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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 21 - Témoignages du 10 mai 2017


OTTAWA, le mercredi 10 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription), se réunit aujourd'hui, à 18 h 48, pour étudier ce projet de loi.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir, je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui suivent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, soit dans cette salle, soit par le Web.

J'aimerais rappeler, dans un geste de réconciliation, que notre réunion a lieu sur les terres non cédées traditionnelles des Algonquins.

Je suis Lillian Dyck, de la Saskatchewan, et j'ai l'honneur et le privilège de présider notre comité.

J'invite maintenant les sénateurs à se présenter, en commençant par le vice-président.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve.

Le sénateur Gold : Marc Gold du Québec.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, Ontario.

La sénatrice Pate : Kim Pate, Ontario.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, Manitoba

La présidente : Merci, mesdames et messieurs.

Nous reprenons l'étude du projet de loi S-3, que nous avons amorcée l'automne dernier. Après avoir entendu les témoins, le comité a écrit à la ministre pour demander une revue et l'inviter à nous revenir avec un nouveau projet de loi ou des amendements pour corriger les lacunes relevées. Nous voici donc saisis de six propositions d'amendement du gouvernement, que nous avons reçues lundi.

Nous attendons certains documents. Malheureusement, à ce stade-ci, ils sont dans une seule langue, mais ils seront traduits. Est-il convenu de les distribuer en attendant les traductions?

Des voix : D'accord.

La présidente : Merci.

Nous avons deux groupes ce soir. Dans le premier groupe, nous accueillons David Schulze, procureur des demandeurs et intervenants du conseil des Abenaki d'Odanak et du conseil des Abenaki de Wôlinak : Descheneaux c. Canada (Procureur général). En second lieu, nous accueillerons Kim Stanton, directrice juridique du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes.

Nous recevrons maintenant les exposés des témoins, avant de passer aux questions des sénateurs.

David Schulze, procureur des demandeurs et intervenants du conseil des Abenaki d'Odanak et du conseil des Abenaki de Wôlinak : Descheneaux c. Canada (Procureur général) : Mesdames et messieurs, et surtout vous, madame la présidente, merci beaucoup de nous avoir réinvités. Je tiens à signaler également la présence du chef Rick O'Bomsawin des Abenaki d'Odanak.

J'ai envoyé de la documentation, en partie pour illustrer un problème que nous posent toujours ces amendements, mais aussi parce que je me demandais dans quelle mesure les sénateurs pourraient vouloir se faire rappeler brièvement le fonctionnement de nos règles pour l'inscription. S'ils estiment bien les connaître, je serai heureux de passer outre. On me demande toujours ce rappel, et c'est avec plaisir que je les présente rapidement. Les sénateurs voudraient-ils que je leur reparle de l'importance des paragraphes 6(2) et 6(1)?

La présidente : Une brève revue serait probablement utile. Nous avons quelques nouveaux sénateurs, et cela leur rendrait service.

M. Schulze : Certains sénateurs sont bien au courant, mais c'est nouveau pour d'autres. Les documents commencent par une citation du jugement rendu dans l'affaire Descheneaux, où la juge Masse a signalé que son jugement ne concernait que les demandeurs comparaissant devant elle — Stéphane Descheneaux et Susan et Tammy Yantha — tout en ajoutant que rien n'empêchait le Parlement d'aller au-delà des questions sur lesquelles portait son jugement et d'autres formes de discrimination interdites par la Charte qui pourraient devoir être abordées lorsque le dossier reviendrait au Parlement. Bien sûr, elle n'a pas corrigé la Loi sur les Indiens; elle a tout simplement dit ce qu'elle contenait d'anticonstitutionnel.

Avant d'aborder certaines préoccupations particulières, je reviens brièvement sur les règles régissant le statut, comme la présidente m'y a autorisé.

Avant 1985, comme la plupart le savent, le statut d'Indien au Canada était purement patrilinéaire, à une seule exception près, et cette exception s'appliquait à l'enfant né hors mariage d'une Indienne. Si l'on ignorait qui était le père et que personne n'élevait de protestation, l'enfant était inscrit au registre. Cette exception mise à part, partout dans la Loi sur les Indiens, le statut était conféré par le père ou par l'époux. C'était, comme je l'ai dit, strictement patrilinéaire, à telle enseigne que nous nous sommes retrouvés dans la situation absurde qui est à l'origine de l'affaire Yantha, où le fils né hors mariage d'un Indien et d'une non-Indienne pouvait être inscrit avant 1985, mais pas la fille. C'est ainsi que Susan Yantha n'a pas eu le même statut que ses frères.

Après 1985, l'idée était de corriger cette situation et d'instaurer un nouveau système. Il sera souvent question de 6(1) et 6(2). Ce sont deux paragraphes de l'article 6 de la Loi sur les Indiens, mais celui en vertu duquel l'inscription a eu lieu a une importance fondamentale. L'enfant de la personne inscrite en vertu de 6(1) aura toujours droit au statut. Son enfant sera toujours au moins visé par 6(2). Les enfants de la personne inscrite en vertu de 6(2) n'auront jamais droit au statut à moins que l'autre parent ne soit également un Indien inscrit.

Tout cela est expliqué dans ce schéma. Un 6(1) et une 6(1) produisent un 6(1). Un 6(1) et une 6(2) produisent un 6(1). Un 6(2) et une 6(2) produisent un 6(1). Tout cela est très bien. Un 6(1) et un parent sans statut produisent un 6(2), mais un 6(2) et un parent sans statut produisent ce que mes clients appellent parfois un 6 rien, un enfant sans statut.

Pourquoi cela? Si vous passez à la page suivante, vous verrez que les Affaires indiennes appellent cela l'inadmissibilité de la seconde génération. Après deux générations de mariage à un non-Indien ou une non-Indienne, les enfants de la troisième génération n'auront pas le statut d'Indien.

De fait, comme vous le verrez au graphique suivant, l'« exigence de deux grands-parents avec le statut » signifie grosso modo qu'il faut au moins deux grands-parents ayant le statut.

J'ai remarqué que les avocats du ministère de la Justice n'ont jamais aimé m'entendre dire cela en cour, mais certains documents du Cabinet datant des années 1980 précisent clairement que c'est une proportion de 50 p. 100 par le sang. Mais j'y reviendrai plus loin, car on ne veut pas vraiment dire par le sang. On veut vraiment dire une proportion de 50 p. 100 de personnes avec statut qui peuvent être ou ne pas être nées Indiens.

Vous verrez ici que, si vous avez deux grands-parents 6(1), ce sera excellent; vous finirez 6(1). À la page suivante, au scénario B, si l'alignement des grands-parents est légèrement différent, vous pourriez vous retrouver 6(2). Mais dans le scénario C, cela ne sera pas toujours suffisant parce que le fait d'être un 6(2) produit toujours un petit peu moins vers le bas de l'arbre généalogique que le fait d'être un 6(1). Donc, dans mon scénario C, deux des quatre grands-parents ont le statut, mais malheureusement l'un d'entre eux est un 6(2), et les deux grands-parents avec le statut n'ont pas procréé ensemble, de sorte que l'enfant se retrouve sans statut.

Quel est l'effet pratique de tout cela? Si je suis consulté — ce qui arrive parfois — par une personne qui, par exemple, est liée à une communauté mais n'a pas le statut et me demande de trouver un argument pour lui faire obtenir le statut, je veux rechercher des personnes de son lignage qui pourraient avoir droit au 6(1). Ce sera toujours mieux que 6(2).

Les avocats du ministère de la Justice, par exemple, dans McIvor, n'ont pas cessé de répéter qu'il n'y a pas deux genres de statut, mais un seul. C'est bien beau en théorie, mais si l'on veut savoir que son enfant ou son petit-enfant aura toujours le droit d'habiter dans la réserve, il vaut mieux être un 6(1) qu'un 6(2).

Nous allons à la page suivante. J'ai aussi fait allusion à l'importance de comprendre que 6(1) n'est pas une affaire de généalogie ou d'ADN. Le premier jour, c'est-à-dire le 17 avril 1985, le jour de l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte, 6(1) concernait la question de savoir qui figurait déjà sur la liste au point que les tribunaux ont dit que la personne qui figurait sur la liste par erreur devait y rester, sauf en cas de fraude.

Et surtout, 6(1) était un choix de politique bien réfléchi. Je ne critique pas, mais les sénateurs doivent en être conscients; 6(1) était un choix de politique réfléchi pour que les non-Indiennes ayant obtenu le statut par mariage soient comptées comme 6(1).

Avant 1985, l'Indienne qui épousait un non-Indien perdait son statut, mais une non-Indienne qui épousait un Indien gagnait le statut. Lorsqu'on a pris une décision au sujet du groupe 6(1), toutes les femmes qui avaient obtenu le statut par mariage étaient comptées comme 6(1). En date du 17 avril 1985, les femmes qui avaient perdu leur statut sont revenues comme 6(1), mais leur époux, bien sûr, n'ont pas acquis le statut.

Quel a été le résultat concret de tout cela? C'est ce que nous appelions jadis la règle des cousins. Cela signifiait qu'un frère et une sœur qui avaient épousé une non-Indienne ou un non-Indien...

Le sénateur Sinclair : Avant 1985.

M. Schulze : Avant. Merci, sénateur Sinclair.

Après 1985, la sœur reprenait son statut mais, au sujet de ses enfants, le registraire des Indiens disait à la sœur : eh bien, ils sont des enfants 6(2) parce qu'un seul de leurs parents est 6(1). Dans le cas de son frère, on disait : selon nos nouvelles règles — c'était jadis dans un autre article — vous avez des enfants 6(1) parce que vous avez deux parents indiens, le frère et son épouse devenue Indienne par mariage.

Quel était le résultat? Il y avait des cousins descendant des mêmes ancêtres, le même nombre de parents nés Indiens, mais de statut différent. À la troisième génération des petits-enfants, les petits-enfants de la femme qui avait épousé un non-Indien et repris son statut étaient sans statut, alors que ceux du frère qui avait épousé une non-Indienne ont toujours eu le statut. Il était littéralement impossible pour lui d'avoir des petits-enfants sans statut, mais il était impossible pour la femme d'avoir des petits-enfants avec statut si ses propres enfants n'avaient pas procréé avec d'autres Indiens ayant le statut.

Voilà en un mot l'affaire McIvor.

La Cour d'appel de la Colombie-Britannique n'a pas été troublée par ce résultat, ce qui est surprenant. Elle a dit qu'il s'agit de discrimination, mais qu'elle est en somme justifiée, parce que nous ne pouvions pas retirer le statut aux femmes qui l'avaient acquis par mariage, et que nous avons tendance à respecter les droits acquis.

C'est ce qu'elle a dit presque littéralement sur le banc le dernier jour de notre plaidoyer. Elle a dit : « Il y a une chose qui nous trouble. » C'est pourquoi 1951 est devenu si crucial : cette règle mère/grand-mère la dérangeait. La règle mère/ grand-mère était une ancienne forme d'inadmissibilité de la seconde génération. Je ne pense pas avoir de beau petit tableau pour cela. Selon la règle mère/grand-mère, si la mère avait obtenu son statut par mariage, et que la grand-mère n'était pas Indienne de naissance, généralement si elle avait obtenu son statut par mariage, l'enfant perdait son statut à l'âge de 21 ans.

Cette règle est entrée en vigueur en 1951 pour les personnes déjà nées. Bien sûr, elle ne commençait à s'appliquer que 21 ans plus tard, en 1972. Mais telle était la règle : avec deux générations de mariage mixte, à la troisième génération pour les enfants nés en date de 1951, et âgés de 21 ans, les enfants devaient quitter la réserve.

De fait, cela a provoqué une certaine panique lorsque cela a commencé à prendre effet dans les années 1970 et que les Affaires indiennes ont commencé à soustraire de plus en plus de bandes à l'application de la règle. Très peu de personnes ont été expulsées de leur communauté, mais il y en a eu.

À nos fins, il est important de comprendre que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a remarqué que la règle a été abrogée en 1985. Elle a dit : « Vous avez plaidé toute cette affaire en disant que cela revenait au même à compter de 1985. » Mais ce ne revenait vraiment au même parce qu'en réalité, les hommes s'en tiraient mieux qu'auparavant. Voyez notre tableau sur la règle des cousins : de fait, avant 1985, ce petit-enfant qui était 6(2) aurait été expulsé de la réserve à 21 ans. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a donc dit : « Nous accepterons tout le reste de ce que vous nous dites, mais nous ne pensons pas que vous avez effectivement créé un régime égal après 1985 si la lignée patrilinéaire se trouvait effectivement renforcée après 1985, car avant 1985, après deux générations d'hommes ayant épousé des non-Indiennes, les enfants étaient chassés. »

C'est pourquoi toutes les modifications d'après McIvor sont fondées sur cette date magique du 4 septembre 1951, sauf erreur, soit la date de prise d'effet de la règle mère/grand-mère. Cela nous amène à McIvor.

L'affaire Descheneaux se résumait à ceci : Mme McIvor est ici avec nous et elle me corrigera si je me trompe, mais je crois que son fils a eu ses enfants et s'est marié après 1985.

La présidente : Monsieur Schulze, pourriez-vous accélérer un peu? Votre propos dure depuis 10 minutes. Il est excellent, mais nous devons parler du projet de loi lui-même également.

M. Schulze : Avec plaisir. Essentiellement, les Affaires indiennes ont fait le projet de loi C-3 comme si personne, au niveau de la seconde génération de mariage à une non-Indienne ou à un non-Indien, n'avait jamais été marié avant 1985. On a donc oublié que, de fait, ce n'était pas seulement que l'abolition de la règle mère/grand-mère pouvait donner des petits-enfants avec le statut, alors qu'auparavant la règle mère/grand-mère les aurait chassés de la réserve; elle pouvait donner le statut aux arrière-petits-enfants dans la lignée patrilinéaire sans que personne dans cette lignée n'épouse une Indienne avec le statut. Voilà en un mot ce qu'est Descheneaux. Essentiellement, l'analyse de McIvor est appliquée à une autre génération dont les enfants sont nés avant 1985 ou si le mariage date d'avant 1985. C'est essentiellement cela. J'espère que cela nous amène au projet de loi S-3.

Lorsque j'ai comparu devant vous avant Noël, nous avons signalé une foule d'autres enjeux qui sont toujours là dans les règles concernant le statut. Je ne vais pas y revenir aujourd'hui, car il s'agissait de problèmes touchant des formes de discrimination qui ne sont pas nécessairement fondées sur le sexe. La juge Masse a dit que rien n'empêchait le Parlement d'aller plus loin que la discrimination fondée sur le sexe. La ministre a été on ne peut plus claire là-dessus : elle a décidé de ne pas aller plus loin.

Je suppose que vous savez qu'il y a eu diverses réunions depuis votre ajournement entre les avocats de la Justice, moi-même, mon collègue qui travaillait sur l'affaire et les avocats des organismes autochtones nationaux. Les réunions ont été cordiales et ont suscité de bonnes discussions, mais nous nous sommes retrouvés dans une impasse parce que nous avons soulevé des enjeux allant au-delà de la discrimination fondée sur le sexe. On nous a dit que ce sont des questions intéressantes, qu'on allait devoir y réfléchir, mais que ce sera à la phase deux. Voilà où nous en sommes.

Plus particulièrement, mon mandat pour aujourd'hui était relativement étroit, et je laisserai à d'autres intervenants, comme M. Stanton, le soin de parler des questions plus vastes. Mon mandat pour aujourd'hui était de dire qu'il y a, même encore, des problèmes de discrimination fondée sur le sexe dans le projet de loi, comme l'explique la lettre qui vous a été distribuée. Il y a des choses que je n'ai pas vues avant la fin de nos réunions avec les avocats de la Justice, et je le mentionne parce qu'elles concernent les inconvénients inhérents à ce processus.

Les Affaires indiennes ont beaucoup de personnel et beaucoup de temps pour penser à ces choses-là; les communautés autochtones et les organisations autochtones nationales n'en ont pas. Honnêtement, en lisant aujourd'hui le document de travail de l'Association du Barreau autochtone, il m'est apparu que j'ai probablement oublié une autre forme de discrimination fondée sur le sexe et dont le projet de loi ne traite probablement pas, et je pourrais peut-être prendre quelques instants pour vous en présenter une, qui est une préoccupation dans la communauté.

Veuillez aller au schéma intitulé « Descendants d'une Indienne émancipée par son mari indien ».

C'est toujours plus facile lorsqu'on prend le cas d'une personne réelle. Ma firme a commencé à s'intéresser à ce cas parce que les Abenaki d'Odanak m'en ont parlé.

Il y a une femme à Odanak qui a été émancipée vers l'âge de 19 ans. Elle a perdu son statut à cause d'une décision de son père : elle, sa mère et son père. Elle avait une sœur plus âgée qui avait déjà épousé un non-Indien et avait déjà perdu son statut.

Avec le projet de loi C-31 en 1985, elle a regagné son statut, ses enfants sont 6(2) et c'est la même chose pour sa sœur. Arrive le jugement McIvor et les modifications du C-3 et elle se dit : « Les enfants de ma sœur sont maintenant 6(1), et ses petits-enfants ont le statut. Je pourrai avoir la même chose pour mes enfants. » Que non. Pourquoi? Parce qu'elle n'est pas visée par le projet de loi C-3, elle ne fait pas partie du scénario McIvor. Elle n'a pas perdu son statut par mariage. Elle a fini par épouser un non-Indien, mais ce n'est pas ainsi qu'elle a perdu son statut. Elle a perdu son statut par la décision de son père.

Nous en avions discuté au cours de nos réunions techniques. C'est expliqué plus en détail dans la lettre, mais, en un mot, c'est un appel téléphonique que j'ai reçu plus tard de quelqu'un d'une autre communauté d'une autre province qui m'a fait réaliser que j'avais abordé tout problème de la mauvaise façon.

J'ai parlé à une femme qui se trouvait dans la même situation. Son grand-père les avait affranchies, elle, sa grand-mère et sa mère. C'était maintenant une 6(2) avec des enfants sans droit de statut. Elle m'a dit quelque chose qui aurait dû me sauter aux yeux, mais parfois il faut parler avec quelqu'un qui en a vécu l'expérience pour s'en rendre compte. Elle m'a dit : « Vous savez, mon grand-père venait de décider d'affranchir ma grand-mère. Celle-ci avait un frère et mon grand-oncle a épousé une Indienne tout comme ma grand-mère a épousé un Indien. Seulement, l'épouse de mon grand-oncle ne pouvait pas décider de l'affranchir. Ainsi, son fils et son petit-fils ont pu épouser des femmes non indiennes et leur transmettre leur statut, alors que cela m'est impossible. »

C'est ce que représente le tableau que je suis en train de vous montrer, dans ses grandes lignes. Tout à coup, il m'est apparu évident que, comme l'a démontré l'analyse de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, une femme indienne qui a été affranchie contre son gré par son mari — une perte de statut qui s'est étendue à ses enfants — a été désavantagée par rapport à son frère qui, lui, est un Indien qui est resté maître de ses choix. Ce dernier pouvait épouser une Indienne sans qu'elle perde son statut, épouser une non-Indienne et lui transmettre son statut, s'affranchir en tant que célibataire ou s'affranchir en tant qu'homme marié, en compagnie de son épouse. Il avait l'embarras du choix, alors que sa sœur n'avait aucun choix. Elle pouvait épouser un non-Indien et perdre son statut dès le mariage. Elle pouvait épouser un Indien et celui-ci pouvait décider un de ces jours d'affranchir l'ensemble de la famille. Pourtant, ce frère qui a eu le luxe du choix avant 1985 a aussi pu profiter, par surcroît, de l'abrogation de la disposition « mère grand-mère » et avoir des arrière-petits-enfants possédant le statut, tandis que cette femme a été privée de statut par son époux.

En bref, nous estimons que cela constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe dont le projet de loi S-3 ne fait aucun cas. Il s'agit d'un cas particulier qui pourrait servir d'introduction à l'intervention de Mme Stanton.

Je crains que d'autres cas de figure aient pu être oubliés. Comme je l'ai dit, bien que je sois ravi d'avoir rencontré les avocats des Affaires indiennes à plusieurs reprises, je ne crois pas que l'on ait encore tout examiné. Nous ne disposons pas d'autant de temps et de ressources qu'eux.

La présidente : Merci, monsieur Schulze. Madame Stanton, je vous invite à commencer votre intervention.

Kim Stanton, directrice juridique, Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes : Bonsoir. Comme vous le savez, je suis directrice juridique du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, soit le FAEJ. Au nom du FAEJ, je vous remercie de votre invitation. C'est un honneur que de m'adresser à vous aujourd'hui sur les terres du peuple algonquin.

Le FAEJ est un organisme national qui vise à la promotion et à la protection d'une réelle égalité des droits pour les femmes au Canada. Depuis 1985, nous accomplissons cela grâce à une réforme du droit en matière de litiges et au moyen de l'éducation publique. Au cours des années, nous avons porté une attention toute particulière aux droits des femmes autochtones, puisqu'il appert que celles-ci sont victimes d'une discrimination pernicieuse et pérenne dans notre pays.

Étant donné l'expertise du FAEJ en droit constitutionnel, je présume que vous désirez connaître notre point de vue sur la constitutionnalité des derniers amendements.

Comme vous le savez, nous avons eu très peu de temps pour les analyser. C'est un domaine très complexe, comme l'a expliqué M. Schulze. Cela dit, après avoir consulté Krista Nerland, notre conseillère juridique dans l'affaire Gehl, ainsi que d'autres personnes qui connaissent bien mieux que moi les complexités de l'article 6, je suis d'avis que ces amendements ne remplissent pas la mission indiquée dans le titre du projet de loi, soit « l'élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription ». Qui plus est, ce projet de loi exige tout simplement que toute une nouvelle génération de plaignants issus des milieux les plus défavorisés du pays défende ses droits devant les tribunaux encore une fois en vertu de la Charte canadienne.

Le FAEJ exhorte le comité de proposer d'autres amendements au projet de loi S-3, des amendements qui élimineront vraiment la discrimination fondée sur le sexe des dispositions sur le statut de la Loi sur les Indiens. Je m'attends notamment à ce que Sharon McIvor ait proposé un libellé de l'alinéa 6(1)a) et il y a de fortes chances que nous l'appuyons.

Je tiens à dire d'entrée de jeu que la loi dans son ensemble est l'incarnation même de l'héritage colonial et raciste. Pour trouver le moyen de rompre avec cet héritage honteux, je recommande souvent aux gens de lire le rapport et les recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui n'ont rien perdu de leur pertinence, et bien sûr d'écouter les appels à l'action de la Commission de vérité et de réconciliation, qui vont dans le même sens.

Cependant, je sais bien que le processus de démantèlement de la Loi sur les Indiens et de ses structures prendra du temps. Ainsi, en attendant, il nous revient d'enrayer la discrimination fondée sur le sexe que la Loi sur les Indiens reconduit dans toute sa constance et son évidence.

En l'état, le projet de loi S-3 n'est pas à même d'éliminer la discrimination fondée sur le sexe. Les lacunes sont nombreuses. Elles ont presque toutes déjà fait l'objet d'interventions en comité parlementaire de la part de représentants du FAEJ et d'autres témoins.

Cela dit, contrairement aux versions précédentes du projet de loi S-3, les nouveaux amendements abordent le problème de la paternité inconnue et non déclarée dans le texte de la loi.

Dans l'affaire Gehl, le FAEJ est intervenu. Au bout du compte, la Cour d'appel de l'Ontario a accordé le droit d'inscription à l'appelante après 32 ans d'efforts pour faire reconnaître sa généalogie.

La disposition relative à l'article 5 confère expressément au registraire un pouvoir discrétionnaire étendu dans l'examen des preuves qu'il juge pertinentes afin de déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, l'ancêtre dont l'identité est inconnue ou non déclarée avait le droit d'être inscrit.

Si je comprends bien, les Services juridiques pour les Autochtones a proposé un libellé au comité — dans la lettre du 8 mai à laquelle je vous renvoie —, libellé qui comblerait les lacunes de cet amendement, notamment le fait que le test proposé dans cet article est subjectif et accorde au registraire beaucoup trop de pouvoir discrétionnaire et d'autorité, à mon avis. Aussi, vu le libellé « toute preuve qu'il juge pertinente » et aussi le fait que le registraire peut donner à cela la portée qu'il juge adéquate, une personne qui serait en désaccord avec une décision n'aurait pas beaucoup de recours pour la faire casser.

Puisqu'il est question de recours, passons aux amendements relatifs à l'article 8. Comme plusieurs formes de discrimination présentes dans la loi échappent aux réformes, il faut impérativement que les victimes de discrimination aient accès à tout un éventail de recours, y compris la réparation des dommages en vertu de la Charte.

Bien que l'article 8 prévoit désormais une obligation de faire rapport, la formulation devrait indiquer clairement que les rapports seront rendus publics et mis en ligne sur le site web d'Affaires autochtones et du Nord Canada — AANC — ou sur un autre site web facilement accessible au public. De plus, la formulation au sujet de la consultation est bien loin de renforcer le dialogue de nation à nation au sujet de la souveraineté autochtone et du nécessaire droit de contrôle sur la citoyenneté.

Vous n'êtes pas sans savoir que la Cour supérieure du Québec, dans son jugement de l'affaire Descheneaux, a souligné le caractère inadéquat et déficient de l'approche lente et parcellaire du gouvernement fédéral quand il s'agit d'éliminer la discrimination fondée sur le sexe des dispositions en matière d'inscription de la Loi sur les Indiens. La cour a stipulé que le gouvernement avait manqué à sa tâche d'adopter des mesures pour repérer toutes les autres situations discriminatoires pouvant émerger des problèmes identifiés et pour les régler, que la discrimination soit fondée sur le sexe ou sur d'autres motifs interdits, conformément à son obligation constitutionnelle de faire en sorte que les lois respectent les droits prévus par la Charte canadienne.

Malheureusement, le gouvernement a continué dans la même voie en dépit des recommandations du tribunal. Cette hiérarchie entre l'alinéa 6(1)a), l'alinéa 6(1)c), le paragraphe 6(1) et l'article 2 perdure. Le projet de loi amendé la reconduit. En établissant une distinction entre le statut des femmes indiennes et de leur descendance et celui des hommes indiens et de leur descendance, en classant les gens dans l'une des deux catégories, on permet que des frères et sœurs nés des mêmes parents soient traités différemment, comme vous le savez, selon qu'ils soient nés avant ou après 1985, un problème qui se pose dans l'affaire de M. Matson, laquelle sera maintenant entendue à la Cour suprême du Canada — encore une autre personne forcée de mener un combat devant les tribunaux depuis des années.

Cette hiérarchie impose encore une discrimination fondée sur le sexe en faisant en sorte que les femmes autochtones et leurs descendants se voient attribuer un statut amoindri.

Comme vous le savez, la CEDEF des Nations Unies a affirmé que les dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens font partie des causes fondamentales de la violence endémique envers les femmes autochtones au Canada.

Pour tout dire, il semble que le nœud du problème réside dans la réticence des gouvernements successifs à débourser les fonds requis pour intégrer ou réintégrer les femmes victimes de discrimination dans la société.

Le FAEJ affirme que ce projet de loi entraînera encore plus de violations du droit des femmes à l'égalité des sexes prévu à l'article 15 de la Charte. Dès qu'un plaignant démontre qu'il y a violation de l'article 15, c'est le gouvernement qui se retrouve avec le fardeau de la preuve et qui doit prouver que la distinction qu'il établit est justifiée en vertu de l'article 1 de la Charte. Ce faisant, il faut garder à l'esprit ce à quoi vise la loi, en l'occurrence l'élimination de l'inégalité des sexes présente dans la Loi sur les Indiens. On peut présumer que le gouvernement n'invoquerait pas l'objectif tacite de sa loi qui consiste à priver de statut deux générations complètes afin de délester le pays de ses obligations en réduisant de façon constante le nombre de personnes ayant droit au statut d'Indien.

La question des coûts de la discrimination concerne assurément l'article 1. Bien franchement, cet argument a peu de valeur en comparaison de l'urgence qu'il y a à remédier à la discrimination qui sévit depuis longtemps. Les gouvernements successifs ont empêché l'accomplissement de l'égalité des Canadiens dans les communautés des réserves de multiples manières à travers le temps. Il y a des lacunes dans le logement, dans les services d'aide à l'enfance, dans l'accès à l'eau potable, dans les services de santé et dans une pléthore d'autres indicateurs sociaux liés à la santé. Tout cela a été bien documenté. Il s'agit, je le répète, de l'atroce legs colonial dont notre pays a hérité.

Toutefois, il est exagéré de dire que l'avenir du système financier dans son ensemble est suspendu à la question de la résolution des problèmes de discrimination fondée sur le sexe dans le processus d'inscription, tout comme il est impossible de cacher les problèmes inhérents aux réserves qui proviennent de notre système colonial en réduisant le nombre de femmes inscrites. Ce n'est certainement pas la voie à suivre.

J'admets qu'il revient au Conseil du Trésor de décider de l'allocation des ressources, mais le gouvernement ne peut en aucun cas justifier la discrimination des femmes autochtones en plaidant l'équilibre du budget. C'est profondément injuste.

À mon sens, dans des cas comme celui de Mme Gehl, le gouvernement a fondé sa défense sur une interprétation désuète des notions d'égalité de la Charte. Ce type de défense rappelle le critère d'égalité formelle et une interprétation bien trop étroite des droits à l'égalité inscrits dans la Charte, ce qui va à l'encontre de la jurisprudence qui interprète les droits à l'égalité en contexte et avec clémence. J'invite quiconque voudrait se fonder sur l'approche étroite du juge Groberman dans son jugement de l'affaire McIvor en 2009 à faire preuve de prudence, car ces motifs sont antérieurs aux décisions prises dans les affaires Withler et Kapp, décisions qui ont ramené la Cour suprême aux principes, énoncés dans le très important article 15 de l'affaire Andrews, dont elle s'était éloignée. Nous ferions bien de prendre appui sur la décision récente de la juge Masse, fondée sur toute la jurisprudence, pour la mesure législative à l'étude.

La question que je me dois de vous poser, mesdames et messieurs les sénateurs, en tout respect — et pour paraphraser la juge Abella dans la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Lola c. Éric, fondée principalement sur l'article 15 —, est la suivante : est-ce que cette loi comble le fossé qui sépare historiquement les femmes autochtones du reste de leur communauté et de nos collectivités, ou est-ce qu'elle le creuse encore davantage?

Au demeurant, j'estime qu'un gouvernement qui adopte une approche fondée sur le sexe dans son analyse du budget doit se demander, chaque fois qu'il prend une décision ou qu'il promulgue une loi : cette décision ou cette loi fera-t-elle progresser ou régresser l'inégalité dans notre société?

Le gouvernement compose avec les droits à l'égalité de la Charte canadienne depuis 32 ans. Peut-être était-il excusable lors du projet de loi C-31 en 1985 puisque l'article 15 était encore tout neuf. Or, après 32 ans de jurisprudence sur l'article 15 et l'article 1, plus rien ne peut excuser son approche étroite, partielle et fondée sur l'égalité formelle. Les femmes autochtones méritent mieux que cela; elles ont le droit de jouir d'une véritable égalité.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Le sénateur Patterson : Je remercie les témoins.

Monsieur Schulze, j'aimerais commencer par vous. Si j'ai bien compris, le ministère a sollicité votre participation à la suite de votre comparution au comité en décembre et vous avez échangé avec ses fonctionnaires depuis lors.

J'ai été étonné de lire, à la page 2 de votre lettre du 9 mai adressée à M. Reiher, sous-ministre adjoint suppléant d'AANC, que vous aviez le sentiment que « les représentants d'AANC se sont montrés peu enclins à aborder les autres inquiétudes que vous aviez identifiées en matière de discrimination fondée sur le sexe, un problème qui perdurerait en vertu de la Loi sur les Indiens même si le projet de loi S-3 devait être adopté. »

En tant que membres du comité, nous avions recommandé de ne pas renvoyer le projet de loi au Sénat en raison de ces lacunes. Dans notre lettre au ministre, nous avions expliqué clairement, il me semble, que nous aurions souhaité que le ministère participe à des consultations importantes avec vous et avec vos clients, entre autres, pour faire en sorte que le projet de loi accomplisse son objectif avoué, c'est-à-dire l'élimination de la discrimination fondée sur le sexe dans le processus d'inscription.

Pourriez-vous nous indiquer si le ministère s'est montré attentif à vos inquiétudes au cours des consultations et au vu de vos recommandations?

M. Schulze : Merci, sénateur Patterson. Je tiens à rapporter avec justesse les propos de mes collègues du ministère de la Justice, aussi devrais-je préciser qu'ils ont dit ceci : « Si ce dont vous nous rendez compte ressemble à de la discrimination, mais que celle-ci n'est pas fondée sur le sexe, cela nous intéresse et nous en prenons bonne note, mais nous n'allons pas traiter cela comme faisant partie du projet de loi S-3. » Voilà ce que j'essayais de dire dans ma lettre.

Je ne voudrais pas que le comité croie que la discrimination fondée sur le sexe était absente des discussions. En toute franchise, le problème, c'est que l'on nous avait dit que, faute de pouvoir la faire passer pour de la discrimination fondée sur le sexe, la discrimination ne serait pas réexaminée dans le contexte du projet de loi S-3. Voilà le nœud du problème.

À vrai dire, comme vous pourrez le constater en lisant notre lettre, j'ai finalement circonscrit des choses qui, à mon avis, constituent des cas démontrables de discrimination fondée sur le sexe, mais cela nous a forcés à mettre de côté d'autres enjeux qui nous semblaient relever de la discrimination. Il s'agissait de discrimination fondée sur l'état matrimonial, l'état civil ou autre. On nous a dit très clairement que, s'il ne s'agissait pas de discrimination fondée sur le sexe, cela ne ferait pas partie de l'étude.

Soit dit en passant, il ne s'agissait pas d'une consultation au sens où on l'entend dans le domaine du droit autochtone et cela explique sans doute pourquoi les Affaires indiennes parlent plutôt de participation. Cependant, l'idée qu'il faille se restreindre à la discrimination fondée sur le sexe a conduit à l'exemple d'Odanak, dont la communauté a informé les Affaires indiennes qu'elle ne souhaitait pas recevoir la visite de gens du ministère puisque nous n'avions encore identifié que des femmes qui avaient perdu leur statut et dont les enfants étaient nés avant 1951. Parmi les enjeux que nous avions identifiés, c'était le seul problème de discrimination fondée sur le sexe que nous pouvions encore traiter et le ministère des Affaires indiennes a dit que même cela n'était pas sujet à discussion.

D'un côté, je tiens à vous dire que je ne vois pas pour quelle raison le comité pourrait conclure que le ministère a ignoré la lettre, mais le ministère n'a pas poussé la chose plus loin et, au reste, il n'allait pas au-delà de 1951.

Le sénateur Patterson : Merci à tous les deux pour vos interventions. J'aimerais m'adresser à Mme Stanton.

Vous avez affirmé avec force que le projet de loi à l'étude ne permet pas d'éliminer la discrimination fondée sur le sexe et que de nouveaux amendements sont requis pour résoudre les problèmes que pose l'article 6. J'aimerais vous faire part d'une difficulté à laquelle le comité est confronté. Il s'agit de la date butoir imposée par les tribunaux dans l'affaire Descheneaux, à savoir le 3 juillet. Ce projet de loi issu du Sénat doit encore passer par la Chambre pour devenir loi.

Étant donné que nous sommes en mai et que nous ne pourrons nous rencontrer qu'un certain nombre de fois pour travailler sur ce projet de loi, nous estimons que nous n'aurons pas suffisamment de temps pour résoudre les problèmes que vous soulevez et faire en sorte que le projet de loi atteigne ses objectifs.

Loin de moi l'idée d'être défaitiste; peut-être même devrions-nous travailler jour et nuit. Seulement, le Sénat doit aussi s'occuper d'autres tâches législatives urgentes.

Comme vous le savez, les amendements au projet de loi S-3 proposés par le ministère prévoient une seconde phase, c'est-à-dire une période de 18 mois ponctuée par deux rapports à soumettre au Parlement. Que conseillez-vous? Devrions-nous accepter de reporter certains de ces problèmes à la seconde phase en raison des contraintes de temps auxquelles font face les deux chambres?

J'irai droit au but en disant que, effectivement, ce projet de loi n'accomplit pas ce qu'il dit vouloir accomplir, à savoir l'élimination de la discrimination fondée sur le sexe. Peut-être devrions-nous modifier le titre du projet de loi pour prendre acte du fait que ce sera vraiment difficile de rompre avec ce que vous avez appelé la tradition historique d'inégalité qui perdure depuis longtemps.

Je me tourne vers vous. Mettez-vous à notre place. Devrions-nous déplacer certains éléments vers la seconde phase afin de pouvoir à tout le moins défendre les droits des femmes dans les affaires Descheneaux et Gehl?

Mme Stanton : Je vous remercie de la question et je comprends les défis auxquels votre comité est confronté, mais les femmes qui ont fait l'objet de cette discrimination ont attendu très longtemps. Je sais qu'il est difficile de composer avec votre échéancier serré, mais il me semble que l'ajout d'autres couches de complexité aux articles de la Loi sur les Indiens qui régissent cet aspect ne constitue pas la bonne façon de procéder. À la place, prenez le titre du projet de loi très au sérieux et proposez une modification qui corrigerait en réalité une fois pour toutes cet aspect au lieu d'ajouter des couches et des couches qui ne feront qu'entraîner d'autres litiges plus tard. Il me semble que cela mérite que l'on mette les bouchées doubles maintenant afin de présenter des modifications qui corrigeraient effectivement cette situation plutôt que de la perpétuer et de la renvoyer à plus tard.

En toute honnêteté, cette deuxième phase ne devrait pas reposer sur la prémisse de l'acceptation d'une discrimination prolongée contre la moitié de la population concernée. Si ces femmes ne peuvent pas venir à la table au cours de la deuxième phase parce que l'on considère qu'elles ne sont pas inscrites, alors vous laissez de côté de nombreuses personnes qui peuvent contribuer au succès de cette phase.

Aussi exigeant que cela soit, il me semble que le temps est venu.

La sénatrice Lankin : Merci à tous les deux de vos exposés, ils m'ont beaucoup plu.

Monsieur Schulze, je vais commencer par vous. En analysant les diverses parties de votre exposé, vous avez confirmé que la discrimination qui n'est pas fondée sur le sexe n'est pas abordée ici.

M. Schulze : C'est exact.

La sénatrice Lankin : La discrimination sexuelle que vous avez relevée auparavant précède 1951, et la ministre a donné clairement les raisons pour lesquelles elle estime qu'il s'agit de la deuxième phase. Par contre, vous avez maintenant recensé un autre problème, et il s'agit des descendants de femmes indiennes affranchies par leur mari indien. Est-ce exact?

M. Schulze : Oui. Peut-être que je soulignerai tout simplement ce point. Je crois que vous allez obtenir quelque chose de l'Association du Barreau autochtone. Il y a probablement aussi un problème en ce qui concerne les enfants nés hors des liens du mariage d'Indiennes dont le nom a été retiré du registre. Dans mon esprit, il faut vraiment se demander si cela ne soulève pas un problème de discrimination sexuelle.

La sénatrice Lankin : Deux choses : pour ce qui est de la question de l'affranchissement par un mari inscrit, cette lettre nous est parvenue seulement hier, et ce que j'en comprends, c'est que le gouvernement examine très attentivement ce que vous avez soulevé et cherche à savoir, premièrement, si sa compréhension est la même que la vôtre, puis quelle sorte de libellé ou de modification pourrait permettre d'apporter un correctif.

Je me demande si vous pourriez m'en parler de nouveau. J'ai travaillé très fort pour souligner toutes les autres situations, mais dans le cas de celle-ci, je regarde le tableau et j'essaie de la comprendre. Si vous le pouvez, en langage clair, donnez-moi les différentes situations.

M. Schulze : Revenons à la page précédente. Si vous regardez la partie intitulée « mineurs émancipés », cela pourrait aussi vous aider. Les mineurs émancipés constituent un scénario du projet de loi S-3 qui ne faisait pas partie de l'affaire Descheneaux. Cela confirme en quelque sorte mes préoccupations. Il s'agit d'un scénario que je ne connaissais pas avant l'arrivée du projet de loi S-3, même si je travaille dans ce domaine depuis longtemps.

Bref, en vertu des anciennes règles, si une Indienne épousait un non-Indien et avait déjà des enfants qui étaient inscrits, disons par un premier époux qui était mort, qui était divorcé ou n'était pas identifié, ses enfants d'âge mineur, ses enfants de moins de 21 ans, étaient affranchis, perdaient leur statut avec elle. Cela ne pouvait pas arriver dans le cas de ses enfants adultes.

Donc, ce que le projet de loi S-3 nous disait, c'est qu'il existe une iniquité parce que même si cela s'est fait après 1985, la femme récupère son statut d'Indienne inscrite, l'enfant récupère son statut d'Indien inscrit, mais entretemps il peut s'être marié. Le cas des petits-enfants de l'enfant qui a perdu son statut d'Indien inscrit lorsque sa mère s'est mariée la deuxième fois n'est pris en considération qu'après 1985. Ils n'ont qu'un parent indien. Ils sont donc visés par le paragraphe 6(2). Pour simplifier les choses, la ligne se termine là.

Par ailleurs, si cet enfant avait un frère plus vieux, ce dernier pourrait avoir épousé une non-Indienne et lui avoir donné son statut. Il pourrait même avoir eu le temps d'avoir un petit-fils qui a épousé une non-Indienne et lui a donné son statut.

Donc, ce n'est pas moi; c'est le gouvernement du Canada qui dit que cela est discriminatoire.

Si vous tournez la page, ce que je dis, c'est que quelque chose de semblable se produit. Il n'existe pas de véritable différence entre la femme qui a eu des enfants indiens inscrits dont le père était un Indien inscrit avant son deuxième mariage et une Indienne inscrite qui a eu des enfants d'un Indien inscrit et dont l'époux a dit : « Un jour, nous serons tous affranchis. » Voilà où nous en sommes.

La sénatrice Lankin : Cela nous aide beaucoup. Merci.

Encore une fois, je crois comprendre que les fonctionnaires examinent cette situation en ce moment, de sorte que nous pourrions recevoir une modification, parce qu'ils auraient l'intention de régler ce problème, tout comme pour la situation des cousins.

Pour ce qui est du rapport de l'ABA et de quelques autres questions, vous avez également dit qu'il pourrait y en avoir d'autres qui pourraient être mises au jour. Il s'agit d'une question très pragmatique. Si nous avons toutes les modifications devant nous et si nous procédons à l'étude article par article, à un moment donné, nous serons prêts à publier notre rapport et il se pourrait fort bien que nous en ayons une autre une semaine plus tard. Compte tenu de l'évolution des choses, je m'attends à ce que cela soit la situation.

Je ne dis pas que nous n'allons pas toutes les examiner, mais je suis très consciente que plus nous ajoutons ces choses, plus il y a des conséquences non voulues, et il ne s'agit pas d'une bonne façon — un fusil sur la tempe et une date limite du tribunal — pour élargir l'enquête au-delà de ce qui a été soulevé dans l'affaire que vous avez fait avancer au nom de Descheneaux et au nom de la Première Nation.

Je suppose que vous vous seriez attendu à ce que ces questions fassent partie de la phase deux si elles étaient mises au jour après le passage du projet de loi S-3 au Sénat et à la Chambre des communes.

M. Schulze : Je ne peux pas vraiment répondre à votre question. J'en suis à ma deuxième phase deux. On m'avait promis une phase deux après l'affaire McIvor.

La sénatrice Lankin : Voudriez-vous qu'ils le fassent?

M. Schulze : J'en serais heureux. Le problème est que ma confiance dans la phase deux n'est pas tout ce qu'elle pourrait être.

La sénatrice Lankin : Il ne fait aucun doute qu'il y a énormément de scepticisme à ce sujet, et notre comité a essayé d'examiner des mécanismes d'établissement de rapports et d'autres sortes de choses afin de la maintenir en vie et devant notre comité. Mais il y a du scepticisme en raison de l'histoire. Ce n'est pas la première fois que les gens en font l'expérience. Mais merci tout de même.

Madame Stanton, je vous souhaite la bienvenue. Je suis heureuse de vous revoir et je vous remercie de votre exposé.

Sur ce que vous faites valoir au sujet de la nature de la discrimination sexuelle qui existe dans la Loi sur les Indiens, vous n'avez pas en fait précisé les genres de dispositions. Je me demande si vous êtes d'accord pour dire, au mieux de vos connaissances, si ces autres points qui viennent d'être présentés sont abordés, qu'il s'agit de la question en suspens dont vous parlez et qui est antérieure à 1951, ou y a-t-il d'autres questions? Je n'étais pas certaine de ce que vous avez dit.

Mme Stanton : Ce n'était probablement pas clair, parce que cela ne l'est pas encore pour nous. Si vous continuez de lire pour voir comment tout cela se déroule, vous allez vous rendre compte qu'il y a de plus en plus de problèmes. Comme je le disais, les problèmes s'accumulent avec chaque discernement supplémentaire que vous faites.

Oui, la loi continue de défavoriser les enfants nés avant 1951, par exemple, de parents non mariés dont les antécédents indiens proviennent de la famille maternelle. Cette question a déjà été soulevée. On ne l'a pas encore abordée.

Il existe une distinction dans les modifications entre l'alinéa 1b), le remplacement de (c.32) par — et il y a le texte —, ce qui limite la portée de l'ancien paragraphe 6(1)(c.3) proposé. Cela favorise, selon toute vraisemblance, la discrimination à l'égard des femmes qui sont séparées de leurs pairs qui ont droit au statut d'Indien en vertu de la disposition uniquement du fait de la discrimination dont leur père et leur grand-mère ont fait l'objet.

Donc, le problème fondamental ici est que nous continuons de créer des catégories et des hiérarchies. Nous devons vraiment examiner l'alinéa 6(1)a) pour toutes les personnes qui veulent s'inscrire. Pourquoi avons-nous différentes catégories de personnes qui s'identifient comme autochtones ou non?

Cela nous amène à cette idée de sang indien, et dans le monde, y a-t-il d'autres gouvernements qui définissent pour un groupe de personnes si elles sont ou non de la race qu'elles disent être? C'est terriblement raciste. Pourquoi déciderions-nous alors : « D'accord, vous pouvez être de cette race, mais seulement dans ce pourcentage, et vous pouvez être de cette race pour toute la quantité »? C'est offensant, et c'est discriminatoire. Nous devons régler cette question d'une manière beaucoup plus complète. C'est comme le jeu qui consiste à taper sur la tête d'une taupe. « Voici un peu de discrimination qui apparaît ici, parce que c'est ainsi que fonctionne cette disposition. Oh, en voici une autre là-bas. On ferait mieux de s'attaquer à celle-là aussi. » Nous devons prendre du recul et constater que tout ce régime perpétue la discrimination, et il faut l'attaquer d'une façon beaucoup plus complète.

Je suppose que Sharon McIvor vous fournira le libellé, si elle ne l'a pas déjà fait dans sa correspondance avec vous, pour indiquer que l'alinéa 6(1)a) est la voie à suivre.

La sénatrice Lankin : De toute évidence, cette question est à l'avant-plan de la discrimination sexuelle — et toute autre forme de discrimination. Ce que vous venez de me dire ressemble à un exercice. Il y a des choses qui sont très claires, mais il y en a qui — c'est pratiquement comme si l'on mettait vos mots côte à côte avec ceux de la ministre pour ce qui est de la phase deux et du travail à faire. C'est toute la Loi sur les Indiens et des éléments de la Loi sur les Indiens, bien au-delà de la décision Descheneaux.

Mme Stanton : Pourquoi est-ce que les femmes devraient attendre encore une fois?

La sénatrice Lankin : Je comprends cet argument.

Mme Stanton : Pourquoi est-ce que les femmes doivent toujours attendre?

La sénatrice Lankin : Je comprends le point que vous faites valoir.

Mme Stanton : J'ai lu les mémoires du FAEJ pour le projet de loi C-31, le projet de loi C-3, le projet de loi S-3 à l'automne et une fois de plus dans la préparation pour celui-ci. J'aurais pu présenter les mêmes paragraphes une fois de plus.

Si moi, en tant que femme blanche privilégiée détenant trois diplômes en droit, j'ai de la difficulté à me retrouver dans tout cela, je suis frustrée et je trouve cela difficile, je ne peux pas m'imaginer comment Mme McIvor doit se sentir ici, à refaire tout cela. Je m'excuse de vous faire part de ma frustration.

La sénatrice Lankin : Je ressens énormément d'empathie à l'égard de ce que vous dites, mais je tiens également compte du processus qu'il faut entreprendre pour corriger toute cette situation — je vois le sénateur Sinclair qui attend. Je tiens à poser une autre question et j'aurai terminé.

Permettez-moi de dire que lors des consultations, la ministre s'est engagée à travailler avec les gens, à identifier les femmes, si la question pour ce qui précède 1951 n'est pas réglée ici — ces femmes qui ne peuvent pas s'exprimer du fait qu'elles ne sont pas des Indiennes inscrites —, de faire entendre ces voix au cours des consultations de la phase deux. Je peux seulement vous dire qu'elle m'en a donné l'assurance ainsi qu'à d'autres membres du comité.

La présidente : La ministre comparaît effectivement de sorte que vous n'avez pas à le faire en son nom.

Il nous reste seulement dix minutes et nous avons trois intervenants.

Le sénateur Sinclair : Mes excuses, sénatrice Lankin. Je ne cherchais pas à ce que vous vous pressiez en raison du temps; je vous regardais, madame la présidente, pour savoir combien il restait d'intervenants d'ici la fin de cette partie de la réunion.

Cette question est d'une très grande importance, non seulement pour les personnes visées par un litige, mais pour toute la population autochtone. Il nous incombe à nous de nous assurer de procéder avec prudence.

Je tiens à vous souhaiter la bienvenue à tous les deux à notre comité, et à vous remercier de votre exposé. Je l'ai trouvé très utile.

J'ai quelques questions que je vous poserai et auxquelles je vous demanderai de répondre. Je pense qu'il est important que tous les membres du comité songent à l'incidence de ne rien faire. Si nous n'adoptons pas ce projet de loi ou un projet de loi et si l'implication de la décision Descheneaux est maintenue, si la décision du tribunal est maintenue, quelle est votre évaluation, monsieur Schulze, de ce qui va survenir dans le cas de l'inscription des personnes autochtones après le délai?

M. Schulze : J'ai l'impression que vous me demandez de vous donner un conseil pour un client qui ne me rémunère pas. Ce serait le problème du gouvernement du Canada.

Le sénateur Sinclair : Je ne vous rémunère pas; je vous demande de nous donner votre avis.

M. Schulze : Si je vous dis ce qui peut être fait, j'aide le greffier du tribunal qui s'oppose habituellement à moi...

Le sénateur Sinclair : Que pensez-vous que seront les répercussions de la décision après le 3 juillet?

M. Schulze : S'il n'y a tout simplement pas de projet de loi?

Le sénateur Sinclair : Oui.

M. Schulze : J'ai supposé que c'est ce qui va arriver. Le jugement se passe de commentaires. Quoi qu'il en soit, certaines dispositions ne s'appliquent pas au Québec, parce qu'il s'agit uniquement d'un jugement de la Cour supérieure du Québec qui ne fait pas l'objet d'un appel à ce moment-ci. Par contre, je peux vous dire qu'en réalité la juge Masse m'a demandé ainsi qu'au conseiller juridique représentant le Canada de participer à une conférence téléphonique la semaine dernière, parce qu'elle prépare ses plans de vacances et qu'elle voulait nous dire à quelle période elle serait absente, et elle commençait aussi à songer à ce qu'elle ferait si elle devait entendre une autre motion en prorogation de délai. Je ne pense pas que ce soit la préférence de qui que ce soit, mais je ne pense pas que ce soit impossible non plus.

Le sénateur Sinclair : Je ne sais pas si cela répond à ma question. Je vais demander à nos autres témoins s'ils y ont songé. Quelles sont les implications du jugement si le projet de loi n'est pas modifié?

Mme Stanton : En toute honnêteté, je n'y ai pas encore songé aujourd'hui. Je sais que nous en avons parlé avant la pause, et l'inquiétude serait que les personnes qui veulent être inscrites ne le seraient pas, mais c'est aussi l'inquiétude si on adopte le projet de loi sans le modifier de façon appropriée. Vous avez tout un groupe de femmes qui continueront de faire l'objet d'une discrimination, parce qu'elles ne sont pas habilitées à s'inscrire ou qu'on les inscrira dans une catégorie inférieure. D'une façon comme de l'autre, vous allez créer un bassin de personnes qui ne peuvent pas accéder à l'inscription.

Je comprends que vous voulez le faire de façon appropriée. Bien évidemment.

Le sénateur Sinclair : Ne supposez pas cela. Je pourrais décider de ne rien faire et de voir ce qui se passe. D'après vous, que se passera-t-il?

Mme Stanton : Je vois. D'abord, je dirais que de ne rien faire enverrait un message terrible aux femmes qui attendent que le gouvernement règle finalement cette situation. Je ne pense pas que ce soit approprié. Voici un problème qui ne cesse de revenir. Ne pas le régler et dire « Oh, aucun problème, il y aura la phase deux, nous attendrons », je ne pense pas qu'il s'agisse d'une réponse appropriée.

Le sénateur Sinclair : Dans votre exposé, et dans ceux d'autres témoins, tout comme dans des documents que nous avons reçus, il est question de l'inadmissibilité de la seconde génération dont il est question au paragraphe 6(2). Pouvez-vous dire au comité si vous pensez qu'il doit y avoir une inadmissibilité dans le texte législatif?

M. Schulze : Je n'ai habituellement pas le luxe de songer à ces grandes questions, parce que je suis au cœur même des litiges. Je dirai tout simplement qu'à la fin, peu importe les histoires que nous nous racontons, limiter le statut d'Indien est synonyme de limiter la responsabilité fédérale. Nous ne nous en porterons que mieux si nous nous disons la vérité et si nous agissons comme des adultes. Les gens s'accouplent, ont des enfants, font des bébés, et la raison d'une inadmissibilité de la seconde génération consiste à voir une limite quant au nombre de gens qui peuvent être des Indiens, et la raison pour cela est de limiter le nombre de personnes pour lesquelles le ministère paye.

Mme Stanton : Non, je ne pense pas qu'il devrait y avoir une inadmissibilité de la seconde génération. L'objectif non avoué auquel j'ai fait référence dans mon allocution, qui était en fin de compte d'avoir un pays dans lequel nous n'avons pas une catégorie particulière de personnes pour lesquelles nous payons d'une façon particulière, ce n'est pas le genre d'objectif que je veux voir dans un pays respectueux de sa charte.

Le sénateur Sinclair : Pour ce qui est de votre nouvel exemple de discrimination fondée sur le sexe, monsieur Schulze, vous parlez de l'affranchissement par le parent et de l'inclusion des enfants. Il me semble que cette inclusion des enfants aurait une incidence à la fois sur les garçons et les filles de la famille, donc les enfants de sexe masculin et de sexe féminin, et le problème que vous avez recensé lorsqu'ils deviennent des parents, à savoir de ne pas pouvoir transmettre leur statut ou de ne pas pouvoir le faire conformément à la même pratique que leurs sœurs et frères adultes, n'est pas une question d'égalité entre les sexes; il s'agit tout simplement d'une question découlant du fait qu'ils sont inclus dans l'affranchissement du père. Voyez-vous cela?

M. Schulze : C'est ainsi que je le voyais au départ. Comme je l'ai dit, c'est véritablement une personne d'une communauté qui m'a appelé et qui me l'a fait voir sous un autre angle. Si nous y pensons comme étant l'affranchissement des enfants, je serais d'accord avec vous. C'est ainsi que je le voyais au départ. Mais si nous y pensons comme étant l'affranchissement de leur mère qui lui était imposé par leur père, alors il s'agit d'un problème de discrimination sexuelle. Comme je l'ai dit, si nous pensons à cette femme qui est née Indienne, qui a épousé un Indien, et dont le mari a décidé que pour tous elle cesserait d'être une Indienne, sa belle-sœur ne pourrait jamais avoir fait cela à son frère.

Le sénateur Sinclair : Vous l'examinez sous l'angle de la mère qui est aussi involontairement affranchie en raison de l'époux?

M. Schulze : Oui. Je pense que les jugements McIvor et Descheneaux sont très clairs, à savoir que la discrimination sexuelle subie par la femme qui perd son statut d'Indienne, le fait que cela ait une incidence sur ses enfants et ses petits- enfants continue d'être de la discrimination sexuelle.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez, la Loi sur les Indiens a été adoptée dans l'intention de faire disparaître les personnes autochtones des Premières Nations. Selon vous, pensez-vous que nous devrions même examiner ce projet de loi? Je sais que nous devons le faire, mais qu'en dites-vous?

Mme Stanton : Voilà pourquoi j'ai introduit mes remarques en disant que toute la Loi sur les Indiens est bien entendu un document colonial raciste et, en fin de compte, nous devons mettre en œuvre les recommandations de la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones. Pour l'instant, puisque je suis également sceptique au sujet de la phase deux, il semble que la loi ne disparaîtra pas avant longtemps et que nous devons donc corriger les parties que nous pouvons corriger maintenant.

M. Schulze : Il s'agit d'un point très pratique, mais en réalité le comité ne devrait jamais l'oublier : un conseil de bande n'est pas financé — il peut accepter toutes sortes de personnes comme membres, mais il n'est pas financé pour qui que ce soit —, je vois que vous hochez de la tête, et j'en déduis que vous comprenez cela aussi.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Oui, je le sais.

M. Schulze : Il est financé uniquement à l'égard des membres inscrits. Dans la vraie vie, cela continue d'avoir de l'importance, parce que vous pouvez laisser l'enfant non inscrit dans votre école, mais vous ne recevez aucun financement pour cet enfant.

La sénatrice Lovelace Nicholas : C'est vrai, oui. Merci.

La sénatrice McPhedran : J'essaie de choisir parmi les nombreuses questions que j'ai à poser. J'aimerais me concentrer sur la Constitution pendant un moment, et demander, avant que nous ne manquions de temps, ce que vous pensez du paragraphe 35(4).

Toute la notion de la phase deux — je le dis sans détour — me dérange très profondément, parce que j'ai vraiment beaucoup de difficulté à comprendre ce dont il s'agit, si ce n'est de continuer à consulter pour discriminer contre les femmes.

J'ai soulevé la question de l'article 44 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et aussi du paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle auprès du chef national, Perry Bellegarde, qui était de passage mardi, et je lui ai demandé s'il pouvait concevoir une situation où la discrimination à l'endroit des femmes serait perpétuée par la décision des gouverneurs d'un territoire donné. Je ne pense pas qu'il ait en réalité répondu à ma question et, s'il a répondu à ma question, je pense qu'il penchait de façon certaine vers « c'est possible ».

Je constate que notre temps est presque écoulé, mais quelle est l'application la plus logique du paragraphe 35(4) — et ajoutons aussi l'article 44 de la Déclaration des Nations Unies — pour le scénario de la phase deux? Vous avez été informé à ce sujet du fait de votre participation, et je reconnais qu'une participation n'est pas une consultation.

M. Schulze : Pour la gouverne des autres membres du comité, l'article 35 de la Loi constitutionnelle précise que les droits ancestraux ou issus de traités sont reconnus et confirmés, et le paragraphe 35(4) indique que ces droits sont garantis également aux personnes des deux sexes. Votre question portait sur la phase deux.

Si vous demandez, ce que je pense sous-tend votre question, sénatrice McPhedran, s'il y a une contradiction entre droits ancestraux et issus de traités et l'égalité des sexes, non, je ne le pense pas.

Cela étant dit, je préciserais deux choses. J'essaierai d'être bref. Le chef O'Bomsawin a dit très clairement lors de réunions avec l'ancien sous-ministre adjoint que, de son point de vue, cela n'a rien à voir avec qui sont les membres. Il dit : « Nous pouvons le déterminer nous-mêmes. » Ce qu'il a dit est : « Ceci a tout à voir avec vos règles au sujet de qui est inscrit et pour rendre vos règles sur qui est inscrit conformes à votre Charte. »

Sous cet angle, ce n'est pas vraiment une question de droits ancestraux et issus de traités. C'est une question de loi euro-canadienne respectant les normes constitutionnelles euro-canadiennes.

Si nous prenons un peu de recul, la situation se complique davantage si nous l'appliquons à toutes les communautés. Prenons, par exemple, les traités numérotés, c'est inextricablement lié aux droits issus des traités, qui figurent sur la liste de la bande. Mais ce que je dirais en fin de compte, c'est que la vision a toujours été au sujet des communautés qui veulent moins de membres — et ces communautés existent —, moins de membres et, par conséquent, moins de personnes inscrites.

Il existe de nombreuses communautés qui le voient sous l'angle opposé, comme les Abénaquis, qui n'aimeraient vraiment pas voir leurs membres inscrits décroître continuellement. Ils ont un réel avantage concret lorsque les personnes qui vivent dans leur communauté ne sont pas simplement des membres, mais des membres inscrits avec, par exemple, le droit de posséder des terres dans une réserve.

Mme Stanton : Je ne saurais mieux le dire. Selon moi, les droits ancestraux et issus de traités et les droits constitutionnels à l'égalité ne sont pas en conflit. De nombreuses femmes autochtones militeront pour une application complète de l'article 35 et bien entendu de l'intégration de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans notre réalité et nos normes constitutionnelles. Je ne les vois pas si opposés, et nous ne devrions pas non plus les concevoir ainsi, mais il s'agit d'une nuance très pointue voulant que, lorsque nous parlons de la Loi sur les Indiens, nous parlons d'un texte législatif colonial qui ne fait pas partie du droit autochtone et nous ne devrions pas compromettre les droits à l'égalité ce faisant.

La sénatrice McPhedran : Voici une question à répondre par oui ou non : nous encourageriez-vous à accepter la proposition de la phase deux?

M. Schulze : Mon client dit oui, de sorte que ma réponse est oui.

Mme Stanton : Oui.

La sénatrice McPhedran : Merci.

La présidente : Merci, chers collègues. Voilà qui conclut pour notre première partie. J'aimerais remercier nos témoins de ce soir : Kim Stanton, du FAEJ, et David Schulze, représentant l'affaire Descheneaux originale. Je vous remercie beaucoup de vos exposés, et je remercie tous les sénateurs.

Ce soir, pour notre deuxième groupe, nous accueillons Mme Pamela D. Palmater, professeure agrégée et présidente de la Gouvernance autochtone, Université Ryerson, et Sharon McIvor, qui est très bien connue et dont le nom a été mentionné à de nombreuses reprises ce soir. Nous devions accueillir un troisième témoin, mais il semble que notre vidéoconférence ne fonctionne pas. Nous irons de l'avant avec les deux dames ici présentes. Après vos exposés, les sénateurs vous poseront des questions. Vous avez la parole.

Sharon McIvor, à titre personnel : La plupart d'entre vous ont entendu parler de l'affaire McIvor.

Il s'agissait de l'une des affaires qui me concernaient. J'ai consulté l'ordre du jour de ce soir. On indique « à titre personnel, Sharon McIvor ». Je tenais à dire clairement que je fais ce travail depuis probablement près de 40 ans. Lorsque je parle, et lorsque je parle de ces questions, je ne parle pas pour moi-même, à titre personnel. À un moment donné, beaucoup de femmes dépendaient de moi et leurs familles dépendent de moi. Leurs familles continuent de faire l'objet de la discrimination qui a été infligée aux femmes. Mary Two-Axe Earley est du nombre. Je peux vous en nommer 50, mais je ne dispose que de 10 minutes. Je parle au nom de ces femmes, je parle au nom de leurs familles et je parle au nom de leurs descendants. Lorsque nous avons entrepris ce combat, je me suis promis et je l'ai promis à tout le monde que nous irions jusqu'au bout. Dans le cas du groupe de départ, je peux vous dire que je suis l'une des rares toujours en vie. Les autres sont mortes, et leurs familles font toujours l'objet de discrimination. Jeannette Corbiere Lavell, ses enfants et ses petits-enfants souffrent toujours de la discrimination infligée à leur mère.

Je voulais dire clairement que je parle à titre personnel, mais que je ne parle pas pour moi-même.

Au moment de l'affaire McIvor, environ trois mois avant le procès, Justice Canada s'est manifesté et nous ont dit à moi et mon fils : « Eh bien, votre fils peut maintenant être inscrit en vertu du paragraphe 6(2) », parce qu'il n'était pas admissible à l'époque. Les représentants de Justice Canada ont dit : « Nous avons décidé qu'il peut être inscrit en vertu du paragraphe 6(2) et que l'affaire est maintenant terminée. L'affaire est caduque, parce qu'il est un Indien inscrit. » Nous avons décidé de ne pas accepter leur offre. Ils sont allés devant les tribunaux et ont essayé de rendre l'affaire caduque. Ils ont demandé au juge de la déclarer caduque, parce que mon fils était inscrit. Cependant, nous avons pu poursuivre l'affaire et remporter une victoire partielle; nous comptons maintenant 35 000 personnes admissibles. Il s'agit d'une fraction de toutes les personnes admissibles et qui ont le droit d'être reconnues, sauf que notre gouvernement — peu importe le parti au pouvoir — se traîne les pieds. Il y aura d'autres Mary Two-Axe Earley, et d'autres, qui mourront sans que leurs droits aient été reconnus. Voilà une des choses que je voulais dire.

L'autre chose importante que je voulais dire est, bien entendu, que nous avons suivi les modifications du projet de loi S-3. Comme l'a dit la sénatrice Dyck, le Sénat a demandé deux choses. Une première était d'examiner la question de la discrimination sexuelle et de présenter de nouveau un projet de loi qui était soit un projet de loi modifié, soit un nouveau projet de loi. Cela ne s'est pas matérialisé. Ce qui nous revient, c'est exactement ce que vous avez envoyé pour modification, ou correction, ou peu importe ce que vous vouliez qu'il soit fait. Cela ne s'est pas matérialisé. Nous sommes maintenant coincés par un échéancier. Sénatrice Lovelace Nicholas, si vous vous souvenez bien, vous avez fermé les yeux et vous avez voté pour adopter le projet de loi C-3, parce que vous manquiez de temps. Je pense que l'on nous a manipulés de façon à nous retrouver en ce moment exactement dans la même position. On exerce de la pression sur vous pour que vous rafistoliez le respect de l'affaire Descheneaux et de la Charte. Le respect de la Charte signifie que nous devons uniquement corriger les petites affaires que le tribunal a jugées contraires à la Charte.

Jeannette Lavell a perdu sa cause devant la Cour suprême du Canada, mais en 1985, le gouvernement a décidé de corriger la discrimination à l'endroit de Jeannette et de celles d'entre nous qui se trouvent dans la même situation que Jeannette. Aucun tribunal n'a dit au gouvernement de faire cela. Il a reconnu qu'il s'agissait de discrimination et il a apporté des correctifs.

Chaque conversation que nous avons eue au sujet du projet de loi C-31, du projet de loi C-3 et du projet de loi S-3 porte sur le fait que nous voulons apporter ces modifications; selon l'arrêt Descheneaux, nous devons apporter ces modifications, mais nous savons qu'il y a encore plus de discrimination sexuelle là-dedans. Nous savons, et nous allons le corriger la semaine prochaine, l'an prochain, au cours de la prochaine décennie, des 50 prochaines années — quel que soit l'échéancier.

Je suis une fois de plus ici, pour vous demander, une fois de plus : ne pouvez-vous donc pas voir qu'il y a une discrimination et la corriger? Ce n'est pas sorcier. Ce qu'ont fait les rédacteurs de ces modifications et ce qu'ont fait les rédacteurs du projet de loi C-31, c'est de rendre la chose tellement compliquée que vous ne pouvez pas comprendre ce que stipule chacun des articles.

Nous parlions avec la sénatrice Dyck plus tôt aujourd'hui. Parce que Pam et moi avons travaillé là-dessus, elle pensait que nous parlions en code. J'ai dit « Eh bien, elle est visée par le sous-alinéa 6(1)c)(1). » Nous allions et venions et elle nous regardait d'un air perplexe. Elle a dit que nous semblions parler en code parce que nous avons travaillé sur ces éléments et nous les connaissons.

Le plus frustrant, c'est que l'on nous a mis dans une situation où c'est ceci ou rien. En réalité, ce n'est tout simplement rien parce que cela touche tellement de gens et cause beaucoup plus de problèmes qu'il n'en règle. Lorsque nous avons voulu parler avec des représentants du ministère des Affaires indiennes au sujet de ce qui se passait, ils nous ont dit très clairement que l'objectif était le respect de la Charte. Nous avons dit : « Fantastique, toute la discrimination sexuelle va être mise au jour. Vous voulez le respect de la Charte, tant mieux pour vous. » Ils ont dit : « Non, le respect de la Charte, c'est que nous devons faire ce que le tribunal nous a dit de faire. C'est tout. »

Puis, nous avons reçu quelque chose de l'Association du Barreau autochtone. L'Association du Barreau autochtone a constaté quelques petits problèmes que créent les modifications découlant de l'arrêt Descheneaux. Bien que nous ne soyons pas tenus de le faire, nous les inclurons également.

Ils nous appellent « les quatre McIvor ». Ils ont dit : « Vous quatre, les McIvor, voulez le projet de loi parfait, et vous ne l'obtiendrez pas. »

Donc, je ne sais pas si vous diriez qu'il est parfait, mais je pense qu'étant donné que je parle au nom des femmes et des personnes qui sont visées par la loi, je suppose que vous, les parlementaires, parlez au nom du gouvernement et des organismes gouvernementaux, et ce que j'essaie de faire, c'est de continuer de pousser et de faire en sorte que les droits de nos femmes et de nos descendants soient reconnus. Il semble que ce que vous faites, c'est de pousser et de mettre de l'avant le programme commencé par John A. Macdonald et Duncan Campbell Scott et de faire le minimum que vous avez à faire et de mettre complètement les femmes dans une position totalement intenable.

Comme l'a dit Kim Stanton, les organismes internationaux et locaux ont dit que ce qui a été fait par le processus colonial en nous soumettant à une discrimination dans la Loi sur les Indiens et en nous sortant à coup de lois de nos communautés, loin de nos familles, loin de notre soutien, et en nous abandonnant à notre sort en de nombreuses occasions suite à la rupture d'un mariage alors que vous n'avez nulle part où aller, a donné lieu à la situation où les filles et les femmes autochtones sont vulnérables. Nous sommes des proies.

Ils disent que lorsque nous sommes assassinées ou que nous sommes portées disparues, nous menons un mode de vie à risque. Je peux vous dire que je suis née dans un mode de vie à risque, parce que je suis une femme autochtone, et lorsque les gens vous regardent en tant que femme autochtone, ils voient une proie. Lorsque vous marchez du magasin à chez vous en tant que femmes autochtones, ce que nous faisions lorsqu'une voiture s'approchait, nous allions nous cacher dans les arbustes. Nous ne pouvons pas nous trouver sur la route lorsqu'une voiture s'approche parce que nous allons être enlevées et maltraitées.

Bien entendu, une grande partie de cela, c'était le régime colonial qui nous dépossédait de nos communautés, de notre culture et de notre langue, puisque lorsque nous arrivions à un point où nous étions totalement impuissants et que nous ne pouvions pas fonctionner dans nos communautés, ils revenaient et commençaient à nous ramener dans les communautés. L'autre chose que Martin Reiher nous a dite, c'est que nous ne pouvons pas retourner dans les communautés parce que nous sommes urbanisées, et ils ne veulent pas que nous, en tant que femmes urbanisées, allions dans la communauté parce que la communauté va subir un préjudice que nous, les femmes urbaines, créerons. C'était très clair. Il s'agit d'un équilibre entre les droits personnels et les droits collectifs.

Je ne pense pas dire quoi que ce soit que vous n'ayez pas déjà entendu. Ce que vous devez faire, et ce qu'il est de votre devoir de faire en tant que sénateurs et représentants du gouvernement canadien, c'est de retirer la discrimination de la Loi sur les Indiens. On n'aurait jamais dû l'y laisser en 1985. La loi aurait dû être épurée en 2010. En 1985, vous avez promis que nous avions des choses à rafistoler. Nous savions que l'inadmissibilité de la seconde génération était discriminatoire. Nous allons mener des consultations et corriger la situation. Apparemment, ils ont 20 000 documents pour le prouver. C'est ce qu'ils m'ont dit dans l'affaire judiciaire, ils ne pouvaient pas aller devant les tribunaux parce qu'ils avaient 20 000 documents à revoir.

En 2010, pour le projet de loi C-3, même chose. Nous ferons absolument ce que le tribunal nous dit de faire, puis, nous le rafistolerons. Nous allons mener des consultations et nous allons apporter les correctifs nécessaires, et exactement la même chose s'est produite ici.

Ce qui est vraiment clair dans mon esprit et dans ce que je crois comprendre, c'est que vous ne pouvez pas mener de consultations pour savoir si vous devriez ou non continuer de faire de la discrimination. Au plan international, s'ils savaient que le Canada disait : « Nous savons que vous, les Indiennes, faites l'objet d'une discrimination, mais nous allons consulter vos communautés et leur demander si elles sont d'accord pour que nous continuions à le faire », c'est tout simplement insensé, et c'est exactement ce que vous nous dites une fois de plus. Nous allons faire la phase un et améliorer les modifications de l'arrêt Descheneaux et peut-être que le Barreau canadien ou le Barreau autochtone nous ont dit certaines choses, et nous allons mener des consultations pour voir ce que nous pouvons faire à ce sujet.

onc, je vous demande gentiment, et je vous rappelle que vous avez une obligation fiduciaire envers tout le monde, y compris nous, les Indiennes, de vous assurer que nous vivons dans une société exempte de discrimination et que la Loi sur les Indiens est vraiment ce qui a façonné nos vies. Donc, corrigez-la. Il n'y a rien de plus facile. Je ne vais pas aborder la question des lois avant ou après 1951 et comment tout cela s'est manifesté. Je ne vais pas parler des petites choses qui s'améliorent. C'est discriminatoire. Nous connaissons la hiérarchie visée par l'alinéa 6(1)a), c'est-à-dire mon petit frère, sa femme, son enfant et son petit-enfant sont tous visés. Nous avons dû nous battre âprement pour mes petits-enfants 6(2) et pour élever mon fils pour qu'il passe de 6(2) à 6(1)c)(1). La hiérarchie entre la ligne paternelle et la ligne maternelle avec 6(1)a) et 6(1)c) se situe là, bien en évidence, et elle est discriminatoire.

Voilà tout ce que j'ai à dire pour l'instant.

Pamela D. Palmater, professeure agrégée et présidente de la gouvernance autochtone, Université Ryerson, à titre personnel :

[Note de la rédaction : le témoin s'exprime dans une langue autochtone.] Pam Palmater. Je viens de la Nation micmaque souveraine qui repose sur des territoires non cédés dans les Maritimes, et c'est un honneur de me retrouver sur un territoire algonquin non cédé.

Merci, Sharon. Je suis toujours d'accord avec tout ce que dit Sharon. Elle se bat pour cela depuis longtemps, tout comme la sénatrice Lovelace Nicholas, Mary Two-Axe Earley, Jeannette Corbiere Lavell, Lynn Gehl, Jeremy Matson, Stéphane Descheneaux, et il y en a beaucoup d'autres à venir.

J'ai déjà soumis une présentation et, malheureusement, je soumets exactement la même présentation au deuxième tour. C'est le même projet de loi que nous examinons. Ils vous ont soumis des amendements à examiner dans le cadre d'un examen article par article, mais cela ne modifie pas le projet de loi. Vous êtes donc essentiellement confronté au même projet de loi que vous leur aviez demandé de rectifier. Vous leur aviez demandé d'abolir la discrimination fondée sur le sexe, mais ils ne l'ont clairement pas fait.

En vérité, la discrimination est vraiment difficile à cerner et elle est très complexe, et il faut vraiment travailler très fort pour faire bouger les choses. Par ailleurs, l'égalité est une notion assez simple. Quand il est question de soupeser le fait d'en arriver ou non à des conséquences inattendues, plus vous déployez des efforts complexes et difficiles afin de lutter contre la discrimination, plus vous obtenez de conséquences inattendues ou, je dirais plutôt, prévisibles.

Mais je préfère en arriver à des conséquences inattendues en faisant le bon choix, à savoir l'égalité entre les sexes, qu'en essayant vraiment fort d'instaurer des inégalités entre les sexes. Et ce n'est pas seulement votre obligation morale en tant que Canadiens, en tant que représentant du gouvernement; c'est votre obligation légale. Le Sénat n'a tout simplement pas le choix. La Charte préconise l'égalité absolue, tout comme la Constitution. Comment pourrions-nous oser dire, en 2017, que l'égalité n'est pas nécessairement garantie pour les femmes autochtones?

L'égalité ne correspond pas à la perfection. Elle ne représente pas une notion subversive ou radicale. Elle ne peut être partielle ou progressive. Elle existe ou n'existe pas. Nous sommes l'égale des hommes autochtones, ce qui est un état plutôt mortel dans ce pays, mais nous sommes au moins l'égale des hommes autochtones ou nous ne le sommes pas. Or, dans l'état actuel des choses, nous ne le sommes pas. Si ce projet de loi est adopté, même avec ces minuscules amendements qui l'encadrent, nous ne serons toujours pas leurs égales.

Cela revient donc à dire que si vous acceptez le projet de loi S-3, vous acceptez le fait que nous ne sommes pas égales, et aussi les conséquences de cette inégalité. Vous nous dites que bon nombre d'entre nous en mourront, parce que l'inégalité consacrée dans la Loi sur les Indiens est une cause fondamentale des disparitions et des assassinats des femmes et de jeunes filles autochtones.

Vous dites également qu'il est normal de voir nos enfants être envoyés en foyers d'accueil à un rythme record. Qu'il est normal que les femmes autochtones soient incarcérées à des taux plus élevés que dans n'importe quel autre pays au monde. Qu'il est normal que nous soyons la cible de tueurs en série.

C'est pourtant ce que cela signifie. Les Nations Unies, dans de nombreux rapports, ont indiqué que cette inégalité était une cause fondamentale. Cela résume essentiellement ce que représente le Canada; cette Loi sur les Indiens en entier a ciblé expressément les femmes autochtones pour en arriver à l'extinction des peuples autochtones.

Nous savons tous pourquoi, et ce n'est un secret pour personne. C'est pour nos terres et nos ressources, car si nous ne sommes pas là, qui revendiquera nos droits issus de traités?

Mais si l'on parle de ciblage, il faut parler de la façon dont ce pays a été fondé sur l'exploitation sexuelle des femmes et des jeunes filles autochtones par des agents et des corps de police indiens. Il faut parler du rapt des enfants autochtones pour les envoyer mourir dans des pensionnats ou être violés. Il faut parler de la stérilisation forcée des femmes autochtones pour les empêcher d'avoir des enfants, et ainsi ne rien avoir à craindre du statut d'Indien. Il faut parler des décennies d'inaction concernant les femmes autochtones assassinées et disparues parce qu'elles n'ont pas d'importance. Nous avons un statut inférieur à celui des hommes autochtones, qui sont pourtant au plus bas des échelons.

Il faut aussi parler du vol commis aux dépens de nos enfants et de nos petits-enfants dans nos propres communautés en leur refusant le statut d'Indien. C'est exactement ce que cela signifie, quoiqu'on en pense. Dans de nombreuses communautés, la majorité en fait, vous ne faites pas partie du groupe si vous n'avez pas le statut. Et si vous n'en faites pas partie, alors là, bonne chance. Bonne chance pour avoir accès aux aînés, au soutien, à la famille ou à quoi que ce soit d'autre.

C'est votre décision. Vous ne décidez pas qu'un jour, dans une éventuelle phase qui est promise à chaque fois, que cela pourrait se faire. Cela ne se fera pas parce que le ministère des Affaires autochtones se consacre actuellement à semer la division. Ses représentants rencontrent des représentants des Premières Nations, des dirigeants et des organisations en promettant de les payer pour des consultations en échange de leur appui dans certains dossiers.

Nous le savons tous parce que nous nous parlons tous. C'est ce qui se passe ici, et nous devons regarder les choses en face. Aucun de ces amendements ne changera quoi que ce soit. Aucun d'eux. L'inégalité entre les sexes continuera d'exister, et c'est un phénomène connu.

Il y a une chose que j'aimerais surtout dire, parce que le gouvernement libéral en particulier sait qu'il s'agit d'égalité entre les sexes, et je parle de tous les cas de discrimination fondée sur le sexe antérieurs à 1951 et de tous les autres cas qui ont été relevés par moi-même et par d'autres personnes à ce jour.

C'est un phénomène connu. Il n'a peut-être pas encore été prouvé en justice, mais il y a moins de deux mois, le cas de Lynn Gehl n'avait pas encore été prouvé en justice, mais nous savions depuis longtemps que ce cas de paternité non déclarée était en fait un cas de discrimination fondée sur le sexe. Justice Canada le sait et les Affaires autochtones le savent; ils le savent même depuis des années. La question est de savoir s'ils vont y donner suite ou non.

Notre actuelle ministre de la Justice dit donc que tout est conforme à la Charte. Cependant, lorsque notre actuelle ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, était chef régionale de l'Assemblée des Premières Nations en Colombie- Britannique, elle a écrit une lettre au ministère de la Justice et aux Affaires indiennes en précisant expressément que la date limite fixée à 1951 constituait un cas de discrimination fondée sur le sexe et qu'il fallait en fait remédier à cette situation.

En tant qu'avocat à l'époque, il y avait lieu de se demander si tout était conforme à la Charte ou non, et ça ne l'était clairement pas. Nous sommes donc ici témoins d'une véritable volte-face. Lorsque les libéraux étaient minoritaires et que Harper était au pouvoir, ce dernier invoquait les mêmes arguments que l'on entend de la bouche des responsables de la Justice et des Affaires autochtones à l'heure actuelle, à savoir que rien n'est encore décidé et qu'il faut attendre le résultat de la consultation. Consultation rime ici avec inaction. Même notre propre enquête sur les femmes autochtones assassinées et disparues ne mène à rien.

Mais nous avons ici un scénario dans lequel l'ancien gouvernement libéral a effectivement essayé de faire adopter un amendement pour assurer l'égalité entre les sexes, l'alinéa 6(1)a) sur toute la ligne. C'était le gouvernement libéral, les mêmes personnes qui assurent maintenant que tout est conforme à la Charte.

Nous devons donc faire preuve de réalisme et dire la vérité. Il n'y a pas d'égalité entre les sexes. Le deuxième essai a échoué. Toutes les autres tentatives, sans exception, ont aussi échoué. Un engagement ministériel ne mène à rien. Si j'étais une avocate chargée de conseiller quelqu'un d'autre, je dirais qu'un engagement ministériel a la même valeur qu'une promesse de politicien.

C'est votre travail, malheureusement, et vous pouvez penser, en tant que sénateurs, qu'il sera difficile de modifier ce projet de loi, de respecter cette date limite de la cour ou de payer toutes ces personnes. Ce sont là des problèmes de pays riche. Pour les pauvres, c'est une question de vie ou de mort. Il est difficile de se faire assassiner ou de se faire enlever, d'être emprisonné, de se faire enlever ses enfants et d'être exclus de sa communauté. Il est difficile de revenir ici, année après année après année, et de mendier l'égalité, alors que cette égalité signifie simplement que nous pourrions mourir un peu moins fréquemment que nos frères autochtones, qui eux-mêmes n'ont pas cette égalité non plus.

En fin de compte, ne les laissez pas vous dire que la Terre arrêtera de tourner à la date fixée par la cour, le 3 juillet, parce que c'est Justice Canada, en fait, qui s'est rendu aux Nations Unies, quand nous y sommes allées pour témoigner, et qui a déclaré que cette affaire judiciaire n'avait aucun effet ni aucune force de loi à l'extérieur du Québec et que le nombre de personnes concernées était extrêmement faible. Dans ma présentation, j'ai recensé un peu moins de 1 500 personnes touchées, et cela ne concernerait que les mois requis pour faire le bon choix, à savoir présenter un nouveau projet de loi sur l'égalité ou proposer un amendement en vue de le faire.

Ce n'est donc pas difficile. Vous pouvez le faire. Et ne laissez pas la ministre vous parler de financement, de programmes et de services ou de ce que cela coûtera. Comment comparer le coût de l'ajout ponctuel de 200 000 personnes au registre à l'ajout de 750 000 néo-Canadiens chaque année? Des millions de Canadiens naissent chaque année et des immigrants sont accueillis dans ce pays, mais vous ne pouvez pas payer pour 200 000 femmes et enfants autochtones.

Franchement, ce sont des peccadilles, sur un territoire qui nous appartient en premier lieu. Si vous voulez parler de réconciliation, l'égalité fondamentale entre les sexes doit en être le point de départ. Je suis désolée que cela tombe sur vous, mais vous devez prendre cette décision. C'est une question de vie ou de mort pour nous.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Patterson : Je suis très secoué par vos deux présentations, et je vous en remercie.

Je tiens à préciser que je représente le territoire du Nunavut, qui est peuplé de 85 p. 100 ou 90 p. 100 d'Inuits, et je suis sûr qu'il y a des Premières Nations au Nunavut, mais elles sont peu nombreuses. Il n'y a pas de réserves ni aucune loi sur les Indiens à proprement parler.

Les Inuits n'ont pas ce problème de statut et d'appartenance. Tout ce qu'il faut à une personne, et je pense que c'est comme au paragraphe 6(1), pour obtenir le statut et les avantages de ce qui constituent maintenant des revendications territoriales globales dans toutes les régions inuites, c'est qu'un de ses parents soit Inuit, et personne n'examine l'ascendance de ce parent.

En fait, j'ai quatre enfants qui sont des bénéficiaires parce que leur mère était Inuk. Je suis reconnaissant de ne pas avoir à composer avec cette incroyable complexité dont vous parlez.

Madame McIvor, lorsque vous avez dit combien il est difficile pour bon nombre d'entre nous de comprendre, et un de nos témoins ayant trois diplômes en droit a dit la même chose, je vous en remercie, car j'ai aussi cette nette impression. C'est extrêmement compliqué.

Je suis sûr que vous pourriez envier les Inuits parce qu'ils n'ont pas ce problème, et je suis sûr que vous en avez parlé. J'aimerais que ce soit aussi simple pour les Premières Nations. Je pense que vous nous dites clairement qu'il serait possible que ce soit aussi simple.

Je suis désolé de parler autant, mais j'ai aussi une question. Quelqu'un a parlé des Nations Unies et du Comité des droits de l'homme des Nations Unies, et vous nous avez appris, madame McIvor, lors de votre plus récent passage ici, que vous avez présenté une pétition au Comité des droits de l'homme des Nations Unies, que le Canada avait déclaré que le droit à l'égalité pour les femmes autochtones était une priorité de toute urgence et que le Canada avait parlé du processus de rédaction du projet de loi S-3, en affirmant qu'il s'attaquerait aux problèmes que vous avez soulevés dans votre pétition.

Lors de votre plus récent témoignage, vous nous avez dit que le Comité des droits de l'homme des Nations Unies reporterait votre audience à mars 2017. Pourriez-vous faire pour nous le point sur l'évolution de cette situation aux Nations Unies depuis votre plus récent passage ici.

Mme McIvor : Bien sûr. Le Canada s'est adressé au tribunal pour que l'audience soit reportée à juillet. Ils ont envoyé une demande au Comité des droits de l'homme pour reporter l'examen de ma pétition à novembre. Rien de tout cela n'a donc encore été entendu.

Le sénateur Patterson : Madame Palmater, vous avez dit clairement que rectifier le projet de loi n'avait rien de compliqué et que nous devrions simplement le faire, en ajoutant que ce projet de loi ne change rien.

Y a-t-il un amendement qui pourrait rectifier la situation, comme vous l'avez dit? Y a-t-il eu un amendement, parmi ceux qui ont été proposés, qui assurerait « l'alinéa 6(1)a) sur toute la ligne », pour utiliser votre expression? Existe-t-il un tel projet qui a été reconnu pour rendre les choses beaucoup moins compliquées?

Mme Palmater : Oui, il y en a un, et c'est l'amendement que les libéraux avaient présenté dans le cadre du projet de loi C-3. Je crois que c'était Sharon ou quelqu'un d'autre qui l'avait présenté au premier tour de l'étude du projet de loi S-3. Il s'agissait alors de se pencher sur l'amendement « l'alinéa 6(1)a) sur toute la ligne ». C'est donc consigné au compte rendu. Nous pouvons vous le renvoyer si vous en avez besoin, mais il s'agit du même amendement que les libéraux avaient présenté.

Le sénateur Patterson : Vous nous dites donc que c'est ce que nous devrions faire. Nous devrions éviter de jouer avec les mots et simplement faire cela.

Mme Palmater : Oui.

Le sénateur Lankin : Le sénateur Patterson a posé mes deux questions, mais permettez-moi d'abord de vous remercier. J'aime vraiment apprendre combien de fois vous avez été à telle table dans cette situation, pour présenter ces arguments. J'apprécie tellement que vous veniez ici pour nous aider dans ce dossier.

Ma question est probablement une variation ou le prolongement de la deuxième question du sénateur Patterson en ce qui a trait à l'amendement « l'alinéa 6(1)a) sur toute la ligne ». Madame McIvor, vous avez dit que vous ne parleriez pas d'avant ou d'après 1951, et j'imagine que cela inclura également tous les amendements issus de Descheneaux et les amendements ultérieurs. La solution que vous proposez engloberait toutes ces situations. Les autres types d'amendements ou les amendements issus de Descheneaux ne seraient donc plus nécessaires si nous faisions comme vous le dites?

Mme McIvor : Au moment où nous avons examiné la question à l'étude du projet de loi C-3, c'est bien cela. Je ne promets rien puisque vous savez aussi bien que moi que lorsqu'on commence à tester les lois, on trouve ici et là des éléments qui ne donnent peut-être pas les résultats escomptés, mais la réponse est oui.

L'une des choses à retenir, c'est que les personnes nées avant le 17 avril 1985, celles qui ont été réinscrites et celles qui relèvent de l'alinéa 6(1)c) et au-delà, peuvent avoir vu le jour avant le 17 avril 1985 et n'avoir que le statut prévu au paragraphe 6(2).

Connaissez-vous quelqu'un dans ce cas?

Mme Palmater : Moi.

Mme McIvor : C'est bien ce que je pensais. Alors que si son ancêtre, sa grand-mère, avait été plutôt son grand-père, elle serait une 6(1)a). Et je suis une 6(1)c), alors que mon frère est un 6(1)a). Donc, quiconque est né avant le 17 avril 1985, s'il entre dans la catégorie 6(1)a), transmet ce statut à sa descendance. Cela touche donc la majeure partie du problème de la discrimination fondée sur le sexe.

Il y a certains points dont je ne parlerai pas aujourd'hui et dont il faut aussi s'occuper. Il s'agit de cas de discrimination fondée sur le sexe, mais d'une catégorie entièrement différente.

Le sénateur Doyle : J'examinais l'affaire Descheneaux et une citation de la juge Masse a retenu mon attention. Elle dit :

[...] ce n'est pas la première fois que le législateur est appelé à analyser la question et qu'il procède à des consultations à ce sujet.

Elle a écrit cela en 2015. Vous n'êtes manifestement pas satisfaits des efforts déployés par le gouvernement pour s'assurer que l'obligation de consulter respecte réellement ce que la juge demandait. À votre avis, que demandait la juge? S'il y a effectivement obligation de consulter, et si vous n'êtes pas satisfait du résultat, à quoi la juge s'attendait- elle de la part du gouvernement?

Mme Palmater : Tout d'abord, je pense que la Cour s'attendait à ce que de véritables consultations juridiques aient lieu auprès des détenteurs des droits réels, qui sont des Premières Nations et des femmes autochtones, et certainement pas auprès des organisations autochtones nationales, qui ne sont que des sociétés. Ce ne sont pas des détenteurs de droits. Les autorités n'ont donc pas consulté les détenteurs des droits, et elles l'ont admis. Elles n'ont donc pas répondu à cette partie de l'obligation.

Les questions qui font l'objet de leurs consultations, à savoir l'augmentation du financement, l'augmentation du nombre de logements, sont des sujets courants de consultation, par opposition à la question de savoir si la Loi sur les Indiens conduit ou non à des cas de discrimination fondée sur le sexe.

L'autre chose au sujet de laquelle la cour a été assez claire selon moi, c'était l'obligation de rectifier le gâchis créé par la loi. Il n'est nulle part indiqué dans son jugement ou ailleurs qu'il suffit de s'en tenir aux faits en cause. Or, c'est exactement ce que les autorités se sont contentées de faire.

Elles n'ont aucun scrupule à contourner la loi en recherchant les exceptions qui ne concernent qu'un très petit nombre de personnes, mais quand on parle des 200 000 personnes concernées pour la période d'avant 1951, elles ne veulent même pas en parler.

Je pense que la juge Masse trouverait cette situation scandaleuse.

Le sénateur Doyle : Pourquoi la juge Masse ne dénonce-t-elle pas cette situation, justement, et pourquoi ne souligne- t-elle pas clairement les obligations du gouvernement dans ce dossier?

Mme Palmater : Ce n'est pas à la cour de ramener le gouvernement à l'ordre quant à l'application de la loi. La Cour espère de bonne foi que le gouvernement se penchera sur la question, conclura qu'il y a bel et bien discrimination fondée sur le sexe, et déterminera qu'il doit y remédier.

Les tribunaux ne devraient pas légiférer, mais nous nous trouvons dans une situation où c'est exactement ce qui va se passer, alors que la juge Masse semble envisager le dépôt d'une autre motion visant un autre retard, car nous sommes encore bien loin de ce que prévoyait le jugement.

Le sénateur Doyle : La ministre viendra nous voir dans les prochains jours, et nous aurons l'occasion de lui poser des questions concernant les nombreux problèmes constatés dans le projet de loi. Si vous deviez poser les questions à notre place, que demanderiez-vous à la ministre au sujet du projet de loi?

Mme Palmater : Pourrais-je faire cela?

Le sénateur Doyle : Non.

Mme Palmater : Dommage. Je ne lui poserais probablement pas de questions parce que je connais les réponses. Comme j'ai travaillé aux Affaires indiennes et à la Justice, je sais comment cela se passe dans ces ministères. Il s'agit de limiter le nombre d'Indiens pour économiser. Ce ne serait donc pas la raison. Je viserais davantage une directive qui ferait en sorte que la loi respecte fondamentalement le principe de l'égalité entre les sexes.

Je pourrais lui demander ce qu'elle fera si le Sénat décide de ne pas passer à la deuxième étape, et si le seul résultat est une autre motion pour un retard. Je lui demanderais de m'envoyer les amendements qui indiquent comment l'on remédiera à tous les cas de discrimination fondée sur le sexe qui ont été relevés. Pourquoi n'avons-nous pas devant nous un document contenant les amendements suggérés et précisant la façon dont l'alinéa 6(1)a) et les amendements de Descheneaux que nous proposons s'appliqueraient de concert? Pourquoi n'avons-nous pas un tel document? Nous devrions l'avoir. Ce devrait être une option, mais ce n'est pas le cas. Le gouvernement vous redonne exactement la même chose.

Je lui demanderais, pourquoi nous redonnez-vous exactement la même chose dont nous vous avions demandé de vous débarrasser?

Le sénateur Sinclair : Madame Palmater, vous devrez apprendre à y mettre un peu plus de passion quand vous vous exprimez. Votre intervention devient un peu ennuyeuse. En passant, je tiens à vous remercier de votre présentation à toutes les deux. Je vous écoute toujours avec beaucoup d'intérêt.

J'aimerais vous poser quelques questions que j'ai posées aux derniers témoins, et vous étiez ici à ce moment-là. D'abord, jugez-vous qu'il est nécessaire de fixer une proportion minimale?

Mme McIvor : Je ne répondrai pas. Je me contenterai de hocher la tête.

Le sénateur Sinclair : Si vous hochez la tête, cela signifie donc que vous ne pensez pas que ce soit nécessaire.

Mme Palmater : Absolument pas. Il est raciste de nous imposer une proportion minimale de sang indien ou même d'établir la notion de proportion minimale de sang indien.

Le sénateur Sinclair : Madame McIvor, puisque vous ne voulez pas en parler, peut-être que Pamela peut répondre à ma question. Elle concerne la date limite de 1951. Pourriez-vous expliquer aux membres du comité comment vous voyez l'impact de la date limite de 1951 de nos jours sur les personnes qui veulent être inscrites et dont l'ancêtre de sexe féminin a été émancipée avant 1951.

Mme Palmater : En ce qui concerne l'impact, personnellement, j'ai huit sœurs et trois frères. Une de mes sœurs ne peut être inscrite, même si nous sommes tous inscrits, parce qu'elle est née avant 1951. Nous avons exactement les mêmes origines, mais elle ne peut être inscrite en raison de cette date limite.

Il y a environ 200 000 personnes, ou un peu moins, dans le même cas. Le ministère de la Justice a les chiffres exacts, et vous devriez en fait leur demander de vous les communiquer. Toutes ces personnes ne peuvent donc être inscrites simplement en raison de cette date limite, et non parce qu'elles n'ont pas l'ascendance requise ou parce qu'elles n'ont pas la même ascendance que les autres personnes qui font partie de leur arbre généalogique.

Le sénateur Sinclair : Dans la décision rendue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire McIvor, les juges de la Cour d'appel ont fait remarquer qu'il n'était pas nécessaire de remonter aussi loin. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?

Mme Palmater : Ce n'est pas la première fois que nos tribunaux canadiens ont tort, sinon il n'y aurait pas eu d'amendements au projet de loi C-31, parce que la Cour suprême du Canada soutenait que la déclaration des droits et les lois ne garantissaient pas nécessairement l'égalité entre les sexes, et les Nations Unies l'ont ramenée à l'ordre. Il y a donc eu le projet de loi C-31.

Nous revivons le même scénario, alors que la Cour suprême du Canada ne veut pas entendre l'affaire, mais c'est maintenant aux Nations Unies que le Canada continue d'essayer de repousser l'échéance.

Le fait est que la cour a déclaré qu'il y avait bel et bien discrimination. Elle a simplement dit que le Canada n'avait pas à faire quoi que ce soit. C'était au Canada de décider ce qu'il fallait faire. Mais il n'était pas tenu de donner suite au jugement.

Vous n'êtes pas tenu de sauver une personne de la noyade, mais si vos principes vous disent que nous sommes tous égaux, hommes et femmes, et qu'il est question de se réconcilier et de s'attaquer aux causes profondes des assassinats et des disparitions de femmes autochtones, et de toutes les choses horribles qui ont été infligées aux femmes autochtones, et pour essayer de se débarrasser d'elles, il me semble qu'aux fins d'une véritable réconciliation, le gouvernement canadien devrait non pas écouter uniquement ce tribunal, mais se fonder sur le jugement Descheneaux, qui dit autrement. Il devrait s'en remettre aux rapports des Nations Unies, qui disent le contraire, s'il tient tant que cela à la réconciliation et s'il veut continuer de dire qu'il n'y a pas de relation plus importante pour lui que celle qu'il entretient avec les peuples autochtones. À moins que le gouvernement ne parle que de sa relation avec les hommes autochtones?

Le sénateur Sinclair : Peut-être pouvez-vous expliquer cela, car j'ai du mal à comprendre pourquoi vous mettez autant l'accent sur les personnes qui veulent être inscrites ou avoir le droit d'être inscrites en vertu de l'alinéa 6(1)a) et passez toutes les autres catégories sous silence. Quelle différence cela fera-t-il selon vous?

Mme Palmater : Cela fait une énorme différence en pratique dans les collectivités. C'est l'équivalent de porter une lettre écarlate. Donc, selon la catégorie dans laquelle vous êtes inscrit, les gens peuvent savoir que vous n'étiez pas marié lorsque vous avez eu vos enfants, que vous étiez un enfant illégitime, que vous êtes une personne traîtresse qui s'est mariée avec une personne non autochtone et qui veut maintenant ravoir son statut. Tous ces stigmates, en raison de la colonisation et de la discrimination que le Canada a perpétuée, équivalent littéralement à des lettres écarlates. Associer une personne au projet de loi C-31 équivaut à l'injurier. Et c'est encore pire pour le projet de loi C-3. Pour ce qui est du projet de loi S-3, tout d'abord, nous ne savons même pas dans quelle catégorie une personne serait inscrite, mais nous savons tous déjà que l'insulte sera encore pire que pour les deux autres projets de loi.

En réalité, la distinction n'est pas nécessaire. Les programmes et les services fédéraux, ainsi que les paiements par habitant versés aux bandes sont effectués en fonction du registre des Indiens, et non selon que vous êtes inscrit en vertu de 6(1)a) ou de 6(2). L'argent va aux Indiens inscrits. Le ministère des Affaires autochtones n'a donc aucune justification en loi d'établir toutes ces catégories de statut. Le statut devrait en fait être un statut établi aux fins des programmes et des services, à moins qu'il n'y ait autre chose en jeu.

Je dirais rien de moins que la capacité d'administrer des programmes et des services, c'est un objectif législatif valable, mais le fait de diviser les personnes en catégories et de causer ces problèmes, cela ne sert à rien. Cela ne sert aucun objectif législatif valable pouvant être justifié.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Bienvenue. Si ce projet de loi est adopté, ma crainte concerne les bandes des Premières Nations qui ont leur propre citoyenneté, à savoir si elles devront accepter que ces femmes soient réintégrées au sein de la bande?

Mme McIvor : Lorsque la loi a établi une distinction entre l'appartenance et le statut en 1985, elle a donné aux bandes deux ans pour mettre en place leurs codes d'appartenance. Le gouvernement a exigé que les femmes qui s'étaient mariées avec un non-Autochtone obtiennent l'appartenance à la bande, mais les personnes relevant de toutes les autres catégories établies dans le projet de loi ont dû attendre deux ans. Donc, dès que la bande avait mis en place son code d'appartenance, c'est ce dernier qui déterminait si une personne appartenait à la bande ou non.

Je ne vois pas de différence. Si un code d'appartenance est en place, alors si une personne qui est inscrite est admissible, elle appartient à la bande. Sinon, elle ne peut appartenir à la bande.

Mme Palmater : Je suis d'accord avec Sharon. Comme nous parlons d'avant 1985 et donc, avant que les bandes aient pu adopter leurs propres codes d'appartenance, il y avait discrimination fondée sur le sexe avant 1985, y compris avant 1951.

Il faudrait inscrire les personnes nées avant 1951 aux fins de l'inégalité entre les sexes, mais en leur refusant l'appartenance, vous les privez encore de leurs droits. Depuis 1985, les bandes ont la possibilité d'établir leur propre code. La majorité d'entre elles ne le font pas, mais chez celles qui le font, il serait intéressant de signaler qu'il existe différents types de codes d'appartenance à la bande, et que la majorité d'entre elles choisit une règle fondée sur un parent, c'est-à-dire une pure règle de succession héréditaire.

Si vous cherchez des preuves des principes observés par les bandes, il suffit d'examiner leurs codes d'appartenance.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Nous parlons du projet de loi S-3, mais si une bande décidait aujourd'hui de créer sa propre citoyenneté? Cela pourrait-il se produire?

Mme Palmater : Oui, pourvu qu'elle respecte les règles prévues à l'article 10 relativement à la tenue d'un référendum et qu'elle soumette son projet au Parlement.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Si ce projet de loi était adopté, ces bandes ne seraient pas tenues d'accepter quelqu'un en leur sein, c'est exact?

Mme Palmater : Cela dépend de la façon dont la loi est rédigée.

La sénatrice McPhedran : Je tenais à vous remercier toutes les deux et je voulais aussi poser une question au sujet de la technologie. Ai-je bien vu qu'au tout début de la présentation de Mme McIvor et de Mme Palmater, nous avons perdu le lien vidéo?

La présidente : Nous n'avons pas réussi à établir un lien. Il était intermittent. Nous n'avons pas pu établir un lien avec succès.

La sénatrice McPhedran : Nous n'avons donc pas d'enregistrement vidéo de leur témoignage?

La présidente : Non, seulement la vidéoconférence.

Le sénateur Patterson : Nous devions accueillir un témoin sur vidéo que nous n'avons pu recevoir. La preuve audio est consignée dans la transcription.

La sénatrice McPhedran : C'est une vidéo enregistrée comme d'habitude?

La présidente : Oui.

La sénatrice McPhedran : Excellent. Je ne voulais pas qu'il n'y ait plus de trace de vos présentations.

Après ce soir, resterez-vous en contact avec nous? Nous enverrez-vous les amendements que vous apporteriez?

Mme Palmater : Pour ma part, je peux soumettre de nouveau la présentation écrite que j'ai soumise au cours du premier tour, et qui renferme toutes mes recommandations et toutes leurs répercussions, et nous avons également soumis le projet d'amendement de l'alinéa 6(1)a). Nous pouvons soumettre de nouveau ces deux documents, si vous le voulez, ou peut-être y avez-vous encore accès?

La sénatrice McPhedran : Nous avons tout cela. Puis-je préciser ce soir que rien n'a changé entre la dernière présentation et celle d'aujourd'hui en ce qui concerne les modifications à apporter au projet de loi S-3 que vous recommandez?

Mme Palmater : C'est exact.

Mme McIvor : En fait, rien n'a changé depuis le projet de loi C-3. Ils ont fait la même chose avec le projet de loi C-3. Une partie du texte rédigé est ressortie de la décision de la juge Ross, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l'affaire McIvor.

Mme Palmater : Nous pouvons également inclure ce document dans lequel l'actuelle ministre Jody Wilson- Raybould indiquait que la date limite de 1951 était un cas de discrimination fondée sur le sexe, et qu'il fallait y remédier. J'estime qu'il est important.

La présidente : Tout cela sera déposé devant le comité et sera distribué aux membres. Je vous en remercie.

Ainsi prend fin la période des questions des sénateurs. Au nom de tous les sénateurs, je remercie nos témoins ce soir, Pamela Palmater et Sharon McIvor. Vous avez offert une contribution très concise, claire et passionnante au comité, et sur ce, nous allons lever la séance.

(La séance est levée.)

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