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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 23 - Témoignages du 30 mai 2017


OTTAWA, le mardi 30 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 6, dans le cadre de son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui assistent à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qu'ils soient ici dans la salle ou encore nous regardent sur Internet. J'aimerais reconnaître, aux fins de réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées des peuples algonquins. Je m'appelle Lillian Dyck et je suis présidente du comité. C'est à la fois un honneur et un privilège. Je viens de la Saskatchewan.

J'invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant par notre vice-président.

Le sénateur Patterson : Je m'appelle Denis Patterson et je viens du Nunavut. Bonjour.

Le sénateur Tannas : Je suis Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Raine : Je suis Nancy Greene Raine, et je représente la Colombie-Britannique.

Le sénateur Doyle : Je suis Norman Doyle, de Terre-Neuve.

Le sénateur Manning : Je m'appelle Fabien Manning, et je viens de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, de Montréal, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.

Le sénateur Watt : Je suis Charlie Watt de Nunavik.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.

La présidente : Merci, chers collègues.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude sur ce à quoi pourraient ressembler les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis au Canada. Nous commencerons notre étude en consacrant quelques séances à l'histoire et aux sujets qui ont fait l'objet d'études et de discussions, et nous accueillons aujourd'hui deux experts dans le domaine de la relation historique entre la Couronne et les Premières Nations dans les Maritimes. Notre deuxième témoin arrivera bientôt. Nous avons ici dans la salle le professeur William Wicken du Département d'histoire de l'Université York. Marie-Pierre Bousquet, professeure titulaire et directrice du Programme en études autochtones de l'Université de Montréal, arrivera bientôt.

Ce sera donc M. Wicken qui ouvrira le bal. Je vous demanderais de faire une déclaration d'environ 10 minutes, après quoi nous entendrons notre deuxième témoin. Les sénateurs poseront ensuite des questions.

William Wicken, professeur, Département d'histoire, Université de York, à titre personnel : Mesdames et messieurs, bonjour. Je ne suis pas trop sûr de ce que vous attendez de moi. Je sais que vous voulez que je vous parle de l'histoire des peuples indigènes ou autochtones des Maritimes et de la Couronne britannique. Je devrais vous dire d'emblée que je suis professeur d'histoire, mais je fournis beaucoup d'expertises. Cela veut dire que j'ai été appelé de nombreuses fois, soit 17, pour témoigner dans le cadre de diverses causes constitutionnelles qui portaient sur les peuples autochtones.

À la base, comme vous le savez bien, il y a l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Depuis 1993, j'ai presque toujours témoigné dans le cadre d'affaires concernant les Maritimes, mais également l'affaire Daniels, dont a été saisie la Cour suprême en 2016. Bien sûr, à chaque procès, j'ai fourni mon témoignage, y compris divers documents et mon interprétation de ces documents. Dans bien des cas, nous avions comme textes de référence les traités que les peuples autochtones des Maritimes ont signés avec la Couronne britannique au XVIIIe siècle.

Comme vous le savez peut-être, six grands traités qui ont été signés par les peuples indigènes des Maritimes, à savoir les Micmacs, les Malécites et les Pescomodys, pendant cette période allant de 1725 à 1779.

Ce sont des documents d'importance critique pour ce qui est de la façon dont les peuples autochtones des Maritimes, c'est-à-dire les Micmacs, les Malécites et les Pescomodys, se perçoivent, ainsi que de leurs rapports avec la Couronne. Ces peuples voient dans ces textes la base de leurs rapports avec le gouvernement du Canada ou les provinces du Nouveau- Brunswick, de la Nouvelle-Écosse ainsi que de l'Île-du-Prince-Édouard, et les autres gouvernements provinciaux.

Ce que je devrais peut-être faire, cependant, c'est vous en parler un peu. Nous ne savons pas grand-chose sur les discussions qui ont entouré ces traités. Nous savons que ces traités existent. Nous savons que la Couronne britannique a fait des promesses, mais l'histoire et l'analyse historique s'avèrent souvent opaques. Les choses ne sont pas claires. Nous n'avons pas de fenêtre qui nous permettrait de regarder et dire : « Voici le passé. » Le passé n'est pas limpide; il est flou. Le passé, c'est quelque chose qui nous est reflété, ce qui fait qu'il est très difficile pour nous de comprendre ce qui s'est produit au XVIIIe siècle.

Il faut retenir, toutefois, ce qui suit concernant les traités conclus entre 1726 et 1779 : à la base, il y a le traité de 1726, dans lequel la Couronne britannique fait des promesses aux Micmacs, Malécites et Pescomodys. On pourrait dire qu'il fait la loi aux toutes limites de l'empire. C'est le moyen dont s'est servie la Couronne britannique pour tenter d'intégrer les peuples autochtones des Maritimes au régime de common law en établissant un ensemble de lois qui gouverneraient leurs relations à partir de ce moment-là et dans l'avenir.

Comme vous le savez probablement, en 1726, la Nouvelle-Écosse comptait seulement 300 personnes qui parlaient anglais. Il y avait 5 000 Acadiens francophones, mais avec la reddition de l'Acadie à la Couronne britannique en 1713, les Britanniques ont été tenus d'établir des relations avec les peuples autochtones, chose peu facile, voire ardue. Comment concilier leur volonté de s'établir et de coloniser la région avec les intérêts des habitants indigènes? Sur quelle base fallait-il procéder? Ils voyaient donc les traités comme un moyen qui leur permettrait de le faire.

Comme je l'ai dit avant, les traités sont devenus la loi aux limites de l'empire britannique, afin d'intégrer ces peuples au régime de la common law. Mais c'était un processus mutuel, car chaque partie devait comprendre en quoi consisteraient les relations, à la fois à l'époque et dans l'avenir.

À compter de 1779, il y a eu le problème de l'immigration des Loyalistes après la Révolution américaine, entre 1776 et 1783. Au-delà de 1783, on assiste à une marée d'anglophones venant aux Maritimes, ainsi qu'aux régions qui sont maintenant devenues le Québec et l'Ontario.

Cette migration a changé fondamentalement la dynamique qui existait jusqu'alors entre les peuples autochtones et la Couronne britannique. Ce lieu que nous appelons maintenant le Canada est devenu un refuge et une terre d'établissement dont se servirait désormais l'Empire britannique pour reprendre la nouvelle République américaine et la réintégrer à l'Empire britannique. Cette tentative, un échec, a bien sûr pris fin avec la guerre de 1812.

Pour les peuples autochtones des Maritimes, le problème était qu'avec le temps, ils ont été envahis par une nouvelle vague de colons. Les traités, qui avaient servi de base à leurs relations avec la Couronne britannique, ont été relégués aux oubliettes. On les a carrément oubliés. C'est ce que nous dirions. On les a oubliés, même la Couronne.

À partir de 1783, on voit donc une série de pétitions et d'arguments avancés par les Micmacs, les Malécites et les Pescomodys, sur les traités, qui indiquent : « Ces traités ont un sens pour nous. Voici ce qu'ils disent. »

Mes propos sont peut-être vagues, mais ce que j'essaie de dire, c'est que les peuples ont commencé à voir les traités comme des documents fondateurs, comme nous voyons l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ou notre Loi constitutionnelle de 1982. La Déclaration des droits américaine et les 10 premiers amendements à la Constitution américaine sont sans cesse interprétés et réinterprétés dans un contexte moderne.

De 1794 jusqu'aux années 1960, les Micmacs et les Malécites ont commencé à voir les traités de la même façon.

Ce que je me demande, et tout le monde devrait se poser la même question, c'est pourquoi ces peuples se sont souvenus de ces traités qui ont été signés au XVIIIe siècle? Pourquoi s'en sont-ils souvenus jusqu'au XXe siècle? Pourquoi continuer à y tenir? Pourquoi ne pas tout simplement les oublier? Ma thèse est la suivante : les Micmacs, les Malécites et les Pescomodys ne se sont jamais intégrés aux classes ouvrières ni au secteur agricole commercial des Maritimes. Jamais. Ils ont été tenus à l'écart sur le plan économique, politique, culturel et juridique.

Dans bien des cas, les réserves n'ont pas été créées avant les années 1840 et 1850, période qui a été marquée par le mouvement de réforme de la classe moyenne en Grande-Bretagne et en Ontario, ainsi que dans d'autres régions de l'Amérique du Nord britannique. Ces réserves étaient situées sur des terres d'une valeur économique marginale, ce qui fait qu'il était impossible pour ces peuples autochtones de participer sur un pied d'égalité à l'économie coloniale grandissante. Voilà le problème. Ces peuples se sont retrouvés non seulement marginalisés sur le plan économique, mais également isolés, ce qui fait qu'il leur était difficile de vivre, de survivre et de prospérer.

À la fin du XIXe siècle, alors qu'une période de dépression importante marquait l'Amérique du Nord entre 1873 et 1896, nous constatons dans ces communautés une pauvreté grandissante et des taux supérieurs à la moyenne pour ce qui est de la mortalité infantile et juvénile, ainsi que ce que nous appellerions des taux de fécondité plus faibles. Il y a donc eu une baisse de la population au début du XXe siècle.

Je reviens à ma dernière question : pourquoi ces peuples se sont-ils souvenus des traités? Pourquoi les percevaient-ils comme étant des documents fondateurs? Pourquoi ont-ils agi de la sorte? Je répondrais que c'est parce qu'ils ont commencé à se créer une identité politique, juridique et culturelle au moyen de ces traités, alors que d'autres au Canada ont commencé à s'associer à l'État canadien et à s'y identifier. C'était vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, à l'aube du mouvement féministe, avec les femmes qui demandaient le droit de suffrage, une émancipation qui a été offerte à d'autres groupes. Plus récemment, nous avons entendu dire que Vimy était en fait le lieu de naissance de la nation canadienne et, encore une fois, de l'identité canadienne.

À cette même époque, alors que des événements marquants se produisent et que les gens commencent à s'identifier comme étant Canadiens, les peuples micmacs, malécites et pescomodys se perçoivent d'une façon très différente. Ils ne se voient pas tellement comme des Canadiens, mais comme des peuples liés à un traité et ayant une relation avec la Couronne britannique qui est différente et distincte.

Ils le font parce que, comme je l'ai avancé, leur syntaxe est différente, leurs vêtements sont usés et leur peau est mate. Lorsque ces gens quittent leurs réserves, ils ont de la difficulté à se faire accepter et à s'intégrer à cette société canadienne élargie. Les traités deviennent donc un moyen qui leur permet peut-être de prospérer, s'ils exercent des pressions sur le gouvernement et les tribunaux afin d'établir une économie à laquelle ils pourront participer sur un pied d'égalité avec d'autres Canadiens.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Wicken.

Notre deuxième témoin est arrivé. Merci beaucoup. Si j'ai bien compris, vous avez été retardée par la circulation. Soyez la bienvenue. Madame Bousquet, vous pourrez faire une déclaration de 10 minutes, après quoi les sénateurs poseront des questions.

Marie-Pierre Bousquet, professeure titulaire et directrice, Programme en études autochtones, Université de Montréal, à titre personnel : Merci beaucoup. Voulez-vous que je parle en français ou en anglais?

La présidente : Vous pouvez parler en français. Nous avons un service d'interprétation.

Mme Bousquet : Ma langue maternelle est le français. Tout d'abord, pardonnez-moi mon retard. J'ai été coincée dans la circulation. La première chose que j'ai apprise en arrivant à Ottawa ce matin, c'est qu'il y a eu un accident grave. Je suis désolée.

Quel genre de déclaration voulez-vous que je fasse? Voulez-vous que je présente mon travail, ou encore un sujet particulier?

La présidente : Une déclaration sur votre travail et sur le sujet de l'étude du comité, car nous cherchons une façon d'avancer, compte tenu de l'histoire.

[Français]

Mme Bousquet : J'ai travaillé sur beaucoup de sujets différents. On peut dire que mon travail est véritablement fondé sur des recherches sur le terrain. Donc, je m'intéresse beaucoup moins aux archives et beaucoup plus à interroger les aînés et les autres personnes. Je m'intéresse énormément à l'histoire orale pour obtenir le point de vue des Amérindiens avec qui je travaille. Je travaille principalement avec les peuples algonquins et, en particulier, avec les Anishinabeg.

Comme vous le savez peut-être, les Anishinabeg sont partagés entre le Québec et l'Ontario au moyen d'une frontière qui n'a pas vraiment de sens pour eux. Ils ont souffert de l'imposition de cette frontière qui, non seulement les a divisés sur le plan linguistique, puisqu'il y a trois langues véhiculaires chez les Anishinabeg, soit le français, l'anglais et l'anishinabemowin qui existe encore, mais également sur le plan politique puisque, pendant très longtemps, ils ont été tributaires du fait qu'ils étaient répartis sur deux provinces. Pour vous donner un exemple, un des groupes anishinaabe a longtemps été classé comme ojibwé par le gouvernement fédéral et ne pouvait donc partager les revendications territoriales des Anishinabeg que l'on appelait auparavant les Algonquins, puisqu'ils n'étaient pas considérés comme faisant partie du même groupe. Or, « anishinaabe » est un terme plus large qui signifie « les vrais hommes » et « les vrais êtres humains », et ils ne se reconnaissaient pas cette différence qui leur était imposée par la politique.

J'ai travaillé sur de nombreux sujets, et celui qui m'a occupé le plus ces dernières années est le colonialisme bureaucratique. Les Amérindiens n'ont pas été soumis par la loi ni colonisés par les armes, mais c'est une manière d'imposer une hégémonie d'une autre façon. Pour vous donner un exemple, à votre naissance, au Canada en particulier, vous avez besoin d'un prénom, d'un nom et d'un lieu de naissance pour être enregistré, sinon vous n'existez pas. Vous ne pouvez pas être vacciné, vous ne pouvez pas aller à l'hôpital ni être inscrit à l'école. Bref, vous devez avoir une existence légale. Or, la majorité des Amérindiens, si ce n'est tous, naissaient dans des lieux qui n'étaient pas répertoriés sur les cartes, enfin sur les cartes des gouvernements, et ils n'avaient pas de nom de famille. Donc, les missionnaires, les agents des Affaires indiennes et la Compagnie de la Baie d'Hudson leur en ont créé un.

Porter un nom, c'est très important dans une identité, et je connais des personnes qui ont quatre noms : un nom de famille créé par les missionnaires, un nom de famille créé par les agents des Affaires indiennes, un nom de famille qu'ils ont créé eux-mêmes, selon ce qui leur paraissait le plus normal, et un nom de famille créé par la Compagnie de la Baie d'Hudson. Quatre noms de famille, c'est beaucoup et, pour demander un passeport, c'est extrêmement compliqué, parce que vous n'avez droit qu'à un seul nom de famille.

J'ai énormément travaillé sur ce dossier, et cela fait partie de mes travaux sur le colonialisme bureaucratique et sur les pensionnats indiens, particulièrement au Québec. C'est un sujet qui me tient à cœur et sur lequel je n'ai jamais cherché à travailler, puisque ce sont les anciens pensionnaires, les survivants qui m'en ont parlé spontanément et qui m'ont fait l'honneur de me transmettre leurs récits, que j'analyse et que j'essaie de comprendre. Donc, je travaille sur cette histoire, ce « crime national », comme il a été décrit par de nombreux auteurs, non seulement pour rapporter les récits des survivants, mais également pour les transformer en une mémoire collective qui peut faire partie de l'histoire commune de notre pays.

[Traduction]

La présidente : Je remercie les témoins. Nous commencerons une série de questions, et le vice-président posera la première question.

Le sénateur Patterson : Je remercie les témoins. Je m'adresserai tout d'abord au professeur Wicken.

Je vous remercie de votre déclaration claire et éloquente. Elle m'a beaucoup aidé à comprendre la situation des peuples autochtones dans le Canada atlantique.

J'aimerais tout d'abord répondre à votre première question rapidement, à savoir ce que nous allons faire dans le cadre de notre étude. Le comité fait une étude précisément sur le sujet auquel vous avez fait allusion dans votre déclaration, c'est-à-dire comment nous définissons maintenant les relations entre les peuples autochtones et le Canada, que le gouvernement fédéral actuel a désignées une priorité. Comment pouvons-nous redéfinir ces relations d'une façon qui permet à la population canadienne élargie, au gouvernement et aussi aux peuples autochtones d'avancer?

Vous m'avez fait comprendre qu'il est très clair que les peuples micmacs, malécites et pescomodys sont devenus, et demeurent dans une grande mesure, j'en suis sûr, marginalisés et écartés de la population élargie, ce qui vaut pour bon nombre de nos communautés autochtones. On leur a donné des terres pauvres et ils ont souffert sur le plan économique. Ces peuples cherchent toujours à régler le problème du non-respect du Canada des traités. Ils se souviennent encore des traités. Ils voient le respect des termes des traités comme une façon de lier le Canada aux actions de la Couronne britannique.

Si j'ai bien résumé votre déclaration, pensez-vous qu'aujourd'hui, alors que nous cherchons des réponses, à savoir comment concilier, comment faire participer, comment créer de nouvelles relations, pensez-vous que la réponse se trouve surtout dans les traités, qu'il faudrait réactualiser dans un contexte moderne? Est-ce la clé pour forger de nouvelles relations dans le Canada atlantique?

M. Wicken : C'est une excellente question, et comme tout universitaire, je vous dirais que la réponse est complexe. Bien sûr, je ne suis pas concerné par le processus politique.

En Nouvelle-Écosse, et le sénateur Christmas pourra vous en dire plus, après l'affaire Donald Marshall, Jr., qui a été entendue par la Cour suprême en 1999, dans le cadre de laquelle j'ai fourni une expertise, on a vu le début d'un processus. Nous avons revendiqué, et je dis bien « nous », parce que j'étais le témoin expert dans l'affaire Marshall et dans les affaires qui en ont découlées en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick; à savoir, les affaires Josh Bernard et Stephen Marshall, les deux ayant été entendues par la Cour suprême en 2005.

Suivant les jugements, les Micmacs de la Nouvelle-Écosse ont pu faire participer la province et le gouvernement fédéral à ce que nous appelons le programme de l'Initiative des droits des Mi'kmaq. Cette initiative a comme principe d'utiliser les traités comme moyen de rétablir ou de reconstituer la relation entre les gouvernements et la population indigène. En Nouvelle-Écosse, et encore une fois le sénateur Christmas pourra vous en parler, il y a une autorité très solide de l'éducation des Micmacs qui est en mesure de communiquer efficacement avec les ministres provinciaux sur l'intégration de l'histoire des traités au système scolaire primaire et secondaire de la Nouvelle-Écosse.

Ce sont toutes des étapes positives. Au fur et à mesure que nous avançons, nous devons nous souvenir qu'il ne s'agit pas seulement de faire participer la population indigène, mais également la population non indigène. C'est absolument critique.

Alan Cairns, expert constitutionnel, a écrit un livre il y a quelques années déjà qui s'appelle, il me semble, Citizens Plus. Dans ce livre, il commente et critique le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones qui a revendiqué l'établissement de 40 à 80 nations distinctes au pays. Il a posé la question suivante : Comment pouvez-vous, comment le gouvernement peut-il concilier cette relation avec un organisme politique, une population non autochtone, qui s'identifie à l'État canadien? Comment le faire? Comment peut-on avoir des nations distinctes qui dépendent de l'État canadien sur le plan économique et politique, en les rendant distinctes? Je crois que c'est un processus fort difficile. Il se peut que je m'exprime mal, mais à mon avis, c'est un problème.

À ce sujet, quand je pense à la Nouvelle-Écosse et à l'initiative portant sur les droits des Mi'kmaq ainsi qu'à l'orientation à prendre et aux 13 chefs mi'kmaq là-bas, ce que je dis, c'est : « Comme vous êtes unis! » Ils comprennent que, pour y arriver, il faut en fait un programme d'éducation qui dit à nos jeunes qui nous sommes, ce que nous faisons et les raisons pour lesquelles nous trouvons que ces traités sont importants. Sans ce processus d'éducation, cela ne fonctionnera pas. Il faut le soutien de la population non autochtone.

Au Nouveau-Brunswick, c'est une tout autre affaire parce que c'est une province pauvre, probablement la deuxième plus pauvre au pays sur le plan des paiements de péréquation. Les écoles ferment, les palais de justice ferment, on coupe dans l'éducation en matière de santé. Le gouvernement actuel du Nouveau-Brunswick essaie d'attirer des investissements pour résoudre sa situation économique. Cependant, au Nouveau-Brunswick, il y a aussi six bandes de Malécites et, si je ne me trompe pas, neuf bandes ou collectivités mi'kmaq. Ces gens sont donc divisés sur les plans politique, culturel et linguistique. Il est très difficile d'après moi pour ces collectivités de se réunir afin de s'occuper de la relation avec le gouvernement provincial et avec le gouvernement fédéral. Il n'y a pas de processus semblable là-bas, et c'est problématique.

J'ai passé les quelques dernières années à travailler surtout au Nouveau-Brunswick, et je suis déçu — comment dire — des rapports avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick et avec le gouvernement du Canada, et je suis déçu aussi pour les collectivités individuelles. Je ne sais trop comment le dire, car il n'y a que certaines choses que je puis dire, mais c'est un processus difficile, et le gouvernement provincial lui-même n'a pas la capacité bureaucratique nécessaire de s'attaquer aux problèmes complexes auxquels il fait face à cause des lois fédérales et des arrêts de la Cour suprême. C'est aussi le cas des collectivités autochtones individuelles.

Je parle probablement trop longtemps, mais je veux vous donner un exemple. Dans une série de décisions rendues entre 2004 et 2010, la Cour suprême du Canada a introduit l'idée de l'obligation de consulter. Si des aménagements prévus sont susceptibles d'avoir des répercussions sur les droits ancestraux et issus de traités, les gouvernements du Canada et de la province ont l'obligation de consulter les collectivités autochtones touchées. Au Nouveau-Brunswick, le résultat de cela, d'après ce que je comprends, c'est que chaque ministère provincial devait consulter chaque collectivité individuelle au sujet de tout aménagement en cours dans la province. Ni le gouvernement ni les collectivités autochtones individuelles n'avaient la capacité de gérer cela, ce qui fait que tout le monde était débordé. Il y a un processus, mais il s'accompagne d'un degré de complexité difficile à gérer.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. Vous connaissez les universitaires : nous entrons vraiment dans les détails. Je suis désolé.

Le sénateur Patterson : Non, c'est excellent. J'ai une brève question complémentaire qui va trahir mon ignorance. J'ai entendu parler du travail de l'Atlantic Policy Congress — le congrès des chefs des Premières Nations de l'Atlantique —, car il a été plusieurs fois porté à l'attention de notre comité quand nous étudions la question de l'éducation. Il me semble qu'il y a des progrès dans ce domaine, comme vous l'avez signalé, au moins en Nouvelle-Écosse.

Dans la recherche d'une façon d'amener les Autochtones du Canada atlantique à une nouvelle relation, est-ce que ce congrès est un véhicule important?

M. Wicken : L'Atlantic Policy Congress?

Le sénateur Patterson : Oui.

M. Wicken : Je ne le sais pas. Je vais être honnête avec vous : je ne sais pas. Je sais que j'ai eu des contacts avec eux et qu'ils m'ont interrogé, mais en ce qui concerne la situation politique actuelle et leur relation avec les collectivités individuelles, ainsi qu'avec le grand conseil des Mi'kmaq et le grand conseil des Malécites, je ne sais pas.

Le sénateur Patterson : Est-ce que le gouvernement fédéral pourrait faire quelque chose pour améliorer la situation, en particulier celle que vous avez décrite au Nouveau-Brunswick?

M. Wicken : Le gouvernement fédéral — je ne sais pas vraiment ce que je peux dire et ne pas dire ici.

Le sénateur Greene : Dites tout.

M. Wicken : Comme nous le savons, le gouvernement fédéral a la responsabilité des Indiens et des terres réservées pour les Indiens, conformément au paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Cela lui confère un énorme pouvoir, tant pour définir qui est un « Indien » et qui n'en est pas un, et les provinces — j'inclurai ici Terre- Neuve, bien sûr, car je n'ai pas vraiment parlé de Terre-Neuve — sont parfois soumises à des décisions unilatérales et arbitraires que le gouvernement fédéral prend, ce qui rend la situation difficile pour les provinces. Nous avons vu cela à Terre-Neuve avec la création de la bande sans assise territoriale, et plus récemment aussi — le processus est en cours —, au Nouveau-Brunswick, avec la reconnaissance des Pescomody comme des Indiens inscrits.

C'est un phénomène nouveau. De combien de gens parlons-nous? À Terre-Neuve, si je comprends bien — encore là, c'est du ouï-dire, alors gardez cela à l'esprit —, nous parlons d'environ 18 000 personnes. Au Nouveau-Brunswick, ce sont de 350 à 3 000 personnes qui s'ajoutent aux Indiens inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens.

Vous me demandez comment le gouvernement fédéral peut faire cela, eh bien, permettez-moi de vous dire que j'étais là avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick, pendant les discussions entre les représentants du gouvernement fédéral et du gouvernement du Nouveau-Brunswick au sujet des Pescomody, à savoir s'ils seraient définis comme des « Indiens ». C'était vraiment décourageant, car le gouvernement du Nouveau-Brunswick n'avait pas la capacité de gérer le genre d'enjeux auxquels il faisait face. C'était difficile.

En ce sens, je pense qu'il faut plus de consultation avec les provinces, car s'il y a des ajouts aux personnes qui sont définies comme des « Indiens » au Nouveau-Brunswick, à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse, ces personnes auront le droit de chasser l'orignal, ce qui crée un fardeau pour les provinces. Au Nouveau-Brunswick, si vous voulez chasser l'orignal, c'est en quelque sorte une loterie. Il y a un nombre limité de billets distribués chaque année, alors si vous avez des gens qui s'ajoutent à ceux qui ont ce droit dans la province, cela signifie que moins de personnes non autochtones auront la possibilité ou la chance de chasser l'orignal. Cela va en plus créer des tensions entre cette population non autochtone et la population autochtone. Alors que nous travaillons à la réconciliation, je pense que c'est un facteur très important. Vous pouvez voir que l'approche pratique et sensée, pour nous et pour le gouvernement, est d'encourager les relations mutuelles respectueuses entre les peuples autochtones et la population non autochtone.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous souhaite la bienvenue. J'ai plusieurs questions, mais je vais n'en poser que quelques-unes. D'abord, je réalise que nous avons déjà formé une seule nation — corrigez-moi si je me trompe — et que la frontière entre le Canada et le Maine nous a séparés. Pourquoi serait-il difficile pour la province de reconnaître les Pescomody?

Et pourquoi ne sont-ils pas libres de traverser la frontière à loisir? Je peux franchir la frontière quand je veux, mais pas eux, et ils ont des proches de mon côté de la frontière. Pouvez-vous me parler de cela?

M. Wicken : La situation est vraiment difficile. J'essaie de comprendre les deux points de vue. J'ai trouvé très intéressant de travailler parfois avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick et ensuite avec une collectivité des Premières Nations, et de voir les deux côtés du problème. Parce qu'il y a aussi, bien entendu, les chefs et le conseil qui auront peut-être une opinion très différente. Je ne le sais pas et je ne peux pas en parler. Ce que je peux dire, vu de l'extérieur, c'est que je peux comprendre que cela créerait un problème pour le ministère des Ressources naturelles. La réconciliation peut être vraiment difficile, quand les gens ont été séparés de leurs familles parce qu'il y avait la frontière entre eux, mais le gouvernement fédéral peut aider au processus. Il peut aider et faciliter les choses pour la province.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Oui, mais je ne vois pas comment cela va se régler dans un proche avenir.

Pourquoi les provinces interviennent-elles quand il est question des peuples autochtones, alors que nous relevons de la responsabilité du gouvernement fédéral? Sur le plan des compétences, c'est le gouvernement fédéral qui a la responsabilité des peuples autochtones, et non les provinces.

M. Wicken : Le gouvernement provincial a pour plusieurs aspects une obligation et une responsabilité envers la population autochtone. Par exemple, j'ai siégé à un comité d'évaluation des incidences environnementales pour ce qu'on appelle le projet Sisson.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Oui, je connais très bien ce projet.

M. Wicken : C'était un projet de plusieurs millions de dollars, et la mine devait être construite sur des terres de la Couronne dont la province avait la responsabilité.

Donc, à compter de 2009, le gouvernement provincial a entrepris de consulter les Malécites et les Mi'kmaq à propos de ce projet. À long terme, cela a été une bonne chose, car on peut ne pas être d'accord avec le projet, mais à la suite de cela, la province, le Secrétariat des affaires autochtones du gouvernement du Nouveau-Brunswick et les collectivités individuelles ont eu des discussions constantes et cohérentes à propos de cela, mais aussi à propos d'autres enjeux. Cela leur a permis de dire : « Oui, nous devons fournir du financement aux collectivités individuelles à des fins de consultation. » C'est une bonne chose. J'ai vu cette transformation se réaliser de 1993 à maintenant; la relation entre le gouvernement du Nouveau-Brunswick et ces collectivités autochtones est nettement meilleure. Elle était horrible, au début des années 1990, comme vous le savez sans doute très bien, sénatrice.

La sénatrice Lovelace Nicholas : J'ai une autre question.

Vous avez parlé des traités. Où peut-on les trouver?

M. Wicken : J'ai envoyé des exemplaires des traités de 1726 et de 1760, qui forment la véritable base, à M. Palmer, très tard hier soir. Dans votre collectivité, je crois qu'on estime que le traité de 1725-1726 est extraordinairement important comme base. Je crois aussi que c'est aussi vrai pour les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince- Édouard. Cependant, le traité de 1760 est à la base de l'arrêt R. c. Marshall de 1999.

La sénatrice Raine : Je vous remercie tout d'abord pour l'aperçu historique, car je suis de la Colombie-Britannique et que je ne connais pas l'histoire des Autochtones de l'Atlantique comme je le devrais. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser, pendant votre exposé, à un lunch que nous avons eu dans cette pièce avec des membres de la communauté samie norvégienne en visite au Canada. Cette réunion, bien qu'informelle, a représenté pour nous une belle occasion. Ils voulaient nous entendre sur les enjeux liés aux Autochtones au Canada, mais nous avons eu l'occasion de leur poser des questions sur les enjeux relatifs aux Autochtones en Norvège.

Je leur ai posé une question après leurs exposés, car la situation est très différente en Norvège. Bien entendu, c'est un bien plus petit pays et vous avez un peuple autochtone, un groupe de personnes qui vivent dans le Grand Nord. Leur système est très différent du nôtre. Vous pouvez vous déclarer vous-même sami et obtenir le droit de voter pour les représentants samis au gouvernement national.

Après les avoir écoutés, j'ai posé une question, et je pense honnêtement que c'est un peu comme maintenant le problème qu'on ne veut pas admettre. J'ai dit : « Pourquoi vous identifier comme étant sami? » Ils n'ont pas compris ce que je voulais dire. Alors je leur ai demandé : « Quels droits spéciaux obtenez-vous en vous déclarant sami? » Voici ce qu'ils m'ont répondu : « Oh, il n'y a pas de droits en conséquence de cela. Vous obtenez le même soutien social, le même soutien à l'éducation et à la santé que les autres Norvégiens. Nous avons un excellent système social, en Norvège, et nous obtenons tous les mêmes choses. »

Depuis ce jour, je me dis constamment que nous confondons les choses dans nos discussions au sujet des Premières Nations et des peuples autochtones. Il y a de la confusion dans ce qu'ils obtiennent qui pourrait être différent de ce que les personnes non autochtones obtiennent, ainsi que leur histoire, leur culture et la fierté que leur inspirent leurs racines.

J'ai demandé aux Samis : « Pourquoi vous donnez-vous le mal de vous identifier comme étant Sami? » Leur réponse : « Parce que je me suis penché sur mes origines et que je suis si fier d'être un Sami que je veux travailler avec tous les Samis pour préserver et protéger notre culture. » Leur culture est très intéressante.

Dans nos relations avec les provinces de l'Atlantique, parce que c'est là que s'est établi en premier le contact entre les Autochtones et les Européens — et je suis vraiment contente de l'aperçu historique que vous nous avez donné aujourd'hui —, si nous devions revenir en arrière ou apprendre du passé et favoriser chez les Canadiens une culture où l'on célèbre les cultures autochtones, mais où les droits sont les mêmes pour tous, est-ce un objectif que nous devrions chercher à atteindre?

M. Wicken : Voulez-vous que je réponde en premier?

Mme Bousquet : Oui, peut-être.

M. Wicken : Vous avez probablement des choses à dire aussi.

Mme Bousquet : Oui.

M. Wicken : En 1969, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau a présenté le livre blanc, et quand l'honorable Jean Chrétien était ministre des Affaires indiennes, l'idée était de se débarrasser du concept d'Indiens inscrits pour plutôt intégrer les Autochtones dans la société canadienne et faire en sorte qu'ils soient égaux devant la loi, comme les non- Autochtones.

Dans la période qui a précédé le rapatriement de la Constitution en 1982, on n'a aucunement mentionné les peuples autochtones ou les droits qu'ils pourraient avoir. Ce n'est que dans le sillage de la mobilisation, en 1969 ainsi qu'à la fin des années 1970 et au début des années 1980 que cela a été changé, avec l'alinéa 35c) dans notre Constitution de 1982. Pourquoi? Pourquoi, dans les années 1960 et encore à la fin des années 1970, les collectivités autochtones se sont-elles mobilisées? Qu'est-ce qui les fâchait?

L'un des problèmes, je pense, c'est qu'une fois que nous décidons — je ne devrais pas dire « nous », mais nous sommes les héritiers. Un jour, notre société a déterminé qu'elle ne voulait pas que les Autochtones fassent partie intégrante de notre économie, et un jour, nous avons décidé qu'il fallait construire un chemin de fer pour créer le Canada — c'était la vision de Sir John A. Macdonald, de George-Étienne Cartier et de George Brown. Le principe même derrière la Loi sur l'Amérique du Nord britannique était de bâtir une nation qui serait liée par le chemin de fer d'est en ouest. Une fois que cette décision a été prise, il était clair que les Autochtones seraient laissés de côté, car nous avions besoin de leurs terres. C'est tout simplement la réalité.

Ils ne pouvaient plus être des égaux. Il fallait les marginaliser. Il fallait les déposséder. C'était les ingrédients essentiels de la façon de penser de Sir John A. Macdonald, à tort ou à raison. Aujourd'hui, nous dirions — j'ai déjà vu cela — que Sir John A. Macdonald était raciste, n'est-ce pas? Nous avons vu cela dans nos propres médias.

Franchement, j'ai beaucoup de respect pour Sir John A. Macdonald. J'ai beaucoup de respect pour les politiciens. Il était une personne de son temps. C'est ce qu'il était, et nous ne devrions nous attendre à rien d'autre que cela.

Une fois cette décision prise à l'époque de la création du Dominion du Canada, il allait forcément y avoir des conséquences, je pense.

Alors revenir en arrière, oui, ce serait possible, je pense. Et je crois que si vous parlez aux Autochtones des provinces maritimes, ils vont dire exactement ce que vous dites, sénatrice. « Je veux être égal. Je veux toutes ces choses dont vous parlez, mais pour le moment, ce que je veux et ce qu'il me faut, c'est l'accès. » Donc, pour la nation d'Elsipogtog, ou de Big Cove, au Nouveau-Brunswick, où le chômage est répandu et où les gens sont bénéficiaires de l'aide sociale, comment pouvons-nous leur permettre de préserver leur identité culturelle pour qu'ils se sentent fiers, parlent leur propre langue et viennent à Toronto, parlent la langue mi'kmaq et soient reconnus comme tels? Comment pouvons-nous faire cela tout en les intégrant en tant que partenaires égaux dans notre économie? C'est le défi que vous devez relever.

Mme Bousquet : J'ajouterai une chose à cela. La première chose qui m'a traversé l'esprit pendant que je vous écoutais, c'est le parallèle à faire avec le Livre blanc de 1969 de Jean Chrétien. Vous avez dit que les Samis avaient droit aux mêmes services que les Norvégiens et qu'ils étaient fiers d'être Samis. J'entends beaucoup de jeunes me dire, quand je les rencontre dans leurs villages : « C'est nouveau pour nous d'être fiers de qui nous sommes, parce que la fierté autochtone revient, mais que nous avons été tellement écrasés que nous ne savions plus que nous pouvions être fiers de notre propre identité. »

Je suis très heureuse de l'entendre, parce que quand j'ai commencé à travailler dans les communautés, il y a presque 20 ans, je n'entendais rien de tel. Je travaille surtout dans des villages où les gens ont fréquenté les pensionnats, où ils ont appris à mépriser leur propre histoire et leurs propres ancêtres. Ils ont appris à mépriser leur identité, leur langue, puis ont oublié leur langue après leur retour. Ils ne savaient plus comment parler avec leurs propres parents, donc de là à être fiers... La fierté revient, mais c'est un travail de longue haleine, et nous devons faire notre part parce que nous devons tous participer à la reconstruction de cette fierté.

Ce n'est pas seulement un problème autochtone. C'est le problème de tout le monde, et je pense que la connaissance est la clé. Il faut enseigner ces connaissances partout, dans les cours d'histoire à l'école — principalement, parce que je crois beaucoup à l'école, c'est pourquoi je suis devenue enseignante —, mais aussi dans les musées et partout ailleurs où nous pouvons diffuser cette connaissance.

Comme vous l'avez dit, ils reçoivent les mêmes services. Vous avez pourtant probablement lu dans les journaux tous les scandales épouvantables qui frappent les enfants autochtones, qui ne reçoivent pas les mêmes services que les autres. Certains en meurent, et c'est un scandale dans un pays comme le Canada. Nous sommes l'un des pays les plus riches au monde; il n'est pas normal que dans certains villages, tout éloignés soient-ils, et même parfois dans des villes comme Winnipeg, qui n'est pas un endroit éloigné, des enfants n'aient pas accès aux mêmes services que les autres Canadiens, pour la simple raison qu'ils sont Autochtones.

Le jour où nous pourrons dire que tous les Autochtones ont accès aux mêmes services que les autres et qu'ils sont fiers de qui ils sont, la conversation changera peut-être un peu, mais pour l'instant, c'est loin d'être le cas.

J'essaie d'être brève, mais supposons qu'on abolisse la Loi sur les Indiens. Nous détestons tous la Loi sur les Indiens, mais qu'arriverait-il? Les Autochtones sont en situation minoritaire, de par leur nombre, premièrement, et prenons l'exemple du Québec. Ils n'ont jamais cédé leurs territoires, mais si l'on ne reconnaît pas qu'ils constituent un peuple distinct, quels seront leurs droits pour défendre leurs territoires? Il y aura tous les territoires du Québec et de certaines parties du Canada dans ce pays, parce que comment peuvent-ils s'asseoir à la même table que les autres négociateurs s'ils n'ont aucun droit? Ce n'est pas possible. Ils seront traités comme de petits maires de petites municipalités et non comme des chefs de Premières Nations dans un dialogue de nation à nation. C'est un cul-de-sac.

Je pense que tous les chercheurs, tout le monde souhaiterait voir cette loi disparaître, mais ce n'est pas si simple. Bien sûr, tous les aspects racistes de cette loi devraient disparaître, mais il faudrait remplacer les anciennes dispositions par de nouvelles qui dicteraient que les Autochtones constituent un peuple distinct, faute de quoi ils perdront tout, et ils ont déjà beaucoup perdu. Ce ne serait donc pas juste du tout, à mon avis.

Le sénateur Raine : Merci infiniment. Je vous remercie beaucoup de vos réponses, à tous les deux.

Quand j'essaie d'y voir clair dans ces questions, je ne peux m'empêcher de regarder l'exemple des États-Unis, qui ont mis en place des programmes d'action positive pour les Noirs. Et il semble que malgré qu'il demeure un grave problème de pauvreté dans les communautés noires, aux États-Unis, il y ait également beaucoup de belles réussites, en partie grâce à cette action positive. Je conviens qu'il est probablement très important, sur le plan économique, qu'ils intègrent la société générale. Et pour cela, bien sûr, il faut favoriser l'éducation.

Je comprends également les racines profondes qui lient tous les Autochtones à leurs terres, parce que ce sont leurs terres, et ce, depuis des temps immémoriaux. Tous ceux qui sont débarqués ensuite au Canada se sont déracinés pour aller s'établir dans un pays différent. Ce n'était pas un nouveau pays. Il existait déjà.

Il est très important de toujours comprendre et reconnaître, dans nos lois et nos relations, qu'on ne peut refuser aux personnes qui étaient ici avant la revendication de leurs terres traditionnelles. La plupart des Premières Nations n'ont pas cédé leurs titres fonciers autochtones au Canada. Même si elles ont signé des traités, si elles ont laissé des gens venir s'y installer, par paix et amitié, entre autres, elles n'ont jamais dit : « Nous partons. »

Il faut régler la question des terres, et les ressources qu'on en tire doivent absolument être partagées avec les peuples à qui appartiennent ces terres. Mais pour jongler avec ces deux choses différentes, à mes yeux, il ne suffit pas d'établir les programmes de services sociaux, qui ne sont qu'une solution bureaucratique de deux, trois ou quatre ans. Ils ne deviennent jamais efficaces. On utilise beaucoup de ressources pour l'administration plutôt que la prestation des services aux personnes qui en ont vraiment besoin.

Nous avons voyagé, avec ce comité, dans de nombreux endroits, et nous avons vu des choses horribles. Je ne saurais être plus d'accord avec vous, madame Bousquet, parce que je sais exactement de quoi vous parlez. Je ne me suis jamais moi-même retrouvé dans ces souliers, donc je ne peux pas vraiment comprendre, mais intellectuellement, je sais que nous ne faisons pas ce qu'il faut. Je m'inquiète du caractère limité de nos ressources. Il faut les utiliser de manière à rendre vraiment service aux personnes les plus dans le besoin.

Je vous remercie tous les deux de vos observations. Je ne sais pas si j'avais une autre question à vous poser, mais si vous le voulez bien, j'aimerais vous entendre réagir à cela : pouvons-nous séparer la question de la prestation des programmes sociaux (le logement, les services sociaux, la santé des enfants et le reste) de celle des revenus tirés des ressources, qui devraient probablement être partagés, pour que les propriétaires des terres en bénéficient? Pouvons-nous séparer ces deux questions?

M. Wicken : Vous vous aventurez dans un domaine, celui de la prestation des services sociaux, qui va bien au-delà de ma compréhension et de mes connaissances.

Pour tout ce qui concerne les terres et les ressources qu'on en tire, les communautés malécites et la plupart des communautés micmaques également, à tout le moins, considèrent l'accès aux terres fondamental. Par exemple, je pense aux Premières Nations de St. Mary, de Tobique et de Woodstock, soit celles que je connais probablement le mieux pour avoir été davantage en contact avec elles, et je sais qu'il est très important pour elles d'avoir accès aux terres de la Couronne, de pouvoir y camper, y cueillir des plantes médicinales. Elles craignent beaucoup la destruction de ces plantes sur leurs territoires.

Sénateur, je connais votre propre histoire avec Tobique. Il y a quelques années, j'ai participé à une rencontre publique, à Tobique, au Nouveau-Brunswick, où j'ai entendu principalement des femmes parler de l'importance pour elles d'avoir accès aux terres de la Couronne, qu'elles considéraient leurs. Cela m'a rappelé toute la bataille contre la discrimination découlant de la Loi sur les Indiens, dans les années 1970, et un livre magnifique qui a été écrit à l'époque sur les femmes de Tobique, sur l'histoire orale de ces femmes qui remontait à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, à une époque où elles cueillaient déjà des plantes médicinales sur leurs terres et les utilisaient. Ce n'est pas aussi présent dans d'autres communautés, et c'est bien dommage. C'est vraiment dommage, parce que je pense que notre pays sera plus riche si nous encourageons ces communautés à conserver leur propre culture et leur accès à ces ressources, si nous rendons la chose possible.

Mme Bousquet : Je respecterai les compétences différentes des divers services. Oui, on peut séparer la question du logement du reste. Si vous voulez parler des revendications territoriales, par exemple, je suis d'accord avec mon collègue.

Au Québec, la plupart des Premières Nations n'ont jamais signé de traité, la plupart. Elles essaient aujourd'hui de signer des accords, ce qui n'est pas la même chose. Elles ne disent pas « nous voulons toutes les terres pour nous », elles disent « partageons », comme c'est déjà le cas, parce qu'elles sont bien obligées de partager.

Même lorsqu'il y a des zones protégées sur le territoire, comme des aires de conservation du castor, les sociétés forestières peuvent couper du bois. Soit dit en passant, les castors doivent bien manger, donc même s'il y a une aire de conservation du castor, les castors ne sont pas contents, parce qu'ils mangent les arbres.

Disons que ce n'est pas la chose la plus importante. Le fait est que la plupart des Premières Nations qui n'ont jamais signé de traité comprennent que tout le monde doit gagner sa vie, travailler et tout et tout, que de toute façon, il y a des sociétés minières partout. Mais elles veulent un partage, leur part des revenus dans ce partage forcé.

C'est donc déjà ainsi. Elles ne demandent pas l'exclusivité; elles veulent conserver le droit de chasser sur leurs terres, de se rendre dans leurs camps de chasse sans voir des travailleurs forestiers de l'autre côté de la rivière, en train de raser tous les arbres, de creuser, de polluer. Elles veulent être consultées.

Généralement, quand les Premières Nations sont consultées, elles ne diront pas : « Nous ne voulons pas de cette entreprise ici. » Elles diront plutôt : « Très bien, nous savons que cette entreprise est probablement là pour rester de toute façon. Nous préférerions qu'elle ne creuse pas ici, qu'elle ne coupe pas les arbres là, pour protéger le territoire. » Elles essaient de trouver des compromis. Il faut les aider. La consultation va au-delà de la demande d'opinions. Les Premières Nations connaissent leurs terres, donc il faut aussi respecter leurs opinions.

La présidente : Merci. Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Patterson : Pendant que nous discutons d'économie, monsieur Wicken, auriez-vous la gentillesse de nous présenter un résumé de ce que contient l'arrêt Marshall, ainsi que de son incidence sur la pêche au Canada atlantique et sur la relation entre les peuples autochtones et le Canada?

M. Wicken : Je sais certaines choses, mais je ne sais pas tout. Je vous dirai ce que je sais et ce que j'ai entendu à ce sujet.

En Nouvelle-Écosse, à Eskasoni, se trouve la plus grande communauté micmaque de la Nouvelle-Écosse, sur l'île du Cap-Breton, et elle comprend beaucoup de porte-voix micmacs. Il y a trois ans, j'ai été invité à m'entretenir avec les chefs de la Nouvelle-Écosse sur les traités et leurs pouvoirs en matière d'éducation. Le chef d'Eskasoni est un jeune homme dans la mi-trentaine. Je lui ai demandé : « Comment l'arrêt Marshall s'est-il répercuté sur votre communauté? » Il m'a répondu : « Nous tirons environ 100 emplois. Certains de nos membres viennent tout juste de terminer de construire 23 nouvelles maisons dans les réserves. Cela découle directement de la mise en œuvre de l'arrêt Marshall, rendu en 1999. »

Je ne peux pas vous dire ce qu'il en est pour les autres communautés. Cependant, j'ai participé à une rencontre publique — ou je devrais peut-être dire qu'il s'agissait d'une rencontre communautaire, dans le cadre du processus d'évaluation environnementale auquel j'ai participé à Tobique — et les membres de la communauté s'inquiétaient de la façon dont les permis de pêche commerciale seraient utilisés dans la communauté.

Je n'en dirai pas plus à ce sujet, parce que je suis moins certain de la suite exacte des événements, mais les communautés qui ont l'expertise et les compétences bureaucratiques nécessaires pour gérer les enjeux complexes qui viennent avec les permis commerciaux semblent bien s'en tirer, d'après ce que je comprends.

L'emploi est en hausse à tel point qu'on construit des maisons à Eskasoni. « Avec une partie de cet argent, selon le chef, nous voulons créer des programmes d'immersion en micmac pour nos enfants du primaire. Nous voulons offrir une maternelle. » C'est fantastique. C'est merveilleux, parce que c'est exactement ce que vous voulez.

Cela dit, je crois que la situation n'est pas la même partout.

Le sénateur Patterson : Madame Bousquet, vous avez écrit sur la conception algonquine des enfants et du rôle de l'éducation et avez laissé entendre que le système d'éducation actuel n'est pas bien adapté aux Autochtones du Québec. Pouvez-vous nous expliquer davantage la conception algonquine des enfants et de l'éducation, et en quoi le système d'éducation du Québec ne la comprend pas bien?

Mme Bousquet : C'est une grande question. Je vais essayer de résumer ce sujet très vaste, parce que je pourrais vous en parler pendant trois heures.

Il y a une grande différence entre l'éducation scolaire et l'éducation traditionnelle, qui est toujours présente chez le peuple algonquin. Je n'aime pas dire « algonquin », en fait, parce que le véritable nom de ce peuple est Anishinabe.

Je vais vous donner quelques exemples pour illustrer mon propos. Quand j'arrive en classe, je m'attends à ce que mes élèves s'assoient, à ce qu'ils se taisent et m'écoutent, à ce qu'ils répondent à mes questions, et quand je leur pose directement une question, je veux qu'ils me répondent directement. J'aime que la réponse soit bonne, mais peu m'importe qu'elle ne le soit pas, parce que je veux savoir s'ils m'écoutent, s'ils ont leurs propres opinions et tout et tout.

C'était assez différent, et ce l'est toujours, dans les communautés traditionnelles avec lesquelles je travaille. Par exemple, on ne parle pas à moins d'être sûr d'avoir raison. Il est très difficile pour ces élèves de se tenir debout devant les autres, parce que si les autres ne reconnaissent pas leur autorité en la matière, ils n'ont pas le droit de prendre la parole devant tous. Je l'ai constaté à maintes reprises avec mes élèves autochtones. Je ne leur pose jamais de questions directes, parce que c'est extrêmement insultant pour eux et très confrontant. S'ils veulent me répondre, ils le feront. Autrement, ils ne répondent que s'ils sont certains d'avoir raison.

Par ailleurs, l'égalité est une valeur très importante, alors que le système scolaire est fondé sur le mérite. Je m'attends à ce que certains excellent et d'autres moins. Il y a une hiérarchie en classe. Cela va totalement à l'encontre de la façon algonquine de voir l'éducation. Pour eux, les enfants doivent faire leurs propres expériences; ils apprennent à leur rythme et non au rythme de la classe.

J'en ai parlé souvent avec des spécialistes de sciences de l'éducation. Je suis anthropologue. La plupart du temps, leur système alternatif est plus indiqué pour les enfants autochtones, parce que les enfants peuvent alors choisir ce qu'ils veulent apprendre. Ils peuvent suivre leur propre rythme et prendre l'initiative, ce qui se rapproche davantage du mode d'éducation des enfants.

Je vais vous raconter une expérience vécue dans certains villages où je travaille, parce que je travaille parfois avec des travailleurs sociaux et que beaucoup d'enfants arrivaient en retard à l'école. Ils disaient aux parents : « Les enfants doivent arriver à l'heure à l'école », et les parents répondaient : « Oui, mais ils savent qu'ils doivent aller à l'école. » Les parents ne sentaient donc pas qu'il était de leur devoir de dire à leurs enfants d'aller à l'école; c'était leur propre responsabilité. Nous sommes des parents, mais mon enfant n'a pas le choix. Il doit aller à l'école, parce que c'est la façon dont j'ai été éduquée.

Ils ont donc changé le système. Ils ont offert à tous les enfants un réveil matin et ont expliqué son fonctionnement en classe. Il était ensuite de la responsabilité des enfants de se réveiller à l'heure et d'arriver à l'école à l'heure. Cela a tout changé. Tous les enfants arrivent à l'heure maintenant.

Il s'agit de comprendre comment les gens ont l'habitude d'apprendre et de respecter la façon dont ils reçoivent les connaissances. Nous devons porter attention à cela, parce que cela peut faire des miracles, vraiment. J'ai vu des enfants très mauvais élèves devenir très fiers d'eux-mêmes. Ils se sont beaucoup améliorés, ils ont réussi à terminer leurs études secondaires, puis ils sont entrés à l'université, ce qui est un peu compliqué, parce qu'encore une fois, l'université est un environnement compétitif. Mais ils sont maintenant entourés d'assez d'adultes pour apprendre à composer avec cela, et il y a des services dans les universités pour les aider à s'y retrouver dans ces très grandes institutions.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

La sénatrice Pate : Je remercie infiniment les deux témoins de leur comparution d'aujourd'hui. Madame Bousquet, l'un de vos articles que nous avons reçus porte sur la violence que vivent les femmes autochtones. Vous situez la question dans le contexte des conditions relatives aux expériences de domination. Seriez-vous en mesure de nous expliquer comment la politique du gouvernement contribue à la violence commise contre les femmes, particulièrement les femmes autochtones, et quelle influence exerce la Loi sur les Indiens, s'il y en a une, compte tenu de toute la discrimination fondée sur le sexe qui découle actuellement de la Loi sur les Indiens?

Mme Bousquet : Je répondrai en français à cette question, parce qu'elle est difficile.

[Français]

Vous le savez sûrement, la Loi sur les Indiens a été modifiée plusieurs fois en ce qui concerne la situation des femmes autochtones. Lorsqu'en 1985, les femmes autochtones qui avaient perdu leur statut, à cause notamment de leur mariage avec un non-Autochtone, ont pu retrouver leur statut, elles se sont retrouvées sous le paragraphe 6(1) de la loi, et leurs enfants qui n'étaient pas nés Amérindiens, mais qui le sont devenus en 1985 ont été rangés sous le paragraphe 6(2). Ce paragraphe signifiait que si les enfants épousaient un non-Autochtone, ils ne pouvaient pas transmettre le statut à leurs propres enfants.

Cela a changé grâce aux modifications législatives de 2011, dans le cadre du projet de loi C-3, je crois. Donc, les enfants relevant du paragraphe 6(2) sont passés au paragraphe 6(1). Il est épouvantable de nommer des gens en évoquant les paragraphes d'une loi, mais c'est souvent de cette façon que les femmes expliquent la chose, parce qu'elles en dépendent. Cela fait partie de leur vie de tous les jours. En outre, je résume la situation, parce qu'il y a énormément d'exceptions très compliquées.

Donc, on a repoussé le problème d'une génération, c'est-à-dire que les petits-enfants des femmes qui relevaient du paragraphe 6(1) ne pourront pas transmettre leur statut à leur tour, sauf s'ils épousent un Autochtone ou ont des enfants avec des Autochtones; on ne demande plus le mariage légal comme c'était le cas auparavant. Ainsi, il y a une violence légale qui est inscrite dans la loi depuis très longtemps et qui crée des séparations. Je me souviens de femmes qui me disaient avoir eu leur premier enfant avec un Amérindien et le deuxième avec un non-Amérindien, ce qui fait qu'elles ont un enfant amérindien et un autre qui ne l'est pas. Cela crée donc des situations compliquées.

Par ailleurs, la discrimination au sein de la Loi sur les Indiens ne porte pas uniquement sur le statut, c'est-à-dire qu'elle a donné pendant très longtemps le seul pouvoir décisionnel aux hommes. J'ai entendu parler de situations par des femmes qui me les ont racontées où, parfois, c'est leur propre frère ou leur propre père qui, siégeant au conseil de bande, les chassait de leur propre bande après leur mariage. Des femmes m'ont dit qu'elles ne savaient pas qu'elles entreraient dans l'église amérindienne et qu'elles en ressortiraient non-Amérindiennes. Cela leur paraissait incroyable, et elles ont perdu tous leurs droits à partager les affaires de leur propre communauté après leur mariage. Cela laisse des traces sur le long terme et ne se résout pas avec des modifications législatives. Cela fait partie d'un processus plus large, et on en voit les traces aujourd'hui.

Ce n'est pas non plus à la gloire de notre pays que de savoir que la population la plus vulnérable de tout le Canada, c'est celle des femmes autochtones. Comme vous le savez, il y a l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Ce sont les personnes les plus vulnérables de tout le pays, et cette situation s'inscrit dans une histoire coloniale. On pourrait se demander comment il se fait qu'on vive encore cette histoire en 2017. Les traces ne s'effacent pas comme cela, et il faudra encore du temps pour que les choses changent. Ce n'est pas uniquement une question de mentalité, c'est aussi une question d'aider les femmes autochtones, qui font d'ailleurs un travail formidable dans le cadre d'un processus de prise en charge. Elles-mêmes ne sont pas forcément toujours convaincues d'avoir le pouvoir de faire ce qu'elles veulent de leur vie. Il y a un travail formidable qui est fait par les groupes de femmes autochtones du Canada et les différentes antennes provinciales pour aider les femmes, mais il y a du travail à faire, parce que l'histoire a laissé des traces.

[Traduction]

La présidente : C'était la dernière question des sénateurs. Au nom de tous les membres du comité, je souhaite remercier nos deux témoins de ce matin, M. Wicken et Mme Bousquet. Je vous remercie infiniment de vos excellents témoignages et de vos réponses claires aux sénateurs.

Avant de clore la séance, le comité a une petite question d'ordre administratif à régler. En fait, elle s'inscrit un peu dans la foulée de la question de la sénatrice Pate sur la perte du statut d'Indien après le mariage.

Dans nos délibérations, la semaine dernière, sur le premier amendement de la sénatrice McPhedran au projet de loi S-3, nous avons inscrit au compte rendu « par substitution, aux lignes 6 et 7... », alors que nous aurions dû inscrire « après la ligne 7 ». Cela ne change aucunement l'effet souhaité de l'amendement, et corrige la consigne, puisque dans sa forme actuelle, elle constituerait une erreur.

Donc après consultation avec le légiste, il faut adopter une motion pour la corriger, et vous trouverez cette motion ici. Est-ce que tout le monde l'a bien reçue?

Je vais vous la lire :

Est-il convenu que l'amendement proposé par la sénatrice McPhedran et adopté par le Comité le mercredi 17 mai s'applique à l'article 1, à la page 1, après la ligne 7 et que le rapport provisoire portant sur le projet de loi soit modifié en conséquence?

Le sénateur Manning : Je la propose.

La présidente : Elle est proposée. Vous plaît-il de l'adopter?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adoptée. Merci, sénateurs.

Je remercie encore une fois nos témoins.

(La séance est levée.)

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