Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 23 - Témoignages du 31 mai 2017


OTTAWA, le mercredi 31 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui sont ici même, dans la pièce, ou qui regardent la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le Web.

Dans un esprit de réconciliation, je voudrais souligner que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles du peuple algonquin.

Je m'appelle Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan, et j'ai l'honneur et le privilège de présider le comité.

J'invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant par le vice-président, à ma droite.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, de Montréal, au Québec.

Le sénateur Brazeau : Patrick Brazeau, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l'Ontario.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, de Nunavik.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.

La présidente : Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur ce à quoi pourraient ressembler de nouvelles relations entre la Couronne et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Nous continuons notre examen du contexte historique avec le directeur du Consortium national pour le développement économique des Autochtones de l'Université de Victoria, M. Miles Richardson, qui nous parlera de l'histoire de la côte Ouest.

Monsieur Richardson, vous avez la parole. Après votre exposé d'environ 10 minutes, les sénateurs vous poseront des questions.

Miles Richardson, directeur, Consortium national pour le développement économique des Autochtones, Université de Victoria, à titre personnel : Madame la présidente, honorables sénateurs, en haïda, je m'appelle Kilsli Kaji Sting. Je viens du clan de l'aigle de Cha'atl, ma communauté ancestrale. Je viens de Haida Gwaii. Je suis ici aujourd'hui pour vous parler à titre de directeur du Consortium national pour le développement économique des Autochtones de l'Université de Victoria. Je me trouve présentement sur les territoires du peuple salish du littoral, à Vancouver.

C'est un honneur pour moi de pouvoir participer à vos importantes discussions. Comme vous l'avez dit, j'aimerais présenter un bref exposé et principalement discuter des efforts que nous avons déployés dans le passé concernant les fondements des relations entre les peuples autochtones de ce que nous appelons maintenant le Canada et la Couronne, l'état-nation du Canada, au fil des ans.

Je vois que le mandat que vous a donné le Sénat comprend trois parties et que la réunion d'aujourd'hui porte sur la partie A, l'histoire des relations. Si je devais parler d'un aspect aujourd'hui, il concernerait le mandat élargi que le Sénat vous a donné, c'est-à-dire que l'établissement d'une relation de nation à nation entre les peuples autochtones et la Couronne du chef du Canada correspond exactement à l'approche en matière de politique qu'il nous faut adopter en tant que nation à ce moment-ci. Tous les Canadiens, et je dirais tous les peuples autochtones, devraient axer leurs efforts sur la réussite du processus et sur la définition et la mise en œuvre de cet engagement. C'est dans cet esprit que je ferai mes observations aujourd'hui.

J'ai grandi en tant que citoyen de la nation haïda et au sein de mon peuple, à Haida Gwaii. J'ai quitté ma terre natale à la fin de mon adolescence pour faire des études secondaires, à Prince Rupert, où j'ai vécu avec ma grand-mère. Par la suite, j'ai fait des études universitaires, à Victoria, et j'ai obtenu un diplôme en économie. Je suis ensuite retourné chez moi, et j'ai été président de ma nation, la nation haïda, pendant 13 ans, du début des années 1980 jusqu'en 1996.

Cela m'a donné une bonne idée de la nature des relations entre les peuples autochtones, en particulier mon peuple, la nation haïda, et la Couronne. Nos alliances avec des peuples autochtones de partout au pays m'ont permis de voir de façon globale ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné, ce que pourraient ou devraient être les objectifs d'un point de vue autochtone et du point de vue de la Couronne.

Lorsque j'étais président de la nation haïda, j'ai vécu de nombreux différends sur le territoire et devant les tribunaux. Mon peuple et moi revendiquions notre titre autochtone et voulions protéger nos droits ancestraux au Canada et nos sources de vie ainsi que notre territoire des forces destructrices qui s'exerçaient à l'époque pour essentiellement détruire nos sources de vie et notre relation.

Pendant cette période, nous avons beaucoup travaillé avec l'appareil politique du Canada et avec nos voisins en Colombie-Britannique et partout au pays. J'ai appris à connaître le sénateur Watt, les Inuits du Nord et de nombreuses nations du pays et, dans une certaine mesure, je me suis allié à eux. Même au milieu de tout ce conflit, et en examinant les tendances législatives et la base de la primauté du droit au Canada, je voyais une lueur d'espoir, une occasion unique au monde de bâtir de bonnes relations entre les peuples autochtones et le Canada, la Couronne du chef du Canada et les provinces.

J'ai rapidement décidé, au moment où je quittais mes fonctions de président, de chercher à atteindre cet objectif, de me joindre à la Commission des traités de la Colombie-Britannique, en 1996, et de siéger à cette commission, dont le mandat était de favoriser la négociation concernant les traités en Colombie-Britannique, jusqu'à six semaines avant les élections fédérales de 2004. Au cours des cinq dernières années de ce mandat, j'ai été commissaire en chef.

Au départ, nous avions beaucoup de grandes attentes. Dans la transition entre les années 1980 et les années 1990, en Colombie-Britannique, on réclamait fortement le règlement de la question territoriale, comme on le disait, le règlement du différend relatif au titre dans la province. Le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial se sont joints aux Premières Nations au sein du B.C. First Nations Congress et ont dit qu'ils allaient régler le problème.

Nous avons formé un comité, le Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique. Il comptait sept membres : deux membres nommés par le Cabinet fédéral, deux nommés par le gouvernement provincial et trois nommés par les Premières Nations. J'étais l'une des personnes nommées, comme le chef Joe Mathias et maintenant le grand chef Edward John. Nous y avons travaillé pendant six mois et nous avons conçu le processus de négociation des traités pour la Colombie-Britannique.

Je vous dirais une chose. Le processus a été approuvé par les gouvernements fédéral et provincial et par les Premières Nations de la Colombie-Britannique. Il s'agit encore aujourd'hui d'un bon modèle de processus de négociation des traités. Il existe et je vous encourage tous à le lire. C'est presque devenu un document historique. Je ne sais même pas si on en parle encore. Il devait s'agir de la bible de la négociation de traités en Colombie-Britannique.

Après la signature par les premiers ministres du Canada et de la Colombie-Britannique et après une cérémonie solennelle tenue dans la Nation des Squamish à Vancouver, nous pensions avoir pris le bon tournant. Nous pensions avoir établi une relation de nation à nation, du moins en Colombie-Britannique. Or, l'encre de la signature n'était même pas encore sèche que l'appareil stratégique et l'appareil législatif des deux gouvernements avaient rapidement oublié leurs engagements, et nous nous sommes retrouvés dans la même situation dont nous essayons encore de nous sortir aujourd'hui. C'était il y a 22 ou 23 ans, mais cela m'indique ce qu'il faut faire jusqu'à un certain point et surtout ce qu'il ne faut pas faire. J'espère partager mon expérience de commissaire en chef avec vous.

Avant que nous passions aux discussions, je vais faire quelques observations. D'après ma vision des choses, l'histoire des relations entre les peuples autochtones et la Couronne au Canada comporte trois phases essentielles. La première, c'est la période coloniale, la période durant laquelle les diverses puissances coloniales de l'Europe et de la Russie, dans notre cas, sur la côte Ouest, rivalisaient pour imposer leur autorité sur ce qui allait devenir le Canada. C'est une période dans laquelle les Britanniques se sont présentés devant les Premières Nations de Niagara Falls avec une proclamation royale qui serait à la base de leurs politiques : toutes relations avec les peuples autochtones, comme on l'indique dans la Proclamation royale de 1763, seraient des relations de nation à nation. Sans la signature d'un traité de nation à nation, la vie des peuples autochtones n'allait pas être perturbée quant à leurs pouvoirs et aux lieux qu'ils considéraient comme les leurs depuis des milliers d'années et des centaines de générations. Ils ont présenté cette offre à Niagara Falls à environ 25 des Premières Nations avec lesquelles ils avaient des relations à l'époque et en sont repartis avec le Traité de Fort Niagara.

Du côté des Premières Nations de la côte Est, dont la nation haudenosaunee, il y a eu le Traité du wampum à deux rangs et la chaîne d'alliance. Dans les discussions, il a été question de cohabitation de respect dans des relations de gouvernement à gouvernement, et de partenariat et d'entraide dans la vie de tous les jours, ce que nous, sur la côte Ouest, avons toujours considéré comme une bonne norme et ce qui était à la base de nos intentions dans la conclusion du processus de traité de la Colombie-Britannique et les engagements qu'il comprend. C'était la première phase, et les intentions étaient bonnes, mais cela n'a pas duré.

Cette année, le Canada célèbre le 150e anniversaire de l'établissement de son Parlement et de la mise en place de la nation canadienne. À l'époque du Traité de Fort Niagara, le Canada a commencé à négocier d'est en ouest. Une fois rendu à la Colombie-Britannique, il avait manifestement carrément changé d'idée. Cette politique de négociation des traités entre nations s'est transformée en déni des droits légaux et des droits de la personne fondamentaux des peuples autochtones. On a sans cesse dénié leurs droits tout en mettant en place une politique visant à assimiler les peuples autochtones.

Je n'ai pas besoin de répéter tous les détails. C'est un sujet qui a fait l'objet de nombreuses discussions. Nous savons tous ce que cela comprenait. Le sénateur Sinclair et la Commission de vérité et réconciliation du Canada ont établi clairement les faits et ont permis aux Canadiens de savoir ce qui s'est passé. C'est ce que j'appelle la deuxième phase, la période sombre pour les peuples autochtones dont nous essayons de nous sortir maintenant.

La troisième phase correspond à ce que j'appellerais la réconciliation, une phase dans laquelle nous essayons d'établir une nouvelle relation après plus de 150 ans de mauvaises décisions. Chose certaine, les dirigeants des peuples autochtones ont affirmé et constamment réaffirmé l'existence de leur titre, la reconnaissance dans la common law britannique et canadienne de leur titre, et la nécessité de négocier des traités pour déterminer comment vivre ensemble sur notre terre natale.

Nous avons constamment essuyé des rebuffades. Les commissaires des réserves sont arrivés dans l'Ouest à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, concernant les deux versions de la Commission McKenna-McBride. Nos dirigeants ont été forcés de témoigner et d'essayer de désigner des terres dont nous avions besoin pour nos collectivités, et ce, sans jamais pouvoir régler la question du titre. Toutes les commissions sont bien documentées. La plupart d'entre elles sont consignées dans un dossier sous une forme qui ressemble au hansard et il est possible de les lire.

Nos dirigeants ont souvent dit ceci : « Pourquoi nous dites-vous que vous nous donnerez des terres alors qu'il s'agit de nos terres? » Ils disaient ceci : « Vous ne pouvez pas nous donner nos propres terres; la reine ne peut pas nous donner des terres qui sont déjà à nous; si vous voulez discutez du différend relatif au titre, négocions des traités, car c'est ce que vos lois et votre intégrité commandent et alors, finissons-en ». Ils ont forcé les conseillers et les chefs de bande de l'époque, sous la menace d'emprisonnement, à témoigner et à délimiter les terres. Nos peuples n'ont jamais considéré cela comme un processus légitime.

En 1924, l'Alliance des tribus de la Colombie-Britannique s'est rendue à Ottawa et, devant une séance mixte du Sénat et de la Chambre des communes, a plaidé en faveur du règlement du différend relatif au titre au moyen de négociations. Cette délégation était dirigée par Godfrey Kelly, un membre de ma famille et le dirigeant des Haïdas, et par Andrew Paul, membre des Salishs. Ils ont présenté des arguments de façon éloquente en faveur du règlement de ces questions par des traités. C'est consigné dans le hansard. Un compte rendu de ces séances de 1924 y figure.

Ils n'ont aucunement persuadé le Parlement et la Chambre des communes de se pencher sur ces questions puisque le Parlement a continué à bannir les institutions fondamentales qui font la force de notre nation, la force qu'il nous restait après que 85 p. 100 à 95 p. 100 de nos populations sur la côte avaient été décimées par la peste. Il a interdit le potlatch et nos systèmes de gouvernance en réponse à nos démarches.

Pour résumer à cet égard, alors que cela se passait, de plus en plus, les lois canadiennes ont commencé à reconnaître la légitimité de la position des peuples autochtones au fil des ans. L'une des causes qui a beaucoup fait progresser les choses sur le plan de la reconnaissance du maintien du titre autochtone et de l'inscription de ce titre dans les lois canadiennes, c'est l'affaire Calder, au début des années 1970. La Cour suprême du Canada était divisée au sujet de l'existence du titre autochtone. Depuis, cela a été la plus longue série de victoires dans l'histoire juridique du Canada quant à l'existence du titre autochtone en fonction de la conception des choses des peuples autochtones.

Notre défi, à l'heure actuelle, c'est de reconnaître les erreurs que nous commettons depuis plus de 150 ans. Le déni des droits de la personne fondamentaux est inacceptable. L'assimilation des Autochtones et le fait d'essayer de faire d'eux quelque chose qu'ils ne sont pas, c'est inacceptable. Le Canada a présenté des excuses officielles en 2008, au Parlement. Il faut maintenant que notre pays change cette approche et établisse la relation qui convient.

À mon avis, une relation qui convient correspond à ce que le nouveau gouvernement a annoncé comme sa politique centrale d'établissement d'une relation de nation à nation. Il appartient donc maintenant à nous, les membres de la génération actuelle de Canadiens et d'Autochtones de faire les choses correctement.

Les directions ne manquent pas. Je vous ai parlé du rapport du Groupe de travail sur les revendications en Colombie- Britannique, qui, et je suis prêt à en discuter avec n'importe qui, est encore aujourd'hui un bon processus de négociation des traités. Nous devons le faire. Nous ne pouvons pas prendre nos processus actuels et prétendre que ce sont de bons processus de négociation des traités.

Nous devons commencer par la reconnaissance du statut de nation autochtone et poursuivre le travail à partir de là, une étape à la fois. Je sais que vous y viendrez dans des séances subséquentes, et je m'arrêterai donc ici, mais c'est la bonne chose à faire. Je remercie vraiment le Sénat de faire l'effort. Je ne sais pas quel pouvoir vous avez, dans quelle mesure vos travaux apporteront des résultats, mais le fait de consigner cette discussion et cette information est une bonne chose. Participer à ce débat fondamental en tant que Canadiens est un exercice essentiel. Je vous remercie tous de le faire.

Madame la présidente, j'aimerais discuter de toutes les questions dont les sénateurs voudront discuter.

La présidente : Merci, monsieur Richardson. Des sénateurs ont des questions à vous poser.

Le sénateur Patterson : Je remercie beaucoup M. Richardson d'avoir dressé un historique vibrant et complet de la situation en Colombie-Britannique et d'avoir fait un plaidoyer passionné pour que nous participions à l'établissement d'une nouvelle relation.

Vous avez parlé avec éloquence des droits de la personne. Fait intéressant, cet après-midi, au Sénat, nous avons discuté des droits des femmes, en particulier, qui n'ont constamment pas été reconnus dans le cadre de la Loi sur les Indiens. Je pense que nous avons eu un bon débat, qui a été suscité par le rapport du comité.

Vous nous avez demandé quel était notre pouvoir. Je dois dire que nous avons un pouvoir moral, mais nous croyons que le gouvernement accueillera favorablement nos recommandations, auxquelles il doit répondre.

J'aimerais vous poser une question, qui risque d'être difficile, au sujet de votre exposé. Pourriez-vous nous décrire les recommandations du rapport du Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique qui aurait pu donner lieu à une nouvelle relation respectueuse dans la province?

M. Richardson : C'est une question très importante, qui est au cœur de cet enjeu. Le Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique a présenté 19 recommandations à l'intention du gouvernement du Canada, du gouvernement de la Colombie-Britannique et des Premières Nations. Il leur recommandait notamment de respecter les lois britanniques et canadiennes établies.

La Proclamation royale de 1763, un texte fondateur du Traité de Fort Niagara de 1764, fait toujours partie intégrante de la Constitution canadienne. Elle fait toujours partie intégrante du droit canadien. Au fil des années, les tribunaux ont clairement établi que les titres ancestraux, nos titres originaux, étaient toujours valides aujourd'hui. S'ils existaient au moment de l'affirmation de souveraineté du Canada, alors la loi suprême du Canada, la Constitution, protège ces lois telles qu'elles ont été établies.

Nous avons signé 14 traités au sud de l'île de Vancouver et nous avons quelque peu élargi le traité no 8 dans le Nord de la Colombie-Britannique, mais nous reconnaissons qu'il n'y a pas de traité dans le reste de la province. Les titres ancestraux, sans égard à la forme qu'ils ont prise au cours de l'histoire, étaient toujours bien présents et étaient protégés par la loi suprême du Canada. Le Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique a recommandé aux gouvernements d'entreprendre les négociations en reconnaissant les peuples autochtones. En ce qui a trait aux fondements du droit dans l'affaire Calder, la Cour suprême du Canada a reconnu — et ce n'est rien d'étonnant — que ces titres existaient parce que les peuples existaient toujours et vivaient dans des sociétés organisées, qui fonctionnent comme elles ont toujours fonctionné, bien avant que nous arrivions ici. Ces peuples continuent d'exister en tant que sociétés.

C'est le point de départ des recommandations du rapport du Groupe de travail sur les revendications en Colombie- Britannique. C'est une reconnaissance mutuelle : les nations autochtones reconnaissent la présence du Canada et, selon les mots d'un sage juge de la Cour suprême, reconnaissent qu'il est ici pour de bon.

Les Premières Nations n'ont jamais remis cela en question. Nous n'avons jamais demandé à qui que ce soit de partir, mais nous avons demandé à la Couronne du chef du Canada et de la Colombie-Britannique de reconnaître que nos peuples continuent d'exister et — nous en convenons tous — qu'ils sont ici pour de bon. Nous voulions entendre qu'on ne tenterait plus de nous éliminer, et c'est ce que nous avons entendu. Nous nous sommes débarrassés de la politique de déni et d'assimilation.

Nous allons nous asseoir à la table, comme des gens intègres, et nous allons négocier ces questions fondamentales que nous avons négligées depuis trop longtemps. Depuis combien de temps? Cela fait 150 ans. J'ai visité la maison du Canada à Londres il y a quelques semaines et la haute commissaire a accueilli notre délégation. Elle a dit : « Je sais que le Canada célèbre ses 150 ans d'existence. » Puis, elle a souri et a dit : « La plomberie ici est plus vieille que cela. »

Après 150 ans, il n'est pas trop tard pour faire la bonne chose. C'est très tard, mais il faut le faire maintenant. La reconnaissance mutuelle était le point de départ. Les mesures intérimaires visaient à aller de l'avant étape par étape, par l'entremise de la consultation et des ententes. À l'heure actuelle, l'ensemble de notre système est établi en fonction des lois et des pouvoirs provinciaux et territoriaux, qui ne tiennent pas compte de l'existence des Premières Nations, des peuples autochtones.

Il revient à la table d'élaboration des traités de démêler tout cela, de déterminer de quelle façon les droits, les intérêts et la réalité des Autochtones relèveront de la compétence fédérale et provinciale, et de donner aux Premières Nations la compétence dont elles ont besoin aux fins de leur existence.

Le processus de négociation est en cours. Il reconnaît que l'élaboration des traités est un processus et non un événement. On ne pourrait pas réunir les personnes les plus intelligentes du monde et leur demander de les rédiger d'ici la fin de la journée. Il faudra bâtir la nouvelle relation et établir la confiance. Il faudra déterminer ensemble notre avenir, étape par étape, ce qui prend du temps. C'est pourquoi on a mis en place des mesures intérimaires, qui visent la reconnaissance mutuelle.

Ce qui est important pour la politique canadienne, c'est de rejeter la notion d'extinction. Jusqu'à présent, l'objectif principal des négociations du gouvernement fédéral était d'éliminer tous les droits prévus par la loi pour ces peuples. C'était l'objectif principal des négociations. En retour, le gouvernement offrait quelques cadeaux : quelques terres, de l'argent et, plus tard, à l'insistance des Premières Nations, la reconnaissance de certains pouvoirs de gouvernance.

Le rapport du Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique a rejeté d'emblée cette approche d'extinction et a fait valoir que les négociations visaient à désigner les compétences avec certitude. Il fallait s'asseoir et négocier les pouvoirs de gouvernance, désigner les compétences que conserveraient les Premières Nations et celles qui seraient partagées avec le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux, et déterminer à quelles compétences les Premières Nations allaient renoncer, par choix.

La discussion s'est faite au sein des Premières Nations. Nous nous sommes réunis tous les mois au cours des six mois de la mise en place de ce processus. Il fallait se demander si nous voulions avoir compétence sur le bureau de poste, sur les relations étrangères ou sur l'armée, par exemple.

À l'époque, si vous vous en souvenez, le Canada rédigeait sa propre politique sur l'autonomie gouvernementale, qui est en place aujourd'hui. En gros, le Canada disait qu'il était prêt à négocier les compétences et les traités avec les Premières Nations. Il était prêt à négocier toutes les compétences des provinces, qui ne lui appartiennent pas. C'était essentiellement son approche.

Je vous encourage à lire le rapport du Groupe de travail sur les revendications en Colombie-Britannique. Il est facile à trouver en ligne, dans Google. Regardez les 19 recommandations. Elles sont très générales. Il faut approfondir la question. Cela ne fait aucun doute. Il faut avoir suffisamment de détails pour agir. Les mesures prises par le bureau du premier ministre et le cabinet ne suffisent pas. Nous devons revoir complètement le mécanisme stratégique du gouvernement et établir ces relations et ces ententes dans l'ensemble du gouvernement. C'est là la vraie nature des relations de nation à nation.

Voilà, en quelques mots, les éléments essentiels du rapport du Groupe de travail sur les revendications en Colombie- Britannique. Les recommandations ont trait aux communications, à la participation des gens de la communauté et à l'établissement des relations.

Le sénateur Patterson : C'est une excellente réponse à ma question. Habituellement, nous posons plus d'une question, alors je vais vous en poser une autre qui, je l'espère, sera plus facile.

Vous avez dit que le premier ministre approuvait cette approche. Vous avez parlé de son importance et de l'optimisme des gens. Quels conseils devrions-nous adresser au premier ministre, qui, comme vous l'avez fait valoir dans votre déclaration préliminaire, a fait des relations de nation à nation sa grande priorité?

Quels conseils devrions-nous donner au premier ministre pour veiller à ce que nos recommandations — qui, je l'espère, s'inspireront du travail qui a été effectué en Colombie-Britannique — ne tombent pas dans l'oubli? Que doit faire un leader politique pour atteindre ces objectifs?

M. Richardson : Vous savez quoi, je ne fais pas de facéties. Premièrement, lisez le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Il a été publié il y a 20 ans. Il explique en détail l'établissement des relations de nation à nation. Dans ce contexte, je dirais d'abord qu'il faut absolument prendre un engagement à l'égard des relations de nation à nation. Cela n'a pas changé. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais le gouvernement du Canada et les Premières Nations participantes doivent s'engager à établir une telle relation.

Deuxièmement, le Canada doit officialiser cet engagement. La Commission de vérité et de réconciliation recommandait un engagement moderne semblable à la Proclamation royale, une déclaration contraignante du gouvernement du Canada au nom des Canadiens : « Nous nous engageons à reconnaître les peuples autochtones de ces terres que nous appelons les nôtres et nous nous engageons à établir une entente appropriée, une relation de nation à nation. »

Troisièmement, il faudrait mettre sur pied un groupe de travail fédéral qui ne se limiterait pas à un seul ministère. C'est le baiser de la mort pour nous. Il faut que l'ensemble du gouvernement soit représenté. Les Autochtones devraient mettre sur pied un groupe de travail pour désigner la mise en œuvre étape par étape requise, ou en gros, faire ce que le rapport de la Commission a fait il y a 22 ans et établir la relation de nation à nation.

La Commission royale sur les peuples autochtones visait 60 à 70 nations dans l'ensemble du pays, dont 30 en Colombie- Britannique. Par « nations », je veux dire les personnes qui ont une identité ancienne commune, qui parlent une langue similaire, qui partagent un territoire et des traditions culturelles et qui sont liées. Tout cela est plus compliqué après 150 ans de colonialisme. C'est une tâche difficile, mais nous ne pourrons jamais la réaliser sans un engagement à cet égard.

Je sais que je parle trop longtemps, mais je vais vous raconter une histoire, rapidement. Lorsque je suis devenu le commissaire en chef de la Commission des traités de la Colombie-Britannique, le nouveau ministre des Affaires autochtones m'a appelé et m'a dit : « Un bon ministre doit présenter deux ou trois mesures législatives au cours de son mandat. Avez-vous des suggestions? » Je lui ai répondu : « Bien sûr que j'ai une suggestion, monsieur le ministre. Vous vous êtes engagé à négocier les traités en Colombie-Britannique. Vous êtes assis à la table des négociations des traités de l'ensemble de la province. Nous faisons de notre mieux pour les faciliter. Du même coup, vous êtes responsable de distribuer l'argent dont ces communautés dépendent pour leur santé, leur éducation, leurs infrastructures et leurs services essentiels, et elles sont responsables devant vous. Mais de quel genre de négociation s'agit-il? Si vous tenez vraiment aux négociations de nation à nation, vous devez demander aux Premières Nations qui y participent de définir leur statut de nation fondamental et leurs processus de gouvernance, obtenir un mandat pour ces transferts financiers et transférer les budgets aux peuples, pour que les gouvernements soient responsables devant leurs peuples et qu'ils agissent en conséquence. Après cela, je vous croirai lorsque vous me direz que vous prenez la négociation des traités au sérieux. »

À sa décharge, je dois dire qu'il a tenté de le faire. Les chefs du pays l'ont rejeté. Ce ne sera pas facile, mais il faut faire ce travail.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Vous avez livré un discours très inspirant. Votre histoire est tout aussi inspirante. Ma première question est la suivante : Qui était premier ministre en 1924?

M. Richardson : C'est toute une question! Je sais qui était le chef des tribus alliées de la Colombie-Britannique. Est- ce que c'était Laurier?

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je ne le sais pas, je vous le demande.

M. Richardson : Demandez-le à Charlie, qui est à côté de vous. Il était probablement là à cette époque.

Le sénateur Watt : Je n'étais pas encore là.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Mettons cette question en veilleuse, donc.

M. Richardson : Il faudrait que je vérifie.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Que signifierait une excuse du pape pour les peuples des Premières Nations? De quelle façon cela changerait-il les relations? Le Canada reconnaîtra-t-il les Premières Nations dans les excuses du pape?

M. Richardson : Je crois qu'on ferait un grand pas. C'est là où une grande partie des problèmes a commencé, mais je crois qu'il faut remonter plus loin que cela encore.

Le joug colonial a commencé avec les canons papaux de l'Église catholique d'aujourd'hui. Lorsque les explorateurs européens sont partis à la découverte de ce qu'ils appelaient « le Nouveau Monde », les canons papaux leur ont donné deux choix, dans l'éventualité où ils rencontreraient d'autres peuples. Tout d'abord, il fallait les convertir au christianisme. C'est pourquoi aujourd'hui, de nombreux Autochtones n'aiment pas le terme « réconciliation », parce que selon une de ses définitions, cela signifie de redonner le pouvoir à l'église, ce qui n'est certainement pas l'objectif visé.

Sous l'autorité des canons papaux, l'église autorisait d'abord les explorateurs du « Nouveau Monde » à tenter de christianiser les nouveaux peuples et, si cela était impossible, il les autorisait à tuer ces gens. C'est toujours écrit dans les livres de l'Église catholique. Il fallait éliminer ces gens. Il faut retirer ces passages, car les excuses ne vaudront rien sinon.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous remercie de votre réponse; je suis tout à fait d'accord avec vous.

Ce qui me pose problème, c'est l'ingérence des provinces dans le processus, parce qu'il relève du gouvernement fédéral.

M. Richardson : Je ne comprends pas votre question.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vais répéter. Ce qui me pose problème, c'est l'ingérence des provinces dans les problèmes des Autochtones alors que c'est la responsabilité du gouvernement fédéral.

M. Richardson : Je comprends ce que vous dites. Nous sommes confrontés à cela dans le cadre de l'établissement du processus de négociation des traités de la Colombie-Britannique. Il y a une réalité ou un fait dont on ne peut faire abstraction : la Couronne est une souveraineté divisée.

Ce sont les provinces qui ont le pouvoir et le gouvernement fédéral ne peut leur dicter quoi faire. Les provinces sont souveraines dans leurs champs de compétence. Ainsi, en vertu du paragraphe 91(24), le gouvernement fédéral est responsable des Indiens et des terres réservées pour les Indiens. C'était l'approche coloniale. On nous tassait tout simplement dans le coin.

En même temps, nos terres et nos territoires, qui constituent le fondement de notre identité, relèvent de la compétence provinciale en vertu de l'autorité de la Couronne. Si les provinces ne sont pas à la table des négociations, nous ne pouvons pas négocier les terres et les ressources. En Colombie-Britannique, la situation a créé un grand inconfort, mais comme il faut reconnaître la division des compétences de la Couronne, les provinces doivent être présentes. Voilà l'importance pour le Canada, par l'entremise du gouvernement fédéral, d'établir une politique sur la relation de nation à nation. Il faut ensuite qu'il consacre des ressources et qu'il utilise ses pouvoirs pour faire de cette relation une réalité; qu'il fasse tout en son pouvoir pour convaincre les provinces de se mettre de la partie et pour préparer le terrain de cet engagement de nation à nation. Selon mon expérience en Colombie-Britannique, les provinces sont prêtes à le faire. C'est le gouvernement fédéral qui traîne de la patte.

Le sénateur Enverga : Merci, monsieur Richardson, de votre participation à notre séance d'aujourd'hui. Ma question porte sur la désignation du site du patrimoine haïda. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Comment la nation haïda en est-elle arrivée à cette décision?

M. Richardson : C'est vraiment une très bonne question. Dans les années 1980, la nation haïda s'est retrouvée confrontée à une situation fort pénible; on semblait vouloir abattre jusqu'à notre dernier arbre. La coupe se faisait si rapidement et avec une telle intensité que nous avons dû envisager la disparition de nos forêts. Tout notre poisson était capturé et transporté dans des conserveries. On détruisait l'habitat faunique. Des minéraux étaient extraits du sol et on menaçait, au milieu des années 1980, de faire du forage dans nos eaux pour y trouver du pétrole et du gaz.

Nos aînés nous ont alors dit que si nous ne prenions pas le contrôle de cette relation, nous risquions de voir notre nation s'éteindre. C'est ainsi que nous avons pris une décision importante dans la deuxième moitié des années 1980. Nous avons décidé de nous réapproprier dans toute la mesure du possible nos pouvoirs et nos responsabilités à l'égard de nos terres ancestrales, notre source de vie. Il n'était plus question d'aller mendier et exercer des pressions auprès des gouvernements fédéral et provincial qui n'écoutent jamais ce que nous avons à dire de toute manière. Nous nous sommes alors dotés d'une constitution des temps modernes. Nous avons couché sur papier notre riche et solide tradition orale qui était à la base d'une forme très efficace de gouvernement. Nous pouvions la montrer à quiconque venait sur nos terres et souhaitait entretenir des rapports avec nous. Il vous suffit d'ailleurs de visiter le site haidanation.ca pour prendre connaissance de notre constitution.

C'est en nous appuyant sur cette constitution que nous avons pu adopter notre propre loi régissant l'utilisation des terres et des eaux. Comme personne ne nous écoutait, nous avons établi un plan à cet effet pour l'ensemble de nos territoires. Disposition par disposition, au fur et à mesure que cela devenait possible, nous avons enchâssé dans la loi ces désignations territoriales à l'occasion des réunions annuelles de notre chambre d'assemblée. En 1981, le parc tribal Duu Guusd a été désigné site patrimonial haïda. En 1985, notre loi nous a permis de faire de même avec le parc Gwaii Haanas. En 2010, la nation haïda a signé un protocole de respect mutuel avec la Colombie-Britannique en vue d'harmoniser toutes les désignations territoriales de part et d'autre. La province a adopté des mesures législatives correspondant à celles mises en place par la nation haïda 20 ans auparavant. Tout cela a été rendu possible parce que les Haïdas se sont dit : « Ça suffit. C'est notre territoire traditionnel. Il nous appartient, et c'est nous qui établissons les règles. » C'est ce que nous avons fait à la hauteur de nos moyens. Le Canada et la Colombie-Britannique ont changé leur optique et se sont adaptés. Nos lois se sont révélées plus efficaces que les leurs pour la gestion de nos territoires. Tout semble très bien se dérouler actuellement.

Nous aimerions que la question générale de la relation de nation à nation soit finalement réglée de sorte que nous puissions commencer à bâtir des économies modernes dans le contexte d'une vision commune, mais nous n'en sommes pas encore là. C'est toujours un projet sur lequel nous travaillons, mais reste quand même que nos lois ont maintenant préséance pour ce qui est de la planification de l'utilisation des terres et des eaux.

Le sénateur Enverga : Diriez-vous que cette démarche est couronnée de succès? Pensez-vous que les autres Premières Nations devraient vous emboîter le pas en s'inspirant du modèle que vous avez créé en matière de relations avec la province et le gouvernement fédéral?

M. Richardson : Je n'oserais jamais affirmer une telle chose, mais je peux vous dire que notre démarche a effectivement été fructueuse, car je pense que nous avons été capables de renverser la vapeur. Nous en avions fini du désespoir et de la crainte de n'avoir été qu'une parenthèse dans l'Histoire. Nous constatons que nous pouvons faire le nécessaire pour que cette relation fonctionne bien. Je crois que nous avons franchi un cap important en établissant nos propres compétences et en les faisant valoir auprès des instances fédérales et provinciales sur notre territoire. Nous avons encore du travail à faire pour harmoniser nos autres lois touchant la gouvernance et tous les aspects de la vie sur l'archipel Haïda Gwaii. Cette relation de nation à nation sera bénéfique pour nous tous.

Les Premières Nations ne doivent pas être considérées comme une entité générique. La Loi sur les Indiens cherchait notamment à nous imposer la même étiquette. Nous étions tous des Indiens d'un bout à l'autre du pays. Nous sommes pourtant différents les uns des autres. Il y a autant de distinctions entre les peuples autochtones du Canada qu'entre les nations-États d'Europe et d'Asie. Nous avons de nombreuses traditions en commun, mais nos modes de vie peuvent être bien différents. Les possibilités qui s'offrent à nous ne sont pas non plus les mêmes. Il n'y a pas de solution applicable à tous, mais il y a bel et bien une nécessité d'assumer ses responsabilités à l'égard du sort de sa nation et de faire valoir ses compétences. J'en ai la conviction, mais il incombe à chaque nation de déterminer la façon dont elle compte s'y prendre.

Le sénateur Enverga : Selon vous, pour quelle raison les autres Premières Nations ne suivent-elles pas votre exemple en la matière?

M. Richardson : Je vais vous répondre en vous donnant simplement mon opinion. Je ne crois pas qu'il s'agisse de suivre ou non notre exemple. J'estime qu'il est bon pour chaque nation sur Terre, et pas seulement pour les Autochtones, d'assumer pleinement son identité.

Nous avons été grandement fragilisés. Je ne dis pas cela pour me plaindre. C'est seulement la réalité. Les régimes de gouvernance sont notre force. Nous sommes un peuple solidaire. Nos actifs, nos droits et nos titres sont détenus collectivement. Il nous faut des mécanismes de gouvernance efficaces pour que les choses se déroulent bien. La Loi sur les Indiens a fait table rase de tout cela pour confier les décisions nous concernant à un homme ou, comme c'est le cas maintenant, à une femme à Ottawa.

Ce sont des mains étrangères qui contrôlent les leviers de notre destinée. Nous nous sommes tenus debout et nous avons pu reprendre en main une grande partie de ces leviers. J'encourage tout le monde à en faire autant. Les soins de santé sont en jeu, tout comme l'éducation et le mieux-être de nos enfants. Vous lisez les journaux quotidiennement. Vous savez à quel point la situation peut être précaire dans la plupart des régions du pays.

Il n'est jamais facile de partir. Chacun des membres de la nation haïda est ressorti plus fort de cet exercice où nous avions le choix : prendre les choses en main ou disparaître. Il n'y avait pas de demi-mesure possible. Je lève également mon chapeau aux Canadiens et au Canada; nous nous en sommes sortis et nous reprenons maintenant de la vigueur. Chaque nation au pays devrait en faire autant.

J'aimerais vous retourner la question en vous demandant si le Canada est disposé à traiter toutes les nations de la même manière qu'il a traité les Haïdas.

La présidente : Monsieur Richardson, on m'a indiqué que vous aviez peut-être perdu l'image vidéo.

M. Richardson : Oui, c'est moi que je vois.

La présidente : Eh bien, nous sommes encore là.

Le sénateur Brazeau : Bonsoir, monsieur Richardson. Merci pour votre exposé. Vous avez parlé tout à l'heure de la Commission royale sur les peuples autochtones. Comme vous le savez très bien, la commission indiquait dans son rapport qu'il existait peut-être entre 60 et 80 Premières Nations véritables dans une perspective historique. Vous savez également très bien que la Loi sur les Indiens a fragmenté ces Premières Nations pour créer plus de 600 collectivités des Premières Nations à la grandeur du pays.

Il est question des relations de nation à nation et du processus de négociation qui doit suivre son cours avec les différents ordres de gouvernement. Je sais que vous ne pouvez pas parler au nom de toutes les nations du Canada, mais j'aimerais savoir quels mécanismes vous recommanderiez aux groupes, aux collectivités et aux gens des Premières Nations pour entreprendre ce processus. Devrait-on désigner des porte-paroles et des négociateurs aux fins de l'établissement de cette véritable relation de nation à nation ou est-ce que ce sont les chefs de tout le pays qui devraient s'en charger?

M. Richardson : Je crois que c'est une autre excellente question. Lorsque j'étais commissaire en chef de la Commission des traités, nous avons proposé un tribunal pour définir les Premières Nations dont les membres seraient nommés de concert par la Couronne et les Premières Nations. Il s'agirait probablement de groupes de trois personnes qui collaboraient avec tous les intervenants dans le domaine des détenteurs de droits et de titres de toute nation pour définir leur concept de nation.

Ce n'est pas une mince affaire. Des peuples se déclarent la guerre concernant ces questions partout dans le monde. Je ne sous-estime donc pas le sérieux de cet exercice et les conséquences des quelque 150 années de colonialisme. Lorsque nous nous engagerons à respecter la relation de nation à nation et que le Canada adoptera la recommandation de la Commission de vérité et réconciliation concernant un nouvel État moderne et une proclamation royale moderne se fondant sur une relation adéquate de nation à nation que nous nous efforçons d'établir, le Canada devra mettre sur pied un groupe composé de représentants du gouvernement du Canada, de représentants pangouvernementaux et de représentants des Premières Nations et lui donner les ressources nécessaires pour définir ces nations. C'est très important, parce que c'est un travail de longue haleine.

La Commission royale sur les peuples autochtones a lancé quelques idées, et la Commission des traités de la Colombie- Britannique a fait de même. Il y a de nombreux autres exemples. Beaucoup de gens ont réfléchi à la question. Le Canada devrait mettre en place un processus pour définir les Premières Nations, parce que la façon dont nous nous définissons comme Premières Nations et dont nous formons nos gouvernements ne regarde aucunement la Couronne. En fin de compte, nous avons besoin d'un processus homogène; nous devons collaborer et nous devons passer ensemble à la vitesse supérieure.

C'est un défi commun, mais la Couronne doit nous aider relativement à la définition des nations autochtones et arrêter d'agir de manière contraire aux activités de ressourcement ou à une relation de nation à nation. Je vous ai donné un exemple concernant la gouvernance, mais il y en a beaucoup d'autres. La Couronne doit affecter des ressources à cette initiative et mettre à profit toutes ses ressources pour bâtir cette relation de nation à nation.

Cela étant dit, il y aura tout de même certaines collectivités qui refuseront d'abandonner ce qu'elles ont actuellement. C'est la réalité avec laquelle nous devrons composer. Le ministère des Affaires autochtones devra peut- être poursuivre ses activités sous une certaine forme pendant que son importance diminue au fil du temps, parce que de plus en plus de nations choisiront d'opter pour la relation de nation à nation. À mon avis, c'est ce qu'il faut faire. Nous devrions commencer par les collectivités prêtes à aller de l'avant en ce sens. De nombreuses nations au Canada veulent vraiment survivre et avoir un avenir prospère et comprennent que, s'il y a un endroit sur Terre où c'est possible d'y arriver, c'est à l'intérieur du cadre canadien. Je fais partie de l'une d'elles.

Le sénateur Brazeau : Merci de votre réponse. J'aimerais m'inspirer de certains de vos commentaires, et j'aimerais aller un peu plus loin. Étant donné que les gouvernements au pays changent, les allégeances politiques des dirigeants varient. Le gouvernement peut faire une chose, et le gouvernement suivant peut en faire une autre. Comment pouvons- nous nous assurer que les gouvernements futurs prennent l'engagement de respecter ce processus et ce qui serait négocié au départ?

M. Richardson : Par le passé, il y avait une approche, soit l'accord de Charlottetown. Les éléments ayant trait à la gouvernance autochtone dans cet accord auraient grandement précisé les négociations constitutionnelles en vue d'établir des gouvernements autochtones qui seraient sur un pied d'égalité avec les gouvernements fédéraux. Cet élément aurait été un grand progrès.

Je crois que cela se trouve déjà dans la Constitution, mais ce serait un grand progrès de le préciser grâce à des processus politiques. Si le gouvernement adoptait maintenant la mesure sur la gouvernance et la proclamation royale moderne telles quelles, cela préciserait ce qui se trouve actuellement dans la Constitution. Cela insufflerait une dynamique dont les gouvernements futurs ne pourraient pas faire fi et que les tribunaux continueraient de mettre en œuvre avec des précisions concernant les processus politiques. Il suffit ensuite d'y affecter les ressources nécessaires et de continuer à renforcer le tout, une étape à la fois.

Le seul moyen sûr de le faire à long terme est d'insuffler une dynamique. Je parle de l'aménagement du territoire. Nous n'avons pas beaucoup de traités en Colombie-Britannique, mais nous avons des plans d'aménagement du territoire. Nous nous penchons actuellement sur des plans d'aménagement du milieu marin qui couvriront pratiquement l'ensemble des masses continentales dans la partie nord et la majorité de la partie sud de la Colombie-Britannique. Nous avons une entente de gouvernement à gouvernement sur notre relation en tant qu'humains par rapport à nos régions et à nos collectivités en ce qui a trait à l'aménagement du territoire. C'est un énorme progrès.

Personne d'autre au Canada ou dans le monde ne semble être au courant de ce que nous avons accompli, mais nous avons demandé à tous les intervenants, lorsque nous nous sommes engagés dans cette voie, de s'engager à régler tout différend à la table intergouvernementale entre les Premières Nations dans leur territoire et la province de la Colombie- Britannique. Le milieu des affaires et les municipalités criaient que le ciel allait nous tomber sur la tête.

Après avoir établi cette entente, un gouvernement a eu le courage de passer à l'action. C'était le gouvernement du premier ministre Campbell qui l'a fait. Aujourd'hui, c'est coulé dans le béton. C'est une certitude profondément ancrée dans la province, et c'est généralement vu comme une bonne chose. Voilà comment y arriver.

La présidente : Nous avons quatre autres sénateurs sur la liste.

Le sénateur Brazeau : L'un des éléments dont nous ne pouvons pas normalement parler à Ottawa, c'est l'ouverture de la Constitution. Les premiers ministres ne veulent pas en parler. Le gouvernement fédéral ne veut pas en parler. En vue d'avoir une reconnaissance claire dans la Constitution, comme vous l'avez mentionné, seriez-vous favorable, par exemple, à l'ouverture de la Constitution?

M. Richardson : Je ne crois pas qu'il soit même nécessaire de l'ouvrir pour avoir de plus amples discussions à ce sujet. Je crois qu'il faut préciser nos intentions concernant les titres et la gouvernance autochtones. Je crois que nous devons être plus précis en la matière.

C'est tout ce que faisait l'accord de Charlottetown. Cet accord n'a pas créé ce que nous appelions à l'époque le droit des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale, mais il y avait beaucoup de contestations et de querelles juridiques à cet égard. Voici tout simplement ce que l'accord de Charlottetown aurait permis de préciser : « En tant que pays, nous prenons un engagement à cet égard; c'est notre intention, et c'est ainsi que nous le ferons. Les gouvernements autochtones seront sur un pied d'égalité avec les gouvernements fédéraux et détermineront les champs de compétences. »

J'imagine que nous devrons ouvrir un peu la Constitution pour y arriver, mais je ne souhaite pas déclencher de nouvelles querelles constitutionnelles. Si c'est ce qu'il faut, cela en vaudra peut-être la peine. Nous pourrions également adopter à court terme une approche législative mutuelle. Les Premières Nations et la Couronne pourraient adopter des mesures législatives en ce sens et, comme Patrick Brazeau l'a laissé entendre, se livrer bataille d'une élection à l'autre.

Nous pourrions arriver à une entente politique si le gouvernement fédéral pouvait s'engager à respecter la relation de nation à nation. Nous pourrions préciser nos politiques de gouvernance; nous pourrions préciser notre politique concernant l'extinction. Nous pourrions préciser ces politiques importantes et apporter ces précisions dans la Constitution. Ce serait l'idéal, mais cela prendrait du temps. À mon avis, nous devons progresser plus rapidement à court terme.

La sénatrice Raine : Merci des commentaires dont vous nous faites part aujourd'hui. Je suis de la Colombie- Britannique et je suis avec grand intérêt, à l'instar de nombreux Britanno-Colombiens, les progrès réalisés par les Premières Nations relativement à l'établissement de leurs droits.

Lorsque je parle aux gens, je constate notamment que les paroles sont importantes et qu'un mot a une signification. Lorsque vous utilisez l'expression « nation », à savoir qu'en raison de l'influence coloniale ces collectivités ont été scindées et qu'elles sont maintenant considérées comme des nations, je crois que cela rend la situation difficile.

J'aimerais vous demander comment la nation haïda aborde cela. Avez-vous regroupé toutes les collectivités en un grand groupe de négociation pour former la nation ou est-ce que c'était toujours ainsi?

Je sais que des groupes linguistiques et différentes alliances ou différents groupes de Premières Nations en Colombie- Britannique ont actuellement des partenariats et une gouvernance politique. Le terme « gouvernance » n'est peut-être pas le bon mot. Comment voyez-vous cela se concrétiser? Comme le sénateur Brazeau l'a dit, nous avons un peu de difficulté à comprendre ce qu'est la nation. J'aime l'idée d'un tribunal, mais je ne sais pas si nous en arriverons un jour à cela. Je préférerais peut-être que trois sages se consultent pour coucher quelque chose sur papier sans trop consulter les autres.

M. Richardson : En fin de compte, il faudra tout de même obtenir l'assentiment général que vous avez vu juste.

J'aimerais dire que mon opinion bien arrêtée est qu'une collectivité n'est pas une nation. Les quelque 600 bandes que nous avons au pays en vertu de la Loi sur les Indiens ne sont pas des nations. Certaines nations n'ont qu'une collectivité, mais d'autres raisons l'expliquent.

En ce qui concerne l'exemple de la nation haïda, nous sommes arrivés à un consensus entre des collectivités modernes et ancestrales. Pour répondre à votre question, en 500 ans, une entité comme la nation haïda à titre d'autorité gouvernementale n'existait pas au sens propre. Il y avait des alliances ou des actions communes qui survenaient à la suite de notre processus de gouvernance, mais il n'y avait aucune Chambre d'assemblée qui se réunissait chaque année pour une entité appelée le Conseil de la nation haïda. Nous l'avons créé en l'espace d'une vie.

Pour y arriver, nous avons commencé par définir le tout. Si vous lisez notre Constitution, que vous pouvez consulter en ligne à haidanation.net, elle commence par une proclamation. Cette proclamation se veut une déclaration, pour nous- mêmes et le monde, de qui nous sommes, de notre place dans le monde et surtout de notre place dans nos territoires. Il s'agit simplement d'une déclaration intemporelle de qui nous sommes.

Pour y parvenir, nous avons conclu une entente entre nos deux collectivités modernes. La moitié de notre peuple habite aux États-Unis, dans le sud de l'Alaska. L'une des deux collectivités canadiennes en Alaska s'appelle Hydaburg. Ces collectivités ont été fondées par les descendants des 40 collectivités ancestrales qui se trouvaient dans l'archipel avant que frappe l'épidémie de variole. Comme l'épidémie avait décimé un grand nombre de nos collectivités, nous avons dû nous regrouper en deux collectivités pour survivre et nous entraider. Nous retraçons tous nos origines à nos collectivités ancestrales.

Lorsque je me suis présenté au début de la réunion, j'ai dit que j'étais du clan de l'aigle de Cha'atl. C'est ma collectivité ancestrale sur la côte ouest de l'archipel Haida Gwaii. J'habite actuellement à Skidegate sur la côte est de l'archipel.

Les clans de chaque collectivité se sont regroupés pour en arriver à un consensus au sujet de notre nation. Nous avons dû faire chaque étape dans les règles de l'art. Des avis officiels ont dû être envoyés. Il fallait rédiger des ordres du jour pour donner le temps aux gens de s'y préparer. Nous avons dû faire preuve de discipline concernant le déroulement des discussions pour donner à chacun l'occasion d'y participer.

Par ailleurs, nous avions une norme de ratification élevée. Notre norme était de 75 p. 100, ce qui est élevé, mais nous devions le faire de manière adéquate et rigoureuse étant donné que nous avions une trentaine de clans et deux grandes collectivités qui sont membres à parts égales de ce processus de création d'une nation. Il y a de nombreuses façons de le faire; notre façon n'est qu'une parmi tant d'autres. Cela a pris beaucoup de temps. Cela a suscité beaucoup de conflits et a nécessité beaucoup d'amour et de bonnes aptitudes en facilitation au cours du processus pour en arriver où nous en sommes aujourd'hui, mais nous avons bien progressé. Par contre, il nous reste encore beaucoup de pain sur la planche.

En ce moment même, mon peuple participe à Haida Gwaii à une assemblée constitutionnelle pour faire passer notre Constitution au niveau supérieur. C'est un travail continu. Tout ce que le tribunal ferait, c'est de nous assurer que nos besoins sont arrimés à ceux du Canada, que les véritables besoins de chaque nation sont reflétés et respectés et que le processus mis en place pour développer cette nation a de bonnes chances de réussir.

Même si nous mettions en place un tribunal national ou fédéral, le groupe qui se pencherait sur la nation X pourrait se composer de trois sages hommes ou femmes que nous enverrions se ressourcer dans les montagnes pour coucher un plan sur papier. Cela pourrait fonctionner. Chaque nation devra concevoir son processus et s'entendre à ce sujet. C'est très important de le faire ainsi. C'est la nation qui doit le faire, et la Couronne du chef du Canada doit appuyer ce processus.

La sénatrice Raine : Je crois vous avoir entendu dire que, même s'il y a un tribunal national, ce sont les membres eux- mêmes qui doivent insuffler cet élan.

M. Richardson : Tout à fait. C'est le principe que nous avons utilisé dans le cadre du processus des traités en Colombie- Britannique. En fin de compte, les personnes qui doivent approuver la décision doivent aussi approuver au départ le processus.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Richardson, de nous faire profiter de vos travaux et de vos expériences. Je crois que nous trouvons cela extrêmement utile.

Je crois comprendre que, grâce à la Commission des traités de la Colombie-Britannique, cinq traités modernes ont été mis en œuvre avec succès. Premièrement, quel rôle ces traités ont-ils joué en vue de relancer l'économie autochtone? Deuxièmement, quels effets ces traités ont-ils eus sur l'économie provinciale dans son ensemble?

M. Richardson : Des études ont été réalisées sur ces questions à l'échelle de la province par des groupes d'affaires et le gouvernement provincial, mais je n'ai pas les résultats exacts sous la main. Vous devrez consulter chaque nation qui a réussi à conclure des traités. Il y a des études qui en analysent les résultats, en particulier en ce qui concerne le traité des Nisga'a, qui était le premier. Selon ce que nous pouvons entendre des voisins de la nation nisga'a, des non-Nisga'a, des non-Autochtones et de l'ensemble de la région de la province, tout le monde y gagne sur le plan économique. Cela ne fait absolument aucun doute. Vous pouvez consulter le site web de la nation nisga'a.

Ernst & Young a réalisé une étude il y a environ 10 ans pour analyser la situation en Colombie-Britannique sans les traités et extrapoler les effets possibles des traités conclus. Ces spécialistes seraient en mesure de répondre à votre question mieux que je peux le faire cet après-midi; je ne vais donc même pas essayer de le faire.

Si nous regardons les cinq traités qui ont été conclus, nous avons l'impression qu'il y a dans chaque cas une relance économique. C'est prometteur.

Le sénateur Christmas : Ce que j'essayais de faire valoir, c'est qu'en théorie, si d'autres provinces ou d'autres collectivités autochtones emboîtent le pas en vue de bâtir une véritable relation de nation à nation, nous aurons des situations où tout le monde y gagne si nous réussissons à avoir une telle relation. Les collectivités autochtones deviendront beaucoup plus prospères, ce que nous cherchons, je présume, à accomplir, mais il nous arrive souvent d'oublier que cela renforce également l'économie des collectivités voisines et des collectivités non autochtones.

J'essayais de voir si, d'après votre expérience, c'était certainement une situation où tout le monde y gagnait à long terme.

M. Richardson : Mon expérience en ce sens est sans équivoque; c'est certainement une expérience où tout le monde y gagne. Lorsque j'étais commissaire en chef de la Commission des traités de la Colombie-Britannique, nous avions mis en place le Programme des forums intercommunautaires. Lors des séances publiques, les gens prenaient la parole et s'époumonaient; des non-Autochtones s'opposaient au processus de négociation des traités. Lorsque nous poursuivions les travaux à huis clos, la donne était complètement différente. Les participants cherchaient comment y arriver et examinaient ce qu'ils pouvaient en tirer.

Je crois qu'au fil des ans, il s'est dégagé un fort consensus selon lequel les relations de nation à nation aboutissent à des situations où tout le monde y gagne. Il est bien plus préférable d'avoir un voisin heureux et prospère qu'un voisin pauvre et grincheux. Cette question mérite qu'on s'y attarde. Vous me donnez là une bonne idée de projet de recherche pour mon consortium national.

Le sénateur Christmas : Notre comité serait également curieux d'en connaître les résultats.

Le sénateur Tannas : Monsieur Richardson, j'aimerais savoir ce que vous pensez d'une observation que j'ai déjà entendue. Je songe à un avenir lointain, mais je vous saurais gré de m'aider à tirer tout cela au clair.

Si, un jour ou l'autre, nous envisageons sérieusement la possibilité que les gouvernements se partagent les recettes provenant des ressources naturelles et tout le reste — ce qui se produira tôt ou tard —, nous ne pourrons tout de même pas demander aux entreprises de produire 80 déclarations de revenus. Quelqu'un percevra l'argent, et il y aura une sorte d'entente de partage.

Voici ce qui me donne du fil à retordre, et je m'en suis souvenu aujourd'hui lorsque vous avez dit que nous sommes un peuple solidaire. Dans le reste du Canada, les gens accumulent de l'argent et des actifs, puis ils paient des impôts. Quand on parle de partager les recettes avec les peuples autochtones, à votre avis, les fonds doivent-ils d'abord être versés aux gens, qui paient ensuite des impôts au gouvernement autochtone et lui demandent de rendre compte de la façon dont leur argent est dépensé, ou faut-il plutôt distribuer les fonds de haut en bas, selon une optique véritablement collective, auquel cas c'est le gouvernement autochtone qui décide du montant à verser aux particuliers?

Il y a peut-être là deux points : d'une part, votre expérience, vos normes culturelles et vos attentes et, d'autre part, votre perception des attentes d'autrui. Y aurait-il des différences?

M. Richardson : C'est un point de négociation fondamentale, qui doit se faire de nation à nation. Cela dit, il n'y a rien de mal à ce qu'un groupe de nations se réunisse et crée quelque chose comme une administration financière municipale. Dans le même ordre d'idées, un gouvernement autochtone pourrait établir sa propre commission financière. De nombreuses idées de ce genre circulent déjà.

Si vous voulez connaître mon avis, dans ma nation, toutes ces recettes sont versées dans ce qu'on appelle un trésor, lequel est contrôlé par le conseil de la nation, qui réaffecte les fonds dans des programmes et des investissements au nom de ses membres. Selon moi, c'est ainsi que les choses devraient fonctionner, mais lorsqu'il s'agit de la gestion des finances d'une autre nation, je ne m'en mêle pas; c'est son affaire à elle. Voilà comment il faudrait procéder, à condition que ce soit négocié de nation à nation. Donc, la bonne manière de s'y prendre, c'est la première option que vous avez décrite.

Permettez-moi de vous relater une autre de mes expériences au sein de la Commission des traités de la Colombie- Britannique. Devant l'absence de progrès aux tables de négociation distinctes sur des questions comme les relations fiscales, nous avons lancé un processus de discussion tous azimuts, comme nous l'appelons. Ainsi, nous avons invité des hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial et des Premières Nations, puis nous les avons rassemblés dans une arrière-salle, à huis clos. Nous avons fermé la porte en leur disant : « Les gars, trouvez-nous des approches pour déterminer comment procéder. »

Ce qui s'est produit était fascinant. Ils étaient assis, à se parler, de gouvernement à gouvernement, sur des sujets comme la marge de manœuvre fiscale. Les gouvernements entretiennent tout le temps ce genre de conversations. Quelle est la tolérance d'un contribuable vivant dans une région X pour ce qui est de payer des impôts? À quelles fins doivent servir les recettes fiscales? Comment allons-nous les partager entre nos divers gouvernements? Voilà le type de discussions qui s'imposent, de nation à nation, dans le contexte du Canada.

C'est ainsi qu'il faut procéder, mais il serait très difficile de prendre une telle mesure à l'intérieur de chaque nation. Si ces fonds étaient d'abord versés aux particuliers, puis remis à leur nation au moyen d'impôts, ce serait incompatible avec le statut de nation, mais c'est mon opinion.

La sénatrice McPhedran : Monsieur Richardson, je vous remercie de tous les renseignements que vous nous avez fournis ce soir. Quand vous avez évoqué l'accord de Charlottetown, je me suis du coup rappelé comment toutes les organisations de femmes autochtones avaient été exclues de la table des négociations et des discussions. Ensuite, relativement aux divers modèles, notamment lorsqu'on a proposé que trois hommes sages se consultent et élaborent un plan, j'ai trouvé très intéressant de vous entendre répondre que ce travail pourrait aussi être effectué par trois femmes sages.

À la lumière de vos nombreuses années d'expérience en matière de gouvernance, que pourriez-vous nous dire au sujet de l'inclusion des femmes chefs dans les échanges de nation à nation : des recommandations, des réflexions ou des regrets?

M. Richardson : Je ne sais pas si je suis bien placé pour répondre à la question. Dans la nation haïda, les femmes continuent de mener le bal. Nous sommes une société matrilinéaire. Nos identités, nos prérogatives et nos pouvoirs sont tous transmis par la mère. Chacun de nos clans, qui forment l'unité de base du pouvoir, est composé d'une série de filiations. À la tête de chacune de ces lignées se trouve évidemment une femme.

Les femmes ont beaucoup de pouvoirs en matière de gouvernance au sein de notre nation. Or, ce n'est pas officialisé. Si nous tenons à passer à l'étape suivante du renforcement de nos capacités, nous devrons alors officialiser cette tradition. À l'heure actuelle, ce sont les matriarches, comme on les appelle, qui nomment ou destituent les chefs et qui prennent essentiellement les décisions importantes. Elles jouent un rôle semblable à celui du Sénat dans son ensemble. Elles se prononcent tout le temps sur de grands enjeux. Jour après jour, le volet démocratique de notre gouvernance est assuré par le Conseil de la nation haïda, selon le principe « une personne, un vote », et, peu importe la personne qui finit par être élue, ce n'est pas aussi urgent.

Je ne sais pas si je suis la personne la mieux placée pour répondre à cette question, mais les femmes doivent participer au processus. Au cours des 140 dernières années, sous le régime de la Loi sur les Indiens, les femmes ont été beaucoup trop privées de leur droit de vote. Nous devons compenser cela et rétablir l'équilibre, pour notre propre bien, afin d'assurer l'inclusion des femmes dans notre processus de gouvernance et dans votre définition de nation. C'est un aspect que nous ne devons pas perdre de vue.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je suis bien contente d'entendre ce que vous avez à dire. Quel bonheur d'être ici ce soir.

Je terminerais par cette question : que pensez-vous des célébrations du 150e anniversaire? Les Premières Nations devraient-elles être au rendez-vous, ou devraient-elles s'en abstenir?

M. Richardson : J'aime voir le verre à moitié plein. Nous devons certes célébrer le fait que nous sommes toujours là, relativement forts. Au cours des 150 dernières années, l'intention était de nous faire disparaître et de nous assimiler à la société canadienne. Or, nous sommes toujours là et nous continuons d'assumer notre identité sur nos terres natales, là où notre Créateur nous a mis, et cela en dit long sur la force de l'esprit humain. Voilà qui mérite bien d'être célébré.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci beaucoup de votre réponse.

La présidente : Merci, monsieur Richardson. Décidément, vous avez impressionné les sénateurs ce soir par votre expérience de vie, votre sagesse et vos réponses très franches aux questions. Vous nous avez donné des directives très claires sur la voie à suivre.

Au nom de tous les sénateurs, je tiens à vous remercier de votre témoignage.

Chers collègues, nous devons nous occuper d'autres points à l'ordre du jour.

M. Richardson : Bonne chance dans vos travaux.

La présidente : Merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page