'ai besoin de savoir. J'aimerais savoir à qui le ministère a parlé. Où le ministère s'est-il déplacé? Quelles ont été les discussions? Il faut améliorer les choses.

Le sénateur Oh : Qu'en pense l'Association du Barreau?

M. Taylor : Lors de notre témoignage ici en novembre, nous recommandions que les consultations planifiées soient terminées, à un moment où les consultations suivaient toujours leur cours. Le processus législatif était déjà en marche.

Le chef national a parlé du consentement libre, préalable et éclairé. L'Association du Barreau canadien a adopté une résolution appuyant la mise en œuvre complète de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cet instrument international indique que la norme prévoit le consentement libre, préalable et éclairé.

Cela étant dit, nous avons jusqu'au 3 juillet pour adopter une loi en raison d'une décision de la cour, ce qui rappelle une métaphore bien répandue depuis une vingtaine d'années, faisant référence à un dialogue entre les tribunaux et le Parlement. La Cour statue sur la constitutionnalité ou l'inconstitutionnalité d'une question par rapport à la Charte, puis le Parlement réagit.

Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons. Si le Parlement ne réagit pas, une partie de la Loi sur les Indiens sera déclarée inconstitutionnelle, touchant non seulement les 45 000 personnes qui attendent d'en tirer parti, mais aussi toutes celles ayant droit d'obtenir le statut parce que, désormais, aucune disposition ne les en empêchera. Comme je l'ai dit dans mes observations liminaires, de graves risques et préoccupations existent par rapport à la primauté du droit pour la suite des choses.

Le comité a certainement la capacité de demeurer saisi de la question et de l'étudier à nouveau plus tard cette année, mais ce sera peut-être six mois trop tard. Un délai de trois mois nous mènerait à septembre, après la pause estivale. Je crois savoir que le Sénat ne siège pas habituellement en juillet et en août. Toutefois, si le comité demeure saisi de la question pour la deuxième phase et qu'il en fait un suivi étroit, peut-être qu'il pourra veiller à ce que le processus respecte la norme du consentement libre, préalable et informé prévu par la déclaration des Nations Unies.

Le sénateur Oh : Merci pour vos réponses franches.

La sénatrice McPhedran : Bienvenue au chef national et aux représentants de l'Association du Barreau canadien.

J'aimerais revenir sur la référence que vient de faire M. Taylor au dialogue entre les tribunaux et le gouvernement. Vous savez peut-être que j'ai beaucoup écrit sur le besoin d'établir un dialogue tripartite relativement aux travaux continus sur la Constitution et l'édification du pays. Notre discussion aujourd'hui illustre parfaitement le besoin et la valeur d'un dialogue tripartite.

Chef national, ma question s'appuie sur l'article 44 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui est très court, alors permettez que je le lise :

Tous les droits et libertés reconnus dans la présente Déclaration sont garantis de la même façon à tous les Autochtones, hommes et femmes.

Bien sûr, pour ceux d'entre nous qui connaissent la Charte, je suppose que c'est le cas de toutes les personnes ici présentes, ce libellé ressemble presque en tout point à l'article 28 de la Charte canadienne des droits et libertés, et aussi au paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982.

La situation actuelle dans laquelle nous nous trouvons découle en partie du voyage de la ministre Bennett à New York, au siège de l'Organisation des Nations Unies, où elle a déclaré que le Canada allait complètement affirmer ses engagements en vertu de la déclaration des Nations Unies — une recommandation clé de la Commission de vérité et réconciliation, présidée par l'honorable sénateur Sinclair. C'est donc un bon début.

Voici ma question : En présentant votre argument, c'est-à-dire que nous vous écoutions et respections, vous dites que le statut et la citoyenneté doivent être déterminés par les nations. Le droit international, selon moi, ne remet pas cela en question, et la déclaration en fait aussi clairement état. Pourriez-vous toutefois imaginer des situations où la détermination de la citoyenneté et du statut par les Premières Nations elles-mêmes pourrait entraîner une discrimination fondée sur le sexe?

M. Bellegarde : J'espère ne jamais voir cela, sénatrice. Penchons-nous sur ce qui se passe à Kahnawake. C'est tout à fait nouveau. Nous espérions et ferions en sorte que les lois — enfin, au Canada, on a la common law et le droit civil. Tous les avocats ici savent de quoi je parle. Il y a la common law et le droit civil. Quand on est reçu au barreau, on prête serment pour défendre ces lois.

Nous avons toujours dit qu'il existe la loi du Créateur et la Loi des Premières Nations. Est-ce qu'on trouvera les moyens, dans cet État-nation qu'on appelle désormais le Canada, de reconnaître aussi ces lois?

Dans la loi du Créateur, on trouve un équilibre entre les hommes et les femmes. Les deux sont essentiels pour donner la vie. Dans toutes les cérémonies auxquelles j'assiste, il y a autant d'hommes que de femmes dans les huttes. Cet équilibre est toujours nécessaire. J'espère que, si les Premières Nations sont appelées à élaborer leurs propres lois en matière de citoyenneté, elles maintiendront ces principes dans l'exercice de leur droit à l'autodétermination. J'espère qu'il n'y aura aucune discrimination, même au sein de nos tribus et nations, si elles donnent préséance à la loi du Créateur. Voilà ma réponse.

Au sujet des Nations Unies, je salue la ministre Bennett aussi. Le gouvernement s'est retiré il y a un an, lors des négociations sur le document publié à l'issue de la conférence mondiale. Le Canada est intervenu aux Nations Unies sur la question du consentement libre, préalable et éclairé garanti par la déclaration des Nations Unies. Le Canada a appuyé la déclaration, mais nous gardons des réserves quant à certains articles de cette déclaration portant sur le consentement libre, préalable et éclairé. Il y a quelques semaines, la ministre, au nom de la Couronne, au nom du Canada en tant qu'État-nation, a retiré ces réserves, si bien que l'appui est maintenant total.

La mise en œuvre de la déclaration constituera la feuille de route vers la réconciliation au Canada. J'estime qu'il s'agit de la norme minimale. Si la déclaration était adoptée, on aurait une feuille de route vers la réconciliation. Les provinces disposeraient d'une certitude économique. Des partenariats seraient créés entre le public et le privé et les peuples autochtones. Il s'agit tout à fait d'une feuille de route, et j'espère qu'au moment opportun, les honorables sénateurs et leur Chambre seront saisis d'un projet de loi pour lui conférer force de loi. Il s'agit d'un travail en cours dont nous serons, je l'espère, bientôt saisis.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Ma question est la suivante : comme vous le savez, le gouvernement a une obligation fiduciaire par rapport aux Premières Nations. Est-ce qu'on ne pourrait pas de fait régler la question des nouveaux membres de bandes qui intègreront les communautés? Devrions-nous l'aborder maintenant, pendant l'étude de ce projet de loi?

M. Bellegarde : Voilà une bonne question, sénatrice. En tant que Premières Nations, nous avons toujours affirmé que le fédéral a une obligation fiduciaire à notre endroit en raison de la relation de nation à nation découlant des traités. J'encourage la Couronne à bien planifier les ressources financières pour être en mesure de répondre aux besoins et pour respecter les droits garantis par l'article 35. Nous croyons qu'il s'agit d'un ensemble de droits — droits issus de traités, droits inhérents à la santé et à l'éducation. S'il s'agit de droits — ce que nous croyons — il faut prévoir les ressources financières pour les respecter. Si le gouvernement est à l'écoute, il devrait prévoir les ressources financières en conséquence dans son cadre financier.

Le budget fédéral vient d'être annoncé, mais maintenant, on prépare le budget qui sera présenté en avril prochain. Tout le cycle de planification recommence. Nous espérons que les ressources financières seront prévues pour, non seulement répondre adéquatement aux besoins, mais aussi pour respecter les droits et obligations. Voilà le message que j'envoie à la Couronne.

La présidente : Merci, sénateurs.

J'aimerais revenir sur les questions de la sénatrice McPhedran à propos de toute autre discrimination fondée sur le sexe qui demeurait après l'adoption du projet de loi et la manière dont elles seront abordées pendant les consultations et les dialogues de nation à nation. Chef Bellegarde, qu'envisagez-vous faire pour veiller à ce que les voix des descendantes des femmes lésées ayant perdu leur statut — quelles méthodes allez-vous mettre en place pour garantir que les descendantes soient entendues pendant qu'on bâtit une relation de nation à nation? D'après les commentaires entendus par le comité au cours des dernières semaines, dans une certaine mesure, elles craignent d'être mises à l'écart. Quelles méthodes envisagez-vous d'adopter à l'échelle nationale, en tant que chef national? Que peut-on faire pour garantir qu'elles seront incluses adéquatement pour ainsi participer au dialogue de nation à nation?

M. Bellegarde : Je répète, sénateur, qu'en tant que chef national de l'Assemblée des Premières Nations, je ne suis pas titulaire de droits. L'Assemblée des Premières Nations est une organisation militante. Les titulaires de droits sont les chefs, les conseils ainsi que leurs citoyens et membres. Nous pouvons conseiller et guider pour assurer la tenue de ces dialogues. La moitié des nôtres vivent maintenant dans les centres urbains, alors nous devons leur réserver un espace et avoir une voix pour les représenter.

Au sein de notre assemblée, nous avons créé une espèce de portefeuille. Nous savons qu'il y a le problème de la transférabilité des droits, des services et des programmes parce que la moitié de nos gens vivent en dehors des réserves. Nous devons aussi composer avec cette réalité. C'est un peu comme une stratégie à deux volets, maintenant, sénateur, quand il faut traiter avec ceux qui vivent dans les réserves, mais il faut aussi composer avec ceux qui sont en dehors des réserves et nous assurer que leurs besoins sont comblés et leurs voix, entendues. Nous avons, à l'Assemblée des Premières Nations, trois conseils — un conseil de la jeunesse, un conseil des aînés et un conseil des femmes — pour nous assurer que ces voix sont entendues aux tables décisionnelles de l'Assemblée des Premières Nations.

J'encourage la Couronne, dans la deuxième phase de ces consultations, à veiller à ce qu'il y ait une planification adéquate des ressources, tant humaines que financières, et à ce que soit tenue de véritables consultations, parce que celles qui ont eu lieu pendant la première phase étaient insuffisantes et précipitées. Ce problème est trop important pour qu'on veuille précipiter les choses dans la deuxième phase parce que nous allons dans le sens du droit inhérent à l'autodétermination et à la citoyenneté.

Nous pouvons contribuer à guider ces dialogues. Au bout du compte, ce sera à chacune des Premières Nations de le déterminer elles-mêmes parce que nous avons des responsabilités, tant dans les réserves qu'en dehors. Nous avons des proches dans les réserves et en dehors. Il nous faut un espace où peuvent s'exprimer toutes les voix et se réaliser les processus à venir, et où on peut répondre aux besoins au fur et à mesure qu'ils se manifestent.

Le président : Je crois vous avoir entendu dire que l'Assemblée des Premières Nations compte diffuser une ébauche de loi sur la citoyenneté. Seriez-vous disposé à la transmettre au comité?

M. Bellegarde : Bien sûr. Nous avons demandé à notre personnel d'entamer la rédaction parce que cela présente une valeur ajoutée par rapport à l'Assemblée des Premières Nations. Si j'appartiens à la Première Nation de Little Black Bear, je n'ai pas le temps de rédiger une loi sur la citoyenneté, mais si j'ai accès à un gabarit, j'en serai heureux. Avec de légères modifications, nous pourrions nous en servir comme modèle et l'adopter dans nos réunions dans les réserves. Effectivement, nous pouvons nous le transmettre lorsque ce sera terminé.

La présidente : Avant de mettre fin à ce groupe de témoins, je tiens à recommander aux sénateurs qui envisagent de proposer des amendements de consulter le bureau du greffier législatif, car le personnel sera peut-être en mesure d'aider à la formulation et au formatage. C'est une option à considérer pour quiconque envisage de présenter des amendements à l'avenir.

Au nom du comité, je remercie notre groupe de témoins. Je remercie chaleureusement les représentants de l'Association du Barreau canadien, M. David Taylor et Mme Gaylene Schellenberg. Je vous remercie d'être venus témoigner ce matin. Je remercie également les représentants de l'Assemblée des Premières Nations, c'est-à-dire le chef national, M. Perry Bellegarde, et M. Stewart Wuttke.

Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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